Habitat Des Poissons
Habitat Des Poissons
Habitat Des Poissons
des poissons
277
Les poissons des eaux continentales africaines
La notion d’habitat
Parmi les nombreux paramètres pouvant caractériser l’habitat, il faut considé-
rer qu’un poisson, à chacune des étapes de son existence, doit faire face à trois
exigences fondamentales (LÉVÊQUE, 1995 a) :
◗ se protéger des contraintes du milieu (courant, oxygène, température, etc.)
ainsi que des prédateurs et éventuellement des compétiteurs, de manière à
assurer sa survie ;
◗ se nourrir dans les meilleures conditions afin d’assurer sa croissance et sa
maturation sachant que les besoins alimentaires varient au cours du dévelop-
pement ;
◗ se reproduire à l’état adulte, dans les conditions les plus favorables, de
manière à assurer la survie de l’espèce. Le poisson est ainsi amené à se dépla-
cer (migrations) et à développer éventuellement des formes de protection des
œufs (soins parentaux).
Les milieux aquatiques, et notamment les milieux lotiques, sont caractérisés
par une grande variabilité spatiale et temporelle en raison des fluctuations de
débit et de niveau de l’eau qui modifient considérablement la nature et l’éten-
due des volumes utilisables par les poissons. En réalité, dans cet environne-
ment très variable, on peut prendre comme hypothèse que le poisson va
rechercher en permanence des compromis, de manière à optimiser les trois
exigences de base mentionnées ci-dessus. À titre d’exemple, les compromis
peuvent être de quitter l’abri pour se nourrir en s’exposant aux prédateurs, ou
de migrer pour se reproduire dans des zones pauvres en ressources alimen-
278
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
taires mais favorables au développement des œufs et des larves. Un des pro-
blèmes majeurs pour tout poisson est alors de savoir comment partager son
temps et utiliser son énergie pour se nourrir et (ou) se reproduire de manière
à ce que le succès de la reproduction soit maximal. Ainsi, en minimisant l’éner-
gie nécessaire à la recherche et à la capture des proies, le poisson aura plus
d’énergie à consacrer à la croissance et au métabolisme (HART, 1986). Cette
recherche de compromis aurait pour objectif d’optimiser ce qu’il est convenu
d’appeler le « fitness », c’est-à-dire la contribution relative d’un individu aux
futures générations. Face aux différentes options qui leur sont offertes dans
le milieu naturel, les animaux ne choisissent pas au hasard mais accomplissent
au contraire les activités qui assurent un succès reproducteur plus élevé
(PULLIAM, 1989). Ces options peuvent amener l’individu à des comportements
apparemment coûteux en énergie dans un premier temps, mais rentables à long
terme pour la survie des jeunes. C’est le cas chez les espèces qui effectuent
de longues migrations de reproduction.
Au cours de sa vie, et en fonction de son activité journalière ou saisonnière,
une même espèce pourra donc occuper successivement et temporairement
plusieurs types de biotopes afin d’accomplir son cycle biologique. L’habitat, par
définition le milieu géographique propre à la vie d’une espèce animale et végé-
tale, sera donc défini ici comme l’ensemble des biotopes nécessaires à l’ac-
complissement du cycle biologique d’un poisson. Il a une dimension spatiale
et temporelle, liée pour partie à la variabilité du milieu et aux exigences biolo-
giques et écologiques des espèces.
TABLEAU XXXVII
Relations théoriques variations saisonnières, de telle sorte qu’un système peut être en cours d’évo-
entre les échelles lution lente sans que l’on s’en rende compte, car le phénomène est difficile à
temporelles, mettre en évidence si l’on ne dispose pas de longues séries d’observations.
les événements On a pu parler ainsi de « présent invisible » (MAGNUSON et al., 1983) pour qua-
physiques lifier ces changements qui ne sont décelables qu’avec de longues séries d’ob-
et les phénomènes servations (tabl. XXXVII). À l’échelle de la décennie, par exemple, la pente
biologiques d’une rivière peut paraître stable, alors qu’à l’échelle du millénaire elle est pro-
(d’après MAGNUSON, bablement variable.
1990).
