Livre Perspectives Didactique Contextes PDF
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et sociaux qui nous ont amené à considérer qu’il devenait urgent de rassembler une PERSPECTIVES POUR UNE
série d’études sur la question des contextes en didactique des langues. Conçu comme un
volume collectif exploratoire, il a pour objectif de susciter une réflexion sur la nécessité de DIDACTIQUE DES LANGUES
développer un ensemble de recherches à ce sujet, tant du point de vue théorique que du CONTEXTUALISÉE
point de vue des transferts possibles, voire souhaitables, dans la formation des enseignants
de langues et dans les pratiques d’enseignement. Il cherche notamment à montrer la
pertinence sociale et scientifique de ses questionnements, à fournir des repères en matière
de cadre épistémologique, d’orientations théoriques, de méthodes de la recherche. Les
études réunies portent sur les contextes de pluralité linguistique individuelle ou collective,
sur l’enseignement–apprentissage–acquisition d’autres langues (nationales, régionales, Sous la direction de :
minoritaires, etc.), sur différentes modalités didactiques inscrites dans un continuum
Prix public : 32 euros TTC ( Prix préférentiel AUF - pays en développement : 16 euros HT )
ISBN: 978-2-914610-78-0
sous la direction de :
Philippe BLANCHET
Danièle MOORE
Safia ASSELAH RAHAL
Copyright © 2009 Éditions des archives contemporaines et en partenariat avec
l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF).
ISBN : 978-2-914610-78-0
Avertissement :
Les textes publiés dans ce volume n’engagent que la responsabilité de leurs au-
teurs. Pour faciliter la lecture, la mise en pages a été harmonisée, mais la spécifici-
té de chacun, dans le système des titres, le choix de transcriptions et des abrévia-
tions, l’emploi de majuscules, la présentation des références bibliographiques, etc.
a été le plus souvent conservée.
Avant-propos
La diffusion de l’information scientifique et technique est un facteur essentiel du
développement. Aussi, dès 1988, l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF),
mandatée par les Sommets francophones pour produire et diffuser livres, revues et
cédéroms scientifiques, a créé une collection d’ouvrages scientifiques en langue
française. Lieu d’expression de la communauté scientifique de langue française,
elle vise à instaurer une collaboration entre enseignants et chercheurs franco-
phones en publiant des ouvrages, coédités avec des éditeurs francophones, et
largement diffusés dans les pays du Sud grâce à une politique tarifaire adaptée.
La collection se décline en différentes séries :
- Manuels : mis à jour régulièrement, ils suivent l’étudiant tout au long de
son cursus en incluant les plus récents acquis de la recherche. Cette série
didactique est le cœur de la collection et porte sur des domaines d’études
intéressant l’ensemble de la communauté scientifique francophone tout en
répondant aux besoins particuliers des pays du Sud ;
- Savoirs francophones : cette série accueille les travaux individuels ou col-
lectifs, des chercheurs du Nord et du Sud, impliqués dans les différents ré-
seaux thématiques.
- Savoir plus universités : cette série se compose d’ouvrages de synthèse
qui font un point précis sur des sujets scientifiques d’actualité ;
- Actualité scientifique : dans cette série sont publiés les actes de colloques
et de journées scientifiques organisés par les réseaux thématiques de re-
cherche de l’AUF ;
- Prospectives francophones : s’inscrivent dans cette série des ouvrages de
réflexion donnant l’éclairage de la Francophonie sur les grandes questions
contemporaines ;
- Dictionnaires : ouvrages de référence sur la marché éditorial francophone.
M. BERNARD CERQUIGLINI
Recteur de l’Agence universitaire de la Francophonie
Sommaire
INTRODUCTION :
POURQUOI S’INTERROGER SUR LES CONTEXTES EN DIDACTIQUE DES LANGUES ?9
Philippe BLANCHET et Safia ASSELAH RAHAL ....................................................................... 9
CONTEXTES MIGRATOIRES
Chapitre I
VOIX AFRICAINES À L’ÉCOLE DE LA FRANCOPHONIE CANADIENNE. RÉFLEXIONS
POUR UNE CULTURE DIDACTIQUE DU PLURILINGUISME CONTEXTUALISÉE
Danièle MOORE, Cécile SABATIER, Marianne JACQUET et Mambo MASINDA ...................... 19
Chapitre II
REPRÉSENTATIONS ETHNO-SOCIOLINGUISTIQUES ET APPRENTISSAGE DU
FRANÇAIS : UNE ÉTUDE EN CONTEXTE MIGRATOIRE À MONTRÉAL
Elatiana RAZAFIMANDIMBIMANANA, Virginie DOUBLI-BOUNOUA ............................................. 41
CONTEXTES FRANCOPHONES
Chapitre III
PARADOXES DE L’ENSEIGNEMENT DE FRANÇAIS EN LOUISIANE : QUELLES
PERSPECTIVES DIDACTIQUES POUR QUEL FRANÇAIS ?
Céline DOUCET ..................................................................................................................... 63
Chapitre IV
FRANÇAIS ET CRÉOLE EN CLASSE : POUR UNE DIDACTIQUE « RÉSONNANTE »
Sylvie WHARTON .................................................................................................................. 75
Chapitre V
PERSPECTIVES CULTURELLEMENT DURABLES : ÉDUCATION BILINGUE MOORÉ-
FRANÇAIS AU BURKINA FASO
Constance LAVOIE, Célestin TAPSOBA ................................................................................ 87
Chapitre VI
LANGUE(S) ET REPRÉSENTATION(S) CHEZ DE JEUNES ÉCOLIERS TUNISIENS
Inès BEN REJEB.................................................................................................................. 105
Chapitre VII
LES LANGUES ET LEURS PRATIQUES EN ALGÉRIE : LE CAS D’UNE CLASSE DE
LANGUE ÉTRANGÈRE
Tassadit MEFIDENE............................................................................................................. 117
CONTEXTES EUROPÉENS
Chapitre VIII
ÊTRE ENSEIGNANT DE LANGUES À L’HEURE EUROPÉENNE : ANALYSE COMPARÉE
DES REPRÉSENTATIONS, CROYANCES ET SAVOIRS DES FUTURS ENSEIGNANTS
DE FRANÇAIS LANGUE ÉTRANGÈRE
Mariella CAUSA, Monica VLAD ....................................................................................... 129
Chapitre IX
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS ÉCONOMIQUE EN MILIEU
INSTITUTIONNEL UNIVERSITAIRE ROUMAIN
Carmen-Stefania STOEAN.................................................................................................. 143
Chapitre X
DISCOURS SUR L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉCRIT EN FLE AU PORTUGAL
Joaquim GUERRA ............................................................................................................... 155
Chapitre XI
POUR UNE NÉCESSAIRE CONTEXTUALISATION DU CECR EN MILIEU HOMOGLOTTE
Evelyne ROSEN et Pascal SCHALLER ................................................................................. 167
CONTEXTES NUMÉRIQUES
Chapitre XII
ÉTUDE DES REPRÉSENTATIONS D’ÉTUDIANTS SUR LEUR APPRENTISSAGE EN
LIGNE
Christine DEVELOTTE ......................................................................................................... 181
PERSPECTIVES CONCLUSIVES
Chapitre XIII
CONTEXTUALISATION ET UNIVERSALISME. QUELLE DIDACTIQUE DES LANGUES
POUR LE XXIe SIÈCLE ?
Véronique CASTELLOTTI, Danièle MOORE .......................................................................... 197
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Introduction
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Philippe BLANCHET et Safia ASSELAH RAHAL
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Introduction
Cela soulève, en didactique comme ailleurs (et là encore les recherches en socio-
linguistique pourraient bien constituer une référence utile), des questions de mé-
thode de recherche de plus en plus d’actualité en didactique (Perrin-Glorian et
Reuter, 2006), sur lesquelles il nous faudra revenir.
La question de la contextualisation couvre donc de nombreux enjeux, facteurs,
paramètres, que le présent ouvrage tente précisément de mettre en évidence pour
contribuer à dessiner des perspectives, que l’on verra reproblématisées et préci-
sées à la suite des études ici réunies par la conclusion centrée sur le domaine
didactique qu’ont rédigée V. Castellotti et D. Moore.
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Philippe BLANCHET et Safia ASSELAH RAHAL
langue à l’autre, y compris les formes interlectales ? Dans quelle(s) langue(s) se font
les explications et se donnent différentes consignes ? Le niveau d’apprentissage et de
compétence a-t-il une réelle influence sur le processus d’alternance ? Quelle est la
fonction de l’alternance en classe ? Y a-t-il « didactisation » du plurilinguisme algérien
et de l’alternance des langues en classe ?
Nous avons étudié, globalement, les contextes politiques, sociolinguistiques, édu-
catifs algériens, qui ont éclairé les pratiques et les représentations observées lors
de nos enquêtes dans les classes et par entretien avec enseignants et élèves.
Cette étude a montré que ce plurilinguisme est inévitablement présent dans la
classe, même dans un contexte institutionnel qui peut lui être peu favorable (les
programmes de l’époque fonctionnaient sur le principe de la « méthode directe »).
Or, dans le contexte éducatif algérien, il apparaît que la dimension plurilingue et
pluriculturelle dans l’apprentissage des langues, que le contexte sociolinguistique
et socioculturel local, national et international, ont été, jusqu’à cette période, mis à
l’écart, créant ainsi une sorte de contradiction voire de double contrainte pour les
acteurs concernés (élèves, enseignants, inspecteurs, formateurs d’enseignants,
auteurs de manuels, parents, agents du ministère…). Cette recherche a ainsi
abouti, en s’appuyant sur les demandes implicites et explicites venues du terrain, à
des recommandations de meilleure contextualisation, d’ailleurs convergentes avec
les nouveaux programmes de langues qui étaient en cours d’élaboration pour la
rentrée 2003, mais plus ambitieuses et plus globales.
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Introduction
des contextes européens marqués par une forte intégration politique et le partage
prioritaire d’un référentiel spécifique (le Cadre européen commun de référence
pour l’enseignement des langues) où le français est pris comme objet prioritaire
mais où le CECR lui-même est mis en question du point de vue de la diversité des
contextes où il est employé,
et des exemples déterritorialisés :
- des contextes migratoires (au Canada francophone et anglophone),
- le contexte désormais incontournable et particulier des apprentissages via
Internet.
Ces regroupements thématiques ont été retenus parce qu’ils constituent des entrées
aisément identifiables, du point de vue de représentations sociolinguistiques cou-
rantes, dans la question des contextes : les contextes de type national, ou de mobilité
entre ces contextes, ou encore d’exception extraterritoriale à la façon du monde virtuel
d’Internet, sont couramment acceptés, même a priori, comme pouvant avoir des effets
sur la vie sociale et, partant, sur les situations d’enseignement-apprentissage. Il ne
s’agit pas, pour autant, de s’y laisser enfermer, mais plutôt, à partir de là, d’envisager
posément d’autres paramètres de contextualisation. D’une part, parce que toute caté-
gorisation soulève la question délicate de sa définition et des chevauchements de
frontières. D’autre part, parce que d’autres paramètres de contextualisation, notam-
ment ceux visés par l’appel rappelé ci-dessus, traversent les différentes études, et sont
probablement au moins aussi déterminants que les contextes « nationaux ». On note-
ra, du reste, qu’inscrire d’emblée nos analyses par rapport des contextes aussi glo-
baux que ceux mentionnés n’est pas un choix anodin : pour d’autres approches didac-
tiques ou apparentées, le contexte tend souvent à ne pas dépasser celui des interac-
tions enseignant/enseigné (voire celui des autres mots d’une même phrase) ou au
maximum celui de la classe traité comme facteur secondaire. Dans notre perspective,
la question de la contextualisation est beaucoup plus vaste et primordiale.
Ce volume a été organisé à partir d’un appel à contributions et par un comité scien-
tifique qui a dû opérer, d’une part, une sélection parmi les nombreuses proposi-
tions déposées (45 en tout), et, d’autre part, des recommandations de réécriture
partielle de textes, le tout afin de construire une cohérence suffisante de
l’ensemble en fonction des objectifs qualitatifs visés et des contraintes éditoriales
(même si au final le volume est beaucoup plus long que les 160 pages prévues au
départ). Pour autant, l’appel à contributions était très ouvert et le comité a tenu à
respecter, et même à valoriser, la diversité des terrains, des points de vue, des
modalités d’écriture, tous contextualisés, en y ajoutant cette introduction et une
conclusion qui tentent de tisser cet ensemble polychrome pour en tirer de façon
transversale des repères et des perspectives.
Il reste à remercier tous ceux qui ont proposé des contributions, tous ceux qui ont
ensuite rédigé leurs contributions, les membres du comité scientifique (liste ci-
dessous) qui ont offert leurs compétences, leur temps et leur énergie, notre col-
lègue Marie-Katell Hoff qui s’est chargée à l’université Rennes-II de la préparation
matérielle des textes pour l’édition, nos collègues de l’AUF qui ont su à la fois nous
appuyer, nous écouter, patienter et fabriquer ce livre, et enfin les lecteurs, qui nous
diront ce qu’il adviendra des perspectives ici dessinées…
-15-
Philippe BLANCHET et Safia ASSELAH RAHAL
BIBLIOGRAPHIE
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BLANCHET, Ph. et ASSELAH-RAHAL, S. (dir.), 2007, Plurilinguisme et enseignement des
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BLANCHET, Ph., CALVET, L.-J. et ROBILLARD, D. DE, 2007, Un siècle après le Cours de Saus-
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PRUDENT, L..-F., TUPIN, F. et WHARTON, S. (édit.), 2005, Du plurilinguisme à l’école. Vers une
gestion coordonnée des langues en contextes éducatifs sensibles, Berne, Peter Lang.
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CONTEXTES
MIGRATOIRES
VOIX AFRICAINES À L’ÉCOLE
DE LA FRANCOPHONIE CANADIENNE.
RÉFLEXIONS POUR UNE CULTURE DIDACTIQUE DU
PLURILINGUISME CONTEXTUALISÉE
INTRODUCTION
En dépit des progrès socioéconomiques et politiques réalisés au cours des der-
nières années, les guerres font encore partie du paysage quotidien des popula-
tions africaines et restent en grande partie responsables des mouvements forcés
(Masinda, 2004). Les conséquences sont nombreuses sur l’éducation des jeunes.
Sur près de 2 millions d’immigrants vivant en 2001 au Canada depuis au moins dix
ans (Statistique Canada, 2007), 17 % (soit près de 310 000 d’entre eux) étaient
des enfants de 5 à 16 ans. Avec un si grand nombre de jeunes migrants en âge de
scolarisation, la question de leur intégration scolaire s’impose comme une priorité
pour le système éducatif. Il apparaît alors impératif pour les éducateurs de pouvoir
répondre aux besoins de ces jeunes nouveaux arrivants, qui peuvent là-bas ne pas
avoir fréquenté l’école, ici ne pas connaître la langue d’éducation, être issus de
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
1. LA RECHERCHE
L’étude que nous présentons ici s’inscrit dans le cadre d’un partenariat avec un
conseil scolaire francophone de la province ouest du Canada anglophone, la Co-
lombie-Britannique, et plusieurs organismes d’accueil et d’aide à l’intégration. Ce
partenariat vise une mise en synergie des ressources pour faciliter et soutenir
l’intégration sociale des jeunes arrivants, et leur insertion dans le milieu éducatif en
français. La méthodologie privilégiée pour cette étude prend appui sur une ap-
proche sociolinguistique (Calvet, 1994 ; Calvet et Dumont, 1999) et anthropolo-
gique, ainsi que sur la collaboration entre chercheurs et partenaires éducatifs (Cas-
tellotti et de Robillard, 2001b). Cette enquête exploratoire est la première du genre
auprès de la population africaine francophone à Vancouver. Des entretiens, indivi-
duels ou de groupes, ont été réalisés sur une période de deux ans avec 37 partici-
pants volontaires : 7 administrateurs scolaires, 7 enseignants dont une orthopéda-
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Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
gogue, 7 parents (dont une mère) et 9 élèves africains francophones, ainsi que 7
partenaires communautaires (représentant différentes organisations accueillant les
immigrants : Immigrant Services Society, Mosaic, La Boussole, Multicultural Family
Centre, Fédération des francophones de la C.-B.), tous issus de la communauté
africaine francophone (et incluant un Marocain). Ces associations offrent une pa-
noplie de services : accueil, soutien à l’intégration en milieu de travail, placement
en milieu d’emploi, soutien familial, distribution de nourriture et de vêtements, aide
aux devoirs, groupe de soutien pour les femmes, services de traduction, accompa-
gnement dans les démarches juridiques, cours de langue (français, anglais), hé-
bergement des réfugiés, etc. Les entretiens se sont déroulés sur les lieux de travail
des participants ou dans le bureau de recherche à l’université pour les parents qui
l’ont souhaité, et à l’école, dans deux salles mises à disposition, pour les élèves.
Ces différentes voix entrent en résonance au travers des discours ainsi recueillis,
produits à l’école, en marge et/ou à côté de l’institution scolaire, et ancrés dans les
circonstances socio-historiques de leur émergence, et dans les tracés de mémoire
qu’ils impliquent pour les locuteurs. Ces conversations prennent parfois la forme de
biographies langagières ; elles retracent les parcours de migration, les étapes
d’installation et d’intégration dans le nouveau contexte, les horizons d’attente con-
cernant l’école, les réseaux de communication et leurs rôles dans le processus
d’intégration, les stratégies mises en place pour favoriser la scolarisation des en-
fants, le rôle du français au sein de ces processus.
Les entretiens, enregistrés sur magnétophone digital, ont été menés pour la plu-
part de manière individuelle avec les adultes (à l’exception d’un entretien collectif
avec les enseignants), et en groupe avec les jeunes. Un entretien avec deux
jeunes a donné lieu à une prise de notes, ceux-ci n’ayant pas souhaité être enre-
gistrés.
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Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
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Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
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Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
ment l’équilibre fragile de ce paysage scolaire déjà établi, et plus largement celui
de la communauté francophone dans son ensemble.
En effet, bien que les migrants africains francophones constituent encore un
groupe restreint de nouveaux arrivants, leur nombre ne cesse de croître. Cet ac-
croissement correspond à un phénomène récent, dont les causes sont multiples et
résultent d’une combinaison de facteurs : héritages coloniaux et guerres, aliénation
politique, dégradation de l’environnement, pauvreté, déplacement des personnes à
l’intérieur du continent africain, et une diaspora internationale où le Canada
s’inscrit comme une nouvelle terre d’accueil (Masinda, 2004). Depuis 1998, le
nombre d’Africains accueillis de façon permanente sur le territoire canadien a ainsi
doublé.
Selon les données du recensement de 2001, toutes origines ethnoculturelles con-
fondues, 294 705 personnes ont déclaré une origine africaine au Canada. Plus
précisément, 51 % des recensés ont déclaré qu’ils étaient « noirs » ou simplement
« africains », sans plus de précisions. En C.-B., plus particulièrement, 25 000 per-
sonnes ont noté une origine africaine et un nombre encore plus petit de personnes
ont identifié une origine africaine et une ethnicité noire, soit 9 400 personnes (Sta-
tistique Canada, 2007). Au regard de la seule population des communautés origi-
naires de l’Afrique francophone, celle-ci s’est accrue à partir des années 1980 de
manière significative tout en restant relativement restreinte par rapport à
l’immigration issue de l’Afrique anglophone. En conséquence, cerner les caracté-
ristiques de la population noire africaine et francophone s’avère d’emblée plus
problématique en l’absence de statistiques exhaustives et fiables et du chevau-
chement des critères identitaires retenus dans le questionnaire de recensement.
La consultation des statistiques du gouvernement de la C.-B. sur les immigrants ne
permet pas d’identifier le nombre d’immigrants francophones en fonction de leur
pays d’origine. De leur côté, les données statistiques compilées à l’aéroport Inter-
national de Vancouver par le Community Airport Newcomer’s Network (CANN,
2005) ne donnent qu’une indication partielle de cette réalité ; cet organisme ne
compilant que les données sur les nouveaux immigrants transitant par l’aéroport
international de Vancouver, et ne tenant donc pas compte des migrations interpro-
vinciales et/ou en provenance des États-Unis.
Néanmoins, d’après ces données, pour la seule année 2005, les nouveaux arri-
vants de l’Afrique subsharienne francophone provenaient d’une dizaine de pays,
parmi lesquels le Burundi, le Cameroun, le Congo, la Guinée, la Côte d’Ivoire, le
Mali, le Sénégal, le Togo et la RDC (ex-Zaïre). Cette aire de provenance illustre
d’emblée une diversité de contextes à la fois linguistiques, politiques et culturels.
D’autres indices font eux aussi état d’une grande complexité dans les statuts
d’entrée au Canada ; certains nouveaux arrivants entrent sur le territoire canadien
avec un statut de réfugiés politiques, d’autres avec un statut d’immigrants écono-
miques, ou encore d’immigrants sponsorisés. Depuis un certain nombre d’années,
on observe également une féminisation de l’immigration africaine (Zlotnik, 2003).
Le nombre de femmes et d’enfants est aussi très important parmi les réfugiés.
L’arrivée de cette nouvelle population en Colombie-Britannique, composée tout à
la fois de migrants économiques mais également de réfugiés de guerre et de de-
mandeurs d’asile, s’avère ainsi complexe et difficile. Dans le contexte de la double
minoration des langues (africaines, et française dans le contexte de la C.-B.), le
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Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
1
Les premières lettres identifient l’informateur. Les lettres qui suivent indiquent son statut : PC. (parte-
naire communautaire), Adm. (administrateur d’école), Pa. (parent d’élève), El. (élève), Eq. (enquêteur).
Le détail des conventions de transcriptions est présenté en annexe du texte.
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Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
développer des rapports au(x) savoir(s) inversés qui les placent à l’interface d’un
discours d’inclusion et de marginalisation.
Du côté des partenaires communautaires et des enseignants, cette distorsion est
sensible et perçue, comme en témoignent les extraits suivants :
Ero-PC.
les points faibles sont que les professeurs peut-être ne sont pas habitués
aux cultures africaines ou bien ils ne sont pas au courant de ce qui se pas-
sent en Afrique
Entretien collectif enseignants
moi je me sens en conflit intérieur parce que oui . il faut que ces enfants-là
soient éduqués . mais souvent ce qu’on fait . ça va pas avec les valeurs fa-
miliales . c’est pas valorisé forcément . les devoirs et tout ça . le temps de
faire les devoirs le soir . les parents ils vont les aider parce qu’ils sont tou-
jours très gentils, mais ça fait pas partie de la réalité . alors il y a un niveau
où moi je sens que on impose des valeurs et une culture qu’ils n’ont pas for-
cément choisies . ils sont ici parce c’était ça ou mourir dans des camps de
réfugiés . ils essaient de vivre avec cette différence de valeurs et de culture
mais ce n’est pas leur choix . et ça on se le fait dire . je n’ai pas choisi d’être
au Canada
Les propos de cet enseignant laissent entrevoir une empathie et la reconnaissance
de la souffrance des élèves dont les trajets de vie les ont contraints à accepter
certains choix d’existence, en disharmonie avec les valeurs et les aspirations fami-
liales et culturelles. Cette prise de conscience s’accompagne d’une réflexion sur
les moyens de la construction partagée, de la diffusion et de la réception des sa-
voirs, en fonction des différentes cultures sociales et éducatives en contact ; cette
réflexion est également perceptible dans les discours de l’ensemble des parte-
naires engagés dans l’accueil de ces élèves :
Phil-Adm.
on a beaucoup d’enfants qui arrivent de camps de réfugiés . qui ont vécu
toutes sortes d’horreurs . évidemment qui n’ont pas été éduqués au même
niveau . au même degré que nos enfants à nous ici . n’est-ce pas . donc il
faut savoir s’ajuster parce que ces enfants ont des besoins particuliers
La rencontre ouvre un espace de légitimité de présence pour ces jeunes à l’école,
ainsi qu’une légitimisation des savoirs d’expérience qu’ils portent. C’est enfin cet
espace de possibles qui permet la mobilité des savoirs, leur transformation, et la
construction d’un nouveau contexte pour les apprentissages, lesquels néanmoins
sont bâtis sur la mémoire implicite des souvenirs d’école.
-26-
Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
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Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
Él. morale
[…]
El. mais si tu es comme, par exemple si tes parents peuvent acheter
le (gars), ils peuvent te faire passer…
[…]
Enq. ouais, alors qu’en Afrique tu n’as pas d’aide
Él. mais si tu veux . tu peux demander mais si le professeur dit je suis
occupé . lui il peut dire tu peux venir demain . des fois aussi il faut
voir les cours … j’ai vu un reportage qui dit que tu donnes de
l’argent pour qu’ils te donnent des cours
Él. …et il enseigne rien vraiment là . il faut juste écouter . si tu n’as
pas fait les devoirs ça veut dire que tu n’as pas écouté ce que le
professeur a dit . et là il frappe
Enq. il frappe
Enq. et vous vous souvenez du nombre d’élèves qu’il y avait par classe
en Afrique ?
Él. ouf .. c’était beaucoup
Enq. c’était beaucoup
Él. 30-40
Ces propos interrogent alors la relation à l’école dans les cultures africaines et
dans les pays d’accueil, comme le souligne également le témoignage suivant :
Mam-PC.
nous savons que les écoles africaines . plusieurs écoles africaines ne res-
semblent pas aux écoles canadiennes … regardez l’environnement lui-
même … j’ai vu … quand j’accompagnais des parents dans les écoles pour
aller faire inscrire leurs jeunes … on pouvait voir les parents complètement
effacés … on pourrait même dire aux parents … avant d’inscrire votre enfant
il faut vous mettre à genoux … ils le feraient rapidement
L’école canadienne, dont les valeurs sont mal comprises par les parents africains,
est alors perçue comme une institution injonctive et prescriptive dans laquelle ils ne
trouvent pas leur place. À l’inverse, l’institution perçoit le non-engagement des
parents africains comme un désinvestissement dans la réussite scolaire des
jeunes (Akkari et Dasen, 2004). Or, en lien avec la conception traditionnelle de
l’éducation qui voit les parents africains remettre aux soins d’un tiers l’instruction
académique et l’éducation de leurs enfants, cette non-ingérence dans les affaires
de l’école est une marque de confiance envers les enseignants à qui ils confient la
responsabilité de préparer l’enfant dans son futur statut d’adulte.
