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Jean-Claude DUHOURCQ
& Antoine MADRIGAL

MOUVEMENT
IBERIQUE
DELIBERATION
Mémoires
de rebelles

EDITIONS CRAS
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N° ISBN : 2-9509192-1-9
Achevé d’imprimer en mai 2007 sur les presses de l’Imprimerie Sacco –
6, impasse Didier-Daurat 31400 Toulouse – Tél. 05 61 34 00 74
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Notre documentation de départ vient essentiellement des


dossiers que le CRAS avait déjà commencés sur le sujet, alimentée
par tous ceux qui nous ont permis d’accéder à leurs archives,
notamment Cortade, Antonio Tellez, et des avocats. L’intégralité des
enregistrements et du courrier et autres documents recueillis pour
ce livre, est aussi rassemblée au CRAS et consultable.
Profitons-en pour remercier tous les protagonistes qui nous ont
accordé du temps et qui ont répondu à nos questions ainsi que
Sergi Rosés, auteur de El MIL, una historia politica, pour sa contri-
bution. Ainsi qu’Aline, Bruno, Caroline, Celso, Claude, Do, Évelyne,
Everest, Georges, Ivan, Iwona, Maryse, Nicole, Pierre, Sylvie, Toto
et Marie Laffranque pour leurs contributions à des degrés divers
(traduction de quelques textes, relectures du document, correc-
tions, photos, maquette, graphisme et impression).
Un salut à Manuel Muntaner pour ses archives et au Centre
de Documentació Historico-Social de l’Ateneu Enciclopèdic Popular
de Barcelone ainsi qu’à celui d’Estudis Històrics Internacionals, de
l’Université de Barcelone qui conservent en Catalogne la plus
grande partie des documents concernant le MIL.

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AVANT-PROPOS

Au départ, en 1995 nous voulions publier El MIL y Puig


Antich d’Antonio Tellez Solà, édité en Espagne par Virus pour le
vingtième anniversaire de l’exécution de Salvador Puig Antich. La
raison était toute simple : très peu de documents consacrés au
Movimiento Iberico de Liberaciòn étaient sortis de ce côté des
Pyrénées, si ce n’est quelques articles dans la presse militante et
1000 – Histoire désordonnée du MIL de Cortade qui a sorti de
l’oubli cette histoire et publié des textes importants. Ce livre,
réédité en 2005, est le travail le plus abouti sur le sujet mais il
partage essentiellement la vision d’un membre de l’ex-MIL. Le
livre d’Antonio amenait un autre regard et il était l’occasion de
(re)parler de l’action de ce groupe qui se traduisait par une
volonté d’amener un soutien concret aux luttes ouvrières et de
publier des analyses sur ces dernières et des textes oubliés de la
gauche communiste européenne en rupture avec le marxisme
léninisme et le stalinisme… dans un pays où le simple fait
d’écrire un tract ou d’assister à une réunion pouvait vous
conduire en prison pour un bout de temps.
Une fois les traductions faites, nous sommes allés voir Anto-
nio pour discuter des rectifications nécessaires mais il ne sou-
haitait pas retravailler le contenu de son livre… Ainsi l’idée de
tout reprendre à zéro a germé. Lassés de râler ou de hausser sim-
plement les épaules en voyant des erreurs, des approximations et
parfois des falsifications au fil des autres lectures, nous voulions
apporter notre contribution. Cette envie de continuer est aussi
mue par une vieille implication dans la solidarité aux emprison-
nés de l’ex-MIL au cours de l’année 1974, par le suicide d’un
ami, Cricri, qui a été membre du MIL. Et par une affection toute
particulière qu’ont les fils de réfugiés espagnols et d’autres pour
l’Espagne, pour cette Espagne qui osa vivre ses rêves en noir et
rouge.

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L’histoire du MIL fait voler en éclats ce cliché de groupe anti-


franquiste, cliché consensuel et réducteur qui lui colle au cul depuis
les arrestations de septembre 1973 et surtout depuis l’exécution de
Salvador Puig Antich, le 2 mars 1974. Malgré les efforts de certains
groupes pour briser le silence et dire la vérité lors de la campagne
de solidarité, il sera souvent présenté comme un martyr de la
lutte contre la dictature ou comme un révolté qui paye de sa vie ses
idées romantiques de révolution.
Avant d’être un groupe d’antifranquistes, le MIL est contre
l’ordre établi, contre le capital. Et s’il s’inscrit dans la tradition
libertaire des guérilleros, sa démarche et ses idées sont autres. Les
critiques vis-à-vis des organisations anarcho-syndicalistes (FAI,
CNT, etc.) et son refus d’être apparenté à une structure existante,
fût-elle libertaire, en témoignent.
Et manière d’enfoncer le clou, le MIL tranche avec les organi-
sations de lutte armée, écornant l’image d’Epinal du groupe poli-
tico-militaire avec ses théoriciens qui réfléchissent, donnant les
axes du combat et ceux qui utilisent les armes, commettant les
hold-up. Au sein du groupe, cette conception des tâches n’a pas
existé, rien n’était attribué d’office, cela se faisait par affinité… et
dans la pratique.

Nous nous sommes intéressés davantage au vécu des membres


du MIL et à leur démarche qu’à l’aspect purement politique parce
que l’histoire même du MIL, avec ce désir farouche de se construire
en hommes libres, est bien plus éloquente que la plupart de leurs
professions de foi et des analyses critiques faites sur lui.
La grande question que certains courants radicaux n’ont pas
arrêté de se poser était de savoir si le MIL est un groupe révolu-
tionnaire. L’est-il parce que ses membres parlent du grand soir ?
Parce qu’ils font référence à des théories qui prônent la sociale ?
Pour peu que l’on sache manier le verbe et un zeste de mauvaise
foi, on peut arriver aux conclusions que l’on veut mais, finalement,
pinailler pour savoir si le MIL est conforme ou non à cette idée ou
réduire son action à cette seule problématique est rester en deçà de
la question. Les membres du MIL ne se sont pas battus au nom
d’une vengeance idéologique ou pour appliquer la théorie du pro-
létariat et attendre que ce dernier se mette en marche, mais parce

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qu’ils voulaient vivre. Fruit de son époque, une époque où le grand


soir semblait poindre à l’horizon, le MIL a utilisé les mots du
moment qui exprimaient au mieux sa démarche, se réappropriant
pour se faire les idées les plus radicales.
De plus, rester exclusivement sur le terrain de la théorie serait
considérer qu’i l n’y a qu’une approche « vraie » de voir l’histoire…

Derrière la lutte armée et les éditions, c’est aussi une aventure


humaine où l’amitié va au-delà du politique. Comment comprendre
que des individus, développant des idées de l’ultra-gauche, puissent
se lier et participer à une agitation armée alors que ce courant com-
muniste a toujours été très critique sur cette pratique ? La lutte
contre la dictature n’explique pas tout.
Certes, en collant à leurs paroles, le risque est grand de réduire
l’histoire du groupe à celle de ses membres et de décomposer la
dynamique générale présentant le MIL comme un ensemble d’in-
dividus faisant des choses différentes, pour des raisons différentes.
Sans parler de la fragilité des témoignages, a fortiori des années
après. Mais en donnant une approche globale, le risque est aussi
grand de donner une cohérence, une unité à un groupe, avec une
pratique et des buts bien définis.
En même temps que les acteurs forgent le MIL, ils apprennent
à vivre en rupture avec le mode de vie dominant. C’est l’appren-
tissage du combat politique et de la clandestinité avec son lot de
certitudes, de questions, avec ses moments de joie et ses dangers.
La plupart ont autour de vingt ans. Et, non sans une pointe d’hu-
mour, on peut dire que l’histoire du MIL-GAC ressemble parfois à
une aventure des Freak Brothers.

Écrire une histoire collective se fait à partir de plusieurs voix.


Nous avons donc essayé de retrouver ceux qui ont participé de près
et de loin à cette histoire : on en connaissait quelques-uns, certains
sont décédés et d’autres n’ont pas voulu répondre. Quant à ceux qui
ont voulu le faire, nous les avons rencontrés ou nous avons corres-
pondu avec eux.
Sauf indication, le livre repose sur les entretiens commencés en
1995, entrecoupés par diverses chronologies et des textes écrits par
eux dans le feu de l’action. Les dates sont autant de repères autour

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desquels s’organise un va-et-vient entre l’histoire et leur vécu.


Notre rôle a été de sélectionner les passages pour éviter les répé-
titions et de recouper les informations dans la mesure du possible
en rajoutant des notes pour une meilleure compréhension.
À l’image de l’histoire, le livre se présente parfois comme un
puzzle dont les pièces ne s’imbriquent pas toujours mais il donne,
par la même occasion, une vision de sa complexité.
Difficile de dire, par exemple, quand apparaît le MIL. Il n’y a
pas eu de proclamation ou d’assemblée réunissant tous les prota-
gonistes pour fonder l’organisation. Est-ce quand est éditée la
brochure, El movimiento obrero en Barcelona ? Quand l’idée germe
dans la tête d’Oriol Solé Sugranyes ? Quand une bande de potes
discutent dans un appartement à Toulouse ? Quand les médias se
mettent à en parler ? Quand ils exproprient leur première
banque ? Quand ils revendiquent les hold-up ? La réponse varie
selon les acteurs mais sa création est étroitement liée à l’émer-
gence d’un mouvement ouvrier radical à Barcelone à la fin des
années 1960.
Tout comme pour cette valse d’étiquettes (ET, EO, EE, 1000,
MIL, MIL-GAL, Bibliothèque ou Mayo 37) qui peut aussi nous
donner le tournis, mais ces tâtonnements sont surtout les fruits
d’une pratique et d’une réflexion qu’implique la formation du
MIL.

Pour coucher cette histoire à plusieurs facettes sur le papier, il


était difficile de le faire chronologiquement, mêlant de front les
trois équipes car chacune a une « vie propre » même si les individus
ont des contacts entre eux et que les clivages ou les différends ne
sont pas toujours entre les équipes. Nous devions faire un choix.
Nous avons donc opté de prendre comme fil conducteur les par-
cours d’éléments déterminants dans l’histoire du MIL, ceux de
Santi Soler Amigo et d’Oriol Solé Sugranyes. Et, à partir du pre-
mier, la trajectoire de l’Equipe Théorique et des différentes Equipes
Ouvrières. Et du second, celle de l’Equipe Extérieure.
Une partie importante est consacrée à cette dernière. En effet,
d’une part, certains membres n’avaient jamais eu l’occasion de témoi-
gner et de donner leur point de vue sur ce qu’ils ont vécu et, d’autre
part, des événements de l’histoire de l’EE jusqu’au MIL/GAC ont

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été occultés ou minimisés. L’action du MIL se passe des deux côtés


des Pyrénées. Et si Barcelone reste leur terrain de prédilection,
Toulouse joue un rôle non négligeable, il n’y a pas que des Catalans
au sein du MIL. Tout comme cette équipe n’était pas le bras armé
du MIL.
Dans la dernière partie sont relatés l’autodissolution, les arres-
tations, la solidarité, les procès, la mort de Salvador Puig Antich, et
celle d’Oriol Solé Sugranyes.

Bonne lecture.

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IDENTIFICATION DE QUELQUES COLLECTIFS


ET DES PROTAGONISTES CITÉS

Trois sigles reviennent d’une façon récurrente : l’Equipe Théo-


rique (ET), l’Equipe Ouvrière (EO), l’Equipe Extérieure (EE). Ces
sigles désignent des collectifs qui naissent des rencontres avant que
le sigle MIL apparaisse dans les médias en septembre 1972. Santi
Soler Amigo et ses amis appellent leur collectif ET et nomment EO
des ouvriers avec qui ils ont des liens plus spécifiques. Leur pre-
mière collaboration est la rédaction d’une brochure qu’Oriol Solé
Sugranyes imprimera à Toulouse, où il s’est réfugié depuis l’été
1969, il la signera « Equipe Extérieure ». C’est probablement à par-
tir de cette initiative que ces trois sigles sont attribués aux collec-
tifs jusqu’en 1972 mais cela se fait surtout a posteriori. Parler des
équipes est venu par commodité de langage mais cela prête à des
ambiguïtés comme si le MIL avait été un point de confluence, une
prédestination alors que l’apparition du MIL est avant tout la
convergence d’individus plutôt que des équipes en tant que telles.
D’autre part, pour désigner le projet d’édition, il est aussi sou-
vent question de la Bibliothèque et de Mayo 37. Le mot « biblio-
thèque » n’est pas vraiment adapté à la situation car si l’idée est de
mettre des textes à la disposition de ceux qui le désirent, il est
impensable sous la dictature de créer un lieu à cet effet. Quant à la
maison d’édition, nous sommes loin de l’idée que l’on s’en fait en
France. En Espagne c’est le désert au niveau de la diffusion des
idées, a fortiori des théories radicales, et l’ET a la volonté de com-
bler ce vide. Son but est de publier des textes et de les diffuser selon
leurs moyens sans aucun but marchand. Dans cette logique, la dif-
férence est minime entre bibliothèque et maison d’édition.
Mayo 37 est le nom donné à la « maison » d’édition.
Concernant les autres sigles, afin d’éviter d’alourdir la lec-
ture nous avons concentré les données explicatives dans les
annexes, page 319.

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Sinon, au cours du livre, nous utilisons les surnoms que les


membres du MIL se donnaient, par affection ou pour des raisons de
sécurité. Exception faite d’Oriol Solé Sugranyes, pour qui nous
prenons son prénom. Si à l’époque on l’appelait « Victor », mainte-
nant tout le monde cite son prénom. Quand, au fil des entretiens, ce
sont les prénoms ou les noms de famille qui sont cités par les pro-
tagonistes, nous les avons gardés. Trente ans après, il y a toujours
de l’émotion quand les souvenirs remontent à la mémoire.
Certaines personnes interviewées ont souhaité conserver l’ano-
nymat, nous avons respecté leur choix.

Amandine, membre de la coordination des GARI.


Arau Fernandez Oriol, avocat de Salvador Puig Antich.
Aurore ou Aurora, membre du MIL/GAC.
Barrot Jean, animateur de la librairie La Vieille Taupe à Paris en
contact avec le MIL.
Bermejo, Sanchez Bermejo Vicente, membre de l’EE.
Beth, C. Elisabeta, membre du MIL, participe à l’infrastructure du
MIL/GAC à Barcelone.
Blanca, Navarro Jimenez Dolorés, membre de la CNT espagnole
de l’exil en contact avec le MIL-GAC.
Civil Raimon, moine à Saint-Michel de Cuxa, en contact avec
l’EE.
Cricri, Torres Jean-Claude, membre du MIL/GAC.
Diaz, Diaz Valcàrcel José Antonio, « membre » de la première EO.
Dandy, fréquente les membres du MIL/GAC à Toulouse.
El Chato, Nuñez Ernesto, membre de l’EO et de Mayo 37.
El Metge, Puig Antich Salvador, membre du MIL/GAC.
El Petit ou Fede, Santi Soler Amigó, membre de l’ET, du MIL et de
Mayo 37.
El Rubio ou Marcos, Lopez Marcelo, membre de l’EO et de Mayo 37.
El Secretario, Garriga Paituvi Francesc Xavier, membre de l’ET
et du MIL.
Eva, Pilar Garcia, membre de Mayo 37.
Felip, Solé Sabate Felip, membre d’un groupe autonome, en contact
avec le MIL.
Gafas, Ricard de Vargas Golarons, traducteur, participe à l’infra-
structure du MIL/GAC à Barcelone.

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L’Infra, membre de la Gauche Prolétarienne, fréquente l’EE à


Toulouse.
La Carpe, Olle Henri, membre de l’EE à Toulouse.
Le Grand blond, en contact avec l’EE.
Le Légionnaire, Lopez Navas Luis, membre du MIL/GAC.
Luigi, Bruni Luigi, membre de Lotta Continua, en contact avec
ceux de l’EE et de l’ET.
Maria, Lozano Mombiola Maria, membre de la CNT espagnole de
l’exil en relation avec le MIL/GAC.
Mayol Miquel, avocat à Perpignan et ami d’Oriol, militant cata-
laniste, élu député européen en 1999.
Miguel, Moreno Patiño Miguel, membre d’un groupe autonome,
participe à la campagne de solidarité.
Montes, Solé Sugranyes Ignacio, membre de l’ET, du MIL, parti-
cipe à l’activité et à l’infrastructure du MIL/GAC à Barcelone.
Murcia, Murcia Ros Manuel, « membre » de la première EO.
Oriol, dit Victor, Solé Sugranyes Oriol, membre de l’EE et du
MIL/ GAC.
Pedrals, Pardiñas Viladrich Emilio, membre du MIL et participe
à l’activité du MIL/GAC à Barcelone.
Quesita ou Mariana, Mateos Fernández María, Angustias,
membre du MIL/GAC.
Queso, Pons Llobet Jose Luis, membre du MIL/GAC.
Sancho, Solé Sugranyes Jordi, membre du MIL/GAC et de Mayo
37.
Savelli Robert, membre du PSU, en contact avec l’EE.
Sebas, Rouillan Jean-Marc, membre de l’EE et du MIL/GAC.
Simon, C. Joan, membre de l’EE.
Txus, De la Arena Jésus, membre de la bibliothèque et de Mayo 37.
Zapatero ou Negro, Navarro Theofrasto, membre de la CNT
espagnole de l’exil, en contact le MIL/GAC.

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INTRODUCTION

Le 6 juin 1973, trois individus masqués et armés font irruption


dans une banque à Barcelone… Avant de ressortir avec le butin, ils
laissent des tracts. On peut y lire un texte, quelques slogans et
comme seule signature un coup de tampon : MIL/Grupos Autono-
mos de Combate.
Le sigle MIL est le fruit d’une boutade, 1000 en castillan et par
la suite, il sera connu comme le Movimiento Iberico de Liberaciòn.
Celui des « Groupes Autonomes de Combat » est sans ambiguïté.

Ces gangsters atypiques n’en sont pas à leur premier hold-up


et des rumeurs circulent selon lesquelles des politiques dévali-
sent des banques. Si le choix de la cible se fait parfois à l’arrache,
l’idée de braquer n’est pas due au hasard, comme le souligne l’ex-
trait du tract :
« …La généralisation des luttes, jointe à l’intensification de la
répression, entraîne l’apparition indispensable de nombreux
groupes autonomes de combat dont les hold-up et autres actions
violentes se situent dans un cadre général d’agitation armée… »

Le ton est donné. Les années 1960 marquent des changements


dans cette Espagne qui ressent encore les stigmates de la guerre
civile, exacerbée par la dictature militaire. Par peur d’une révolu-
tion sociale, les fascistes ont voulu faire un coup d’état en juillet
1936, cela était sans compter sur la riposte des ouvriers et des pay-
sans, ils n’ont fait que l’accélérer, notamment en Catalogne, en
Aragon et dans le Levante. En 1939, Franco devient le caudillo et
des centaines de milliers de gens prennent la route de l’exil pour
fuir le régime qui s’installe.
Malgré la répression sanglante, l’opposition n’est pas vrai-
ment réduite au silence, opérant souvent à partir de l’extérieur.
Le Parti Communiste s’y taille la part du lion et grâce à l’orga-

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nisation qu’il a derrière lui, il est pratiquement le seul à mainte-


nir une présence sur le sol ibérique. N’oublions pas que le mou-
vement libertaire, très puissant avant la guerre a été décimé et
cela n’est pas seulement le fruit des seuls fascistes, les stali-
niens ont joué aussi un rôle dans cette éradication (il serait trop
long d’en expliquer ici les raisons). Cependant des groupes de
guérilla, la plupart issus des courants libertaires, refusent la
défaite et continuent le combat, les armes à la main. Toujours pré-
sent, le Mouvement Libertaire Espagnol officiel (CNT, FAI, FIJL)
s’essouffle dans des querelles intestines mais, malgré tout jusqu’à
la fin des années 1960, des groupes proches de la FIJL commet-
tent des attentats en Espagne et en Europe contre les intérêts
économiques espagnols et les symboles du franquisme. Les autres
pôles de l’opposition tournent autour de la gauche et des organi-
sations régionalistes qui jouent sur du velours avec leur culture
opprimée qui sert de programme identitaire dans la lutte anti-
franquiste.
La modernisation de l’économie modifie profondément le
visage du pays. Cette modernisation se fait dès les années 1950
avec les aides économiques (capitaux, usines, technologie) et mili-
taires de démocraties occidentales. Par exemple, les USA y instal-
lent des bases militaires et la France accorde une assistance tech-
nique pour la construction de cinq sous-marins. Sans compter sur
les devises qui rentrent avec le tourisme et l’émigration écono-
mique. L’industrialisation crée des pôles de regroupement et des
besoins propres à son développement et Franco, qui régit les
affaires d’une main de fer, doit faire face à de nouvelles aspirations
qui surgissent. Le syndicat vertical créé pour embrigader le monde
ouvrier a du mal à jouer son rôle de courroie de transmission. Des
grèves éclatent comme celle des mineurs aux Asturies en 1962 qui
réactualise le principe des assemblées souveraines en créant les
Commissions ouvrières (CCOO : Comisiones Obreras).
L’inflation et l’augmentation de la vie font fondre les quelques
avantages obtenus ici et là et on voit les conflits se durcir dans le
monde du travail. En 1969, l’état d’exception sera déclaré pour y
faire face. Parallèlement, des courants tentent de retrouver une cer-
taine autonomie face au contrôle progressif des Comisiones Obre-
ras par le PSUC.

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Cette agitation jouera un rôle dans la formation du MIL


mais il n’est pas question pour lui de suivre la voie de l’opposition
antifranquiste, en cela, il répond comme un écho au grand mou-
vement de contestation qui a secoué le monde. Le Mai 68 français
en est l’un des symboles. À la fin des années 1960 et début des
années 1970, une soif de vivre... sans temps morts, et de jouir
sans entraves s’est transformée en une furieuse envie d’en
découdre avec l’ordre établi. Dans l’Europe occidentale et l’Amé-
rique du Nord, tout est remis en cause et beaucoup des aspects de
la vie sociale subiront ces assauts… La sexualité, le travail, la
famille, l’armée, la vie quotidienne, l’écologie, la marchandise…
On parle de contre-culture, de dope, de communautés. Des groupes
d’idéologies différentes prônent la lutte armée… Les plus connus
ont pour nom les Weathermen aux USA, les Tupamaros en Amé-
rique latine, les Brigades Rouges en Italie, la Rote Armee Fraktion
en Allemagne de l’Ouest ou l’Angry Brigade en Angleterre …
On découvre les textes de l’ultra-gauche qui est une : « opposi-
tion communiste de gauche au léninisme dans son ensemble en
tant que théorie et pratique » (Jean Barrot : Communisme et ques-
tion russe, 1972, Éditions de la Tête de Feuilles). Cette opposition
minoritaire après la première guerre mondiale, est très critique vis-
à-vis des partis et des syndicats et prône l’auto-organisation du pro-
létariat, certains courants parlent du communisme des conseils. On
découvre l’histoire du mouvement libertaire ainsi que les nou-
velles critiques du monde moderne. Il est question de domination
réelle du capital et de la société du spectacle où les rapports sociaux
sont médiatisés par les images.

C’est dans ce bouillonnement que les futurs membres du MIL


s’aguerrissent et affinent leur pensée politique, s’intéressant
davantage à cette opposition à la fois contre le monde capitaliste et
le bloc soviétique, et à tout ce qui représente une rupture avec la
contestation classique.

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DE L’ÉQUIPE THÉORIQUE
ET DES ÉQUIPES OUVRIÈRES,
AUX ÉDITIONS MAYO 37

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Thèmes et sous-thèmes abordés :

Gestation et formation de l’Equipe Théorique


Formation politique du Petit – Rencontres du Petit avec
Montes et le Secrétaire – Acción communista – Rencontre
de l’ET avec Oriol et des ouvriers – Premiers contacts avec
la Vieille Taupe – Premières publications – Collaboration
entre les trois équipes…
Grève générale à Harry Walker
Implication des trois équipes dans la grève – Rupture
entre la « première » EO et l’ET…
Les éditions avant celles de Mayo 37
Collaboration avec une nouvelle EO – Intégration de Txus
et Pedrals – Traduction, publications et écrits divers…
De la bibliothèque aux Editions Mayo 37
Naissance des Editions – Contenu des publications – Fonc-
tionnement de la bibliothèque et des Editions…
Dissensions et polémiques au sein du MIL
La question de l’agitation armée – Apparition de clivages –
Sur la parution de CIA n° 1…

Un des éléments incontournables du MIL est Santi Soler Amigo


et il est présent du début à la fin. On le surnomme « Fede » ou « El
Petit » mais il précise que ce n’est pas un nom de guerre, on l’appelle
Petit parce qu’il est petit. Il est le plus âgé du groupe. Né le 19 août
1943 à Badalone, près de Barcelone, il y a vécu dans un studio
payé par sa famille qui est apolitique, avant d’aller ensuite dans un
appartement rue Caspe à Barcelone. À partir de 1963, il mène de
pair travail et études mais à partir de 1971, il se limite à ses nou-
velles études de journalisme. Il obtient une licence de philosophie et
de journalisme en essayant le plus souvent de conjuguer le travail
politique et l’activité théorique avec des emplois dans des maisons
d’éditions et des revues spécialisées.

En ce qui concerne la gestation de l’ET, suivre l’évolution des


groupes politiques peut paraître rébarbatif et quelque peu confus
mais il faut se replacer dans le contexte de l’époque et ne pas

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oublier que c’est le climat dans lequel se forment cette équipe et le


mouvement ouvrier radical à Barcelone
Le Petit scrute de près les scissions anti-Parti Communiste,
anti-léninistes et puis anti-groupusculaires tout en s’intéressant à
la gauche communiste italienne, allemande et hollandaise des
années 1920 et à l’Internationale Situationniste. C’est ainsi qu’il
participe à l’évolution vers l’autonomie de courants organisés au
sein du mouvement ouvrier de Barcelone.

El Petit : Au sein du SDEUB (Sindicato democratico universitario


Barcelona) (1), syndicat étudiant, il y avait en marge de l’hégémonie
PSUC-PCE (Partit socialista unificat de Catalunya-Partido comu-
nista de España) les courants FOC-FLP (Frente obrero catalan-
Frente de liberación popular), c’est-à-dire un marxisme non sovié-
tique, non orthodoxe qui parlait d’autonomie du mouvement
ouvrier, de révolution hors des partis. Mais aussi de la voie cubaine,
de l’autogestion algérienne et yougoslave.
Au niveau ouvrier était proposé un syndicalisme ouvert et indé-
pendant, en dehors des vieux sigles CNT (Confederación nacional
del trabajo), UGT (Union general de los trabajadores)) et des sec-
tions syndicales des partis. Comme dans le SDEUB étudiant de
1966, on y trouvait les gens de toutes ces origines mais à titre per-
sonnel. Après la répression subie par le SDEUB, de nombreux
sigles ont émergé, tout ce monde venait des luttes étudiantes, et
allait vers une « prolétarisation ».
Je suis entré au FSF (Forca socialista federal) à partir de 1963.
C’est un groupe à la stratégie ouvrière et néo-capitaliste constitué
pour agir sans dépendre du PSUC-PCE, et aussi parce qu’idéolo-
giquement, le marxisme du FOC-FLP était trop dogmatique pour
constituer une alternative crédible au PSUC. Je suis parti quand
les CHE-CHO (Comites de huelga estudiantes-Comites de huelga
obreros) ont regroupé tout ce qui restait du FSF. CHE-CHO est un
des groupes issus de la lutte au SDEUB qui se prolétarisa sous le
nom APRO, autour de la revue Acción Proletaria et ensuite sous le
nom des CHE-CHO.

1 – Syndicat implanté dans d’autres villes d’Espagne comme Madrid,


Valence…

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En quittant FSF à cause du sectarisme des CHE-CHO qui a un


langage militariste, j’ai cherché un autre noyau plus théorique et
qui ne fut pas un parti : AC (Acción comunista) remplissait ces
conditions.

GESTATION ET FORMATION
DE L’ÉQUIPE THÉORIQUE

Pour suivre l’itinéraire de l’Equipe Théorique, nous nous


sommes appuyés sur la chronologie « La historia nos absolvera ? »,
rédigée par le Petit et Montes en vue du Congrès d’août 1973.
Elle commence en 1967 et se termine en juillet 1973. L’intégralité
du document est reproduite en annexe.

El Petit : C’est un texte à usage interne pour un débat, écrit en


partie par moi, bien qu’il y ait eu des suggestions de plus de gens.
Le titre exact est « ¿ La historia nos absolvera ? », parodiant le titre
de Fidel Castro et son auto-suffisance. Les faits et les dates vien-
nent de Montes et de moi. Dans l’ET, il suivait Lotta Continua et
moi, la Vieille Taupe. On a essayé de mêler ses dates et les miennes
dans une même chronologie à usage interne et je ne sais pas à quel
point elle est exacte ou non.

■ 1967

Dans le courant de l’année, le Petit intègre Acción comunista


(AC), créée en 1965 essentiellement par des travailleurs espagnols
émigrés en France, Suisse, Allemagne et Belgique. C’est une revue
(et une « organisation ») qui va être un des pôles révolutionnaires
espagnols pendant cinq ans. Au départ, AC développe des positions
conseillistes et se prononce pour la création d’un parti mais pas de
type léniniste.

El Petit : Quand je les ai contactés, ils me passèrent la collection


(incomplète) de leur revue. Le n° 1 date de 1965. C’est dans la
demi-douzaine de numéros que j’ai lu quelques textes ultra-
gauches. Parmi ces textes il y avait des extraits de la brochure, De

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la misère en milieu étudiant et Le scandale de Strasbourg, (numéro


de janvier 1967). Je suppose qu’AC/Paris connaissait Vaneigem (2)
et/ou Debord (3). Je ne savais pas grand chose de ce qui se passait en
Espagne, et encore moins des Acratas (4) de Madrid ; à Paris, ils le
croyaient mais ici on n’en avait même pas idée.
La section intérieure se limitait à quelques individus à Barcelone
sans aucune implication pour distribuer AC. Ici, on ignorait si
l’exil avait des contacts avec un groupe de Madrid ou d’ailleurs, on
l’ignorait mais c’est possible (5). Je ne militais pas et, de plus, je ne
voulais pas faire de prosélytisme, chose que ceux de l’extérieur nous
reprochaient, bien que cela soit une attitude cohérente avec le dis-
cours de la revue AC/Semprun (6) (lui, parlait de situationnisme).

■ 1968
Au cours de l’année, un deuxième personnage entre en scène :
Ignacio Solé Sugranyes dit « Montes » (parce qu’il est de grande
taille). Il est né en 1950 à Capellades, dans la province de Barce-
lone. Après avoir fréquenté le PCE, le PCE(i), il commence à mili-
ter en 1968 lorsqu’il intègre AC où il rencontre le Petit au cours de
l’été. Le noyau de la future ET se constitue. Montes est aussi à l’ori-
gine de rencontres déterminantes. De 1966 à 1967, il suit les cours
du soir pré-universitaires à l’institut Maragall où il sympathise
avec Salvador Puig Antich et Francisco Xavier Garriga Paituvi.

2 – VANEIGEM Raoul : né en Belgique en 1934, membre de l’Internationale


Situationniste de 1961 à novembre 1970. Auteur de nombreux ouvrages dont
Le traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations publié en 1967.
3 – DEBORD Guy Ernest (1931-1994) : membre de l’Internationale Situa-
tionniste, auteur de nombreux ouvrages et films.
4 – Les Acratas est un groupe qui agit à Madrid d’octobre 1967 à juin 1968 et
plus particulièrement sur la faculté. Influencés par les situationnistes, ils ont
leur moment de gloire avec leur défenestration d’un crucifix. En 1969, ils ont
édité une brochure où est contée leur histoire : Pequeña historia de la llamada
Acratia.
5 – Il existait d’autres groupes d’AC en Espagne à Madrid, Valence et Sara-
gosse. Pour plus de détails, lire El MIL : una historia politica.
6 – SEMPRUN-MAURA Carlos, auteur de divers ouvrages notamment Révo-
lution et contre-révolution en Catalogne, paru en 1974 et reédité en 2005 par
les éditions Nuits Rouges.

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Dans Cuenta atrás de Francesc Escribano (ediciones Penin-


sula, Barcelone, 2001), Montes relate l’ambiance à Barcelone :
« On supposait que nous étions des travailleurs, c’est pour cela que
nous faisions des cours en nocturne mais en réalité je ne me sou-
viens pas que l’on travaillait beaucoup. Salvador travaillait dans un
bureau mais il n’y allait pas beaucoup, je travaillais à la librairie
Ballester i Canals mais je n’y allais jamais. Xavier était le plus
sérieux pour le travail, il était correcteur aux éditions Ariel. Par
contre, nous étions assidus pour les sorties nocturnes. Tous les
soirs, nous allions boire des coups, craquant l’argent que nous
gagnions. À cette époque, la vie nocturne n’était pas comme main-
tenant, nous allions sur les Ramblas ou dans des endroits
incroyables. Cependant, où que nous allions, nous discutions tou-
jours de politique. Nous avions l’habitude d’aller au Drugstore du
Paseo de Gracia, vers les trois ou quatre heures du matin, c’était un
des rares endroits ouverts à ces heures. En vérité, ce n’étaient pas
des heures adaptées pour aller travailler le lendemain. »

El Petit : J’ai rencontré Montes à AC. On est allés ensemble à


Paris pour une réunion des quatre secteurs au domicile du rédac-
teur en chef. Une fois, entre deux discussions, on nous présenta un
certain Vaneigem qui venait de sortir un livre, il était plus élitiste
que l’ouvriérisme ultra-gauche. Je lui ai dit que je ne le comprenais
pas et il me donna quelques numéros de sa revue. Pour les autres,
il dit qu’on les trouverait chez Maspero (7) mais que les meilleurs
textes ultra-gauches étaient à la librairie Vieille Taupe. Cela devait
être en mars 1968. On n’y est pas allés tout de suite, on voulait
savoir d’abord si la revue Internationale Situationniste (IS) nous
intéressait. On a été surpris à Barcelone quand on a lu le nom des
situs au sujet de mai 68. Mai 68 n’était pas un sujet tabou pour le
franquisme, c’était un mouvement anti-soviétique. Les journaux
donnaient de grands résumés de ce que disait la presse étran-
gère, des extraits, des bouts de phrases, des graffitis, des chro-
niques des correspondants à Paris. À Barcelone, tu pouvais acheter
Le Monde, dans des kiosques spécialisés, mais aussi L’Express, Le

7 – Maspéro : Librairie et maison d’éditions qui étaient situées dans le


Quartier latin à Paris.

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Nouvel Observateur, Newsweek, Stern, et même L’Humanité dont se


chargeaient les Partis Communistes. Quant aux livres, des libraires
de confiance nous trouvaient des livres en castillan non autorisés ;
les très chers Ruedo Iberico (8), même Le marxisme de Henri
Lefèbvre (9) édité en Argentine, bon marché et en poche, on le trou-
vait légalement.

En juillet 1968, lors d’une assemblée générale d’AC à Barce-


lone, Montes présente son frère Oriol au Petit. Oriol vient de sortir
de prison et sera de nouveau incarcéré pour activités politiques à la
fin du mois de septembre.

■ 1969
Montes présente Francesc Xavier Garriga Paituvi, dit « El
Secretario » (Le Secrétaire), au Petit. Le Secrétaire est né le 31 août
1949 à Santa Maria de Palautordera (Barcelone). Il commence à
militer en 1965 et s’intéresse aux courants les plus radicaux. Il fait
partie entre 1966 et 1969 des FSF. Travaillant comme correcteur
aux éditions Ariel à Esplugas de Llobregat (Barcelone), il participe
aux luttes revendicatives avec les Comisiones obreras de l’entre-
prise. Il est licencié à la suite d’une grève. En 1969, il quitte les
CCOO et, par l’intermédiaire de Montes, qu’il a côtoyé pendant
deux ans aux cours du soir de l’Institut Maragall, il va dès lors faire
partie de l’ET et aurait participé à la mise en marche de la Biblio-
thèque et des éditions Mayo 37. Sa participation au sein de l’ET et
du MIL ne sera pas constante.

El Petit : Quand est sorti un numéro double d’AC sur mai 68 (en
septembre 1969 mais daté de juillet-août 1969), nous avons cru
qu’on y parlerait des situs car ils les connaissaient. C’était un gros
livre contre le spontanéisme de la révolte et son absence de carac-

8 – Ruedo Iberico : Maison d’éditions créée à Paris au début des années 1960
par José Martinez, un exilé politique espagnol et ex-libertaire. Les éditions ces-
seront d’exister en 1978.
9 – LEFEBVRE Henri : Membre du Parti communiste français jusqu’en 1958.
Philosophe et sociologue, auteur de nombreux ouvrages de pensée politique
d’inspiration marxiste.

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tère de classe. On a demandé des explications pour s’entendre


dire qu’on en discutera lors du congrès de Francfort en décembre.
Avec Montes, j’étais disposé à exiger des responsabilités quant à ce
changement de ligne : ils voulaient transformer le groupe de ten-
dance ultra-gauche-situ en groupuscule trotskisant. Ils décidaient
sans la base emboîtant le pas de ces groupes en exil (PC, PSOE,
CNT) pour qui l’appareil compte plus que les gens de l’intérieur.
On exigea un congrès pour critiquer la nouvelle ligne trotskiste-
léniniste, rapidement pour les vacances de décembre 1969. On est
partis et on n’a plus rien su d’AC à partir du moment où était prise
la décision d’arrêter la publication et de se constituer en groupe
organisé.
C’est ainsi que prend forme l’ET. Il n’était pas besoin d’attendre le
bon vouloir d’AC pour faire connaître les textes ultra-gauches par
ici ou pour élaborer des analyses. Il suffit d’aller à la Vieille Taupe
où se trouvaient tous les textes à traduire, de contacter quelqu’un
qui les imprime et un autre pour mieux les distribuer.

Au cours de l’été, à Barcelone, une grève est déclenchée dans


l’entreprise Camy, qui fabrique des glaces. Pour soutenir et appuyer
les revendications des grévistes, une campagne de solidarité est
organisée par les ouvriers de la revue ¿ Qué hacer ? (Que faire ?). Ils
lancent un appel au boycott des produits de l’entreprise… À la suite
d’un acte de solidarité, Oriol, décide de se réfugier en France pour
éviter la prison.

■ 1970
Les années 1969 à 1971 sont riches en événements dans la cri-
tique, la distance et la rupture avec les CCOO.
Au sein des entreprises, des courants tentent de retrouver
une certaine autonomie en essayant de se débarrasser des appa-
reils politiques comme le FOC ou le PSUC qui se sont appropriés la
direction des CCOO. Les groupes se font et se défont au fur et à
mesure de l’analyse faite sur le terrain avec parfois des revues et
des textes qui sont des points de repère de cette effervescence à
Barcelone. La revue Metal fondée en 1968, est un des organes de
liaison qui devient le porte-parole de toute l’opposition au PSUC.
Elle est remplacée en février/mars 1969 par ¿ Qué hacer ? qui se

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veut : « un instrument de travail et de réflexion au service des tra-


vailleurs des Commissions Ouvrières ». Le dernier numéro paru en
septembre annonce sa dissolution pour former les Plataformas de
CCOO avec son organe Nuestra clase : Comisiones Obreras qui
affirme être : « le journal des Commissions ouvrières de Barcelone,
organisées à partir de l’entreprise ». Quatre numéros sont diffusés
dans le secteur de la métallurgie de novembre 1969 à septembre
1970, avec un tirage de 500 exemplaires. Certains souhaitent créer
un lieu de réflexion et de formation de militants et constituent, en
janvier 1970, Los Circulos de formación de cuadros (Cercles de for-
mation de cadres). En novembre 1970, les CFC disparaissent après
de nombreux débats, conférences… à cause de divergences sur les
modes et types d’organisation.
C’est pendant ces années-là que les relations se nouent avec
des ouvriers. Parmi ces derniers, nous trouvons Manuel Murcia et
José Antonio Diaz. Selon l’ET, ils formeront la première EO dès
l’automne. Ils sont ouvriers dans l’industrie à Barcelone. Diaz,
licencié en droit, est un ancien séminariste membre d’Acción Cató-
lica qui va s’orienter vers des thèses marxistes en militant avec
Murcia, au FOC. Ils en deviennent des dirigeants et, parallèle-
ment, ils participent à la construction des Commissions ouvrières
à Barcelone. Ils quittent le FOC car l’organisation s’oriente depuis
1968 vers des thèses et pratiques léninistes. Ils vont se consacrer
aux luttes au sein des entreprises et être à l’initiative de nombreux
projets éditoriaux ou de la création de groupes.

Sont déjà présents Ernesto Nuñez dit « El Chato » et Marcelo


Lopez dit « El Rubio ». Ils deviendront des membres de la seconde
EO à partir de 1972.

El Chato : J’ai commencé à me bouger au printemps 1968, je tra-


vaillais à Faessa avec Juanjo Ferreiro. À ce moment-là, j’étais à la
revue Metal du FOC, en contact avec les JOC (Jeunesse ouvrière
catholique) et ensuite à ¿ Qué Hacer ? de Diaz et Murcia. En sep-
tembre, dans les locaux de la paroisse du Paseo de San Juan (Bar-
celone), il y eut une réunion des CCOO où des critiques fusaient
contre la direction accusée de manipulation et d’utilisation des
fonds à l’usage exclusif des membres du PSUC, etc.

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À partir du conglomérat opposé au PSUC, il y eut une tentative


d’organiser quelque chose de nouveau, dans un couvent de Sant
Cugat del Valles (Barcelone) mais sont vite apparues deux ten-
dances : la première était pour l’organisation d’un parti plus
moderne ou une sorte d’organisation qui tende à cela et la
deuxième appelée ouvriériste, assembléiste, menée par ¿ Qué
Hacer ? et UCL avec d’autres petits collectifs. On commença à
réfléchir à la notion d’organisation de classe comme une organi-
sation politico-ouvrière unique. Cela n’a jamais été vraiment
théorisé si ce n’est seulement par les Grupos obreros autonomos
(GOA) et dans le livre que j’ai écrit pour les éditions Mayo 37
(Sobre la organización de clase – Barcelona, 1973) qui ont essayé
de résoudre ce dilemme sans grand succès. Se forment alors les
Circulos de formación de cuadros. À cette réunion, est exclue
Bandera Roja (Drapeau rouge) bien qu’on ait continué à tra-
vailler ensemble dans les Plataformas jusqu’à ce que Bandera
Roja crée ses secteurs de CC.OO. PCI (ista), UCL, AC, Lucha de
Clase, ¿ Qué Hacer ? et quelques autres, nous avons continué avec
les Plataformas avec une forte implantation dans les entreprises
importantes, excepté SEAT (dominé par le PSUC), Pegaso (PSUC
et Bandera Roja) et quelques autres.
El Rubio : J’étais un ami personnel de José Antonio Diaz avec
qui je travaillais en 1970 dans l’entreprise Feudor (implanta-
tion française). Lors de la grève dans cette entreprise, avec Diaz
et Oriol nous sommes allés à Lyon voir les ouvriers de l’usine
principale. En 1970-1971 pendant une grève en Euskadi dans
l’entreprise Bandas (?), nous y sommes allés avec Oriol et Sancho.
Nous avons pris contact avec ETA dans un appartement. Pendant
cette période, en compagnie d’Oriol, j’ai passé plusieurs fois la
frontière. En 1972, je travaille dans l’entreprise Bultaco. ■ Entre-
tien avec Sergi Rosés. Les différents entretiens de Sergi que
nous utilisons ont servi pour son livre mais n’ont jamais été
publiés.

En mars, est publiée la brochure El movimiento obrero en


Barcelona (Le mouvement ouvrier à Barcelone). Elle est élaborée
dès l’automne 1969 par le Petit et Montes et imprimée en France
par l’intermédiaire d’Oriol.

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El Petit : L’ET se maintenait en retrait des amis, on avait besoin


de stabilité pour travailler. Avant de traduire des livres, on pro-
posa d’écrire nos propres textes : nous en voulions un sur les ten-
dances ouvrières qui se mouvaient à Barcelone avec des com-
mentaires sur le vif. Nous voulions qu’ils soient publiés sans
signature pour que tous les collectifs ouvriers puissent le distri-
buer. Il y avait seulement la mention : « Imprimé en mars 1970 ».
La version ronéotée était illisible et on opta pour l’imprimerie. Il
n’était pas question de mettre un sigle si ce n’est « Barcelone
1970 ». Oriol pouvait nous aider pour l’impression et la distribu-
tion : il avait un certain accès aux différents groupes ouvriers et il
n’était pas dans un appareil de parti, de plus il agissait comme une
équipe technique.

Au cours du même mois, le Petit et Montes présentent la bro-


chure à Manolo Murcia et Antonio Diaz, membres des Plataformas
de CC.OO et animateurs des Circulos. La rencontre est à l’initiative
d’Oriol – qui revient de temps à autre clandestinement à Barce-
lone – tout comme celle d’avril avec Luigi Bruni, membre de Lotta
Continua. Oriol avait pris contact avec ce dernier lors de ren-
contres internationales organisées à l’abbaye de Saint-Michel de
Cuxa, dans les Pyrénées-Orientales.

El Petit : Luigi était de Vincenza et le syndicat italien CGIL lui


donna une carte de journaliste pour voyager gratuitement sur
Transmediterranea ; il s’en servait pour faire des cadeaux aux
divers groupes extra-parlementaires italiens et pas uniquement de
Lotta Continua. Il venait souvent à Barcelone et après ses cadeaux
et ses trucs avec Montes, on passait une après-midi ou plus à dis-
cuter pour obtenir une perspective d’ensemble. Je parle l’italien et
le français, je suis traducteur. J’ai appris plus tard que Lotta Conti-
nua nous avait édité quelques bricoles en Italie, comme le livre
rédigé par les grévistes de Blansol avec pour titre Lucha unida, vic-
toria proletaria. Peut-être que quelques-uns de ces écrits passaient
par Cuxa....
Je suppose qu’il est rentré en contact avec nous par Cuxa. Je ne
sais ce qu’il a fait de plus ou s’il y a eu une rupture avec lui.

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En été, le Petit, Montes, le Secrétaire, Oriol ainsi que le Rubio


assistent à Milan au congrès de Lotta Continua. Ce dernier prend
la parole au nom de Plataformas qu’il représente, il travaille avec
Diaz et le Chato dans la même entreprise. À la sortie du congrès, le
Secrétaire et Oriol sont contrôlés et interrogés par la police ita-
lienne. Ensuite, certains partent à Paris.

El Petit : On passa l’été 1970 à la Vieille Taupe. Il y avait Garriga


(le Secrétaire), Eva et moi. Garriga était un ami de collège de
Montes. Il n’a pas été au FSF si ce n’est qu’il est rentré directement
dans les CHE-CHO, cela ne coïncida pas avec moi. Eva était l’amie
de Garriga et je ne crois pas qu’elle avait des antécédents poli-
tiques. Elle ne faisait pas partie de l’ET. À la Vieille Taupe, on ren-
contra Jean Barrot qui s’intéressa beaucoup à notre abandon de
l’AC trotskiste parce qu’on était intéressé par une version de Mai
1968 moins dirigiste. Il nous présenta Pierre Guillaume et nous
donna beaucoup de matériel, des livres et aussi des revues comme
d’Informations Correspondance Ouvrières (ICO) qui éditait des
textes ultra-gauches mais d’une manière plus vulgarisée avec des
explications et des résumés. On tomba d’accord sur notre venue
une ou deux fois par an. Il était surpris qu’on cherche des textes
situs et de savoir qu’on en ait déjà lus.
El Rubio : Santi était celui qui discutait avec Barrot de thèmes qui
se traitaient dans le mouvement ouvrier. ■ Entretien avec Sergi
Rosés.
Queso/Jordi : Barrot est très important durant toute l’existence
du groupe et sur tout notre parcours. Il était un référent théorique
et Guillaume qui avait aussi des contacts était plus actif et s’occu-
pait de la librairie. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

La Vieille Taupe (VT) est une librairie ouverte en 1965 à Paris,


par Pierre Guillaume. Après avoir fréquenté le groupe qui édite la
revue Socialisme ou Barbarie, ce dernier devient membre de Pou-
voir Ouvrier, groupe d’ultra-gauche créé en 1963. De 1965 à sa fer-
meture en décembre 1972, la librairie est l’une des plaques tour-
nantes de l’ultra-gauche européenne. Pour un habitué, la librairie
est « animée par une collectivité théorique, c’est un lieu de ren-
contres, de débats, de diffusion des écrits de Marx, de Bakounine,

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de la gauche communiste, de Rosa Luxemburg (10) à Pannekoek (11)


en passant par les révolutions allemandes des années 1920 et
espagnoles des années 1930 ».
Un des animateurs qui aura un rôle dans la formation des
idées du MIL, est Jean Barrot, de son vrai nom Gilles Dauvé. Il
sera à la librairie jusqu’à sa fermeture. Ensuite, il fera partie du
groupe Le Mouvement Communiste qui publie six numéros de la
revue du même nom, entre courant 1972 et octobre 1973. Il est
aussi l’auteur de divers ouvrages sur la gauche communiste.
Lors de quelques échanges épistolaires, Barrot nous dit, tout en
reconnaissant qu’avec le temps les souvenirs s’estompaient, qu’il ne
se souvient pas des rencontres de l’été 1970 et de 1972 à Paris, ni
de celles de mars et d’avril 1971 à Barcelone (venue d’un ou des
membres de la Vieille Taupe). Selon lui, la VT connaissait mal le
MIL à la fois dans sa pratique et ses individus car elle était un lieu
ouvert où passaient des gens de tous pays, et, entre autres, des
Espagnols. Son attitude était d’aider les groupes qui existaient
mais ces derniers en savaient souvent plus sur ceux de la Vieille
Taupe que l’inverse.
La Vieille Taupe sera réouverte par Pierre Guillaume en 1980
et animée par lui seul, pour devenir l’un des lieux du négation-
nisme et du révisionnisme au sujet des chambres à gaz et de l’ex-
termination des juifs pendant la seconde guerre mondiale (1939-
1945).

À la fin de l’été à Barcelone, est publiée la brochure Dicciona-


rio del militante obrero (Dictionnaire du militant ouvrier). Elle
est écrite par José Antonio Diaz et d’autres militants ouvriers de
Plataformas comme le Rubio ou le Chato et signé « Comisiones
obreras Nuestra Clase ». Elle est imprimée en France avec la men-
tion sur la seconde page : « Equipo Exterior Nuestra Classe ».
L’introduction de la brochure porte la même signature.

10 – LUXEMBURG Rosa (1871-1919), née en Pologne, naturalisée allemande.


En 1918, elle est parmi les fondateurs du KPD (Parti Communiste d’Alle-
magne). Elle participe au mouvement spartakiste.
11 – PANNEKOEK Anton (1873-1960), de nationalité hollandaise, astro-
nome, il est l’un des théoriciens du communisme des conseils.

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Ce Dictionnaire marque les débuts de la collaboration des


trois collectifs que certains nommeront plus tard les trois équipes.

El Rubio : J’ai participé avec le Chato à quelques explications de


noms du Diccionario del militante obrero, par exemple le mot
moto. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
El Petit : Un leader ouvrier (Diaz) proclamé écrivain voulut qu’on
édita Dictionnaire du militant ouvrier. Ce texte n’était pas très
bon mais bien sûr nous ne l’avons pas censuré, on se limita à l’amé-
liorer. Le projet était très intéressant mais il avait un ton populiste
avec quelques plaisanteries et de grandes lacunes. On lui demanda
l’autorisation pour ajouter quelques paragraphes, il en fut enchanté.

GRÈVE GÉNÉRALE À HARRY WALKER

En cette fin d’année, un événement va être un tournant dans


les activités, d’abord pour le mouvement ouvrier espagnol et
ensuite pour les divers collectifs, notamment l’ET, l’EO et l’EE : du
16 décembre 1970 au 15 février 1971 éclate la grève d’Harry Wal-
ker. Une grève où les travailleurs démontrent leur capacité à agir
et à s’auto-organiser. Cette grève sera un point de référence dans la
campagne de solidarité à partir de fin 1973 pour montrer les liens
entre le MIL et le mouvement ouvrier.
L’essentiel de nos informations provient de divers documents
et du livre : Harry Walker- 62 días de huelga édité à Barcelone en
juin 1971 et signé « Trabajadores de Harry Walker ».

Harry Walker est une entreprise créée en 1926, située dans le


quartier populaire de San Andrés à Barcelone. En 1970, HW est
une filiale de Solex, groupe international qui a des entreprises
implantées en France, Italie, Grande-Bretagne et au Brésil,
employant 470 personnes qui produisent des accessoires automo-
biles et des carburateurs dont une partie à la chaîne. Lors de l’as-
semblée du 18 décembre 1970, les travailleurs décrètent la grève
générale avec occupation de l’usine. Depuis plusieurs mois une
agitation règne dans l’entreprise avec diverses protestations :
« Nous travailleurs de Harry Walker (Solex Barcelone), nous
nous adressons à toute la classe ouvrière pour expliquer notre

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lutte et notre situation. Il n’y a que la solidarité de notre classe


qui peut nous aider à triompher.
À l’action des travailleurs contre les mauvaises conditions de
travail (fumées, cadences, bas salaires et surveillance de la
maîtrise) pendant les mois de septembre, octobre et novembre
1970, la Direction réplique par une action répressive brutale qui
se traduit par dix-neuf mois de mise à pied pour plusieurs
camarades… Toutes ces sanctions, ajoutées aux mauvaises
conditions de travail (insécurité, toxique, manque total d’égards,
cadences pénibles) et aux bas salaires qui nous obligent à faire
douze heures par jour, nous ont fait comprendre que la seule
façon de freiner cette exploitation était la lutte organisée. »
■ Extrait d’un tract diffusé en France.

Début décembre, des assemblées générales très courtes se


tiennent dans l’usine et à l’extérieur dont certaines sont en soli-
darité avec les membres d’ETA jugés par un Conseil de guerre à
Burgos, tribunal militaire qui va confirmer les peines de mort
annoncées. Le 13 décembre, lors d’une réunion clandestine, les
vingt-huit personnes présentes décident d’un mouvement pro-
gressif de grève et la création d’un Comité Unitario de lucha (CU)
qui représente dans sa composition toutes les tendances politiques
présentes dans l’usine. Les syndicats n’existent pas à HW mais on
y trouve divers groupes comme le PCE(i), Proletario (une organi-
sation communiste de tendance trotskiste) ou AC. Le courant le
plus représentatif dont la plupart des membres ne sont affiliés à
aucune organisation politique, est celui qui signe les textes Tra-
vailleurs d’Harry Walker. Ce CU, clandestin, sans pouvoir de déci-
sions concernant l’évolution et les orientations du mouvement, est
chargé de réaliser et d’organiser les diverses tâches (informations,
coordinations, piquets de grève, etc.) décidées par les grévistes.
L’assemblée devient l’organe directeur de la grève, malgré les ten-
tatives de prendre la direction du mouvement par des groupus-
cules, à l’exemple de Proletario (CHE-CHO). Ce dernier est exclu
du CU. Des assemblées générales ont lieu à maintes reprises.

« Nous avons commencé à faire des assemblées toutes les


semaines, qui sont devenues quotidiennes, avec des débrayages

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de 15, 30, 40, 60 minutes. Tous unis en assemblée, nous étions


forts. L’entreprise a fait appel à la police, son chien de garde,
pour stopper notre lutte solidaire.
Aux assemblées la Direction répond par des mises à pied, aux
mises à pied nous répliquons par de nouveaux débrayages.
Puis la Direction licencie neuf camarades, nous avons alors
répondu par la grève.
Le 18 décembre 1970, la Direction licencie encore quatre cama-
rades — Notre réponse : occupation de la boîte et grève générale
jusqu’à la levée des sanctions. La police arrive avec deux cars,
cinq jeeps et huit chevaux. »

Après l’intervention policière qui expulse les grévistes de


l’usine, le reste du conflit se déroule à l’extérieur de l’entreprise.
Plus de vingt assemblées se tiennent entre le 20 décembre et le
13 février 1971, avec une assistance moyenne de cent soixante-dix
à deux cent trente ouvriers. Deux types d’actions sont menées par
les grévistes : celles de masses où le plus grand nombre est invité à
participer, et celles d’actions commandos. Les premières, décidées
et organisées lors des assemblées, sont des manifestations ou des
rassemblements dont certains avec l’appui des Plataformas et des
Comisiones de quelques entreprises. Les secondes, uniquement
avec quelques ouvriers pour éviter une infiltration policière, consis-
tent à empêcher les travailleurs non grévistes (los esquiroles) de
pénétrer dans l’usine, en les intimidant, en rossant les plus repré-
sentatifs comme par exemple le chef du personnel, ou en s’atta-
quant aux biens de l’entreprise comme ce fut le cas à trois reprises
contre des bureaux ou des vitrines d’exposition de la marque.
Pour faire face à la répression et créer un rapport de force, les
grévistes et leurs amis veulent rompre le silence des médias et
informer la population de Barcelone. Ils diffusent des milliers de
tracts pour étendre la lutte sur Barcelone et en Espagne. Mais cela
ne se produit pas malgré les contacts établis avec d’autres usines
en grève.
Cependant, apparaît un vaste élan de solidarité, aussi bien
financier (organisation de collectes) que politique, à Barcelone
mais également provenant de France, d’Italie, de Suisse et d’Alle-
magne. À Barcelone, il vient des gens de la rue, du quartier, des

35
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comités d’entreprises, des Plataformas, des étudiants et de divers


groupes sans aucune étiquette politique. Les travailleurs de Solex-
France et ceux de Solex-Zenith en Italie boycotteront l’envoi de
pièces à HW. Invitée par le syndicat français CFDT (rien à voir avec
celui des années 2000) à témoigner de leur lutte, une délégation de
grévistes d’HW se rend à Paris et à Nantes. Ils y rencontrent les
travailleurs de l’entreprise métallurgique Batignolles (du groupe
Creusot-Loire/Schneider) en grève, depuis plusieurs jours, confron-
tés aux mêmes conditions d’exploitation. Par la suite une déléga-
tion de Batignolles se rendra à Barcelone pour participer entre
autres à une assemblée organisée par ceux d’HW à laquelle assis-
tent des ouvriers d’autres entreprises espagnoles.

Malgré tout, le mouvement s’étiole à HW. Les divergences


s’accentuent au sein du CU qui se dissout le 6 février. Le 13 février
lors d’une assemblée, les grévistes prennent connaissance de la
liste des dix-neuf nouveaux licenciés, dont la majorité participait
activement à la grève. La décision est prise de mettre fin au mou-
vement et de reprendre le travail le 15 au matin. C’est ce qu’ils
font… en présence de la police.
Pendant les soixante-deux jours qu’a duré la grève, trente-
trois ouvriers seront licenciés dont six incarcérés pendant quelques
jours.

Les trois équipes (ET, EO et EE), comme de nombreux noyaux


barcelonais, participent à cette lutte en popularisant la grève et en
contactant d’autres entreprises en dehors du pays. Manolo Murcia,
comme représentant du CU, le Chato et un autre ouvrier comme
délégués d’usine effectuent un voyage à Paris en compagnie de
Montes. Ils y rencontrent Oriol et se distribuent les tâches, d’autres
vont à Nantes ou à Turin.
Le texte collectif « ¿ Qué vendemos ? ¡ Nada ! ¿ Qué queremos ?
¡ Todo ! » (Que vendons-nous ? Rien ! Que voulons-nous ? Tout !) est
diffusé pendant la grève à l’entreprise Harry Walker.

El Petit : « ¿ Qué vendemos ?... » essaye de résumer les positions du


Manifesto jusqu’abutista. Pour cette grève, nous pensions que la
démarche des trois équipes avait donné des résultats. La circula-

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tion de textes conseillistes et assembléistes avait donné un nou-


veau type de grève sauvage non seulement en marge des sigles
mais aussi contre eux, des ouvriers brûlèrent des tracts de CHE-
CHO/Proletario, les seuls qui se présentaient aux assemblées en
tant que parti avec un sigle. L’EE avec son infrastructure tech-
nique imprima des tracts, se déplaça en Europe et présenta des
représentants d’autres grèves sauvages à ceux d’Harry Walker. La
Vieille Taupe nous mit en contact avec des grévistes de Bati-
gnolles à Nantes. L’EO joua le rôle d’amphitryon et était présente
au sein du Comité Unitario. Pour nous, HW était l’archétype du
mouvement ouvrier radical. C’était un mouvement sans sigle qui
dépassait ses dirigeants de toujours et comptait sur un réseau
international (France, Italie) de solidarité. On se sentait fiers d’y
avoir participé.
L’apport à la grève d’Harry Walker fut la réunion des collectifs
ouvriers, de l’infrastructure technique de l’EE (impression, voyages)
et des contacts internationaux de l’ET (Vieille Taupe, Lotta Conti-
nua) qui se sont retrouvés efficacement dans une même tâche.
Que se lient un comité de grève et une imprimerie n’a rien d’ex-
traordinaire mais qu’en plus il y ait des contacts internationaux et
les moyens pour amener à Harry Walker une délégation d’une
grève sauvage française, Batignolles, nous semblait très promet-
teur si cette dynamique pouvait se généraliser. L’ET n’était pas
dans le Comité Unitario mais il nous importait de réussir à faire
surgir de nouveaux Harry Walker (chose que nous n’avons pas
réussie).
El Chato : La grève d’Harry Walker fut une grève très personna-
lisée avec José Antonio et Murcia malgré les avertissements que
nous leur avions donnés.
Sebas : Durant la grève, à Lyon, Oriol a organisé une réunion sur
la solidarité avec HW. Je sais que des camarades sont allés à
Milan pour rencontrer des ouvriers de l’usine du même groupe, il
existait un contact avec Lotta Continua. À Paris, ils sont allés à
Solex où un mouvement de solido a été organisé par les ouvriers
des chaînes. Moi-même, je suis allé chercher un camarade basque
du front ouvrier d’ETA VI qui représentait les ouvriers en grève
d’une usine de Navarre, pour qu’il puisse rencontrer ceux du
Comité d’HW.

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■ 1971

À Toulouse, en janvier, Oriol (EE de Nuestra Clase) préconise


la nécessité de créer une structure de lutte armée. L’EE devient le
1000. Cette orientation est relatée, en 1972, dans le document
écrit par Oriol, « Dos anys de resistencia ». Est-ce que l’ET était au
courant de cette idée d’Oriol et de cette réunion de janvier 1971 ?
En tout cas, en juillet 1973, lors de la rédaction de « ¿ La historia
nos absolvera ? », le Petit et Montes ne tiennent pas compte de ce
changement d’appellation et continuent à les nommer Equipe
Extérieure.

Pendant l’année, de nombreux textes sont publiés à Barcelone :


– Europa salvage : estudio sobre el movimiento de huelgas sal-
vajes en Europa en la segunda mitad del siglo XX (Europe sauvage :
étude sur le mouvement de grèves sauvages en Europe dans la
seconde moitié du 20e siècle).

El Petit : C’est la traduction d’un extrait d’une brochure (d’ICO, je


crois). L’ET en a fait les corrections orthographiques et en a amé-
lioré le ton et le choix du titre. La référence aux GOA vient du fait
qu’ils l’ont rééditée quand ils ont vu qu’ils risquaient de perdre du
terrain. Ensuite on en a traduit d’autres, parfois sans signature ou
signées par ceux d’EO (GOA).

– La lucha contra la represión : la policia y sus métodos, las


medidas de seguridad, la contra-represión (La lutte contre la
répression : la police et ses méthodes, les moyens de sécurité, la
contre répression). Brochure collective avec des écrits principale-
ment de Diaz, avec la collaboration d’Oriol et de diverses per-
sonnes. Elle est éditée et diffusée en mars par Plataformas à Bar-
celone, mais imprimée en France à l’initiative d’Oriol. Il y aura une
seconde édition de ce document mais en langue catalane, publiée en
1972 par un autre groupe.
– Boicot : elecciones sindicales : no a la legalidad burguesa
(Boycott des élections syndicales : non à la légalité bourgeoise). Bro-
chure écrite et éditée par l’EE à Toulouse, en mars, avec comme
seule signature sept fusils alignés barrés du chiffre 1000. Il est pré-

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cisé dans la brochure que cette dernière a été imprimée : « avec du


matériel spécialement « socialisé » par un commando du 1000 ».
Elle doit être diffusée au sein des entreprises à Barcelone et
ailleurs, pour convaincre les travailleurs de refuser ce type de vote
parce qu’il favorise, entre autres, la bureaucratisation syndicale.

Les élections des délégués de la Central nacional sindicalista


(CNS), organisées par la dictature, doivent avoir lieu en mai 1971.
Ce syndicat d’obédience fasciste, dit Vertical, créé en 1938 par
l’État, est le seul autorisé où les patrons, les cadres et les
ouvriers de la même profession s’y retrouvent. Les adhésions sont
imposées et la cotisation déduite du salaire par l’employeur.
Le PCE et des dirigeants des CCOO appellent les travailleurs
à y participer. Malgré ces requêtes, les ouvriers en majorité vont les
boycotter. Divers courants politiques comme Plataformas, à travers
leurs propres médias, appellent à le faire.
Un désaccord survient au sujet du contenu de « Boicot… »
entre l’EE et l’EO (Murcia/Diaz) à propos des fusils comme signa-
ture et de la recette sur la fabrication de cocktails Molotov.
Connaissant Oriol, l’EO se doute que ce ne sont pas de simples
illustrations mais des références à la lutte armée qu’elle refuse.

Sancho : Sur cette dernière apparaît pour la première fois le sigle


1000 avec sept fusils verticaux et la devise « Ma patrie c’est mes
frères qui labourent la terre », extraite de la revue cubaine Grama.
La raison de cette signature est due à un désaccord au sein du
groupe Nuestra Clase.
El Petit : Le groupe technique publia la brochure Boycott des élec-
tions syndicales qu’il signa avec quelques fusils et le chiffre 1000,
pour suggérer que l’on n’était pas aussi peu nombreux que l’on
pourrait croire. Elle n’a pas plu à l’EO car cela leur semblait une
interférence bien qu’ils le disculpèrent par amitié. Elle fut à peine
distribuée.
El Chato : Avec le Rubio et Dolors Torrent nous avions rencontré
Oriol à Perpignan. Ils nous avaient donné des exemplaires de Boy-
cott des élections syndicales. Ensuite nous avons poursuivi notre
voyage jusqu’à Paris. Nous sommes allés à la Vieille Taupe et
ailleurs.

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En France, trois membres du 1000 sont interpellés le 25 mars,


dans un véhicule dérobé alors qu’ils s’apprêtent à passer les Pyré-
nées avec des exemplaires de la brochure, Boycott des élections syn-
dicales. Oriol est incarcéré à la prison de Perpignan.

Une fois terminée la grève d’Harry Walker, le comité respon-


sable de l’ET signe le texte « Notas para un análisis del conjunto de
« nuestra tendencia » y sus perspectivas » (Notes pour une analyse
de l’ensemble de « notre tendance » et de ses perspectives). Il se
veut un bilan critique des forces en présence au sein des entre-
prises.
Daté du 21 avril 1973, il parle de la situation des trois équipes,
jusqu’en 1971. Or, entre cette date et avril 1973, l’histoire s’accélère
avec des événements suffisamment importants pour que l’ET les
signale, ce qui donne à penser que l’essentiel du texte a été écrit
courant mars, avril 1971. Dans ce cas, pourquoi cette date ? Est-ce
une erreur lors de la traduction ?

El Petit : Pour la signature, on utilise l’euphémisme « Nuestra ten-


dencia » au lieu du sigle MIL. Ce qui reflète la position bibliothèque
(ma position). Le projet de bibliothèque doit dater de cette époque,
passer de publier des choses isolées et sporadiques à une plus
grande régularité.

« ...Un fait imprévisible a précipité les événements et avec


eux le processus en question : la grève de l’entreprise Harry
Walker. Pendant quelques mois, les efforts de chaque équipe et
de leur ensemble convergent vers un même centre, qui est la
lutte de la classe ouvrière. L’EO occupe donc une position
encore plus privilégiée que de coutume car l’événement a lieu
dans son champ d’opération. Pendant des mois, cette équipe
croit que le processus d’unification est dûment réalisé par une
simple action axée sur l’immédiat : par la grève de Harry Wal-
ker qui, effectivement, a permis de l’envisager sans arriver à le
faire naître. C’est au moment où la grève finit, comme toutes
les grèves, et où l’on procède à un bilan rapide des expériences,
que l’euphorie passagère qui avait pour centre la lutte à la base
chez Harry Walker s’évanouit ; on voit s’ouvrir, dans ce pro-

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cessus spontanément accéléré, une crevasse qui ne peut être


comblée que politiquement, par l’assimilation unifiée de l’ex-
périence et de la praxis de toutes les équipes, considérées
comme un tout…
…Nous considérons qu’il existe aujourd’hui les éléments théo-
riques et matériels suffisants pour entreprendre un pressant
travail de mise au clair du mouvement ouvrier grâce à des
publications, en créant des bibliothèques, en ouvrant des
débats, etc. » ■ Extrait de « Notas para un análisis del
conjunto de « nuestra tendencia » y sus perspectivas ».

L’ET veut une analyse politique et lance le projet de biblio-


thèque, souhaitant l’unification des différentes équipes. Pour José
Antonio Diaz et d’autres, il n’a jamais été question d’unification,
tout au plus de collaboration, plus particulièrement pour l’édition
du Diccionario (Dictionnaire) publié en août 1970. Le livre …Pero
hay quienes luchan toda la vida, esos son los imprescindibles
(…Mais il y a des gens qui luttent toute la vie, eux sont les indis-
pensables), va dans ce sens. Cet ouvrage, écrit collectivement en
souvenir de Diaz et publié après 1985, s’insurge contre l’affirmation
de cette unification reprise a posteriori dans divers ouvrages et
articles et il n’est pas tendre avec les membres du MIL. Excessif ou
simplement réaliste, il est révélateur du décalage et des désaccords
théoriques entre le groupe d’ouvriers et la vision du Petit :

« ...Le MIL est un groupe armé de jeunes confus dont la


moyenne d’âge n’atteint pas les 25 ans. Les plus connus sont
issus de la bourgeoisie barcelonaise et sans lien personnel
durable avec le monde du travail. C’est l’exemple-type du
groupuscule volontariste. Ils prétendaient se présenter comme
un appui de la classe ouvrière, en réalisant des actions armées
d’expropriation et comme une « équipe théorique », capable de
montrer le chemin vers l’autonomie de la classe. Bizarre auto-
nomie de la part de libérés qui se consacraient à l’élaboration
de théories, loin des lieux comme l’usine, les quartiers, etc, où
sont brûlants les problèmes qu’ils comptent résoudre…
Nous affirmons énergiquement que les Plataformas, les Cir-
culos ou les GOA, durant les années 1970 à 1972, n’eurent rien

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à voir, au niveau organisationnel avec les futurs MIL à l’ex-


ception du service à titre personnel de l’impression du « Dic-
tionnaire ». » ■ Cité dans El MIL : una historia politica, p. 85.

El Petit : EO (Diaz/Murcia) prit ses distances, elle ne voulut pas


rencontrer les gens de la Vielle Taupe qui étaient venus à Barce-
lone pour nous voir en avril 1971. Je crois que sont venus Denis
Authier et/ou Pierre Guillaume. Ce n’est pas une rupture ET-EO si
ce n’est qu’on pouvait se passer de se connecter avec GOA puisque
nous le faisions avec Plataformas. Nous n’étions pas toujours d’ac-
cord mais nous unissions nos efforts. C’est-à-dire qu’ils ne partici-
paient pas seulement à la distribution.

Après l’éclatement des Circulos de formación de cuadros en


novembre 1970, Murcia et Diaz rompent avec les Comisiones obre-
ras, prennent du recul vis-à-vis de Plataformas et de l’ET et sont à
l’origine de la formation des Groupes ouvriers autonomes (GOA)
dont l’apparition publique se fait en mai-juin

El Rubio : Les GOA vont naître avec la grève d’Harry Walker. Ils
seront 20 à 30 personnes. Chato et moi n’avons jamais fait partie
des GOA. Plataformas, c’était deux cents personnes dans une dou-
zaine d’entreprises. Avec le Chato, nous participerons jusqu’à la fin
aux Plataformas. Elles vont disparaître en 1975. ■ Entretien avec
Sergi Rosés.

Pour l’évolution des différents groupes, notamment les GOA


qui vont cesser d’exister au milieu de l’année 1973 et les relations
entre l’ET et le mouvement ouvrier de Barcelone ou avec la Vieille
Taupe, on ne peut que renvoyer au livre de Sergi Rosés, El MIL :
una historia politica, qui se livre à une étude minutieuse à partir
des documents et de divers courriers avec les intéressés.

Cependant, pour l’ET, les liens ne sont pas rompus avec le


monde ouvrier, elle est en contact étroit avec des membres de Pla-
taformas notamment le Rubio et le Chato. Plataformas, qui

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depuis début janvier 1971, éditent un nouveau journal El boletin :


plataformas de las Comisiones Obreras, publié à mille exem-
plaires. En 1972, Plataformas s’appuyant sur le texte « Manifiesto
de trabajadores anticapitalistas » s’appellent dorénavant Plata-
formas anticapitalistas ou Plataformas de trabajadores anti-
capitalistas.

El Petit : La différence entre les GOA et les Plataformas : ces der-


nières étaient autonomes. Elles s’appelaient Plataformas antica-
pitalistes, elles venaient du secteur radical des Circulos de forma-
ción de cuadros, lancées initialement par les GOA. Ce n’était pas
une organisation avec un leader mais un ensemble de divers
noyaux qui s’interconnectaient plus ou moins et qui cherchaient
des contacts avec des groupes locaux autour de publications locales
ou de quartier. C’est la différence entre l’EO et le noyau d’une
future EO (Plataformas).
El Chato : Murcia et Diaz étaient là seulement au début. Très vite
ils se sont non seulement éloignés, mais ils vivaient très mal l’his-
toire du MIL, surtout José Antonio. Ils ont fait quelques trucs
ensemble. Les relations ont duré un certain temps avec la publi-
cation du livre sur Blansol. Sur le départ de Diaz et Murcia, je sup-
pose que c’est au début par idéologie, une fois montée l’infrastruc-
ture des GOA (machines à imprimer). Le risque les fit se désister et
ils rompirent avec Oriol. Fondamentalement, la question théorique
était de Santi Soler, c’est lui qui était le plus impliqué.

D’autres publications voient le jour à Barcelone entre avril et


septembre :

– Proletariado y organización (Prolétariat et organisation)


écrit de Cardan. Texte, traduit par l’ET et édité par Plataformas,
sans signature.
– Como luchar contra los cronometrajes (Comment lutter
contre les chronométrages). Texte écrit et édité par Plataformas,
sans signature. C’est le Rubio qui rédige ce texte suite à son expé-
rience comme chronométreur.

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– Partido y clase obrera (Parti et classe ouvrière) écrit de Pan-


nekoek. Traduit par l’ET et édité par Plataformas, sans signature,
en avril 1971.
– Manifesto jusqu’abutista (Manifeste jusqu’au-boutiste) ou
Revolución hasta el fin (Révolution jusqu’à la fin) est en fait le
Mamotreto (Manuel à l’intention des ouvriers) dont l’élaboration a
débuté en 1970. Texte écrit par l’ET avec la collaboration de l’EO
sur sa première partie. Imprimé par l’EO avec du matériel dérobé
par l’EE.
– La lucha de Santa Coloma (La lutte de Santa Coloma). Texte
écrit par la future EO mais édité et signé par les GOA.
– Los consejos obreros en Hungría (Les conseils ouvriers en
Hongrie). Texte traduit par l’ET et édité par les GOA en juillet à
Barcelone.
– La lucha contra la exploitación (La lutte contre l’exploita-
tion). Édité par Les GOA.
– Notas para un análisis de la revolución rusa (Notes pour une
analyse de la révolution russe). Textes de Jean Barrot publiés en
France en 1968. Traduits par l’ET et édités par les GOA.

El Petit : Le texte de Cardan pourrait bien procéder d’un bouquin


de Ruedo Iberico dont on aurait choisi un chapitre en le présentant
comme une traduction. N’oublions pas qu’à l’époque Ruedo Iberico
avait sorti aussi une anthologie de textes de Claude Lefort. L’ET
préférait ce dernier.

Henri Simon a bien voulu nous éclairer sur les éditions de cette
période. Il a été membre du groupe Socialisme ou Barbarie (SB)
jusqu’en 1958, puis l’un des animateurs d’ICO jusqu’en 1973 et
actuellement, en 2006, d’Échanges et Mouvement qui publie la
revue Échanges et le bulletin Dans le monde une classe en lutte.

Henri Simon : Ce texte est traduit de Socialisme ou Barbarie


n° 27 (avril/mai 1959) et n° 28 (juillet/août 1959). L’auteur Cardan
est un pseudo de Castoriadis. À l’époque, le groupe Socialisme ou
Barbarie venait d’éclater précisément sur la question du parti
révolutionnaire entre, schématiquement, les autoritaires (dont
Cardan) et les anti-autoritaires (dont j’étais) sur la base également

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d’une analyse du gaullisme. Le texte de Cardan/Castoriadis reflète


sa position d’alors. S’il a évolué ensuite sur la base d’un abandon
total du marxisme (ce qui a occasionné une nouvelle scission en
1963), il n’a jamais pourtant été très clair sur cette question de l’or-
ganisation, affirmant d’un côté l’impératif de l’autonomie mais de
l’autre, la nécessité d’une organisation. Mais le texte en question
avait une forte connotation autoritaire. (Castoriadis est décédé en
décembre 1997).
Le texte de Pannekoek figure dans l’ouvrage Pannekoek et les
Conseils ouvriers de Serge Bricianer (éditions EDI) dont la pre-
mière édition remonte à 1969. Il est publié dans le n° 15 de mars
1935, de Ràtekorrespondenz, organe théorique et de discussion
du groupe des communistes internationalistes de Hollande ; bien
que signé Pannekoek, il est mentionné qu’il fut rédigé dans le
cadre d’une discussion sur l’avenir du nouveau mouvement ouvrier.
Le texte, comme Pannekoek, est résolument anti-autoritaire, n’as-
signant aux groupes que des tâches de discussion et d’élaboration
à destination des travailleurs et en aucun cas cherchant à fixer des
tâches ou programmes. Pannekoek est considéré comme le princi-
pal théoricien du communisme de conseils après avoir été dans la
gauche de la sociale démocratie avant 1914, avoir critiqué fonda-
mentalement le léninisme et soutenu le mouvement des conseils
allemands dont il tira l’essentiel de ses théories.
El Petit : Manifesto jusqu’abutista est un texte interne : c’est pour
cela que nous ne nous sommes pas préoccupés de lui trouver un
titre en castillan. Texte de cinquante pages écrit par l’ET, c’est
une critique du léninisme. Il y avait des suggestions de tout le
monde et pas seulement des rédacteurs de l’ET. Il était question de
faire le point sur le chemin parcouru quant à nos positions avant de
faire un pas de plus dans la radicalisation théorique, sinon il y
avait le risque d’oublier notre point de départ et de reculer au
lieu d’avancer. C’était un compromis consensuel de la part de tous.
Je ne connais pas la date de sa parution et encore moins s’il fut
édité sous le titre de Revolución hasta el fin.
L’ouvrage Les conseils ouvriers en Hongrie appartient à la même
époque des éditions GOA qui éditent ce texte mais cette fois sans
en avertir l’ET. II s’agissait d’un texte court et avec pas mal de
confusionnisme. Rien à voir donc avec Socialisme ou Barbarie.

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H. Simon : II est possible que ce texte provienne soit d’une bro-


chure de Socialisme ou Barbarie, L’insurrection hongroise (supplé-
ment au n° 20 - décembre 1956), soit de textes parus à la même
époque dans la revue Socialisme ou Barbarie ou d’une brochure du
groupe anglais Solidarity Hungary 56 - Andy Anderson (plusieurs
rééditions à partir de 1964 et une traduction française après 1971
par Échanges mais diffusée par Spartacus). Il y eut aussi, après
1956, beaucoup de textes sur les conseils ouvriers hongrois et,
sans le texte, difficile de dire d’où provient cette édition.

Rencontre du Petit avec Salvador Puig Antich dit « El Metge »,


« Gustavo » ou « Le diplomate » (surnom donné par Maria Mom-
biola) et Jordi Solé Sugranyes dit « Sancho », futurs membres du
MIL/GAC.

El Petit : En 1971, j’ai connu le Metge par Garriga, et Sancho par


Montes et Oriol, bien avant les Français.
Montes : Quand Salvador revient de l’armée, nous n’avions même
pas de nom. Mon frère Oriol était en prison à Perpignan pour l’af-
faire des brochures sur le boycott des élections syndicales. Comme
Oriol, nous considérions que l’opposition démocratique faisait par-
tie du système. Nous pensions aussi que l’extrême-gauche n’était
que l’extrême-gauche du système capitaliste. Nous étions contre
tout ça et, à cette époque-là, nous n’arrêtions pas de penser et de
repenser. Ce fut une période intense de réflexion dans laquelle
nous intervenions tous, surtout Xavier Garriga, Santi Soler et moi.
Salvador et Jordi, mon petit frère, y participaient aussi. Nous nous
réunissions dans l’appartement de Santi, à Badalona. Nous y pas-
sions de nombreuses heures. ■ Extrait de Cuenta atrás.
Sancho : L’appartement du Petit à Badalona et ensuite celui de la
rue Caspe à Barcelone étaient les lieux pour les réunions entre les
trois équipes. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

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■ 1972

LES ÉDITIONS
AVANT CELLES DE MAYO 37

Le projet de la Bibliothèque est mûr. L’ET traduit El derecho à


la pereza (Le droit à la paresse) de Paul Lafargue, Las huelgas en
Polonia (Les grèves en Pologne), La revolución alemania (La révo-
lution allemande). Pour le centenaire de la Commune, la Vieille
Taupe édita une affiche-texte, l’ET la traduit et édite « La Comuna :
Paris 1871, Kronstadt 1921 ou Pologne 1970-1971 ». Avec l’EE, elle
retravaille sans cesse le texte, Estudio economico ou análisis eco-
nomico de España (Etude économique), commencé en octobre-
novembre 1971, qui est édité au mois d’avril 1972.
En décembre est traduit ou écrit (?) le texte « Capital y trabajo »
(Capital et travail) qui sera par la suite édité par Mayo 37. Le Petit
écrit en fin d’année ou début 1973 : « El antiautoritarismo de la
lucha obrera en Barcelona » (L’anti-autoritarisme de la lutte
ouvrière à Barcelone). Texte tamponné par le MIL/GAC, qui serait
une esquisse d’un texte plus complet qui sera publié dans CIA n° 1
sous le nom : « Balance y perspectivas de la lucha obrera » (Bilan et
perspectives de la lutte ouvrière).

El Petit : Le droit à la paresse de Paul Lafargue est une traduc-


tion de l’édition de Maspéro. Il avait été édité aussi par l’ancien
Spartacus, je ne sais pas si c’est avec ou sans préface puisque le
tirage étant épuisé, l’ET a décidé de traduire la version éditée par
Maspéro.
H. Simon : Lafargue, c’est le gendre de Marx et un des fondateurs
du Parti socialiste français. Sans aucun doute de tendance autori-
taire, il est facile de trouver sa biographie. Le titre du Droit à la
paresse peut créer une certaine méprise car il fut écrit contre l’ex-
ploitation forcenée des travailleurs, demandant pour eux un temps
de repos. Le droit à la paresse a été réédité par Spartacus en 1977 ;
je ne pense donc pas que le texte que vous citez se réfère à cette édi-
tion.
El Petit : Quant au dossier sur la Pologne, il peut provenir soit de
la revue ICO, soit d’un Spartacus signé par ICO (n° 60) avec le titre

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Capitalisme et lutte de classe en Pologne (1970-1971). Le change-


ment des titres était habituel, soit pour les copyrights ou simple-
ment pour les questions de clarté. Le fait que l’ET titre Les grèves
en Pologne serait donc normal.
Cette habitude porte parfois à perdre la référence de source, même
pour le MIL. Ainsi le titre Europa salvaje émane de l’ET. Nous en
ignorons la source, si elle était française, allemande, anglaise…
À l’époque on avait une excellente relation avec Lotta Continua qui
avait d’ailleurs de très bons traducteurs de l’allemand. On ignore
encore ou on a oublié si, à l’origine, c’était un dossier ou un collage.
H. Simon : Les grèves en Pologne peut avoir été traduit soit d’un
premier article paru dans ICO n° 101-102 de janvier-février 1971,
non signé comme tous les articles d’ICO.
El Petit : Les deux textes sur la révolution allemande sont effec-
tivement de très complets dossiers apparus dans ICO : l’ET a pré-
féré les traduire plutôt que traduire le Spartacus Marxisme contre
dictature de Rosa Luxemburg où on laisse encore évidemment
dehors le conseillisme allemand que théorisera vraiment le KAPD
et des tendances proches.
H. Simon : La revolución alemania ainsi que Sur l’organisation de
classes dans la révolution allemande (édité par Mayo 37) peuvent
effectivement avoir été traduits d’ICO qui a publié deux brochures
sur les conseils allemands :
– numéro 42, spécial d’ICO, août-septembre 1965 avec une discus-
sion publiée en supplément au n° 43, novembre 1965 ;
– numéro spécial, supplément au n° 105, mai 1971, « Fondements
économiques du communisme » qui traite également du mouve-
ment des Conseils en Allemagne.
El Petit : Il faut parler un peu des rapports de l’ET avec le maté-
riel fourni par la Vieille Taupe (librairie période 1965-1972 – rien à
voir avec la maison d’édition négationniste autour des années
1980). Dans ses rapports, l’ET laissait de côté Pierre Guillaume et
comptait avec Barrot comme fournisseur de matériel. Il nous a filé
des Cahiers Spartacus presque introuvables, ceux de l’ancienne
époque et les autres de 1’époque de rééditions de vieux matériel
avec de longues préfaces de réactualisation. Il y avait aussi des
anciens Socialisme ou Barbarie (époque P. Chaulieu) que Barrot
préférait à Cardan.

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La Vieille Taupe avait des publications comme ICO ou Révolution


Internationale (¿ Vamos hacia un nuevo 29 ?), d’où sortaient, de
temps en temps, d’intéressants dossiers, Barrot a convaincu l’ET de
s’abonner à ICO et RI qu’on devait recevoir en France.
Barrot nous fournissait aussi des livres situs ainsi que la revue de
l’IS. Il y avait aussi des textes made in Barrot : une revue cyclostyl-
lée Le Mouvement Communiste (après Barrot sortira en 1972 aux
éditions Champ Libre un livre avec le même titre). La revue voulait
rivaliser avec une autre néobordiguiste, Invariance, de Jacques
Camatte. Barrot avait auto-édité, avant Le Mouvement Commu-
niste, le texte Notes pour une analyse de la révolution russe édité
par les GOA, puisque l’ET n’osait sortir un tel pavé.
Les publications avec nom d’auteur mais sans aucune autre réfé-
rence viennent des Cahiers Spartacus, une revue dirigée par René
Lefeuvre (12) en 1946-1948 à Paris. La VT avait le stock, le copyright
et elle avait commencé à rééditer en 1969 quelques-uns de ces
textes épuisés. La VT nous donna quelques exemplaires de ce
fonds. Je me souviens qu’ils n’avaient qu’un seul exemplaire du
Berneri qu’ils nous ont donné pensant qu’il n’était pas intéressant
de le republier. Ce livre nous plut tellement qu’il fut le premier que
nous avons traduit pour la Bibliothèque, donnant son nom aux
Éditions Mayo 37. Ce sont des textes déjà publiés en France, mais
mis en page et avec une préface pour que la ligne éditoriale soit
différente.

Le projet d’éditions est dynamisé par les nombreux contacts


avec l’EE et particulièrement après la sortie de prison d’Oriol en
mai 1972. Le 1000 prend forme de nouveau et change de sigle au
cours des mois suivants et il devient Groupe autonome de combat
(GAC) du MIL. Pour financer ses activités, sa vie quotidienne et

12 – LEFEUVRE René-Joseph (1902-1988) : Militant marxiste révolution-


naire, il exerce la profession de correcteur et participe au contenu de diverses
revues et à leur édition. En 1934, il fonde la revue Spartacus et, en 1936, les
Cahiers Spartacus qui éditent comme premier document : 16 fusillés à Moscou,
de Victor Serge. Un déficit financier stoppe la production. En 1968, il relance
les éditions Spartacus.

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les éditions, ce GAC entreprend à partir du mois de juillet une


série de vols à main armée en Catalogne et exproprie au mois
d’août du gros matériel d’imprimerie à Toulouse. L’ET ne se déso-
lidarise pas de ces pratiques. À ce moment-là, les braquages ne la
gênent pas.

El Petit : Les expropriations étaient seulement un moyen, jamais


un but en soi, une forme d’agitation. Pour ma part, quand le FSF
devint CHE-CHO au nom de la militarisation, je me suis dit que je
ne trébucherais plus sur la même pierre. Des hold-up ou des
actions en général, je ne savais que quatre commentaires de table
de café. Je laisserai sans réponses toutes les questions sur le fonc-
tionnement pratique parce que c’est un sujet auquel j’étais étran-
ger : les contacts, si on se connaissait, les faux noms, les apparte-
ments, les armes, les imprimeries. Pour des raisons de santé, je n’ai
pas pu prendre des responsabilités dans ces choses-là, il n’y en
avait pas besoin.

De son côté, Montes participe même à l’infrastructure du


MIL/GAC sur Barcelone et donne un coup de main pour les hold-
up, sur quoi ironise « Aurore », future membre du MIL/GAC.

Aurore : Montes disait qu’il était trop grand et donc repérable s’il
participait directement à un atraco (hold-up). Il faisait des repé-
rages, avec la Beth, sa compagne. Il se tenait donc toujours en
retrait des « actions directes » (au moins quand je l’ai connu). Pas
du tout le même caractère que ses frères Oriol et Sancho. Autant
Oriol, c’était le style : je fabrique un projet et j’y pars en tête,
autant Montes c’est : je suis le général et je mourrai dans mon lit,
les autres vont au casse-pipe, moi je sais la stratégie.

La deuxième Équipe Ouvrière


Des ouvriers de Plataformas collaborent étroitement depuis
quelque temps avec l’ET, notamment le Chato et le Rubio qui for-
ment la nouvelle mouture de l’EO. Ils désirent contribuer avec
l’ET au projet de bibliothèque, conforme à la conclusion de « Notre
tendance… ». Les deux participeront à Mayo 37.

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El Petit : La nouvelle EO intègre la bibliothèque à la différence de


l’époque GOA. Par exemple, entre les premiers textes de Mayo 37,
il y a un texte sur les luttes dans les quartiers qui est paru dans le
revue Komuna 2. Il a une valeur de témoignage sur les groupes
ouvriers radicalisés autour d’une revue, lesquels pouvaient y voir
une compilation de leurs textes au-delà de leurs espérances. Ce
texte La lucha en barrios nous fut donné par le Chato et le Rubio.
Je les voyais tous les deux une fois par semaine, toujours le même
jour à la même heure et au même endroit, et si on ne pouvait pas
venir c’était reporté à la semaine suivante. On collabora et on
avait en commun cet intérêt pour une bibliothèque.
El Chato : Au début de l’EO, il y avait Juanjo Ferreiro et Diaz, je
crois qu’à cette époque, en 1969, Murcia était en Israël. La première
mouture de l’EO était plus ancienne dans les luttes et plus per-
sonnelle. C’étaient les leaders qui favorisaient cet état alors que
nous étions plus nouveaux, moins avant-gardistes (dans le sens
d’élite d’une organisation) et nous avions des concepts moins spon-
tanéistes, regardant toujours vers le futur. Avec moi, venait Marcelo
(Rubio) qui travaillait alors à Bultaco. Ce groupe s’est maintenu
jusqu’à l’été 1973.
El Rubio : Quand il y a eu la rupture de l’ET/EE avec Diaz, j’ai
connu Santi qui m’a contacté par l’intermédiaire de Quim (membre
de Plataformas de Poble Nou). C’était à l’époque des textes « Mano-
treto » et « Análisis económico » (Étude économique). À cette
époque, j’ai beaucoup de liens avec le Chato et je vais en avoir avec
Santi. Avec lui et le Chato, nous discutons des textes à publier ou
parus.
Nous n’étions pas conscients de l’existence de trois équipes (ET, EE,
EO). Je n’ai pas le souvenir d’une union effective et formelle des
trois équipes. Mais si elles n’étaient pas unifiées, on ne peut nier
qu’à cette époque nous étions très unis. ■ Entretien avec Sergi
Rosés.
El Chato : J’ai connu Oriol à l’automne 1969 dans une excursion
de noyaux ouvriers qui se fit au lac de Banyoles. En mars 1971, lors
d’un voyage à Perpignan, avant d’aller à Paris, Oriol nous avait
donné quelques tracts et une brochure où était écrit 1000 en
chiffres et qui expliquait la fabrication d’un cocktail Molotov. J’ai
commencé à discuter avec les membres du MIL à l’hiver 1971-1972

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pour faire des éditions. Dans ces réunions, est arrivé le Secrétaire
qui à cette époque voulait éditer des livres de Salgari et il a disparu
très tôt. Je ne l’ai pas revu jusqu’en août 1973 à Toulouse. Je ne
voyais jamais l’aîné (Montes) car je n’acceptais pas des réunions où
il était car la sécurité de son côté laissait à désirer et on m’avait
raconté des histoires à son sujet qui ont fait que je n’avais pas de
relations avec lui.
Ils essayaient de monter une imprimerie à Barcelone, ils avaient
déjà les machines que mon groupe gardait dans le quartier de
Pomar à Badalone. Elles devaient être rendues et je ne sais pas si
elles ont atterri au FAC (Frente d’alliberament de Catalunya). Il y
avait une offset, une machine pour les petites brochures, une
machine à écrire IBM, je ne sais plus pour le reste.
Il y a toujours eu des groupes d’ouvriers avec eux jusqu’à la fin. Le
Rubio et moi-même avec Ferreiro et les jumelles, nous avons main-
tenu une relation suivie. Dans le cas du Rubio et moi, jusqu’à la fin
puisque j’étais avec Santi la veille de son arrestation et je suis
même allé chez lui une semaine après pour nettoyer son apparte-
ment.
El Petit : Une série de groupes divers des quartiers ouvriers,
autour de publications qui leur servaient de porte-voix, devait être
le nouveau réseau non unifié des collectifs ou EO (La Commune
Valles Obrero, groupe Berneri, etc) et seraient contactés. On publie-
rait leurs textes et eux distribueraient notre bibliothèque encore
sans nom. Le noyau ouvrier de Besos était des amis personnels,
totalement inconnus du MIL. Ils me donnaient des informations,
me disaient quelles publications avaient du succès, celles qu’ils
n’étaient pas arrivés à diffuser, ce que disaient ceux de Diaz, ceux
de Loro, etc. Ils avaient pris rendez-vous avec ceux de la publication
Valles obrero pour qu’on leur enlève de la tête leurs a priori léni-
nistes, c’était une réunion informelle, je marquais les adresses
dans mon agenda parce que, dans le Besos, il fallait écrire la rue, le
bloc, le numéro de porte, l’étage, le téléphone au cas où tu te per-
dais, c’était un quartier à moitié urbanisé.

Le MIL s’étoffe en octobre avec l’arrivée d’Emilio Pardiñas


Viladrich dit « Pedrals ». Il est né en 1945. À Barcelone, étudiant, il

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milite avec les nationalistes catalans et fait partie du SDEUB. En


1967, il poursuit ses études en France. Il prend part à la révolte étu-
diante de mai 1968. En 1971, à Paris, il est condamné à un an de
prison pour un « braquage » (voir le témoignage d’Aurore, membre
du MIL/GAC). Il est incarcéré plus de trois mois à la prison de
Fresnes et est expulsé de France. De retour à Barcelone, il travaille
aux éditions Redondo. Dans l’appartement qu’il loue avec un ami
espagnol, connu à l’Institut d’études politiques à Paris, il rencontre
et sympathise avec Montes qui l’intègre aux activités du MIL.

El Petit : Pardiñas était un ami de Montes, ils le mirent à l’ET


parce qu’il n’était pas bon pour la chose armée. Il avait une amie
française, apolitique.

À l’automne, l’ET en tant que structure collective de réflexion


n’existe plus vraiment, son seul représentant est le Petit. Le Secré-
taire s’est éloigné, Montes et Pedrals sont plus proches de la dyna-
mique du MIL/GAC que de L’ET. De fait, deux objectifs se dessinent :
la consolidation du MIL/GAC et la mise en place d’une bibliothèque
avec une structure d’édition et de diffusion. Au cours de l’année
1973, la Bibliothèque prend pour nom Mayo 37. Pour orienter et
consolider ce projet, le Petit produit quelques textes à usage interne.
« Tareas politicos-prácticas de una biblioteca socialista »
(Tâches politiques et pratiques d’une bibliothèque socialiste), écrit
en octobre, jette les bases de ce que doit être la bibliothèque. Et au
cours de l’hiver, deux autres textes suivent : « Objetivos de la
biblioteca : cincos temas a cubrir » (Objectifs de la bibliothèque :
cinq thèmes à traiter) et la « Biblioteca Socialista como estrategia
politica » (la Bibliothèque Socialiste comme stratégie politique).

Un texte intitulé « Réflexion sur la bibliothèque », signé Mayo 37,


publié en septembre 1973, fait le point sur les objectifs de la biblio-
thèque en octobre 1972 :
« (...) En résumé, les objectifs politiques que peut arriver à
assurer le fonctionnement d’une bibliothèque, Mai-37, radica-
lement révolutionnaire, sont :

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– renforcer et accélérer la radicalisation qui a lieu actuellement


dans le Mouvement ouvrier à Barcelone, spécialement, dans
Plataformas ;
– neutraliser tous les genres d’ingérences, sectaires et oppor-
tunistes, qui essaient de s’infiltrer au sein de la lutte de
classe, contribuant à la longue à faire entrer en crise ces poli-
tiques ;
– provoquer le regroupement des révolutionnaires, si dispersés
et isolés aujourd’hui, par l’apparition de cellules communistes
qui peuvent disposer de plates-formes théoriques solides et
cohérentes ;
– grouper concrètement certaines cellules sur le travail pra-
tique que demande le bon fonctionnement de la bibliothèque ;
– établir un instrument capable de resserrer les liens entre
révolutionnaires des différentes régions d’Espagne et de leurs
luttes de classe ;
– démontrer la non-viabilité des actions limitées à la légalité
bourgeoise (réformisme) dans un défi permanent à l’establish-
ment ;
– contribuer, dans la mesure de nos possibilités, à l’avance de
la lutte révolutionnaire internationale par une expérience
d’un type nouveau, etc. (…) »

El Petit : Les éditions étaient un objectif présent dès la sortie d’AC.


Avant l’oscillation entre la stratégie militaire et la théorique, on
décida de préparer une série de traductions sous le nom de Biblio-
thèque (jusqu’au début 1973).
La stratégie de l’ET (le projet de bibliothèque) était consensuelle
avec la bénédiction d’Oriol. Son arrestation en septembre avait ral-
longé de quelques mois précieux les publications, son absence
parmi nous, nous laissant à la merci de l’EE dans ce sens que les
partisans de la bibliothèque étaient une minorité (Sancho nous
appuyait mais Sebas non, le Metge ni oui ni non, et Pons idem).
Comme nous ne pouvions pas lancer la bibliothèque en 1972, on a
continué à traduire et à accumuler des textes en attendant Oriol.
Sancho : L’arrestation d’Oriol en septembre 1972 n’a pas retardé
les parutions. Pour nous, le projet des éditions commence dès sa
sortie en juin 1972. En été, Oriol voulait tuer Creix, un ponte de la

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police politique. Santi et le Secrétaire, en désaccord, sont partis.


Sont restés Jean-Marc, Oriol et moi. Salvador était en Suisse.
Quand Oriol tombe, on laisse tomber cette folie et on commence les
éditions plus sérieusement. Les éditions sont préparées fin 1972
avec le matériel d’imprimerie revolé rue de l’Esquille à Toulouse.
Sebas : Je voudrais rappeler qu’avec Oriol et Sancho nous étions
bien tombés d’accord. Nous devions monter les structures poli-
tiques, dont une commune avec les ex de l’Équipe Théorique, ce qui
deviendra Mayo 37, acquérir matos et expériences et ensuite faire
une action précise. Nous devions exécuter Juan Anton Creix.

Un nouveau venu participe aux éditions, Jésus de La Arena dit


« Txus » est un membre du groupe Barnuruntz qui a rompu avec
l’ETA.