Des problèmes similaires se posent pour les échelles spatiales. Par exemple,
la richesse spécifique en poissons dans un bassin versant est fonction de la
surface considérée (voir p. 263). En outre, de nombreuses espèces ont des
répartitions discontinues, en mosaïque, de telle sorte que la probabilité de les
observer dépend de l’échelle à laquelle on travaille. Enfin, compte tenu de la
variabilité et de l’hétérogénéité de l’environnement, des espèces peuvent dis-
paraître dans certaines régions, alors qu’elles prospèrent dans d’autres, selon
que les conditions écologiques deviennent ou non défavorables dans le temps.
Il y a bien entendu, comme on le voit dans le dernier exemple, d’étroites inter-
actions entre les échelles spatiales et temporelles. La présence d’une espèce
dans une région fort éloignée de sa zone de distribution actuelle est parfois l’hé-
ritage d’une situation historique dans laquelle l’espèce avait une répartition
beaucoup plus large que de nos jours (voir p. 75).
La structure et la composition d’un peuplement de poissons, à une échelle spa-
tiale donnée et à un moment donné, sont donc le résultat d’un ensemble de
phénomènes qui interagissent à différentes échelles spatiales et temporelles
sur chacune des populations constitutives du peuplement. Pour mieux appré-
hender ces situations, on fait souvent appel à la notion de structure hiérar-
chique : dans des milieux hétérogènes, il est possible de considérer qu’une zone
étudiée est composée de sous-unités, elles-mêmes parfois décomposables en
unités plus petites. Une illustration de cette notion de hiérarchie dans les sys-
tèmes lotiques a été proposée par FRISSELL et al., 1986 (fig. 116), sous forme
d’une série d’échelles spatio-temporelles emboîtées. Le principe de ces orga-
nisations hiérarchiques est que les niveaux supérieurs ont des dynamiques plus
lentes et imposent des contraintes sur les niveaux inférieurs. Ainsi, un bassin
hydrographique sera situé dans une zone biogéographique, ce qui explique la
280
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
FIGURE 116
10 10 Zone Échelles spatiales
biogéographique et temporelles
période de persistance en années
et hiérarchies dans
10 8
Écorégion les écosystèmes
Échelle temporelle :
lotiques. L’échelle
10 6 Bassin
temporelle
hydrographique
correspond à
10 4 Rivière une période
théorique (période
Bief de persistance)
10 2
durant laquelle
Microhabitat
on peut considérer
que le niveau
10 10 2 10 4 10 6 hiérarchique
Échelle spatiale (m)
considéré reste
relativement stable
composition en espèces des peuplements, et plusieurs bassins peuvent appar- (adapté d’après
tenir à une écorégion dont les caractéristiques abiotiques sont relativement FRISSELL et al.,
1986).
homogènes. De même, à l’intérieur d’une rivière, on pourra distinguer différents
biefs, eux-mêmes comportant plusieurs types de microhabitat.
Une question fondamentale est associée aux notions d’échelle et de hiérarchie :
les problèmes que l’on pourra envisager de résoudre dépendent de l’échelle
à laquelle on situe les recherches. Ainsi, on ne peut traiter des questions de
biogéographie en considérant un seul bassin versant, ni travailler sur les migra-
tions si l’on reste cantonné à l’étude d’un bief. En réalité, il est difficile d’ex-
trapoler à d’autres niveaux hiérarchiques les résultats que l’on obtient à une
échelle spatio-temporelle, sachant que les paramètres pertinents pour tra-
vailler à un niveau ne le sont pas toujours à d’autres. Ainsi, la biogéographie
permet d’expliquer pourquoi telle espèce se trouve dans tel bassin, mais c’est
la nature du substrat ou l’hydrologie qui pourront expliquer la présence de l’es-
pèce dans un bief donné. Cette question des changements d’échelle est
cependant un enjeu important des recherches écologiques, car il est indis-
pensable de connaître les contraintes imposées par les niveaux supérieurs, afin
d’interpréter correctement les observations effectuées à un niveau hiérar-
chique inférieur.