Les travailleurs communautaires insistent pour leur part sur le fait que les écoles
intimident les parents des jeunes immigrants francophones, une trajectoire vers la
scolarisation qui reste marquée par la peur :
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Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
Bo-Pa.
de temps en temps il y a des parents qui ont peur . même pas hésiter .
d’envoyer leurs enfants dans les écoles francophones . ce n’est pas parce
qu’ils ne veulent pas c’est parce qu’ils ont peur … écoute … quand je suis
arrivé ici j’ai vu que l’enfant de tel . il a commencé là-bas mais il a eu de la
peine . de la misère à continuer . alors ça ne vaut plus la peine d’envoyer …
ils n’ont plus confiance au système . je crois qu’il faut améliorer le système
du conseil scolaire francophone . en anglais ils travaillent mieux . en français
le chemin est encore très très long . améliorer pour gagner la confiance des
parents pour que les parents puissent envoyer leurs enfants dans les écoles
francophones
Ce décalage dans la perception des missions de l’école et des rôles respectifs des
enseignants et des parents conduit à un malentendu qui selon Mam. pourrait être
levé par une meilleure compréhension des implicites culturels et des positionne-
ments de chacun des partenaires engagés dans l’acte éducatif :
Mam-PC.
évidemment, le lien est à repenser mais j’ai aussi l’impression que comme
les gens qui arrivent … la relation que les gens avaient avec le système sco-
laire au Congo ou au Burundi est peut-être légèrement différente avec la re-
lation que les parents canadiens entretiennent avec le système scolaire ca-
nadien . alors . lorsqu’ils auront compris que ils ont un rôle important à ap-
porter au niveau de l’école . à devenir finalement des conseillers du système
scolaire francophone … quelque-part … le changement risque de prendre
beaucoup de temps avant qu’il n’arrive […] de l’autre côté en Afrique c’est
une relation d’autorité … le maître a dit … le directeur d’école a dit . vous
suivez . il n’y a pas de possibilité de modifier ou alors il faut être un parent
assez boqué [têtu] comme on dit au Québec
-29-
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
questionnement met en jeu la compréhension que l’enfant a des objets, des per-
sonnes et de l’espace » (Ménigoz, 2003 : 90).
Cette acceptation tacite de la hiérarchie sociale est verbalisée dans les propos des
jeunes lorsqu’ils évoquent les sanctions disciplinaires auxquelles les élèves peu-
vent être exposés à l’école africaine :
Entretien collectif élèves
Él. mais en Afrique, tous les enfants c’est comme des militaires l’école
elle bleuffe pas … pas les billets
Enq. est-ce que tu préfères la méthode billet d’ici . la méthode douce?
Él. ah mais j’aime ici parce que . moi en Afrique si je suis fouetté je re-
tourne à la maison . il y a les autres qui se battent avec les profes-
seurs . qui fait la loi
Enq. la loi
Él. la loi
Él. par exemple si les professeurs font la tête dure pour enseigner aux
élèves on appelle la police et ils viennent fouetter les professeurs
et toutes les élèves
Enq. est-ce que tu as connu ça? est-ce que tu as vu ce genre de
chose?
El. oui à mon école . il paye pas les professeurs les enseignants vou-
laient faire une grève . et puis les enseignants ont fait la tête dure
pour enseigner … alors il appelle la police là-bas pour ramasser
les gens là . pour bloquer les … et les élèves comme ils font les
choses
Ce principe d’autorité du maître, on le voit dans les dernières lignes des propos
précédents, peut cependant être à tout moment mis en question par une autorité
supérieure. D’ailleurs, avec le processus migratoire qui inscrit, nous l’avons vu, les
individus dans un paradigme du changement, ce sont les jeunes qui dans les so-
ciétés d’accueil peuvent être appelés à endosser ce rôle du fait de la dislocation
des familles et du désétayage symbolique des figures d’autorités. Ce bouleverse-
ment des normes place les jeunes dans un triple statut de médiateur (linguistique,
culturel et social) à l’interface des rapports intrafamiliaux, des liens interculturels et
des instances de socialisation (Dabène, 1994 ; Leconte, 1997 ; Perregaux et al.,
2006).
La mobilité, dès lors, apparaît comme un accélérateur autogène d’expériences et
permet, indépendamment de l’âge, le passage à de nouvelles conceptions du sta-
tut d’aîné :
Mam-PC.
et d’une certaine manière parfois on peut arriver à reconstituer une per-
sonne âgée qui ne l’est pas dans le sens classique africain donc on pourrait
aller chercher quelqu’un qui est dans la cinquantaine qui en Afrique ne serait
pas probablement une personne âgée mais comme étant la personne la
-30-
Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
-31-
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
Pourtant, dans leur premier contact avec l’école francophone au Canada, les pa-
rents des élèves se trouvent pris dans un double jeu de déni linguistique et cultu-
rel. Alors même que le français a constitué la clef de voûte de l’édifice scolaire
africain francophone au début du XXe siècle et que l’école africaine s’est construite
sur un monolinguisme en français, même au moment des indépendances (Spaëth,
2005 : 186-187), l’accès à l’école francophone au Canada leur paraît s’inscrire
dans un modèle linguistique élitiste, qui ne les reconnaît pas en tant que franco-
phones légitimes. Ce désaveu ressenti radicalise les discours en alimentant pour
les nouveaux arrivants des représentations issues du modèle colonial et de la dé-
colonisation :
Ma-Pa.
[…] le français est une langue qui nous ét[é] imposée/ une langue de coloni-
sation . nous n’avons pas choisi le français on nous l’avait imposé moi je ne
veux pas imposer une langue à mes enfants . c’est tout simplement une
langue de colonisation une langue internationale . une langue des Nations
unies . ils ne font pas ça parce que nous l’avons choisi ce sont les circons-
tances historiques et même mondiales . mais malheureusement c’est à tra-
vers la souffrance que nous avons appris cette langue . c’était une langue
de colonisation […] ce sont les circonstances de l’histoire qui les a mis dans
ces circonstances là … ils le font . une manière de ce battre … mais ce n’est
pas parce qu’ils aiment cette langue cette langue n’a pas de connexion émo-
tionnelle ni civique par rapport à nos enfants .. c’est une langue de colonisa-
tion
En même temps, pour les parents éduqués dont la culture scolaire s’est vécue en
français, le français est resté une langue de référence, le produit figé d’une histoire
sociale coloniale et postcoloniale :
« La culture scolaire se vit en français, langue le plus souvent non mater-
nelle qui participe pourtant de plein droit à la construction du citoyen et qui
constitue un pôle cognitif indispensable puisqu’elle est à la fois au centre
des apprentissages et qu’elle sert de véhicule à l’ensemble des disciplines »
(Spaëth, 2005 : 187).
Le français que les familles migrantes africaines rencontrent au Canada ne res-
semble donc pas à celui qu’ils ont connu dans leurs expériences passées. Ils s’en
trouvent ainsi dépossédés à différents niveaux, sans réussir pour autant à se re-
construire dans une identité plurilingue africaine, susceptible d’aider à dépasser le
morcellement communautaire, l’oubli et la séparation :
« Parallèlement à cette nécessaire acclimatation linguistique, les migrants
ont cependant besoin, pour l’image qu’ils se font d’eux-mêmes, pour garantir
leur identité sociale et culturelle, de construire un répertoire langagier qui
s’appuie sur l’ensemble de leur expérience de vie : l’apprentissage de la
langue d’accueil, en effet, ne saurait avoir lieu dans de bonnes conditions si
les langues d’origine sont niées ou dévalorisées, si l’apprenant doit en
quelque sorte oublier ce qu’il sait, faire table rase… et reconstruire sur ce
terrain dévasté » (Conti et De Pietro, 2005 : 8-9).
-32-
Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
Or, ces langues lignagières qui inscrivent les jeunes francophones dans leur filia-
tion africaine se trouvent elles-mêmes fragilisées :
Mam-PC.
je pense que c’est une réalité quand les enfants qui arrivent dans les écoles
francophones ne parlent pas français pour deux raisons . la première c’est
que la grande partie des enfants qui sont dans nos écoles francophones
maintenant viennent des camps de réfugiés . ils sont nés là-bas ou ils sont
arrivés très jeunes et ils ont évolué … ils avaient déjà commencé à ap-
prendre un peu de français dans les écoles et rapidement…ils ont interrom-
pu leurs études pour aller dans des camps de réfugiés . 5 ans . 7 ans 8 ans
après il ne reste plus rien . même dans les mécanismes de survie . s’ils sont
en Tanzanie ou au Kenya . la langue qu’ils vont essayer d’apprendre le plus
ça va être l’anglais ou le swahili . donc le français va être relayé en deu-
xième position pour des raisons de survie
-33-
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
migrant (S1 dans S2) est l’exportation dans la nouvelle société, notamment à
l’école, des savoirs antérieurs ; le savoir intégré (S1 sur S2 ou S2 sur S1) définit
l’attachement à l’intégralité de la tradition ; le savoir intégrant (S3) produit un nou-
veau savoir, aux formes culturelles inédites, et un autre rapport au monde.
Mou-PC.
oui . ça peut arriver que ça peut arriver que peut-être qu’ils ont une construc-
tion dans leur tête déjà mais je crois aussi que non seulement ils ont une
construction dans leur tête . mais ils ne comprennent pas du tout le système
ici
Les effets de discontinuités liées aux effets de distanciation entraînée par
l’expérience de la mobilité offrent aussi la possibilité de lier autrement les événe-
ments et les expériences passées et présentes, et d’en reconstruire les cohé-
rences à venir. Le savoir est appréhendé, investi par les jeunes comme un capital ;
il est perçu, transmis et réapproprié comme tel par ces acteurs. L’école s’inscrit
alors pour les jeunes comme une ressource qui contribue à leur résilience (Cyrulnik,
1998 et 1999 ; Gakuba, 2004).
Du côté de l’instance éducative, la faiblesse de leur nombre semble entraîner les
dysfonctionnements et les écarts d’interprétation pour les situations. Les ensei-
gnants se sentent ainsi démunis devant leurs élèves, dont les expériences de vie
et les savoirs ordinaires leur sont inconnus, et ne paraissent pas leur permettre
une participation engagée et réussie dans la vie scolaire :
Phil-Adm.
vous savez . imaginons que . quand vous êtes les seul enfant noir dans
l’école . c’est très difficile . y’en avait trois quand je suis arrivé . maintenant il
y en a quasiment dans toutes les classes . y’ a plusieurs dans les classes .
ou Africains ou Maghrébins . les enfants se sentent plus à l’aise . et aussi il
faut comprendre qu’on a besoin de modèles qui viennent des minorités vi-
sibles . j’ai fait un effort de recruter des enseignants venant des minorités
visibles . ça se voit et les enfants se reconnaissent au travers du corps en-
seignant
Entretien collectif enseignants
moi je n’ai jamais connu d’Africains avant de travailler avec ces personnes
… je n’avais aucun arrière plan … moi je me sens très très mal équipé
[…]
alors on est mal préparés pour comprendre c’est quoi la dynamique de fa-
mille chez ces familles-là . et mal équipés parce que ils ont des besoins par-
ticuliers . des besoins . euh . on leur demande de s’ajuster à un mode de vie
qui inclut l’école mais c’est pas juste l’école . on leur demande de s’ajuster à
un mode de vie à l’intérieur d’une période de temps avec des demandes très
rigides . faut que tu sois ici à telle heure . faut que tu sois . être assis à ton
pupitre . je veux dire . c’est pour ça que tu es ici . on leur demande … tiens
le crayon comme ça . la toilette est au bout du couloir . des demandes très
très précises sans aucune période de transition pour ces enfants-là . sans
aucune période d’orientation pour ces enfants-là . on n’a pas le temps, alors
-34-
Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
-35-
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
Ces voix croisées mettent en lumière les disjonctions et les ruptures entre les
expériences de vie et de scolarité dans les pays quittés, les pays de transit et le
pays d’accueil, mais aussi les modes de reconstruction située de ces expériences.
En particulier, un nombre conséquent de ces jeunes accueillis à l’école
francophone n’ont qu’une expérience ténue de l’école – celle des camps de
réfugiés –, où la transmission des savoirs s’est faite de manière sporadique, et
s’est centrée sur la construction de savoirs et de savoir-faire de survie. Ces enfants
souffrent aussi de l’érosion des repères traditionnels liée à la dislocation des
familles consécutive à l’expérience de guerre. La transmission intrafamiliale et
intergénérationnelle des langues et des savoirs se trouve (inter)rompue, et doit être
remplacée par d’autres formes de médiation dans le nouveau pays. Ainsi, le rôle
normalement attribué, par exemple, aux Aînés dans les rituels de guérison
accompagnant les traumatismes sociaux de divers ordres doit être redistribué au
sein des communautés, de manière transnationale et/ou transethnique, alors
même que les groupes semblent importer les conflits intergroupes dans le nouveau
pays (Jacquet, Moore et Sabatier, 2008). Cette réaffiliation s’établit sur des bases
d’expérience et de leadership et non plus en fonction de l’âge et des langues
parlées. Dans cette nouvelle donne de médiation culturelle, le français investit un
rôle nouveau pour les groupes concernés : il porte pour ceux-ci l’espoir d’une
nouvelle unité dans l’ouverture d’un avenir commun.
Dans le contexte sociodémographique en transformation que nous avons décrit,
les partenaires impliqués dans l’intégration des jeunes élèves d’origine africaine
dans le système francophone s’interrogent sur les meilleurs moyens à leur disposi-
tion, pour répondre, de manière concertée, à un double défi : celui de la prise en
compte d’une diversité des points de vue dans l’interprétation des situations, et
celui du décentrement culturel et éducatif qu’elles invoquent :
« […] il faut que les systèmes éducatifs, qu’ils soient officiels ou pas, obliga-
toires ou non, élaborent des politiques et mettent en œuvre des schémas et
des organisations d’apprentissage [des langues] qui encouragent une com-
pétence intégrée et la conscience que les apprenants disposent déjà de ré-
pertoires et qu’ils sont capables de les enrichir et de les adapter en fonction
des changements de circonstances » (Beacco et Byram, 2002 : 43)
Ce défi porte aussi en soi une interrogation sur la nature des liens entre les cultures
linguistiques et les cultures éducatives de transmission, et permet de penser la mé-
moire comme un levier d’apprentissage. Tout contexte est marqué par la pluralité des
langues (Coste, 2005) et la pluralité des discours (Porquier et Py, 2004) :
« Pluralité des langues, diversité des contextes, parcours et trajectoires com-
plexes des acteurs sociaux, instances multiples de socialisation de l’homme plu-
riel : voilà qui ne plaide guère pour une didactique uniformisante arc-boutée sur
quelques principes méthodologiques passe-partout » (Coste, 2005 : 10).
Les modèles de transmission alors privilégiés se fondent sur une culture didactique
du plurilinguisme appuyée sur le respect des modes diversifiés d’apprentissage, en
cherchant à développer des articulations entre les expertises familiales, commu-
nautaires et scolaires, ainsi que des ressources dont tout enfant devrait pouvoir
bénéficier : une approche de la transmission appuyée sur le partage des savoirs
d’expérience des jeunes, de leurs familles et des partenaires communautaires. Les
-36-
Voix africaines à l’école de la Francophonie canadienne
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-39-
Danièle Moore, Cécile Sabatier, Marianne Jacquet et Mambo Masinda
Conventions de transcription
: allongement
/ interruption – chevauchement
… pause longue
? ton montant
XX segment incompréhensible
[…] coupure
Mam- participant
El. élève
Enq. Enquêteur
-40-
REPRÉSENTATIONS
ETHNO-SOCIOLINGUISTIQUES
ET APPRENTISSAGE DU FRANÇAIS :
UNE ÉTUDE EN CONTEXTE MIGRATOIRE
À MONTRÉAL
INTRODUCTION
Montréal, moteur économique1 du bastion francophone en Amérique, détient éga-
lement le quasi-monopole de la population migrante et concentre environ 80 % des
nouveaux arrivants du Québec (MICC, 2003 : 29 ; Armand, 2005 : 142 ;
Mc Andrew, 2001 : 5). Ces caractéristiques en font une métropole hautement plu-
riethnique et plurilingue de 120 « communautés culturelles »2 et de 75 langues3
(CMM, 2006). Dans un Québec qui fait de la langue, le porteur de sa spécificité
identitaire, la migration est vue comme un « défi linguistique » (Mc Andrew, op.
cit.). C’est d’abord sur ce volet que l’intégration des migrants a donc été pensée.
En 1968-1969, le ministère de l’Éducation a mis en place un programme d’études
spécialisé pour favoriser la francisation des élèves allophones en « classe
d’accueil » (CA) avant leur inscription en « classe ordinaire » ou « classe régu-
lière » (CR). En 1977, la loi 101 est ensuite venue cristalliser la puissance de
l’affirmation linguistique au Québec en attribuant le statut exclusif de langue offi-
cielle (OQLF, 2006) au français. Afin de concilier projet de langue commune et
diversités sociolinguistiques, le Québec mise sur le pluralisme social en présentant
les communautés migrantes comme un « apport précieux pour le développement
du Québec » (OQLF, 2007 : L.R.Q., chap. C-11.). Le brassage linguistique qui en
résulte fait de Montréal une ville possédant un taux de multilingues sans pareil au
Canada : 44 % des allophones s’y déclarent trilingues (Lamarre, 2001). Dans ce
contexte, l’École constitue un observatoire sociolinguistique riche puisque les diffé-
1
48 % de la population du Québec ; 49 % de l'emploi ; 50 % du PIB québécois (CMM, 2006).
2
Expression inclusive selon le MICC (2006b : note) car elle « fait référence aux personnes immigrantes,
aux personnes des minorités visibles et aux personnes issues de l’immigration autre que française ou
britannique qui sont nées au Québec. », cf. aussi MICC, 2006a et Mc Andrew et Ledoux, 1995 : 162.
3
Chiffres du recensement 2001 de Statistique Canada. Les estimations diffèrent selon la définition de la
variable « langue » car dans une approche moins restrictive, on parle aussi de « 150 langues »
(Armand, 2005 : 142). Voir aussi le portail du Gouvernement du Québec :
<http://www.montreal.gouv.qc.ca>, dernière mise en ligne : 21/04/07.
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
4
Voir aussi : les publications de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse,
[Internet] : <http://www.cdpdj.qc.ca>. Mise en ligne : 02/02/07 ; Mc Andrew (2006), « Pour un
débat inclusif sur l’accommodement raisonnable », Forum ; vol. XLI, n° 15, [Internet] :
<http://www.iforum.umontreal.ca/Forum/2006-2007/20061211/courrier1.html>, mise
en ligne : 15/12/06.
-42-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
-43-
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
1.3. Contextualisations
5
Programme d’éveil au langage et ouverture à la diversité linguistique, [Internet] :
<http://www.elodil.com>, mise en ligne : 21/04/07.
6
Le FLC nous paraît plus adéquat pour désigner le français, objet commun mais pas uniquement ré-
servé à l’espace public et inversement, l’espace public n’est pas observé comme étant réservé unique-
ment au français.
-44-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
7
Données pour la population de 15 ans et plus.
-45-
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
8
Conventions de retranscriptions :
(I) : informateur avec ordre de prise de parole lorsque plusieurs participants
(E) : enquêtrice
(italique) : descriptions d’interactions non verbales
MAJUSCULE : intonation marquée
9
L’identification des sujets informateurs inclut : le pseudonyme, (le sexe ; l’âge).
-46-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
-47-
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
(I) : non parce qu’elle dit toujours ça ! j’sais pas c’est quoi son pro-
blème mais je la dis « c’est UN film / elle elle dit « c’est UNE
film » /
[E.O.I. 24_01 ; (F : 9A) ; CR3].
Cette attitude est également percevable chez d’autres élèves allophones qui ont
franchi les premiers paliers de l’apprentissage du FLC et normé à l’école. Ils sont
souvent remarqués comme ayant réussi certains passages initiatiques (distinctions
académiques, sollicitations des pairs pour les aider en cours, désignation par les
enseignants pour aider les autres…). Ainsi situés au-dessus de la moyenne, on
peut croire qu’ils éprouvent moins de complexes communicatifs dans la langue
nouvelle et qu’ils se sentent ainsi représentants de cette dernière. La reconduction
des règles linguistiques auprès des autres, sous forme de tutorat en classe ou de
remarques informelles, marque alors une nouvelle appartenance sociolinguistique.
L’élève à même d’aider ou de corriger les autres devient « expert ». Lorsque ces
interactions visent en partie à s’approprier le code normatif pour servir de modèle
de référence soi-même, on peut aussi parler du « syndrome de la réussite linguis-
tique » : l’apprenant locuteur jouit d’un statut nouveau et convoité en intégrant
l’élite située. Il tend ensuite à s’irriter des écarts de ceux, « débutants », dont il se
différencie désormais (Razafimandimbimanana, 2007).
-48-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
ainsi mises en exergue et présentées comme faisant partie d’un tout : les langues du
monde. La perception des élèves vis-à-vis des langues s’en trouve modifiée. Dans
les CA, cette approche permet de « déhiérachiser » le statut des langues en pré-
sence : entre celles qui sont valorisées ou non. Cela empêche ainsi la stigmatisation
des élèves selon leur(s) langue(s) d’origine. Les locuteurs de certaines langues font
parfois l’objet d’ostracisation, comme l’une des chercheures a pu l’observer dans une
CA de Montpellier qui accueillait une majorité d’élèves marocains. Plusieurs de ces
élèves étaient berbérophones et subissaient passivement les remarques désobli-
geantes de leurs compatriotes qui eux, étaient arabophones, sans y trouver à redire.
Ils avaient en effet intégré le fait que leur langue n’était qu’un patois honteux et que
les quolibets qu’ils recevaient en parlant leur langue en public étaient mérités.
Chez certains profils, l’économie de la diversité peut ainsi être motivée par un con-
tentieux ethno-sociolinguistique. Ayant vécu le sentiment d’exclusion en raison
d’une pratique linguistique, Charbel (G ; 12A), qui dit parler arménien, arabe, fran-
çais, anglais, précise ensuite qu’il n’aime pas l’arabe et s’en explique :
Extrait n° 3
(I) : Arabe, j’aime pas /
(E) : L’arabe t’aimes pas, pourquoi ?
(I) : Je ne sais pas parce que comme… / il y a des personnes ici, si tu
dis que tu parles arabe, il dit que… / ils te regardent comme… / il
fait comme quelque chose comme t’es pas bon / comme ça…
(grimace)
[E.O.G. 27_03 ; (G : 12A, G : 11A) ; CA1].
Charbel ne prône pas l’unilinguisme mais pour lui, l’arabe est synonyme de singu-
larité ethno-sociolinguistique et donc de marginalisation sociale. Il lui est donc diffi-
cile d’assumer cette langue. On dépasse le cadre de l’insécurité pour atteindre
celui de l’inhibition identitaire. Sensible au regard mais surtout à la reconnaissance
intégrative de l’Autre, il dit aussi moduler ses discours identitaires :
Extrait n° 4
(I1) : moi j’aime pas dire libanais j’aime dire arménien /
(E) : pourquoi ?
(I1) : j’sais pas parce que personne aime Liban /
[Idem que supra].
Les approches visant la promotion des langues sont donc des outils didactiques
puissants qui valorisent l’élève dans ses savoirs, modifiant sa perception de lui-
même.
-49-
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
l’identification d’« experts en français ». Cette mise en avant du « bon élève » peut
instaurer une hiérarchisation pesante et déstabilisante pour les profils plus vulné-
rables. Mariva (F ; 11A), dans l’extrait cité plus haut, pouvait sentir la pression des
pairs comme une forme d’exclusion. L’accumulation de marqueurs identitaires
différentiels peut amplifier le rejet situationnel, par exemple, lorsque les statuts de
migrants, d’élève en CA, de locuteur débutant, de plurilingue, etc. sont vécus de
manière dévalorisante. Or, la distinction des élèves selon leur degré de maîtrise
linguistique peut aussi créer une compétitivité saine et stimulante. C’est ce que
démontre le projet d’éveil à la diversité linguistique : ELoDil (Armand et Dagenais,
2005 ; Maraillet, 2005 ; Maraillet et Armand, 2006). L’élève « expert » peut devenir
« tuteur » et se voir reconnu dans sa progression sans être dissocié du groupe. Le
lien d’interdépendance est ici assuré par une démarche de solidarité et d’entraide
mutuelle. Le « novice » et « l’expert » trouvant soutien et complémentarité pour
parfaire leurs connaissances. En classe, cette approche permet de travailler selon
les principes de la pédagogie différenciée (Legrand, 1995 ; Meirieu,1987 ; Peret-
ti A. de, 1987). En effet, en permettant aux élèves les plus avancés dans leur ap-
prentissage de soutenir leurs camarades, on fait en sorte que l’expertise de cer-
tains soit au service de tous :
- de l’enseignant qui peut ainsi « gérer l’hétérogénéité » de sa classe en uti-
lisant les potentialités de chacun et en multipliant les sources de savoirs ; il
n’est plus le seul détenteur des connaissances ; cela renforce le sentiment
d’intégration des élèves qui deviennent acteurs de leur apprentissage ;
- des élèves experts, valorisés dans leur maîtrise des compétences, qui de-
viennent « passeurs langagiers » ;
- des élèves novices qui apprennent ainsi par et avec les autres ; ce qui a
pour effet de diminuer les phénomènes d’exclusion ; l’entraide étant valori-
sée cela influe positivement sur la cohésion du groupe.
Cette démarche rejoint celle mise en place par Nathalie Auger (2005). Ce docu-
ment illustre une posture didactique très intéressante qui vise à centrer
l’apprentissage en CA sur la comparaison des langues en présence dans la classe.
Cette posture est basée sur le postulat que les élèves allophones nouvellement
arrivés ne sont pas des tabula rasa mais qu’ils sont riches de connaissances qui
font d’eux des experts, notamment de leur(s) langue(s) maternelle(s). Ce statut
d'élève-expert leur donne une position différente dans la classe et bouleverse les
rôles traditionnels. L'approche est doublement bénéfique puisqu’elle permet de
mettre en avant la « plurilinguicité » de la classe tout en valorisant l’apprenant.
-50-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
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Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
-52-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
4. PERSPECTIVES
Nous avons vu que dans un contexte de négociations intercommunautaires11, le
rôle de l’École, « plaque tournante12 de la socialisation enfantine » (Darmon, 2006 :
60-6), est essentiel puisqu’elle est le lieu où se construisent et s’impriment des
11
Voir les récents débats autour des accommodements raisonnables : « Obligation juridique découlant
du droit à l’égalité, applicable dans une situation de discrimination, et consistant à aménager une norme
ou une pratique de portée universelle, en accordant un traitement différentiel à une personne qui, au-
trement, serait pénalisée par l’application d’une telle norme. Il n’y a pas d’obligation d’accommodement
en cas de contrainte excessive. », allocution de Marc-André Dowd, président par intérim, Montréal : 17
novembre 2006. « Accommodements raisonnables : éviter les dérapages. », commission des droits de
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ments raisonnables. », [Internet] : <http://www.csdm.qc.ca/Csdm/pdf/Accommodements3e.pdf>,
mise en ligne : 01/05/07.
