Charles Baudelaire

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Charles Baudelaire (1821-1867)

       Poète et critique français qui, avec les Fleurs du mal, ouvrit la


voie à la modernité en poésie.
Vie de Baudelaire  
Charles Baudelaire est né à Paris le 9 avril 1821. Il
avait sept ans lorsque sa mère, devenue veuve, se
remaria avec le général Aupick!; l'enfant n'accepta
jamais cette union. Placé d'abord en pension à Lyon,
il étudia ensuite au lycée Louis-le-Grand à Paris, où il
se signala par son indiscipline et d'où il fut exclu en
avril 1839. Après avoir néanmoins obtenu son
baccalauréat, Baudelaire entreprit de mener à Paris
une vie d'insouciance et de bohème, tout au moins
jusqu'en 1841, date à laquelle son beau-père,
soucieux d'y mettre un terme, le fit embarquer quasi
de force sur le Paquebot-des-Mers-du-Sud, pour un Dans un univers confus, indéchiffrable
long voyage à destination des Indes. Ce périple, au commun des mortels, seul le poète,
quoique écourté par le poète - il s'arrêta à l'île grâce à son imagination - cette «!reine
Bourbon (la Réunion) -, ancra profondément chez lui des facultés!» qui est capacité à créer
le goût de l'exotisme, thème très présent dans son des images - peut faire surgir le sens en
œuvre. De ce voyage, Baudelaire rapporta également faisant correspondre ce qui est
les premiers poèmes de son principal recueil, les disparate et morcelé : «!La Nature est
Fleurs du mal, notamment le sonnet «!À une dame un temple où de vivants piliers!/!
créole!». Laissent parfois sortir de confuses
Peu après son retour en France, en 1842, Baudelaire paroles!;!/!L'homme y passe à travers
rencontra Jeanne Duval, dont il fit la «!Vénus noire!» des forêts de symboles!/!Qui
de son œuvre, l'incarnation de la femme exotique, l'observent avec des regards
sensuelle et dangereuse, et qu'il aima durablement familiers.!» («!Correspondances!», les
malgré leurs relations orageuses. Cette liaison Fleurs du mal, IV). Les mots revêtent un
n'empêcha pas le poète de s'éprendre de Marie caractère proprement magique, et
Daubrun en 1847 et de Mme Sabatier en 1852. Il fit l'écriture devient une «!sorcellerie
de cette dernière, pour laquelle il éprouva des évocatoire!». Annonciateur de
sentiments tout éthérés, une figure spirituelle, la «! Rimbaud, Baudelaire se voit comme un
Muse et la Madone!» des Fleurs du mal. «!alchimiste du Verbe!», capable de
transmuer la «!boue!» en «!or!».
Le jeune poète mena alors - grâce à l'héritage
paternel reçu à sa majorité, en 1842 - une vie de Cheminement des Fleurs du mal
dandy et d'esthète!; à cette époque, il fit l'acquisition
Le cheminement des Fleurs du mal ne
de coûteuses œuvres d'art et expérimenta les «!
permet pourtant pas, semble-t-il, de
paradis artificiels!» de l'opium et de l'alcool. Son train
vaincre le spleen, ce sentiment qui
de vie ne tarda pas à écorner son héritage : pour
écrase le poète. Les différentes
éviter la dilapidation de sa fortune, son beau-père et expériences, qui sont autant d'étapes
sa mère le firent placer sous tutelle judiciaire. Le dans le recueil, se révèlent sans réelle
jeune poète souffrit dès lors de ne pouvoir disposer issue : la grande ville des «!Tableaux
librement de son bien, et dut travailler pour vivre.
C'est poussé par le besoin d'argent qu'il se lança parisiens!» est pleine de dangers et de
dans la critique d'art (Salon de 1845, Salon de 1846, tentations, les paradis artificiels de la
Salon de 1859) et qu'il publia dans diverses revues drogue ou de l'alcool («!le Vin!»),
sous le nom de Baudelaire-Dufaÿs : il fit paraître de la comme l'amour et la volupté («!Fleurs
sorte des poèmes qui figureront plus tard dans les du mal!»), sont décevants et
Fleurs du mal, mais aussi des essais littéraires et asservissent l'âme. Après une brève
esthétiques, ainsi qu'une nouvelle, la Fanfarlo (1847). tentative de «!Révolte!», que le poète
En 1848, il commença à traduire les œuvres de veut universelle, le recueil débouche sur
l'auteur américain Edgar Allan Poe. Baudelaire n'eut la «!Mort!», ce qui paraît confirmer
aucun mal à s'identifier à cet écrivain tourmenté, en l'échec du projet poétique. Cependant,
qui il voyait un double de lui-même («!Edgar Poe, sa c'est dans la mort que Baudelaire trouve
vie et ses œuvres!», l'Art romantique). Ses un ultime moyen de résoudre la
traductions de Poe font encore référence aujourd'hui!; contradiction du Bien et du Mal : la mort
il fit paraître successivement Contes est alors envisagée non comme une fin
extraordinaires (1854), Histoires mais comme un passage vers un
extraordinaires (1856), Nouvelles Histoires univers réconcilié, où le poète est avide
