Charles Baudelaire, 1821

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Charles Baudelaire

Biographie

Naissance

9 avril 1821

Paris, France

Décès

31 août 1867 (à 46 ans)

Paris, France

Sépulture

Cimetière du Montparnasse

Nom de naissance

Charles Pierre Baudelaire

Nationalité

française

Domicile

Rue d'Amsterdam (1864)

Formation

Lycée Louis-le-Grand

Lycée Saint-Louis

Activité

Poète, critique d'art, essayiste, traducteur

Période d'activité

1844-1866

Rédacteur à

Revue des Deux Mondes


Père

Joseph-François Baudelaire

Mère

Caroline Aupick

Autres informations

Mouvement

Parnasse

Symbolisme

Modernité poétique

Genre artistique

Poésie

poème en prose

essai

critique d'art

Influencé par

Edgar Allan Poe, Emanuel Swedenborg, Joseph de Maistre, Thomas de Quincey, Gustave Flaubert, Victor
Hugo, Ovide, Théophile Gautier

Adjectifs dérivés

« Baudelairien »

Distinction

Concours général

Œuvres principales

Les Fleurs du mal (1857)

Les Paradis artificiels (1860)

Le Spleen de Paris (posthume 1846-1859)

signature de Charles Baudelaire

Signature

Vue de la sépulture.
modifier - modifier le code - modifier WikidataDocumentation du modèle

Charles Baudelaire, né le 9 avril 1821 à Paris et mort dans la même ville le 31 août 1867, est un poète
français.

« Dante d'une époque déchue »1 selon les mots de Barbey d'Aurevilly, « tourné vers le classicisme,
nourri de romantisme »2, à la croisée entre le Parnasse et le symbolisme, chantre de la « modernité », il
occupe une place considérable parmi les poètes français pour un recueil qu'il aura façonné sa vie
durant : Les Fleurs du mal, mais aussi pour sa poésie en prose, réunie dans Le spleen de Paris.

Au cœur des débats sur la fonction de la littérature de son époque, Baudelaire détache la poésie de la
morale, la proclame tout entière destinée au Beau et non à la Vérité3, et laisse le souvenir d'un poète
déchiré entre le Ciel et la Terre, entre l'Idéal et la fange, cherchant à faire du Mal un objet de
contemplation esthétique ("Tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or"). Comme le suggère le titre de
son recueil, il a tenté de tisser des liens entre le mal et la beauté, le bonheur fugitif et l'idéal inaccessible
(À une Passante), la violence et la volupté (Une martyre), mais aussi entre le poète et son lecteur («
Hypocrite lecteur, mon semblable, mon frère ») et même entre les artistes à travers les âges (Les
Phares)4. Outre des poèmes graves (Semper Eadem) ou scandaleux (Delphine et Hippolyte), il a exprimé
la mélancolie (Mœsta et errabunda), l'horreur (Une charogne) et l'envie d'ailleurs (L'Invitation au
voyage) à travers l'exotisme.

Il est aussi un grand critique d'art, avec ses fameux Salons, où il prendra la défense de Delacroix, un
théoricien du dandysme et un défenseur de la musique de Wagner, et imprimera définitivement sa
marque dans la poésie française.

Biographie

Jeunesse

petite gravure d'un officier à épaulettes et décoration

Le général Aupick (1789-1857), beau-père de Charles Baudelaire.

petite plaque de marbre fxée sur un mur en méméire de Baudelaire

Plaque au 17 de la rue Hautefeuille (Paris), où il est né.

Charles Pierre Baudelaire naît le 9 avril 18215 au 13 rue Hautefeuille6 à Paris : ses parrain et marraine
sont les parents « adoptifs » de sa mère, Pierre Perignon et Louise Coudougnan7. Celle-ci, Caroline
Dufaÿs, a vingt-sept ans. Son père, Joseph-François Baudelaire, né en 1759 à La Neuville-au-Pont8, en
Champagne, est alors sexagénaire. Quand il meurt en 1827, Charles n'a que cinq ans. Cet homme lettré,
épris des idéaux des Lumières et amateur de peinture, peintre lui-même, laisse à Charles un héritage
dont il n'aura jamais le total usufruit. Il avait épousé en premières noces, le 7 mai 1797, Jeanne Justine
Rosalie Janin, avec laquelle il avait eu un fils, Claude Alphonse Baudelaire9, demi-frère de Charles.

Un an plus tard, sa mère se remarie avec le chef de bataillon Jacques Aupick. C'est à l'adolescence que le
futur poète s'opposera à ce beau-père interposé entre sa mère et lui. « Lorsqu'il arrive à Lyon, Charles a
dix ans et demi… À l'égard de son beau-père aucune hostilité n'est alors perceptible10. ».

Peu fait pour comprendre la vive sensibilité de l'enfant, l'officier Aupick — devenu plus tard
ambassadeur — incarne à ses yeux les entraves à tout ce qu'il aime : sa mère, la poésie, le rêve et, plus
généralement, la vie sans contingences.