282
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
283
Les poissons des eaux continentales africaines
juvéniles de petite taille, peu vagiles, ne peuvent exploiter que des particules de
petite taille également, telles que le phytoplancton ou le zooplancton. Avec
l’augmentation de la taille du poisson et de ses capacités de déplacement, la taille
et la nature des proies évoluent. Chez les poissons ichtyophages à l’état adulte,
des changements morphologiques associés à une plus grande spécialisation
s’accompagnent de changements dans la taille et la nature des proies.
Les conséquences sont importantes sur le plan de l’habitat. En effet, les proies
ne sont pas distribuées au hasard dans les milieux aquatiques et leur disponi-
bilité peut varier au cours de l’année. Dans les milieux fluviaux, par exemple,
les proies planctoniques sont essentiellement abondantes dans les milieux
calmes, c’est-à-dire dans les annexes fluviales où les juvéniles de beaucoup
d’espèces vont trouver les conditions qui leur sont favorables tant sur le plan
de la nutrition que sur celui des conditions physiques de l’habitat. L’existence
et l’étendue de ces milieux sont étroitement dépendantes de l’hydrologie et
notamment du niveau de l’eau. Il faut donc qu’il y ait une bonne synchronisa-
tion entre d’une part l’apparition des larves et d’autre part l’existence de proies
favorables dans l’habitat correspondant (hypothèse du « match-mismatch »
de CUSHING, 1982).
Stratégies de recherche
et de partage de la nourriture
et ségrégation spatiale des espèces
Les stratégies alimentaires peuvent être vues comme des systèmes de prise
de décision pour répondre à des questions du type : où un individu doit-il se
nourrir, vers quelle proie doit-il diriger sa recherche ? (CÉZILLY et al., 1991). Le
poisson doit ainsi décider du moment où il va se nourrir, du lieu et de la durée
de la période de nutrition, des proies qui sont les plus adéquates (taille et
valeur nutritionnelle), de la manière dont il va rechercher ces proies et les cap-
turer. Il s’agit de faire face efficacement à différentes contraintes de l’envi-
ronnement comme la compétition, la raréfaction de la nourriture, les varia-
tions imprévisibles de la ressource.
Un axiome fondamental est que les stratégies alimentaires ont été façonnées
au cours de la sélection naturelle, et que toute décision tend à optimiser cer-
taines variables, comme le taux d’assimilation de l’énergie qui est en dernier
ressort corrélé au concept de « fitness » (PYKE, 1984). Mais un certain nombre
de résultats font penser que les poissons ont également la possibilité d’ap-
prendre et de pratiquer des comportements alternatifs qui leur permettent
d’être plus efficaces dans la recherche des proies et de vivre plus longtemps
(HART, 1986).
Dans les milieux habités par de nombreuses espèces appartenant au même
groupe trophique et ayant des régimes alimentaires relativement proches, les
stratégies peuvent être d’occuper des habitats spatialement différents afin de
réduire la compétition entre espèces. C’est le cas dans le lac Victoria, où on a
montré chez les haplochromines zooplanctophages qu’il existait des phéno-
mènes de ségrégation spatiale qui permettaient un isolement écologique des
espèces (GOLDSCHMIDT et al., 1990). Outre une répartition horizontale souvent
bien différenciée pour chacune des espèces dans le golfe de Mwanza, le type
284
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
Migrations trophiques
La recherche de zones favorables à l’alimentation amène les espèces à effec-
tuer des migrations de faible amplitude pour se nourrir. Dans les lacs profonds,