12
Référence au regroupement des institutions et des professionnels qui interviennent sur l’encadrement
de l’enfance au sein du même lieu social qu’est l’école (Darmon, 2006 : 61).
-53-
Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
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Elatiana Razafimandimbimanana et Virginie Doubli-Bounoua
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-58-
Représentations ethno-sociolinguistiques et apprentissage du français
-59-
CONTEXTES
FRANCOPHONES
PARADOXES DE L’ENSEIGNEMENT DE
FRANÇAIS EN LOUISIANE : QUELLES
PERSPECTIVES DIDACTIQUES POUR
QUEL FRANÇAIS ?
Céline DOUCET
INTRODUCTION
Bannie et interdite dans les écoles pendant la première moitié du XXe siècle, la
langue française n’était plus transmise de façon orale en Louisiane jusqu’à la fin
des années soixante. Réintroduit dans le système éducatif louisianais grâce au
programme Codofil, l’enseignement du français est maintenant obligatoire dans les
écoles primaires et secondaires depuis 1983.
La présence historique du français dans cette partie du Sud des États-Unis et la
diversité des parlers français louisianais posent la question de la contextualisation
de l’enseignement de la langue française. Dans ce contexte sociolinguistique com-
plexe, quel français enseigne-t-on à l’école et pourquoi ce choix ? Quelles sont les
orientations didactiques choisies et appliquées pour l’enseignement du français en
Louisiane ? Le programme proposé répond-il aux attentes des apprenants ?
Avant de proposer une interprétation de la situation et des objectifs didactiques de
l’enseignement du français et de leur adéquation à la demande sociale, nous re-
viendrons sur l’histoire du français en Louisiane et les variétés du français louisia-
nais pour comprendre les politiques linguistiques et éducatives prônées et leur
mise en œuvre.
1. LE FRANÇAIS EN LOUISIANE
-64-
Paradoxes de l’enseignement de français en Louisiane
lée de nos jours en Louisiane, les Cadiens étant le groupe francophone le plus
majoré. Le cadien, retransmis oralement de génération en génération, principale-
ment par le biais des savoir-faire et des chansons cadiennes traditionnelles, est
constitué de dialectes régionaux, par exemple, le français du bayou Lafourche se
distingue de celui de la paroisse de Vermilion ou de la paroisse d’Évangéline.
Cette diversité pose ainsi le problème de la norme mais n’empêche pas l’existence
d’une littérature cadienne florissante.
Ce peuple défavorisé socialement, rejeté d’Acadie par les Anglais puis par les
colons français à leur arrivée en Louisiane, a longtemps vécu isolé dans les ba-
yous, dans le sud de l’État. Malgré une certaine stigmatisation à leur égard asso-
ciée à un rejet de la langue cadienne, les « poor white French speaking trash »
(Griolet, 1986) – nommés ainsi par les Américains jusqu’à la seconde guerre mon-
diale – ont su maintenir leur langue et leur culture pendant plus de deux siècles
grâce à leur tenace isolement. La création d’un drapeau cadien en 1955 est venue
couronner le désir de préserver l’identité cadienne et de perdurer dans une société
américaine de plus en plus présente.
La francophonie louisianaise doit donc aux Cadiens une grande partie de sa vitalité
et de son originalité.
-65-
Céline Doucet
-66-
Paradoxes de l’enseignement de français en Louisiane
1
Lafourche Parish Schools, Elementary Foreign Associate French Teachers, August 13, 2004.
2
“Instruct students in P.E., music, art or other selected activities assigned by the principal through the
French Language”, Lafourche Parish Schools, Elementary Foreign Associate French Teachers, August
13, 2004.
-67-
Céline Doucet
ces disciplines – ne faisant pas partie du cursus scolaire louisianais – aux ensei-
gnants de français. Être musicien, sportif ou artiste est considéré comme un atout
pour venir enseigner le français dans les écoles louisianaises. Le statut des ensei-
gnants reste flou et l’enseignement du français semble considéré comme un en-
seignement mineur dont s’indigne cette enseignante : « peut-être qu’on se sert un
peu trop de nous style nous faire devenir prof de sport […] quand je vais dehors
quand on me dit de faire de l’échauffement et tout, moi je ne sais pas faire ça, […].
Non, on se sert trop de nous, c’est un peu la poubelle. »
Au niveau pédagogique, c’est également la commission scolaire de la paroisse qui
décide du matériel de français. Si le matériel pour le français ne fait pas partie des
priorités de l'école ou du directeur, il n'y aura pas d'achat d’équipement pédago-
gique, de plus les moyens financiers de l'État mis à la disposition des commissions
scolaires sont très souvent limités. Par conséquent, certains enseignants ne dispo-
sent d'aucun matériel didactique dans leurs écoles et doivent créer leur propre
matériel ou utiliser des documents authentiques.
L’enseignement du français dépend donc de plusieurs facteurs locaux : la politique
d’enseignement des écoles, leur intérêt pour le français et les moyens financiers
mis en œuvre pour l’enseignement du français. Face à ce système décentralisé, il
n'y a pas d’uniformisation de l'enseignement du français dans l'État de Louisiane.
De plus, cette situation souligne un certain paradoxe entre la lutte du Codofil pour
l’enseignement du français dans les écoles et son manque de pouvoir dans les
établissements, ce qui met également en valeur la fragilité du programme.
-68-
Paradoxes de l’enseignement de français en Louisiane
caractère de xenité se réitère dans les enquêtes réalisées auprès des apprenants
et de leurs parents à l’aide d’entretiens semi-directifs pour les uns et de question-
naires pour les autres. En effet, les apprenants des écoles primaires et secon-
daires interrogés pensent que « it’s important because it is a different language, to
talk with other people who don’t know English but speak French, because you
need to know something more than English ».
Les parents de ces apprenants soulignent davantage le caractère utile (useful et
handy) d’une langue étrangère. Une « valeur marchande » (Calvet, 1999) est con-
férée au français et non pas une valeur identitaire.
On s’aperçoit que le français est considéré comme une langue étrangère comme
une autre, très peu de témoins faisant le lien avec l’héritage linguistique de la Loui-
siane. Une nouvelle fois, il y a une discordance dans cet enseignement du français
entre l’envie de préserver un héritage linguistique et historique qui n’est pas consi-
déré comme tel par les personnes concernées par le programme.
Les orientations pédagogiques mises en place relèvent de la pédagogie du FLE et
vient renforcer l’idée que le français est enseigné comme étant une langue étran-
gère. Selon nos données et notre expérience sur le terrain, l’enseignement-
apprentissage du français en Louisiane s’intègre plutôt au domaine du FLE. Les
qualifications requises pour obtenir un poste d’enseignant de français en Louisiane
sont, en matière pédagogique, les suivantes : « posséder un diplôme en didactique
du français langue étrangère et justifier de trois ans d’expérience dans
l’enseignement ».3 Les résultats des enquêtes montrent que les qualifications des
enseignants sont relativement variées tout en restant dans le domaine des langues
enseignement du français ou de l’anglais et que tous les enseignants de nationalité
française détiennent un diplôme de FLE et une expérience plus ou moins longue
dans l’enseignement du FLE.
En début de chaque année scolaire, le guide Louisiana Foreign Language Content
Standards publié par le département de l’Éducation louisianais est distribué aux
enseignants. Cet ouvrage propose des objectifs et des parcours méthodologiques
pour l’enseignement des langues étrangères en Louisiane. Le français partage
donc le même curriculum que les deux autres langues étrangères enseignées en
Louisiane : l’espagnol et l’allemand. Il n’existe donc pas de curriculum ni d’objectifs
communs pour l’enseignement du français. Dans la paroisse où ont eu lieu les
enquêtes, la commission scolaire a choisi deux manuels FLE que les enseignants
sont libres d’utiliser ou non : Alex, Zoé et Cie 1 et 2 (CLE International, Paris) et
Acti-vie (Nelson Education, Ontario). On donne donc aux enseignants des orienta-
tions et des pistes pour que le français soit enseigné comme une langue étran-
gère.
Nommé FLS par le Codofil, l’enseignement-apprentissage du français en Louisiane
est considéré comme un enseignement d’une langue étrangère comme une autre
par les enquêtés. De même, les choix pédagogiques appliqués semblent être
adaptés à un jeune public dans un contexte FLE. Un nouveau décalage se fait jour
entre la perception de l’enseignement du français par le Codofil et par les intéres-
sés et des actions mises en œuvre sur le terrain.
3
[Internet] : <http://www.codofil.org/francais/enseignants.html>.
-69-
Céline Doucet
-70-
Paradoxes de l’enseignement de français en Louisiane
CONCLUSION
L’enseignement-apprentissage du français dans les écoles louisianaises dépend
de décideurs dont les objectifs divergent entre le désir d’une ouverture de la Loui-
siane sur la scène internationale, la préservation d’un héritage culturel, la revendi-
cation d’une identité et la revitalisation du parler vernaculaire cadien. Cette situa-
4
Écrit par Mary Alice Fontenot, coll. « Pélican ».
-71-
Céline Doucet
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-73-
FRANÇAIS ET CRÉOLE EN CLASSE :
POUR UNE DIDACTIQUE
« RÉSONNANTE »
Sylvie WHARTON
INTRODUCTION
La Réunion, département français d’outre-mer, présente une situation de contact
entre le créole réunionnais et la langue qui lui a fourni l’essentiel de son matériau
lexical, le français. Au plan du répertoire verbal des enfants qui intègrent le sys-
tème scolaire, cela se traduit par une configuration complexe de celui-ci, fait de
créole et de français certes, mais aussi de formes interlectales relevant de la ren-
contre syncrétique des deux codes linguistiques, eux-mêmes étant par ailleurs déjà
inscrits dans une histoire mêlée. C’est dire si l’enseignement du français (dont les
objectifs impliquent une différenciation français normatif/autres variétés françaises
et créoles) peut se révéler délicat, quand on a du mal à estimer l’exacte capacité
des élèves à distinguer des langues qui, de fait, ne sont pratiquement jamais dis-
jointes dans leurs expériences pragmatiques quotidiennes et qui par ailleurs, du
fait du cousinage (sinon de la gémellité) de leur matériau lexical, prédisposent à
l’installation de stratégies d’intercompréhension. Sans se risquer sur le terrain ô
combien controversé (et « controversable » !) des statistiques de l’illettrisme, force
est de constater que les évaluations nationales faites au collège en 6e pointent des
scores réunionnais sensiblement inférieurs au scores nationaux, y compris à caté-
gories socio-professionnelles des parents égales. C’est ce qui justifie le fait que
l’élaboration d’une didactique du français contextualisée ait toute son importance à
La Réunion, là où ni la didactique du français « langue maternelle », ni la didac-
tique du français « langue étrangère », ni enfin la didactique du français « langue
seconde » ne sont tout à fait adaptées (Wharton, 2006). Ainsi, loin de se limiter à
une problématique insulaire et territorialement bornée, cette réflexion peut – au
contraire – fertiliser une réflexion pour d’autres situations aux contours sociolin-
guistiques voisins, ou comparables (p. ex. Blanchet et Asselah-Rahal, 2007).
Il sera question, ici, d’une démarche mise en place à titre expérimental à l’école
élémentaire, qui traite des deux langues, créole et français, dans une même sé-
quence d’apprentissage. Ces chevauchements translinguistiques ne manquent pas
de surprendre la communauté éducative, qui voit là un risque d’accroître la confu-
sion.
Quels savoirs sont effectivement mobilisés lors des interactions dans la classe au
cours de telles séances ? C’est la question autour de laquelle ce travail s’est articu-
lé. On justifiera nos choix didactiques par un examen du développement langagier
dans un tel contexte.
Sylvie Wharton
1
La théorie de la dissonance cognitive est une théorie fondamentale de la psychologie sociale, portant
sur l’univers cognitif des individus à travers les représentations ou cognitions qu’ils en ont. Dans le cas
d’une organisation harmonieuse des éléments de cet univers cognitif, on parle de consonance, alors
qu’un état de tension ou de malaise traduit une dissonance cognitive.
2
Wharton, 1995.
3
Au sens bourdieusien, ensemble de dispositions acquises, d’habitudes enregistrées de manière in-
consciente guidant les conduites (Bourdieu, 1980)
4
Comprise comme la volonté de l’apprenant de rapprocher les formes de son interlangue vers les
formes de la langue utilisée par les natifs, B. Py, 1992.
-76-
Français et créole en classe
5
Nous utilisons « compétition » en nous appuyant sur le modèle de Mac Whinney (2004), mais en
élargissant le concept à la sphère sociolinguistique.
6
On entend « écologique » comme étant relatif aux conditions d’existence, c’est à dire au contexte.
-77-
Sylvie Wharton
à canne) ou a pié (à pied) » (Armand, 1987). De sorte que, ici, on peut, soit consi-
dérer qu’il y a intrusion d’une préposition dans une phrase créole (et la prosodie
nous y inciterait), soit considérer que « a et rwa » est un segment français, que l’on
graphierait alors « à être roi », même s’il est réalisé en « français oral ordinaire » :
[…]
c’est bien. Et qu’est-ce que vous feriez… vos amis, pour les re-
mercier, si vous étiez Pitou, si vous étiez roi et reine, comment
vous remercieriez vos amis ? koman ou di azot mersi (comment
vous dites merci) ?
[…]
et après ? tu te rappelles encore ? (utilisation de « encore » au
sens créole, c’est-à-dire « alors »)
comment on dit en créole quand quand vous ne savez pas faire
quelque chose ? alé, koman ou di (allez, comment tu dis)?
kan nou koz kreol nou di komsa (quand on parle créole on dit
comme ça) ? allez Alan, dis moi une bonne phrase en créole là …
ou par des énoncés interlectaux :
alé j’vous donne kek choz la difisil, vous dites metre :s… koman ou
di ? (énoncé produit avec une prosodie créole marquée)
[…]
koman ou dites ? (en créole on aurait : koman ou di)
Ainsi, alors que l’environnement linguistique fournit au jeune Réunionnais un input
« macrosystémique » (Prudent, 1993), c’est-à-dire constitué d’un ensemble pana-
ché de créole, de français et de matériau interlectal, comment aider à
l’apprentissage des frontières systémiques ?
Dans des textes précédents, nous avons proposé une revue critique et détaillée
sur le transfert potentiel, à La Réunion, d’approches didactiques existant ailleurs
(Wharton, 2006 et 2007) : didactique du FLE, didactique du FLS, éducation bi-
lingue, pédagogie convergente, éveil aux langues, approche contrastive, didac-
tique spécifique du français en milieu créolophone (Chaudenson, 2006). À partir de
ce travail, il a été possible d’échafauder un certain nombre de propositions didac-
tiques, dont l’objectif central concerne la mise en place chez l’apprenant de réso-
nances pragmatico-linguistiques. La partition disciplinaire scolaire est battue en
brèche, puisque les deux langues, créole et français, sont abordées conjointement,
dans une même séance, une même activité.
Cette contribution prend le parti de s’intéresser aux savoirs effectivement mobilisés
lors de séances relevant de cette approche, approche que l’on pourrait nommer,
au moins provisoirement et en attendant mieux, « didactique résonante » (désor-
mais DR), savoirs mobilisés donc à partir d’une étude à un niveau « micro », c’est
à dire au plan des interactions qui se déroulent au sein de la classe. L’activité dont
il va être question ici se focalise sur les productions interlectales d’élèves de l’école
élémentaire (CE1, CE2, CM1 et CM2) ; celles-ci font l’objet d’une réflexion méta-
-78-
Français et créole en classe
linguistique collective dans la classe. L’hypothèse que nous avons formulée est la
suivante : ces activités, loin de semer la confusion dans l’esprit des élèves, aident
au contraire ces derniers à établir une distinction entre langue créole et langue
française.
3. CONTEXTE DE LA RECHERCHE
L’école qui constitue le terrain de ce travail est située dans un quartier populaire de
Saint-Denis, chef-lieu du département (environ 140 000 habitants). Les familles
sont créoles, et utilisent majoritairement le créole dans leurs échanges quotidiens,
intra et extra-familiaux. L’enseignante qui anime les séances est expérimentée, et
dotée d’une solide formation universitaire en sciences du langage et en créolis-
tique. Elle est par ailleurs créolophone native. Pour les séances qui font l’objet de
nos investigations, la classe est divisée en deux groupes d’une dizaine d’élèves
chacun.
Ces séances (une dizaine), qui s’inscrivent dans les programmes officiels au titre
de l’« observation raisonnée de la langue » (désormais ORL), ont été filmées et les
interactions transcrites. Au fil des interactions, l’enseignante note au tableau les
phrases interlectales qui apparaissent dans les discours des élèves. Puis, elle
demande aux élèves d’observer ces phrases et de formuler des remarques. On
vise, in fine, à faire produire des énoncés équivalents en créole et en français et à
faire situer par les élèves les énoncés interlectaux entre les deux. Il faut préciser
qu’il n’est aucunement question de conduire les élèves vers une analyse terme à
terme qui aurait cherché à assigner telle forme à telle ou telle langue. Ils sont en
revanche incités à reformuler ces énoncés « autrement ». On escompte que les
enfants prennent eux-mêmes l’initiative de la mention de la ou des langues en
question, ce qui a effectivement été le cas. Une fois recensées, les propositions
sont classées, par les élèves, après échanges et formulations d ‘hypothèses, selon
qu’elles relèvent du créole, du français, ou des deux à la fois. En bref, distinguer et
nommer les langues en présence, mais également offrir un espace de reconnais-
sance à toutes les pratiques langagières des jeunes Réunionnais, qu’elles soient
créoles, françaises ou interlectales, tels étaient les objectifs centraux de la dé-
marche mise en œuvre. Ainsi déclinée, elle s’écarte donc de l’utilisation pédago-
gique classique de l’analyse contrastive à des fins puristes. En effet, nul souci ici
de nettoyer le français de « créolismes » ou autres « interférences ». Les énoncés
interlectaux font l’objet d’une réflexion métalinguistique, mais leur légitimité prag-
matique est confirmée.
Les données7 sur lesquelles repose l’analyse proviennent essentiellement de
l’enregistrement de séances d’ORL, mais elles sont complétées par des résultats
d’évaluations scolaires et des entretiens.
-79-
Sylvie Wharton
8
La personne s’exprime en créole. Ses propos sont ici traduits.
9
L’enseignante.
-80-
Français et créole en classe
E1 : ièr moin la parti la boutik pou mon mémé. Moin la parti fé komision
pou mon mémé. Ansuit la done a moin larjan moin la parti ashèt
zoignon, lay, dopin, coca, karé d’beur. Apré moin la rant la kaz
mon mémé la done a moin 10 € (hier je suis allée au magasin pour
ma grand mère. Je suis allée faire les commissions pour ma grand
mère. Ensuite elle m’a donné de l’argent et je suis allée acheter
des oignons, du lait, du pain, du coca, du beurre. Après je suis ren-
trée chez ma grand mère et elle m’a donné 10 euros).
Je peux dire en français ? Hier je suis partie à la boutique pour
faire des commissions pour ma mémé, ensuite j’ai acheté des oi-
gnons, de l’ail, des boîtes de grains, in tablette de chocolat
E2 : « in » lé an kréol, fo di an fransé (« in » c’est en créole, faut le dire
en français)
E3 : UNE tablette
E1 : oui une tablette de chocolat
E2 : Euh…Élisa a dit « mémé », mais « mémé » c’est en créole ?
« mamie » c’est en français
ENS : Si Elisa dit mémé et que « mémé » est un mot créole, quelle
langue a-t-on ?
E3 : En mélangé
ENS : On va vérifier si « mémé » est français, allez-y (Les élèves cher-
chent dans les dictionnaires.)
On voit donc qu’une conscience linguistique se met en place. Les élèves, peu à
peu, s’essayent à la distinction entre les langues.
Enfin, on relèvera que les élèves se définissent comme des sujets bilingues, dotés
d’une compétence bilingue dont ils apprennent les composantes :
ENS : Que pouvez-vous dire de ces deux personnes ? Elles ont deux
langues à leur disposition, elles les utilisent, elles sont ///
E1 : Elles sont bilingues !
E4 : Dan zot fraz, i pé avoir lé deu lang mé lé pa obligé (dans leurs
phrases on peut avoir les deux langues mais c’est pas obligé)
ENS : « Depi la finition 83 » ?( depuis la fin de l’année 83)
E6 : … Sa lé an fransé (c’est en français ça)
ENS : Non, en français on dira : depuis la fin de l’année 83. Que peut-on
dire des personnes bilingues, de vous puisque ce sont vos pa-
roles ?
E6 : On passe…français créole / parfois les deux
E2 : On est bilingue parce qu’on a deux langues et que…on parle une /
soit l’autre ou les deux ensemble
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Sylvie Wharton
ENS : Oui vous êtes bilingues cela signifie que vous avez deux langues
même si vous ne maîtrisez pas totalement vous les apprenez en-
core c’est normal comme tous les élèves et puis parfois vous les
mélangez. Mais pourquoi faut-il apprendre le français, le créole,
l’anglais, le créole mauricien pourquoi ?
E2 : Pour aller partout, pour comprendre
E1 : Pour travailler… pour pas se faire voler si on voyage
ENS : Que vous demande votre enseignante en classe ?
E5 : Faut bien parler et écrire en français sans mot créole l’orthographe
la lecture tout : y a beaucoup de choses
ENS : Oui à l’école on vous apprend le français sans mélange. Mais
pourquoi mélangez vous ? Et Madame Anas aussi ?
E5 : On connaît pas tout le temps comment i faut dire…
E6 : Bin oui si on connaît pas
ENS : Si on ne sait pas, que fait-on ?
E1 : On met le créole dans nout phrase
ENS : Oui on mélange, le mélange sa i rann a nou bien servis, si nou lé
an pane bin lé kom in rou d’ sekour mé le fransé osi i rann servis
(le mélange nous rend bien service, quand on est en panne c’est
comme une roue de secours, mais le français aussi il nous rend
service)
Les deux langues se rendent service elles sont comme des
amies…elles s’entraident et les mélanges, on peut les analyser
ensemble. Mais que se passera t-il au fur et à mesure que vous al-
lez mieux connaître vos deux langues ?
E6 : On sera pu en panne !
ENS : Et alors ?
E4 : On mélangera moins / on pourra choisir XXX
ENS : En dehors de la classe quand vous m’écoutez, est ce que je ne
parle que français, que créole ?
E1 : Tu mélanges aussi des fois tu parles des fois tu parles créole
ENS : Et pourtant je connais bien mes deux langues. Oui je mélange je
suis bilingue comme vous mais contrairement à vous, s’il faut ne
parler que français je peux le faire, que créole je sais le faire. Vous
devez arriver à ce résultat.
-82-
Français et créole en classe
-83-
Sylvie Wharton
voir se diluer la langue créole… Mais par ailleurs, on peut également admettre qu’il
puisse tout de même exister une, ou plutôt des formes de normes du créole, four-
nies par les outils métalinguistiques existants (dictionnaires, grammaires) d’une
part, mais aussi par le sentiment normatif des locuteurs natifs… finalement, légiti-
mement habilités à distinguer ce qui est créole de ce qui ne l’est pas… même si
cela implique une norme tellement polymorphe (presque individuelle) qu’elle perd
en valeur heuristique… et qu’elle fonctionne alors davantage comme emblème de
loyauté sociolinguistique, pouvant se laisser tenter par la « déviance maximale »…
Cette problématique apparaît cruciale sur le terrain de l’enseignement, les élèves
ne devant pas être pris en étau entre un purisme français qui nie au créole toute
qualité linguistique, et un purisme créole qui construirait une langue somme toute
étrangère aux Réunionnais. On comprend alors combien les représentations de
l’enseignant pèsent sur les décisions normatives qu’il doit sans cesse prendre
pendant son intervention pédagogique, et combien est nécessaire, en consé-
quence, une formation solide des enseignants en didactique « résonante », mais
aussi en créolistique et en sociolinguistique. Une telle formation permet alors à
l’enseignant d’adopter une position souple, et de sensibiliser ses élèves à la notion
de « norme » et plus précisément de norme, du créole :
ENS : An fransé kan deu moun lé pa dakor si in fason d’ fèr dan la lang,
kosa zot i fé ? kèl liv zot i sa vérifié dédan ? (en français, quand
deux personnes ne sont pas d’accord sur la manière de parler,
qu’est-ce qu’ils font ? dans quel livre ils vont vérifier ?)
E2 : nou regard dan le diksionèr (on regarde dans le dictionnaire)
ENS : oui / kèl liv ankor i di koman la lang i march, i di koman i fo ékri,
akord lo bann zafèr ansanm… (oui. Et quel livre aussi ? celui qui
dit comment fonctionne la langue, comment il faut écrire, accorder
les différents mots ensemble …)
E1 : le liv gramèr (le livre de grammaire)
ENS : Nou na poin liv gramèr an kréol, / zot la fine woir ? / Non, nou la
poin se zouti i mèt a nou dakor si lo fason kozé an kréol. Sak lotèr
lo liv i ékri, lé pa fo mé moin mi préfèr pa tro mayaz ek lo fransé. Mi
di a zot mon règ gramèr a moin, mon manir-woir. An fransé, i apèl
sa la norme mi di a zot mon norme amoin : sé tir le ke é mèt le
pluriel an kréol (on n’a pas de livre de grammaire en créole. Vous
en avez déjà vu ? non, on n’a pas ces outils pour nous mettre
d’accord sur la façon de parler créole. Ce que l’auteur écrit, c’est
pas faux, mais moi je préfère ne pas trop mélanger avec le fran-
çais. je vous dis mes règles de grammaire à moi. En français on
appelle ça la norme, je vous dis ma norme à moi : c’est enlever le
« ke » et mettre le pluriel en créole).
Position que l’on retrouve ici encore, alors que l’enseignant initie ses élèves à la
variation interne au créole :
ENS : Dehors, c’est français ou créole ? Regardez
(L’enseignante sort.) Où est ce que je suis allée ?
-84-
Français et créole en classe
E1 : Tu es allée dehors.
ENS : (L’enseignante sort à nouveau de la pièce.) Kosa moin la fé la ?
E1 : Ou la sort deor
E3 : Non, ou la sort déor !
ENS : Que pensez-vous de vos deux phrases ? (Les deux phrases sont
écrites en créole : Ou la sort deor, ou la sort déor !) Sont-elles en
créole ?
E1 : Oui
E2 : …Oui
E3 : On diré lé dé…
E3 : parle tout seul.
ENS : Oui Nathan ?