« S'il va haïr le général Aupick, c'est sans doute que celui-ci s'opposera à sa vocation. C'est surtout parce
que son beau-père lui prenait une partie de l'affection de sa mère. […] Une seule personne a réellement
compté dans la vie de Charles Baudelaire : sa mère10. »

En 1831, le lieutenant-colonel Aupick ayant reçu une affectation à Lyon, le jeune Baudelaire est inscrit à
la pension Delorme et suit les cours de sixième au collège royal de Lyon. En cinquième, il devient
interne. En janvier 1836, la famille revient à Paris, où Aupick sera promu colonel en avril. Alors âgé de
quatorze ans, Charles est inscrit comme pensionnaire au collège Louis-le-Grand, mais il doit redoubler sa
troisième.

En seconde, il obtient le deuxième prix de vers latins au concours général.

Renvoyé du lycée Louis-le-Grand en avril 1839 pour ce qui a passé pour une vétille11, mais que son
condisciple au lycée, Charles Cousin (1822-1894) a expliqué comme un épisode d'amitié particulière12,
Baudelaire mène une vie en opposition aux valeurs bourgeoises incarnées par sa famille. Il passe son
baccalauréat au lycée Saint-Louis en fin d'année et est reçu in extremis. Jugeant la vie de l'adolescent «
scandaleuse » et désirant l'assagir, son beau-père le fait embarquer pour Calcutta. Le Paquebot des
Mers du Sud quitte Bordeaux le 9 ou 10 juin 1841. Mais en septembre, un naufrage abrège le périple aux
îles Mascareignes (Maurice et La Réunion). Baudelaire ne poursuit pas son voyage jusqu'aux Indes et
rentre en France. Parti le 9 juin 1841, il débarque à Bordeaux le 15 février 1842.

Vie dissolue

photo d'une façade avec porte d'entrée numérotée 6 et fenêtre aux volets fermés
No 6 de la rue Le Regrattier : maison où Baudelaire logea sa maîtresse Jeanne Duval, dite la Vénus
noire13.

portrait d'artiste en noir et blanc d'une femme brune de profil

Portrait présumé de Jeanne Duval par Constantin Guys.

De retour à Paris, Charles s'éprend de Jeanne Duval, une jeune mulâtresse de Saint-Domingue, qui avait
joué deux ou trois fois au Théâtre du Panthéon et avec laquelle il connaît les charmes et les amertumes
de la passion. Cette liaison devait durer près de vingt ans, malgré les trahisons et les mensonges de cette
femme qui ne fut jamais attachée au poète que par intérêt et que Baudelaire devait aimer jusqu'à sa fin
lamentable, lorsqu'elle sombra dans l'ivrognerie. Elle représente pour lui tout le côté satanique de
l'amour14. Une idylle au sujet de laquelle certains de ses contemporains, comme Nadar, se sont
interrogés en s'appuyant sur les déclarations d'un amant de Jeanne Duval et de prostituées connues, qui
témoignent au contraire de la chasteté surprenante de Baudelaire15.

Il mène dès 1842 une vie dissolue. Il commence alors à composer plusieurs poèmes des Fleurs du mal.
Critique d'art et journaliste, il défend Delacroix comme représentant du romantisme en peinture, mais
aussi Balzac lorsque l'auteur de La Comédie humaine est attaqué et caricaturé pour sa passion des
chiffres16 ou sa perversité présumée17. En 1843, il découvre les « paradis artificiels » dans le grenier de
l'appartement familial de son ami Louis Ménard, où il goûte à la confiture verte. Cette expérience le
fascine mais engage chez lui une réflexion morale sur la création qui aboutit à une condamnation des
drogues. "Or, je veux faire un livre non pas de pure physiologie, mais surtout de morale. Je veux prouver
que les chercheurs de paradis font leur enfer, le préparent, le creusent avec un succès dont la prévision
les épouvanterait peut-être."(Exorde et notes pour les conférences données à Bruxelles, en 1864.
Œuvres complètes I, Pléiade p. 520). Il renouvellera cette expérience occasionnellement sous contrôle
médical, en participant aux réunions du « club des Haschischins ». En revanche, son usage de l'opium est
plus long : il fait d'abord, dès 1847, un usage thérapeutique du laudanum18, prescrit pour combattre des
maux de tête et des douleurs intestinales consécutives à une syphilis, probablement contractée vers
1840 durant sa relation avec la prostituée Sarah la Louchette. Comme De Quincey avant lui,
l'accoutumance lui dicte d'augmenter progressivement les doses mais elles restent modérées. Croyant
ainsi y trouver un adjuvant créatif, il en décrira les enchantements, les tortures19 et la stérilité.
("l'intelligence, libre naguère, devient esclave" Œuvres complètes I, Pléiade p. 428.)

En dandy, Baudelaire a des goûts de luxe. Ayant hérité de son père à sa majorité, il dilapide la moitié de
cet héritage en 18 mois. Ses dépenses d'apparat sont jugées outrancières par ses proches, qui
convoquent un conseil judiciaire20.