extraordinaires (1857), les Aventures d'Arthur Gordon de découvrir un monde nouveau,
Pym (1858), et acheva la traduction des Histoires encore inconnu. Ce point de vue
grotesques et sérieuses en 1865. explique sans doute la sensualité
donnée au thème macabre dans le
En juin 1857, Baudelaire fit paraître, chez son ami et
célèbre poème «!la Mort des amants!».
éditeur Poulet-Malassis, le recueil les Fleurs du
mal, qui regroupait des poèmes déjà publiés en revue Le recueil se termine en outre par ces
et des inédits. Mais, dès le mois d'août, il se vit vers significatifs : «!Plonger au fond du
intenter un procès pour «!outrage à la morale gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe!?!/!Au
publique et aux bonnes mœurs!» (la même fond de l'Inconnu pour trouver du
année, Madame Bovary, de Flaubert, connut un sort nouveau!!!» («!le Voyage!», les Fleurs
identique, mais le romancier put profiter d'un succès du mal, CXXVI).
de scandale, ce qui ne fut pas le cas de Baudelaire).
Condamné à une forte amende, le poète, très abattu L'œuvre critique
par la sentence, dut en outre retrancher six poèmes L'Art romantique (posthume, 1869)
de son recueil. regroupe l'ensemble des textes que
Baudelaire consacra à la vie littéraire de
Après le scandale des Fleurs du mal,Baudelaire,
son temps et aux grands auteurs dont il
toujours criblé de dettes, continua de publier en revue
se sentait proche. Les textes les plus
ses textes critiques et ses traductions de Poe,
importants de ce recueil sont consacrés
auxquels vinrent s'ajouter bientôt les poèmes en
à Edgar Poe, à Théophile Gautier,
prose qui seront regroupés et publiés dans leur forme
à Madame Bovary de Flaubert, et
définitive après sa mort, sous le titre les Petits
aux Misérables de Victor Hugo.
Poèmes en prose ou le Spleen de Paris (posthume,
1869). Les Petits Poèmes en prose sont le pendant Les textes de critique d'art de
des Fleurs du mal,dont ils  reprennent la thématique, Baudelaire furent réunis et publiés en
mais cette fois dans une prose poétique, sensuelle, 1868 sous le titre Curiosités
étonnamment musicale (certains poèmes des Fleurs esthétiques. Ce recueil regroupe
du mal y sont même repris en écho, sous un titre essentiellement les comptes rendus des
identique). Le poème en prose était alors un genre Salons de 1845, de 1846 et de 1859,
nouveau, et Baudelaire avait pris pour modèle celui de l'Exposition universelle de
Aloysius Bertrand, précurseur du genre avec Gaspard 1855, mais aussi un texte important sur
de la nuit (1842). Constantin Guys, le Peintre de la vie
moderne, et plusieurs essais sur la vie
Au printemps 1866, pendant un séjour en Belgique,
et l'œuvre d'Eugène Delacroix. Ce à
où il était venu faire un cycle de conférences qui se
quoi il faut ajouter des essais variés,
révéla décevant, Baudelaire, déjà très malade, eut un
consacrés notamment aux
grave malaise à Namur. Les conséquences furent
aquafortistes, à la caricature et plus
irrémédiables : atteint de paralysie et d'aphasie, le
généralement au comique dans les arts.
poète fut ramené à Paris en juillet. Il y mourut un an
plus tard, le 31 août 1867. Il existe une grande cohérence entre
l'œuvre de Baudelaire poète et l'œuvre
Les Fleurs du mal de Baudelaire critique d'art. Il s'illustra
Ce recueil de poèmes est l'œuvre maîtresse de dans l'un et l'autre genre avec la même
Baudelaire. audace puisque, en art comme en
poésie, il érigea sa propre esthétique :
Dans sa version la plus aboutie, il est composé de six
le surnaturalisme, qui alliait le bizarre et
parties : «!Spleen et Idéal!» (poèmes I à LXXXV),
la modernité.
puis «!Tableaux parisiens!» (poèmes LXXXVI à CIII),
«!le Vin!» (poèmes CIV à CVIII), «!Fleurs du mal!» Mode et modernité dans l'art
(poèmes CIX à CXVII), «!Révolte!» (poèmes CXVIII à
Baudelaire se fit, en art comme en
CXX) et «!la Mort!» (poèmes CXXI à CXXVI), qui font
poésie, le chantre de la modernité.
la synthèse entre le courant romantique (le lyrisme) et
Dans le Peintre de la vie moderne, il
le formalisme (la recherche maîtrisée de la perfection
écrivait à propos de Constantin Guys :
formelle).
«!Il s'agit, pour lui, de dégager de la
Modernité des Fleurs du mal mode ce qu'elle peut contenir de
poétique dans l'historique, de tirer
Le titre des Fleurs du mal pose d'emblée les marques
l'éternel du transitoire. […] La modernité,
d'une esthétique nouvelle, «!moderne!», où la
c'est le transitoire, le fugitif, le
beauté, le sublime (que désigne le terme de «!fleur!»)
contingent, la moitié de l'art, dont l'autre
peuvent, grâce au langage poétique, surgir des
moitié est l'éternel et l'immuable.!»
réalités triviales de la nature et de la chair (le «!
mal!»). Par modernité, il entendait donc