Txus : Je suis né en 1948 à Santurtzi près de Bilbao. C’était un


port de mer qui est devenu un port industriel avec un fort pour-
centage d’ouvriers. Toute ma famille est de là-bas à l’exception
d’un grand-père et arrière-grand-père originaires de la Rioja et un
arrière-grand-père qui a eu beaucoup d’importance dans notre
famille et qui était catalan. Tous mes oncles ont participé à la
guerre dès que l’armée franquiste a pointé son nez dans le Pays
basque, ils se sont tous engagés dans l’armée basque. Ce qui a coûté
à ma famille l’expropriation de tous ses biens lorsque la guerre a
été perdue. C’étaient des paysans qui travaillaient beaucoup. Sans
être riches, ils étaient aisés pour l’époque. Ils avaient des proprié-
tés, des terres, des vaches. Tout ça a été exproprié par le fran-
quisme. Mais ce qu’ils n’ont pas pu exproprier, c’est la mémoire que
nous ont transmise mes parents, mes oncles et tout le reste. Ma
famille n’a pas été exilée après la victoire du franquisme ; seul mon
grand-père qui était anarchiste est passé en France. Mon entrée à
l’ETA est la conséquence logique de ce que je viens de dire. On était
éduqué dans le fait qu’on était basque. Quand j’avais dix ans,
j’avais déjà une conscience politique. Donc c’est quand même dans
un milieu avec une histoire basque mais une histoire ouvrière que
j’ai vécu. Ça m’a mené tout de suite à vouloir participer à la lutte
menée par l’ETA. J’en connaissais des membres qui étaient empri-

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sonnés. Dès qu’ils sont sortis, je leur ai demandé de rentrer dans


l’organisation, j’avais quinze ans. Ils m’ont fait participer progres-
sivement. Au début, ils m’ont donné toute la propagande, la litté-
rature de l’ETA ainsi que celle nationaliste en général. À dix-huit
ans, j’étais responsable de la branche militaire dans la Margen
lzquierda de Bilbao. L’organisation de l’ETA était construite de
manière pyramidale comme toutes les organisations secrètes. Dans
chaque petite zone géographique, il y avait une direction locale
composée d’un représentant de la branche militaire, d’un de la
branche politique et d’un de la branche syndicale. C’était nous qui
« dirigions » l’organisation dans la zone géographique. À l’époque,
c’était organisé comme ça dans tout le Pays basque (espagnol).
Après la mort d’un militant de l’ETA, il y a eu de grosses manifes-
tations, c’était en 1968, et en juillet j’ai été fait prisonnier dans une
rafle. Je suis resté sept mois en prison. En 1969, j’ai été libéré en
échange d’une caution et mis en liberté provisoire en attendant le
procès. Avec les charges de propagande et organisation, le tarif était
à l’époque de deux ans de prison pour la propagande et trois ans
pour appartenance à une organisation. J’étais sûr d’être condamné
à cinq ans et certainement plus. Il y avait une règle dans l’organi-
sation, chaque militant qui « tombait » se dédouanait sur ceux qui
étaient déjà en prison ou en exil pour pouvoir bénéficier rapide-
ment de la liberté provisoire et s’échapper. C’était sûr que celui qui
était en taule allait être condamné à nouveau à cinq, à dix ans ou
même davantage de prison supplémentaire. J’ai donc passé la
frontière et me suis installé au Pays basque français. Dès mon arri-
vée, j’ai continué à participer, à vivre la vie politique que tout exilé
a dans son organisation et notamment la lutte idéologique. À
l’époque, on peut estimer qu’à l’ETA il y a deux grands courants,
l’un nationaliste pur et l’autre marxiste avec toutes les nuances que
l’on peut y trouver. Moi j’étais dans le courant marxiste. Je vivais de
mon métier parce que j’avais un diplôme d’infirmier, j’étais marié
avec un enfant.
Quand j’étais en prison, c’est là que je pris contact avec Marx, je
voyais le côté spontanéiste de Marx alors que très peu de gens
tiraient ces conclusions. J’ai évolué dans ce sens, cela me poussait
vers une vision non dogmatique du marxisme. C’est la seule raison
qui explique mon évolution de 1969 à 1972. Pendant cette période,

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je ne sais plus les dates, je participe à la Ve Assemblée de l’ETA,


toujours dans le courant marxiste. Il y a une division qui s’opère
entre ceux qui deviennent postérieurement trotskistes et notre
groupe qui s’appelle Barnuruntz auquel je participe activement. Je
poursuis mon évolution en découvrant les situationnistes, en lisant
Debord et notamment Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes
générations de Raoul Vaneigem.
J’ai quitté l’ETA avec Barnuruntz. En 1972, j’ai publié deux textes
qui sont « Communisme ou léninisme » et « Carta a un cama-
rada » qui règlent les comptes avec le léninisme, la gauche, l’ex-
trême-gauche et tout ce mouvement idéologique. On éditait une
revue avec Barnuruntz et à l’intérieur il y a une partie de mes
textes où l’on voit que c’est la rupture. Cela s’est mal terminé.
El Petit : Sancho devait aller à Bayonne pour voir ceux qui ven-
daient des Parabellums (belges ?) à l’ETA et il m’invita à l’accom-
pagner. Pendant qu’il faisait ses tractations, je pouvais passer la
journée en débats idéologiques avec Barnuruntz chez qui on logeait
près de Bayonne. Ils étaient partis de l’ETA pour des raisons théo-
riques, ils trouvaient que l’ETA n’avait plus que des projets immé-
diatistes, que l’ETA n’avait plus que le plan nationaliste et que
pour cette raison, c’était la dynamique activiste qui les guidait et
non le contraire, le divorce entre leurs actions et la réalité s’ag-
graverait chaque fois. D’après leurs dires, ils voulaient une théori-
sation révolutionnaire différente de celle militariste de l’ETA, du
GRAPO… Je leur ai parlé du projet de bibliothèque et ils m’ont
donné tous leurs bulletins. Je ne savais même pas si c’était un
groupe organisé. Cela fut un week-end bien enrichissant mais je ne
les ai plus jamais revus et ni eu une correspondance avec eux. Je
pensais qu’ils distribueraient nos publications en Euskadi s’il y
avait quelque chose de publiable à Mayo 37. Cependant, j’ai
conseillé à l’EE de leur donner nos publications pour avoir des
contacts avec divers groupes et ainsi essayer d’avoir une implan-
tation au-delà de notre espace habituel. C’était si important que
j’étais prêt à sélectionner des textes de leur revue pour les publier
dans la Bibliothèque. Le temps a manqué et, s’il le faut, nous
n’étions plus en contact.
Txus : J’ai lié des relations suivies avec les Catalans, parce que
j’avais une appétence politique vis-à-vis de leur activité. À la lecture

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de ce qu’ils avaient écrit à l’époque, c’est évident que j’étais dans


leur camp. Ayant rompu définitivement avec l’ETA quelques
années avant avec sa branche nationaliste et postérieurement
avec le marxisme-léniniste, trotskiste et stalinien, pour continuer
à militer il ne me restait plus que l’ultra-gauche catalane, les
anarchistes catalans... étant donné qu’en Euskadi il n’y avait pas
d’anarchistes et au Nord il y avait trois pelés qui ne faisaient pas
un mouvement politique.
Je ne me suis jamais posé la question de rentrer dans cette orga-
nisation qui n’a par ailleurs jamais existé. Le MIL étant une coor-
dination de gens qui agissaient avec des buts bien précis et une
idéologie bien définie, tout au moins en ce qui les différenciait de
l’extrême-gauche espagnole. Au cours de l’année, j’ai connu le Petit
qui a eu une importance, il avait des positions théoriques bien
affirmées, j’ai pu me mesurer à lui et il m’a donné les pistes théo-
riques pour parfaire mon évolution.
À partir du moment où je suis entré dans la dynamique du
MIL/Ediciones Mayo 37, j’ai établi des contacts assidus et suivis
avec Oriol, Pons, Sancho, Rouillan, Puig. Ils venaient chez moi, j’al-
lais souvent chez eux. On faisait des réunions à la frontière. On
allait à Paris pour essayer de trouver des armes. Dès 1972, je par-
ticipe avec eux à la mise en route des Éditions. Ce n’est pas le
groupe Barnuruntz qui collabore, il n’y a que moi qui rentre dans
le projet de la Bibliothèque qui se transformera en Ediciones
Mayo 37.

■ 1973

DE LA BIBLIOTHÈQUE AUX ÉDITIONS MAYO 37

Selon le Petit, le retard dans les publications est dû au long


séjour d’Oriol en prison à Toulouse mais « ¿ La historia nos absol-
vera ? » oublie de signaler les dissensions que crée l’accélération de
l’histoire suite aux hold-up, alors qu’elles sont au centre des débats
en ce début d’année.

El Petit : Je ne voulais pas qu’on continue à parler de Biblio-


thèque et j’ai proposé que l’on donne un nom, Éditions Mayo 37, vu

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que le livre de Berneri serait le premier et son prologue, notre carte


de présentation.
Txus : C’est en lisant un bouquin sur les événements qui se sont
déroulés en mai 1937 à Barcelone qu’est née l’idée de l’appellation
des éditions.

Mai 37 à Barcelone est tout un symbole : alors que la guerre


fait rage, Moscou et l’État républicain mettent tout en œuvre pour
briser et liquider l’élan révolutionnaire qui a éclaté le 19 juillet
1936. Les staliniens, sous des prétextes fallacieux, emmènent les
guardias de asalto reprendre le central téléphonique tenu par les
ouvriers de la CNT. La riposte est immédiate, des barricades se
dressent dans les rues du 3 mai au 7 mai 1937 jusqu’à ce que les
ministres anarchistes appellent à déposer les armes et à reprendre
le travail. Les insurgés de Mai 37 firent preuve d’une redoutable
lucidité, Franco n’était pas le seul ennemi.
Les affrontements provoquent la mort de plus de cinq cents per-
sonnes et plus de mille sont blessées, sans parler de la répression
sanglante qui s’ensuit. Camillo Berneri en est l’une des victimes.

« Camillo Berneri, militant anarchiste italien, a été sans


contredit l’un des combattants les plus lucides et les plus radi-
caux de la révolution qui commença en Espagne le 19 juillet
1936. L’attitude révolutionnaire sans concession dont il fit
preuve aussi bien dans sa revue Guerre des classes que dans
les tranchées du front d’Aragon et sur les barricades de Bar-
celone, a mis en évidence la portée considérable de l’auda-
cieuse lutte entreprise par le prolétariat espagnol et les dan-
gers qui le guettaient. Sa mort entre les mains de la
contre-révolution stalino-capitaliste, en 1937, ne fit que confir-
mer tragiquement la justesse de ses prévisions et de ses mises
en garde. » ■ Extrait de « 1937 guerre des classes - 1973
guerre des classes» , préface de Mayo 37 à la brochure : Entre
la revolución y las trincheras de Camillo Berneri.

La référence à Mai 37 est donc pleine de sens, à double titre :


le nom des Éditions rappelle le dernier assaut du prolétariat espa-

59
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gnol et la réédition de Berneri, la continuité avec la critique du sta-


linisme et de l’attitude des leaders anarchistes. Pour le MIL, le
combat ne se réduit pas à la lutte antifranquiste.

Txus : Cette naissance des Éditions Mayo 37 expliquait les expro-


priations dans Barcelone qui ne pouvaient être que le support à
une activité de distribution pour favoriser l’éclosion de la culture
des prolétaires. Ces éditions étaient la tentative de donner des
éléments de réflexion aux prolétaires qui luttaient.
Il faut se resituer à l’époque où la production de textes révolu-
tionnaires ou même contestataires était inconnue, interdite en
Espagne. On était sous une dictature. On ne savait pas ce qu’était
le marxisme, ni Durruti. On connaissait Lénine parce qu’ils nous
faisaient beaucoup peur avec. Le seul qui avait accès aux prolé-
taires en lutte était le Parti Communiste à partir de ses publica-
tions lamentables. Avec nos publications, on essayait de leur don-
ner accès à des communistes autres que léninistes, notamment
Rosa Luxemburg, Pannekoek ou des penseurs anarchistes tel
que Berneri, etc. On tentait d’ouvrir la culture des ouvriers vers
des chemins d’un communisme authentique, vers une pensée anti-
autoritaire. Notre projet était là, se situer dans un contexte social
de répression et de connaissance théorique des ouvriers. Avec
Mayo 37, on voulait collaborer à cette prise de connaissance et de
culture. Je ne sais plus exactement quand les premiers textes des
Ediciones Mayo 37 passèrent la frontière, avant ou après l’auto-
dissolution. Même s’ils étaient antidatés au moment de l’édition,
il ne faut pas oublier qu’ils avaient été traduits avant et c’était
une manière d’exprimer la continuité de l’action du groupe, de
faire la liaison entre inactivité armée et inactivité de propa-
gande.
Quant au contenu des Mayo 37, il suffit de parcourir les diffé-
rents bouquins pour voir nos buts. Quant à savoir si nous étions
communistes ou anarchistes, il suffit de lire les préfaces pour
chaque revue publiée. Communistes ou anarchistes, tout dépend de
la personne qui écoute ces mots et comment elle les interprète et
peut penser que tantôt on était l’un, tantôt l’autre. On était des
anti-léninistes mais on n’était pas des libertaires dans la signifi-
cation que l’anarchisme a pour les Français. Il n’y avait aucun indi-

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vidualisme chez nous. On n’était pas d’accord avec les anarchistes


français comme avec les vieux cénétistes de la tendance bureau-
cratique et officielle de la CNT. On était pour Durruti et pour tous
ses compagnons, ça c’était évident, on était ses enfants. Chacun de
nous avait des nuances dans sa manière de faire. Il est évident que
le Petit et Rouillan, ce n’était pas la même chose, idem pour
Rouillan et moi. Entre Pons, Oriol ou Antich, il y avait des diffé-
rences. Mais c’était une question de nuances, de mots et d’aspira-
tions profondes. On était tous pour l’abolition de l’esclavage salarié
et de la marchandise, ce qui est la base du programme de la révo-
lution.

Les Éditions Mayo 37 publient et diffusent quatorze brochures


entre 1973 et 1975.

– Entre la revolución y las trincheras (Entre la révolution et les


tranchées) de Camillo Berneri.
– La lucha en barrios (La lutte dans les quartiers) (tomos 1 y
2). Textes écrits par des membres de l’EO et publiés à Barcelone en
automne 1972 par la revue de Komuna 2, réédités en 1973 par
Mayo 37.
– ¿ Qué vendrá después del capitalismo ? (Qui succédera au
capitalisme ?) de Tomori-Balasz. Textes traduits.
– Violencia revolucionaria – Barcelona 73 (Violence révolu-
tionnaire). Contient trois textes « Hacia el comunismo » (Jusqu’au
communisme), « Reflexiones sobre la violencia » et « Victimas de la
represión y victimas de los organizadores de la solidaridad » (une
critique de certaines informations diffusées par le « Comite de
solidaridad – presos MIL ».
– La crisis : ¿ vamos hacia un nuevo 29 ? (La crise : allons-nous
vers un nouveau 29 ?). Texte traduit, extrait de la revue Révolution
Internationale.
– Los consejos obreros en Alemania (Les conseils ouvriers en
Allemagne) d’Anton Pannekoek. Texte traduit.
– Sur l’activité des « Gangsters de Barcelone » – Éléments d’in-
formations. Textes de l’ex MIL et tracts de solidarité, en français,
coupures de presse dont certaines en langue espagnole.

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– Sobre la organización de clase en la revolución alemana –


1920-1921 (Sur l’organisation de classe dans la révolution alle-
mande). Article traduit, extrait de la revue ICO.
– Dossier : Térmica – San Adrián de Bésos.
– Lenin y la revolución (Lénine et la révolution) de Anton
Ciliga. Texte traduit.
– Sobre la organización de clase – Barcelona 1973 (Sur l’orga-
nisation de classe). Texte de Chato.
– Sobre la miseria en el medio estudiantil (Sur la misère en
milieu étudiant) de Mustapha Khayati. Texte traduit.
– Violencia y solidaridad revolucionaria (Violence et solidarité
révolutionnaire) de Jean Barrot. Texte traduit de l’Édition de l’Ou-
bli (avril 1974).
– Jalones de derrota : promesa de victoria (Jalons de la défaite :
promesse de victoire) de Grandizo Munis (13).

El Petit : Entre la revolución y las trincheras était tout simplement


la traduction de Camilo Berneri Guerre de classes en Espagne
(série 1946) des éditions Spartacus. Avec une préface manifeste de
l’ET : « Guerre de classe 1937, guerre de classe 1973 ».
Sébas : Depuis 1971 j’avais descendu plusieurs dizaines d’exem-
plaires de Berneri dans la version espagnole CNT que m’avait
passés le Zapatero. Je me souviens encore de la couverture violette
passée. Donc je ne pense pas que la bibliothèque ait traduit ses
textes puisqu’ils l’étaient déjà.
El Petit : La lucha en barrios fut écrit et publié par la revue
Comune 2. Mayo 37 le sélectionna pour le rééditer dans la Biblio-
thèque, il fut le n° 2 des Éditions et imprimé en même temps que le
Berneri. Ce sont de petites histoires anecdotiques que je sors du
moment où vous me faites parler de Ciliga, Balasz, Pannekoek,
Lafargue. PL Tomori était le pseudo de l’écrivain hongrois Étienne
Balasz qui est devenu Tomori-Balasz dans la réédition (par les édi-
tions Spartacus) des années 1970. Le titre : Qui succédera au capi-

13 – GRANDIZO Munis (1912-1989) : Fondateur, en 1936, de la section espa-


gnole de la IVe Internationale d’obédience trotskiste. Il rompt avec ce cou-
rant en 1948 et se rapproche au cours des années qui suivent des positions
proches de la gauche communiste.

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talisme ? est devenu dans Mayo 37 celui plus clair : ¿ Qué vendrá
después del capitalismo ? et quand Cortade (1000 – Histoire désor-
donnée du MIL) en parle, il retraduit donc Que vendre après le capi-
talisme ? En tout cas, le MIL a vécu une période picaresque lors de
ces publications, mais compréhensible. Pas comparable aux his-
toires de Paris où Pannekoek signe Harper. Castoriadis prend
comme pseudonyme Cardan, Balasz celui de PL Tomori, où Gilles
Dauvé s’appelle Jean Barrot, jusqu’au point où nous ignorons
même comment s’appelait René Lefeuvre (directeur des éditions
Spartacus)… s’il a existé ?
H. Simon : Les Conseils ouvriers de Pannekoek : l’ouvrage a été tra-
duit de l’anglais (il fut écrit directement en cette langue par Pan-
nekoek) en français par un collectif de camarades d’Échanges en
1974 (édition Bélibaste), puis repris plus tard par Spartacus. Mais
des morceaux avaient été publiés antérieurement par diverses
revues. Il est possible que les camarades du MIL aient eu un exem-
plaire de la traduction auparavant car la traduction était prête en
1973 et nous avions démarché différents éditeurs sans succès.
El Petit : Quant à la brochure, Les Conseils ouvriers de Pannekoek,
je suis de l’avis de Henri Simon. Il est probable qu’il soit tiré du
livre de Serge Bricianer puisque la Vieille Taupe s’intéressait seu-
lement au Lénine philosophe, un Spartacus signé Anton Pannekoek
(J. Harper). Quant à Anton Ciliga, le nom n’est pas un pseudo. II
s’agit d’un communiste critique dont la revue Etcetera (14) reproduit
dans le n° 24 (novembre 1994) un chapitre sur la Yougoslavie
d’avant la guerre mondiale (Tito, les oustachis, les stalinistes, etc.),
tiré du livre Après la Russie 1936-1990, paru aux Éditions La
Digitale en 1994. Après son décès, Etcetera, dans le n° 20 de
décembre 1992, a publié une référence bio-bibliographique plus
complète.

Les publications s’interrompent en 1975, avec comme der-


nière brochure : Jalones de derrota : promesa de victoria, sous-titrée

14 – Etcetera : Revue de Barcelone, qui paraît en 1983. Cette initiative collec-


tive fait suite à une série de brochures éditées à partir de 1976 dans la col-
lection Critica de la politica. Cette dernière et la revue sont un peu la suite des
Éditions Mayo 37. L’un des fondateurs en est le Petit.

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par Mayo 37 « Las jornadas de mayo » (Les journées de mai) et


datée du premier mai 1975.

Sancho : Les Éditions ont cessé, non pas pour des raisons finan-
cières mais à cause d’un désintérêt pour continuer. En fin de
compte, si, au lieu d’imprimer les brochures nous-mêmes, nous
les avions confiées à une imprimerie correcte, elles auraient été
bien meilleur marché et beaucoup mieux imprimées. Mais nous
étions comme ça, nous voulions tout faire par nous-mêmes.
Txus : On dédouble l’activité de Mayo 37 avec Union Ouvrière un
groupe et journal de Bordeaux. De là est né le projet de l’édition
d’un journal qu’on a appelé Unión obrera (Union ouvrière) sous-
titré « Para la destrucción del trabajo asalariado et la mercancia »
(Pour la destruction du travail salarié et de la marchandise). Il y a
deux exemplaires qui sont parus en 1975, l’un antérieur à la mort
de Franco et l’autre postérieur. Au moment de la transition, les
gens qui ont participé à Mayo 37 et à Unión obrera restent sans
contact avec la Catalogne barcelonaise. Notre activité était devenue
sans vrai motif car, en Espagne, on pouvait commencer à éditer ce
qu’on voulait, ou tout au moins on le croyait.

Les bibliographies qui inventorient les publications du MIL et


notamment celles des Ediciones Mayo 37, prennent souvent pour
argent comptant les dates affichées, or ces dernières ne corres-
pondent pas toujours à la réalité. Les premières revues publiées
par les Ediciones Mayo 37 sont sorties pendant l’été 1973. Aussi
écrire ou dire que les Ediciones Mayo 37 naissent en janvier 1973
avec la parution du livre Entre la revolución y las trincheras de
Berneri est une erreur. Trois livres seront édités avant les arres-
tations de septembre 1973 : celui de Berneri, La lucha en barrios et
¿ Qué vendrá después del capitalismo ? Ce qui est confirmé par le
Dossier MIL rédigé par le Comité barcelonais de solidarité pour les
prisonniers du MIL, daté d’octobre 1973.

El Petit : La Bibliothèque avait pris trop de retard. Pour le dissi-


muler, on le présenta comme si quelque chose était déjà sorti et
nous avons édité deux numéros au lieu d’un, comme si cela était

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antérieur au CIA n° 2. De fait, ils étaient terminés quelques mois


auparavant. Mais la valise avec toutes les traductions arriva à Tou-
louse en août 1973, au moment du congrès.
Eva et Sancho avaient la valise avec les traductions et nos pro-
logues (ceux de l’ET) et ils les ont imprimés. Ils ajoutèrent seule-
ment Violence et solidarité révolutionnaire de Barrot (édition de
l’Oubli, daté d’avril 1974) et Misère en milieu étudiant de l’IS. Sur
la page de garde de ce dernier, étaient énumérés les textes que cite
Askatasuna (15). Je n’en sais pas plus.
Au moment des arrestations, on finissait d’éditer Berneri et Lucha
en barrios et on avait sept ou huit choses prêtes avec l’intention d’y
intercaler des textes de collectifs ouvriers (le Chato nous avait
déjà donné un texte « Organisación de clase, Barcelona 73 ») ainsi
qu’un dossier sur San Adrián. Ce fut une chance que les originaux
soient restés en France.
Sebas : Il est possible que le Petit ait monté une valise de textes
pour l’impression. Sancho assurait le fonctionnement de la struc-
ture imprimerie, c’est vers lui qu’aurait dû se diriger cette valise de
textes. Après les « tombées » (les arrestations) de septembre 1973,
nous avons tout réorganisé sur Toulouse et je ne me souviens pas
avoir retrouvé le moindre texte de Mayo 37 en préparation.

Cela n’est pas très important que la naissance des Éditions


commence lors des discussions, du choix des textes et leur traduc-
tion ou avec la parution effective des livres car les événements s’en-
chaînent les uns aux autres très vite et ce qui en ressort est en fait
ce souci permanent de peaufiner la politique rédactionnelle. Le
Petit définit les grands axes tout en continuant de parler de Biblio-
thèque dans un brouillon intitulé « Biblioteca – Estrategia anti
autoritaria y biblioteca » (Bibliothèque – Stratégie anti-autori-
taire et bibliothèque), daté du 8 mai 1973 et dans « Sobre la consti-

15 – Askatasuna : Revue créée en 1971 à Bruxelles par des noyaux nationa-


listes basques exilés. Les animateurs, tout en se revendiquant basques, vont
évoluer vers des positions libertaires jusqu’à intégrer la CNT en 1974. Critique
vis-à-vis de la bureaucratie syndicale et des orientations de la CNT, ce groupe
sera exclu de la CNT en 1976. Revue dans laquelle le Petit va rédiger deux
articles sur le MIL en 1979 et 1980.

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tución del comite x » (Sur la constitution du comité x), de juin


1973. Pour usage interne, les Éditions Mayo 37 écrivent deux
textes après le congrès d’autodissolution : « Réflexions sur la biblio-
thèque Mayo 37 » en septembre et « Circulaire de Mayo 37 », fin
1974 ou début 1975.

Le fonctionnement de la Bibliothèque
et des Éditions Mayo 37
El Petit : À partir du matériel de l’ultra-gauche française (ICO,
Révolution Internationale, des brochures Spartacus, de Barrot,
etc.), j’élabore des propositions, tenant compte de l’aspect pratique
(des textes pas trop longs, compréhensibles, d’origine et de ten-
dances différentes, qui ne soient pas superficiels ou populistes,
c’est-à-dire l’œuvre de la « main calleuse de l’ouvrier », etc.). Les
textes qui étaient acceptés passaient au traducteur (Vargas) et
me revenaient pour les prologues et la sélection.
Au début tout le monde traduit un peu mais il faut trop y repasser
dessus. J’ai demandé à Montes de me trouver un traducteur pro-
fessionnel que l’on payerait au prix du marché (qui n’était pas
cher). Avec Vargas, cela allait mieux. J’avais travaillé dans des
maisons d’édition et je savais que les étudiants le faisaient pour se
faire une paye supplémentaire. On le surnommait plutôt le Barbas
que le Gafas, c’était un ex-FAC encaissant le même prix que pour
une maison d’édition légale (où il officiait aussi) bien qu’il nous fai-
sait des prix de faveur. C’était l’unique condition de fonctionnement
de la Bibliothèque que je proposai et qui fut accepté.

Ricard de Vargas Golarons, dit « Gafas », traduit divers textes


qui sont publiés par la Bibliothèque et participe à l’infrastructure
clandestine du MIL en louant des appartements à Barcelone. Il est
l’auteur de l’ouvrage : Antología poetica popular a la memoria de
Salvador Puig Antich, publié en 1996.

Txus : En septembre 1973, je résidais encore au Pays basque du


nord ; j’allais toutes les semaines à Toulouse où habitait ma copine
et je voyais ceux de Toulouse. On préparait les éditions, les textes,
on les faisait taper à la machine à écrire pour ensuite les imprimer

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etc. Enfin, toute l’activité concomitante aux Ediciones de Mayo 37.


À partir de la fin 1973, on avait une véritable autonomie d’édition
puisqu’on disposait d’une imprimerie avec offset, etc. C’était vrai-
ment une maison d’édition, logée à Toulouse dans le quartier
Arnaud-Bernard, chez le président des jeunesses socialistes du
PSOE. Les machines étaient expropriées, le papier était exproprié.
Tout ce qui fallait pour imprimer était des produits dérobés par le
groupe. On devait tirer entre deux mille et quatre mille exem-
plaires de chaque revue. Les brochures passaient la frontière et
étaient diffusées par les réseaux de connaissance qu’on avait dans
les quartiers de Barcelone.
Sebas : La Bibliothèque, c’est essentiellement le Petit et le Secré-
taire, Sancho a en charge la structure toulousaine. Il est clair que le
fonctionnement de Mayo 37 n’était pas aussi collectif que ça. Il y
avait entre la Bibliothèque et le reste de l’orga une division réac-
tionnaire des tâches. Non une délégation mais bien une division.
Lorsqu’on écrit une phrase comme : « il n’avait jamais entendu
parler des situationnistes » (16), qui vise les Toulousains, on ne peut
établir la division que sur un soi-disant monopole du savoir théo-
rique. Entre l’intellectuel et le militant de base. À de rares excep-
tions près, nous n’étions jamais au courant par avance des textes à
imprimer. De mon côté, je n’ai participé qu’à la décision pour le pre-
mier volume, le Berneri.
Il est vrai que nous aurions pu dire notre mot mais nous ne l’avons
jamais fait. De ce point de vue, la division des tâches était aussi de
notre responsabilité.
Sancho : Le choix des textes édité par Mayo 37 est du Petit. Après
les arrestations, j’étais en possession de tous les papiers de l’ET.
L’ET était entre le MIL et les ouvriers qui voulaient bien distribuer
les brochures et proposer des bouquins mais sans savoir d’où elles
venaient ni comment elles se fabriquaient. Normalement, c’était
l’ET qui préparait les textes et les livres à publier en collaboration
avec l’EO et nous. Malgré le fait qu’on participait aux discussions,
on s’occupait des aspects techniques, à savoir recueillir des fonds,
imprimer les livres et les introduire en Espagne. Chaque brochure

16 – Extrait de La Torna de la Torna – Salvador Puig Antich i MIL, de Carlota


Tolosa, éditions Empuries. Barcelone, 1985.

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de Mayo 37 était éditée à 1 000 ou 2 000 exemplaires. Treize ou


quatorze livres ont été publiés et beaucoup d’entre eux après l’auto-
dissolution du MIL. L’imprimerie installée à Arnaud-Bernard, chez
le copain socialiste, a servi pour l’impression des premières bro-
chures de Mayo 37. Fin 1973, lorsque je suis revenu de Belgique, on
a démonté l’imprimerie. Je ne sais plus où sont passées les pièces
des machines. Le reste des revues a été imprimé chez I 34 (17). Elles
étaient distribuées gratuitement par l’intermédiaire des groupes du
Chato et du Rubio. Ils ont participé au transport (passage de fron-
tière) des livres, à la distribution des livres volés par nous ou des
brochures des Éditions Mayo 37.
El Chato : Nous étions d’accord pour distribuer les revues à Bar-
celone mais avec comme condition de ne pas être mêlés aux actions
armées et on souhaitait se consacrer exclusivement à l’activité de
la Bibliothèque. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
El Rubio : On recevait les exemplaires et on les diffusait gratui-
tement à des groupes ouvriers, aussi aux étudiants et dans quel-
ques librairies. Leur diffusion était illégale. ■ Entretien avec
Sergi Rosés.
Sancho : Après les arrestations de septembre, on n’avait plus tel-
lement de contact avec les ouvriers de Barcelone. On a continué
après qu’on a eu cassé avec les groupes de Barcelone qui faisaient
des hold-up. Ce n’était plus les mêmes personnes qui passaient les
revues à la frontière. La diffusion à Barcelone, c’était plutôt des étu-
diants libertaires, mais le groupe de Chato et de Rubio continuait
à les distribuer.
Txus : On a continué notre activité d’édition courant 1974 et après
l’exécution de Puig Antich. Pour la correspondance de Mayo 37, on
a ouvert une BP (Boîte postale) à mon nom à Cambo, au Pays
basque. On peut le voir sur certaines revues que nous avons édi-
tées. Les contacts sont maintenus avec la Catalogne par l’inter-
médiaire de Fitipaldi dit « El Rubio » (18). C’est lui qui nous permet
d’avoir accès aux ouvriers catalans.

17 – I 34 : Imprimerie 34, située à cette époque au 34, rue des Blanchers à Tou-
louse, fondée au tout début des années 1970 par un groupe libertaire.
18 – Txus ne parle pas ici du Rubio membre de l’EO, mais d’une autre per-
sonne qui a collaboré aux éditions Mayo 37.

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Sancho : A la fin, la distribution passait par tant de mains que


l’on ne contrôlait plus, mais je sais de bonne source que le maté-
riel arrivait aux intéressés en Espagne, comme dans le reste de
l’Europe.

DISSENSIONS ET POLÉMIQUES
AU SEIN DU MIL

Dans le texte, probablement de fin 1972, « Objectivos de la


biblioteca : cincos temas a cubrir », le Petit trace les grandes lignes
sur le contenu des Éditions Mayo 37 : publier des auteurs (interdits)
connus ou inconnus dans l’Espagne franquiste, des documents sur
la guerre d’Espagne (1936-1939), des textes d’analyses sur la situa-
tion sociale et politique actuelle, sur des grèves en Europe ou repro-
duire des textes de groupes de base. Alors que ceux du MIL/GAC
aspirent à produire des documents plus liés à leur activité. C’est sur-
tout le dilemme entre agitation armée et bibliothèque qui crée des
dissensions, exacerbées par la revendication des braquages et la
parution du n° 1 de CIA, comme en témoignent une série de textes,
publiés ou à usage interne au printemps 1973.
« Situacio actual i prespectives inmediates d’els grups » (Situation
actuelle et perspectives immédiates des groupes) et « ¡ Coño ! dejarlo
explicarse, ¿ no ? » (Putain ! Laissez-le s’expliquer, pas vrai ?) de
Montes, « Sobre l’agitación armada » (Sur l’agitation armée), « Entre
Mayo 37 et l’agitation armée », « La agitación armada : Barcelona bajo
el terrorismo » (L’agitation armée : Barcelone sous le terrorisme),
« Apunte de discusión » (Base de discussion) du MIL/GAC. Et pour
finir la liste, « Consideraciones sobre estrategia » (Considération sur
la stratègie) et « Annexe à Consideraciones… » du Petit… en réponse
aux orientations du texte « Entre Mayo 37 et l’agitation armée ».
Le débat d’idées ne se fait pas seulement entre partisans de la
lutte armée et ceux de la Bibliothèque, mais aussi au sein même des
groupes. Et, contrairement aux idées reçues, les membres du MIL/
GAC ne sont pas les derniers à réfléchir :

« …L’auto-organisation prolétarienne ne pose pas seulement


des exigences organisatives (Plataformas, etc.) ; au fur et à
mesure que se développent les expériences de lutte, se pose

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aussi la nécessité d’accumuler les enseignements, de les géné-


raliser et de les radicaliser.
– Approfondissement de la pensée révolutionnaire, passant
des questions particulières à la généralité (Éditions Mayo 37 et
similaires).
– Poser ouvertement la question de l’usage de la violence pour
couvrir les tâches exigées pour l’auto-organisation ouvrière
(voir aussi bien la violence de masse lors des luttes d’usine que
ladite « agitation armée »).
Conclusion provisoire.
À mesure que les conditions de la lutte révolutionnaire mûris-
sent et progressent, certaines questions se posent avec plus
d’acuité, auxquelles il nous faut répondre promptement en
fonction des propres forces et de l’appréciation du moment.
Jusqu’où peut aller la « pratique théorique » aujourd’hui ?
(Ne pas confondre « Mayo 37 » avec un travail de divulgation
ou de théorie, mais le voir comme une « pratique théorique » en
relation directe avec l’autre pratique).
Jusqu’où peut aller l’agitation armée aujourd’hui ?
(Ne pas confondre « agitation armée » avec militarisme, type
ETA, type tiers-mondiste).
S’agit-il de deux pratiques incompatibles ? (et dans ce cas,
définir laquelle est prioritaire) ou bien sont-elles complémen-
taires ?
Tout le monde aujourd’hui se pose ces questions (ouvriers,
théoriques aussi bien que militaires, etc.). Un congrès peut cer-
tainement prendre position sur cela, mais la réponse réelle ne
peut sortir d’aucun congrès (qu’il soit d’ouvriers, de théoriques,
de militaires ou de toute autre sorte de politiques). La réponse
est dans la pratique. »
■ Extrait du texte « Entre Mayo 37 et l’agitation armée » du MIL/
GAC, mars 1973.

Sebas : « Entre Mayo 37 et l’agitation armée » a été écrit au début


de l’année 1973, mais quand ? Par contre, ce texte n’a jamais été
une : « circulaire interne de l’EE ». C’était un texte de discussion
pour tous les secteurs en contact avec nous (nous : MIL/GAC)
après la première restructuration du début 1973, création offi-

70
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cielle de la bibliothèque et nouvelle décision de passer à une action


plus directement politique (attentats, etc.).
Je ne veux pas m’avancer mais il est possible qu’on ait commencé
à mettre quelques idées sur le papier avec Puig lors de la semaine
où nous sommes restés confinés dans l’appart après la fusillade de
Fabra y Puig.
El Petit : Le langage est classique : expropriation de fonds, récu-
pération de matériel d’imprimerie, etc. Ils augmentent leur valeur :
dommage que pour développer un mouvement de groupes auto-
nomes de combat (également de combat théorique), il y avait
autant de problèmes pratiques, une division du travail qui n’a pas
permis que l’ET puisse fonctionner seule. Il y a eu débat, « Agita-
tion armée » ou « Mayo 37 », c’étaient deux positions difficilement
conciliables. Je ne me souviens pas si les débats eurent lieu à Bar-
celone ou à Toulouse.
Sancho : Bien qu’on agissait tous ensemble, l’ET allait de son côté
et nous du nôtre, à l’exception d’une époque où il n’y avait pas de dis-
tinction entre nous. Pendant un certain moment, après la tombée
d’Oriol (en septembre 1972) et de Cricri à Toulouse, Xavier Garriga
prit ses distances à cause de sérieuses divergences sur l’éventualité
d’exécuter Creix et sur la pratique des hold-up. Santi Soler se joignit
à nous et on peut presque dire qu’il était de tous les projets. sans
participer aux hold-up à cause de ses problèmes physiques. Je crois
même qu’il s’est fait photographier avec des pistolets.
El Petit : Ils me dirent que les hold-up n’étaient pas une fin en soi,
mais un moyen pour faire des choses qui en valaient la peine.
J’étais d’accord jusqu’à ce qu’ils commencent à les revendiquer
comme but en soi. Ce qui était une aberration théorique et pra-
tique. J’ai accepté qu’on laisse des tracts communs, un geste contre-
culturel. Mais les perspectives correctes selon lesquelles il n’y
aurait pas un MIL mais des groupes autonomes (de combat théo-
rique, ouvrier, d’imprimerie et de soutien) se sont avérées invi-
vables et peu réalistes. Il était difficile de se délester de ce ballast
mais nous ne savions pas comment le faire.

À plusieurs reprises, le MIL/GAC revendique politiquement les


braquages : oralement à Mataro le 21 octobre 1972, à Barcelone le

71
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28 novembre 1972 un communiqué sans signature est envoyé par


la Poste, et à Badalone le 29 décembre1972, un autre est laissé sur
place. Dans CIA n° 1, l’ensemble des expropriations depuis juillet
1972 sont revendiquées (19) et lors des deux commises en juin 1973,
des tracts tamponnés « MIL/Grupos Autónomos de Combate » sont
jetés.

En mars 1973 paraît le n° 1 de la revue CIA (Conspiración


Internacional Anarquista). Elle est signée : Grupos Autónomos de
Combate – ediciones por un Movimiento iberico de liberación et va
cristalliser les polémiques. Au sommaire :
– Sobre la agitación armada (Sur l’agitation armée).
– Balance y perspectivas de la lucha obrera (Bilan et perspec-
tive de la lutte ouvrière).
– La chronologie des diverses expropriations commises depuis
juillet 1972.
– A los 50 años de la FAI (Pour les 50 ans de la FAI).
– Los resistantes anarquistas de 1945 en Cataluña (Les résis-
tants anarchistes de 1945 en Catalogne).
– Inglaterra – La brigada de la colera : los ochos de Stoke
Newington (Angleterre – La brigade de la colère : les huit de…).
– et diverses bandes dessinées détournées. Trois du dessina-
teur Gotlib et une du dessinateur des Freak Brothers, Gilbert
Shelton.

El Petit : En 1973, l’EE publia CIA officialisant le sigle MIL/GAC.


Le n° 1 est une provocation dans le sens qu’ils ont laissé de côté
tout le travail de l’ET (Bibliothèque) préconisant l’oubli des Édi-
tions que j’impulsais. Ils ont sorti une revue théorique sans aver-
tir. Ils nous ont mis devant le fait accompli en signant MIL, ce qui
nous impliquait tous. Dans ce n° 1 de CIA (auquel l’ET n’a pas par-
ticipé), il y avait divers textes français. J’ai décidé pourtant d’at-
tendre la sortie d’Oriol pour écrire un anti CIA n° 1 (le n° 2) et les
Éditions.
Sancho : La publication des CIA fut fortuite, deux numéros seu-
lement sont sortis et un supplément sur la bande à Baader.

19 – Ce document « Chronologie » est reproduit en annexe.

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Le n° 1 fut conçu par Jean-Marc et moi, uniquement comme carte


de visite face aux anarchistes. La revendication des hold-up était
notre carte de présentation pour d’autres groupes. Ça peut paraître
fou de les revendiquer mais on était comme ça à l’époque. C’était
une provocation. Il a été tiré à deux cents ou trois cents exem-
plaires. On en a diffusé quelques-uns à Toulouse avant de les des-
cendre à Barcelone. Mais là-bas les autres n’ont pas voulu les dis-
tribuer parce qu’ils n’étaient pas d’accord avec le contenu. Une
douzaine d’exemplaires a dû circuler à Barcelone.
Le n° 2 était nécessaire pour marquer des positions et surtout
pour donner des précisions sur l’autodissolution. Il a été tiré à
1 000 exemplaires, rue de l’Esquille, dans l’imprimerie où en
décembre 1972 le groupe avait exproprié les machines. Le copain
socialiste chez qui on avait mis l’imprimerie piquée connaissait le
patron et c’est moi qui avait été faire les démarches pour le tirage.
Le patron m’a parlé plusieurs fois des vols de 1972 sans savoir que
je connaissais les auteurs. Ce numéro a été diffusé à Toulouse, Bar-
celone, Madrid et au Pays basque.
Après les tombées, quand j’étais en Belgique, Jean-Marc a essayé
de faire un n° 3 qui n’est jamais sorti.
Sebas : Suite à la fusillade de Fabra y Puig en mars 1973, les gens
les plus impliqués remontent à Toulouse. Nous mettons à profit ce
temps de repos pour mettre sur pied la brochure CIA n° 1.
Je lis dans Cortade : « la dissolution du MIL y est évitée une pre-
mière fois » (20). Idiot. Tout simplement idiot et malhonnête, pour
des gens ayant vraiment vécu ce séjour dans l’appartement rue
Lancefoc. C’est bien lors de cette période que nous avons bossé le
plus à la politisation de notre organisation. En son sein et vers l’ex-
térieur. C’est vraiment à ce moment-là que nous étions groupe
autonome sans les spécifications, sans les masques praxiques,
imposés par la clandestinité et la compartimentation. Le Petit
« s’opposa franchement à la ligne suivie par le MIL au cours des
derniers mois » (???). Je ne vois pas de quoi il s’agit concrètement.
Il avait tenu lui-même à s’installer dans l’appart de Lancefoc avec

20 – Dans « Entre Mayo 37 et l’agitation armée », daté de mars 1973, est abor-
dée l’éventualité d’un congrès en mars mais il n’est pas question de dissolu-
tion.

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le sector màs radical (secteur le plus radical). Je constate que


Puig, icône, n’appartient pas à ce fameux sector pourtant il vit là
aussi !…
Au contraire, tout pouvait augurer d’un possible développement, le
moment venu. Si nous étions réellement prêts à assumer notre
propre histoire politique comme groupe guérilleros et non comme
petite secte du phantasme oppositionnel antifranquiste.
Cela conduit à d’autres falsifications, exemple : les affirmations
selon lesquelles il y aurait eu deux comités rédactionnels pour les
deux CIA sont fausses et absolument crapuleuses. Il y eut une
première CIA faite en commun à l’appart Lancefoc. Puis une
seconde faite également à Toulouse (rue Peyrolières) avec un seul
camarade en plus, le Secrétaire. Que l’esprit ne fut pas le même,
c’est sûr. Que nous ayons critiqué la première, c’est également
vrai. Mais qu’il y ait eu une CIA toulousaine et une autre barcelo-
naise est une connerie. Le Petit a participé à la CIA 1. Il écrivit cer-
tains textes à partir de nos discussions collectives (Sancho, Queso,
Quesita, Puig, Cricri, Aurore, etc., tous les camarades qui ont tran-
sité régulièrement rue Lancefoc). CIA 1 ne fut pas l’œuvre d’un duo
diabolique Cricri-Sebas, c’est idiot. Le fait que nous (Cricri et moi)
ayons décidé de la poursuivre après la dissolution est vrai,
d’ailleurs dans l’appart tombé en septembre, nous avions oublié les
manuscrits de la CIA 3, mais cela ne doit pas être le prétexte pour
ré-écrire les faits antérieurs. Méthode très stalinienne, non ?
El Petit : Il est possible que Sebas ait ses raisons pour dire cela. Il
est possible que le texte sur la FAI ou sur l’IRA (un texte des
Temps Modernes ?) ou n’importe quel autre des CIA ait été dans les
chemises de l’ET. Dans les chemises, en plus des futurs Mayo 37, il
y avait une série de matériel, des propositions du Secrétaire ou de
quelqu’un d’autre de l’ET. Mais ces textes, ne sont pas passés dans
mes mains même si le Secrétaire a pu le dire à Sebas en toute
bonne foi. Le Secrétaire a participé au CIA n° 1, mais pas moi. L’in-
troduction de Marenssin (supplément à CIA n° 1) lui plaisait mais
pas à moi car il n’y avait pas une présentation qui fasse contre-
poids. C’est pour cela que je voulais sortir un CIA n° 2 et qu’il soit
le dernier.
Sancho : Ce n’est pas le Petit qui a écrit l’article sur la FAI. Je
crois qu’il ne savait pas que cet article serait publié et il l’a su

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quand la revue était imprimée. Les seuls qui étaient d’accord pour
faire CIA, c’étaient Sebas et moi, Cricri aussi. De CIA n° 1, nous en
sommes les seuls responsables, encore que le sigle MIL ait été
officialisé dès l’été 1972.
Aurore : CIA était l’expression du MIL/GAC. Elle n’a pas le
même ton que les Éditions Mayo 37, ces dernières étaient
sérieuses. Il y a un côté situ c’est sûr. Jean-Marc et d’autres, mais
surtout Jean-Marc, voulaient y donner un côté ludique, un peu à
la mode à l’époque, style Actuel et ce n’était pas du tout dans
l’état d’esprit espagnol d’alors, du moins dans ce qui était publié.
Le n° 1 se voulait en même temps un truc rigolo, attractif avec
des dessins.
Le Petit a rédigé, surtout à Toulouse. Les textes étaient discutés.
On pillait un peu partout, l’article sur les Anglais est peut-être une
traduction. Les thèmes étaient souvent de Jean-Marc… d’accord
pour discuter mais pas pour écrire et le Petit écrivait. Cela se pas-
sait dans une bonne camaraderie.
Le n° 2 a été bâclé à cause de l’autodissolution mais des articles
étaient en préparation pour un CIA n° 3.
Sancho : La plus grande erreur théorique du MIL a été l’édition de
CIA n1, revue au contenu faible et de caractère anarchiste. Santi
Soler a craqué. Mais grâce à elle on en est venu au Congrès d’au-
todissolution. CIA 2 est le travail plus ou moins de tout le monde.
■ Entretien avec Sergi Rosés.
Queso : Divers aspects ne m’ont pas plu dans CIA n° 1, mais le
plus grave est la chronologie qui permettait à la police de relier
toutes ses actions à un seul groupe et qui cite plusieurs noms de
ceux poursuivis par la police française comme Sebas ou Puig per-
mettant, et c’est possible, à la police espagnole d’apprendre des
noms qu‘elle ne connaissait pas. Le contenu de la revue CIA n° 1
n’a jamais plu à Santi, moins encore que celui de CIA n° 2, ni le
récit, ni les comics n’avaient de sens, etc. ■ Entretien avec Sergi
Rosés.
Sebas : L’idée des comics n’avait rien de spécial, elle était très
banale dans les revues du mouvement révolutionnaire de l’époque
(Actuel, par exemple pour le plus connu ou l’IS). Je crois qu’on l’a
fait par symbiose avec le Mouvement révolutionnaire d’alors. Du
moins du milieu anarcho ou autonome comme VLR (Vive la

75
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révolution) (21) par exemple. Mais nous comprenions que c’était une
provocation pour d’autres. Et pour notre propre réalité également
comme militants qui prenions beaucoup de risques dans l’engage-
ment politique.
Les deux CIA ont été faites par le même comité de rédaction (à l’ex-
ception du Secrétaire qui participa à la seconde), donc la version
immédiatistes contre llarg termini (le long terme) est fausse et
absurde. En plus, pour le llarg termini, l’histoire fut une démons-
tration de cette falsification. Pour la plupart, cela fait très long-
temps qu’ils ont abandonné la lutte révolutionnaire dans les termes
mêmes exposés et défendus par le MIL. Alors qu’immédiatistes for
ever, je traîne mes vieilles espartenhas (espadrilles) révolution-
naires ! conseilliste, internationaliste et partisan !!!
Donc, version officielle : nous aurions profité d’un voyage du Petit à
Barcelone pour imprimer en catimini la CIA 1. Ce qui aurait été à
l’origine de problèmes profonds dans le MIL… Idiot. Tout simplement.
Peut-on imaginer une telle invraisemblance ? Je ne comprends pas
que Queso et Sancho aient pu laisser raconter de telles conneries.
Pour sourire, je dirais que le texte sur la FAI a été mis en forme par
le Petit lui-même à notre demande. Mais là c’est normal, car il était
juste qu’il mette ses capacités d’écriture au service de nos discus-
sions générales. Et non le contraire. Qu’importe la faiblesse de
cette CIA 1, elle fut l’image la plus exacte de nos débats dans l’or-
ganisation, et justement de leurs faiblesses réelles, d’un manque
d’homogénéité certain.

Tout le monde espère que les choses vont se clarifier à la sortie


de prison d’Oriol dont le procès a lieu à Toulouse en mars 1973. À
la fin du printemps, il est décidé d’une réunion pour tout mettre sur
la table. Cette réunion portera le nom très officiel de Congrès.
Prévue pour le mois de juillet, elle est reportée au mois d’août car
le Petit est malade (crises d’épilepsie).

21 – Vive la révolution (1970-1971) est issue d’une scission de la GP. La pré-


senter comme une organisation de l’autonomie est discutable quand on
apprend que ses dirigeants (Roland Castro, etc.) avaient des contacts avec
l’ambassade de Chine à Paris.

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Avant de voir en détail le déroulement du Congrès et sa conclu-


sion, nous arrêtons temporairement l’histoire de l’ET, celle des
EO, de la Bibliothèque et des Éditions Mayo 37. D’Acción comu-
nista au congrès du MIL, que de chemins parcourus, traversés
par des débats, des questions, voire des polémiques que la situation
particulière de l’Espagne a exacerbées.

Sancho : Les personnalités s’affirmaient chaque fois davantage


avec le temps et l’expérience. Le hold-up des allées Fabra y Puig
nous a beaucoup marqués. On peut diviser l’histoire du MIL, un
avant et un après ce hold-up. Le sang a coulé. Nous sommes
presque tous au fichier de la brigade anti-MIL et nous sommes
conscients du fait que cela signifie la peine de mort en cas d’arres-
tation.
Nous commençons à voir que la spirale de la violence ne mène à
rien, mais cette spirale même nous pousse en avant. Il faut mettre
de l’ordre, clarifier les objectifs. Une fois de plus on met à plat les
contradictions et tout le monde attend qu’Oriol sorte de prison.
Mais les rêves nocturnes d’Oriol en prison, son isolement par rap-
port à la vie extérieure et à cette réalité, ne correspondent pas à
notre vécu. Oriol a trop de personnalité pour s’incliner, il ne fait que
ce qu’il veut, il a toujours fait pareil. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

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DE L’ÉQUIPE EXTÉRIEURE
AU MIL/GAC
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Thèmes et sous-thèmes abordés :

Arrivée d’Oriol en France


Saint-Michel de Cuxa – Arrivée à Toulouse. Naissance de
l’EE et impression de documents – Les diverses rencontres
d’Oriol avec Sebas, Cricri… – Manifestations et cocktails
Molotov dans la ville – Premières expropriations…
Création du 1000, du MIL et des GAC
Quelle date ? – Idées et identité politique des membres du
MIL – Incarcérations et évasion d’Oriol – Rencontres entre
l’ET et des éléments du futur MIL/GAC – Rencontres de
Sebas, de Sancho et du Metge – Libération d’Oriol…
Le MIL/GAC en action
Sur la recherche, l’acquisition, l’origine et l’utilisation des
armes… – Diverses expropriations à Barcelone – Perqui-
sitions à la ferme de Bessières et rue Raymond IV – Empri-
sonnement d’Oriol – La OLLA – Arrivée d’Aurore, de Queso
et de Quesita – Fusillade à la Banco Hispano-Americano –
Publications du MIL/GAC…
La vie quotidienne
La vie du MIL/GAC à Toulouse – La vie et les contacts au
sein du MIL à Barcelone – Les contacts hors du MIL/GAC
– L’exclusion de Montes.
Le printemps-été du MIL/GAC
Reprise des expropriations – À propos de l’argent expro-
prié : refus du travail salarié ? – Libération d’Oriol – Dis-
parition du Légionnaire…

Un nom revient sans cesse : Oriol Solé Sugranyes alias « Vic-


tor ». Il est de toutes les convulsions du mouvement ouvrier radical
qui est en rupture avec les organisations classiques, il fait le lien
entre l’Espagne et la France. Il est la cheville ouvrière de l’Équipe
Extérieure et souvent à la base des rencontres.
Il est né le 4 janvier 1948 à Barcelone, issu d’une famille bour-
geoise catalaniste de douze enfants. Son père est professeur de géo-

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logie et de géographie à l’Université de Barcelone, sa mère n’exerce


pas de profession.
Très jeune, Oriol milite dans diverses organisations politiques.
En 1964, il est aux côtés des nationalistes catalans. Dans les
années 1965-1966, il participe aux premières organisations étu-
diantes et au SDEUB. En février 1965, il est cité dans un rapport
de police, pour envoi par correspondance d’un bulletin dénommé
FIEB (Federación Independiente de Estudiantes en Bachillerato).
Le 9 mars 1966, la police investit le couvent des Capucins de
Sarriá (Barcelone) où se tient l’assemblée constitutive du SDEUB.
Une partie des cinq cents participants est interpellée, dont Oriol.
Cette action policière entrera dans l’histoire de la lutte antifran-
quiste sous le nom de la Capuchinada. Les interpellés sont remis
en liberté quelques jours après.
Il est à nouveau arrêté le 21 janvier 1967 en sortant du monas-
tère de Monserrat en possession de propagande des Comisiones
obreras. Il est détenu deux mois à la prison Modelo de Barcelone
mais il est acquitté du délit de propagande illégale par le Tribunal
del Orden Público (TOP). En automne 1967, il devient membre des
Juventudes comunistas de Catalunya (Jeunesses communistes de
Catalogne) du PSUC pour rejoindre rapidement un groupe dissi-
dent qui fonde, dès fin 1967, le PCE (i). À ce moment-là, il aban-
donne ses études et apprend le métier de typographe.

Sancho : Il a appris le métier de typographe à Gérone. Mon


père l’avait envoyé dans cette ville pour le sortir de Barcelone. Il
a travaillé plusieurs mois dans une imprimerie avant de se faire
arrêter.

Le 3 septembre 1968, il est interpellé à Gérone alors qu’il est


en train de créer une section du PCE (i). Il est condamné à deux
ans de prison par le TOP pour propagande illégale et pour asso-
ciation illicite. Pendant son séjour en prison, en désaccord avec les
orientations du PCE (i), il quitte ce parti. Il effectue sa peine à la
prison de Gérone et à la centrale de Jaén (Andalousie).

Sancho : À la maison, nous étions au courant du militantisme


d’Oriol à cause de ses passages en prison, à Barcelone, à Gérone et

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à Jaén. Connaissant la capacité d’Oriol pour enthousiasmer les


gens qui l’entourent, il n’est pas bizarre d’entendre que, plus
d’une fois, on ait été non informés mais empêtrés dans ses pro-
blèmes et ce, malgré notre jeune âge. À cette époque-là, Oriol
devait avoir 17 ou 18 ans et moi 13 ou 14 ans. Je me souviens que
parfois on montait dans une pièce sur la terrasse de la maison
pour imprimer des tracts sur une vieille machine d’imprimerie
multicopiste. À cause de certains problèmes d’Oriol avec la police,
nous avons enterré cette machine dans un champ. Quelques
années plus tard je suis allé la déterrer, elle était complètement
rouillée.
Simon : Oriol était un type charismatique qui savait enrôler des
gens de tout genre et de toute condition sociale. Il était un vrai lea-
der, il savait convaincre les gens pour monter ses infrastructures.
Il avait parmi ses amis ou collaborateurs le curé de l’église espa-
gnole de Toulouse, un Basque qui avait pour nom de guerre, « Car-
los ». La nuit de l’an 1970-1971, on est passés à l’office religieux
avec les ouvriers espagnols et à la fin de l’office il s’est mis à
chanter l’Internationale. Il se revendiquait de la troisième inter-
nationale (22).
Miquel Mayol : Oriol avait un côté fils de bonne famille qui
contrastait avec son engagement. Il avait aussi une grande insou-
ciance. Je me souviens qu’au local de l’Esquerra Catalana à Perpi-
gnan, il avait exhibé son revolver.
Aurore : Victor (nous l’appelions tous ainsi) toujours prêt aurait
été son surnom de scout car il fallait se retenir pour ne pas le
suivre dans tous ses multiples projets des plans qu’il voyait par-
faitement réalisables. C’était un passionné de l’imprimerie. Il fallait
de la propagande, donc la fabriquer, l’imprimer. C’est pour cela qu’il
avait appris le métier de typographe. Il conduisait, mais n’a jamais
eu le permis (que des faux), avec des tendances à monter sur le
bord des trottoirs vivement pour se garer. Il était plein de vie et de
projets, prêt au besoin à agir avec une toute petite poignée d’amis,
mais réfléchissant aussi aux infrastructures, la logistique puis
la diffusion de la propagande. La France, pour lui, c’était comme

22 – La troisième internationale a été créée à Moscou par Lénine et ses amis


en 1919.

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pour Sabaté (23) et tant d’autres une base de départ pour actuer
(agir), le repli rien d’autre.
Raimon Civil : À l’époque, je ne pourrais pas vous dire son com-
munisme ou son anarchisme jusqu’à quel point il était haut. Je ne
peux pas vous dire quelle était la température doctrinale d’Oriol.
Il me semble qu’Oriol, contrairement à son frère Ignaci (Montes),
avait plus de cœur que de doctrine. Oriol était un poète, un gars
généreux qui n’était pas prêt à reculer devant n’importe quoi. À
l’époque, plus que par la suite, il avait un côté catalan. Après, il
s’est engagé sur l’aspect social. Avec Oriol, le fait que j’étais
moine ça n’a jamais posé de problèmes. Il y avait une certaine
communion d’idées et de stratégies. Il y avait une amitié, un
lien…, mais je préfère ne pas parler, peut-être j’inventerais un
peu.

■ 1969

ARRIVÉE D’ORIOL EN FRANCE...

Lors de l’été, à sa sortie de la prison centrale de Jaen, Oriol ne


perd pas son temps et rejoint des syndicalistes révolutionnaires qui
éditent la revue ¿ Qué hacer ? Il fait alors la connaissance de José
Antonio Diaz et de Manolo Murcia.
Au cours du même mois, les ouvriers de la fabrique de glaces
Camy se mettent en grève. En solidarité, des actions sont menées
par le groupe de la revue ¿ Qué hacer ? Des cocktails Molotov sont
lancés de nuit contre les kiosques de vente de glaces Camy. Surpris
en pleine action par la police, Oriol s’enfuit avec sa moto vers

23 – SABATÉ Llopart Francisco (1915-1960) dit « El Quico » est né à L’Hos-


pitalet de Llobregat, près de Barcelone. Membre de la Federación anarquista
iberica (FAI), il combat sur le front d’Aragon dans la colonne Los Aguiluchos
(les Aiglons) pour tenter de stopper l’avancée des troupes fascistes. En 1939,
comme des milliers de combattants espagnols, il se réfugie en France où il
connaît les camps de concentration. Il rejoint la résistance contre l’occupant
nazi. Dès 1945, à partir de la France, il mène un combat de propagande et de
guérilla contre la dictature franquiste avec d’autres compagnons membres du
Mouvement libertaire espagnol. Le 5 janvier 1960, il est abattu près de Bar-
celone à San Celoni par la Guardia Civil.

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Montjuic. La police retrouve la moto et à proximité quelques cock-


tails Molotov, elle ne tarde pas à identifier le propriétaire grâce à
l’immatriculation. Pour éviter une nouvelle arrestation, Oriol
s’exile en France où il deviendra le pilier et l’animateur de
l’Equipe Extérieure.

Sancho : Oriol se réfugie en France en juillet 1969, peu de temps


après sa sortie de la prison de Jaén, pour un incident avec la
police. Il doit s’exiler. Aidé par notre tante, Maria Rosa Rotllan, il
passe la frontière par la Cerdanya, mais avant de se diriger vers
Toulouse, il est hébergé au couvent de Cuxa où il se lie d’amitié
avec les frères et plus particulièrement avec Raimon Civil. Son
séjour se prolonge de deux mois environ, suite à un accident de
moto (fracture d’un pied), et c’est une des causes de l’engagement
antifranquiste de ces moines. À cette époque, ça devient, grâce ou
à cause d’Oriol, une base opérationnelle pour les gens d’ETA et les
Italiens de Lotta Continua (propagande clandestine, faux papiers,
etc.).

L’abbaye de Saint-Michel de Cuxa est située sur la commune


de Godalet, à 3 km de Prades, dans les Pyrénées-Orientales. Elle
est habitée depuis 1965 par une communauté de moines bénédic-
tins, venue du monastère de Montserrat (Espagne, Catalogne) à
laquelle appartient Raimon Civil (1931-2001). À la fin des années
1990, ce dernier est nommé prieur de Saint-Michel de Cuxa. Rai-
mon décède à la suite d’une longue maladie.

Raimon Civil : Notre ordre dépend du monastère de Montserrat


et du Diocèse de Perpignan. Les frères qui n’étaient pas catalans ne
venaient pas de Montserrat. Le monastère appartient à la com-
munauté de Cuxa. C’est une SCI (Société civile immobilière) et moi
je suis le président et, théoriquement, nous avons 70 % des parts
sociales.
Je suis né en Catalogne du sud, d’un milieu depuis toujours cata-
lan et à l’époque catalan et antifranquiste ça allait assez ensemble.
Dans ma famille catholique et plutôt bourgeoise, il y avait une
préoccupation sociale. Je me suis sensibilisé pour l’histoire

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sociale. Étudiant à Strasbourg dans les années 1960, j’étais le


seul du côté de l’église qui pouvait parler en espagnol à un bloc
énorme de gens très simples et pauvres qui étaient venus d’Es-
pagne pour travailler et qui ne pouvaient pas entrer en Allemagne.
J’ai été également assez présent dans l’action étudiante à Milan, en
Italie. On avait les idées très proches à l’époque d’un tas d’idées et
de stratégies du Parti Communiste. Mais moi, je ne me suis jamais
considéré communiste.
En été 1969, Oriol arrive. Il avait dû s’échapper d’Espagne parce
qu’il avait eu un engagement politique. Je ne me souviens plus
pourquoi, mais un truc essentiellement social. Et ça, évidemment,
ça solidifie un peu une mentalité.
Oriol était un bon enfant, mais il avait déjà un vécu. Il avait de
l’expérience. Son père avait été mon professeur, sa famille comme
la mienne était catalane, catholique, bourgeoise. Mais ce n’est pas
tout à fait par l’intermédiaire de la famille ou par Montserrat
qu’il est arrivé ici. La famille était bien contente, mais c’est par
des copains politiques. Des gens engagés dans la politique. Il
arrive ici pour quelques jours. Des copains à lui passaient le
voir, un jour l’un d’entre eux lui a prêté sa moto pour jouer, et là
il est tombé. Il s’est cassé le pied. Cela l’a obligé à rester ici, puis
il est parti à Toulouse.
On est restés très liés. Si engagement il y a eu de ma part, c’était
parce qu’avec Oriol, on avait des idées communes. Pour lui, ici
c’est devenu un endroit, un point de repère.
Oui, nous avons eu des contacts avec l’ETA. Mais parler de l’ETA
sous le franquisme et parler de l’ETA des années 1990, ce sont
deux choses complètement différentes. Il y a eu des réunions
importantes ici. Mais d’eux, on ne peut rien dire ou presque, on a
fait un tas de choses pour eux et ils étaient bien. C’étaient des
gens sérieux, très bien organisés et ils avaient tous des faux
noms. Ils venaient, ils étaient loyaux, ils étaient même copains, ils
repartaient, tu les voyais plus ou tu les revoyais plus tard, mais
tu ne savais pas d’où ils venaient ni où ils allaient, sauf si quel-
quefois tu les accompagnais quelque part. Je n’ai plus aucun
contact avec eux. L’organisation était bien mais après, ils ont
fait des trucs plus ou moins terroristes, ne pouvant pas faire
marche arrière. Vu le comportement de l’ETA actuelle, je me

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demande quelle est l’efficacité vis-à-vis des revendications effec-


tives du Pays basque.
Dans cette abbaye, Oriol rencontre Robert Savelli, membre du
PSU. Robert est né en 1932 et, même à la retraite, se définit tou-
jours comme militant ouvrier. Il n’a pas été membre du MIL.

Robert Savelli : J’ai connu Oriol début 1969 à Perpignan quand


je faisais du passage clandestin de militants antifascistes, anti-
franquistes et démocrates espagnols.
Mon premier travail avec lui fut à sa demande de démonter une
offset toute neuve, d’en éparpiller les pièces détachées dans divers
endroits de Perpignan et notamment à l’église Saint-Martin. Cette
imprimerie fut remontée quelques mois plus tard pour produire
tracts et brochures dont le souvenir que je garde est que cette
production n’offrait pas beaucoup d’intérêt pour nos amis d’au-delà
de la frontière. J’ai donc continué à faire le lien entre une impri-
merie clandestine de Lyon organisée par un Roumain fils d’un
émigré juif de Roumanie, qui avait fui le nazisme. Oriol n’était pas
partie prenante de ces opérations dont le point culminant fut de
diffuser des milliers d’exemplaires d’un petit manuel marxiste
fort bien construit par des intellectuels qui nous aidaient beaucoup.
Dans les diverses réunions que nous organisions tant à Lyon, à Per-
pignan qu’à Barcelone, je n’y ai jamais rencontré Oriol qui me
paraissait plus orienté vers l’action spontanée de petits groupes de
trois ou quatre personnes souvent différentes mais dont il était tou-
jours le responsable.
Avec Oriol nous discutions peu de politique, mais il savait que
j’étais disponible, comme je le fus d’ailleurs pour tous les autres,
qu’ils aient été trotskistes, anarchistes, socialistes ou communistes.
L’essentiel pour moi, l’urgence aussi, c’était l’antifranquisme et la
démocratie. Il a toujours fait preuve à l’égard de mon épouse et de
moi-même d’une grande affection. Cette relation n’empêchait pas
de me tenir en dehors de son projet politique, c’était ma règle
comme pour tous les autres groupes.

Arrivée d’Oriol à Toulouse


À Toulouse, il est comme un poisson dans l’eau, la ville est en
pleine effervescence avec les suites de mai 68. Il obtient une carte

87
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de réfugié politique, mais pas celle de séjour. En Espagne, le


18 octobre, un avis de recherche pour insoumission (refus d’effec-
tuer son service militaire) est lancé à son encontre.

Sancho : Après l’été 1969, il s’établit à Toulouse chez Maria Rosa


Rotllan. C’est une religieuse qui a fait sa propre révolution en reti-
rant ses habits, après seize ans de couvent. Sa maison se convertit
en une commune d’anarchistes pacifistes très influencée par Marie
Laffranque (24). Il passe son temps à rencontrer des gens, ce sont
davantage des contacts personnels que des contacts politiques.
Après avoir séjourné quelques temps chez Maria Rosa, Oriol s’au-
tonomise, il trouve un travail comme boulanger quelques mois
dans un coin de la Grande-rue Saint-Michel, comme distributeur
du journal La Dépêche et dans une imprimerie pendant un temps.

■ 1970

Sancho : Au début de l’année, Oriol est seul, bien qu’il collabore


avec le groupe d’ouvriers de Barcelone, Nuestra Clase, une scission
des CCOO. Il publie des brochures pour eux en signant l’édition
« Equipo Exterior de Nuestra Clase ».

À l’initiative de l’EE, deux brochures sont éditées : en février et


mars, El movimiento obrero en Barcelona écrite par l’ET et en
août, le Diccionario del militante obrero.
Lors d’une conversation téléphonique, Robert Savelli nous
apprend que c’est lui qui s’est chargé de faire imprimer à Lyon Dic-
cionario del militante obrero et de ramener le tirage à Perpignan.
Il y a eu un premier tirage à Toulouse, y a t-il eu une seconde
impression à Lyon ?

24 – LAFFRANQUE Marie (1921-2006). Elle est chercheuse au CNRS et


une militante déterminée malgré son lourd handicap. Par exemple, dès le
début des années 1960, elle mène un combat pour la suppression totale du ser-
vice militaire obligatoire qu’il soit militaire ou civil, elle participe à divers comi-
tés de soutien à des réfractaires à la guerre d’Algérie, objecteurs ou insoumis
emprisonnés. Elle sera active dans d’autres comités de solidarité envers les
membres du MIL ou des GARI incarcérés.

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Simon : On a effectivement imprimé le Diccionario. On se faisait


appeler par l’intérieur (ceux d’Espagne) « Comité extérieur nuestra
clase » parce qu’Oriol avait des contacts politiques avec les ouvriers
de Barcelone.
Sebas : Pour répondre plus précisément au problème des éditions
anciennes réalisées par EE, je ne sais qu’une chose, je suis allé
chercher des exemplaires restants du Diccionario dans une impri-
merie légale proche du Pont des Catalans, la rue perpendiculaire à
celle de la maison du Zapatero. Visiblement, le tirage avait été de
plusieurs milliers d’exemplaires.

Fin de l’été : interpellations à la frontière franco-espagnole


dans les Pyrénées-Orientales
Une fois le tirage fait, le passage des brochures en Espagne
s’organise. Deux moines de Cuxa, Robert Savelli et l’avocat Miquel
Mayol, sont arrêtés près de la frontière avec des exemplaires du
Dictionnaire du mouvement ouvrier.

M. Mayol : Pour ce qui est du Diccionario, je pense que la cheville


ouvrière pour le transport était des membres du PSU de Perpi-
gnan. Il y avait la voiture de St Miquel et deux moines dont l’actuel
prieur Raimon Civil. L’autre était, me semble-t-il, Joseph. Nous
avons été arrêtés par des douaniers de la CGT ! Grâce à l’inter-
vention du président de l’Association culturelle de St Miquel, une
transaction douanière a eu lieu. Cela a coûté 5 000 F (750 €) à St
Miquel. Nous y avons perdu les livres et le sac à dos. Je dois au pré-
sident de l’association de n’avoir pas eu d’ennuis professionnels à
cette occasion.
R. Civil : Nous étions plus de quatre dans la voiture. Il y avait
moi, Joseph un frère de la communauté, Mayol l’avocat et deux
membres du PSU. Il y a des gens qui ont critiqué ces brochures,
une critique intellectuelle. Mais à l’époque pour certains milieux il
y avait un enjeu, c’est pour ça que j’ai trouvé de l’intérêt à le
faire.
On ne devait pas transporter ces brochures jusqu’à Barcelone,
c’était bien plus simple. Tout était préparé, on laissait la voiture
quelque part, car on ne pouvait plus rouler et ensuite on devait
continuer à pied pendant une heure ou plus dans la montagne, les

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sacs à dos bourrés de Diccionario. Du côté espagnol, il y avait un


couple de campeurs, théoriquement amoureux qui attendaient les
brochures. Ils ont attendu en vain et ils sont repartis. Avant de les
rejoindre, on devait s’arrêter avec la voiture, on a suivi une petite
route où on a trouvé des flics motorisés, qui nous ont arrêtés. Ce
n’est pas de la malchance, ils nous attendaient à cause de l’impru-
dence de certains.
Apparemment, au début à Cuxa on était propres, on se servait de la
voiture pour des passages de frontière pour des gens et aussi des
papiers. Tout s’est bien passé sauf ce jour-là, on a passé une nuit à
la douane au Boulou et il a fallu payer une amende pour récupérer
la voiture. Ensuite, il y a eu d’autres passages, même ces bro-
chures sont passées par d’autres filières.
Au mois de décembre 1970, à l’époque la télé n’était qu’en noir et
blanc et il y avait un programme dont le titre était « L’église
demain ». Un soir on a été très surpris de voir un reportage,
« L’église à Barcelone », tourné dans la clandestinité, mais les
curés étaient d’accord pour le faire à visage découvert. Ils ont pré-
senté la brochure (il y en avait un tas et ça se voyait à l’écran) et
ont dit qu’il y avait des gens qui s’étaient faits coincer en tentant de
passer cette brochure. Cette émission, je m’en souviens, elle est pas-
sée deux jours avant qu’on soit convoqués à la préfecture, chez le
préfet, moi, Joseph et le supérieur de Saint-Michel à l’époque, car
la voiture était immatriculée au nom du supérieur. On a eu un très
sévère avertissement, reconnaissant qu’effectivement on avait
transporté des trucs, qu’on s’était faits coincer et qu’on s’enga-
geait à ne pas avoir d’action politique. Le supérieur a dit : « Moi, je
ne signe pas, parce que je n’y suis pour rien. La voiture est à nous
tous (la communauté), moi je suis le titulaire mais eux avaient le
droit de l’utiliser ». C’est un bonhomme qui avait un certain sens de
l’autorité, qui inspirait le respect. Il n’a jamais plus été inquiété.
Pour cette histoire, il y a eu des gens de la communauté qui n’ont
pas été contents, mais tout le monde nous a très bien respectés.
Chacun a le droit d’avoir son avis personnel. L’évêque de Perpignan
s’est très bien comporté.
Joseph et moi avons été expulsés du département des Pyrénées-
Orientales, de mars 1972 à 1973, avec interdiction de résider dans
ceux proches de la frontière espagnole. L’expulsion n’est pas liée

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directement à l’incident de la frontière, c’était plus complexe. Il y


avait beaucoup d’autres choses. Par exemple l’atmosphère poli-
tique de l’époque. C’était celle de Pompidou (président de la Répu-
blique), de Chaban-Delmas (Premier ministre), qui était plus cou-
lant, Marcellin (ministre de l’Intérieur) et de l’autre côté Franco. Il
y avait le fait qu’ici, la communauté et moi, on avait organisé des
rencontres de jeunes chrétiens de gauche venant de plusieurs
pays, parfois on était une centaine avec pas mal d’Italiens (c’est
comme ça que Luigi est venu ici). Sans nous citer, le journal Poli-
tique-Hebdo avait parlé de trucs caractéristiques qui faisaient
peur au gouvernement, à l’État, c’étaient après les événements de
Mai 68 et Saint-Michel remplissait toutes ces catégories et, natu-
rellement, ça nous a créé des ennuis, mais on était prêts. C’était un
engagement de la communauté. Dans l’histoire avec Oriol, Joseph
était plus critique que moi, du point de vue politique et du manque
de précaution. Il avait raison.
De notre côté, il n’y a jamais eu de connaissance doctrinale
marxiste ou politique solide. On n’était pas bêtes, mais on n’était
pas des docteurs de loi, ni des professeurs. On connaissait la lit-
térature à l’époque depuis Pannekoek jusqu’à Marx, Engels. En
fait il y avait des choses du MIL qui m’agaçaient, je le leur disais,
mais le fait de travailler ensemble ne veut pas dire qu’on com-
muniait avec les mêmes idées. Parfois, ils venaient ici, parfois ils
en abusaient un peu, mais pour eux c’était facile. On savait que les
Renseignements généraux étaient attentifs à ce qui se passait à
Cuxa. Nous avions nos antennes à Perpignan, disons des gens
amis, qui sont morts, dont un ancien résistant catalan qui avait de
très bons amis très haut placés, alors on était plus ou moins au
courant.
R. Savelli : Lorsque l’on s’est retrouvés à la douane, j’ai pu m’ab-
senter, m’écarter et téléphoner à une copine à Perpignan. Elle a
passé la frontière et a pu prévenir le couple qui nous attendait
avec les brochures. Effectivement, nous étions attendus par la
douane à la frontière à cause du bavardage de certains. Un autre
passage des brochures a été organisé mais je ne m’en suis pas
occupé.
J’ai participé à l’organisation et animé avec Bruni (Lotta Continua)
des rencontres à Saint-Michel de Cuxa.

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Les rencontres à Toulouse


Concernant l’EE, on ne peut affirmer qu’un groupe réel se
soit constitué autour de cette appellation. C’est un sigle de cir-
constance qui apparaît officiellement au mois d’août 1970 avec
l’édition de la brochure Diccionario del militant obrero. L’EE, c’est
surtout Oriol qui mobilise ses contacts en fonction des nécessités de
la lutte et des besoins. C’est au cours de l’année 1970 que se ren-
contrent la plupart des protagonistes, résidant en France, qui
seront plus ou moins membres de l’EE, du 1000 et du MIL/GAC.
Dans un premier temps, on trouve autour d’Oriol des Espagnols
comme Bermejo, Simon, ou des fils de réfugiés et une Française,
l’Infra.
Vicente Sanchez Bermejo, originaire de Belmez, province de
Ciudad Real (Castille), est étudiant à Toulouse. Après son inter-
pellation de mars 1971, il quitte la France et rejoint l’Espagne où il
est incarcéré pendant deux mois.
Joan C. alias « Simon » est originaire de Mataró près de Bar-
celone, frère de Beth. Lui aussi étudiant.

Simon : J’ai connu Oriol Solé à Toulouse en septembre 1970, à tra-


vers des amis rencontrés à Cadaquès (province de Gerona) en
juin-juillet 1970 où je me suis caché suite à la tombée d’une impri-
merie clandestine à Barcelone. Ils m’ont fait connaître aussi Jean-
Michel L (25), originaire de Pau, étudiant en sociologie à l’université
du Mirail, situationniste et acteur-ami des gens de l’Acte (troupe de
théâtre). C’est lui qui m’a mis en contact avec Oriol.
Réfugié en France à Toulouse, je me suis inscrit à la faculté, j’avais
obtenu le statut de résident qui me permettait une liberté de mou-
vements… Je n’ai jamais été un militant dans le sens militer.
J’étais à la fois acteur et observateur de mon temps. J’avais beau-
coup de rêves, mon idole c’était Che Guevara, comme des milliers
de jeunes à l’époque.

25 – On a essayé à plusieurs reprises de contacter Jean-Michel L, il n’a


jamais répondu à nos courriers. Nous mettons ses initiales car il ne souhaite
peut-être pas que son nom apparaisse.

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Dans l’immeuble des Arènes, il y avait Dupuy et sa femme Pier-


rette qui collaboraient avec Oriol dans l’infrastructure de distri-
bution des « Diccionarios » et de tracts. Ils étaient professeurs
d’université à l’époque.

Fin 1969, l’Infra (qui vient du mot « infrastructure ») débarque


de Paris à Toulouse, pour y implanter la GP (Gauche Proléta-
rienne). C’est la direction (26) parisienne de cette organisation qui
l’envoie avec deux autres militants.
Elle rencontre Oriol et participe brièvement à l’activité de
l’EE. Au cours de l’année 1970, avec Oriol, elle l’accompagne en voi-
ture à Barcelone pour livrer à un groupe d’ouvriers révolution-
naires du matériel d’imprimerie dérobé en France.

L’Infra : J’étais à la GP du début à la fin. Je n’étais pas une théo-


ricienne, mais plutôt par goût, loin du centre et des pouvoirs.
C’était pour moi un lieu idéal d’investissement et de fantasme. On
pouvait investir toutes les dimensions qui plaisaient. Aussi bien
sacrificielle, messianique, enthousiasme, charité. Ni maquisard ! Ni
garde rouge ! Ni romantique ! Ni militaro ! Pour en venir à com-
prendre comment j’ai été proche d’Oriol, comme je vous l’ai dit, mili-
tante gépiste exemplaire mais loin du centre dogmatique (on m’ap-
pelait « l’infra »), j’avais quelques curiosités, fréquentations et
actions « secrètes ». De temps en temps, si je me faisais tancer par
mes chefs, je n’en ai jamais été le moins du monde écorchée. Tout
cela allait d’une curiosité pour la contre-culture américaine, à la
picole et au soutien à la lutte antifranquiste quand je suis arrivée
à Toulouse vers le début de 1970. J’ai tout arrêté progressivement
pour tourner la page vers 1975. Mes 20 ans furent heureux. J’étais
très amie avec Oriol un moment mais je n’avais pas accès au cœur
des choses. Je l’ai aidé, j’ai partagé un appartement avec lui.
Nous avions une affection l’un pour l’autre, c’est tout. Il y a des fous
salauds et sinistres, c’était un fou généreux, honnête. Pour moi, en
gros, il incarnait un combat militaire justifié… combat qui avait une
réelle valeur à mes yeux à côté de nos activités militaires gépistes.

26 – L’un des membres est Serge July. Il sera l’un des principaux dirigeants du
journal Libération de 1973 à 2006.

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En automne, Oriol participe à diverses manifestations et


actions. Il fait des rencontres déterminantes pour la suite. Il croise
la route de ceux qui formeront « la branche française » du MIL :
Cricri et Sebas.
Torres Jean-Claude dit « Cricri ». Suite au collier africain que
Jean-Claude portait autour du cou, ses amis parlaient d’un grigri
et ont fini par l’appeler Cricri. Maria Mombiola le surnommera
« L’Ambassadeur ». Il est né le 29 juillet 1951 à Toulouse d’un
père originaire de Lérida (Catalogne) et d’une mère d’origine ita-
lienne. À 16 ans, il suit sa famille en Afrique, en 1969, il revient à
Toulouse et s’installe dans l’appartement familial de la rue des
Blanchers. Il s’inscrit à la faculté de lettres, située à cette époque au
centre-ville de Toulouse, dans les bâtiments universitaires de l’Ar-
senal. La faculté connaît des moments très agités.
Rouillan Jean-Marc alias « Sebas », surnommé ainsi en 1970-
1971 par Simon parce qu’il parlait souvent de la ville de Saint-
Sébastien située au Pays basque sud. Maria Mombiola le surnom-
mera « le Révolutionnaire ».

Sebas : Je suis né le 30 août 1952 dans le quartier Sent Pèir à


Auch. Donc gascon. Et comme tel, il faut le souligner car culturel-
lement c’est très fort, les Pyrénées ne constituent pas une frontière
mais une zone homogène. Ce sentiment dans ma famille est ren-
forcé du fait même qu’une branche est originaire de hautes vallées
situées dans l’État espagnol. Ma grand-mère avait quitté le massif
de la Bonaiga (à la limite du Val d’Aran et de la Catalunya) au
début du siècle.
Mon père a été nommé à Toulouse au début des années 1960 (1962
peut-être). Ex-instituteur, il a franchi progressivement les échelons
dans l’administration de « la jeunesse et des sports ». Ainsi le
milieu familial est petit-bourgeois. Une ambiance de gauche. Mon
père avait été dans sa jeunesse membre du parti de la gauche
révolutionnaire de Pivert. Puis, lors de l’occupation, il avait rejoint
l’Armée Secrète, dominant la résistance dans le Gers. Ma mère,
d’origine paysanne, était elle aussi d’une famille de gauche. Mon
grand-père fut un des premiers membres du PCF dans le Gers dès
son retour d’Allemagne où il fut prisonnier (guerre 14-18) et comme
tel avait assisté au début de la révolution conseilliste.

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Après la guerre, mes parents ont été des compagnons de route du


PC. Ensuite, mon père a rejoint le Parti Socialiste Autonome (ayant
rompu avec la SFIO) et, après les congrès d’Epinay, le PS actuel.
Nous nous sommes installés dans le quartier nord de Toulouse,
dans la cité des Mazades, où je suis resté jusqu’en 1970. Je suis allé
au lycée Nord qui a changé de nom depuis (Toulouse-Lautrec,
non ?). Un lycée où deux populations se côtoyaient alors, d’un côté
la petite bourgeoisie de quelques cités du coin (souvent aux racines
ex-paysannes) et de l’autre, le prolétariat et le lumpen (il y avait
énormément de misère et même des petits îlots de bidonvilles au-
delà de la voie ferrée).
À l’automne 1968, j’ai intégré le lycée Ozenne, rue Merly, là, un
autre folklore. Vers le bac économique. Cravate obligatoire pour les
mecs, pantalon interdit pour les nanas. C’est là où j’ai rencontré le
« Grand blond » ; nous y étions quasiment les seuls militants
lycéens. En 1969, nous avions fait un CAL (Comité d’action lycéen).
Lors de la réunion de la coordination des CAL toulousains, le
Grand avait opté pour le camps pro-PC qui voulait institutionna-
liser le mouvement et créer ainsi l’UNCAL. J’ai suivi. Et comme on
était à Ozenne, on assurait les permanences de l’UNCAL, entre
midi et deux, à la Bourse du travail. On passait derrière, dans la
rue Merly, au local de la CNT. Le café le Merly était le même pour
nous, celui du lycée entre les cours et celui des rencontres politiques
avec les anars et les maos. Le Grand connaissait la Carpe qui
était étudiant en science. La Carpe, fils d’exilé, connaissait le Zapa-
tero. C’est la Carpe aussi qui me présenta Mario « Petit Loup », au
marché aux puces. Mario vivait à cent mètres de la rue d’Arcachon
(mon domicile). Je le croisais toujours dans le bus, avec sa cape et
son béret style Che, Dandy était le copain de lycée d’un ami d’en-
fance, nous jouions dans le même groupe de rock. Et nous avions
fait un peu de route ensemble, en Angleterre.

Le Grand blond dont parle Sebas n’est pas membre de l’EE, ni


du MIL. De janvier à mai 1971, il habite avec la Carpe et n’est pas
très éloigné du groupe Oriol-Sebas. Oriol d’ailleurs lui apprend à
subtiliser une voiture. Ce qu’il fait très bien… Il intègre par la suite
la GP.

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Henri Olle est né le 2 août 1950 à Perpignan (Pyrénées-Orien-


tales), il est appelé la « Carpe », surnom qui viendrait du fait qu’il
n’était pas très volubile. Ses parents sont originaires de Cata-
logne. Le père, ouvrier du bâtiment, est membre de la CNT et de la
FIJL. Combattant sur le front d’Aragon dans la colonne Durruti, il
se réfugie en France en 1939 où il est interné dans le camp de
concentration d’Argelès-sur-Mer (Pyrénées-Orientales). La mère,
femme de ménage, rejoint le père en 1945 après avoir tenté deux
fois de passer les Pyrénées. Elle est arrêtée par la Guardia Civil et
incarcérée pendant quelques mois.
En 1955, la famille s’installe à Cazères (Haute-Garonne).
Henri baigne dans le milieu antifranquiste. Il est élevé par le père
dans la perspective d’un retour en Espagne et qu’il faudra chasser
les franquistes, les armes à la main. La Carpe participe aux mani-
festations de 1968, s’investit à fond et devient un militant libertaire
très actif. Il passe son bac technique à Toulouse et s’inscrit à la
faculté pour les années 1969-1970 et 1970-1971. D’après son
frère, il fréquente la cité universitaire de l’Arsenal mais sans avoir
l’intention de poursuivre ses études. Au printemps 1972, il arrête
ses activités politiques. Il exerce divers boulots, comme anima-
teur de colonies, ouvrier dans le bâtiment et garde-barrières
(SNCF)…
Le 23 juin 1974, dans l’Hérault, il est fauché mortellement par
une voiture alors qu’il circule à mobylette.
Mario ne sera ni membre de l’EE ou du MIL. Après les arres-
tations en Catalogne de septembre 1973, Mario participe aux
actions de solidarité et à l’activité des GARI (Groupes d’action
révolutionnaires internationalistes).
Dandy, ce nom apparaît plusieurs fois dans le document. Nous
l’avons rencontré à diverses reprises en 2005. Réticent, méfiant, il
n’a pas souhaité que son vrai nom soit publié, disant qu’il ne se sou-
venait pas de grand-chose et qu’il n’a jamais été membre du MIL.
Il a bien été à Barcelone avec le groupe, mais n’a participé à
aucune expropriation. Il savait que le groupe utilisait des armes,
mais il n’était pas d’accord sur les orientations. Fils d’ouvrier, il
était un copain de Sebas qui lui a fait rencontrer ses amis et à
diverses occasions, il leur a rendu service comme il l’aurait fait pour
des amis.

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Sebas : Dandy a raison, il était essentiellement là parce qu’il était


un copain. Ses motivations politiques étaient assez farfelues.
D’ailleurs, il n’a eu qu’un rôle logistique à Toulouse et d’appui lors
de certaines opérations à Barcelone (mise en place de voiture,
transports, etc.).
J’ai fait la rencontre du Zapatero au courant de l’automne 1970 par
l’intermédiaire de la Carpe mais Mario le connaissait bien égale-
ment. Dès ce moment-là, je lui ai rendu visite très régulièrement
jusqu’à mon arrestation fin 1974.

Le Zapatero et Blanca sa compagne et épouse sont des


membres actifs de la CNT espagnole dans l’exil à Toulouse qui
apporteront une aide concrète à ceux du MIL. Navarro Theophilo dit
« Negro » ou le « Zapatero » (cordonnier) né en 1915, en Espagne, à
Valladolid (Castille-Léon) d’un père bûcheron et ensuite guardia de
seguridad (garde de sécurité). En 1929, la famille déménage à
Barcelone. Dès l’âge de 11 ans, il est cordonnier et en 1931 il tra-
vaille dans un magasin de chaussures où il rencontre un ouvrier
délégué à la CNT qui le fait adhérer à l’organisation, CNT qu’il n’a
jamais quittée depuis, malgré de nombreux désaccords. En 1934, il
s’installe à son compte à Barcelone, calle Industria (aujourd’hui
calle Carthagena) où il rencontre Blanca.

Zapatero : Après l’insurrection fasciste de juillet 1936, ensemble


on a rejoint la Colonne Durruti sur le front d’Aragon. Chassé
d’Espagne en 1939 comme des milliers d’autres, j’ai connu et vécu
les camps de concentration dans le sud de la France comme ceux
du Vernet d’Ariège, de Septfonds en Haute-Garonne et Bram dans
l’Aude. Les hommes et des femmes étaient envoyés dans les camps.
D’autres femmes et les enfants de moins de quatorze ans étaient
séparés de nous autres et envoyés ailleurs en France. Blanca s’est
retrouvée en Haute-Loire dans un foyer d’accueil. On m’a proposé
un travail de cordonnier à Cordes dans le Tarn, j’ai accepté et je
suis sorti des camps. Blanca a pu me rejoindre.
Sans jamais renoncer à lutter, nous nous sommes installés
quelques années plus tard à Toulouse à l’occasion d’un premier
mai.

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Je les ai rencontrés pour la première fois par ma fille, Blanca. En


1968, j’amenais mes enfants dans les universités pour qu’ils voient
et après ils ont voulu faire de l’action et ils se sont mêlés à des
jeunes pour casser du flic. Je les suivais plus ou moins et un jour
Blanca m’a parlé de Jean-Marc.
On connaissait aussi Olle, mais là c’était par la famille, le père était
libertaire et j’ai connu les enfants. Un jour, un des enfants est
venu me voir, on a parlé et je lui ai dit que j’étais prêt à l’aider mais
que je ne voulais connaître personne à part lui mais cela n’a pas
tenu, il m’amenait un copain et puis un autre et des soirs on se
retrouvait à cinq ou six à la maison. Parmi eux, il y avait Jean-
Marc qui était un gars violent, très capable et très astucieux. Pour
la lutte c’était bien mais il se foutait un peu de la théorie.
Seul Puig était anarchiste, les frères Solé étaient catalanistes et
comme il n’y a pas d’actifs chez les catalanistes, ils sont venus
là.

Sebas revient sur sa rencontre avec Oriol dans une interview


pour le journal catalan El temps du 7 mars 1994 :
« J’ai rencontré Oriol au cours de l’année 1970 à l’occasion d’une
assemblée de lutte. Bien que nous représentions des organisa-
tions différentes, lui cadre ouvrier de la Gauche prolétarienne et
moi membre d’un groupe autonome, nous avons défendu ensemble
une même proposition d’action armée de soutien à la grève. Mino-
ritaires, la proposition fut rejetée, mais dès ce jour-là, nous avons
commencé à agir en commun et, bien sûr, en tout premier lieu sur
la question antifranquiste. Oriol était plus âgé que nous,, il avait un
passé militant et une formation politique que nous n’avions pas. Il
avait été arrêté et emprisonné à Barcelone, il était réfugié, c’est dire
qu’il était déjà pour nous auréolé de prestige. Mais justement, il
n’en profita jamais pour s’imposer et diriger. S’il s’impose, c’est par
ses qualités certaines à dynamiser, à projeter et à organiser. Ses
propositions étaient toujours claires et concrètes.
Il était donc à l’époque membre de l’organisation mao, mais la GP
correspondait plus à la version « anarco-maoiste » surgie de Mai 68
avec la force du courant du Mouvement du 22 mars. Concrètement
et tout naturellement, c’est sur la base de l’idée force de l’auto-orga-

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nisation des luttes dans la péninsule et de leur soutien que s’est


formé le noyau autour d’Oriol »
D’après deux responsables de la GP, fondateurs de l’organi-
sation à Toulouse, Oriol n’a été ni cadre ni membre de cette orga-
nisation. Il était simplement en contact avec l’Infra et d’autres
membres de la GP, surtout au moment de la solidarité avec les
inculpés basques qui étaient jugés par le Conseil de guerre à
Burgos.

Sebas : De l’EE, je ne connaissais qu’Oriol, Bermejo de Ciudad


Real (proche d’ORT), un gars de Pau qui faisait du théâtre à
Toulouse et une camarade d’une trentaine d’années qui faisait
partie également de la cellule GP descendue de Paris pour créer
une section ici, vraiment un truc de bric et de broc réuni pour sou-
tenir.
Le 1000, créé en janvier 1971, rompait avec ça. Nous nous consti-
tuions pour autre chose, une action solidaire, une aide matérielle
réelle et directe.
Simon : Je connaissais Vicente Sanchez alias Bermejo. Un type
gros, qui voulait surtout finir ses études… Il y avait un maçon, qui
s’appelait peut-être Raphael, qui collaborait aussi avec V. San-
chez. Il y avait aussi Jean-Marc Rouillan dit « Negrito ». Son idée
c’était de tout faire éclater, de rigoler, il était fasciné par Bonnot (27).
À l’époque il était un peu dur et aussi un peu téméraire. Il me fai-
sait rigoler et peur en même temps. Il avait comme amis, Olle et
Cricri. Olle était son lieutenant qui volait dans les voitures ou les
voitures mêmes, il assurait l’intendance de la troupe avec des
chèques volés. Grâce à lui, on mangeait souvent…

Climat toulousain
Pour reconstituer les faits, nous utilisons « Dos anys de resis-
tencia » (Deux ans de résistance). Ce texte, rédigé en catalan par
Oriol, est important car il dresse le bilan des actions qui vont d’oc-
tobre 1970 à août 1972. Il a été découvert, en août 1972, par la gen-

27 – Bonnot (1876-1912) est membre d’un groupe anarchiste nommée La


bande à Bonnot, qui est à l’origine du premier hold-up à l’aide d’une voiture.

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darmerie lors de la perquisition effectuée à Bessières (Haute-


Garonne) dans la ferme louée par des membres du MIL/GAC.
Nous l’avons retrouvé à Toulouse, dans les dossiers de l’un des avo-
cats des membres du MIL.
Ce texte permet de compléter et d’éclaircir toute la période sur
l’activité de l’EE et du noyau radical 1000 avant la première expro-
priation à Barcelone en juillet 1972 revendiquée par le MIL/GAC.
Oriol situe les premières actions du 1000 bien avant sa constitution
le 19 janvier 1971. Certainement parce que Sebas, Cricri, la Carpe
et lui-même ont participé plus ou moins aux divers événements
relatés. Sauf indication, tous les titres entre guillemets, d’octobre
1970 à août 1972, en sont extraits. Il est reproduit en annexe dans
son intégralité pour la première fois.

Sancho : Pour le ton et le contenu, il n’y a pas de doute, il a été


écrit par Oriol. Il a été fait pour une réunion avec trois membres de
la OLLA (Organització de lluita armada). Réunion qui a eu lieu en
1972 dans un village abandonné des Pyrénées catalanes, dans la
Cerdanya espagnole. Du MIL étaient présents Jean-Marc, Oriol,
moi et Montes.
Sebas : Ce texte a été écrit par Oriol à la ferme, début août. Il a
été utilisé lors de plusieurs réunions que nous avons organisées
à Barcelone en août et septembre 1972. Mais, je ne vois pas
bien comment ont été récoltées les informations. Nous n’avions
aucune archive, nous ne gardions vraiment rien, ni tracts, ni
textes…

Dans la chronologie, à la date de décembre 1970, Oriol parle du


groupe occitan Vive la Commune. D’après Henri Martin (28),
membre de ce groupe, il est constitué de six à dix personnes (Henri,

28 – MARTIN Henri (1947-2002), figure du mouvement libertaire toulousain.


Dès les années 1960, il participe à divers comités de lutte antinucléaires ou
chômeurs et de solidarité, notamment aux emprisonnés du MIL et GARI. Fin
1983, il est à la création du SCALP (Section carrément anti Le Pen)… Auteur
de nombreux textes politiques.

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Sebas, la Carpe, etc.), et prend ce nom en référence à la commé-


moration prochaine du centenaire de la Commune de Paris
(18 mars 1871-29 mai 1871). Il n’a rien de régionaliste. À Tou-
louse, après 1968 et en dehors des organisations libertaires exis-
tantes, c’est l’un des groupes autonomes issus d’une mouvance qui
rassemble à la fois des libertaires et des maos non dogmatiques…
L’activité du groupe autonome libertaire Vive la Commune dure
quelques mois.

Sebas : J’ai connu les groupes qui tournaient alors à l’époque, il


n’y avait pas le sectarisme actuel. Maos et anars se fréquen-
taient et organisaient des choses sans fausse polémique. Les
réunions se déroulaient rue Merly au local d’une fantomatique
CNT, jusqu’à notre déplacement vers les salles universitaires de
l’Arsenal.
Donc, on a pris l’habitude d’aller à l’Arsenal et nous fréquentions
encore le café Merly, le Florida (29). C’étaient des lieux de mobi-
lisation pour les manifs et les petites actions. L’accélération s’est
produite en septembre 1970 à mon retour de l’Angleterre (épi-
sode émeute de l’île de Wight pour la gratuité du festival de
musique, arrêté avec onze autres personnes quelques jours plus
tard, je fais une semaine de prison). À peine arrivé à Toulouse,
j’ai rejoint Henri et la Carpe. Nous avons loué une maison rue
d’Aquitaine, dans le quartier des Mazades.
La maison va devenir le cœur du groupe spécifique Groupe Auto-
nome Libertaire-Vive La Commune. Pour ma part je ne fréquentais
pas les anars officiels comme Jo et le Petit barbu (30). J’étais dans le
milieu lycéen, j’avais à peine 18 ans.
De nombreux fils d’Espagnols sont venus nous rejoindre.
Pour le GAL-Vive la Commune, nous nous sommes créés en sep-
tembre 1970 et séparés début janvier 1971. Du moins, la Carpe et
moi l’avons quitté, peut-être a-t-il continué. En février 1971, j’ai uti-
lisé la maison commune de la rue d’ Aquitaine pour héberger deux
dirigeants d’ETA. Donc, nous conservions de bonnes relations.

29 – L’un des bars de la place du Capitole fréquenté alors par des rebelles et
l’extrême-gauche.
30 – Surnom de l’un des membres de l’Imprimerie 34.