Le 21 septembre 1844, maître Narcisse Ancelle, notaire de la famille, est officiellement désigné comme
conseil judiciaire qui lui alloue une pension mensuelle de 200 francs21. En outre, Baudelaire doit lui
rendre compte de ses faits et gestes. Cette situation infantilisante inflige à Baudelaire une telle
humiliation qu'il tente de se suicider d'un coup de couteau dans la poitrine le 30 juin 184522. Outre sa
réputation de débauché, Baudelaire passait pour homosexuel auprès de certains de ses amis: « C'est
moi-même », écrit-il « qui ai répandu ce bruit, et l'on m'a cru »23…

dessin au crayon noir d'un homme debout sur une barricade avec un chapeau melon, un fusil à la main

Dessin de Courbet pour Le Salut public, 1848.

En 1848, il participe aux barricades. La révolution de février instituant la liberté de la presse, Baudelaire
fonde l'éphémère gazette Le Salut public (d'obédience résolument républicaine), qui ne va pas au-delà
du deuxième numéro.

Le 15 juillet 1848 paraît, dans La Liberté de penser, un texte d'Edgar Allan Poe traduit par Baudelaire :
Révélation magnétique. À partir de cette période, Baudelaire ne cessera de proclamer son admiration
pour l'écrivain américain, dont il deviendra le traducteur attitré. La connaissance des œuvres de Poe et
de Joseph de Maistre atténue définitivement sa « fièvre révolutionnaire »24. Plus tard, il partagera la
haine de Gustave Flaubert et de Victor Hugo pour Napoléon III, mais sans s'engager outre mesure d'un
point de vue littéraire (« L'Émeute, tempêtant vainement à ma vitre / Ne fera pas lever mon front de
mon pupitre » — Paysage dans Tableaux parisiens du recueil Les Fleurs du mal)25.

Peint en 1844 par Émile Deroy.

Peint en 1844 par Émile Deroy.

Autoportrait, 1848.

Autoportrait, 1848.

Portrait-charge par Nadar.

Portrait-charge par Nadar.

Autoportrait, 1860.

Autoportrait, 1860.

Baudelaire se voit reprocher son style d'écriture et le choix de ses sujets. Il n'est compris que par
certains de ses pairs tels Armand Baschet, Édouard Thierry, Champfleury, Jules Barbey d'Aurevilly,
Frédéric Dulamon26 ou André Thomas… Cet engouement confidentiel contraste avec l'accueil hostile
que lui réserve la presse. Dès la parution des Fleurs du Mal en 185727, Gustave Bourdin réagit avec
virulence dans les colonnes du Figaro du 5 juillet 1857 : « Il y a des moments où l'on doute de l'état
mental de M. Baudelaire, il y en a où l'on n'en doute plus ; — c'est, la plupart du temps, la répétition
monotone et préméditée des mêmes choses, des mêmes pensées. L'odieux y côtoie l'ignoble ; le
repoussant s'y allie à l'infect… » Cette appréciation négative deviendra le jugement dominant de
l'époque [réf. nécessaire].

Condamnation des Fleurs du mal

Moins de deux mois après leur parution, Les Fleurs du mal sont poursuivies28 en justice pour « offense à
la morale religieuse » et « outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs ». Seul ce dernier chef
d'inculpation sera retenu. Baudelaire est condamné à une forte amende de trois cents francs, réduite à
cinquante francs, par suite d'une intervention de l'impératrice Eugénie. L'éditeur Auguste Poulet-
Malassis29 s'acquitte, pour sa part, d'une amende de cent francs et doit retrancher six poèmes dont le
procureur général Ernest Pinard a demandé l'interdiction (Les Bijoux ; Le Léthé ; À celle qui est trop
gaie ; Lesbos ; Femmes damnées [Delphine et Hippolyte] ; Les métamorphoses du Vampire).

Le 30 août, Victor Hugo, à qui Baudelaire a fait parvenir son recueil, lui envoie de son exil à Guernesey
une lettre d'encouragement : « Vos Fleurs du Mal rayonnent et éblouissent comme des étoiles. Je crie
bravo de toutes mes forces à votre vigoureux esprit. Permettez-moi de finir ces quelques lignes par une
félicitation. Une des rares décorations que le régime actuel peut accorder, vous venez de la recevoir. Ce
qu'il appelle sa justice vous a condamné au nom de ce qu'il appelle sa morale ; c'est là une couronne de
plus30 ». Malgré la relative clémence des jurés eu égard au réquisitoire plus sévère qui vise onze
poèmes, ce jugement touche profondément Baudelaire. Contraint et forcé, il fera publier une nouvelle
édition en 1861, enrichie de trente-deux poèmes.

En 1862, Baudelaire est candidat au fauteuil d'Eugène Scribe à l'Académie française. Il est parrainé par
Sainte-Beuve et Vigny. Mais le 6 février 1862, il n'obtient aucune voix et se désiste. Par la suite, il
renoncera à se présenter au fauteuil d'Henri Lacordaire31. En 1866, il réussit à faire publier à Bruxelles
(c'est-à-dire hors de la juridiction française), sous le titre Les Épaves32, les six pièces condamnées
accompagnées de seize nouveaux poèmes.

Lettre de Charles Baudelaire à l'impératrice Eugénie lui demandant d'intervenir afin que soit diminuée
l'amende dont avaient été frappées Les Fleurs du mal, 6 novembre 1857. Archives nationales,
AE/II/1980

Dernières années

photo en plan poitrine de Baudelaire avec cheveux mi-longs, regard préoccupé


Baudelaire photographié par Étienne Carjat en 1866, quelques mois avant sa mort.

