Eschatologie Dans La Bible Et Chez Les Peres

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LA MORT ET L’AU-DELÀ DANS LA BIBLE

Comment la conception de la mort et l’au-delà dans la Bible a-t-elle évolué pour mener au concept
de la résurrection ? 1
Au sommaire
Le shéol
La théologie de la rétribution
Job : l’injustice de la théologie de la rétribution
Qohélet : la vie sans au-delà est absurde
L’émergence de l’idée de la Résurrection au sein du Judaïsme :
L’épisode des frères Maccabées
L’au-delà dans le livre de la Sagesse
Le débat autour de la croyance en la résurrection au temps de Jésus
L’au-delà dans l’enseignement de Jésus
La réception de l’expérience de la résurrection

1. Le shéol
Si on ne croyait pas au paradis, à l’enfer ou à la résurrection qu’est-ce qu’on croyait qu’il se passait
après la mort ? Pendant, un bon moment dans l’histoire du peuple hébreu, aux temps de moïse,
David et des prophètes, on n’avait pas vraiment développé ce qu’il avait après la mort. La mort était
la fin de la vie. Au-delà de la mort, il n’y avait rien, ou... presque rien. Les morts étaient au shéol.
Le Shéol : Au sens premier, le mot hébreu «shéol» indique une tombe, un trou profond dans la terre
pour placer les cadavres. à la mort, la personne était donc physiquement au «shéol» dans sa tombe.
Pour les Hébreux, il était impensable de séparer le corps et l’âme. Il faut se rappeler que pour
l’homme de la bible, l’humain était indissociable. Contrairement à la pensée grecque, l’ancien
testament ne voit pas de distinction entre un corps matériel et corruptible, d’une part, et une âme
immatérielle et incorruptible, d’autre part.
Lieu ou symbole ?
Avec le temps, «shéol» fini par désigner une sorte de lieu du séjour des morts. Ce lieu est
caractérisé par le noir, le silence, la poussière, la profondeur, l’absence, l’oubli. C’est un lieu de
semi-existence où la communication est impossible, en particulier avec dieu. Dieu est absent du
shéol. En fait, le shéol, au plus profond de la terre, est à l’extrême opposé du ciel où habite le dieu
vivant. Le séjour des morts est évidemment un lieu d’où on ne peut sortir, en rupture avec le monde
des vivants. L’ancien testament regarde donc la mort en face et ose en parler sans l’édulcorer...
L’humain est un être marqué par sa propre finitude. Plus tard, lorsque la croyance en la résurrection
va se développer, le shéol deviendra un lieu d’attente du jugement de dieu et de la résurrection
finale.

2. La théologie de la rétribution
Sans résurrection, sans récompense après la mort, comment est-ce que dieu pouvait être fidèle
envers les justes ? L’ancien testament affirme à plusieurs endroits que c’est sur terre que dieu punit

1
Journée biblique 2008 organisée par le Centre biblique de Montréal.

1
les méchants ou récompense les justes par la prospérité et la descendance. Voilà ce qu’on appelle la
théologie de la rétribution.
Abraham, David et les prophètes n’attendaient pas de récompense au ciel. Ils croyaient en dieu,
mais n’espéraient rien après la mort. Pour eux, la vie se vivait sur terre et la récompense de dieu
était aussi sur terre. si tu vivais bien, tu étais récompensé par une grande descendance, la prospérité,
des troupeaux, une terre, une maison, des serviteurs, des femmes et des concubines... La belle vie
quoi ! et, au contraire, si tu vivais en désobéissant aux commandements de dieu tu étais puni sur
terre : maladie, pauvreté, stérilité, absence de descendance, la mort.
Abraham est un bon exemple de juste. Dieu lui donne une grande descendance, une terre, des
troupeaux, femmes et concubines, et, il vit jusqu’à 175 ans. Donc, même sans vie après la mort,
dieu reste fidèle à son alliance puisque c’est sur terre qu’il s’occupait des justes. Comme chrétiens,
que peut-on retenir de cette conception ? Souvent, on donne tellement d’importance à la vie après la
mort (paradis, enfer, résurrection), qu’on oublie que la relation avec dieu se vie d’abord sur terre.
Les grands personnages de l’ancien testament ne s’attendaient à rien après la mort, pourtant, ils
avaient une grande foi en dieu.

3. Job : l’injustice de la théologie de la rétribution


Comment comprendre la théologie de la rétribution si un juste vit une injustice ? Job est un juste qui
observe les commandements de dieu et fait les sacrifices prescrits. Pourtant, toutes sortes de
malheurs le frappent : il perd son bétail, ses serviteurs, ses enfants et même sa santé. Le livre de Job
a été écrit par au moins deux rédacteurs qui ont des visions très différentes. d’un côté, le prologue
de Job est écrit par quelqu’un qui veut garder la théorie de la rétribution. (Le seigneur bénit les
justes et maudit ceux qui ne respectent pas ces commandements.) Par exemple, voici la réaction de
Job au malheur : « Si nous acceptons de Dieu le bonheur, pourquoi refuserions-nous de lui le
malheur ? » (Job 2, 10) dans la majeure partie du livre, (le long poème écrit par le deuxième auteur)
Job se défend devant ces trois « amis » contre la théorie de la rétribution. Les amis font l’équation
suivante: dieu punit celui qui a fait une faute ; Job doit donc avoir fait quelque chose de
répréhensible puisqu’il a tout perdu. Job ne comprend plus rien puisqu’il sait qu’il a toujours été
juste. Le système de la rétribution ne marche plus. Le juste souffre. Sa souffrance est physique,
mais aussi théologique. La compréhension que Job a de dieu ne fonctionne pas avec la réalité.
Comment Job parle de la mort ? Comparée à sa situation, la mort (le shéol) semble être un lieu de
repos et de paix : « Pourquoi n’être pas mort dès avant ma naissance, n’avoir pas expiré dès que
j’ai vu le jour ? Pourquoi ai-je trouvé deux genoux accueillants et deux seins maternels où je tétais
la vie ? Je serais aujourd’hui tranquille dans ma tombe ; alors je dormirais et je serais en paix. »
(Job 3, 11-13) une autre citation nous montre que, pour lui, la vie est éphémère : « L’homme n’est
rien d’autre que l’enfant de la femme. Sa vie demeure brève et remplie de tourments. Comme la
fleur, il s’épanouit, et puis se fane; comme l’ombre qui fuit sans pouvoir s’arrêter. Or il reste
toujours de l’espoir pour un arbre : si on le coupe, il peut se mettre à repousser, il ne manquera
pas de produire un bourgeon. Même si sa racine vieillit dans la terre, et si sa souche paraît morte
dans le sol, l’odeur de l’eau suffit pour qu’il reprenne vie et pousse des rameaux comme s’il était
jeune. Quand l’homme meurt, par contre, il est privé de force. Que devient-il, une fois qu’il a
expiré ? » (Job 14,1-2.7-10)
Job témoigne que l’au-delà reste une grande question : Quand l’homme meurt, que devient-il, une
fois qu’il a expiré ? Au fond, Job porte la même question que nous. Job fini par accuser dieu : « Ah,

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combien j’aimerais être enfin écouté ! Je peux signer ce que j’ai dit. C’est maintenant au Dieu très-
grand de me répondre ! » (Job 31, 35) Le Seigneur répondit alors à Job du sein de l’ouragan et
dit : Qui es-tu pour oser rendre mes plans obscurs à force de parler de ce que tu ignores ? Tiens-toi
prêt, sois un homme : je vais t’interroger, et tu me répondras. Où donc te trouvais-tu quand je
fondais la terre ? Renseigne-moi, si tu connais la vérité : Qui a fixé ses dimensions, le sais-tu
bien ? Et qui l’a mesurée en tirant le cordeau ? Sur quel socle s’appuient les piliers qui la portent ?
Et qui encore en a placé la pierre d’angle, quand les étoiles du matin chantaient en chœur, quand
les anges de Dieu lançaient des cris de joie ? (Job 38, 1-7) Ce que dieu dit à Job c’est qu’il n’a pas
sa perspective. On ne peut comprendre la vision de dieu pour sa création. C’est un avertissement
pour nous. N’essayons pas de nous prendre pour dieu en expliquant tout ce qui se passe après la
mort. Seul dieu le sait. Il est l’unique créateur.
Comment se termine l’histoire de Job?
L’épilogue du livre de Job termine comme il avait commencé en revenant avec la doctrine de la
rétribution que le reste du livre remet pourtant en question. Job retrouve ses possessions, sa santé,
des enfants, etc. : « Après cela, Job vécut encore cent quarante ans, et il put voir ses enfants, ses
petits-enfants, tous ses descendants jusqu’à la quatrième génération. » (Job 42, 16)
Pour conclure avec Job, on peut aussi dire que son histoire est proche de celle du peuple d’israël qui
en exil va se demander pourquoi il souffre, lui qui se croyait juste. La doctrine de la rétribution est
mise en question pour une première fois. Cette remise en question va éventuellement permettre une
nouvelle compréhension du rapport entre la vie et la mort.

4. Qohélet : la vie sans au-delà est absurde


Le livre de Qohélet (aussi nommé l’ecclésiaste) a été écrit à l’époque de l’empire grec pendant la
période où la Palestine est soumise aux séleucides entre 250 et 200 av. J.-C. Comme Job, Qohélet
conteste l’interprétation traditionnelle de la théologie de la rétribution. Ce qu’il observe, c’est que
cette explication ne correspond pas à la réalité. Il y a des méchants qui prospèrent et des justes qui
souffrent. C’est plutôt le hasard qui semble déterminer qui aura un destin heureux ou malheureux,
sans tenir compte de ce qu’ils soient justes ou méchants. On ne peut donc pas s’appuyer sur cette
compréhension religieuse pour orienter ou comprendre la vie et la mort.
Pourtant des faits décevants comme la fumée se produisent sur la terre : des justes sont traités
comme le méritent les méchants, et des méchants connaissent la réussite que méritent les justes. Je
le répète : cela aussi est vanité ! (Qo 8, 14)
De façon provocante, Qohélet dira que l’être humain partage le même sort que les animaux.
Humains et animaux partagent le même sort dans la mort :
En effet, le sort final de l’homme est le même que celui de la bête. Un souffle de vie identique anime
hommes et bêtes, et les uns comme les autres doivent mourir. L’être humain ne possède aucune
supériorité sur la bête puisque finalement tout part en fumée. Toute vie se termine de la même
façon, tout être retourne à la terre à partir de laquelle il a été formé. Personne ne peut affirmer que
le souffle de vie propre aux humains s’élève vers le haut tandis que celui des bêtes doit disparaître
dans la terre. (Qo 3, 19-21)
Comme les bêtes nous sommes égaux dans la mort. Il faut se rappeler que pour les contemporains
de Qohélet, après la mort, il n’y a rien. C’est là l’absurdité que porte Qohélet.
Une lueur d’espoir malgré ses propos décourageants, Qohélet propose une lueur d’espoir en nous
suggérant de bien savourer les plaisirs de la vie dans le moment présent. Pour lui, ces plaisirs sont

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vus comme des dons de dieu : Alors, mange ton pain avec plaisir et bois ton vin d’un coeur joyeux,
car Dieu a déjà approuvé tes actions. En toute circonstance, mets des vêtements de fête et n’oublie
jamais de parfumer ton visage. Jouis de la vie avec la femme que tu aimes, chaque jour de la
fugitive existence que Dieu t’accorde ici-bas. C’est là ce qui te revient dans la vie pour la peine que
tu prends ici-bas. (Qo 9, 7-9)
Mais pour Qohélet, même ces plaisirs sont vanités, car ils sont toujours passagers et ils n’empêchent
pas l’homme d’aboutir à la mort. Ces plaisirs ne procurent pas le véritable bonheur qui cherche le
cœur humain : Un homme peut avoir une centaine d’enfants et vivre de nombreuses années. Que
vaut tout cela s’il n’est pas heureux pendant sa longue vie et s’il n’est même pas enterré
décemment ? A mon avis, la condition de l’enfant mort-né est meilleure que la sienne. En effet,
celui-ci est venu comme de la fumée sans lendemain, il disparaît dans l’obscurité et personne ne se
souvient de lui. Il n’a même pas vu le jour et il n’a rien connu de la vie. Il est plus tranquille que
celui qui vit longtemps. Ce n’est pas la peine de vivre, serait-ce jusqu’à deux fois mille ans, si l’on
ne connaît pas le bonheur. Car toute vie aboutit à la mort. (Qo 6, 3-6)
Tout est vanité Qohélet le dit et le redit partout dans son livre :
« Vanité des vanités, dit Qohélet, vanité des vanités, tout est vanité. »
C’est un des versets les plus connus du Qohélet qui revient sans cesse dans son livre. mais que
signifie-t-il ? en hébreu, c’est « hèvèl » qu’on traduit traditionnellement par vanité. au sens premier,
il décrit de la buée, de la vapeur. Dans le fond, ce qui est « hèvèl » c’est quelque chose qui est
éphémère et sans consistance. Pour Qohélet toutes les expériences de la vie autant bonne que
mauvaise sont qualifiées de vanité (hèvèl). Devant la mort définitive, la vie est éphémère et absurde.
Qohélet nous ramène à un aspect essentiel de notre réalité humaine. il nous invite à ne pas rester
dans l’illusion et de prendre en compte la réalité de notre propre finitude. La mort, c’est la mort et
c’est frustrant pour nous qui avons un désir d’infini.