des espèces effectuent des migrations nycthémérales, passant le plus souvent
la journée en profondeur et remontant la nuit près de la surface pour se nour-
rir. Ainsi, dans le lac Malawi, la distribution verticale des espèces en milieu péla-
gique dépend du cycle journalier. Durant le jour, la plupart des poissons se
situent à des profondeurs variables : Diplotaxodon « big eye » et Synodontis
njassae à la limite de l’oxycline, vers 200-220 m ; Diplotaxodon « elongate »
schématique de
rfa
Su
les espèces
nd
H. piceatus
s
ie
de Cichlidae
Ba
n
o zooplanctophages
H. «double strip» H. « argens » ct
an H. heusinskveldi
ce
l du lac Victoria
op
rfa
yt
e
Su
bl
ph (d’après GOLDSCHMIDT
Sa
yt
op
nd
la
H. pyrrhocephalus
Ea
(H. «reginus »)
nc
u
to
pr
n
o
fo
n
H. « argens »
de
ce
rfa
Su
Milieu H. laparogramma
Fo
nd
H. «reginus »
285
Les poissons des eaux continentales africaines
Développement direct
et territorialité
Un exemple de comportement très sédentaire lié à un développement direct
est celui de différentes espèces de Cichlidae endémiques des grands lacs
d’Afrique de l’Est. FRYER (1959) avait déjà souligné que beaucoup d’espèces lit-
torales sont à ce point inféodées aux zones rocheuses qu’elles ne sont jamais
observées à plus d’un mètre de ces milieux. Les individus matures vivent, se
nourrissent et se reproduisent toute l’année dans les limites étroites de leur
habitat. En outre, les gros œufs riches en vitellus donnent naissance à des
jeunes de taille suffisamment grande pour utiliser la même nourriture que les
parents, ce qui signifie qu’il n’y a pas besoin de stade planctonique pélagique,
comme on l’observe chez les poissons de coraux (LOWE-MCCONNELL, 1987), et
l’espèce peut ainsi passer toute sa vie dans le même biotope. La nature séden-
taire de ces Cichlidae a été démontrée expérimentalement par marquage.
Certaines espèces peuvent avoir une aire de distribution limitée à quelques mil-
liers de mètres carrés (RIBBINK et al., 1983 b). En outre, des espèces transfé-
rées d’un endroit à un autre du lac restent à proximité du point d’introduction
et se reproduisent à cet endroit.
En règle générale, le développement direct s’accompagne le plus souvent de
soins parentaux, c’est-à-dire d’une aide qui est apportée par les parents et qui
a pour but d’assurer une meilleure survie de l’œuf après sa formation. Cette
aide peut aller de la construction de nids jusqu’à la garde des œufs et des ale-
vins. La pratique de soins parentaux est assez répandue chez les poissons et
notamment dans la famille des Cichlidae (KEENLEYSIDE, 1991 b) (voir p. 225). Leur
fonction principale est de protéger les jeunes des prédateurs. On a suggéré que
la pratique des soins parentaux s’est développée chez les poissons occupant
des milieux caractérisés par leur imprédictibilité spatiale et temporelle
287
Les poissons des eaux continentales africaines
FON
D
ROCH
EUX
Finalement, Au début, les jeunes vivent en groupe
les groupes dans les eaux peu profondes près du rivage.
se dispersent
lorsque
les habitudes
des adultes sont
acquises. Au fur et à mesure
de la croissance,
ils descendent en profondeur.
Développement indirect
et migrations de reproduction
Chez les poissons à développement indirect, la nécessité d’utiliser des biotopes
distincts pour les différents stades de développement, et notamment la
recherche de sites favorables à la ponte puis au bon développement des juvé-
niles, conduit l’espèce à effectuer des migrations qui sont parfois de grande
amplitude. Une migration, selon NORTHCOTE (1979), est un déplacement entre
deux habitats qui se produit de manière régulière durant la vie de l’individu et
qui concerne une grande partie de la population.