Le 24 avril 1864, très endetté, il part pour la Belgique afin d'y entreprendre une tournée de conférences.
Cependant, ses talents de critique d'art éclairé rencontrent peu de succès. Il se fixe à Bruxelles, où il
rend plusieurs visites à Victor Hugo, exilé politique volontaire. Il prépare un pamphlet contre son
éphémère pays d'accueil qui représente, à ses yeux, une caricature de la France bourgeoise. Le féroce
Pauvre Belgique restera inachevé. Souhaitant la mort d'un royaume qu'il juge artificiel, il en résume
l'épitaphe en un mot : Enfin !

C'est en Belgique que Baudelaire rencontre Félicien Rops, qui illustre Les Fleurs du mal en 1866.

Lors d'une visite à l'église Saint-Loup de Namur, le 15 mars 1866, Baudelaire perd connaissance. Cet
effondrement est suivi de troubles cérébraux, en particulier d'aphasie. La mère de Charles Beaudelaire
mourra également aphasique. Le demi- frère du poète est atteint d'hémiplégie.

L'hémiplégie dont il souffre, et consécutive à son malaise, l'empêche d'écrire correctement. La dernière
lettre écrite de sa propre main est adressée à sa mère, Madame Aupick, et date du 23 mars 1866. Les
lettres suivantes ne seront que dictées par le poète.

En juillet 1866, on le ramène à Paris. Il est aussitôt admis dans la maison de santé du docteur Guillaume
Émile Duval (1825-1899), aliéniste réputé. L'établissement se trouve 1, rue du Dôme. Le poète y occupe,
au rez-de-chaussée du pavillon situé au fond du jardin, une chambre bien éclairée ornée de deux toiles
d'Édouard Manet33, dont la Maîtresse de Baudelaire, peinte en 1862, aujourd'hui au musée des Beaux-
Arts de Budapest.

Rongé par la syphilis, affecté désormais par une forme sévère d’aphasie globale, privé de l’usage de la
parole, devenu incapable de lire ou d’écrire, Baudelaire ne dispose plus que d'un langage résiduel, limité
à l’expression « Cré nom » (contraction de « Sacré nom de Dieu »).

Jules Vallès témoigne : « Il ne pouvait articuler qu'un mot, comme un enfant, mais ce mot, il le gémissait,
le ricanait, et, avec des hoquets de colère ou de joie, il traduisait ses impressions suprêmes ! On lui
montra une fleur : il lui fit risette avec son sourire de fou. — Cré nom ! Cré nom ! roucoulait-il en
balançant la tête, et comme ému par le parfum et par l’éclat. Cré nom ! C’était tantôt un salut et tantôt
un juron, suivant qu’on lui montrait une chose ou un nom qu’il avait aimés ou haïs ! Cré nom ! C’était
peut-être aussi le grognement idiot du désespoir ! »34.
Baudelaire meurt le 31 août 1867, à onze heures du matin. Le lendemain, Narcisse Ancelle, son conseil
judiciaire, et Charles Asselineau, son ami fidèle, déclarent le décès à la mairie du 16e arrondissement et
signent l'acte d'état civil35.

Le même jour, il est inhumé au cimetière du Montparnasse (6e division), dans la tombe où repose son
beau-père détesté, le général Aupick, et où sa mère le rejoint quatre ans plus tard.

Son faire-part de décès indique : « de la part de Madame Vve Aupick, sa mère, de Mme Perrée, sa
grand-tante et de ses enfants, de Mme Vve Baudelaire sa belle-sœur, de M. Jean Levaillant, Général de
Brigade, de M° Jean-Jacques Rousseau Levaillant, Chef de Bataillon, de M° Charles Levaillant Général de
Division, ses cousins ».

Il n'a pu réaliser son souhait d'une édition définitive des Fleurs du Mal, travail de toute une vie.

Le Spleen de Paris (autrement appelé Petits poèmes en prose) est édité à titre posthume en 1869, dans
une nouvelle édition remaniée par Charles Asselineau et Théodore de Banville.

À sa mort, son héritage littéraire est mis aux enchères. L'éditeur Michel Lévy l'acquiert pour 1 750
francs. Une troisième édition des Fleurs du Mal, accompagnée des onze pièces intercalaires, a disparu
avec lui.

Masque mortuaire de Baudelaire.

Masque mortuaire de Baudelaire.

Maison où est décédé Charles Baudelaire. Vue d'ensemble depuis la rue Lauriston, juillet 2017.

Maison où est décédé Charles Baudelaire. Vue d'ensemble depuis la rue Lauriston, juillet 2017.

Tombe du général Aupick, de Mme Aupick et de Charles Baudelaire au cimetière du Montparnasse à


Paris.

Tombe du général Aupick, de Mme Aupick et de Charles Baudelaire au cimetière du Montparnasse à


Paris.

Révision de la condamnation de 1857


Une première demande en révision du jugement de 1857, introduite en 1929 par Louis Barthou, alors
ministre de la Justice, ne put aboutir, faute de procédure adaptée.