5. L’émergence de l’idée de la Résurrection au sein du Judaïsme : l’épisode des frères


Maccabées
La croyance dans un au-delà de la mort et en une résurrection, au sein du judaïsme, est un jour qui
s’est levé lentement et progressivement. Dans les textes bibliques ayant été rédigés avant le IIème
siècle av. J.-C., on avait peu de lueurs, on en était tout juste arrivé à colorer un peu le ciel de la nuit
par l’aspiration à une continuité qui est nommée dans le discours des sages Job, Qohélet, mais le
soleil n’a pas encore percé, car cette aspiration viendra se fracasser sur la fatalité du shéol. On n’a
pas encore osé imaginer un au-delà de la mort.
C’est souvent à travers des coups durs, des événements difficiles à traverser que viennent les
meilleures leçons de la vie. Ces événements douloureux viendront dans l’histoire d’israël et feront
se lever enfin le soleil de la croyance en la résurrection des justes. Ce lever du jour se fera à partir
d’un épisode de persécutions. un des épisodes de persécutions des Juifs fut mené sous l’empire grec
par antiochus iV Épiphane.
Contexte historique : assimilation et persécutions
Rappelons d’abord à gros traits le contexte historique. Après la mort d’Alexandre le Grand (323 av.
J.-C.), le royaume grec sera divisé entre plusieurs rois. Différents rois hellénistiques régneront sur la
Palestine avec des attitudes fort diverses à l’égard des Juifs, allant de la tolérance aux tentatives
d’assimilation à la culture grecque. Quand antiochus iV Épiphane (175-164) régna à son tour sur la
Palestine, il voulut réduire par la force le particularisme juif : il tentera d’interdire la circoncision,

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l’observance du sabbat, les pratiques de la Loi, il brûlera les Livres de la Loi, contraindra les Juifs à
participer à des cérémonies en l’honneur de divinités païennes et à participer à des repas sacrificiels
où l’on consomme du porc (viande impure honnie par la Loi juive). Évidemment, plusieurs Juifs
subiront le martyre durant cette période, en voulant rester fidèles à la Loi juive et en refusant de se
prêter aux décrets du roi persécuteur. Cette tentative d’assimilation à l’hellénisme et ces
persécutions des Juifs sont relatées dans les deux livres des Maccabées de l’ancien testament.
Le roi ordonna que, dans tout son royaume, tous ses peuples n’en forment qu’un et renoncent
chacun à ses coutumes ; toutes les nations se conformèrent aux prescriptions du roi. Beaucoup
d’Israélites acquiescèrent volontiers à son culte, sacrifiant aux idoles et profanant le sabbat. Le roi
envoya aussi à Jérusalem et aux villes de Juda des lettres par messagers, leur prescrivant de suivre
des coutumes étrangères au pays, de bannir du sanctuaire holocaustes, sacrifices et libations, de
profaner sabbats et fêtes, de souiller le sanctuaire et les choses saintes, d’élever autels, sanctuaires
et temples d’idoles, de sacrifier des porcs et des animaux impurs, de laisser leurs fils incirconcis et
de se rendre abominables par toutes sortes d’impuretés et de profanations, oubliant ainsi la Loi et
altérant toutes les
1 Les livres des Maccabées font partie des livres dits « deutérocanoniques », c’est-à-dire qu’ils ne
font pas partie du Canon des Écritures du Judaïsme, ni de celui de nombreuses traditions
protestantes qui ne tiennent pour livres canoniques de l’Ancien Testament que le contenu de la
Bible hébraïque. Cependant, ces livres, qui nous sont parvenus par la tradition grecque de la Bible
(la Septante), ont cependant été intégrés assez tôt au canon des Écritures par la tradition catholique.
Quiconque n’agira pas selon l’ordre du roi sera mis à mort. C’est en ces termes que le roi écrivit à
tous ses sujets. Il créa des inspecteurs pour tout le peuple et ordonna aux villes de Juda d’offrir des
sacrifices dans chaque ville. (1 m 1,41-51) il faut dire que tout l’empire (plus ou moins, tout le
bassin méditerranéen) baigne dans la culture grecque et que cette culture est séduisante, à tel point
que même des Juifs de Jérusalem, même des grands prêtres du temple seront séduits par la culture
grecque et seront favorables à une certaine assimilation. Comme en fait foi ce texte :
En ces jours-là, des vauriens surgirent d’Israël, et ils séduisirent beaucoup de gens en disant : «
Allons, faisons alliance avec les nations qui nous entourent car, depuis que nous sommes séparés
d’elles, bien des maux nous ont atteints. » Ce discours leur plut, et plusieurs parmi le peuple
s’empressèrent de se rendre auprès du roi qui leur donna l’autorisation d’observer les pratiques
des nations, selon les usages de celles-ci. Ils bâtirent donc un gymnase à Jérusalem, ils se refirent
le prépuce, firent défection à l’alliance sainte pour s’associer aux païens, et se vendirent pour faire
le mal. (1 m 1,11-15)
Le point culminant d’antiochus iV Épiphane fut de consacrer le temple de Jérusalem au dieu Zeus
de l’olympe. Les Juifs décriront en ces termes cette profanation du temple : l’abomination de la
désolation. Le quinzième jour de Kisleu en l’an 145, le roi construisit l’Abomination de la
désolation sur l’autel des holocaustes et, dans les villes de Juda circonvoisines, on éleva des autels.
(1 m 1,54)
La réaction des Juifs
Lorsqu’on est attaqué ainsi dans son identité la plus fondamentale, et qu’on ne veut pas se laisser
assimiler, il y a deux façons de réagir : la résistance armée (prendre les armes) ou la résistance
religieuse (mettre encore plus de zèle dans l’observance religieuse), les deux étant vues comme une
fidélité à Yahvé et à la Loi de moïse. C’est ce qui se produira. Aussi, de cette persécution, menée
par antiochus iV Épiphane, naîtront deux mouvements juifs encore présents et influents au temps de

5
Jésus : le Pharisianisme (la résistance religieuse) et les mouvements révolutionnaires armés qui
s’appelleront au temps de Jésus, les Zélotes. Ces deux mouvements plongent leurs racines dans cet
épisode marquant de persécutions au deuxième siècle av. J.-C. sous la conduite des frères
Maccabées, on prit les armes pour reconquérir une relative indépendance politique et religieuse
durant environ 100 ans, jusqu’à ce que l’ordre romain ne leur soit imposé. Pompée s’empara en
effet de Jérusalem en 63 av. J.-C. et la résistance religieuse produira ce mouvement de pieuse
observance de la Loi (Hassidim).

Apparition de la croyance en la résurrection


Pourquoi est-ce à ce moment-là que naîtra la croyance en la résurrection au sein du judaïsme ?
Parce que, de ces persécutions, surgira la conviction suivante : « si quelqu’un a accepté de mourir
au lieu de renier la foi de ses pères, si quelqu’un est resté fidèle à la Loi jusqu’au martyre, plutôt
que de rendre un culte aux idoles, il faut que dieu le récompense après la mort ». de ces épisodes
sombres est donc née la croyance en un «après », à une récompense, une rétribution au-delà de la
mort, par la résurrection des justes au dernier jour. Comme en témoigne ce texte qui raconte le
martyre de sept frères à qui on tente de faire manger du porc :
Quand le premier eut ainsi quitté la vie, on amena le second au supplice. Après lui avoir arraché la
peau de la tête avec les cheveux, on lui demandait : « Mangeras-tu du porc plutôt que de subir la
torture de ton corps, membre par membre ? » Mais il répondit dans la langue de ses pères : « Non !
» C’est pourquoi lui aussi subit les tortures l’une après l’autre. Au moment de rendre le dernier
soupir, il dit : « Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce
que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle. » (2 m 7,7-9)
Le rapport aux défunts
Enfin, de ces événements naîtra aussi une autre idée par rapport aux défunts, une idée qui sera
familière aux catholiques : l’idée de l’intercession pour les morts. Du moment que l’on croit à la vie
au-delà de la mort de ceux qui nous ont quittés, l’idée qu’on peut intercéder pour eux devient
possible. Ça va surgir lors d’un épisode de défaite d’une bataille de Judas Maccabées. Or, en
ramassant les corps des Juifs tués lors du combat, on s’aperçoit que ceux qui sont tombés portaient
des amulettes d’une divinité païenne, ce qui est un péché grave pour un Juif (l’idolâtrie). Judas fera
donc offrir un sacrifice au temple pour l’expiation de leur péché. Le narrateur commente
positivement ce geste de Judas en disant :
Ayant fait une collecte par tête, il envoya jusqu’à deux mille drachmes à Jérusalem, afin qu’on
offrît un sacrifice pour le péché, agissant fort bien et noblement dans la pensée de la résurrection.
Si, en effet, il n’avait pas espéré que les soldats tombés ressusciteraient, il eût été superflu et sot de
prier pour des morts; s’il envisageait qu’une très belle récompense est réservée à ceux qui
s’endorment dans la piété, c’était là une pensée sainte et pieuse: voilà pourquoi il fit faire pour les
morts ce sacrifice expiatoire, afin qu’ils fussent absous de leur péché. (2 m 12, 43-45)
On voit bien que le soleil de résurrection est bien levé. Voici ce qu’on peut conclure de cet épisode
des Maccabées :
• L’idée de la résurrection des justes. Il y a récompense, au-delà de la mort, pour ceux qui sont
restés fidèles à la Loi et à Yahvé. Le martyre est glorifié. Et cette récompense semble être de
ressusciter avec son corps pour une vie éternelle.
• rien n’est prévu cependant pour les impies, dont la destinée est sans doute de descendre au shéol.
• L’idée que les vivants peuvent intercéder pour le pardon des péchés de ceux qui sont morts.

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Vous voyez qu’on franchit un grand pas avec cet épisode, qui nous rapproche drôlement de la foi
catholique (foi en la résurrection, récompenses des saints, intercession pour le péché des défunts) à
tel point que les Pères de l’Église (les premiers théologiens et commentateurs de l’Église des
premiers siècles) verront dans les Maccabées des chrétiens avant la lettre.

6. L’au-delà dans le livre de la Sagesse


Le livre de la sagesse apporte une contribution neuve et originale au thème de la vie dans l’au-delà.
L’auteur appartient au milieu juif d’Alexandrie (Égypte) qui se distingue par la rencontre de
l’univers biblique et de la culture hellénistique. La composition du livre s’échelonne sur plusieurs
années et on la situe entre 50 et 30 av. J.-C. L’auteur s’inspire à la fois des écrits bibliques
antérieurs et des écrits grecs. «Les thèmes et les conceptions bibliques constituent la base de toute
réflexion théologique, mais ils sont examinés, traduits, développés, parfois infléchis, à l’aide de
notions grecques. il faut se rappeler que l’auteur s’adresse d’une part à des lecteurs juifs qui ne
savent plus guère ou plus du tout l’hébreu et qui sont comme lui imprégnés de culture hellénistique,
d’autre part à des lecteurs grecs qu’il veut convaincre de la supériorité absolue de la sagesse juive.
Dans un cas comme dans l’autre, il recourt à des notions grecques pour rendre plus accessible à ses
lecteurs l’héritage particulier d’Israël. » (Introduction au livre de la sagesse, ancien testament, Tob,
1975, page 2070).
La question de l’au-delà
La question de l’au-delà est traitée dans la première section du livre (chapitres 1 à 5), consacrée à
une réflexion sur la condition humaine à la lumière de la foi en dieu. La problématique de départ est
caractéristique du courant sapientiel. en procédant par contraste, l’auteur compare le sort du juste et
de l’impie, durant la vie terrestre et dans l’au-delà. on reconnaît ici la notion de justice rétributive.
Malgré l’échec apparent du juste et le succès tout aussi apparent de l’impie durant leur vie terrestre
respective, le sort de l’un et de l’autre sera inversé dans l’au-delà. L’auteur se heurte au problème
du juste qui meurt sans recevoir de récompense. Il apporte une réponse aux questions angoissées de
Job en enseignant que, persécutés sur terre, les âmes vertueuses jouissent d’une tranquillité parfaite
auprès de dieu et seront récompensées au jour de la Visite ou du Jugement. (introduction au livre de
la sagesse, ancien testament, tob, 1975, page 2070)
Les âmes des justes sont dans la main de Dieu. Et nul tourment ne les atteindra. Aux yeux des
insensés ils ont paru mourir, leur départ a été tenu pour un malheur et leur voyage loin de nous
pour un anéantissement, mais eux sont en paix. S’ils ont, aux yeux des hommes, subi des
châtiments, leur espérance était pleine d’immortalité ; pour une légère correction ils recevront de
grands bienfaits. Dieu en effet les a mis à l’épreuve et il les a trouvés dignes de lui ; comme l’or au
creuset, il les a éprouvés, comme un parfait holocauste, il les a agréés. Au temps de leur visite, ils
resplendiront, et comme des étincelles à travers le chaume ils courront. Ils jugeront les nations et
domineront sur les peuples, et le Seigneur régnera sur eux à jamais. Ceux qui mettent en lui leur
confiance comprendront la vérité et ceux qui sont fidèles demeureront auprès de lui dans l’amour,
car la grâce et la miséricorde sont pour ses saints et sa visite est pour ses élus. (Sagesse 3, 1-9)
«Deux mots typiquement grecs résument chez lui l’idée d’une récompense future des justes:
‘immortalité’ (1,15 ; 3, 4 ; 4, 1 ; 8, 17 ; 15, 3) et ‘incorruptibilité’ (2, 23 ; 6, 18-19). Il veut faire
comprendre à ses lecteurs que la vie des justes ne s’arrête pas avec la mort physique, mais qu’elle se
prolonge éternellement et glorieusement auprès de dieu. »