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« 21 et 22 octobre : Manifestations de grande violence dans


la rue pour la libération du leader maoiste Geismar »
Les rues de Toulouse connaissent trois jours d’agitation pour
protester contre le procès et exiger la libération d’Alain Geismar, un
des dirigeants de la Gauche prolétarienne, qui a été interpellé et
inculpé de « provocation directe suivie d’effets, de violence et voies de
fait contre les agents de la force publique » et incarcéré fin juin 1970
à la prison de la Santé à Paris. Geismar avait appelé : « le peuple à
descendre dans la rue avec des fusils » (31) lors d’un meeting à la
Mutualité de Paris, le 25 mai 1970. L’État le rendait responsable
des violences lors des manifestations de mai-juin à Paris, à Mar-
seille, à Grenoble… contre l’incarcération et le procès de deux
directeurs de La Cause du peuple (journal de la GP).
Le 19 à Paris, dix-sept voitures (DS et ID) entreposées dans le
parc des usines Citroën, quai de Javel, sont incendiées. Un autre
commando, dans le XIIIe arrondissement, met à sac les bureaux de
l’Inspection des contributions directes du secteur.
Le 20 à Toulouse, le Palais de justice et les facultés sont qua-
drillés par d’importantes forces de police. Quatre cents personnes
assistent au meeting de solidarité organisé par le Secours Rouge
(SR). Vers 19 h, avec une quinzaine de personnes, Sebas, Oriol, l’In-
fra et la Carpe cassent à coups de pavés la vitrine du Grand
Hôtel (32) (rue de Metz), un restaurant huppé de Toulouse, et ils y
balancent quelques cocktails Molotov. L’incendie est maîtrisé, des
tracts favorables à Geismar sont retrouvés sur le trottoir.
À Paris, de multiples incidents ont lieu, la police interpelle près
de quatre cents personnes. Geismar est condamné dans la soirée
par le tribunal correctionnel à dix-huit mois de prison ferme.
Les deux jours suivants, des barricades sont érigées autour de
la cité universitaire de l’Arsenal, et certaines enflammées, comme

31 – Les propos tenus par Geismar ce jour-là sont l’un des arguments de Ray-
mond Marcellin, ministre de l’Intérieur, pour interdire la GP. Le décret de dis-
solution est signé le 27 mai 1970 par le président de la République, G. Pom-
pidou.
32 – Hôtel de luxe qui ferme ses portes au milieu des années 1970, racheté par
le Conseil général en 1978. Il y installe les services de la Préfecture (cartes
grises, permis de conduire, etc.) jusqu’à l’an 2000. Le bâtiment sera squatté de
janvier 2001 à juillet 2005 par le collectif d’artistes « Mix Art Myris ».

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celle de la rue Valade, le 21, provoquent l’intervention des forces de


l’ordre. Les manifestants les reçoivent à coups de pierres et d’objets
divers.
Le 22, une barricade est incendiée boulevard Armand-Dupor-
tal pour empêcher toute circulation, une autre est construite à
l’angle des allées de Barcelone. Des cocktails Molotov sont jetés
vers 21 h contre la Banque de France.

« 26 novembre : insurrection estudiantine à Toulouse.


160 interpellés dont 13 militants radicaux »
Le 24 novembre 1970, à Paris, la Cour de sûreté de l’Etat (33)
condamne Alain Geismar pour fait de reconstitution de ligue dis-
soute à deux ans de prison ferme, 1 000 francs (150 €) d’amende et
privation de ses droits civiques et familiaux (34). À la suite de ce
jugement, le « Mouvement du 27 mai» (35) appelle à une « Assem-
blée générale de combat » le 26 à 10 h, à l’Arsenal. À la fin de cette
réunion, un groupe composé d’une quarantaine de personnes
(anars, maos, etc.) se rend à la faculté de droit, rue Albert-Laut-
man, pénètre dans le grand amphithéâtre en plein cours en lan-
çant des poches de sang dans la salle et sur le professeur Montané
de Laroque, admirateur des dictateurs Franco et Salazar. Cette
intervention déclenche une bagarre avec les étudiants en droit et
provoque, vers 11 h 30, l’intervention des forces de l’ordre qui
sont reçues à coups de pierres et de cocktails Molotov par le
groupe revenant à l’Arsenal, les CRS ripostent avec des grenades
lacrymogènes.
Dans l’après-midi, Lagardelle, journaliste et conseiller muni-
cipal de Toulouse (membre du PS), venu voir ce qui se passe à la
faculté de l’Arsenal, est séquestré par des gauchistes, dixit La
Dépêche du Midi. Ce qui, d’après les autorités, provoqua l’inter-

33 – La Cour de sûreté de l’État (CSE) est composée uniquement de magis-


trats et de juges militaires. Elle a été créée en 1960 pendant la guerre d’Al-
gérie, abolie en 1981 et rétablie en 1986 mais sans les juges militaires.
34 – Suite à une omission dans l’arrêt rendu par la CSE, A. Geismar est rejugé
et voit sa peine réduite à 18 mois fermes. Il est libéré en décembre 1972.
35 – En référence à la date du décret de dissolution de la Gauche Proléta-
rienne par l’État français.

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vention des CRS à l’intérieur du campus, le but était de délivrer


Lagardelle mais surtout de rétablir l’ordre et nettoyer la faculté de
ses éléments révolutionnaires et contestataires.
Des heurts violents durent pratiquement toute la journée,
occasionnant l’interpellation de plusieurs dizaines de personnes
sur les quelques centaines d’étudiants, chômeurs et ouvriers qui
participent aux affrontements. Vingt CRS sont blessés dont six
sérieusement, plusieurs manifestants sont soignés discrètement à
l’hôpital, trois seront inculpés par la suite. Treize personnes,
prises au hasard parmi les interpellés, sont inculpées et incarcé-
rées à la prison Saint-Michel de Toulouse, l’une d’entre elles est la
Carpe.
Divers communiqués dénoncent l’entrée des forces de l’ordre
sur le campus et le comportement extrêmement violent des CRS
dans les chambres de la cité universitaire (saccages, brimades
physiques, etc.). Les étudiants communistes (PCF) condamnent à
la fois l’intervention des forces de l’ordre et la provocation des
groupes maoïstes, assimilant les actions de la matinée du 26 no-
vembre à des actes fascistes. Pour le PS et le PC, l’attitude des agi-
tateurs fait le jeu du pouvoir.
Mais une solidarité importante se manifeste le lendemain et
les jours suivants pour protester contre les incarcérations et les vio-
lences policières.

« 27 novembre-2 décembre : Semaine de mobilisation


générale contre la répression - Manifestations et attentats » (36)
Le 27 novembre, plus de deux mille manifestants descendent
dans les rues de Toulouse à l’appel du Secours Rouge et de divers
collectifs, pour dénoncer l’intervention des CRS à l’Arsenal et obte-
nir la libération des incarcérés de la veille. La police bloque la
progression de la manifestation vers le centre-ville, ce qui pro-
voque de nouveaux affrontements avec des blessés de part et
d’autre et l’interpellation de plusieurs manifestants. Vers 16 h 30,
la faculté de droit subit une nouvelle attaque avec des jets de
cocktails, de pierres et de fumigènes.

36 – C’est jusqu’au 3 décembre que les événements ont lieu.

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Le 2 décembre, au tribunal correctionnel (37) situé place du


Salin, s’ouvre le procès, en flagrant délit, des treize militants incar-
cérés et inculpés de « participation à une manifestation interdite et
de violence à agents de la force publique ». Les médias présentent
les inculpés comme étant des maoistes alors que, si certains s’en
réclament, d’autres sont sans étiquette comme par exemple la
Carpe.
À 18 h, à l’appel du Secours Rouge, mille personnes défilent
dans le faubourg Bonnefoy pour demander la libération des incul-
pés et celles des Basques du sud dont le procès à Burgos (Espagne)
commence dans quelques jours. À 19 h, un second rassemblement,
place Jeanne-d’Arc est dispersé par les CRS, ce qui occasionne
une nouvelle confrontation. Des cocktails Molotov sont jetés sur des
véhicules de police, une barricade est érigée et les vitrines du
grand magasin le Capitole (aujourd’hui les Galeries Lafayette)
sont brisées, le tout enrobé de grenades lacrymogènes. Le calme
revient vers 23 h. Le bilan est de six blessés parmi les forces de
l’ordre et vingt manifestants interpellés dont quatre incarcérés
après leur garde à vue et condamnés le 9 décembre 1970 à des
peines de prison avec sursis.
Le 3 décembre, le tribunal rend son verdict concernant les
treize incarcérés depuis le 26 novembre : quatre personnes sont
relaxées et les neuf autres condamnées à des peines échelonnées de
cinq mois fermes à du sursis. La Carpe, lui, est condamné à quinze
jours fermes et deux mois avec sursis.
La décision judiciaire crée une certaine colère à l’extérieur
avec, par exemple, l’attaque à deux reprises du commissariat de la
rue de Rémusat, par un commando composé de plus d’une ving-
taine de personnes. Plusieurs cocktails Molotov et des pierres sont
lancés contre les bureaux.

37 – Le magistrat qui préside l’audience et qui rend le jugement sera visé le 9


décembre 1970 par le dépôt d’une bombe de fabrication artisanale dans l’en-
trée de l’immeuble du quartier Saint-Sernin où il réside. La porte d’entrée de
l’immeuble et les vitres de la cage d’escalier seront brisées par l’explosion de
l’engin. L’acte n’est pas revendiqué. En 1996, l’un des membres du groupe
(libertaire) responsable de l’action a tenu à nous préciser : « Nous avons tout
fait pour qu’il n’y ait que des dégâts matériels ».

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Dans La Dépêche du 4 décembre, le Secours Rouge dénonce les


actions minoritaires du mercredi de la place Jeanne-d’Arc et celles
du jeudi contre le commissariat.
En 1970, l’incarcération de dizaines de militants (GP, Vive la
révolution…) suite à la promulgation de la loi anticasseurs, les
diverses grèves de la faim de septembre, décembre 1970 et janvier
1971 pour l’obtention du régime spécial (statut de prisonnier poli-
tique) ainsi que la solidarité extérieure, permettront de lever un
coin du voile de la réalité carcérale. Cette effervescence donne
naissance, le 8 février 1971, au GIP (Groupe information prison)
qui mènera un travail concret (publication de brochures, manifes-
tation…) sur l’arbitraire carcéral.

Oriol n’est pas en reste, comme il le racontera plus tard aux


gendarmes lors de son interrogatoire du l8 septembre 1972, après
son interpellation dans l’appartement rue Raymond-IV à Tou-
louse :
« Étant à Toulouse fin 1970 et début 1971, c’est-à-dire avant
mon incarcération à la maison d’arrêt de Montauban pour 1es
faits dont je me suis expliqué plus haut, j’ai participé dans
cette ville le 3 décembre 1970, en raison de mon appartenance
au Secours Rouge, à une manifestation place du Capitole.
J’étais parmi les manifestants qui ont lancé des cocktails Molo-
tov sur les forces de l’ordre, mais pour ma part, je n’ai pas
balancé de ces engins lorsque les CRS ont chargé, tout le monde
s’est dispersé et je ne suis pas au courant d’une lancée contre le
magasin du Capitole, par contre, je sais qu’un engin semblable
a été lancé contre le commissariat. »

À diverses occasions, nous utilisons des extraits des procès-ver-


baux d’audition d’Oriol, trouvés dans les dossiers d’un avocat.
Quand les gendarmes l’interrogent sur les événements relatés
dans le texte « Dos anys de resistencia », Oriol s’attribue parfois le
rôle du chef. Pour impressionner la justice ? Il faut être prudent
avec ses déclarations parce qu’il est en garde à vue et qu’elles sont
transcrites par un gendarme. Même s’il arrange les faits, il donne
cependant, une idée de son état d’esprit à l’époque.

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« 13 décembre : Incendie de la faculté de droit


(lieu des fascistes) »
Oriol : Toujours en raison de mon appartenance au Secours
Rouge, le 13 décembre 1970, j’ai participé à une réunion politique
à l’Arsenal de Toulouse. Un groupe politique opposé à nous est
venu pour nous déloger. Les manifestants, au nombre de vingt
environ, portaient des casques et étaient munis de barre de fer. Ils
venaient de la fac de droit. Mes militants et moi, nous nous
sommes défendus à l’aide de manches de pioches et nos atta-
quants (fascistes) se sont réfugiés à la fac de droit, d’où ils étaient
venus. Nous les avons poursuivis et mes militants sont passés à
l’attaque. Nous étions environ une soixantaine. Nous avons
défoncé les portes de la faculté de droit et des cocktails Molotov
ont été balancés à l’intérieur, ce qui a occasionné un début d’in-
cendie à la fac de droit. Après ça, nous nous sommes retirés. En ce
qui me concerne, j’étais dans la rue, au moment des événements
je faisais de la protection, c’est-à-dire le guet, car la situation était
critique. ■ Extrait du procès-verbal d’audition d’Oriol du 18 sep-
tembre 1972.

« 16 au 26 décembre Toulouse : Avec le groupe occitan Vive


la Commune, le groupe dirige une campagne d’agitation
à l’occasion du procès de Burgos. Bombe au Consulat
espagnol. Attaque et destruction de l’agence Iberia.
Trois attaques au Centre espagnol »
Du 13 au 28 décembre 1970, se déroule à Burgos (Espagne),
devant le Conseil de guerre, composé de juges militaires, le procès
de seize militants basques de l’ETA. Ils sont accusés d’avoir exé-
cuté, en 1968, Manzanas, commissaire de la BPS (Brigade politico
sociale), connu pour être un tortionnaire. Pour « Sauver Izko et ses
camarades » de la peine capitale, une campagne de solidarité est
menée dans divers pays du monde, notamment en Espagne. En
France, dans plusieurs villes, elle est conduite par le Secours Rouge
et quelques organisations d’extrême-gauche, suivis par la Ligue des
droits de l’homme et quelques syndicats de gauche. Six des accusés
sont condamnés à la peine de mort et finalement la sentence est
commuée à la prison à vie par Franco sous la pression des mani-
festations nationales, internationales et du Vatican.

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Les médias locaux, La Dépêche du Midi et Midi soir (une


seconde édition de La Dépêche qui sortait en fin d’après-midi), ne
relatent pas ces actes. Il se peut qu’Oriol en rédigeant le document
« Deux ans de résistance » se soit trompé sur les dates ou simple-
ment que les médias n’ont pas répercuté les faits.
À Barcelone, la grève à l’usine d’Harry Walker débute le
17 décembre.

■ 1971
« 13 janvier : Association infra-structurelle ETA (VI Assemblée).
Récupération avec ETA
18 janvier : Récupération de matériel d’imprimerie »
Dans la nuit du 13, une machine à écrire et une offset sont
expropriées dans les locaux de la société Guynt-Fourchault au 6,
place Laganne à Toulouse. La Dépêche relatera ce fait.

Sebas : Trois membres d’ETA VI, Oriol et moi avons attaqué un


distributeur de matériel d’imprimerie et piqué une offset profes-
sionnelle sur laquelle l’ETA tira sa revue clandestinement.
Lors de l’opération, un camarade monta directement de l’intérieur.
De Bilbao, si je me souviens bien.
Le camarade basque évadé quelques mois avant de la prison de
Pamplona avait pour surnom Las màs amplias masas (les masses
les plus importantes). Ce qui devait vouloir dire qu’il était assez
ouvriériste dans ces discussions. Nous de notre côté, nous l’avions
baptisé « Tranquil » parce que chaque fois qu’il nous montrait un
truc, il disait toujours tranquil, tranquil,… Tranquil est le cama-
rade de l’ETA que j’ai passé à Palau de Cerdanya pour qu’il assiste
à la réunion d’Harry Walker à Barcelone.
En tant que vrai spécialiste des vitrines, j’avais explosé la porte
d’entrée du magasin. Les Basques, grâce à leur force légendaire,
avaient monté l’énorme offset dans la camionnette. Nous l’avons
transportée dans un garage du côté de l’avenue Jules-Julien. Le
garage avait déjà servi à un tirage d’une revue basque Langileak
(classe ouvrière ou travailleurs) sur une petite offset.
Pour les machines expropriées lors des opérations début 1971,
elles ont pour la plupart transité par ce garage. Puis, elles sont par-

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ties vers Perpinya (Perpignan), où Oriol avait monté une petite


imprimerie dans une rue derrière le grand magasin en face de
l’avenue de la Gare. Au troisième ou quatrième étage d’un immeuble
bourgeois, il avait monté une offset, une plaqueuse, une ronéo, une
stencyleuse et une IBM. C’était la configuration habituelle des
imprimeries d’Oriol !
Perpinya est une ville relais entre Toulouse et Barcelone et même
pour les Basques. Les camarades de l’ETA VI qui venaient en Rous-
sillon étaient hébergés au couvent de St Miquel de Cuxa. Et, pour les
contacts qui montaient de Barcelone, Perpinya était plus tranquille.
Sancho : Oriol, par l’intermédiaire de l’avocat Miquel Mayol, a loué
un appartement à Perpignan pour servir de base logistique.
Il entretient d’étroites relations avec l’ETA (avant la scission entre
la 5e et la 6e assemblée). L’ETA ne sait pas très bien avec qui elle
joue mais elle lui procure de l’argent et des armes pour avoir une
base à Toulouse.
Avec l’argent de l’ETA, il loue un garage à Toulouse, près de la voie
ferrée, pour entreposer du matériel d’imprimerie ou les restes des
éditions qui ne sont pas encore passées en Espagne, ainsi que des
bombes lacrymogènes que le groupe de Jean-Marc a récupérées lors
d’affrontements avec la police à l’université de l’Arsenal. Il s’installe
dans un appartement à Toulouse avec deux autres Espagnols.
C’est là qu’apparaît Jean-Marc et peu à peu ses amis, Cricri, la
Carpe et quelques autres. C’est Oriol qui est à l’origine du groupe
en France. Ils vivent comme ils peuvent (vols de carnets de
chèques, etc.) et il arrive qu’il y ait en ville trois voitures de la
même marque avec les mêmes plaques minéralogiques.
Sebas : Sancho a raison. En décembre, mais surtout en janvier
1971, nous avons reçu des fonds de l’ETA VI. Une fois, un cadre de
l’ETA m’a donné douze ou treize mille francs en billets (2 000 €).
À l’époque, c’était une somme assez conséquente. Elle devait servir
au fonctionnement sur Toulouse après le départ d’Oriol sur Perpi-
nya début 1971, nous devions récupérer une autre machine et
divers trucs pour eux.
Simon : Oriol pour les Basques se faisait appeler « Oropendoa » et
on avait le contact avec Pechos de la VIe Assemblée de l’ETA.
Sancho : Oriol s’activait tantôt avec des catalanistes, tantôt avec
des gauchistes ou des anarchistes. Tous les contacts du MIL avec

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l’ETA sont ceux d’Oriol. Chaque fois qu’Oriol est emprisonné, ils se
gèlent. Avec l’ETA, il y a des relations jusqu’à la scission entre
l’ETA V et l’ETA VI. Quand Oriol sort de prison en été 1972, nous
nous sommes entretenus avec les deux branches et nous avons
décidé de ne plus collaborer avec elles. La première parce qu’ils nous
ont mis une telle tannée théorique qu’on est restés sonnés et la
seconde parce qu’on s’est alliés avec un petit groupe communiste de
gauche qui avait scissionné de l’ETA V, plus proche de nos positions
et qui maintiendra une certaine collaboration avec le MIL. Quand
les mecs de l’ETA nous parlaient politique, on s’en foutait.
Sebas : À cette époque, nous avions des contacts réguliers avec
l’ETA, apprentissage divers (emprunt de véhicules) .
Début janvier 1971, nous étions envoyés là-bas par les résidus du
groupe Primero de Mayo et de la FIJL. Nous devions aider l’ETA
VI alors majoritaire et plus gauchiste que l’autre. Mais c’était si
mal organisé que nous nous sommes retrouvés finalement avec
l’ETA V et encore le groupe le plus nationaliste. Exemple : nous
avons assisté au meeting de Rocard au cinéma Vox de Baiona
(Bayonne), aux côtés des frères Etxabe et derrière le « Front cultu-
rel » lié à l’ETA V. Et nous, nous insultions le responsable du
bureau politique de l’ETA VI – qui était à la tribune et qui n’était
autre que Txus qui deviendra plus tard un camarade lié à nos
propres activités MIL. Oriol n’avait pas les mêmes contacts,
puisque je suis allé à son appart de Toulouse et j’ai trouvé un
autre membre du Bureau politique de l’ETA VI en train d’enre-
gistrer un message pour le meeting, au sujet du procès de Burgos,
organisé au Palais des Sports le soir-même. Ce cadre étarra
(membre de l’ETA) sera plus tard un des fondateurs de la Ligue
communiste en Espagne. Donc en janvier, février et mars 1971,
nous avions plus de rapports avec l’ETA qu’avec l’ET.
Txus : Dès fin 1970, je ne connais pas Sebas mais, lui, connaît
mon activité. Il vient à Bayonne où il assiste à un meeting au
sujet de problèmes liés aux Basques et au procès de Burgos.
J’étais présent à la tribune en tant que porte-parole de l’ETA, aux
côtés de Michel Rocard (38), Premier secrétaire à cette époque du

38 – Rocard Michel devient membre par la suite du Parti Socialiste, député,


ministre (1981-1985), Premier ministre (1988-1991)…

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PSU. J’ai rencontré Oriol grâce à mes fonctions dans le bureau


politique de l’ETA VI. Oriol venant dans le Pays basque par le
biais, à mon avis, d’un membre du bureau politique de l’ETA VI
qui a passé beaucoup de temps en Catalogne et qu’on appelait le
Catalan qui est devenu un ignoble trotskiste.
Dès 1971, j’ai déjà des contacts affirmés avec Oriol et sûrement
avec Rouillan. J’ai des souvenirs d’Oriol qui prend contact avec
moi après l’une de ses sorties de prison. Il avait appris à ren-
trer et sortir de prison. Les dernières années de sa vie ont été
cela.

CRÉATION DU 1000, DU MIL ET DES GAC


« 19 janvier : Amplification de l’action Nuestra Clase
et Vive la Commune.
Création du noyau radical 1000 »
Dans son appartement de la cité Maurice-Sarrault à Toulouse,
Oriol expose à Sebas, la Carpe, Bermejo, Simon… la nécessité de
passer à un stade supérieur de la lutte en créant un groupe spéci-
fique et de : « s’associer à la lutte des classes en Occitanie et d’in-
fluencer au moyen d’une lutte dure l’action intérieure de Nuestra
clase » (« Dos anys de resistencia »). Cependant, ce courant du
mouvement ouvrier radical de Barcelone Nuestra Clase, repré-
senté par Murcia et Diaz, n’envisage pas l’action armée mais Oriol
espère peut-être les convaincre.
De tous les individus qui assistent à cette réunion, seuls
Oriol et Sebas seront encore présents en août 1973 lors du
congrès de l’autodissolution.

Sebas : Mi-janvier 1971, la Carpe, Mario et moi revenons d’Eus-


kadi. La Carpe, Oriol, Bermejo peut-être, et moi, nous nous
retrouvons à la cité Maurice-Sarrault. C’est le noyau. Nous fai-
sons les opérations entre nous en tant que libérés. Le gars de Pau,
un copain à lui, Cricri et Mario font partie d’un second cercle com-
posé d’autres fils d’immigrés, lesquels agissent avec nous pour
certaines tâches. Puis un troisième cercle, dans lequel je mettrais
« Mumu » par exemple, plus liée à la vie quotidienne et à l’infra-
structure.

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Simon : Un beau jour, un dimanche, on s’est réunis Oriol, Jean-


Michel L., moi-même, Sanchez, Rouillan, Rafaël ? et quelqu’un
d’autre ? et on a décidé de faire un mouvement et quand on arri-
verait à avoir 1 000 membres, on ferait la révolution. C’est-à-dire
qu’on avait fondé le MIL et tout ça en rigolant. Les uns l’appelaient
Movimiento iberico de liberación (Oriol, moi, Jean-Michel L. et
Sanchez ?), les autres Movimiento insurreccional libertario (c’est-
à-dire Rouillan… ?). Oriol insistait pour qu’on ait une lutte théo-
rique et se définissait comme communiste-libertaire. Moi, je me fai-
sais appeler Simon ou Rosa Luxemburg quand je signais quelques
écrits.
Sebas : Il me semble que Jean-Michel L. ne participait pas à la
réunion. Ni Rafaël. Je crois que Rafaël était un anar espagnol qui
traînait sur Toulouse. Il a rapidement disparu vers d’autres cieux.
Oriol avait besoin de nous pour son rêve de MIL et nous avions
besoin d’Oriol pour un projet sérieux de guérilla (contacts inté-
rieurs, capacité politique, etc.). Avec notre voyage en Euskadi, il
était sûr de notre volonté de rentrer à l’interior (intérieur/
Espagne). Le groupe qui est sorti de Vive la Commune voulait
assumer le passage à la lutte armée. Tout naturellement, à Tou-
louse, ce passage ne pouvait que se tourner vers la frontière et la
lutte au sud des Pyrénées. Dès notre accord, Oriol parla simulta-
nément de 1000 et de MIL avec la signification précise du sigle. Le
terme de Commando 1000 ne devait être qu’un code – plus ou
moins connu et officiel – de la phase de préparation. En fàit,
publiquement, ce terme n’apparut que pour les deux brochures de
mars 1971.
Nous, nous n’y voyions aucune objection. La Carpe et moi en tant
qu’anarchos, nous faisions le rapport avec le DRIL des années
1960 à l’intérieur. De plus, avec ibérique, il n’y avait aucune réfé-
rence au chauvinisme étatiste espagnol, comme généralement
c’était le cas pour les autres organisations. Libération était assez
vague pour pouvoir être entendu (à l’allemande) comme émanci-
pation du mode de production capitaliste et désaliénation des rap-
ports de production actuels. Et non seul antifranquisme, comme ont
voulu le caricaturer quelques sectaires de l’ultra-gauche.
Nous existons comme MIL puisque nous nous préparons comme
tels. Nous préparons notre passage à l’action armée. Et comme le

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rappelait Paul Sendic des Tupas : « Le fait de s’armer et de violer la


légalité bourgeoise crée une conscience… ». Nous agissons déjà
avec cette conscience du fossé irrémédiable avec la dictature et le
système comme éléments étroitement liés.

Quelle date ?
Profitons-en pour faire une digression sur la création du MIL,
des GAC et leurs idées.
Sur les dates concernant la naissance du MIL ou du sigle, il est
difficile de voir clairement les choses. Les membres du MIL qui
se sont exprimés ne partagent pas les mêmes assurances ou
approches. Il n’y a jamais eu de congrès de constitution du 1000 ou
MIL avec les trois équipes présentes. Même lors de l’autodissolu-
tion en août 1973, les membres constituant le groupe ouvrier
n’étaient pas présents aux assemblées.
Toutefois, à la lecture des documents de l’époque et notamment
de « Dos anys de resistencia », la constitution du noyau radical 1000
a bien lieu le 19 janvier 1971 à Toulouse. Le terme 1000 est né ce
jour-là. Simon et Sebas le confirment. Ceux de l’ET ou de l’EO n’y
assistent pas, seuls l’EE et des membres du GAL-Vive la Commune
en sont à l’initiative. Il faudra attendre le livre de Sergi Rosés en
2002 pour que l’existence du texte « Dos anys de resistencia » soit
signalée. Même les membres de l’ET (le Petit et Montes) qui ont
rédigé la chronologie « ¿ La historia nos absolvera ? » en juillet 1973
et qui se sont exprimés à plusieurs reprises n’en ont pas parlé.
L’ont-ils volontairement occulté ? En connaissaient-ils le contenu ?
Quand nous avons envoyé ce texte au Petit pour connaître son avis,
il nous a répondu qu’il le découvrait mais qu’il n’avait pas à le
connaître car c’était un bilan d’activités, un texte interne de
l’EE, dont il n’était pas au courant au jour le jour.
Le terme MIL fait son apparition après les arrestations de
septembre 1972 à Toulouse, à la suite des déclarations d’Oriol
pendant sa garde à vue dans les locaux de la gendarmerie :
« J’appartiens en ma qualité d’Espagnol au Mouvement ibérique
de libération qui est une organisation révolutionnaire de carac-
tère international… ». Ces déclarations sont dévoilées en partie
dans la presse, notamment dans La Dépêche du Midi du 19 sep-
tembre 1972.

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Mais c’est surtout en 1973 que le sigle MIL en lettres, accolé à


celui de GAC, est officialisé par la publication de CIA n° 1, signée
Grupos Autónomos de Combate-Ediciones por un Movimiento Iberico
de Liberación. Dans ce numéro, le MIL/GAC revendique ses actions
et situe la première au 1er juillet 1972 à Barcelone. À aucun moment,
il n’est fait allusion aux activités antérieures à cette date.
Ce qui est déroutant, c’est qu’en lisant le texte d’autodissolu-
tion, on découvre que le MIL est déjà présent sur Barcelone dès
l’année 1970, les rédacteurs du document ayant certainement
estimé que les rapports et activités de l’ET et de l’EE constituaient
déjà le MIL dès cette période.

Sebas : Ces équipes ET, EO, EE datent de l’avant-MIL avant sa


création en janvier 1971. Donc, dès les arrestations de mars 1971 à
Prades, pour moi, il n’y a plus d’EE. Il n’y a qu’un commando 1000 à
reconstruire, car le MIL est en sommeil. Si les camarades de l’ET me
considèrent jusqu’en 1972 comme membre de l’EE, ils se trompent et
réécrivent à travers leur vision partielle tout ce chapitre. Le MIL
avant janvier 1971 n’existe pas, après il a une première phase de pré-
paration et d’accumulation d’expériences jusqu’en juin 1972. À ce
moment-là, nous sommes en armes et avec une expérience consé-
quente permettant de passer à l’action à l’intérieur.
Après l’été 1972 et la première offensive, et surtout après la réorga-
nisation fin 1972-début 1973, ces appellations sont totalement
caduques et infantiles. Les cadres des années précédentes se révèlent
incapables d’assumer directement la tâche de direction politico-mili-
taire du MIL. La prise de force est vérifiée lors de la préparation de
l’action de Badalone pour Sabaté. Là, il n’y a plus aucune ambiguïté.
Il n’y a plus d’ET, ni d’équipe bibliothèque, là on remarque bien
toute la réécriture des ex-camarades. L’ex-ET devient la Biblio-
thèque ou Mayo 37. Il n’y a plus ni EO ni EE mais un seul secteur
politico-militaire, MIL, ayant des contacts avec des groupes proches
et d’autres organismes de la même tendance comme les GOA.
Je ne crois pas que nous considérions la Bibliothèque comme un
véritable GAC. Les éditions fonctionnaient à part mais on ne pou-
vait pas les étiqueter de combattantes. Alors que les GAC devaient
être directement impliqués dans le combat armé, Mayo 37 est une
structure autonome.

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Fin 1972, il ne reste plus que deux structures interactives : MIL-


GAC et Mayo 37. Et cela est le fait essentiel des ultimes mois de
lutte au cours desquels nous avons enfin une véritable action sub-
versive d’agitation armée. Je rappelle que le gouvernement mili-
taire place deux flics devant chaque banque de la ville.
Sancho : On peut dire que le MIL s’est créé par hasard ou par l’ob-
session d’Oriol de vouloir participer au mouvement ouvrier radical
de Barcelone, issu de la grève sauvage d’Harry Walker, la pre-
mière de l’histoire récente de l’Espagne où il n’y eut aucune reven-
dication salariale. Le MIL est né, mais c’est impossible de mettre
une date pour sa naissance.
Quand Oriol arrive en France, il garde ses contacts avec le mou-
vement ouvrier radical qui a scissionné des CCOO et il continue à
collaborer avec eux. Sa collaboration consiste à les aider par des
contacts avec les ouvriers radicalisés d’Europe et dans la confection
de livres et de propagande clandestine. C’est là, surtout, le moteur
et l’histoire du MIL. Sans cette obsession d’aider le mouvement
ouvrier radical d’Espagne, on ne peut comprendre son histoire.
Avant qu’Oriol ne se connecte à Toulouse avec Jean-Marc et son
groupe, l’ET fonctionnait déjà comme telle, elle était formée par
Santi Soler Amigo, Xavier Garriga Paituvi, Ignacio, de notre côté et
par trois leaders ouvriers, d’autre part (José Antonio Diaz, Murcia
et Rubio). Ces Équipes Ouvrières furent celles qui participèrent,
conjointement avec Oriol, à la grève des glaces Camy, à celle
d’Harry Walker, à des congrès en Europe dont un à Francfort et à
des contacts européens.
Sebas : Avant janvier 1971, le MIL n’est que dans la tête d’Oriol qui
est sans espoir de voir dans les ET et EO un ferment à cette création.
En automne 1970, les approches d’Oriol se sont concrétisées autour de
notre capacité collective de violence (en personnes et en matériel).
Sancho : L’idée d’Oriol n’a jamais été de créer un groupe qui s’ap-
pellerait MIL, jamais… C’est quand Nuestra Clase n’est pas d’ac-
cord avec le contenu de la brochure Boicot elecciones sindicales
qu’Oriol met 1000, non pas comme signature mais pour mettre
quelque chose. Si on veut, on peut dire que c’est à ce moment-là que
naît le MIL, écrit avec des chiffres et non des lettres. Signer 1000,
c’était comme ne rien signer : c’était uniquement pour ne pas
impliquer le groupe Nuestra Clase avec cette brochure. Dire qu’on

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a créé un jour le MIL est faux. Le MIL n’a jamais existé en disant :
« On va faire le MIL », il est sorti au fur et à mesure. Oriol était le
seul de l’EE à avoir des contacts avec les ouvriers de Barcelone. Les
ouvriers ne sont pas rentrés au MIL. Montes, le Secrétaire et Santi
avaient des liens avec les ouvriers. Quand Santi parlait du MIL
aux ouvriers, ils partaient en courant. C’est des années plus tard,
en été 1972, qu’apparaît l’anagramme MIL avec des lettres (Movi-
miento Iberico de Liberación). Jusqu’à cette date, on n’avait pas et
on ne voulait pas de nom et, à l’occasion, on signait 1000.
Dans ces premières années et sûrement jusqu’en 1972, le MIL
c’est Oriol. Oriol est le MIL. Il en est le moteur et quand il est
absent, le moteur s’arrête ou marche au ralenti. Avec mon incor-
poration, celle de Salvador et la contribution complète de Jean-
Marc et occasionnellement de Cricri, le groupe prend une autre
dynamique et une autre consistance. Et là, il n’est pas nécessaire
qu’Oriol soit présent pour que le groupe fonctionne.
Sebas : Un des points fondamentaux de la formation des GAC fut
une critique générale de la division des tâches, de la spécialisation.
À partir de 1972, nous serons tous militants d’un GAC mais nous
n’agirons qu’en suivant nos aptitudes réelles, que cela soit écrire un
texte ou participer à une action armée. Il ne devait plus y avoir de
structures différenciées. Même Mayo 37 se présentera comme une
activité du MIL, directement régie par divers militants aux activi-
tés bien différentes.
Le terme de GAC est toulousain, bien qu’il y eut les GOA à Bar-
celone : un terme liant autonomie et combat, auto-organisation et
lutte de partisans. Le combate est bien sûr lié au nom du groupe
de Sabaté. Cricri, Sancho, Puig et moi l’avons utilisé quand nous
avons pris un peu plus les choses en mains à partir de nos idées
sur ce que devaient être la structure du MIL et notre lutte à Bar-
celone. Même si c’est parfois dans un rapport relativement mili-
tariste.

Idées et identité politique des membres du MIL


Pendant et après la campagne de solidarité de 1973-1974, le
MIL a été présenté par des médias ou par certains politiques comme
une organisation d’obédience anarchiste. Cette affirmation rapide a
toujours été plus ou moins mal vécue par les ex-MIL, y voyant une

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tentative grotesque de récupération. Malgré les déclarations de


Sancho (« Le contenu libertaire ou anarchiste du MIL relève du folk-
lore… ») ou du Petit (« Nous n’étions pas anarchistes mais commu-
nistes pratiques »), les membres de l’ex-MIL ne peuvent nier ou
oublier l’existence d’une sensibilité anarchiste au sein du MIL, ou
pour le moins des ambiguïtés. En effet, en 1973, le terme anarchiste
apparaît dans le sigle CIA (Conspiración internacional anarquista)
et le MIL/GAC tamponne divers documents : GAC-Insurrección
libertaria. Dans le texte, « Apunte de discusión », reproduit en
annexe, le Metge écrit en parlant du MIL/ GAC : « Le fait qu’au-
jourd’hui le groupe se proclame ouvertement anarchiste n’a rien de
spécial… », et conclut en signant saludos anarquistas (saluts anar-
chistes). Les communiqués revendiquant les expropriations de juin
1973 se terminent par : « Pour les Conseils ouvriers – Pour le com-
munisme libertaire – Pour l’auto-organisation de classe – Pour l’au-
togestion – À la grève insurrectionnelle – Vive l’anarchie ». Et l’une
des dernières lettres de Puig adressées à son frère Quim est signée :
Salud y anarquia (Salut et anarchie).

Sebas : Par rapport à la lettre de Puig, je ne la connaissais pas. Mais


la conclusion ne m’étonne pas. Lors d’une conversation assez sur-
réaliste avec lui à la fin d’un repas, c’était venu sur le tapis dans le fil
de la discussion. « Quelles seraient tes dernières paroles avant l’exé-
cution », et il avait répondu : « Vive l’anarchie ! » Mais, bon.
El Petit : Le MIL est une association de collectifs qui, au départ,
allaient chacun de leur côté mais qui se complétaient. La clandes-
tinité imposait un fonctionnement très compartimenté. Je connais-
sais ceux de l’EE car ils passaient chez moi de temps en temps : les
collectifs ouvriers, plus nombreux mais aussi moins discrets, il fal-
lait mettre à couvert un ou deux individus, toujours les mêmes.
Pour l’ET, les sigles ne donnaient aucune cohérence mais au
contraire pouvaient créer des malentendus. L’EO, par exemple,
voulait signer et ne faisait que créer des sigles chaque fois que se
remodelait le groupe le plus directif : Nuestra Clase, ¿ Qué hacer ?,
GOA, Plataformas Anticapitalistas. Il nous semblait que les lettres
MIL étaient suffisamment exotiques pour que cela ne coïncide
avec rien. Et au cas où quelqu’un mettrait Iberico Libertario, on
rajouta GAC.

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Aurore : Je me suis intéressée d’abord par rapport à l’Espagne et


pour moi il y avait un côté très ludique de jouer aux gendarmes et
aux voleurs même s’il y a du danger. Tu y crois sans y croire tout en
le sachant. Et en même temps vouloir agir, faire quelque chose et le
faire savoir. Ce n’est pas pour rien. Le groupe avait décidé d’appa-
raître sur le plan politique et, dans le contexte espagnol, de paraître
nombreux. C’était un peu de l’esbroufe. On était aussi un groupe,
lié, avec plein d’amitié et de chaleur.
Sebas : La majorité des militants MIL étaient marxistes, n’en
déplaise aux scribouillards de la réécriture. Ils étaient proches du
courant ultra-gauche d’alors. Donc, nous pouvions distribuer des
textes d’Invariance (léninistes révolutionnaires et bordiguistes), des
textes de la Vieille Taupe, etc.
Nous étions jeunes mais nous avions connaissance des idées situa-
tionnistes et des Conseils ouvriers. Nous n’avions aucun contact
outre individuellement, avec les pro-situs ou crypto-situs. Mais la
Carpe était membre de la mouvance situ du Florida avant d’être à
Vive la Commune.
Avant de connaître Oriol, lorsque nous vivions ensemble rue
d’Aquitaine, j’ai lu la majorité des recueils situs et autres. Hier
comme aujourd’hui, si je peux intégrer avec joie la critique situ, je
ne me retrouve absolument pas avec leur mise en pratique (ou non-
mise en pratique). Si Cricri n’était pas arrogant avec l’étalage de sa
culture politique, il n’avait rien à envier à bon nombre de théori-
ciens de ce type.
J’ai un souvenir très précis de la vie commune avec Puig dans un
appart, il avait sa musique, j’avais la mienne, son Whisky (Caballo
Blanco) moi le mien (VAP 1969), il avait ses livres Freud, Jung et
Marx, surtout les Grundisse, Rosa Luxemburg et les livrets de
Spartacus, moi, je lisais les Tellez, Makhno… Il est difficile de dire
ce que je pensais vraiment à l’époque, d’un point de vue politique.
Je suis anarco sans savoir bien ce qui se rattache à ce mot. Je ne
suis pas anarchiste et je ne suis pas anarcho-syndicaliste, alors il
faut penser à un anarco-communiste. Assez idéologique, bien sûr,
comme tout ce qui se réclame de l’anti-idéologie…
Le fait que je pensais – à tort, il est vrai – que la pratique était le
seul espace de construction révolutionnaire, donc que je me désin-
téressais des longues discussions tardives sur tel ou tel problème

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théorique, a laissé croire que j’étais un inculte politique. C’est la


rançon de mon militarisme impossible à contester. Pourtant, si je
reconnais cette erreur fondamentale, je critique la version offi-
cielle de type bourgeois qui finit par revenir au conformisme du
mode de pensée et ne peut rompre avec l’imagerie des chefs et des
scientifiques, il y aurait eu un maître à penser au MIL. Un théori-
chien ?! ? Quelle baliverne ! C’est du même acabit et de la même
logique conceptuelle que les articles de la Propaganda (Propa-
gande) présentant Puig comme le chef de la bande.
Sancho : À cette époque-là, l’anarchisme en Espagne n’existait pas
et je n’exagère pas. Il n’est donc pas étonnant qu’aucun Espagnol
du groupe n’ait des antécédents anarchistes, à la différence des
Français. L’influence communiste était totale aussi bien au sein de
l’Équipe Théorique que chez nous. On peut dire sans aucun doute,
et je crois que Jean-Marc serait entièrement d’accord, que l’unique
ou les uniques éléments anarchistes ou de tendance anarchiste au
sein du MIL étaient Sebas et Cricri. Quand on a imprimé pour
notre propre compte le n° 1 de CIA (Sebas et moi, avec l’approba-
tion de Salvador qui était à Barcelone) et qu’on l’a présenté à Bar-
celone, on nous tira dessus à boulets rouges car la revue était net-
tement anarchiste. Même le nom de la revue était anarchiste
(CIA : Conspiración Iberica Anarquista).
Le contenu libertaire ou anarchiste du MIL relève du folklore, je
peux même affirmer qu’à cette époque, Jean-Marc, le plus anar-
chiste de la bande, ne se revendiquait pas comme tel.
Avec la mort de Facerias (39), de Sabaté et le démantèlement du
groupe Primero de Mayo, le mouvement libertaire avait complète-
ment disparu en Espagne. De plus, nous les jeunes Espagnols,
nous ne connaissions rien du tout et pour nous ce mouvement

39 – FACERIAS José Luis (1920-1957) dit « Face », originaire de Barcelone. Il


est membre de la CNT et des Jeunesses Libertaires. En 1936, il lutte sur le
front d’Aragon dans la Columna Ascaso. Il est fait prisonnier lors des derniers
affrontements avec l’armée fasciste. En 1945, il est libéré et exerce la profes-
sion de garçon de café à Barcelone. Il fait partie des 39 membres du Comité
régional de la CNT de Catalogne arrêtés en 1946. Dès sa libération en 1947,
il poursuit la lutte armée contre le franquisme à partir de la France. Le
30 août 1957, à Barcelone, lors d’un rendez-vous avec « un compagnon », il est
abattu par la police.

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appartenait à la Préhistoire, et ce malgré les agissements du


groupe Primero de Mayo jusqu’en 1966-1967 (les Jeunesses liber-
taires qui ont continué après la dissolution du DI).
Pour ma part, j’ai appris en France qui étaient Facerias et Sabaté
avec les livres de Tellez. Et je peux dire, si je ne me trompe pas, que
la première fois que nous avons appris l’existence de Primero de
Mayo, c’était quand les anarchistes français de Paris nous ont mis
en contact avec eux après la tombée de notre groupe en 1973.
Gafas : Le MIL fut un mouvement anticapitaliste qui combattait
le capital sous toutes ses formes, qui prônait l’auto-organisation et
l’autonomie ouvrière, par delà la division entre le travail manuel et
intellectuel, il prônait l’autogestion des luttes, l’action directe et cri-
tiquait avec acharnement le léninisme, la bureaucratie, toutes les
tendances avant-gardistes ainsi que le militantisme professionnel
comme reproducteur de la domination de classe dans le système
oppressif en vigueur. Il critiquait et dépassait également la concep-
tion hiérarchisée de la vie sociale et individuelle, le syndicalisme
comme outil d’intégration et de contrôle de la classe ouvrière dans
la société capitaliste. Il désapprouvait et combattait la division
entre dirigeants et dirigés et s’attaquait à la transformation de la
vie quotidienne. Avec des nuances différentes dues à l’époque et à
leurs origines diverses. ■ Extrait d’Antologia poetica popular à la
memoria de Salvador Puig Antich de Ricard de Vargas-Golarons.
Sebas : Nous étions antifranquistes parce qu’anticapitalistes et
nous devrions dire parce qu’anti-impérialistes. Cela implique un
MIL très complexe. Un MIL à plusieurs facettes et donc un MIL
parcouru de contradictions. Nous sommes héritiers d’un passé
guérillero très fort (Sabaté et Facerias en tout premier lieu), nous
nous affrontons à une dictature, nous sommes ainsi un groupe de
résistants, simultanément, nous portons en nous les fruits de 1968,
la critique du système de l’exploitation, de la marchandise et du
spectacle. Et il faut donc ajouter une ligne de rupture, celle du fait
de prendre les armes en Europe durant cette période. C’est-à-dire
une culture révolutionnaire commune avec les combattants alle-
mands, italiens et même la Nouvelle Résistance populaire (NRP)
en France.
Donc à partir de là, deux comportements militants dans le MIL, un
comportement ultra-gauche et un comportement partisan (c’est-à-

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dire pensant que l’activité armée est indispensable à l’émancipa-


tion prolétarienne face à Franco et au système en général). Et
quand je me dis fondamentalement de la voie partisane, je la mets
en surajout (interdépendant et dynamique pour éviter le concept de
dialectique !) à l’idée conseilliste que je me fais du communisme
pour lequel je lutte toujours.
Notre complexité miliène fait aussi, par exemple, que Cricri et
moi, les anarchos les plus orthodoxes du MIL, nous n’ayons rien à
voir avec l’anarcho-syndicalisme véhiculé par la CNT. Quelle que
soit sa forme, le syndicalisme reste et restera toujours un élément
de pacification tendant à vendre plus ou moins cher la peau des
prolétaires. D’ailleurs le nom de Mayo 37 pour la maison d’édition
est symptomatique, comme le choix de publier Berneri en pre-
mier… deux épisodes anti-orthodoxes de la révolution espagnole.
Le MIL est sans doute un groupe en fusion et non une organisation
en elle-même. Il n’a pas de ligne théorique proprement dite.
Sancho : Le MIL fut un phénomène nouveau en Espagne et il fut
l’accélérateur avec ses martyrs, même s’il était contre, de l’émer-
gence postérieure du mouvement libertaire espagnol. Je n’exagère
pas et je ne prétends pas donner plus d’importance à ce qu’il était.
Le MIL, une fois mort et récupéré, laissé récupéré comme anar-
chiste avec des connotations communistes (c’était en fait tout le
contraire). Il contribua au réveil libertaire espagnol dont l’apogée
fut les journées libertaires de Barcelone en 1977 avec trois millions
de personnes en trois jours.
Il a surtout montré qu’on pouvait faire des choses sans être une
avant-garde de quelque chose ni se prétendre un parti ou un grou-
puscule de plus avec la certitude de détenir la vérité. La diffé-
rence du MIL avec les autres groupes (de plus, à ce moment-là il
n’existait pas de groupes armés), c’était son obsession de diffuser et
de montrer des textes et des expériences révolutionnaires dont la
gauche orthodoxe ne voulait pas se souvenir.
El Petit : Le MIL n’est pas né de la volonté de lutter contre le fran-
quisme car la dictature n’en fut pas le détonateur. L’objet de sa
lutte était le capital, sous tous ses aspects. Le MIL n’a jamais
existé car il rejetait toute forme d’organisation en dehors de celles
exigées pour des tâches précises et jamais d’une façon perma-
nente. En majorité, c’étaient des individus avec des antécédents

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militants anti-autoritaires, anti-partis et anti-syndicats, avec l’in-


tention de ne pas participer à ce jeu. On ne peut comprendre l’ap-
parition du MIL sans se référer au mouvement ouvrier révolu-
tionnaire de Barcelone au début des années 1970. Le but de sa
lutte était l’auto-organisation du prolétariat et l’élimination de
toute emprise des partis ou des syndicats sur les organisations
ouvrières… ■ El Mon (journal barcelonais) du 15 mars 1985.
Sebas : Des trois guérillas auxquelles j’ai participé, le MIL est
sans doute celle qui est la plus marquée par le monde ouvrier
dans sa vision traditionnelle. Elle pècha même très souvent par
cet ouvriérisme, il faut voir les titres des textes : Notre Classe par
exemple ou le Dictionnaire ouvrier ! Il ne fallait pas aller plus loin
dans la politique car les ouvriers ne comprendraient pas, etc.
L’ET travaillait à éclairer l’EO, et l’EE servait le tout en donnant
des moyens.
Justement, CIA était considéré comme une provoc contre cet esprit
et cette réalité car il faut dire que sans le réseau qui allait devenir
les GOA et autres groupes CNT, sans la lutte d’Harry Walker, il n’y
aurait pas eu de MIL. C’est dans ce sens qu’il faut lire que le mou-
vement ouvrier radical a formé le MIL.
C’est aussi dû aux conditions historiques de la fin du franquisme,
la classe ouvrière traditionnelle était une réalité indéniable pour le
mouvement révolutionnaire.
Sancho : Les constantes contradictions du MIL vont faire que ce
groupe apporte des éléments nouveaux à la politique de l’époque.
Le MIL ne voulait ni sigle ni martyr et, malgré cela, il a eu des
sigles et des martyrs. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
El Petit : Nous n’étions pas anarchistes mais communistes pra-
tiques. Pour ceux qui confondent le communisme avec les diverses
variantes des partis communistes marxistes léninistes (qu’ils soient
trotskistes, pro-soviétiques, pro-chinois, pro-albanais, castristes,
etc.), il s’agit d’une opiniâtreté aveugle, propre aux obnubilés de
l’idéologie : pour eux, un mouvement pratique, peu hiérarchisé,
sans dogmatisme ne peut pas être autre chose que l’anarchisme. Ils
ignorent, par exemple, l’expérience propre de Marx et d’Engels,
celle des Conseils ouvriers dans l’Allemagne de 1919-1921, des
activités comme celles des situationnistes et d’autres groupes euro-
péens dans les années soixante.

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Cet aveuglement et cette ignorance sont répandus par la précipita-


tion inculte qui abonde dans la presse espagnole qui, dans son souci
d’étiqueter, a recours aux lieux communs, sans parler des procédés
du PC et de beaucoup de ceux qui écrivent maintenant dans le jour-
nal El Paìs, par exemple. Quant aux anarchistes officiels, style CNT
dans ses diverses variantes actuelles, leur penchant pour le culte des
héros et des martyrs, de l’Idée, est bien connu. Qualifier le MIL et
Puig Antich d’anarchistes est une façon d’essayer d’occulter la totale
inactivité (sans parler des connivences avec le CNS franquiste) de la
CNT durant ces fameux quarante ans.
Qui connaissait le fonctionnement et le caractère du MIL sait
qu’un tel mouvement ne pouvait pas avoir des cerveaux. Nous
étions tous intérieurs et extérieurs, pratiques et théoriciens, liés à la
lutte ouvrière et à distance. Ceux qui pensent qu’il pouvait y avoir
un cerveau confondent le mouvement communiste avec un roman
de Fu Manchu. ■ Egin du 4 mars 1984.

« 1er février : socialisation économique ratée : affrontement


armé ■ 5 février : socialisation économique armée
■ 6 février-15 mars : 15 récupérations armées de matériel »
Sebas : Pour le financement des premières brochures éditées par
EE, il n’y a pas eu d’action d’expropriation. Oriol et moi avons fait
les premières l’hiver 1970-1971. Des petits casses dans des entre-
prises de travail d’entretien, des payes ou les enveloppes des
avances… On utilisait aussi énormément de chèques volés pour
payer le matériel divers.
Oriol ne travaillait pas en 1971. Tous nos revenus de fonctionne-
ment étaient illégaux. Les deux appartements de Toulouse, celui de
Perpinya et les box étaient payés par des petites expropriations
régulières, idem pour notre vie quotidienne.
Pour le 1er et le 5 février, iI faut lire, des opérations de fric. Le 1er (et
il ne s’agit pas du 1er, nous avons volontairement dissimulé la
date), Oriol et moi sommes allés arracher la recette d’un magasin,
un gros truc. Le samedi soir, le patron devait porter la recette à un
coffre de nuit d’une banque. Nous avions fait une expro du même
type en janvier. Nous avions deux matraques et un 12 canon scié.
Mais malheureusement, l’effet de surprise ne joua pas et le mec
s’est défendu. Et deux ou trois de ses employés sont arrivés en cou-

123
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rant, nous avons dû tirer un coup de feu. Après, il y eut une course
poursuite avec une voiture de flics mais on s’est arrachés jusqu’à
l’appart de Maurice-Sarrault. La Carpe n’avait pas voulu partici-
per, il avait trouvé le truc trop chaud.
Le 5, je crois que ça correspond à un coffre que nous avons fait rue
de la Pomme dans une agence d’intérim ou de nettoyage. Et deux
ou trois machines IBM à boules.
Du 6 février au 15 mars, il s’agit de tous les coups que nous avons
faits dans les rues autour de la fac. Des magasins expropriés,
proches des facs, parce qu’ils avaient du matos d’imprimerie (celui
des thèses et autres documents universitaires) correspondant à nos
besoins et à ceux de groupes autonomes.

Le 9, à 17 h 15, une trentaine de personnes, dont Sebas et


Oriol, investissent les locaux de la Corpo de droit, rue Lautman à
Toulouse. Ils raflent la caisse, détruisent les photocopieuses et
repartent en jetant des fumigènes et des cocktails Molotov. Trois
étudiants sont dépouillés de leur portefeuille, de leur argent et de
leurs papiers d’identité. Le 12 février, La Dépêche titre « Les locaux
de la Corpo de droit mis à sac ». Le 15, un membre du commando
(maos, anars) est identifié sur photo, interpellé et condamné le
25 février à quatre mois de prison dont un ferme.

Oriol : Cette action s’est concrétisée par une récupération de


matériel d’imprimerie. Mes militants ont pénétré en force dans la
fac de droit et ont dérobé un duplicateur ainsi qu’une machine à
écrire. En raison de ma spécialité (typographe), il est possible que
je me sois servi de ces matériels pour imprimer des tracts, sur l’une
des bases qui sont implantées dans le Sud-Ouest de la France.
■ Extrait du procès- verbal d’audition.
Sebas : La première fois que je suis allé chez Cricri, c’était après
l’action contre la Corpo de droit. Une fin d’après-midi, suite à des
provocs successives des militants fascistes de la fac (40), nous avions

40 – La veille, des militants d’extrême-droite ont perturbé le cours d’un pro-


fesseur à la faculté des sciences de Rangueil et, en partant, ont agressé vio-
lemment deux militants du Secours Rouge.

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constitué un commando d’une vingtaine de camarades Vive la


commune et GP réunis, et attaqué la Corpo. On avait tabassé une
dizaine de mecs. J’avais récupéré quelques portefeuilles.
Nous avions détourné en particulier une stencileuse électronique,
nous l’avons récupérée à la barbe des maos et discrètement amenée
rue des Blanchers chez Cricri. Pendant la période 1971-1972, son
appartement nous servit de repère dans le centre-ville. Et donc jus-
qu’à l’opération de la rue de l’Esquille, en décembre 1972.
En 1971, à un moment donné, nous circulions tous en 3-chevaux
Citroën volée ou maquillée, Il n’était pas rare d’en trouver deux ou
trois immatriculées identiquement dans la ville.
Sancho : Oriol n’a pas de permis mais il conduit régulièrement
une des trois voitures. Une anecdote pour illustrer leur fonction-
nement : Oriol a un accident près de Toulouse, il paye l’huissier
venu pour le constat avec un chèque volé et il se fait ramener à
Toulouse par les gendarmes.
Sebas : L’accident que Sancho raconte s’est passé près de Fronton
en janvier-février 1971. Nous devions discuter : Oriol, le mec de
Pau et moi. Oriol nous « invita » à manger au restau à Montauban
et ensuite on discuterait à la campagne. Après le repas, Oriol sor-
tit un carnet de chèques que nous avions piqué quelque part. Un
truc d’une entreprise, il paya le repas. (Lors de cette phase, nous
avons fait énormément de chèques. Avec la Carpe, nous allions
chez le vieux et dans son magasin, avec la machine à rivets,
nous changions très sommairement les photos sur les papiers
récupérés). Ensuite, nous sommes allés effectivement discuter
dans les vignes.
Puis la discussion s’est poursuivie dans la voiture, en roulant. Et
ban ! Nous avons grillé un stop et nous avons terminé dans le
champ en face. Les trois complètements vermoulus. Une voiture
nous a flingués par la droite puis est allée se coucher plus loin dans
le fossé. Nous sommes descendus pour recoller les numéros auto-
collants de la fausse plaque. J’étais rôdé. La voiture total destroy.
Aucun blessé. Oriol essayait de disperser les voyeurs qui s’aggluti-
naient sur la route et qui allaient attirer les gendarmes. Et lors-
qu’ils finirent par apparaître, Oriol décida de rester alors que nous
nous éclipsions en faisant du stop. Ce que je sais de la suite : les
gendarmes en seraient restés aux constatations superficielles. Ils

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auraient fait remorquer l’épave. Et là, Oriol aurait fait un chèque


en bois au garagiste, dans l’estafette même de la maison poulaga.
Il s’était fait raccompagner jusqu’à Arnaud-Bernard.
Aurore : Sancho aussi conduisait sans permis. Une fois, à la
sortie de la résidence des Gémeaux (route de Seysses) où nous
avons habité très peu, j’étais avec lui dans l’auto (et sans doute
aussi Jean-Marc), à 10 ou 20 à l’heure il a accroché le cabas
plein de fruits et légumes d’une ménagère. Quelqu’un de vif lui
aussi. Il a bondi pour tout ramasser. Je pense que j’ai dû me
mettre au volant. La femme n’avait rien (est-elle tombée ? je ne
sais plus). Mille excuses, et on est partis. Tout comme Oriol, il
escaladait les trottoirs pour se garer (leur vivacité).

Le 17 février, les ouvriers barcelonais de l’entreprise Harry


Walker mettent fin à la grève.

Dans la nuit du 17 au 18 février, à Toulouse, allées de Brienne,


la Carpe, sa copine Thalia et le Grand blond sont interpellés par la
police alors qu’ils s’apprêtent à prendre la route dans une DS
Citroën dérobée. Ayant localisé par hasard la voiture, les flics se
cachent pour attendre l’arrivée des expropriateurs. Dans la voiture,
ils trouvent du matériel pour siphonner les réservoirs d’essence et
de la propagande militante. Thalia est relâchée, le Grand et la
Carpe reconnaissent plusieurs vols et effectuent un mois à la pri-
son Saint-Michel de Toulouse.

Le Grand blond : La Carpe a été en prison avec moi mais pas


dans la même cellule. À la mi-mars 1971, nous sommes libérés tous
les deux et nous avons pris une piaule au 3, rue des Jacobins. La
Carpe a été condamné plus lourdement que moi. Je crois à six mois
avec sursis plus deux fermes et moi, six mois avec sursis. La diffé-
rence venait qu’il avait déjà été condamné à du sursis et à quinze
jours fermes en décembre 1970, alors que j’avais été relaxé. Nous
partagions alors la même cellule pendant une semaine. Le fait
d’être soutien de famille aurait fait qu’il n’ait pas effectué le reste
de sa peine.

En février-mars, le 1000 imprime à Perpignan ou à Toulouse,


deux brochures qui seront diffusées à Barcelone : La lucha contra

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la represión éditée sans signature et Boicot elecciones sindicales –


No a la legalidad burguesa, cette dernière est conçue et écrite par
Oriol.
Sebas : Je n’ai jamais su quelles étaient les revues imprimées à
Perpinya sauf Boycott des élections syndicales parce que je suis allé
les chercher.
Sancho : En Espagne, lors des élections syndicales (magouille
des syndicats franquistes), les CCOO optent pour la participation
et Oriol rédige de sa propre initiative et imprime une brochure inti-
tulée Boycott des élections syndicales. Comme dans cette brochure,
il introduit un schéma pour la fabrication des cocktails Molotov, il
choisit de ne pas signer Groupe Extérieur Nuestra Clase ; il décide
de signer avec l’anagramme représentant sept fusils verticaux et le
chiffre 1000 dessiné en travers avec le slogan extrait de la revue
cubaine Grama.

Mars 1977 : « Sur la brochure Boicot : elecciones sindicales :


no a la legalidad burguesa, apparaît pour la première fois le sigle 1000
avec sept fusils verticaux et la devise « Ma patrie c’est mes frères
qui labourent la terre », extrait de la revue cubaine Grama ».

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« 25 mars 1971 : La moitié du comité central 1000 est détenue


par la police en Roussillon. Quatorze mois de prison et une
évasion. Nouvelle détention après cinq jours de poursuite »
Ce jour-là, entre Prades (Pyrénées-Orientales) et Villefranche-
de-Conflent, Sebas, Bermejo et Oriol sont interpellés par les gen-
darmes. Oriol est incarcéré à la prison de Perpignan, tandis que les
deux autres sont inculpés, mais libres. Dans la trois-chevaux déro-
bée, les gendarmes découvrent une arme et des exemplaires de La
lucha contra la represión et Boicot elecciones sindicales.

Sancho : Près de Prades, deux gendarmes les contrôlent car l’im-


matriculation de la voiture est peinte à la main. Pendant que ces
derniers sont aplatis sur le moteur pour vérifier le numéro, Jean-
Marc et Oriol partent en courant, le troisième reste sur place et est
enchaîné immédiatement. Oriol est stoppé près de la voiture et le
seul à s’échapper pour un certain temps, c’est Jean-Marc qui est
arrêté devant le monastère de Cuxa. Dans la boîte à gants du
véhicule, il y a un pistolet de calibre 7,65 fourni par l’ETA. Oriol
endosse toute la responsabilité et les deux autres sont remis en
liberté. Il écope d’un an de prison pour vol de voiture et détention
d’armes. Il fait sa peine dans la prison de Perpignan… La connerie
de Prades est, bien sûr, le résultat d’une succession de petites
conneries qui se sont accumulées sur deux jours.
Sebas : Il devait y avoir les élections syndicales à Barcelone, nous
devions passer du matériel de propagande (dont les deux bro-
chures). Nous avions alors une imprimerie clandestine à Perpi-
gnan, nous sommes partis de cette structure, le matin, pour la
Cerdagne. Notre voiture était une trois-chevaux piquée. Nous
n’avions pas trouvé de plaque. Donc, nous avions peint directement
les numéros ! Un suicide ! Et effectivement, arrivés à la sortie de
Prades, la première patrouille de gendarmes, des motards, nous a
bloqués. Tout marcha bien au début, puis un motard demanda à
vérifier les numéros du moteur. Bermejo ouvrit le capot. Avec
Oriol, nous étions déjà hors de la voiture, nous avions glissé der-
rière la voiture, il m’a simplement dit : « ce soir, on dort en prison ».
Mais les deux motards ont plongé ensemble sous le capot, Bermejo
l’a rabattu violemment. Oriol a sauté immédiatement le muret
d’un jardin sur la droite. Je suis parti exactement dans l’autre

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sens. Vers le Canigou. J’ai grimpé l’énorme portail d’une propriété


puis sauté une rivière. Une course de plus d’une heure qui me fit
rendre tous les boyaux. Le rendez-vous de sécurité était Saint-
Michel de Cuxa.
Je connaissais relativement bien la zone. Je n’eus aucun problème
pour me planquer et attendre un peu. Je me suis décidé à entrer
dans le couvent, pensant qu’Oriol y était déjà. Je suis entré par le
bâtiment des nonnes. Quand je suis arrivé, je ne voulais pas tra-
verser la grande cour, donc je cherchai dans le bâtiment une nonne
me connaissant personnellement. Une femme de ménage me vit et
alla le dire au Prieur qui, sans tenir compte du droit d’asile, appela
les flics. Ils mirent une heure à me débusquer dans le bâtiment. Les
moines me reconnurent menottes aux poignées, ils ne savaient
plus où se mettre. J’arrivais dans l’après-midi à la gendarmerie de
Prades pour rejoindre mes deux camarades. Oriol fut capturé plus
rapidement. Des voisins l’avaient vu remonter la rivière.
Sancho : À Perpignan, Oriol avait installé une imprimerie dans un
appartement pas loin de la gare. Le matériel était volé. Lorsqu’il est
« tombé » à Prades, on l’a démonté et j’ai participé au déménage-
ment.

Le 7 juillet 1971, Le tribunal de Grande instance de Perpignan


condamne Oriol à neuf mois de prison ferme pour recel de voiture
volée par un inconnu, conduite sans permis et transport d’un pis-
tolet 7,65 MAB avec munitions. Il condamne Sebas à trois mois
avec sursis. Bermejo, absent, n’est pas jugé. La partie civile (pro-
priétaire du véhicule) obtient mille trois cents francs (200 euros)
pour les dommages causés.

Opération Anita : Évasion d’Oriol de la prison de Perpignan


À cette époque, la prison est un ancien couvent du XVIe siècle
situé au centre-ville et transformé en maison d’arrêt au début du
XXe siècle. À l’origine prévue pour 80 détenus, ils y sont 128 en
1971.
Dans la matinée du 21 août, au cours de la promenade, Oriol et
trois détenus profitent d’un moment d’inattention du seul gardien
pour franchir le mur de trois mètres de haut de la cour. Ils rejoi-

129
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gnent le mur d’enceinte qu’ils sautent à l’aide d’une corde confec-


tionnée et se retrouvent dans la rue. Le lendemain, ce sont six
autres détenus qui s’évadent de la même manière mais après
avoir maîtrisé et ligoté le gardien. Cinq de cette dernière évasion
seront repris le 25 août.
Dans la nuit du 25 au 26, Oriol est arrêté en compagnie de l’un
des évadés surnommé l’amant diabolique par les médias, ce dernier
était incarcéré parce qu’il aurait tenté de faire assassiner sa femme
par sa maîtresse. Alors qu’ils se reposent dans un véhicule dérobé,
les gendarmes les réveillent sur la route de La Presle, dans la
région de Prades (Pyrénées-Orientales).
D’après les médias, Oriol et l’amant ont erré pendant cinq
jours, marchant la nuit et se nourrissant de fruits. La réalité est
tout autre…

Sancho : Un mois avant de purger sa peine, Ignacio apprend par


Jean-Marc ou lit dans la presse qu’à Toulouse, un garage a explosé
dans la même rue que celui d’Oriol. Ignacio n’a jamais été dans le
garage, il a seulement des indications par Jean-Marc. Il va voir
Oriol pour lui dire que son garage a explosé. Mais personne n’a
vérifié si c’est le sien.
Oriol prépare sa fuite de la prison de Perpignan. En face de la cour
de la prison vit une jeune fille qui s’appelle Anita. Elle parle avec
les prisonniers. Oriol donne par un intermédiaire le signal de
reconnaissance (l’anniversaire d’Anita) pour le jour de son évasion.
Oriol doit monter sur le mur de la prison et crier : Anita. Une
équipe extérieure doit l’attendre avec une voiture comme convenu.
Quand Oriol escalade le mur, il crie Anita mais il n’y personne pour
l’attendre.
Que s’est-il passé ? L’intermédiaire a donné l’information à Ignacio :
« l’anniversaire d’Anita est tel jour ». C’est Ignacio qui connaît la
réponse et l’intermédiaire peut le confirmer.
Oriol et son compagnon d’évasion, l’amant diabolique, un Espagnol
qui est accusé d’avoir essayé de tuer son épouse, vont chez un
camarade à Perpignan qui les accompagne à Cuxa. Ils y passent la
nuit et, le lendemain, ils volent une voiture pour aller en Espagne.
Ils sont arrêtés par les gendarmes pendant qu’ils attendent la
nuit sur un chemin communal.

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Juillet 1971 : Après leur évasion de la prison de Perpignan,


Oriol et l’amant diabolique sont repris après cinq jours de liberté.

La coïncidence a été que le jour de la fuite, Maria Rosa venait le


visiter à la prison et pendant qu’elle attend, elle apprend qu’il
s’est évadé Elle pense tout de suite qu’il est à Cuxa et qu’il a
besoin d’aide. Elle y va mais le père Abad, ou un autre moine, nie
l’évidence.
M. Mayol : J’étais son avocat. Il est exact que, quelques jours
avant l’expiration de sa peine, il s’est évadé avec l’amant diabo-
lique, un chéfaillon de l’entreprise des Poupées Bella qui pratiquait
le harcèlement sexuel. Dans cette évasion, l’amant en question
s’était foulé la cheville. C’est parce qu’il n’a pas voulu l’abandonner

131
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qu’Oriol a été repris, transi de froid dans une voiture à Prats-de-


Mollo (ville décidément peu favorable aux Catalans). Je connais son
itinéraire et les personnes qui l’ont aidé mais il s’agit de personnes
ou d’institutions qui ne souhaitent peut-être pas que leur inter-
vention soit connue. Je n’ai pas servi d’intermédiaire dans l’évasion
ni dans ses préparatifs.
R. Savelli : Quant à son évasion, elle a été organisée sans que j’en
fusse informé. Ce que je sais avec précision, c’est que la veille de son
évasion mon domicile était surveillé par la police dans des voitures
banalisées. Le soir-même de son évasion, un ami me téléphonait de
Barcelone pour m’informer que la police de Barcelone et de Madrid
surveillait mes activités en Espagne et en France. Je sus vers
quatre heures et demie du matin qu’Oriol s’était évadé en compa-
gnie d’un droit commun qui avait tenté d’assassiner son épouse et
qu’il me demandait un rendez-vous. J’ai pu sortir de chez moi et je
me suis dirigé à pied vers le lieu convenu pour notre rencontre. Ne
pouvant utiliser ma propre voiture dont l’immatriculation était
connue de toutes les polices, j’ai sollicité l’aide d’une amie person-
nelle, que nous appelleront Jeanne, très proche de mes activités.
Elle chargea Oriol et l’autre évadé et, à leur demande, les déposa
dans un terrain agricole près de Viven.
Je n’ai plus eu depuis de ses nouvelles jusqu’à son assassinat par la
police fasciste en 1976. J’en ai été très affecté parce que je m’en vou-
lais de ne pas l’avoir mis en garde contre son romantisme effréné qui
le mettait malgré lui dans des situations extrêmement dangereuses.
R. Civil : Dès son évasion, il est arrivé ici. Mais une chose que l’on
comprend bien, mais que l’on désapprouve totalement, c’est qu’il
soit venu avec l’amant diabolique. Je me suis dit si jamais la police
vient pour Oriol d’accord, moi j’étais prêt parce que c’était une
histoire politique, mais disons que protéger l’’amant diabolique
publiquement aurait été très mal vu et extrêmement négatif du
point de vue politique. Je leur ai donné des couvertures et je leur ai
dit d’aller se coucher dans une cabane de berger.
Sancho : Repris, Oriol est incarcéré à la prison de Montpellier. Les
conditions sont inhumaines : il est complètement isolé des autres
prisonniers sans cigarette ni lecture et la journée, on inonde sa cel-
lule pour qu’il ne puisse pas s’asseoir. Il est transféré à la prison de
Montauban deux mois après.

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Quelques temps après, Oriol est condamné à huit mois de pri-


son ferme pour cette évasion.

Sebas : À propos du box de Toulouse, Oriol l’avait déjà quand j’ai


commencé à bosser avec lui. Je ne connaissais en fait que le quar-
tier, car je n’y suis allé qu’en camionnette et la nuit.
Donc, alors qu’Oriol était détenu, un box a été découvert à Toulouse
dans le même quartier ; sans adresse, je ne pouvais pas vérifier
plus loin. J’ai communiqué l’info brute à Montes qui l’a transmise
ainsi à Oriol. Donc, à partir de là, il décida de passer à l’action et il
s’évada. Mais bon, je crois aussi que ce ne fut qu’un prétexte car lors
d’une discussion avec Oriol bien plus tard, il m’expliqua qu’il avait
préparé l’opération et comme il lui restait assez peu à faire, il l’avait
donnée à des détenus attendant les Assises. Mais les mecs s’étaient
foutus de sa gueule en affirmant que ce coup-là était impossible.
Il aurait chopé les boules et aurait dit : « puisque c’est ça, je vais
vous montrer ». Il l’aurait fait et réussi. Ensuite, l’aprem ou le
lendemain, les autres auraient refait le même coup. En tout, dix
détenus, je crois.
Je ne sais rien de plus de ce garage. Ni, bien sûr, comment il a tenu
aussi longtemps sans être payé. Plus d’un an après, quand nous
sommes allés le vider, tout était en place, couvert de poussière
mais tel que nous l’avions laissé.
Sancho : Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas le garage d’Oriol
qui a explosé mais un autre, dans la même rue, appartenant à un
groupe de gauchistes français.

Le garage qui a explosé au 101, avenue de Rangueil à Toulouse


dans la nuit du 2 au 3 juillet 1971, n’était effectivement pas celui
d’Oriol. Il était géré par un groupe autonome libertaire. D’après le
témoignage, recueilli en 1996, d’un des locataires, divers produits
étaient entreposés : du matériel d’imprimerie (ronéo, stencileuse,
etc.), des cartouches de fusils de guerre, des tracts de propagande,
des cocktails Molotov (bouteilles comprenant de l’essence) non
amorcés et du chlorate de potassium. L’explosion serait due aux
vapeurs d’essence et à la chaleur de ce mois de juillet. Les deux
locataires recherchés par la police se présenteront devant le juge

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fin août-début septembre 1971. Après dix jours d’incarcération, ils


sont mis en liberté provisoire et condamnés à trois mois de prison
avec sursis fin 1971-début 1972.

« Été 1971 : Étape de la restructuration. Échec de la campagne


« antitourisme ». Préparation militaire et récupération d’effets
à Barcelone.
Octobre 1971 : Récupération d’armes et de fonds.
Novembre : Travail conjoint avec le FAC (Front de libération
de Catalogne) »
Sebas : Pour l’été 1971, Oriol parle de la reprise de contact exté-
rieur-intérieur comme étape de restructuration. La campagne anti-
tourisme a été une succession d’initiatives de la gauche révolu-
tionnaire catalane au cours de cet été. Les camarades de Barcelone
y ont participé. Après la tombée d’Oriol, j’ai fait énormément d’ac-
tions avec Cricri puisque ceux de Barcelone n’étaient pas prêts à ce
type d’opérations. Nous faisions de petites expropriations de fric, de
matos divers et même d’armes (des trucs de chasse que nous récu-
périons dans des magasins de pêche-chasse, à Graulhet, à Lavaur).
Pour le matériel d’imprimerie, je sais qu’Oriol avait passé quelques
petites machines en automne 1970. Pour ma part, quand j’ai pour-
suivi le boulot après son arrestation, je passais à Palau de Cerda-
nya. Seul ou avec la Carpe, généralement Cricri nous attendait de
l’autre côté avec sa propre voiture. Si je me souviens bien, nous
avions passé plusieurs machines dont deux IBM ; deux stenci-
leuses et deux ronéos à Barcelone, donc les EO-GOA pouvaient édi-
ter, seuls de leur côté, les brochures comme La lutte de Santa
Coloma ou Parti et classe ouvrière de Pannekoek (41). Oriol fré-
quentait des nationalistes catalans proches des FAC. Oriol tentait
de maintenir un contact étroit avec les éléments du gouverne-
ment catalan en exil, parce que ce dernier alimentait toujours le
vieux mythe d’une aide militaire aux groupes de l’intérieur. J’ai
livré une imprimerie (IBM, plaqueuse et offset) à ce groupe. De
plus, l’appartement de Perpinya, où nous avions installé une impri-
merie pour nous, a été déménagé par cette orga alors que nous
étions arrêtés (à Prades, en mars 1971) et ils ont gardé énormé-

41 – C’est Plataformas qui édite ce document.

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ment de matos. D’autres machines étaient déposées dans un local


commun avec les nationalistes catalans, sur la route d’Elne. Montes
et moi n’en avions récupéré qu’une petite partie.

Les rencontres à Barcelone et à Badalone


Au cours de l’année, le Petit fait la connaissance de Sancho, du
Metge, de Beth, de Sebas, de la Carpe et de Cricri.

Sancho : « Sancho » parce que j’allais tout le temps avec Jean-


Marc, c’était l’opposé de Don Quichotte et Sancho Panza. Je suis né
le 8 mai 1951, à Barcelone, et originaire d’une famille issue de la
moyenne-haute bourgeoisie avec une nette tendance catalaniste et
intellectuelle. Mon grand-père paternel était professeur titulaire et
directeur de l’École normale (faculté de pédagogie), mon grand-
père maternel, un propriétaire foncier et architecte moderniste
successeur de Gaudi. Mon père, profondément catholique, était
professeur titulaire de géologie et de géographie, il a été un intel-
lectuel représentatif en Catalogne. Pour ma part, je suis le sep-
tième de la famille (Oriol et Ignacio sont plus âgés) et, comme
tous mes frères, je suis bachelier et plus tard j’ai étudié le dessin
industriel, études qui ne m’ont servi à rien puisque cela ne m’a
jamais intéressé. J’ai arrêté mes études en 1969 et je suis parti de
chez mes parents fin 1969. J’ai travaillé deux ou trois mois, sinon
je ne travaillais pas.
Avant d’être au MIL, pendant que j’étudiais, je fis des bêtises
avec un groupe politique comme le PCE(i), mais sans militer en
son sein, peut-être parce que Oriol y militait. Pour moi, comme
pour beaucoup de jeunes du MIL, on se souciait comme d’une
guigne du militantisme politique, ce que je voulais c’est tirer des
coups de feu et sortir de l’ambiance petit-bourgeois qui était de
mise à l’époque. De fait, la politique était une excuse, d’ailleurs
j’avais autant de connaissances politiques que de connaissances
astronomiques, c’est-à-dire rien. Mais avec Oriol, j’ai commencé à
avoir une conscience politique.

Lors d’un entretien avec Sergi Rosés, Sancho ajoute : « J’ai étu-
dié le français pour le baccalauréat. Mais qu’elle n’a pas été ma

135
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frustration, le premier jour où je suis allé au cinéma en France, de


constater que je ne comprenais pas la moindre miette du film.
Mais ça n’a pas été long, en vivant 24 h sur 24 avec des Français,
on apprend rapidement la langue. Quand je suis reparti de
France, je faisais les mots-croisés français, mais je n’ai jamais lu
les livres des éditions Spartacus. J’en avais assez avec les inter-
minables discussions politiques qui m’ennuyaient plus qu’autre
chose. »

Sancho : Je ne me souviens pas bien comment j’ai commencé au


MIL, je suppose que c’est par Ignacio qui me présenta Puig
Antich et Xavier Garriga. Ils ont passé tous les trois l’année du
bac au cours pré-universitaire dans un institut en cours du soir
et, comme ils militaient dans une organisation d’étudiants, ils
venaient souvent à la maison et c’est sûrement là que je les ai
rencontrés. À l’époque où Oriol et Jean-Marc se sont connus, ni
Salvador, ni moi n’avions des contacts avec eux, seul Ignacio en
avait. De fait, je suis rentré au MIL après l’arrestation d’Oriol, de
Jean-Marc et d’un Madrilène. On peut dire qu’à ce moment-là,
Ignacio recruta Salvador et moi.
Ignacio, Beth C. et moi sommes allés vivre à Badalona chez San-
tiago Soler Amigo. Salvador venait chaque jour. On ne savait
rien faire. Salvador, Montes et moi, on a mis toute une nuit pour
voler une Fiat 600. À part essayer quelques vols à l’arraché
(méthode très utilisée en Espagne, cela consiste à arracher la
sacoche du receveur à sa sortie de la banque), on n’avait pas
d’armes, on a fait quelques passages de frontière avec des livres,
du matériel d’imprimerie et quelques bricoles. Ignacio avait des
contacts avec le FAC (un groupe armé catalaniste qui avait été
pratiquement démantelé par la police deux ans auparavant). Ce
groupe avait une certaine aura car il avait posé une série de
bombes à Barcelone, mais en réalité ils étaient quatre chats pour
ne pas dire seulement deux. Ignacio avait eu ces contacts par
Oriol. Je crois me rappeler que la seule chose que faisait Ignacio
était de leur vendre des machines d’imprimerie que Jean-Marc et
Oriol récupéraient en France. Ces machines étaient déposées à
Elne, près de Perpignan, dans la maison d’un vieux catalaniste
français nommé Grau.

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Salvador Puig Antich, dit « Gustavo » avant 1971 et ensuite le


« Metge » (médecin, en catalan) parce qu’il avait effectué au service
santé une partie de son service militaire. Il est né le 30 mai 1948 à
Barcelone, rue Enseñanza. Il est le troisième de six enfants (deux
garçons et quatre filles), d’une famille catholique de classe moyenne,
au passé républicain. Son père militait dans un groupe catalan,
Acción catalana, avant 1936 et, en 1939, il fut détenu quelques
mois dans le camp de concentration d’Argelès-sur-Mer, comme de
nombreux réfugiés espagnols après la victoire de Franco. Quand il
retourne en Espagne, il est incarcéré, condamné à mort mais gra-
cié au dernier moment. Par la suite, il exercera la profession de
représentant en produits pharmaceutiques.
En 1966, après avoir obtenu son baccalauréat de lettres, le
Metge souhaite être indépendant et continuer ses études. Tra-
vaillant comme administratif dans un atelier de mécanique, il
s’inscrit aux cours du soir pré-universitaires de l’Institut Maragall
où il retrouve son ami d’enfance Xavier Garriga Paituvi, le Secré-
taire, et rencontre Montes. À leur contact, il commence à acquérir
une conscience politique.
En 1968, il s’initie à la lutte clandestine en participant aux
Commissions ouvrières de quartier. Au cours de l’année, il s’arrête
de travailler et s’inscrit à la faculté en cours d’économie.
De 1969 au début de 1971, il effectue son service militaire. Ses
obligations militaires terminées, il reprend contact avec ses amis de
l’Institut Maragall.

Sebas : À Toulouse, nous avions un camarade, Simon, qui traînait


avec Oriol et l’EE. En dilettante exclusivement. Je l’ai revu à Bar-
celone avec Montes. Puis, nous sommes allés chez ses parents
durant l’été 1971. Et Montes se lia à sa sœur Beth. Quant à mes
premières rencontres directement avec les camarades de Barce-
lone, j’ai fait un premier voyage, fin janvier-début février 1971, avec
Oriol. Nous avons dormi chez un camarade des groupes ouvriers.
J’ai fait un second voyage quelques jours plus tard, mais avec
l’autre camarade Bermejo. Nous avons revu les camarades ouvriers
puis nous sommes partis pour Madrid, où nous avions un contact
avec des dissidents de l’ORT. Ensuite, nous avons rencontré un
autre contact à Valencia. Nous prenions beaucoup de contacts

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durant cette phase, nous sommes montés à Lyon où nous avons


rencontré plusieurs personnes, puis en Suisse, où nous avons
contacté d’autres camarades...

Par l’intermédiaire de Montes, Sebas fait la connaissance du


Petit qu’il revoit souvent. Dans une lettre adressée à Aurore en
1994, Sebas raconte les difficultés de cette période :
« À Badalone, c’était dur, nous nagions entre la légalité et la lutte
armée, cet été 1971, je n’en ai pas gardé des souvenirs politiques
excellents, mais le quotidien reste agrémenté et enjolivé par la nos-
talgie. J’avais faim. Parfois le soir, j’allais guetter le Petit près de
Tranvia et du Paseo del mar, pour l’entraîner dans un gallego (un
bar tenu par un gallicien) afin qu’il me paye une fabada (sorte de
cassoulet) à 30 pesetas. À Fresnes, j’avais trouvé par hasard le livre
de Montalban sur Barcelone, quelques pages sur Badalone du
début des années 1970 : la misère noire, les enfants sans chaus-
sures, la prostitution pour un quignon de pain… j’y pensais l’autre
jour, le tiers-monde commençait sous nos fenêtres, c’est vrai, les
gosses avaient rarement des godasses, ils mendiaient et se ven-
daient… quand je prenais le train, en bas, sur le bord de mer tous
les matins, je devais traverser les bidonvilles de San Adrián ou de
Pueblo Nuevo. Donc, en ces temps, le peuple était affamé et ses
avant-gardes aussi ! Aujourd’hui, Badalone doit être une banlieue
petite-bourgeoise sur le bord de mer. »
El Petit : C’est sûr, il disait qu’il était resté en carafe, seul et que
cela ne se passait pas très bien pour lui. Que j’étais moralement
obligé de l’aider financièrement pour sortir du mauvais coup dans
lequel mes amis l’avaient mis. Je ne sais pas ce qui se passait, ni
comment le résoudre. Je lui ai dit que je ne pouvais pas lui donner
de l’argent mais que je l’inviterais à manger chaque fois qu’il en
aurait besoin. S’il voulait passer chaque jour, on irait manger une
fabada, je n’avais pas non plus de l’argent pour le grand luxe.
Sebas : Je pense avoir rencontré Sancho assez tôt, en 1971 au prin-
temps, ou lors d’un séjour en été à Barcelone, chez ses parents.
Montes y était allé pour chercher des affaires. Et Sancho était là.
Ensuite, je l’ai revu plusieurs fois dans l’appart de la rue Mallorca.
Comme nous n’avions pas toujours des périodes fastes, quand

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c’était vraiment très dur, Montes lui téléphonait. Alors, il nous


descendait des trucs à manger. Une fois, je me souviens qu’il nous
a jeté un gros morceau de subrassada par le balcon !
Pour le Secrétaire, je crois que je l’ai connu lors d’un périple autour
de San Celoni, à la même époque, un soir d’été, nous avions mangé
dans un petit restau quasi désert à la campagne.
En juillet-août, à deux ou trois Toulousains, nous sommes descen-
dus pendant une semaine au moins. Nous étions installés à l’appart
de Badalona. Nous devions faire une opération de financement
mais rien ne semblait prêt, ou mal préparé, et nous sommes
repartis.
Sancho : J’ai rencontré Jean-Marc la première fois à Badalona
chez le Petit. Comme d’habitude, Ignacio nous avait fait l’article sur
l’arrivée de Français très expérimentés dans le vol de voitures et
autres occupations semblables. Je suppose qu’il avait fait plus ou
moins la même chose dans l’autre sens. Arrivèrent enfin les espé-
rés Français si expérimentés : Jean-Marc, la Carpe, et Jo (42), je ne
crois pas que Cricri soit venu la première fois. On a pu vérifier que
les Français brillaient par leur inexpérience lors d’une tentative de
vol de voitures.
La Carpe et Jo repartent à Toulouse et Jean-Marc reste avec nous.
Il n’était pas beaucoup question de révolution mais on a beau-
coup mangé de paellas et on fréquentait souvent le Barrio Chino.
Sebas : J’ai connu Puig alors qu’il faisait l’armée, en hiver 1971-
1972. Un passage avait été improvisé pour passer une IBM, (néces-
saire au groupe teorico). Je l’ai passé seul par le petit passage de
Saneja (le village du côté catalan français s’appelait Palau de Cer-
danya, je crois) alors que Cricri faisait le tour par Puigcerdá avec la
Simca rouge. Il y avait de la neige sur le chemin et, à certains
endroits, avec le vent du verglas, je suis tombé deux ou trois fois. À
la fin, par fatigue, j’ai porté la machine sur la tête comme les
femmes, leur cruche…
Nous avons fait la route sans problème jusqu’à Barcelone, la
machine cachée simplement sous une vieille peau qu’avait Cricri
dans sa voiture (héritage sans doute d’un passé baba !). Souvenir

42 – Nous ne savons pas qui est le Jo évoqué parfois par Sancho dans ses
témoignages. D’après lui, Jo serait un ami de Sebas.

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de musique, en descendant le col enneigé, Deep Purple, Moody


Blues « I’m a melancoly man »…
Nous avions rendez-vous avec Montes au métro Fontarra (entre
Gracia et Lesseps, dans le rétrécissement de l’avenue de Gracia).
Montes vivait alors avec une copine dans le quartier, une rue paral-
lèle à Verdi. Nous y avons laissé la machine. Puis il nous a amenés
voir un « copain qui était intéressé par faire quelque chose contre la
dictature ». Le rendez-vous était devant l’hôpital San Pablo.
Puig est venu en moto, si je me souviens bien, il avait les cheveux
courts, comme sur la photo officielle. Nous sommes allés dans un
bar (calle Industria ou San Antoni). Nous sommes convenus de sa
venue après son service militaire, où il était infirmier. D’où immé-
diatement, le choix du surnom Metge, le médecin en catalan.

À Barcelone, le manque d’expérience au niveau de l’agitation


armée se fait sentir et rien n’avance de ce côté. Plus attirés par l’ac-
tion que par l’activité théorique, Sancho et le Metge décident de
passer la frontière et accompagnent Sebas à Toulouse.

Sancho : Cela ne donnait rien et avec l’impossibilité de trouver des


armes, Jean-Marc nous proposa, à Salvador et moi, d’aller à Tou-
louse. Selon lui, cela serait plus facile à Toulouse et il avait raison.
Après avoir passé les fêtes de Noël à Barcelone, on s’est installés
chez les parents de Jean-Marc. Et pendant qu’on faisait quelques
expropriations d’armes, de livres et d’argent, on rentrait en contact
avec les amis de Jean-Marc.
■ 1972
« Avril : Socialisation économique à Barcelone. Réorganisation
extérieure. Socialisation militaire et économique. Récupération
d’une bibliothèque socialiste.
Juin : Restructuration du 1000 extérieur et intérieur »
Sebas : J’ai des difficultés à me remémorer parfaitement l’en-
chaînement des séjours en Catalogne et ceux à Toulouse durant les
six premiers mois de 1972. Rien de marquant pourtant durant
cette période. Une récupération de fric, une machine par-ci, par là…
Un jour, nous avons Sancho, Puig et moi, détourné une machine

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dans une école de Sarriá pour l’organisation mao Bandera roja (qui
devient PCEr-GRAPO !). Il me semble que lors d’un voyage avec
Montes à Paris, début 1972, nous avons rencontré des camarades
de l’ultra-gauche.
Pour avril, je ne comprends pas bien moi-même. Par contre, quand
il évoque la réorganisation à Toulouse, nous avons fait deux ou trois
petits casses (pas des gros coffres, mais le style coffre dans le mur,
des casses de petites sociétés dans lesquelles nombre de non-décla-
rés étaient embauchés, donc payés en liquide).
À Toulouse, nous avons fait deux fois la même librairie (43). Nous ne
prenions que le rayon livres politiques en espagnol. Idem dans
deux autres lieux dont une librairie à Perpinya. Et donc, nous
avions mis tout ça plus nombre de revues CNT données par le
Vieux (le Zapatero) à la disposition des groupes autonomes. J’ai fait
au moins deux passages de bouquins avec la Carpe et Cricri par
Osseja de Cerdanya. Des passages. De nombreux passages. J’ai
vraiment connu la frontière durant cette phase.
En juin, avec le retour d’Oriol, le MIL a de nouveau un intérieur et
un extérieur simultanément… ! Le 1000 se recompose sous sa
direction.

Libération d’Oriol de la prison Beausoleil de Montauban


(Tarn-et Garonne)
Après 14 mois de détention, Oriol retrouve la liberté, le 28 mai.

Oriol : Au moment de ma sortie, un récépissé de résident m’a été


délivré jusqu’à notification d’une assignation à résidence qui, en
fait, ne m’a jamais été notifiée. À ce sujet, je suis passé devant une
commission spéciale d’expulsion, le 10 avril 1972, je ne connais pas
le résultat et, depuis, je réside en France avec l’attestation provi-
soire. ■ Extrait du procès-verbal d’audition d’Oriol, du 18 sep-
tembre 1972.
Sancho : Quand Oriol était en prison, j’allais le voir à Perpignan,
à Montpellier et à Montauban. Fin 1972, lorsqu’il était à Toulouse,

43 – La librairie cambriolée était située rue de l’Étoile. D’après La Dépêche du


7 mars 1972, une centaine de livres en langue espagnole et française est
emportée.

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je n’y suis pas allé parce que j’étais recherché par la police. On
s’écrivait aussi. Il était plus ou moins au courant de ce que l’on fai-
sait à l’extérieur. Je suis allé chercher Oriol à sa sortie de celle de
Montauban. Il retrouve Jean-Marc, Cricri et Puig. Je suis rentré en
Espagne, lui est resté. Peut-être Mayol lui a fait passer la frontière.
Oriol était interdit de séjour à Cuxa après son arrestation.
M. Mayol : Après sa libération, Oriol m’a demandé de le reconduire
en voiture à Barcelone, ce que j’ai fait, par la Cerdagne. Je l’ai laissé
à Palau-de-Cerdagne et l’ai récupéré après Puigcerdà. Il allait, je
crois, chez l’une de ses sœurs à Barcelone. Autant que je me sou-
vienne, il était armé.
Sancho : Avec la sortie d’Oriol, les vols d’imprimeries reprennent
et les attaques de banques commencent. Mes relations avec Oriol
étaient différentes de celles avec Ignacio. Avec Oriol, malgré le
fait que nos relations furent de courte durée à cause de ses pas-
sages en prison, ce fut toujours une relation intense, affectueuse et
viscérale. Je l’aimais et je l’admirais en même temps. Tout cela,
ajouté à son inexpérience des armes, me faisait souffrir un maxi-
mum au moment d’agir.
Avec Ignacio, j’ai toujours eu une relation distante et pour tout dire,
cela fait plus de vingt ans que nous nous ne parlons plus. Une fois,
je lui ai mis un pistolet sur la tempe pour le tuer mais je n’ai pas
osé.
Avec Jean-Marc, c’était différent, la compréhension et la confiance
étaient telles que, lorsque nous faisions un hold-up ou une autre
action, chacun savait comment l’autre réagirait. Il n’y avait pas
besoin de parler, la cagoule et la bouche fermée, chacun faisait ce
qu’il avait à faire.
Avec le reste du groupe, j’ai eu de bonnes relations avec des hauts
et des bas comme c’est naturel, dus parfois à des points de vue et
des positions différents.
On était un groupe d’amis et on agissait comme tels. Avec l’arrivée
de nouveaux éléments, cet aspect a changé un peu mais on a conti-
nué à être un groupe d’amis et, si on agissait par affinités person-
nelles et politiques, c’était surtout par affinités personnelles.
Pendant cette période, on devait prendre un appart car on était
chez les parents de Jean-Marc et quand on a trouvé celui de la rue
Raymond-IV, c’est Salvador qui l’a loué à son nom, avant de partir

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en Suisse. Il ne voulait pas partir mais quand on était à Toulouse


il a vu qu’avec les sorties, ça allait plus loin et il a voulu s’en aller.
On lui a dit : « Tu pars en Suisse pour faire un disque pour l’anni-
versaire de la mort de Che Guevara ». Il jouait de la guitare et il est
parti pour enregistrer un disque.

LE MIL/GAC EN ACTION

« Juillet 1972 : Socialisation armée à Barcelone ».


« Attaque à main armée d’un bureau d’allocation vieillesse
(rue Mallorca, centre-ville de Barcelone)
butin : 800 000 pesetas » (44)
Fin juin, Oriol, Sancho, Sebas et Cricri sont à Barcelone dans
l’intention d’effectuer une expropriation. José Antonio Diaz, au
début de l’année 1971, informe Oriol que l’appartement d’une de
ses tantes est utilisé comme bureau pour le versement de l’alloca-
tion vieillesse. Oriol s’en souvient. Bien qu’à ce moment-là, Diaz soit
réticent, pour le MIL/GAC l’objectif est fixé et repéré. Ils sont
armés et Sancho, pour la fuite, a loué une Fiat 850.
Après l’attaque (45), ils séjournent pendant quelques jours dans
l’appartement du Rubio. Diaz et Murcia n’apprécient pas le dérou-
lement du hold-up et les orientations politiques du groupe, qui
seront la cause de leur rupture avec Oriol et MIL/GAC.

Sancho : Quand Oriol sort de la prison de Montauban, le MIL


développe son action. C’est Oriol et Jean-Marc qui ont commencé à
parler des expropriations. Au début, ils faisaient des coffres-forts et
beaucoup de petites conneries. Nous avons commencé avec des
fusils à canon scié, ensuite l’ETA nous a donné un revolver. Nous
faisons notre premier hold-up à Barcelone. Il y avait Oriol, Jean-
Marc et moi, Cricri attendait dans une voiture que j’avais louée.
C’est arrivé logiquement. Au début, on en a parlé avec Santi. À ce

44 – Le second titre est extrait de « Chronologie » de CIA n° 1.


45 – La somme dérobée par le groupe est conséquente à l’époque pour un pro-
létaire, notamment en Espagne où le niveau de vie est plus bas qu’en France…
En France, en juin 1972, mille pesetas correspondent à 79 francs environ (12
euros) tandis que le salaire minimum garanti est de 700 francs (107 euros)
mensuels.

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moment-là, Salvador était en Suisse pour des raisons personnelles,


il préférait s’écarter temporairement du groupe ; il est revenu en
septembre après les interpellations de Cricri et d’Oriol.
Sebas : Tout se faisait dans la précipitation et l’inexpérience. Cri-
cri conduisait. Il était garé calle Valencia. Nous devions revenir
tranquillement, pour ne laisser aucune trace de la voiture utilisée.
Au quatrième étage, Oriol, Sancho et moi, nous nous sommes pré-
sentés à la porte. Comme ils n’ouvraient qu’aux vieux, je crois que
l’un d’entre-nous s’était fait passer pour un livreur de fleurs. Nous
nous sommes engouffrés. Notre armement était des plus som-
maires. Un pompe scié, un revolver et, pour moi, un simple couteau
à cran d’arrêt. Je devais faire le coffre. Mais les vieux sautaient par-
tout, ils tentaient de sortir par la porte, un bordel inouï. En fait,
Oriol qui devait contrôler la situation, avait vidé le coffre, quand j’y
suis parvenu il était déjà vide.
En bas de l’escalier, sous le porche et devant l’immeuble, il y avait
un attroupement provoqué par les cris des vieux sur le balcon. J’ai
été obligé de me faire un passage, le couteau menaçant. Nous
avons pris nos distances avec les quelques personnes qui nous
poursuivaient. Mais en face de nous un couple avec un gros chien
marchait tranquillement. Quand le camarade qui portait le sac les
a croisés, le chien a sauté vers lui, la laisse s’est tendue et elle l’a
fait chuter. Une partie du fric s’est étalée sur le trottoir. Une arme
également, le fusil. Ce petit incident, vite réglé par une menace
bien sentie, permit pourtant aux poursuivants de se rapprocher.
Donc, quand nous sommes arrivés à la voiture (une deux-portes !)
et le temps que nous montions, les autres débarquaient sur nos
talons. Et Cricri dut réaliser un de ses fameux dérapages contrô-
lés… laissant 2 cm de gomme sur la chaussée.
À peine débarqués dans l’appart, un atico de l’Eixample, nous
nous sommes demandé si, avec la plaque de la voiture, ils pou-
vaient remonter jusqu’à cette adresse. Oriol a dit : anem al mar
(allons à la mer), nous avons fait un sac avec l’argent et le matos.
En arrivant, à la gare Gracia ou Aragoxi, il a insisté pour que
nous laissions le sac dans une consigne. Cricri a pris l’avion, pas-
sant par Madrid-Paris pour retourner à Toulouse. Nous, nous
avons été sur la plage, à Sitges exactement. Rien de spécial sauf
qu’au bout d’un moment, après le repas du soir, alors que nous

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étions assis sur une jetée de pierre en bord de mer, une voix angois-
sée : « j’ai perdu la clef de la consigne ». Et voilà pourquoi nous
avons dû casser les consignes de la gare avec un démonte-pneu. Ce
fut assez simple et rapide, il est vrai. Il est certain que cette opé-
ration, comme les deux ou trois suivantes, restent indéniablement
marquées par l’amateurisme et le côté guignolesque. Personne ne
nous avait appris à faire ça. Et ce n’est pas dans la pratique quoti-
dienne du gauchisme que nous pouvions acquérir ces méthodes
indispensables à une organisation clandestine de résistance.
Sancho : La dernière fois que l’on a vu José Antonio Diaz, c’était
la veille du braquage de ses tantes et le jour-même pour Mur-
cia. Ce hold-up a entraîné la rupture totale entre José Antonio,
Murcia et nous… On a parlé de tout et c’est à partir de ce moment-
là que tout s’arrête, car nos projets n’avaient rien à voir avec les
leurs. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

Les armes
L’utilisation des armes signifie un tournant dans le combat et
dans les relations, leur obtention devient une des préoccupations
pour ceux du MIL-GAC.
Les premières armes (de poing, fusils de chasse ou carabines)
obtenues en 1970, 1971 et début 1972, proviennent de l’ETA et de
cambriolages dans des magasins de Toulouse ou dans diverses armu-
reries de villes avoisinantes. À partir de l’été 1972, le GAC se les pro-
cure en Principauté d’Andorre chez un vieux militant cénétiste ou
auprès de militants de la CNT espagnole en exil à Toulouse.