C'est par la loi du 25 septembre 194636 que fut créée une procédure de révision des condamnations
pour outrage aux bonnes mœurs commis par la voie du livre, exerçable par le garde des Sceaux à la
demande de la Société des gens de lettres. Celle-ci décida aussitôt, à l'unanimité moins une voix37, de
demander une révision pour Les Fleurs du Mal, accordée le 31 mai 1949 par la Chambre criminelle de la
Cour de cassation38,39,40.

Dans les attendus de son jugement, la Cour énonce que : « les poèmes faisant l'objet de la prévention ne
renferment aucun terme obscène ou même grossier et ne dépassent pas, en leur forme expressive, les
libertés permises à l'artiste ; que si certaines peintures ont pu, par leur originalité, alarmer quelques
esprits à l'époque de la première publication des Fleurs du Mal et apparaître aux premiers juges comme
offensant les bonnes mœurs, une telle appréciation ne s'attachant qu'à l'interprétation réaliste de ces
poèmes et négligeant leur sens symbolique, s'est révélée de caractère arbitraire ; qu'elle n'a été ratifiée
ni par l'opinion publique, ni par le jugement des lettrés ».

Domiciles du poète

Baudelaire habita principalement à Paris où, constamment endetté et pressé de fuir ses créanciers, il
occupa une quarantaine de domiciles41 :

13, rue Hautefeuille, où il naît le 9 avril 1821. La maison fut détruite lors du percement du boulevard
Saint-Germain. Une plaque rappelle son emplacement, à l'actuel no 17 (l'immeuble n'est pas numéroté)
;

50, rue Saint-André-des-Arts, à partir de la mort de son père (1827) ;

11, rue du Débarcadère (située à l'époque à Neuilly-sur-Seine) (1827-1828) ;

17, rue du Bac, à partir du remariage de sa mère (1828) et jusqu'à la promotion du colonel Aupick (1832)
;

Lyon (1832-1836). Baudelaire est logé d'abord à la pension Delorme, puis à l'internat du collège Royal ;
pendant cette période, il réside également au 4-6, rue d'Auvergne. Une plaque, marquée d'un C et d'un
B au balcon du deuxième étage, y a été apposée42 ;

32, rue de l'Université, au retour à Paris (1836) ;

123, rue Saint-Jacques, à l'internat du lycée Louis-le-Grand (mars 1836-avril 1839) ;


rue de la Culture-Sainte-Catherine (devenue rue de Sévigné), dans le Marais, domicile de ses parents
après son renvoi du collège (printemps 1839). Baudelaire reprend ses cours comme externe au lycée
Saint-Louis ;

22, rue du Vieux-Colombier, chez son répétiteur M. Lassègue, jusqu'à passage du baccalauréat (août
1839) ;

rue de l'Estrapade, pension L'Évêque et Bailly ;

rue du Pot-de-Fer-St.-Sulpice (devenue rue Bonaparte), chez Mlle Théot ;

73, rue de Lille ;

50, rue de Sévigné ;

Bordeaux, île Maurice et île Bourbon (actuelle île de La Réunion), lors de son voyage dans les mers du
Sud (9 juin 1841-début février 1842) ;

10 (devenu 22), quai de Béthune, sur l'île Saint-Louis43, au rez-de-chaussée à gauche de la porte
d'entrée, avec fenêtre sur rue (mai-décembre 1842). Il y reçoit les visites de sa nouvelle maîtresse
Jeanne Duval, qu'il avait rencontrée au théâtre du Panthéon sis « cloître Saint-Benoît » (bâtiment
remplacé par l'actuelle Sorbonne) ;

rue Vaneau, au rez-de-chaussée (premier semestre de 1843) ;

15, quai d'Anjou, sur l'île Saint-Louis (juin à septembre 1843) ;

17, quai d'Anjou, à l'hôtel Pimodan (originellement hôtel de Lauzun, puis redevenu tel plus tard)44, sur
l'île Saint-Louis. Baudelaire occupe trois pièces au dernier étage sous les combles, côté cour (octobre
1843-1846). Lors de son aménagement, il loge Jeanne Duval et la mère de Jeanne au 6, rue de la
Femme-sans-Tête (devenue rue Le Regrattier), également sur l'île Saint-Louis ;

une succession d'hôtels et de chambres garnies, souvent très brièvement, à partir de 1846. Au cours de
1846-1847, il réside successivement :

à l'hôtel Corneille (rue Corneille),

33, rue Coquenard (devenue rue Lamartine),

à l'hôtel de Dunkerque (32, rue Laffitte),

68 (ou 36 ?), rue de Babylone,

à l'hôtel Folkestone (rue Laffitte),

24, rue de Provence,

7, rue de Tournon,

et encore dans de petits garnis « borgnes et introuvables »45 ;

18, avenue de la République (devenue avenue de Neuilly) à Neuilly-sur-Seine (août 1848) ;

Dijon (bref séjour) ;


95, avenue de la République (devenue avenue de Neuilly) à Neuilly-sur-Seine (mai 1850-juillet 1851) ;