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Immortalité pour les justes
Pour l’auteur, la recherche de la sagesse se traduit par la pratique de la justice qui est la vie menée
en conformité à la volonté de dieu telle qu’exprimée dans la Loi (torah) : fidélité concrète au bien,
refus du mal, du péché, de la duplicité, de l’insulte, de la médisance et du mensonge (sagesse 1, 4-
11). «Ainsi le juste est assuré de l’immortalité, car dieu n’a pas fait la mort, il ne prend pas plaisir à
la perte des vivants. il a tout créé pour l’être; les créatures du monde sont salutaires, en elles il n’est
aucun poison de mort, et l’Hadès ne règne pas sur la terre; car la justice est immortelle » (sagesse 1,
13-15) et l’immortalité se trouve dans la parenté avec la sagesse (sagesse 8, 17).à l’inverse, les
impies, par leur conduite, renoncent dès à présent à l’immortalité ;ils sont en quelque sorte déjà
morts. Pour l’auteur, l’immortalité n’est pas une notion abstraite qui s’applique indifféremment à
tous : elle s’attache à l’âme des justes (introduction au livre de la sagesse, ancien testament, tob,
1975, page 2070).
Car ils disent entre eux, dans leurs faux calculs : « Courte et triste est notre vie ; il n’y a pas de
remède lors de la fin de l’homme et on ne connaît personne qui soit revenu de l’Hadès. Nous
sommes nés du hasard, après quoi nous serons comme si nous n’avions pas existé. C’est une fumée
que le souffle de nos narines, et la pensée, une étincelle qui jaillit au battement de notre coeur ;
qu’elle s’éteigne, le corps s’en ira en cendre et l’esprit se dispersera comme l’air inconsistant.
Avec le temps, notre nom tombera dans l’oubli, nul ne se souviendra de nos oeuvres; notre vie
passera comme les traces d’un nuage, elle se dissipera comme un brouillard que chassent les
rayons du soleil et qu’abat sa chaleur. Oui, nos jours sont le passage d’une ombre, notre fin est
sans retour, le sceau est apposé et nul ne revient. […] Ainsi raisonnent-ils, mais ils s’égarent, car
leur malice les aveugle. Ils ignorent les secrets de Dieu, ils n’espèrent pas de rémunération pour la
sainteté, ils ne croient pas à la récompense des âmes pures. Oui, Dieu a créé l’homme pour
l’incorruptibilité, il en a fait une image de sa propre nature ; c’est par l’envie du diable que la mort
est entrée dans le monde : ils en font l’expérience, ceux qui lui appartiennent ! » (Sagesse 2, 1-5.21-
24)

7. Le débat autour de la croyance en la résurrection au temps de Jésus


Malgré les nettes avancées du judaïsme sur la foi en la résurrection au cours des deux siècles av. J.-
C., au temps de Jésus, cette croyance ne fait encore l’unanimité. Chez les Juifs contemporains de
Jésus, on est divisé sur le sujet comme en témoignent les Évangiles et les actes des apôtres.

Les pharisiens : pour la résurrection


Il y a ceux qui croient en la résurrection au dernier jour, comme Marthe dont on entend la
profession dans l’évangile de Jean, juste avant la résurrection de son frère Lazare. Jésus lui dit:
«Ton frère ressuscitera.» «Je sais, répondit-elle, qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au
dernier jour.» (Jn 11,23-24) Cette foi, c’est la foi pharisienne en la résurrection, foi la plus
commune chez les Juifs de cette époque. Foi qui plonge ses racines dans l’épisode de martyrs
d’Israël au IIème siècle av. J.-C. (épisode des Maccabées).

Les sadducéens : contre la résurrection


Mais un autre groupe de Juifs, déjà moins influent au temps de Jésus, n’y croit pas: les sadducéens.
Pourquoi? Parce que ce sont des Juifs plus conservateurs, qui ne retenaient, comme livres inspirés
de dieu, que les cinq premiers livres de nos bibles, ce que les Juifs nomment la torah écrite, ce que

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les chrétiens nomment souvent le Pentateuque. Or, dans ces livres plus anciens, représentatifs d’un
Judaïsme plus primitif, la foi en la résurrection n’est pas affirmée. La négation de la résurrection à
l’époque de Jésus est reflétée dans un épisode où ils tentent de montrer l’absurdité de la croyance en
la résurrection : la femme aux sept maris. Cette femme, les sept frères l’épousent à tour de rôle pour
assurer une descendance au frère aîné : « Eh bien ! À la résurrection, duquel des sept sera-t-elle la
femme, puisque tous l’ont eue pour femme ? » (mt 22, 28)
Jésus se positionne
Sur cette question, Jésus semble se situer, lui, du côté des Pharisiens. Sa réponse est sans
équivoque, sur une continuité de vie après la mort, mais une vie passablement différente de celle-ci.
Voici sa réponse : Jésus leur répondit : « Vous êtes dans l’erreur, parce que vous ne connaissez ni
les Écritures ni la puissance de Dieu. À la résurrection, en effet, on ne prend ni femme ni mari;
mais on est comme des anges dans le ciel. » (mt 22,29-30) il reste à interpréter ce qu’il veut dire par
« on est comme des anges dans le ciel ». Attention, deux écueils d’interprétation à éviter ! Le
premier : lorsqu’on meurt, on ne devient pas de pur esprit, on ne se transforme pas en ange, comme
la culture populaire le reflète parfois, ou dans ce qu’on entend dans des témoignages aux
funérailles... dans la création de dieu, les anges sont des anges, les humains sont des humains et le
restent au-delà de la mort. Deuxième écueil : ce n’est pas ici une dépréciation du mariage ou des
relations conjugales que Jésus nous fait. il veut simplement dématérialiser la conception de la
résurrection implicite dans la question des sadducéens. La vie du monde à venir ne sera ni
continuation, ni répétition de la vie terrestre dont font partie le mariage et l’exigence juive d’assurer
sa descendance. Donc est affirmé clairement par Jésus, que ressusciter, c’est se trouver radicalement
transformé et passer à un autre type de relations autre que charnel et périssable.
Paul
Un autre épisode, où cet antagonisme Pharisiens-sadducéens se donnent à voir, se trouve dans les
actes des apôtres où Paul, subit un procès sur sa doctrine devant le sanhédrin. S’apercevant que
l’assemblée est composée de Pharisiens et de sadducéens, volontairement et habilement, il
provoque, par une seule phrase, la zizanie au sein du sanhédrin afin de pouvoir se soustraire à ce
procès. Sachant que l’assemblée était en partie sadducéenne et en partie pharisienne, Paul s’écria au
milieu du sanhédrin : « Frères, je suis Pharisien, fils de Pharisiens ; c’est pour notre espérance, la
résurrection des morts, que je suis mis en jugement. » Cette déclaration était à peine achevée qu’un
conflit s’éleva entre Pharisiens et sadducéens, et l’assemblée se divisa. (ac 23,6-7) retenons que
Jésus, en Juif de son temps, n’était pas forcé de croire lui-même en la résurrection. Il y avait, au sein
même du Judaïsme des divergences d’opinions concernant cette question de la résurrection. Alors
nous irons voir, ce que son enseignement et sa vie nous laisse entrevoir de l’au-delà et de la vie du
monde à venir.

8. L’au-delà dans l’enseignement de Jésus


Il n’est pas toujours facile de parler de réalités dont nous n’avons pas fait nous-mêmes l’expérience.
Il en est une qui place tous les êtres humains sur un pied d’égalité : c’est l’au-delà. Certains croient
que, après la mort, la vie se poursuit mais autrement, tandis que d’autres affirment que la mort ne
peut conduire qu’au néant. Depuis la nuit des temps, nous sommes placés devant un inconnu où
s’accumulent plus de questions que de réponses puisque, comme on le dit souvent, aucun mort n’est
revenu nous dire ce qu’il y a de l’autre côté. D’ailleurs l’auteur du livre de la sagesse, quelques
décennies avant Jésus, prête la même remarque aux incroyants : « Courte et triste est notre vie, il

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n’y a pas de remède lors de la fin de l’homme et on ne connaît personne qui soit revenu du séjour
des morts. » (sg 2, 1) minute! Nous connaissons quelqu’un qui est revenu du séjour des morts : le
Christ. Nous croyons que Jésus ressuscité est l’éternel Vivant, c’est-à-dire qu’il est entré dans la
plénitude de la vie. Même si Jésus promet à ceux et celles qui croient en lui de les ressusciter et de
leur donner la vie éternelle, il ne fournit cependant aucune description de la vie dans l’au-delà.
Quand Jésus parle de la vie après la mort, il évoque le plus souvent des sentiments de joie: celle de
se retrouver en communion les uns avec les autres et avec dieu. La vie dans l’au-delà se confond la
plupart du temps avec l’accomplissement du royaume de dieu et le jugement universel. C’est alors
la joie de participer au festin messianique (mt 22, 1-14; Lc 14, 16-24), d’être reconnu comme un
bon et fidèle serviteur qui a pris soin des affaires de son maître (mt 24, 37-51), d’être récompensé
pour avoir pratiqué l’amour du prochain, comme on peut le voir dans la scène grandiose du
jugement (mt 25, 31-46) ou dans la parabole du pauvre Lazare qui est emporté auprès d’Abraham
alors que le riche se trouve dans un lieu de torture (Lc 16, 19-31). Toutes ces comparaisons ont un
but : chasser la crainte vis-à-vis de dieu dont le jugement serait implacable et nous faire prendre
conscience que le ciel, c’est la rencontre de notre Père, avec une confiance semblable à celle que
Jésus lui portait. Mais c’est aussi un dieu qui connaît nos fragilités et se réjouit du moindre signe de
bonne volonté que nous manifestons pour répondre à son amour. N’oublions jamais la miséricorde
du père de la parabole de l’enfant prodigue (Lc 15, 11-32).
La maison paternelle des enfants de Dieu
Il n’y a en somme que des images qui peuvent évoquer, et non décrire, la vie dans l’au-delà. J’aime
bien l’image de la maison du Père que l’on trouve dans le discours d’adieu de Jésus prononcé
durant la dernière Cène: «Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures ; sinon, est-
ce que je vous aurais dit : je vais vous préparer une place ? Et quand je serai allé et que je vous
aurai préparé une place, à nouveau je viendrai et je vous prendrai près de moi, afin que, là où je
suis, vous aussi, vous soyez. Et du lieu où je vais, vous savez le chemin. » (Jean 14, 2-4) il faut
mettre cette promesse en rapport avec une affirmation du prologue de l’Évangile de Jean qui
affirme que la foi au Fils nous fait devenir fille et fils adoptif de dieu: «Mais à tous ceux qui l’ont
accueilli (c’est-à-dire le Verbe), il a donné pouvoir de devenir enfants de Dieu, à ceux qui croient
en son nom.» (Jn 1, 12)
Il est utile ici de savoir que l’expression « maison du Père » est synonyme de «famille de dieu», car
en hébreu comme en araméen, un même mot (bayit) désigne la maison et la famille. De même que
les liens familiaux ne peuvent être détruits, ainsi en est-il de la foi en Jésus qui nous fait naître à la
vie de dieu et nous établit pour toujours dans la demeure du Père. Appliquée à l’au-delà, l’image de
la maison du Père évoque la communion fraternelle de tous les enfants de dieu qui sont unis par une
même foi au Fils bien-aimé en qui est la vie (Jn 1, 4). Chacun ayant sa place dans la famille du Père,
on peut espérer que chacun conservera le caractère unique de sa personne. Cette perspective
d’avenir oriente le présent et façonne notre manière de vivre: l’amour fraternel pratiqué aujourd’hui
nous prépare à goûter la joie de connaître la plénitude de la vie dans une communion d’amour avec
le Père et chacun de ses enfants. C’est dans l’Évangile selon saint Jean que l’on trouve une réflexion
théologique plus développée sur la vie éternelle. Le prologue de l’évangile affirme que la vie est
une réalité possédée par le Verbe de dieu: «En lui était la vie et la vie était la lumière des hommes.»
(1, 4) Cette vie a été donnée par le Père au Fils pour qu’il la transmette aux êtres humains. Elle est
communiquée à tous ceux qui, croyant au nom du Verbe fait chair, deviennent enfants de dieu. Or
pour Jean la vie éternelle est essentiellement connaissance et communion à dieu.