Aurore : Dans le groupe, il y avait des Sten et des Star, tout un


côté mythique.
Sebas : Au cours de l’été 1972, nous avons acheté quelques pièces
de matériel par un Basque. Du mauvais matos, il y avait même
des 7.65 Ruby. Pour ma part, j’avais un revolver 8 mm de la
seconde guerre mondiale. Je l’avais déjà lors de la fuite de Ray-
mond-IV. Puis, nous avions aussi deux Naranjeros et des canons
sciés.
Sancho : On a commencé avec les gens de l’ETA, on a acheté des
pistolets en Andorre. Il fallait payer pour les pistolets avec le Zapa-
tero, car ils n’étaient pas à lui.

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El Petit : Sancho m’avait dit quand nous étions à Bayonne : le mar-


ché international était non seulement cher mais aussi mafieux ; il
valait mieux convaincre des vieux anarchistes qui avaient enterré
leurs Sten lors de la résistance au lieu de les rendre en 1945.
Sebas : J’ai demandé des armes au Zapatero la semaine qui a suivi
la découverte de la ferme de Bessières, donc durant l’été 1972.
Avant nous avions une petite filière au Pays basque et avec Cricri
et Puig nous avions fait quelques petits coups pour récupérer des
fusils de chasse. Mais notre matériel était vraiment trop rudi-
mentaire. À la première demande, j’étais seul comme aux pre-
mières livraisons. Ensuite, Cricri est venu puis j’ai présenté Puig
au cas où…
Zapatero : Au cours de nos rencontres, ils m’ont dit qu’ils voulaient
agir en Espagne et qu’ils avaient besoin d’armes. C’était conti-
nuer le même combat que nous avions mené. Naturellement, ils
n’étaient pas tous anarchistes mais je me suis dit « que tout cela
travaille ! ». Qui est contre le capitalisme, contre le régime fran-
quiste, je l’aide… J’avais déjà fourni des armes aussi à Sabaté, à
Facerias, à tous ceux qui en avaient besoin.
Un jour, ils sont venus me voir, Puig Antich et Jean-Marc. Ils
étaient à court, Puig avait seulement un pistolet, ils étaient dému-
nis et j’ai fait cadeau d’une mitraillette à Puig : « Voilà, c’est mon
premier cadeau, il vous servira » et Puig m’a offert son pistolet.
De donner des armes au MIL est une démarche personnelle car
l’organisation était contre. Mais je leur disais : « Attention, on ne
peut pas faire ça pour le fait, il faut avoir un but, justifier l’action,
même Sabaté travaillait de temps en temps. Faire savoir pour
qu’on ne vous prenne pas pour des professionnels ». Nous, on avait
un but et la police française ne pouvait pas dire qu’on vivait d’atra-
cos. Mais eux avaient une activité continue, c’est pour ça qu’ils
étaient clandestins, alors que nous, nous allions en Espagne pour
des cas déterminés et après c’était fini, on reprenait le boulot.
Blanca et moi, on a toujours travaillé et on n’a jamais voulu d’ar-
gent de l’organisation même quand j’ai été arrêté quelques mois en
Espagne.
Je crois que 80 % de leurs armes, c’est moi qui les leur ai donnés. Ils
venaient m’expliquer ce qu’ils avaient fait et ce qu’ils voulaient
faire et je leur disais : « Non, il ne faut pas me dire vos projets ». Ils

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sont venus un jour à l’autre magasin, rue des Fontaines, avec une
voiture et des armes. Ils ne savaient pas quoi en faire et ils les ont
mis dans l’arrière-boutique, je n’ai pas demandé la provenance.
El Petit : Ironie de l’histoire, les mitraillettes qu’utilisait le MIL
pour les hold-up étaient d’origine américaine : durant la deuxième
guerre mondiale, les États-Unis parachutaient des paquets avec ces
mitraillettes pour la résistance dans la France occupée. Le secteur
non stalinien de la Résistance était plein d’anarchistes et de répu-
blicains espagnols qui ne rendirent pas les armes à la fin de la
guerre dans l’espoir de les utiliser pour se libérer du fascisme de ce
côté des Pyrénées. Cela ne se passa pas ainsi et ils les enterrèrent
dans le sud de la France et certains, voyant qu’à la fin des années
soixante apparaissaient des jeunes disposés à utiliser les Sten, les
ont déterrées discrètement et nous les ont données. De cette
manière, des armes offertes par les États-Unis aux résistants contre
le nazisme ont fini par servir au combat contre le capital dans la
Barcelone des années soixante-dix. ■ Egin du 4 mars 1984.
Zapatero : La plupart, nous étions dans la résistance, c’étaient des
armes de la résistance de la deuxième guerre mondiale, on en avait
un stock extraordinaire. J’étais au Comité régional de la CNT, à la
coordination qui s’occupait de la question de l’Intérieur, de la ques-
tion subversive. À un moment donné, quand on a eu peur d’une
invasion des Russes, avec l’organisation on a, par principe, structuré
des groupes de défense à travers toute la France. Je devais faire des
stocks dans le Midi, une mitraillette, une grenade à main, des car-
touches, etc., et dans chaque localité où il y avait un copain de
confiance, on mettait un dépôt d’armement. Nous avions aussi dans
une grande valise (valise qu’on appelait « l’école terroriste »), avec
toutes sortes d’armes, des grenades… pour qui voulait partir en
Espagne. Le temps passant, les copains me les ont données, d’autres
qui avaient aussi des dépôts d’armes, me les ont vendues.
Blanca : Rien n’est venu d’Espagne. Lors de la retraite, pour sau-
ver des armes, nous, ceux de la colonne Durruti (26e division), on
a été à Puigcerdá pendant trois jours pour en huiler et les mettre
dans des bidons de lait pour les enterrer dans les maisons… cer-
taines doivent y être encore. On ne voulait pas tout laisser à
Franco et les Français nous demandaient de les déposer à la
frontière.

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Dans une lettre qu’il nous a adressée, Antonio Tellez (47) nous
amène des précisions : « Quand je suis arrivé, en octobre 1944, à
Toulouse, mon travail a été de ramasser partout en France les
armes que les camarades avaient cachées après la Libération. Ces
armes, parfois dans des lourdes valises ou d’autres fois expédiées
en caisses par le rail, allaient au Comité national de la CNT et
c’était le responsable de coordination qui armait les groupes d’ac-
tion. Facerias et Sabaté ont toujours eu les armes qu’ils voulaient,
sauf à partir de 1951 quand ils ont été mis « hors la loi » par l’or-
ganisation CNT ».

Sebas : Le Zapatero ne se souvient pas bien, mais il nous a donné


deux 9 mm juste avant de redescendre en automne 1972, dont un
P 38 Walter. L’échange avec le 7,65 de Puig se fit bien plus tard,
Puig utilisa cette arme dans l’opération du 2 mars 1973, où il y eut
une fusillade. Nous avions déjà de nombreuses Sten, soit plus
d’une quinzaine en deux ans nous ont été fournies par lui, plus
quelques armes de poing comme le 45 de Sabaté, des grenades et
des munitions…
Cet hiver-là, nous avions également acheté deux Cetme (fusil d’as-
saut de la Guardia civil) pour une somme dérisoire à des nationa-
listes qui faisaient leur mili (service militaire). Mais sans chargeur
ni balle. Ceci fut d’ailleurs le prétexte pour éprouver Pedrals dans
lequel nous n’avions pas grande confiance. Il avait fait son service
à la caserne Pedralbes (d’où son surnom Pedralbes, pour moi

47 – TELLEZ Antonio (1921-2005) est né à Tarragona en Espagne, il est


membre des Jeunesses libertaires (FIJL) et traverse la période révolution-
naire. Il se réfugie en France en février 1939 où il est accueilli dans divers
camps de concentration dont celui de Septfonds (Tarn-et-Garonne). Anarcho-
syndicaliste, membre de la CNT et du MLE, il participe à la Résistance en
France et commet divers sabotages… Il séjourne quelque temps à Toulouse où
il rencontre Sabaté, Facerias et d’autres militants anarchistes qui perdront la
vie dans la lutte armée contre le régime franquiste. Au début des années 1960,
il s’éloigne de la militance active, fatigué par les luttes de tendance au sein du
Mouvement libertaire espagnol. Il se consacre dès lors à l’écriture et publie
divers articles et ouvrages sur la guérilla libertaire contre Franco : Sabaté, gue-
rilla urbana en España (1945-1960), La guerilla urbana, Facerias, La guerilla
en Galicia… et celui sur le MIL. Antonio décède à Perpignan.

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résumé à Pedrals). Il y avait encore ses entrées. Du coup, il put y


voler chargeurs et balles avec une grande facilité.
Mais la majorité des armes de poing avait une autre origine :
Andorre. Cricri s’occupait de cette filière. Cher, mais du matériel
relativement neuf. Cricri montait en Andorre, où il avait son oncle
(de la FAI), il y rencontrait le fournisseur et puis, soit lui soit Cri-
cri passait le matos. Deux ou trois calibres à la fois. Souvent des
armes espagnoles, ainsi Cricri se trouva équipé d’un Llama 9 long,
Sancho d’un Star également de 9 long, et Puig de son petit Star
7,65 qu’il aimait bien. Dans les opérations, comme il était chauf-
feur, il n’avait pas besoin de plus, puisqu’il avait aussi une Sten à
portée de main… Jusqu’au 45 de Sabaté, je suis resté avec le 8 mm
puis le P 38.
Sancho : La première fois qu’Oriol, Jean-Marc et moi nous avons
eu des mitraillettes entre les mains, personne ne savait comment
les faire fonctionner. Personne n’avait fait l’armée et question
armes, nous étions complètement autodidactes et nous apprenions
au fur et à mesure.
Jean-Marc a toujours montré un grand intérêt pour les armes
qu’Oriol, les autres et moi, nous ne partagions pas, à l’exception de
Pons qui les mythifiait. Une arme qui fonctionne nous suffisait, par
contre Jean-Marc était obsédé pour avoir un meilleur armement, le
bichonnait jusqu’à se prendre en photo avec.
Pour nous, les armes étaient une nécessité pour agir et non un
mythe comme pour Jean-Marc. C’est une explication un peu som-
maire mais très révélatrice de la manière de fonctionner des uns et
des autres ainsi que de leurs évolutions futures.
Sebas : L’usage des armes est un vaste débat encore ouvert. Par
contre, il ne peut se résumer à l’usage de tel ou tel outil, de telle ou
telle forme de lutte.
Quand tu es un révolutionnaire, tu ne peux pas laisser tomber les
armes. C’est antinomique. Bien sûr, tu peux te trouver acculé à
déposer les armes, à enterrer la hache de guerre, par la force, par la
possibilité tactique d’une autre voie préparant plus efficacement à
une nouvelle offensive. Tu peux être isolé et assumer une autre
tâche. Mais tu ne laisses pas tomber les armes quand tu fais tout
ton possible pour armer le prolétariat de la conscience de devoir
s’armer, de se préparer à la contre-violence révolutionnaire.

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Sancho : Quand on était dans les banques, Jean-Marc s’amusait


avec les tampons et à faire des bêtises. Une fois, il s’était habillé
avec une gabardine jusqu’aux pieds, pareil que les pistoleros du
film La Horde sauvage qu’il adorait. En vérité, je me sentais quel-
qu’un d’autre avec un pistolet. Je suppose que c’est pareil quand on
se met un uniforme. Je savais qu’il y avait du danger mais je pen-
sais toujours que ce ne serait pas moi qui tomberais. ■ Cuenta
atrás.
El Petit : En ce qui concerne les expropriations, le MIL n’amenait
rien de nouveau car ce moyen de financement avait déjà été utilisé
par toutes sortes de mouvements, de Staline qui braquait des
banques pour le parti bolchevik aux plus respectables partis de l’op-
position antifranquiste. ■ Egin du 4 mars 1984.
Sancho : Le MIL était en constante évolution et la question des
hold-up était un moyen qu’il se donna, un moyen de plus seule-
ment, sans plan établi ni traumatisme. On avait besoin d’argent
pour continuer les Éditions Mayo 37 et on est allés le chercher là où
cela nous semblait le plus facile, de même quand on manquait de
machines, on expropriait une imprimerie, une librairie ou ce qui
était nécessaire.
Le MIL, et j’insiste, était un groupe d’amis et comme tels tout le
monde faisait tout et nous participions tous aux discussions. On se
regroupait par affinités et, normalement, on ne discutait pas pour
savoir qui allait faire quoi car vu le nombre que nous étions, on
était obligés de participer (obligation dans le bon sens du terme).
De nombreuses fois, si on décidait de braquer telle ou telle banque,
cela tenait uniquement au fait que quelqu’un était passé devant et
que cela paraissait facile de la braquer. D’autres fois, les moins
nombreuses, on avait des informations concrètes ou sinon, comme
la banque de Bellver attaquée pour la deuxième fois, c’est parce
qu’on la connaissait déjà. Ce que je peux dire, c’est qu’après
quelques hold-up au maigre butin, on a essayé de mieux assurer,
soit avec des informations soit par intuition.
Il n’y avait pas de rôles définis, cela tombait comme ça. Oriol
était prêt à recruter n’importe qui pour foncer, le Metge ne vou-
lait pas qu’il y ait des filles dans les hold-up, sinon c’était en fonc-
tion. Comme chauffeur, il y avait le Metge et Cricri, l’un ou
l’autre.

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Fin juillet, un couple sous le nom d’emprunt de Gimenez loue


une ferme au lieu dit Le Moulin sur la commune de Bessières
(Haute-Garonne) à une trentaine de kilomètres de Toulouse.

Sancho : Après ce hold-up de juillet, on loua une ferme à Bessières


pour monter une imprimerie qu’on a volée quelques jours après. Il
y avait Jean-Marc, une étudiante espagnole à Toulouse appelée
Mame et moi. On s’est fait passer pour un couple et on a loué la
ferme avec de faux papiers. À cause d’une négligence, la proprié-
taire de la ferme découvre l’imprimerie et des armes.

« Août : Socialisation de machines d’imprimerie. Fin du travail


infrastructurel. Passage à l’action militaire »
Sebas : « Passage à l’action militaire ». Oriol annonce ce passage et
il veut réunir les Barcelonais autour de cette évidence et de la
praxis que cela exige. Il sera arrêté quelques semaines plus tard.
Mais le MIL a fait le saut.
Sancho : Cela a été un été fou et, de fait, on vivait dans la voiture
même si on avait l’appart loué par Salvador, rue Raymond-IV. On
faisait des actions toute la journée, on établissait des contacts à
Paris, au Pays basque, en Italie ou à Barcelone et notre présence
dans la ferme de Bessières n’était pas très régulière.

Dans la nuit du 14 au 15 août, le MIL/GAC cambriole une


imprimerie, rue de l’Esquille à Toulouse.

Sebas : Nous étions trois. Oriol, Sancho et moi. Toujours aussi limi-
tés quant à notre travail préparatoire, toujours aussi bordéliques.
Oriol avait d’énormes qualités dynamiques, c’est sûr, mais ses
repérages étaient très sommaires.
Du coup, nous nous sommes retrouvés dans l’arrière-cour du maga-
sin. Après un long effort, nous avons réussi à ouvrir la porte de der-
rière qui devait soi-disant nous donner accès à la salle des
machines. Nous nous sommes retrouvés dans un petit appartement
minuscule qui n’avait rien à voir avec l’établissement.
En fait, nous sommes retournés au plus simple : la porte d’entrée
sur la rue.

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En deux coups de pieds de biche – la fameuse palanqueta (pied-de-


biche), notre arme de prédilection avant la Sten –, nous étions au
travail. Et quel travail. Un véritable chantier !
Les machines étaient en batterie prêtes à l’emploi, donc pleines des
produits nécessaires. Lorsque nous avons commencé à charger, le
poids, mais aussi la pénombre faiblement atténuée par le halo
orangé des deux réverbères de cette rue étroite, comme il fallait
être deux par machine, nous avions du mal à coordonner nos mou-
vements. Nous nous heurtions aux meubles, aux coins des portes,
aux autres machines… Les produits giclaient. Rapidement, le sol
devint glissant. Je me suis étalé au moins deux fois dans l’atelier.
Une belle gamelle d’Oriol dont je me souviens dans l’entrée même,
il avait terminé sous une machine. En plus, certaines flaques
étaient constituées d’acide d’imprimerie. Du coup, pour ma part,
j’avais les fesses en feu ! Les mains me brûlaient. Nous avons dû
laisser un bordel monstre, en plus des produits, des feuilles épar-
pillées, malaxées et collées, des boîtes de plaques et de stencils.
Le chargement dura 30 minutes tout au plus. Notre camionnette
bloquait presque entièrement la rue, mais aucun véhicule ne passe
par là la nuit Le magasin se trouvait sur la droite en venant de la
rue des Lois, juste avant que la rue ne fasse un repli plus étroit
encore.
Immédiatement après, nous sommes rentrés à la ferme. Nous
devions entrer, décharger puis retirer la camionnette avant le jour,
afin de n’être pas vus des voisins.
Je me souviens que nous avons fait un tirage d’une brochure pour
un groupe d’ouvriers à la ferme cet été 1972. Laquelle ?
Sancho : Avant Mayo 37, Le MIL a collaboré avec les groupes du
Chato et du Rubio comme pour l’impression de la revue Caballo
loco.
El Rubio : La couverture du n° 2 de Caballo loco (Cheval fou), sep-
tembre 1972, bulletin des ouvriers de l’entreprise Bultaco fut
imprimée par le MIL. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

Cela fut un été fou comme le dit Sancho et septembre est dans
le prolongement. Au début du mois, Oriol, Sancho et Sebas envi-
sagent une nouvelle opération financière et repartent à Barce-

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lone. Ils parcourent en quelques jours des centaines de kilomètres


en Espagne et en France. Ils réussissent un hold-up en Catalogne.
Cependant, en France, deux structures du groupe sont découvertes
par les gendarmes, la ferme de Bessières et l’appartement de la rue
Raymond-IV et Oriol se retrouve une nouvelle fois derrière les
barreaux.

Sebas : Tout l’été, nous n’avons eu de cesse d’accumuler un finan-


cement de fonctionnement.
A cette époque, après avoir abandonné l’appart en atico dont j’ai
déjà évoqué l’existence, nous avions trois bases : Toulouse, un cam-
pement de fortune dans la montagne, dans la Sierra del Cadí plus
exactement et Barcelone. À Barcelone, Oriol, Sancho et moi vivions
dans un appart proche de la place de Sants, sur une avenue sale et
bruyante. Il faisait très chaud. Un truc moderne meublé ayant
servi de pied-à-terre à une prostituée de la plaça d’Espanya.
Nous envisagions avec Sancho et Oriol, d’exécuter Juan Anton
Creix. C’était un des principaux responsables nationaux de la BPS
et l’un des pires dans la répression. Il avait sévi à Barcelone bien
sûr, Oriol était passé entre ses mains, torturé, fouetté avec du fil
électrique dénudé. Il avait sévi en Euskadi, il était responsable des
arrestations après l’exécution de son collègue Militon Manzanas ;
il avait été de toutes les tortures des inculpés du procès de Burgos,
il avait été flic à Grenade où sous son règne trois ouvriers avait été
assassinés.
Puig était au courant, il voulait temporiser. « Ce n’était pas le mo-
ment… », ce ne fut jamais le moment et sans doute la crapule est-
elle morte dans son lit. Ce n’était pas un phantasme d’action
comme il en existe des fois. Nous avions effectué réellement les
repérages. Les premiers avaient été l’œuvre d’Oriol. Il m’y avait
amené. Une rue de Sarriá, les Creix vivaient dans une maison
moderniste d’un étage.
Sancho : Pour les opérations nommées septembre rouge/octobre
noir, Oriol, Sebas et moi, on avait envisagé deux actions retentis-
santes à Barcelone : l’attentat contre Juan Antonio Creix et l’enlè-
vement de la femme du Consul du Venezuela. Pour mener à terme
ces deux actions, nous avons effectué un repérage concernant Creix
et construit une prison du peuple au Col del Moixero en Cerdagne.

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Santi et le Secrétaire n’étaient pas d’accord : pour eux, le principal


était de monter la Bibliothèque et les éditions Mayo 37.
À ce moment, l’EE comptait seulement trois personnes, Oriol,
Sebas et moi. Pour nous aider, nous avons contacté ceux de la
OLLA qui n’avaient alors ni arme ni expérience. Cela ne leur a pas
paru clair et nous avons continué à trois, avec l’aide de Cricri en
France. L’arrestation d’Oriol en septembre a stoppé l’opération.
■ Entretien avec Sergi Rosés.

Sancho, dans sa réponse, par commodité, utilise le sigle EE.


Mais ce dernier n’existe plus depuis janvier 1971 et c’est le
MIL/GAC qui va revendiquer les actions de cette période. Mais en
septembre 1972, les sigles ont-ils une réelle importance pour Oriol,
Sebas et Sancho ?

Lors des semaines précédentes, dans la montagne, le MIL/GAC


a aménagé quelques caches en prévision d’actions ou de moments
difficiles.

Sebas : Nous avions deux dépôts dans la Sierra del Cadí. Un pre-
mier, proche de l’un des cols à l’est de celui que nous avions
emprunté avec Sancho pour échapper aux recherches en janvier
1973. Là, il y avait une ou deux armes, du matériel de couchage et
autres. Nous y étions restés une semaine en juin-juillet. Nous
nous servions aussi d’un village totalement abandonné plus bas où
nous avons organisé une réunion avec Felip et Montes. Le second
dépôt était plus bas du côté de la vallée sud donnant sur Berga. À
mi-pente. En novembre ou en décembre, nous avons organisé à par-
tir de Barcelona une expédition pour renforcer ce camp avec deux
sacs de provisions et des sacs de couchages. Il y avait là Pedrals,
Sancho, Puig, Queso (?) et, je crois bien, un camarade toulousain
appelé Dandy. Nous avions une ou deux voitures dont une imma-
triculée en France, une Peugeot 404. Nous étions fortement armés,
plusieurs Sten, et un Cetme pour ma part.
Queso/Sancho : Le refuge était au col de Moixero-col du Pendis
sur des rochers tournés vers le Bergueda, à deux heures environ de
la piste. Il y avait du matériel de survie et nous avons mis un mois

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pour l’aménager. Lors du hold-up à Bellver, en septembre 1973, on


est arrivés là, on a pris du matériel, mais nous n’y avons pas passé
la nuit. ■ Entretien avec Sergi Rosés.

La ferme de Bessières
Le 9 septembre, Oriol, Sancho et Sebas sont à Barcelone, ils ne
savent pas que la ferme de Bessières a été investie par les gen-
darmes. Depuis qu’elle a été louée, les propriétaires surveillent et
sont intrigués par le comportement des locataires. À la mi-août, sur
les conseils du garde-champêtre de Bessières, la propriétaire
demande l’identité des personnes présentes à la ferme, un couple
donne un faux nom, Oriol, Sancho et Sebas donnent leur vrai nom.
Au début du mois, les propriétaires sont inquiets, toute activité a
cessé dans la ferme.
« Intrigué (le propriétaire) par ce fait s’est rendu à la ferme et
à travers la fente des volets, il a remarqué la présence de
deux pistolets sur une étagère. Immédiatement, il a prévenu
M. de l’agence de location. Ce dernier a alerté la gendarmerie
de Montastruc (…) Le 11 septembre, les propriétaires à qui
nous avons présenté des photographies (48) de Rouillan Jean-
Marc et Solé Oriol détenues par nous (…) ont formellement
reconnu les personnes précitées. » ■ Extrait du procès-verbal
de synthèse, daté du 3 novembre 1972, rédigé par un adjudant
de la gendarmerie.

Dans la ferme, sont découverts :


– le matériel d’imprimerie dérobé rue de l’Esquille au mois d’août.
Il est rendu à ses propriétaires ;
– deux carabines, une 22 long-rifle et une 12 mm à canon et crosse
sciés, des balles de divers calibres, deux revolvers à barillet (amorce
et plomb). L’ensemble provenant de cambriolages ;
– les papiers d’une trois-chevaux Citroën dérobée (certainement
par le groupe) dans la nuit du 18 au 19 août.

48 – Les photos de Sebas et d’Oriol présentées doivent dater des arrestations


de mars 1971, près de Prades. La police ou la gendarmerie photographient sys-
tématiquement les personnes interpellées et susceptibles d’être inculpées un
jour ou l’autre.

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– de la documentation politique (nombreuses brochures, affiches)


d’inspiration gauchiste, comme l’écrit le juge Couronne dans son
réquisitoire définitif du 31 janvier 1973 ;
– le texte-bilan en langue catalane « Dos anys de resistencia »,
rédigé par Oriol.

Tentatives d’expropriations à Salou et Igualada


Le 13 septembre, ils sont à Salou (province de Tarragone),
petite ville en bord de mer située à 108 km au sud de Barcelone et
à Igualada (province de Barcelone), ville industrielle, de 20 000
habitants, située sur la route de Lérida, à 68 km de Barcelone.

Sebas : Nous avions en préparation plusieurs opérations. L’une


d’entre elles était une info que l’on nous avait donnée. Le caissier de
la succursale d’une banque de Salou apportait chaque matin, de la
ville toute proche, une grosse partie de l’argent permettant le fonc-
tionnement du change. En été, dans une telle station balnéaire, cela
devait être très important, mais voilà, repérage bâclé oblige, il
semble que nous nous soyons trompés de cible. Quoi qu’il en soit,
nous l’avons attendu. Il faisait beau. Un air de vacances, d’ailleurs
nous avions du mal à cacher sous nos T-shirts les énormes revol-
vers que nous transportions alors.
L’homme avait une Seat 124, il en descendit la mallette à la main.
Le trottoir était étroit, bordé d’arbres. II avançait vers nous en
bras de chemise. Un peu gras. Le genre d’employé que nous appe-
lions les carpetas (gratte-papier). Nous lui sommes tombés dessus
l’arme à la main. La frayeur passée, il resta incrédule et accroché
nerveusement à sa mallette. Oriol lui expliqua que nous n’étions
pas des gamberos (connards) mais déterminés à lui prendre l’at-
taché-case… Son incrédulité augmentait visiblement au flot d’ex-
plications qu’il tentait de donner. La scène dura un moment. Les
quatre sur notre trottoir ! Nous voulions sa mallette à lui, la
sienne !
Et nous lui avons pris. Mais ce n’est pas terminé car, dans le plan,
il ne fallait partir qu’une fois l’homme couché au sol. Et il ne vou-
lut pas se coucher à cause de la terre légèrement humide du trot-
toir : « Je ne vais pas salir mon costume pour un sandwich »… Il
répéta : « bocadillo » deux ou trois fois, tant et si bien qu’un nuage

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de doute traversa notre héroïsme expropriateur. Oriol, qui était à


son tour accroché à la mallette au nom de la nouvelle collectivité,
l’ouvrit pour vérifier. Elle ne contenait effectivement qu’un sand-
wich.
Dur apprentissage… Mais je me souviens du fou rire qui nous
accompagna jusqu’à la voiture. On avait tout l’été devant nous ! Si
nous étions dans ces temps-là assez souples sur les repérages,
nous avions foi en notre obstination.
Dans la voiture, Oriol parla de précipiter l’action d’Igualada puis-
que nous passions par là. Il s’agissait d’une banque dans laquelle
les employés d’une usine textile devaient retirer leur paye, ou un
truc dans ce genre.
On commença à tourner autour de la banque. Je crois que nous
avions tout donné dans l’attente du sandwich de Salou et, du coup,
on ne se la sentait pas, comme on dit chez les voyous. Tous les pré-
textes furent bons « y a trop de monde », « ils nous ont repérés »…
Nous avions voulu improviser mais visiblement nous n’en avions
pas encore la capacité. Notre moral en avait pris un sérieux coup,
mais je crois que nous avions bien analysé le pourquoi de ces deux
erreurs. Nous en étions aux gammes et nous voulions déjà passer
aux arpèges.

« 15 septembre : Attaque à main armée de la Caja de Ahorros


de Bellver de Cerdanya, près d’Andorre. Butin : 1 million de
pesetas »
À partir de cette date et jusqu’au 2 mars 1973, les titres entre
guillemets sont extraits de la chronologie de CIA n° 1.
Deux jours après les tentatives de Salou et d’Igualada, ils sont
toujours en Catalogne, mais à Bellver de Cerdanya (province de
Lérida), ville située à vingt kilomètres de Bourg-Madame (frontière
française). À l’ouverture de la Caisse d’épargne, ils sont deux à
pénétrer à l’intérieur. Sancho les attend au volant de la Seat 124
qu’il a louée à Barcelone.

Sebas : La banque de Bellver de Cerdanya. Là encore, les mêmes.


C’était déjà notre territoire. La Cerdanya, là où nous faisions nos
passages vers Barcelona depuis deux années. Nous avions notre
camp plus haut. Et puis, c’était l’endroit où les deux frères Solé pas-

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saient leurs vacances depuis leur enfance. Bien sûr, il est décon-
seillé de bosser proche de ses replis. On ne mélange pas l’excep-
tionnel au quotidien, l’exceptionnel en l’occurrence l’expropriation,
et le quotidien, la zone essentielle de circulation – matos et hommes
– entre Toulouse et Barcelone. Mais je crois que nous avions besoin
d’être chez nous pour pousser la porte et dire Manos arriba (mains
en l’air).
Une banque de gros bourg. Je suis rentré avec Oriol, il y avait
moins d’une dizaine d’employés. Nous avions décidé de passer
pour des quinquis (voyous), par l’habillement d’abord, je me sou-
viens qu’Oriol arborait un magnifique jeans fuchsia ! Et je devais
laisser transparaître mon origine transpyrénéenne, des quinquis
venus de France. D’ailleurs, j’en fis un peu beaucoup, je suis resté
debout sur le comptoir durant toute l’opération, soliloquant un
chapelet de menaces et d’invectives bien franchouillardes.
Lors du repli, à deux kilomètres de la ville, nous avons dû nous
arrêter dans une station pour faire le plein !!! ( il faut dire que nous
étions si fauchés avant l’opération). Nous avons fait ensuite un
virage à 90° vers la vallée de Berga pour traverser la Sierra del
Cadí par une route de montagne, difficilement praticable. Résultat,
nous avons flingué le carter et sommes restés en rade à 50 km de
Barcelone.…
Nous sommes repartis le lendemain aprem vers la France.

Le 15, ils étaient à Bellver de Cerdanya, le 16 au soir, ils sont


à Bayonne et le 17, ils reviennent à Toulouse.

Sebas : Il y avait là, Oriol, Sancho (?) et moi, nous nous apprêtions
à rentrer à la ferme car nous ne savions rien de sa découverte. Il
devait être minuit quand nous avons pris un café à Carcassonne.
Par hasard, il y avait un journal vieux de plusieurs jours sur le
radiateur à côté de notre table. Et en l’ouvrant machinalement,
nous sommes tombés sur une photo de la ferme.
Je me souviens de la dernière phrase de l’article : « Rouillan est tou-
jours activement recherché ».
Du coup, nous nous sommes arrêtés rapidement à Toulouse, nous
avons pris Cricri au passage. Sancho est reparti sur Barcelone et

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nous avons filé à Baiona. Discussions avec des camarades basques.


Il ne semble pas que nous ayons pris du matos. Le coffre n’était
donc pas chargé.
Oriol : Je me rendais à Bayonne au volant d’une Renault 16
louée à Perpignan le 16 septembre. Sachant qu’avec Rouillan
j’étais recherché depuis l’affaire Bessières. J’en ai fait part à
Torres que j’ai rencontré sur le Pont-Neuf. Je lui ai demandé de
conduire le véhicule jusqu’à Bayonne. Nous devions rencontrer
des Basques et discuter d’actions futures. De retour de Bayonne,
nous avons été invités à nous arrêter à Soumoulou par la gen-
darmerie qui procédait à un contrôle de routine. C’était le 17
septembre 1972, vers 10 heures. Voyant que les gendarmes s’at-
tardaient sur mon cas et sur celui de Rouillan, j’ai invité Torres à
démarrer en trombe… ■ Extrait du procès-verbal d’audition du
18 septembre 1972.
Sancho : Lors de leur retour du Pays basque français, Oriol,
Jean-Marc et Cricri s’enfuient lors d’un contrôle policier mais,
malheureusement, ils laissent leurs papiers d’identité aux mains
des gendarmes. Le jour suivant, la police arrête Oriol et Cricri
dans un appartement rue Raymond-IV. Jean-Marc réussit à s’en-
fuir en sautant du troisième étage, en caleçon et un pistolet à la
main.
Sebas : En rentrant sur Toulouse par la nationale, à la sortie du
village de Soumoulou, Cricri a fait une connerie. Trois gendarmes
nous ont bloqués, ils n’ont pas seulement verbalisé Cricri mais ils
nous ont tous contrôlés. Nous avons filé nos vrais papiers ; de l’in-
térieur de la voiture, nous avons entendu à la radio du fourgon
« conduisez les individus à la brigade ». Nous avons abandonné
nos papiers tous les trois de concert et par la force des choses.
Démarrage, course poursuite et long voyage dans les vallées
pyrénéennes. Le soir, vers 22 h-23 h, nous sommes plus crevés
encore, nous allons nous coucher à l’appart Raymond-IV. Appart
que j’avais loué avec Puig. Lorsque nous entrons, nous constatons
que toutes nos affaires sont rangées nickel dans l’entrée !!!
Mais Oriol avait réponse à tout et nous a rassurés. Ils avaient
perquisitionné, rien trouvé et avaient tout rangé pour embarquer
les affaires. Ce matin-là, ils venaient simplement chercher les
sacs.

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L’appartement rue Raymond-IV


Après la découverte de la ferme à Bessières le 9 septembre, les
gendarmes poursuivent leur enquête et localisent l’appartement du
groupe au 33, rue Raymond-IV qu’ils perquisitionnent le 18 sep-
tembre. Dans le rapport de synthèse de la gendarmerie du
3 novembre 1972, il est écrit :
« Mme M. (la propriétaire) nous fait connaître qu’elle a loué un
appartement au deuxième étage aux nommés Rouillan… étu-
diant et Puig-Salvador… étudiant. »
À 8 h 30, ils se présentent à l’appartement. La propriétaire
ouvre la porte. Oriol et Cricri sont surpris au lit et interpellés.
Sebas a eu le temps de filer par le balcon. Lors de la perquisition,
les gendarmes découvrent une carabine à canon scié calibre 22 long
rifle, des dizaines de balles de calibres divers (22, 7.65 et 38), envi-
ron deux cent mille pesetas, des pièces d’identité, au nom de
Rouillan, au nom de Torres, une carte d’identité et un permis de
conduire au nom de Dubernat portant les photos d’Oriol, une carte
grise et divers papiers d’un véhicule au nom de Caba Roger (dont
la Simca a été dérobée dans la nuit du 4 juin 1972), des livres et
documents révolutionnaires.
Le même jour, l’appartement de Cricri, au 11, rue des Blan-
chers, est perquisitionné par les gendarmes qui précisent dans un
rapport :
« Il a été découvert du matériel radio et photographique et
autres objets pouvant avoir une origine douteuse… »

Sebas : Là aussi, connerie d’inexpérience, j’avais donné mon nom


pour un truc périphérique mais qui aboutissait à cette adresse.
Donc, par recoupement, quelqu’un avait conduit les gendarmes à
l’appart rue Raymond-IV.
Aux environs de 8 h-9 h, j’ai entendu un bruit de clef. J’ai mis
mon pantalon. Je suis allé réveiller les deux camarades. Et,
dans l’encoignure de la porte du couloir, j’ai vu les uniformes des
gendarmes. J’ai empoigné mon arme, un revolver US de la der-
nière guerre. Je suis revenu dans la pièce du fond, j’ai dit « les
flics » et dans le mouvement, j’ai ouvert la fenêtre, enjambé le
balcon et sauté du troisième dans la cour de l’école maternelle,
sur le toit des chiottes. J’ai tout explosé, les tuiles et en plus

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pieds nus ! Comme c’était l’heure de la rentrée du matin, il y


avait encore de nombreux parents. Ils ont tous vu l’hirsute sans
chaussure et un énorme revolver à la main sortir à fond. J’étais
les pieds nus. Pire, les pieds nus, mais en sang. J’ai couru jusqu’à
l’appart d’une copine andalouse qui se trouvait sur le boulevard
d’Arcole, récupéré une paire de godasses et un vélo. Puis, direc-
tion Empalot, où j’ai passé les deux jours suivants chez un
copain.

Lors de son audition du 18 septembre 1972, Oriol mélange le


vrai et le faux sur les locataires, le matériel (armes, imprimeries,
etc.) et les documents (papiers, et le texte Deux ans de résistance…)
trouvés à la ferme de Bessières et rue Raymond-IV.

Oriol : …j’appartiens en ma qualité d’Espagnol au Mouvement ibé-


rique de libération qui est une organisation révolutionnaire de
caractère international.
Pour cette raison-là, je côtoie des camarades de toutes nationali-
tés… Je suis affilié à ce mouvement depuis janvier 1971…
Rouillan est le responsable de la section occitane… Puig Antich
Salvador dit « Metge », un militant actif du Mouvement ibérique
de libération qui se trouve actuellement à Cuba… ■ Procès-verbal
d’audition.

Après deux jours de garde à vue, Oriol et Cricri sont inculpés.


Oriol est incarcéré à la prison Saint-Michel de Toulouse et Cricri
est remis en liberté. Des mandats d’arrêt sont lancés à l’encontre de
Sebas et du Metge.
Le 26 septembre, les photos de Sebas, Oriol, Cricri et Sancho
sont montrées à la propriétaire de la ferme qui reconnaît Sancho
comme étant le loueur.
« Puig Antich a été identifié comme étant celui qui, d’après
S. Sugranes Oriol, était le nommé Sancho. Puig Antich reconnu
par Mme L. (la propriétaire) comme s’étant présenté à son
domicile pour la location de la ferme… » ■ Extrait du Rapport
de synthèse de la gendarmerie.

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Sancho : La ferme de Bessières a été louée par moi. Avec la déten-


tion d’Oriol et de Cricri, la gendarmerie se fit un embrouillamini et
inculpa Salvador comme loueur de la ferme. Voici ce qui se passa
exactement : j’avais, dans l’appartement rue Raymond-IV, des pho-
tos pour faire de faux papiers et la police, ni idiote ni paresseuse,
pensa que ma tête était celle de Salvador. Elle montra ma photo
aux propriétaires de la ferme qui m’ont reconnu comme le locataire.
Les choses en sont restées là : la gendarmerie avait ma photo et
pensait que c’était Salvador le locataire de la ferme. Ce ne fut que
quelques mois plus tard que la police s’aperçut de son erreur grâce
à des photos de nous prises sur la place du Capitole.
Sebas : Cricri est sorti en provisoire. Je ne l’ai revu que quelques
mois plus tard, vu que je suis rapidement reparti à Barcelone
pour une opération que nous avions prévue à Mataró. De fait, elle
fut repoussée au 21 octobre et réalisée qu’en partie. Montes a fait
louer plusieurs appartements à Barcelone. Le lieu de réunion se
trouve Calle Consejo de Ciento, c’est un petit deux-pièces typique
de l’Eixample. Donnant sur la rue, au premier ou au second. En
fait, il s’agissait d’un grand appartement coupé en deux. Il était au
nom du camarade Gafas (celui qui organisa l’expo Puig pour le
vingtième anniversaire de son exécution).
Puig est redescendu à Barna en août. Je me souviens de l’avoir vu
dans l’atico qui nous servit de repli pour l’expropriation de juillet.
Il me semble qu’il s’est vraiment engagé dans la clandestinité à
partir de l’automne 1972. Avant, il vivait dans le noman’s land bien
connu de toute l’opposition de la jeunesse contre le régime. Une
semi-légalité cool.

En octobre, le Metge rédige le texte : « Sobre l’agitación armada »


(Sur l’agitation armée), publié dans CIA n° 1. Au même moment,
Pedrals et Aurore arrivent au sein du MIL. Alors que Pedrals
s’installe à Barcelone, Aurore intègre le MIL/GAC quelques mois
après et réside à Toulouse.
« Aurore », est née en juin 1948 à Toulouse. En 1950, ses
parents émigrent à Paris. Sa mère a exercé la profession de secré-
taire. Son père est employé dans une société qui gère les magasins
des gares SNCF de France.

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Aurore : Ma mère me disait : « la politique, c’est sale ». Mon père


s’estimait complètement républicain, laïque, les vertus de la Répu-
blique, etc. Moi, j’ai bien tangué politiquement et dans ma vie. Je ne
savais pas trop ce que je voulais. J’ai agi autant par amitié et/ou
amour que politiquement, c’est ainsi. J’étais en révolte et cela
m’allait très bien, mais je ne savais guère où j’allais. Avec des
copines du lycée ou d’ailleurs, je fréquente les trotskistes, les maos
et j’assiste à des réunions. J’ai aussi fréquenté des associations
tiers-mondistes, les CEMEA (j’ai été mono), je suis allée à quelques
réunions du MLF. En 1967, je quitte le lycée et je me retrouve dans
une école de secrétariat privée où j’ai facilement passé tous les exa-
mens en un an (malgré 68). En septembre 1968, je travaille comme
secrétaire dans un laboratoire. En 1970, je rencontre à Paris
Pedrals et un ami à lui. Tous les deux sont étudiants et disent faire
partie d’un groupe maoïste. Ils ont une idée géniale pour pouvoir
avoir de l’argent pour leur groupe et pour renflouer donc les
finances générales et particulières. Il fallait que je simule une
attaque dans le labo où je travaillais, un soir, quand j’étais seule.
Beaucoup de patients payaient en liquide. Et que je leur envoie les
billets par le balcon. Qu’ensuite, je raconte et maintienne ma version
d’une attaque par un mec. Moi, comme une conne éprise, j’ai accepté.
L’idée aussi de participer à quelque chose, d’aider un groupe à
vivre, c’est-à-dire qu’il puisse agir. Et puis, bien sûr, ce n’était pas
pour moi personnellement. On a discuté de l’aspect des choses en
grands néophytes idiots. Moi, je ne voulais pas parler de flingue
(pourquoi ? je ne sais plus) mais d’un couteau tenu par un jeune.
C’est ce que j’ai raconté aux flics quand j’ai dû aller me présenter
pour faire ma déposition. Ils ne m’ont guère crue. Ils m’ont suivie.
Là, bien sûr, j’ai couru vers Pedrals, Amadeo nous rejoignant. J’ai été
réentendue et je ne suis plus ressortie du commissariat de la place
du Panthéon. Ensuite, ils ont chopé les deux. Je me suis retrouvée à
la Roquette et eux à Fresnes, je crois. J’avoue que j’ai assez bien
occulté toute cette histoire dont je ne suis guère fière, où je me suis
laissée manœuvrer, où leur version officielle était du fric pour un
groupe, mais aussi du fric pour eux ! Je trouve ignoble d’agir par
intérêts propres en de telles circonstances.
Nous avons été jugés en flagrant délit en juillet 1971. Je me suis
ramassé trois mois fermes et eux quelque chose comme un an

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avec expulsion. C’était l’été et je me caillais à la Roquette, cette pri-


son quasi moyenâgeuse, aux murs de forteresse, je dormais avec six
couvertures que j’avais réussi à récupérer, il n’y avait pas d’eau cou-
rante ni de chiottes dans la cellule. Le matin, nous remplissions un
broc d’eau en plastique, nous rinçions notre seau individuel, nous
avions une bassine pour nous laver, et c’était bon jusqu’au lende-
main. Comme primaire, nous allions une bonne partie de la journée
en atelier, c’est-à-dire dans une salle avec de grandes tables où
quelques-unes travaillaient (à rentrer des stylos Bic sous pochette
plastique de quatre, par exemple.). Nous étions gardées comme un
troupeau par des bonnes sœurs, dont une peau de vache et d’autres
très sympas. Elles nous convoyaient jusqu’au Palais de Justice et
ramassaient les mégots pour les fumeuses dans les couloirs : quant
aux filles, j’en ai vu fumer les poils de paille du balai. On a fait
appel et en septembre je suis sortie, eux peut-être un mois après.
Ils ont dû quitter la France et rejoindre Barcelone.
J’ai commencé à descendre à Barcelone en 1971-1972. Je voulais
m’installer à Barcelone pour des raisons mi-économiques, mi-poli-
tiques et sentimentales. Pedrals louait une piaule avec différentes
personnes dont Montes. C’est là que j’ai appris que le groupe faisait
des trucs politiques et des récupérations d’argent. Il y avait Beth.
Quand je suis venue à Toulouse, j’ai rencontré Sebas, Cricri et
Sancho. Montes m’avait demandé si je préférais m’installer à Tou-
louse ou Barcelone. J’ai opté pour Toulouse et c’est lui qui m’a
accueillie dans un café à la gare Matabiau, c’était après l’affaire de
Bessières. En débarquant, j’ai habité chez Dandy, rue Monié en
haut de l’avenue de la Gloire. Après mon arrivée, c’est moi qui
louais les appartements légaux,pour recevoir ceux qui venaient ou
vivaient à Toulouse. Mon rôle (il n’y avait pas de rôle défini, cela
tombait comme ça) était aussi d’avoir des contacts pour des armes,
des faux papiers, du papier tout court… Je n’ai jamais participé à
des braquages car certains (Puig en particulier) ne voulaient pas.
J’avais la trouille mais je l’aurais fait. J’ai passé la frontière toute
seule en train pour transporter de l’argent de Barcelone à Toulouse
et l’inverse. Sinon, je franchissais la frontière légalement avec la
voiture et je récupérais les autres qui passaient à pied, j’utilisais
ma carte d’identité pour éviter qu’ils me tamponnent le passe-
port. Autrement, on passait par Puigcerdá, par la montagne.

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« 21 octobre : Mataro (ville industrielle à 30 km de Barcelone) :


attaque de la banque Caixa Layetana. Butin : 1 million
de pesetas »
Si, dans un premier temps, Montes et Beth, sa compagne,
s’occupent des infrastructures à Barcelone (location d’apparte-
ment, etc.), ils participent en seconde ligne aux braquages. Pour
Puig, c’est une première, il est au volant de la voiture des expro-
priateurs.

Sebas : Montes avait donc préparé deux opérations dans cette


ville. Deux Caixas Layetana.
La banque était située dans un quartier neuf en périphérie de la
ville. Lorsque nous sommes arrivés au matin, il faisait presque nuit
sombre. La banque était éclairée de l’intérieur. Nous étions dans la
voiture, Puig, Sancho et moi. Devant, Montes ouvrait la route dans
une voiture légale, une Simca 1000 claire.
Nous sommes entrés avec Sancho. Il ramassait la caisse et le
coffre, je faisais la porte et la salle. Cette division, qui allait devenir
un classique, était nécessaire car bien évidemment c’est celui qui
ramasse qui doit parler le plus avec les employés. Et puis Sancho
était assez bavard dans ces moments-là. Lors d’une autre opéra-
tion, il s’était embrouillé les crayons et avait déclamé en catalan :
« nous sommes les éléments politiques d’une organisation mili-
taire ».
Cortade parle d’une revendication, je ne crois pas que ce fut le cas
du moins dans le formel. Mais déjà le fait de s’exprimer en catalan
en devenait une.
Puig attendait dans la voiture. Le départ fut cool. Montes précédait
toujours dans sa petite auto. Ce qui nous fit marrer, c’est qu’il
avait pris soin de mettre une perruque bien que sa situation fut
toujours à deux cents mètres du coup. La sortie nous ramenait sur
Barcelone, elle passait par les pistes du Montseny, plein ouest de
Mataro, pour rejoindre l’autoroute de France. Plus d’une demi-
heure de routes de terre, puis nous sommes arrivés dans des
champs, proches d’une rivière, à quelques centaines de mètres
d’un parking sur l’autoroute, où nous attendait Beth avec une
autre voiture. Ensuite, nous avons simplement pris l’autoroute
jusque dans la banlieue de Barcelone.

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Deux jours plus tard, le Metge loue une voiture dans l’agence
toulousaine de Walter Spanghero, rue Bayard.
« La secrétaire de l’agence nous déclare que le 23 octobre 1972, le
dénommé Puig Antich s’est présenté à son bureau en compagnie
d’une jeune fille pour louer un véhicule auto. Sur photographie,
elle reconnaît le nommé Puig Antich. Ce dernier n’ayant pas
restitué le véhicule à la date fixée, elle a déposé plainte au nom de
la société contre lui pour abus de confiance. P. Antich a écrit une
lettre de Barcelone datée du 27 octobre 1972… qu’il se trouve
actuellement en Espagne et qu’il a abandonné le véhicule dans
un garage à proximité de Bordeaux, après l’avoir accidenté. »
■ Extrait du Rapport de synthèse, daté du 3 novembre 1972.

Par l’intermédiaire de son ami Raimon, le plus jeune des frères


Solé Sugranyes, collègue d’étude et de combat, Queso rencontre
ceux du MIL/GAC. Mais ce n’est qu’en janvier 1973 qu’il participe
à sa première expropriation.
José Luis Pons Llobet, dit « Queso » parce qu’il déteste le fro-
mage. Né le 5 octobre 1955 à Barcelone. Ses parents sont d’idéolo-
gie phalangiste. « Mon père était fasciste, très fasciste, volontaire à
la division Azul, il avait lutté aux côtés des troupes d’Hitler sur le
front russe. » ■ Entretien avec Sergi Rosés.
« Le 17 mai 1971, il fugue du domicile familial de Barcelone et
y revient deux mois plus tard. Le 21 janvier1972, il est dénoncé
une nouvelle fois par son père au commissariat pour une nou-
velle fugue du domicile afin de participer à des activités sub-
versives. Il réintègre le domicile sept mois plus tard » ■ Infor-
mations extraites d’un document de la police de Barcelone
daté du 28 septembre 1973.
En 1971-1972, il commence à militer aux Juventudes Univer-
sitarias Revolucionarias (Jeunesses universitaires révolutionaires),
organisation de tendance maoiste, alors qu’il étudie à l’Instituto
Milá y Fontanals au cours universitaire d’orientation où il fait la
connaissance de Raimon Solé Sugranyes. Il est expulsé du lycée
après s’être fait remarquer pour son implication dans des luttes
étudiantes. Il participe à des manifestations de rue où les affron-
tements avec la police sont très violents. Il devient un spécialiste du
lancer de cocktail Molotov.

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Queso : La première fois que je vis Salvador, ce fut aussi mon pre-
mier contact avec les gens du MIL. Salvador conduisait, il ne par-
lait pas, même pas lors de la discussion que j’ai eue avec eux.
C’était Ignacio qui parlait. Je ne me souviens plus de quoi nous
avons parlé, mais ils me questionnaient beaucoup. Ils voulaient
savoir s’ils pouvaient avoir confiance. À ce moment-là, j’ai eu la sen-
sation d’être face à un groupe super professionnel.
Je pensais que la révolution était au coin de la rue, je la voyais
comme une chose réalisable et très proche et je pensais que la lutte
armée était le meilleur service que je pouvais rendre à la révolu-
tion. À ce moment-là, j’étais incapable d’imaginer le futur en tra-
vaillant ou en suivant la trajectoire de mes parents. Je ne calculais
pas en termes de carrière, je pensais seulement à la lutte. Je ne me
souviens pas d’avoir eu des discussions du genre « que vas-tu faire
après tes études ? » ■ Cuenta atrás.
Je suis entré dans le groupe parce que j’étais pour l’insurrection
armée, ce qui ne veut pas dire que je serais entré dans n’importe
quel groupe armé : pour que je le fasse, il devait être très clair que
le groupe était anticapitaliste. C’est par la suite que j’ai découvert
peu à peu les problèmes théoriques. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
Sebas : Par exemple, c’est Raimon qui a cautionné l’intégration de
Queso dans l’orga. Il était membre du PCE (i) et avait d’ailleurs fait
de la prison pour ça. Je ne le connaissais pratiquement pas. Je
l’avais croisé l’hiver 1971-1972 lors d’une livraison d’une machine
à I’orga gauchiste Bandera roja. Il avait un rôle périphérique de
contact principalement.

« 18 novembre : Barcelone, attaque à main armée d’une


Caisse d’Épargne. L’un des membres du commando est armé,
pour la première fois, d’une mitraillette Sten.
Butin : 200 000 pesetas »
La banque est située rue Escurial, dans le quartier Gracia.

Sebas : Depuis le début, nombre de rendez-vous de sécurité


avaient pour cadre les différentes placettes de ce quartier très
populaire et catalan. Plaça del Nord. Plaça Diamant ou Virreina…
La banque des Pensions se situait au rez-de-chaussée d’un
immeuble neuf, proche du croisement avec Travesera de Dalt ;

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une grande salle, avec une vingtaine d’employés peut-être. Je ne


saurais vraiment pas dire qui était présent et chacun des rôles spé-
cifiques.
Alors, je vivais seul dans un appart tout proche, loué par Beth, à
quelques mètres des imprimeries où étaient tirées Mortadelo y
Filémon, le long du Parc Güell. Un grand appart avec une immense
terrasse qui dominait tout le quartier de la Baixada de la Gloria.
L’appart servit par la suite de lieu de réunions. Dont certaines
assez mémorables… L’avantage, c’est qu’il donnait sur deux rues,
on arrivait de plain-pied par la rue haute et on était au quatrième
étage de l’autre côté. Ce qui facilitait bien évidemment les arrivées
multiples.

« 28 novembre : Barcelone, attaque à main armée d’une


succursale de la Banco Central par 7 hommes armés de
mitraillettes et pistolets. Ils partent avec un million de pesetas
et laissent dans la banque un communiqué »
À 9 h 30, ils sont cinq à pénétrer dans la banque, située au 245,
Paseo de Valldaura. Le hold-up est mené avec la collaboration de
membres d’un groupe nommé Resistencia auquel appartient un
cousin des frères Solé Sugranyes, Felip Solé Sabater.

Sebas : À peine dix jours plus tard, nous avons attaqué la Banque
centrale de Valldaura. Les membres de l’autre groupe autonome
avaient cette information, mais ils n’étaient pas assez nombreux et
assez bien formés pour la réaliser.
L’établissement était complexe et sur deux étages, il demandait
donc une logistique plus lourde. Deux voitures pour l’attaque et
trois pour la sortie après le décrochage.
Nous roulions, les cinq voitures en file indienne, quand un cor-
billard a débouché d’une rue à droite et il est juste venu se placer
devant nous. Nous avons ainsi remonté une longue avenue. Un
convoi mortuaire… Aucun de nous n’était superstitieux !
Ce matin-là, Pedrals conduisait, c’était son premier et il était mort
de trouille…
À cinq, nous avons pris possession de l’intérieur de la banque. Je
suis monté au deuxième étage avec un camarade que nous appe-
lions Politic. Il était équipé d’un énorme revolver simple action de

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type western avec un long canon 6 pouces. Pour une fois, je n’avais
qu’un automatique.
Au moment de sortir, nous nous sommes regroupés en bas. Par la
vitrine, je surveillais la rue. Je ne voyais pas Pedrals dans notre
voiture. Puig avait remarqué également cette absence « Où il
est ? ». Le chauffeur de l’autre voiture le cherchait aussi du regard,
le cou tendu vers son rétroviseur. Nous avons traversé le large trot-
toir très rapidement et nous ne le voyions toujours pas. En fait, il
était couché sur les fauteuils à l’avant. Mais ce n’était pas l’heure
de l’engueuler. Le décrochage était complexe.
Avant de lâcher Pedrals, nous lui avons demandé le flingue qu’il por-
tait pour l’opération. Il ne l’avait plus. Il l’avait laissé dans la voiture
d’action, sous le siège. Avec Puig et Sancho je crois, nous y sommes
revenus. Juste après la récupération, alors que nous étions blo-
qués à un feu, un motard de la police nationale a longtemps hésité
à s’approcher de nous pour nous contrôler. Puis, enfin, il a laissé
tomber et nous sommes rentrés sans encombre supplémentaire.
De ce jour-là, je crois que Pedrals n’a plus participé à un com-
mando.
Les jours suivants, nous sommes remontés à Toulouse en passant
par Puigcerdá, pour effectuer la seconde récupération de l’Esquille.

Un communiqué sans signature, reproduit dans CIA n° 1,


revendique l’attaque et est envoyé par la Poste accompagné de
pièces d’identité d’employés de la banque. La presse et les autorités
n’en parleront pas :
« Cette expropriation, comme les précédentes, a pour but d’ap-
puyer la lutte du prolétariat contre la bourgeoisie et l’État capi-
taliste. C’est pourquoi les révolutionnaires s’approprient pour leur
lutte l’argent que les capitalistes ont volé à la classe ouvrière.
La lutte révolutionnaire du prolétariat contre l’exploitation
oblige les groupes révolutionnaires de combat à mener les
actions nécessaires pour que cette lutte atteigne ses objectifs
révolutionnaires.
Tant que la répression des capitalistes frappera la classe
ouvrière, le prolétariat et tous les révolutionnaires continue-
ront d’attaquer le capital et ses valets où qu’ils soient. »

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Sebas : Avec le Politic, nous étions aussi chargés d’une collecte de


documents d’identité des employés. Nous avons eu deux ou trois
documents. Je ne crois pas que nous ayons laissé de tracts sur
place, mais si nous l’avons écrit dans CIA, c’est la vérité puisque
nous écrivions nous-mêmes notre propre histoire de lutte au cœur
de la lutte elle-même…
Le tract a été écrit et tapé à Barcelone. Le seul tract officiel que
nous ayons fait et imprimé à Toulouse fut celui qui avait au verso
les slogans et le tampon organisationnel. Recto, un texte banal de
revendication. Car, à mon souvenir, pour cette action du 21 novem-
bre, le texte avait été des plus sommaires. Presque un télégramme.
Sancho : Au début on ne revendiquait pas les braquages, mais
comme les journaux ne disaient rien, on lançait sur les lieux des
actions des tracts avec la photo d’un homme en cagoule, armé
d’une mitraillette ou un communiqué écrit avec dix mots ou on
envoyait des communiqués aux journaux. C’étaient les moyens
que nous utilisions pour revendiquer les hold-up. Quand je faisais
un discours politique en espagnol, Jean-Marc se marrait. Les jour-
naux parlaient d’un Arabe au sujet de Sebas.
Aurore : Pour les tracts, c’était dur. Quand les employés avaient les
mains levées, ils reculaient quand les autres leur mettaient des
tracts dans les poches. Ils avaient peur d’être accusés de complicité.
Une fois, même, un directeur disait « prenez quelqu’un d’autre,
prenez un employé ».
Felip : Je faisais partie du groupe qui participa avec le MIL à l’ex-
propriation du 28 novembre 1972. Nous étions trois et notre par-
ticipation était due à des besoins économiques pour les projets
que nous avions. Auparavant, j’avais aussi participé à deux autres
expropriations avec le MIL. On est rentrés en contact avec le MIL
par les relations familiales : Oriol est mon cousin germain, mais
surtout par affinités, depuis l’enfance nous avions gardé une rela-
tion privilégiée forgée par les années de manifestations de rue,
dans l’élaboration et la distribution de tracts et nous avions de
nombreux points communs culturels. C’était à l’époque du Syndicat
démocratique des étudiants. On allait ensemble aux concerts de la
Nova canço (nouvelle chanson) catalane ou à des réunions clan-
destines de partis politiques. Oriol était plutôt marxiste et moi
acrata (libertaire, anarchiste). Je m’intéressais plus que lui aux

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questions nationales et à la répression de la langue catalane.


C’était l’époque où le pouvoir interdisait la langue et dans la clan-
destinité on disait que parler le catalan était parler la langue de la
bourgeoisie. Dans les années antérieures, à la création du MIL, je
suis allé de nombreuses fois à la frontière franco-catalane pour le
récupérer quand il avait besoin d’aller à Barcelone. Dans les années
1970-1971, j’ai fait un voyage à Bayonne pour donner une lettre
d’Oriol à des membres de l’ETA VI.
Comme il n’y avait aucune méfiance entre Oriol et moi, nous nous
racontions nos choses respectives. J’ai toujours été au courant et j’ai
été complice dans des actions. Je connaissais ses amis qui ont
formé plus tard le MIL.
En 1971, il y a eu une radicalisation générale dans la clandestinité.
Personne, parmi la jeunesse, ne croyait aux partis politiques tra-
ditionnels (PSUC et les autres) à cause de leur hypocrisie. Beau-
coup de mes amis universitaires étaient allés militer au sein du
PSAN et d’autres, qui travaillaient, restaient dans l’expectative.
Dans ce contexte (1972), j’ai décidé d’aller au PSAN, avec de nom-
breux compagnons, où on me proposa de former un groupe d’action
et d’appui à l’activité du parti. C’est ainsi qu’est né le noyau de ce
qui allait devenir Resistencia.
Au bout de trois mois, la rupture officielle entre le PSAN et le
groupe était consommée. Pendant un moment, j’ai gardé des
contacts personnels avec certains des dirigeants qui préparaient
une scission. Cette relation était due entre autres choses parce que
j’avais un procès au TOP et que le PSAN m’avait procuré l’avocat.
Il faut se souvenir qu’en Espagne, aux temps de la clandestinité, les
militants ne payaient pas pour être défendus et cela créait des rela-
tions spéciales. Oriol était au courant de ce que je faisais et vice
versa. Et, même quand se consolidaient le MIL et notre groupe,
Oriol et moi nous continuions à nous aider mutuellement (passages
de frontière avec du matériel d’édition, de l’argent).
Nous étions tous les deux en clandestinité. Ce qui nous différenciait
à cette époque est que lui vivait liberado (libéré) et que moi, je
n’étais pas d’accord et je continuais à travailler normalement.
Cette caractéristique marque les futures relations entre le MIL et
notre groupe – Eux étaient presque tous liberados et nous, per-
sonne – Eux, ils avaient besoin d’un sigle, nous non. Cette carac-

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téristique marquera aussi ultérieurement nos différentes formes


tactiques de financement et d’équipement.
Quant à l’origine politique du groupe Resistencia, à l’époque de sa
formation au sein du PSAN, nous étions trois. Un se définissait
comme marxiste proche des thèses du Partido obrero de unificación
marxista (POUM) d’avant la guerre d’Espagne, le deuxième était
partisan de l’autonomie prolétaire et moi, je me définissais comme
acrata. Les autres membres qui sont venus peu à peu étaient
d’origine ouvrière et avaient peu de formation politique. À travers
les discussions, on arriva à une définition de ce qu’on était : anti-
autoritaires, anti-dogmatiques et partisans de l’agitation, des indi-
vidus qui se réunissaient pour des tâches d’agitations, d’actions,
d’expropriations pour se refondre ensuite dans l’anonymat…
Les objectifs avec le MIL ? Dans un premier temps, ils avaient des
armes, nous non. ils avaient appris à s’en servir. Ils firent une
première expropriation. Oriol me donna de l’argent car j’étais
recherché par la police. J’ai participé à leur deuxième expropria-
tion. À ce moment-là, il n’y avait pas encore d’objectifs communs,
notre groupe effectuait seul son propre processus de définition et de
critique. Ils étaient suffisamment nombreux pour les expropria-
tions à eux seuls et nous aussi. Le filet policier n’existait pas
encore pour nous et il était lointain pour eux. Nos collaborations
étaient très tactiques.
La situation pour l’ex-MIL s’aggrava rapidement à cause de la
pression policière. Leurs besoins, dus à leurs conditions de libera-
dos, étaient chaque fois plus urgents. Leurs coups étaient peu pré-
parés, sans informations. Notre groupe put acheter des armes en
Suisse avec l’argent des premières expropriations. On monta un
système d’informations original qui porta ses fruits. La première
expropriation nous rapporta près de trois millions de pesetas,
celles de l’ex-MIL ne dépassaient pas les cinq cent mille ou six cent
mille pesetas.
À la fin, nous leur donnions les informations sur d’éventuelles
expropriations. Divers voyages en Suisse nous permirent d’acheter
plus d’armes. Une compagne entra travailler sous un faux nom
dans l’imprimerie officielle qui fabriquait les cartes d’identité et on
en récupéra cinq mille environ. On trouva la manière d’intercepter
les permis de conduire qu’envoyait la Jefatura Provincial de Trafico

172
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(Direction provinciale pour le trafic routier). Et ainsi pour tout…


On arrêta provisoirement d’établir des plans d’expropriation avec
l’ex-MIL car nous n’avions pas besoin d’argent, nous en avions en
abondance. Nous pensions que le MlL était en train de se suicider
avec leur cadence d’expropriations.
Au sein du MIL, après l’arrestation d’Oriol surtout, des tensions
sont apparues. Le MIL nomma Puig Antich comme contact avec
notre groupe et j’étais son contact. On se voyait presque quoti-
diennement. Ils avaient des problèmes de personnel pour monter
des opérations. Et, peu à peu, nous avons commencé à parler de
leurs difficultés et des nôtres. Ils avaient des problèmes avec
Sebas et Cricri et nous avec une partie de notre groupe. Notre
groupe se divisait en cinq sous-groupes avec un représentant
pour chacun. Les représentants se réunissaient une fois par
semaine. Au moment où se déclara l’état d’exception, ou peut-
être un peu avant, un sous-groupe appelé Rocles se libéra. Ce qui
entraîna tout de suite des problèmes pour la quantité d’argent
nécessaire et aussi parce qu’on n’en voyait pas bien la nécessité.
La philosophie de chaque groupe était d’être capable de se doter de
ses propres moyens et de subvenir à ses besoins. Cela ne fonc-
tionna pas ainsi et cela nous obligea à faire de nouvelles expro-
priations. Une de celles-ci fut l’opération contre la Poste centrale
de Barcelone.

Au cours du mois de décembre, deux textes (à usage interne ?)


sont écrits, certainement par le Metge à Barcelone : « Multiplica-
ción de los Grupos de Combate » (Multiplication des Groupes de
Combat) et « Basem la nostra practica » (Fondons notre pratique).
Le premier texte, signé en 1973 par un coup de tampon Grupos
Autónomos de Combate/MIL, définit, entre autres, l’activité révo-
lutionnaire et les tâches que doit accomplir un GAC ou des GAC :
l’attitude vis-à-vis des forces de répression (militaires ou pas), la
nécessité de soutenir les noyaux et luttes ouvrières radicales, la
possibilité d’unifier les groupes d’action armée sur des objectifs
communs, d’ouvrir de nouvelles routes entre l’agitation armée et le
combat quotidien de la classe ouvrière, l’importance de s’organiser
en GAC et de multiplier ces groupes en allant : « vers une pers-

173
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pective de réalisation plus large du mouvement ibérique de libé-


ration… ». Le second est un brouillon d’une page, rédigé en catalan,
qui approfondit certains thèmes du premier et en aborde d’autres.

Sebas : J’ai connu l’existence du texte « Multiplicación de los Gru-


pos de Combate » par Sergi Rosés. Cela correspond aux réunions
dans l’appartement de la Sagrada Familia. Sans doute une mise en
forme de Puig, mais je n’ai pas de souvenirs précis. Politiquement,
ce texte traduit ce que nous pensions (ceux du groupe militaire). Le
tampon sur le texte est postérieur (mis à Toulouse).
Sancho : Je ne me souviens pas très bien si j’ai pris connaissance
à l’époque des textes de Puig. Je ne lisais pas beaucoup.

« Nuit du 13 au 14 décembre : Toulouse, un commando


retourne « socialiser » le matériel d’imprimerie récupéré
par la police à Bessières »
Après s’être fait délester de quelques machines dans la nuit du
14 au 15 août, l’imprimerie de la rue de l’Esquille est dévalisée une
nouvelle fois par le MIL/GAC. Le butin dérobé est installé dans le
quartier Arnaud-Bernard, chez un réfugié espagnol membre du
Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE).

« Coup de main anarchiste ? Une imprimerie cambriolée


pour la deuxième fois » titre La Dépêche du 15 décembre 1972.
Dans l’article, il est fait état du vol de deux offset, de machines à
écrire, d’une photocopieuse, de rames de papiers… et de la petite
monnaie. Le préjudice est évalué à quarante mille francs
(6 000 euros).

Sebas : Avec quelques semaines d’actions armées entre la première


et la seconde fois, nous avions vraiment pris de la bouteille (seule
l’action amène de l’expérience !). Ce coup-là, effectivement, nous
nous étions donnés les moyens de faire bien et vite.
Nous étions plus nombreux. Des visages me reviennent, toujours
Sancho, mais cette fois-ci Cricri, Puig… et un camarade basque,
ayant eu un accident quelques mois auparavant avec Oriol près de
Bordeaux et qui portait toujours une minerve. Je sais que Montes
était à Toulouse, mais s’il y a participé, c’est en faisant le guet. Il

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n’était pas dans la camionnette. Comme Aurore et Pedrals, qui


étaient aussi chez Cricri avant ou après l’opération.
Nous étions partis de chez Cricri, nous avions nos palanquetas, nos
cales, notre cric, enfin tout pour bosser gentlemen. Prévenus par
expérience, le ramassage se fit dans l’ordre et sans précipitation. En
fait, nous avons pris deux fois plus de machines que la première fois.
Aurore : J’étais présente, avec Pedrals, lors de l’expropriation de la
rue de l’Esquille. Nous y avons participé comme guetteurs, garés
rue des Lois, la nuit dans le brouillard et le froid.
Nous sommes arrivés la veille pour aller à l’appartement de Cricri,
rue des Blanchers, qui était le lieu de rendez-vous. Je ne sais
même pas si je savais exactement ce qui allait être dérobé : je
savais que c’était une reprise (car pour la deuxième fois). Nous
devions, de notre auto (la Fiat), faire le guet au cas où. Nous n’en
menions pas bien large. On essayait de jouer les amoureux. Il ne
s’est rien passé et nous ne voyions rien.
Sebas : L’imprimerie Mayo 37 est mise en place à Toulouse avec le
matériel exproprié rue de l’Esquille. Elle était dans la rue juste der-
rière le lycée Saint-Sernin. Sancho est responsable de la structure
avec un vieil Espagnol de l’UGT. Elle était dans une pièce dissi-
mulée où l’on pénétrait grâce à une bibliothèque pivotante. Ils
sortiront toutes les brochures à partir de Conseils ouvriers et le CIA
n° 2. À l’époque, nous montions les brochures dans un autre appar-
tement, une rue derrière les Beaux-Arts.
Je ne sais même pas ce qu’est devenue cette structure imprimerie
après les arrestations à Barcelone de septembre 1973.

Barcelone, quelques jours plus tard…

Sebas : Nous sommes redescendus avec une voiture louée, une 204.
J’étais allé chercher deux Sten chez le Zapatero. Et nous en avions
récupéré une troisième que nous avions laissé cachée sous des
feuillages dans une forêt près de Puigvaladors, sur la route mon-
tant à Mont-Louis de Cerdanya. Nous l’avions essayée mais mal
montée, elle avait merdé. Du coup, nous l’avions laissée là en
attendant un retour à Toulouse. J’ai récupéré également deux ou
trois autres armes et trois grenades.

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« 29 décembre : Badalona, attaque à main armée d’une Caisse


d’Epargne Layetana. Butin : 800 000 pesetas. Les « bandits »
laissent un communiqué célébrant la mort de Francisco Sabaté
Llopart (tué par la Guardia civil à Sant Celoni) »
La banque est située rue Juan Valera à Badalone (banlieue de
Barcelone).

Sebas : Nous étions cinq à la réunion de préparation. Sancho et


moi désirions finir au plus vite la campagne de financement. En
face, Montes et Pedrals étaient debout sur les freins. « Trop tôt, trop
froid, trop chaud. trop de papillons, pas assez de libellules, etc. ». La
chanson des prétextes… Et de notre côté, nous ne mettions que très
rarement de l’eau dans l’alcool à 90° que nous distillions lors de ces
confrontations. D’où les étincelles… Puig avait le cul entre deux
chaises. Il y eut un début de bousculade et tout rentra dans l’ordre
quand il pencha en notre faveur en ne gagnant que 24 heures. Puig
décida de nous accompagner. Non pas le lendemain, mais un jour
plus tard pour fignoler les préparatifs. Nous avons tournoyé dans
le quartier neuf de Badalona, proche de l’autoroute. Les trois dans
la nouvelle voiture de Puig, une Renault 8 immatriculée à Logroño.
Il avait besoin de cette ultime préparation plus psychologique-
ment que techniquement, vu que déjà nous avions une réelle for-
mation et nous étions capables de bien saisir une opération dans sa
totalité.
C’était un beau matin ensoleillé d’hiver. Nous sommes simple-
ment allés dans un bar à quelques mètres de là, prendre un cafe
con leche, en attendant l’ouverture de la banque.
J’ai eu un petit problème avec un employé qui ne voulait pas se
mettre au sol. Il jouait au chulo (malin) et je gueulais : « al suelo,
coño ! » (à terre, merde !), eh oui, en castillan, vu que j’avais tou-
jours le mauvais rôle. C’est là que Sancho a évoqué en vrac notre
nature de politiques et el Quico.
En sortant, nous avons vu les deux employés derrière la vitrine qui
faisaient des grands gestes pour avertir les passants, nous nous
sommes arrêtés et nous leur avons répondu avec des saluts et
d’aussi grands gestes en rigolant.
Nous avons abandonné la caisse le long de l’autoroute, à hauteur
des usines Bultaco, si je me souviens bien.

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Dans la voiture du Metge, l’autoradio avait été bidouillé et nous


captions les communications des flics. Pour moi, ils donnèrent un
très bon signalement. Signalement qui fut relayé par la radio
locale de Barcelone dans l’heure qui suivit. Tant et si bien que
Montes et Pedrals, qui nous attendaient à l’appart, étaient déjà
dans tous leurs émois. La panique monta en volume lorsqu’on
frappa très bruyamment à la porte une minute après notre arrivée.
Ce n’était qu’un représentant de commerce, Beth l’a tout simple-
ment jeté.
Chaque flash horaire reprenait le message de la police.
Pedrals qui aimait les formules définitives surtout pour les autres,
(est-ce une déformation professionnelle en tant que futur avocat ?)
dit : « si tu sors maintenant, tu es un homme mort avant ce soir ».
Puig, qui pourtant n’était pas un aventuriste, me soufflait de
l’autre côté : « au contraire, il faut sortir sinon ils n’oseront plus
bouger, tout semblera à nouveau impossible ». Nous sommes partis
ensemble, en voiture.
C’était également une mauvaise période pour Puig, sa mère se
mourait d’un cancer. Son agonie dura une quinzaine. Chaque soir,
il prenait des nouvelles avec les précautions d’usage vu qu’il se
savait déjà dans la ligne de mire.
Du côté du gouverneur militaire, la succession des expros l’amena
à réagir. Dès le début du mois de janvier, les trois-quarts des
banques étaient protégées par deux gris (49) en armes. De l’ouver-
ture à la fermeture, ils piaffaient sur le trottoir. C’est-à-dire que
toute la population de la ville se trouvait confrontée à cette nou-
velle situation, car il s’agissait bien d’une nouvelle situation. Et en
l’absence de toute information crédible du fait de la censure poli-
tique, ce simple fait devenait réellement un fait politique.
Il commence à se raconter un peu partout qu’il existe dans la ville
de Barcelone un groupe de lutte armée qui pille les banques. Une
rumeur sympa.

49 – Gris : nom donné aux flics à cause de la couleur de l’uniforme.

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■ 1973

Sebas : La douce vie collective de Toulouse nous poussait parfois à


commettre des erreurs en revenant à Barcelone. À l’extérieur, nous
ne faisions aucune différence logistique entre légaux et illégaux…
Lorsque nous allions nous entraîner au tir, même les légaux
venaient s’y essayer. À nos risques et périls ! Une fois, dans la forêt
de Bouconne, le Petit faillit nous descendre en tirant au P38.
Une autre fois, le même Petit insista pour faire un passage avec
nous. Et nous acceptâmes. Nous sommes passés par la ferme.
Nationale 20, puis le petit chemin, nous avons traversé les voies du
train jaune puis longé la grande grange de vieilles pierres plates.
Au milieu du chemin, une barrière de bois ! Alors que Sancho des-
cendait pour la déplacer sur le côté, un paysan s’approcha, il parla
en catalan, semblant s’excuser : « ce n’est pas moi, c’est la Guardia
civil. Ils traînent beaucoup dans le coin à la recherche de gens qui
passent. » (Voilà ce que nous dit en substance le charmant pastou-
reau…).Notre sang ne fit qu’un tour. Damned ! Nous avançâmes
lentement sur le chemin. Sancho et moi sortions déjà les Sten des
sacs et entreprenions un montage en règle. Chargeurs dans les
poches. Grenades.
À une centaine de mètre de la guérite frontière, nous sommes des-
cendus tous les deux et avons sauté le muret de pierres sèches lon-
geant le pré. Selon Puig, il aurait ordonné au Petit de se mettre
entre les sièges et, si ça tirait, de rester au sol. Avec Sancho, nous
avons progressé lentement pour prendre à revers le petit blockhaus.
Lorsque nous fûmes assez proches, Sancho bondit alors que je le
couvrais et, comme dans les films, il fila un violent coup de pied dans
la porte. Et balaya la pièce du canon de sa Sten… Personne.
La suite du voyage fut plus cool, bien que nous ayons failli nous
planter dans la descente du col à cause de plaques de verglas. La
voiture avait fini par se ralentir et s’arrêter à quelques dizaines de
centimètres du ravin. Nous avions déjà les portières ouvertes,
prêts à sauter.
Ce passage nous permit de tirer deux conclusions. Jamais plus de
mesclanha (mélange) militants armés et politics dans des opéra-
tions mêmes des passages. Secundo, nous devions trouver d’autres
zones de passage.

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Nous étions extrêmement méfiants face aux demandes d’adhé-


sion. Au début 1973, quelques nouveaux membres intégrèrent.
Queso présenté par un frère d’Oriol, son copain de lycée. Ou encore
le Légionnaire.
Pour le Légionnaire. Dandy travaillait à la logistique sur Tou-
louse. Un jour, il me dit qu’à l’usine d’un camarade (un ami com-
mun), il y aurait un mec chaud pour passer à l’intérieur. Un ouvrier
espagnol intéressé par l’action contre la dictature. Un rebelle déser-
teur de la bandera (légion espagnole) et ayant fait une dizaine d’an-
nées de taule. Dandy nous amena à son appartement, en fait, il
vivait chez Maria que je ne connaissais pas. Après renseignement
auprès du vieux Zapatero, tout me parut OK. Une des premières
choses que je remarquai en rentrant dans ce vieil appart sur les
bords du canal, une photo de Facerias sur la télé dans un cadre
vieillot, la photo avec le chien qui devait paraître dans le bouquin
de Tellez. Dès lors, nous sommes allés régulièrement chez elle. Je
crois que Queso et Quesita y demeurèrent un certain temps et cela
également durant le congrès.

Lopez Navas Luis dit « le Légionnaire » parce qu’il avait fait la


légion en Espagne. Né le 14 mars 1938 à Jarandilla (Caceres,
Espagne). Il obtient en décembre 1970 de l’OFPRA (Office français
de protection des réfugiés et apatrides), pour une durée de trois
ans, sa carte de résident. Il travaille à Lyon dans l’entreprise Paris-
Rhône jusqu’en décembre 1971, date où il est licencié pour avoir
frappé un contremaître. Courant 1972, il s’installe chez Maria à
Toulouse.
Lozano Mombiola Maria dite « Maria » est née le 3 mars 1914 à
Saragosse (Aragon, Espagne). Membre de la FIJL et de la CNT, elle
participe à la révolution espagnole près du front d’Aragon. En février
1939, elle fuit l’armée fasciste et elle est hébergée par l’Etat français
dans divers camps de concentration du sud de la France. Elle s’évade
de celui de Brens (Tarn) et rejoint son compagnon, Angel, dans le
maquis. Ce dernier en compagnie de deux autres (tous les trois
membres de la CNT) sont fusillés lors d’un affrontement avec des sol-
dats allemands à Grenade (Haute-Garonne). Maria s’installe alors à
Toulouse, reprend le combat au sein de la CNT-AIT (dite « de l’exil »),

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de SIA et soutient les compagnons qui, dès les années cinquante,


reprennent les armes contre Franco et le capital. Maria sera proche
du mouvement autonome toulousain. Présidente du CRAS dès les
années 1990, elle est décédée le 19 février 2000.

« 19 janvier : Barcelona (quartier de Sarria), attaque


d’une Caisse d’Épargne, située dans le même édifice
où vivent les membres de la Brigade « politico-social » »
D’après les médias, trois jeunes dont un barbu entrent à 9 h 15
dans la banque, située au n° 49-51 de la rue Benedicto Mateu, à
Sarriá . Armés de deux pistolets et d’une mitraillette, ils s’emparent
de six cent cinquante-huit mille pesetas.

Sebas : Un camarade du groupe OLLA nous informa qu’il y avait


une paye prévue dans la banque de la cité de la BPS et qu’il n’y
avait bien évidemment pas de gris la protégeant.
Cette cité, au-dessus des casernes de Pedralbes, était en fait un
ghetto des forces étatiques (polices, armées et fonctionnaires) et
donc également de nombreux membres de la fameuse BPS, dis-
soute après la mort de Franco, y vivaient.
Sancho : Le hold-up à côté de la BPS : on ne le savait pas. Je
connaissais le quartier car une sœur habitait à côté de la banque
mais c’est après qu’on a appris que des flics habitaient dans un
immeuble appartenant à l’État.
Sebas : Il me semble que nous avions une R12. Puig conduisait. Je
suis rentré avec Sancho et, pour la première fois, le Queso. J’avais
une Sten sous mon parka beige, Puig une autre dans la voiture.
En sortant, Sancho a laissé un communiqué sur le comptoir. Je
crois qu’il y avait deux papiers. Le communiqué habituel et une
note provocatrice pour les flics à propos de la censure de l’info
qu’ils ordonnaient sur nos actions et motivations réelles. Incrédu-
lité des employés quand Sancho leur dit qu’il y avait là du courrier
pour la police…
La sortie nous amena près du square Ignasi Barraquer. Un quar-
tier très calme où il y avait toujours des places pour se garer.
Ensuite, nous nous sommes éclatés, Puig et moi d’un côté dans sa
voiture avec les deux Sten et les sacs, Sancho et Queso dans un taxi
pris au vol. L’opération fit grand bruit.

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Une semaine après, à cent mètres de là, dans une rue perpen-
diculaire, Resistencia, un groupe autonome, exproprie le Banco de
Vizcaya au n° 96 du Paseo Manuel Girona. Trois hommes armés de
revolvers et de mitraillettes pénètrent dans l’établissement et res-
sortent quelques minutes plus tard avec la somme de 2,5 millions
de pesetas. Certains membres avaient participé au braquage du
28 novembre 1972.

Sebas : Je crois que Puig a participé à cette opération, mais pour


des raisons de sécurité je ne le savais pas avec certitude. C’est-à-
dire que nous avions frappé et bafoué les forces étatiques aux
deux entrées de leur repère. On imagine le déploiement de forces
juste après cet affront. Et la disproportion de la rumeur sur les
fameux expropriateurs.
Felip : Puig n’était à aucune de nos expropriations. Aucune parti-
cipation ne s’est concrétisée.

À propos de l’OLLA
C’est en avril 1974 que le sigle OLLA apparaît pour la pre-
mière fois dans la presse, suite à l’arrestation, le 7 du mois, de trois
membres de groupes autonomes en possession de deux mines anti-
tanks à la gare de Barcelone. Ces derniers sont torturés, permet-
tant à la police d’identifier les auteurs d’expropriations et de
quelques attentats commis en 1973 et 1974, de découvrir une
importante infrastructure (appartements, armes, explosifs, etc.)
et des documents dont l’un est signé OLLA. Dès lors, la police va
informer les médias de la naissance d’une nouvelle organisation.
Elle va tenter de rassembler sous ce sigle toute l’activité de plu-
sieurs groupes qui agissent pour leur propre compte, parfois sans
liens directs entre eux, si ce n’est de donner une réponse immédiate
à une oppression. Pour des raisons de manipulation, la police
transforme la mouvance autonome en une Organisation terroriste
très bien organisée.

Divers textes et communiqués émanant de ces groupes auto-


nomes catalans démentent l’existence de ce sigle et de cette sup-
posée organisation, comme celui du 27 avril 1974, publié dans :
1000 – histoire désordonnée du MIL d’André Cortade :

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« L’OLLA n’a jamais existé sinon dans l’esprit de quelque lit-


térateur ou informateur de la police, pas plus que n’ont existé
des documents ou des actions revendiqués sous cette signature.
Le groupe autonome auquel appartiennent les compagnons
détenus n’a jamais dépendu de l’ex-MIL. En revanche, dans les
moments précédant l’autodissolution du MIL, des accords de
type technique et tactique ont été passés avec lui.
Indépendamment du fait qu’à titre personnel apparaisse un
caractère libertaire, ce que les groupes autonomes cherchent à
exprimer est la totale autonomie du prolétariat dans la pensée
et dans l’action, sans intermédiaire ni appareil bureaucratique. »

S’il est vrai qu’aucune action n’a été revendiquée OLLA, San-
cho et Sebas témoignent de l’existence d’un texte signé OLLA.

Sancho : Le nom OLLA est une boutade de notre part, après d’in-
nombrables réunions politiques qui ne menaient à rien, vu le
manque de base théorique du groupe de Felip, nous leur avons
demandé de nous faire parvenir par écrit ce qu’il pensait. Résultat :
un document de quatre feuilles de couleur jaune qui répondait à des
questions de ce genre : Comment allons-nous nous définir ? Nous
appeler ? Qu’allons-nous faire ?… Pour l’appellation, l’une des pro-
positions était Organisation de lutte armée (OLLA) et c’est comme
ça que l’on a baptisé ce groupe. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
Sebas : L’accord ayant été conclu avant le Congrès avec le groupe
de Felip fut concrétisé par un texte signé OLLA. Par la suite, visi-
blement, il semble qu’il y ait eu moins d’affirmation avec la cam-
pagne lancée par la police contre cette fameuse OLLA…

« Puigcerda - Bourg-Madame : Deux individus en train de pas-


ser la frontière sont interceptés par la police, ils s’échappent
en abandonnant leur sac (qui contenaient une mitraillette, de
la propagande et 250 000 pesetas) ; une fois en Espagne, ils
s’affrontent avec la Guardia civil et disparaissent avec une
voiture (qu’ils avaient socialisée à l’aide d’un pistolet) »
Sancho : Pendant la période du MIL, je ne passais pas la frontière
légalement, idem pour Puig, Queso et Quesita. Je n’avais pas de
passeport parce que je ne m’étais pas présenté pour effectuer mon

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service militaire et ensuite j’étais recherché par la police. Quand on


passait des choses, on le faisait par la montagne. Montes, le Secré-
taire, le Petit et les ouvriers passaient la frontière légalement.

Le 20 janvier, dimanche après-midi

Sebas : À peine, l’opération de Sarriá est terminée que Sancho et


moi préparons un voyage à Toulouse afin de régler les problèmes de
mise en place de l’imprimerie et des éditions Mayo 37.
Puig était occupé, nous nous sommes reportés sur Pedrals pour le
transport du côté intérieur et sur Aurore et Dandy (?) pour la des-
cente sur Toulouse. Pedrals nous demanda si nous acceptions de
passer par le village de sa compagne et ensuite elle resterait avec
lui pour la journée. No problem. Elle vivait dans une petite colonia
(colonie) ouvrière près de Berga.
Nous avions pris une Sten pour assurer notre voyage, j’avais mon
vieux revolver 8 mm.
Nous passions au nord de Puigcerdá par la ferme : Torre de Gela-
bert, le long du camp de football, jusqu’à la nationale 20, à hauteur
d’Ur. Une petite demi-heure de marche tranquille sur un chemin
bordé d’arbres et relativement à couvert. Avant de quitter Pedrals
au bout du passage, nous lui avons demandé d’attendre plus que
nécessaire au cas où il se passerait quelque chose. Pour notre part,
nous arrivâmes sans encombre du côté français. Je pliai la Sten et
la rangeai dans un des sacs à dos.
Ce jour-là, je ne sais pas pourquoi, nous n’avons pas attendu et
nous avons entrepris la folie de marcher sur la nationale jusqu’au vil-
lage d’Ur, huit cents mètres, peut-être un kilomètre. Nous avions à
peine parcouru cent mètres que j’ai reconnu le bruit caractéristique,
une 4L au moteur forcé. La douane ! Ils nous croisèrent puis ils ont
pilé. L’un d’eux avait déjà la portière ouverte. J’ai entendu un « mes-
sieurs… ». D’un bond, nous avons enjambé le parapet et sauté en
contrebas dans un bosquet inextricable d’arbustes et de ronces. Je
chutai deux fois dont une fois très violemment. Mon arme gicla et je
la perdis dans le fourré. Les douaniers faisaient les sommations
d’usage. Ils étaient à moins de dix mètres. Au moins deux d’entre
eux. Nous avons largué nos sacs à dos pour traverser la zone des
voies ferrées. Il s’agit d’un passage très dangereux car l’alimenta-

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tion, comme pour le métro parisien, se fait par un troisième rail au


sol. Si par malheur tu le touches, tu crames en moins de deux. Mais
avec les autres dans le dos qui s’époumonaient à égrener les « halte
ou je fais feu », pas le temps de faire les prières et d’accumuler les
précautions.

En fuite, ils braquent un couple pour s’emparer de leur voiture,


échappent à la Guardia civil, recroisent Pedrals, lui redonnent ren-
dez-vous, embourbent la voiture dans la neige de la Sierra del Cadí
où ils passent la nuit dans une bergerie. Avant de prendre des
affaires dans l’un des deux dépôts qu’ils ont installés quelque temps
auparavant dans cette montagne, ils rencontrent un berger qui leur
dit d’attendre la Land Rover qui descend les ouvriers d’un chantier,
ce qui leur permet de quitter la zone et de rejoindre Barcelone.

Sebas : Nous avons pris des taxis pour arriver à Barcelone. Puis,
direction l’appart de Sancho. (Je ne le connaissais pas, comme il ne
savait pas où je vivais réellement : normalement, seul un autre
camarade lié à une autre structure connaissait l’adresse). En fait
d’appart non connu, en bas de la rue, nous croisâmes Queso, Puig
et Felip qui avaient déjà chargé une voiture jusqu’au toit ! Pour
résumer, Pedrals n’avait pas transmis le message aux camarades
de Barcelone. Personne n’était au rendez-vous de sécurité en pleine
montagne ! Le prétexte était superbe, « nous avons dû franchir tant
de contrôles de flics, que nous pensions que vous n’en sortiriez
pas ». Donc l’alarme donnée, les camarades s’affairaient à démé-
nager nos structures.
L’histoire, s’étant bien terminée, avait eu le mérite de débloquer la
censure et de briser le silence sur notre action. Le communiqué offi-
ciel parlait d’un groupe subversif. Les journaux faisaient bien évi-
demment, le lien entre l’incident du passage et les expropriations
à répétition.

Retour sur Toulouse


Sebas : Je crois que nous n’avons pas attendu une semaine et que
nous sommes remontés deux ou trois jours plus tard, par le
même passage le camp de football. Mais cette fois-là, nous avons

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traversé en voiture les Sten à la portière. Je le présente ainsi


parce que, justement, cela me rappelle une histoire que les frères
Solé racontaient. Enfants, ils avaient donc passé leurs vacances
en Cerdanya. Un soir, tard, alors qu’ils rentraient à pied sur une
petite route de terre, une vieille voiture venait vers eux lentement
tous phares éteints. Quand elle les croisa, ils purent apercevoir
certains visages et les fusils à la portière. L’un d’eux dit simple-
ment : « c’est un maquis qui remonte en France »… Nous avions
plein d’histoires de ce style, notre imaginaire immédiat en
quelque sorte. Autre exemple, le Secrétaire qui était de San
Celoni prétendait mordicus que le soir de l’enterrement de Sabaté
ou le jour du premier anniversaire, dans la nuit, il avait distinc-
tement entendu une moto pétarader dans le village et le matin
les gens disaient qu’un bouquet de fleurs avait été jeté par dessus
le mur du cimetière.
Nous prenions le même chemin carrossable jusqu’à la guérite de la
Guardia civil, puis à gauche vers une finca (ferme, propriété) ayant
une entrée espagnole et une autre française. Nous la contournions
et nous tombions sur la RN 20, deux cents mètres plus loin.
À Ur, nous prenions direction Font-Romeu, Saint-Louis, puis
nous bifurquions vers Les Angles et la haute vallée de l’Aude.
Petites départementales, jusqu’à Limoux, puis Toulouse par le
Lauragais.
Aurore avait loué l’appart rue Lancefoc. Il avait deux entrées, cha-
cune dans une rue différente. Avec une petite cour à l’arrière.
Le vieux (Zapatero) était content de nous voir : « ils ont parlé de
vous sur Radio Paris ! » (Radio France en langue espagnole, à
23 h). La consécration pour la résistance antifranquiste exilée. Il
voyait ça comme une reconnaissance de notre action. Nous agis-
sions vraiment puisqu’ils l’avaient dit sur Radio Paris ! Dès lors, il
pouvait demander plus largement du matos autour de lui.
Nous avons passé moins d’un mois à Toulouse. Et nous sommes
redescendus par le même chemin.

En février, le groupe envisage une nouvelle expropriation.


Pour la première fois la compagne de Queso, surnommée Quesita,
participe à sa préparation.

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Maria Angustias Mateos Fernandez dite « Mariana » ou « Que-


sita » (surnom donné par Maria Mombiola, habituée à féminiser le
surnom des compagnes). Née en 1955. Elle intègre le MIL en com-
pagnie de Queso dont elle est la compagne. Dans l’ouvrage Cuenta
atrás, elle raconte son parcours et comment elle est acceptée par les
membres du MIL/GAC.

Mariana : On était des gens spéciaux vivant une époque spéciale.


C’était l’époque où on découvrait Bob Dylan et Ravi Shankar. Je me
souviens qu’on écoutait de la musique dans l’obscurité en séchant
la peau des bananes pour essayer de les fumer. À ce moment-là, j’ai
rencontré un garçon, Pons, j’en suis tombée amoureuse et j’ai tout
laissé tomber pour être avec lui. Il était dans la politique, je m’y
suis mise. Nous allions à des manifestations du PCE (i) qui me
semblaient fascinantes. Être à une heure déterminée à un coin de
Barcelone où apparemment il n’y avait rien. À un moment quel-
qu’un du Parti tapait deux fois dans les mains et le lieu se rem-
plissait de manifestants chargés de cocktails Molotov, sortis d’en-
droits incroyables. C’était quelque chose qui me semblait presque
magique. Et Pons était toujours en première ligne.
J’étais venue de Barcelone à Toulouse avec Pons dans une voiture
que conduisait Salvador. Je l’avais déjà rencontré mais pour moi, il
était el medico. À Toulouse, la réunion avait déjà commencé, ils sont
rentrés, me laissant dans une pièce contiguë. Je me suis assise
dans un sofa où il y avait des manteaux et des vestes. Quand j’ai
poussé un manteau pour m’y mettre, un passeport tomba. C’était
celui de Salvador, avec son vrai nom. Je suis restée de pierre. Je
savais qui était el medico. Je l’ai dit à Salvador et à Ignasi. Ils
n’avaient pas d’autres solutions que de m’accepter dans le groupe.
C’est ainsi que je suis rentrée, à l’arraché.

« 2 mars : Barcelone, allées Fabra y Puig : attaque à main


armée au Banco Hispano Americano. Durant l’attaque, les
assaillants sont encerclés par la police ; lors de la fuite, ils
blessent un employé et un policier et emportent un million et
demi de pesetas sur les six qu’il y avait »
À 11 h 40, Ils sont trois à pénétrer dans la banque, Puig les
attend dans un véhicule à l’extérieur. Laissons Sebas raconter

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ce braquage qui marque un tournant pour chacun des partici-


pants.

Sebas : Nous avions reçu une info très précise, ce matin-là, il


devait y avoir plusieurs payes des entreprises du coin. Évaluation,
cinq à sept millions de pesetas. La préparation était classique.
Surtout axée sur la sortie, avec les mêmes préparatifs si cela tour-
nait mal. Et cette fois-là, ils nous servirent à la perfection.
Vu le manque de repérage dans le temps, nous ne savions pas s’il y
avait ou non une surveillance fixe, des passages de gris ou autre. La
Quesita y fit un tour dès l’ouverture. Elle revint avec une descrip-
tion d’un autre monde. « Tout est normal, pas de gris mais, au
métro, il y a des gars bizarres, imperméables, lunettes noires et
gants de cuir ». Une description série noire qui nous fit sourire. Et
nous ne la prîmes pas au sérieux…
Pourtant, à notre arrivée, nous avons fait une inspection générale
des environs. Rien de bizarre.
Au moment où j’ai pénétré à l’intérieur, la très grande salle était
déjà vide. Les employés étaient regroupés dans les trois bureaux
qui se trouvaient dans la partie droite en entrant. La salle des
coffres était ouverte.
J’entendis klaxonner devant la porte. Je levai les yeux : notre voi-
ture que nous avions laissée plus haut, était en double file devant
la porte. Puig s’agitait, il semblait désigner quelque chose sur le
trottoir. Les vitrines étaient fumées. Il ne fut pas sûr que nous
l’avions effectivement vu. Il reklaxonna, puis sortit son arme et tira
une première fois dans la direction indiquée.
Un autre coup de feu. Et la voiture démarra en trombe.
Tout s’accéléra. Je resautai le comptoir pour courir à la porte. À ce
moment-là, j’entrevis un employé qui essayait d’enfermer le cama-
rade dans la salle des coffres, en repoussant sur lui l’énorme porte.
Immédiatement, je le pris sous le feu de mon 38. Il ne fonctionna
pas. Je retentai. Nothing, nada, niente… ! De rage, je le balançai
dans un coin de la pièce. Je me mis à pousser la porte dans l’autre
sens. Le camarade passa sa main armée au-dessus de mon visage.
Visa et tira au jugé. La balle blessa la tête du pauvre type affolé.
Je me dirigeai à grandes enjambées vers l’entrée. Un flic arme à la
main avançait précautionneusement le long de la vitrine. Il la

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pensait opaque ? Queso l’avait au bout de son canon, à moins d’un


mètre. Il visa, tira un premier coup et il le loupa. Un second coup
trop vite, l’arme s’enraya. J’avais la Sten entre les mains mainte-
nant, le flic essayait de se dissimuler en courant vers les voitures.
Je le suivis d’une longue rafale. Il fit un bond et s’écroula. Je le crus
éliminé.
Queso m’en désigna du doigt un second. Nouvelle rafale à travers
la vitrine. Je passai dans les bureaux pour m’en approcher davan-
tage. Là, l’hystérie panique des employés m’en empêcha. Ils hur-
laient, l’un d’entre eux essayait d’entrer dans un placard métal-
lique. Les autres droppaient à quatre pattes. Ils partaient vers la
salle. Face au Queso, ils faisaient demi-tour en piaillant, ils par-
taient dans l’autre sens, ils tombaient sur le caissier baignant
dans son sang, littéralement couvert de billets, ils hurlaient de plus
belle. Une partie de la salle était jonchée de liasses.
Quelque temps auparavant, il y avait eu une prise d’otages en
Allemagne, nous l’avions suivie à la télé. Nous avions vu comment
le mec s’était fait descendre en sortant avec un otage. Comme
après les films d’art et d’essai, nous avions eu un débat entre nous.
Si un truc comme ça nous arrivait, pas question de rester. Pas
question d’otage. À un moment donné, pourtant, nous avons attrapé
le directeur pour le faire passer devant dans le sas, il a refusé en se
laissant tomber à terre et en gueulant « prenez un employé, prenez
un employé ». Il est clair qu’il ne voulait pas rentrer dans ce putain
de sas, vingt-deux impacts de bastos ont été relevés dans la porte.
Quelqu’un cria : « On sort ! On sort !… ». Je tombai mon parka,
pour détacher entièrement la Sten et être plus a l’aise. J’engageai
un chargeur neuf. « Combien et où sont-ils ? » Queso répondit avec
un geste d’incertitude. Et je m’engageai dans le sas.
L’intérieur de la banque était relativement sombre, alors que l’ex-
térieur était baigné d’un soleil d’hiver éclatant. Sol y sombra
(ombre et lumière)… Il semblait n’y avoir plus aucun bruit. Que le
bruit de vitres cassées sous nos pas dans le sas détruit par la
fusillade.
Je m’avançai à peine sur le trottoir avec mon pull rouge. Je lais-
sai juste le passage pour que les deux autres puissent couler le
long de la vitrine, sur la droite. Et je me mis à arroser à courtes
rafales.