25, rue des Marais-du-Temple (devenue rue Yves-Toudic) ;

128, rue de la Pompe, dans une chambre qui appartenait à des amis du général Aupick, son beau-père ;

11, boulevard de Bonne-Nouvelle (mai-juillet 1852) ;

60, rue Pigalle, dans un hôtel situé non loin de Mme Sabatier, qui habitait au 4 ou 16, rue Frochot
(octobre 1852-mai 1854). La mère de Baudelaire et son mari, le général Aupick, habitent à cette époque
au 91, rue du Cherche-Midi ;

61, rue Sainte-Anne, à l'hôtel d'York (actuellement hôtel Baudelaire Opéra) (février 1854) ;

57, rue de Seine, à l'hôtel du Maroc (mai 1854-février 1855) ;

« balloté d'hôtel en hôtel » en mars 1855, où il déménage à six reprises. Au début de juin, il loge dans
des gîtes de rencontre46 ;

13, rue Neuve-des-Bons-Enfants, à l'hôtel de Normandie (juin 1855) ;

27, rue de Seine (juillet-août 1855) ;

18, rue d'Angoulême-du-Temple (devenue rue Jean-Pierre-Timbaud) (janvier-juin 1856). C'est là qu'il
emménage de nouveau avec Jeanne Duval, mais les choses ne s'arrangent pas (disputes parfois
violentes) et elle le quitte ;

19, quai Voltaire, à l'hôtel Voltaire (actuellement hôtel du quai Voltaire) (juin 1856-novembre 1858).
Baudelaire y achève les Fleurs du Mal. L'hôtel se trouve à deux pas de l'imprimerie du Moniteur
universel, qui va publier en feuilleton un roman de Poe dans la traduction de Baudelaire — ce dernier
dort souvent à l'imprimerie après avoir travaillé toute la journée ;

Allers-retours entre le domicile de sa mère à Honfleur, et le domicile de Jeanne à Paris, 22, rue
Beautreillis ; avec quelques séjours à Alençon pour rendre visite à son éditeur Poulet-Malassis
(novembre 1858-juin 1859) ;

22, rue d'Amsterdam, à l'hôtel de Dieppe (1859-1864). Mme Sabatier habite non loin à partir de 1860,
au 10 rue de la Faisanderie. À cette époque, Baudelaire loge Jeanne Duval à Neuilly-sur-Seine, au 4 rue
Louis-Philippe, où il cohabite avec elle brièvement de décembre 1860 à janvier 1861) ;

28, rue de la Montagne à Bruxelles, lors d'un séjour en Belgique (1864-1866). Baudelaire loge
principalement à l'hôtel du Grand Miroir, Lors de ses rares retours à Paris, il loge à l'hôtel du Chemin de
fer du Nord, place du Nord. Jeanne Duval habite à cette époque au 17, rue Sauffroy, dans le quartier des
Batignolles. C'est en Belgique que Baudelaire est atteint d'une congestion cérébrale et rapatrié vivant,
mais aphasique ;

1, rue du Dôme, dans le quartier de Chaillot, à la clinique du docteur Duval. Baudelaire y entre en juillet
1866 et y meurt le 31 août 1867.

plaque avec inscription fixée sur un mur


1842 : 22 (ex 10), quai de Béthune, Paris 4e.

photo d'ensemble d'un immeuble

1er semestre 1856 : 18, rue Jean-Pierre Timbaud (ancienne rue d'Angoulême-du-Temple), Paris 11e.

plaque avec inscription fixée sur un mur

2e semestre 1856 : 19, quai Voltaire, Paris 7e.

photo d'ensemble d'un immeuble

1859 : hôtel de Dieppe, 22, rue d'Amsterdam, Paris 9e.

plaque avec inscription fixée sur un mur

1866 : 1, rue du Dôme, Paris 16e, lieu où il meurt.

Baudelaire fréquentait beaucoup les cafés. Selon un ami de jeunesse47, il « composait dans les cafés et
dans la rue ».

Dans sa jeunesse, il retrouvait ses amis Chez Duval, un marchand de vin installé place de l'Odéon. Il
affectionnait aussi La Rotonde, un café du Quartier latin. Il prenait souvent ses repas à La Tour d'Argent
sur le quai de la Tournelle, un restaurant qui existe toujours sous le même nom, mais dont l'intérieur n'a
plus rien en commun avec son apparence à l'époque de Baudelaire. Plus tard, ce sera le café Momus de
la rue des Prêtres-Saint-Germain-l'Auxerrois, le Mabille, le Prado, la Chaumière et la Closerie des Lilas48.

Regards sur l'œuvre

Horreur et extase

Article détaillé : Spleen baudelairien.

photo sépia de Baudelaire en jaquette et gilet, mains dans les poches

Charles Baudelaire, les mains dans les poches, par Nadar, 186249.

« Tout enfant, j'ai senti dans mon cœur deux sentiments contradictoires : l'horreur de la vie et l'extase
de la vie. » (Mon cœur mis à nu).
Toutes les grandes œuvres romantiques témoignent de ce passage de l'horreur à l'extase et de l'extase à
l'horreur50. Ces impressions naissent chez Baudelaire du sentiment profond de la malédiction qui pèse
sur la créature depuis la chute originelle. En ce sens, les Fleurs du Mal appartiennent au Génie du
christianisme.