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La vie éternelle
La vie de dieu rejoint les êtres humains à travers la mission du Fils : « Je suis venu pour que les
hommes aient la vie et qu’ils l’aient en abondance. » (10, 10) Puisque la vie de dieu est transmise
par l’œuvre que Jésus accomplit au nom du Père, Jésus se présente comme étant lui-même la Vie : «
Je suis la Résurrection et la Vie : celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra ; et quiconque vit et
croit en moi ne mourra jamais. » (11, 25-26) Jésus donne une eau qui jaillit en vie éternelle ; il offre
un pain qui demeure en vie éternelle ; il est la lumière qui conduit à la vie. il a les paroles de la vie
éternelle, comme le confesse Pierre (6, 68) en faisant écho à la déclaration de Jésus : « Les paroles
que je vous ai dites sont esprit et vie. »
Le don de la vie est enfin relié à l’élévation de Jésus. C’est le point culminant de son œuvre : «Dieu
a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne
périsse pas mais ait la vie éternelle. » (3, 14-16) dans la prière du chapitre 17, alors que son œuvre
est parvenue à son heure, Jésus demande à son Père de le glorifier, c’est-à-dire de révéler sa nature
divine, afin que la vie parvienne à tous ceux que le Père lui a donnés. Ainsi parla Jésus, et levant les
yeux au ciel, il dit : « Père, l’heure est venue : glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie et que,
selon le pouvoir que tu lui as donné sur toute chair, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui
as donnés ! Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu
as envoyé, Jésus-Christ. » (Jean 17, 1-3) C’est par sa glorification, c’est-à-dire sa mort et sa
résurrection, que Jésus retrouve le type de communion qu’il avait dès le commencement avec dieu,
et qu’il associe tous les humains à cette communion. Nous pouvons accueillir la vie de dieu par la
foi au Christ. Croire est la réponse de l’homme à l’œuvre de dieu réalisée par Jésus : « L’œuvre de
Dieu c’est de croire en celui qu’Il a envoyé. » (6, 29) Nous entrons dans la vie en écoutant la parole
du Fils et en croyant à Celui qui l’a envoyé : « Telle est la volonté de mon Père : que quiconque
voit le Fils et croit en lui, ait la vie éternelle; et moi, je le ressusciterai au dernier jour. » (6, 40)
9. La réception de l’expérience de la résurrection
Comment est-ce que les disciples ont compris et transmis l’expérience de la résurrection de Jésus?
Notre foi chrétienne en la résurrection repose sur l’expérience vécue par les disciples de Jésus.
Comment est-ce que les disciples ont compris et transmis l’expérience de la résurrection de Jésus?
Les sources
Les sources pour répondre à cette question sont les lettres de Paul et les évangiles. Paul écrit ces
lettres de 35 à 65. Alors que les évangiles sont écrits de 70 à 120 ap. J.-C. Paul est le seul à parler de
son expérience personnelle de la rencontre du ressuscité, mais reste avare de détail et ne raconte pas
cette expérience. De leur côté, les évangiles utilisent des récits, des histoires pour nous transmettre
l’expérience que les évangélistes ont entendu des premiers chrétiens. on transmet des histoires pour
essayer de faire comprendre une réalité difficile à expliquer.
L’inattendu
La résurrection de Jésus n’était pas prévue. Les évangiles nous disent que les disciples étaient
dispersés dans la peur. «Tous l’abandonnèrent et prirent la fuite.» (mc 14,50) Les disciples
d’Emmaüs sont aussi un bon exemple, ils disaient en quittant Jérusalem que Jésus était un puissant
prophète qui allait délivrer Israël, mais il a été crucifié. Maintenant, ces disciples s’en vont. Tout est
fini. La résurrection de Jésus n’était donc pas attendue par les disciples. Or, vous le savez, quelque
chose d’incroyable se passe à ce Jésus mort et enseveli. Quelque chose si important que les
disciples dispersés par la peur vont se rassembler et commencer à témoigner de ce qu’ils ont vécu.

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Ce que nous avons dans le nouveau testament fait partie de ce que la tradition a gardé et transmis de
leur témoignage. Jésus est revenu à la vie. Comment comprendre cela? Comment l’expliquer à
d’autres? Leurs premiers réflexes furent d’employer un vocabulaire très concret lié au concept de la
résurrection : il s’est relevé, il s’est réveillé d’entre les morts.
Témoignage reçu ?
Malgré le témoignage des disciples, beaucoup de Juifs de l’époque n’ont pas crû en la résurrection
de Jésus. Pourquoi? D’une part, les saducéens, responsables du temple, ne croyaient tout
simplement pas à la résurrection. D’autre part, pour les autres Juifs, la résurrection de Jésus était
bien différente de celle attendue et décrite dans le livre des Maccabées. Il y a deux différences
majeures entre la résurrection attendue par les pharisiens et celles de Jésus ? Premièrement, les Juifs
de l’époque croyaient à une résurrection à la fin des temps. Pourtant, après la résurrection de Jésus,
la vie ordinaire a continué son cours ! Deuxièmement, dans l’attente de la résurrection des Juifs à
l’époque de Jésus, le messie n’avait aucun rôle particulier à jouer. Tandis que, pour les chrétiens, la
résurrection du messie – qu’ils reconnaissaient en Jésus – est devenue le modèle de leur propre
espérance de résurrection. Donc, il y a deux grandes différences entre la croyance en la résurrection
des Pharisiens et l’événement de la résurrection de Jésus. On comprend mieux pourquoi certains
n’ont pas suivi les disciples de Jésus et aussi l’originalité du christianisme par rapport au judaïsme
de l’époque.
La résurrection de Jésus, une bonne nouvelle? La bonne nouvelle annoncée par les chrétiens est
que: Jésus le Christ est ressuscité ! Oui, mais, pourquoi est-ce que c’est une bonne nouvelle ça ?
Pour les premiers chrétiens, l’annonce de la résurrection du Christ était remplie de joie, parce que
c’était clair pour eux que si Dieu a ressuscité Jésus, il allait aussi le faire pour nous.
C’est pour quand la résurrection?
Des questions pratiques vont surgir dans les premières communautés chrétiennes. Quand est-ce
qu’on va ressusciter ? Comment ça va se passer ? Paul va être un des premiers à essayer de
répondre à ces questions. C’est pour quand la résurrection ? C’est la question au centre des lettres
aux thessaloniciens. Voici la réponse de Paul : Nous les vivants qui seront restés jusqu’à la venue
du Seigneur, nous ne devancerons pas du tout ceux qui sont morts. Car lui-même, le Seigneur, au
signal donné,…, descendra du ciel : alors les morts en Christ ressusciteront d’abord; ensuite nous
les vivants, qui serons restés nous serons enlevés avec eux dans les nués à la rencontre du Seigneur
dans les airs et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. (1 th 4,15-17) Le jour du Seigneur
vient comme un voleur dans la nuit. (1 th 5,2) La résurrection finale va venir avant la mort de Paul
puisqu’il se compte parmi «nous les vivants» mais le temps passe et ça n’arrive pas. Paul doit donc
réajuster le tir avec la deuxième lettre aux Thessaloniciens : Au sujet de la venue de notre Seigneur
Jésus Christ et de notre rassemblement auprès de lui, nous vous demandons, frères : n’allez pas
trop vite perdre la tête ni vous effrayer à cause d’une révélation prophétique… qui vous ferraient
croire que le jour du Seigneur est arrivé. (2 th 2,2)
Comment les morts ressuscitent-ils ?
L’attente du jour de la résurrection est donc repoussée. Mais, est-ce qu’on a des précisions pour
savoir comment va se dérouler la résurrection ? Paul va tenter de répondre dans la lettre aux
Corinthiens : Comment les morts ressuscitent-ils ? Avec quel corps reviennent-ils ? Insensé ! Toi ce
que tu sèmes ne prend vie qu’à condition de mourir… Il en est ainsi pour la résurrection des morts:
semé corruptible, le corps ressuscité incorruptible; semé corps animal, il ressuscite corps spirituel.
(1 Co 15 35-36.42-44)

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Voilà! Bon, qu’est-ce que ça veut dire corps spirituel ? Paul ne le précise pas. Mais, les versets
suivants insistent sur la transformation : Nous serons transformés en un instant en un clin d’oeil. La
trompette sonnera, les morts ressusciterons incorruptibles et nous, nous serons transformés. (1
Co15, 51-52) alors, quel sera l’aspect de notre corps après la mort ? Notre corps sera de souffle ou
spirituel? Au fond, le nouveau testament reste volontairement vague à propos des questions
concrètes liées à la résurrection. Il faut garder une certaine humilité devant ce mystère qui écarte
nos questions curieuses.

L’ESCHATOLOGIE SELON LES PERES DE L’EGLISE


Héritiers de l’univers eschatologique du Nouveau Testament et de la littérature intertestamentaire,
les apologistes mirent la croyance en l’éternité de l’âme, soit pour la «vie éternelle», soit pour la
«seconde mort», au centre de l’espérance chrétienne. Le retard de la parousie obligeait cependant
les Pères à prendre en compte le temps de l’Église sur la terre avant le jugement final et donc la
durée intermédiaire des âmes en attente de leur destinée finale. Passant dès lors de la croyance au
retour imminent du Seigneur des évangiles à l’attente d’un royaume à venir, les Pères se devaient de
préciser ce qu’il advenait des âmes après la mort. Où allaient-elles ? Quelle était leur situation dans
l’attente du jugement ? Les justes jouissaient-ils déjà du paradis et les méchants souffraient-ils déjà
de l’enfer ?
Le but de la création est la déification de l’homme et de l’univers. Toute l’économie du salut,
l’œuvre rédemptrice du Christ, l’action sanctificatrice du Saint Esprit, ont pour but de ramener
l’humanité déchue à la fin pour laquelle elle avait été créée, vers la plénitude de la déification. Or
c’est par le retour du Christ, que nous attendons, que se réalisera l’accomplissement suprême de ce
dessein de Dieu, que cette économie du salut atteindra son accomplissement ultime.
Si nous voulons retrouver un christianisme vivant, qui soit pour nous une source perpétuelle de joie
et d’élan spirituel, il faut que nous replacions au cœur de notre vie chrétienne le désir impatient et la
certitude du retour glorieux du Seigneur, ce désir et cette certitude qui animaient les premières
générations chrétiennes.
L’essentiel du message chrétien, la "bonne nouvelle" du salut, est l’annonce de la résurrection, de
l’irruption de la vie nouvelle et immortelle dans notre monde voué à la souffrance et à la mort, du
fait du péché de l’homme. Cette irruption de la vie véritable s’est réalisée, fondamentalement, dans
la résurrection du Christ, dans son passage pascal de la mort à la vie. Déjà la mort est vaincue, déjà
la vie a triomphé. Mais il faut que chacun de nous, tout au long de sa vie, et l’Église tout au long de
son histoire, fasse sien ce passage, qu’il le revive avec le Christ – ou plutôt que le Christ le revive
en lui – en apportant le consentement de sa liberté à l’œuvre de la grâce divine. La Parousie du
Christ, son avènement glorieux à la fin des temps, manifestera tout ce qui était virtuellement
contenu dans la résurrection du Christ au jour de Pâques, en faisant participer tout son Corps, qui
est l’Église, à son triomphe définitif sur le péché, la souffrance et la mort. Telles sont l’espérance de
l’Église et sa certitude fondamentale.

L’attente des défunts


Sur ce point, la pensée des Pères de l’Église différait de ce qui est devenu la position commune dans
le christianisme occidental depuis le Moyen Age. À cette époque en effet, l’accent se déplace sur les
fins dernières de l’individu ; on considère que le sort éternel de chacun est définitivement fixé au
moment de la mort : les saints vont directement au ciel, les pécheurs non repentis vont en enfer, et

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ceux qui ont encore quelque peine à expier vont au purgatoire pour un temps plus ou moins long,
mais leur salut final est assuré. La résurrection finale n’apportera qu’un complément accidentel à la
béatitude déjà plénière des élus, ou au châtiment des damnés. Le jugement dernier ne fera que
manifester la sentence déjà définitive portée lors du " jugement particulier ", au moment de la mort.
Dès lors, l’importance accordée à la Parousie comme terme de l’histoire, la tension eschatologique
dans la vie du chrétien comme dans la vie de 1’Église, est singulièrement amenuisée.
Selon les Pères de l’Église, ce n’est qu’à la Parousie que les hommes entreront dans leur destinée
définitive, et le sort final de beaucoup ne sera fixé que lors du jugement dernier. Jusqu’à la
résurrection, les saints eux-mêmes, bien qu’ils soient auprès du Christ, sont dans un état d’attente.
La manière dont l’Église ancienne concevait la situation de diverses catégories de défunts dans
l’attente de la Parousie pourrait se résumer ainsi : tout d’abord, la pensée chrétienne est absolument
unanime pour affirmer que notre existence terrestre est unique. La foi chrétienne est inconciliable
avec toute idée de vies successives et de réincarnation. Ce sont des conceptions qui se retrouvent
souvent dans des courants philosophiques ou religieux non-chrétiens, surtout d’origine extrême-
orientale, mais elles sont absolument étrangères au christianisme. C’est une donnée fondamentale
de la foi chrétienne que la vie terrestre est unique, et que le destin éternel de l’homme se joue durant
cette unique existence terrestre.
Après la mort, l’âme reste aussi vivante, aussi consciente, aussi active que pendant la vie terrestre,
quoique d’une autre manière. Mais elle ne peut plus rien pour son propre salut. Elle ne peut pas non
plus entrer en communication avec les vivants, sauf permission divine, et toutes les formes
d’évocation magique des défunts, de communication médiumnique avec eux et de spiritisme ont
toujours été condamnées aussi bien par la Parole de Dieu dans l’Ancien Testament que par la
conscience chrétienne à travers les siècles :
Qu’on ne trouve chez toi personne qui s’adonne à la divination et à la magie..., qui ait recours aux
charmes, qui consulte les évocateurs et les devins et qui interroge les morts. Car tout homme qui fait
ces choses est en abomination au Seigneur (Dt 18,10).
Ainsi, pendant les quarante jours qui précèdent l’attribution à l’âme du défunt de ce qui sera son
séjour provisoire jusqu’à la Parousie, les démons présentent tout ce qu’elle a pu commettre comme
fautes durant sa vie terrestre ; son seul recours est alors le repentir qu’elle a manifesté pour les
péchés qui lui sont reprochés, les bonnes œuvres qu’elle a accomplies durant sa vie terrestre et
l’intercession de l’Église et des saints. La prière pour les défunts revêt ainsi, dès le moment de leur
mort, une grande importance ; elle protège l’âme et la défend contre les entreprises des démons.
LE LIEU DE RAFRAICHISSEMENT ET DE REPOS
Entre les saints et le monde des vivants, aucune communication " naturelle " ou de type spirite ne
peut être légitimement établie (cf. supra). Mais entre les élus et l’Église terrestre, un autre mode de
communication, purement spirituel, mais non moins réel, existe. Dans la prière, nous pouvons nous
adresser à eux ; ils peuvent nous assister constamment. Entre la liturgie céleste qu’ils célèbrent avec
les anges et nos liturgies terrestres, il existe une mystérieuse compénétration qu’évoquent les
mosaïques et les fresques de nos églises.
Mais quel que soit le bonheur dont jouissent ainsi les saints, ils sont encore sous le signe de
l’attente. Leur béatitude ne sera parfaite qu’au jour du retour du Christ et de la résurrection finale.
Quant aux pécheurs qui n’ont pu franchir victorieusement l’épreuve des " postes de péage " parce
que leur repentir n’avait pas été suffisant et leurs bonnes œuvres trop rares, ils vont dans un lieu de