Les poissons effectuant des migrations de type anadrome ou catadrome sont
rares en Afrique tropicale où, en revanche, les poissons potamodromes sont
abondants. Ce type de migration présente un avantage adaptatif dans la mesure
où il a pour objectif d’atteindre des lieux propices à la reproduction ou à l’ali-
289
Les poissons des eaux continentales africaines
TYPES DE MIGRATION
mentation. Pour certains
On distingue habituellement qui passent principalement auteurs il s’agirait d’un
les migrations diadromes entre leur vie en eau douce mécanisme permettant de
la mer et les milieux aquatiques et migrent en mer pour protéger les jeunes de la
continentaux et les migrations se reproduire, l’exemple type prédation, et FRYER (1965)
potamodromes qui concernent étant l’anguille ; estime que c’est un moyen
les migrations à l’intérieur ◗ les espèces amphidromes
d’assurer la dispersion des
des eaux douces (MC DOWALL, qui partagent leur vie entre
1987). Les poissons fluviaux les milieux marins et continentaux, jeunes dans l’ensemble du
tropicaux qui effectuent sans que ces migrations soient système fluvial. Ces deux
des migrations de grande obligatoirement liées hypothèses sont probable-
amplitude pour se reproduire sont à la reproduction. ment complémentaires. La
donc des espèces potamodromes. De manière plus simple, ponte dans les affluents du
Parmi les espèces diadromes, on distingue parfois les poissons cours supérieur permet en
on distingue : euryhalins, qui se déplacent
effet aux larves d’être
◗ les espèces anadromes qui pas- librement entre les eaux douces
sent la plus grande part de leur vie et marines, et les espèces
entraînées par dérive avec
en mer et migrent en eau douce amphihalines, qui ne le font les eaux de crue dans tous
pour se reproduire ; qu’à certains stades particuliers les biotopes, sur des cen-
◗ les espèces catadromes de leur vie. taines de kilomètres en aval
du lieu de ponte. Les migra-
tions amont ou aval, qui ont
pour objectif d’amener les géniteurs à proximité des plaines d’inondation afin
d’y déposer leurs œufs dès que l’eau envahit ces milieux, ont également pour
objectif de permettre aux larves de gagner le plus vite possible les plaines
inondées où elles trouvent nourriture et abri.
Les sites les plus propices à la ponte ne sont pas toujours les sites les plus favo-
rables pour l’alimentation, et certaines espèces ont donc à effectuer des migra-
tions sur de longues distances entre les deux. DAGET (1960) puis WELCOMME
(1985) ont fait la distinction entre les migrations longitudinales, motivées le plus
souvent par la reproduction et se produisant dans le lit de la rivière, et les
migrations latérales quand les poissons quittent le lit principal du fleuve pour
gagner les divers habitats du lit majeur. Ces migrations latérales sont motivées
à la fois par la recherche de nourriture et la reproduction.
On connaît encore mal les mécanismes responsables du déclenchement des
migrations, notamment lorsqu’elles nécessitent de parcourir de longues dis-
tances. Dans la mesure où les espèces ont des comportements variés, il est
probable que plusieurs mécanismes entrent en jeu, dont certains sont asso-
ciés au début de la crue (WELCOMME, 1985). On ignore également par quels
signaux les poissons adultes sont avertis avant les jeunes que le temps est venu
de quitter les plaines inondées. Il est vrai que ces signaux ne sont pas toujours
très efficaces et que des quantités importantes de poissons sont bloquées
chaque année dans des mares résiduelles qui s’assèchent au cours de l’étiage.
La profondeur et (ou) la concentration en oxygène de l’eau pourraient être des
facteurs déterminants.
L’étude des migrations a fait l’objet de nombreux travaux qui restent cepen-
dant imprécis pour la plupart, compte tenu des difficultés à suivre réellement
le déplacement des poissons dans les milieux aquatiques durant la crue. Dans
les milieux nilo-soudaniens, les recherches menées dans le bassin tchadien ont
290
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
291
Les poissons des eaux continentales africaines
Cha
Zone d'inondation
Logomat
situées entre 8 et 24 km de
0 50 km l’embouchure et les jeunes
restent de trois à sept mois
14 E
0
292
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
Dans le bassin tchadien, plusieurs espèces à la fois pour y trouver de meilleures conditions
effectuent des migrations de reproduction d’alimentation, des abris et des sites propices
(fig. 116) de plus ou moins grande ampleur à la reproduction. Il s’agit par exemple
(BÉNECH et QUENSIÈRE, 1989). En particulier, de Brienomyrus niger, Petrocephalus bovei,
beaucoup d’espèces lacustres utilisent la plaine Gymnarchus niloticus, Heterotis niloticus,
d’inondation du Nord-Cameroun (Grand Yaéré) Ichthyborus besse, Clarias gariepinus
comme nurserie. Quelques espèces ou Siluranodon auritus.