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Quand j’ai démarré à mon tour, j’ai entendu les coups de feu qui
claquaient toujours. Et là, je n’étais plus le chasseur mais directe-
ment le gibier. Le parcours jusqu’à la première à droite me sembla
très long. J’eus le temps de voir mes deux complices virer à droite.
Queso, un costume noir. L’autre, un grand sac de toile de jute claire
sur le dos. Oui à la Rapetout ! J’ai eu le temps de constater qu’une
rame de métro venait de décharger son flot. Il régnait une confu-
sion indescriptible sur les marches entre ceux qui redescendaient
et ceux qui montaient… Il y eut un agent de la circulation qui
déboucha devant moi. Lorsqu’il me vit fonçant directement sur lui,
il fit un grand bond et fila ventre à terre dans une cage d’escalier.
J’eus le temps d’entendre les sirènes de plusieurs 091 (véhicules de
police) qui montaient l’avenue. Un ou deux coups de feu claquèrent
encore. Et j’atteignis le coin de la rue. Un virage en pente décli-
nante. Je le pris en trombe. À une cinquantaine de mètres, la voi-
ture au milieu de la rue étroite. Les quatre portières grandes
ouvertes. Vide. Puig remontait la rue en courant, la Sten à la
main.
Les sirènes se rapprochaient. Nous nous sommes engouffrés dans
la voiture. Ambiance un peu panique malgré tout. Démarrage.
J’étais assis devant, Queso me donna son arme enrayée. Au
moment même où je me retournai pour la prendre, je vis passer un
091 en haut de la rue. Pour son P38, il s’agissait simplement d’une
mauvaise éjection, la douille maintenait la culasse ouverte. Un
simple geste calme lui aurait permis de la remettre en fonction.
Tout le monde criait un peu mais ça allait mieux que l’on pouvait le
croire. L’ultime point noir à négocier fut la route de Horta qu’il nous
fallait traverser de part en part. Et ce n’était pas simple vu son tra-
fic habituel. Puig y arriva à fond la caisse. C’était un excellent
chauffeur. En deux coups de volant et le klaxon bloqué, nous enfi-
lâmes de l’autre côté une petite route tranquille qui longeait la
montagne, à mi-versant
Nous arrivâmes au lieu prévu pour l’échange de caisse. Un petit
recoin sur la gauche. L’entrée d’un jardin ou d’un cimetière. Queso
et l’autre prirent la voiture de Puig. Et nous continuâmes, décidés
à éloigner au maximum la voiture utilisée du lieu de la fusillade.
La sortie nous fit passer par la rue où débouchait l’escalier donnant
sur notre appart. J’avais rangé les affaires et les armes longues

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dans le grand sac de jute. Et je suis descendu à pied. Je suis arrivé


à l’appart sans encombre.
Tout se bousculait. J’avais encore les cris et les détonations dans les
oreilles. Je puais encore la poudre malgré la douche.
Habituellement, nous étions assez chiches question démonstra-
tion. Mais lorsque Puig est remonté, nous nous sommes tombés
dans les bras en silence. Puis nous avons branché la radio.
En fait, nous étions heureux de nous en être sortis à si bon compte
et je crois qu’il y avait aussi un peu de fierté d’avoir passé ce cap.
Surtout que, rapidement, la radio annonça la fusillade entre une
bande de pistoleros internationaux et une unité de la BIC (Brigade
d’investigación criminal). Pour un début, ce n’était pas si mal.
La consigne fut la même pour nous tous. Passer une semaine
enfermés sans bouger, sauf pour assurer les rendez-vous de sécu-
rité.
Huit jours après la fusillade, effectivement, nous nous sommes
rencontrés pour faire un point dans l’appart de réunion, situé rue
de Sicilia, juste derrière la Sagrada. Un appart loué par Gafas.
Cette fin d’après-midi, nous étions assez nombreux, sept, huit,
peut-être plus. Nous fîmes un topo sur toutes les news qui remon-
taient par la bande. Puis une évaluation sommaire de la situation
et des projets en cours. Il fut décidé que tout le groupe directement
impliqué et les plus proches devaient se retirer à Toulouse pour un
mois ou deux.
Queso : Le hold-up de la banque Fabra i Puig signifie que l’on ne
fait pas marche arrière, mais il ne marque pas un changement
d’orientation, la seule chose, c’est qu’on a cessé de se voir pour des
raisons de sécurité. ■ El MIL : una historia politica.
Sebas : Par rapport à la version de La Torna, Puig a utilisé deux
fois son 7,65. Premier coup, direction des flics alors qu’il est encore
devant la banque. Deuxième coup, alors qu’il reprend le volant pour
démarrer, il explosa l’autoradio de notre propre voiture ! Puig a été
condamné à mort et exécuté pour cette opération également. Je
comprends que la Carlota puisse écrire : « Il n’a pas tiré et pourtant
il l’ont assassiné ». Mais bon, aujourd’hui je peux raconter sans pro-
blème. Et puis l’autoradio a vraiment morflé tout de même !
Sancho : Jusqu’à la fusillade de mars 1973, tout le monde était
sympa mais après, tout le monde savait qui il était et que si quel-

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qu’un y allait, il pouvait « tomber » (être arrêté). Mais tout le


monde pensait que ce serait l’autre, jamais soi. Après l’attaque, les
relations ont été coupées.
Avant la fusillade, on rigolait mais après personne ne rigolait.
Surtout en Espagne, où les flics avaient nos photos et on savait
qu’on les avait derrière. On voulait continuer. Si tu veux attaquer
une banque tout seul, tu ne le fais pas, mais à trois ou quatre…
On ne pouvait pas faire des hold-up tous les quinze jours, il faut les
préparer. Et en plus, il y avait la trouille et on disait qu’il fallait faire
un minimum de hold-up ; pour dire la trouille qu’on avait, moi le
premier, Sebas aussi. Quand il n’y avait pas de hold-up, on repartait
en France, on passait une semaine ou deux et on remontait.

Le 22 février a lieu le procès au Palais de justice de Toulouse,


pour le matériel découvert à la ferme de Bessières et dans l’ap-
partement rue Raymond-IV. Seuls comparaissent Oriol (détenu à la
prison de Saint-Michel) et Cricri. Sebas et Puig, inculpés, ne sont
pas présents, ils sont occupés à Barcelone à la préparation de l’ex-
propriation du Banco Hispano-Americano.
Le 8 mars, Oriol est condamné à un an de prison ferme, Cricri,
six mois avec sursis pour recel d’objets volés. Sebas et Puig, par
défaut, respectivement à un an ferme et à six mois fermes.

Aurore : Je suis allée au procès d’Oriol en mars 1973, on ne me


connaissait pas à Toulouse. J’ai connu Oriol en juin.
El Petit : Lors d’un jugement d’Oriol à Toulouse, personne ne
pouvait s’y rendre et Pardiñas avisa son amie (Aurore). Je me
déplaçai personnellement, cassant mes consignes d’isolement,
parce que je pensais qu’elle ne pourrait pas s’occuper de tout,
toute seule. Je l’ai connue dans les locaux des tribunaux quand elle
venait de parler avec l’avocat et ce dernier lui dit qu’Oriol avait
décidé de ne pas se défendre.

Il n’y a pas qu’en France que la police et la justice s’activent.


Depuis plusieurs mois la police barcelonaise a identifié Sancho
comme le loueur de véhicules ayant servi à l’attaque de diverses

191
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banques en Catalogne. Le 11 mars 1973, elle envoie un rapport


détaillé de ses investigations au juge d’instruction Rodriguez Fer-
rero du tribunal de la ville Seo de Urgel (Catalogne espagnole) qui
instruit sur l’expropriation du 15 septembre 1972 à la Caja de
Ahorros de Bellver de Cerdanya. Le rapport est consultable en
annexe.
Le 25 avril, l’Espagne, par l’intermédiaire de son ambassade à
Paris, demande à l’État français d’extrader Jorge Solé Sugranyes
(Sancho) qu’elle pense détenu en France. Sancho fait l’objet depuis
le 12 mars 1973 d’une ordonnance d’incarcération pour vol qualifié
délivré par le juge d’instruction Rodriguez Ferrero. Dans une lettre
datée du 27 juin, le ministère français des Affaires étrangères fait
savoir à l’ambassade d’Espagne que Jorge Solé Sugranyes fait
également l’objet d’un mandat d’arrêt décerné par M. Couronne,
juge d’instruction à Toulouse pour « abus de confiance » et qu’il « a
été infructueusement recherché ».
Le ministère précise :
« Une confusion paraît s’être produite avec la personne de son
frère, Solé Sugranyes Oriol, né le 4 janvier 1948 à Barcelone,
qui purge effectivement à la maison d’arrêt de Toulouse une
peine d’un an d’emprisonnement. Le ministère serait recon-
naissant à l’ambassade de bien vouloir en informer les autori-
tés espagnoles et les prier de faire connaître si, dans ces condi-
tions, elles renoncent à leur demande d’extradition. Le
ministère des Affaires étrangères saisit cette occasion pour
renouveler à l’ambassade d’Espagne, les assurances de sa
haute considération. »

Sancho : Malgré le fait que je n’ai jamais été légalisé en France, je


n’ai été condamné que bien plus tard pour diverses voitures louées
que je n’avais jamais rendues.
Sebas : Pour Sancho, je n’ai jamais entendu ni participé à une
conversation évoquant une éventuelle poursuite judiciaire ou la
demande d’extradition de l’un ou de l’autre d’entre nous. Je ne sais
rien précisément de nos inculpations lors de cette période. Nous
nous en préoccupions que très très peu. De mon côté, il avait été dit
que j’étais sous le coup d’une condamnation par contumace en
Espagne, vingt-cinq ans ou un truc comme ça, pour passage illégal

192
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de frontière en arme. Question recherche en France, j’étais aussi


sous le coup d’un mandat d’arrêt pour « insoumission en temps de
paix », ayant refusé de rejoindre mon affectation militaire. Jugé et
condamné en 1977 par le TPFA de Bordeaux… Et par la suite
exempté… Et, bien sûr, dès septembre 1972, pour l’histoire de la
ferme et de Raymond-IV.
Par rapport aux locations des voitures, nous avions arrêté d’en
louer par Sancho. Non pour un problème judiciaire, mais nous
avions pensé que les flics français signalaient les voitures que
nous empruntions et cela pouvait constituer un risque, même si
nous changions les plaques.
À Barcelone, au début, nous volions régulièrement des Seat 600.
Les pots de yaourt ! Montes avait récupéré les papiers de sa tante
ou un truc comme ça et nous montions des doublettes. Nous préfé-
rions utiliser des Seat 124 plus petites et plus maniables.
Nous avons loué également des voitures sous des faux noms à
Barcelone. Au moins deux Simca 1100 dont je me souviens. Une
directement à l’aéroport, c’était Queso qui s’en était chargé.
Sancho a loué énormément de voitures. Plusieurs fois, il est allé
louer chez Spanghero. Il l’appelait son ami le loueur sans savoir que
Spanghero était un personnage connu ici après sa carrière sportive.
Un jour, nous étions au cinéma Saint-Agne, Sancho avait fumé un
pétard et aux actualités, il a vu arriver sur l’écran l’ami loueur
habillé en gentleman avec un melon. Il a failli s’étouffer.
Un jour, Puig est allé louer chez lui. Mais ça ne marcha pas. Span-
ghero le coinça par surprise. Du coup, Puig dut lui expliquer qu’il
était un militant antifranquiste. Et finalement, Spanghero le laissa
filer avant que les flics ne débarquent. Il n’était pas rosse comme
mec.

À partir du mois de mars jusqu’à l’été, le MIL/GAC va rédiger,


traduire ou éditer quelques documents : « Entre Mayo 37 et l’agi-
tation armée », « La agitación armada : Barcelona bajo el terro-
rismo », « Chronología : anexo el texte de « la banda Sten », chro-
nologie sur l’activité du MIL/GAC de juillet 1972 à mars 1973,
« Apunte de discusión », le n° 1 de CIA, Les armes du guérillero
urbain où est dressée une liste des armes des « combattants ibé-

193
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riques », avec le mode d’emploi, elle va de la mitraillette au couteau


en passant par les explosifs et le cocktail Molotov et La violencia
revolucionaria (La violence révolutionnaire) d’Émile Marenssin. Ce
dernier texte est la préface du livre La bande à Baader, publié aux
éditions Champs Libres. La plupart des textes sont signés par
deux tampons, Grupos Autónomos de Combate/MIL et GAC –
Insurrección libertaria.

« Sobre l’agitación armada » d’octobre 1972, comme « Multi-


plicación de los grupos de combate » de décembre 1972 et « Apunte
de discusión » d’avril 1973, rédigés par le Metge, sont importants
dans la mesure où ils traduisent une réflexion menée au sein du
MIL/GAC. À l’origine, le second et le troisième sont à usage interne.
Le second n’a pas de titre. Pour le titrer, nous avons extrait du texte
des mots qui donnent un sens au contenu. Certains le nomment
« La actual coyuntura », qui sont les premiers mots du texte.
Dans « Apunte… », le Metge dresse un bilan sur les relations
au sein du MIL, sur l’activité du groupe depuis sa création en
1972 et sur les orientations de la lutte armée qui ne doit pas être
séparée d’autres combats :
« La condition la plus importante est le lien d’union (relation
directe) entre la guérilla et les luttes économiques et poli-
tiques de masse. La guérilla, en tant que telle, n’a aucune
possibilité de se développer si cette relation ne devient pas le
nœud essentiel de la pratique guerillera. »
Nous reproduisons le contenu des deux derniers textes en
annexe.

Sebas : Je ne me souvenais pas de ce texte en particulier, mais il


correspond aux débats qui ont suivi la sortie de CIA n° l. Très cer-
tainement, il a été écrit rue Lancefoc. Seul lieu où l’on pouvait trou-
ver simultanément une IBM et le tampon GAC-MIL. Pour l’auteur,
il est certain qu’il s’agit de Puig. C’est le moment où il reprend à
son compte les orientations prises à Toulouse suite à la fusillade de
via Fabra y Puig. À Toulouse, où est resté le Petit (période du texte
sur la FAI que nous lui avions commandé), nous avons opté pour la
bibliothèque Mayo 37. Donc il ne pouvait que soutenir nos orien-
tations. Nous, c’est essentiellement Cricri, Sancho et moi… Montes

194
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a été expulsé. Il n’avait alors qu’un rôle d’infrastructure bien qu’il


gardait une autorité sur le réseau initial (par exemple, le poète).
Puig, Queso et Quesita montent. Ils prennent connaissance des dis-
cussions à Toulouse. Je crois que ce texte prend la mesure de ces
discussions et reconnaît nos objectifs immédiats : nouvelles cam-
pagnes d’expros, l’infrastructure, surtout construire des bases
durables à l’intérieur mais aussi à l’extérieur… mais surtout, pré-
paration d’une campagne d’attentats à la bombe.

LA VIE QUOTIDIENNE…
… à Toulouse
Sebas : Il convient de souligner le fort décalage entre les deux
formes de vie quotidienne et de lutte à Barcelona et à Toulouse.
Notre activité était armée dans les deux cas. Mais, disons qu’à Tou-
louse, le fonctionnement était beaucoup plus cool et ouvert. Depuis
1972, nous évitions de frapper en France sauf pour des trucs de
logistique primaire.
Un repli et simultanément une opportunité de réaliser des tâches
dans une autre dynamique, réellement différente de celle imprimée
à Barcelone, plus collective, plus informelle, avec des discussions
quotidiennes… Des choses que nous ne pouvions absolument pas
faire à Barcelone pour des raisons de sécurité évidentes.
Plus de collectivité. Plus de débats. Plus de vie politique de type
classique… Plus de fêtes aussi, bien évidemment.
À cette époque, nous vivions principalement rue Lancefoc. C’était
notre base collective. Ensuite, chacun avait son fonctionnement et
ses contacts.
Sancho s’occupait principalement de la mise en place de l’impri-
merie chez le vieux socialo.
Nous mettons à profit ce temps de repos pour mettre sur pied la
brochure CIA n° 1. Durant cette période, entre mars et mai, les
tampons (MIL/GAC…) sont faits dans un petit magasin dont l’ar-
tisan était connu de Cricri et d’I 34. Nous avons fait imprimer les
fameux tracts MIL. D’un côté, un petit texte politique d’une ving-
taine de lignes sur la nécessité de lutter. Et de l’autre, les divers slo-
gans. Au premier degré, ces mots d’ordre paraissent chaotiques.

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Mais ils s’inscrivent vraiment dans une ligne d’auto-organisation.


Nous utiliserons les tracts dans la nouvelle série d’actions dès le
6 juin à Sarriá .
Toulouse, une base de repli et de dépli.
Aurore : Toulouse était une base arrière, de repos (dans la lignée
de Sabaté). On circulait d’un appartement à l’autre. Cela avait un
côté vacances, ciné, restau, mais aussi pour faire des contacts et
pour l’impression. Toute l’écriture venait de Toulouse et était tapée
ici. On n’a jamais diffusé sur la France, cela ne nous est jamais
venu à l’esprit. On tirait ici mais tout était pour l’Espagne.
J’ai rencontré le Petit pour la première fois à l’occasion de la
confection du n° 1 de CIA dans l’appartement rue Lancefoc à Tou-
louse. Il a séjourné dans l’appart. CIA conçu avec des articles tirés
de diverses revues françaises (BD), italiennes ou belges… plus
des articles originaux.
En plaisantant, Jean-Marc plantait le Petit devant la machine à
écrire IBM à boule (le summum à l’époque) : pas de ciné si pas d’ar-
ticle, écris ça et ça… Jean-Marc n’écrivait pas un mot mais délé-
guait cette tâche aux autres, quitte à leur indiquer ce qu’il voulait
voir rédigé.
Santi était évidemment quelqu’un de plus posé que la majorité
d’entre nous. Il nous regardait un peu agir et s’agiter avec nos
petites histoires quotidiennes, comme l’entomologiste regarde les
insectes. Moi, ne parlant pas espagnol ni catalan, parachutée là, et
les mecs me tournant autour…, mais aussi les relations entre
individus et puis entre groupes, tendances différentes, les difficiles
ententes comme avec Montes et Beth vidés par exemple. Il nous
regardait du haut de son âge comme avec un côté bien puéril.
Il était là, rue Lancefoc, quand il y a eu une bataille homérique à
l’œuf frais de l’appart jusque dans la rue. J’avais dû acheter deux
douzaines d’œufs. Nous étions souvent nombreux, on ne faisait
qu’un seul repas vers 15 heures. Parfois, on allait au bar le Sans
Pareil à l’angle d’Honoré Serres (près de cet appart), au Saint-Ser-
nin, place Saint-Sernin, ou à la Chunga, route de Narbonne. À
l’époque, il n’y avait que dans ces deux bars où l’on trouvait des jeux
électroniques style tennis, et dans ces deux bars les croque-mon-
sieurs valaient la peine. On allait au cinéma Saint-Agne (salle fer-
mée à la fin des années 1980), car il y avait deux films par semaine.

196
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Bref, dans cette bataille où il y avait Sancho, Txus, Sebas et autres,


je ne sais pas comment elle a commencé, mais tous les œufs y
sont passés. Je crois que personne n’a été atteint. Certains sont
passés ou par une porte (il y en avait deux sur deux rues car l’ap-
part était dans un angle de rue) ou par une fenêtre dans la rue.
Discrets, on était. On tenait trois mois dans un appart à cause du
bruit que l’on faisait. Mais on était en France et on ne faisait rien
en France. C’était l’arrière, c’était le repos.
Le Petit était un peu radin. On est ainsi allés en groupe au
cinéma Saint-Agne (car censure sur beaucoup de films en
Espagne), la tête du bonhomme miro (myope), qui déchirait les
tickets, quand, royalement, le Petit lui a donné dix centimes de
pourboire pour peut-être cinq ou six que nous étions… Il ne réa-
lisait pas la valeur des francs. Il était aussi distrait. À Paris,
dans le métro, dans un couloir, il est entré en collision avec des
gens et dans la rue avec un réverbère en nous parlant, et oubliant
le contexte. Je pense qu’il est allé avec Sebas rencontrer Barrot
dans la banlieue où celui-ci habitait. Ils ont aussi rencontré
d’autres gens de la Vieille Taupe.
Je ne sais pas si Sancho a toujours aussi peur du dentiste. Rue
Lancefoc, nous avions la fenêtre donnant sur la plaque d’un den-
tiste de l’autre côté de la rue. Il s’est offert une affreuse crise de
dents et a préféré souffrir, pouvant à peine tenir debout, plutôt que
d’aller chez le dentiste. On a dû lui mettre des clous de girofle sur
sa dent, plus de l’aspirine…
Sancho : En France, on faisait ce qu’on voulait, en Espagne, ce
n’était pas un jeu, on vivait dans un appartement et on sortait en
costard. Maintenant, à Toulouse, quand je rentre au Florida, place
du Capitole ou aux Américains près de la place Wilson ça repré-
sente des souvenirs nostalgiques, de luttes, de gaieté, de jeunesse et
de vie.

… Et à Barcelone
Sebas : À cette époque, Sancho, Queso et Quesita vivent ensemble
dans un appart au premier étage d’un immeuble neuf au-dessus de
la place Lesseps, oui, toujours et encore le même quartier. Avec
Puig, nous vivons tous les deux dans un grand appartement, dans
le quartier au-dessus de l’Hospital San Pablo et de la Traversera,

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rue Sales y Ferrer. Une rue qui se termine en face par un long esca-
lier, à droite elle bifurque devant l’entrée du Manicomio (hôpital
psychiatrique)).
Au troisième et dernier étage, notre grande terrasse domine la rue
et le quartier. Nous pouvons même apercevoir dans le lointain la
mer, le port et la statue de Colomb.
Trois chambres, une pour chacun et une pour le matos. Et les sacs
de monnaie ! Nous avons pris la mauvaise habitude de nous char-
ger des sacs de pièces de monnaie lors des braquages. Du coup,
nous en avons des tonnes. J’achète même des grandes chaussettes
de montagne pour les stocker (!), que j’aligne le long des murs. Des
dizaines de chaussettes…
Au centre de la pièce sans meuble, les sacs de matos et d’argent
prêts à un embarquement immédiat si nécessaire.
Ma chambre est très petite avec un simple matelas par terre. Une
cagette pour table de nuit, deux ou trois livres, l’un de Makhno à la
couverture bleu foncé. Au mur, j’avais collé des citations définitives
tirées de ci et de là, des bouts de chanson de Ferré. Une carte postale
représentant la chaise de Van Gogh… Une photo de Steve Mac
Queen dans Get Away, la scène finale de l’hôtel, dans l’escalier avec
son pompe. Un Cetme armé à la tête du lit. La fenêtre donne sur
l’angle de la rue, l’escalier et la cour du Manicomio. En rentrant, je
plaçais toujours ma grenade défensive sur la table de nuit. J’avais
dans l’idée de nettoyer cette placette au cas où.
Dans la cuisine, à l’opposé de l’appart, nous avons planté un piton
dans le mur et fixé une corde d’alpinisme. Un sac avec des char-
geurs et des boîtes de munitions. Toujours au cas où nous aurions
alors tenté de faire une sortie par cette voie donnant sur des petits
jardins très boisés et chaotiques. Dans chaque appart, nous pré-
parions ce style de sortie de secours.
La chambre de Puig. Un matelas également à même le sol. Une
armoire en plastique avec fermeture éclair. Une trentaine de livres,
surtout Freud, Jung, Reich, Marx. Au mur, un poster de Catherine
Deneuve dans Belle de jour de Bunuel.
La salle à manger, une table ronde en bois blanc avec quatre
chaises et un meuble bas de même style. Nous achetions en quan-
tité ces meubles peu chers dans une boutique de quinquis proche
de l’Iglesia del Pi.

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Une télé et une chaîne stéréo. Puig écoute Beetowen et Pink Floyd
(sempiternellement la même face du disque aux vaches), j’ai deux
ou trois Ferré, et des blues anglais, comme Rory Gallagher, bien
sûr !
Nous mangions pratiquement toujours la même chose. Puig met-
tait son tablier (!) et il passait deux ou trois morceaux de poulet à
la poêle. Asperges en entrée. Pour le vin, Sangre de toros ou du cla-
rete de la Rioja. Nous faisions nos courses une fois par semaine
dans le premier supermarché de Barcelone, un truc américain en
pleine ville. Très cher, mais pratique pour nous et cool, ce qui est le
principal.
À la fin du repas, nous faisions un point. Les rencards du lende-
main ou le travail. Nous repassions en revue les discussions, les
réflexions et les critiques.
Les seuls mots que j’entendis de la bouche de Puig, concernant
notre avenir judiciaire, furent à l’occasion de ces moments relax. Il
évoqua une condamnation à mort, ce qu’il aimerait déclamer à ce
moment-là. Autrement, c’était sympa. Je le couvrais de mon silence
quand il invitait l’une de ses deux petites copines, l’aprem, et
même un soir. Ce qui était tout naturellement hors des cadres de la
sécu, exigés par nous-mêmes, il est vrai…
Nous fréquentions le même restau, le Putxet. Nous sortions très
peu le soir. Une fois, nous fîmes une exception pour un film sur le
paseo de Gracia, à côté du drugstore. Et d’ailleurs, cela avait failli
tourner mal. Un groupe de gris filtrait les spectateurs à la sortie. Et
juste à ce moment-là, bien sûr, Puig a eu le calibre qui lui glissa le
long de la jambe à l’intérieur du pantalon. II passa devant eux ainsi
en se tenant quasiment plié en deux, jusqu’aux chiottes…
Aurore : J’ai habité dans cet appartement rue Sales y Ferrer,
près de la calle del Telégrafo, dès la première fois où je suis des-
cendue avec les autres à Barna. Appart de quatre pièces en atico,
dernier étage avec terrasse plus cuisine, salle de bain, une pièce à
vivre plus grande, une chambre pour le Metge, une pour Sebas, et
une autre pour le matériel. Mais je me souviens d’un porte-man-
teau fixé au mur à l’entrée ou à l’entrée de la pièce principale
sous lequel, par terre dans un sac de voyage, est resté quelque
temps un petit stock de bâtons de plastic qui suintaient : plu-
sieurs fois je les ai heurtés avec les pieds…

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J’ai habité dans la chambre du Metge avant d’aller dans celle de


Sebas. Appart où habitait régulièrement Sebas, mais aussi Cricri
quand il était à Barna, puisqu’il descendait assez rarement de
Toulouse. J’ai donc relativement connu le Metge mais moins bien
que Sebas ou Cricri, bien sûr.
Ainsi le Metge, parmi nous et mieux que moi, faisait la cuisine en
revêtant un tablier. Nous faisions en particulier des omelettes
sous toutes les formes, des spaghettis. Le Metge descendait les pou-
belles. Un jour, il fut obligé d’écrire un mot d’excuse à ses voisins
parce que le Dandy avait descendu le sac-poubelle (il y avait déjà
des sacs-poubelles en Espagne à l’époque et c’était très réglementé)
dans la journée. Il a remonté le sac…
Le mot d’ordre : passer inaperçu, sortir aux horaires normaux
(horaires heureusement plus tardifs en Espagne). Bien sûr, pas de
concierge à ce petit immeuble, n’oublions pas que tous les concierges
étaient des indics, et encore plus les serenos (veilleurs de nuit cir-
culant dans les rues).
Dès cette époque, dans la cohabitation, il y avait un poste de télé
(petit, de couleur rouge) et Sebas savait toutes les publicités par
cœur.
On avait toujours à l’esprit de pouvoir sortir rapidement d’un
appart. On en a eu un au troisième sous-sol, il était très humide
mais il y avait une cour et on avait mis une chaise pour pouvoir
sauter dans la rue.
Santi : Je vivais en solitaire dans mon studio. Ils me télépho-
naient pour me dire qu’ils passaient prendre le café ou au milieu
de l’après-midi, après la sortie du cinéma. Normalement, pas pour
discuter de politique. Je ne connaissais aucune adresse ni télé-
phone et c’est pour ça qu’ils passaient, à titre individuel ou en petit
groupe.
Sancho : S’il existe une définition claire du fonctionnement du
GAC/MIL, c’est a salto de mata (fuir et se cacher) ou sin pausa i con
prisas (vite et sans arrêt). Le fonctionnement variait avec les
époques. Quelquefois, nous logions tous dans un seul appartement
et c’est seulement vers la fin que nous avons chacun, ou deux par
deux, des infrastructures séparées (logement, voiture, armes, etc.)
complètement à part des uns des autres. À Barcelone, des bars
comme celui de la librairie Cristal, des restaurants comme celui du

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Putget ou des cafétérias, servaient de lieu pour nous rencontrer où


à fêter la réussite de quelques hold-up. ■ Entretien avec Sergi
Rosés.
Aurore : L’appart près de la Sagrada Familia servait donc aux
réunions. On ne se réunissait pas les uns chez les autres pour des
questions de sécurité.
Ceux qui vivaient régulièrement à Barna connaissaient, je pense,
un autre appartement de copains. Montes connaissait plus des
uns et des autres que tout le monde, car il en louait ou en faisait
louer.
Ceux qui séjournaient à Barna ne connaissaient que l’appart du
copain chez qui ils allaient dormir. Je n’ai ainsi jamais séjourné que
dans les apparts du Metge.
Pour moi, le contact avec les autres c’était le Metge quand je vivais
dans son appartement. Je ne savais pas où habitaient Montes et le
Petit.
On avait tous des surnoms. Je ne savais pas, par exemple, le nom
du Secrétaire jusqu’à ce que je le tape dans les textes après les tom-
bées de septembre 1973, chez Marie Laffranque (l’un des comités
de soutien à Toulouse).
On se donnait rendez-vous dans des bars. Comme on n’avait pas le
téléphone, on appelait chez des gens ou des parents. Il m’est
arrivé d’envoyer des télégrammes de Toulouse à des gens de Bar-
celone que je ne connaissais pas et eux faisaient le lien avec les
copains.
Il y avait un problème de langue, j’avais du mal à comprendre. On
baragouinait et quand ils ne voulaient pas que je comprenne, ils
parlaient en catalan, en espagnol et très vite. Tous les frères Solé
parlaient français (moi trois mots d’espagnol et de catalan). On
finissait par parler un baragouin pas possible, avec mélange de
mots des trois langues. J’ai mis des mois à savoir ce qu’était une
palanquette en français, c’est un pied-de-biche. Bien sûr, on mêlait
aussi (Jean-Marc en particulier) des mots de langue d’oc, gascon-
occitan (et moi un peu d’italien). On se comprenait.
Sebas : Le sas entre chaque appart était strict. Et d’ailleurs,
depuis la tombée de celui de Sales et Ferrer, la police n’avait pas
spectaculairement avancé pour nous localiser. Sauf sur quelques
points de vie quotidienne.

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Nous n’utilisions que les surnoms et rarement les prénoms pour


communiquer lors des tâches. « J’ai rendez-vous avec le Secré-
taire » signifiait, de fait, il y a une réunion pour parler des textes et
de Mayo 37. Je ne connaissais qu’une partie des véritables noms
des camarades.
Queso : J’ai appris la véritable identité de Salvador le jour de son
arrestation. Pour moi, c’était el medico et c’est tout et pourtant nous
avons vécu une paire de mois ensemble. Après avoir été avec Jordi,
j’ai changé d’appartement et je vivais avec Salvador. Nous avons
passé de nombreuses heures ensemble mais cela ne veut rien dire.
Je dois aussi reconnaître qu’il n’était pas un personnage qui m’im-
pressionnait beaucoup. Il n’avait pas le charisme d’Oriol et il n’était
pas le plus téméraire dans le groupe. De plus, pour connaître une
personne, il est nécessaire de savoir son histoire personnelle. Il est
évident que nous ne parlions pas de tout cela. Il ne m’est jamais
venu à l’esprit de lui demander où il avait fait ses études ou com-
ment il s’appelait, c’était une question purement de sécurité.
■ Cuenta atrás.

Les contacts hors du MIL


Sebas : En France, nous n’avions aucun véritable contact avec des
forces révolutionnaires ayant fait le même choix que le nôtre.
Seuls les contacts avec les vieux se sont poursuivis pendant toute
l’histoire MIL. Sans compter les contacts de l’ET avec la Vieille
Taupe ou Lotta continua. Nous ne nous sommes préoccupés des
autres qu’à partir de 1973, les premiers contacts à Paris sont pris
par Aurore, avec l’ORA et avec des libertaires parisiens… Ils nous
ont ouvert progressivement divers collectifs.
Cricri avait toujours des potes de l’université.
Puig, lui, avait quelques amis à Toulouse dont une copine dans le
quartier Arnaud-Bernard. Là, il organisait des réunions avec des
réfugiés politiques, je me souviens en particulier de trois gallegos
(originaires de Galice) réfugiés du FRAP. Mais nous maintenions
ensemble certains contacts communs, avec des jeunes libertaires
toulousains. Nous voyions la bande d’Empalot, Mumu and Co, une
dizaine de jeunes anciens du lycée Berthelot (?) et quelques copains
de la cité dont Michel, surnommé « Ratapiñada » (la chauve-souris),
Pierre « Tonton », le « Tos », un camarade ariégeois qui participera

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aux campagnes GARI… Lorsque nous remontions à Toulouse, gen-


timent, ils nous organisaient une fête, pétards à foison et thé
empoisonné.
Nous voyions aussi Mario qui sortait de cette bande mais qui avait
une autonomie particulière. Il avait ainsi gardé des contacts avec
certains anciens du GAL-Vive la Commune, surtout les jeunes de
la deuxième génération comme lui. Il connaissait et fonctionnait
avec d’autres groupes dans d’autres villes dont le Pays basque.
Cathy, Michel, Tonton, Mumu, c’est la filière Mario. Mario était à
Vive la Commune et il allait au lycée Empalot avec eux, ils for-
maient un groupe périphérique. Ils venaient à la maison et nous
allions les voir au café Le liberté, sur l’avenue Saint-Michel, qui
était leur pied-à-terre.
De mon côté, j’avais aussi monté un petit groupe d’appui avec des
vieux potes du lycée. Dandy est sorti de ce groupe. Il y avait aussi
un camarade qui travaillait dans une boîte près des Arènes, c’est lui
qui nous parla du Légionnaire. L’un d’entre eux était tourneur et
avait du matos à la maison, il faisait des réparations quand nous
avions un problème avec les armes ou autres… Mais ni Dandy, ni
le Légionnaire, ni Maria n’ont été mêlés à des activités effectives du
MIL avant 1973. J’allais voir aussi les vieux, et principalement le
Zapatero. Nous avions de bons rapports avec les gens du Petit
barbu (I 34).
Ainsi se met progressivement en place ce qui deviendra plus tard
le GARI sur Toulouse et sa région. Et plus loin encore. Bien sûr,
nous avions de nombreux contacts individuels avec tel ou tel
groupe gauchiste ibérique ou français, mais sans vraiment d’im-
portance tactique.

Après les arrestations en Catalogne de septembre 1973, Mumu


(Muriel), Michel, Tonton, Mario participent aux actions de solida-
rité et à l’activité des GARI, pour laquelle les trois derniers seront
incarcérés en 1974, tout comme des membres d’I 34 le seront en
1974 et en 1976.

Sancho : J’ai rencontré I 34 parce qu’on cherchait une imprimerie


pour tirer CIA n° 1 et comme on habitait dans la même rue, j’y suis

203
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allé voir. Mais je ne connaissais rien des activités de cette impri-


merie, je suis entré comme client. Après les arrestations, ils nous
ont fait des affiches et nous avons commencé à parler.
Sebas : Nous les Toulousains, nous connaissions bien la struc-
ture I 34. Depuis quand ? Sans doute depuis le comité chômeur ou
la rue Merly ? Du fait de se connaître, au fait de passer à bosser
ensemble, a été une démarche de notre part. Nous sommes allés à
la boutique, un aprem, Cricri, Sancho et moi. CIA 1 a été éditée
dans ce lieu. Comme la brochure Intervención en janvier 1974 (?),
signée GAC. Brochure qui n’est pas répertoriée dans les diverses
listes publiées. Je crois que, dans un atelier, à la disposition des
associations, séparé du commerce principal du Petit barbu, ils ont
tiré le Berneri et Balazs (51). J’ai tiré personnellement et seul dans
cette même arrière-boutique Allons-nous vers un nouveau 29 ?
Aurore : A Toulouse, on avait des contacts avec le Zapatero et les
vieux Espagnols et Jean-Marc avec ses copains de fac, ou plutôt
autour de la fac. On en avait dans les usines avec l’EO mais le MIL
était un groupuscule. Parmi nous, peu avaient travaillé, les contacts
étaient donc réduits. J’entends Jean-Marc dire de l’EO : notre
ouvrier.
À Toulouse, on était allés voir la CNT après les arrestations de sep-
tembre 1973 et c’est vrai qu’ils nous ont reçus comme dans un tri-
bunal. La CNT française ou espagnole se démarquait en disant que
le MIL, ce n’était pas des libertaires. Le Secrétaire, Montes, le
Petit avaient d’autres contacts.
Sebas : Lors du meeting du 19 juillet 1973 (date anniversaire du
début de l’insurrection, le 19 juillet 1936, en Espagne) à la Halle
aux Grains (palais des sports), il y avait de grandes tables de pro-
pagande. Des camarades avaient amené des CIA n° 1 et des cahiers
de Mayo 37. Quand les cadres CNT et les petits bureaucrates s’en
sont aperçus, ils ont demandé qu’ils soient retirés. Ils avaient été
mis par terre en bout de table. Je me souviens que, du coup, le
Zapatero avait pris plusieurs brochures et qu’il s’était mis à les dis-
tribuer à tous les camarades qu’il connaissait : son del interior (ils
sont de l’intérieur), ce qui donnait plus de valeur encore !

51 – D’après Sancho, ces deux brochures ont été imprimées sur les machines
expropriées et installées à Arnaud-Bernard.

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Aurore : On est allés vendre le n° 1, le distribuer à une fête de la


CNT. Il tranchait et les gens hésitaient à le prendre d’autant que ce
n’était pas une publication de la CNT.
Sebas : Nous rencontrions régulièrement des cadres de la CNT,
mais il s’agissait de contacts informels comme avec le Zapatero.
Lui-même nous a présenté d’illustres compañeros comme Mateus
ou le général des milices d’Aragon, sur la route de Grenade. Mario
m’avait amené chez Federica Montseny (52) où j’avais parlé avec son
compagnon Esgleas qui lui aussi avait été ministre de l’Intérieur de
la Generalitat en mai 1937.
Pour ma part, je me souviens de deux tentatives de réunions for-
melles. La première avec El Mancho (membre de la FIJL/Primero
de Mayo), rue Merly, printemps-été 1973. C’était avec Oriol, mais la
réunion ne donna rien de neuf. Après, le Zapatero m’a dit que El
Mancho n’avait pas confiance en Oriol et c’est cela qui aurait fait
capoter un début de rapprochement. Seconde réunion, après les
arrestations, avec le secrétariat, place Belfort, à la demande de
Maria et par l’intermédiaire de Federica. Cela a été le fiasco.
La tentative de rapprochement avec certains groupes anarco-syn-
dicalistes avait été initiée dans le but de construction du front
extérieur à Paris, à Toulouse donc, mais aussi à Barcelone où Puig
avait ou devait rencontrer un groupe de l’université dont nous
avions eu plusieurs textes internes par le groupe de Felip ou par
Montes.
Oriol a donc participé à ces efforts, comme il était présent à la fête
du 19 juillet au Palais des Sports.
Nous avons sûrement commis de nombreuses erreurs dans ces
tentatives de rapprochement, mais nous étions très inexpérimen-
tés dans le domaine de politique ouverte. Nous voulions regrouper
les jeunes. Mais, tactiquement, nous aurions dû neutraliser l’ani-
mosité et la crainte des vieux, et ça, nous n’avons pas su le faire.
Il est clair que malgré le pacifisme et la bureaucratie qui domi-
naient ce mouvement anarco-syndicaliste, même du temps du fas-
cisme donc, il demeurait une force potentielle non négligeable que

52 – MONTSENY Federica (1905-1994), militante anarchiste, « dirigeante » de


la CNT-AIT, ministre de la Santé sous la République espagnole pendant la
« guerre civile ». Réfugiée à Toulouse.

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nous aurions dû essayer d’orienter d’une manière différente. Orien-


ter, je ne pense pas que ce langage soit trop léniniste pour ce
contact car la FAI de la belle époque l’utilisait également, non ?
Mais ce fut un peu gâché…

Dans un entretien avec Sergi Rosés, Sancho parle d’erreur, sur


le plan théorique, de se présenter aux cercles anarchistes comme
anarchistes alors qu’ils ne le sont pas, et de leur relater des activi-
tés (hold-up…) dont certaines ne leur avaient pas été attribuées
jusque-là.

Zapatero : Un jour, ils m’ont dit qu’ils voulaient que je les mette en
rapport avec le Comité national de la CNT. Ils voulaient être recon-
nus par le mouvement libertaire en général, parce que la presse
espagnole les présentait comme des atracadores et des droits com-
muns. Ils ont été les voir. Ils sont revenus me voir en pleurant,
parce qu’on les avait traités de terroristes, de criminels, d’atraca-
dores et mis dehors.
Blanca : Ils sont allés rue Belfort au Comité national, au moment
de leur brochure qui, socialement, n’était pas intéressante. Se pré-
senter comme révolutionnaires avec cette brochure était une idio-
tie. Ils ont eu un rejet, mais les autres auraient pu discuter.
Zapatero : Ils se sont présentés tels qu’ils étaient. Le Comité
avait suffisamment l’intelligence et la militance pour dire : « Les
enfants, ne faites pas comme ça les choses ». Parce qu’au Comité
comme à Frente libertario (scission en 1969 de la CNT), certains
avaient mené, quand ils étaient jeunes, des actions identiques.
Mais il y avait des accords à la CNT pour ne pas qu’il y ait d’acti-
vités violentes en Espagne. L’organisation n’envisageait pas la
clandestinité. C’était les mêmes problèmes du temps de Sabaté et
Facerias. À ce moment-là, on était cinq mille à cotiser sur Toulouse,
mais aux assemblées on était cent cinquante personnes. Dans l’en-
semble, les gens étaient d’accord avec les actions armées faites en
Espagne. Ceux qui ne l’étaient pas étaient les officiels parce qu’ils
disaient que cela compromettait l’activité de la CNT. Ce n’était pas
qu’ils avaient peur mais c’était continuer le train-train, la bureau-
cratie.

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Il y a eu une deuxième rencontre mais rue Merly, à la Bourse du


travail, avec la CNT marginale, celle dont j’étais, qui n’était pas
d’accord avec le Comité national. À Toulouse, ceux liés avec le
Comité national ont quitté la rue Merly et formé un Comité local de
la CNT au 4, rue Belfort où siégeait le MLE. À cette rencontre je
suis allé avec Oriol et Jean-Marc, ils voulaient montrer à l’organi-
sation qu’ils étaient surtout des anarchistes et non des terroristes.
Après avoir discuté, ils ont laissé la brochure (CIA) et leur ont dit :
« Vous nous donnerez une réponse par l’intermédiaire de Negro ».
Ils sont venus ensuite chez moi, ils tremblaient : « Avec moins que
ça, on nous met droit en prison, c’est une provocation ». Je leur ai
répondu : « Dommage que vous en soyez arrivés à ce stade car en ce
moment, c’est dans un couvent que vous devriez être, laissez-nous
tranquilles, vous n’arrivez pas au niveau des républicains », mais
Zapata, un vieux militant qui a été en prison, venait toutes les
semaines aux nouvelles car cela l’intéressait. C’était le seul et à titre
personnel. Mais si ceux, à Toulouse, qui représentaient Frente liber-
tario, n’étaient pas d’accord, ce n’était pas partout le cas puisque
dans le journal avant leur arrestation, il y a eu un article qui parlait
très bien d’eux, de leur activité, de leur action et de leur moralité.
Antonio Tellez : Frente libertario n’était pas un courant ou ten-
dance, c’était le résultat de problèmes, d’anomalies de conduite :
centralisme, dirigisme, etc. La décision d’éditer le journal Frente
libertario est partie d’une réunion qui a eu lieu à Narbonne dans
les deux premiers jours de mai 1970, avec l’assistance de repré-
sentants des groupes expulsés par l’Organisation (CNT de l’exil), de
Bordeaux, Paris, Marseille, Lyon, Perpignan, Narbonne, Béziers et
Macau (Gironde). Le n° 0, annonçant la parution régulière du
journal, est sorti en juillet 1970. Le n° 1 en septembre 1970 et le
n° 77, le dernier, en mars 1977. Quand les expulsés ont publié le
journal comme trait d’union entre les expulsés de l’exil, l’exil et la
CNT d’Espagne, il était prévu d’arrêter la publication dès lors que
la CNT fonctionnerait en Espagne. Ce fut le cas en 1977.
Il n’y a pas eu de numéro spécial ni d’articles avant les arrestations.
La première fois que le journal a parlé du MIL, c’est dans le n° 38 de
janvier 1974, sur l’ajournement du Conseil de guerre qui avait été
prévu pour le 16 décembre 1973. Dans le n° 39, il y a eu un article,
avec photo en première page, sur l’infâme condamnation de Puig

207
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Antich. Dans le n° 40, presque deux pages sur le « crime commis ».


Dans le n° 41 d’avril, en première page et toute la deuxième, « L’in-
dignation à Barcelone et dans le monde par l’assassinat ».
Sancho : À la fin des années 1960 et au tout début des années
1970 à Barcelone, il n’y a pas de groupes anarchistes ou ultra-
gauches et les seuls qui s’en sentent proches, c’est nous et quelques
groupes d’ouvriers comme Nuestra Clase et les GOA. Cela signifie
qu’au niveau espagnol, les seuls contacts possibles sont avec les
groupes armées de la gauche orthodoxe comme la OLLA, en prin-
cipe le bras armé du parti catalaniste appelé PSAN-P qui, peu à
peu, est séduit par des positions semblables aux nôtres. Et aussi
avec un groupe d’étudiants libertaires qui veut faire le saut vers
l’agitation armée.
Vu son isolement et pour des motifs familiaux, le MIL agit étroite-
ment avec la OLLA (Felip est notre cousin) pour arriver à attaquer
des banques ensemble. Mais dans le fond, c’est une relation mélan-
gée de mercantilisme car leurs postulats ne nous intéressent pas.
Avec l’ETA avant 1973… Tous ces amalgames de contacts, ajoutés
à ceux avec les Italiens de Lotta continua qui agissent activement
avec des groupes ouvriers de Barcelone, sont, en principe, des
contacts d’Oriol et deviennent peu à peu ceux de tous. Parallèle-
ment, Jean-Marc a des contacts avec des anarchistes français
(CNT française, ORA, etc.) et espagnols du Frente libertario qui
nous furent bien utiles pour avoir certaines armes.
Les contacts avec la Vieille Taupe viennent de Santi Soler et d’Igna-
cio et ils sont déterminants pour l’histoire du MIL. En exagérant
un peu, on peut dire que la VT joue le rôle de commissaire politique
du MIL. Ce sont eux qui nous conseillent ou plutôt impulsent l’au-
todissolution si on voulait continuer à travailler avec eux.
Aurore : Dans un état policier, on ne peut pas aborder les gens
comme ça. La plupart du temps, ce sont des copains de classe, de la
famille, des cousins.
Sancho : Salvador était le seul à avoir conservé des contacts avec
la famille et les amis à Barcelone. La clandestinité est une spirale
dans laquelle tu restes seul. À l’intérieur d’un espace d’œuf, nous
restions très isolés. De plus, à part Salvador, nous ne voulions rien
savoir. Nous étions seuls et c’était comme si nous étions au-dessus
du bien et du mal. ■ Cuenta atrás.

208
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Sur l’exclusion de Montes


Courant mars et début avril, une partie du MIL/GAC rompt
ses relations avec Montes et sa compagne Beth. Ce n’est pas un
désaccord d’ordre politique mais parce que le personnage a, entre
autres, un comportement douteux vis-à-vis de l’argent. Montes ne
s’éloigne pas trop du groupe. À Barcelone, il conserve des contacts
avec Puig et le groupe de Felip. Il est présent avant et lors des
arrestations de septembre 1973 et au sein du comité de solidarité
aux emprisonnés de l’ex-MIL.

Sancho : Montes revenait chaque fois qu’Oriol était arrêté : « Vous


connaissez personne, moi j’ai des contacts ». Je ne sais pas comment
on a pu le supporter. On a appris peu à peu que Montes utilisait
l’argent pour lui. Comme il avait des contacts avec les catala-
nistes, il leur vendait du matériel d’imprimerie. On le passait à tra-
vers la frontière et lui le vendait.
Aurore : Il a su claquer allègrement l’argent confié, avec Beth,
dans une tournée européenne vers février-mars 1973, en pas-
sant par la Suisse, la Belgique (et sans doute la Hollande). Ils
revinrent sans le matériel (ou peut-être une bricole). C’est à leur
retour qu’ils furent expulsés du MIL. Beth n’a pas été vraiment
expulsée du MIL (autant que je m’en souvienne). Elle pleurait
aux termes de la dure discussion qui eut lieu dans l’appart, rue
Lancefoc. Elle a en somme suivi Montes. Il lui a été proposé de
rester, mais elle est partie avec lui. Montes était bon phraseur,
certes, plus réfléchi. Je pense qu’il savait relativement évaluer les
choses. Il a été mis en retrait en mars 1973. Il avait pris de l’ar-
gent pour aller acheter des armes, prendre des contacts. Il a vécu
dans les hôtels, les restos. À part ça, à l’époque j’aimais bien
Montes aussi.
Queso/Sancho : Montes fut exclu, non pour avoir vendu des
machines volées par nous, mais parce qu’on ne supportait plus ses
magouilles. Il faisait toujours des embrouilles et fournissait des
informations inexactes, présentées en fonction d’objectifs qui, en
fait, ne correspondaient pas à ce qu’il nous avait expliqué. Si on ne
l’a pas expulsé avant, c’est uniquement du fait de notre propre fai-
blesse infra-structurelle. ■ Entretien avec Sergi Rosés.
El Petit : Je crois tout sur Montes.

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Sebas : Par rapport à Montes, difficile de faire comprendre quel fut


son rôle et si je l’ai moi-même bien compris. À mon sens, il n’était ni
de l’EE, ni l’ET, mais de tout à la fois. Un enlace (un lien), un
contact.
II servait souvent d’intermédiaire entre nous et de contact avec
d’autres groupes barcelonais étudiants ou ouvriers. Par exemple,
quand nous avons fourni une machine d’imprimerie à Bandera
Roja, la livraison s’est faite sous les auspices de Montes et de son
autre frère, Raimon, plus jeune, alors membre d’une autre orga
gauchiste.
À partir de l’automne 1972, son rôle se réduisit considérable-
ment. Il se trouva marginalisé de la dynamique principale du fait
même qu’il ne voulait pas participer directement aux actions
armées. Mais il fonctionna avec nous jusqu’au début 1973. Le
trop-plein des reproches que nous lui faisions explosa suite à
une connerie qu’il fit. Prétextant des contacts et achats de matos
en France, il partit plus d’un mois en vacances aux frais de la
princesse. Et revint sans rien. Du coup, la princesse ne fut pas
contente. Il fut mis au rencard. Pas trop loin puisqu’il poursuivit
sa route avec le groupe Felip, le plus proche de nous. Au début du
printemps 1973, il ne participa plus à aucune des réunions de
décisions.
Maintenant, je pourrais mieux comprendre sa position et voir la
nécessité de personnes comme lui, d’autant plus que ce rôle en fai-
sait la cible de toutes les structures et de tous militants. Une
forme de bouc émissaire, et sa personnalité ne faisait rien pour
arranger les choses.
Mais nous avions effectivement maintenu le contact avec lui en
1973, via Puig. L’appartement que nous avons occupé en septembre
1973, était une structure de Montes, louée par Beth.
Sancho : Après le hold-up de Fabra y Puig, nous avons décidé,
Sebas et moi, que nous ne voulions plus rien savoir de lui, tandis
que le Metge faisait le va-et-vient entre lui et nous. Nous sommes
partis en France pour attendre que les indécis se décident. Au
bout d’un mois, Queso et le Metge rompent avec Montes et lors-
qu’ils arrivent à Toulouse, ils ont la surprise de découvrir que
nous avons édité la brochure CIA 1 au contenu nettement anar-
chiste.

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Sebas : Le départ de Montes n’impliqua absolument pas la perte


du contact avec l’OLLA. Absurde. Puig assurait le contact réguliè-
rement. Et justement durant cette période, il cultiva ces divers
contacts…

LE PRINTEMPS-ÉTÉ DU MIL/GAC

Depuis la fusillade du 2 mars, aucune expropriation n’est


effectuée et l’argent commence à manquer. C’est l’une des raisons
qui les décide à retourner à Barcelone et de reprendre le combat
armé.

Sebas : Nous organisons un passage de frontière fin avril avec


deux voitures par la ferme Torre de Gelabert. Il y avait là Sancho,
Queso, Cricri, Aurore, Puig, le Légionnaire, Dandy et moi. Nous
étions parfaitement renseignés sur le système de mise en place des
contrôles de la Guardia civil dans la région. Donc, nous devions sou-
vent faire une halte pour attendre la levée d’un contrôle. Nous en
profitions pour manger ou boire un coup.
Ce jour-là, nous étions trop nombreux pour aller dans un restau.
Nous avions donc prévu un repas froid. Après Ribas, nous avons
enquillé dans un petit chemin de terre sur une centaine de mètres.
Et nous nous sommes installés, les paniers sur les capots des voi-
tures, serviette autour du cou pour Cricri ! Au bout d’un moment,
avec Sancho, nous sommes allés pisser dans le chemin plus haut.
Et nous sommes tombés nez à nez avec deux gardes civils qui des-
cendaient vers la route, le Cetme en bandoulière.
Nous sommes revenus aux voitures sans courir en annonçant sim-
plement leur arrivée. Ceux qui avaient fini commençaient à ranger
à toute vitesse. Cricri avala deux œufs durs qu’il venait de dépiau-
ter et qu’il ne pouvait pas ne pas manger.
Après un bref dialogue avec les flics, la première voiture fila. Mais
la Fiat 850 d’Aurore, conduite par Dandy refusa de démarrer et les
deux guardias ont aidé à pousser. Et c’est ainsi que nous avons
continué notre route sur Barcelone, grâce à un coup de main de la
police franquiste.
À Barcelone, Aurore, Dandy et le Légionnaire s’installèrent avec
nous dans l’appart. Cricri avec Sancho. Séjour sans problème.

211
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Durant cette période, nous utilisons Dandy à certains repérages,


notamment pour le commissariat central de Layetana.
Mais une nouvelle fois nous devons repasser par la conquête du
nerf de la guerre, une banque.
Quelqu’un nous dit qu’il y avait de l’argent ce jour-là ou durant
cette période. Mais l’argent n’était pas le seul objectif de l’affaire.
Nous devions réapparaître sur Barcelone les armes à la main et
dans une action spectaculaire.
De fait, l’action a été préparée comme action politique de propagande
armée. Il n’y a pas d’autres mots. Et le résultat fut évident. Nous
aurions détruit un symbole de la dictature, de l’armée ou de la police
fasciste, nous n’aurions pas eu autant d’impact politique immédiat.
Si nous avons renoncé à « faire » Juan Creix, nous discutions sou-
vent d’opérations politiques de sabotage et de destruction. Nous
avons descendu à Barcelone, en début d’année, trente kilos de
dynamite donnée par un groupe autonome de Grenoble (dont deux
furent tués par l’explosion de leur propre bombe quelques mois plus
tard) (53). Puig a dégoté l’adresse du chef de la BPS responsable de
la répression de San Adrián (54). Un certain Peirot ou Peirat, je ne
sais plus, on l’appelle l’homme au cigare. Il se charge lui-même des
repérages car il le connaît d’une manif à l’université.
Sancho : Une fois, on a passé la frontière avec des bâtons de
dynamite cachés dans le moteur et, au poste de douane, le gen-
darme nous contrôle et nous dit : « Vous cachez des armes ! »…
C’était une blague.

53 – C’est en juin 1973 qu’une violente explosion dans un appartement de


Grenoble (Isère) provoque des blessés et la mort de quatre personnes : deux
garçons (dont un Espagnol), une fille d’un groupe libertaire et un voisin. Une
mauvaise manipulation serait à l’origine de l’explosion.
54 – Contre les conditions de leur exploitation, les ouvriers (près de mille huit
cents) qui construisent la centrale thermique à San Adrián del Bésos (banlieue
de Barcelone) décrètent la grève générale et utilisent le chantier pour tenir
leurs assemblées. Le 3 avril 1973, la police intervient violemment et empêche
les ouvriers de pénétrer dans l’entreprise. C’est l’affrontement, la police tire à
balle réelle tuant Manuel Fernandez Marquez, âgé de 27 ans et blessant
grièvement deux autres ouvriers. Les éditions Mayo 37, éditent en février 1974
Dossier : Térmica – San Adrián del Bésos, qui raconte le déroulement de la
grève et l’assassinat.

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Expropriation du Banco Bilbao


Le 6 juin, à 9 h 40, au n° 25 de la calle Mayor à Sarria, quartier
de Barcelone, ils sont trois à pénétrer dans la banque et ressortent
avec trois cent mille pesetas. Pour la première fois, l’action est
revendiquée MIL/GAC, à l’aide des petits tracts (1/2 format) impri-
més à Toulouse.

Aurore : Pour obtenir un véhicule pour l’atraco, Puig et Sancho


s’habillent en bleu de travail pour avoir l’air d’ouvriers et se met-
tent sur la route. Ils interceptent une Seat 124 conduite par un étu-
diant et Sancho prend le volant.
Sebas : Cricri, le Légionnaire et moi attendions dans un terrain
vague en contre-bas à une centaine de mètres à proximité du
Camp de Futbol de Can Caralleu. Dandy et Pedrals attendaient
plus loin dans deux voitures légales au cas où. Sur la sortie de la
banque, et dès la fin, en nous voyant partir, ils doivent nous
rejoindre au lieu prévu pour l’éclatement.
L’attente est longue. Le Légionnaire porte une perruque noire.
Cricri est décontracté en costume. Pris d’une envie soudaine, il va
se planquer derrière un buisson. La 124 blanche descend en caho-
tant sur le chemin. Le propriétaire a une cagoule sur la tête. Il est
sur le siège à l’avant. Cricri sort du buisson avec le pantalon à moi-
tié cuisses…
Sancho et moi ficelons le mec et tentons de lui faire comprendre
qu’il n’a rien à craindre, nous sommes des politiques. Le discours
habituel de Sancho. Je lui glisse une poignée de tracts dans ses
poches intérieures. Et on entreprend de lui coller du sparadrap sur
la bouche. Laborieux et imparfait. Mais bon, il fallait passer à la
suite.
Cricri prit le volant. Il se gara le long de la vitrine de la banque
deux roues sur le trottoir, à l’entrée d’une petite rue perpendicu-
laire.
Dedans. Puig fit le coffre. Lunettes noires. Je le revois passant
dans le fond de la banque avec un énorme sac lourd de pièces de
monnaie. Il y avait si peu qu’il avait dû faire le compte avec les rou-
leaux ! Sancho faisait les caisses. Je le couvrais devant le comptoir
avec le colt, une Sten sous le parka. Le Légionnaire faisait la porte
avec une autre Sten dans son sac.

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La sortie était bien étudiée. Nous avons rejoint l’ancienne, déjà uti-
lisée pour l’opération de janvier à la cité de la BPS. Même abou-
tissement. Seulement, voilà. Ni Pedrals, ni Dandy ne sont là avec
les voitures prévues pour la suite. Personne. À peine descendu de la
voiture, je vois deux 091 monter à fond la caisse la Diagonal. Puig
traîne les sacs de matos à sa voiture en attendant. Nous hésitons à
partir chacun de notre côté.
Un taxi passe par hasard, Sancho le prend avec Cricri, je crois. Le
Légionnaire part à pied vers la grande place. Puig et moi, nous
poursuivons avec la Renault bleue et donc les sacs.
Pedrals avait encore foiré. Dandy avait bien vu notre voiture pas-
ser. Comme Pedrals ne démarrait pas, il était descendu pour lui
parler. Lui n’avait rien vu donc il fallait rester. Et les deux voitures
légales étaient ainsi restées en plein dispositif…
L’opération fit grand bruit. Les journaux parlent d’une organisation
armée de type tupamaros. Nous avons monté cette opération
comme une action politique et elle a été comprise largement comme
une action politique.
Cela fut très clair aussi lors des contacts à Barcelone même. Nous
agissions enfin comme groupe de guérilla. Et cela ne pouvait que
porter ses fruits.
D’autant plus que le groupe de Felip nous proposa une collabora-
tion pour une nouvelle attaque. Nous devions fournir du matos et
deux camarades pour participer à l’attaque de la Poste centrale, via
Layetana.. Ils avaient une très bonne info. Puig me proposa de faire
la couverture dans la rue derrière. Lui monterait avec deux gars.
D’abord, nous fûmes d’accord. Puis il y eut un problème et nous
n’avons pas fait le coup.
Avec une détermination sans faille, deux camarades de ce groupe
firent le coup. Au second étage du bâtiment, dans des bureaux
réservés aux employés, ils laissèrent une fausse bombe dans une
boîte de chaussures pour protéger leur fuite. Ce coup-là fit aussi
grand bruit.
Felip : On planifia l’expropriation de la Poste centrale de Barcelone
pour la faire de concert avec le MIL. Puig Antich devait participer
avec d’autres. Deux jours avant, ils ont dit non, parce qu’ils pen-
saient que c’était impossible. Présence de la police nationale et de
la garde civile dans l’édifice, ils ne savaient pas qu’un de nos com-

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pagnons travaillait à la Poste et qu’on avait de nombreuses infor-


mations. C’était loin d’être facile mais nous voulions le faire pour
ridiculiser les corps de sécurité. En réalité, l’opération n’était pas
dictée par un besoin impérieux d’argent mais pour développer
d’autres types d’activités. L’opération fut un succès mais le MlL n’y
participa pas.

Expropriation du Banco espagnol de credito


(succursale de Banesto)
Le 19 juin, vers 11 h, au n° 23 Gran Via de Carlos III, ils
pénètrent dans la banque, sortent avec trois millions sept cent
vingt-quatre mille pesetas et rejoignent les deux véhicules qui les
attendent dont la Seat 124 utilisée pour l’attaque du 6 juin.

Sebas : C’est le groupe de Felip qui nous donna l’info. La banque


est située dans l’immeuble Trade, un édifice moderne d’un archi-
tecte connu. Temps clair, soleil et terrain sec !
Nous étions cinq à entrer. Sancho, Puig, le Légio, Queso et moi.
Donc, Cricri était au volant.
J’ai enfilé un passe-montagne rouge (!) et je suis immédiatement
monté sur la gauche en entrant par un large escalier légèrement
courbe qui donnait accès à une grande mezzanine faite de bureaux
et d’une salle. J’avais deux calibres. Un dans chaque main ! Jala !!
Le Légio faisait la porte avec la Sten.
De l’escalier dominant la salle principale, je balançai deux grosses
poignées de tracts. Une impression de manif. Une occupation plus
qu’un braquage…
Puig sorti le premier avec le fric, puis Queso et Sancho. Je pense
que Puig devait en fait conduire l’une des deux voitures de fuite…
La sortie était très speed et complexe. Mais bon, tout se passa
bien.

Les tracts qui revendiquent les hold-up, le 6 et le19 juin, sont


les mêmes. Au recto, un texte titré : « L’agitation armée exige tac-
tique du mouvement ouvrier » et au verso, des mots d’ordres. Ils
sont tamponnés des deux côtés : Grupos autónomos de combate/
MIL.

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« L’agitation armée exige tactique du mouvement ouvrier.


La situation exige l’accomplissement de toute une série de
tâches vitales pour la consolidation de la stratégie autonome
de la lutte de classe.
Mais il est évident que ces tâches (récupération de matériel,
renforcement des caisses de solidarité, etc.) ne peuvent être
exécutées par des groupes militaristes petits-bourgeois qui
drainent avec eux les mêmes dangers de contrôle et de diri-
gisme politique que le PC et autres groupes léninistes. Il faut
s’opposer à la répression policière par la violence armée prolé-
tarienne. Durant des années, les groupes ouvriers se sont
organisés spontanément dans les luttes, en organisant des
groupes d’autodéfense, des piquets de grève, etc., qui ont
répondu aux exigences du moment d’une manière purement
éphémère.
La généralisation des luttes, jointe à l’intensification de la
répression, entraîne l’apparition indispensable de nombreux
groupes autonomes de combat dont les hold-up et autres
actions violentes se situent dans un cadre général d’agitation
armée.
Il ne s’agit donc pas d’actes gratuits ou d’une stratégie étran-
gère à la classe ouvrière (comme dans le cas des groupes mili-
taires petits-bourgeois qui dévient la violence quotidienne de la
lutte ouvrière vers le nationalisme, par exemple). Il s’agit
d’une exigence tactique du mouvement ouvrier correspondant
à la situation actuelle des luttes de classe et de leurs objectifs :
l’auto-organisation d’une classe qui permet d’arriver à la grève
insurrectionnelle. »

Et au dos, en gros caractères :

« Pour les Conseils ouvriers – Pour le communisme libertaire –


Pour l’auto-organisation de classe – Pour l’autogestion – À la
grève insurrectionnelle – Vive l’Anarchie. »

Les journaux de Barcelone relatent le déroulement de ces


hold-up, en abordent le caractère politique en parlant de « groupe
anarchiste », de « groupe de combat du mouvement libertaire espa-

216
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gnol », mais ils détournent le contenu du tract en écrivant que l’ar-


gent des vols est destiné aux ouvriers sans travail.

Sebas : Immédiatement, un groupe remonte sur Toulouse, dont le


Légio, Sancho, Cricri (?). La réception d’Oriol est au programme.
Aurore monte également pour louer de nouveaux appartements et
revient à Barcelone.
Pour ma part, je reste deux ou trois semaines, peut-être plus, pour
avancer avec Puig dans les discussions et les perspectives de
restructuration.
Je crois que c’est à ce moment que l’Assemblée de Catalunya (55)
demanda à rencontrer l’un d’entre nous. Je rappelle que l’Assem-
blée regroupait tous les partis, syndicats et groupuscules que comp-
tait l’antifranquisme en Catalunya. Puig accepta de nous repré-
senter lors de la rencontre. De plus, d’un autre côté, le cardinal de
Pax Christi tentait une autre démarche pour nous « convaincre
d’abandonner les armes ». Ce cardinal appartenait au clan familial
Solé.
Selon Puig, la rencontre avec l’Assemblée se déroula poliment
mais, visiblement, certains jouaient à jeter de l’huile sur le feu. Il
me raconta qu’un membre proche du PSUC (PCE) exigeait que
nous leur donnions cinquante millions de pesetas pour financer les
activités de l’assemblée populaire...
Pas moins ! Il n’y eut pas de seconde rencontre.

À propos de l’argent exproprié : refus du travail salarié ?


Sancho : La seule justification pour les hold-up, c’étaient les édi-
tions. C’était la seule chose que tout le monde voyait clairement
mais, derrière les éditions, tout ça était une justification d’un cer-

55 – L’Assemblée de Catalunya se constitue en 1971 dans une église à Barce-


lone avec trois cents personnes représentant diverses tendances politiques :
des communistes, des socialistes, des républicains, des syndicalistes et des
chrétiens démocrates. Un communiqué dévoile les points principaux de l’ac-
cord : amnistie générale pour tous les prisonniers politiques et liberté de
réunion, d’expression, d’association, de manifestation, et de grève, etc. L’As-
semblée « prépare » la transition démocratique qui aura lieu… en 1977.

217
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tain style de vie. Un alibi, mais avec la trouille que si tu tombais en


Espagne, tu risquais la peine de mort, c’était très dangereux.
Queso, Salvador et moi, c’était pour ne pas travailler. Il y avait
aussi de la politique mais c’était surtout une sortie personnelle de
chacun. Nous commettions un hold-up et automatiquement, nous
allions manger, nous nous tapions un bon repas.
Queso : Vivre dans la clandestinité coûtait très cher. Nous étions
toujours en train de bouger et dans la clandestinité. ■ Entretien
avec Sergi Rosés.
Sancho : Les infrastructures, les voitures, les frais de déplacement
et ceux de l’existence quotidienne absorbent presque tout l’argent
et nous ne sommes pas non plus de ces bandits du Moyen-Âge qui
volent aux riches pour donner aux pauvres. ■ Entretien avec
Sergi Rosés.
Sebas : Nous étions rebelles à la dictature franquiste mais aussi
à l’ordre capitaliste et à la vie quotidienne métro-boulot-dodo
qu’il imposait avec le modèle occidental du fordisme. Nous por-
tions en nous ce refus radical et complexe mais aussi contradic-
toire avec le sens révolutionnaire du radical et de l’efficacité.
Nous étions provocateurs par nos actes, nos attitudes et certains
textes…
Nous refusions non seulement le salariat mais nous refusions
aussi la normalité. À l’époque, beaucoup allaient rejoindre les
communautés. Nous, nous étions également une sorte de com-
munauté combattante, vivant de désirs concrets de révolution et
d’actes réels.
Il y avait aussi pas mal de romantisme dans ce choix d’engage-
ment, du moins pour moi, c’est certain. Et souvent nous prenions
des risques insensés pour des futilités. Par bravade.
Nous étions très très jeunes, dans le MIL combattant. Oriol était le
plus vieux avec vingt-quatre ans. J’en avais vingt à vingt et un aux
moments les plus durs. Nous étions à une époque-clé où nous
devions combiner de puissantes tendances historiques, celle de
l’antifranquisme guérillero traditionnel (Sabaté) finissante, le gau-
chisme né de 1968 et fort des tendances les plus extrêmes, les
plus loufoques parfois, et enfin, la tendance naissante des mouve-
ments armés qui dominèrent l’espace politique de l’antagonisme de
classe en Europe et ailleurs.

218
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Notre refus du salariat ne signifiait pas que nous ayons opté pour
l’illégalisme (au sens idéologie du refus individuel et de la récupé-
ration). La plus grande partie du fric partait dans l’action politique
véritable et non dans notre vie quotidienne. Je crois qu’au début,
nous avons donné plus d’argent que nous n’en conservions, comme
aux GOA après la première opération. Puis notre fonctionnement
devint un véritable gouffre. Nous devions maintenir une infra-
structure de plusieurs personnes clandestines, apparts, voyages, vie
quotidienne, armes, etc., dans deux villes différentes, Toulouse et
Barcelone… Le but n’était pas de donner du fric comme nous
avions donné des machines et de la propagande. Le but quand tout
ça avait été monté, doté d’une expérience de lutte véritable, il fal-
lait le mettre au service du peuple (!), au service de la lutte du pro-
létariat dans l’action politique contre la bourgeoisie et donc, dans
un premier temps, contre la dictature.

Le 20 juin, Oriol sort de la prison Saint-Michel de Toulouse


après neuf mois de détention. Il est interdit de séjour dans certains
départements et assigné à résidence à Cahors (Lot). Il doit signer
tous les quinze jours au commissariat de la ville. En réalité, il
renoue avec le combat et séjourne à Toulouse, ne venant à Cahors
que pour signer.

Sebas : Je passe la frontière avec Aurore, c’est elle qui connaît le


passage de Saneja-Guils (village de Cerdanya). Elle l’a fait une fois
avec Sancho pour remonter.
En arrivant à Toulouse, j’ai rencontré Oriol. Immédiatement j’ai vu
que ça serait dur de le faire renoncer à la vieille appellation. Nous
nous sommes vus et revus, Cricri, lui et moi, Sancho souvent. Oriol
était le seul à vouloir maintenir le MIL coûte que coûte. À mon avis,
avec le recul du temps, je crois qu’il a accepté superficiellement la
dissolution, avec la ferme intention de remettre la question sur le
tapis quelque temps plus tard. Ce qu’il tenta de faire en septembre
avec l’expropriation de Bellver.
Il fallait seulement l’amener à accepter la dissolution. On ne crai-
gnait qu’une chose, autant Puig et moi que ceux de la Biblio-
thèque, c’est qu’il fasse immédiatement ce qu’il fit plus tard en sep-

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tembre. C’est-à-dire mettre sur pied une accélération à partir de ses


propres évaluations. Et il était clair qu’Oriol avait un an de retard
sur nous, formés par la lutte au cours de cette année. Et de ce fait,
malgré ses capacités véritables, il n’était pas en mesure de diriger
avec succès le saut.

Au cours de cette période le groupe abandonne l’appartement


rue Lancefoc, Cricri quitte momentanément la rue des Blanchers,
pour des raisons de sécurité et loue un appartement rue Urbain-
Vitry. Ils ont trois « appartements de fonctionnement », loués par
Aurore : un studio rue Pargaminières, un appartement route de
Seysses, un autre rue Peyrolières et un garage pour le matériel.

Sebas : Celui de la route de Seysses, dans une petite cité, devait


être un lieu de réunions mais, de fait, il servit très peu.
C’est rue Peyrolières que fut montée et agrafée la brochure CIA
n° 2. Il y avait une grande table au centre de la grande pièce. Les
feuilles étaient placées en différents tas successifs, et nous tour-
nions en rond autour de la table pour monter les revues. À la fin de
cette chaîne, Cricri agrafait et massicotait. Il massicotait si bien
qu’un jour, il s’était coupé le bout d’un doigt.
Je me souviens le retour chaotique d’un soir de fête dans cet appar-
tement. Les gens d’Empalot nous avaient organisé un grand thé
empoisonné. Le cuistot « tonton ». Il y avait là un max de monde.
Pour nous, je revois le Secrétaire et Puig. Peut-être Cricri. Je crois
qu’on avait eu un problème avec les voisins du dessous à cause de
ce soir-là. Trop de bruits…
Aurore : Rue Peyrolières, face à la rue Clémence-Isaure, apparte-
ment que j’avais loué, avec sortie possible sur une mini-cour der-
rière les Beaux-Arts, nous nous réunissions plus facilement parce
que plus grand que le studio de la rue Pargaminières. Au deuxième
étage, un meublé avec téléphone en passant par le standard de la
gardienne, le seul téléphone que nous ayons eu à l’époque à Toulouse
(et la gardienne nous passait tous les appels en espagnol d’office).
Oriol qui, à sa sortie, avait les habitudes de prison, était bien le seul
à se lever tôt et à faire quelque ménage dans le ou les apparts. C’est
comme ça qu’un jour, rue Pargaminières, il a balancé dans un

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vide-ordures une barrette de shit et que, réveillés, les copains


voyant la table nettoyée se sont inquiétés puis sont allés faire les
poubelles au sous-sol.

Le Légionnaire disparaît avec la caisse


Courant juillet, le Légionnaire, qui a participé aux deux der-
nières expropriations du MIL/GAC à Barcelone, quitte le groupe,
s’enfuit de l’appartement de Maria en emportant près de deux
millions de pesetas et deux armes. Personne ne le reverra.

Sebas : Lors de son unique voyage à Barcelone, nous avions rapi-


dement vu que le Légio ne tiendrait pas avec nous. Différence de
génération, de politisation. Au fond de lui, il devait sentir qu’avec
nous, ça ne collerait pas bien longtemps. Et il prit les devants
dans une fuite crapuleuse. Heureusement, n’était entreposé là que
peu de matos à ce moment précis. Deux calibres et environ deux
millions de pesetas (une somme énorme pour l’époque) planqués
dans le canapé-lit. Il vida le tout et quitta la région.
Maria nous attendait en haut de son escalier. Elle nous dit : « Il a
tout pris ». À peine s’en était-elle rendu compte qu’elle nous avait
prévenus.
Il est clair que si nous le retrouvions, nous le descendions sans dis-
cuter : sauf s’il revenait de lui-même, comme nous le fit promettre
Puig. Chose que je ne croyais évidemment pas. Maria était sûre
qu’il avait quitté la ville mais qu’il ferait un saut un jour ou l’autre.

Le Metge oublie sa sacoche dans un bar…


Le 20 juillet, le Metge a rendez-vous avec le Secrétaire et Eva,
dans le bar Caspolino sur la place Gala Placidia. En sortant, il
oublie sa sacoche qui contient cent mille pesetas, une arme, des
clés, des papiers d’identité avec des noms différents mais aussi sa
véritable carte d’identité et les papiers de l’appartement calle
Sales y Ferrer. Le tenancier prévient la police. Cette dernière loca-
lise l’appartement et intervient le lendemain à cinq heures du
matin. Mais il est trop tard, le Metge a déménagé l’essentiel. La
police y trouve des disques, des munitions et une grande quantité
de documents, de notes et de livres subversifs.

221
B-79 à222 11/04/07 16:32 Page 222

El Petit : Au sujet du sac du Metge, il est possible que cela soit en


juillet. À cause de mes problèmes de santé, le congrès de juillet
avait été retardé en août et j’ai été un mois dans ma famille, loin de
la ville. Montes et Beth venaient me voir.
Sebas : Puig arriva (avec Queso et Quesita ?) fin juillet à Toulouse,
pour participer au Congrès d’autodissolution. Il nous expliqua l’af-
faire du bar, à la limite de Gracia (toujours !). Il avait donc rendez-
vous. Queso aussi peut-être. Il faisait chaud. Il avait mis son
calibre, un P 38, dans son petit sac. Et, tête en l’air, il l’oublia sur
une table. Quand il revint sur ses pas, après avoir fait dix mètres
dans la rue, il se précipita. Trop tard. Le patron du bar était déjà en
train de l’ouvrir sur le comptoir.
ll prit sa voiture, remonta à Sales y Ferrer pour déménager immé-
diatement l’appartement. Il chargea tout ce qu’il put, les armes, les
explosifs (toujours la trentaine de kilos), les pièces de monnaie, etc.,
et le passa au groupe de Felip. L’explosif servit plus tard, lors de la
campagne contre les procès MIL. C’est ce que m’a dit Montes en
juillet 1974. Il s’installa ensuite dans l’appart de Queso à Horta. La
police ne devait pas tarder à localiser l’appart puisqu’il avait les
papiers de location dans le sac oublié.
Le fait de s’être retrouvé sans une arme pour récupérer son sac
l’amena à demander de porter deux armes. Et depuis, certains
d’entre nous firent ce choix. Lui tout d’abord, et c’est ainsi que lors
de son arrestation il était en possession de deux automatiques. Et
moi bien sûr, qui portais en plus du 45, un 38 spécial 4 pouces.

Au cours des mois de juin-juillet, en prévision du Congrès (?),


le Metge travaille sur un texte à usage interne (?) intitulé : « His-
toria « terible », diciembre 1972-julio 1973 ». Texte qui ne sera
jamais publié. Ce document, un brouillon, se compose de six pages.
La première page est pour moitié tapée à la machine à écrire, le
reste est manuscrit avec des ratures… C’est un « texte » bilan, très
critique sur la ligne politique du groupe.

222
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DU CONGRÈS
À L’EXÉCUTION D’ORIOL
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Thèmes et sous-thèmes abordés :

Le Congrès et l’autodissolution du MIL


Les raisons du Congrès – Positions et états d’âme – Texte
d’autodissolution et sa rédaction…
Les arrestations
Expropriation à Bellver – Arrestations et incarcérations en
cascade – Fusillade lors de l’arrestation du Metge, mort
d’un policier – Reconstitution du déroulement des arres-
tations – Les incarcérations…
La solidarité
Mobilisation à Barcelone, Toulouse, Paris… – Les rescapés
s’organisent, Sancho et Eva scissionnent – Exécution de
Carrero Blanco – Diverses arrestations…
Le Metge condamné à mort
Le Metge et Chez exécutés – Réactions – Diverses arres-
tations et procès – Mort de Franco.
Oriol assassiné
Évasion de la prison de Ségovie – Capture de Queso et
mort d’Oriol…

LE CONGRÈS ET L’AUTODISSOLUTION DU MIL

Par affinités, par accords politiques ou pratiques, des individus


se retrouvent à un moment donné, mais leur évolution et leur
orientation ainsi que la situation historique font que des diver-
gences apparaissent. Cependant, force est de constater que les cli-
vages, les regroupements sont quelque peu chamboulés, ils peuvent
être d’accord sur une décision mais pour des raisons différentes,
c’est toute l’histoire de ce Congrès et de l’autodissolution du MIL.
Parler de congrès est un bien grand mot pour définir les réunions
d’une organisation qui, selon les paroles de certains, n’a jamais
existé.
Le Congrès se déroule dans le courant du mois d’août à Tou-
louse, du côté de l’avenue Crampel, dans l’appartement de Muriel

225
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 226

(Mumu) qui se joindra à la campagne de solidarité au sein des


GARI en participant à quelques attentats. En mars 1977, à Tou-
louse, elle se jette dans le vide, d’une coursive d’un immeuble du
quartier d’Empalot. Quartier où elle vécut de nombreuses
années.

Sancho : Dans un groupe aussi réduit, le mot congrès est complè-


tement incongru. Mais avec les nouveaux recrutements, le leade-
risme et l’expérience acquise par les anciens membres, chacun
tirait de son côté et il a été nécessaire de se rencontrer pour mar-
quer les lignes à suivre. Ce fut cela le congrès. Y ont participé
tous les membres du MIL, à savoir : Santi Soler, Xavier, Eva, Par-
diñas, Queso, Cricri, Quesita, Salvador, Jean-Marc, Aurore, Oriol et
moi. Txus n’était pas là. Il est venu à Toulouse après les arresta-
tions, il avait une copine dans la ville. Le Chato était à Toulouse,
mais il n’était pas du MIL, c’est une autre histoire, c’est celle des
éditions.
Si ma mémoire ne me trahit pas, cela s’est passé dans un appar-
tement près de la Côte-Pavée, chez Muriel, une copine de Jean-
Marc.
Sebas : Après les atracos de juin à Barcelone et de nombreuses dis-
cussions avec Puig en tête-à-tête à l’appartement de Sales y Ferrer,
j’ai écrit un petit texte général appelant à nous réunir à Toulouse
et à prendre le temps de réfléchir sur une nouvelle étape. Nous
sommes tous conscients de ce passage irréversible vers un inconnu.
Mais les différents noyaux sont en désaccord sur le comment et sur
le but d’un tel changement.
El Petit : La décision du congrès est prise vers la fin juin et avec un
préoccupant manque de consensus. Il n’est pas sûr qu’il y ait eu un
texte d’appel. Je crois que l’on s’est retrouvés dans le parc d’at-
tractions de la place Gala Placidia, à la veille de la Saint-Jean, nous
ne savions pas si les Français y assisteraient réellement.

Oriol est absent lors de la période où se profile la fracture ;


sa présence impartiale est la garantie pour que la rencontre se
fasse.

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Txus : Juin 1973, c’est la sortie de prison d’Oriol, à cette période


se pose la question de recentrer l’activité du groupe. Abandonner
la dynamique activiste qui consiste à faire des hold-up pour avoir
de l’argent pour acheter des armes, pour faire des hold-up pour
avoir de l’argent. On ne pouvait pas avoir une activité d’édition,
de diffusion de textes, les éditer en France, repasser la frontière,
prendre contact avec des gens, etc., en faisant une activité de
hold-up. Donc il fallait non pas peut-être arrêter les hold-up,
mais recentrer cette activité. Et non pas faire des hold-up à tire-
larigot sans préparation. Quand on passait devant une banque,
on la cassait, etc.
En août 1973, il y a le Congrès d’autodissolution du MIL auquel je
ne participe pas parce que je n’avais pas à y participer.
Sebas : Puig est en contact avec ceux de la OLLA. Un rapproche-
ment avec eux passe, selon lui, par une dissolution de la structure
globale MIL. La OLLA en ferait un principe pour initier les débats
de rapprochement. La version de La torna sur ce point est une nou-
velle fois idiote.
Parallèlement, si nous désirions poursuivre la réorganisation
autour d’un véritable fonctionnement en groupes autonomes
entrepris avec la création des GAC et de la bibliothèque Mayo 37,
l’enveloppe MIL paraissait plus pesante que dynamique. Du
moins, il nous le semblait. Avec le recul, j’aurais, bien sûr, pris une
option bien différente car se défaire de l’étiquette, c’était déjà
défaire un tissu de propagande armée que nous avions accumulé
depuis 1972. Mais bon, ça, je le vois avec mes idées actuelles.
L’impression de la nécessaire dissolution était vraiment majori-
taire. Sans compter qu’elle réagglutinait tout le monde, nous qui
voulions un fonctionnement plus autonome de la structure armée
afin de passer à une seconde phase et ceux de la Bibliothèque qui
voyaient dans le MIL le fait d’être directement assimilés à sa
violence armée.
La mort du MIL était scellée par cette conjonction de volontés. De
fait nous pensions résoudre les contradictions internes de notre
mouvement mais nous ne nous attaquions qu’à son enveloppe. À un
sigle. Illusoire, non ? Et sûrement idiot. Et doublement idiot
puisque la chose consommée, nous pensions tant les uns que les
autres que les problèmes étaient réglés. Nouvelle démonstration de

227
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notre ingéniosité politique. Car rien ne fut réglé par cette formule
magique, la suite allait parfaitement le démontrer. Donc, avant la
montée, je crois que le sort du MIL est ficelé.
Felip : Puig fut l’artisan du maintien de discussions avec moi et
d’autres de notre groupe sur la proche fusion avec d’autres compo-
santes du MIL. Concrètement, il y eut des accords politiques. La
fusion d’une part de son groupe, une fois passé leur congrès d’au-
todissolution, avec une partie du nôtre. Nous avions nous aussi
convoqué un congrès. Nous voulions que les éléments liberados de
notre groupe suivent leur propre chemin en solitaire.
El Petit : On peut noter deux stratégies, la théorique et l’immé-
diatiste avec des dynamiques opposées qui mettaient l’autre en
péril. On décide d’une rencontre avec Oriol qui est en liberté, fin
juin. Il est le dernier recours pour éviter une rupture, avant d’en-
trer dans un automne chaud. On l’appela congrès, d’abord prévu
pour juillet, puis retardé de quelques semaines à cause de mes
crises d’épilepsie. Entre les deux extrêmes, il y avait une frange peu
définie d’individus.
Soit la voie théorique définissait une pratique séparée, soit la pra-
tique activiste sécrétait sa propre idéologie. Le n° 1 de CIA allait
vers la deuxième. Le titre de la publication montrait cette intention
provocatrice. Ceux qui avaient accumulé du matériel pour une
bibliothèque pendant un an, l’amenèrent au congrès comme preuve
que cela pouvait fonctionner mieux sans sigle. Nous pouvions
rompre définitivement l’isolement auquel nous conduisait l’agita-
tion armée si on ne la freinait pas. On pensait que la reprise en
main par Oriol du leaderisme, qu’il n’avait plus contre sa volonté,
clarifierait les choses, continuer ou se séparer. Cette rencontre, on
l’appellera alors congrès.
Sebas : Il n’y eut jamais « un congrès mouvementé mené à Tou-
louse durant toute une semaine » (56). Car, en fait, le congrès n’eut
jamais une seule réunion plénière. Jamais d’exposition politique
des diverses tendances ou affinités. Jamais de prise de position
affirmée pour une ligne stratégique quelconque. Et je défis un

56 – Sebas fait allusion à la thèse émise par Cortade : « En août 1973, à l’issue
d’un congrès mouvementé mené à Toulouse durant toute une semaine, le
MIL décidait de se dissoudre en tant qu’organisation politico-militaire » (p 61).

228
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camarade de prétendre le contraire. Ou alors, je n’étais pas au


congrès qui dut se dérouler ailleurs. Ce qui est certain, par contre,
c’est la succession de réunions de couloirs, de restaurants, de cafés,
nous discutions partout en petits groupes, en tendances… Là il y
eut un véritable brain storm. Nous pouvions discuter parce que
nous discutions de comment continuer précisément en projetant
immédiatement la pratique correspondante possible à court terme.
Toujours à court terme.
Aurore : Le congrès s’est bien passé, il y a eu des chassés-croisés,
des engueulades Il y avait un jardin et ça rentrait et ça sortait,
mais ce n’était pas à couteaux tirés.
El Chato : En août 1973, au moment du congrès j’étais chez l’Am-
bassadeur (Cricri) et Maria et j’allais à l’appartement du congrès
seulement quand il n’y avait personne. Pendant son déroulement,
j’ai beaucoup parlé avec le Metge, Ojos Bellos (Queso) et Oriol, ainsi
qu’avec Jordi, el Granos (Sebas), sa compagne Marie (Aurore)… J’ai
pris la mouche quand j’ai vu le Secrétaire.
Sebas : Un soir, il faisait encore jour, après les réunions, nous
nous étions retrouvés dans la rue derrière le lycée Fermat, puis on
avait marché jusqu’à la Daurade pour s’installer au café des Beaux-
Arts, en terrasse. C’était une des dernières fois que nous fûmes
ensemble vraiment. Après, ce ne fut que la merde, jusqu’aux coups
de feu à Barcelona.
Aurore : Le congrès, c’était de grands mots, toujours des titres.
Pour moi, c’était tragique de finir par une autodissolution. Je trou-
vais ça idiot de se scinder car on n’était pas nombreux. Je l’ai mal
vécu. D’accord, il y a des raisons politiques mais c’était casser avec
des gens qui étaient des copains. J’espérais que cela se rabiboche
car les gens devaient se revoir et le n° 2 de CIA était en prépara-
tion. J’espérais que les gens se retrouvent mais l’autodissolution
entérinait les faits.
Sancho : Attaquer une banque par mois ne menait à rien et, de plus,
l’EO et l’ET avaient les cheveux qui se dressaient sur la tête chaque
fois qu’ils apprenaient un nouveau hold-up. Ils étaient d’accord sur le
principe et, en même temps, ils en craignaient les conséquences. Ce
sujet revenait souvent dans les réunions, mais en réalité on ne faisait
pas très attention car, dans le fond, ils avaient autant besoin d’argent
que nous pour continuer les Éditions Mayo 37.

229
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El Petit : J’avais peur que les braquages deviennent une fin en soi,
développant sa propre idéologie militariste au lieu d’être un moyen
d’appuyer les luttes ouvrières. C’était déjà mon opinion quand le
FSF s’est transformé en CHE-CHO groupe armé, je n’étais pas
d’accord et je continue à ne pas l’être. La revendication des bra-
quages me fut présentée comme une simple plaisanterie, mais ces
choses inquiétaient l’EO, avec raison. Et sur ce point, je donnais rai-
son à l’EO.
El Chato : Dans le fait d’essayer dans la pratique de ne pas se cou-
per du mouvement ouvrier et de laisser les ouvriers penser et
décider par eux-mêmes, je crois sincèrement que l’autodissolution
a beaucoup à voir avec le Rubio et moi. Nous voulions que les édi-
tions soient définitivement séparées de la pratique armée.
J’étais très critique vis-à-vis des hold-up dans le sens qu’ils ser-
vaient seulement à payer les frais. Chaque fois qu’ils ont voulu
nous donner de l’argent pour nos activités, nous avons refusé. De
toute façon, dans le dernier CIA, ils disent que l’autodissolution fait
suite à nos critiques.
J’ai toujours eu une existence légale excepté lors des périodes de
deux ou trois mois, quand la dictature décrétait l’état d’exception.
Je ne vivais pas chez moi mais j’allais au travail tous les jours.
Vivre clandestinement oui, avoir une arme, catégoriquement non.
J’ai toujours défendu la lutte idéologique et j’étais d’accord avec un
certain type d’actions armées pour récupérer un peu d’argent et
maintenir les appareils. La seule chose que nous faisions était de
voler dans des bureaux pour récupérer du papier, des machines à
écrire… et un peu d’argent, mais jamais en utilisant des armes.
El Rubio : Sur un point, je ne suis pas d’accord avec le Chato. Le
MIL a donné de l’argent aux ouvriers, par exemple à ceux de Bul-
taco. Mais, bien sûr, beaucoup d’argent allait à l’infrastructure.
■ Entretiens avec Sergi Rosés.
Sancho : La pratique quotidienne n’avait rien à voir avec la théo-
rie que prêchait le MIL, nous étions devenus un groupuscule. Les
éditions Mayo 37 étaient en péril parce que la police pouvait les
associer au MIL, autrement dit aux hold-up et c’était un danger
pour l’EO. Pratiquement à cette époque, nos relations avec eux se
bornaient à diffuser les éditions Mayo 37. La spirale qui emportait
le MIL dans une course toujours plus rapide, l’enfermait toujours

230
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plus en lui-même et le contact avec les autres groupes diminuait en


proportion.
Les plus actifs, Queso, Oriol, Sebas, Cricri et moi, nous avons été
pris au dépourvu, car nous ne nous rendions pas compte que nous
nous étions groupuscularisés et, au fond, ce que nous voulions
c’était continuer à pratiquer l’agitation armée. ■ Entretiens avec
Sergi Rosés.
Sebas : La dissolution étant acceptée, comment remettre vraiment
les questions essentielles sur le tapis ? Il n’y avait plus de possibilité
aucune. Dès qu’on pouvait aborder une critique-bilan, on la rejetait
d’un geste : « Ça c’est l’ancien, le nouveau c’est l’après-MIL ». Vague
projet de construction révolutionnaire. Souvent remis exclusive-
ment aux mains des masses, ce qui était par contre une flagrante
contradiction avec le projet conseilliste de type KAPD. Voir, pour plus
de développement, Réponse à Lénine de H. Gorter (58).
En conséquence, nous entrions de plain-pied dans la reconstruction
d’un mouvement comme GAC, sans tirer un bilan des deux années
précédentes. Toute discussion réellement politique fut niée comme
réflexion pour la reconstruction. Et on inventa le mythe d’un congrès.
En fait nous n’avions réellement pas la capacité politique de pouvoir
gérer une lutte politique de construction au niveau stratégique
requis, avec l’expression politique requise. Au début des années
1970, il y avait à Barcelone, plus sans doute que nulle part ailleurs,
une situation favorable à une organisation guérillera pouvant entrer
en échange et transformation mutuelle avec un large mouvement
prolétarien de résistance auto-organisée. Harry Walker, les inci-
dents de San Adrián en étaient des démonstrations. Pourtant, par
cette faiblesse politique, par notre manque d’expérience réelle à
conduire une lutte politique, nous avons échoué dans cette tâche qui
aurait pu être essentielle dans les dernières années du franquisme
et lors de la fameuse transition. Bon, mais c’est une autre histoire !
El Petit : C’était une rencontre entre les immédiatistes/organisa-
tionnels (Sebas, Cricri, El Secretario, Aurore), les affinitaires-biblio-
thèque (Oriol, Sancho et moi) et des personnes peu définies (Par-
dinas, Queso, Metge, Eva). Nous ne savions pas qui étaient les

58 – GORTER Herman (1864-1921), de nationalité hollandaise, un des théo-


riciens du communisme des conseils.

231
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minoritaires au moment de la rédaction et de l’impression du texte


d’autodissolution.
Il y avait seulement deux possibilités : soit se dissoudre comme
individu, soit l’autodissolution de l’organisation. Cette dernière
permettait de continuer avec de nouvelles tâches qui ne nous iso-
laient pas des luttes ouvrières comme cela arrivait avec des actions
armées. Une sorte de GAC-Bibliothèque au lieu d’une ET.
Sebas : Tendance organisationnelle : principalement Oriol rejoint
par Sancho. Seul Oriol voulait perpétuer le sigle. Tendance affini-
taire : Puig, moi, Cricri ou Mayo 37, l’ex-ET pour résumer. Les
autres personnes se liaient aux tendances suivant leurs affinités
justement !
D’un point de vue historique, Oriol avait sans aucun doute raison.
À mon avis, nous aurions dû gouverner mieux les demandes de
rapprochement tactique avec l’OLLA. Il fallait conserver un pôle
organisationnel capable de situer « notre tendance » dans la lutte
à Barcelone. Un outil d’agit-prop qu’il aurait fallu repréciser, défi-
nir aussi, car la majeure partie de nos textes ne correspondait pas
à ce que nous faisions et à ce que nous voulions faire (pour la
majorité des militants engagés).
D’un point de vue politique, l’autodissolution était sans doute une
bêtise. Lorsqu’il y a eu les tombées, nous avons été dans l’impossi-
bilité d’orienter la solidarité et les portes aux récupérations étaient
grandes ouvertes. Par manque de vision politique, nous la pensions
incontournable, pourtant elle était et s’est révélée contre-productive
à tous les niveaux.

Dans « Estudio sobre la represión » (Étude sur la répression),


texte non publié, écrit à la Modelo de Barcelone en décembre
1973, Oriol apporte d’autres éléments sur les raisons de l’auto-
dissolution :
« …Les communistes du « 1000 » ont montré qu’ils n’étaient
pas prêts à affronter correctement cette situation. C’était une
attitude clairement triomphaliste. Le « 1000 » a vécu trois ans
de guerre dans Barcelone. La police, bien qu’ayant constitué
une section spéciale, la « brigade 1000 », ne put seulement loca-
liser qu’un appartement vide. Après la dernière arrestation en

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France (septembre 1972), la police connaissait l’identité de


cinq d’entre nous, mais ne savait rien de plus que les noms.
Pourtant, on a vite considéré le « 1000 » comme l’organisation
politique armée qui devait donner l’assaut militaire contre
les forces armées du capital. C’était le début d’un processus de
militarisation qui tentait de convertir le groupe spécifique
« 1000 » en Mouvement Ibérique de Libération. Seul le fait que
cette dose de triomphalisme atteigne un ton fantasmagorique
permit aux communistes du « 1000 » de se dégager d’une telle
aberration (Congrès d’été, 1973) et de procéder à l’autodisso-
lution du MIL. […]
Trois ans après avoir réalisé une critique radicale de l’avant-
gardisme, les communistes du « 1000 » se sont vus obligés de
mener une critique de la naissance du processus politique de
bande armée et d’essayer de situer le problème de la violence
révolutionnaire dans son contexte réel : la guerre civile révo-
lutionnaire et apporter à terme l’autodissolution de cette poli-
tique de bande contre bande.
L’objectif et la raison d’être d’une bande armée (MIL) est de
mettre en spectacle ses actions, ce qui oblige publiquement le
capital « d’encaisser les coups » et de donner la riposte. Le jeu
du spectacle est une grande tentation pour tous ceux qui pra-
tiquent l’agitation, qu’elle soit ou non armée.
L’engrenage du spectacle fait, entre autres, que s’éclipsent les
enjeux réels au bénéfice d’une mise en scène croissante.
Le Capital souhaite que toutes les agitations tombent dans
l’engrenage du spectacle : c’est se battre sur son terrain, aban-
donnant ainsi le terrain du communisme…
Et, tandis que se déroule l’affrontement bande contre bande,
tout le monde applaudit ou siffle, comme on applaudit ou on
siffle à un match de football. Mais une fois que la bande mino-
ritaire a perdu la partie, le monde applaudit seulement le
champion pour critiquer l’équipe vaincue. Du spectacle de la
misère du temps de Marx et Bakounine à la misère du spec-
tacle des temps modernes. […] »

Sancho : Dans l’autodissolution, le facteur peur est important, très


important, tout le monde avait la trouille. Ce qu’on savait, c’est

233
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qu’on était plusieurs, on était dix ou douze et que ça ne marchait


pas, il y avait toujours des discussions. Il fallait trouver une solu-
tion. Quand on était trois ou quatre, on marchait tous ensemble, à
une douzaine, tu ne peux plus. Au début, personne n’était pour la
dissolution, à part peut-être Santi. Le seul truc qui les intéressait
était de continuer les Éditions.
C’est Santi, avec Barrot qui, en revenant de Paris en ont parlé
sinon personne n’en avait parlé. Après quelques jours de discus-
sions, avec des positions personnelles très marquées, Garriga et
Santi essayèrent de convaincre les autres sur la nécessité de l’au-
todissolution. Ils avaient été très influencés par les conversations
qu’ils avaient eues avec la Vieille Taupe. Ce sont sûrement eux les
auteurs du texte.
Je ne comprenais pas très bien l’autodissolution. On avait acquis de
l’expérience et les choses marchaient bien. Comme tous, on voulait
continuer, on chercha la formule avec GAC ou groupes par affinité
et, de cette façon, on pouvait continuer à faire la même chose.
Pour comprendre l’autodissolution, il faut comprendre d’abord l’es-
prit des membres du MIL. Sa base était du volontariat total et rien
ne se faisait par obligation. Cette volonté d’aller de l’avant flottait
dans le subconscient de presque tous malgré la fusillade du 2 mars
1973 qui marqua beaucoup ceux qui y avaient participé.
Sebas : Je ne sais pas ce qui fait dire à Sancho que la Vieille
Taupe ait pu avoir une quelconque influence sur l’option autodis-
solution. Je ne pense pas qu’il y ait vraiment du sérieux là-dedans.
Par contre, je l’ai dit et je le redis, l’OLLA posait, comme a priori à
un rapprochement, la dissolution du MIL. Je me souviens parfai-
tement d’une discussion avec Puig là-dessus avant de monter pour
préparer le congrès.
Puig avait choisi les GAC et un rapprochement avec l’OLLA. Il ne
pouvait pas jouer avec eux (le Petit et le Secrétaire) la carte Oriol.
Dans quel intérêt ? Éliminer les Toulousains ? Mais se retrouver
dans un même temps avec le même noyau militariste de l’été 1972
autour d’Oriol ? C’est vraiment idiot ! Puig savait que j’étais pour
la dissolution et que j’étais, avec lui, le seul à pouvoir la rendre
acceptable à Oriol. C’est-à-dire que Oriol avait confiance en nous et
qu’il savait donc que ce n’était pas une manœuvre pour se désen-
gager du processus de lutte armée à Barcelone. Mais un saut. Il le

234
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 235

contesta comme orientation générale – comme décision politique –


mais jamais comme un renoncement. Et en plus, comme je l’ai
dit, il finit par s’y résoudre, du moins officiellement.
Pour Puig et moi, la principale cause de l’autodissolution est une
conscience critique de notre activité trop partielle au cours des
deux dernières années 1972-1973. Il fallait faire, mais faire autre-
ment. La question n’était donc pas posée comme liquidation, mais
comme dépassement de l’activité politico-militaire.