l'adéquation de l'œuvre d'art à son
Avec cette matière en guise d'inspiration, alliée à un
temps : une toile, selon lui, devait
travail méticuleux sur le langage poétique (utilisation
exprimer son époque, et pour ce faire la
de formes traditionnelles comme le sonnet, et de vers
représenter dans sa particularité
classiques, comme l'alexandrin), Baudelaire
éphémère. C'est ce qu'il aimait dans les
révolutionnait l'univers esthétique en prenant non
lavis et les dessins à la plume de
seulement le contrepied de la tradition selon laquelle
Constantin Guys, qui croquait pour la
l'œuvre d'art était d'autant plus admirable que le sujet
presse des silhouettes et des scènes de
en était noble, mais surtout en réalisant la synthèse
la vie contemporaine, célébrant ainsi l'«!
entre deux choix esthétiques jusque-là inconciliables :
héroïsme de la vie moderne!».
le lyrisme romantique et le souci formel.
Cette double nature du Beau, défini
Thématique des Fleurs du mal comme la synthèse de la modernité (du
La partie «!Spleen et Idéal!» (titre qui prolonge transitoire) et de l'immuable (la
l'ambivalence du titre générique) met en scène le «! perfection formelle), empêchait
spleen!», c'est-à-dire l'ennui (au sens d'angoisse Baudelaire de se laisser séduire par les
métaphysique), dont souffre le poète, et son modes éphémères, mais aussi d'établir
aspiration vers un «!idéal!», infini sublime où règne la des critères purement formels,
plénitude de l'être. Spleen est un mot anglais qui susceptibles de le conduire à célébrer
désigne la rate : en effet, on croyait autrefois, selon la un art d'une froide perfection, dénué
théorie des humeurs d'Hippocrate, que le sentiment d'émotion.
de mélancolie était d'origine physiologique et, plus
Baudelaire se montra d'ailleurs un
précisément, qu'il venait de la bile noire sécrétée par
critique clairvoyant : s'il fut naturellement
la rate. Le mot «!spleen!» traduit donc chez
réticent à l'égard des peintres officiels, il
Baudelaire l'ennui et le dégoût généralisé de la vie.
ne fut pas davantage pris au piège de
La même thématique ambivalente alimente la totalité sa sensibilité romantique : c'est ce qui
du recueil des Fleurs du mal et lui donne sa lui permit, par exemple, d'être sévère à
dynamique conflictuelle. Le poète y exprime les l'égard du peintre romantique Ary
tourments de sa propre âme, écartelée entre le Scheffer, «!singe du sentiment!», dont
sublime et le sordide, tiraillée entre une double le coup de pinceau restait en réalité très
aspiration vers Dieu et vers Satan. À partir de son académique (Salon de 1846). A
expérience personnelle, il traite ainsi du conflit éternel contrario, ses opinions nuancées sur
entre l'esprit et la chair, l'ailleurs et l'ici-bas. certaines toiles d'Ingres, peintre
pourtant académique et néoclassique,
Poétique baudelairienne montrent à quel point Baudelaire se
Pour échapper au spleen, le poète a recours au situait au-delà des querelles d'école.
langage poétique, qui seul a la capacité de donner
sens et de transmuer les réalités les plus banales et Le bizarre
les plus viles. Le langage peut aussi métamorphoser Le bizarre est l'autre versant du «!
l'amour : il transfigure la passion sensuelle du poète surnaturalisme!» baudelairien. Selon
pour Jeanne Duval («!Parfum exotique!», «!la Baudelaire, en effet, le Beau «!contient
Chevelure!», etc.) comme son amour éthéré pour toujours un peu de bizarrerie, de
Mme Sabatier («!l'Aube spirituelle!», «!Invitation au bizarrerie naïve, non voulue,
voyage!», etc.). inconsciente, et […] c'est cette bizarrerie
qui le fait être particulièrement
Le sonnet «!Correspondances!», qui est une sorte
beau!» (Exposition universelle de
d'art poétique baudelairien, montre que, chez cet
1855).
auteur, les images ne sont pas seulement des
symboles conventionnels, mais révèlent un rapport Or, la caricature est pour Baudelaire
absolu entre les choses et leur signification : c'est la l'une des manifestations les plus
loi de l'«!analogie universelle !». intéressantes du «!bizarre!» :
admirateur de Daumier, il alla jusqu'à
ériger en principe esthétique général
l'idée d'excès ou d'exagération, qui est
en usage de façon systématique dans la
caricature. L'excès ou, pour être plus
précis, les déformations anatomiques
faisaient, selon lui, toute la beauté de
certaines toiles et toute la grâce de
certains personnages d'Ingres, comme
cette Odalisque dotée d'un trop grand
nombre de vertèbres, lui conférant une
silhouette anormalement longue et
sinueuse. Cette liberté du peintre à
l'égard du modèle fourni par la nature
séduisait Baudelaire, qui ne se lassait
pas de la louer comme une «!tricherie
heureuse!» (Exposition universelle de
1855).