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souffrance où ils sont tourmentés par les démons. Mais ici encore, la vision des Pères de l’Église
diffère de celle qui a prévalu en Occident au Moyen Âge.
En premier lieu, cette souffrance n’a pas un caractère d’expiation et de "satisfaction" pénale
temporaire. Le défunt ne peut plus rien pour lui-même, et sa souffrance ne peut en aucune manière
contribuer à sa délivrance. Il n’est pas condamné à une peine plus ou moins longue, à l’issue de
laquelle il serait infailliblement sauvé. Il n’est pas " au purgatoire ", mais dans l’Hadès, aux enfers,
et son tourment, par lui-même, ne peut avoir de fin.
Mais en second lieu, cette souffrance n’a pas nécessairement un caractère définitif. La pensée
commune de l’Église ancienne est en effet qu’avant le jugement dernier, les damnés peuvent être
sauvés, mais cela, uniquement grâce à la prière des membres de l’Église terrestre. C’est pourquoi la
prière pour les défunts revêt, dans la conscience de l’Église ancienne et de l’Église orthodoxe
d’aujourd’hui, une extrême importance : il ne s’agit pas seulement en effet de prier pour que leur
" temps de purgatoire " soit abrégé, mais pour qu’ils soient délivrés de l’enfer éternel. Toutes les
liturgies anciennes de l’Église l’attestent, y compris la liturgie romaine telle qu’elle a été en vigueur
jusqu’à une date récente : jamais, dans sa prière pour les défunts, l’Église n’a demandé la
" délivrance des âmes du purgatoire " ; toutes les formules liturgiques demandent à Dieu d’être
miséricordieux dans son jugement et de délivrer le défunt de la mort éternelle. L’Église prie d’une
part pour que les défunts soient protégés par la miséricorde divine lors de leur passage à travers les
" postes de péage " et parviennent au paradis, et d’autre part, s’ils sont déjà condamnés, pour que
Dieu les sauve dans sa miséricorde.

L’APOCATASTASE
Le terme d’apocatastase est un terme grec qui signifie la restauration d’un état antérieur, le retour à
une situation originelle. Appliqué à l’eschatologie chrétienne, il exprime une théorie selon laquelle,
à la fin des temps, tout l’univers créé serait rétabli dans son harmonie originelle et tous seraient
sauvés, y compris les damnés et les démons. Cette conception se rattache à la vision " mythique "
du cosmos élaborée par Origène (v. 185 – v. 254). Celui-ci pensait qu’à l’origine, Dieu avait créé un
univers composé d’êtres purement spirituels ; faisant un mauvais usage de leur liberté, tous – sauf
l’âme du Christ – seraient tombés plus ou moins gravement, et auraient alors été revêtus de corps
plus ou moins " épais ", et seraient ainsi devenus anges, hommes ou démons. À la fin des temps,
après des purifications successives, tous reviendraient à leur condition première et reformeraient
l’hénade originelle, c’est-à-dire l’unité primitive des créatures spirituelles.
Cette conception du salut universel, qui nie l’éternité de l’enfer, méconnaît à la fois l’insondable
mystère de l’amour de Dieu, qui transcende toutes nos conceptions rationnelles ou sentimentales, et
le mystère de la personne humaine et de sa liberté. L’amour de Dieu implique un total respect de ses
créatures, allant jusqu’à une " impuissance volontaire " devant le refus éventuel de leur liberté. Les
textes de l’Écriture nous obligent à maintenir les deux affirmations antinomiques de la totale
victoire de Dieu sur le mal à la fin des temps, et de la possibilité de la damnation éternelle, la
seconde ne pouvant être que l’envers de la première. Seul convient ici le silence de l’intellect
devant le mystère. C’est pourquoi la doctrine de l’apocatastase, acceptée par saint Grégoire de
Nysse et, plus tard, par les grands mystiques syriens Isaac de Ninive et Joseph Hazzaya, a été
condamnée en 553 par le Ve Concile œcuménique, en même temps qu’un certain nombre
d’éléments de la doctrine d’Origène, réduite en système par des disciples tardifs. Ce rejet de

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l’affirmation du salut universel par la tradition orthodoxe n’interdit évidemment pas l’intercession
ardente pour le salut de tous et l’espérance en leur conversion finale.

L’épectase
Une question peut encore être posée au sujet de la béatitude éternelle des élus : celle-ci doit-elle être
conçue comme une contemplation immobile et rassasiante, ou peut-elle comporter une croissance,
une découverte sans cesse renouvelée d’une Réalité inépuisable ?
L’un des aspects les plus originaux de la pensée de saint Grégoire de Nysse est sa doctrine de
l’épectase, selon laquelle la divinisation de l’homme, ici-bas et dans l’éternité, implique un progrès
et une tension sans fin, qu’illustre l’image du coureur de l’Épître aux Philippiens (3,13) : " Oubliant
le chemin parcouru, je vais droit de l’avant, tendu de tout mon être (épecteinomenos) d’où le terme
d’épectase) et je cours vers le but... " Comme l’explique Jean Daniélou, l’un des meilleurs
connaisseurs du grand Cappadocien :
Il y a à la fois pour l’âme un aspect de stabilité, de possession, qui est la participation qu’elle a à
Dieu – et de l’autre un aspect de mouvement qui est l’écart toujours infini de ce qu’elle possède de
Dieu et de ce que Dieu est... La vie spirituelle est ainsi une transformation perpétuelle de l’âme en
Jésus Christ sous forme d’une ardeur croissante, la soif de Dieu augmentant à mesure qu’il est
davantage participé, et d’une stabilité croissante, l’âme s’unifiant et se fixant toujours davantage en
Dieu (5).
Sans retenir l’idée d’une croissance dans la béatitude, de nombreux auteurs de l’époque patristique
– saint Maxime le Confesseur en particulier – ont utilisé le thème du désir, de l’absence de satiété
au sein même de la vision de Dieu pour exprimer l’éternelle nouveauté de la joie des élus. On en
retrouve l’écho, en Occident, chez un Grégoire le Grand. Il s’agissait pour lui de concilier deux
affirmations antinomiques de l’Écriture : " Les anges désirent fixer sur lui leurs regards " (1 P
1,12) ; et : " Dans le ciel leurs anges voient sans cesse la face de mon Père qui est dans les cieux "
(Mt 18,10) :
Si l’on compare ces deux assertions, on constatera qu’elles ne se contredisent en rien. Car les anges,
tout à la fois, voient Dieu et désirent le voir ; ils ont soif de le contempler et ils le contemplent. S’ils
le désiraient sans jouir de l’effet de leur désir, ce désir stérile serait cause d’anxiété, et l’anxiété de
souffrance. Mais les anges bienheureux sont éloignés de toute souffrance d’anxiété, puisque
souffrance et béatitude sont incompatibles... Pour qu’il n’y ait donc pas d’anxiété dans le désir ils
sont rassasiés tout en désirant, et pour que le rassasiement n’entraîne pas de dégoût, ils désirent tout
en étant rassasiés... il en sera de même pour nous quand nous viendrons à la source de Vie : nous
éprouverons avec délices, tout ensemble, soif et rassasiement (6).
Irénée et Tertullien  
Parmi les Pères qui ont particulièrement compté dans le processus d’adaptation de l’eschatologie
chrétienne au monde gréco-romain, il faut citer Irénée de Lyon (120/130-202) et Tertullien
l’africain (150/160-220).
Dans son Contre les hérésies, Irénée de Lyon reprend la géographie de l’au-delà de la parabole du
riche et du pauvre Lazare et la combine avec différents textes de l’Ancien et du Nouveau
Testament. Selon lui, le paradis correspond au jardin d’Éden où l’homme a été modelé et que Dieu
a placé du côté de l’Orient. Puisque Paul dit avoir été ravi au troisième ciel (2 Co 12,4), ce paradis,
où Énoch et Élie ont été transportés, de même que les justes et les martyrs, n’est plus à présent sur
terre. La localisation du paradis originel restera cependant en débat tout au long de la chrétienté.

16
Certains suivront Irénée pour situer le paradis au ciel. D’autres opteront pour la thèse d’un paradis
situé sur terre, mais sur le sommet d’une montagne aussi élevée qu’inaccessible. Pour Irénée, seuls
les saints et martyrs sont transportés au paradis où séjournent le patriarche Énoch et Élie. Les autres
croyants sont reçus au séjour des morts, dans les lieux inférieurs de la terre (en latin ad inferna). En
ces lieux, une place leur est assignée en fonction de leurs mérites dans l’attente du jugement dernier.
Lorsque la consommation des temps sera accomplie et que le jugement dernier sera prononcé, les
justes seront transportés, selon leur degré de mérite, dans différentes demeures célestes dont la plus
haute correspond au Paradis-Éden. Concernant l’enfer, Irénée est moins prolixe. Il ne semble pas
que l’évêque de Lyon ait envisagé une graduation dans la réprobation éternelle selon le degré de
perversité des pécheurs. Le feu éternel est préparé pour le diable et les anges et les hommes qui
l’ont suivi dans l’apostasie.  
Avec Tertullien, les correspondances entre le paradis et l’enfer des chrétiens et les Champs Élysées
et le Tartare des Grecs sont clairement relevées. S’il y a similitude, c’est tout simplement parce que
les Grecs ont copié sur la Révélation confiée aux auteurs bibliques, assure Tertullien. Que se passe-
t-il donc pour les âmes lorsque la mort survient ? Tertullien s’accorde ici avec Irénée pour dire qu’à
l’exception des martyrs, les âmes demeurent aux enfers jusqu’au jour du Seigneur. Personne ne
jouit immédiatement de la béatitude, si ce n’est le martyr qui va directement au paradis. Si les lieux
d’attente des âmes se trouvent en enfer, cela signifie-t-il que les âmes des chrétiens éprouvent de la
peine ? Pour Tertullien, bien qu’il ne soit pas céleste, le lieu d’attente des âmes chrétiennes est
cependant supérieur à celui des âmes réprouvées. L’âme du chrétien jouit en outre d’un
rafraîchissement, et est réconfortée par l’espérance de la Résurrection, tandis que celle du pécheur a
un avant-goût de sa condamnation à venir. Aussi, bien que la félicité bienheureuse et le châtiment
éternel demeurent des réalités futures, les âmes en attente ont déjà un avant-goût de leur félicité ou
de leur peine à venir. Les Pères postérieurs, latins ou orientaux, reprendront cette représentation de
l’au-delà avec différentes tonalités, mais les grandes lignes du paradis et de l’enfer sont désormais
acquises avec Irénée et Tertullien.

L’Eschatologie de Vatican II à aujourd’hui

Considérant l’eschatologie du point de vue de la vie de l’Église, Vatican II a exposé une doctrine
eschatologique qui invite à un renouveau du traité appelé De novissimis (Des choses dernières).
Dans la Constitution dogmatique Lumen Gentium, le Concile affirme que l’Église trouve son
achèvement dans la gloire du ciel, et que cet achèvement implique la restauration de toute chose, du
genre humain comme de l’univers, en Jésus-Christ. La restauration promise et que nous attendons
"a déjà commencé dans le Christ, elle progresse avec l’envoi du Saint Esprit et, grâce à lui, continue
dans l’Église" (48). Le renouvellement du monde est donc irrévocablement fixé, et d’une certaine
manière réelle, anticipé dans l’Église qui vit sur la terre. Ayant reçu les prémices de l’Esprit, nous
gémissons intérieurement dans l’espoir de participer avec le Christ au banquet nuptial, mais avant
de régner avec le Christ glorieux, nous serons soumis au jugement, et nous devons rester vigilants.
Le Concile met l’accent sur la communion de charité entre ceux qui sont du Christ et qui, vivants ou
défunts, forment une seule Église. "L’union de ceux qui sont en route avec les frères qui sont
endormis dans la paix du Christ, loin d’être rompue, se trouve au contraire renforcée par la
communication des biens spirituels, selon la croyance immuable reçue dans l’Église" (49). Les