Au sujet du congrès, Jean Barrot ne sait rien sur l’éventuel


poids de la Vieille Taupe (VT) dans l’autodissolution. Quand le
groupe de la VT rencontrait des gens du MIL ou ceux de Mayo 37,
ils parlaient de Marx, de la guerre d’Espagne, de tout, mais
connaissaient mal leur activité réelle et le mode de financement. Ce
qui lui semblait normal dans la mesure où il n’y participait pas. Ils
suivaient mal les dissensions au sein du MIL car, détail non négli-
geable, à peu près aucune des personnes actives à la VT, à l’époque,
ne parlait espagnol. De plus, il ne faut pas s’imaginer ces rap-
ports comme une organisation se coordonnant efficacement, même
à l’échelle de petits groupes, sur deux ou trois pays. Tout cela était
très distendu. S’il ne se souvient pas du contenu des discussions
entre la VT et ceux de l’ex-MIL après le congrès d’autodissolution,
Barrot se rappelle, par contre, de la venue à Paris de trois per-
sonnes après les arrestations de septembre 1973, de leurs discus-
sions et tentatives de faire connaître les faits ainsi que le caractère
révolutionnaire de leurs actes.
Cependant, si le groupe de la VT avait eu connaissance de cer-
taines pratiques, il se serait engueulé avec ces camarades car il n’y
a jamais eu de complaisance vis-à-vis de l’illégalisme pour le prin-
cipe et de l’autodestruction où sont entrés certains membres du
MIL. Il (la VT) ne juge évidemment pas ces pratiques d’un point de
vue juridique ou moral, mais par rapport à un mouvement social
dans lequel elles s’inscrivaient. Barrot pose plusieurs questions : S’y
inscrivaient-elles ? S’en autonomisaient-elles ? Ou était-ce un
mélange des deux ? Et, si oui, quel aspect l’emportait ? Pour lui, le
MIL était entré dans une évolution proche de ce que des Italiens ont
vécu quelques années plus tard. Mais en Italie, c’était à une plus

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grande échelle et avec des bases théoriques plus solides et, surtout,
cela se greffait sur un mouvement social plus profond qu’en
Espagne (posant plus directement la question du travail par
exemple, et de la vie quotidienne qui, en Espagne, restait limitée à
une petite minorité).
C’est seulement après les arrestations et dans le courant 1974
que la VT aurait pris conscience qu’une partie du MIL était deve-
nue des professionnels de la clandestinité, sans plus grand rapport
avec les prolétaires. Même si ces derniers au départ étaient issus de
luttes sociales et/ou ouvrières ayant participé à des grèves (comme
salariés ou non de ces entreprises), à Harry Walker par exemple.

Sebas : Barrot a raison, la Vieille Taupe n’a été au courant des acti-
vités militaires du MIL qu’après les arrestations de septembre
1973. Les seuls rapports que nous ayons eus avec eux, comme
MIL, furent ceux pour le comité de soutien et pour Mayo 37. J’ai
rencontré plusieurs fois P. Guillaume chez lui. Et deux ou trois fois,
Barrot à la Vieille Taupe ou chez un autre éditeur, rue des Écoles.
Mais vraiment, comme le reconnaît Barrot, ce mouvement était
déjà en perdition en 1973, justement souvent du fait d’une politique
autodestructrice d’extrémisme verbeux et de sectarisme complai-
sant… Il ne nous a jamais rien apporté directement dans notre
combat. Les seuls camarades de cette gauche parisienne dont je
garde un bon souvenir militant resteront Lefeuvre (Spartacus) et
Guérin. Ils ont toujours été à l’écoute, compréhensifs et solidaires.
Les autres étaient souvent arrogants et présomptueux, comme les
sectaires, c’est bien connu, surtout lorsqu’ils n’ont jamais eu d’ex-
périence révolutionnaire véritable.

Texte d’autodissolution et sa rédaction


Une fois l’autodissolution décidée, il est question de faire un
texte explicatif qui marque à la fois la fin du MIL comme organi-
sation et les nouvelles orientations ; c’est la préparation du CIA
n° 2. Pour le Petit, c’est aussi une façon de régler l’affaire du n° 1.
Sur les rédacteurs du texte d’autodissolution (voir son contenu
en annexe), sur le lieu de sa rédaction, les avis divergent. D’après
le Petit, le texte a été écrit à Toulouse et ensuite apporté à Paris et
pour Sebas, tout se passe à Paris et le texte est relu à Toulouse.

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Quoi qu’il en soit, le texte et son post-scriptum sont acceptés par les
participants au congrès et publiés dans CIA n° 2.

El Petit : On devait régler les affaires, sortir sous le même sigle


CIA, un n° 2, le dernier où on théoriserait la stratégie de la Biblio-
thèque et l’autodissolution de CIA par l’autodissolution du sigle MIL
pour donner naissance à des GAC, des groupes autonomes de com-
bat mais non armés. Pour compenser, on décida de donner un nom
à la Bibliothèque, celui du premier exemplaire dans lequel Berneri
parlait de Mai 37. D’entrée, on édite deux livres comme si tout
fonctionnait depuis des mois, on les distribuera avec le CIA n° 2.
Une fois le consensus trouvé, Oriol se mit à la machine à écrire, je
dictais les paragraphes. On se succédait, on lisait certains passages
à haute voix et le reste de l’assistance suggérait des amendements,
des coupures ou des rajouts. Tout le monde collabora un peu, sauf
ceux qui avaient voté contre l’autodissolution. Ils restèrent en
minorité car ils n’offraient pas de contre-propositions.
Sebas : Il y eut les premières réunions à Toulouse au cours des-
quelles la décision d’autodissolution a été prise. Quatre personnes
furent désignées pour travailler au texte final. Le Petit, le Secré-
taire, Puig et moi, nous sommes donc montés à Paris en compagnie
d’un ou deux autres camarades (Aurore et Cricri peut-être ?). La
décision de monter à Paris a été collective. Ensuite, il y eut une
autre série de rencontres à Toulouse pour présenter le texte et tra-
vailler à la CIA n° 2 (rue Peyrolières, principalement).
El Petit : Je pense que le texte était déjà imprimé. D’une part, on
est monté, le Secrétaire, Eva et moi avec le texte pour voir Octavio
Alberola (59) et la Vieille Taupe. Je crois qu’Alberola dit avoir eu
connaissance de ce qui se passa par Sebas-Cricri mais je ne sais
pas si ce fut par téléphone ou de vive voix.

59 – ALBEROLA Octavio est né en 1928 en Espagne, exilé avec sa famille au


Mexique suite à la victoire des franquistes. Il devient militant libertaire dès la
fin des années 1940. Au début des années 1960, il est en Europe. Membre de
la FIJL et de tendance anarcho-syndicaliste, il s’intègre à la lutte clandestine
et mène avec Défense intérieur, le groupe/mouvance Primero de Mayo ou les
GARI des actions armées contre le régime franquiste jusqu’à la mort de
Franco. Il effectue divers séjours en prison au Mexique (1950), en Belgique
(1968) et notamment en France pour ses activités au sein des GARI (1974).

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Le Secrétaire était très intéressé par la tendance Alberola ou orga-


nisationnelle. Je lui ai dit que cela n’était pas compatible avec le
choix de l’autodissolution. Le rendez-vous avec la VT fut pour le
lendemain mais le Secrétaire n’a pas voulu m’attendre, Eva resta
avec moi (ma santé ne m’a jamais permis de voyager seul). Pour
Barrot, tout cet albérolisme lui semblait une mafia avec des dan-
gers empestants.
Aurore : On était montés en voiture, Cricri chauffeur et certaine-
ment en Simca 1100 (bonne voiture d’époque), sans doute louée par
moi, légalement. Il y avait aussi dans la voiture le Metge, Sebas et
moi. Oriol avait absolument refusé de monter à Paris : il n’en
voyait pas l’intérêt, tout branché sur l’Espagne et l’imprimerie
pour l’intérieur, comme on disait. L’intérieur, c’était donc 1’Espagne,
et l’extérieur, la France. Il y avait ceux de l’intérieur et ceux de l’ex-
térieur, et parmi ceux de l’extérieur, ceux qui ne descendent quasi
jamais à Barna.
Je pense que Sancho était aussi resté à Toulouse. On est allés à l’ap-
part de mes parents porte d’Italie et aussi chez des copains de
copains, rue Àlexandre-Dumas près des Vignoles. On dut (pas tous)
aller aux Vignoles, comme on le fera plus tard à l’époque GARI.
Sebas : Le Petit et le Secrétaire furent chargés de l’écrire dans l’ap-
partement, proche de la place de la Réunion, rue Alexandre-
Dumas. Spécialisation ! Puig et moi devions le viser le moment
venu. Puig et moi, après une première lecture, avons trouvé le
texte très bon mais trop vague sur les déterminations et, surtout,
ne correspondant pas à ce que nous voulions faire après. Je vois
encore les deux camarades allongés à plat-ventre sur un lit qui se
relisaient le texte dans sa version définitive. À la lecture, nous
avons conclu tous les quatre qu’il manquait quelque chose. Qu’il
pouvait prêter à confusion sur l’idée de dissolution-abandon. Et
nous fîmes le fameux post-scriptum. Le texte et le post-scriptum
ensemble furent bien évidemment soutenus par Oriol puisqu’il lui
laissait également les mains libres et une réelle autonomie.
Au cours du séjour, nous avons rencontré un certains nombre de
militants, Guillaume, Lefeuvre, l’ORA, des anars et des gens de
Politis, si je me souviens bien…
El Petit : Le texte de l’autodissolution se fit contre la montre et on
dut rajouter un post-scriptum car on avait négligé des choses essen-

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tielles et on n’avait pas la force de tout réécrire. Ceux de l’imprime-


rie (Oriol, Sancho) se mirent au travail, les minoritaires partirent
sans dire au revoir. Deux d’entre nous montèrent le texte à Paris.
Aurore : Le post-scriptum correspondait surtout à Jean-Marc
mais je ne me rappelle pas des discussions, j’étais déçue de la
conclusion, mais c’est tout. Le CIA n° 2, contenant le texte, a été à
peine diffusé car certains ne voulaient pas le distribuer. Après les
arrestations de janvier 1974, on a abandonné les exemplaires dans
deux voitures, dont une en face de la gare routière de Toulouse de
l’autre côté du canal…
Sebas : En fait, le texte est une compilation plus ou moins claire de
concepts ultra-gauches sans véritable ligne directrice. Il n’a pas
beaucoup d’intérêt que celui historique. Moi qui, aujourd’hui, défends
encore les positions conseillistes allemandes de type KAPD, Gorter
en particulier, je trouve le texte très peu explicite sur ces véritables
concepts conseillistes. Style : « La pratique est liée au développe-
ment du MC et en fait partie. C’est pour cela qu’il se propose de cri-
tiquer toutes les mystifications ».
Lesquelles ? Et comment le MIL est partie intégrante du MC ? Sur
quelle base en dehors de l’exposition théorique ? Et donc, en fin de
texte, nous arrivons à une contradiction ingérable dans une posi-
tion politique de ce type.
Le Petit et le Secrétaire ont écrit : « Parler d’action armée et de pré-
paration à 1’insurrection est la même chose, il est maintenant
inutile de parler d’organisation politico-militaire ; de telles orga-
nisations ne sont que d’autres déchets politiques ».
Il faut constater l’agressivité des termes « déchets politiques », mais
elle est due à la traduction de Cortade qui n’a pas fait dans la den-
telle, le texte dit « racket politique » (donc, ne sont rien d’autre que
des rackets politiques). Elle est révélatrice aussi de l’état d’esprit de
ce travail, en plus le post-scriptum est tout simplement absent
dans le bouquin (60). Le début de la phrase est juste. Oui, mais non

60 – Au sujet de l’absence du post-scriptum dans son livre, nous avons posé la


question à Cortade. Dans un courrier daté du 5 novembre 1996, il nous écrit :
« Le texte que j’ai publié est le texte intégral tel qu’il a été adopté à l’unanimité
par les membres du MIL présents. Le post-scriptum a été rajouté peu après
par une partie minoritaire du MIL et ne pouvait donc être présenté comme le
texte original… »

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dans le sens qu’ils le pensent à ce moment-là. Il y a un lien straté-


gique inattaquable entre le fait de prétendre que la révolution ne
peut être qu’une accumulation de violences révolutionnaires et
celui de dire que la lutte armée est la préparation consciente,
expérimentale et organisationnelle de cette conclusion stratégique.
Et la vision au premier degré du début est en contradiction donc
avec le post-scriptum « le terrorisme et le sabotage sont des armes
actuellement utilisables par tout révolutionnaire. Attaquer le capi-
tal et ses fidèles gardiens (qu’ils soient de droite ou de gauche), tel
est le sens actuel des groupes autonomes de combat qui ont rompu
avec tout le vieux mouvement ouvrier et mettent en oeuvre des cri-
tères d’action précis.… »
Les deux idées sont fondamentalement contradictoires. Mais nous
collectionnions les contradictions ! Contradiction encore dans les
comportements qui suivirent. D’un côté, on dissout le MIL puis,
immédiatement, Oriol et Sancho mettent sur le tapis une action
commémorant l’anniversaire de la première véritable action armée
du MIL un an auparavant ! Que croire ?

Cette période se termine en août 1973, par les publications :


■ De CIA n° 2. comprenant :
– Le texte d’autodissolution du MIL avec le post-scriptum.
– « Italia : Justicia en la calle » (Italie : justice dans la rue), un texte
sur les Brigades Rouges italiennes avec un communiqué de reven-
dication de ces dernières.
– « Contra el nacional-socialismo del IRA » (Contre le national-
socialisme de l’IRA), un texte sur la lutte de classe en Ulster
signé Jean-Yves Bériou (article extrait de la revue française
Les Temps modernes).
– « De la guerra civil barbara a la guerra civil revolucionaria » (De
la guerre civile barbare à la guerre civile révolutionnaire), un
texte daté de mai 1973.
– Et pour finir « ¿ Movimiento comunista ? », une bande dessinée
érotique détournée avec pour thème la finalité du mouvement
communiste.
■ De « Esquema sobre la historia del MIL » (Schéma sur l’his-
toire du MIL). Texte-bilan, interne, résumant les tensions et les

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scissions entre l’ET/EE/EO/GOA et au sein du MIL. Le document


a été rédigé par le Petit.

Sancho : Une fois terminé le congrès, d’un côté il y a Salvador qui


doute, d’un côté Sebas et Cricri, d’un autre Oriol, Queso, le Petit et
moi. Le Secrétaire et Pedrals ont été dépassés par la situation et
sont restés en marge. On peut dire qu’il y eut la formation de
deux GAC : Jean-Marc, Cricri, Aurore et Salvador d’un côté, Oriol,
Eva, Queso et moi d’un autre. Sauf Oriol, Aurore et moi, les autres
partirent à Barcelone pour préparer un hold-up car on n’avait
presque plus d’argent pour continuer les éditions. Oriol est resté
car il devait se présenter deux fois par semaine à la police de
Cahors où il était confiné et moi parce que je devais m’occuper de
l’imprimerie.
Sebas : Je trouve cette version absurde. Il n’y a pas un MIL avant
le congrès et puis des GAC après. Les GAC comme structuration
autonome existent depuis au moins un an. Le seul GAC que je
connaisse, d’un point de vue d’identification stricte, est celui qui
s’est formé à la Modelo après les arrestations.
En fait, deux versions s’opposent toujours dans la vision de cette
période. Pour la première, le congrès aurait été un changement de
cap radical entraînant jusqu’à une transformation des structures
de combat. Pour la seconde (dont je me réclame), c’est un moment
de dépassement à partir des acquis établis en 1972 et 1973, le pas-
sage à une nouvelle époque du combat mais dans la continuité.
Malheureusement, il est difficile d’étayer ma version face à ce
regard officiel et banalisé.
Sancho : Il y avait un problème de trouille et un problème de lea-
der. Jean-Marc voulait peut-être devenir leader, Oriol c’était du
même niveau. Jean-Marc parlait des GAC, Oriol voulait faire beau-
coup de choses. Jean-Marc était plus radical. Et personne ne vou-
lait aller travailler dans un bureau.
À la fin du MIL, c’était No MIL, a mi me va bien. La conclusion, à
part les déclarations politiques, c’était le MIL n’existe plus, ça ne
fait rien, il y a les GAC ; on ne va pas arrêter, on continue. L’auto-
dissolution ne changeait rien sauf qu’il n’y avait plus d’argent.
El Petit : L’autodissolution confirmait la séparation d’une manière
irréversible. Oriol me demanda d’aller à Barcelone avec le peu

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d’argent qui restait pour essayer de convaincre le Metge de ne pas


s’aligner sur le Secrétaire/Sebas.
Oriol disait qu’il fallait un dernier hold-up pour mettre en pratique
l’autodissolution. Parmi ceux qui sont retournés à Barcelone, certains
restaient loyaux à la nouvelle ligne. C’était le cas de Queso qui
s’était proposé pour le hold-up, peut-être aussi le Metge ou Garriga.
Sancho : Devant l’ET, on disait que c’était le dernier, « vous avez
besoin d’argent pour les éditions ». On était capables de faire de
tout pour vivre, on aurait continué les hold-up pour vivre et si le
Petit avait décidé d’arrêter les éditions, on aurait continué quand
même les hold-up. Personne, après la dissolution, n’envisageait
d’arrêter, les théoriques c’est une autre histoire. Pendant le congrès,
Sebas avait acheté des pistolets.
El Chato : Après l’autodissolution, nous n’avons pas eu le temps de
savoir comment les ex-MIL allaient évoluer. Les arrestations com-
mencèrent tout de suite. Cependant, la ligne théorique défendue
par ceux de la Bibliothèque perdura à Barcelone bien après la
transition et, par exemple, Etcetera fut une tentative de développer
une ligne éditoriale similaire à Mayo 37, avec les gens, avec nous
toujours ensemble aux Plataformas. UCL suivait un autre chemin
bien que nous ayons de bonnes relations, mais ils recommençaient
le leitmotiv d’un parti d’un nouveau type.

LES ARRESTATIONS

L’histoire du MIL s’arrête en août 1973. Il est dissous en tant


qu’organisation mais l’aventure continue. Si Oriol, Sancho et
Aurore restent à Toulouse, les autres partent à Barcelone le 10 sep-
tembre. Ils sont six : Queso et Quesita dans une Simca 1200,
Sebas, Cricri, le Metge et le Secrétaire dans le coupé Fiat 850.

Sebas : Au début septembre, nous sommes progressivement


retournés à Barcelona. Nous sommes passés par un nouveau pas-
sage sur les pentes du Puigmal, plus à l’est mais toujours en Cer-
danya. Un long passage en voiture qui nous permettait de rejoindre
la route au-dessus de La Molina.
Cricri semblait bien le connaître. Il avait dû le faire avec Sancho ou
même avec Oriol quelques semaines auparavant.

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Montes nous avait fourni une nouvelle planque, louée par Beth, rue
Nostra Senyora del Coll. Un grand appart dans le quartier de
Vallcarca au-dessus de la place Lesseps (encore !). Quatre ou cinq
pièces dans un immeuble moderne, à peine meublées. Une parti-
cularité, nous étions au 3e sous-sol. En effet, lorsque nous entrions
sur la rue, il fallait descendre trois étages pour arriver à notre
appart. Nous vivions là, Puig, Aurore, Cricri et moi. Queso et Que-
sita étaient dans un appart à Horta.
Immédiatement, nous avions repris notre travail habituel sur Bar-
celone. Rendez-vous, surveillances, etc. Comme si rien n’avait
changé ou si peu. Pour notre part, nous avions deux voitures à
notre disposition, la 850 légale et une Simca orange ou jaune (?) qui
avait été louée et qui pouvait, dès lors, servir à circuler tant qu’elle
n’était pas déclarée volée, et ensuite elle devait être utilisée à une
expro.
Puig avait multiplié les contacts avec l’OLLA suite à nos résolu-
tions de Toulouse. Les contacts semblaient très positifs. Nous
avions étudié la possibilité de faire une réunion plus large, avec
comme objectif l’ouverture de la coordination à d’autres compo-
santes.
Une expro nous avait été proposée pour la fin du mois. Plusieurs
millions (trois ou cinq) dans une petite banque de la Diagonal, à
hauteur de Valencia ou de Provença. Nous avions commencé le bou-
lot de repérage.
Aurore : Nous étions seuls à Toulouse, Sancho, Oriol et moi. Les
autres étaient en train de préparer un braquage à Barcelone. Il
était hors de question d’exclure Oriol, mais ils le mettaient de côté
car ils avaient un projet sans lui. Oriol devait s’occuper de l’impri-
merie à Toulouse, du moins pour cette action. Mais il n’y avait pas
de place pour Oriol et je pense que c’est un peu pour ça qu’il a voulu
faire quelque chose, montrer qu’il était capable d’agir et de rap-
porter de l’argent.
Il y a eu une grande discussion donc après la libération d’Oriol en
juin. Celui-ci débarquait dans un monde qui avait changé, où il ne
trouvait pas bien sa place, où Sebas avait pris, en particulier, de
l’ascendant sur tous les autres. Il se trouvait, avec Sancho, relégué
à l’imprimerie (sise à Arnaud-Bernard). Moi, je n’avais pas accès à
cette imprimerie par sécurité. Il ne voulait pas rester à Toulouse à

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s’occuper de l’imprimerie. Je pense que Sancho était pour continuer,


il était partagé entre Oriol et Jean-Marc.
Bref, Ils m’expliquèrent (surtout Oriol) qu’il n’y avait pas assez d’ar-
gent pour l’imprimerie. C’était toujours l’obsession pour nous d’im-
primer, de faire des folletos (brochures), de faire passer de la pro-
pagande, de continuer les Éditions Mayo 37, etc.
Il avait un super plan d’une banque à Bellver de Cerdanya et la
refaire un an après jour pour jour… Il m’a proposé d’y participer. Il
fallait se retenir à deux bras sur son siège pour ne pas résister à sa
force de conviction. Oriol désirait – pour impressionner les machos
espagnols -– que j’y aille pour montrer qu’il n’y avait pas que des
mecs. Fallait-faudrait que je porte une minijupe. J’étais relative-
ment tentée. Faire comme les autres, comme tout le monde c’est-à-dire
comme les actifs, pas les gratte-papier, actuer. Tout devrait bien se
passer. Au cas où, c’était simple, il n’y avait qu’à traverser le rìo à la
nage (sans avoir pied, et large de je ne sais plus combien). J’ai pu dire
non car je savais à peine nager. Il me semble qu’Oriol et Sancho en
avaient déjà parlé précédemment, car je revois le Metge opposé au
fait qu’une fille aille braquer une banque et Sebas mi-figue mi-raisin.

Le 13 septembre, Oriol, Sancho et Aurore quittent Toulouse


pour Barcelone où ils sont accueillis très fraîchement par les
autres.

Aurore : Tous les trois nous décidâmes, malgré l’opposition connue


des autres, de descendre à Barna. Au départ, raisonnablement, je
prenais, moi, le train jusqu’après la frontière. Discussion faite et
pas l’envie de se quitter, nous décidâmes de partir tous les trois à
deux voitures. Celle avec laquelle Oriol était descendu de Cahors et
qu’il venait de piquer à un médecin cadurcien, et celle que nous
avions, légale, appartenant officiellement à Dandy. Nous avions
acheté à son nom une trois-chevaux d’occase bleu clair forme four-
gonnette avec laquelle nous nous trimballions dans Toulouse.
Dandy nous avait fait promettre de ne pas l’emmener en Espagne
mais nous avions besoin de deux voitures, pour faire naturel car la
voiture piquée par Oriol à Cahors démarrait en branchant deux fils
et nous ne pouvions pas nous ravitailler avec elle en essence.

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C’est à deux que nous descendîmes vers les Pyrénées, Oriol condui-
sant sa voiture. Quand nous sommes arrivés vers les lacs, avant
Font-Romeu, Sancho exprimait son côté catalan. Il m’invitait à
humer l’air qui était tellement meilleur, tellement différent puisque
nous étions en Cerdagne.
Je nous revois dans la montagne au Pla de Salinas (vue directe côté
espagnol). Est-ce Sancho (je crois) ou Oriol qui embourba une
auto ? On est restés bloqués là, visibles de l’Espagne puisque ce Pla
est orienté dans ce sens quasi sans végétation. On cherchait des
branchages ou des pierres pour combler le trou où patinait l’auto.
Cela a duré un bon moment avant que la voiture ne puisse s’arra-
cher de là. Puis on est repartis pour déboucher sur la route face à
la station de La Molina (sur l’autre versant de la montagne). On
riait comme des petits fous (moi, un soupçon de crainte au fond du
cœur, tant des autres du groupe qui ne nous attendaient pas à
Barna que, très vaguement, des gardes civils ou autres). On est
allés boire quelque chose dans un café de La Molina. Ils ont décidé
que c’est moi qui commandais nos trois consommations, pour faire
comme si eux aussi étaient Français, ne me parlant qu’en français.
Je nous revois au comptoir de ce café de montagne. Ils m’avaient
fait répéter ce que je devais dire, ils trouvaient cela très drôle
comme une super-plaisanterie de plus dans la joie de ce moment-là
(je ne sais plus si c’était en catalan ou en castillan qu’ils m’ont fait
répéter les mots à dire).
Puis on est repartis. On a laissé la 3-chevaux dans un tournant de
route et nous avons continué avec une seule voiture, sans doute une
Simca 1500. Nous ne savions pas que la 3-chevaux, repérée peut-
être dès ce jour-là, serait transformée en passoire par les tirs…
À Barna, nous décidons de garer la voiture de Cahors hors d’un
parking payant à cause du gardien, et de trouver une place dans la
rue, ce qui ne fut pas évident. Je ne crois pas que nous ayons télé-
phoné pour annoncer notre arrivée. Nous savions que les copains se
réunissaient à telle heure chez le Petit pour faire le point, et nous
décidons donc de les y rejoindre. Les frères Solé connaissaient son
adresse, pas moi. On débarque dans cet appartement bourgeois.
Têtes (vertes) des copains qui ne nous attendaient pas du tout.
Nous avions agi, en dépit de toutes les consignes. Le comité d’ac-
cueil était lugubre, on s’était tous si bien entendus à Toulouse

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dans l’appartement de la rue Peyrolières. Oriol expose ses plans


d’aller refaire la banque de Bellver de Cerdanya. Sancho ne dit rien
ou très peu. Idem de ma part. Queso veut les suivre pour ne pas les
laisser seuls.
Personne n’a l’air ni réjoui, ni content. Il y a là un nœud d’amitiés,
d’ascendant, de préséance, de rivalité. Nous sommes trois empê-
cheurs de tourner en rond, les projets étaient faits sans nous. Sans
moi. Je ressens encore une fois le fait qu’Oriol doit se sentir mis à
l’écart, le groupe a évolué sans lui. Son frère le suit parce qu’il est
son frère, me semble-t-il, et pour l’ascendant, le charisme qu’il a, de
même que Queso. Il me semble qu’étaient aussi présents ce jour-là
chez le Petit, non seulement le Metge, Queso et Quesita, Sebas, Cri-
cri, mais Eva et le Secrétaire (qui ressemblait physiquement à
Trotski).
Ensuite je suis partie dormir dans le nouvel appartement du
Metge, où habitaient aussi Cricri et Sebas. Un appart loué par Beth
car, si à Toulouse Montes et Beth étaient pour le MIL interdits de
séjour, exclus, à Barna, pour des raisons stratégiques et contre la
répression, ils continuaient à actuer au moins avec le Metge : four-
niture d’appartement, par exemple.
Cet appart était au troisième sous-sol d’un immeuble populaire de
peut-être dix étages sur une colline de Barna très pentue. Un
appart bizarre. Une fois dans le hall d’entrée de l’immeuble, au lieu
de monter, on descend trois étages. On est sur le palier de l’appart.
On entre par un long couloir étroit et humide style mur de bloc-
kaus. Un jour, après les premières arrestations de septembre, il y
aura une coupure d’électricité et les trois (Metge, Cricri et Sebas)
penseront (moi, à retardement) que la police avait provoqué la
panne. C’était une chaude soirée de fin d’été. Tous en tenue légère,
eux en slip-short, moi en chemise de nuit-robe orange. Je les revois
tous les trois courant, cherchant leurs habits, leurs armes, se croi-
sant en tous sens, allant voir côté rue, etc., me disant de me glisser
entre deux matelas (sauf que je ne crois pas qu’aucun lit ait eu
deux matelas, ou un sommier plus un matelas). Je n’ai pas eu le
temps d’avoir vraiment peur. La lumière s’est rallumée, on a véri-
fié dans la rue que tout était normal.
Sebas : Puig est remonté à l’appart, il était très en colère contre
Oriol. Il nous informa de la volonté d’Oriol et de Sancho qui, à peine

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arrivés, proposaient de célébrer le premier anniversaire de l’expro


de Bellver en y revenant passer une couche.
Tout cela nous parut extraordinaire. Et ainsi, vers vingt heures,
nous avons débarqué chez le Petit qui hébergeait Oriol pour 1’occa-
sion. Un très grand appart dans la « dreta de l’eixample ». L’am-
biance était survoltée comme savait la créer Oriol quand il jugeait
qu’il fallait faire à tout prix. Aucun argument ne le touchait. Et
Sancho le suivait aveuglément.
Leur projet ne tenait pas debout politiquement mais plus militai-
rement, il était aberrant. Outrageusement risqué et peu profi-
table. Mais aucun argument ne parvint à les en dissuader. Ils ne
concevaient cette opération que dans un rapport de force avec
nous, Puig et moi principalement.
Le Petit souriait sur sa chaise. Pourtant, chacune de nos objections
pointait. Oriol termina au bord des larmes.
Même Cricri qui était très proche d’Oriol puis de Sancho, refusa de
monter avec eux. Puig et moi décidâmes même de ne pas les aider
à la seule fin de leur interdire l’infrastructure nécessaire à cette
action suicidaire. Mais, ils nous avaient précédés et avaient déjà
obtenu le matériel indispensable dont la voiture de 1’infrastructure
de Toulouse et la collaboration de Queso.
Tout semblait se mettre en place pour le désastre.
Nous avons déposé Cricri et Aurore à l’appart puis nous sommes
montés chez Queso. Puig connaissait leur appartement depuis
l’histoire de la sacoche en juillet. Queso ne voulut pas revenir en
arrière. À ce que je me souviens, il invoqua surtout son engage-
ment. Maintenant, c’est à lui de dire pourquoi il ne changea pas
d’attitude. II pouvait le faire puisque nous démontrions que tous
deux, lui comme le camarade de Toulouse, avaient été trompés
sur le côté organisationnel de cette action.
Oriol et Sancho avaient décidé seuls de mener cette opération, au
contraire de notre fonctionnement qui jusqu’alors était basé sur la
décision collective, comme doit l’être tout fonctionnement gué-
rillero. C’est le groupe qui décide, et c’est lui qui, ensuite, se dote
d’un commandement pour l’action.
Sancho : Pendant que certains préparaient un hold-up à la suite
d’une information donnée par la OLLA, on proposa avec Eva d’at-
taquer une nouvelle fois la banque de Bellver de Cerdanya car on

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manquait d’argent. Les autres l’ont pris comme un coup de force


mais c’était faux, il n’y avait plus d’argent et on décida simplement
d’aller en chercher comme les autres fois.
Quand Oriol, Aurore et moi arrivons à Barcelone, sans dormir
pendant deux nuits, nous apprenons que le Secrétaire a mis son
véto au fait qu’Eva vienne à Bellver avec nous. Queso s’est alors
proposé de nous accompagner. Après une réunion tendue, on décida
de faire le braquage de Bellver alors que les autres restaient à Bar-
celone pour préparer le prochain. Je ne sais pas s’il y a eu ou non
une fracture mais ce que je peux dire c’est que, comme les autres
allaient à la leur, nous faisions de même.
Sebas : C’est la dernière fois que j’ai vu Oriol chez le Petit. Il se
croyait en juillet 1972. Il le paya chèrement. Je m’en veux aussi
énormément de ne pas avoir trouvé les mots et les arguments
pour éviter cette catastrophe tout à fait prévisible. Puig était lui-
aussi très conscient de la fin. Et en fait, c’était celui qui était à l’ori-
gine du MIL qui en causa la perte, par une position politique tota-
lement subjectiviste.
Pourtant cela ne signifie pas que j’en veuille à Oriol, je lui garde un
attachement particulier. Et en 1977, je fus très critiqué par certains
anciens à ce propos (comme le Secrétaire) qui me dirent : « Tu
n’étais pas à la Modelo avec nous ». Pourquoi ? Je ne l’ai jamais su
et je n’ai jamais cherché à le savoir. Pour moi, Oriol restera celui de
juillet 1972. Donc celui de septembre 1973, malgré tout. C’est-à-dire
un partisan.

Expropriation de la Caja de Pensiones à Bellver de Cerdanya


(province de Lérida)
Le samedi 15 septembre, à 9 h, Oriol et Queso pénètrent dans
la banque, ressortent avec six cent mille pesetas et retrouvent
Sancho qui les attend dans la Simca dérobée par Oriol à Cahors. À
quelques kilomètres de Bellver, le groupe abandonne la véhicule et
prend un sentier de montagne.

Sancho : Pour le deuxième hold-up de Bellver, un an jour pour


jour après le premier, on a procédé comme d’habitude avec deux
voitures, une volée et l’autre légale qui nous servait pour la
fuite.

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J’ai laissé Oriol et Queso devant la banque. Quand ils sont sortis, ils
m’ont cherché à gauche alors que j’étais en face à droite. Quand on
est partis, plusieurs employés de la banque étaient dehors, quelques-
uns ont voulu jouer les héros, ils nous ont poursuivis en voiture. Je
n’ai tiré qu’une fois dans leur direction parce que le chargeur de mon
arme est tombé, le pare-brise de leur voiture s’est éclaté et cela les a
stoppés. Il n’y a pas eu de blessé. Pour éviter les contrôles de la Guar-
dia civil, on devait marcher quelques heures avant d’atteindre la voi-
ture légale. À cause de la fatigue accumulée et le manque d’expé-
rience de Queso, on décida d’écourter le chemin et ce fut là l’erreur.
Comme cela impliquait de traverser un village, on décida de cacher
les mitraillettes et d’y aller seulement avec les pistolets, c’est là
qu’on s’est cognés à une patrouille de la Guardia civil.
Après une intense fusillade, une véritable chasse aux lapins de la
part de la Guardia civil, j’ai perdu le contact avec les autres. J’ai
marché deux ou trois jours avant de réussir à arriver en France, et
ce, toujours de nuit car toute la montagne était quadrillée par la
police. Je suis arrivé à Toulouse par le train et comme je n’avais
aucune clé d’appartement, je suis allé chez le Zapatero avec l’espoir
que quelqu’un me contacterait. C’est là que j’ai appris par la presse
les arrestations d’Oriol et de Queso. Ils ont été arrêtés le lendemain
du nez-à-nez avec la patrouille. Ils étaient fatigués et ils décidèrent
de chercher la voiture légale que nous avions laissée sur un chemin
communal. Cela a été leur erreur. Quand ils y sont arrivés, il y a
avait déjà la police, au nombre d’une quarantaine, qui se repliait
après avoir trouvé la voiture. Après un nouvel affrontement, ils
sont pris faute de munitions.
Bien que je me trouvais à peu de kilomètres des arrestations, je
n’avais rien su. Un jour, quand j’étais caché sous des rochers, j’ai
entendu des voix d’une voiture qui s’arrêtait en disant « c’est par ici
que se cachent les braqueurs ».
Aurore me contacta chez le Zapatero et, deux jours plus tard, arrivè-
rent Cricri et Jean-Marc qui avaient réussi à s’enfuir de Barcelone.

Le dimanche 16, après avoir passé la nuit dans la montagne


Oriol et Queso décident de rejoindre la trois-chevaux fourgonnette
qu’ils ont laissée, entre Alp (province de Gérone) et la Molina,

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dans la forêt à quelques kilomètres de Puigcerdá. Il est 11 heures


lorsqu’ils s’approchent de la voiture qui doit leur permettre de
passer la frontière et rejoindre Toulouse. Ils sont encerclés et arrê-
tés en possession de deux armes de poing, de munitions, d’une
paire de jumelles et d’une somme de quatre cent cinquante mille
pesetas. Blessés, épuisés, Oriol et Queso sont emmenés dans les
casernes de la Guardia civil, d’abord à Puigcerdá, ensuite à Gérone.
Ils sont rapidement identifiés, comme le précise le rapport de la
Brigada d’investigación criminal de Barcelone adressé au juge
d’instruction (voir document en annexe). Ils sont interrogés et tor-
turés pendant trois jours par des membres d’un corps spécial de la
police politique, la Brigade anti-MIL. Les mêmes qui vont mener la
chasse et procéder aux futures arrestations. Dans un état physique
lamentable, Oriol et Queso sont incarcérés à la prison de Gérone.

Sebas : Nous avons eu connaissance des arrestations très rapide-


ment par un parent Solé qui était alors journaliste au Journal du
lundi. Puig voyait Raimon, un des frères d’Oriol pour avoir des
infos. Oriol avait fait savoir que ni lui ni Queso n’avaient parlé sur
les infrastructures de Barna et Toulouse. Nous savions qu’ils
avaient été torturés dès leurs arrestations, frappés, quasiment
lynchés par la Guardia civil devant la population de plusieurs vil-
lages. La Guardia civil les a transportés en Land Rover et elle les
descendait à l’entrée de chaque village pour, qu’enchaînés, ils les
traversent sous les coups de crosses.
À Barcelone, nous avons pris des mesures de sécurité immédiates.
À l’appart, nous avons fait une évaluation pour savoir si notre
structure était réellement étanche. Elle l’était, sauf les voitures qui
étaient connues des camarades. Nous les avons éloignées de l’ap-
part et garées dans des endroits très discrets.
Ensuite, nous avons fait la tournée de tous les camarades. Les
légaux devaient partir impérativement, ils étaient notre talon
d’Achille, ceux par qui la police nous remonterait car ils ne pour-
raient pas leur échapper et eux nous feraient « tomber ». Et on ne
s’était pas trompés.
Nous devions rester dès lors que trois sur Barcelone, Puig, Cricri et
moi. Assez pour assurer les infrastructures et frapper l’info de fin
du mois.

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Felip : Quand Oriol fut arrêté après l’expropriation de Bellver de


Cerdanya, notre groupe se chargea de récupérer les armes (trois
Sten) abandonnées lors de la fuite. Les contacts avec l’ex-MlL se
renforcent, on leur donne de l’argent et de l’aide autant que pos-
sible. On leur offre des appartements pour se réfugier. S’élabore la
fusion entre des membres de l’ex-MlL et des membres de notre
groupe.
Aurore : Jean-Marc, peut-être Cricri et moi avions rendez-vous
dans un bar avec Pedrals pour lui faire passer des textes à diffuser,
des brochures des Éditions. Nous avions appris les arrestations par
les journaux et quand Pedrals est arrivé, on lui a montré les jour-
naux, il a blêmi et est parti sans emporter quoi que ce soit.
Sebas : Pedrals ne s’était pas opposé à Bellver. Toujours en retard,
Pedrals marchait triomphant vers nous trois, Puig, Aurore et moi
qui l’attendions Plaça Virreina. II nous toisa de haut. Il portait fiè-
rement le journal dans lequel était relatée l’opération de Bellver.
« Cachondo, ¿ no ? ». Lorsqu’il y avait de la vulgarité ou de l’agres-
sion, nous avançions plus facilement la terminologie castillane.
Ce cachondo signifiait oiseaux de mauvaises augures, « vous avez
mis la pression pour faire croire que l’on ne pouvait pas faire sans
vous », etc. Je ne l’avais jamais vu se réjouir autant d’une action.
Puig lui expliqua l’arrestation et tout le bordel en cours. Il passa
rapidement du triomphant à la panique. Puig a demandé à Pedrals
de monter dans les 48 heures à Toulouse sinon les contacts seraient
définitivement coupés.
À tous les rendez-vous de sécurité que nous avions, Puig et moi,
nous donnions les mêmes consignes. Nous avons essayé de le faire
vraiment.
Le Petit avait rendez-vous pour monter avec Eva et Aurore. Au ren-
dez-vous de sécurité, il nous sortit un baratin comme quoi il lui fal-
lait sauver des manuscrits. Qu’il partait immédiatement après. Au
cas où il se retrouvait bloqué à la frontière, je lui ai donné un ren-
dez-vous de sécu exceptionnel, celui de Girona, il le marqua en
code, avec son écriture toute tremblotante, sur le vieux carnet à spi-
rales qu’il transbahutait toujours sur lui. L’ultime fois où j’ai vu le
Secrétaire, c’est en haut du Paseo de Gracia, sur un banc. Nous en
étions à discuter de ce que nous pouvions faire après les tombées
d’Oriol et Queso.

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Je lui ai expliqué que Cricri et moi, après en avoir discuté avec


Puig, avions l’intention de remonter en France pour organiser une
campagne de solido et, si possible, de réaliser un enlèvement pour
libérer les deux camarades.
Puig lui avait expliqué précédemment comment il comptait s’or-
ganiser avec 1’OLLA et élargir la coordination.
Puig et moi avions monté un projet organisationnel qui avait à
peine changé d’orientation après les arrestations de Bellver. Puig
devait rejoindre l’OLLA. Tenter de construire une coordination
plus large avec d’autres groupes autonomes libertaires et commu-
nistes catalans et étudier le passage à la lutte armée. C’est-à-dire,
passer enfin à l’action armée contre la dictature et, en particulier,
les pivots du régime, l’armée et la police.
Dans les discussions, je sentais bien qu’il avait saisi, à ce moment-
là, l’urgence de cette lutte. Qu’il fallait la mener avant qu’il ne soit
trop tard pour nous tous. Sinon tout ce qu’on avait appris, toute
cette expérimentation, aurait été accumulée en vain.
Cricri et moi devions remonter et construire une coordination de
groupes autonomes à partir de tous les contacts que nous avions
déjà.
El Chato : J’ai appris les arrestations par la presse. Ils me firent
un passeport presque immédiatement et ils paraissaient ne pas
avoir peur de « tomber ». Le jour suivant, je vis Santi et le suivant
le Metge qui vint avec le Secrétaire et je repris beaucoup la
mouche. Ils semblaient trop sûrs d’eux. Deux jours avant, le Metge,
Rouillan, le Secrétaire m’avaient fait passer des trucs des éditions
Mayo 37 et quelques autres que j’avais achetés à Toulouse.
Je critiquai leur insouciance de se déplacer dans Barcelone mais ils
disaient que les avocats leur avaient garanti que personne n’avait
parlé.
Sebas : Les camarades semblaient convaincus de devoir monter,
mais en fait, pour de multiples raisons, ils s’arrangèrent pour ne
pas partir. Pedrals était amoureux, il resta. En allant voir sa
belle, il se fit arrêter et torturer. Le Petit s’arrangea pour rater tous
les rendez-vous de départ. La police le rattrapa, il fut arrêté et tor-
turé. Le Secrétaire avait un appart plus clando. Il s’arrangea lui
aussi, plus par laxisme que par autre chose, par se faire arrêter et
torturer.

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Le 18, la Brigade spéciale anti-MIL intervient chez les parents


de Queso, mais c’est le lendemain qu’elle revient pour arrêter Que-
sita qui est emmenée au commissariat de la via Layetana. Pendant
trois jours, elle est interrogée durement. On l’empêche de dormir et
on ne lui donne rien à manger ni à boire.

Aurore : Ils sont revenus le lendemain pour chercher Quesita car


ses propres parents l’avaient dénoncée. Ils avaient déjà porté
plainte contre Queso pour « détournement de mineure ».

L’interpellation de Pedrals et de sa compagne a lieu le 21. Le


même jour, Aurore et Eva quittent Barcelone pour Toulouse.

Aurore : Quesita aurait parlé en disant ce qu’elle savait, notam-


ment sur la compagne de Pedrals, Maria Luisa qui travaillait dans
une agence de voyages. Les flics y sont allés et ils ont pris la fille et
Pedrals qui venait la chercher. C’était juste une copine.
C’est de l’appartement où vivaient Puig, Jean-Marc et Cricri que je
suis partie un matin, quelques jours après la tombée d’Oriol et
Queso. C’est la dernière fois que j’ai vu le Metge. J’ai sa vision sous
la couette. Cricri comme chauffeur et Sebas m’ont accompagnée à
la gare de France. J’y ai revu Montes, faisant le guet. Le Petit
devait lui aussi par sécurité, vu sa vulnérabilité (en tant que légal,
et physiquement), revenir à Toulouse. Mais à cause de cette étrange
atmosphère franquiste où tu pouvais être repéré sans être arrêté,
où tu te sentais légal malgré tout, il était légal, et il travaillait
comme journaliste, publiant des articles dans des revues catala-
nistes. C’est pourquoi il a eu beaucoup de mal à quitter son appart,
ses bouquins, etc.
Il ne vint pas au rendez-vous. Eva et moi, nous l’avons attendu en
vain et pris le train, séparément, chacune dans un wagon diffé-
rent, au cas où. Le Petit fut ainsi très facilement arrêté.
À Barcelone, Cricri m’avait filé les clefs de l’appartement qu’il
avait loué durant l’été au 13, rue Urbain-Vitry, à cinq cents mètres
du Capitole. Personne au MIL ne le connaissait. Il avait quitté
celui de la rue des Blanchers parce que l’adresse était connue des
flics.

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Le 23 ou le 24, le Petit est interpellé par la brigade anti-MIL,


en sortant de chez lui au 47, rue Caspe à Barcelone. Il est emmené
au commissariat de la via Layetana. Lors des interrogatoires et à
l’aide des documents découverts sur lui, la BIC apprend qu’il a un
rendez-vous le 25 au bar Funicular, à l’intersection des rues Girona
et Consejo de Ciento.
Au sujet de l’arrestation et des rendez-vous du 25 septembre,
des divergences apparaissent.

El Petit : Après le congrès, je suis descendu à Barcelone la semaine


avant le départ de Sebas. D’habitude, je prenais toujours un billet
d’avion aller-retour mais je revenais en train. Comme cette fois il
n’y avait pas d’argent pour mon retour de Toulouse, j’ai dû utiliser
le billet retour en avion, exceptionnellement. Si j’avais pris le train,
la police espagnole n’aurait pas détecté mon arrivée avec la rapidité
qu’elle a eue, il me semble. Je pris seul l’avion.
Il n’y avait pas de danger dans mon appart car cette semaine-là,
ceux qui préparaient l’action de Bellver, le faisaient depuis la
France.
À 12 heures, à la sortie de mon immeuble, la police m’attendait. Ils
disaient qu’Oriol ou je ne sais qui dormait dans mon apparte-
ment. Je les fis monter pour qu’ils voient que j’étais seul avec mes
livres, qu’il n’y avait pas d’arme ni rien de suspect. Les policiers
cherchaient des armes : ils connaissaient le reste, les livres et les
revues d’ultra-gauche ou clandestins. Je n’ai jamais eu d’archives.
Une belle-sœur à moi, ex-CHE-CHO, passa tout ramasser, la police
n’en voulait pas. Ensuite, ce sont eux qui posèrent les armes bien
que je niais ce fait. Ils me racontèrent qu’ils avaient lu mon histo-
rique clinique (mon hospitalisation en juillet) et qu’on leur avait
interdit de me torturer. Ils me localisèrent grâce au personnel
français de l’aéroport avant que l’avion décolle. Ils me dirent que le
Légionnaire était leur informateur et qu’ils avaient tous les noms
ainsi que ceux des appuis, avec les adresses. Je leur répondis qu’ils
en savaient plus que moi, et c’était vrai.
La BPS m’a dit que ceux de l’aéroport de Toulouse les avaient
avertis car ils avaient lu mon nom sur la liste noire élaborée par la
BPS avec les dates du Légionnaire, où je figurais comme terroriste
ou je ne sais quoi. Je suppose qu’il est logique qu’ils m’attendaient

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à mon retour à Barcelone. Ils suivaient plusieurs pistes en même


temps et j’étais seulement un recours au cas où échoueraient les
autres pistes vers lesquelles les faits du moment les conduisaient.
Aurore : Suivis par la police à Barcelone ? Je ne crois pas. Si oui,
on ne se serait pas retrouvés tous chez lui, dans un appart légal. La
police nous aurait arrêtés avant. Peut-être qu’elle en savait beau-
coup sur le MIL. Je me rappelle d’une photo de moi prise sous les
arcades de la place du Capitole à Toulouse, elle était dans le dossier
de la police espagnole. On l’a appris par le père de Queso.
Sebas : J’ai entendu cette version de surveillance mais je la crois
totalement bidon dans la mesure où Oriol et Sancho ont couché
chez le Petit la veille avant Bellver. Que Puig et moi avons fait la
connerie d’aller dans cet appartement tenter de les dissuader de
faire l’opération. Nous étions donc six dans cet appart en fin
d’après-midi. Si la police était là, elle serait intervenue obligatoi-
rement. Et nous étions plusieurs jours après son retour à l’aéro-
port… elle aurait eu tout le temps nécessaire à la préparation de
cette éventualité ou du moins signaler dans le dossier judiciaire
qu’elle avait assisté à cette réunion. Or, il n’en est rien à ce que je
sache.
Le Légionnaire n’a rien à voir avec une seule arrestation. Le seul
appartement qu’il connaissait, celui de la calle Sales y Ferrer, a été
découvert par la police suite à l’affaire du sac de Puig et non du fait
d’une dénonciation. Le fait qu’il détourna de l’argent n’implique
absolument pas qu’il fut un indicateur. Pendant deux mois, il a par-
tagé notre vie à Barcelona, s’il avait été un indic, il aurait pu nous
faire tomber à ce moment-là. Nous n’avions jamais été aussi nom-
breux à Barna. Cinq pour le seul appart de Sales y Ferrer (Dandy,
Aurore, Puig, moi et lui). Quatre chez Sancho à Lesseps (Cricri,
Queso, Quesita et Sancho)… Il aurait pu dénoncer les apparts
après son retour à Toulouse, mais ces appartements sont restés
cleans. Comme les infrastructures de Toulouse avant et après les
tombées à Barcelone.
El Petit : Sancho le prenait pour un mouchard. Je crois que Sebas
se trompe avec son opinion bienveillante sur lui. Mouchard ne
signifie pas police infiltrée mais seulement un élément trouble
manipulé par la police même s’il est seulement un droit commun
courant. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le torturer pour

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qu’il donne des informations… Je ne peux en dire plus car je ne le


connaissais pas, je ne sais que ce que l’on m’a dit. Je ne connaissais
pas non plus Maria.
Sancho : Le Légionnaire n’est pas un mouchard. C’est Maria qui
nous l’a présenté. De toute façon, il ne connaissait qu’un apparte-
ment à Barcelone.

Dans 1000, Histoire désordonnée du MIL, Cortade accrédite la


version du Petit sur la responsabilité du Légionnaire dans les
arrestations en embellissant quelque peu son départ : « Seule la
présence d’un mouchard, nommé le Légionnaire, aurait pu un ins-
tant se révéler dangereuse, si le MIL n’avait su se débarrasser de
l’indésirable ».
Le Légionnaire réapparaît médiatiquement le 15 février 1975.
Le journal barcelonais, Diario, fait état d’un avis de recherche à
l’encontre de sept personnes pour des hold-up ou attentats. « Parmi
eux, écrit le quotidien, Jordi Solé Sugranyes alias Sancho, Jean-
Marc Rouillan alias Sebas, Jean-Claude Torres alias Krikri et Luis
Lopez Navas alias Le Légionnaire ». Si ce dernier est un collabo-
rateur, pourquoi la police aurait-elle donné son nom ? Pourquoi la
justice le poursuivrait-elle plusieurs mois après les faits ? Pour
endormir les soupçons ? Pour le remettre dans le circuit ? Alors que
c’est un individu qui a complètement disparu.
Le 25, ils sont quatre à se rendre au rendez-vous avec le Petit
alors que seul l’un d’entre eux devait s’y rendre. Sebas et Cricri,
retardés, réussissent à fuir le piège tendu par la police. Le Secré-
taire et le Metge sont ceinturés. Dans l’agitation, le Secrétaire
tente de fuir mais il est rattrapé. Le Metge se débat. Il est violem-
ment frappé et amené dans l’entrée du 70 rue Girona.

Tellez : Dans le vestibule, la bastonnade continua. Puig Antich,


ensanglanté et allongé sur le sol, parvient à sortir de son pantalon
un autre pistolet et tire. L’inspecteur Timoteo Fernandez décharge
le sien sur Puig Antich. Des renforts arrivent. Xavier Garriga et
Santi Soler sont mis dans une voiture et conduits au commissariat
de la via Layetana. Puig Antich et Francisco Anguas sont conduits
au Clinico, le premier avec deux blessures par balle, l’une au maxil-

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laire et l’autre à l’épaule, le second comme cadavre. On n’a jamais


su quelle balle avait tué le policier. Puig Antich aurait tiré deux
coups mais cinq balles ont touché la victime. Aucun rapport d’ex-
pert balistique, ni des projectiles n’a été fait, ou bien est resté
secret. Toutes ces anomalies et beaucoup d’autres seront signalées
au procès mais rien n’a été éclairci depuis ; c’était alors la justice
franquiste qui réglait la mise en scène et condamnait selon ses
convenances. ■ El MIL y Puig Antich
El Petit : J’ai demandé un rendez-vous au Metge, seulement avec
lui. Le Secrétaire m’en demanda un avec moi, auquel j’avais décidé
de ne pas y aller car je voulais être à Toulouse le lundi, mais il me
le fit noter dans mon agenda, puisque l’endroit était inhabituel. Le
Secrétaire était présent quand j’ai pris rendez-vous avec le Metge
pour le matin et avec lui pour l’après-midi. Je ne voulais pas que
Garriga soit présent si ce n’est tout seul. Dans l’agenda, il y avait
seulement des initiales et l’heure mais aucune adresse, seul le
rendez-vous avec Garriga était annoté avec l’heure, le nom du bar,
le croisement des rues.
Ils m’amenèrent là-bas et les jeunes de la police secrète se la
jouaient. Un grand (le responsable) se chargea de moi avec un
pistolet dans mes reins. Si je parlais, il tirait.
J’étais sûr que seul Garriga viendrait et que le Metge téléphonerait
à mon appartement après notre rendez-vous manqué du matin. Ne
m’y trouvant pas, il reviendrait le jour suivant, même lieu, même
heure, mais il décida d’aller à ce faux rendez-vous que j’avais
donné au Secrétaire. De plus, il portait le petit colt de Garriga dans
sa poche. Et, en voyant les deux arriver au tournant, j’ai crié qu’on
était encerclés.

Sebas donne sa version des faits. Son témoignage est long


mais il nous a semblé important de le produire

Sebas : La version du Petit est une version officielle qui s’est


sédimentée ainsi pour satisfaire tout le monde, de la BPS à l’unité
du GAC de la Modelo, difficile qu’il change de version vu que
l’autre le met au cœur des responsabilités de l’arrestation du
métro Girona. Le Petit participa farouchement à la réécriture de

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notre histoire par exemple lors de son interview à Askatasuna ou


à Egin.
Il ne fit jamais une critique de leur attitude, de leur pratique de ces
dernières semaines, jamais il ne prononça une parole de regret sur
les événements de Girona. Au contraire, il mentit et a rementi. Il
réserva la même version au mouvement révolutionnaire que celle
qu’il inventa pour la BPS « j’avais rendez-vous avec le Secrétaire »,
et la BPS le crut. C’est pourquoi la police arrive sur les lieux sans
prendre de véritable mesure de sécurité, sept flics seulement. Je dis
ça, car en 1977, lors d’une discussion avec le Secrétaire, ce dernier
m’avait raconté les tortures qu’il avait subies dans le sous-sol du
commissariat de Layetana, il se souvenait d’un flic qui lui disait :
« Si tu me donnes l’appartement du Français, on ira avec seize
jeeps… ». Version du Petit absurde que me confirma le Secrétaire
lui-même. Il ne vint à Girona que parce qu’il manqua le rendez-
vous du matin avec Puig. Il se souvenait de ce dernier possible
contact entre moi et le Petit parce qu’il était présent lors de sa mise
en place. Le Petit a joué la chèvre. Il était sur le trottoir à notre arri-
vée, ce qui précipita d’ailleurs la descente de voiture de Puig. Je l’ai
encore entrevu au moment de la fusillade. Laissé un peu seul par
les flics jusqu’au moment où l’un d’entre eux un peu plus âgé, por-
tant des lunettes, l’a pris par le bras et tiré vers les deux camion-
nettes garées là. Qu’un camarade parle sous la torture, nous pou-
vons tous l’admettre. Qu’il laisse peu de temps aux autres pour fuir,
c’est moins compréhensible. Mais s’il fait déplacer la BPS et qu’il
soit là comme appât, au moins qu’il tente quelque chose pour pré-
venir. Un seul signe aurait suffit.
Cela ne veut pas dire que je n’aurais pas de plaisir à revoir le Petit.
Je l’ai d’ailleurs revu à Barcelona en 1977, sans aucun problème. Il
eut plusieurs crises lors de notre rencontre. Montes l’aida.
La version officielle dit que le Secrétaire et Puig se sont rencontrés
sur la Gran Via. C’est faux. Il aurait fallu que Puig fasse tout le
tour du pâté de maisons et beaucoup plus vite que nous en voiture.
Je sais aussi qu’il y a la version judiciaire que Puig a maintenue au
procès : « Perqué m’havia citat amb el Petit i el Secretari » (« j’avais
rendez-vous avec le Petit et le Secrétaire »).
Le Secrétaire n’est monté à Girona que parce qu’il avait loupé le
rendez-vous du matin avec Puig et qu’il était présent lorsque le

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Petit et moi sommes convenus de cette cita (rendez-vous) de sécu-


rité. Puig n’était présent que par hasard.
Le matin du 25, le Secrétaire avait un rendez-vous de sécurité avec
Puig. Peut-être dans le coin de Paseo San Joan, au niveau de plaça
Tetuan (je ne sais pas pourquoi j’ai ça dans la tête). Puig revint en
n’ayant vu personne. Il fulminait surtout qu’il n’y avait plus d’autre
cita. Dès lors, il faudrait, soit aller chez lui directement, soit le faire
joindre par la bande, c’est-à-dire les amis communs de San Celoni
ou autres.
Nous avons mangé ensemble à l’appart. Notre jeu de prédilection à
l’époque : les fléchettes. Nous passions des heures à jouer en écou-
tant deux ou trois cassettes descendues par Cricri dont un James
Brown « It’s a man man world »…
En fin d’après-midi, nous avions deux rendez-vous quasiment à la
même heure. Puig devait aller plaça del Nord, pour rencontrer
Raimon Solé et avoir des news fraîches sur les déclarations et
l’arrivée en prison de son frère. Nous, Cricri et moi, avions un ren-
dez-vous de sécurité avec le Petit au métro Girona. Nous sommes
sortis ensemble de l’appart et nous sommes descendus ensemble
vers le haut de la rue Verdi où étaient garées les voitures.
Puig portait sa veste grise chinée, il marchait devant nous à
quelques mètres. Il monta dans la première voiture. Nous, nous
avons continué vers la seconde. Nous étions en train de nous déga-
ger lorsqu’il est arrivé en courant. Sa voiture ne démarrait pas, il
fallait absolument l’accompagner le plus près possible de son ren-
card. Et il monta.
Arrivés sur les lieux du rendez-vous, il nous demanda de l’at-
tendre, il en aurait pour cinq minutes maxi. Après nous continue-
rions ensemble jusqu’au soir. Il n’était que 18 heures, 18 h 10.
Nous étions garés rue Ventallo. Raimon attendait près de la cabine
de l’autre côte de la plaça. Nous avons ainsi assisté de loin à la ren-
contre. Je ne me souviens absolument pas de la présence de
Montes. lIs semblaient n’être que deux. Et nous n’étions donc pas
très éloignés de la scène, trente ou quarante mètres au maximum.
Puig revint. Il remonta à l’arrière de la voiture sur le côté droit.
Nous roulions vite. Nous étions en retard. Déjà en retard. En plus,
nous sommes tombés dans un embouteillage. Cricri nous en sortit.
Nous avons dû descendre par Bruch, puis Consejo de Ciento. Nous

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sommes arrivés et le bar était à droite. Il y avait deux ou trois


camionnettes garées devant le bar. Le cul vers le trottoir. Beaucoup
de monde. D’habitude, lorsque nous arrivions sur les rencards,
nous étions en avance ce qui nous permettait de faire une vigilance.
Un contrôle de la zone. Mais vu notre retard, ce jour-là justement,
nous ne cherchions qu’à nous garer le plus vite possible.
Puis tout se précipita.
À peine avions-nous dépassé le bar que Puig nous fit garer sur la
droite. « Le Petit est déjà là, je vais acheter du tabac, et on vous
attend ». Un truc comme ça. En français ou en catalan, je ne me
souviens plus.
Cricri et moi avons poursuivi notre quête, pris à droite sur Bailen.
Et miracle, on finit par trouver une place à l’angle de Diputación-
Bailen. Une place très étroite. J’ai dû descendre de la voiture
avant qu’il ne se glisse entre les deux autres véhicules. Il n’y avait
pas l’espace d’ouvrir deux portières.
Nous avons suivi le chemin inverse pour rejoindre le rendez-vous.
Nous étions presque arrivés à l’angle de Girona lorsqu’un groupe
de trois ou quatre civils sont sortis en courant d’une porte cochère.
Le dernier qui avait un pull beige ou marron clair, porta sa main au
côté. La concierge sortit sur leurs talons et elle se tenait la tête à
deux mains.
J’ai prévenu Cricri qui pourtant ne semblait pas alarmé. Nous
nous sommes dégagés sur le bord extérieur du trottoir. Je crois qu’il
y avait des arbres. Je portais deux calibres. Le revolver était dans
une petite serviette en cuir, j’ai fait glisser la fermeture éclair et je
l’ai empoigné. Et j’avais le 45 à la main droite. Cricri avait son
Llama à la main également à peine caché par le pan de sa veste. Et
nous nous sommes ainsi approchés de l’angle.
En une fraction de seconde, j’ai vu le Petit au milieu du trottoir. Il
portait son petit polo vert jaune. Un type d’une quarantaine d’an-
nées avec des lunettes le prit par le bras et le tira entre deux
camionnettes. Des gens couraient un peu partout. Sur la gauche du
bar, près de la porte cochère, quelqu’un au sol était en train de se
défendre. Trois mecs sur lui.
Si nous avions pu connaître l’ampleur réelle de cette intervention
de flics, nous aurions peut-être pris la décision de foncer dans le tas,
puisqu’ils disent qu’ils n’étaient que sept. Avec un peu plus de

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réflexes, nous aurions éliminé les mecs sortant du porche. Mais


bon, il y avait trop de monde au carrefour pour saisir qu’ils
n’étaient que sept !
La fuite nous sembla le plus logique. Nous avons fait demi-tour et
nous avons accéléré le pas sur une vingtaine de mètres toujours sur
le bord extérieur du trottoir, très large à cet endroit. Puis nous
sommes passés à une course lente, prudente. Nous étions très
attentifs à l’environnement. Nous pensions vraiment être pris
dans une grosse opération de flics. Nous avions toujours nos armes
à la main.
Arrivés à la voiture, je suis resté en retrait pendant que Cricri la
démarrait et la sortait. Puis, nous sommes partis par Diputación.
À l’angle de Girona, nous avons vu des gens courir au milieu de la
rue. En fait, et je le sus plus tard, il s’agissait du Secretari qui avait
tenté de fuir lors de la fusillade. Nous n’avons pas entendu de
coups de feu à Girona, la fusillade a dû démarrer après notre
départ !

Les armes que Puig Antich portait lors de son arrestation en septembre 1973.
Photo extraite de l’hebdomadaire catalan Porqué du 16 janvier 1974.

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En revenant à l’appartement, nous nous sommes souvenu que


Puig avait dans sa poche des trucs qui pouvaient permettre d’y
remonter, il avait aussi les papiers de la voiture que nous avions,
une Simca 1100. Au cours de ce retour, nous avons pris la décision
de quitter immédiatement Barcelona et de tenter un passage.
Nous avons quitté l’appart en catastrophe, seulement avec le
matos.
Nous avons monté deux Sten. Nous les portions sur les genoux. En
plus, j’avais mis deux grenades défensives sur le tableau de bord.
Voilà comment nous avons quitté la zone !
Nous avons fait des détours et des détours et enfin nous sommes
arrivés à La Molina. Il faisait nuit. Pourtant Cricri trouva les che-
mins forestiers pour monter sur la crête. Dès que nous avons
enquillé la forêt, nous avons entrouvert nos portières. Les vitres
baissées. La Sten à la main pour moi. Prêts à sauter !
Au sommet, nous devions traverser à découvert une prairie de
deux cents ou trois cents mètres de large puis rejoindre une route
qui descendait du côté français. Nous avons marqué une pause,
moteur éteint, pour tenter de surprendre un bruit. Puis nous avons
allumé tous les phares. Et plein pot. Cricri fonçait (pléonasme,
non ?). La Simca 1100 bondissait dans les cahots… C’est allé très
très vite et on a enfilé la petite route asphaltée qui descendait vers
Mont-Louis.
Nous étions un peu soulagés car depuis Girona, nous avions l’im-
pression d’être au milieu d’une nasse policière. À tout moment,
nous nous attendions à une fusillade. Jusqu’à les penser sur le pas-
sage même.
Après Mont-Louis, sur une petite route, nous nous sommes arrêtés.
On est tombés dans les bras. Un mélange de sentiments, la joie
d’avoir échappé au pire et la peine pour tous les camarades que
nous savions arrêtés. Et puis, nous avons pris la descente habi-
tuelle sur Toulouse par les Angles et la vallée de l’Aude. Nous
sommes arrivés très très tard, vers une heure ou plus. Et nous
avons foncé directement à l’appart de Cricri, rue Urbain-Vitry.
Aurore a ouvert.
Dans l’unique grande pièce, il y avait aussi Sancho et Eva. Je me
souviens bien de l’entrée. Nous n’étions que deux. Ils ne nous
attendaient absolument pas. Et j’ai dit simplement : « Ils sont

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tous tombés ». Tous les autres qui n’étaient pas dans cette pièce
avaient été arrêtés. Il y eut un grand silence. Et nous avons expli-
qué. Nous sommes restés éveillés jusqu’au matin à discuter, à ten-
ter d’écouter les infos.
Le rendez-vous manqué du matin avec le Secrétaire, jusqu’à ce
qu’on lise les journaux, j’étais persuadé qu’il avait été pris la veille.
Le Petit que j’avais vu au milieu des flics, vu son attitude, nous pen-
sions que les flics ne l’accompagnaient pas mais le suivaient tout
simplement. Puig aussi.
Sancho : Je sais que Montes et Felip sont allés à l’appartement de
la rue Vallcarca quand Jean-Marc est reparti à Toulouse.

La police retrouve l’appartement où habitaient le Metge,


Sebas, Aurore et Cricri. Le 28 septembre, au cours de la perquisi-
tion, elle trouve un pistolet, des cartouches diverses, des détona-
teurs électriques, des cartouches de dynamite, de nombreuses bro-
chures et plusieurs exemplaires de la revue CIA.

Sebas : La version des arrestations qui a été reconstituée avec


l’aide des avocats est la suivante :
Oriol et Queso tombent. Sancho passe en France.
Quesita attend à l’appart d’Horta. Elle apprend l’arrestation. Puig
la contacte, au lieu d’aller immédiatement la récupérer, il semble
accepter le fait qu’elle aille chez son beau-père. Beau-père qui est
un membre de la Légion Azul (volontaire sur le front de l’Est). Arrê-
tée le lendemain par la BPS, torturée, elle donne un renseignement
important. Un jour, elle aurait attendu Maria Luisa avec Pedrals
devant son travail : une agence de voyages.
Ainsi deux jours plus tard, la police remonte Maria Luisa et
Pedrals qui, malgré nos recommandations et son engagement,
n’était pas monté à Toulouse. Elle les arrête. Torture, dénonciation
du Petit.
La police retrouve l’appart du Petit deux jours après son rendez-
vous manqué à la gare pour le départ vers Toulouse avec Aurore et
Eva. La police retrouve son carnet. Elle en décode une partie, il
avoue le reste. Il semble qu’il n’ait pas parlé de nous mais du
Secrétaire pour le rendez-vous à 18 h 30 au métro Girona.

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Les incarcérations
Blessé par balles, Puig est détenu et surveillé étroitement par
la police à l’hôpital Clinico de Barcelone. Début octobre, son état est
jugé satisfaisant et il est incarcéré à la Modelo, la prison pour
hommes de Barcelone et mis à l’isolement total. Ce qui l’empêche
de voir les autres membres du MIL qui sont incarcérés. Maria
Luisa (compagne de Pedrals) et Quesita sont emprisonnées à la Tri-
nidad, la prison pour femmes.
Maria Luisa est libérée après quelques jours de prison et le 21
novembre, Pedrals bénéficie d’une liberté provisoire en échange
d’une caution.

El Petit : On nous emprisonna à la Modelo. Garriga resta avec moi


et Pedrals dans la galerie des personnes non armées. Deux jours
après, la nouvelle tomba : Sancho s’était échappé par miracle.
Oriol et Queso sont arrivés vers octobre.

De fin 1973 à 1975, divers textes sont écrits au sein de la pri-


son : « 1000 ou 10000 », « Estudio sobre la represión » (Étude sur la
répression), « Document du GAC - septembre 73 au mouvement
communiste », « Document du GAC - septembre 73 aux groupes
autonomes (Sancho-Eva et Vasco-Quim ) » (61), « ¿ La utopia dina-
mitada ? – Reflexions necessaries en l’aprofundització commu-
nista y revolucionaria del moviment real » (L’utopie dynamitée ? –
Réflexions nécessaires pour l’approfondissement communiste et
révolutionnaire du mouvement réel). Une fois franchies les portes
de la Modelo, certains sont édités en plusieurs langues.

El Petit : En attendant l’arrivée d’Oriol, on décida d’écrire quelque


chose et de signer GAC-septembre 73 (les détenus). Cela plut à
Oriol qui le fit sortir dehors.
Oriol et moi avons écrit « 1000 ou 10000 » aussitôt qu’il fut trans-
porté à la Modelo. J’ai suggéré le sigle GAC-sept. 73 pour montrer
que la stratégie MIL disparaît, les GAC continuent était valide mal-

61 – Vasco et Quim, membres de « la mouvance OLLA ».

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gré les détentions de septembre, que nous nous considérions


comme un GAC d’un mouvement de groupes autonomes qui, nous
l’espérions, grandirait sans nous. Ce fut l’unique texte de prison
auquel j’ai participé. J’avais des nouvelles du Metge par des pri-
sonniers vigilants. Ce sont ces derniers qui m’ont dit que le Metge
revint d’une séance du tribunal très choqué et qu’il s’exclama : « Ils
m’ont tué ! » à la mort de Carrero Blanco et son accablement lors de
la première entrevue de son procès. Ils ne le suicidèrent pas comme
ils le font parfois quand il y a des grâces, ils l’exécutèrent.
Il y avait des divergences au point que je restais dans le quartier des
droits communs parce que je n’appréciais pas de me promener en
entendant des sottises, c’est ce qui se passait dans le quartier des
politiques, là où était le Secrétaire, se faisant ami avec Luis Andres
Edo (76) et tout le groupe de marxistes. je continuais sur Mayo 37.
Sancho : Le GAC-sept. 73 et les divers textes comme « L’utopie
dynamitée » sont des textes élaborés en prison par Oriol et nous, à
l’extérieur, n’avons rien à voir avec ces textes.

LA SOLIDARITÉ

Au cours des semaines et des mois qui suivent, des comités de


soutien et de solidarité avec les membres emprisonnés de l’ex-
MIL se forment dans plusieurs pays, notamment en Espagne,
France, Pays-Bas, Suisse, Belgique, Allemagne, Italie, Angleterre…
Retracer l’activité de ces comités et de leurs orientations poli-
tiques prendrait des pages et des pages. Les diverses manifesta-
tions qui vont rassembler des milliers de personnes, les prises de
position, les actions, les textes diffusés méritent d’être le sujet
d’un livre à part entière. Par exemple, une ligne de fracture est
apparue en France entre ceux qui réduisaient la défense des empri-
sonnés à un combat antifasciste et ceux qui la menaient sur des
bases anticapitalistes, plus en accord avec les idées développées par
les membres du MIL.
Dans ce chapitre, nous nous contenterons de traiter briève-
ment de l’activité et du parcours des membres de l’ex-MIL qui ont

62 – EDO Luis Andres a été membre de la FIJL, de Primero de Mayo, il est


incarcéré à ce moment-là pour sa participation aux GARI.

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échappé aux arrestations de septembre et de ceux qui les côtoient


politiquement.
La campagne de solidarité doit faire face à deux impératifs, le
premier est l’urgence à cause des lourdes peines, très lourdes
peines prévisibles, et le second est le travail d’information et de sen-
sibilisation. La tâche est rude. En effet, en Espagne, en France et
même à Toulouse, le MIL est pratiquement inconnu du mouvement
révolutionnaire et a fortiori de l’opinion publique.

Mobilisation à Barcelone, Toulouse, Paris…


Quelques jours après les dernières arrestations, se crée à Bar-
celone le Comité de solidarité aux prisonniers du MIL, un collectif,
avec la participation de Montes, de groupes autonomes dont Felip
est membre, des étudiants et quelques personnes de la CNT (mais
ils n’étaient pas présents en tant que CNT au sein du comité). Son
objectif est de faire : « …un travail d’information pour tous les mou-
vements révolutionnaires et populaires… avec l’intention de faire
connaître la situation de ce groupe, les caractéristiques spéciales de
sa lutte qui est insuffisamment connue dans les courants révolu-
tionnaires, particulièrement chez ceux qui rejettent la lutte armée
comme un instrument supplémentaire dans la lutte des classes et
pour permettre une unité d’action pour éviter qu’aboutissent les
peines de mort sur les membres du MIL/GAC ».
Ce comité édite des textes du MIL et des prisonniers, leur fait
passer la frontière et permet leur réédition en France et en Europe,
par l’intermédiaire de Montes et Beth, exilés à Perpignan.

Felip : Nous sommes à la création du Comité de Barcelone et par-


faitement conscients que la campagne de solidarité va nous placer
dans la ligne de mire de la police espagnole. Une profonde amitié
naquit entre Puig et moi, amitié qui dura jusqu’à sa mort. Je lui
écrivais et il m’écrivait. Par un moyen détourné, je lui ai proposé un
plan d’évasion mais il n’a pas accepté. Ce contact avec la prison, je
l’avais aussi avec Oriol.
L’activité des groupes, de la chute de Puig Antich jusqu’à sa mort,
a été intense : création et dissolution du Comité de solidarité,
expropriation d’explosifs, élaboration théorique et pratique d’at-
tentats, publications, campagnes d’information en Catalogne,

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Belgique, janvier 1974, lors de la campagne de solidarité.

France, Belgique, Suisse. Congrès et définition du groupe auto-


nome de base sans étiquette et en minuscule ; création d’une
base permanente à Perpignan, accords de collaboration avec un
groupe anarchiste suisse. Après la mort de Puig jusqu’aux déten-
tions d’avril 1974. Derniers attentats. Dissolution du Comité de
solidarité. Expulsion du groupe libéré, démontage de l’infra-
structure clandestine et analyse de la prochaine fin de la dicta-
ture (Carrero Blanco). Redéfinition des tâches d’agitation au sein
du groupe.
Aurore : Montes m’a raconté qu’avec le groupe de Felip, ils ont
essayé de libérer le Metge de l’hôpital clinique. Montes est monté
dans la cage d’escalier et ils ont vu que c’était impossible. Le Metge
était bien gardé, même pendant l’opération (il avait eu la mâchoire
fracturée), il y avait des flics dans les escaliers.

Lors d’une conférence de presse donnée à Perpignan, le


30 mars 1974, Oriol Arau Fernandez, avocat de Puig Antich,
revient sur les premiers mois de la campagne de solidarité :
« Quelles répercussions a eu en Espagne la campagne inter-
nationale ? Pour moi, il est difficile de répondre à cette question
avec exactitude, parce qu’avant l’exécution, mon camarade et
moi, nous étions plongés dans le procès, c’est-à-dire que nous
cherchions tous les moyens pour le sauver, ce qui fait qu’il

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nous restait peu de temps pour lire les nouvelles, et moins


encore pour évaluer leur impact politique. Sans doute, elles
ont eu des répercussions : ainsi, en janvier et février 1974, des
actions eurent lieu en Espagne, sur la base des actions de pro-
testation et de solidarité que les divers comités de soutien
organisèrent en Europe. Je veux signaler qu’après mon voyage
en Europe, notamment après les conférences de presse en Ita-
lie et à Toulouse et les actions réalisées en Allemagne, une
sensibilisation s’opéra dans le milieu universitaire de Barce-
lone, où régnait jusqu’alors la plus grande confusion à propos de
ce qu’était le MlL. Je veux aussi signaler que le Comité de
solidarité de Barcelone a distribué constamment des feuilles
d’information sur les diverses actions de solidarité réalisées en
Europe. Il a même édité une brochure dressant la liste de
toutes les activités menées, faisant preuve d’une précision abso-
lue pour les dates, lieux, etc. Cette brochure a servi de matériel
de base à l’agence de presse clandestine EPI pour la publication
d’un numéro spécial sur Puig Antich. Il faut encore signaler que
c’était la première fois qu’à Barcelone, au Barreau, les avocats
et d’autres membres d’organisations politiques traitaient de
toutes les affaires juridiques, des campagnes de propagande,
etc., avec un Comité de solidarité qui, dans la mesure du pos-
sible, a fonctionné assez bien. Cette activité coordonnée et res-
ponsable du Comité de solidarité a été très positive étant donné
que le problème initial que nous avons dû affronter, jusqu’au
jugement de Salvador, fut un silence total et une confusion
énorme de la part des organisations et mouvements de l’oppo-
sition. J’ose dire que ce silence, bien que n’en étant pas la cause
principale, contribua à ce que Salvador fut exécuté, en donnant
l’assurance au régime que la réaction intérieure et internatio-
nale seraient minimes. Je crois que les réactions en chaîne qui
se sont produites, une fois connue sa condamnation, si elles ne
purent empêcher l’exécution, influèrent par contre sur les ren-
vois successifs à un mois et demi que le régime opéra, avant de
se risquer à l’exécuter et iI ne s’y est décidé que sous la pression
de sa police. Cette mobilisation, quoique tardive, sera l’un des
éléments avec lesquels le régime devra compter pour le pro-
chain procès. »

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À la question, « Pourquoi, dans le cas des procès de Burgos


contre les militants de l’ETA, se produisit-il cette énorme
mobilisation, en même temps qu’une multitude d’actions que
nous pourrions qualifier de terroristes ? », Oriol Arau Fernan-
dez répond :
« II faut partir d’une évidence, l’ETA était un groupe bien
connu, alors que dans le cas présent, nous avons dû lutter
d’abord pour que ce groupe soit connu. II a fallu donner des
explications. Par exemple, le Comité de solidarité s’est vu dans
l’obligation de démentir le caractère de gangsters que le gou-
vernement avait collé sur les militants du MIL ; un grand
nombre de militants croyaient que c’étaient effectivement des
gangsters. D’autre part, le Comité a dû s’opposer à la ligne d’ac-
tion néfaste de la majorité des partis politiques de l’opposition,
qui non seulement se sont refusés pendant longtemps à faire
quelque chose, mais en sont même arrivés jusqu’à boycotter au
début les initiatives ou à interdire à leurs militants d’assister à
des réunions organisées par le Comité de solidarité. Si à tout
cela nous ajoutons que les positions politiques de ces cama-
rades étaient très critiques envers le reste de l’opposition, que, de
plus, ils pratiquaient des actions violentes que désapprouvent
beaucoup de groupes politiques, nous aurons dressé un tableau
approximatif des difficultés que nous avons rencontrées pour
populariser l’affaire. Tout cela explique la différence entre ce pro-
cès et ceux de Burgos, où les militants de toutes les organisations
s’engagèrent dans des actions de tout type avant les procès.
Malgré toutes ces difficultés. II est intéressant de souligner
l’importance de la campagne développée par le Comité de soli-
darité, qui a obligé tout le monde à changer de langage. Jusqu’au
procureur qui, au procès, ne parlait pas de vols, mais d’expro-
priations, ce qui ne manque pas d’être paradoxal pour le système
qu’il défend ; de même, la majorité des journaux, à l’exception de
la presse du mouvement, parle tranquillement d’expropriations
des banques et des motivations politiques de leurs auteurs (aide
financière au mouvement ouvrier, publications, etc.). »

El Chato : Je n’ai pas participé à la solidarité avec des gens


comme les GARI ou ceux qui tournaient autour de la CNT. Nous

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avons imprimé des tracts et fait assez de meetings et d’assemblées


pour dire qu’ils n’étaient pas des anarchistes dans le sens strict du
terme et on essaya de lancer des actions de solidarité. On a parti-
cipé même à des assemblées, des manifestations avec Bandera
Roja, le PSUC et le PCE pour toucher le maximum de gens. Diaz le
prit très mal et parfois il me mit en danger en me demandant sur
le marché de San Antonio de Barcelone (marché dominical de
livres) où étaient passés mes amis les braqueurs, le faisant au
milieu d’un tas de gens et il m’attaqua toujours sur ce sujet. Mur-
cia ne me dit jamais rien et me facilita même l’accès à des
machines pour imprimer quelques tracts.
J’ai appris les actions des GARI bien après. Pour sauver le Metge,
je me suis joint avec des gens avec qui je n’ai jamais voulu être et
je pense que, malgré la sourdine franquiste, cela fut très connu et
idéalisé par les gens. Peut-être il ne pouvait pas en être autre-
ment.

Les rescapés s’organisent


Après avoir fui la Catalogne, Sebas, Aurore, Cricri, Sancho et
Eva se retrouvent à Toulouse où ils commencent à s’activer pour
venir en aide aux prisonniers.

Sebas : Le 26 septembre, vers 11 h, Aurore, Cricri et moi sommes


allés chez l’avocate Marie-Christine Ételin, place Arnaud-Ber-
nard, pour l’informer de la situation.
Elle prit en charge le dossier au nom de la Ligue des droits de
l’homme. Et elle la représenta comme observateur lors des
procès.
Au cours de notre bref séjour à Urbain-Vitry, nous avons décidé
d’une stratégie : participer à la construction des comités de soutien
aux prisonniers politiques (PP) de Barcelone, diffuser les thèses du
MIL, donc préparer une action pour les prisonniers, cela le plus
rapidement possible.
Sur Toulouse, nous avons un certain nombre de contacts et nous
avons décidé de faire intégrer graduellement un groupe d’une
dizaine de camarades principalement issus du lycée Berthelot et de
la cité d’Empalot. Parallèlement, nous maintenons nombre de
contacts avec des anciens de la période 1970-1971.

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Tous les institutionnels sans exception ne voulaient aucun contact


avec nous. Ils faisaient leur soupe d’un soutien larmoyant à la
lutte antifranquiste mais en s’en tenant très très éloignés, du
moins pour ses implications politico-militaires.
Ceux qui te disent à longueur de débat que la lutte armée n’est pas
utile contre les régimes démocratiques, sont exactement les mêmes
qui te critiquaient à cette époque-là en te disant que face à la dic-
tature, ce n’était pas le moment… Mais on sait bien que pour eux,
l’action révolutionnaire n’est jamais à l’ordre du jour !
Maria avait arrangé un rendez-vous avec le secrétaire de la vieille
CNT de la rue Belfort pour évoquer la campagne naissante de
solido avec Puig et les autres. Cricri et moi y sommes montés.
J’avais trouvé l’heure un peu bizarre pour une réunion de solido,
aux environs de 13 heures. Et de fait, par manque d’expérience,
nous étions tombés dans un traquenard dont tous les bureau-
crates ont la sombre spécialité. Il était seul. Aucun témoin, sauf
deux ou trois personnes dans une pièce éloignée. L’entretien ne
dura pas. Alors que nous faisions un point sur les personnes arrê-
tées, il nous coupa pour nous présenter la presse du parti, la presse
de l’interior. Comme nous avons dit que nous ne la connaissions
pas à Barcelone, il se mit à hurler. Quand les autres se sont rap-
prochés, je n’ai pas compris qu’il gueule (en castillan), « ils sont
venus jusqu’ici pour nous insulter ». Il nous a jetés en nous traitant
de « marxistes provocateurs »… !
Le lendemain, le bruit courait déjà parmi tous les réfugiés, que
nous aurions agressé le secrétaire général ! Du coup, la CNT pou-
vait pondre sa décision, elle défendrait jusqu’au bout les prison-
niers mais refuserait tout contact avec les ex-MIL encore en
liberté.
Bien sûr, c’était avant que la CNT constate qu’elle aurait plus
d’intérêt politique à nous défendre qu’à nous dénoncer. Une savante
récupération qu’elle orchestra plus tard, et qu’elle fut obligée de
faire car, justement, elle était cruellement absente de la lutte
contre la dictature pendant ces années-là.

Henri Martin, membre à Toulouse de la CNT française,


témoigne sur ce climat :

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« Lors de l’affaire du procès des camarades du MIL, où Salva-


dor Antich risquait la peine de mort, j’assistai en tant que
délégué, à une réunion de l’AIT où je posai le problème de la
solidarité. La seule question de ces bureaucrates était de savoir
si les camarades du MIL avaient leurs cartes de la CNT (je
pousse un peu, mais ça revient au même). Pas de solidarité aux
gens soupçonnés de marxisme (péché mortel !) ». ■ Extrait du
texte « Sur quelques magouilles bureaucratiques, connues de la
CNT-F» Toulouse, 14 février 1991.

Courant octobre, les rescapés s’installent rue des Blanchers.

Aurore : Nous avons failli expédier Sancho au Chili, grâce à des


papiers chiliens. Cela ne s’est pas fait, d’autant que le Chili d’Al-
lende venait de tomber !
On n’avait plus l’appart de Pargaminières mais on en avait loué
deux autres, rue des Blanchers. C’est avec ces papiers chiliens que
l’on a dû louer un premier appart au bout de la rue et donnant en
même temps sur le quai de la Garonne : on ne l’a jamais habité. On
l’a abandonné après, je pense, le départ d’Eva et Sancho. On y a
brûlé trente-six papiers. C’est là que Cricri a réussi à faire exploser
la cuvette des chiottes en tirant la chasse, alors qu’elle était brû-
lante par les papiers brûlés. Le deuxième appartement, presque en
face, un studio sous les toits au deuxième étage pour moi et Sebas.
On vivait tous ensemble, les uns sur les autres, avec Sancho et Eva.
Sans rien, sans fric, écrivant aux copains pour leur demander cent
balles, en ramenant les bouteilles consignées. Cela a duré jusqu’en
janvier, il y a eu des coups de frics mais pas de braquage de
banque.
Sebas : Sancho avait loué l’appart avec des papiers chiliens qu’on
avait trouvés dans une voiture que nous avions détournée à Bar-
celone, immatriculée en Andorre. Elle appartenait au fils du Consul
chilien. Un jour que j’avais rendez-vous avec Puig (le long du
square de la Sagrada), il est arrivé tout rouge et en nage, il venait
d’échapper en courant d’un contrôle de police avec cette voiture.
Ce fut une époque extraordinaire de la rue des Blanchers. Il y
avait bien sûr tous les apparts de l’Imprimerie 34. Les deux nôtres.

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Celui de Cricri, le familial. Quelques futurs GARI, Michel (Rata-


piñada) avec le Tos et le « Loulou », vivaient dans un appart en face
de chez Cricri. Et Mario, en haut de la rue, près de la place de la
Daurade. Et je ne compte pas le « plombier » ex-compagnon de la
« serveuse des Jacobins ».… En fait, on se saluait dans la rue. La
rue sans loi de Dubout ! (Cricri avait le livre, d’où ont été découpées
des illustrations pour les CIA).
Sancho : On s’est retrouvés seul, sans argent, sans savoir quoi
faire pour les copains emprisonnés. La première chose que nous
avons faite a été de mobiliser tous les contacts que nous avions,
aussi bien en France qu’en Espagne, et à partir de ces contacts,
vont se créer des comités de solidarité à travers toute l’Europe.
Quand ces comités se sont créés, on a eu des désaccords avec eux et
on essaya d’avancer en cherchant des formules pour empêcher
l’exécution de Salvador.
Txus : J’ai participé à la campagne de solidarité. Avec d’autres
copains, on se démenait. On avait des contacts avec un des groupes
de soutien qui dirigeait la campagne à Paris, c’est-à-dire avec la
Vieille Taupe et Barrot. Des gens que le Petit m’avait présentés,
dont je connaissais les textes écrits. J’avais une petite correspon-
dance avec Barrot dont j’ai gardé une des lettres préparatoires à
ses écrits sur la violence révolutionnaire. Violence et solidarité
révolutionnaire, livre que Mayo 37 va éditer. On avait des discus-
sions avec lui quand on montait à Paris. Sur ce qu’était ou repré-
sentait la violence. Quel était le sens de la lutte armée pour des
révolutionnaires, etc. Il avait une vision qui correspondait assez
bien à ce que l’on pensait, tout au moins certains parmi nous.
Toute mon activité était centrée sur l’édition. À part le fait que
j’étais le représentant officiel de Mayo 37 avec la boîte postale,
j’étais déjà archi-connu de la police française comme réfugié poli-
tique, qui me prenait comme l’une des têtes pensantes de l’ETA.
Donc, les risques que je prenais étaient importants, l’expulsion du
territoire français ou l’intervention d’un commando franquiste,
était possible. Je ne dis pas ça pour me faire valoir mais pour bien
relever cet aspect du problème. À plusieurs reprises, la police fran-
çaise est venue chez moi, faire des fouilles-perquisitions lorsque
j’appartenais à l’ETA ou postérieurement, quand il y a eu cer-
taines actions qui ont été menées au Pays basque (français) en soli-

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darité avec les gens du MIL arrêtés. Il faut signaler l’attitude de la


police française à mon encontre, qui exerçait une surveillance rap-
prochée sans jamais m’inquiéter. Ils espéraient comme ça que je les
mènerais aux activistes de terrain. De ceci, j’en étais conscient et on
faisait le nécessaire pour que cela n’arrive pas. Car, de toute évidence,
il y avait une collaboration entre la police française et espagnole.
Sebas : À mon sens, l’histoire du MIL se perpétue de ce côté de la
frontière, en fait la poignée de camarades, nous cinq qui avions
échappé aux arrestations.
L’année 1973-1974 (de septembre à septembre) de cette saga doit
être divisée en deux périodes, et la césure c’est 1’arrestation de Cri-
cri avec trois autres camarades en janvier 1974. L’ex-MIL avant est
différent et a des objectifs clairement définis pour la période et l’ur-
gence de sauver Puig. La phase est dominée par le compte à
rebours exigeant instauré par le procès sumarisimo (63). Portant
bien son nom : très expéditif. Nous sommes tous montés à Paris.
Immédiatement, nous avons été chez Guillaume et à la Vieille
Taupe. Nous avons eu la première réunion dans les locaux dans
une maison d’édition, rue Saint-Jacques, en face de la Sorbonne.
Ensemble, nous avons monté le Comité de soutien aux prison-
niers du MIL, le comité original. Vidal-Naquet en prit la présidence.
La nuit précédant cette réunion, Barrot avait synthétisé nos
échanges dans le fameux texte « Gangsters ou révolutionnaires ».
Dès lors, nous avons tenu régulièrement des réunions avec ce
groupe, mais toujours plus vides d’un véritable élan. Ils en res-
taient au protestataire.

Dès octobre 1973, à Paris, Jean Barrot et Pierre Guillaume


participent donc au Comité de soutien aux révolutionnaires empri-
sonnés à Barcelone, présidé par l’historien Pierre Vidal-Naquet. Ce
spécialiste de l’Antiquité s’était déjà engagé pour la défense des
droits de l’homme, contre la torture, lors de la guerre d’Algérie ou
avec le GIP à propos des conditions de détention dans les prisons
française. Avant de décéder en 2006, il sera aussi le pourfendeur
des révisionnistes dans les années 1980.

63 – Sumarisimo : Procès d’exception ultra rapide.

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Ce comité publie une brochure de huit pages, Gangsters ou


révolutionnaires ? sur les positions politiques et les actions passées
du MIL.
« En publiant ce texte, le comité ne se prononce nullement pour
ou contre les thèses qu’il développe. Les inculpés n’exigent
d’ailleurs pas d’être soutenus sur la base de leurs propres posi-
tions. Ils demandent seulement qu’on fasse la vérité sur leur
action. Ils revendiquent le droit de ne pas être considérés comme
des gangsters, ni non plus comme de simples antifascistes ou
antifranquistes. Ils ne veulent pas qu’on se déclare d’accord
avec eux mais qu’on déclare ce qu’ils sont eux-mêmes. ».

Barrot et ceux qui ont fait le Mouvement Communiste sont


vivement critiqués pour leur manière de s’investir dans la cam-
pagne de solidarité.
En France, en simplifiant les prises de positions de chaque
organisation ou groupe, le MIL est rejeté pratiquement par tous les
groupes de l’ultra-gauche qui, polémiquant avant, trouvent avec la
question du soutien une raison de plus de continuer. Parce que
cette gauche communiste est critique vis-à-vis des expropriations
assimilées à de la délinquance, parce que soutenir le MIL n’a rien
de révolutionnaire ou n’est pas assez lié au mouvement ouvrier et
à la lutte des classes., le MIL est ignoré par le courant situation-
niste officiel qui fut absent du débat. Ne sont pas non plus en
reste l’anarchisme officiel (Fédération Anarchiste…) et une fraction
de la CNT espagnole-française, puisque communistes et expro-
priateurs. Quant à la gauche du capital (PS, PC, etc.), l’extrême-
gauche et les syndicats traditionnels, ils ne souhaitent pas soutenir
des gangsters qui, en plus, défendent des positions conseillistes,
préférant jouer la carte du jeune martyr antifasciste ou de l’anar-
chiste (avec tout ce que terme a de péjoratif dans nos sociétés).
La question du soutien est révélatrice, si besoin en était, de la
nature des partis mais aussi des faiblesses, de l’inertie et des cli-
vages au sein de la mouvance ultra-gauche En 1981, dans « Le
roman de nos origines », un article paru dans le n° 2 de la revue
ultra-gauche, La Banquise, Barrot revient rapidement sur cette
période et pose la question contre laquelle beaucoup se sont cassé
les dents :

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« …Les révolutionnaires n’ont pas besoin de martyrs. Le com-


munisme est aussi fait de solidarité spontanée. Notre activité
inclut une fraternité sans laquelle elle perd son contenu.…
Comment manifester notre solidarité à un révolutionnaire
menacé de mort sans dénaturer le sens de son action ? II n’y a
pas de réponse précise à cette question. On peut seulement
énoncer quelques principes simples. »

Nous reproduisons le passage sur le MIL et la solidarité en


annexe : « L’affaire Puig Antich ». Concernant ce texte, il est un peu
rapide d’assimiler les structures du MIL à celles de l’ETA ou de
l’IRA. Il n’y a pas de comité central au sein du MIL, les membres
du MIL/GAC sont autonomes, n’ont jamais commis d’attentats
(pas eu le temps) et participaient aux éditions. Comme il est osé
aussi d’affirmer que Puig Antich « souhaitait arrêter l’action
armée ». D’une part, aucun écrit de Puig Antich ne va dans ce sens
et d’autre part, ceux qui l’ont côtoyé jusqu’à son arrestation, ne l’ont
jamais entendu tenir de tels propos.
Parallèlement aux discussions avec Jean Barrot et Pierre
Guillaume, les rescapés de l’ex-MIL prennent contact avec des
autonomes, des libertaires et principalement avec l’ORA. Et c’est
lors d’une de ces réunions qu’ils rencontrent Miguel Moreno Patiño
qui va participer à la campagne de solidarité.

Miguel : Je suis né en avril 1946, en Espagne, à La Coruña (La


Corogne) et suis le fils d’un commerçant en gros de faïence et
affaires de ménage. Je n’avais aucun parcours politique en Espagne.
Quand je suis arrivé à Paname (Paris) en octobre-novembre 1969,
j’étais parti à l’aventure. Je n’ai pu m’inscrire à la faculté de Vin-
cennes, qui venait d’ouvrir, parce que les cours étaient déjà com-
mencés. Ce n’est qu’en 1970 que je me suis inscrit en sociologie et
cinéma. Comme je n’avais pas de rapports avec ma famille, j’ai été
obligé de me trouver un boulot pour vivre et me payer les études.
J’ai bossé deux ans comme OS (ouvrier spécialisé) dans plusieurs
usines et un an comme tourneur. Lorsque je travaillais, j’allais à la
fac le soir. En 1973, j’ai laissé tomber le boulot, car j’avais économisé
un peu de fric. J’avais des idées plus ou moins libertaires, mais la
situation m’a poussé.