Analysant ce qu'il appelait « le vague des passions » dans la préface de 1805 à cet ouvrage,
Chateaubriand écrivait : « Le chrétien se regarde toujours comme un voyageur qui passe ici-bas dans
une vallée de larmes, et qui ne se repose qu'au tombeau ». Pour Baudelaire, il ne s'agit ni de littérature,
ni de notions plus ou moins abstraites, mais « du spectacle vivant de (sa) triste misère ». Comme la
nature, l'homme est souillé par le péché originel et, à l'instar de René ou de Werther (Goethe),
Baudelaire n'éprouve le plus souvent que le dégoût pour « la multitude vile » (Recueillement). Ce qui le
frappe surtout, c'est l'égoïsme et la méchanceté des créatures humaines, leur paralysie spirituelle, et
l'absence en elles du sens du beau comme du bien. Le poème en prose La Corde, s'inspirant d'un fait
vrai, raconte comment une mère, indifférente à l'égard de son enfant qui vient de se pendre, s'empare
de la corde fatale pour en faire un fructueux commerce51.

dessin au trait simplifié d'une tête, signé Baudelaire

Autoportrait de Charles Baudelaire.

Baudelaire devait en souffrir plus que tout autre50 : L'Albatros dénonce le plaisir que prend le « vulgaire
» à faire le mal, et, singulièrement, à torturer le poète.

Dans L'Art romantique, Baudelaire remarque : « C'est un des privilèges prodigieux de l'Art que l'horrible,
artistement exprimé, devienne beauté et que la douleur rythmée et cadencée remplisse l'esprit d'une
joie calme. » Des poèmes, comme Le Mauvais Moine, L'Ennemi, Le Guignon montrent cette aspiration à
transformer la douleur en beauté. Peu avant Baudelaire, Vigny et Musset avaient également chanté la
douleur.

Comment Baudelaire aurait-il pu croire à la perfectibilité des civilisations ? Il n'a éprouvé que mépris
pour le socialisme d'une part, le réalisme et le naturalisme d'autre part52. Avec une exception pour le
réaliste Honoré de Balzac, chez qui il voyait bien davantage qu'un naturaliste (« Si Balzac a fait de ce
genre roturier [le roman de mœurs] une chose admirable, toujours curieuse et souvent sublime, c'est
parce qu'il y a jeté tout son être. J'ai maintes fois été étonné que la grande gloire de Balzac fût de passer
pour un observateur ; il m'avait toujours semblé que son principal mérite était d'être visionnaire, et
visionnaire passionné. »)53.

Les sarcasmes à l'égard des théories socialistes (après 1848), réalistes ou naturalistes se multiplient dans
son œuvre. Comme Poe dont il traduit les écrits, il considère « le Progrès, la grande idée moderne,
comme une extase de gobe-mouches ». Pour en finir avec ce qu'il appelle « les hérésies » modernes,
Baudelaire dénonce encore « l'hérésie de l'enseignement » : « La poésie, pour peu qu'on veuille
descendre en soi-même, interroger son âme, rappeler ses souvenirs d'enthousiasme, n'a pas d'autre but
qu'elle-même. […] Je dis que si le poète a poursuivi un but moral, il a diminué sa force poétique ; et il
n'est pas imprudent de parier que son œuvre sera mauvaise »54. Bien que Victor Hugo et lui se
rejoignent dans une même tradition française d' « éloquence ostentatoire »55, il exerce aussi sa verve
contre l'auteur des Misérables et caresse un moment le projet d'écrire un Anti-Misérables satirique56.

Le poète ne s'en révolte pas moins contre la condition humaine. Il dit son admiration pour les grandes
créations sataniques du romantisme comme Melmoth (roman noir — gothique — de Charles Robert
Maturin). Négation de la misère humaine, la poésie ne peut être pour lui que révolte. Dans les Petits
poèmes en prose, celle-ci prend une forme plus moderne et se fait même humour noir.

Art poétique

tableau d'un homme assis lisant attentivement un gros livre en fumant la pipe

Portrait de Charles Baudelaire par Gustave Courbet, vers 1848.

Rejetant le réalisme et le positivisme contemporains, Baudelaire sublime la sensibilité et cherche à


atteindre la vérité essentielle, la vérité humaine de l'Univers, ce qui le rapproche du platonisme[réf.
nécessaire]. Il écrit ainsi, en introduction à trois de ses poèmes dans le Salon de 1846 : « La première
affaire d'un artiste est de substituer l'homme à la nature et de protester contre elle. Cette protestation
ne se fait pas de parti pris, froidement, comme un code ou une rhétorique, elle est emportée et naïve,
comme le vice, comme la passion, comme l'appétit. » et il ajoute, dans le Salon de 1859 : « L'artiste, le
vrai artiste, le vrai poète, ne doit peindre que selon ce qu'il voit et ce qu'il sent. Il doit être réellement
fidèle à sa propre nature. » Baudelaire énonce ainsi les principes de la sensibilité moderne : « Le beau
est toujours bizarre. Je ne veux pas dire qu'il soit volontairement, froidement bizarre, car dans ce cas il
serait un monstre sorti des rails de la vie. Je dis qu'il contient toujours un peu de bizarrerie, de bizarrerie
non voulue, inconsciente, et que c'est cette bizarrerie qui le fait être particulièrement le Beau. »