17
bienheureux qui sont au ciel ne cessent d’intercéder pour nous auprès du Père. Le culte rendu aux
saints stimule le recours de l’Église en marche à leur prière et l’aide à suivre leur exemple.
Dans la Constitution pastorale Gaudium et Spes, Vatican II accorde une attention particulière au
mystère de la mort, au moyen d’une réflexion philosophique éclairée par la foi (18). Il met aussi en
lumière l’aspect cosmique de l’eschatologie, avec l’attente des nouveaux cieux et de la terre
nouvelle (39), identifiés au règne éternel et universel que le Christ remettra au Père.
Depuis ce point de départ, nous allons suivre le chemin de la réflexion sur différents thèmes de
l’eschatologie. Une aide dans cette réflexion nous vient d’une Lettre de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi (17 mai 1979) et d’une étude de la Commission Théologique Internationale
(1992).
L’enseignement de Commission théologique internationale
1- La parousie
L’eschatologie est avant tout la christologie, en ce sens qu’elle nous fait découvrir son
développement dernier dans la vie de l’humanité. La centralité du Christ est fondamentale. Elle est
reconnue tout particulièrement quand l’affirmation de la parousie oriente notre regard vers le futur.
Parousie signifie venue. Jésus a annoncé sa venue comme le grand événement qui aurait procuré sa
présence, d’une façon mystérieuse, aux hommes. Beaucoup ont pensé à un retour visible de Jésus
sur la terre. Nous savons que dans l’Église primitive cette attente, très forte, a été déçue (1). C’est le
signe que Jésus donnait une autre signification à l’annonce de sa venue. Nous devons nous rappeler
les paroles prononcées lors du procès devant le Sanhédrin. Le grand prêtre interroge Jésus, en lui
demandant s’il est le Christ, le Fils de Dieu. Jésus ne se contente pas de donner une réponse
affirmative; il ajoute qu’il en fera une démonstration que ses adversaires pourront observer :
"Dorénavant vous verrez le Fils de l’homme siégeant à droite de la Puissance et venant sur les nuées
du ciel" (Mt 26, 64). Par ces mots, Jésus n’annonce pas une venue réservée à la fin du monde, mais
une venue très proche : "Dorénavant" (Lc 22, 69 : "Désormais"). La venue est imminente, et elle est
destinée à durer.
C’est la venue du Fils de l’homme assis à la droite du Père, c’est-à-dire du Christ monté au ciel, qui
partage le pouvoir souverain du Père. Il viendra "sur les nuées du ciel" ; la nuée ne doit pas être
entendue matériellement : comme signe de théophanie, elle signifie la venue de façon divine. Après
la venue qui s’est manifestée visiblement dans une chair humaine et qui a pris fin avec la vie
terrestre, il y aura une autre venue du Christ, qui aura lieu avec sa puissance divine.
C’est la venue qui s’est manifestée depuis la Pentecôte, une venue commentée par Pierre en ces
termes : ressuscité, Jésus, "exalté par la droite de Dieu, a reçu du Père l’Esprit Saint, objet de la
promesse, et l’a répandu. C’est là ce que vous voyez et entendez" (Ac 2, 33). Pierre témoigne de
l’accomplissement de l’annonce faite au Sanhédrin. La venue sur les nuées, inaugurée à la
Pentecôte, est la venue opérée par l’Esprit Saint pour rendre le Christ présent à tout le
développement futur de l’Église. Cette venue est la parousie annoncée par Jésus, une parousie qui
s’étend à toute l’œuvre d’évangélisation dans les siècles et les millénaires, jusqu’à la fin du monde :
"Cette Bonne Nouvelle du Royaume sera proclamée dans le monde entier, en témoignage à la face
de toutes les nations. Et alors viendra la fin." (Mt 24, 14). Quand la venue spirituelle du Christ dans
le monde aura atteint sa plénitude historique avec l’achèvement de l’évangélisation universelle, la
parousie sera complète et le monde terrestre disparaîtra devant l’univers de l’au-delà. (3)
2- La mort

18
La mort est une nécessité inhérente à la nature humaine : l’homme est mortel parce que le corps a
une limite nécessaire de vie. Une nécessité d’ordre supérieur, fondée sur le dessein divin de salut,
fait également de la mort un mystère. De la mort du Christ, notre mort reçoit une plus haute
signification. Cette signification est liée au drame du péché. Dans la mort, on reconnaît une
conséquence du péché ; plus précisément, la mort aurait été la punition essentielle du péché si le
Fils de Dieu ne l’avait pas assumée personnellement comme voie de rédemption (4). Innocent, le
Christ a transformé la mort, et il en a fait une offre d’amour pour le salut de l’humanité. C’est
pourquoi la mort nous est donnée comme un don divin qui nous unit à l’offre du Christ et nous fait
participer, par son caractère douloureux, pénible, à l’œuvre rédemptrice. C’est la dernière source de
fécondité au terme de l’existence humaine.
Le Christ a affirmé que le grain de blé qui meurt donnera des fruits abondants (Jn 12, 24). Il
s’engage dans son destin de mort avec tout son amour pour accomplir la volonté du Père, en
reprochant à Pierre de vouloir lui épargner le supplice : "La coupe que m’a donnée le Père, ne la
boirai-je pas ?"(Jn 18, 11). Il s’agit d’un don de l’amour paternel ; à ce don, il répond par un
abandon confiant : "Père, en tes mains je remets mon esprit"(Lc 23, 46). Le Père dispose de notre
vie et détermine souverainement l’heure de notre mort, pour nous accueillir dans sa maison. Nous
n’avons pas à décider de cette heure (5).
Certains théologiens ont avancé l’hypothèse de l’option finale, c’est-à-dire d’une illumination
spirituelle à l’heure de la mort, qui permettrait une décision en pleine vérité et liberté, par le fait que
le dernier moment de la vie présente est aussi le premier moment de vie angélique (6). Mais en
réalité, il y a seulement un moment qui termine la vie présente, et ce n’est pas un moment de vie
angélique. L’option finale, stimulée par la grâce, a lieu dans les conditions de la vie terrestre. La
conversion du malfaiteur est un exemple d’option finale qui corrige la vie antérieure et exprime une
nouvelle disposition dernière pour l’entrée dans la vie éternelle (Lc 23, 42).
Jésus lui-même a recommandé la vigilance constante au cours de l’existence terrestre, en vue de sa
venue, souvent inattendue, à l’heure de la mort (7). "Soyez semblables, vous, à des gens qui
attendent leur maître à son retour de noces, pour lui ouvrir dès qu’il viendra et frappera. Heureux
ces serviteurs que le maître en arrivant trouvera en train de veiller ! En vérité, je vous le dis, il se
ceindra, les fera mettre à table et, passant de l’un à l’autre, il les servira " (Lc 12, 35-37). La
parabole des dix vierges, dont cinq trouvent la porte fermée et ne peuvent pas entrer avec leur
époux, contient le même enseignement : "Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure" (Mt
25, 13).
3- Le jugement
Tout de suite après la mort, vient le jugement. À plusieurs reprises, Jésus s’est présenté comme le
juge suprême. Dans l’Ancienne Alliance, Dieu était reconnu comme le seul juge. En envoyant son
Fils sur la terre, le Père lui a confié ce pouvoir en sa qualité de "Fils d’homme" (Jn 5, 27) (8). Le
fils incarné à vécu personnellement la vie humaine, il connaît par expérience les difficultés et
apprécie concrètement les mérites de chacun. Son rôle décisif dans l’œuvre du salut lui permet de
juger en discernant avec un amour généreux ceux qui sont dignes d’être sauvés. Il procède au
jugement en sa qualité d’"Époux", avec l’intention de révéler, dans la façon de juger, l’intense
amour qui le lie à toute l’humanité. Le titre d’Époux n’empêche pas que le jugement soit fait selon
les principes de la justice, mais il s’agit d’une justice intégrée dans une vaste œuvre d’amour. En
outre, le Christ, venu au secours de l’immense misère humaine, s’est montré très sensible à la
miséricorde, une miséricorde reçue du Père et concrètement exercée dans un milieu émouvant, avec

19
de nombreuses plaies. (9) Avec Jésus comme juge, le jugement assume un visage de bienveillance
apaisante. Il comporte toujours l’autorité souveraine et le souci de distinguer la vérité, mais tout est
guidé par un regard plein de sympathie et de compréhension.
La plus ample description du jugement, en Mt 25 (31-46), se situe dans un contexte apocalyptique.
Ce contexte doit être interprété non pas littéralement, mais selon la vérité enseignée. Le jugement
est universel : tous les hommes sont jugés, mais pas au même moment, puisque le jugement qui
introduit au ciel ou condamne à l’enfer a lieu au moment de la mort. D’un autre côté, le jugement
est aussi particulier, puisque chacun est jugé en fonction de son comportement personnel, en
recevant la récompense ou le châtiment. Jugement universel et jugement particulier coïncident.
Le jugement est unique et définitif. C’est un jugement dernier pour chacun, mais qui n’est pas
reporté à la fin des temps.
Le jugement s’étend à toute la conduite. En Mt 25, il porte sur le secours donné aux malheureux.
Mais d’autres textes évangéliques se réfèrent à d’autres thèmes du jugement : par exemple le
témoignage de la foi (Lc 9, 26 ; etc.) ; l’exploitation des talents (Mt 25, 14-30).
Il ne faut pas oublier que l’intention fondamentale du jugement est le salut. "Dieu n’a pas envoyé le
Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par son entremise" (Jn
3, 17). Le Christ, qui est essentiellement le Sauveur, ne peut être présenté dans le jugement
simplement comme celui qui damne. (10) Le jugement n’a pas pour but de mettre en lumière les
fautes commises par les hommes, des fautes effacées par le pardon divin, mais de faire apparaître
les merveilles de la grâce et la victoire remportée sur les puissances du mal (11).
4- Destin de l’âme immortelle
En quoi consiste le destin de l’homme à la suite du jugement ? Ces derniers temps s’est développée
une tendance à concentrer le regard sur la résurrection de l’homme, en négligeant l’affirmation de
l’immortalité de l’âme (12). À la conception, considérée comme grecque, d’une âme distincte du
corps, certains opposent la conception, dite sémitique, d’un être vivant plus unitaire. Pourtant, la
distinction entre âme et corps apparaît dans la Bible, et elle est expressément affirmée par Jésus (Mt
10, 28) (13). L’immortalité de l’âme, déjà soulignée dans le Livre de la Sagesse (3, 1 ; 5, 15), ne fait
pas obstacle à une survie procurée par la résurrection du Christ. Cette résurrection, en se
communiquant aux hommes, a deux effets distincts : une spiritualisation de l’âme et une
réanimation du corps.
Comme le déclare la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (ÀAS 71(1979) 941), "la résurrection
se réfère à tout l’homme", mais il y a aussi la survie et la subsistance, après la mort, d’un élément
spirituel doté de conscience et de liberté, (14) "moi humain" qui subsiste sans le complément du
corps ; pour désigner cet élément, l’Église utilise le mot "âme". L’existence de cette âme
"rationnelle et intellective" a été définie par le Concile de Vienne (DS 902).
Le problème de la rétribution de l’âme des défunts, une rétribution antérieure à la résurrection finale
des corps, provoqua une crise doctrinale au Moyen Âge. Le Pape Jean XXII, dans diverses homélies
de 1331 à 1334, avait affirmé qu’avant la fin du monde, les âmes des saints ne voient pas l’essence
divine et les condamnés ne vont pas en enfer. Lui-même, peu avant de mourir, révoqua sa position.
Son successeur Benoît XII publia en 1336 la Constitution Benedictus Deus, qui définissait la
doctrine de foi : les âmes de tous les saints, immédiatement après la mort – et la purification pour
ceux qui en avaient besoin – vont au ciel et après la passion et la mort du Christ, voient l’essence
divine dans une vision intuitive, et même faciale : "l’essence divine se montre à eux directement,

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clairement et ouvertement" (DS 1000). Ainsi l’âme séparée du corps reçoit, avec la vision
béatifique, le bénéfice de la vie du Christ ressuscité.
5- La vie éternelle : le ciel
Selon la Constitution promulguée par Benoît XII, la vie glorieuse de l’au-delà a comme propriété
distinctive d’avoir la vision immédiate de Dieu : "être au ciel" signifie voir l’essence divine. Cette
vision exprime l’intimité complète : Dieu ne cache rien de son être ; il fait pénétrer l’âme du saint
jusqu’au fond de son mystère divin. Les quatre adverbes utilisés manifestent une intention de
transparence absolue : immédiatement, directement, clairement et ouvertement. Dans notre
existence terrestre, nous ne pouvons pas comprendre la valeur d’une vision de ce genre, car nous ne
pouvons connaître Dieu qu’à travers les créatures et nous ignorons ce que signifie voir Dieu sans
recourir à cette médiation. C’est pourquoi l’accès à la vision béatifique est toujours, pour les élus,
une immense surprise. La vision intuitive opère une transformation radicale de l’âme. Jean le dit :
"Lors de cette manifestation nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu’il est" (1
Jn 3, 2). Paul souligne la distance entre connaissance de foi et vision faciale : "Car nous voyons, à
présent, dans un miroir, en énigme, mais alors ce sera face à face. À présent, je connais d’une
manière partielle ; mais alors je connaîtrai comme je suis connu" (1 Cor 13, 12). Il s’agit d’une
connaissance parfaite, semblable à la connaissance propre à Dieu. Jésus a établi un rapport entre la
pureté du cœur et la vision : "Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu" (Mt 5, 8). Le cœur pur
rend le regard clair.
L’aspect contemplatif n’est pourtant pas la seule note caractéristique de la vie céleste (15). Ces
derniers temps, certains théologiens ont observé que d’autres aspects doivent être retenus. Le ciel
signifie avant tout une nouvelle vie, une vie qui naît du Christ ressuscité. Jésus attribue à la foi la
possession de cette vie, une possession inaugurée sur la terre et destinée à se développer pleinement
dans l’au-delà : "Qui croit au Fils a la vie éternelle"(Jn 3, 36). Plus particulièrement, cette vie est
donnée par l’eucharistie : "Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le
ressusciterai au dernier jour"(Jn 6, 54).
Un autre aspect, qui est important, consiste dans l’union d’intimité avec le Christ. Jésus promet à
ses disciples une vie avec lui : "Je vous prendrai près de moi, afin que, là où je suis, vous aussi,
vous soyez" (Jn 14, 3). Il offre cette union au malfaiteur : "Aujourd’hui tu seras avec moi dans le
Paradis" (Lc 23, 43). Très significatives sont les paroles de Paul : "Nous serons avec le Seigneur
toujours"(1 Th 4, 17), avec le désir suprême : "J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ"
(Ph 1, 23).
Dire : "Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures" (Jn 14, 2), c’est inviter les
disciples à entrer dans une familiarité complète avec le Père. Au ciel, il ne s’agit pas seulement de
voir le Père, mais de vivre en contact continu avec lui, en partageant l’amour filial de Jésus.
L’image du banquet nuptial montre que la vie éternelle est une fête d’amour. L’Époux est le Christ
(Mt 22, 1-14 ; 25, 1-13). Il est la source de la félicité, en répandant la joie de son amour et en créant
un milieu d’amour fraternel. À ce banquet, "beaucoup seront les appelés", c’est-à-dire les invités
présents, après le refus de la part de quelques "élus". À ce refus, le Père a réagi avec une générosité
plus universelle, en adressant l’invitation à tous. (16)
La générosité apparaît aussi dans le fait qu’il y a "de nombreuses demeures" : beaucoup de voies de
sainteté différentes convergent vers la maison du Père, et tous peuvent trouver une place selon leur
spiritualité. Cela explique que chaque saint est différent de tous les autres, et que la vision et la
possession de Dieu peuvent revêtir une grande diversité de formes et de modèles de comportement.