E3 : lé dé lé an kréol : déor / mé Élisa i di deor
ENS : Oui les deux phrases sont en créole, les deux sont bons, les
Créoles disent les deux façons, moi je prononce comme Nathan.
En français, je vais dire (la maîtresse écrit au tableau) : Je vais de-
hors.
En créole : Mi sa va deor ou déor. Ou bien : Mi sort déor. Mi sort
deor.
CONCLUSION
Dans une situation de contact intime de langues comme celle de La Réunion, nous
avons voulu justifier, sur un plan théorique (le développement du langage d’un
enfant qui grandit dans un macrosystème) et empirique (la réalité de l’input linguis-
tique qui lui est fourni), une « didactique résonante ». Elle consiste à viser la mise
en place de résonances cognitivo-langagières, c’est-à-dire à doter les apprenants
d’une capacité à analyser le matériau langagier qui s’offre à lui, en activant des
résonances propres à chaque langue, à chaque lecte ; construite grâce à des in-
terventions de l’enseignant de type métalinguistique dans les interactions, cette
capacité, in fine, l’aide à établir des frontières systémiques, malgré l’incontournable
labilité de celles-ci. La démarche, par ailleurs, confère au sujet une légitimité socio-
linguistique.
Les conditions pour mener à bien cet enseignement touchent certes au découpage
disciplinaire ; si l’interdisciplinarité est à la mode, les croisements linguistiques sont
encore objet de méfiance, et les approches didactiques plurielles (Candelier, 2006)
grandes absentes des salles de classe. Mais l’analyse de nos données montre
que, si les aspects didactiques méritent certes une formation digne de ce nom (ne
confondant pas « préparations pédagogiques, mises en fiche », et analyse didac-
tique), les composantes linguistique (connaissances solides en créolistique) et
sociolinguistique (concepts de norme, de compétence langagière, de bilin-
-85-
Sylvie Wharton
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-86-
PERSPECTIVES CULTURELLEMENT
DURABLES : ÉDUCATION BILINGUE
MOORÉ-FRANÇAIS AU BURKINA FASO
INTRODUCTION
Les différentes idéologies coloniales ont influencé l’espace accordé aux langues
africaines dans les systèmes éducatifs. Bien que le multilinguisme soit un trait in-
hérent des sociétés subsahariennes, la grande majorité des pays utilisent seule-
ment l’ancienne langue coloniale pour l’administration publique et l’éducation.
Dans le discours colonial, la langue française était considérée comme l’unique voie
du développement et du progrès. Le Burkina Faso reflète bien cette réalité. Au
Burkina Faso, 59 langues différentes cohabitent. Cependant, le français demeure
la langue officielle, bien que parlée seulement par 10 % à 15 % de la population
(Nikièma, 2000). Toutefois, 90 % de la population parlerait 14 langues nationales
(Kédrébéogo, 2003). Mbula Paluku (1997) et Halaoui (2001 ; 1995) définissent les
langues nationales comme les langues parlées traditionnellement par une ethnie
appartenant traditionnellement au territoire. Dans certains pays, le cadre législatif
limite les langues nationales aux langues régionales les plus parlées (Ouane,
1995). Parmi ces langues, le mooré est une langue nationale parlée par 48 % de la
population (Woldoff, 2005 : 43). Le Burkina Faso compte un taux d’alphabétisation
chez les jeunes de 15 ans à 24 ans de 31 % (Unesco, 2007) et un taux de redou-
blement de 13 % (Unesco, 2007). Face au constat d’échec d’un système ineffi-
cace, une expérimentation d’enseignement bilingue a vu le jour en 1994. Le Burki-
na Faso recherche de nouvelles voies éducatives en expérimentant l’éducation
bilingue.
Le présent chapitre a pour objectif de poser la question suivante : les différentes
didactiques d’appropriation du français influencent-elles la conservation du patri-
moine culturel du Burkina Faso ? Il s’agit d’une manière plus explicite d’analyser la
place des langues nationales dans le contexte de la reproduction culturelle d’une
génération à l’autre aussi appelée préservation culturelle. Ce chapitre regarde la
corrélation entre l’apprentissage du mooré, une des langues nationales, et la pré-
servation voire le développement de leur culture mossie.
D’abord, le texte présente le contexte éducatif burkinabé. Ensuite, on relève les
langues parlées, lues et écrites. Finalement, les vingt participants nous informent
sur l’influence de leur cheminement scolaire au regard de leur culture. Les résultats
présentés dans ce chapitre se basent sur trois mois d’observations descriptives-
analytiques en classes bilingues et unilingues et sur vingt entretiens semi-dirigés
avec des anciens élèves d’écoles bilingues et unilingues.
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
-88-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
2. LITTÉRISME
-89-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
-90-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
SZ_F_C : Des fois, avec les vieilles, on peut pas parler le français si c'est
pas le mooré.
Il est donc important que les enfants maîtrisent leur langue nationale afin de com-
prendre et transmettre leurs savoirs ancestraux ; savoirs transmis en mooré d’une
génération à l’autre. Plusieurs de ces savoirs sont spécifiques à la langue mooré
tels que les proverbes, les paroles à respecter lors des sacrifices, etc. Les aînés ne
sont plus les seuls emblèmes de la préservation de la culture locale. L’école et les
parents deviennent aussi responsables de la préservation culturelle du milieu dans
les écoles bilingues.
1
0,7 % des gens ont une ligne téléphonique à la maison et 4,3 % ont un cellulaire.
2
0,5 % d’usagers burkinabés contre 52 % de Canadiens.
-91-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
-92-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
-93-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
Calebasse Panier
-94-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
modèl la ninga wâ, a yaa sôama, bô, d ka sègd n bas-a t’a lùà zâng ye, la d
sâ n na n kêng ne-a me, d sègd n zâms-a lame, n wa tôog tà rog-n-mikâ
yelle, a ra menem koa, tà d wa tôog n bâng d sên yiê zîig ninga tà yênda n
sakd ne tôndo.
(Il y a des proverbes là-bas et si tu les comprends, bon, dans certains en-
droits, si tu vas par exemple dans les cours royaux, lorsque les autorités #
parfois il ya des paroles auxquelles tu peux répondre facilement. … Bon, en
ce qui concerne ce point, ce que je peux vous dire c'est que la question du
mooré que vous avez posée est une bonne chose, bon, on ne doit pas le
laisser tomber complètement. Mais si on doit continuer avec le mooré, on
doit l'apprendre pour que les coutumes ne disparaissent pas quoi, pour que
l'on puisse savoir d'où nous venons, car c'est cela qui est convenable pour
nous.) »
La langue nationale constitue donc l’outil pour que les enfants puissent connaître
leur histoire, leurs racines. Skutnabb-Kangas (2000 : 119) mentionne que sans la
maîtrise de la langue, les pratiques coutumières perdrait leur sens et deviendraient
des « festivals folkloriques » ou des « musées du passé ».
CA_F_C : Ils viennent euh... à Bobo, euh... au... au Mali, au Ni... Niger
comme ça. On peut pas parler mooré. Même en Côte d'Ivoire même.
À cet effet, Diallo (2004 : 20) mentionne que le français, au Burkina Faso, assure
« la cohésion et la cimentation linguistique entre les communautés ».
-95-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
-96-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
(Le rôle du français, c'est pour que notre pays avance, pour que nos enfants
soient bien, pour qu'ils soient des hommes de demain.) »
Cette association est certes liée aux politiques linguistiques du Burkina Faso qui
jusque dans les années quatre-vingt-dix associaient le français à la modernité et
au « développement » du pays (Nikièma, 2005 ; Batiana, 2003) :
CL : Euh... ici à Nomgana, ça sert à quoi de parler français. Tu l'utilises
pour... pour quoi faire ? le français à Nomgana ?
CA_F_B : Parce qu’on peut amener des concours de français. Mais si tu
n'étais pas bon en français, tu ne peux pas le passer. C'est pour ça ... qu'on
utilise le français.
CL : Les concours seulement ? Sinon le français ici, tu n'entends pas beau-
coup quoi ?
CA_F_C : Non.
5. DISCUSSION
-97-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
guisme est souvent associé au développement d’un double littérisme, d’un monde
biculturel.
CONCLUSION
La langue du milieu est le mooré. Tous les participants parlent le mooré. De plus,
cinq anciens d’écoles bilingues et sept anciens d’écoles classiques peuvent utiliser
le mooré et le français à l’oral. Il est intéressant de souligner que 73 % des sortants
des écoles unilingues ont décidé d’apprendre l’écriture de leur langue nationale
après leur parcours scolaire pour des raisons culturelles et économiques. Tous les
participants, sauf un ancien d’une école unilingue, disent vouloir préserver leur
langue. On peut conclure que les participants voient de plus en plus l’utilité
d’apprendre leur langue nationale à l’écrit tout en la préservant à l’oral.
-98-
Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
-99-
Constance Lavoie et Célestin Tapsoba
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Perspectives culturellement durables : Éducation bilingue français-mooré au Burkina Faso
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LANGUE(S) ET REPRÉSENTATION(S)
CHEZ DE JEUNES ÉCOLIERS TUNISIENS.
INTRODUCTION
S’intéresser à la langue d’un point de vue sociolinguistique ou tenter de réfléchir
sur la situation linguistique en Tunisie ou au Maghreb, c’est accepter de se con-
fronter à une question ô combien explosive, dans la mesure où cela nécessite,
d’une part, la prise en considération de plusieurs facteurs d’ordre idéologiques,
culturels et identitaires, et d’autre part, la confrontation à des problèmes d’ordre
terminologiques, tels que la différence entre « langue » et « dialecte » en passant
par les différentes dénominations de l’arabe selon une classification hiérarchique,
ou encore la différence entre « diglossie »1, « plurilinguisme »2 et « multilin-
guisme ».
Notre propos ne consiste pas à faire le bilan d’une situation sociolinguistique en
pleine ébullition, ni de relancer un débat « stérile » portant sur l’opposition axiolo-
gique entre une langue de « prestige » (l’arabe classique) et une langue de
« moindre prestige » qui serait en l’occurrence l’arabe dialectal, comme cela a été
développé par Ferguson3 (1959) et Fishman. Il nous semble néanmoins néces-
saire de se positionner par rapport aux recherches antérieures et de proposer une
vision certes relative des choses, mais déterminante pour nos travaux actuels et
futurs.
Le présent travail a pour principal objet d’étudier la manière dont l’enfant tunisien
scolarisé perçoit et se représente sa propre langue.
En effet, dans le contexte maghrébin et plus précisément tunisien, l’enfant de six
ans se trouve amené à vivre une situation linguistique inédite : l’entrée à l’école
représente un moment crucial où le rapport à la langue arabe va susciter diverses
interrogations : Que représente cette langue « nouvelle » par rapport à celle que
« nous » avons toujours parlée ? Pourquoi ne pas écrire celle qu’on a apprise en
premier ? Et comment expliquer la différence entre les deux ?
Dans un stade d’acquisition du langage par le jeune enfant, il est important de
noter que l’introduction forcée de l’arabe « classique » – appelons-le ainsi pour
l’instant –, à un moment où la langue maternelle (l’arabe tunisien) vient juste de se
mettre en place, ne peut ne pas secouer ou du moins interpeller le jeune appre-
nant. Livré à lui-même, celui-ci doit gérer tant bien que mal une situation linguis-
1
C. Fitouri, 1983, Biculturalisme, bilinguisme et éducation, Delachaux et Niestlé, p.145
2
F. Laroussi (dir.), 1997, Plurilinguisme et identités au Maghreb, Publications de l’université de Rouen.
3
C. Ferguson, 1959, « Diglossia » in Word, vol. XV, pp.325-340.
Inès Ben Rejeb
tique qu’il n’a pas choisie. Il n’est évidemment pas question ici de remettre en
cause l’enseignement de l’arabe « scolaire » en tant que code régi par des règles
graphiques, grammaticales et lexicales. Il s’agit plutôt de s’interroger sur le statut
de chacune des variétés linguistiques et la manière dont l’école va dessiner les
frontières d’une langue essentiellement écrite, s’inscrivant ainsi, non pas dans la
continuité mais dans une rupture radicale entre un univers préscolaire marqué par
l’oralité et un univers scolaire centré principalement sur l’écrit. Notre objectif est
d’attirer l’attention sur une réalité sociolinguistique dans laquelle il serait intéres-
sant de voir, à travers des conduites discursives, comment l’enfant gère son rap-
port à la langue orale et à la langue écrite et comment il perçoit une langue aux
multiples facettes (langue maternelle d’un côté, langue de l’école de l’autre et les
variétés régionales).
L’intérêt de ce travail est double : il s’agit de prendre l’arabe tunisien comme objet
d’étude, non pas pour en faire une description purement phonétique ou phonolo-
gique, comme c’était le cas d’un certain nombre de travaux des années soixante4,
mais parce que nous considérons qu’il est grand temps d’en finir avec les préjugés,
« la discrimination langue/dialecte » et « la péjoration du dialecte amorcée par les
linguistes » eux-mêmes, pour reprendre les expressions de L.-J. Calvet (1974)5.
Car, l’opposition originelle entre « la langue » et « la parole » chez Saussure est
loin d’avoir insinué l’intention de privilégier la première et de négliger la seconde,
même si, dans la majorité des cas, les linguistes ont pratiqué une étude formelle
de la langue, envisagée « pour elle-même et en elle-même » (Saussure, 1916-
1972), se limitant ainsi à l’étude d’unités abstraites actualisées dans le but de dé-
gager des lois fixes et atemporelles.
Le second intérêt consiste à analyser les productions discursives de sept enfants
tunisiens scolarisés, non seulement pour redonner au langage enfantin la place
qu’il mérite (Ben Rejeb, 1995)6, mais aussi pour saisir, dans le cadre de notre pro-
blématique actuelle, le rapport à la langue : les conduites métalinguistiques de
l’enfant vont-elles lui permettre de mieux saisir la différence entre l’arabe tunisien
et l’arabe scolaire ? De quelle « conscience » linguistique s’agit-il ? Sommes-nous
face à une rupture ou à l’intégration d’une diversité linguistique ?
Il n’est nullement question de prétendre ici à l’exhaustivité de l’étude, ni à la géné-
ralisation des résultats, car notre propos est simplement de montrer, à partir d’un
échantillon réduit, les différents modes d’expressions vis-à-vis de sa propre langue.
Dans quelle mesure la mise en mots d’un vécu (ce vécu étant marqué par une
forme de diversité linguistique) va-t-elle nous éclairer sur les différentes représen-
tations que se fait l’enfant de sa propre langue ? Quelle place occupe l’arabe tuni-
sien, parlé, par rapport à l’arabe « classique » nouvellement appris et écrit ? Quel
rapport vont entretenir ces deux variétés linguistiques vis-à-vis de la norme ? De
quelle manière l’enfant de sept ans vit-il et perçoit-il cette diversité dans sa pratique
linguistique quotidienne ?
4
T. Baccouche, H. Skik et A. Attia, 1969 « Travaux de phonologie. Parlers de Djemmal, de Gabès et de
Mahdia », Cahiers du CERES, n° 2, Tunis.
5
L.-J. Calvet, 1974, Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie, Paris, Payot.
6
I. Ben Rejeb, Conduites de récit chez le jeune enfant tunisien. Typologie et hétérogénéité narratives,
thèse de doctorat, François, F. (dir), université Paris-V Sorbonne, 602 pp.
-106-
Langue(s) et représentation(s) chez de jeunes écoliers tunisiens
Le corpus à partir duquel ce travail est mené est constitué d’un ensemble
d’entretiens effectués à la garderie scolaire Ommi Zina, au Bardo. L’étude de ces
différents entretiens, s’inscrivant dans une perspective énonciative et dialogique,
nous a permis de déterminer trois axes importants autour desquels va s’effectuer
notre réflexion sur la langue :
-107-
Inès Ben Rejeb
la mesure où il diffère de l’arabe, mais il ne réussit pas à distinguer les deux varié-
tés de l’arabe. Pour lui, il n’y a pas de différence entre les deux :
« [kif kif ‘izzûz ?] (Elles sont pareilles toutes les deux ?) » demande l’adulte.
« Oui » répond Slimène.
Quant à Ramla et Mourad, dire ‘al carabiyya pourrait signifier, d’une part : « j’ai
oublié comment ça s’appelle » (cf. la réplique de Ramla : « [tdhakkarthâ : biddârja]
(je m’en rappelle : c’est edderja) », et d’autre part : « je ne suis pas très sûr/j’ai
peur de me tromper », car Mourad répond sous forme de question et non pas
d’affirmation : [‘iddarja ? ‘a… ‘il fuSHâ ?]). Cette conduite a tendance à persister
chez Mourad, car, à la question de l’adulte : « [waclâsh waHda ‘ismhâ ‘iddârja w
lukhrâ ‘ismhâ ‘al fuSHâ ?], il répond : « [cala khâtirhum mâ humsh kif kif ?] (parce
qu’ils ne sont pas pareils ?) ou (parce qu’ils sont différents ?) » Pour Mourad, dési-
gner différemment une langue ne peut être que preuve de différence.
Si ce début d’analyse nous a révélé une certaine difficulté à identifier et à nommer
les variétés linguistiques en présence pour une partie des enfants interviewés,
qu’en est-il pour les spécialistes du langage, autrement dit, les linguistes ?
Dans son article intitulé « La situation linguistique actuelle en Tunisie » qui date de
1968, S. Garmadi7 pense que la situation linguistique de la Tunisie dépasse de loin
le caractère dualiste de la langue arabe et présente quatre registres différents :
l’arabe classique « archaïque », « l’arabe littéral moderne ». Ce deuxième registre
correspond à l’arabe des articles de journaux, des émissions de radio et de
télévision, des nouvelles, romans, pièces de théâtre modernes, de certaines
conférences et discours politiques. C’est aussi la langue de l’enseignement
scolaire et universitaire (1968 : 19). Appelée aussi « arabe littéraire » ou « littéral »
(T. Baccouche, 1979) ou encore « standard », cette variété correspond à ce que
nous appelons « arabe scolaire ». Garmadi présente ensuite l’arabe dit
« intermédiaire » ou « médian » et termine sa classification avec l’arabe « parlé » :
c’est le dialecte tunisien qui constitue la langue maternelle de la majorité de la
population tunisienne. C’est ce que nous désignerons par « arabe tunisien » ou
« langue maternelle ».
Si vingt-deux ans plus tard, T. Baccouche, (1990 : 80) dans un article intitulé « [hal
‘al-fuSHâ wa-ddârija lughatân] » s’interroge sur les caractéristiques structurelles
qui permettent de distinguer l’arabe littéraire du dialectal, il convient de noter ce-
pendant que la question du choix terminologique n’a été à aucun moment abordée,
comme si on avait affaire à des « évidences » : que représente en effet ‘al fuSHâ ?
et que signifie ‘addârija (appelée aussi câmmiyya) ? Les définitions proposées par
les dictionnaires de langue arabe en disent long car, autant il nous a été facile de
retrouver le champ sémantique relatif à [faSuHa et faSâHatan], autant il nous a été
impossible de trouver la moindre trace des termes dârija et câmmiyya, comme si la
seule et unique langue capable de traduire de façon juste, claire et fine la pensée
des locuteurs était ‘al-fuSHâ et comme si celle-ci était la langue maternelle de tout
locuteur arabophone. Parmi les définitions relevées, nous citerons celle-ci :
7
S. Garmadi, 1968, Revue tunisienne des sciences sociales, n° 13.
-108-
Langue(s) et représentation(s) chez de jeunes écoliers tunisiens
-109-
Inès Ben Rejeb
13
[Hadîthul ’arbacâ’], 1954, tome III. Le Caire, Dar Almaârif, p. 35.
-110-
Langue(s) et représentation(s) chez de jeunes écoliers tunisiens
préfère ‘iddarja, c’est parce qu’elle est « bien » : [khâTirhâ bâhya]. On aimerait bien
savoir ce que les enfants entendent par bâhya !
Par contre, l’engouement des cinq écoliers pour la langue de l’école (al arabiya al-
fusha) se manifeste de manière assez frappante. La plupart des réponses compor-
tent des justifications révélant soit une extrême subjectivité (c’est le cas de Saïf :
« [mâ nHibbish ‘iddârja] [je n’aime pas edderja] »), soit une forte volonté de con-
vaincre :
« [khâTir nHib nitcallamhâ] (Parce que je veux l’apprendre) », nous dit May.
« [cala khâtir nHib ncabbir, ncabbir cal mashâhid w cal hâja illi nrâha fittalv-
za] (Parce que je veux décrire, décrire les images et les choses que je vois à
la télé) », nous dit Yasmine.
« [cala khâTir fîha barsha kilmât carabiyya] (Parce qu’il y a plein de mots
arabes) », nous dit Mourad.
Il est clair que l’apprentissage d’une nouvelle « langue » donne à ces enfants
l’envie de mieux la connaître, dans la mesure où ils rompent avec du déjà connu
(dans « [nHib nitcallamhâ] (je veux l’apprendre), il y a « "j’ai envie d’apprendre
quelque chose de nouveau, autre chose que l’arabe tunisien" »). Les associations
évoquées par ailleurs dans le discours de Yasmine et de Mourad confirment en-
core une fois cet univers original et inhabituel :
« [ncabbir] (décrire/m’exprimer), [mashâhid] (des images), [kilmât carabiyya] (des
mots en arabe) ».
Quant à l’expression de la subjectivité dans le discours enfantin, elle se traduit à
travers l’emploi de termes évaluatifs axiologiques (tels que « [bâhya] [c’est bien] »)
ou non axiologiques (tels que « [scîba shwaya] [elle est un peu difficile] »). Nous
entendons par « non axiologiques » des termes qui impliquent une évaluation qua-
litative ou quantitative de l’objet. L’usage de ces termes est relatif à l’idée que le
locuteur se fait de la norme qualitative ou quantitative.
Exemple : « grand », « petit », « chaud », « nombreux », « long », « court »,
etc.
Dans la majorité des cas, edderja est perçue comme une langue que les enfants
aiment et apprécient bien : bâhya. Mehrez trouve el fushâ un peu difficile. Quant à
Mourad, il se surprend lui-même en parlant et nous surprend en disant que edder-
ja n’est pas une langue arabe :
« [kifâsh tuDhhurlik illûgha iddârja] (Comment trouves-tu edderja ?) » demande
l’adulte.
« [mâ hâsh carabiyya] (Elle n’est pas arabe.) »
« [mâla shnuwa] (C’est quoi alors ?) »
« [missaudiyya] (Elle est d’Arabie Saoudite.) »
« [jâyitna missacudiyya illûgha hâdhika] (Elle nous vient d’Arabie Saoudite cette
langue ?) »
« [‘ih] (Oui) » répond Mourad.
-111-
Inès Ben Rejeb
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Langue(s) et représentation(s) chez de jeunes écoliers tunisiens
« [lâ] (Non.) »
« [tqûlinnâ : fil qism mâ taHkîw kân bil carabiyya lfuSHâ] (Elle nous dit : "en
classe, vous ne parlez qu’en arabe littéraire") » nous dit Ramla.
Slimène ajoute :
« elle nous laisse un peu ». « [tqûlinnâ : ‘il Hâjât ilghâlTîn mâ tqûlûhumsh]
(Elle nous dit : "ne dites pas ce qui est faux") ».
Quant à Yasmine, elle rapporte le discours de la maîtresse en mettant l’accent sur
l’une des activités les plus importantes à l’école qui est la lecture :
« [tqullî : ‘aqra, ‘aqra ‘issu’âl waqra ‘ilqirâ’a, ‘â…‘innaSS] (Elle me dit : "lis, lis
la question, lis la lecture euh…le texte ") ».
L’analyse du discours enfantin nous amène à faire les remarques suivantes : Il
n’est nullement question d’apprendre l’arabe tunisien à l’école et ce, pour les rai-
sons suivantes :
- Parce que c’est censé être connu [khâTir ‘aHnâ mitcallmîn ‘iddârja winHib-
bû nitcallmû ‘illûgha lcarabiyya] (May) ; parce que c’est interdit : [cala khâ-
Tir mamnûc/cala khâTir ‘iddârja macrûfa] nous dit Mehrez. Il ajoute « on ne
peut pas écrire ‘iddârja parce que le mot [mamnûc] par exemple, comporte
un cercle sur le [ca] (Mehrez entend par « cercle » le soukoun) et norma-
lement, c’est [mamnûcun], ou encore [dakhala]/[dkhal] : [mâ tjîsh biddârja.
mâ nnajmûsh cala khâTir mathalan kilmit « mamnûc », nHuTTû dâ’ira fûqil
ca, w hiya tjî « mamnûcun », walla « dakhala »/« dkhal »]. Cette conduite
argumentative rappelle celle de May : lors d’un dialogue adulte/ enfant,
May nous demande quelle langue nous préférons utiliser (edderja, al fushâ
ou l’anglais). L’adulte répond : « biddarja, parce que c’est plus facile et
puis parce que nous l’avons apprise en premier ». Cette réponse ne
semble pas lui suffire ; elle ajoute avec insistance : « [lâ/cala khâTir hiya
lughitnâ] (non, c’est parce que c’est notre langue) ». « Et el-fushâ ? » de-
mande l’adulte. « [hiya lughitnâ zâda] (C’est notre langue aussi) » répond
May. « [shbîna mâ nitkallmûhâsh kima ‘iddârja] (Pourquoi ne la parle-t-on
pas comme edderja ?) demande l’adulte. « [cala khâTir ‘iddârja ‘ashil.
« yâkhi ‘innajmû nqûlu : [ka’sun Halîbun (en arabe scolaire)] (Parce que
edderja est plus facile. Tu crois qu’on peut dire "un verre de lait" ? [avec la
vocalisation de l’arabe scolaire]) ». Il est clair que dans les conduites ar-
gumentatives de Mehrez et de May, ce qui permet de distinguer l’arabe
scolaire de l’arabe tunisien, c’est une question de vocalisation ([dakhala]
[entrer]) et de tanwin ([mamnûcun] [interdit] ; [ka’sun] [un verre] ; [Halî-
bun] [du lait]).
- Parce qu’« ils veulent nous apprendre l’arabe littéraire » nous dit Ramla ;
parce que aussi, les choses sont claires dès le départ. Voilà ce que nous
rapporte Saïf : « [qâlittilnâ lmucallma missana lûlla ‘illi ’illugha ‘illi nitkallmû-
hâ hiya ‘iddârja, willugha ‘illi nitcallmûhâ fil maktib hiya ‘ilcarabiyya] (Dès la
1re année, la maîtresse nous a dit que la langue que nous parlons, c’est
‘iddarja et la langue que nous apprenons à l’école, c’est la langue
arabe) ». Malgré l’insistance de l’adulte, Saïf n’hésite pas à rappeler la
-113-
Inès Ben Rejeb
règle : « [mâ ycallmûnâ kân ‘ilcarabiyya ] (On ne nous apprend que l’arabe
littéraire) ».