entreprennent des migrations de grande ampleur La migration de retour des jeunes vers
au moment de la reproduction. Il s’agit notamment le lac Tchad est une phase importante du schéma
d’espèces pélagiques dont beaucoup sont général des migrations. Une étude détaillée
zooplanctonivores dans le lac Tchad, des dévalaisons de juvéniles au moment
comme Alestes baremoze, Brachysynodontis de la décrue a été réalisée dans l’El Beid,
batensoda, Schilbe mystus, S. uranoscopus, qui relie le Yaéré du Nord-Cameroun à la zone sud
S. intermedius, Synodontis schall, Hyperopisus du lac Tchad (DURAND, 1971 ; BÉNECH et QUENSIÈRE,
bebe. Une grande partie des populations lacustres 1982, 1983). Un premier groupe de juvéniles
remonte le Chari avant la crue et se reproduit comprenant Hyperopisus bebe, Marcusenius
à proximité de la plaine d’inondation du cyprinoides, Alestes dentex et Labeo senegalensis
Nord-Cameroun en août et septembre, passe en abondance de mi-novembre
c’est-à-dire 150 à 200 km en amont du lac. à mi-décembre. Il comprend d’autres espèces
Les œufs et les larves se dispersent dans les comme Alestes baremoze, Polypterus bichir,
zones inondées où ces dernières passeront Hydrocynus brevis et Lates niloticus
quelques mois avant de rejoindre le lac via le Chari qui apparaissent début novembre, et Heterotis
ou l’El Beid, un drain temporaire qui réunit le Yaéré niloticus, Distichodus rostratus, Oreochromis
au lac Tchad en période de crue. Alestes dentex aureus qui apparaissent jusqu’en janvier.
paraît remonter pour se reproduire dans Mormyrus rume, Pollimyrus isidori
d’autres zones inondées situées encore et Distichodus brevipinnis sont également
plus en amont (au moins 250 à 300 km du lac). présents durant les deux premiers mois
C’est le cas pour d’autres espèces comme de l’écoulement.
Hemisynodontis membranaceus et Labeo Un deuxième groupe d’espèces est
senegalensis. Des espèces comme Polypterus très abondant fin janvier : Sarotherodon galilaeus,
bichir, Distichodus rostratus, Marcusenius Brienomyrus niger, Clarias spp.,
cyprinoides paraissent avoir également Barbus spp., ainsi qu’Oreochromis niloticus
les caractéristiques de grands migrateurs, et Labeo coubie. Enfin, un troisième groupe
mais les données recueillies sont trop limitées est observé au tout début de la crue
pour confirmer cette hypothèse. de l’El Beid, disparaît ensuite, et réapparaît
D’autres espèces effectuent des migrations en abondance en février : Ichthyborus besse,
de moindre amplitude. Ainsi, les populations Siluranodon auritus, Schilbe uranoscopus,
lacustres d’Hydrocynus forskalii migrent Synodontis schall et Synodontis nigrita.
dans le delta du Chari et les biefs inférieurs Le deuxième et le troisième groupes migrent
pour se reproduire au moment de la décrue vers le lac Tchad avec le drainage des eaux
de novembre à mars, ainsi qu’au début de la crue de la plaine d’inondation.
en juillet-aôut. Les Bagrus bajad se reproduisent Quelques espèces comme Mormyrus rume,
également dans le delta en mai-juin. Pollimyrus isidori et Distichodus brevipinnis,
Enfin, des espèces plus ou moins sédentaires sont observées tout au long
migrent du lit principal vers les zones inondées, du cycle hydrologique.
qui, selon les conditions ambiantes qui lui sont offertes et auxquelles elle ne
peut échapper, peut développer des comportements alternatifs.
Enfin, les recherches commencent à mettre en évidence l’éventualité d’un
apprentissage, ce qui aurait pour conséquence d’élargir encore la possibilité pour
une espèce d’occuper de nouveaux milieux.
Les conséquences en termes d’habitat sont importantes. Si l’héritage phylogé-
nétique contraint le poisson à fréquenter un type de milieu, la variabilité génétique
permettra à certains individus d’étendre la gamme des limites que l’espèce peut
supporter. La sélection naturelle peut conduire à favoriser ces génotypes et donc
à modifier le comportement de l’espèce vis-à-vis de l’habitat.