Pour Baudelaire, l'exagération


caractérisait pareillement les eaux-
fortes de Goya intitulées les
Caprices (mais son propos peut
s'appliquer également aux Désastres de
la guerre) : ces visages blafards et
fuyants surgis de l'ombre, ces masques
grotesques ou animaliers, exprimaient à
la perfection des sentiments extrêmes
comme la peur, la haine ou l'horreur.
Baudelaire considérait d'ailleurs Goya
comme un caricaturiste, mais un
caricaturiste «!artistique!», par
opposition au caricaturiste «!
historique!», le premier étant
susceptible de produire un «!comique
éternel!» quand le second ne donne
qu'un «!comique fugitif!» (Quelques
caricaturistes étrangers).

Baudelaire admirait aussi chez


Delacroix (lui-même disciple de Goya)
l'apparence inachevée, et d'autant plus
expressive, de ses scènes de chasse :
ce peintre ne se contente pas de
reproduire fidèlement les images que lui
procure le réel, mais s'attache à
l'expression, au détriment de la
précision du trait : c'est ainsi qu'il
parvient à restituer la vérité des choses
au-delà de leurs apparences.
Cependant, chez ces trois peintres,
l'accentuation du trait, la «!caricature!»
n'est naturellement pas faite pour
provoquer le rire ni dénoncer les
ridicules de la bourgeoisie, comme c'est
le cas chez Daumier!; en revanche, elle
est porteuse du sens et de l'émotion des
œuvres, et c'est en cela qu'elle est le
véhicule privilégié de la vraie beauté.

Pour la nouveauté de son approche et


la modernité de son esthétique,
Baudelaire reste un nom important dans
l'histoire de la critique d'art.

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