- Pour Yasmine, on n’apprend pas l’arabe tunisien à l’école, parce qu’on ap-
pend le calcul : « [cala khâTir nitcallmu laHsâb w kul shay] ». « [hâw nacrfû
niHsbû biddârja : 1, 2, 3, 4… shnuwa nitcallmû zâyid fil maktib] (Mais on
sait très bien compter en arabe tunisien : 1, 2, 3, 4…"Qu’est-ce qu’on ap-
prend de plus à l’école ?" demande l’adulte) ». Yasmine répond : « [nit-
callmû ‘al’âHâd wal casharât wal mi’ât wal ’âlâf] (On apprend les unités, les
dizaines, les centaines et les milliers) ».
- Quant à Mourad, si on ne « nous » apprend pas l’arabe tunisien à l’école,
c’est parce que ce n’est pas la langue de « notre » pays (il continue à
croire que ça vient d’Arabie Saoudite !) : « [cala khâTirhâ ma hâsh min
blâdna] ; [shkûn jâbhâlnâ ltûnis] (Qui est-ce qui nous l’a ramenée à Tu-
nis ?) » demande l’adulte. « [mâ nacrash] (je ne sais pas) ».
Notons par ailleurs que la majorité des enfants interrogés préfèrent écrire leurs
phrases en arabe scolaire, comme le demande la maîtresse. C’est une manière de
garantir son intégration au sein de l’école en imitant le modèle de l’enseignant.
S’il est vrai que l’école n’exclut pas totalement l’utilisation de l’arabe tunisien au
cours des premières années de l’enseignement de base, (car les élèves et la maî-
tresse le parlent en classe), il n’en est pas moins vrai que, au fur et à mesure de
son apprentissage, l’arabe littéraire ne cesse de gagner du terrain en marquant de
plus en plus les limites de son territoire. L’école devient le temple de l’écrit et le
symbole de la norme. On n’a pas le droit à l’erreur. On apprend à lire, à écrire et à
compter. L’école doit rendre présente une langue absente de notre vie de tous les
jours (l’arabe scolaire). Elle doit progressivement rendre absente une langue un
peu trop présente (l’arabe tunisien). L’école est le lieu où s’exerce la mutation lin-
guistique : Pour ces jeunes écoliers, il n’y a aucun intérêt à apprendre une langue
qu’on connaît déjà. L’école doit leur apprendre à se représenter le monde diffé-
remment et doit les préparer à prendre conscience d’un phénomène diglossique
qui caractérisera l’ensemble des pays arabes : c’est la dichotomie langue offi-
cielle/langue maternelle. Nous sommes face à ce que Y. Ben Achour14 (1995 : 94)
appelle « un impératif linguistique, ce "il faut que…" la langue arabe soit notre
langue nationale, officielle, authentique […]. Mais le plus inattendu dans cette af-
faire, c’est que l’impératif linguistique débouche sur une négation de soi ». Devant
cette question de « dualisme » linguistique, Y. Ben Achour soulève un réel pro-
blème : en faisant la différence entre « parler » et « faire de la littérature », entre
« langue » et « belles lettres », il en arrive à dire que « le parler est l’essence du
citoyen […]. Qui dit État-nation, dit langue d’État et langue d’État renvoie à la
langue fondatrice du citoyen qui est sa langue maternelle ». Mais « notre situation
linguistique est celle du présent-absent, de l’absent-présent ; du vivant-mort, du
mort-vivant […]. Le parler vivant incapable de littérature, non susceptible d’écriture,
taré sur le plan de la science, devient en conséquence inapte au politique » (op.
cit. : 102).
14
« Les implications politiques du problème linguistique au Maghreb », in La Pensée, 1995, n° 303.
-114-
Langue(s) et représentation(s) chez de jeunes écoliers tunisiens
La question que nous nous posons aujourd’hui est : comment allier « impératif
linguistique » et affirmation de soi, étant donné que « la négation de soi » repré-
sente un risque trop dangereux pour nos futurs citoyens ?
Il nous semble enfin important de noter que l’enseignement des langues en Tunisie
nécessiterait la prise en considération de la situation sociolinguistique en cours et
de la diversité des pratiques linguistiques. Le jeune apprenant intégrerait plus faci-
lement les règles de l’arabe scolaire si un travail de sensibilisation préalable autour
de la question de la diversité linguistique et du plurilinguisme se mettait en place.
L’apprentissage d’une langue nouvelle devrait d’abord passer par la reconnais-
sance de celles qui sont initialement pratiquées. Loin des dichotomies
« langue »/« dialecte » ; « langue privilégiée »/« langue minorée », des questions
relatives aux codes oral et écrit mériteraient davantage de réflexion et inciteraient
les jeunes apprenants à prendre conscience des différences qui existent entre les
deux codes. Il n’est plus question de valoriser l’un et de stigmatiser l’autre. C’est
sur leur rapport de complémentarité qu’il faudrait mettre l’accent. Il est grand temps
de mettre en place une didactique contextualisée des langues qui prenne en con-
sidération les pratiques et les usages réels ainsi que les spécificités linguistiques
propres à chaque pays.
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(La question d’al fusha et des variétés linguistiques selon quelques écrivains con-
temporains) », in Les Annales de Tunisie, n° 2.
-116-
LES LANGUES ET LEURS PRATIQUES EN
ALGÉRIE : LE CAS D’UNE CLASSE DE
LANGUE ÉTRANGÈRE
Tassadit MEFIDENE
INTRODUCTION
Le phénomène de plurilinguisme en Algérie a suscité et suscite encore un grand
questionnement car bien que dans la réalité plusieurs langues se côtoient quoti-
diennement, le discours officiel fait état de la présence d’une seule et unique
langue : l’arabe. Le pouvoir a longtemps tenté d’imposer aux Algériens un modèle
linguistique. La loi qui généralise la langue arabe pour l’ensemble du pays est l’une
des mesures clefs adoptées dans cette planification linguistique. Malheureuse-
ment, cette loi conçue à l’origine comme un « élément unificateur » n’a fait
qu’aggraver les problèmes de la société sur les plans pédagogique et scientifique.
L’école algérienne est considérée comme l’un des foyers principaux du plurilin-
guisme : les élèves y arrivent avec des compétences étendues dans des variétés
d’arabe algérien ou de berbère. À ces langues dites « maternelles » viennent
s’ajouter les langues que les élèves apprennent à l’école mais aussi par contact
spontané dans leur vie sociale, notamment pour le français. Il s’agit de l’arabe
moderne, du français et de l’anglais. C’est pour cette raison que nous avons choisi
de traiter du contact de langues, qui est l’une des conséquences du plurilinguisme,
dans une classe de langue étrangère en l’occurrence l’anglais1. Ce choix a été
motivé par deux raisons : d’abord, nous pensons qu’une description de l’alternance
des langues dans une classe de langue étrangère pourrait mettre en relief des
pratiques linguistiques souvent passées sous silence dans les situations de classe
puisque la didactique des langues s’est constituée « sur un rejet de la co-présence
de ces langues dans l’entreprise pédagogique » (Coste, 1997 : 393). Ensuite, nous
allons voir comment ce phénomène « interdit » d’usage dans une classe de langue
se manifeste, et ce, entre deux langues étrangères : le français et l’anglais. Le
corpus contient des passages où alternent l’anglais et l’arabe algérien ou le fran-
çais.
1
Cela aurait pu être l’allemand, l’espagnol ou encore l’italien mais nous avons choisi l’anglais car elle
est de loin la langue étrangère la plus étudiée en Algérie par rapport aux autres langues étrangères
citées, à l’exclusion du français qui a une place particulière.
-117-
Tassadit Mefidene
2
Nous entendons par langue maternelle la « première » langue apprise par l’enfant, celle qu’il utilise
dans sa vie quotidienne et avec laquelle il exprime ses sentiments. (cf. Castellotti, 2001).
3
Il n’existe pas de locuteurs natifs en arabe moderne en Algérie.
-118-
Les langues et leurs pratiques en Algérie
bliques utilisent l’arabe et le français. Dans les centres urbains et plus particulière-
ment au sein des classes économiquement et culturellement favorisées, le français
apparaît souvent en alternance avec l’arabe algérien.
L’anglais brille par sa discrétion étant donné qu’il ne fait pas partie de la vie quoti-
dienne. Nous pouvons cependant dire, à la suite de O. Hayane (1989 :45), que « la
langue anglaise a une assez bonne image de marque en Algérie. Elle jouit d’un
certain prestige auprès des élèves, qui lui vient de leur engouement pour la mu-
sique et les chansons anglo-saxonnes, ainsi que de son statut, volontiers reconnu,
de langue internationale ».
2.1. Le corpus
Le corpus que nous avons recueilli se compose d’environs huit heures
d’enregistrements, effectués dans quatre classes d’anglais au collège. Nous avons
choisi le niveau 1re AM4 étant donné que c’est la première année d’apprentissage
de l’anglais dans le système éducatif algérien. Les élèves enregistrés travaillaient
depuis deux trimestres au moment où nous avons effectué notre enquête. Se sa-
chant enregistrés, les élèves ont montré une certaine réserve au départ. Certains
enseignants également se sont montrés réticents à l’idée d’être enregistrés. Pour
des raisons méthodologiques, nous n’avons pas expliqué le motif précis de notre
enquête ni aux élèves ni aux enseignants, nous limitant à parler d’observation des
pratiques de classe. Nous avons jugé nécessaire d’accompagner nos enregistre-
ments par un questionnaire dans le but de compléter nos informations.
L’appropriation d’un nouveau système linguistique s’inscrit dans un ensemble de
processus qui mettent en œuvre l’identité sociale de l’élève ainsi que les relations
qu’il entretient avec sa ou ses propre(s) langue(s) et avec celle(s) qu’il étudie. Un
entretien avec certains élèves est venu étayer ce qui avait pu être remarqué ou
entendu lors des observations que nous avons effectuées, l’objectif de cet entre-
tien complémentaire étant de faire émerger les représentations et les stéréotypes
des élèves sur des groupes sociolinguistiques locuteurs des langues considérées
ainsi que sur leurs pratiques linguistiques et d’évaluer les rapports à la norme en
classe d’apprentissage d’anglais.
4
Depuis la mise en place de la réforme du système éducatif en Algérie en 2003, des changements
concernant directement l’enseignement des langues apparaissent : la durée du cycle primaire passe de
six à cinq ans ; le français est introduit comme première langue étrangère dès la troisième année du
primaire (au lieu de la quatrième année selon l’ancien système fondamental). L’enseignement de
l’anglais se fait dès la première année du collège (au lieu de la deuxième année selon l’ancien système
fondamental). La durée du cycle moyen passe de trois à quatre ans.
-119-
Tassadit Mefidene
5
Les programmes d’anglais étaient exclusivement rédigés en anglais.
-120-
Les langues et leurs pratiques en Algérie
-121-
Tassadit Mefidene
Extrait n° 6
Il s’agit de la correction d’un devoir.
1. E3 : on explique madame /
2. P6 : on n’explique pas we don’t explain
3. E6 : madame/ je n’ai pas compris/
4. P6 : quoi /
5. E6 : the question
6. P6 : les trois facteurs qui influencent l’arrêt de l’eau the three factors
that influence how much water every country has on ne recopie pas le
texte la question est claire il fallait mettre des tirets\
Dans ces deux extraits, on retrouve la stratégie de l’enseignant qui « double » ses
interventions, on remarque également que les régulations de l’activité s’énoncent en
français dès qu’elles nécessitent davantage de verbalisation que dans l’extrait n° 5.
Dans l’extrait suivant, le contexte arabophone de cette classe d’anglais se marque
dans l’utilisation d’un terme arabe algérien qui désigne un plat courant. Notons que
ce changement de langue ne fait l’objet d’aucun commentaire métadiscursif :
Extrait n° 7
1. E5 : what is coriander/
2. P4 : it is like in french le coriandre you put it in the chorba
3. E1,E2,E3,… : hchich
4. coriandre
5. P4 : yes it is
-122-
Les langues et leurs pratiques en Algérie
-123-
Tassadit Mefidene
CONCLUSION
Nous avons constaté que la plupart des enseignants et des élèves ont recours au
français en classe d’apprentissage de l’anglais. Il est vrai que la quantité des
énoncés introduits en français peut varier selon le cours. L’usage de l’arabe algé-
rien dans certaines situations de la classe est expliqué par les enseignants comme
étant une conséquence de la baisse du niveau des élèves et non comme la mani-
festation de leur répertoire plurilingue. Nous avons remarqué aussi que même les
enseignants qui affirmaient lors des entretiens ne pas utiliser d’autre langue que
l’anglais, le faisaient dans leurs cours, témoignant d’un hiatus entre les pratiques et
les représentations, phénomène bien connu en sociolinguistique depuis les travaux
de Labov.
Quant à l’application des textes officiels qui, au moment des enquêtes, interdisent
le recours à d’autres langues que celle qui est enseignée, les avis sont partagés.
Certains enseignants soutiennent que le recours à une autre langue est permis à
partir du moment où celui-ci permet de faire progresser le cours. Une enseignante
dit à ce propos :
« Actuellement les textes officiels n’incitent pas à utiliser une autre langue
pendant le cours. Il serait pourtant bien utile de réintroduire les thèmes et les
versions. Souvent l’élève apprend une langue et ses structures en les com-
parant avec la langue qu’il domine le mieux. Grâce aux thèmes et versions, il
consoliderait la connaissance de sa propre langue ».
D’autres sont contre cette pratique mais ne justifient pas leur point de vue.
Les élèves trouvent que faire usage de plusieurs langues est un phénomène « na-
turel », « normal » voire « spontané ». Certains insistent aussi sur le côté ludique
attaché à l’usage combiné des deux langues.
Comme nous avons pu le souligner dans nos exemples, les deux pôles de la situa-
tion de classe, à savoir l’enseignant et l’élève, ont recours à une autre langue,
souvent le français, mais pas pour les mêmes nécessités.
Les enseignants se servent du français pour gérer les activités de la classe, expli-
quer les formes de l’anglais ou encore traduire. Les élèves quant à eux recourent
au français pour accéder au sens des mots, pour demander des explications voire
une traduction.
En conclusion, nous pouvons dire que les manifestations de l’alternance de langue
posent la question des interactions entre enseignement/appropriation et contexte.
Il s’agit de réfléchir à l’apport éventuel des recours à une première langue étran-
gère dans l’apprentissage d’une deuxième langue étrangère. Ceci nous permettra
peut-être de reconsidérer le statut du français en Algérie, mais aussi de redéfinir la
place de « la première langue étrangère » qui « doit être prise en compte non pas
tant comme obstacle réel ou virtuel, mais comme constituant d’un répertoire bi-
lingue » (Py, 1997).
-124-
Les langues et leurs pratiques en Algérie
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-125-
CONTEXTES
EUROPÉENS
ÊTRE ENSEIGNANT DE LANGUES À
L’HEURE EUROPÉENNE : ANALYSE
COMPARÉE DES REPRÉSENTATIONS,
CROYANCES ET SAVOIRS DES FUTURS
ENSEIGNANTS DE FRANÇAIS LANGUE
ÉTRANGÈRE
INTRODUCTION
La formation initiale est le lieu d’enjeux majeurs pour ce qui est de l’évolution des
réflexions et des pratiques développées par les futurs enseignants. Cette formation
initiale est chargée de représentations sur le métier d’enseignant en général, sur la
perception de l’enseignant-modèle, sur la matière à enseigner, etc. qui sont large-
ment influencées par les contextes socioprofessionnels dans lesquels se déroule la
formation initiale, mais également par le vécu familial, social et scolaire de chacun.
Par rapport à la formation initiale à l’enseignement d’une matière non linguistique,
la formation initiale à l’enseignement des langues étrangères se caractérise par le
fait que, de par l’objet à enseigner – la langue –, les représentations recouvrent un
éventail plus large et complexe : elles englobent les représentations sur la matière,
plus généralement, et, plus particulièrement, les représentations sur le statut de la
langue à enseigner, sur qui enseigne cette langue, sur le public à qui l’on
s’adresse et sur les besoins communicatifs de ce public. Elles sont par ailleurs
étroitement liées à des paramètres préalables à la situation réelle de la classe,
parmi lesquels le statut socioculturel de l’enseignant et le contexte
d’enseignement-apprentissage dans lequel cette langue est enseignée. Ce sont
ces deux paramètres qui constituent le point de départ de la réflexion que nous
menons dans nos travaux de recherche. En effet, tant le statut socioculturel de
l’enseignant de langue que les contextes d’enseignement-apprentissage contri-
buent de manière essentielle à la variation des représentations sur la langue à
enseigner et à leur résurgence dans les premières expériences de pratique de
classe. De ce fait, ces paramètres participent largement à la manière
d’appréhender la classe et à la mise en place des pratiques pédagogiques utilisées
par l’enseignant novice.
Dans la première partie de cette contribution, à partir d’un corpus de données re-
cueillies auprès des étudiants de M(aster) 1 à Paris-III pendant le stage de fin
d’études, sera abordée la question des représentations sur la langue enseignée en
fonction du statut socioculturel de l’enseignant natif. La seconde partie de cet ar-
Mariella Causa et Monica Vlad
ticle, sur la base d’un corpus constitué d’une trentaine de journaux pédagogiques
(JP) recueillis à l’université de Constanta (Roumanie)1, s’attachera à l’analyse des
représentations que se font les étudiants stagiaires sur la formation à
l’enseignement du français langue étrangère dans un pays avec un système édu-
catif en état de (longue) transition. À travers l’analyse des données, nous souhai-
tons soulever des questions/proposer des pistes de réflexion qui nous semblent
essentielles pour une formation initiale (FI) mieux adaptée aux nouveaux besoins
qu’impose la société contemporaine.
1
Données 2006-2007.
-130-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
- le rôle que ce statut joue sur les représentations de chacun des acteurs
impliqués dans la classe, les représentations sur la langue enseignée et
sur la notion de légitimité linguistique ;
- la manière dont le statut socioculturel guide les choix pédagogiques et
stratégiques de l’enseignant en classe.
Il s’agit finalement de voir, par le biais de ce paramètre, comment l’enseignant
novice construit sa légitimité d’enseignant de LE.
C’est sur cette prise de conscience du statut socioculturel du futur enseignant que,
selon nous, la FI à l’enseignement des langues étrangères n’insiste pas assez.
Ainsi, les représentations liées au statut socioculturel de l’enseignant continuent à
s’appuyer sur des idées quasiment figées, ce qui empêche de les faire évoluer.
L’une des raisons qui explique cette lacune dans les programmes de FI réside
dans le fait que, si quelques aspects de la classe de langue ont bénéficié de re-
cherches pointues, tout ce qui touche aux paramètres constitutifs de la classe de
langue reste paradoxalement encore trop général, pas suffisamment détaillé. Or,
avec les changements des publics, des besoins et des situations auxquels on as-
siste actuellement, ces paramètres doivent être creusés davantage.
Dans la partie qui suit, nous reviendrons sur la notion d’insécurité linguistique qui
sera abordée non pas du côté de l’enseignant NN, mais du côté de l’enseignant N.
-131-
Mariella Causa et Monica Vlad
-132-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
3
La question du bon accent mène à s’interroger sur ce que signifie le « bon accent français ».
-133-
Mariella Causa et Monica Vlad
-134-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
-135-
Mariella Causa et Monica Vlad
-136-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
4
Dans la conception théorique de J.-B. Grize (1978, 1996), tout discours construit une schématisation
dépendante de ceux auxquels elle est destinée. À l'intérieur de cette schématisation discursive, l'auteur
distingue les représentations des images : « les représentations sont celles du locuteur, tandis que les
images sont proposées par le discours. Les images sont ce que la schématisation donne à voir. Les
représentations ne peuvent qu'être inférées à partir d'indices, les images peuvent, en principe, être
décrites sur la base des configurations discursives » (48). La distinction image/représentation nous
semble porteuse d'un point de vue méthodologique, étant donné la difficulté « de dégager systémati-
quement les indices discursifs qui conduisent à "voir" quelles représentations se fait un locuteur »
(idem).
-137-
Mariella Causa et Monica Vlad
-138-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
de les ajuster dans leur contexte de fonctionnement et, enfin, de les intégrer dans
un réseau de représentations visant la construction d’un répertoire didactique.
[5]
« Mme C. est l’un de mes professeurs préférés. Mme C., Mme H., M. V. – voilà
autant de modèles qui vont me servir afin de me construire en tant que pro-
fesseur. » [R.S.]
[6]
« J’ai beaucoup apprécié le fait que Mme M. ne fait pas de différences entre
ses étudiants, elle essaie de travailler avec tous, se comporte avec tous de
la même manière. Je crois que pendant ma carrière de professeur je ferai la
même chose, je me comporterai de la même façon avec tous mes étu-
diants. » [O.I.]
« Aujourd’hui, j’ai appris que je dois avoir le calme d’un sphinx devant les
élèves, les adolescents ont, malgré tout, beaucoup d’énergie… » [E.T.]
-139-
Mariella Causa et Monica Vlad
CONCLUSION
L’analyse croisée des corpus que nous avons recueillis dans des contextes diffé-
rents de formation, nous amène à quelques conclusions intéressantes qui deman-
dent maintenant d’être développées/validées ultérieurement avec des corpus plus
étoffés. Nous avons vu de quelle manière les représentations des stagiaires N sur
la maîtrise de la langue et sur sa transmission évoluent pendant le stage et com-
ment cette évolution – qui passe par cette « zone d’insécurité linguistique » désta-
bilisante – est porteuse de sens dans la construction du répertoire didactique. Pour
les stagiaires NN, nous avons constaté une tendance de repli sur le public ou sur
l’enseignant-modèle, repli principalement dû à la situation d’écriture propre au JP
et à l’insécurité linguistique qui tient à sa rédaction en langue étrangère.
Nos observations ont ainsi montré l’intérêt de comparer les statuts de natif et non
natif en matière d’insécurité linguistique suite à la pratique de la classe. La descrip-
tion des différentes origines de l’insécurité linguistique chez les futurs enseignants
confirme en conséquence la nécessité de traiter ces contenus en FI afin de faire
prendre conscience aux stagiaires des difficultés de transmettre l’« objet langue »
et de mettre en place des stratégies de distanciation. Dans les deux cas, chez le N
et le NN, l’apprentissage dirigé de la prise de distance par rapport à l’activité de
formation à l’enseignement s’avère un objectif essentiel pour atteindre le seuil
transversal minimal des connaissances enseignantes.
-140-
Être enseignant de langues à l’heure européenne
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-141-
ENSEIGNEMENT-APPRENTISSAGE DU
FRANÇAIS ÉCONOMIQUE EN MILIEU
INSTITUTIONNEL UNIVERSITAIRE
ROUMAIN
Carmen-Stefania STOEAN
Le texte ci-dessous est le compte rendu d’un projet de recherche visant
l’harmonisation du processus d’enseignement-apprentissage du français écono-
mique avec les principes du Cadre européen commun de référence pour les
langues : apprendre, enseigner, évaluer (CECRL). Élaboré par une équipe
1
d’enseignants –chercheurs de la chaire de langues romanes et de communication
en affaires de l’Académie d’études économiques de Bucarest et financé par le Con-
seil national de la recherche scientifique dans l’Enseignement supérieur de Rouma-
nie, ce projet (Stoean, 2005) fait partie d’un programme de recherches prioritaires
concernant, entre autres, l’élaboration de politiques linguistiques éducatives pour
l’enseignement-apprentissage des langues maternelles et étrangères.
1. INTRODUCTION
La nécessité de ce projet découle de l’état des lieux de l’enseignement-
apprentissage des langues vivantes :
- dans l’espace européen :
a. La politique linguistique du Conseil de l’Europe, soutenue par le
CECRL et par le Portefeuille européen pour les langues, a un écho si-
gnificatif dans de nombreux pays européens ; l’amélioration de la quali-
té dans le domaine des langues vivantes faisant l’objet de maints dé-
bats, réflexions, mesures et actions convergents dont les résultats sont
mis à la disposition des professionnels du domaine par différentes
voies. Le CECRL s’impose comme le modèle dynamique auquel se
rapporte le processus d’enseignement-apprentissage et en fonction
duquel on établit ses paramètres, issu de la nécessité de coopération
et de coordination constantes des politiques nationales dans le do-
maine de l’enseignement en général et de l’enseignement des langues
étrangères en particulier.
b. La généralisation, d’un côté, de l’utilisation de documents institution-
nels, pédagogiques et didactiques élaborés à l’intention des concep-
1
Il est de mon devoir de mentionner les noms des membres de l’équipe de recherche, que je remercie
pour leurs efforts et pour la qualité du travail fourni : Corina Cilianu-Lascu, Nina Ivanciu, Michaela Gu-
lea, Ruxandra Constantinescu, Rodica Capota, Rodica Stoicescu, Deliana Vasiliu, Antoaneta Lorentz,
Elena Popa, Manuela Alexe, Roxana Barlea, Mihaela Ivan, Carmen Avram, Dan Hutanasu, Anca Mari-
na Velicu.
Carmen-Stefania Stoen
L’évaluation de l’activité didactique faite tant par les enseignants que par les étu-
diants, l’analyse des documents institutionnels (plans d’enseignement, pro-
grammes d’études, manuels), la comparaison avec les méthodes et les manuels
français, pour le français économique, les enquêtes auprès des bénéficiaires de
l’enseignement dispensé ont mis en évidence les points faibles de la conception de
l’enseignement-apprentissage :
a. Les rapports entre les contenus enseignés ( thématique, linguistique,
pragmatique), la corrélation et la progression des savoirs visaient en
premier lieu le lexique spécialisé et les documents écrits de la commu-
nication interne et externe envisagés comme texte et non pas comme
types de discours.
b. Les techniques de classe étaient orientées surtout vers le développe-
ment des compétences de compréhension/production écrites et moins
vers celui des compétences orales (compréhension, production, inte-
raction).
