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L’accès à l’eau dans les villes africaines
Mwanza wa Mwanza
Sur fond de privatisation, la gestion de l’eau dans les villes
africaines se heurte à plusieurs problèmes : l’inadéquation de l’offre à une demande poussée par la croissance des populations urbanises, la faible qualité du traitement de l’eau ainsi que ses répercutions sur la santé publique. Quelle politique adopter qui assure le droit fondamental que représente l’accès à l’eau ?
Mots-clés : Eau, privatisation, santé publique.
Le problème de distribution et d’accès à l’eau, en particulier à
l’eau potable en Afrique, est encore peu médiatisé. En dehors de quelques images sensationnelles sur les effets d’une sécheresse ici et là, c’est l’aide alimentaire qui prend le devant de la scène sans que la question de la disponibilité et de la qualité de l’eau soit réellement posée. Certes, l’avancée du désert et ses effets sur l’agriculture et l’élevage dans les pays sahéliens dont l’objet de publications, surtout scientifiques, mais elles ne bénéficient pas d’une assez large diffusion Les populations des zones sahéliennes et des zones de sécheresse régulière sont attentives aux enjeux de l’eau, comme en témoigne la place qu’elles réservent à cette ressource dans les projets de développement. Plus on s’éloigne de ces zones, moins cette prise de conscience paraît évidente et, dans l’ensemble, la connaissance du grand public sur le sujet se limite aux difficultés d’approvisionnement en eau pour des besoins domestiques.
I. A l’origine d’un conflit
Malgré les maladies dangereuses que l’eau peut provoquer et
malgré la proclamation de la décennie de l’eau (1980 – 1990) ou de la journée mondiale de l’eau (le 22 avril), l’idée d’associer la 166
consommation de l’eau à la santé est encore marginale tant dans le
chef des autorités urbaines que dans celui de la population. L’absence de programmes d’assainissement dans les villes africaines se manifeste par le rejet des ordures, des eaux usées ménagères, mais aussi industrielles, dans les fleuves et rivières. L’eau est traitée au chlore, mais on ne peut pas la concevoir longtemps à domicile, car la quantité de chlore résiduel libre décroît rapidement et devient nulle après trois jours. La sous-information contraste, d’une part, avec la recrudescence des maladies hydriques en Afrique et, d’autre part, avec la vague de privatisation de la gestion de l’eau. De plus, dans certaines régions du continent, à l’exemple du Soudan, l’eau est un enjeu politique et, en partie, l’une des causes du conflit armé qui oppose le pouvoir de Khartoum aux rebelles du Sud. Ainsi, sans nécessairement expliquer les conflits, les modalités d’exploitation et de gestion de cette ressource contribuent à attiser les tensions et renforcer les inégalités déjà existantes. Les enjeux de l’eau sont légion en Afrique. Ils sont liés à la crise économique et à la crise de l’Etat. Des problèmes tels que la mauvaise qualité de l’eau traitée ou l’inexistence d’un réseau de distribution dans certains quartiers sont exacerbés par la croissance urbaine qui impose un rythme d’investissements incompatible avec les moyens techniques et financiers disponibles. Les villes africaines se caractérisent dans leur grande majorité par une croissance démographique très rapide, de l’ordre d’un peu plus de trois pour cents (3,1) en moyenne par an. La demande d’approvisionnement domestique s’en trouve accrue en volume et en termes de raccordements individuels par rapport aux possibles du réseau. Or, les faibles densités et l’immensité spatiale des villes qui s’étendent horizontalement exigent un réseau de distribution très maillée. La ville de Kinshasa, par exemple, s’étend sur environ septante kilomètres de long et vingt de large. L’extension du réseau en périphérie devrait se faire au bénéfice d’une population aux faibles revenus. Cette dernière ne peut contribuer à cet effort et le coût des nouvelles infrastructures incombe totalement aux pouvoirs publics qui n’en ont pas la capacité financière. Dans la plupart des nouveaux quartiers, il n’existe pas de véritable réseau d’adduction d’eau en dehors de quelques bonnes fontaines, pompes manuelles et postes d’eau autonomes installés hâtivement pour faire face à une demande pressante. 167
II. Système D
Dans les villes africaines, la gestion et la distribution de l’eau de
consommation sont assurées par un service public à caractère industriel et commercial. L’accès l’eau par les ménages et autres utilisateurs (administrations ou industries) fait l’objet d’un abonnement mensuel auprès de la société distributrice d’eau, qui organise un réseau adéquat et équipe les ménages en raccordements individuels. Ces objectifs ne sont pas souvent atteints. A Ouagadougou, seulement un quart de la population disposait, en 1994, d’un branchement individuels. Or, leur prix de revient est hors de portée pour de nombreux ménages, car il représente trois fois le salaire minimum garanti. Par ailleurs, le problème de la faible capacité des usines de traitement des eaux se pose. Selon les statistiques disponibles, la population urbaine ayant accès à l’eau potable varie de trente à cinquante pour cent. Le coût de l’approvisionnement en eau, même subventionné, est jugé exorbitant parce qu’il représente en moyenne cinq pour cent du budget ménager. De nombreux ménages ne s’acquittent pas Régideso1 payent régulièrement leur facture. L’ensemble de ces facteurs permet d’expliquer l’inadéquation entre l’offre disponible et les besoins croissants. La ville, en plus des besoins domestiques, en génère d’autres pour les