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Une diversité de degrés dans la vision béatifique a été affirmée par le Concile de Florence (1439),
même si l’objet de la vision est le même pour tous : les âmes pures ou purifiées "sont accueillies
immédiatement au ciel et contemplent ouvertement Dieu tel qu’il est, un et trine, mais certains plus
parfaitement que d’autres, selon leurs mérites" (DS 1305). La perfection de la vision est donc
proportionnée à la mesure des mérites. L’affirmation de cette proportion ne peut cependant pas
masquer la vérité la plus fondamentale. La générosité divine procure à tous une félicité dépassant de
beaucoup les limites du mérite personnel, comme le montrent les paroles du maître au serviteur qui
a fait fructifier cinq talents : "C’est bien, serviteur bon et fidèle, en peu de choses tu as été fidèle,
sur beaucoup je t’établirai ; entre dans la joie de ton seigneur" (Mt 25, 21). (17)
6- L’enfer : la mort éternelle
Par contraste avec le ciel et la vie éternelle, il y a l’enfer avec la mort éternelle. Le concept de
l’enfer a pour origine le shéol juif, qui désignait primitivement le lieu de tous les morts, et qui fut
ensuite référé plus spécifiquement au lieu destiné au châtiment des impies. L’image d’un feu
perpétuel est aussi exprimée par le vocable "géhenne". Jésus souligne la séparation entre bons et
méchants et fait allusion au châtiment éternel : "Les anges se présenteront et sépareront les
méchants d’entre les justes pour les jeter dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et les
grincements de dents" (Mt 13, 49-50).
La Constitution Benedictus Deus formule sur l’enfer une définition de foi parallèle à celle sur le
ciel : "Nous définissons encore que selon la grande disposition de Dieu, l’âme de ceux qui meurent
en état de péché mortel actuel immédiatement après la mort descend en enfer où elle est tourmentée
par des peines infernales" (DS 1002). Ces peines infernales ne sont pas précisées. Certains les ont
interprétées comme étant des peines sensibles distinctes de la peine de privation de Dieu, mais seule
cette douloureuse séparation est clairement affirmée : c’est la peine propre à l’enfer. (18)
Au cours des siècles, différentes tentatives ont été faites pour éluder la menace de l’enfer. Déjà au
troisième siècle, Origène avait proposé la doctrine d’un enfer non éternel, avec des menaces
pédagogiques ; selon cette doctrine le condamné, repenti et purifié, pouvait participer à la
restauration totale de toute chose en Dieu. Mais le 2 ème Concile de Constantinople, en 543, a exclu
cette interprétation (DS 411).
Ces derniers temps, il y a eu d’autres tentatives allant dans la même direction, par exemple avec
l’idée d’un enfer de type chirurgical, qui assure la victoire de Dieu sur les forces du mal (19).
L’interprétation chirurgicale est également écartée par la déclaration qui condamne ceux qui disent
ou pensent que "le châtiment des démons et des impies est temporaire et qu’un jour il prendra fin"
(DS 411). Une autre façon d’éliminer les difficultés suscitées par l’affirmation de l’enfer a été
avancée : l’enfer existe comme possibilité, mais en réalité personne n’est vraiment condamné. Cette
hypothèse laisse aussi subsister l’existence des démons. En outre, elle enlève toute efficacité aux
avertissements que Jésus formule à plusieurs reprises dans l’Évangile. Nous devons prendre au
sérieux ces avertissements évangéliques.
7- Purification finale ou Purgatoire
Parmi ceux qui meurent dans la grâce de Dieu, certains ont besoin, après leur mort, d’une
purification pour pouvoir entrer dans la félicité céleste. Ils ont reçu du Christ ressuscité le don du
salut et de la vie divine, mais ils doivent acquérir une sainteté plus profonde, n’étant pas encore
prêts, dans leurs dispositions personnelles, à l’intimité complète avec le Christ et avec Dieu.
La doctrine qui affirme cette purification, appelée purgatoire, a été exposée au Concile de Florence.
La confrontation avec les orthodoxes a été bénéfique, en permettant d’éliminer deux éléments

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imaginatifs : à la suite des objections des Orientaux, la doctrine ne parle ni de "lieu", ni de "feu". De
même que le ciel et l’enfer, le purgatoire n’est pas un lieu mais un état ; et il ne consiste pas dans un
feu sensible.
Il s’agit de la purification de ceux qui, ayant fait pénitence, meurent dans la charité de Dieu avant
d’avoir satisfait par des fruits dignes de pénitence pour les péchés de commission et d’omission :
"leurs âmes, après la mort, sont purifiées par des peines purgatoires ; et pour être libérées de ces
peines, elles bénéficient des suffrages des fidèles vivants" (DS 1304).
L’état du purgatoire a été conçu quelquefois sur le modèle de l’état infernal, mais la différence est
radicale : salut et sainteté sont présents dans les âmes purifiées, et il ne s’agit pas d’un châtiment ou
d’une punition. L’état est douloureux, mais au motif d’une purification qui impose un changement
au fond de la personne.
Il ne s’agit pas d’une peine infligée, puisque l’âme qui est purifiée, par le fait qu’elle est sauvée et
en état de grâce, a obtenu le pardon divin, un pardon qui est complet et exclut tout châtiment. Cette
âme est engagée dans une relation d’amitié avec Dieu. Le fait qu’elle puisse recevoir une aide
efficace des prières et de l’offre du sacrifice eucharistique confirme la bienveillance divine qui la
suit, et montre la responsabilité des fidèles envers l’état de ces âmes.
8- La résurrection des corps
En parlant du pouvoir que le Père a donné à son Fils, celui d’avoir la vie en lui-même et celui de
juger, Jésus a annoncé la résurrection générale des corps comme manifestation de son pouvoir
souverain : "N’en soyez pas étonnés, car elle vient l’heure où tous ceux qui sont dans les tombeaux
entendront sa voix et sortiront : ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui
auront fait le mal, pour une résurrection de jugement" (Jn 5, 28-29). C’est la voix du Fils de Dieu
qui fait sortir les morts des tombeaux. Ailleurs, en annonçant l’eucharistie, Jésus se présente aussi
comme l’auteur de la résurrection du dernier jour (Jn 6, 54), mais il s’agit de la résurrection de ceux
qui ont participé au repas eucharistique, sans affirmer la résurrection générale qui concerne les
méchants et les justes. Cette résurrection générale manifeste l’intention divine de faire participer
pleinement le corps au destin de chaque individu, qu’il soit de félicité ou de condamnation. Le corps
avait été engagé dans le bien ou dans le mal de la vie terrestre, et cet engagement se retrouve dans la
résurrection du dernier jour. Selon le plan divin, le corps ressuscité est identique au corps terrestre.
Cette identité ne fait pas de difficulté pour le corps du Christ ressuscité ou celui de Marie, tous deux
ressuscités après la mort. Mais pour les autres corps, la façon d’expliquer l’identité peut être
discutée ; la souveraineté divine la garantit de façon mystérieuse. Avec la résurrection des corps, est
assurée une survie du monde matériel, liée au monde spirituel des âmes.
Ces derniers temps s’est accru le nombre de ceux qui tentent de substituer à la foi dans la
résurrection par la doctrine de la réincarnation. Selon cette doctrine, l’homme, au terme de sa vie,
devrait se réincarner dans un autre être, humain ou animal, pour se libérer du poids de ses propres
fautes et entamer une vie meilleure (21). C’est une doctrine qui dévalue la vie terrestre et va à la
recherche d’une autre identité personnelle, alors que la vérité de la résurrection renforce cette
identité en la remplissant de la vie du Christ ressuscité.

23
II-FONDEMENT DE L’ESCHATOLOGIE CHEZ RAHNER

La doctrine eschatologique de Karl RAHNER est fortement, pour ne pas dire exclusivement
christologique. Comme il l’affirme lui-même : « Ce qui ne peut pas être aperçu et compris comme
une affirmation christologique, n’est pas non plus une affirmation authentiquement
eschatologique2 ». Aussi, son enseignement sur les fins dernières repose-t-il essentiellement sur la
foi en la mort et la résurrection du Christ.
II.1.1- La mort du Christ est notre mort
Pour établir la similitude entre la mort du Christ et celle de tout être humain, RAHNER part du
mystère de l’incarnation c’est-à-dire de la conception et la naissance du Fils de Dieu. En prenant
chair de la Vierge Marie et donc de la race des hommes, le Verbe de Dieu est devenu
essentiellement semblable à nous. Et si comme le dit la lettre aux Hébreux (He 4, 15) le Christ
partage en tout notre condition humaine, à l’exception du péché, il a selon RAHNER « revêtu cette
similitude dans la mort elle-même3.  »
Notre auteur précise cependant que cette ressemblance entre la mort du Christ et notre mort ne se
limite pas à son seul aspect extérieur, à l’événement historique qui s’est déroulé sous Ponce Pilate.
Pour RAHNER, la mort du Christ telle que racontée dans l’Écriture et le credo signifie plus que la
simple expérience terrestre de la mort. Aussi affirme-t-il :
« Le seul fait, par exemple, que l’Écriture associe tout naturellement à l’affirmation de la mort de
Jésus celle de sa descente dans l’Hadès et qu’elle voit en celle-ci un élément intrinsèque de sa mort
montre bien que la foi à la mort du Christ veut reconnaître en celle-ci plus qu’un événement
historique immédiatement contrôlable par l’expérience4. »
La descente aux enfers ne renvoie donc pas seulement à une œuvre de salut accomplie par le Christ
après sa mort, elle est, en tant qu’un élément essentiel de la mort universelle, une composante de
cette mort du Christ (Ac 2, 24.31). Ainsi donc pour Karl RAHNER, il ne fait aucun doute que pour
la foi du Nouveau Testament, la mort du Christ est fondamentalement semblable à la nôtre 5.
Pourtant, cette mort ne reste pas moins unique à cause de sa valeur rédemptrice.
Karl RAHNER valorise certains éléments caractéristiques de la mort comme la descente aux enfers
pour signifier la valeur salvifique de la mort du Christ. Pour lui, l’image de « profondeur », de
« dessous » habituellement attachée à la structure de l’Hadès ne doit pas faire perdre de vue celle
d’ « intérieur », de « fond », de « réalité supérieure » et d’ « unité radicale ». Descendre dans
l’Hadès, c’est alors parvenir en quelque sorte à la souche profonde de la réalité du monde. Ainsi
donc pour notre auteur, le Christ « fut répandu sur tout l’univers au moment où se brisa, dans la
mort, le vase de son corps et où il devint vraiment, dans son humanité même, ce que par sa dignité
il était depuis toujours : le cœur du monde, le centre intime de toute réalité créée 6. » Une telle
lecture de la mort de Jésus comme principe de salut universel n’a sans doute pu être possible qu’à
partir de sa résurrection.
Pour Rahner l’herméneutique des énoncés eschatologiques est une question importante pour la
théologie car dans la prédication chrétienne et théologique il y a toujours des affirmations
eschatologiques qui viennent de l’Ecriture ou qui sont ramenées à elle, et qu’on cherche à traduire