2. L’HARMONISATION
Pour nous, l’harmonisation représente l’adaptation des principes du CECRL – qui
vise l’apprentissage-enseignement du français général – aux exigences de
-144-
Enseignement-apprentissage du français économique…
3. LA DEMARCHE ENVISAGÉE
L’activité de recherche a été engagée dans plusieurs directions suivant l’objet
d’étude – l’enseignement-apprentissage du français économique en milieu univer-
sitaire – et les objectifs à atteindre : l’harmonisation curriculaire avec les principes
du CECRL et, par voie de conséquence, l’amélioration du processus
d’enseignement-apprentissage (Velicu, 2005 :1). La logique du travail de re-
cherche et la complexité des activités exigées par l’atteinte des objectifs ont prési-
dé à la répartition de ces derniers sur les trois années imparties (2005-2007) en
observant un parcours constitué de plusieurs étapes qui ont visé :
-145-
Carmen-Stefania Stoen
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Enseignement-apprentissage du français économique…
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Carmen-Stefania Stoen
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Enseignement-apprentissage du français économique…
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Enseignement-apprentissage du français économique…
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Carmen-Stefania Stoen
-152-
Enseignement-apprentissage du français économique…
5. CONCLUSION
À court et moyen termes, les résultats permettent :
‐ la révision des programmes d’études en vigueur afin de mieux préciser les
objectifs généraux et spécifiques et introduire les types de contenus sélec-
tionnés, les situations de communication professionnelle et les types préfé-
rentiels de compétences retenus dans les référentiels établis (dès la ren-
trée 2006-2007) ;
‐ l’inventaire des activités communicatives permettant le développement des
types préférentiels de compétences retenus ;
‐ la mise en relation, dans une visée didactique, des activités communica-
tives langagières avec les activités communicatives non langagières carac-
téristiques des sous domaines économiques de référence ;
‐ l’amélioration des pratiques enseignantes par l’application des principes de
la pédagogie orientée sur la tâche et de la pédagogie du projet (introduits
dès le deuxième semestre de l’année universitaire 2006-2007) ;
‐ la participation directe des étudiants à la fixation des objectifs et au choix
des contenus, à l’élaboration des instruments de travail requis par les pra-
tiques de classe (initiée lors des expérimentations effectuées en 2006-2007).
À long terme :
‐ le feed-back de type motivationnel du bénéficiaire du processus
d’enseignement-apprentissage, par rapport au type de démarche qui lui est
proposé, contribuera à l’amélioration qualitative et quantitative du processus ;
‐ les expérimentations et les corrections imposées par ce feed-back abouti-
ront à la construction d’un modèle d’enseignement-apprentissage assez
développé et souple, constitué d’éléments opérationnels qui puissent facili-
-153-
Carmen-Stefania Stoen
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CECRL, code CNCSIS A1132, dossier de candidature, Bucarest, [non publié].
-154-
DISCOURS SUR L’ENSEIGNEMENT DE
L’ÉCRIT EN FLE AU PORTUGAL
Joaquim GUERRA
INTRODUCTION
Nous avons mené, de 2003 à 2006, une recherche de doctorat portant sur l'étude
des représentations de professeurs de FLE au sujet de leurs pratiques
d’enseignement de l’écrit, par le biais d’une description et d’une caractérisation de
leurs pratiques scolaires et celles qu’ils considèrent comme leurs meilleures pra-
tiques d’enseignement de l’écrit.
La connaissance des pratiques d’enseignement en général (et de sa conceptuali-
sation), et de l’écrit en particulier, des professeurs de FLE est peu connue au Por-
tugal. En effet, les études portant sur des applications théorico-méthodologiques
s'encadrent pour la plupart dans le champ de l'enseignement de la langue mater-
nelle (comme par exemple, Fonseca, 1994 ; Barbeiro, 1999 ; Carvalho, 1999) et,
plus récemment, dans le domaine de la recherche en didactique de l'anglais
langue étrangère (Castro, 2000 ; Gorjão, 2003 ; Cabral, 2004). En ce sens, cette
recherche acquiert une importance particulière, puisque l’on recherche, d'une part,
à décrire et à caractériser les pratiques des enseignants de FLE, de deux niveaux
d'enseignement scolaire (3e cycle de l’enseignement basique et l’enseignement
secondaire1) et, d'autre part, à inférer la pensée des enseignants concernant leurs
pratiques d’enseignement de l’écrit, à travers la description de leur intervention
pédagogique et, surtout, en leur demandant de détacher, caractériser et justifier ce
qu’ils considèrent leurs meilleures pratiques d’enseignement de l’écrit.
Nous avons ainsi centré notre recherche en amont de l’intervention pédagogique,
c’est-à-dire, sur les représentations des professeurs de FLE de ces deux niveaux
d’enseignement. Par représentation, nous avons considéré comme un système
d’interprétation de la réalité qui régit les relations développées par les individus
dans leur contexte social, déterminants leurs actions et leurs comportements.
Donc, elles fonctionnent comme un guide ; elles orientent les actions et les rela-
tions sociales d’un individu (Abric, 1994 ; Malglaive, 1995). L’étude des représenta-
tions permet de comprendre, selon Moore (2004 :10), comment un groupe donné
découpe le réel, « en fonction d’une pertinence donnée » ; découpage « qui omet
les éléments dont on n’a pas besoin, qui retient ceux qui conviennent pour les opé-
rations (discursives ou autres) pour lesquelles elle fait sens. »
1
L’enseignement basique correspond, au Portugal, à l’école obligatoire. Divisé en trois cycles, le der-
e e e
nier inclut des élèves de 12 à 16 ans et comprend trois années d’études (7 , 8 ; 9 ). Le français leur est
proposé comme seconde langue étrangère, étant donné que la majeure partie des apprenants préfère
è
l’anglais comme première langue, et cela au 2 cycle
Joaquim Guerra
Notre étude a commencé par une recherche des courants théoriques et méthodo-
logiques, qui, en amont, fondent la description théorique et appuient actuellement
les pratiques pédagogiques (notamment les mouvements socio-processuels).
Nous avons aussi procédé :
1. À un inventaire des différentes applications scolaires de divers cou-
rants théoriques (application processuelle, enjeux communicatifs, cor-
rection de l’écrit, etc.) ; et
2. À l’analyse des instructions officielles pour ces deux niveaux sco-
laires, en détachant la transposition didactique effectuée au niveau de
l’enseignement de l’écrit.
Finalement, nous avons développé le construct de bonnes pratiques
d’enseignement de l’écrit.
La recherche auprès des professeurs s'est réalisée en 2005 et a concerné toutes
les écoles des cycles scolaires concernés de la région de l'Algarve. Ainsi, l'échan-
tillon initial a correspondu à la population totale d'enseignants de FLE de ces ni-
veaux, 257 en tout. Nous avons ensuite réduit la population à travers la méthode
de stratification de l’échantillon, basée sur des catégories représentatives qui facili-
tent la généralisation des données rassemblées : le type de lien contractuel et le
niveau d'enseignement.
La collecte de données auprès des enseignants s'est d’abord procédée à travers
un questionnaire qui cherchait à caractériser les pratiques d'enseignement de
l'écrit et à configurer ce qu’ils considèrent comme bonnes pratiques de
l’enseignement de l’écrit. Nous avons obtenu un total de 155 réponses, ce qui
équivaut à un taux de 60,3 %. Dans une seconde phase, et après la stratification
de l'échantillon, nous avons réalisé 11 entretiens en profondeur (six au 3e cycle et
cinq au lycée), à travers lesquels nous avons voulu renforcer la caractérisation des
pratiques des professeurs et détacher la pensée des enseignants au sujet de leurs
meilleures pratiques d'enseignement de l'écrit. L'analyse des données accom-
pagne la nature quantitative et qualitative des méthodes de recherche. Le ques-
tionnaire a été analysé à partir de méthodes statistiques (notamment des analyses
non-paramétriques) et les entrevues par la technique de l'analyse de contenu.
La validité et la fidélité des instruments de recherche et d'analyse ont été dévelop-
pées de forme externe à travers la méthode des juges, outre la validité interne pour
laquelle nous avons fait appel à des tests de consistance2. La triangulation a été
garantie par l'application de ces deux instruments de recherche, ainsi qu'en faisant
appel à l'analyse des instructions officielles.
Ce texte porte sur les différents discours qui se croisent dans la recherche présen-
tée ci-dessus. En premier lieu, nous aborderons les discours théorico-
méthodologiques qui, en amont, définissent la pratique d’écriture et, en aval, décri-
vent les apports méthodologiques pour l’enseignement des langues, notamment
de l’écrit. Deuxièmement, nous analyserons le discours des instructions officielles
portugaises en ce qui concernent l’enseignement de l’écrit en classe de FLE. Fina-
lement, nous présenterons le discours des professeurs sur leurs pratiques
2
Nous avons utilisé, par exemple, le test de consistance d’Alpha de Cronbach, dans lequel nous avons
obtenus un résultat de 0,896.
-156-
Discours sur l’enseignement de l’écrit en FLE au Portugal
1. LE DISCOURS THÉORICO-MÉTHODOLOGIQUE
Actuellement, établir une synthèse des différents apports, d’une part, théoriques
pour décrire la compétence cognitive et, d’une autre part, méthodologiques qui
cherche à orienter l’enseignement de l’écrit s’avère difficile, dû, en grande partie,
au caractère polyédrique des uns et des autres. Nous avons considéré la définition
de Reuter (1996 : 58) comme celle qui le mieux cernait cette compétence cogni-
tive. À savoir :
« L’écriture est une pratique sociale, historiquement construite, impliquant la
mise en œuvre généralement conflictuelle de savoirs, de représentations, de
valeurs, d’investissements et d’opérations, par laquelle un ou plusieurs su-
jets visent à (re)produire du sens, linguistiquement structuré, à l’aide d’un
outil, sur un support conservant durablement ou provisoirement de l’écrit,
dans un espace socio-institutionnel donné. »
Pour nous aider à cerner ces différents mouvements, nous aurons recours au
construct établi au cours de notre recherche au sujet des bonnes pratiques de
l’enseignement de l’écrit.
En premier lieu, il faut tenir compte du contexte écologique des enseignants et des
apprenants en ce qui concerne leur relation avec l’écrit. En effet, les enseignants
doivent être conscients de leur rapport à l’écriture (cf. Barré-de-Miniac, 2000), ainsi
que la relation établie avec l’écrit par leurs élèves. Une réflexion au sujet de la
manière dont le professeur se voit comme écrivant et de ses connaissances au
sujet de l’enseignement de cette compétence peut permettre une intervention pé-
dagogique plus efficace. En effet, le rapport métacognitif établi conduit le profes-
seur à examiner les différentes composantes du processus d’écriture, dans les-
quelles l’étudiant peut avoir des difficultés, et à mettre en question les connais-
sances déclaratives et procédurales nécessaires pour la tâche d’écriture. Ceci le
conduira encore à revoir les différentes méthodes utilisées pour l’enseignement de
l’écriture, questionnant donc son cadre référentiel, ses représentations.
En second lieu, il faut tenir compte des différentes composantes lors de la planifi-
cation de l’action pédagogique, tout en essayant de leur donner un autre sens et
une autre direction au niveau des contextes didactiques.
Les objectifs de la tâche doivent être clairs et partagés avec les étudiants, c’est-à-
dire que la définition d’objectifs pour une tâche d’écriture peut se faire en groupe,
apprenant et enseignant partageant leurs savoirs sur le genre textuel, le contexte
communicatif sous-jacent, les destinataires, etc. et à partir de cela, définir les résul-
tats prétendus, les compétences à développer.
Pour se créer un environnement propice au développement de l’écrit en classe, il
est aussi nécessaire de fournir et de questionner différents genres textuels, avec
des contextes communicatifs et des destinataires différents, participant ainsi au
-157-
Joaquim Guerra
3
Au Portugal, les élèves de FLE ont au maximum deux heures de cours par semaine, ce qui est consi-
déré très peu lorsque nous essayons de mettre en place des formes d’action plus consensuelles avec
le CECR.
-158-
Discours sur l’enseignement de l’écrit en FLE au Portugal
4
Ce document a été publié une première fois en 1991, au moment de la réforme éducative et a subi un
léger remaniement en 1994.
-159-
Joaquim Guerra
5
Au Portugal, les enseignants ont trois sortes de contrat. Ils peuvent être titulaires dans une école,
place définitive ; titulaires dans ce que l’on appelle une zone pédagogique, qui correspond à un en-
semble d’écoles d’une même région et dont parfois les limites géographiques peuvent correspondre à
l’ensemble de la région elle-même ; ou avoir un contrat de travail pour un an, ou moins, selon les be-
soins de l’école pour une année scolaire en particulier.
-160-
Discours sur l’enseignement de l’écrit en FLE au Portugal
plus rares car les jeunes portugais préfèrent commencer l’étude de l’anglais
comme première langue étrangère au 2e cycle et le français comme seconde
langue étrangère au 3e cycle ou au secondaire.
-161-
Joaquim Guerra
6
Ce qui en France correspondrait plus ou moins au baccalauréat (examen de fin d’études secondaires).
-162-
Discours sur l’enseignement de l’écrit en FLE au Portugal
CONCLUSION
De ce parcours sur les différents niveaux discursifs au sujet de l’enseignement de
l’écrit, nous constatons que chacun d’entre eux, de méthodes et fondements diffé-
rents, se caractérisent par l’éclectisme de la manière de voir et de faire.
Le discours théorique puise ses sources sur des recherches empiriques certes,
mais qui ont divers fondements comme les courants processuels, constructivistes
et même structuralistes. D’ailleurs, le discours des instructions officielles, et en
particulier celles du 3e cycle, font coexister des méthodes contradictoires, étant
donné qu’elles s’informent sur les discours théoriques, transposés, à notre avis, de
manière plutôt peu réfléchie, selon la mode du moment, sans prendre en compte
des facteurs contextuels comme le nombre d’heures accordées dans le curriculum
national à l’apprentissage d’une seconde langue étrangère. Il aurait été aussi im-
portant d’organiser dans les écoles mêmes, des séances de formations aux nou-
veaux programmes (issus de la réforme de 2000) pour tous les professeurs de FLE
et non uniquement au coordinateur du département de langues.
Le discours des professeurs est bien plus particulier. Ses sources adviennent de
différents lieux et mémoires, de différentes lectures et discussions ; un mélange
d’apports théoriques, mais aussi expérientiels (et non expérimentaux). Des repré-
sentations difficiles à contredire, à contrarier, à changer.
Le découpage du réel, dont nous parlions plus haut, pour définir les représenta-
tions, est ici très fragmenté. En effet, la difficulté des enseignants à parler sur et à
justifier leurs démarches pédagogiques permet de démontrer que les éléments
retenus sont insuffisants pour émettre une explication consciente et, surtout, struc-
turée. Cela pourrait aussi expliquer la raison des diverses difficultés exprimées
pour l’enseignement de l’écrit.
Nous avons pu constater aussi qu’il existe peu d’investissement dans
l’enseignement de l’écrit dans les cours de FLE et que les stratégies décrites se
rapprochent beaucoup plus d’une conception traditionnelle de l’enseignement,
associée surtout à une démarche de produit et non processuelle. Néanmoins, cette
approche paraît plus répandue au niveau secondaire, dans lequel les professeurs
sont plus âgés, ou chez les enseignants titulaires dans une école du 3e cycle. En
effet, les principales différences entre groupes d’âge sont plus évidentes si nous
prenons en compte les extrémités d’âges et d’expériences. Les plus jeunes accor-
dent bien moins d’importance au manuel scolaire, par exemple, décrivent plus
d’activités dans lesquelles les TIC sont présentes et les fonctions de l’écrit se rap-
prochent plus d’une vision processuelle et fonctionnelle de l’écrit en société et non
uniquement comme support d’activités de lecture ou d’oralité, ou bien encore pour
l’évaluation formelle des apprentissages grammaticaux.
Il est vrai que la nature même des discours théoriques sur l’enseignement de l’écrit
n’est pas unique et provient de plusieurs courants qui ont eux aussi quelques diffi-
cultés à s’entrecroiser. Ce caractère polyédrique des discours de base est de diffi-
-163-
Joaquim Guerra
cile transposition didactique et les choix établis par les descripteurs des instruc-
tions officielles peuvent même être parfois discutables. Dans le cas portugais, le
maintien pour le 3e cycle de référentiels contradictoires peut en partie expliquer la
permanence de pratiques pédagogiques distinctes. De surplus, les instructions
issues de la réforme de 2000 sont bien incomplètes au niveau des savoirs mor-
phosyntaxiques et civilisationnels. Elles le sont davantage si nous considérons
qu’elles ne contiennent qu’une liste de compétences à atteindre pour chaque cycle
d’études, sans aucune référence au comment et au quoi enseigner. Il nous paraît
donc probable que les enseignants basent leurs interventions pédagogiques sur
des instructions qui leur donnent plus de sécurité quant à l’organisation des ap-
prentissages et avec lesquelles ils avaient l’habitude de travailler.
Cela dit, il serait néanmoins souhaitable que les enseignants en finissent avec ce
que nous pourrons appeler d’improvisation, de zapping ou de bricolage pédago-
gique, comme les surnomment quelques chercheurs en didactique des langues
(Garcia-Debanc, 1990, entre autres). Il faudrait que l’intuition du moment laisse la
place à une intervention préalablement pensée et structurée, même si avec diffé-
rentes sources, comme Garcia-Debanc (1990), nous pensons que l’existence d’un
solide cadre théorique de base permet la construction de tâches d’écriture dont les
différentes composantes guident l’apprenant dans la construction du texte et favo-
risent l’acquisition de compétence écrite.
Pour cela, nous pensons qu’une formation adéquate au CECR et aux nouveaux
programmes d’enseignement pourrait les aider à mieux cerner et définir des tâches
de production écrite plus efficaces. De même, la valorisation d’un esprit plus ré-
flexif, de recherche individuelle ou en équipe, pourrait faciliter un changement de
paradigme. Le développement, par exemple, de projets d’action-recherche dans
lesquels professeurs et apprenants collaboreraient pour résoudre un objectif com-
mun associé à la compétence d’écriture. Il faudrait changer donc de paradigme.
Non seulement au niveau des connaissances déclaratives des enseignants quant
à l’enseignement de l’écrit, mais aussi quant à l’organisation du travail de manière
à favoriser le travail collaboratif, d’échange d’expériences et de cadres théorico-
méthodologiques.
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-164-
Discours sur l’enseignement de l’écrit en FLE au Portugal
-165-
POUR UNE NÉCESSAIRE
CONTEXTUALISATION DU CECR EN
MILIEU HOMOGLOTTE
INTRODUCTION
Depuis sa parution en France en 2001, le Cadre européen commun de référence
pour les langues (CECR ; Conseil de l’Europe, 2001) est devenu la référence à la
fois pour les programmes de français langue étrangère mais aussi pour les pro-
grammes de l’Éducation nationale en France ainsi que dans divers pays. De ma-
nière paradoxale pour un cadre européen qui concerne l’enseignement-
apprentissage (désormais E/A) et l’évaluation des langues étrangères, le CECR se
trouve en outre désormais convoqué dans d’autres contextes, hors des frontières
européennes, ou bien encore dans des contextes de français langue seconde ou
de français sur objectifs de spécialité. Ce document est-il conçu pour être ainsi
mobilisé dans tous les contextes d’E/A dans lequel on le convoque ? Comme le
souligne Daniel Coste (2007)1 :
« Pour tout usage à des fins de politique linguistique et d’ingéniérie pédago-
gique, le CECR n’est qu’un instrument parmi d’autres, à utiliser avec
d’autres et en prenant soigneusement en compte les dimensions contex-
tuelles. Toute mise en œuvre du CECR implique des analyses autres de ce
contexte (analyse des besoins, des représentations des langues, qui ne
peuvent que conduire à des conclusions non standardisées) ».
Vu l’engouement pour le CECR (traduit à l’heure actuelle dans trente-six langues),
de telles analyses semblent indispensables. Quelle(s) perspective(s) complémen-
taire(s) proposer alors pour éviter que le CECR ne soit appliqué et importé tel quel,
mais qu’au contraire il serve de point de départ à une appropriation de ses prin-
cipes et de sa philosophie, autrement dit à une véritable contextualisation (Coste, à
paraître ; Rosen, à paraître) ?
Pour apporter des éléments de réponse à ce questionnement, nous fonderons
notre étude sur une partition entre milieux homoglotte et hétéroglotte, une distinc-
tion qui sera présentée dans la première partie de notre article et qui fera suite à
un état de la question sur les modalités de contextualisation du CECR. Des pistes
pour une telle contextualisation du CECR en milieu homoglotte seront ensuite illus-
trées par une étude de cas articulée autour d’une démarche curriculaire : de la
théorie aux pratiques en matière d’E/A du FLE dans un centre universitaire en
France.
1
[Internet] : <http://www.coe.int/t/dg4/linguistic/Source/SourceForum07/D-Coste_Contextualise_FR.doc>
Evelyne Rosen et Pascal Schaller
1. LA CONTEXTUALISATION DU CECR
Distinguant analytiquement cinq modes de contextualisation, qui ne sont pas du
même ordre, mais peuvent entrer dans des combinaisons diverses, Coste (à pa-
raître) pose « que la contextualisation du Cadre, de quelque mode qu’elle soit, n’a
de sens ici que si elle s’inscrit dans un projet de changement, d’évolution, c'est-à-
dire si elle ne se ramène pas à un simple ré-étiquetage de l’existant. Pas de con-
textualisation sans projet d’intervention ». Cinq modes de contextualisation peu-
vent être dégagés selon lui : prendre en compte la multiréférentialité des échelles
de compétences ; tirer parti des pistes et ouvertures méthodologiques et pédago-
giques ; compléter et prolonger les outils de référence selon certains axes ;
s’inscrire pleinement dans la perspective d’une éducation plurilingue ; favoriser le
plurilinguisme, la cohésion sociale et la démocratie participative. Pour notre pro-
pos, c’est le mode 2 de contextualisation qui est particulièrement intéressant. Il
peut être synthétisé de la manière suivante (voir tableau 1).
Tableau 1 : Zoom sur un modes de contextualisation du CECR – tirer parti des pistes et ouvertures
méthodologiques et pédagogiques
Perspectives à moyen
CECR Actions à réaliser
terme
De tels modes constituent de très utiles aides à la réflexion, que ce soit dans le
domaine de la recherche (ils permettent alors de se situer par rapport au CECR et
pointent les actions à entreprendre) ou de l’E/A (en incitant à repenser les con-
textes et les dynamiques de classe).
-168-
Pour une nécessaire contextualisation du CECR en milieu homoglotte
-169-
Evelyne Rosen et Pascal Schaller
Compétence à communiquer
langagièrement
Activités Textes
Stratégies Tâche
Actes
Actions physiques
En milieu naturel :
Processus échec ou réussite de
d’identification du l’objectif visé
résultat
En milieu institu-
tionnel : résultat de
l’évaluation
Une étude de cas va nous permettre de mettre une telle figure au travail et d’aller
plus loin dans la réflexion, la démarche curriculaire (Le Ninan, 2003) appliquée à
une formation en milieu homoglotte devant être à même d’en faire ressortir les
caractéristiques.
-170-
Pour une nécessaire contextualisation du CECR en milieu homoglotte
-171-
Evelyne Rosen et Pascal Schaller
plat international, etc.) ouvertes à des étudiants d’autres UFR afin de faciliter les
échanges (entre, par exemple, apprenants chinois du centre et apprenants fran-
çais de chinois, sans oublier l’implication des futurs enseignants de FLE de la li-
cence et du master). De telles activités présentent différents avantages pour les
apprenants et pour le centre : cela favorise les contacts extra-scolaires des étu-
diants et leur permet de développer leurs compétences sociolinguistiques ; ouvrir
ces activités culturelles à d’autres UFR permet en retour d’asseoir l’ancrage uni-
versitaire du centre en développant les liens et les partenariats intercomposantes
et de mettre en évidence la fonction d’accompagnement et d’animation des centres
(Rosen, 2004a : 84).
3.5. La méthodologie
L’approche communicative est la méthodologie la plus fréquemment utilisée mais
elle gagne ici à être repensée en prenant en compte l’approche interculturelle, qui
vise à tenir compte de la culture de la société d’accueil et du profil des différents
étudiants d’un groupe classe de nationalités et langues maternelles très variées, et
la perspective actionnelle qui, comme on l’a vu précédemment, place la tâche au
coeur du système, en particulier en milieu homoglotte où les tâches sociales
s’effectuent dans la vie quotidienne et où la pédagogie du projet vise à favoriser
les interactions avec des locuteurs natifs (voir Rosen [dir.], à paraître). Dans un
centre universitaire de langue, l’on pourra proposer à l’apprenant des activités
communicatives entrant dans le cadre du contrat pédagogique du « faire sem-
blant » en classe pour se préparer à une situation hors de la classe (Schaller,
2006). L’on pourra également encourager, en classe, les apprenants à travailler en
groupes avec, au sein de chaque groupe, des apprenants de langues maternelles
différentes. Hors de la classe, un tel dispositif pourra être reconduit, par exemple à
l’occasion d’un rallye en ville. L’on pourra en outre demander à l’apprenant de tenir
un journal de bord recensant ses découvertes au jour le jour, les compétences qu’il
acquiert, ses contacts, les mots de différents registres, expressions et proverbes
entendus. Au niveau B2, l’on peut ainsi les étudiants à joindre à créer un « abécé-
-172-
Pour une nécessaire contextualisation du CECR en milieu homoglotte
daire contextuel » qu’ils réalisent tout au long du semestre à l’ordinateur et pour le-
quel ils doivent repérer et commenter des expressions entendues sur le vif (Rosen,
2007 : 70).
3.6. Le syllabus
À côté des parties « grammaire », « lexique » et « phonétique », la partie des
« compétences culturelles » trouve un retentissement particulier au sein du milieu
homoglotte où la culture est présente de facto sous toutes ses formes. Les dimen-
sions actionnelle, ethnolinguistique et relationnelle de la compétence cultu-
relle/interculturelle sont prioritaires et se traduisent en termes de comportements
adoptés par l’apprenant/observateur/acteur social. Ces compétences peuvent être
spécifiées en partant des propositions des référentiels pour le français (Beacco,
2004 et 2007) et en les croisant avec les comportements visés et les tâches à réa-
liser, comme dans l’exemple suivant (tableau 2).
3.7. La progression
La progression en spirale est la plus efficace dans une situation de classe où la
complexité linguistique est régulée mais elle se heurte en milieu homoglotte à la
réalité de la chronologie et de la fréquence des situations rencontrées. Dans un
2
Beacco (2007 : 160).
3
Beacco (id.).
4
Abry, et al. (2007b).
-173-
Evelyne Rosen et Pascal Schaller
5
Disponible sur Internet : <http://auberge.int.univ-lille3.fr>.
-174-
Pour une nécessaire contextualisation du CECR en milieu homoglotte
-175-
Evelyne Rosen et Pascal Schaller
Langue est, à cet égard, révélateur : dans le cadre d’un scénario (ou macro-
tâches), l’évalué devra remplir une mission définie par un objectif à atteindre (par
exemple, en matière d’environnement, l’étude de l’impact d’un centre piétonnier à
Lille ou dans le domaine des entreprises le lancement d’un casque cycliste en
France); pour ce faire, il effectuera des micro-tâches autour d’activités de commu-
nication langagières sur les modes réception, interaction et production. Le niveau
de compétence en langue, attesté par un degré DCL aligné sur les niveaux du
CECR, correspondra dès lors à une aptitude à réaliser des tâches langagières en
situation (Bourguignon, Delahaye et Puren, 2007).