C'est pourquoi l'imagination est pour lui « la reine des facultés ». En fait, elle substitue « une traduction
légendaire de la vie extérieure » ; à l'action, le rêve. Cette conception de la poésie annonce celle de
presque tous les poètes qui vont suivre. Cependant, Baudelaire n'a pas vécu son œuvre. Pour lui, vie et
poésie restent dans une certaine mesure séparées (ce qu'il exprime en disant : La poésie est ce qu'il y a
de plus réel, ce qui n'est complètement vrai que dans un autre monde).

Là où Baudelaire et Stéphane Mallarmé ne pensent qu'à créer une œuvre d'art, les surréalistes
voudront, après Arthur Rimbaud, réaliser une œuvre de vie et essaieront de conjuguer action et
écriture. Malgré cette divergence d'avec ses successeurs, Baudelaire fut l'objet de vibrants hommages,
tel celui que lui rendit le jeune Rimbaud, pour qui il représente un modèle : « Baudelaire est le premier
voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. » Il suffit de comparer ces propos :
« […] qui n'a connu ces admirables heures, véritables fêtes du cerveau, où les sens plus attentifs
perçoivent des sensations plus retentissantes, où le ciel d'un azur plus transparent s'enfonce dans un
abîme plus infini, où les sons tintent musicalement, où les couleurs parlent, et où les parfums racontent
des mondes d'idées ? Eh bien, la peinture de Delacroix me paraît la traduction de ces beaux jours de
l'esprit. Elle est revêtue d'intensité et sa splendeur est privilégiée. Comme la nature perçue par des nerfs
ultrasensibles, elle révèle le surnaturalisme57. »

à ce passage du Premier Manifeste du surréalisme :

« réduire l'imagination à l'esclavage, quand bien même il y irait de ce qu'on appelle grossièrement le
bonheur, c'est se dérober à tout ce qu'on trouve, au fond de soi, de justice suprême. La seule
imagination me rend compte de ce qui peut être, et c'est assez pour lever un peu le terrible interdit ;
assez aussi pour que je m'abandonne à elle sans crainte de me tromper58. »

Ainsi, le surnaturalisme porte en germe certains aspects de l'œuvre de Lautréamont, de Rimbaud et du


surréalisme même.

C'est à propos de la peinture d'Eugène Delacroix et de l'œuvre de Théophile Gautier que Baudelaire a
usé de cette formule célèbre qui caractérise si justement son art : « Manier savamment une langue,
c'est pratiquer une espèce de sorcellerie évocatoire. C'est alors que la couleur parle, comme une voix
profonde et vibrante, que les monuments se dressent et font saillie sur l'espace profond ; que les
animaux et les plantes, représentants du laid et du mal, articulent leur grimace non équivoque, que le
parfum provoque la pensée et le souvenir correspondants ; que la passion murmure ou rugit son
langage éternellement semblable59. »

Baudelaire utilise régulièrement la synesthésie pour créer une fusion des sens, notamment dans le
poème Correspondances.

texte manuscrit d'une page titré Le Port

Le Port, petit poème en prose paru en 1869 – manuscrit de Baudelaire.

Avant lui, seul Gérard de Nerval avait pratiqué une poésie qui ne fût pas littérature. Libérée du joug de la
raison, la poésie peut désormais exprimer la sensation.
« En faisant de Baudelaire le chef de file d'une poésie de la sensation, Barrès le montre s'épuisant à «
chercher de sensations en sensations des frissons, des frissons nouveaux60 »

Lors de l'inauguration du monument Baudelaire au cimetière du Montparnasse, Armand Dayot,


inspecteur des Beaux-Arts, rappellera cette recherche de la sensation : « Ce fait même d'avoir découvert
un frisson nouveau, frisson qui va jusqu'à l'extrême limite de la sensibilité, presque au délire de l'Infini,
dont il sut emprisonner les manifestations les plus fugitives, fait de Baudelaire un des explorateurs les
plus audacieux, mais aussi des plus triomphants de la sensation humaine »61.

Déjà, dans ses meilleurs poèmes, Baudelaire, tout comme Mallarmé et Maurice Maeterlinck après lui, ne
conserve du vers classique que la musique. Par les césures irrégulières, les rejets et les enjambements, il
élude le caractère trop mécanique de l'alexandrin et pose les prémices du vers impair de Verlaine et des
dissonances de Laforgue, voire du vers libre. Baudelaire jette ainsi les bases du symbolisme.

Inspiré par la lecture de Gaspard de la nuit d'Aloysius Bertrand, qui avait introduit en France le poème
en prose, Baudelaire compose les Petits poèmes en prose et explique, dans sa préface : « Quel est celui
de nous qui n'a pas, dans ses jours d'ambition, rêvé le miracle d'une prose poétique, musicale sans
rythme et sans rime, assez souple et a

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