La niche ontogénique
et ses implications
L’espèce ne peut accomplir son cycle biologique que si l’individu trouve les
conditions nécessaires à sa survie et à sa croissance, à chacune des étapes
de son développement. La niche ontogénique est ainsi l’ensemble des habi-
tats et des ressources qui sont nécessaires au bon déroulement du cycle bio-
logique. Pour les espèces à développement indirect en particulier, il doit donc
y avoir une excellente synchronisation dans le temps entre l’ontogenèse et les
changements du milieu. Autrement dit, il faut être au bon endroit au bon
moment. Dans les grands fleuves tro-
picaux, c’est le cas par exemple pour
les poissons des zones d’inondation,
Dispersion
dans la plaine inondée dont différentes étapes de la repro-
Débit de la rivière
Migration de retour
duction et du développement sont
vers le lit mineur étroitement liées au cycle des événe-
ments hydrologiques et aux divers
types d’habitat qui leur sont associés
Migration Refuges (fig. 123).
vers l'amont de saison sèche
Une des applications pratiques de la
notion de niche ontogénique pour la
A M J J A S O N D J F M Mois
gestion des espèces et des espaces
Maturation aquatiques est qu’il faut prendre en
Ponte Croissance larvaire Arrêt
des gonades et juvénile de croissance considération tous les milieux dont l’es-
pèce peut avoir besoin au cours de son
FIGURE 123 développement. Il ne suffit pas de pré-
Le cycle saisonnier server les biotopes indispensables aux adultes pour assurer la pérennité d’une
des événements espèce, il faut également s’assurer qu’elle pourra trouver les conditions favo-
dans une plaine rables à la reproduction et à la croissance des larves.
inondée et
leurs conséquences Ty p o l o g i e d e s h a b i t a t s
vis-à-vis
Pour des raisons pratiques et opérationnelles, la nécessité de reconnaître une
de la biologie
typologie des habitats a amené certains auteurs à proposer un cadre concep-
et de l’écologie
tuel utilisant des caractéristiques physiques et géomorphologiques (FRISSELL
des poissons
et al., 1986). Cette approche hiérarchique peut servir de référence pour l’étude
(d’après
des communautés de poissons à différentes échelles spatiales et temporelles
LOWE-MCCONNELL,
1985).
(BAYLEY et LI, 1992). À grande échelle, ce sont généralement les facteurs liés
au climat qui dominent, alors qu’à l’échelle locale les facteurs biotiques comme
294
L’habitat des poissons
CHRISTIAN LÉVÊQUE
dépenses énergétiques.
Échelle spatiale (m)
Autre ensemble, le domaine d’acti-
vité (home range) à l’intérieur duquel FIGURE 124
Typologie
les rythmes biologiques et comportementaux sont conditionnés par les cycles
des habitats pour
nycthéméraux ou lunaires. Le territoire, pour les poissons territoriaux, peut
les poissons
être l’échelle spatiale de référence de cette catégorie. Pour les autres, il s’agit
(d’après BAYLEY et LI,
de l’ensemble des zones refuges ou de repos ainsi que des zones où l’espèce
1992 et LÉVÊQUE,
va se nourrir, ce qui suppose des migrations de faible amplitude.
1995 a).
Sauf accidents qui les amènent à se déplacer, de nombreuses espèces de
poissons territoriaux accomplissent leur cycle biologique dans le contexte spa-
tio-temporel de la zone d’activité. Néanmoins, cette zone d’activité varie lorsque
l’environnement aquatique se modifie.
L’échelle de la niche ontogénique correspond à l’ensemble des milieux dont
une espèce a besoin pour accomplir son cycle biologique. Les limites spa-
tiales sont les limites géographiques des différents habitats occupés selon
les stades de développement, y compris les zones de ponte vers lesquelles
295
Les poissons des eaux continentales africaines
FIGURE 125
Les quatre Fonctions Habitats
ensembles
spatio-temporels
Abri Zone de repos
permettant de définir
l’habitat en relation
Abri + nourriture Domaine d'activité
avec les fonctions
biologiques
(d’après LÉVÊQUE, Abri + nourriture Niche
1995 a). + reproduction ontogénique
Abri + nourriture
Métapopulation
+ reproduction + colonisation
Espace /temps
296