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Il y avait une agitation plus ou moins permanente, pas mal de dis-


cussions politiques à la fac et de nombreuses manifestations dans
les rues de Paris. Après 1968, cela a duré pendant trois ou quatre
ans au Quartier Latin. Dans le département théâtre et cinéma de
la fac de Vincennes, j’étais en contact avec des copains qui fabri-
quaient des cocktails Molotov et avaient des barres de fer pour les
manifestations mais aussi pour repousser d’éventuelles attaques
des fascistes. Ils n’ont jamais attaqué Vincennes, mais en 1967-
1968, ils avaient attaqué celle de Nanterre et, de temps en temps,
ils faisaient des raids sur des facs. On participait à de nombreuses
manifs, celles qui étaient interdites nous intéressaient davantage.
Au moment du MIL, nous étions un groupe plus ou moins informel,
de tendance libertaire mais pas anarcho-syndicaliste, formé par des
étudiants et des copains qui travaillaient. On était des jeunes
venus d’Espagne, certains avaient dû en partir. On était en pleine
dynamique de manifestations, d’affrontements, etc. On était déjà
préparés pour le passage à l’activité armée. Pour moi, cela ne m’a
pas posé de problème.
Je, nous fréquentions la rue des Vignoles où se trouvaient les
locaux de l’ORA et des vieux de la CNT à qui j’achetais des bro-
chures et recueillais des informations sur le mouvement anar-
chiste espagnol.
Nous savions qu’il y avait des choses qui se passaient à Barcelone,
mais rien sur le MIL exactement. On avait des contacts avec des
gens qui avaient fait des grèves, qui avaient dû partir d’Espagne,
etc. C’est à partir des arrestations de septembre 1973 qu’on a com-
mencé à savoir qui ils étaient. La presse les présentait comme
des anarchistes mais, par la suite, on a eu des précisions avec les
brochures de Mayo 37 et les n° 1 et 2 de CIA. Là, on a découvert
qu’ils étaient aussi conseillistes.
À Paris, il y avait plusieurs comités de solidarité aux emprisonnés,
celui présidé par Vidal Naquet, celui de la rue des Vignoles et
aussi un de Frente Libertario, l’autre tendance de la CNT, situé rue
Saint-Denis.
Fin octobre-courant novembre, il y a eu une réunion d’information
avec l’ORA, la CNT des Vignoles et d’autres personnes. Cricri et
Jean-Marc étaient présents, on a plus ou moins sympathisé. Je me
souviens qu’ils étaient en costards et qu’à l’époque, les costards

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c’étaient des fringues qu’on ne portait pas. Différentes choses ont


été abordées : commencer à faire de l’information, d’autres d’actions
plus ou moins légales, comme d’arrêter les trains en partance pour
l’Espagne, et des bombages. Moi personnellement, je pensais que de
telles actions n’arrêteraient pas la condamnation à mort. À la fin de
la réunion, on s’est retrouvés ailleurs avec Jean-Marc et Cricri, on
a parlé d’un enlèvement. Nous, nous n’avions pas fait d’actions
armées mais nous voulions en faire. J’ai parlé de Dassault, le mar-
chand d’armes, mais on a trouvé qu’il était un peu vieux pour le
kidnapper, on a pensé au fils… À partir de là, tout s’est enclenché
et il fallait du monde si on voulait aboutir. Ils m’ont donné une
adresse à Toulouse et on s’est mis en contact. À Paris, il y avait
dans le groupe, des camarades qui voulaient participer dans les
actions, peut-être pas un enlèvement mais bien décidés à participer
à fond.
Pour moi, la fac, à partir de là, est devenue transitoire. Les gens ne
pensaient pas que Salvador serait exécuté. Nous, on pensait « ils
rêvent ! ». Il était accusé d’avoir tué un flic, le MIL n’avait pas le
même rapport de force qu’ETA en Espagne et au niveau interna-
tional. Tout le monde pensait qu’il suffisait d’une mobilisation
comme cela avait été fait pour le procès de Burgos où les condam-
nés à mort avaient été graciés. Pour nous, les manifestations, les
pétitions, ce n’était pas assez, il fallait créer une situation plus
dynamique. Il n’y avait pas que l’enlèvement mais aussi tout un tas
d’actions qui pouvaient être préparées. On voulait vivre une action
plus offensive que la manifestation. Pour nous, l’enlèvement c’était
les mettre en face de leur responsabilité : « Bon, si vous le condam-
nez à mort, on prend un otage, si vous l’exécutez, nous, c’est pareil ».
J’ai dû descendre à Toulouse une ou deux semaines après notre
rencontre, il y avait encore Sancho et Eva qui vivaient ensemble,
rue des Blanchers. Cela faisait trois ou quatre jours que j’étais là,
quand on est revenus de l’apéro à l’appartement, nous l’avons
trouvé en partie vidé. Toutes les brochures de Mayo 37, des bou-
quins et une arme avaient été emportés par Eva et Sancho. Ça veut
dire que, déjà, il y avait une scission de fait entre Sancho-Eva et les
trois autres. Malgré cela, on a pu se voir et avoir des discussions.
On leur avait parlé de l’enlèvement, eux étaient en contact avec un
comité de solidarité qui s’était créé à Barcelone. Ils nous on dit

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qu’ils préparaient, pas eux directement, une tentative d’évasion


avec des gens de Barcelone qui devaient creuser un tunnel de l’ex-
térieur vers l’intérieur. Nous, on pensait qu’il fallait le faire mais
que cela prendrait beaucoup de temps, alors qu’un enlèvement
était plus rapide, pouvait le sauver et le mettre en liberté.
Fin novembre, on a commencé à prendre des contacts à Toulouse,
avec un autre groupe autonome, avec Michel, Tonton, et à Paris
avec des membres du groupe Primero de Mayo, notamment Albe-
rola. Il y a eu plusieurs réunions dans ces deux villes. Pour beau-
coup, c’était notre premier enlèvement sauf pour ceux de Primero
de Mayo qui avaient déjà de l’expérience, ils avaient enlevé un curé
de l’Opus Dei à Rome.
On devait faire deux enlèvements, un à Perpignan et un à Paris.
Pour le premier, Eva nous a dit qu’elle avait un contact avec un mec
de la Phalange espagnole, qui était PDG de plusieurs entreprises à
Barcelone. Je ne sais pas si elle a travaillé pour lui, mais elle
disait qu’elle pouvait le faire venir à Perpignan. Au début, Sancho
et Eva étaient d’accord. Ils devaient l’appeler par téléphone et
nous, le kidnapper. Pour l’autre enlèvement, nous avions deux
cibles à Paris fournies par ceux de Primero de Mayo : la première
était le représentant espagnol de 1’UNESCO que Primero de Mayo
avait déjà surveillé et tenté d’enlever en 1970. Pour la seconde,
c’était un banquier espagnol, qui était à la direction de la Banca
Espagnol de Credito (de l’Opus Dei) qui deviendra la Banca
Banesto. Pour ce dernier, on avait décidé, en échange, la libération
de tous les camarades emprisonnés du MIL et de l’argent pour la
dynamique des groupes participant et le nôtre qui allait se créer. À
l’époque, je me rappelle qu’Alberola nous a dit qu’il pouvait se
charger de la rançon économique, pas lui directement, mais des
contacts en Angleterre. Nous, on devait s’occuper de l’enlèvement,
de le garder et, éventuellement, le relâcher.
Pour conserver les kidnappés, on avait une ferme pas très loin de
Toulouse. Pour transporter le banquier, un groupe de Toulouse
avait proposé de trouver une espèce d’ambulance munie de faux
papiers avec quelqu’un déguisé en infirmier pour que les flics ne
fouillent pas.
Pour les enlèvements, bien évidemment, on n’avait pas des
masses de fric. À l’époque, pour vous dire dans quelle situation on

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était à Toulouse, j’allais piquer de la viande et le reste pour


bouffer. Les autres m’engueulaient « ne fais pas ça ! ». Et puis, on
a eu une information sur une banque dans le sud-est de la
France et on l’a dévalisée, ce qui nous a permis de dynamiser
notre activité.

En Espagne, le Fiscal (procureur) annonce les peines qu’il


souhaite avant le procès. C’est ainsi que le 26 novembre à Barce-
lone, en vue du premier procès du MIL, le Fiscal militaire, désigné
au mois d’octobre par le tribunal militaire, réclame dans ses conclu-
sions provisoires les peines suivantes : pour Quesita, six ans de pri-
son, pour Queso trente ans et pour le Metge, deux peines de mort.
Le fiscal ajoute « et impossibilité pour tous les deux durant le
temps de leur condamnation de voir leur peine diminuée à la suite
d’une amnistie et au cas où la peine de mort de Salvador Puig
Antich serait commuée ».
Le procès doit avoir lieu à la mi-décembre mais les avocats sou-
haitent et arrivent à le retarder… Jusqu’à cette date, la presse
espagnole observe le silence total sur le caractère politique des
délits.

Sancho et Eva « scissionnent »


D’accord dans un premier temps pour participer à des actions
et faire pression sur les autorités franquistes, Sancho et Eva se reti-
rent du projet pour diverses raisons.

Sebas : Sancho vivait depuis le retour à Toulouse avec Eva. Sans


qu’elle n’ait jamais eu aucun rôle dans la phase précédente du MIL,
elle prit à son compte le contact avec l’intérieur. Ce qui fut une
magistrale erreur, en fait, car dès lors l’information ne circula plus
correctement entre l’interior et nous. C’était l’ancienne compagne
du Secrétaire et avec lui, elle avait pris le pli d’une certaine sous-
évaluation de l’action militaire et des camarades qui la prati-
quaient.
Bien sûr, elle trouva tout naturel de prendre pour argent comptant
et à son compte l’ensemble des discours des prisonniers, et elle
entraîna Sancho dans cette position absurde. Il faut se rappeler que

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les prisonniers politiques de la Modelo ne parvenaient toujours pas


à prendre conscience de la situation de Puig. Ils maintenaient
donc leur position : « Nous ne croyons pas à la possibilité d’exécu-
tion ».
Je ne sais pas grand-chose de Puig et des autres, de leurs courriers
internes avec Sancho-Eva et Vasco-Quim. Le seul courrier reçu
d’Oriol, dès le début de sa détention, montrait qu’il était un des
seuls à avoir repris ses esprits. Puig était encore à l’hôpital ou à
l’isolement. Les autres semblaient pinailler sur tout.
Oriol nous a clairement fait savoir qu’il appuierait nos initiatives.
Sancho, Cricri, Aurore, Eva et moi avons pris connaissance de ce
message. Il semblerait qu’Eva ait reçu parallèlement un autre
message du Secrétaire and Co. Le Secrétaire savait pertinemment
ce que je comptais faire pour Oriol. Deux jours avant son arresta-
tion, lors d’une cita, je lui ai expliqué la version enlèvement en
France, en long et en large.
Nous avions eu une info très sûre au début de la détention de Puig,
peut-être même la première semaine après son arrestation. Plu-
sieurs flics avaient pris d’assaut l’étage de l’hôpital où il était soi-
gné. Il voulait le lyncher. Des policiers de la Municipale se seraient
interposés juste à temps avec quelques gris. Le maire de Barcelone,
Viola (exécuté lors de la phase de transition !), aurait assuré aux
flics présents que Franco en personne lui avait confirmé par télé-
phone que Puig serait bien exécuté dans les six mois (64). Les pri-
sonniers étaient au courant de cette promesse de Franco aux poli-
ciers de la BPS de Barcelone, Eva et Sancho également, tout
comme nous tous. Il ne pouvait y avoir aucune ambiguïté à ce
propos.
Même après deux rencontres avec l’avocat monté de Barcelone, une
à Toulouse au bar du Grand Hôtel (!) et l’autre à Paris (à Pigalle !),
au cours desquelles il se montra extrêmement pessimiste sur les
chances de Puig, Eva et Sancho persistèrent dans cet entêtement.
Ils n’y croyaient toujours pas, même après l’exécution de Carrero
Blanco par ETA.

64 – Dans le Dossier MIL qu’il publiait en octobre 1973, le Comité de solidarité


de Barcelone informait que Puig Antich serait condamné à mort suite à la pro-
messe faite par les autorités franquistes aux policiers de la BPS.

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Pour Cricri et moi (plus les camarades encore avec nous), l’essen-
tiel et l’urgent étaient de réunir assez de force et de réussir à
prendre une ou deux personnalités avant le procès pour éviter
l’exécution de Puig, négocier à tout prix sa vie, sinon il était foutu.
Les procès étaient des événements secondaires dans l’enjeu de
cette affaire. L’État espagnol voulait faire un exemple et nous
nous n’avions qu’une chose à faire, essayer par tous les moyens de
l’empêcher. Le reste n’est que du baratin, il n’y avait vraiment
aucune autre solution !
Face au délai imposé par le conseil de guerre-sumarisimo contre
Puig, nous n’avions que peu de temps devant nous pour faire de ce
groupe assez hétéroclite un noyau capable d’assumer. Deux enlè-
vements étaient envisagés.
Sancho et Eva changèrent d’avis progressivement, ils s’éloignèrent
du noyau ex-MIL et disparurent, bloquant ainsi les premières
orientations que nous avions dans ce domaine. Sans doute avaient-
ils rencontré quelqu’un qui ne voulait pas d’une telle opération.
Non pas qu’ils préféraient avoir un martyr en la personne de Puig,
mais cela devait être un ultime avatar de limites politiques aux-
quelles nous nous étions confrontés durant deux années. Une inca-
pacité à passer tactiquement à une phase supérieure du com-
bat. Nous ne les avons jamais revus, ni l’un ni l’autre (65).
Comme ils avaient fini par concentrer les contacts avec l’interior, dès
ce moment-là, les rapports avec la coordination intérieure furent
rompus. Ce qui ne nous posait pas trop de problèmes, même poli-
tiques, vu la situation, car nous étions concentrés exclusivement sur
la tâche de sauver Puig et Oriol. Nous n’avions plus rien à voir avec
la position soutenue par le GAC-septembre 73 formé à la Modelo.
Pas grand-chose à faire avec le Comité de soutien de Barcelone.
Aurore : Dès les arrestations, on savait que la condamnation à
mort était plausible à cause des hold-up et, de plus, il y avait un flic
mort.
À part téléphoner aux avocats qui avaient une peur bleue, je ne me
rappelle pas de contacts avec Barcelone, sauf Eva qui téléphonait.
Elle a tout stoppé car on devait enlever un ami de sa famille et il y

65 – Sebas, incarcéré depuis 1987 pour ses activités au sein de l’organisation


Action Directe, reverra Sancho et Eva au parloir au début des années 2000.

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avait des risques. Ce qui est possible, le problème c’est qu’elle


aurait pu y penser plus tôt.
Hiver 1973-1974, il y a eu une conférence de presse au Grand
Hôtel, rue de Metz, il y avait Marie-Christine Ételin et d’autres
avocats. Il y en a eu une autre à la Mutualité de Paris avec la
Duchesse Rouge (Duchesse d’Albe, antifranquiste proche des com-
munistes) et sa cour, elle a été très lyrique… sur le dos des copains.
Je n’ai jamais revu Sancho, sauf Eva en 2005. Sancho était un bon
copain.
Sancho : Après les arrestations de 1973 et un séjour en Belgique,
je suis rentré une semaine à Barcelone pour me mettre en contact
avec Montes, avec les étudiants libertaires. Après tout ça, je suis
reparti d’Espagne, adios.
Alors, ont commencé toutes ces histoires à Paris avec Alberola et, à
Toulouse, par manque d’argent, le groupe allait braquer des trafi-
quants de drogue. Une fois, je suis allé à un de ces braquages, ça a
mal tourné et on est partis en courant… comme les Freak Brothers.
Des histoires, des conneries.
Je suis parti quand Sebas est arrivé en disant « on va mitrailler le
consulat espagnol » (66).
Je crois, et ce n’est pas pour lui reprocher, que pour lui ce n’était pas
une histoire passionnée comme pour moi, c’était plus personnel,
mon frère était en prison. C’était une histoire plus bizarre, lui,
c’était aussi puissant mais dans la fête et esto a mi me tocaba los
cojones (à moi ça me cassait les couilles). On avait connu une his-
toire très forte et on commençait à déconner, j’ai préféré arrêter.
Après toutes ces merdes, je voulais partir. Qu’est-ce-que je peux
faire pour mon frère, pour Salvador ? Je restais pour les éditions et
comme Sebas ne voulait pas s’occuper des bouquins, c’est moi qui ai
continué.
Cela faisait des années, qu’en Espagne, il n’y avait pas eu d’exé-
cution de prisonniers politiques, les dernières étaient celles des
anarchistes Joaquin Delgado et de Francisco Granados, en août
1963. On pensait de ce fait qu’on ne l’exécuterait pas et, de plus,
il y avait l’antécédent du procès de Burgos. Mais avec la mort de

66 – Le 23 février 1974, à Toulouse, rue des Géraniums, la voiture du chance-


lier du Consulat d’Espagne est mitraillée. Sebas fait partie du commando.

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Carrero Blanco, le panorama changea radicalement et même


Salvador, quand il apprit sa mort, a dit : « Maintenant oui, ils
m’exécuteront ».
Il était clair qu’ils exécuteraient Salvador mais il était aussi clair
que nous ne pourrions l’éviter. Le dilemme était posé, continuer les
éditions Mayo 37 ou entrer dans la spirale détention-solidarité-
détention. Sebas, Aurore et Cricri choisirent la deuxième ; Eva,
Txus et moi, on opta pour la première, continuer les éditions. Ce fut
la cause et le motif de notre séparation. Avec Eva, on a quitté Tou-
louse en 1974 après l’enlèvement de Suarez et on s’est installés à
Perpignan.

Exécution de Carrero Blanco


L’Amiral Luis Carrero Blanco est né en 1903 à Santander. À la
sortie de l’École navale, il participe de, 1924 à 1926, à la cam-
pagne militaire du Maroc. Pendant la guerre d’Espagne, il se joint
en 1937 aux troupes fascistes et est promu chef du Haut état-
major de la Marine. En 1951, il est nommé par Franco responsable
direct de la sûreté de l’État et des procès politiques. En 1967, il
devient vice-premier ministre et, en juin 1973, nommé Premier
ministre car Franco est gravement malade.
Le 20 décembre, en plein cœur de Madrid, dans le quartier
Salamanque, une importante charge explose au passage de son
véhicule et le tue. Il est alors le chef du gouvernement et l’un des
plus fidèles collaborateurs et successeur probable de Franco. L’at-
tentat, baptisé par ETA operación Ogro, est revendiqué par l’orga-
nisation basque.
C’est l’ancien ministre de l’Intérieur, Arias Navarro, qui suc-
cède à Carrero Blanco et ce n’est pas un tendre. Son surnom pen-
dant la guerre civile et par la suite est le bourreau de Malaga. En
1963, il est directeur général de la Sécurité quand, en avril, est
fusillé Julian Grimau, un dirigeant du PCE et quand, le 17 d’août,
sont garrottés Francisco Granados Gata et Joaquin Delgado Mar-
tinez, membres de la Fédération ibérique des jeunesses libertaires
(FIJL), pour des attentats qu’ils n’ont pas commis.
Avec l’exécution de Carrero Blanco et la nomination d’Arias
Navarro, les possibilités d’échapper au garrot pour le Metge sont
minces.

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Au cours du mois de décembre, trois groupes, l’un de Paris et


deux de Toulouse (dont Sebas, Aurore et Cricri), s’accordent sur
l’enlèvement d’une personnalité espagnole.

Sebas : Noël 1973, nous sommes en contact avec un autre groupe


de Toulouse qui est au courant de notre détermination d’enlever
une personnalité espagnole pour l’échanger contre les prisonniers
politiques et surtout les condamnés à mort. Pour nous, Puig et Oriol
sont dans ce cas, comme un ou deux camarades maoïstes du FRAP.
Du coup, il fit le contact avec Alberola et les camarades du groupe
Primero de Mayo qui, eux, avaient déjà réalisé ce genre d’opération
par le passé.
Nous avions fini par avoir deux repérages concluants : l’industriel
(Porte Dauphine) et l’ambassadeur d’Espagne à l’UNESCO. Pour ce
dernier, il vivait en haut de l’avenue Marceau, à une centaine de
mètres de la place de l’Opéra. Nous avions assisté à l’arrivée de
l’ambassadeur dans sa Mercedes grise et cela nous parut relative-
ment facile. Pour l’autre, nous pouvions le prendre dans la cage
d’escalier à son retour du boulot.
Nous avions choisi politiquement l’ambassadeur en première
option. Mais au cas où, comme il se déplaçait beaucoup, nous nous
serions rabattus sur le second.
Pour nous, c’était parti. L’opération commençait. Et nous n’avions
que quelques jours, deux ou trois semaines tout au plus pour réus-
sir. La réunion du Conseil des ministres qui devait entériner la
peine de mort avait été prévue ou était prévisible…
Pour les revendications de l’enlèvement de janvier, nous devions
demander la libération de tous les membres du MIL ainsi que la
non-condamnation à mort des camarades du FRAP. Pour moi, l’af-
faire de la récupération d’une rançon était vraiment secondaire et,
d’ailleurs, je ne me souviens de rien à ce propos. Ni de la somme. ni
pour quel projet.
À propos de l’éventualité de l’exécution maintenue de Puig, je crois
que nous n’étions pas prêts à exécuter l’otage. En essayant de me
remémorer notre état d’esprit, je crois que nous ne l’aurions pas fait
sauf s’il s’agissait d’un membre de la Phalange (comme c’était
prévu au départ). Dans le cas d’un diplomate ou d’un banquier, je
crois, que nous l’aurions gardé plusieurs mois, mais pas exécuté.

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■ 1974

Le mardi 8 janvier, dans les bâtiments du gouvernement mili-


taire à Barcelone, le Metge, Queso et Quesita comparaissent,
menottes aux poignets et les pieds enchaînés pour les hommes,
devant le Consejo de guerra (tribunal militaire d’exception), pour
leur participation à l’expropriation de la Banco hispano-ameri-
cano du Paseo Fabra y Puig du 2 mars 1973 à Barcelone. Le Metge
est également jugé pour le meurtre (présumé) de l’inspecteur de
police adjoint, Francisco Anguas Barragán.
Le tribunal est composé de sept officiers militaires. Pour une
fois, les avocats ne sont pas des militaires et ils contestent, sans
résultat, le fait que les deux délits puissent être joints dans un
même procès.
La procédure sumario ordinaire est suivie dans cette affaire :
les avocats et les accusés sont prévenus 48 heures avant de la
date d’ouverture. C’est une pratique courante des tribunaux mili-
taires franquistes, qui avisent parfois les personnes concernées
seulement la veille.
Avant et pendant le procès, un dispositif policier et militaire
important est mis en place. L’accès à la salle d’audience est limité
à une soixantaine de personnes, des journalistes, des membres de
la famille des accusés et un public choisi. L’après-midi, plusieurs
avocats, dont Marie-Christine Ételin, mandatés par la Ligue
internationale des droits de l’homme (LIDH), peuvent assister au
procès.
Pour le hold-up, le Metge et Queso ne nient pas leur partici-
pation et affirment que l’argent était destiné à financer les activi-
tés du MIL. Pour la mort du policier, l’avocat conteste le fait que le
Metge en soit responsable. En effet, ce dernier n’est pas le seul à
avoir fait usage de son arme, puisque lui-même a été blessé griè-
vement à la mâchoire lors de son arrestation. De plus, les médecins
de garde à l’hôpital ce jour-là ont constaté cinq impacts dans le
corps de l’inspecteur alors que le rapport d’autopsie n’en men-
tionne que trois et que le Metge aurait tiré deux fois. L’avocat
demande une contre-expertise qui est refusée car le Code militaire
stipule que tous les membres du tribunal, étant militaires, sont
eux-mêmes experts.

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Lors du réquisitoire, le procureur confirme les peines requises


le 26 novembre 1973 et fait état d’autres complices pour le hold-up
du 2 mars 1973, citant les noms de Jean-Marc Rouillan et Jean-
Claude Torres. Cette information est reprise dans Le Monde du
10 janvier 1974.
À 18 heures, le tribunal se retire à huis clos. Le procès a duré
sept heures. Dans une note relative au procès, datée du 14 janvier
1974, Serge Levy, avocat et observateur judiciaire de la Ligue
belge pour la défense des droits de l’homme, relève que l’instruction
d’audience, l’interrogatoire des prévenus, les réquisitoires, les plai-
doiries et les déclarations des prévenus ont été terminés en un seul
jour.

Dans la matinée du 9 janvier, le Metge est condamné à la


peine de mort, Queso à trente ans de prison et Quesita à cinq ans
de prison. Avant d’être appliquées, les condamnations doivent être
confirmées par le Consejo supremo de justicia militar (Conseil
suprême de la justice militaire).
Dans la soirée, mille personnes parcourent les rues de
Barcelone pour dénoncer cette sentence. Dans les jours suivants,
des groupes autonomes barcelonais sont à l’origine d’une série
d’attentats à l’aide d’explosifs : le 11 janvier, au petit matin, le
Monument aux morts franquistes, los Caídos, situé avenue du
Generalissimo (aujourd’hui av. Diagonal), est ébranlé par une forte
charge ainsi que trois banques dans divers quartiers. Les dégâts
sont importants. Le 18 janvier, à Mataró, c’est encore le Monument
aux morts qui est visé. Le 8 février, c’est au tour de celui de
Badalone.

« Ce fut notre réponse à la condamnation à mort, raconte Felip


qui a participé à ces actions, nous voulions faire du bruit.
Nous avons toujours fait attention à ce que ses actions évitent
ou aient la moindre possibilité de blesser quelqu’un. » ■ Cité
dans Cuenta atrás.

Oriol Arau Fernandez, avocat de Puig Antich, revient sur le


climat dans lequel se déroule un procès de ce type :

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« Dans un Conseil de guerre, nous, les avocats, ne servons


qu’à une chose, dresser face à face les juges et le public, et pro-
voquer le scandale et, ainsi, nous faire expulser du tribunal ;
pour le reste, il ne faut pas espérer pouvoir assurer la défense
proprement juridique, défense qu’il faut pourtant essayer d’as-
sumer au maximum. Pour ce qui est de l’aide que nous pou-
vons apporter au condamné, notre rôle est de faire le pont
entre lui et l’extérieur. » ■ Extrait de la conférence de presse,
donnée à Perpignan, le 30 mars 1974.

À Ivry-sur-Seine, Michel, Cricri, Miguel et Tonton sont inter-


pellés lors d’un contrôle policier dans la nuit du 16 au 17 janvier
1974. Tous les quatre sont membres du groupe autonome qui doit
participer à l’enlèvement de l’ambassadeur représentant l’Espagne
auprès de l’UNESCO ou d’un industriel espagnol.

Miguel : Il y avait une église à Ivry, dans la banlieue parisienne,


puis une espèce de parking qu’on avait repéré. C’était un endroit
tranquille pour changer les plaques d’immatriculation de la
Triumph que nous venions de piquer. Sebas n’était pas là, il était
resté à l’appartement. À la sortie du parking, vers 2-3 heures du
matin, avenue Lénine, j’étais avec Cricri dans la Triumph, Michel
et Tonton, deux copains de Toulouse qui participaient depuis
quelque temps à l’activité de notre groupe, étaient derrière dans la
Renault 12 louée à Toulouse. On a vu dans le rétroviseur les
phares d’une bagnole qui nous suivait, mais la nuit, tu ne fais pas
gaffe. À un feu rouge, au lieu de le griller, on s’arrête, ce n’était pas
la peine de se faire repérer pour une pécadille. C’étaient les flics,
ils nous contrôlent, nous demandent ce que l’on fait et si on
connaît ceux de derrière. « Non, on ne les connaît pas… ». On s’est
tous retrouvés au commissariat du coin pour un contrôle d’iden-
tité. Et là, ils ont trouvé les plaques d’origine de la Triumph dans
le coffre de la Renault 12, que nous devions jeter dans la Seine.
À partir de là, tout se complique quand ils découvrent, au fond
du manteau de Michel que je portais, un papier sur lequel il y
avait marqué aéroports de Genève et Milan avec une description
d’un truc chimique qui devait éventuellement servir à frapper la
compagnie espagnole Iberia. Tu préparais ce truc chimique que

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tu glissais dans une valise, tu prenais un billet à l’aéroport, tu


enregistrais ta valise et avant même que les passagers prennent
place pour le départ, la valise s’enflammait. C’était un de Primero
de Mayo qui nous avait donné ces indications, ils avaient déjà uti-
lisé cette technique (67). C’était une hypothèse d’action, la principale
restait l’enlèvement. À part ça, on avait programmé un tas d’autres
actions, comme d’envoyer des lettres menaçantes au gouverne-
ment espagnol ou une autre à Genève où des copains et des Espa-
gnols résidant en Suisse devaient, avant l’enlèvement, tirer des
balles sur le Consul espagnol, pas le flinguer mais le blesser. Cette
action n’a pas été menée, parce que les gens qui devaient agir se
sont rétractés.
Au commissariat, ils ont pensé qu’on était des terroristes, car le len-
demain des flics spécialisés sur les affaires politiques sont venus
nous interroger. J’ai reconnu et expliqué l’action sur les aéroports,
pour ne pas dévoiler que la Triumph était pour l’enlèvement. À
l’époque, j’avais une piaule de bonne, rue Fénelon dans le Xe arron-
dissement de Paris, où on avait planqué provisoirement le sac
contenant les armes venues de Toulouse
J’ai donné mon adresse à la fin des 48 heures de garde à vue, pen-
sant que les armes auraient été déménagées. Lors de la perquisition,
j’étais menotté à l’avant et quand les flics ont découvert les armes, un
d’eux m’a foutu son pétard sur la tête et les menottes à l’arrière. On
s’est retrouvés en taule. On a déchargé Michel et Tonton en disant
que c’étaient des étudiants et qu’ils n’avaient rien à voir avec ça. Ils
ont dû sortir après trois semaines de prison 68). Cricri a pris en
charge le vol de la voiture et moi indirectement les armes.

67 – Des sabotages avec le même procédé ont été menés en mars et juin 1963,
à bord d’avions commerciaux espagnols et portugais dans plusieurs aéro-
ports européens et américains, dans le cadre d’une campagne anti-touristes
sur le sol espagnol et portugais. Ces actions étaient orchestrées et revendi-
quées par le Conseil ibérique de libération (CIL) bras armé, de 1962 à 1963, du
Mouvement libertaire espagnol (CNT, FAI et FIJL). En 1970, c’est le groupe
Primero de Mayo qui revendique les actions de même type contre les avions de
la compagnie espagnole Iberia sur les aéroports d’Amsterdam, Genève, Franc-
fort et Londres.
68 – Tonton et Michel seront de nouveaux incarcérés en juillet et septembre
pour leurs activités au sein des GARI.

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Cricri et moi, on est restés à la prison de la Santé jusqu’à notre pro-


cès en octobre 1974 où on a été condamnés à dix mois avec sursis.
En attendant, Salvador avait été assassiné légalement. Tout ce que
les GARI ont fait après notre arrestation venait de la coordination
déjà en place.
Les gendarmes sont venus chercher Cricri dans la prison, le jour de
sa libération parce qu’il était insoumis à l’armée. Je suis sorti
seul. Il est resté deux ou trois jours dans une caserne, avant d’être
réformé. Sebas nous a fait parvenir ses coordonnées, il vivait à
Paris et on a repris contact. Cricri disait que pour l’instant, il ne
voulait rien faire, qu’il voulait prendre un peu de repos. Pour moi,
pas de problème, j’ai continué. Deux mois après, en décembre,
Sebas a été arrêté en compagnie de deux autres personnes.
Sebas : Le départ de Sancho et d’Eva et la tombée en janvier des
quatre à Paris ont définitivement ruiné notre scénario de solution
d’échange. Alors que l’exécution de Carrero Blanco par ETA ren-
forçait la tendance de l’Etat à faire un exemple. La suite est logique.
Il n’y a eu aucune dissolution des GAC, ils sont morts faute de
combattants justement ! Pour notre part, nous nous sommes fondus
dans les GARI et, après l’été 1974, nous conservions cette étiquette.

À la suite des arrestations, se met en place une nouvelle coor-


dination élargie à d’autres groupes autonomes qui veulent rompre
avec les manifestations classiques et les lamentations hypocrites
des démocrates, qu’ils trouvent inefficaces.

Amandine : Ces groupes autonomes qui participent à cette coor-


dination existent avant les arrestations de janvier. Nés dans l’agi-
tation sociale de l’après-mai 68, ils veulent dépasser le cadre des
manifestions traditionnelles et l’urgence d’empêcher l’exécution
de Puig Antich fait qu’ils se recentrent sur l’Espagne, mais le
temps de finaliser les accords politiques, de mettre en place les
structures (mises au point diverses, trouver les fonds nécessaires et
l’appartement pour accueillir l’invité, etc.), cela prend du temps et
Puig est exécuté. Oriol et Queso risquent d’être condamnés à mort,
alors la coordination va effectuer, fin mars 1974, une série de sabo-
tages à l’explosif dans le sud de la France sur des voies de com-

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munication (ponts et voies ferrées) reliant l’Espagne. Ces actes


sont revendiqués avec le sigle GAI (Groupes autonomes d’inter-
vention). En avril, la Coordination décide de maintenir le projet
d’enlèvement qui se réalisera début mai 1974 et qui sera revendi-
qué par les GARI. L’objectif de cette coordination n’a jamais été de
créer une organisation de lutte armée, de perpétuer le MIL, de
détourner le sens de son combat ou d’affirmer que Puig était anar-
chiste. Nous voulions apporter une solidarité concrète dans un
moment donné et que chaque groupe ensuite reprenne son auto-
nomie d’intervention. Les GARI se sont auto-dissous fin août 1974.
Sancho : Les engagements de Jean-Marc et Cricri avec le mouve-
ment libertaire et notre propre incapacité à répliquer furent les rai-
sons pour lesquelles Salvador passa pour un anarchiste même s’il
ne s’est jamais déclaré comme tel.
Sur les GARI et les attentats de 1974, je peux dire que la violence,
comme ils l’entendaient, ne m’intéressait pas dans l’absolu, même
s’il me restait le regusto (l’arrière-goût) de ne pas y participer.
Pour moi, c’était recommencer la même histoire, je ne voulais pas
répéter l’histoire. Je voyais le truc atracos-arrestaciones-solidari-
dad, cela n’apporte rien. J’en avais marre et pour moi c’était clair,
si c’est ça la révolution… Une fois, d’accord, parce qu’on y était
dedans mais pas pour répéter l’histoire.
Pour moi, le GARI c’était la même chose. Ils commencent avec les
arrestations du MIL, après il y a la justification. Après « que fait-on
car il n’y a plus de solidarité, le Metge est mort et les autres sont
encore en prison, on touche l’argent et que va-t-on faire ? ».
Il y a une différence entre être un groupe d’appui à quelqu’un et un
groupe qui fait ses propres choses, ses propres revues. Pour moi, le
sigle est une reculade, « soy un filantropo y ayudo, tengo la verdad,
asi teneis mis revistas » (je suis un philantrope, j’aide, j’ai la vérité
et voici mes revues).
Au début je n’étais pas contre, je l’ai compris après.

LE METGE CONDAMNÉ À MORT

Le 11 février, les généraux du Consejo supremo de justicia


militar se réunissent à huis clos pour examiner les condamna-
tions requises le 9 janvier. En se rendant au tribunal militaire pour

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une autre affaire, Oriol Arau Fernandez apprend par hasard la


confirmation des peines. Le sort des condamnés est entre les mains
de Franco et du gouvernement de Arias Navarro, à qui il appartient
d’entériner ou de modifier les sentences.
Le 15 février, l’avocat du Metge adresse un télégramme à
Franco où il lui demande de commuer la peine de mort requise et,
par la même occasion, de l’abolir en Espagne. Le Collège des
avocats, des médecins, des ingénieurs, des architectes de Barce-
lone, de Madrid et dans d’autres villes interviennent collective-
ment, pour lui demander la grâce du Metge. Dans la soirée du
premier mars, les avocats du Metge apprennent la confirmation
de sa condamnation à mort par le Conseil des ministres réunis
dans la journée à Madrid. Informée dès 22 heures, la presse
reçoit l’ordre de ne pas communiquer l’information avant le len-
demain matin.

Oriol Arau Fernandez : En Espagne, les Conseils des ministres


se terminent habituellement à 14 heures. Pendant tout l’après-
midi, j’ai essayé en vain de communiquer avec Madrid. Les seules
informations que j’ai pu obtenir ont été la majoration du prix de
l’essence décrétée par le gouvernement le jour-même, et l’aug-
mentation de certains autres prix. À vingt heures trente-cinq, j’ai
été invité par le Tribunal militaire à me rendre en personne à vingt
et une heures à la prison. Avant d’aller à la prison, je suis passé au
Barreau afin d’y organiser une permanence.
Pour éviter que la nouvelle de l’exécution de Puig ne soit connue
immédiatement par la population, le gouvernement avait décidé :
de ne pas faire référence à ce conseil des ministres dans les télé-
types avant 10 heures du matin, procédé rappelant la sombre
période de Fraga Iribarne ne permettant pas ainsi aux journaux du
matin de publier la nouvelle ; que les journaux télévisés de
21 heures et de 24 heures, et les émissions de Radio Nationale gar-
deront un silence absolu sur cette affaire. Mieux, tous les pro-
grammes nocturnes furent supprimés, pour laisser la place à un
match de boxe de Urtain, vedette dévouée du régime. Pour ma part,
j’ai essayé de communiquer la nouvelle à plusieurs radios, mais en
vain, car toutes avaient reçu l’ordre cette nuit-là, de ne radiodiffu-
ser que le match de boxe.

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Une fois arrivé à la prison, j’ai essayé par tous les moyens de recu-
ler le plus possible le moment de la signature par Salvador et
moi-même de la condamnation à mort, parce que j’attachais une
grande importance au délai de 12 heures, prévu entre la signature
et l’exécution afin que celle-ci ait lieu le plus possible en plein
jour, ce qui permettrait de profiter au maximum de tout ce temps
pour mobiliser l’opinion à l’extérieur de la prison, et d’effectuer des
démarches auprès de différentes personnalités. Après de multiples
péripéties, j’ai réussi à obtenir du juge que la signature soit repor-
tée jusqu’après le tour de garde, ce qui nous permit de gagner
trois bons quarts d’heure.
Nous avons signé la sentence à vingt et une heures et quarante-
cinq minutes, et c’est à ce moment que commence la terrible his-
toire de ces douze heures très longues et très courtes à la fois, jus-
qu’à dix-heures moins le quart du lendemain, heure de l’exécution.
Quelques faits significatifs de l’ambiance qui régnait dans la pri-
son pendant ces douze heures. Par exemple, à peine la confirma-
tion définitive de l’exécution fut-elle connue que la garde fut
quadruplée dans la prison ; en même temps, les policiers de la
BPS se promenaient dans la cour et dans les autres dépendances
de la prison avec une facilité surprenante. La prison était occupée
militairement. Il faut souligner que, même nous, les avocats du
condamné, nous étions fouillés du haut en bas, à chaque entrée ou
sortie de la prison ; je me rappelle qu’ils me confisquèrent jusqu’à
un tube d’aspirine ! On ne pouvait rien sortir. Il en était de même
pour ses sœurs car une femme les fouillait, ce qu’elle faisait scru-
puleusement, à l’exception du sac à main, preuve de l’absurdité de
ce genre de fouilles et de ce déploiement policier.
Je tiens aussi à témoigner que cette même nuit, vers 2 heures du
matin, je demandais à assister à l’exécution, non pas parce que
cela me ferait un quelconque plaisir, mais parce que je pensais
qu’ainsi, Salvador se sentirait mieux protégé jusqu’à la fin. Ils me
l’interdirent, sous prétexte que le Code de justice militaire ne
parle pas de l’avocat en tant que témoin de l’exécution, et que le
règlement des prisons spécifie que les assistants à cette exécution
sont le médecin légiste, le juge d’instruction et deux voisins de
bonne moralité et de bon voisinage. Je n’étais pas un voisin, et je
suppose que je n’étais pas non plus de bonne moralité. Pourtant,

293
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jusqu’ ici, il était de tradition que l’avocat puisse assister à l’exé-


cution, principalement parce qu’il est l’unique lien entre le
condamné et le monde extérieur.
Je veux encore dire que cette nuit, pendant presque deux heures, le
colonel Assesseur et le colonel Instructeur me soumirent à un véri-
table supplice, le pire de cette nuit, en exigeant que je demande aux
sœurs de Salvador qu’elles-mêmes demandent à leur tour à Sal-
vador où celui-ci désirait être enterré ; dans la fosse commune ou
ailleurs. Je les envoyais se faire foutre et finalement j’obtins qu’ils
me laissent tranquille.
Pour donner une idée de la confusion qui régnait chez les fonc-
tionnaires, je dirais que vers 8 heures, le directeur, très nerveux,
vint me demander en quel lieu on devait l’exécuter. Je veux préci-
ser qu’il fut exécuté dans une salle spéciale, et pas dans la cour,
comme on l’a dit.
Une information supplémentaire : entre 22 h 30 et 23 h 30, pen-
dant que j’allais chercher sa famille, Salvador écrivit trois lettres,
une à son frère aîné médecin psychiatre à New-York, une autre à
sa compagne et une autre à des oncles qu’il ne voyait plus depuis
longtemps. Le juge d’instruction se saisit de ces trois lettres pour
les porter à la censure, avant que je puisse les lire. Je dois dire que
l’on me remit ces trois lettres la semaine après, elles n’avaient fait
l’objet d’aucune censure ; je suppose cependant qu’il en restera
des photocopies aux archives de la police et du Tribunal mili-
taire.
Pour en terminer avec ces événements anormaux de cette nuit, je
dirais qu’entre 5 et 6 heures, je calcule qu’il était à peu près
cette heure-là car il commençait à faire jour, ils nous dirent que
les sœurs de Salvador devaient sortir de la prison à 6 h 30 et moi
à 8 heures, ce qui me laissa supposer qu’ils voulaient avancer
l’heure de l’exécution, pour éviter de possibles mobilisations. À ce
moment, la discussion prit un tour très violent, à qui crierait le
plus fort, jusqu’à ce que, finalement, je dise que s’ils me faisaient
sortir, j’irais tout de suite appeler un notaire pour qu’il dresse
acte. Cela les fit renoncer à leur projet et ils me dirent que je sorte
quand j’en aurais envie. ■ Extrait de la conférence de presse
donnée à Perpignan, le 30 mars 1974.

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Le Metge et Chez exécutés


Le 2 mars, à 9 h 45, la justice franquiste assassine au garrote
vil(69)Salvador Puig Antich dans la prison Modelo de Barcelone,
cinq mois après son arrestation.
Nous ne pouvons passer sous silence la mort d’Heinz Chez
(Georg Michael Welzel) qui connaît le même sort à la prison de Tar-
ragone, quelques minutes avant Puig. Le 6 septembre 1973, le
Conseil de guerre de Tarragone a condamné ce dernier pour bles-
sure sur un Guardia civil et le meurtre d’un autre. La sentence est
confirmée le 7 janvier 1974 par le Consejo supremo de justicia
militar. Il est enterré dans la fosse commune du cimetère de Tar-
ragone. Il avait trente ans.
En France, c’est après l’exécution de Puig que certaines per-
sonnes s’élèvent contre le quasi-mutisme des médias et l’absence de
solidarité du mouvement révolutionnaire envers Chez, notam-
ment Serge Livrozet : « Puig, c’était un camarade, Heinz le décodé,
le déclassé, l’incompris de la gauche, de la droite, du centre et du
reste, c’était lui mon frère, un frère de misère, un frère de
révolte… » ■ Le CAP, n° 15, mars 1974 (journal du Comité d’action
des prisonniers).
Pendant une trentaine d’années, les médias ainsi que la presse
révolutionnaire ont présenté Chez comme étant polonais d’ori-
gine. Bien que son prénom soit plutôt d’origine allemande, il était
possible qu’il soit né sur le territoire de la Pologne actuelle. Les
frontières de ce pays ont rebougé une nouvelle fois après la seconde
guerre mondiale et des familles allemandes et polonaises ont été
déplacées.
En 2003, Raúl Riebenbauer, journaliste espagnol, découvre la
véritable identité et le parcours de Heinz Chez en fouillant les
archives accessibles de la STASI (Ministère de la sécurité de la
République démocratique allemande) et en rencontrant sa famille.

69 – Garrote vil : Instrument employé en Espagne depuis le XVIIIe siècle, pour


exécuter les droits communs condamnés à mort. Le garrot est une sorte de col-
lier de fer qui se serre par une vis et qui étrangle la victime en lui broyant les
vertèbres cervicales. Sont fusillés ceux reconnus politiques par les tribunaux.
La peine de mort est abolie en Espagne par la Constitution le 6 décembre
1978.

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Il s’appelle Georg Michael Welzel, il n’est pas polonais mais origi-


naire de l’ex-Allemagne de l’Est. Il est né en 1944 à Gottbus. À deux
occasions, Georg fait de la prison pour avoir tenté de franchir le
mur de Berlin. En 1972, il fuit la dictature de l’Est, en laissant sa
femme, ses fils, sa mère, son frère et sa sœur. Après avoir traversé
plusieurs pays européens, il arrive en Espagne clandestinement où
il est arrêté à la gare d’Ametlla de Mar dans la province de Tarra-
gone en décembre après avoir tué un guardia civil dans un bar.
Sa famille a eu connaissance de son exécution par la presse inter-
nationale, mais a préféré garder le silence pour ne pas subir les
représailles de la STASI. Georg a peut-être tu sa véritable identité
pour les mêmes raisons. D’après les médias catalans, la police
espagnole connaissait la véritable identité de Chez et sa fuite de
RDA.
Raúl Riebenbauer a écrit un livre sur le sujet intitulé : Le
silencio de Georg publié en 2005, en catalan et en castillan par les
éditions RBA libros.

Oriol Arau Fernandez : Le garrote vil ne provoque pas la mort


instantanée. Le gouvernement espagnol a lancé une campagne
pour prouver que le garrote vil est la méthode d’exécution la plus
humaine, un « véritable coup de lapin », l’expression est d’un diplo-
mate espagnol lors d’une réception en Australie. En plus de son
caractère barbare, cette méthode est un vrai supplice, le condamné
est accompagné de quelque 80 gardes, on l’expose, on l’attache et,
d’après les chroniques de l’écrivain Sueiro, on calcule que le gar-
rotté peut durer jusqu’à une demi-heure. Il semble que dans le cas
de Puig, selon une information officieuse du médecin-légiste qui
certifia sa mort, on garrotta pendant 20 minutes. Puig devint tout
de suite inconscient, mais le médecin ne put certifier qu’il n’était
mort que 18 minutes plus tard. ■ Extrait de la conférence de
presse, donnée à Perpignan, le 30 mars 1974.
Sebas : Quand Puig est exécuté, j’étais à Paris dans un appart. Les
camarades ne m’avaient pas prévenu du rejet par Franco de son
ultime demande de grâce, la veille au soir. Ils avaient sans doute
peur que j’aille flinguer une des cibles repérées, ou tenter une opé-
ration plus folle encore. Non, je n’étais vraiment pas dans cet état
d’esprit.

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« Il a été exécuté ce matin ». Pleins de souvenirs ont violemment


émergé, mais aucune surprise, aucune rage, aucun désespoir.
Comme si sa mort mettait en perspective notre action à Barcelone,
comme si nous avions toujours su que ça finirait comme ça…
D’ailleurs, nous l’avions souvent évoqué. Dont une fois précisé-
ment, où Puig essayait de trouver une déclamation cachonda
(couillue) à sortir au pied de l’échafaud… Bravade devant la mort,
une espagnolade peut-être ? Une façon de savourer le jeu de véro-
nique de notre résistance entre les cornes du taureau franquiste ?
J’ai pensé à un souvenir de lycée. Un jour, une prof d’espagnol
nous avait amenés au CRDP (Centre régional de documentation
pédagogique) de la rue Roquelaine pour assister à une projection
du film El verdugo. Pour moi, le garrot, c’étaient ces images en
noir et blanc…
Par exemple, le disque de Ferré Basta reste profondément lié en
moi au jour de l’exécution de Puig, un jour passé dans une tour de
la rue Riquet (déjà assez toulousain comme nom). Chaque fois
que je passais dans le quartier, ce souvenir remontait à la surface,
« et le soleil quand il traîne dans les faubourgs... ».
Oui, mars 1974 reste pour moi du domaine de la tragédie. Mais
malgré tout, cela est moins pire que le coup de la mort d’Oriol. Pour
Puig, j’ai lutté pour le sauver même si c’est en commettant des
erreurs. Pour Oriol, j’étais en zonzon (prison) et j’ai appris sa mort
par Radio Alger chaîne 3, le soir, lors de l’édition en castillan. Sur
un lit de la Santé, la mort d’un camarade demeure une épreuve où
l’impuissance carcérale se joint au manque de perception de la pos-
sibilité de poursuivre ce combat…
El Petit : J’apprenais tout par les droits communs, particulière-
ment quand j’étais dans le quartier de l’infirmerie. À midi, on
allait quotidiennement prendre un café ou une bière à l’économat.
Ce jour-là, tous m’ont présenté leurs condoléances, ils étaient très
impressionnés et deux ou trois m’ont pris au cas où je m’évanoui-
rais, ce fut très dur. Il y a eu une grève de la faim ou quelque chose
comme ça parce que les prisonniers communs voulaient eux aussi
exprimer leur indignation.
R. Civil : L’assassinat ou l’exécution de Puig Antich, a été vécu par
nous tous, militants ou non, comme par moi-même, comme un
désastre, une catastrophe.

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La Dépêche du Midi du 3 mars 1974.

Le 3 mars, le Metge est enterré au cimetière de Montjuic sur


les hauteurs de Barcelone. Le cimetière et les abords sont occupés
par la police.

Oriol Arau Fernandez : Ils ne me permirent pas d’assister à l’en-


terrement. Seuls les proches parents y assistèrent, plus quelques
débrouillards qui purent se faufiler dans le cortège à 7 heures du
matin, avec l’excuse d’aller voir d’autres morts. Au total, quelque
25 personnes, plus quelque l 500 aux environs, et 2 000 policiers.
■ Extrait de la conférence de presse donnée à Perpignan, le
30 mars 1974.
Comité de solidarité aux emprisonnés de l’ex-MIL : Au
cimetière, le colonel juge instructeur déclara qu’en tant que
gangster, Salvador Puig Antich devait être enterré dans la fosse
commune. L’oncle de Llobet s’y opposa et demanda qu’il soit
enterré dans le caveau de la famille Llobet. Comme le colonel
refusait, il le menaça de faire venir un huissier et de faire exhu-
mer tous les politiques qui sont enterrés dans les tombes parti-
culières et de les faire inhumer dans la fosse commune. Devant
ces déterminations, le juge eut peur du scandale et accepta l’exi-
gence de l’oncle de Pons Llobet. Après 1’enterrement, le juge, en
bon caballero, voulut transmettre ses condoléances aux trois
sœurs. Il s’ensuivit une scène violente avec insultes : assassin,
salaud etc. Le juge fut très choqué et répondit qu’il ne compre-

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nait pas leur attitude, lui qui n’avait fait que son devoir en se
comportant en homme d’honneur… ■ Extrait d’un document
édité par ce comité et daté du 20 mars 1974.

L’exécution suscite de nombreuses réactions en Europe et dans


le monde, des réactions plus ou moins indignées, plus ou moins tar-
dives. L’Espagne est secouée par de nombreuses manifestions, des
sit-in, des grèves, des débrayages, non seulement à Barcelone mais
aussi dans de nombreuses villes comme Madrid, Bilbao, Tarra-
gone ou Saragosse.

Comité de solidarité aux emprisonnés de l’ex-MIL :


À Barcelone :
• Samedi 2 mars : Grève générale dans les facultés ; une manifes-
tation d’étudiants – Un sit-in à la résidence de la Sécurité sociale
de Monbau – Grève au département mécanique de l’institut natio-
nal de prévoyance (rattaché à la Sécurité sociale) – Débrayage
d’une heure à l’hôpital Santa Cruz de San Pablo. – À 23 heures,
manifestation à l’initiative de Bandera Roja, PSUC, etc., rue
Pelayo – Ramblas, environ 800 personnes ; la manifestation a été
jusqu’à Puerta Ferissa. Et un nombre impressionnant de bom-
bages et de meetings spontanés et sauvages.
• Dimanche 3 mars (jour de l’enterrement) : Le matin à l’appel de
l’Assemblée de Catalogne environ 5 000 personnes se concentrent
devant le cimetière de Montjuic. La police empêche la rentrée
dans le cimetière et charge. Il y eut des incidents jusqu’au monu-
ment Cristobal Colomb. La manifestation continue jusqu’à la cathé-
drale où il y eut un sit-in et de violentes charges de police. Pendant
plusieurs heures de petits groupes manifestent entre la place
Urquinaona et la place de Catalogne. Coïncidant avec ces deux
manifestations, deux voitures parcourent tout Barcelone avec des
haut-parleurs et diffusent les mots d’ordre : « Puig Antich será ven-
gado » (Puig sera vengé), etc.
En même temps, une autre manifestation convoquée par le Comité
de solidarité aux emprisonnés de l’ex-MIL et diverses organisations
opposées à l’Assemblée de Catalogne eut lieu à Verdun (quartier de
Barcelone). Sur le parcours, les manifestants posèrent plusieurs

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charges de dynamite dans des succursales bancaires Coca et Banco


Popular qui furent complètement détruites.
Dans la nuit de dimanche, il y eut trois attentats à la dynamite
contre deux transformateurs et une banque… ■ Extrait du docu-
ment daté le 20 mars 1974.
El Chato : L’impact de la mort du Metge à Barcelone fut très fort
mais très rapidement capitalisé par les partis et les organisations
anarchistes.

Facétie de l’histoire. Dix-huit jours après avoir été exécuté, le


Metge est convoqué par le tribunal correctionnel de Perpignan
pour une voiture louée jamais restituée en octobre 1972. Le juge-
ment sera retardé jusqu’au 22 mai 1974 pour donner le temps à la
justice espagnole de communiquer officiellement la mort de Salva-
dor Puig Antich…

Le 7 avril, trois militants qui participent à la campagne de soli-


darité sont arrêtés à la gare de France à Barcelone en possession
d’une valise contenant des explosifs. La police les présente comme
membres de la OLLA.

Felip : D’avril 1974 au 3 mai 1974, sept membres du groupe


s’exilent en France. En plein démontage de l’infrastructure et du
dernier voyage prévu pour entrer du matériel explosif sophisti-
qué en Espagne, détention d’un membre responsable de groupe
avec sa compagne et d’un autre responsable d’un autre groupe :
je suis témoin de sa détention. C’est l’alarme, personne d’autre
n’est arrêté mais sont découverts treize appartements, de l’ar-
gent, des documents d’identité et deux mille cinq cents kilos
d’explosifs, il ne reste seulement que 25 % de l’infrastructure et
de nombreux compagnons sont recherchés par la police. On leur
donne des caches, toute l’infrastructure du groupe, de l’argent,
des moyens de sécurité, des fausses cartes d’identité, etc., car ils
sont dans l’impossibilité d’agir à court terme. Comme il n’y a
plus aucune garantie de sécurité, la cohésion opérationnelle dis-
paraît.

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Le 3 mai à Barcelone, le Fiscal (procureur), désigné par le


Tribunal militaire, avait réclamé dans ses conclusions provisoires
une peine de soixante-quatre ans de prison ferme pour Oriol Solé
Sugranyes. Deux fois vingt-cinq ans pour les hold-up du 14 sep-
tembre 1972 et du 15 septembre 1973 à Bellver de Cerdanya, plus
une peine de huit ans pour le délit d’outrage à la force armée, plus
une peine de deux ans pour le délit de désobéissance à la force
armée, et une peine de quatre ans et deux mois pour détention illi-
cite d’armes. Pour Queso, une peine de vingt et un ans de prison
ferme, vingt ans pour le hold-up du 15 septembre 1973, plus un an
pour le délit de désobéissance à la force armée et cinq mois pour
détention illicite d’armes.
Le 23 juillet, Oriol et Queso comparaissent, menottes aux poi-
gnets, devant le Consejo de guerra, à la salle d’audience de la
Capitania general de Barcelone. Le tribunal est composé d’un com-
mandant et six capitaines. Le service d’ordre est de la même impor-
tance que pour le procès du 8 janvier. Dans la salle d’audience, une
cinquantaine de militaires dont plusieurs en armes et de nombreux
policiers en civil. Soixante-dix personnes environ sont autorisées à
assister au procès, des proches parents ou amis des accusés, des
journalistes dont un Français correspondant du Progrès de Lyon et
quatre observateurs-avocats (de Genève, Lyon, Montpellier et Tou-
louse).
Au moment des interrogatoires menés par le procureur, Oriol
nie le premier hold-up et explique qu’il a avoué sous la torture. Lors
du procès, Oriol est décrit comme « très calme, clair et concis » et
Queso « paraît nerveux, mais se contrôle parfaitement et fait
preuve d’un très grand humour ».

Quand Oriol Arau Fernandez (70) fait référence, dans sa plai-


doirie, à la condamnation à mort de Puig Antich, Queso se lève et
crie au Conseil : « C’est vous qui l’avez assassiné ! Vous êtes les sup-
pôts du Capital ! ».
Le président ordonne alors son expulsion et celle d’Oriol. Ils
sortent, le poing levé, en lançant « Vive le communisme ».

70 – ARAU Fernandez Oriol est décédé en mars 1990.

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Le 24, le Consejo de guerra rend la sentence, Oriol Solé Sugra-


nyes est condamné à quarante-huit ans de prison ferme et José
Luis Pons Llobet à vingt et un ans de prison ferme (71).

Entre-temps, le 19 juillet, Juan Carlos devient chef d’État par


intérim jusqu’au 2 septembre 1974 car Franco est gravement
malade et hospitalisé. C’est en 1969 que Juan Carlos, désigné offi-
ciellement comme son successeur et comme futur roi d’Espagne
par Franco, prête serment et fidélité aux lois fondamentales du
franquisme et aux principes du mouvement national, devant les
Cortes (Parlement espagnol) : « Je reçois de votre Excellence,
chef de l’État et généralissime Franco, la légitimité politique
surgie du 18 juillet 1936 (…), ma main ne tremblera pas en
défendant les principes du mouvement national, sur lesquels je
viens de jurer ».

En novembre à Madrid, Santi Soler Amigo, Francisco Xavier


Garriga Paituvi et Emilio Pardiñas Viladrich passent en procès, ils
sont accusés de propagande illégale et d’association illicite.

El Petit : J’ai été à la Modelo jusqu’en octobre 1974. On nous


amena à la prison de Carabanchel de Madrid, les trois non armés
(qui ne sont pas accusés d’actes armés) car les procès politiques se
faisaient à Madrid au Tribunal Orden Público.
Le TOP nous jugea en novembre 1974. Ils demandaient cinq ans
pour chacun de nous. Garriga fit sa défense en disant qu’il était
fier de ce qu’il avait fait et prit cinq ans. Pedrals, je ne sais pas
pourquoi, il est resté en liberté provisoire ces quatorze mois, il
invoque qu’il a consacré tout ce temps à finir sa carrière d’avocat
et avec une bonne conduite. Ils lui dirent qu’il n’était pas accusé
de cela, il prit trois ans. Pour ma part, j’ai dit que je ne militais
nulle part mais que j’avais des préoccupations sociales en mettant
sur la table les certificats d’un curé qui parlait de ma préoccupa-

71 – Informations extraites du « Compte rendu du procès d’Oriol Solé


Sugranyes et de José Luis Pons Llobet devant le Conseil de guerre de Bar-
celone le 23 juillet 1974 ». Document produit par un comité de soutien de
Toulouse.

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tion pour les marginaux et que j’ai fait une campagne d’alphabéti-
sation pour les gitans dans sa paroisse (il l’inventa mais il les
impressionna). J’ai pris deux ans et la liberté provisoire avec l’obli-
gation d’aller pointer au juge de Barcelone tous les quinze jours.
Une fois refusé le recours pour demander une caution, il me restait
six ou sept mois à faire mais ils les oublièrent. Je suis mis en
liberté provisoire avec une caution le 2 février 1975.

Le 5 décembre, à Paris, le véhicule dans lequel se trouvent


Sebas, « Chochote » et « Gordito », est intercepté à la suite d’un
simple contrôle policier. Lors de sa fouille, les forces de l’ordre
découvrent entre autres, des armes, des documents ayant un
lien avec l’activité des GARI. Les trois sont inculpés dans le
cadre de l’affaire des GARI et incarcérés à la prison de la Santé.
Sebas sera libéré en mai 1977, le second l’avait été en 1975 et le
troisième en 1976.

Miguel : Il y avait un local, près de la place Pigalle à Paris, c’était


le dépôt d’un groupe autonome, Sebas participait depuis quelque
temps à leur dynamique. Il y avait des armes, du matériel entreposé
là, pas loin d’un commissariat fermé la nuit. À un moment, Gordito,
membre du groupe, est venu nous dire qu’il fallait déménager le
local parce que la propriétaire voulait voir ce qu’il y avait à l’inté-
rieur. Il était pressé de le déménager, il m’a demandé si je voulais y
participer. J’ai dit oui, mais à 6 h du matin au moment où les flics
font le changement des équipes. Il faut savoir qu’à Paris à cette
époque, les contrôles de nuit étaient nombreux. Eux, ils étaient
trois dont Sebas et Chochote et l’ont fait vers 1 h ou 2 h du matin.
Lors du premier voyage en bagnole, l’arrière touchait presque par
terre à cause du poids, ils se sont fait contrôler en passant place du
Colonel Fabien, près de l’immeuble du Parti Communiste. Le quar-
tier était plein de flics à cause de la visite, je crois, de Kossyguine (72).
Sebas a été arrêté sous une fausse identité. C’était des faux papiers
que j’avais trouvés par terre, à Paris, du côté des bouquinistes rue

72 – KOSSYGUINE Alexis, président du Conseil des ministres de l’ex-URSS


de 1964 à 1980.

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de la Huchette, en me baladant avec Sebas, Aurore et Cricri juste


avant de descendre dans le sud-est pour exproprier une banque.
Les papiers étaient ceux d’une étudiante avec permis de conduire,
carte d’étudiante…

■ 1975

Le quotidien barcelonais, Diario, titre le 15 février : « Un ordre


de recherche et de capture est lancé par le juge militaire perma-
nent n° 3 à l’encontre de sept personnes ». Parmi les noms de ces
personnes, citées pour diverses attaques armées ou attentats, figu-
rent : « Jordi Solé Sugranyes alias Sancho, Jean-Marc Rouillan
alias Sebas, Jean-Claude Torres alias Krikri et Luis Lopez Navas
alias le Légionnaire ».
Les poursuites judiciaires seront annulées suite à la loi d’am-
nistie du mois d’octobre 1977.

Le 20 novembre, Franco décède dans son lit à Madrid. Sa


longue agonie ne l’a pas empêché de faire fusiller, le 25 septembre,
José Luis Sanchez Bravo, José Baena Alonso, Ramon Garcia Sanz,
militants du FRAP, ainsi qu’Angel Otaegui Echevarria et Juan
Paredes Manot, membres de l’ETA.
Dès l’automne, Juan Carlos est provisoirement chef d’État et
le 22 novembre, il prête serment devant les Cortes en tant que
Roi.
En décembre, Arias Navarro forme un nouveau gouverne-
ment. Président du Conseil jusqu’au 1er juillet 1976, il est remplacé
par Aldolfo Suarez, un ancien franquiste qui assure la direction de
la transition démocratique. Une tractation avec l’armée le lui per-
met. En échange de l’absolution des crimes franquistes, c’est la
légalisation des partis politiques (PCE, PSOE…), l’organisation
d’un référendum sur la nouvelle Constitution en 1976 et les élec-
tions des députés au suffrage universel en 1977. De telles élections
n’ont pas eu lieu depuis le coup d’état militaire de 1936.
Une première loi d’amnistie est votée le 30 juillet 1977, mais
exclut tous ceux qui sont poursuivis pour des actes de terro-
risme (lutte armée). La pression de la rue et des groupes armés
entraîne une seconde loi votée le 14 octobre 1977 qui, amnistie

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toutes les peines prononcées depuis 1939 pour délits politiques,


d’opinions…
En décembre 1978, est votée une nouvelle Constitution faisant
de l’Espagne une monarchie constitutionnelle démocratique…
Franco a emporté la République espagnole dans son cercueil.

■ 1976

ORIOL ASSASSINÉ

Début mars, Oriol est transféré de la Modelo de Barcelone à la


prison de Ségovie en Castille, à près de cent kilomètres de Madrid.
Il y rejoint Queso qui y est détenu depuis décembre 1974, après un
séjour à la prison de Madrid.
Dans la matinée du 5 avril, vingt-neuf prisonniers politiques,
qui cumulent des condamnations de mille cinq cents années d’em-
prisonnement, s’évadent de la prison en utilisant un tunnel creusé
pendant les quatre derniers mois. Ils sont tous membres d’ETA (ten-
dance militaire ou politico-militaire) sauf cinq qui sont Catalans,
deux membres du FAC, un membre du PCE (i), Queso et Oriol.
À l’extérieur, un commando de quatre personnes dont deux
femmes, les attend avec un camion pour rejoindre la frontière
française. Ils prennent la route des Pyrénées jusqu’à Aurizberri,
dans la province de Navarre, mais une mauvaise coordination
entre les mugalaris (les passeurs) et le convoi des évadés fait capo-
ter l’opération. Dans la nuit, les forces armées les surprennent
dans la montagne. Après un échange de coups de feu, c’est la
débandade, seul ou par petits groupes, et la majorité des évadés
sont repris dans les heures qui suivent.
Dans la matinée du 6, Queso est arrêté. Près de Burguete et du
col de Roncevaux, à quelques centaines de mètres de la frontière
française, la Guardia civil intercepte Oriol en compagnie de deux
militants de l’ETA et les fusille à bout portant. Les deux Basques
sont grièvement blessés, Oriol succombe. L’autopsie détermine que
les trois balles retrouvées dans son corps ont été tirées à une dis-
tance de moins de deux mètres.
Sur les vingt-neuf évadés, trois membres de l’ETA et un Cata-
lan parviennent à rejoindre la France. Sur les quatre membres qui

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les attendaient à l’extérieur de la prison, seule une femme réussit


à passer la frontière.
Queso, qui a participé à la préparation de l’évasion, est le der-
nier membre de l’ex-MIL à avoir vu Oriol vivant. Lors d’une inter-
view pour l’hebdomadaire catalan, El Temps, du 22 mai l995, il
raconte le déroulement de l’évasion et comment il a appris la mort
d’Oriol :
« L’évasion commença après le dîner. Les instructions étaient
de nous rendre dans la cour où se trouvaient les lavabos, par
où on accédait au tunnel. Nous avons fait des groupes de
quatre ou cinq personnes et, en peu de temps, nous avons été,
tous les vingt-neuf, rassemblés près des lavabos.
On nous a apporté le tabard (coupe-vent) et, dans l’ordre fixé,
ayant déjà nos numéros, nous sommes entrés dans le tunnel.
Une fois passés à travers les barreaux qui donnaient sur
l’égout collecteur, on nous a dit d’aller vers le camion que ceux
de l’extérieur avaient récupéré au préalable, à la pointe du
pistolet.
Au bout d’une heure, nous arrivons au camion-trailer, muni
pour l’occasion d’un double fond. Nous entrons et, une fois
démarré, nous apprenons que nous partons vers la frontière
française avec un chargement de bois et que les papiers sont en
règle.
Vers minuit, nous arrivons à Espinal. Il était prévu qu’en arri-
vant, nous descendions et commencions à passer la frontière.
Mais rien. Ceux qui devaient nous guider vers la frontière
française n’étaient pas là. On est restés un moment avec le
camion arrêté. Nous nous demandions tous ce qui se passait.
Et on nous l’a dit. On a fait une petite assemblée dans le
camion.
Il y avait deux possibilités : revenir à Pampelune et attendre
les instructions, ou passer la frontière. L’envie d’arriver, la
fatigue, la nervosité, la proximité de cette frontière, la peur que
la Garde civile survienne et pose des questions, etc. Nous
avons décidé de descendre du camion et de passer de l’autre
côté, par nos propres moyens.
Nous nous sommes partagé les armes et avons commencé à
cheminer sur un sentier forestier. Nous étions plus de trente

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qui marchions dans le noir. Après quinze ou vingt minutes, on


a vu des lumières qui s’éteignaient. On s’est arrêtés. Et :
« Halte ! Garde civile ! » et, en même temps, ils se sont mis à
tirer. Nous avons riposté. Échanges de coups de feu. La déban-
dade a commencé. Isasi lturrioz est resté sur place, grièvement
blessé.
Ensuite, j’ai appris qu’ils n’étaient pas nombreux, une demi-
douzaine tout au plus. Il faut dire que nous n’étions pas men-
talement préparés pour un affrontement armé, bien que nous
n’en ayions pas écarté la possibilité. Nous tirions et nous nous
protégions. À aucun moment, nous n’avons pensé à éliminer
cette barrière.
Je suis resté seul et je me suis mis à marcher. Il y avait de la
brume, il faisait froid, on ne voyait rien excepté la lueur des
coups de feu. Je suis tombé sur un camarade. Nous ne savions
pas où étaient les autres. Nous entendions les plaintes d’un
blessé. Nous ne savions pas que c’était Isasi. Maintenant, je
trouve ça absurde, mais comme il disait : « Mon Dieu ! Mon
Dieu ! Au secours ! », je pensais que c’était un garde civil.
Nous avons continué à marcher sans la moindre idée de l’endroit
vers lequel on allait. Nous ne pensions qu’à nous éloigner des
tirs et à arriver en France. Nous montions et descendions des
montagnes. Il pleuvait. Nous avons évité quelques patrouilles de
gardes. Et nous avons passé la nuit ainsi, attendant le jour
pour pouvoir nous orienter et retrouver un autre groupe des
nôtres.
Au lever du jour, nous découvrons une clairière et une route où
circulaient des voitures. Il y avait un écriteau et nous nous
sommes approchés pour voir ce qu’il disait. C’est alors qu’ap-
parurent trois gardes civils qui nous firent les sommations. Ce
sera une arrestation très tendue. Ils donnaient des ordres
contradictoires. L’un disait : « En avant », et l’autre : « En
arrière », l’autre : « Ne bougez pas ! »
Ils n’osaient pas approcher. Ils étaient là, devant nous, hysté-
riques, tremblant avec leurs mitraillettes. Alors est apparu
un convoi de la Garde civile avec un officier supérieur qui les a
rassurés. Ils nous ont mis les menottes très serrées. L’officier
leur a dit : « Contrôlez-vous, contrôlez-vous ! ».

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Nous sommes montés dans une Land Rover et ils nous ont
conduits à une caserne. Je suppose que c’était celle de Bur-
guete… Il y avait déjà quatre ou cinq détenus et, progressive-
ment, il en est arrivé d’autres. Ma notion du temps, à présent,
est floue. La situation était tendue. Je me souviens que tous
portaient leur flingue à la main. L’un d’eux a commenté :
« Vous savez ce que vous avez fait, hein ? Il y a déjà trois
morts ».
Ce qui était un mensonge. Je suppose que tout cela était à
cause de l’affrontement avec le groupe d’Oriol. Ils m’ont
demandé si je savais comment Oriol était habillé. Je leur ai dit
que je ne m’en souvenais pas. S’il lui manquait une dent. J’ai
dit que je ne savais pas. Et, à partir de là, j’ai refusé de
répondre à leurs questions.
Quand ils nous demandaient qui nous étions tous, nous décli-
nions notre identité. J’ai pensé que, lui, avait refusé. Je crois
qu’on nous a gardés là jusqu’à ce qu’ils l’aient tué.
Quand je suis arrivé à la prison de Pampelune, j’ai entendu par
les fenêtres des cellules : « Ils ont tué le Catalan, ils ont tué
Pons Llobet ». J’ai dit : « Non, je suis là, ils ne m’ont pas tué ».
À ce moment-là, j’ai su. Les voix ont changé : « Ils ont tué Oriol,
ils ont tué Oriol… » et j’ai compris les questions qu’on m’avait
posées. »

R. Civil : La famille me connaissait parce qu’il y a eu davantage de


rapports avec Oriol. Quand il est mort, la famille m’a demandé une
chose délicate, de présider les funérailles. Ça a été assez dur dans
l’église. Il y a eu une cérémonie religieuse, c’était plein de gens qui
n’étaient pas chrétiens, plutôt officiellement contre, pleins de flics
aussi. Ça a été un truc, une atmosphère.

Oriol avait dit : « Si je meurs, je veux qu’on m’enterre à Bor,


dans la terre et tourné vers la Serra del Cadí ». Cela fut respecté.
Le 11 avril, en fin d’après-midi, une caravane de voitures sui-
vie par la Guardia civil, accompagne le cortège funèbre depuis
Barcelone jusqu’au cimetière de Bor, situé à quelques kilomètres de
Bellver de Cerdanya.

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Dans la soirée, pour dénoncer l’assassinat d’Oriol à l’appel


notamment d’anarchistes, une manifestation de deux mille per-
sonnes parcourt les Ramblas et les rues de Barcelone. La police
intervient violemment à l’aide de matraques et de balles de caout-
chouc. Les heurts durent quelques heures.

Les deux derniers membres de l’ex-MIL à être libérés sont


Sebas et Queso.
Sebas sort en mai 1977, après vingt-sept mois de détention à la
prison de la Santé à Paris, pour ses activités au sein des GARI et
Queso en juillet 1977, après quarante-six mois de détention. Suite
à son évasion de Ségovie, Queso passe quelque temps à la prison de
Pampelune (Navarre) puis à celle de Carthagène (province de
Murcia), en haute surveillance.

L’amnistie de 1977 va permettre aux exilés de revenir légale-


ment en Espagne et de régulariser leur situation avec plus ou
moins de facilité.

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QUE SONT DEVENUS CEUX DU MIL ET DE MAYO 37


(OU DU MOINS, CE QUE L’ON EN SAIT…) ?

La prison, l’exil, les changements politiques, les aléas de la vie


ont fait que les membres de l’ex-MIL ont suivi des parcours diffé-
rents, parfois bien éloignés des idées qu’ils défendaient en 1973.

Aurore : Elle milite depuis de nombreuses années à la CNT/AIT.


Elle a eu deux enfants avec Sebas, elle exerce la profession de
secrétaire.
Beth : Elle vit l’exil avec Montes, à Perpignan, à Paris, en
Andorre… Et retourne en Espagne après l’amnistie. Elle est mère
de trois fils et tient une résidence de montagne en Catalogne.
Chato (el) : Participe à Barcelone à la création du Centre de
documentation d’histoire sociale, où se trouve une partie de la
documentation sur le MIL. Il a quitté l’usine et ouvert un restau-
rant au centre-ville.
Cricri : À sa sortie de prison en octobre 1974, il se tient à l’écart de
toute activité politique jusqu’en 1977. Il participe dès lors à l’acti-
vité des groupes autonomes jusqu’à la fin des années 1980. Il fait de
fréquents voyages à Barcelone. En 1978, lors d’un contrôle routier,
il est emprisonné pendant quinze jours, le temps que les autorités
espagnoles découvrent qu’il bénéficie de l’amnistie pour ses activités
au sein du MIL. En 1979, il est parmi les compagnons qui creusent,
pendant plusieurs mois, un tunnel à proximité de la Modelo pour
faire évader des libertaires. Le tunnel est découvert à cause d’un inci-
dent technique. Il est père d’une fille et exercera la profession de
régisseur de théâtre pendant plusieurs années. Le 8 juin 1994, sur
les hauteurs de Toulouse, Cricri met fin à ses jours.
Diaz : Est décédé en 1985 à l’âge de 53 ans.
Eva : Elle participe aux éditions Mayo 37 jusqu’à la fin. De 1973 à
1977, elle réside en France et retourne en Espagne après l’amnis-
tie. Mère de trois enfants, elle dirige une petite maison d’édition.
Le Légionnaire : Depuis sa fuite de Toulouse en juillet 1973, per-
sonne ne sait ce qu’il est devenu. De 1974 à 1977, il recevra chez
Maria, où il était domicilié, divers courriers émanant de la Caisse
primaire d’assurance maladie de Lyon qui souhaitait lui verser une
rente suite à un accident de travail datant d’avril 1971.

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Montes : En mai 1974, à Bellegarde, à la frontière franco-suisse, il


est parmi les six personnes, membres des groupes autonomes
espagnols, interpellées par la douane française. Ils sont soupçonnés
de complicité avec les GARI qui viennent de revendiquer l’enlève-
ment du directeur de la Banque de Bilbao à Paris. Il est incarcéré
pendant quelques semaines en compagnie de trois autres mili-
tants pour avoir présenté un faux passeport. À sa sortie de prison,
il continue d’évoluer au sein du mouvement révolutionnaire, escro-
quant au passage, en 1976, un groupe libertaire de Madrid qui lui
a confié la somme de 30 000 francs (environ 4 573 €) pour l’achat de
divers matériels. Le groupe n’obtiendra aucune arme et ne reverra
jamais l’argent (73). Quand il apprend la mort d’Oriol en avril 1976,
il est à Paris avec Beth et Aurore. En 1978, à son retour légal en
Espagne, suite à ses activités avec un groupe autonome de Valence
(Espagne), il est arrêté et incarcéré à Barcelone pendant un an. À
partir de ce moment, il abandonne ses activités politiques et
s’oriente vers le commerce d’antiquités et la restauration. Il est
père de trois enfants.
Murcia : Est décédé en 1982 à l’âge de 40 ans.
Pedrals : À sa sortie de prison, il termine ses études de droit,
exerce la profession d’avocat pendant plusieurs années et par la
suite d’autres métiers. Il est père de plusieurs enfants. En novem-
bre 2004, il sort un livre Si este año no tocamos la revolución me
aventuro con los caballos salvajes, aux Éditions Denes. Le contenu,
sans aucune valeur historique, est plus ou moins autobiographique.
Petit (el) : À sa libération, il coopére à un groupe pour l’abolition
des prisons. À partir de 1976, il est l’un des animateurs des éditions
Rosello impresión, et écrit dans diverses revues libertaires ou
marxistes comme Barcelona libertaria, Ajo Blanco, Askatasuna, El
topo avisor, Bicicleta, Indolencia, El viejo topo, Etcetera. Il participe
à la rédaction de Solidaridad Obrera, l’hebdomadaire de la CNT,
pendant un an, jusqu’à mai 1979. D’autre part, il est l’auteur de

73 – Cest la raison pour laquelle nous n’avons pas cherché à le contacter pour
lui poser des questions. Rancune tenace ? Non, tout simplement aucune envie
de discuter avec quelqu’un agissant de la sorte. De plus, au sujet de l’ET, nous
avions suffisamment de documents et d’informations avec le Petit qui était là
du début à la fin.

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divers livres : Lucha de clases y clases de lucha en 1978, Marxismo :


senas de Zambrana, Cataluña libertaria (1976-1979). Il vivait de
ses rentes. Handicapé de naissance, poliomyélitique et épileptique,
le Petit succombe à la maladie le 13 avril 1999. Sa bibliothèque et
une partie de ses archives personnelles sont entreposées au Centre
de Domentacio Antiautoritari i Libertari domicilié à Badalone.
Quesita : Suite à l’Indulto (remise de peine), elle sort de prison au
début de l’année 1976. Elle est mère d’un enfant et exerce la pro-
fession d’assistante sociale.
Queso : À sa libération, il exerce la profession de journaliste et
s’oriente vers le commerce. Père de famille, il est directeur général
d’une entreprise d’hélicoptères. En 2004, il part à la retraite après
avoir vendu son entreprise.
Rubio (el) : Il est salarié dans une entreprise qui fabrique du
ciment. Il est bientôt à la retraite.
Sancho : Il participe aux Éditions Mayo 37 jusqu’à la fin. En
1975, il monte une imprimerie à Perpignan. Il revient en Espagne
en 1978 avec un faux passeport et ouvre une imprimerie à Barce-
lone. En 1979, il est incarcéré pendant quelques années pour un
hold-up dans une entreprise à Logroño. En 1984, il est de nouveau
emprisonné pour faux documents bancaires et administratifs dans
une nouvelle imprimerie qu’il avait créée. Il fait six mois et, au
moment de sa libération, il reste en prison pour quelques jours car
il n’avait jamais régularisé sa situation en Espagne, suite à son
inculpation pour ses activités au sein du MIL. Il se spécialise dans
la documentation cinématographique et collabore à divers repor-
tages vidéo, notamment sur la période de la guérilla des années
1960 en Espagne. Il contribue à l’écriture du scénario d’un film « Ni
100 ni MIL » en compagnie du futur réalisateur Manuel Muntaner.
En 1995, il retourne s’installer à Bellver de Cerdagne où il s’occupe
de ses affaires commerciales.
Sebas : Dès sa libération de la prison de la Santé à Paris, il parti-
cipe à l’activité des groupes autonomes. En 1978, il est parmi ceux
qui vont créer l’organisation de lutte armée Action Directe, dont les
actions vont le mener en prison : il effectue un an de prison entre
1980 et 1981, il bénéficie de l’amnistie suite à la victoire du « socia-
liste » François Mitterrand aux élections présidentielles ; il est de
nouveau emprisonné en février 1987 et condamné à la réclusion

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criminelle à perpétuité assortie d’une peine de sûreté de 18 ans. En


2005, ayant effectué sa peine de sûreté, il demande à pouvoir béné-
ficier de la liberté conditionnelle, ce qui lui est refusé jusqu’à pré-
sent.
Il est l’auteur de romans et écrits politiques : Je hais les matins,
éditions Denoël 2001 ; Paul des Épinettes, éditions l’Insomniaque
2002 ; Le roman du Gluck, L’Esprit frappeur 2003 ; Lettre à Jules
et La part des loups, éditions Agone 2004, 2005 ; Le capital humain,
L’Arganier 2007, etc.
Secrétaire (le) : Libéré en 1976, il exerce la profession de jour-
naliste pour la revue Interviú et participe à la rédaction de Soli-
daridad Obrera. Il s’est orienté dans le commerce de l’immobilier.
Il ne s’est jamais exprimé sur le MIL et il n’a pas plus répondu à
nos sollicitations.
Txus : Il participe aux Éditions Mayo 37 jusqu’à la fin. Exerce la
profession d’infirmier au Pays basque français.

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CONCLUSION

Les exigences théoriques et les orientations pratiques ont


amené de nombreuses questions… Comment agir ? Comment s’or-
ganiser ? Quel projet ?
Pour résoudre la quadrature du cercle, les différentes compo-
santes du MIL ont opté pour le rejet du sigle, pour l’autodissolution
et, ainsi, s’ouvrir à d’autres perspectives.
Mais l’histoire n’est pas celle qu’on souhaite et comme le dit
Sancho, les membres de l’ex-MIL ne voulaient ni des martyrs ni des
sigles et ils ont eu les deux. Libérés de la structure, ils n’ont pas eu
non plus le temps d’expérimenter ensemble de nouvelles voies. Le
groupe d’expropriateurs a volé en éclats, décimés par les arresta-
tions et le départ de Sancho et lors de la campagne de solidarité, les
objectifs immédiats sont guidés par l’urgence de la situation. Seules
les Éditions Mayo 37, issues du projet initial, vont perdurer jus-
qu’en 1975.
L’histoire ne se finit pas avec l’autodissolution, les arresta-
tions, la mort du Metge et d’Oriol car le MIL est, pour ses anciens
membres, un moment fort de leur vie. De plus, au cours des
années 1970, notamment en Espagne, des groupes et des indivi-
dus vont œuvrer en se reconnaissant ou en s’appuyant sur les
activités de cette « organisation » et les conclusions du texte d’auto-
dissolution…

Dans l’avant-propos, nous disions que des images tenaces col-


laient au MIL et certaines sont de vraies casseroles, affirmant par
exemple que les trois équipes sont à l’origine du MIL ou réduisant
l’utilisation des fruits des expropriations « aux financements des
caisses de grévistes et des éditions ». Cette dernière « laisse » un
peu de côté le fait que si tous les membres critiquaient le travail

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salarié, certains le refusaient et que le MIL/GAC ne s’était pas seu-


lement constitué pour appuyer les luttes ouvrières.
La démarche du MIL appelle une autre approche de son his-
toire, sans éprouver le désir de le faire rentrer dans des cases. Au-
delà des armes et des hold-up, sa force réside dans son souci de
transmettre une culture, rappelant les libertaires espagnols du
début du XXe siècle, et dans son apprentissage d’une autre façon de
vivre.

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ANNEXES
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SIGLES

AC : Acción comunista (Action communiste). « AC est issue d’une


fusion avec une scission du POUM et le noyau FLP-Exterior (le
FLP de 1959, pas celui de 1962). AC est un groupe très théorique
avec une revue marxiste conseilliste qui est éditée à Paris et finan-
cée avec de l’argent du syndicat allemand IG-Metall. Il y avait AC
Paris qui rédigeait les textes, AC Francfort qui finançait avec l’ar-
gent de IG-Metall destiné à la publication d’un bimensuel syndi-
caliste pour les ouvriers espagnols émigrés (Voz Obrera) et AC
Bruxelles pour départager. » ■ (El Petit)
AIT : Association internationale des travailleurs créée à Londres
en 1864.
Bandera Roja : Drapeau rouge, organisation communiste créée en
1968, suite à une scission au sein du PCE (i).
BIC : Brigade de investigación criminal (Brigade d’investigation
criminelle).
BPS : Brigada politico social (Brigade politique et sociale).
CFC : Circulos de formación de cuadros (Cercles de formation de
cadres).
CHE-CHO : Comité de huelga estudiantes – Comité de huelga
obreros (Comité de grèves étudiants… ouvriers). Groupes d’obé-
dience communiste.
CCOO : Comisiones obreras (Commissions ouvrières). Dès 1962,
elles prolifèrent dans les entreprises espagnoles avec des repré-
sentants élus lors d’assemblées générales, surgissant et disparais-
sant au gré des luttes. Le PCE est très critique au début, les accu-
sant même de faire le jeu du patronat et du franquisme et il tente
d’implanter au sein des usines son propre syndicat l’OSO (Oppo-
sition syndicale ouvrière). C’est un échec et ce syndicat disparaît en
1966. Le PCE change alors de stratégie et par le jeu d’adhésion,
d’infiltration et de noyautage s’empare de la direction des Com-
missions ouvrières, modifie son fonctionnement et au fil des années
en fait un organisme permanent et classique.

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CIA : Conspiración internacional anarquista (Conspiration inter-


nationale anarchiste).
CNS : Central nacional sindicalista (Centrale nationale syndi-
cale). Syndicat d’obédience fasciste.
CNT : Confederación nacional del trabajo (Confédération nationale
du travail). Syndicat de tendance anarchiste (communiste liber-
taire), fondé en 1910 à Barcelone par des délégués syndicalistes
venus de presque toutes les régions d’Espagne, lors du congrès de
« l’organisation » Solidaridad Obrera (Solidarité ouvrière).
CNT-F : Confédération nationale du travail-Française, créée à
l’occasion du 1er mai 1946, par la Fédération syndicaliste fran-
çaise (FSF), suite au congrès constitutif de décembre 1945.
CRS : Compagnie républicaine de sécurité.
DI : Défense intérieure a été créée à Limoges en 1961. C’est un
organe clandestin dont se dote le MLE (Mouvement libertaire
espagnol) pour combattre la dictature franquiste en réactivant la
lutte armée. La DI est formée par un petit comité où chaque ten-
dance du MLE est représentée.
DRIL : Direction révolutionnaire ibérique de libération, organisa-
tion de lutte antifasciste créée à la fin des années 1950, composée
d’hommes et de femmes de différentes idéologies politiques et reli-
gieuses, pratiquant la lutte armée. Cette organisation s’est illustrée
au début de l’année 1961 en s’emparant du transatlantique portu-
gais Santa Maria pour faire connaître au monde l’existence d’une
résistance active contre les dictatures espagnole et portugaise. Le
commando compte plusieurs libertaires parmi ses membres.
EE : Equipe extérieure.
EO : Equipe ouvrière.
ET : Equipe théorique.
ETA : Euskadi ta askatasuna (Patrie basque et liberté), organisa-
tion nationaliste basque créée en 1959 sous la dictature de Franco.
ETA VI : Est une scission au sein d’ETA. Elle se réclame d’un
marxisme révolutionnaire, qui prône la lutte des classes et la révo-
lution socialiste dans l’ensemble de l’Espagne, ce qui supposait
l’alliance du prolétariat basque et celui de l’Espagne. ETA VI dis-
paraît à la suite de diverses scissions au sein de l’organisation.
FAC : Frente d’alliberament de Catalunya (Front de libération de
Catalogne), organisation, catalaniste, indépendantiste et socialiste

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créée en 1970. Elle va revendiquer des attentats en Catalogne


contre des édifices publics… Après avoir subi la répression et l’exil,
elle disparaît en 1975.
FAI : Federación anarquista iberica (Fédération anarchiste ibé-
rique), structure créée à Valence en juillet 1927. Au départ, c’est
une fédération de groupes d’affinité anarchiste et de membres de la
CNT, mais qui va se bureaucratiser à partir de 1936.
FIEB : Federación independiente de estudiantes en bachillerato
(Fédération indépendante des lycéens).
FIJL : Federación iberica de juventudes libertarias (Fédération ibé-
rique des jeunesses libertaires), créée lors de son premier congrès
à Madrid en 1932. De fait, dissoute en 1969 par le désengage-
ment des militants les plus actifs.
FLP : Frente de liberación popular (Front de libération populaire).
Fondé en 1959 par un groupe d’intellectuels catholiques, élargi
par la suite à des « marxistes révolutionnaires » critiques vis-à-vis
du PCE et à des socialistes critiques vis-à-vis du PSOE (Parti
socialiste ouvrier espagnol). Le FLP s’autodissout en 1970.
FOC : Frente obrero catalan (Front ouvrier catalan, 1962-1969).
Organisation catalane du FLP, qui affichait une certaine méfiance
vis-à-vis des thèses marxistes prônées par le FLP. Le Front est
composé de chrétiens syndicalistes et de syndicalistes influencés
par l’anarcho-syndicalisme.
FRAP : Frente revolucionario antifascista patriotíco (Front révo-
lutionnaire antifasciste et patriote), organisation communiste de
tendance marxiste léniniste, créée en 1970.
FSF : Força socialista federal (Force socialiste fédérale). « C’était
une scission du groupe nationaliste CC (Comunitat Catala), en rup-
ture avec Jordi Pujol (aujourd’hui, en 1997, président de la Gene-
ralitat de Catalogne. » ■ (El Petit)
GAC : Grupos autónomos de combate (Groupes autonomes de
combat).
GARI : Groupes d’action révolutionnaires internationalistes.
Coordination de groupes formée en solidarité avec les ex-MIL
incarcérés en Espagne. Ils font parler d’eux en 1974, avec la
revendication de l’enlèvement à Paris du directeur de la Banco de
Bilbao, Angel Baltasar Suarez, en mai et de divers attentats au
cours de l’été.

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CGIL : Confederazione generale italiana del lavoro (Confédération


générale italienne du travail).
GIP : Groupe information prison.
GLAT : Groupe de liaison pour l’action des travailleurs. Groupe
ouvriériste et conseilliste fondé en 1959.
GOA : Grupos obreros autonomos (Groupes ouvriers autonomes).
GP : Gauche prolétarienne, organisation communiste de tendance
maoïste créée en France en 1969 par d’anciens membres de l’Union
des Jeunesses communistes marxistes léninistes et du Mouve-
ment du 22 mars. L’organisation sera dissoute en novembre 1973,
par les membres de la direction.
ICO : Information et correspondances ouvrières. En 1958, une
scission au sein du groupe Socialisme ou Barbarie donne nais-
sance à Information liaisons ouvrières. Ce regroupement inter-
entreprises formé pour l’essentiel par des individus se réclamant de
courants marxistes ou anarchistes, va être à l’origine de la création
d’ICO et de sa revue en 1962, à Paris. La revue s’était donnée
pour but de coordonner les groupes ou les travailleurs en rupture
avec les partis ou syndicats et de faire connaître leurs luttes. De
nombreux groupes ultra-gauches et conseillistes comme Colonne L
de Nice, Révolution Internationale (RI) de Toulouse, Archinoir de
Grenoble et d’autres de Marseille, Montpellier, Le Havre, Lyon, etc.,
vont collaborer à la revue. Des orientations diverses provoqueront
les départs petit à petit de ces groupes. Fin 1973, la revue cessera
de paraître.
IS : Internationale Situationniste (1954-1972).
JOC : Joventut obrera catolica (Jeunesse ouvrière catholique),
une des branches ouvrières d’Acción catolica (Action catholique) :
« Une organisation sociale avec plus d’un demi-million d’adhé-
rents dont sa branche ouvrière, créée au début des années 1940 et
qui a connu son réel développement en 1946, elle commença son
implantation dans les centres industriels les plus importants du
pays, fin 1947-début 1948. Son opposition au franquisme grandit
au fil des ans et ses organisations de jeunesse (JOC, JOAC), qui
doivent à certains moments agir dans une semi-clandestinité, ali-
menteront plus tard des organisations de gauche et du marxisme,
ils glisseront vers un mal nommé « anarcho-christianisme » ■ El
MIL y Puig Antich d’Antonio Tellez.

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KAPD : Parti communiste ouvrier d’Allemagne (1919-1923), créé


par des exclus du KPD (Parti communiste allemand, fondé en
1918). Le Parti prône une ligne insurrectionnelle, antiparlemen-
tariste, antisyndicale, anticentraliste.
Lotta Continua : Lutte continue (1969-1976), organisation com-
muniste d’extrême-gauche italienne.
MIL : Movimiento iberico de liberación (Mouvement ibérique de
libération).
MLE : Mouvement libertaire espagnol. Le MLE est une coordina-
tion, réalisée en Espagne le 7 mars 1939, des divers comités supé-
rieurs respectifs de la CNT, de la FAI et de la FIJL, regroupés dans
un Comité national du mouvement libertaire.
MC : Mouvement communiste.
MLF : Mouvement de libération de la femme, créé en 1968.
NRP : Nouvelle résistance populaire (1970-1973). Ce bras armé de la
Gauche Prolétarienne va revendiquer deux enlèvements. Le
27 novembre 1970, celui du député gaulliste Michel de Grailly et le
8 mars 1972, celui de Robert Nogrette, un cadre de la Régie Renault.
OLLA : Organització de lluita armada (Organisation de lutte
armée).
ORA : Organisation révolutionnaire anarchiste, née en 1967
comme tendance au sein de la Fédération anarchiste (FA). Elle
quitte cette dernière fin 1968. Après diverses scissions, recomposi-
tions et orientations, l’ORA, en tant que sigle et organisation, cesse
d’exister en 1976.
ORT : Organización revolucionaria de trabajadores (Organisation
révolutionnaire des travailleurs).
PCE (i) : Partido comunista de España-internacional (Parti com-
muniste espagnol-international), né en 1967 d’une scission avec le
PCE/PSUC. Groupuscule qui appelait à l’insurrection armée et à la
prise du pouvoir. Il tentera de créer des Comisiones obreras revo-
lucionarias (Commissions ouvrières révolutionnaires). En 1975,
le sigle se transforme en Parti du travail d’Espagne (PTE).
PCE : Partido comunista de España (Parti communiste d’Es-
pagne).
PCF : Parti communiste français
POUM : Partido obrero de unificación marxista (Parti ouvrier
d’unification marxiste), organisation créée en 1935, dont l’un des

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dirigeants, Andrès Nin, fut assassiné par les staliniens à Barcelone,


en juin 1937.
PRIMERO DE MAYO : Premier Mai est une appellation de cir-
constance plutôt qu’une organisation. Il a été créé en France par
des militants espagnols de la Federación Iberica de las Juven-
tudes Libertarias (FIJL), avec l’accord de cette dernière. Sa pre-
mière action se passe le 30 avril 1966 à Rome. Il séquestre mon-
seigneur Marcos Ussia, conseiller ecclésiastique de l’ambassade
espagnole auprès du Vatican, pendant dix jours. Il demande la
libération de tous les prisonniers politiques incarcérés en Espagne.
Ce sigle sera utilisé jusqu’en 1970 par plusieurs groupes ou indi-
vidus libertaires en Angleterre, en Italie, au Portugal, en Espagne,
en France, en Hollande, en Suisse, au Japon et sur le continent
américain. Le but est de lutter contre la dictature en menant de
nombreuses actions contre les représentations économiques ou
politiques espagnoles.
PS : Parti socialiste.
PSAN : Partit socialista d’alliberament nacional dels pais catalans
(Parti socialiste de libération nationale des pays catalans), créé en
1969 à la suite d’une scission du Front nacional de Catalunya (FNC).
PSAN-P : Parti socialiste d’alliberament nacional provisional.
Bras armé du parti catalan.
PSOE : Partido socialista obrero español (Parti socialiste ouvrier
espagnol), fondé en 1878.
PSU : Parti socialiste unifié, organisation française de gauche
créée en 1960 et autodissoute en 1988.
PSUC : Partit socialista unificat de Catalunya (Parti socialiste uni-
fié de Calalogne). Organisation créée en 1936 suite à la fusion du
Partido comunista de Catalunya avec divers partis ouvriers cata-
lans et socialistes. C’est, en fait, la filiale catalane du PCE.
SDEUB : Sindicato democratico de estudiantes de Barcelona (Syn-
dicat démocratique des étudiants de Barcelone).
SFIO : Section française de l’internationale ouvrière.
SIA : Solidarité internationale antifasciste, créée en 1937 en
Espagne par la CNT et l’UGT. La même année, sous l’impulsion de
libertaires, une section française est créée.
SR : Secours rouge, organisation créée en France, en 1970, par un
collectif de militants membres pour la plupart d’organisations

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d’extrême-gauche et de personnalités ayant pour objectif d’assurer


la défense politique, juridique des victimes de la répression.
TOP : Tribunal de orden público (Tribunal de l’ordre public). Créé
en 1964, comme juridiction spéciale civile pour juger les cas relatifs
à la sécurité de l’État.
UCL : Unión comunista de liberación, organisation communiste
d’obédience léniniste.
UGT : Unión general de los trabajadores (Union générale des tra-
vailleurs). Syndicat d’inspiration socialiste fondé en 1888, satellite
du Parti socialiste ouvrier espagnol.
UNESCO : United nations educational scientific and cultural (Orga-
nisation internationale pour l’éducation, la science et la culture),
créée à Londres en 1945, qui dépend de l’Organisation des Nations
Unies. Le siège est à Paris.
VT : La Vieille Taupe.

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FACS SIMILÉS

Première page d’un texte du MIL/GAC

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BD Freak Brothers (G. Shelton) (extraits de CIA n° 1).

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BD Freak Brothers (G. Shelton) (extraits de CIA n° 1).

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BD de Reiser (extrait de Charlie Hebdo, novembre 1973).

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Affiche de solidarité,
novembre 1973.

Felip : La maquette vient du


Comité de Solidaridad presos
MIL. Elle a été imprimée à
Toulouse, à 1 500 ou 2 000
exemplaires. C’est la première
affiche du comité placardée à
Barcelone, dans les quartiers
de Gracia et de Sants. Juste
avant, nous avions tiré le pre-
mier « Dossier MIL » à 600
exemplaires et le deuxième à
800.

Affiche de solidarité,
mars 1974.

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Affiches de solidarité, juin 1974.

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QUELQUES TEXTES DU MIL

Dos anys de resistencia (août 1972)

La consolidation du noyau d’avant-garde radical 1000 est issue


de la pratique radicale du mouvement ouvrier radical catalan,
c’est-à-dire fin 1969. En l’an 1970, le noyau extérieur Nuestra
Clase prend l’initiative politique pour passer à un stade supérieur
de lutte, car le noyau intérieur de Nuestra Clase ne passe pas à un
stade nécessaire que la lutte exige. Les premières conclusions du
groupe extérieur 1000 sont les suivantes : s’associer à la lutte de
classe en Occitanie et influencer au moyen d’une lutte dure, l’action
intérieure Nuestra Clase. Dans cette perspective, nous pouvons
faire une brève analyse chronologique de l’action du 1000.

20-21-22 octobre 1970 : Manifestation de grande violence dans la


rue pour la libération du leader maoïste Geismar.
20 octobre 1970 : Incendie par un commando du Grand Hôtel
(Occitanie).
26 novembre 1970 : Insurrection estudiantine à Toulouse. 160
interpellés dont 13 militants radicaux.
27 novembre-2 décembre 1970 : semaine de mobilisation générale
contre la répression. Manifestations et attentats.
2 décembre 1970 : Attentat à la bombe et cocktails Molotov au com-
missariat central de Toulouse. Nuit de barricades. Attentat contre
la Banque de France à l’occasion du jugement des 12 inculpés de la
journée du 26.
13 décembre 1970 : Incendie de la faculté de Droit (lieu des fas-
cites).
16-26 décembre 1970 : Avec le groupe occitan Vive la Commune, le
groupe dirige une campagne d’agitation à l’occasion du procès de
Burgos. Bombe au consulat espagnol. Attaque et destruction de
l’agence Iberia. Trois attaques au centre espagnol.
13 janvier 1971 : Association infrastructurelle ETA (VIe Assem-
blée). Récupération avec ETA.

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18 janvier 1971 : Récupération de matériel d’imprimerie.


19 janvier 1971 : Amplification de l’action Nuestra Clase et Vive la
Commune. Création du noyau radical 1000.
1er février 1971 : Socialisation économique ratée. Affrontement
armé.
5 février 197I : Socialisation économique armée.
6 février-15 mars 197l : 15 récupérations armées de matériel.
25 mars 1971 : La moitié du Comité central 1000 est détenue par
la police en Roussillon. 14 mois de prison et une évasion. Nouvelle
détention après cinq jours de poursuite.
Été 1971 : Étape de la restructuration. Échec de la campagne
« anti-touriste ». Préparation militaire et récupération d’imprime-
rie à Barcelone.
Octobre 1971 : Récupération d’armes et de fonds.
Novembre 1971 : Travail conjoint avec FAC (Front de Libération de
Catalogne).
Décembre 1971 : Désorganisation du 1000 extérieur. Consolidation
du travail en pays catalan.
Avril 1972 : Socialisation économique à Barcelone. Réorganisa-
tion extérieure. Socialisation militaire et économique. Récupération
d’une bibliothèque socialiste.
Mai 1972 : Socialisation économique au Marais.
Juin 1972 : Restructuration du 1000 intérieur et extérieur.
Juillet 1972 : Socialisation de machines d’imprimerie. Fin du tra-
vail infrastructurel. Passage à l’action militaire.