L’une des caractéristiques de l’E/A en milieu homoglotte est alors le retour possible
en classe, pour se préparer par exemple au DCL, sur la réalisation de la tâche,
telle qu’elle s’est effectuée en milieu social, ce que synthétise la figure suivante.
Figure 2 : Spécificités des tâches à accomplir dans le cadre d’un E/A en milieu homoglotte
Activités langa-
gières
Tâche simple (micro-
Textes Accomplissement
tâche) ou complexe
Stratégies ou non de la tâche
(macro-tâche)
Actes sociale (évaluation
Actions physiques sociale de l’échec
ou de la réussite de
la tâche)
Identification du résultat
Ainsi, cette étude de cas menée selon les pas d’une démarche curriculaire permet-
elle de dégager trois grands axes pour une contextualisation du CECR en milieu
homoglotte :
-176-
Pour une nécessaire contextualisation du CECR en milieu homoglotte
BIBLIOGRAPHIE
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ROSEN, É., 2007, Le point sur le Cadre européen commun de référence pour les langues,
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SCHALLER, P., 2006, « L’émission de téléréalité », Le français dans le monde, n° 345,
pp. 78-79.
-178-
CONTEXTES
NUMÉRIQUES
ÉTUDE DES REPRÉSENTATIONS
D’ÉTUDIANTS SUR LEUR
APPRENTISSAGE EN LIGNE
Christine DEVELOTTE
INTRODUCTION
Depuis quelques années, en France, des étudiants de sciences du langage spé-
cialité FLE peuvent suivre des formations de master professionnel de didactique
entièrement en ligne. Le public auquel s’adresse ces formations est dans la majori-
té des cas composé de jeunes adultes, à l’étranger, déjà enseignants de FLE pour
nombre d’entre eux ou en reprise de formation pour d’autres. C’est un tel pro-
gramme d’enseignement1 dispensé en 2006-2007 conjointement par le CNED
(Centre national d’enseignement à distance) et l’université Stendhal – Grenoble-III
que nous avons exploré à partir d’un de ses cours intitulé « Didactique du FLE et
approches discursives de l’interculturel ». Ce cours nous a donné en effet
l’occasion de recueillir un corpus de données propres à observer et à analyser
différents aspects que revêt l’entrée dans la culture d’apprentissage en ligne.
La culture d’apprentissage de départ de la plupart des étudiants est liée, comme on le
verra, au face à face de la classe traditionnelle. Leur passage vers un dispositif en
ligne constitue donc un moment qu’il est intéressant d’étudier en tant que rupture avec
des habitudes, des comportements et des représentations ancrés dans un contexte
antérieur différent. Dans le cadre du module d’enseignement mentionné ci-dessus
comme point de départ, nous avons demandé aux étudiants d’analyser, de façon ré-
flexive, les traits de la culture d’apprentissage spécifiques à leurs cours, et avons re-
cueilli leurs réponses qui constitue le corpus de notre étude.
Les questions auxquelles nous chercherons ici à apporter des éléments de ré-
ponse sont les suivantes : quelles déstabilisations s’opèrent dans le passage
d’apprenant présentiel à apprenant en ligne ? Quelles pratiques d’apprentissage
sont à déconstruire, à modifier, à adapter à ce nouveau contexte ? De quelle façon
sont ressenties les relations entre les différents acteurs de la formation ? Pour
répondre à ces questions, il convient de se pencher précisément sur ce contexte
d’apprentissage en ligne. En effet, avant de s’intéresser aux expériences indivi-
duelles, il est nécessaire de prendre en compte les différentes situations sociales
qui les rendent possibles. Nous présenterons donc ce contexte d’apprentissage, le
corpus recueilli et la méthodologie adoptée pour son étude, mais, auparavant,
nous allons préciser le cadre théorique auquel nous nous référons.
1 e
Master sciences du langage, 2 année, CNED/université Stendhal Grenoble-III.
Christine Develotte
2
L.-S. Vygotski, 1985, Pensée et langage, Paris, Éditions Sociales, p. 78.
-182-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
espace discursif auquel ils sont exposés ne renvoie pas (à part pour trois étudiants
ayant déjà l’expérience d’une formation du même type) à des références anté-
rieures en termes de culture d’apprentissage. Il instaure, à la fois, un nouveau lieu
social d’enseignement-apprentissage et de nouvelles pratiques discursives. La
socialisation des apprenants s’effectue donc à partir, et en fonction, de l’espace
d’exposition discursive de la plate-forme de formation, et des discours qui y sont
tenus par les enseignants et administrateurs, en amont de la venue des appre-
nants. Cet espace d’exposition discursive qui est également lié à des choix didac-
tiques et pédagogiques conditionne la forme et le contenu de la production discur-
sive des étudiants. Par exemple, sur la plate-forme Dokeos étudiée ici, les cours
sont structurés selon le modèle de rubriques suivant : des rubriques « activités » et
« travaux » qui sont les dossiers destinés à recevoir les productions mensuelles
des étudiants et un « forum » qui permet aux étudiants de poser, entre autre, des
questions relatives aux cours. En outre, des rubriques plus générales donnent par
exemple la possibilité aux étudiants d’échanger entre eux dans un espace « Ré-
cré », réservé, comme son nom l’indique, à la détente, ou de s’adresser à un ad-
ministrateur du master à l’université de Grenoble-III. C’est cet environnement nu-
mérique d’apprentissage socialisé qui va servir de terreau à l’enracinement de la
culture d’apprentissage en ligne de chacun.
En fonction de cette prévalence du social sur l’individuel, on peut d’ores et déjà
émettre deux hypothèses, l’une liée au dispositif, l’autre aux individus :
‐ Les spécificités techno-sémio-pragmatiques (Peraya, 1998) de
l’environnement d’apprentissage vont influer sur la sub-culture dévelop-
pée chez les usagers et donc sur leur identité d’apprenant en ligne. Cela
revient à dire que selon que la communication pédagogique s’effectue
uniquement à base d’écrit asynchrone (comme ici), ou en synchronie,
multi-modale (texte/son/vidéo) ou non, on ne s’exprimera pas de la même
façon et on ne peut parler de la même culture d’apprentissage en ligne.
Chaque environnement numérique (reflet des conceptions en ingéniérie
éducative et pédagogique choisies en amont) développe ses normes dis-
cursives, ses rituels conversationnels et engendre un ethos différent des
acteurs. Telle est l’hypothèse que nous posons au départ de cette étude.
‐ Les apprenants, en tant qu’individus, ont une identité marquée par leurs
multiples expériences d’apprentissage antérieures (en présentiel le plus
souvent). Leurs caractéristiques (âge, origine, sexe) ainsi que leurs profils
(culture technique, personnalité, temps disponible, etc.) vont également
influer sur la dynamique sociale du groupe. Celle-ci a déjà commencé à
se mettre en place au moment où nous avons interrogé les apprenants.
Nous aurons donc ici accès aux représentations individuelles des appre-
nants d’ores et déjà insérés dans la dynamique sociale du forum péda-
gogique depuis deux mois.
-183-
Christine Develotte
3
Extrait de la description du cours sur le site du CNED : <http://www.cned.fr>.
-184-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
aux questions des étudiants concernant les activités à effectuer ou les problèmes
de compréhension liés au cours. Le cours dans lequel ont été collectées les don-
nées étudiées ici, intitulé « Didactique du FLE et approches discursives de
l’interculturel », propose aux étudiants de choisir soit le contrôle continu soit la
rédaction d’un mémoire final. Ce sont les vingt étudiants ayant choisi le premier
type d’évaluation qui ont été pris en compte dans le cadre de cette étude.
-185-
Christine Develotte
Indirectes, à travers
Perceptions des Directes, sensorielles, Quasi nulles, peu
les interactions ou les
interlocuteurs déductives d’indices (anonymat)
informations en ligne.
À partir de ces variables, nous allons rechercher quels sont les traits mis en avant
par les étudiants pour spécifier la relation inter-personnelle pédagogique en ligne.
Quels sont les éléments de ce tableau repris par les apprenants ? Quels sont ceux
qui ne le sont pas ? Quels sont les nouveaux ?
Dans cette optique, nous allons dissocier dans les analyses qui suivent, les repré-
sentations qui sont liées aux spécificités du dispositif de communication pédago-
gique de celles qui sont plus précisément liées aux aspects socio-relationnels de la
formation. Nous aurons ainsi la possibilité d’inférer, en conclusion, des profils so-
cio-cognitifs et psycho-cognitifs d’apprenants fondés sur la prise en compte du
contexte technologique et humain spécifique de cette formation en ligne.
C’est à partir des éléments recueillis de façon thématique dans les comptes-rendus
des étudiants que s’organise cette analyse. Seize d’entre eux sont en effet ensei-
gnants (en France ou hors de France) depuis cinq années en moyenne et aptes à
poser un regard critique et distancé sur leur expérience d’apprentissage. La mé-
thode employée pour mettre au jour les représentations concernant les relations au
dispositif technique et les relations interpersonnelles a consisté à découper chaque
contribution d’étudiant de façon thématique afin de venir renseigner les entrées
figurant en ordonnées dans le tableau ci-dessus.
Les extraits des différents devoirs d’étudiants ont ainsi été juxtaposés et analysés
afin de rendre compte, à l’intérieur de chaque catégorie, de trois façons différentes
d’aborder le thème en question : soit sous une forme interrogative, soit en portant
une appréciation positive ou bien encore une appréciation négative. Ces trois
modes d’expression ont été comptabilisés (le nombre d’étudiants figure à chaque
fois entre parenthèses) de sorte que l’on puisse se faire une idée du corpus global
analysé. Afin d’illustrer les résultats de cette enquête, ont été repris, pour les diffé-
rents thèmes abordés, des extraits qui ont été choisis comme exemple de chacun
des points de vue (positif, négatif, etc.) énoncés dans les productions discursives
des étudiants. Cette première enquête exploratoire de ce corpus cherche en effet à
mettre en évidence les représentations des apprenants à travers leurs productions
authentiques. Il s’agit en quelque sorte, pour renvoyer à une technique cinémato-
graphique, de « zoomer » sur les représentations des étudiants telles qu’elles ap-
paraissent dans leurs productions discursives.
-186-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
En conclusion des analyses des quatre thèmes abordés nous cherchons à montrer
comment se dessinent les grandes lignes de traits identitaires spécifiques à
l’apprenant en ligne dans un tel environnement pédagogique en ligne asynchrone.
Pour aller du général au particulier, nous partirons des représentations concernant
la communication interpersonnelle en ligne à travers le forum écrit asynchrone,
avant d’aborder celles relatives aux relations enseignants-apprenants, puis appre-
nants-apprenants et enfin celles renvoyant aux perceptions des interlocuteurs dans
un tel espace discursif.
4
Les chiffres indiqués entre parenthèses indiquent le nombre d’étudiants concernés (sur les 20).
5
Les chiffres entre crochets renvoient au codage utilisé de façon à rendre anonymes les étudiants.
-187-
Christine Develotte
Les problèmes techniques sont, bien entendu, abordés (8), soit qu’il s’agisse de
pointer les défaillances du dispositif d’enseignement, soit qu’il s’agisse de réagir à
ses propres insuffisances en matière de maniement technique (2). Ainsi, 3 étu-
diants en Asie évoquent les problèmes de connexion nés du séisme survenu le 26
décembre 2006 dont l’une des conséquences a été la rupture des câbles optiques
sous-marins assurant une grande partie du trafic Internet, occasionnant 10 jours
d’interruption de la communication pédagogique en ligne.
Ces deux niveaux de difficulté entrent dans ce que Kupersmith (2003) nomme le
« technostress » et il serait intéressant de vérifier, dans une prochaine étude, s’il
existe une relation entre les compétences techniques des étudiants et l’expression
de leurs sentiments d’insécurité. C’est en tout cas une hypothèse que l’on pourrait
émettre, à savoir qu’une culture technique minimale engendre un plus grand stress
chez les étudiants ici pris en compte.
-188-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
-189-
Christine Develotte
nant la difficulté la plus souvent mise en avant (10), à savoir la difficulté de choisir
un partenaire de travail pour constituer un binôme :
[8]
« Il m’a fallu me lancer dans une tâche en binôme sans connaître la per-
sonne avec laquelle j’allais travailler. J’ai trouvé cela assez perturbant car je
me suis sentie dans le "flou", comme une personne à qui on aurait ôté un
sens. J’ai donc tâtonné : essai, analyse de fonctionnement du binôme, repo-
sitionnement, changement de binôme, nouvelle tentative etc. jusqu’à trouver
une personne qui me corresponde. »
On est ici renvoyé à l’une des convictions que France Henri6 estime avoir acquise
au terme de plus de vingt ans d’analyse des processus de collaboration en ligne :
la collaboration doit se préparer, il faut apprendre aux étudiants à collaborer et bien
veiller à ne pas brûler les étapes des présentations entre étudiants, qui sont prépa-
ratoires aux travaux qui suivront.
On constate qu’il y a un lien établi par les étudiants entre l’évocation d’autres
moyens de communication (en dehors de la plate-forme) utilisés et le travail colla-
boratif en binôme (6). On verra à travers les exemples suivants que les étudiants
font preuve d’initiative et d’appropriation des différents outils à leur disposition afin
de les ajuster le mieux possible aux contraintes de la communication :
[3]
« Nous n’avons utilisé le forum Dokeos qu’au tout début pour nous présenter
puis nous sommes bien vite passées à des échanges sur nos boîtes mail
personnelles, avant de nous connecter sur Messenger. Beaucoup d’autres
étudiants se sont contactés par courriel et aussi par téléphone ou via
Skype ; il semblerait donc que la plateforme ait été peu utilisée par les bi-
nômes, son ergonomie se révélant moins rapide d’utilisation qu’une boîte
mail. »
Les difficultés à gérer le temps dans de telles formations sont évoquées par tous
les étudiants. Elles rejoignent les analyses de Thorpe (2006) pour qui les cours et
les ateliers en ligne peuvent ajouter à la charge de travail s’ils sont modérés ou
structurés de façon insatisfaisante. Il n’est, en effet, pas impensable que le disposi-
tif de communication pédagogique proposé aux étudiants soit perfectible sous bien
des aspects… car, pour les enseignants-concepteurs non plus, ces protocoles
communicatifs ne sont pas stabilisés et ils cherchent sans cesse à les améliorer
par le biais, par exemple, de retours d’usages tels que cette étude.
Concernant le sentiment de solidarité, plusieurs étudiants (5) font état de leur
étonnement ou de leur plaisir devant le soutien ou l’aide qu’ont pu leur manifester
d’autres étudiants :
[11]
« Je me sens beaucoup moins stressée et je n'ai pas le sentiment oppres-
sant d'être en concurrence avec les autres étudiants. J'attribue cet état au
6
Henri, F., conférence plénière au colloque de l’AIPU, Montréal, 17 mai 2007.
-190-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
fait qu'il n'y a pas d'horaires de cours imposés ni de rapport physique avec
les enseignants et les étudiants du master 2. »
Cette expression de solidarité étudiante, qui étonne un apprenant habitué à la cul-
ture dans l’enseignement présentiel, semble bien quelque chose de spécifique à
l’apprentissage en ligne, que l’on peut mettre en lien avec le moindre sentiment de
concurrence également noté pour plusieurs étudiants.
Enfin, le caractère uniquement « professionnel » des relations entre étudiants sur
la plate-forme d’enseignement est ressenti négativement (4). C’est donc sur les
aspects motivationnels et le support social destiné à partager des émotions (stress
ou autres) que le manque de relations avec les autres étudiants est le plus ressen-
ti. Il semble que la mise en rubriques sur la plate-forme qui classe dans des
« boîtes » séparées les propos divertissants (rubrique « récré ») et les propos sé-
rieux concernant les cours (les forums) rompe avec le métissage habituellement
coutumier aux cours en présentiel, qui associent les discours de la salle de classe
à ceux du couloir ou de la cafétéria. Peut-être que sur les plate-formes
d’enseignement en ligne à venir, de tels espaces d’exposition discursive, plus hy-
brides, verront-ils le jour si les retours d’usages mettent en évidence leur perti-
nence pédagogique.
-191-
Christine Develotte
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-192-
Étude des représentations d’étudiants sur leur apprentissage en ligne
-193-
PERSPECTIVES
CONCLUSIVES
CONTEXTUALISATION ET
UNIVERSALISME. QUELLE DIDACTIQUE
DES LANGUES POUR LE XXIe SIÈCLE ?
-198-
Contextualisation et universalisme
4
Courtillon, J. et Raillard, S., 1983, Archipel 1, Paris, Didier. Le Guide pratique pour la classe et le Livre
de l’élève étant signés M. Argaud, J. Courtillon, H. Gauvenet, J.-L. Goussé, P. Neveu, S. Raillard.
5
Adaptation de Coquelicot, de S. Raillard et É. Papo (1989). Papo, É. et Cintrat, I., 1993, Soleil, coll.
« Crédif » (Centre de recherche et d’étude pour la diffusion du français), ENS Fontenay – Saint-Cloud,
Paris, Didier-Hatier, avant-propos de Daniel Coste.
6
Ensemble pédagogique pour l’enseignement du français en contexte universitaire pour de jeunes
adultes. Birks, R., Udris, R., et O’Neil, C., 1998, Le français en gros plan, cours vidéo, Paris, Didier
(Production Crédif – ENS Production et université de Glasgow). Avec la participation de Azouz Begag,
Micheline Rey-Debove et Bertrand Tavernier.
-199-
Véronique Castellotti et Danièle Moore
appréhendées comme les plus adaptées au contexte de leur mise en œuvre (et
permettant ainsi une efficacité maximale pour atteindre les buts fixés en fonction
des besoins d’apprentissage). En même temps, ce travail s’accompagne d’une
mise en tension entre cet effort de simplifier et de trouver les transversalités par-
delà les situations locales, autrement dit de dévoiler les principes noyaux guidant
l’action pédagogique, et celui de déceler les originalités d’un contexte et donc, de
complexifier, pour les adapter, les objets, les références et les formes de la partici-
pation :
« Ainsi, l’apprenant peut bien paraître au centre, mais ce n’est pas lui qui s’y
est mis, c’est le système. Le « centrage », s’il ne veut pas rester une illusion
pédagogique, ne peut que passer par la définition de certaines formes de
participation. “L’acte d’apprendre appartient à celui qui apprend”, d’accord,
mais ce dernier n’est jamais seul. Pour parvenir à l’acte, il doit nécessaire-
ment traverser une institution de formation qui, elle, sera nécessairement, di-
rectement ou indirectement, dépendante des institutions d’utilisation qui,
elles, nécessairement, fonctionnent dans un type de société » (Richterich et
Chancerel, 1977 : 7).
Dans les mises en œuvre de l’approche communicative, en particulier à travers les
manuels « universalistes » conçus en France et destinés à diffuser le français dans
le monde entier à cette période, c’est sans doute, inévitablement, une moindre
prise en compte de ces « institutions d’utilisations » qui tend à faire apparaître les
efforts de diversification décrits ci-dessus comme une première tentative davan-
tage que comme une contextualisation aboutie.
7
Coste (2006) rappelle ainsi que si le Cadre commun européen de référence pour les langues déter-
mine une quadripartition entre quatre grands domaines (ou sphères d’activité) : public, professionnel,
éducationnel et privé, à l’intérieur desquels se caractérisent des relations de statuts et de rôles, des
modes d’interaction, des normes et des types textuels, Un niveau-seuil pour le français (1976) proposait
déjà, vingt-cinq ans plus tôt, une matrice articulant des domaines d’activité sociale (relations familiales,
professionnelles, commerçantes et civiles, grégaires et fréquentation des médias) et des publics (tou-
ristes et voyageurs, travailleurs migrants et leurs familles, spécialistes et professionnels dans leur pays
d’origine, adolescents en système scolaire, jeunes adultes en système universitaire).
-200-
Contextualisation et universalisme
-201-
Véronique Castellotti et Danièle Moore
« […] la rigidification entre les deux termes a radicalisé les différences entre
les deux types de contexte, en ayant comme conséquence paradoxale une
sous-évaluation de la diversité et de la pluralité des contextes caractérisant
la vie ordinaire des apprenants » (Gajo et Mondada, 2000, p. 19).
En linguistique et en linguistique de l’acquisition, Gajo et Mondada distinguent
deux postures, diamétralement opposées :
b. L’une qui considère que des phénomènes de dépendance contextuelle
existent mais qu’ils restent limités et peu pertinents ; les processus
d’appropriation sont ainsi cognitivement pré-programmés, même si des
influences contextuelles peuvent être repérables dans les conduites
d’apprenants ;
c. Selon l’autre, les énoncés prennent leur sens dans les usages sociaux,
de manière située et en contexte. De la même façon, la cognition est
nécessairement située, et le contexte constitue une ressource structu-
rante (p. 21-22). Ces deux postures, enfin, coexistent avec une variété
de positions intermédiaires.
Enfin, Porquier et Py (2004), rappelant que « tout apprentissage est socialement
situé » (p. 5), définissent le contexte comme une notion technique « émique »,
résultant d’une élaboration critique de la notion primitive « étique » de « situation »
(p. 50). Les auteurs retiennent six paramètres dynamiques qui, selon eux, caracté-
risent les spécificités configurantes de l’environnement lequel se situent et se dé-
veloppent, pragmatiquement, historiquement, géographiquement et socialement,
les processus d’apprentissage (pp. 58-64) :
‐ le macro et le micro contexte :
i. le niveau macro comporte les déterminations sociales
comme les politiques linguistiques et éducatives, les sys-
tèmes éducatifs, les statuts historiques et actuels des
langues en présence etc.,
ii. le micro contexte prend en charge le niveau local de
l’événement observé ;
‐ la distinction homoglotte/hétéroglotte, qui renvoie à la relation entre la
langue à apprendre et le contexte linguistique de son appropriation ;
‐ les distinctions entre institutionnel et naturel, guidé et non guidé, captif et
non captif, institué et non institué, qui situent une diversité de contextes se-
lon divers niveaux d’imbrication ;
‐ l’individuel et le collectif, qui combinent des situations d’apprentissage-
interaction ;
‐ la dimension temporelle, qui prend en compte des compositions variables
de durée du contact, des trajectoires d’appropriation des langues, qui peu-
vent inclure des phases de réapprentissage (ou de réappropriation) des
langues.
-202-
Contextualisation et universalisme
De fait, la diversité des milieux dans lesquels se tisse l’appropriation des langues,
tout autant que leur complémentarité, encourage à concevoir ceux-ci sur un conti-
nuum, largement multidimensionnel. Cambra Giné (2003 : 34-39) distingue plu-
sieurs facteurs de cette diversité :
b. le choix ou la nécessité de l’appropriation, liée à des enjeux
d’apprentissage, de prestige des langues, aux projets de vie, aux repré-
sentations sur le plurilinguisme ;
c. les possibilités d’utilisation de la langue au quotidien, qui interviennent sur
les modes et la qualité de l’apprentissage et sur les rapports entre la
classe de langue et l’environnement social ;
d. le facteur scolaire, qui rend compte des différentes configurations
d’enseignement des langues (public, privé, commercial, etc), des diffé-
rences de niveaux éducatifs, des finalités curriculaires, des demandes so-
ciales, des méthodologies employées, de la variété des publics concernés,
de la formation des maîtres ;
e. les contextes sociolinguistiques des classes, la diversité des configurations
des répertoires plurilingues des élèves, de leurs maîtres, et les variétés de
leurs enchâssements dans le contexte socioculturel plus large de la com-
munauté environnante.
En retenant le contexte comme « l’ensemble structuré des traits d’une situation
sociale qui peuvent être pertinents pour la production et l’interprétation d’un évé-
nement communicatif et du discours produit » (p. 52), Cambra Giné souligne son
caractère dynamique, construit, interactif, défini et négocié par les participants
« qui doivent se mettre d’accord sur les objectifs, les intentions, les rôles, autant de
composantes du contexte » (p. 53). Le contexte est ainsi à la fois donné et cons-
truit, et ne constitue pas « un a priori que le chercheur doit décrire, mais [il] émerge
de la description des processus interactifs que les participants développent en-
semble, du travail de contextualisation auquel ils se livrent, de la pertinence qu’ils
attribuent à telle dimension du contexte » (p. 54).
La description des cultures des classes, alors entrevues dans leurs croisements et
entrecroisements8, laisse toute leur place à des perspectives qui recentrent la ré-
flexion sur les participants (l’apprenant, l’enseignant, le chercheur), conçus comme
des acteurs sociaux, dont ce sont, aussi, les perceptions négociées de ce qui
constitue le contexte qui lui en donne ses pertinences et ses aspects configurants :
« Il faut donc apprendre à décrire les contextes, à savoir en dégager les traits
constitutifs, à mieux connaître l’évolution des pratiques pédagogiques à travers les
époques, à les relier à une culture nationale dont on doit étudier la rencontre avec
d’autres usages culturels. […] une dimension ethnographique dans la mesure où
les usages de la classe et de l’enseignement des langues sont autant de res-
sources pour qui veut connaître et comprendre un certain fonctionnement social »
(Chiss et Cicurel, 2005 : 6).
8
Heller (2002 : 165) souligne que tout site ethnographique est relié à d’autres, et que l’ethnographie
constitue en l’exploration d’une toile plutôt que la description d’un tout : « En termes pratiques, cela veut
dire que la recherche doit se situer dans le cadre d’un ensemble de sites, même si un projet spécifique
ne peut se localiser que dans un site particulier .»
-203-
Véronique Castellotti et Danièle Moore
9
Souligné par nos soins.
10
On s’appuie ici, naturellement, sur une illustration à partir du cas du FLE ; on peut toutefois noter que
la didactique de l’anglais langue étrangère (English as a Second Language, ESL), malgré les diffé-
rences évidentes liées au statut différencié des deux langues (il n’apparaît pas nécessaire, en particu-
lier, de se préoccuper de la diffusion de l’anglais) se développe selon un mouvement en partie symé-
trique, à partir d’un « centre à deux têtes » composé de la Grande-Bretagne et de l’Amérique du Nord.
11
qui accompagne le développement du FLE, des méthodes SGAV, comme le rappelle Henri Besse
(1992) aux « approches communicatives ».
-204-
Contextualisation et universalisme
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Véronique Castellotti et Danièle Moore
Conseil de l’Europe, les « Niveaux-Seuils » (1975 pour The Threshold Level, 1976
pour Un niveau-seuil15).