services, les industries et l’agro-industrie. Dans les villes, les propriétés d’un branchement individuel se muent souvent en vendeurs d’eau. Ils se chargent d’honorer la facture vis-à-vis de la société de distribution, soit du nombre de sceaux puisés, soit par forfait mensuel. Ce système est de plus en plus fréquent en raison de la crise économique, la vente de l’eau devant pour certains ménages une activité d’appoint destinée à arrondir les fins de mois. Le réseau de distribution d’eau étant de plus en plus éloigné des nouveaux noyaux urbains, des jeunes se chargent de la vente. Ils sont soit au service d’une personne disposant d’un branchement individuel, soit indépendants. Ils achètent de l’eau à la pompe ou à la borne- fontaine la plus proche et vont la livrer aux ménages éloignés du réseau. En 1994, on estimait qu’à Ouagadougou trente-sept pour cent
1 En République Démocratique du Congo, il s’agit de la compagnie nationale chargée de la distribution d’eau. 168
des ménages urbains étaient ravitaillés en eau par le service de
revendeurs. Les bornes-fontaines sont, en général, gérées par un particulier, auprès duquel chaque utilisateur s’acquitte d’un montant mensuel fixe. Le gestionnaire se charge de régler le montant de la redevance auprès de la société de tutelle. L’eau est moins chère mais l’approvisionnement
III. Vers une appropriation privée
La privatisation de l’eau relève de l’idée selon laquelle l’eau est
un bien économique. Suivant cette logique commerciale, seul le secteur privé est capable d’en assurer la distribution efficace en granitisant la rentabilité financière de l’entreprise. La fourniture d’eau cesse d’être considérée comme un service public. L’utilisateur de l’eau doit s’acquitter du prix vérité, comprenant les frais relatifs à son traitement au transport, à l’énergie, au personnel et à l’entretien comme à l’extension du réseau. Ainsi appréhendée, la distribution de l’eau dans les villes africaines représente un marché juteux que les multinationales tentent de s’approprier. Cette logique d’appropriation privée du bine public est facilement acceptée dans ces pays. Les pouvoirs publics incapables de faire face aux contraintes de la dette sont peu enclins à assumer efficacement leur mission sociale et collective. Sans s’interroger sur la nature réelle de cette incapacité, les organismes financiers internationaux mettent en évidence cet échec de l’Etat pour imposer la privatisation. Pourtant, une gestion de l’eau à l’aune de la rentabilité financière est préjudiciable à la majorité de la population. Récupérer intégralement les coûts du traitement et de la distribution d’eau sur les consommateurs se traduira inévitablement par une dualisation sociale, entre les ménages susceptibles d’assumer le prix de l’eau et les autres, c’est-à-dire deux tiers des urbains qui vivent sous le seuil de pauvreté. Il revient aux pouvoirs publics, au nom de la justice sociale, de subventionner la distribution d’eau et de supporter les coûts de l’extension du réseau vers les zones urbaines à population peu rentable. On ne peut nier qu’une partie du coût de ces services soit pris en charge par les utilisateurs et que l’entreprise, même publique, assainisse sa gestion. Au lieu de confier le contrôle de la distribution de l’eau aux multinationales, mieux vaudrait 169
responsabiliser les entités de base et recourir à des financements
alternatifs pour assurer distribution d’une eau de qualité à chaque citoyen.
IV. Le besoin d’une participation citoyenne
La méconnaissance des enjeux de l’eau soulève la question, plus
générale, de la participation citoyenne au débat sur l’avenir de la société. La démocratisation du débat sur la gestion et le financement de l’eau mérite d’être inscrite rapidement à l’ordre du jour. Il est nécessaire d’assurer la vulgarisation des enjeux et des bienfaits de l’eau et d’encourager la discussion sur ce sujet auprès du grand public. De manière structurelle, il y a lieu d’inscrire désormais au programme scolaire l’enseignement de l’eau, de ses usages et de ses conséquences sanitaires. Par ailleurs, la décentralisation effective de la gestion de l’eau est une alternative à la privatisation. Cette option vise à faire participer réellement les citoyens aux décisions touchant à la gestion de l’eau, par le biais de représentants élus et aussi par la participation de représentants de la société civile aux conseils de gestion des entreprises de distribution d’eau. Pour garantir l’accès à l’eau pour tous dans les villes, une intercommunale urbaine chargée de la gestion et de la distribution d’eau est préférable à la parcellisation des organes de gestion au niveau de chaque commune. Elle permet d’éviter le risque de la dualisation en matière de distribution de l’eau, en imposant un système de péréquation entre les communes riches et les plus pauvres. Là où l’accès à l’eau n’est pas individuel, la promotion de la participation populaire au travers d’organes de quartier est souhaitable. Ils seraient chargés d’intervenir dans la gestion, l’entretien et éventuellement la construction de bornes-fontaines. Il reste que la vigilance populaire par rapport aux enjeux de l’eau est un allié sûr pour l’Etat face aux pressions extérieures. Le contrôle populaire est également le meilleur gage pour éviter que les gouvernants ne remettent en cause cet acquis social qu’est l’accès à l’eau potable. L’Etat se doit donc de garder une majorité largement suffisante dans le capital des sociétés de distribution d’eau afin d’être capable de promouvoir des actions à caractères social, c’est-à-dire au bénéfice du plus grand nombre.