Nos actes valent plus qu’un million de paroles.


Ne pense plus, tire. Bonne chance !

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Multiplicación de los Grupos de Combate


ou la actual coyuntura (décembre 1972)

L’actuelle conjoncture économique espagnole, assise sur un


processus permanent d’inflation-stabilisation-inflation, a permis
indirectement à la bourgeoisie espagnole et son État capitaliste, le
contrôle du développement de la lutte de classes, ne lui échappant
que dans les moments où le mouvement sut imposer, avec l’appui
de la lutte dans la rue, des revendications authentiquement radi-
cales. Malgré cela, la bourgeoisie et son État ont toujours récupéré
l’initiative, utilisant indistinctement la répression (Ferréol, Vigo,
etc.), ou les mécanismes d’intégration (conventions collectives, ren-
contres, Commissions ouvrières réformistes, etc.).

Avant cette situation, le prolétariat et le mouvement révolu-


tionnaire dans son ensemble peuvent difficilement projeter de
continuer à avancer sans risquer de rompre la mécanique de ces
deux systèmes, répression et intégration, qui perpétuent directe-
ment l’exploitation du capital.
Bien qu’elle doive faire face à ce double front dans un futur
immédiat, la classe ouvrière assimilant sa propre lutte et celle de
tout le prolétariat international, n’a pas encore résolu tous les
problèmes stratégiques et tactiques que cela représente. Tant que
ce vide persistera et que les luttes ouvrières les plus radicales
n’arriveront pas à étendre leur programme révolutionnaire à l’en-
semble du prolétariat, cette situation se répercutera directement
sur les différents groupes révolutionnaires classiques, en les pous-
sant, du fait de leur fonctionnement groupusculaire – avant-gar-
diste, à un décalage total avec la véritable lutte du prolétariat, ou
à chercher refuge pour sa survie dans le réformisme du PC, comme
cela se passe en Catalogne au travers de l’Assemblée. Si, jusqu’à
présent, l’intervention des différentes formations idéologico-grou-
pusculaires est minime dans la radicalisation de la lutte du prolé-
tariat, on doit prévoir que dorénavant, de par ses propres concep-
tions politiques et son institutionnalisation, son influence dans le
mouvement révolutionnaire sera pratiquement nulle, non sans
avoir auparavant essayé de masquer sa néfaste action au travers
de groupes ouvriéristes.

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Ce vide strictement organisationnel consécutif aux crises suc-


cessives des groupuscules et la disparition (?) des limites de la lutte
ouvrière (localisme, etc.) dépendent en grande partie du fait que les
tâches qu’impose la situation actuelle aux révolutionnaires soient
résolues intimement avec la lutte quotidienne de la classe ouvrière.
Sans oublier que les deux versants de ce double front de lutte
sont étroitement liés. Le but de cet écrit consiste à en préciser spé-
cifiquement une : la lutte armée contre la répression.
Avant tout, il est évident que dans la mesure où les forces de la
répression sont organisées militairement (police, armée, etc.), on ne
peut qu’opposer de manière efficace et continue une autre force
militaire ; et que cette force, sans l’appui d’une masse large, qui
garantisse sa continuité, court le risque permanent d’être détruite
par la répression. Il est évident aussi que face à l’armée de la
réaction doit sortir l’armée révolutionnaire et que cela ne dépend
pas de la volonté de un ou de plusieurs individus, mais des possi-
bilités historiques.
Dans la dernière décennie, pratiquement toutes les expé-
riences de lutte armée qui ont eu lieu dans la péninsule ont été
dépendantes de telle ou telle formation politique (PCI, ETA, ARU,
etc.), ce qui bien sûr marquait de manière déterminante et concrè-
tement la dynamique de chaque expérience, empêchant la mise en
place d’une stratégie en accord avec le mouvement réel et en évi-
tant que ne s’enracine une tradition et une compréhension de l’ac-
tion armée dans la lutte ouvrière et révolutionnaire. C’est pourquoi
il est logique que les noyaux les plus radicaux du mouvement
ouvrier gardent une certaine crainte de l’action armée, mettant en
difficulté l’avancée révolutionnaire des dits noyaux et du mouve-
ment ouvrier en général.

Les tâches auxquelles se confronte le mouvement ouvrier sur


ce double front de lutte et la nature même de l’action armée jusqu’à
aujourd’hui, mettent en évidence la nécessité de redéfinir la fonc-
tion révolutionnaire des groupes d’action armée, autonomes ou
dépendants de formations politiques.

En partant sur la base que la lutte ouvrière actuelle ne pro-


duit pas directement les groupes armés qui lui seront nécessaires

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dans sa prochaine lutte et que les groupes militaires dépendant des


différents partis, groupes politiques, sont incapables de part leur
subordination au parti X, de répondre aux nécessités de la lutte pro-
létaire, il paraît évident que les possibilités immédiates de réaliser
une formation prolétaire militaire sont pratiquement inexistantes.
C’est pour cela que, face à la nécessité de cette formation prolétaire
dans le futur, il est nécessaire aujourd’hui d’une étape préalable
d’agitation armée qui au travers de la compréhension et de son inté-
gration dans ce même mouvement ouvrier lui permette de sentir les
fondements stratégiques et organisationnels de celle-ci.
Actuellement, une organisation ouvrière révolutionnaire à
l’échelle de la péninsule n’existant pas, les groupes d’agitation et de
combat armé sont obligés de rester très localisés, ils ne pourront
grandir qu’au moment où le mouvement ouvrier commencera à
casser les barrières locales, c’est-à-dire dans la mesure où il détruit
certaines limites que lui impose le capital au travers de la répres-
sion, des conventions collectives, etc.

Malgré les limites actuelles, une tendance à l’unification s’im-


pose dans les différents groupes d’action armée, pas seulement
dans la tactique mais aussi dans ses conceptions stratégiques.
Jour après jour, il est évident qu’il est nécessaire de créer un fon-
dement politique à cette unification tactico-stratégique, et que
cela se fera dans la mesure où la collaboration entre les différents
noyaux armés soit une réalité amplement acceptée par la lutte
révolutionnaire en général.

Les tâches révolutionnaires que la situation actuelle de la


lutte des classes dans la péninsule impose aux révolutionnaires
organisés, militairement, sont premièrement au plan général :
– L’usure des forces de répression militaire ou non – Appui direct
aux noyaux et aux luttes ouvrières les plus radicales – Renforce-
ment tactique des même groupes armés. Etc.
Deuxièmement, sur le plan concret :
– L’établissement et la réalisation d’une campagne en réponse à la
répression – L’organisation possible d’un conglomérat de groupes
armés, d’une orientation tactique unifiée – Amplification de la
base d’appui populaire aux groupes d’agitation armée dans sa

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structure organisée et politique, en renforçant et en ouvrant de


nouvelles voies entre la lutte quotidienne de la classe ouvrière et
l’agitation armée.

Pour tout cela, notre groupe, sans s’attribuer des prérogatives


d’aucun genre, a défendu la nécessité de s’organiser en Catalogne
en groupes révolutionnaires autonomes de combat vers une pers-
pective de réalisation plus large du Mouvement ibérique de libé-
ration… établir une stratégie armée de grande ampleur dans la
péninsule est subordonné au développement même de la lutte de
classes et à la dynamique de réalisation des diverses stratégies
locales. Ceci explique que pour les groupes armés, comme pour le
nôtre, qui ont ouvert une brèche, une série de responsabilités dif-
ficiles à éluder, s’ils veulent agir en conséquence avec leurs postu-
lats initiaux. Rappelons-les : notre groupe n’est identifié à aucune
formation idéologique, il n’est pas statique ni définitif et ne prétend
pas être l’embryon exclusif d’une organisation militaire à l’échelle
péninsulaire, son seul compromis est avec le combat quotidien de
tout le prolétariat révolutionnaire et spécialement de la classe
ouvrière.
Dans la conjoncture actuelle, notre tactique est définie par
notre travail politique et notre action militaire. Notre activité mili-
taire impose aujourd’hui :
– Initier l’échange d’expériences et la collaboration entre les divers
groupes d’action et d’agitation armée – Multiplication des groupes
de combat – Projeter et collaborer contre la répression au sein de la
lutte armée, en la favorisant si celle-ci ne s’étend pas à tous les
groupes d’action armée – Unifier l’appareil de propagande des
groupes de combat (surtout dans son versant théorique) – Réper-
torier les groupes armés qui agissent dans les autres régions de la
Péninsule, en créant un système d’information approprié – Etc.

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Apunte de discusión (25 avril 1973)

« Sans une claire compréhension des objectifs, et de ce que


sont les forces (en incluant les forces idéologiques) qui nous impo-
sent d’avancer – en résumé, sans une perspective historique –, la
lutte révolutionnaire tend à se convertir en quelque chose où : le
mouvement est tout et la direction inexistante. Sans perspectives
claires, les révolutionnaires tombent dans des pièges – où des
voies sans issue – qui, avec un peu de conscience de leur propre
passé, auraient pu être évités facilement. » (M. Brinton, « Los bol-
chevicos y el control obrer », Collección El Viejo Topo, Ed. Ruedo
Iberico)
Ce texte est une base de discussion pour élaborer, tous
ensemble, une stratégie en tant que groupe autonome de combat.

1 – Jefismo (la culture du chef)


D’après moi, il y a une différence fondamentale entre jefismo et
leader. Leader est l’individu qui, à un moment donné sait valoriser
le plus correctement la réalité, c’est pour cette raison qu’il a l’ini-
tiative. Jefe est l’individu qui essaie de maintenir sous contrôle
toute l’infrastructure et appareil pour devenir indispensable, c’est
pour cela qu’il utilise le secret bureaucratique, la relation person-
nelle et ne s’affronte jamais au groupe mais essaie de contrôler les
différentes tendances qui le composent.

Si nous revenons en arrière, une partie de notre histoire est


marquée par le jefismo, et ce n’est pas paradoxal que cela coïncide
avec le moment où il y a eu le moins d’actions réalisées et où le
groupe a été le plus désuni, s’épuisant dans des querelles internes
de méfiances, tendances et possibles scissions.
Ceci vient à propos de la semaine dernière, quand j’ai vu
renaître entre vous ce fléau qui paralyse beaucoup de groupes.
Nous pourrions invoquer l’état de désorganisation du groupe, que
les individus ne prennent des positions claires, etc., bien sûr, mais
cela n’empêche pas, ou ne devrait pas empêcher que les cama-
rades de l’extérieur n’aient pas eu des relations claires puisque,
semble-t-il, en espérant que ce ne soit pas ça, que la seule chose qui
intéresse les camarades de l’intérieur, c’est l’infrastructure qui

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existe actuellement. Après le traditionnel départ de quelques-uns


et l’aspect tâtillon d’autres, le secret bureaucratique, le boycott de
toute tentative de discussion, le rejet de celui qui n’adhère pas à
une étiquette ont réapparu. Ce qui en fait est dramatique, c’est que
ce sont les mêmes raisons qui justifièrent le départ, et on refait les
mêmes erreurs.

Le fait qu’aujourd’hui, le groupe se proclame ouvertement


anarchiste n’a rien de spécial, ou bien il additionne la pratique
antérieure, correcte ou non, ce qui n’est pas le cas, et il n’est pas
anarchiste ? Les positions sont donc marquées par l’action, et non
pas par un supposé purisme idéologique. Je ne comprends donc pas
la méfiance des camarades. De toute façon, je pense que d’adhérer à
une étiquette induit de sérieux problèmes. Si pour des raisons tac-
tiques, nous nous sommes déclarés anarchistes, cela ne doit pas
impliquer le mépris d’autres camarades qui acceptant la lutte armée,
peuvent travailler avec nous. Nous allons travailler ensemble et
dans une totale clarté et confiance entre les camarades.

2 – Bloof
On a parlé, jusqu’à satiété, de l’isolement du groupe. Je ne sais
pas jusqu’à quel point est correcte la détermination de rompre
l’isolement avec des papiers et des timbres. Je ne nie pas la néces-
sité pour une organisation d’avoir des contacts pour maintenir
une continuité, mais sur quelle base ? La tête se fortifie (centre de
décision), mais avec un vide important : l’erreur principale de base
est à l’intérieur. Nous avons vécu ce qu’était un bloof et les consé-
quences de celui-ci se payent très cher. Je ne suis pas contre main-
tenir un centre de décision à l’extérieur pour assurer la continuité
du groupe, je suis contre pour jouer avec de supposées réalités qui
n’existent pas.

3 – Expérience passée
Nous pouvons poser la question suivante : pourquoi notre pra-
tique n’a pas eu d’incidence dans la lutte des classes ? D’une part,
nous n’avons jamais mené une action clairement politique et c’est
uniquement celle-ci qui démontre l’effectivité de la pratique. Les
actions ont été clairement expropriatrices et ne dépassèrent jamais

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le cadre des nécessités immédiates. De ce fait, l’action était réduite


à elle-même, sans transcendance postérieure.

De nouveaux GAC n’ont pas été créés ou nous n’en avons pas
eu connaissance (Mallorca). C’est la pratique qui nous a menés à
l’isolement.
Pourquoi l’incapacité de donner une réponse à un moment précis,
comme par exemple celui du procès de Saragosse ? Cette incapacité
de ne pas dépasser un niveau d’immédiateté se base sur :
1) Méconnaissance de la réalité. 2) Incohérence politique et pra-
tique du fait de ne pas pouvoir tenir les responsabilités prises par
excès de volontarisme ou de triomphalisme. 3) Méfiance entre les
membres. 4) Absence d’objectifs tactiques (au niveau du groupe).
5) Surévaluation de nos forces. 6) Concentration du pouvoir par
deux individus et inhibition des autres.

Je n’essaie pas d’entonner un mea culpa, ni de me perdre dans


le labyrinthe pour trouver une explication à tout, mais j’essaie
plutôt de ne pas faire les mêmes erreurs.

4 – Agitation armée
Une reprise de l’action sans définir clairement nos objectifs et
nos limites, serait aller droit dans le mur (se faire casser la gueule).
Les conséquences de toute l’étape postérieure en termes généraux
ne se résoudront pas en se séparant d’un camarade. C’était néces-
saire mais pas suffisant. Et avec une nouvelle dose de volonta-
risme, conséquence de cette nouvelle situation.

Les bases indispensables d’un GAC sont :


1) Tactique et stratégie propres.
2) Relation directe, pas dépendante, avec les secteurs radicaux
du Mouvement ouvrier (MO).
Les faits ont démontré l’invalidité du réformisme qui s’est
converti comme le meilleur gestionnaire du Capital au sein de la
classe ouvrière, en ne dépassant jamais, dans ses revendications, le
cadre imposé par celle-ci. C’est ainsi que les dernières luttes (grèves
sauvages) montrent une tendance anti-autoritaire avec une forte
augmentation de la violence révolutionnaire. Mais celle-ci répondait
aux exigences du moment sans aucune continuité. C’est ici que

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naît la nécessité, historique, de l’agitation armée, de formation de


groupes autonomes de combat capables de faire face à la répression
sous toutes ses formes par la violence prolétarienne.
La condition la plus importante est le lien d’union (relation
directe) entre la guérilla et les luttes économiques et politiques de
masse. La guérilla, en tant que telle n’a aucune possibilité de se
développer si cette relation ne devient pas le nœud essentiel de la
pratique guerillera.
La question ne se pose pas en ces termes de savoir si aujour-
d’hui, la lutte armée est nécessaire ou pas, ce type de question est
faux. La lutte armée est un objectif stratégique dans la lutte des
classes, mais par contre les minorités révolutionnaires prennent cet
objectif comme tactique, afin d’accélérer le processus révolution-
naire et maintenir les victoires partielles du M.O. De cette façon,
l’agitation armée, comme exigence tactique du M.O. correspon-
dant à la situation présente, doit se préparer pour répondre à la
répression sous toutes ses formes, en ne sortant pas du cadre de la
lutte de classes, pour qu’elle ne se perde pas dans de faux objectifs.

La lutte armée n’est pas exclusive si elle garde la relation


avec les autres niveaux de la lutte ouvrière et populaire.
Objectifs :
1) User les forces de répression. 2) Appuyer les luttes radicales.
3) Appuyer la création de GAC en tendant de les unir. 4) Création
d’appareil d’information et de propagande.

Objectifs immédiats :
1) Compléter les infrastructures. 2) Expropriations. 3) Actions à la
bombe. 4) Sortie de livres, bibliothèque.

Sans une base politique capable d’expliquer dans une pers-


pective historique les actions menées, nous retomberons dans les
erreurs passées. Les actions sont marquées par les événements et
non par quelque visionnaire… ?
Je répète que l’objectif de ce texte est de provoquer la discus-
sion, claire et sincère, entre les camarades, et pourtant… le Mou-
vement (iberico de liberación) se démontre en marchant.
Salutations anarchistes

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Chronologie extraite de CIA n° 1, avril 1973

1972
1er juillet : Barcelone, attaque à main armée d’un bureau d’alloca-
tion vieillesse (rue Mallorca, centre-ville de Barcelone).
Butin : 800 000 pesetas.
Nuit du 14 au 15 août : Cambriolage d’une imprimerie, rue de l’Es-
quille à Toulouse.
9 septembre : Bessières (30 km de Toulouse), la police localise une
ferme qui servait pour les réunions d’activistes internationaux,
découvre une imprimerie et un stock d’armes.
13 septembre : Salou (province de Tarragone) attaque en pleine rue
d’un employé qui transporte de l’argent de la Caisse provinciale…
l’employé tente de s’échapper, mais il est maintenu. – Échec d’une
attaque à main armée à la Caisse d’Épargne d’Igualada (50 km de
Barcelone).
15 septembre : Attaque à main armée de la Caisse d’Épargne de
Bellver de Cerdanya, près d’Andorre (province de Lérida). Butin :
1 million de pesetas.
17-18 septembre : Une voiture Renault 16 immatriculée à Perpi-
gnan subit un contrôle près de Pau. Deux des occupants sont iden-
tifiés comme responsables de la ferme de Bessières.
Dans la nuit, la police entre dans un appartement de Toulouse (rue
Raymond-IV) et réussit à arrêter deux militants, un troisième arrive
à s’échapper. Oriol Solé, reste en prison. Jean-Claude Torres, sort
deux jours plus tard en liberté provisoire (faute de preuves).
18 novembre : Barcelone, attaque à main armée d’une Caisse d’É-
pargne. L’un des membres du commando est armé, pour la pre-
mière fois, d’une mitraillette Sten. Butin : 200 000 pesetas.
28 novembre : Barcelone, attaque à main armée d’une succursale
de la Banco Central par 7 hommes armés de mitraillettes et pis-
tolets. Ils partent avec 1 million de pesetas et laissent dans la
banque un communiqué.
Nuit du 13 au 14 décembre : Toulouse, un commando retourne
« socialiser » le matériel d’imprimerie récupéré par la police à Bes-
sières.
29 décembre : Badalona, attaque à main armée d’une Caisse d’É-
pargne, av. Layetana. Butin : 800 000 pesetas. Les « bandits » lais-

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sent un communiqué célébrant la mort de Francisco Sabaté Llopar


(tué par la Guardia Civil à Sant Celoni).

1973
21 janvier (1) : Barcelone (quartier de Sarriá ), attaque d’une Caisse
d’Épargne, située dans le même édifice où vivent les membres de la
Brigade Politico-Social.
23 janvier (1) : Puigcerda-Bourg-Madame. Deux individus en train
de passer la frontière sont interceptés par la police, ils s’échappent
en abandonnant leur sac (qui contenaient une mitraillette, 250 000
pesetas et de la propagande). Une fois en Espagne, ils s’affrontent
avec la Guardia Civil et disparaissent avec une voiture (qu’ils
avaient socialisée à l’aide d’un pistolet).
2 mars : Barcelone, allées Fabra y Puig : attaque à main armée au
Banco Hispano Americano. Durant l’attaque, les assaillants sont
encerclés par la police ; lors de la fuite, ils blessent un employé et
un policier et emportent un million et demi de pesetas des six
qu’il y avait.
8 mars : Toulouse, procès contre deux militants qui étaient tom-
bés dans un appartement dans la rue Raymond-IV (18 septembre)
et deux en fuite.
– Oriol Solé, un an de prison, Torres Jean-Claude, six mois avec
sursis, Rouillan Jean-Marc, un an, Puig Antich Salvador six mois
de prison (en fuite).
17 mars : Barcelone, attaque à main armée d’un inspecteur admi-
nistratif qui transportait des permis de conduire, passeports, etc. (2)

Il n’est pas possible de revendiquer d’autres actions qui peu-


vent gêner les militants légaux des deux côtés de la frontière et
d’autres actions effectuées par des groupes d’auto-défense ouvrière,
qui sont un peu hésitants pour revendiquer les actions armées.

(1) Les rédacteurs du MIL/GAC se sont trompés dans ces deux dates, ce n’est
pas le 21 et le 23, mais les 19 et 20 janvier. Nous les avons modifiées lors de la
rédaction du livre.
(2) Cette action n’a pas été menée par le MIL/GAC.

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¿ La historia nos absolvera ? (juillet 1973)

1967
Des éléments, qui formeront plus tard l’ET au congrès de Bressuire
des Jeunesses communistes révolutionnaires, (avril ou mars 1967),
s’alignent sur les positions pro-Durruti (1), défendues par Daniel
Guérin (2) face à l’entrisme prôné par Alain Krivine (trotskiste
ligne Mandel), face au dirigisme des groupes universitaires (sémi-
naire anti-autoritaire, été 1967) et face aux tentatives de bolchevi-
sation des groupuscules (mars 1968).
1968
Mars : Contact direct entre l’ET et l’International Situationniste.
Été : Contacts de l’ET avec des éléments qui formeront plus tard
l’EE (assemblée générale d’Acción Comunista).
Août : Formation d’une ET, légalement consacrée. Écrits de quelques
membres de la Local de Barcelone des Commissions ouvrières dénon-
çant une série de faits concrets de la part du PSUC. L’opposition au
PSUC et de la commission nationale se regroupe autour de la revue
Metal, initialement organe de liaison qui devient le porte-parole de toute
l’opposition pour le regroupement par entreprise et non par branche.
Automne : À travers Acción comunista, l’ET fait approuver un
soutien inconditionnel au groupe Metal et y participe directement.
Décembre : Participation de l’ET au congrès d’AC à Paris (critique
du marxisme du PCI, de Proletario et du castrisme comme nouvelle
bureaucratie).
1969
Apparition de l’EE (nous ne connaissons pas le mois exact).
Janvier : La revue Metal est remplacée par ¿ Qué hacer ? (de jan-
vier à septembre 1969), qui préconise l’abandon de la lutte pour le
pouvoir des Commissions et essaye de regrouper le mouvement
ouvrier en marge de ces tripatouillages.
Été : Rupture de l’ET avec un groupe qui édite Tribuna libertaria
(le noyau, en tant que ex-trotskiste, accuse l’ET de bordiguisme) (3).
Automne : Entrisme de l’ET dans AC pour élaborer des bases idéo-
logiques ; elle écrit Le mouvement ouvrier à Barcelone.
Décembre : Participation de l’ET au congrès d’AC à Francfort et
rupture politique entre les deux (démantèlement provisoire d’AC à
Barcelone).

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1970
Janvier : Les Circulos de Formación de Cuadros succèdent à ¿ Qué
hacer ? avec une nouvelle forme organisationnelle.
Février : Publication : Le mouvement ouvrier à Barcelone.
Mars : Premiers contacts de l’ET avec les chefs des Circulos de for-
maciones de cuadros et avec, pour se présenter, la brochure Le mou-
vement ouvrier à Barcelone. Projet commun d’un « mamotreto ».
Avril : Premiers contacts entre l’ET et Lotta continua.
Été : Participation de l’ET, l’EE et le noyau de la future EO au
congrès de Lotta continua. Rencontre de l’ET et l’EE à Toulouse.
Premiers contacts de l’ET avec la Vieille Taupe à Paris.
Août : Tirage à Toulouse du Diccionario del militante obrero de
l’EO, partiellement réécrit par ET et imprimé avec comme signa-
ture « Edita Equipo Exterior Nuestra Clase ».
Automne : Les Circulos sont remplacés par Nuestra Clase (qui
alors était seulement le nom d’une revue assez mauvaise. Nuestra
clase est formé par trois équipes (ET, EO et EE) et toute une série
de contacts internationaux parmi lesquels se détache un Comité de
liaison (un nom assez proche) situé à Lyon.
Hiver : Grève à Harry Walker. Le nom de Nuestra Clase, pour
diverses raisons, disparaît. Les éléments le composant recen-
trent leurs activités autour du CU (Comité unitaire) d’Harry
Walker.
Décembre 1970-janvier 1971 : L’ET mobilise tous ses contacts de
Paris, Lyon, Marseille, Genève, Nantes, Euskadi, Pampelune,
etc.
1971
Janvier : Publication de Europa salvaje, sans signature, traduit par
l’ET et revendiqué plus tard par l’EO (qui, visiblement, a profité
d’Harry Walker pour se faire un nom et qui, par la suite, se grou-
pusculera). Europa salvaje sera présenté comme un texte des
Groupes Ouvriers Autonomes (GOA).
Mars : L’ET édite La lucha contra la repressión sans signature,
mais présenté plus tard comme un texte des GOA. Mais ce qui
change est l’apparition dans le même mois, à la charge de l’EE, de
la brochure Boïcot de las elecciones sindicales signé 1000 avec du
matériel spécialement socialisé par un commando du 1000.
Mars-Avril : Déplacement de La Vieille Taupe à Barcelone où elle

346
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avait des contacts avec les groupes qui se mouvaient autour de l’ET.
L’EO refuse de les rencontrer.
Avril : L’EO édite, sans signature, mais utilise la structure précé-
dente, Proletario y organización de Paul Cardan, Partido y Clase
Obrera de Anton Panneckoek et Lucha contra los cronometrajes –
textes revendiqués plus tard par les GOA (4) (??) (5) font que ces édi-
tions passent inaperçues ou sont ignorées de l’ET.
Avril : La rupture entre ET et EO est consommée.
Mai : Édition du Mamotreto par l’ET ayant recours à du matériel
illégal. La première partie du texte avait reçu une série de
remarques de la part de l’EO, mais le reste ne lui fut pas présenté.
Mai-Juin : Apparition publique du nom des GOA (ce qui représente
la rupture entre les chefs qui ont un appareil et qui peuvent se don-
ner des sigles, et la base ouvrière qui se détache d’un groupuscule
de chefs à vie incontrôlable).
Juin : GOA signe comme étant le sien le texte La lucha de Santa
Coloma avant la grande stupéfaction des Colomemses (6) qui dans
leur majeure partie se désintéressent déjà des GOA.
Juin-Juillet : On parle pour la première fois, et de façon vague ou
imprécise, de la possibilité d’établir une collaboration EE/ET sous
la forme d’une bibliothèque.
Juillet : GOA édite et signe Los consejos obreros en Hungría.
Août : « Opération Anita » et rupture avec Lotta Continua.
Septembre : GOA édite La lucha contra la exploitación et le livre de
Jean Barrot de La Vieille Taupe : Notas para una análisis de la
revolución rusa.
Octobre-Novembre : L’ET commence l’élaboration d’une Étude éco-
nomique qui sera maintes fois retravaillée et réécrite.
Novembre : Contact informel de l’ET avec Lotta Continua en marge
des autres.
Décembre : Grève de la SEAT.
1972
Janvier-février (approximativement) : L’ET redouble une activité
(??) prépare la création d’une bibliothèque d’une part, traduit El
derecho a la pereza de Paul Lafargue, Huelga en Polonia extrait de
la revue ICO, La revolución alemana également d’ICO et édite le
texte La Comuna (Paris 1871, Kronstadt 1921, Polonia 1970-1971),
laissé (??) plus de six mois sans publier pour l’ancienne EO (GOA).

347
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Avril (approximativement) : L’achèvement de « Estudio econo-


mico » sert de point de départ pour la discussion politique (rupture
de l’ET avec les autres).
Été : Nouveaux contacts entre l’EE et l’ET. Séjour intéressant à l’ex-
térieur. Se met en route (enfin) le projet de bibliothèque, intégrant par
la même occasion une nouvelle Équipe Ouvrière, en marge des GOA.
Septembre : II est question de tensions au sein des GOA entre une
tendance gauchiste et une autre marxiste (c’est-à-dire entre les
deux chefs). La première lance à son compte une nouvelle revue de
tendance populiste El loro indiscreto, alors que la deuxième se
consacre à l’écriture d’articles et de livres pour Ruedo Iberico.
Octobre : La Bibliothèque reçoit la collaboration de Barnuruntz (ex
ETA).
Octobre-novembre : Rétablissement informel des contacts avec
l’Italie.
1973
Février : Un incident retarde la sortie des premiers livres.
Mars-Mai : Le poids de l’activité de la bibliothèque reste centré
dans (??), parallèlement à des débats généraux.
Avril-Mai : Assassinat d’un ouvrier à San Adrián, ce qui provoque
l’éclatement définitif de la crise des Plataformas dans lequel la nou-
velle EO joue un rôle très actif.
Mai : Contact direct avec El Topo Obrero.
Juillet : II paraît que ce qui restait des GOA, c’est-à-dire la vague
marxiste, décide de se dissoudre précisément quelques jours avant
l’annonce publique de la nouvelle organisation des « Plataformas »,
pro-organisation de classe.
(1) DURRUTI Buenaventura (1896-1936), membre de la CNT et de la FAI.
Icône du mouvement libertaire.
(2) GUÉRIN Daniel (1904-1988), communiste libertaire auteur de nombreux
ouvrages.
(3) Bordiguiste : Sympathisant de Bordiga Amadeo (1889-1970). De nationa-
lité italienne, en 1917 il soutient Lénine. En 1921, il est le premier dirigeant
du Parti communiste italien (PCI). En 1923, il s’oppose aux orientations de
l’Internationale communiste et à Staline. En 1930, il est exclu du PCI.
(4) En fait, ces trois textes seront édités par Plataformas.
(5) Les points d’interrogations remplacent des mots illisibles du document en
notre possession.
(6) Colomenses : habitants de Santa Coloma.

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Autodissolution de l’organisation politico-militaire


dite « MIL » (août 1973)

À travers l’échec de la Révolution internationale de 1848 et à


partir de l’idéologisation de sa théorie, on prévoyait pour la fin du
siècle l’impossibilité de la reproduction du système capitaliste.

En accord avec cette théorie, les organes souverains de la lutte


de classes et de la révolution socialiste étaient :
– les syndicats réformistes ;
– les partis réformistes aux ordres des syndicats et appliquant en
leur nom une pratique politique de participation au Parlement
bourgeois.
Mais, en réalité, le réformisme (partis et syndicats) servit seu-
lement à renforcer l’existence du système.
Au début du siècle, on pouvait constater que le capital se
reproduisait – contre la prévision des théoriciens du mouvement
ouvrier – et que, par conséquent :
– le réformisme était totalement incapable d’éliminer le système
capitaliste au seul moyen de révolution du problème de sa reproduc-
tion (crises du système capitaliste : Belgique 1904, Russie 1905, Bel-
gique 1906, théorisation de la grève sauvage par la gauche alle-
mande, éclatement de la guerre impérialiste 1914-1918, Russie 1917,
Allemagne 1918-1919, Hongrie 1919, fascismes, crise de 1929, etc.) ;
– Il devenait clair que ni les partis parlementaires ni les syndicats
réformistes n’étaient les organes de la révolution sociale, mais
bien plutôt ceux de la contre-révolution du capital (Allemagne
1919, Hongrie 1919, Russie 1921, etc.).
La révolution socialiste seule, entravée par les partis parle-
mentaires et les syndicats, se voit imposer, avec ou sans reproduc-
tion du capital, une pratique antiréformiste, c’est-à-dire partisane
dans sa pratique de l’antiparlementarisme et de l’organisation de
classe (syndicalisme révolutionnaire, barricades et lutte armée,
conseils ouvriers, etc.).

Après les conséquences ultimes de la crise mondiale (fas-


cismes, krach de 1929, guerre inter-impérialiste 1939-1945, recons-
truction de l’après-guerre, rendant possible avec elle une nouvelle

349
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 350

reconstruction du capital accompagnée de crises intermittentes


jusqu’à la crise suivante de la reproduction du capital), après la
réduction des objectifs de la lutte anticapitaliste à ceux de la lutte
antifasciste, se posaient à nouveau non seulement la nécessité
urgente de l’antiparlementarisme et de l’organisation de classe,
mais aussi celle de passer ainsi des objectifs purement antifascistes
aux objectifs du mouvement communiste qui, dans sa phase de
flux, sont ceux du mouvement social international.

Pour cela, nous pouvons dire que depuis la fin des années
soixante, la révolution sociale s’impose. Nous voyons ressurgir cela
en divers moments :
– mai 68 en France et les grandes grèves d’Italie en 1969 dans les-
quelles les syndicats furent débordés ;
– en Belgique, les mineurs du Limbourg en 1969 attaquent vio-
lemment les syndicats au cours d’une grève sans précédent ;
– la vague de grèves en Pologne en 1970-1971, durant laquelle les
bureaucrates du Parti communiste furent jugés et pendus ;
– Paris 1971 : importantes grèves ouvrières à Renault et pillage au
Quartier Latin ;
– mutineries dans de nombreuses prisons aux USA, en Italie, en
France (1972-1973), des grèves où mineurs et dockers affrontent les
bonzes syndicaux anglais, révoltes généralisées dans les ghettos
aux USA, Japon, etc.

Pendant ce temps, d’innombrables grèves sauvages surgis-


sent en Europe et en Amérique et gagnent toutes les parties du
monde. À l’échelle mondiale, les manifestations de la réapparition
du prolétariat sur la scène de la violence de classe se multiplient
(absentéisme dans les entreprises, sabotage du procès de produc-
tion, etc.). En Espagne, les grèves sauvages et les manifestations de
révolte latente apparaissent avec toute leur force. Depuis la des-
truction physique et la disparition de la théorie du prolétariat
espagnol par le capitalisme international lors de la guerre civile
(1936-1939), la combativité ouvrière n’avait pas été si puissante:

– 1962-1965 : création des Commissions ouvrières lors de grèves


sauvages dans les mines des Asturies, attaque du commissariat de

350
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 351

Mieres, grèves dans les transports et la métallurgie de Barcelone ;


– 1966-1968 : entrisme de tous les partis et organisations tradi-
tionnels dans les Commissions ouvrières, tentative d’introduction
dans la CNS à partir d’elles et de donner une ligne réformiste
aux Commissions ouvrières ;
– 1968-1970 : le Mai français et l’automne chaud italien, avec
toutes leurs productions groupusculaires, font entrer dans le mou-
vement ouvrier espagnol le confusionnisme idéologique et lui font
perdre ainsi une partie de sa force. Rivalités bureaucratiques au
sein des Commissions ouvrières, scissions groupusculaires ;
– 1970-1973 : importantes luttes prolétariennes dans toute l’Es-
pagne – Erandio, Granada, Harry Walker, SEAT Ferrol, Vigo, Val-
lès, San Adrián del Bésos, Navarra, etc. – où, sous des formes
diverses, on se dégage de tout contrôle hiérarchique de la lutte ;
cela se concrétise dans la pratique par l’expulsion des militants
groupusculaires des assemblées ouvrières et par la violence géné-
ralisée.

Le MIL est le produit de l’histoire de la lutte de classe de ces


dernières années. Son apparition est liée à ces luttes proléta-
riennes qui ont démystifié le rôle des bureaucraties réformistes et
groupusculaires qui voulaient intégrer le mouvement à leur pro-
gramme de parti. Il se créa en tant que groupe spécifique d’appui
aux luttes et aux fractions les plus radicales du mouvement ouvrier
de Barcelone. Il est maintenant nécessaire à tout moment de par-
ticiper à l’expérience prolétarienne et de l’appuyer matériellement,
au niveau de l’agitation, de la propagande, de la pratique et de la
théorie.

En avril 1970, le MIL développa ouvertement une critique de


toutes les positions réformistes et gauchistes (Le mouvement
ouvrier à Barcelone). Durant la même année, il entreprit une cri-
tique du léninisme (La révolution jusqu’au bout). Sa critique du
dirigisme, du gauchisme, de l’autoritarisme l’amena à rompre avec
les organisations de base qui voulaient noyauter les luttes et s’ap-
proprier des expériences menées en commun comme celle d’Harry
Walker et à former un groupuscule. Le MIL, dans son isolement
politique et de par sa survivance politico-militaire, passa des com-

351
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 352

promis avec des groupes militaires : avec les nationalistes, par


exemple, qui, à ce moment-là, étaient les seuls qui acceptaient de
passer à la lutte armée. De tels compromis, produits par l’isolement
du groupe, l’amenèrent à oublier ses perspectives antérieures. II n’y
a pas de pratique communiste possible sans lutte systématique
contre le mouvement ouvrier traditionnel et ses alliés. Inverse-
ment, il n’y a pas d’actions efficaces contre s’il n’y a pas de com-
préhension claire de leur fonction contre-révolutionnaire. Jusqu’à
maintenant, toutes les stratégies révolutionnaires ont essayé d’ex-
ploiter les diverses difficultés rencontrées par la bourgeoisie dans
sa gestion du capital. Lorsqu’elles ont renversé des bourgeoisies
faibles, elles ont organisé le capital. Si les bourgeoisies étaient
fortes, elles se condamnaient à la misère. Aujourd’hui, le prolétariat
a abandonné ces stratégies et impose la sienne : la destruction du
capital et sa propre négation en tant que classe. Il attaque le capi-
tal dans toutes ses manifestations d’exploitation : encadrement,
autoritarisme, production de plus-value, etc. La seule forme d’action
possible est la violence révolutionnaire s’exprimant à travers l’ac-
tion et la parole.

Ses fractions les plus avancées organisent les tâches concrètes


révolutionnaires, tant dans les usines que dans les quartiers :
lutte contre la CNS, critique des Commissions ouvrières bureau-
cratiques et réformistes, du PCE et des groupuscules en les situant
sur le même plan que les actuels gérants du capital (la bourgeoi-
sie). C’est par l’auto-organisation sur les lieux de travail au moyen
des comités d’usine et de quartier que la lutte révolutionnaire de la
classe ouvrière se consolide ; à travers la coordination et la géné-
ralisation de la lutte s’affirment la lutte de classes et le point de vue
communiste. La pratique du MIL est liée au développement du
mouvement communiste et en fait partie. C’est pour cela qu’il se
propose de critiquer toutes les mystifications.

La société actuelle possède ses lois, sa justice, ses gardiens, ses


juges, ses tribunaux, ses prisons, ses crimes, sa normalité. Devant
cette situation apparaît une série d’organes politiques (partis et
syndicats, réformistes et gauchistes, etc.) qui feignent de contester
cette situation alors qu’en fait ils ne font pas autre chose que de

352
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 353

consolider la société actuelle. La justice dans la rue, ce n’est pas


autre chose que de dénoncer et d’attaquer toutes les mystifications
de la société actuelle (partis, syndicats, réformismes, gauchismes,
lois, justice, flics, juges, tribunaux, prisons, délits, c’est-à-dire toute
sa normalité).

Le résultat de cette cohérence critique dans l’action amène de


fait à la constitution d’associations de révolutionnaires, en des
endroits particuliers et partout à la fois.
Une association de révolutionnaires est celle qui mène jusqu’à
ses ultimes conséquences une critique unitaire du monde – par cri-
tique unitaire, nous entendons la critique globale de toutes les
zones géographiques dans lesquelles sont installées les différentes
formes de pouvoir séparé – aussi bien qu’une critique de tous les
aspects de la vie.

Ce n’est pas tant l’autogestion du monde actuel par les masses


que sa transformation ininterrompue, la décolonisation totale de la
vie quotidienne, la critique radicale de l’économie politique, la des-
truction et l’abolition de la marchandise et du travail salarié. Une
telle association refuse en elle-même toute reproduction des condi-
tions hiérarchiques du monde dominant. La critique des idéologies
révolutionnaires n’est pas autre chose que le dévoilement des nou-
veaux spécialistes de la révolution, des nouvelles théories qui se
situent par-delà le prolétariat.

Le gauchisme n’est pas autre chose que l’extrême-gauche du


programme du capital. Sa morale révolutionnaire, son volonta-
risme, son militantisme ne sont que les produits de cette situation.
Ils tentent de contrôler et de diriger la lutte de la classe ouvrière.
Ainsi, toute action qui ne mène pas à une critique et à un refus
radical du capitalisme, reste en son sein et est récupérée par lui.
Aujourd’hui, parler de militantisme en milieu ouvrier et le prati-
quer, c’est vouloir éviter le passage au communisme.

Parler d’action armée et de préparation à l’insurrection est la


même chose : il est maintenant inutile de parler d’organisation poli-
tico-militaire ; de telles organisations ne sont que d’autres rackets

353
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 354

politiques. Pour toutes ces raisons, le MIL s’autodissout comme


organisation politico-militaire et ses membres se disposent à assu-
mer l’approfondissement des perspectives communistes du mou-
vement social.

MIL – Conclusions définitives du congrès du MIL

Post-scriptum : Le terrorisme et le sabotage sont des armes


actuelles utilisables par tout révolutionnaire. Attaquer le capital et
ses fidèles défenseurs qu’ils soient de droite ou de gauche ; tel est le
mot d’ordre actuel des GAC (Groupes autonomes de combat) qui
ont rompu avec tout le vieux mouvement ouvrier et qui s’assi-
gnent des tâches bien précises. L’organisation est l’organisation des
tâches, c’est pourquoi il est nécessaire que les groupes se coordon-
nent pour l’action. À partir de telles constatations, l’organisation, la
politique, le militantisme, le moralisme, les martyrs, les sigles,
notre propre étiquette, font partie du vieux monde.
Ainsi chaque individu prendra ses responsabilités dans la lutte
révolutionnaire. Les individus ne s’auto-dissolvent pas : c’est l’or-
ganisation politique et militaire du MIL qui s’autodissout et dans
ce passage à l’histoire, c’est la préhistoire de la lutte de classe que
nous quittons définitivement.

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AUTRES DOCUMENTS
Rapport n° 1390 de la Direction supérieure de la police de
Barcelone, adressé au juge Rodriguez Ferrero du tribunal de la
Seo de Urgel qui instruit sur l’expropriation du 15 septembre
1972 à la Caja de Ahorros de Bellver de la Cerdana (11 mars
1973)

Monsieur,
Concernant l’instruction N° 1-72 menée dans votre tribunal
pour un délit d’attaque à main armée contre « la Caja de Ahorros
de Bellver de la Cerdanya » le 15 septembre de cette année, j’ai
l’honneur de vous adresser, pour qu’ils figurent parmi les pièces du
dossier les résultats des recherches faites par nos soins dans le
cadre de l’enquête qui nous intéresse, ainsi que dans d’autres.
Les faits et coïncidences qui se répètent dans toutes ces
attaques mettent à découvert une série de similitudes en ce qui
concerne tous les auteurs, armes employées, que les façons d’opérer.
Nous apportons aussi des éléments suffisants pour prouver la par-
ticipation dans tous les faits que vous examinez de Jorge Solé
Sugranyes né à Barcelone le 8 mai 1951, célibataire, sans profession
ni domicile fixe, fils de Luis et de Concepción. L’énoncé chronolo-
gique des faits, qui suit, contribuera à renforcer nos conclusions.
L’attaque eut lieu à la date et dans la ville (Bellver) que nous
indiquons ci-dessus et qui fut menée par deux individus ayant
entre 20 et 22 ans, un troisième étant resté au volant de la Seat
124 de couleur blanche, utilisée dans leur fuite. Ces mêmes per-
sonnes furent aperçues deux jours avant sur les lieux pour encais-
ser un chèque de la Banque lyonnaise de Paris. D’après le témoi-
gnage des employés, l’un d’eux s’exprimait en français de manière
correcte. C’est aussi les mêmes individus, qui juste après le bra-
quage contre la banque, firent le plein à la pompe à essence de l’hô-
tel Moixaro del Prat de la Cerdanya, où le pompiste, Jesus Agelet
Profitos domicilié à Balaguer, rue Torrente n° 44, remarqua que la
plaque minéralogique était dissimulée par de la boue, ne laissant
à la vue que la lettre M. Il déclare se souvenir aussi que le registre
d’identification fiscale situé sur le pare-brise arrière indiquait que
la voiture était la propriété d’une entreprise située avenue de José

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Antonio. À 13 h 30 le même jour, la Seat 124 de couleur blanche


matricule M 949 576 fut abandonnée à Masquefa (Barcelone), rue
Crehureta. Des taches de boue étaient visibles sur l’ensemble de
l’automobile. La fiche d’identification fiscale, située sur le pare-brise
arrière est au nom de Auto Transporte Turismo SA dont le siège est
à Madrid, avenue de José Antonio n° 56. Les trois occupants du
véhicule, âgés entre 20 et 22 ans, téléphonèrent à la maison Entre-
prise Arque de Martorell pour demander un taxi, à bord duquel ils
voyagèrent par la suite jusqu’à Barcelone. Le chauffeur, Juan Gra-
cia Ronque, déclarera plus tard les avoir déposés devant l’entrée
des Urgences de l’hôpital Clinico et se rappellera aussi que l’un des
hommes est porteur d’une barbe très fournie. Aux environs des
20 heures du même jour, cinq hommes furent signalés à Masquefa
à bord d’une Seat 600 de couleur blanche qui disparut par la suite.
Plus tard, nos recherches nous permirent d’affirmer que la
Seat abandonnée avait été louée à l’agence Auto Transporte
Turismo de la rue Balmes au n° 141 de Barcelone, par Jorge Solé
Sugranyes, carte d’identité n° 37.718.895 demeurant rue de Mal-
lorca 293, au domicile de ses parents qui déclarent ne pas l’avoir vu
depuis plus d’un an. Ses signes particuliers sont : taille l,72 m,
mince, brun, cheveux noirs ondulés.
Par ailleurs, le 18 novembre de cette même année, une attaque
à main armée eut lieu à l’agence de la « Caja de pensiones para la
Vejez » rue Escorial n° 58. Les auteurs étant à nouveau trois
jeunes âgés entre 20 et 22 ans, armés de deux revolvers et d’une
mitraillette, et l’un d’eux arborant une barbe très fournie.
Le 28 du même mois, un autre fait similaire se déroula dans
l’agence de la banque Central située au Paseo de Valldaura n° 245.
Dans ce cas, ce sont cinq jeunes âgés entre 20 et 22 ans qui menè-
rent l’action. Armés, l’un d’une mitraillette et les autres de revol-
vers, ils prirent la fuite à bord d’une Seat 124 de couleur blanche,
dont le numéro ne put être relevé. Il est aussi à signaler que l’un
des attaquants s’exprimait en français.
Un nouveau fait, analogue, eut lieu le 19 janvier à l’agence de
la « Caja de Ahorros provincial » de la rue Benedicto Mateu n° 49.
Là aussi perpétré par trois individus entre 20 et 22 ans, armés
d’une mitraillette et de deux revolvers et dont l’un portait une
barbe fournie.

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Le 27 du même mois, nouvelle attaque à main armée contre le


« Banco de Vizcaya » de la rue Capitan Arenas n° 29, menée par
trois individus âgés de 20 à 22 ans, armés comme antérieurement
d’une mitraillette et de deux revolvers et qui s’enfuirent dans une
Seat 124 de couleur foncée dont nous n’avons pu déterminer le
numéro. Et encore dans cette affaire, la présence de l’homme à la
barbe très fournie.
Une nouvelle attaque a été menée le 2 du mois courant à
l’agence du « Banco Hispano Americano » situé Paseo de Fabra et
Puig n° 313, toujours par trois individus âgés de 20 à 22 ans,
armés comme antérieurement d’une mitraillette et de deux revol-
vers et dont l’un portait une barbe fournie. Une fusillade éclata
entre les fugitifs et trois membres de la police secrète qui passaient
par là, au cours de laquelle Melquiades Flores Gimenez, employé
par ladite agence, fut grièvement blessé. Ils prirent là encore la
fuite dans une Seat 124 de couleur jaune, qui les attendait dans
une rue adjacente avec à bord un quatrième homme, voiture imma-
triculée B. 2674 K et louée par Jorge Solé Sugranyes le 7 février à
l’agence de location Rual située rue de la Diputación n° 256.
Joints aux pièces de l’instruction que nous avons transmises
aux autorités compétente sous le n° 1208, vous trouverez les docu-
ments concernant l’identification des attaquants faite par le direc-
teur et le caissier de l’agence monsieur Jorge Gracia Quero et
Manuel Belda Vidal, qui après avoir visionné bon nombre de pho-
tos reconnaissaient parmi celles-ci et séparément celle de Jorge
Solé Sugranyes.
Ils déclareront par la suite qu’ils croient reconnaître l’individu
qui les a menacés d’un revolver, et que s’ils ne peuvent l’affirmer
catégoriquement vue l’état de tension dans lequel ils se trouvaient,
ils pensent que la photographie ressemble fortement à la personne
qui nous intéresse.
L’enquête nous permet d’affirmer que Jorge Solé Sugranyes
était titulaire d’un compte courant domicilié à l’agence attaquée.
Compte approvisionné avec 3 000 pesetas qui fut ouvert à la mi-
novembre et sur lequel nous n’avons pu constater aucun mouve-
ment, ce qui nous amène à penser que son ouverture a servi à repé-
rer les lieux. Auparavant, il fut aussi titulaire d’un compte à la
Banque Hispano Americano, rue de Muntaner n° 105. Celui-ci,

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ouvert début septembre, dévoile des mouvements concernant des


sommes de 30 à 40 000 pesetas ainsi que d’autres de quantité
inférieure. On y a aussi trouvé un ordre de paiement d’un reçu au
bénéfice de l’administration de l’immeuble Mon de 7 000 pesetas
qui servit à régler le loyer d’un appartement situé avenue José
Antonio n° 321 au premier étage et que Jorge Solé Sugranyes par-
tageait avec un jeune Français durant les mois de septembre,
octobre et novembre de l’année dernière.
On a pu aussi prouver que, lors de l’attaque du 28 novembre
contre la Banque Central du Paseo de Valldaura n° 245, la voiture
qu’utilisaient dans leur fuite les malfaiteurs, une Seat 124 de cou-
leur blanche, avait été louée le 4 octobre par Jorge Solé Sugranyes
à l’agence Ital de la Traversera de Gracia n° 71. Ledit véhicule,
auquel on avait remplacé les plaques minéralogiques par d’autres
portant le n° B 876 354, fut découvert abandonné le 2 février au
n° 174 de la rue Varsovia. Les malfaiteurs avaient parcouru 5 624
kilomètres.
De même, et pour l’attaque du 27 janvier dernier contre
l’agence Banco de Vizcaya de la rue Capitan Arena n° 29 dont les
auteurs prirent la fuite dans une Seat 124 foncé, nous avons pu
prouver que Jorge Solé Sugranyes avait, depuis le 10 du même
mois, loué la Seat 124 marron foncé n° M 948 664 à l’agence Autos
Goya de la rue Balmes n° 122. Ladite voiture fut à son tour aban-
donnée le 5 février dans la rue Rosés, après avoir parcouru une dis-
tance de 733 kilomètres.
Antécédents concernant Jorge Solé Sugranyes aux archives de
ce commissariat. :
Le 19 octobre 1972, accusé du vol d’une Seat immatriculée B 5779 D.
Le 1er février 1973, vol d’une Seat 124 immatriculée M 948 664.
Le 28 février 1973, c’est au tour de la Seat immatriculée B 2674 K.
Il y a en outre un avis de recherche pour vol établi contre lui par la
salle d’instruction n° 11 de ce tribunal en date du 8 novembre
1972, ainsi que par la salle n° 5, pour les mêmes faits et en date du
5 février 1973.
Dieu vous garde beaucoup d’années.

Le Chef supérieur (suivi de la signature)

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Rapport de la Brigada d’Investigación Criminal de Barcelone


(28 septembre 1973)
Objet : Antécédents. N/Ref. : Archivos Generales 4975-737 et 3677-2

Monsieur, le juge d’instruction du tribunal militaire éventuel


de Lérida,

En réponse à votre lettre, du 19 courant, reçue au commissa-


riat central le 24 de ce mois, j’ai l’honneur de vous informer que les
individus ci-dessous possèdent les antécédents suivants dans nos
archives :

– José Luis Pons Llobet, né à Barcelone le 5 octobre 1955, fils de


Juan et Maria Elena, célibataire, étudiant, domicile familial rue
Mayor de Sarriá , 153, rez-de-chaussée. Le 17 mai 1971, dénoncé
pour fugue du domicile familial, revient le 15 juillet 1971. Le 21 jan-
vier 1972, dénoncé par son père pour fugue du domicile afin de par-
ticiper à des activités subversives. Réintègre le domicile le 2 août
1972. Mentionné dans le complément d’informations n° 1208 de la
BIC du 2 mars 1973 : découverte d’un sac contenant un pistolet,
objets et documents, portant le nom d’Alejandro Saez Pons. Le
28 juillet 1973, cité dans l’information destinée à autoriser une per-
quisition au domicile de Maria Valcarcel Isasi. Le 28 juillet 1973,
cité dans l’information n° 4554, remise au juge d’instruction de
garde, pour falsification de documents. Le 8 août 1973, dénoncé
pour vol de véhicule et utilisation de faux documents. Le 16 sep-
tembre 1973, détenu par la Garde civile de Puigcerdá en tant
qu’auteur d’une attaque à main armée. Le 18 septembre 1973,
perquisition au domicile de son père, Juan Pons Rovira.

– Oriol Solé Sugrañes, né à Barcelone le 4 janvier 1948, célibataire,


typographe, fils de Luis et Concepción, domicilié à Toulouse 17, rue
Henri-Dunant. Le 16 septembre 1973, détenu par la Garde civile de
Puigcerdà en tant qu’auteur d’une attaque à main armée.

Le Chef supérieur de police de Barcelone,


Signé par P.D., le Secrétaire général régional

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L’affaire Puig Antich


Texte de J. Barrot, extrait du journal La Banquise n° 2 (1981)

En Espagne, dans les dernières années du franquisme, un


mouvement social renaissait. Des grèves se succédaient, que la
répression ne faisait que durcir. À l’instar de ce qui s’était passé en
France, le besoin d’une théorie de la révolution pour notre époque
suscitait un regain d’intérêt pour le passé révolutionnaire, l’Es-
pagne de 1936-1939, mai 1937 à Barcelone et aussi les ancêtres
allemands et italiens. Mais cet effort théorique était concomitant
avec une lutte armée suscitée par la rencontre de la violence éta-
tique et de l’impatience révolutionnaire. L’opposition de larges
fractions de la population à une dictature inadaptée au capitalisme
moderne alimentait chez nombre de révolutionnaires la croyance
en la vertu de l’exemple ou en la nécessité de créer un foyer autour
duquel se concentreraient les énergies prolétariennes.
Les camarades avec lesquels nous étions en relation étaient
engagés dans un double processus de clarification et de confusion.
La VT était en contact depuis plusieurs années avec un groupe qui
avait donné naissance au Mouvement de libération ibérique, qui
avait publié Notes pour une analyse de la révolution russe (texte
ultra-gauche de 1967) et bien d’autres textes faits par des gens
proches de la VT ou l’ayant fréquentée. Le MIL possédait la double
structure qu’on trouve généralement dans les organes cherchant à
remplacer l’Etat (comme l’IRA ou l’ETA) : une branche politique et
une autre militaire. La première appuyait des grèves, publiait des
textes, etc., la deuxième pratiquait braquages et attentats. Une
erreur fondamentale de la VT et du Mouvement Communiste fut
de ne pas davantage clarifier leurs relations avec les groupes ren-
contrés, et particulièrement avec les groupes étrangers. On discu-
tait, on critiquait les erreurs, mais si cette critique était acceptée
(souvent en paroles seulement), un accord formel scellait une col-
laboration qui laissait dans l’ombre des positions inacceptables. Le
critère antistalinien, par exemple, nous entraîna à diffuser des
tracts démocratiques sur la Tchécoslovaquie en 1970. On entretint
longtemps des rapports peu critiques avec un petit parti mexi-
cain dont il s’avéra qu’il participait parfois aux élections. On
connaissait les actions illégales du MIL. On ne l’avait pas assez for-

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mellement mis en garde contre le processus dans lequel la pratique


le plaçait, contre la transformation de ses membres en révolution-
naires professionnels, incapables de vivre autrement que de bra-
quages, de plus en plus déconnectés du mouvement social, et utili-
sant les idées communistes comme idéologie, justification d’une
activité ressemblant trop à celle des groupes léninistes. Puig
Antich, qui souhaitait arrêter l’action armée et convaincre les
autres de l’imiter, fut arrêté avec plusieurs membres du MIL en
septembre 1973. Ils risquaient la mort. Des membres du MIL vin-
rent demander au MC d’aider à briser le mur de silence qui avait
entouré cette arrestation, et à éviter un procès expéditif et des
condamnations dans l’indifférence générale. Deux types d’actions
furent menées parallèlement. D’une part, on s’efforça de combattre
la version de l’État espagnol qui présentait Puig et ses camarades
comme des gangsters : cette lutte prit la forme du comité Vidal-
Naquet (comité classique de personnalités démocrates). D’autre
part, il fallait dire ce que nous pensions de l’affaire en tant que
révolutionnaires (ce fut, entre autres, le n° 6 du Mouvement Com-
muniste). P. Guillaume, qui déclara quatre mois plus tard qu’il ne
considérait pas ce numéro comme un bon texte, se consacra
presque exclusivement à contacter des personnalités, des journa-
listes pour faire pression sur Franco. Il y eut vite scission entre les
deux activités. Pouvait-il en être autrement ?
Le milieu révolutionnaire, en tout cas, nous attaqua (Négation,
Révolution Internationale), ou resta indifférent (GLAT). On accusa le
Mouvement Communiste de mettre un pied dans l’antifascisme. Le
Fléau Social, venu du Front homosexuel d’action révolutionnaire et
ayant rompu avec lui, fut le seul groupe organisé à nous soutenir.
Puig Antich fut exécuté, sans doute principalement du fait de
l’attentat réussi de l’ETA contre Carrero Blanco, le Premier
ministre d’alors. Mais même s’il avait vécu, le bilan de l’affaire eut
été fondamentalement négatif : le MC avait échoué à clarifier la
question de la violence et de la solidarité révolutionnaire, il avait
échoué à faire comprendre son point de vue aux révolutionnaires
français et espagnols.
Les révolutionnaires n’ont pas besoin de martyrs. Le communisme
est aussi fait de solidarité spontanée. Notre activité inclut une
fraternité sans laquelle elle perd son contenu. Nous ne sommes pas

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une armée qui déplace des pions : cela demeure vrai jusque dans
les phases militaires d’une révolution.
Cependant, comme nous l’avons déjà dit (voir : Pour un monde
sans morale), la survie biologique n’est pas pour nous une valeur
absolue. Dans l’élan d’une insurrection, la notion de sacrifice perd
tout sens car les insurgés se portent d’eux-mêmes au-devant du
danger. Mais en dehors d’une période d’affrontement massif ?
Comment manifester notre solidarité à un révolutionnaire menacé
de mort sans dénaturer le sens de son action ? II n’y a pas de
réponse précise à cette question. On peut seulement énoncer
quelques principes simples.
Il n’existe pas de pureté révolutionnaire que la plus petite
compromission souillerait irrémédiablement. Puig Antich préférait
être sauvé par des interventions bourgeoises plutôt que de mourir
dans la pureté révolutionnaire. Que des démocrates bourgeois
intervinssent pour lui sauver la vie, nul dans nos rangs n’aurait
songé à s’y opposer. Mais toute la question était de savoir comment
susciter de telles interventions. Il faut prendre au mot la démo-
cratie et faire en sorte que les démocrates fassent leur travail
sans dissimuler ce que nous pensons de la version démocratique du
capitalisme : plus facile à dire qu’à faire. Les révolutionnaires ne
peuvent faire bouger l’opinion publique, car dès l’instant où l’on se
place sur son terrain, on cesse d’être révolutionnaire. On peut
écrire dans un journal pour exercer une pression au profit de quel-
qu’un, jamais pour faire passer des positions de fond.
Nous n’avons pas le culte du héros et si un camarade se reniait
au moment du danger, nous ne le jugerions pas davantage que tous
les prolétaires qui acceptent chaque jour de se soumettre à la dic-
tature du salariat. Simplement, il tomberait en dehors de notre
activité commune.
Dans le cas de Puig, c’était une chose de contacter telle ou telle
personnalité pour lui exposer la vérité, c’en était une autre de
constituer un comité qui devait inévitablement vivre sa vie de
comité, mener une existence propre, franchir une limite au-delà de
laquelle la logique démocratique l’emportait sur tout le reste. S’il ne
recherche pas la mort et s’il n’hésite pas à profiter des contradic-
tions de l’ennemi (en l’occurrence, la lutte entre démocratie et dic-
tature) le radical en guerre contre l’ordre social ne peut faire tout

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à coup comme s’il ne jouait plus, simplement parce qu’il risque de


perdre la vie, sous peine d’ôter toute portée à ses actes. Il y avait
une ambiguïté fondamentale à se battre pour qu’on épargne Puig
et ses camarades en essayant de les faire reconnaître comme des
politiques et en refusant l’étiquette gangster : c’était vouloir sub-
stituer une étiquette à une autre, et si Puig était radical, iI ne pou-
vait guère se reconnaître dans un statut de prisonnier politique,
statut que nous avions reproché aux maoïstes français de réclamer.
Quitte à se battre sur le terrain de la démocratie, le minimum
aurait peut-être été de proclamer que nous ne dissocions pas le cas
de Puig de celui des autres condamnés à mort du franquisme. Et de
fait, Franco fit exécuter en même temps que Puig un droit com-
mun, pour faire bonne mesure. Le malheureux, plus encore que
Puig, fut le dindon de cette sinistre farce.
Le n° 6 du MC fut le dernier. La lamentable affaire espagnole,
dans laquelle il avait perdu sur tous les tableaux, révélait la fai-
blesse du MC, encore aggravée par le fait qu’il ne dressa pas le
bilan de son activité. La brochure de G. Dauvé, Violence et solidarité
révolutionnaire (1974), s’efforçait de faire le point. Les critiques
qu’elles contenaient ne furent jamais discutées entre les ex-
membres du MC. Ce texte n’était que relativement satisfaisant, car
il ne s’attaquait pas au principe même de l’action dans le comité
Vidal-Naquet. Il se concluait par le programme suivant :
« l. Constater la non-communauté [au moins provisoire) avec toutes
sortes de gens (...).
2. Refuser de cautionner des suicides collectifs. En pratique, rompre,
non pas obligatoirement avec ceux qui font une analyse différente de
la violence, mais par principe avec tous ceux qui sont incapables de
donner une définition claire de leur propre usage de la violence.
3. Reprendre la théorie, en développant, comme on peut, liens et
contacts.
4. En particulier, reprendre l’analyse du mouvement communiste
actuel. On déplacerait le problème en le centrant sur les groupes
qui ont failli (...). L’important est de voir de quoi ces faillites sont le
signe et le produit. «
Seuls les deux premiers points ont été réalisés les années
suivantes. La Banquise s’efforce d’appliquer les deux derniers,
mutatis mutandis.

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Le manque de ligne générale, aussi bien que le défaut d’ap-


profondissement des principes d’une action révolutionnaire
s’étaient traduits en 1972 et avant par une agitation désordonnée.
En 1973, lorsque le MC se trouva confronté à une question de vie
ou de mort, ces lacunes se révélèrent fatales. Les liens entre les
gens qui avaient produit le MC se distendirent. Si l’action de ce der-
nier groupe fut critiquable, l’inertie du milieu révolutionnaire
confronté à l’affaire espagnole ne valait pas mieux. L’incapacité de
ce milieu à prendre une position commune sur la question, à
conduire une action collective qui aurait pu aussi bien se résumer
à la diffusion de textes, cette incapacité ne fut pas pour rien dans
la dérive terroriste qui prit la forme des GARI…

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BIBLIOGRAPHIE
Les ouvrages ou documents suivis d’un astérisque sont dispo-
nible au CRAS.

Textes écrits ou traduits par des membres de l’ET, de l’EE, de


l’EO, de la Bibliothèque, du MIL/GAC et de Mayo 37

– El movimiento obrero en Barcelona (Le mouvement ouvrier à Bar-


celone). Texte de l’ET, ronéoté par l’EE à Toulouse en février 1970,
34 pages, format 11,5x17, puis imprimé sur offset à Toulouse en
mars 1970.
– Diccionario del militante obrero* (Dictionnaire du militant
ouvrier). Brochure signée Comisiones obreras-Nuestra Clase.
80 pages, format 12x15,2, éditée par l’Equipo Exterior de Nuestra
classe à Toulouse en août 1970.
– Europa salvage : estudio sobre el movimiento de huelgas sal-
vajes en Europa en la segunda mitad del siglo XX. (Europe sau-
vage : étude sur le mouvement de grèves sauvages en Europe
dans la seconde moitié du 20e siècle). Texte traduit par l’ET, édité
par Plataformas en janvier 1971.
– ¿ Qué vendemos ? ¡ Nada ! ¿ Que queremos ? ¡ Todo !* (Que vendons-
nous ? Rien ! Que voulons-nous ? Tout !). Texte collectif de 1971.
– La lucha contra la represión : la policia y sus metodos, las medi-
das de seguridad, la contra-represión (La lutte contre la répression :
la police et ses méthodes, les moyens de sécurité, la contre-répres-
sion). Brochure collective. Éditée par Plataformas et imprimée par
l’EE à Perpignan ou à Toulouse en mars 1971.
– Boicot : Elecciónes sindicales : no a la legalidad burguesa (Boycott
des élections syndicales : non à la légalité bourgeoise). Brochure
écrite et signée de fusils alignés barrés du chiffre 1000 - 14 pages,
format 11x16. Éditée par l’EE à Toulouse en mars 1971.
– Proletariado y organización (Prolétariat et organisation), texte de
Paul Cardan, traduit par l’ET et édité par Plataformas, sans signa-
ture, à Barcelone, en avril 1971.

365
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– Como luchar contra los cronometrajes (Comment lutter contre les


chronométrages). Texte écrit et édité par Plataformas, sans signa-
ture, à Barcelone, en avril 1971.
– Partido y clase obrera (Parti et classe ouvrière), texte d’Anton
Pannekoek, traduit par l’ET et édité par Plataformas, sans signa-
ture, à Barcelone, en avril 1971.
– Notas para un análisis del conjunto de « nuestra tendencia » y sus
perspectivas* (Notes pour une analyse de l’ensemble de « notre ten-
dance » et de ses perspectives). Circulaire interne signée « Pour
l’Équipe Théorique, le comité responsable de l’ET ». Texte en fran-
çais, 8 pages, format 21x29,7. Il est probable que ce texte soit de
1971, traduit en français en 1973 avec une date erronée, daté : Bar-
celone, le 21 avril 1973.
– Manifesto jusqu’abutista (Manifeste jusqu’auboutiste) ou Revo-
lución hasta el fin (Révolution jusqu’à la fin). Texte écrit par l’ET
avec la collaboration de l’EO sur sa première partie. Imprimé par
la seconde EO avec du matériel dérobé par l’EE, à Barcelone en
mai 1971.
– La lucha de Santa Coloma (La lutte de Santa Coloma). Texte écrit
par l’EO mais édité et signé par les GOA, à Barcelone, en juin 1971.
– Los consejos obreros en Hungría (Les conseils ouvriers en Hon-
grie). Texte traduit par l’ET et édité par les GOA à Barcelone, en
juillet 1971.
– La lucha contra la explotación (La lutte contre l’exploitation).
Édité par l’EO, à Barcelone, en septembre 1971.
– Notas para un análisis de la revolución rusa (Notes pour une ana-
lyse de la révolution russe). Textes de Jean Barrot publiés en France
en 1968. Traduits par l’ET et édités par les GOA, à Barcelone, en sep-
tembre 1971. Textes réédités en France, dans Communisme et ques-
tion russe de J. Barrot aux éditions du Futur antérieur, en 1972.
– El derecho a la pereza (Le droit à la paresse) de Paul Lafargue.
Traduit de l’édition Maspéro par l’ET, à Barcelone, en janvier 1972.
– Las huelgas en Polonia (Les grèves en Pologne). Article extrait
d’ICO traduit par l’ET, à Barcelone, en janvier 1972.
– La revolución alemania (La révolution allemande). Article extrait
d’ICO traduit par l’ET, à Barcelone, en janvier 1972.
– La comuna (La Commune : Paris 1871, Kronstadt 1921 ou
Pologne 1970-1971). Traduit de l’édition Spartacus en septembre

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1971 par l’ET et édité par l’ET sans signature à Barcelone, en


février 1972.
– Estudio económico ou análisis económico de España (Étude éco-
nomique). Texte collectif de l’ET et de l’EE. Edité à Barcelone en
avril 1972.
– Dos anys de resistencia* (Deux ans de résistance). Texte bilan
écrit par Oriol. 2 pages (photocopie), format 21x29,7. Trouvé à
Bessières (Haute-Garonne) durant l’été 1972.
– Tareas politicos-practicas de una biblioteca socialista* (Tâches
politiques et pratiques d’une bibliothèque socialiste). Un texte de la
bibliothèque à usage interne. 2 pages (photocopie), format 21x29,7.
Barcelone, octobre 1972.
– Sobre l’agitación armada* (Sur l’agitation armée). Texte écrit par
le MIL/GAC en octobre 1972 et publié dans CIA n° 1, à Toulouse, en
avril 1973.
– Sans titre*. Communiqué du MIL/GAC diffusé à Barcelone après
l’attaque de la banque du 28 novembre 1972.
– Objectivos de la biblioteca : cincos temas a cubrir* (Objectifs de la
bibliothèque : cinq thèmes à couvrir). Texte de la bibliothèque à
usage interne. Une page (photocopie), format 21x29,7. Barcelone,
fin 1972 ou début 1973.
– Basem la nostra practica* (Fondons notre pratique). Texte
(brouillon) interne du MIL/GAC. Une page (photocopie), 21x29,7.
Barcelone, fin 1972.
– Multiplicación de los Grupos de Combate* (Multiplication des
Groupes de Combat) ou La actual coyuntura (L’actuelle conjonc-
ture). Document sans titre. Texte interne du MIL/GAC. 2 pages
(photocopie), format 21x29,7. Barcelone, décembre 1972.
– Capital y trabajo* (Capital et travail). Texte de l’ET/bibliothèque
(?) décembre 1972. Publié en français dans Éléments d’information
sur l’activité des « Gangsters de Barcelone », brochure éditée par les
éditions Mayo 37, à Paris, en janvier 1974.
– La Biblioteca Socialista como estrategía política* (la Bibliothèque
Socialiste comme stratégie politique). Un brouillon de la Biblio-
thèque à usage interne. 2 pages (photocopie), format 21x29,7. Bar-
celone, décembre 1972.
– El antiautoritarismo de la lucha obrera en Barcelona* (L’anti-
autoritarisme de la lutte ouvrière à Barcelone). Texte (brouillon) du

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Petit tamponné par le MIL/GAC. Une page (photocopie), format


21x29,7. Barcelone, fin 1972 ou début 1973.
– Situacio actual i prespectives inmediates d’els grups* (Situation
actuelle et perspectives immédiates des groupes). Texte à usage
interne signé par Montes. Une page (photocopie), format 21x29,7.
Barcelone, début 1973.
– ¡ Coño ! dejarle explicarse, ¿ no ? * (Putain ! Laissez-le s’expliquer,
pas vrai ?). Lettre à usage interne écrite par Montes. Une page
(photocopie), format 21x29,7. Barcelone, début 1973.
– Entre Mayo 37 et l’agitation armée* (texte en français). Texte du
GAC/MIL daté mars 1973. 2 pages (photocopie), format 21x29,7.
Document édité par Mayo 37 dans la brochure : « Sur l’activité des
« Gangsters » de Barcelone. Éléments d’informations », en janvier
1974.
– Consideraciones sobre estrategía* (Considérations sur la straté-
gie). Texte interne écrit par le Petit. Une page (photocopie), format
21x29,7. Barcelone, mars 1973.
– Anexo a Consideraciones sobre estrategía* (Annexe à Considéra-
tions sur la stratégie). Texte à usage interne écrit par le Petit.
Une page (photocopie), format 21x29,7. Barcelone, fin mai 1973.
– Lettre au « Congrès 001 ». Camarades de l’extérieur*. Texte de
membres du MIL/GAC. Une page (photocopie), format 21x29,7.
Daté : Toulouse, le 17 mars 1973.
– La agitación armada : Barcelona bajo el terrorismo* (L’agitation
armée : Barcelone sous le terrorisme) texte du MIL/GAC. Docu-
ment à la fois en français et en espagnol. 3 pages, format 21x29,7.
Imprimé à Toulouse en mars ou avril 1973.
– Cronología : anexo texto de « la banda Sten »* (annexe du texte de
la bande à la Sten). 2 pages, format 21x29,7. Cette chronologie sera
reproduite dans CIA n° 1. Imprimé à Toulouse en mars 1973.
– CIA, Conspiración Internacional Anarquista, n° 1*. Du MIL/GAC.
74 pages, format 21x29,7. Imprimé et édité à Toulouse en avril 1973.
– Les armes du guérillero urbain* (texte en français). Tamponné MIL/
GAC. 18 pages, format 21x29,7. Imprimé à Toulouse en avril 1973.
– Agitación armada – movimiento real* (Agitation armée – mou-
vement réel). Un brouillon (photocopie), de 6 pages, format 21x29,7,
écrit par le Metge pour un texte à usage interne. Barcelone, prin-
temps 1973.

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– Apunte de discusión* (Base de discussion). Texte interne du


MIL/GAC écrit par le Metge. 2 pages (photocopie), format 21x29,7.
Imprimé à Toulouse et daté du 25 avril 1973.
– La violencia revolucionaria (La violence révolutionnaire)
d’Émile Marenssin (pseudonyme, en fait l’auteur est Jacques Bay-
nac). Traduit et édité, comme supplément à CIA n° 1, par les
membres du MIL/GAC au début de l’été 1973.
– La agitación armada exigencia tactica del movimiento obrero*
(L’agitation armée exigence tactique du mouvement ouvrier). Com-
muniqué signé MIL/GAC diffusé sur le lieu de deux attaques de
banque à Barcelone en juin 1973.
– Historia « terrible » diciembre 1972-julio 1973*. Brouillon (pho-
tocopie), de plusieurs pages, format 21x29,7 écrit par le Metge. Bar-
celone, 1973.
– ¿ La historia nos absolvera ?* (L’histoire nous absoudra ?). Chro-
nologie de 1967 à juillet 1973. Document interne rédigé par le
Petit et Montes. 3 pages (photocopie), format 21x29,7. Barcelone,
juillet 1973.
– CIA, Conspiración Internacional Anarquista, n° 2*. Signé éditions
MIL. 66 pages (photocopie), format 21x14,5. Imprimé et édité à
Toulouse en août 1973.
– Esquema sobre la historia del MIL* (Schéma sur l’histoire du
MIL). Texte du Petit. Une page (photocopie), 21x29,7. Barcelone,
septembre 1973.

Textes internes de Mayo 37

– Biblioteca – Estrategía antiautoritaria y biblioteca* (Stratégie


anti-autoritaire et bibliothèque). 2 pages (photocopie), format
21x29,7. Barcelone, 8 mai 1973.
– Sobre la constitución del comité X* (Sur la constitution du
comité X)*. 2 pages (photocopie), format 21x29,7. Barcelone, juin
1973.
– Réflexions sur la bibliothèque « Mayo 37 »*. Texte de 2 pages (pho-
tocopie), format 21x29,7. France, septembre 1973.
– Circulaire de Mayo 37*. France 1974 ou 1975. Document édité
dans « Las 1000 y una del 1000 », texte de 8 pages, format 15x21.
Barcelone, mars 1984.

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Les revues éditées par Mayo 37

– 1937, Guerre des classes. 1973, Guerre des classes*. Préface (tra-
duite en français) signée Mayo 37 pour le premier livre des éditions
Mayo 37. 6 pages, format 21x29,7. Barcelone, 1973.
– Entre la revolución y las trincheras* (Entre la révolution et les
tranchées), textes de Camilo Berneri. 61 pages, format 13,5x21.
Imprimé à Toulouse en juillet-août 1973.
– La lucha en los barrios (La lutte dans les quartiers) (tomos 1 y 2).
Textes réédités à Toulouse en juillet-août 1973.
– ¿ Qué vendrá después del capitalismo ?* (Qui succédera au capi-
talisme ?), textes de Tomori-Balasz. 37 pages, format 14,5x21.
Imprimé à Toulouse en juillet-août 1973.
– Violencia revolucionaria, Barcelona 73* (Violence révolution-
naire). Signé GAC/Mayo 37. 35 pages, format 14,5x21. Imprimé à
Toulouse en novembre 1973.
– La crisis : ¿ vamos hacia un nuevo 29 ? (La crise : allons-nous vers
un nouveau 29 ?). Imprimé à Toulouse en novembre 1973.
– Los consejos obreros en Alemania (Les conseils ouvriers en Alle-
magne), de Anton Pannekoek. Imprimé à Toulouse fin 1973 ou
début 1974.
– Sur l’activité des « gangsters » de Barcelone – Éléments d’infor-
mation*. Document en français. 33 pages, format 21x29,7. Imprimé
en janvier 1974.
– Sobre la organización de clase en la revolución alemania – 1920-
1921* (Sur l’organisation de classe dans la révolution allemande).
57 pages, format 14,5x21. Imprimé à Toulouse en 1974.
– Dossier : Térmica – San Adrián del Bésos*. 42 pages, format
14,5x2. Imprimé à Toulouse en février 1974.
– Lenin y la revolución* (Lénine et la révolution) de Anton Ciliga.
72 pages, format 14,5x21. Imprimé à Toulouse en 1974.
– Sobre la organización de clase, Barcelona 1973* (Sur l’organisa-
tion de classe). 103 pages, format 14,5x21. Imprimé à Toulouse en
1974.
– Entre la revolución y las trincheras* (Entre la révolution et les
tranchées). 58 pages, format 14,5x21. Réédition imprimée à Tou-
louse en 1974.
– Sobre la miseria en el medio estudiantil* (Sur la misère en milieu

370
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étudiant), de Mustapha Khayati. 31 pages, format 14,5x20.


Imprimé à Toulouse en 1974.
– Violencia y solidaridad revolucionaria* (Violence et solidarité
révolutionnaire), de Jean Barrot. 40 pages, format 14,5x21.
Imprimé à Toulouse en 1974 ou début 1975.
– Jalones de derrota : promesa de victoria* (Jalons de la défaite :
promesse de victoire), de Grandizo Munis. 30 pages, format
14,5x20,5. Imprimé à Toulouse en 1975.

Écrits et publications après les arrestations de septembre


1973

– 1000 ou 10000*. Texte écrit par des membres de l’ex-MIL incar-


cérés à la prison Modelo de Barcelone. Signé Groupes autonomes
de combat, septembre 1973. Document traduit en français. Format
21x29,7, 2 pages. Édité et réédité par de nombreux groupes de soli-
darité à l’ex-MIL en Espagne, France, Italie, Belgique, Angleterre…
Publié à l’extérieur à partir de décembre 1973.
– Victimas de la represión y victimas de los « organizadores de la
solidaridad »* (Victimes de la répression et victimes des organisa-
teurs de la solidarité). Texte signé GAC et Mayo 37, publié dans
Violencia revolucionaria, Barcelona 73 en novembre 1973.
– Estudio sobre la represión* (Étude sur la répression). Texte écrit
par 0riol Solé incarcéré à la prison Modelo de Barcelone. 10 pages
(photocopie), format 21x27, daté de décembre 1973.
– GAC, septembre 73 : Au mouvement communiste*. Document
(traduit en français) de 3 pages, format 21x29,7, extrait du livre : El
MIL y Puig Antich d’Antonio Tellez. Texte écrit par des membres de
l’ex-MIL incarcérés à la prison Modelo de Barcelone. Publié à l’ex-
térieur en mars 1974.
– GAC, septembre 73 : Aux groupes autonomes (Sancho-Eva et
Vasco-Quim)*. Document (traduit en français) de 2 pages, format
21x29,7, extrait du livre : El MIL y Puig Antich d’Antonio Tellez.
Texte écrit par des membres de l’ex-MIL incarcérés à la prison
Modelo de Barcelone. Daté de mars 1974.
– Merconna*. Lettre de Salvador Puig Antich adressée à l’une de
ses sœurs. Une page (photocopie), format 21x29,7. Barcelone,
décembre 1973.

371
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 372

– Arrestations du 16 janvier 1974*. Texte signé « Ex-MIL et


Groupes Autonomes d’Intervention ». Publié dans la brochure « La
vérité sur les emprisonnés de Barcelone, Spécial ex-MIL, Espagne
libertaire , n° 00 ». Une page, format 21x29,7. Paris, février 1974.
– Cher Quim*. Document traduit en français extrait de Sari
Espagne (OCL Arles) n° 8, avril 1978. Une page (photocopie), for-
mat 21x29,7. Lettre de Salvador Puig Antich adressée à son frère.
C’est l’une des trois dernières qu’il écrivit à la veille de son éxécu-
tion. Barcelone, mars 1974.
– La utopia dinamitada ? – Reflexions necessàries en l’aprofundit-
zació comunista i revolucionària del moviment real* (L’utopie dyna-
mitée – Réflexions nécessaires dans l’approfondissement commu-
niste et révolutionnaire du mouvement réel). Document en langue
espagnole et préparé pour l’impression par les éditions Mayo 37,
mais il n’a jamais été édité. Photocopie de 17 pages, format 14,5x21.
Texte d’Oriol Solé Sugranyes, écrit en 1975 alors qu’il était incar-
céré à la prison Modelo de Barcelone.

Bibliographie sélective

Nous avons cité seulement les ouvrages et les documents que


nous avons utilisés ou consultés. Ils sont disponibles au CRAS.

– Contribution au programme des conseils ouvriers en Espagne.


Texte dans l’Internationale situationniste n° 10, Paris, 1966.
– Pequeña historia de la llamada Acracia, brochure des Acratas.
Madrid 1969.
– Harry Walker – 62 días de huelga signé par Trabajodores de
Harry Walker. Brochure éditée à Barcelone en juin 1971.
– Articles de presse et documents divers, en diverses langues, sur le
MIL, de 1971 à 2006. Compilation CRAS, Toulouse.
– Affiche/photo de l’arrestation d’Oriol en 1971. CRAS, Toulouse.
– Photos, certaines tamponnées : archives MIL, de 1971 à 1974.
Compilation CRAS, Toulouse.
– Photos de membres de l’ex-MIL, 1973 à 1976. Compilation CRAS,
Toulouse.
– Documents policiers/judiciaires sur les membres du MIL de 1971
à 1974. Compilation CRAS, Toulouse.

372
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 373

– Cinq affiches de solidarité avec les ex-MIL de 1973-1974. Compi-


lation CRAS, Toulouse.
– Textes et interviews d’ex-MIL à divers médias de 1975 à 2006.
Compilation CRAS, Toulouse.
– La guerre civile en Espagne. 1973. Brochure de la revue Le mou-
vement communiste n° 6. Paris, octobre 1973.
– Dossier MIL – Movimiento Iberico de Liberación a los Groupos
Autónomos de Combate y ediciones Mayo 37. Brochure du Comité
de solidaridad presos MIL. Barcelone, d’octobre à décembre 1973.
Ainsi que divers documents de ce comité.
– Gangsters ou révolutionnaires ? (La vérité sur les emprisonnés de
Barcelone). Brochure du Comité vérité pour les révolutionnaires
espagnols (Comité Vidal-Naquet). Paris, octobre 1973. Ainsi que
divers documents de ce comité.
– ¿ Atracadores o revolucionarios ? Colectivo de presos politicos
anti-autoritarios. Cárcel Modelo de Barcelona, novembre 1973.
– Conclusions provisoires. Rapport (en français et espagnol) du
procureur (le fiscal) juridique militaire qui réclame deux peines de
mort pour Puig Antich et la prison pour Pons Llobet et Maria Fer-
nandez. Barcelone, 26 novembre 1973.
– Dossier MIL/GAC. Brochure du Comité vérité pour les révolu-
tionnaires espagnols. Genève, novembre 1973.
– À tous les compagnons, à tous les révolutionnaires, à l’opinion
internationale. Groupes anarchistes et syndicalistes espagnols de
Acción directa (clandestins). Commune libre. Toulouse, décembre
1973.
– L’Espagne : Que faire maintenant ? Texte de Marie Laffranque.
Toulouse, décembre 1973.
– L’antifascisme dans un verre d’eau de Vichy. Texte collectif signé
V. Brisset, N. Will, J. Cicero, J.-Y. Bériou, A. Ajax, de la revue Néga-
tion. Décembre 1973.
– À propos des emprisonnés de Barcelone. Texte signé Hembé dans
Révolution Internationale n° 6. Texte critique sur la pratique du
MIL/GAC et sur l’alliance Mouvement communiste avec le bour-
geois P. Vidal Naquet au sein du Comité vérité pour les révolu-
tionnaires espagnols. Paris, décembre 1973.
– Soutien aux emprisonnés du Mouvement Ibérique de Libération.
Brochure du Comité de soutien de la rue Brouardel (domicile de

373
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 374

Marie Laffranque). Toulouse, décembre 1973. Document édité plu-


sieurs fois en 1974 et complété par d’autres informations. Ainsi que
divers documents de ce comité.
– Manifeste de soutien au MIL. Texte du Collectif des prisonniers
politiques anti-autoritaire de la prison Modelo de Barcelone. Tou-
louse, décembre 1973.
– Tracts et documents (d’information et de soutien) en plusieurs
langues de 1973 à 1975. Compilation CRAS, Toulouse.
– Documents internes de l’ORA à propos du MIL de 1973 à 1974.
Compilation CRAS, Toulouse.
– Note de l’observateur judiciaire (concernant le procès du MIL devant
le Conseil de guerre de Barcelone les 8 et 9 janvier 1974), Serge
Lévy, avocat, membre de la LDH belge. Bruxelles, 14 janvier 1974.
– Rapport de Me Christian Grobet, avocat aux Barreaux de Genève
et Zurich. Observateur de la Comimission Internationale des
Juristes (au procès du 8 janvier à Barcelone des membres du
MIL). Rapport présenté lors d’une conférence de presse à Genève le
9 janvier 1974.
– L’État et la révolution. Puig Antich - Heinz Chez. Anonyme. Tomes
2 et 3, Dublin (en fait, Paris), 1974.
– Informations recueillies à Toulouse le 2 février 1974 lors de la
conférence de presse de la Ligue des droits de l’homme et du
Comité Soutien-Vérité pour les emprisonnés du MIL. Toulouse,
février 1974.
– Solidarité. Brochure du Comité de soutien au MIL. Bruxelles,
février 1974. Et divers documents de ce comité.
– Spécial ex-MIL, Espagne libertaire, n° 00, du Comité de soutien
aux emprisonnés de Barcelone. Paris, février 1974. Ainsi que divers
documents de ce comité de la rue des Vignoles/ORA.
– Puig Antich garrotté. Du Comité de soutien et vérité pour les
emprisonnés de l’ex-MIL. Imprimerie La ruche ouvrière. Paris,
mars 1974.
– La gorge serrée – Rapport sur les conditions de la manifestation
du 9 mars à Paris. Tract, Paris, 15 mars 1974.
– Salvador Puig Antich assassiné, sauvons ses camarade du MIL.
Brochure d’un comité de soutien. Bruxelles, mars 1974.
– Réactions en Espagne après l’assassinat de Puig Antich. Rapport
du Comité de solidaridad presos MIL, traduit et diffusé par le

374
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 375

Comité de soutien et vérité aux emprisonnés de l’ex-MIL. Paris,


20 mars 1974.
– Conférence de presse, donnée par Maître Oriol Arau Fernandez,
avocat de Puig Antich. Perpignan, le 30 mars 1974.
– In memoriam Puig Antich. Texte critique du groupe Le Fléau
social envers les groupes d’ultra-gauche qui n’ont rien fait pour les
ex-MIL. Paris, 1974.
– Puig Antich garrotté. Comité de défense des emprisonnés poli-
tiques de l’État espagnol. Mai 1974.
– M. Suarez, votre (argent) nous intéresse !! Brochure du Groupe du
18 juin, Saint-Balthazar. Lille, juin 1974.
– Solidaridad España. Comité Espagne, juin 1974.
– Violence et solidarité révolutionnaire de Jean Barrot. Édition de
l’oubli. Paris, juillet 1974.
– ¿ Gangsters o revolucionarios ? Texte de prisonniers de la prison
Modelo. Barcelone, 19 juillet 1974.
– Mémoire, judiciaire (en français et espagnol) et peines demandées
concernant le procès d’Oriol Solé Sugranyes et Pons Llobet. Bar-
celone, juillet 1974.
– Compte rendu du procès de Oriol Solé Sugranyes, José Luis Pons
Llobet devant le Conseil de guerre de Barcelone le 23 juillet 1974.
Comité de soutien, Toulouse, août 1974.
– Le spectre de Fu man chu et la main noire SA.. Texte écrit par le
groupe CIAR (composé d’ex-membres de Resistencia et d’autres
individus). Texte qui analyse la situation après les procès d’Oriol et
Queso et la détention des membres des GAC et GARI emprisonnés
à Paris. Barcelone, août 1974.
– Dossier OLLA, 1974. Compilation CRAS, Toulouse.
– Information sur quelques détenus de la prison Modelo de Barce-
lone. Texte provenant du Comité de Barcelone et traduit en fran-
çais. Toulouse, novembre 1974.
– Comité de défense des libertaires traduits en Conseil de guerre à
Barcelone. Texte du Comité de défense Procès de Barcelone. Paris,
6 mai 1975. Ainsi que divers documents de ce comité.
– ¡ Coño ! Ediciones Conspiración. Imprimé à Toulouse, juillet 1975.
– L’Anarchisme espagnol (Action révolutionnaire internationale
1961-1975), d’Octavio Alberola et Ariane Gransac. Éditions C.
Bourgeois, Paris, 1976.

375
C-223à382 12/04/07 15:00 Page 376

– Situations et perspectives de l’anarchisme espagnol de Freddy. La


lanterne noire n° 5, Meudon-la-Forêt, mai 1976.
– El Mil, Puig Antich y los GARI 1969-1976, de Telesforo Tajuelo.
Éditions Ruedo Iberico. Paris, 1977.
– A proposito de Puig Antich, carta abierta a la redacción de Por
Favor. Publié dans le n° 153. Barcelone, 6 juin 1977.
– Diez, MIL, Cien MIL..., Santi Soler, Askatasuna (journal), Pays
basque sud, juin 1979.
– EL 1000 y el movimiento obrero, Santi Soler, Askatasuna (jour-
nal), Pays basque sud, février 1980.
– Le roman de nos origines. La banquise n° 2. Paris, 1981.
– Respostes meves al questionari. Santi Soler, Interview de Juanjo
Fernandez pour le journal Egin. Barcelone, 1984.
– Habla el « cerebro » del MIL (Le cerveau du MIL parle). Interview
de Santi Soler. Egin du 4 mars 1984.
– Els errors del dossier Puig Antich a El País (Les erreurs du dos-
sier Puig Antich dans le journal El País des 26/27/28 février1984).
Notes de Santi Soler envoyées au journaliste Ramon Barnils. Bar-
celone, mars 1984.
– Las 1000 y un del 1000. Brochure sur le MIL. Barcelone, mars 1984.
– La torna de la torna. Salvador Puig Antich i MIL de Carlota
Tolosa. Éditions Empuries. Barcelone, 1985.
– 1000 – Histoire désordonnée du MIL d’André Cortade. Éditions
Dérive 17. Perpignan, 1985.
– Ni 1000 ni MIL. Scénario de Manuel Muntaner et Jordi Solé,
pour un film de Manuel Muntaner. Barcelone/Madrid, commencé
en 1986…
– Lettres/témoignages d’ex-MIL ou d’acteurs de cette période, de
1991 à 2006, l’essentiel en réponse aux auteurs du livre. Compila-
tion CRAS, Toulouse.
– Dossiers Individus ex-MIL, 1995-2006. Compilation CRAS, Tou-
louse.
– Interview de Rouillan Jean-Marc, dans l’hebdomadaire catalan El
Temps, Barcelone, 1994.
– El Mil y Puig Antich, d’Antonio Tellez. Éditions Virus, Barcelone,
mars 1994.
– El Mil y Puig Antich, traduction (non éditée) du livre en français
d’Antonio Tellez. CRAS, Toulouse, 1995.

376
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– Interviews (cassettes audios) d’ex-MIL ou d’acteurs de cette période,


de 1995-2006, par J.-C. Duhourcq et A. Madrigal, Toulouse.
– Antología poetica popular a la memoria de Salvador Puig Antich,
de Ricard de Vargas-Golarons. Éditions AEP (Ateneu Enciclopédic
Popular). Barcelone, mars 1996.
– Cuenta atrás, de Francesc Escribano. Ediciones Peninsula. Bar-
celone, 2001.
– Solé Jordi – Respostes al questionari MIL, de Sergi Rosés Cordo-
villa, Barcelone, mars 2001.
– Résum conserva amb Pons Llobet i Solé Sugranyes, de Sergi
Rosés Cordovilla, Barcelone, 21 mars 2001.
– E. Nunez – respostes al questionari, de Sergi Rosés Cordovilla,
Barcelone, mars 2001.
– Resumen de las conversaciones con Marcelo Lopez, de Sergi Rosés
Cordovilla, Barcelone, juin/juillet 2001.
– EL MIL : una historia politica, de Sergi Rosés Cordovilla. Ali-
kornio ediciones, Barcelone, mars 2002.
– Salvador Puig Antich – 30 anys menys (1974-2004), del Centre de
documentacio historico-social/Ateneu enciclopédic popular. Liste
des archives et documents sur le MIL et cette période que possède
le CDH-S. Bulletin n° 6, Barcelone, 2 mars 2004.
– Il y a trente ans, Salvador Puig Antich, de Nososotros. Édition La
Remembrance, Saint Amand-Montrond, mars 2005.
– Retour sur les années de braise – les groupes autonomes et l’or-
ganisation Action Directe, par le Collectif Éphémère. Éditions
CRAS, Toulouse, mars 2005.
– MIL. Film réalisé par Martina Loher Rodriguez. Genève, 2006.
– El fons MIL : entre el record i la historia, d’Antoni Segura et Jordi
Solé. Publié par le Centre de documentation CEHI et les éditions
Afers. Barcelone, 2006.
– El MIL i Puig Antich – La tergiversacio historica continua, bro-
chures avec diverses contributions. Barcelone 2006.

377
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TABLE DES MATIÈRES

Avant-propos ...................................................................................................p. 5
Identification de quelques collectifs et des divers
protagonistes cités .......................................................................................p. 11
Introduction .....................................................................................................p. 15

I – De l’ET, des EO aux Éditions Mayo 37 .............................p. 19


Gestation et formation de l’Équipe Théorique .....................p. 23
Grève générale à Harry Walker ...................................................p. 33
Les éditions avant celles de Mayo 37 ........................................p. 47
De la bibliothèque aux Éditions Mayo 37 ...............................p. 58
Dissensions et polémiques au sein du MIL ...........................p. 69

II – De l’Équipe Extérieure au MIL/GAC ...............................p. 79


Arrivée d’Oriol en France ................................................................p. 84
Création du 1000, du MIL et des GAC… ...............................p. 111
Le MIL/GAC en action.......................................................................p. 143
La vie quotidienne ...............................................................................p. 195
Le printemps-été du MIL/GAC .....................................................p. 211

III – Du Congrès à l’exécution d’Oriol .....................................p. 223


Le Congrès et l’autodissolution du MIL ..................................p. 225
Les arrestations.....................................................................................p. 242
La solidarité ............................................................................................p. 265
Le Metge condamné à mort ............................................................p. 291
Oriol assassiné .......................................................................................p. 305

Que sont devenus ceux du MIL et de Mayo 37 ? ..................p. 310


Conclusion ........................................................................................................p. 315
Annexes (Sigles, textes MIL, documents) ..............................p. 317
Bibliographie ...........................................................................p. 365

379
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CENTRE DE RECHERCHES SUR L’ALTERNATIVE SOCIALE

Le CRAS est un centre de documentation créé en 1979, affilié


à la FICEDL (Fédération internationale des centres et de docu-
mentations libertaires). L’objectif de l’association est de recueillir
les traces de ces luttes passées et présentes, de ces expériences
alternatives, individuelles ou collectives et de ces moments de
rébellion, qu’ils soient des révoltes sans lendemain ou qu’ils s’ins-
crivent dans un projet de bouleversement de l’ordre établi. Son but
est aussi de rassembler des documents critiques sur le monde et
son devenir.
L’essentiel des archives couvre la période de la fin des années
1960 à nos jours. Notre démarche est marquée par le désir de se
réapproprier notre mémoire et de ne pas laisser aux vainqueurs et
aux tenants de la pensée dominante le soin d’écrire notre histoire.
Leur vision n’est pas la nôtre. Pour ce faire, le CRAS mène une acti-
vité d’édition.
Les archives sont consultables par qui le désire, que cela soit
pour sa culture personnelle ou pour produire un document.
CRAS – BP 51026 – 31010 Toulouse cedex 6
cras.toulouse@wanadoo.fr

PUBLICATIONS DU CRAS

– La légalité contestée, de Dominique Grein. Textes issus d’une


présence libertaire dans l’entreprise. 154 pages, format 21x15.
Édités en 1981. Tirage épuisé.
– Toulouse Hautes Tensions, recueil de textes autour du mouve-
ment antinucléaire. Deux numéros, Collectif CRAS. Édité en été et
automne 1982. Tirage épuisé.
– Fleury, Baumettes… Aujourd’hui Saint-Michel, témoignage d’un
détenu sur la révolte du 21 mars 1983 à la prison Saint-Michel de
Toulouse. 4 pages, format 21x29. Édité en avril 1983. Tirage épuisé.
– Compilation non-exhaustive de tracts autour du mouvement étu-
diant/lycéen de l’hiver 1986, Collectif CRAS. 86 pages, format
21x29,7. Édité en 1986. Tirage épuisé.

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– Protestation devant les libertaires sur le génocide palestinien, de


Agou Amer. 12 pages, format 16x21. Édité en 1987. Tirage épuisé.
– Bulletin du CRAS, recueil de textes divers, plus divers dossiers.
4 numéros, format 21x 29,7 – n° l, 16 pages, publié en mars 1989 –
n° 2, 24 pages, publié en juin 1989 – n° 3, 24 pages, publié en
novembre 1989 – n° 4, 24 pages, publié en mars 1990.
– Les calendriers du CRAS : 1989, 1990, 1991, 1993, 1994, 1996…
Certains tirages sont épuisés.
– Mai 1937, carte de bons vœux, éditée en 1997. Tirage épuisé.
– Golfech. Le nucléaire, implantation et résistances, Collectif La
Rotonde. 588 pages, format 17x25. Édité en mai 1999.
– Nucléaire. Tu l’as vue, ma sortie, Comité européen pour la protection
de l’habitat, de l’environnement et de la santé (CEPHES), Comité
indépendant anti-THT du Volvestre (CIATV) et Collectif La Rotonde
– Sur l’exportation de l’énergie nucléaire, sur les lignes THT. Docu-
ment comprenant une carte démontrant à partir de la France la
probabilité d’une extension de ces lignes vers l’Afrique, l’Angleterre,
toute l’Europe… 4 pages, format 21x29,7. Édité au printemps 2001.
– Les idées courtes – La mémoire aussi, Collectif Ça dégaze – À
propos d’AZF et du journal local La Dépêche du Midi avant l’ex-
plosion du 21 septembre 2001. 20 pages, format 21x29,7. Édité
en octobre 2001.
– AZF-SNPE, le nucléaire, Golfech, Collectif La Rotonde. 4 pages,
format 21x29,7. Édité en avril 2002.
– Usine de mort. L’explosion d’AZF un an après, Collectif d’habi-
tant-e-s des agglomérations toulousaines (CHAT). Bilan multiple,
à la fois sur l’implantation du pôle chimique, sur l’après explosion
et ses conséquences, sur la situation actuelle (le pôle chimique est
en partie réouvert) et sur leur engagement au sein du collectif
« Plus jamais ça, ni ici ni ailleurs » pour exiger la fermeture des
sites. 22 pages, format 14,5x21. Édité en septembre 2002.
– Retour sur les années de braise – les groupes autonomes et l’or-
ganisation Action Directe, Collectif Éphémère, 26 pages, format
15x21. Édité en mars 2005.
– Mouvement ibérique de libération – Mémoires de rebelles, de J.-C.
Duhourcq et A. Madrigal, 384 pages, format 15x21. Édité en avril
2007.

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