Ce glissement de la primauté du contexte linguistique à la prise en compte du su-
jet-apprenant, socialement situé, entraîne aussi des modifications du contexte
disciplinaire : la didactique des langues16 succède à la linguistique appliquée, sur
le terrain français tout au moins et se constitue peu à peu comme un secteur à la
conquête de son autonomie. La relativisation de la dimension linguistique, au sens
étroit du terme, entraîne aussi une forme de « dilution », d’assouplissement de la
cohérence méthodologique forte qui prévalait dans la période précédente, ce qui
se traduit notamment par un glissement de dénomination, du terme « méthode »
(ou méthodologie), renvoyant à une modélisation contraignante à laquelle il con-
vient de se conformer, au terme « approche » qui se définit comme un ensemble
articulé mais beaucoup moins contraignant de pratiques didactiques présentées
comme davantage situées du point de vue des usagers (les « apprenants » de
langues).
C’est ce déplacement vers celui/celle qui apprend qui conduit à interroger de ma-
nière plus effective, en complément, les dimensions psychosociales des processus
d’appropriation des langues.
15
Coste, D., Courtillon, J., Ferenczi, V., Martins-Baltar, M., Papo, E. et Roulet, E., 1976, Un niveau-
seuil, Conseil de l’Europe, Hatier.
16
C’est en effet en 1976 que paraît le Dictionnaire de didactique des langues, dirigé par Robert Galis-
son et Daniel Coste, qui, quoiqu’en dise la préface, signe en quelque sorte la naissance de ce « do-
maine-carrefour » (Galisson et Coste, 1976 : 1).
17
L’habilitation des formations universitaires en FLE date de 1983, avec la création d’une mention FLE
de licence et d’une maîtrise de FLE comportant environ 100 h d’anthropologie culturelle sur les 350 h
d’enseignement théorique.
18
C’est aussi au cours de cette période que se discute la distinction entre « acquisition » (relevant de
situations « naturelles » d’exposition à la langue) et « apprentissage » (qui suppose un guidage expli-
-206-
Contextualisation et universalisme
cite) et que tentent de s’imposer des hyperonymes comme « accès » ou, plus cohérent avec la pers-
pective constructiviste, « appropriation » (voir notamment Porquier, 1994).
-207-
Véronique Castellotti et Danièle Moore
des principes définissant une « manière d’être aux langues » (Beacco et By-
ram, 2007 : 34 ; voir aussi Beacco, 2005).
Un autre ensemble de facteurs a toutefois concouru, de notre point de vue, à con-
textualiser l’enseignement et surtout l’apprentissage des langues dans cette pé-
riode : celui de la montée en puissance, dans le domaine de l’éducation et de la
formation, de la notion de compétence en tant qu’activité située des acteurs so-
ciaux (voir notamment Le Boterf, 1994 ; Dolz et Ollagnier, 2000). Ce qui
s’accompagne d’interrogations sur la place du sujet dans la construction de cette
compétence et de l’essor des approches biographiques dans la formation (voir
notamment Pineau et Le Grand, 1993, Adamzik et Roos, 2002 ), ainsi que des
technologies de l’information et de la communication comme moyen d’articuler
l’individuel et le collaboratif.
Si, à la fin de ce bref tour d’horizon historique, on observe d’un peu plus près, les
« discours fondateurs » des orientations didactiques correspondant à ces diffé-
rentes périodes, on peut y lire une volonté réelle et répétée d’associer les langues,
leurs usages et leurs apprentissages aux conditions (sociales, historiques, psycho-
logiques notamment) de leurs productions. Ainsi, Henri Besse rappelle par
exemple que la préface de l’édition de 1961 de la méthode SGAV Voix et images
de France insiste sur le fait que « situation et langage sont étroitement associés et
solidaires » et que « même sous sa forme la plus humble, il [le langage] est lié à
une civilisation » (Besse, 1992 : 60).
Ainsi, selon les périodes, on a pu distinguer la sélection de certains facteurs con-
textuels, qui dominent le paysage et qui s’affirment temporairement pour infléchir
les orientations majoritaires. On pourrait donc conclure dans un premier temps sur
l’instauration d’une contextualisation forte pour l’apprentissage et l’enseignement
des langues, et en particulier du français comme langue étrangère/seconde.
Pourtant, par delà les évolutions et les facteurs de contextualisation, nous avons
senti, en effectuant ce retour sur le passé récent, qu’une certaine forme de cons-
tance sous-tendant les orientations perdurait tout au long de ce demi-siècle, cons-
tance qui pourrait notamment être caractérisée par le primat de l’offre sur les de-
mandes et la permanence d’une forme d’universalité sous-jacente :
‐ universalité du primat de la communication ;
‐ universalité des « valeurs » occidentales ;
‐ universalité d’une conception du français comme « langue de civilisation »
(Suso Lopez et Fernandez Fraile, [sous presse]).
Il est tentant, en constatant cette permanence, de la relier aux analyses socio-
historiques qui se sont développées à propos de la période 1945-1970, en tant
qu’espace d’expansion de « l’économie monde » (Wallerstein, 2008) qui consacre
la domination triomphante de « l’universalisme européen ». Dans quelle mesure
les orientations actuelles promues par les instances européennes confortent-elles
ou non cette domination, dans le champ de la didactique des langues ?
-208-
Contextualisation et universalisme
19
Le Canada, dont le Plan d’action pour les langues officielles (BCP, 2003) prévoit de doubler « le
nombre de diplômés du secondaire possédant une compétence fontionnelle dans leur deuxième langue
officielle » (p. 28) est actuellement activement engagé dans une consultation provinciale et pan-
canadienne sur la possibilité d’adopter un cadre commun de référence pour les langues au Canada :
« Dans un tel contexte, le gouvernement canadien pourrait jouer un rôle important en facilitant la mise
au point d’outils communs qui permettraient à chaque province et territoire d’inscrire son programme
dans un cadre commun pour les langues qui bénéficie d’une reconnaissance à l’échelle internationale »
(Vandergrift, 2006 : 14). Ces rencontres, impliquant les délégués des ministères de l’éducation des
Provinces, les associations d’enseignants et de parents d’élèves et divers experts invités, dynamisent
une réflexion concertée sur la transformation des politiques linguistiques et éducatives des Provinces.
La Colombie-Britannique vient ainsi de mandater un comité de consultation pour réviser sa politique
linguistique éducative (Languages Education Policy, 1997, consultable en ligne à
<http://www.bced.gov.bc.ca/policy/policies/language_educ.htm>).
20
On notera le glissement de « contexte », qui renvoie à une relative stabilité, à des modalisations
comme « contextualisation » et « contextualisant » qui s’inscrivent dans une perspective plus dyna-
mique et instable, qui correspond également à notre posture.
-209-
Véronique Castellotti et Danièle Moore
uns aux autres, y compris pour accompagner au mieux les parcours, les tra-
jectoires d’acteurs sociaux se déplaçant d’un contexte à un autre.
Mais les choses ne se sont pas passées exactement comme attendu. C’est
plutôt l’inverse qui s’est souvent produit : le Cadre a été perçu comme une
norme européenne, quasiment comme une prescription ou une injonction, à
laquelle il conviendrait que les différents contextes, bon gré mal gré, se con-
forment. […].
Le Cadre de référence ainsi compris risquait (risque encore ?) dès lors de
devenir un instrument fermé, une procédure de type top down » (Coste
2007 : 4).
Il analyse cette « dérive » comme le produit d’un décalage entre, d’une part, une
offre souple et multiréférentielle, « relevant d’un « sur mesure » et, d’autre part,
une demande focalisée sur un produit globalisant ou totalisant, un « prêt-à-porter »
qui serait beaucoup moins « ajusté et individualisé » (Coste, 2007 : 5).
Qui observe tant soit peu le domaine de l’apprentissage et de l’enseignement des
langues peut admettre avec lui qu’une telle demande, fortement standardisante,
soit massivement le fait concomitant d’au moins deux ensembles : celui constitué
d’un certain nombre d’acteurs de terrains quelque peu insécurisés par les évolu-
tions socio-éducatives, d’une part, et celui des concepteurs de tests et de certifica-
tion, d’autre part.
Mais on assiste aussi à l’apparition d’interrogations plus argumentées portant sur
l’éventuel intérêt d’ « utiliser » ou d’ « adapter » le CECR dans des environnements
notablement différents, de plusieurs points de vue, de ceux pour lesquels il a été
conçu21.
Comment justifier une telle exportation-transposition dans des environnements
historiques, géographiques et sociolinguistiques fondamentalement différents, si ce
n’est en vidant le CECR des fondements même des circonstances de son émer-
gence, et, partant, d’une part (essentielle) de sa substance ? En d’autres termes, si
l’on peut, sans dommage, universaliser le CECR, n’est-ce pas en même temps au
risque de le dépouiller de sa contextualisation historico-sociolinguistique et de n’en
conserver que sa dimension méthodologique, au sens « technique » du mot ?
Daniel Coste revient sur la conception même du CECR, en affirmant qu’elle repose
sur l’alliance entre « une ouverture à des usages multiples et […] un certain
nombre d’options fortes » (Coste, 2007 : 5). Au premier rang de ces options fortes
figure la « promotion du plurilinguisme », inscrite dans des « principes et valeurs
touchant à la démocratie, la citoyenneté et à la compréhension interculturelle »
(Coste, 2007 : 6). Le plurilinguisme peut apparaître, à première vue, comme une
donnée universellement partagée dans un monde globalisé ; mais on peut aussi
considérer, et c’est l’option que nous prenons ici, qu’il existe DES plurilinguismeS
(voir notamment Castellotti, 2006 ; Moore, 2006 ; Lüdi, 2008), dont les construc-
tions contextuelles invitent à imaginer des options politiques et didactiques – par-
21
Ainsi, plusieurs communications au colloque de la FIPF, en 2007, posaient la question d’une mobili-
sation du CECR dans différents pays relevant de plusieurs continents (voir le programme du colloque :
<http://www.fipf.org/colloque2007.htm>).
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Contextualisation et universalisme
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Véronique Castellotti et Danièle Moore
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BIOGRAPHIES DES AUTEURS
Philippe BLANCHET
philippe.blanchet@uhb.fr
Philippe Blanchet est professeur des universités en sciences du langage, spécialiste de
sociolinguistique et de didactique des langue à l’université Rennes-II en France, où il dirige
le laboratoire PREFics EA 3207/UMR CNRS 8143 (Plurilinguismes, représentations, ex-
pressions francophones – information, communication, sociolinguistique). Il est expert au-
près du Language Board de l’ONU (didactique du français), de l’Agence universitaire de la
Francophonie (politiques linguistiques et didactiques du plurilinguisme) et de divers orga-
nismes de recherche internationaux. Professeur d'anglais dans le secondaire (1982-1986),
puis professeur de français à l'université et à l'Alliance française de Kano, Nigéria (1986-
1988), puis professeur certifié de lettres modernes (1989-1991), puis enseignant-chercheur
Biographies des auteurs
Véronique CASTELLOTTI
veronique.castellotti@univ-tours.fr
<http://www.univ-tours.fr/vcastellotti>
Professeure des universités en sciences du langage et didactique des langues à l’université
François-Rabelais, de Tours, en France, Véronique Castellotti est membre de l’équipe
d’accueil 4246 DYNADIV « Dynamiques et enjeux de la diversité : langues, cultures, forma-
tion ». Elle travaille sur les dynamiques associant pluralité/diversité/hétérogénéité linguis-
tique et appropriation, notamment en contexte migratoire, en approfondissant les conditions
de construction et de gestion d’une compétence plurilingue et pluriculturelle. Elle s’attache à
développer des orientations pour une éducation plurilingue et une didactique des plurilin-
guismes. Ses derniers ouvrages publiés incluent : La compétence plurilingue : regards fran-
1
cophones (en collaboration avec Danièle Moore) ; Insertion scolaire et insertion sociale des
2
nouveaux arrivants (en collaboration avec Emmanuelle Huver). Elle est aussi coauteure
avec Daniel Coste, Danièle Moore et Christine Tagliante de la version française du Portfolio
européen des langues pour le collège, paru en 2004.
Mariella CAUSA
mariella.causa@orange.fr
Mariella Causa est maître de conférences à l’UFR de didactique du français langue étran-
gère à l’université Paris-III – Sorbonne nouvelle, depuis 2001. Après une formation en litté-
rature française en Italie, elle a obtenu un DEA en acquisition des langues (Paris-X – Nan-
terre) et un doctorat nouveau régime en sciences de langage à l’université de Paris-III sous
la direction de Sophie Moirand (professeure à Paris-III). Elle travaille dans le domaine des
interactions en classe de langues et du plurilinguisme au sein de l’équipe d’accueil DILTEC.
Ces dernières années, ses travaux se sont plus particulièrement attachés aux probléma-
tiques liées à la formation initiale des enseignants de langue(s) étrangère(s) et à
l’enseignement-apprentissage des langues proches. Ses publications incluent L’alternance
codique dans l’enseignement d’une langue étrangère. Stratégies d’enseignement bilingues
3
et transmission de savoirs en langue étrangère .
Christine DEVELOTTE
christine.develotte@inrp.fr
<http://www.develotte.info>
Christine Develotte est professeure des universités en sciences de l’information et de la
communication. Elle est responsable du service de la veille scientifique et technologique à
l’Institut national de la recherche pédagogique à Lyon (France). Elle est membre de l’UMR
5191 ICAR et ses recherches portent sur la description des formes de communication mé-
diées par ordinateur. Ses travaux portent actuellement sur les interactions pédagogiques en
4
ligne synchrones étudiées dans le cadre du projet Le français en (première) ligne .
1
2008, Fribourg, Peter Lang, coll. « Transversales ».
2
2008, Glottopol, n° 11, [Internet] : <http://www.univ-rouen.fr/dyalang/glottopol/numero_11.html>.
3
2002, Publications universitaires européennes, Peter Lang, Berne, 294 pages
4
Disponible sur Internet : <http://w3.u-grenoble3.fr/fle-1-ligne>.
-220-
Biographies des auteurs
Virginie DOUBLI-BOUNOUA
virginie.doubli-bounoua@umontreal.ca
Céline DOUCET
celinedoucet76@hotmail.com
Céline Doucet est enseignante de français langue étrangère et coordinatrice pédagogique.
Rattachée à l’équipe DYNADIV de l’université de Tours, en France, elle prépare un doctorat
sous la direction de Véronique Castellotti. Après un séjour de deux ans en Louisiane, elle vit
actuellement en Australie où elle mène des travaux de recherche à propos de
l’enseignement du français. Son questionnement repose plus particulièrement sur les no-
tions d'universalité et de contextualisation dans l'enseignement du français hors de France.
Joaquim GUERRA
jguerra@ualg.pt
<http://dlmes.wordpress.com>
Joaquim Guerra est enseignant-chercheur (professeur-auxiliaire) à la faculté de sciences
humaines et sociales de l'université de l'Algarve au Portugal. Il a soutenu sa thèse de docto-
rat en enseignement des langues ayant pour thème l'enseignement de l'écrit en classe de
FLE et les représentations des enseignants au sujet de leurs pratiques d’enseignement de
l’écrit, en juin 2007. Actuellement professeur de FLE et de didactique de la langue mater-
nelle et de didactique du FLE, ses centres d'intérêts actuels sont l'enseignement de l'écrit et
de la lecture, la didactique de la langue étrangère, la formation d'enseignants et l'utilisation
des TIC dans l'enseignement des langues.
Marianne JACQUET
mjacquet@sfu.ca
<http://www.educ.sfu.ca/research/jacquet/index.html>
Marianne Jacquet est professeure adjointe à la faculté d’éducation de l’université Simon-
Fraser, à Vancouver, au Canada. Elle mène des recherches dans les domaines des rela-
tions ethniques en éducation, de l’éducation interculturelle et de la formation des ensei-
gnants. Ses travaux portent plus précisément sur les fondements, les politiques et les pra-
tiques éducatives de gestion de la diversité culturelle et religieuse dans différents contextes
éducatifs. Elle est membre de Metropolis, RIIM (Recherches sur l’immigration et l’intégration
dans les métropoles), centre d’excellence de Vancouver.
-221-
Biographies des auteurs
Constance LAVOIE
constance.lavoie@mail.mcgill.ca
Enseignante du primaire, de formation, Constance Lavoie poursuit actuellement un doctorat
à l’université McGill, au Canada. Son intérêt de recherche provient d’une expérience
d’enseignement dans une école primaire publique en 2003. Les données proviennent de
son expérience d’enseignement et de ses entretiens semi-dirigés et des observations en
classe au Burkina Faso lors de sa collecte de données en 2006 et en 2007.
Mambo MASINDA
mambo_masinda@yahoo.ca
Mambo Tabu Masinda est docteur en science politique. Il est collaborateur de recherche à
l’université Simon-Fraser, à Vancouver, en même temps qu’il travaille au conseil scolaire de
Burnaby, en Colombie-Britannique (Canada), comme conseiller en adaptation. Ses do-
maines de recherche incluent l’étude des migrations africaines internes et externes ainsi
que les politiques d’intégration des nouveaux arrivants au Canada. Il est membre de Metro-
polis, RIIM (Recherches sur l’immigration et l’intégration dans les métropoles), centre
d’excellence de Vancouver.
Tassadit MEFIDENE
tassmefidene@yahoo.fr
Tassadit Mefidene est maître-assistante et chargée de cours à l’université d’Alger, en Algé-
rie. Elle est aussi doctorante à l’université Rennes-II – PRES université européenne de
Bretagne, laboratoire PREFics (Plurilinguismes, représentations, expressions francophones,
EA 3207/UMR CNRS 8143). Ses travaux en sciences du langage portent, d’une part sur les
interactions en classe de langue étrangère (sociolinguistique et didactique des langues),
d’autre part sur la sociolinguistique urbaine.
Danièle MOORE
damoorefr@yahoo.ca
<http://www.cavi.univ-paris3.fr/Ilpga/ed/dr/drdm>
Danièle Moore est professeure à la faculté d’éducation de l’université Simon-Fraser, à
Vancouver, au Canada, et directrice de recherche à Paris-III – Sorbonne nouvelle, où elle a
coordonné, avec Pierre Martinez et Valérie Spaëth, l’axe de recherche « Politique
linguistiques, situations plurilingues et français langue seconde » de l’équipe d’accueil
DILTEC (EA2288). Elle mène des recherches dans les domaines de la sociolinguistique et
de la didactique des langues et du plurilinguisme et s’attache à décrire les conditions de
construction et de gestion d’une compétence plurilingue et pluriculturelle, dans différents
5
contextes de contacts. Ses derniers ouvrages incluent Plurilinguismes et école , et, en
collaboration avec Véronique Castellotti, La compétence plurilingue : regards
francophones6. Elle est membre de Metropolis, RIIM (Recherches sur l’immigration et
l’intégration dans les métropoles), centre d’excellence de Vancouver.
Elatiana RAZAFIMANDIMBIMANANA
elatiana.razafi@univ-rennes2.fr
Elatiana Razafimandimbimanana est titulaire d’un doctorat en sciences du langage et tra-
vaille sur les dynamiques plurilingues, migratoires et francophones. Ses projets de re-
5
2007, Paris, Didier, coll. « LAL ».
6
2008, Fribourg, Peter Lang, coll. « Transversales ».
-222-
Biographies des auteurs
cherche investissent plus particulièrement les milieux scolaires au Québec. Elle est ATER
(attachée temporaire d’enseignement et de recherche) au département de lettres modernes
à l’université Rennes-II – Haute Bretagne et membre du laboratoire PREFics (Plurilin-
7
guismes, représentations, expressions francophones, EA3207/UMR 8143) . Son premier
ouvrage est intitulé Français, Franglais, Québé-quoi ? Les jeunes Québécois et la langue
française : enquête sociolinguistique8.
Évelyne ROSEN
evelyne.rosen@univ-lille3.fr
<http://theodile.recherche.univ-lille3.fr/spip.php?article29>
Évelyne Rosen est actuellement maître de conférences en didactique du français langue
étrangère à l’université Charles-de-Gaulle – Lille-III et a été plusieurs années responsable
pédagogique du centre de FLE (français langue étrangère) de cette université. Elle a ensei-
gné le français langue étrangère et langue maternelle dans différents contextes, en Chine,
aux États-Unis et en France. Elle est l’auteure de Le point sur le Cadre européen commun
de référence pour les langues paru chez CLE international en 2007, est l’une des rédac-
trices du référentiel B2 pour le français mis en place par le Conseil de l’Europe. Elle est
aussi membre de l’équipe de recherche THEODILE (Théories – didactique de la lecture –
écriture, EA1764), dirigée par Yves Reuter.
Cécile SABATIER
sabatier@sfu.ca
<http://www.educ.sfu.ca/research/sabatier/index.html>
Cécile Sabatier est professeure adjointe à la faculté d’éducation de l’université Simon-
Fraser, à Vancouver au Canada. Elle mène des recherches en sociolinguistique, en didac-
tique des langues et du plurilinguisme. Ses travaux s’attachent à examiner les choix éduca-
tionnels sur la construction, le développement et la gestion d’une compétence plurilingue et
pluriculturelle, dans différents contextes. Elle est membre de Metropolis, RIIM (Recherches
sur l’immigration et l’intégration dans les métropoles), centre d’excellence de Vancouver.
Pascal SCHALLER
schallerpascal@yahoo.fr
Étudiant-chercheur à l’université de Paris-III – Sorbonne nouvelle, Pascal Schaller est ac-
tuellement attaché de coopération pour le français, à Torun, en Pologne. Il a enseigné le
français langue étrangère et langue maternelle en Haïti, en Belgique et en France, notam-
ment à l’université Charles-de-Gaulle – Lille-III. Il prépare actuellement, sous la direction de
Jean-Claude Beacco (université Paris-III – Sorbonne nouvelle), un doctorat de sciences du
langage portant sur la prise en compte du milieu homoglotte dans l’enseignement-
apprentissage du français langue étrangère dans un centre de langues.
Carmen-Stefania STOEAN
stoeanc@yahoo.com
Carmen-Stefania Stoean est professeure à l’université de Bucarest, en Roumanie (ASE).
Elle est membre, parmi d’autres, de la Société de sciences philologiques de Roumanie et de
la Société roumaine de linguistique romane. Ses travaux en linguistique théorique et en
analyse constrastive portent sur la théorie des modalités, la théorie des actes du langage,
7
Site Internet : < http://www.uhb.fr/alc/erellif>.
8
2005, préf. de Ph. Blanchet, Paris, L’Harmattan, coll. « Espaces discursifs », 238 pp.
-223-
Biographies des auteurs
Célestin TAPSOBA
celestin_shalom@yahoo.fr
Célestin Tapsoba est titulaire d’une licence de linguistique de l’université de Ouagadougou
au Burkina Faso. Il prépare en ce moment une maîtrise dans la même filière avec une op-
tion en lexicologie, terminologie et traduction. Il a travaillé en tant que traducteur-interprète
mooré-français lors de l’étude présentée dans sa contribution avec Constance Lavoie.
Monica VLAD
monicavlad@yahoo.fr
Ancienne pensionnaire scientifique de l’École normale supérieure de Fontenay – Saint-
Cloud, en France, titulaire d’un doctorat nouveau régime en didactologie des langues et des
cultures obtenu à l’université Paris-III – Sorbonne nouvelle sous la direction de Jean-Louis
Chiss, Monica Vlad enseigne actuellement la didactique du français langue étrangère à
l’université Ovidius, de Constanta, en Roumanie. Membre associée de l’équipe d’accueil
DILTEC, ses recherches portent sur l’enseignement-apprentissage de l’écrit en français
langue étrangère en contexte scolaire et sur la formation initiale des enseignants de français
langue étrangère en contexte alloglotte. Ses contributions incluent Lire des textes en fran-
9
çais langue étrangère a l’école .
Sylvie WHARTON
sylviewharton@wanadoo.fr
Sylvie Wharton est maître de conférences en sciences du langage à l’IUFM (Institut de
formation des maîtres) de La Réunion (île de la Réunion) et appartient à l’équipe LCF –
UMR 8143, université de La Réunion. Elle est aussi membre de l’équipe internationale
Diverlang, coordinatrice scientifique de l’équipe réunionnaise sur le projet « Construction
des connaissances langagières, diversité des usages, contextes sociolinguistiques »,
programme financé par l’ANR, (Agence nationale de la recherche, ministère de la
Recherche), et membre de la fédération de recherche FR 2559 du CNRS, « Typologie et
universaux du langage – programme XI : contacts de langues ». Ses travaux sont fédérés
autour du trinôme : contact de langues – école – compétence langagière. Ils s’intéressent
aux situations scolaires qui présentent des contacts linguistiques endogènes (La Réunion)
ou exogènes (migrations), aux dynamiques de développement langagier en situation de
contact « affinitaire », et à la didactique du plurilinguisme. Elle coordonne actuellement avec
Jacky Simonin un ouvrage intitulé Sociolinguistique des langues en contact, modèles,
10
théories. Dictionnaire encyclopédique des termes et concepts .
9
2006, Éditions modulaires européennes, coll. « Proximités – Didactique », Louvain-la-Neuve.
10
à paraître, Lyon, ÉNS Editions, coll. « Langages ».
-224-
Imprimé en France
Philippe BLANCHET, Danièle MOORE et Safia ASSELAH RAHAL
PERSPECTIVES POUR UNE
DIDACTIQUE DES LANGUES
CONTEXTUALISÉE
Sous la direction de Philippe BLANCHET, Danièle MOORE et Safia ASSELAH RAHAL
Ï
et sociaux qui nous ont amené à considérer qu’il devenait urgent de rassembler une PERSPECTIVES POUR UNE
série d’études sur la question des contextes en didactique des langues. Conçu comme un
volume collectif exploratoire, il a pour objectif de susciter une réflexion sur la nécessité de DIDACTIQUE DES LANGUES
développer un ensemble de recherches à ce sujet, tant du point de vue théorique que du CONTEXTUALISÉE
point de vue des transferts possibles, voire souhaitables, dans la formation des enseignants
de langues et dans les pratiques d’enseignement. Il cherche notamment à montrer la
pertinence sociale et scientifique de ses questionnements, à fournir des repères en matière
de cadre épistémologique, d’orientations théoriques, de méthodes de la recherche. Les
études réunies portent sur les contextes de pluralité linguistique individuelle ou collective,
sur l’enseignement–apprentissage–acquisition d’autres langues (nationales, régionales, Sous la direction de :
minoritaires, etc.), sur différentes modalités didactiques inscrites dans un continuum
Prix public : 32 euros TTC ( Prix préférentiel AUF - pays en développement : 16 euros HT )
ISBN: 978-2-914610-78-0