2
Karl RAHNER, Ecrits Théologiques, tome IX, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 166.
3
Karl RAHNER, Le chrétien et la mort, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 64.
4
Karl RAHNER, op. cit., p. 64-65.
5
Karl RAHNER, Le chrétien et la mort, Paris, Desclée de Brouwer, 1966, p. 65.
6
Ibid., p. 75.
24
dans un autre langage et en des images du monde. Ceci est déjà une conscience du principe de
l’herméneutique. En plus de cette herméneutique qu’il appelle générale, il y a nécessité d’une
herméneutique spécifique, car la compréhension des eschata ne relève pas de l’évidence et n’est pas
déterminée à partir de l’objet.
Rahner pense que les traités dogmatiques négligent cette question et ne la traite que comme
métaphysique et propose qu’on cherche à élucider le sens de l’eschatologie aujourd’hui en tenant
compte de l’époque, mais aussi de connivence avec la théorie de la connaissance, d’où la nécessité
d’une démythisation. Un certain nombre de question se pose à lui :
Quel sens les affirmations eschatologique ont-ils en général ? Que signifient-elles exactement ?
Dans qu’elle mesure elles font partie d’une énoncés de foi ? A partir d’où et comment sont-elles
interprétées dans l’écriture ?
Le développement qui suit, exposé sur forme de thèses par notre auteur apportera une réponse à ces
questions.
III.1.1-L’avenir
Dans son sens premier est ce qui n’est pas encore temporellement présent. La notion et le sens
d’avenir est présent au cœur des affirmations de la foi chrétienne. La prédication ecclésiale est donc
bien tournée à un futur non encore présent. Même si cette prédication s’actualise, s’adresse à
l’homme dans son actualité, la dimension d’avenir ne peut être occultée sous peine de contredire la
confession de la foi et de l’écriture.
III.1.2-La révélation et la prophétie
La foi chrétienne confesse l’omniscience de Dieu, et affirme à travers elle la connaissance de Dieu
des évènements du futur. Même si ces évènements relèvent de la réalité du monde et de l’homme on
ne peut contester la communication de ces évènements futurs connu de Dieu. Ces évènements étant
humains, l’homme peut les comprendre et de ce fait il est vu comme un partenaire de Dieu et c’est à
lui que Dieu peut se révéler. Donc la révélation de Dieu des choses à venir reste encore possible et
on ne doit pas imposer une limitation à cette possibilité. La prophétie comme une révélation de
l’avenir a toujours existé dans la tradition catholique et elle est vue comme une preuve de l’agir de
Dieu. Les restrictions que l’on observe dans les affirmations eschatologiques sont liées à l’histoire
du salut mais ne sont pas une limitation foncière de la science ou de la possibilité de révélation de
la part de Dieu. Cependant il convient de souligner que les affirmations eschatologiques ne sont pas
un reportage anticipé des évènements du futur. Ce serait insinuer que le futur ne touche pas
l’homme et serait seulement ce qui est loin et encore absent et non ce qui est présent. Dans ce cas le
message eschatologique court le risque de ne pas concerner l’homme maintenant. Par ailleurs, ces
énoncés eschatologiques ne sont pas pour autant livrés à la construction de l’homme. Ils ont leur
sens propre que l’homme devra chercher à comprendre.
III.1.3-Achèvement et historicité de l’homme
 L’achèvement
Nous savons avec l’Ecriture que Dieu n’a pas révélé aux hommes le jour de l’achèvement. Il ne
nous est pas donné de le savoir, mais il est sûr que ce jour arrivera. Cela, en plus de signifier que
ce n’est pas à l’homme de fixer le moment de cette fin, et encore moins d’en connaître le
« quand », nous fait comprendre que cet achèvement à un caractère essentiel caché. C’est de ce
caractère que dépendent la foi et l’espérance dont St Paul annonce la disparition en ce jour
justement. C’est ce caractère caché qui donne sens à la foi et à l’espérance.

25
En outre nous ne sommes pas ici dans une logique de dichotomie mettant d’un côté ce qui est révélé
et de l’autre ce qui est caché. Ce qui est révélé est ce qui est caché et inversement. Ce qui est
annoncé n’est plus dans l’ordre du doute, de l’ignoré, de l’absent, mais devient un présent caché. En
faite dans sa révélation, l’eschatologie est là en tant que mystère. Par la révélation donc, le futur
s’approche de nous à la fois redoutable est prometteur. D’où la révélation ne traduit pas le passage
de l’inconnu vers le connu mais la première apparition et approche du mystère. Dans la dynamique
de l’eschatologie donc, l’affirmation doit laisser le futur être présent tout en ayant un caractère
caché.
 L’historicité de l’homme
L’homme comme être historique se situe entre une rétrospective qui interroge son passé et un
regard anticipateur sur l’avenir. Ainsi, il est en référence entre son commencement et sa fin.
L’ « anamnèse et l’anticipation » pour reprendre Rahner sont existentielles pour l’homme dans la
mesure où il ne se possède et ne se comprend qu’en conservant son passé et en rendant présent par
anticipation son avenir. On ne peut penser l’homme dans sa réalité si on élimine son rapport à un
avenir réel encore absent, si on méconnait qu’il possède un physique à partir de laquelle s’annonce
sa constitution et son achèvement. C’est dans cette temporalité qu’il gagne son salut même si ce
dernier se réalise en dehors de cette temporalité. D’où la connaissance de l’avenir est un facteur
intrinsèque de la conception que l’homme a de lui.
III.1.4-Le présent eschatologique
Se projeter vers son avenir constitue le présent de l’homme et est nécessaire pour qu’il comprenne
son existence actuelle. Ceci fait le lien entre le présent et l’eschatologie. Dans la logique de Rahner,
l’eschatologie n’est pas quelque chose d’ajouter au présent et au passé de l’homme mais lui est
intrinsèque. A partir de son présent, l’homme doit connaitre son futur mais toujours dans la
mouvance du présent caché. Il lui est alors nécessaire de s’abandonner dans cette compréhension de
ce dont il n’est pas maître. Il échappe ainsi à la maitrise et à la prévision et accepte par-là
l’imprévisible, l’indomptable qu’est Dieu.
III.1.5-L’eschatologie et le salut
Pour Rahner, le progrès de la révélation eschatologique est identique au progrès de la révélation de
l’histoire du salut. L’eschatologie a son sommet en ce Dieu déjà révélé et communiqué
trinitairement, et donc elle n’est pas un reportage anticipé qui doit se réaliser plus tard. C’est à
partir de l’histoire du salut déterminé par le Christ que l’homme, avec sa foi et sa liberté porte un
regard vers l’eschatologie. Pour le chrétien en fait, l’achèvement ou l’eschatologie c’est le Christ en
qui il s’accomplit. Ce qui autorise l’auteur à inférer alors que, « l’anthropologie et l’eschatologie
chrétiennes sont la christologie dans l’unité des différentes phases du commencement, du présent et
de la fin.  » L’eschatologie s’enracine dans le chrétien avec l’expérience du salut de Dieu dans le
Christ. L’auteur précise que ramener l’eschatologie ainsi à l’expérience du salut n’est pas une
« des-eschatologisation mais une des-apocalyptisation. Il voit l’eschatologie comme une affirmation
progressive allant du présent vers l’avenir.
III.1.6-L’eschatologie et damnation
Rahner parle d’une double issue de l’histoire qui ne peut être dépassée maintenant. Puisque
l’eschatologie a un caractère prospectif, et que l’homme doit se décider librement face à cet avenir
ouvert et imprévisible, ces deux possibilités doivent rester ouvertes et exclure deux choses :
l’apocatastase universelle et la connaissance certaine d’une damnation. Par ailleurs, si

26
l’eschatologie est atteinte par la grâce donnée dans le Christ, l’Eglise peut affirmer le salut des
martyrs et de certains hommes qui sont morts dans le Christ.
L’auteur précise tout de même que dans l’eschatologie chrétienne on ne peut parler d’une doctrine à
deux voies mais plutôt d’une « affirmation centrale de la foi victorieuse du Christ » qui mène le
monde à son achèvement. La doctrine chrétienne affirme donc une « prédestination unique ». Pour
Rahner si on doit parler de la damnation c’est juste pour empêcher l’homme de penser que la
victoire de la grâce est fixe et acquise d’avance.
Il soulève le caractère individuel mais général de l’eschatologie chrétienne. Elle s’adresse à
l’homme un et total, individu mais vivant dans une communauté. L’eschatologie est individuelle car
étant un achèvement individuel, personnel et spirituel à la mort qui est la fin de l’histoire
individuelle. Elle est générale parce qu’elle est achèvement de l’humanité dans la résurrection de
la chair comme fin de l’histoire corporelle du monde. Ces deux situations ne peuvent être séparées
mais ne signifient pas pour autant la même chose. Ce dualisme inévitable se fonde sur l’essence de
l’homme et justifie l’existence d’un état intermédiaire qui est le purgatoire.
III.2-L’eschatologie individuelle et l’eschatologie collective chez Karl Rahner
III.2.1-L’eschatologie une en tant qu’individuelle
III.2.1.1-L’homme, un être total
Selon la logique rahnérienne, l’humain est conçu comme une unité existentielle et indissoluble
de deux aspects, une dualité nommée de diverses manières : «  corps et âme, esprit et matière,
sujet et objet, expérience transcendantale et expérience catégoriale, «  autopossession
originaire et réflexion 7  »  ; notre auteur poursuit :«  l’homme, comme esprit et comme être
corporel, comme être qui jouxte l’absolu à niveau transcendantal et comme être spatio-
temporel, est une unité absolue qui ne peut être simplement décomposé en corps et âme 8.  »Cet
être entièrement unité a la liberté de se choisir comme tout et libre de choisir ceci ou cela. Il
est aussi capable de « décision définitive face à Dieu »9. Cette décision, nous dit Rahner, doit
être : «  Prolonger […] dans l’avenir ce que nous expérimentons maintenant comme notre
possibilité de liberté 10.  » Pour Rahner la compréhension de l’être humain doit toujours se faire
dans une dualité sans toutefois les opposer. L’homme est unité parce qu’il est dualité  : «  Il
nous faut toujours discourir dans l’eschatologie tout comme nous le faisons en anthropologie   :
toujours collectivement et individuellement, spirituellement et corporellement   ; cette dualité
n’est pas du tout susceptible d’être «  supprimée  » et surmontée, mais elle ne peut être
comprise indiscrètement comme un énoncé portant sur des réalités totalement diverses 11.  »
C’est tout l’homme dans sa structuration dualiste qui est accompli en Dieu  précise notre
théologien : «  L’homme un et concret est accompli, il est accompli en Dieu comme esprit
concret, comme homme à dimension corporelle 12.  »
III.2.1.2-Mort et éternité
Si l’on considère la narration matthéenne dans son ensemble, Karl RAHNER fait remarquer
qu’après la résurrection du Christ il n’est plus fait mention d’un quelconque jugement
eschatologique. Celui-ci est remplacée par une exhortation à la mission auprès de « toutes les

7
Karl RAHNER, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983, p. 481.
8
Ibid., p. 482.
9
Ibid, p. 481.
10
Ibid., p. 481.
11
Ibid., p. 482.
12
Idem.
27
nations » ainsi que par la promesse de la présence de Jésus « tous les jours jusqu’à la fin du
monde  »(Mt. 28, 19-20). Matthieu insiste sur « l’être avec » du Christ dans le quotidien de ses
disciples et non pas sur la venue à la fin des temps. Selon Karl Rahner, l’eschatologie est certes
maintenue, mais elle est dégagée de toute idée de rétribution13.
Concernant la mort, les positions sont beaucoup partagées. Il y a d’un côté, ceux qui pensent à un
prolongement de la vie par-delà la mort de l’homme, et de l’autre côté, ceux qui pensent qu’avec la
mort tout est fini14. Mais selon Rahner ce ne sont que là des schèmes représentatifs de notre
temporalité qu’ « il nous faut apprendre à penser en laissant là toute image, […], en pratiquant
une démythologisation, et dire : c’est par la mort et non après elle, qu’existe la dimension
définitive […] de l’existence librement mûrie de l’homme15. »Autrement dit, pour Rahner
«  L’éternité comme fruit du temps est une comparution devant Dieu, soit dans la décision absolue
de l’amour à son égard, en vue de l’immédiateté et de la proximité du face à face, ou bien dans la
dimension définitive d’une fermeture de soi à son égard en vue de la ténèbre brûlante de l’éternelle
absence de Dieu16. » Pour Ranher la mort affecte l’être humain tout entier et l’offre tout entier à la
résurrection promise. «  Les énoncés eschatologiques sur l’accomplissement de l’âme et
l’accomplissement du corps ne sont pas tels que l’on pourrait les séparer adéquatement l’un de
l’autre et les attribuer à des réalités diverses17. » Le corps et l’âme sont tous les deux concernés 18
car, « L’homme est un concret est accompli, il est accompli en Dieu comme esprit concret, comme
homme à dimension corporelle19. » Il ajoute pour dire que l’âme d’un mort n’est pas acosmique :
elle serait plutôt pan-cosmique20.
La description scripturaire bien heureuse des âmes après cette vie sur terre, est selon Rahner un
langage qui traduit une seule réalité : « Dieu est le mystère ». Il poursuit pour dire que « Cette
éternité, selon la Révélation de l’Ecriture, introduit la temporalité de l’homme un et total dans son
état définitif, en sorte qu’elle peut être appelée aussi résurrection de la chair21. »
Tout comme nous avons tendance à comprendre le présent comme une suite infinie de
« maintenant », nous avons aussi tendance à comprendre l’éternité comme une durée infinie
après la mort. Pour Karl Rahner, concevoir l’éternité comme une durée illimitée après la mort
cause un tort dont il est difficile de se départir. Il écrit à juste titre :
« Celui qui fait simplement se prolonger le temps par-delà la mort de l’homme, […], celui-là
s’embarrasse aujourd’hui de difficulté insurmontable. Mais à l’inverse, celui qui pense qu’avec
la mort tout est fini, parce que le temps de l’homme ne se prolonge réellement pas, […], celui-
là succombe au schème représentatif de notre temporalité empirique tout, aussi bien que celui
qui donne à l’âme de se prolonger 22. »
Une telle vision de l’éternité nous fait reporter à plus tard l’action de vivre l’essentiel et le
moment présent en union à Dieu. Pour Rahner, l’éternité n’est pas un événement du futur, elle

13
Karl RANHER, « Pour une théologie de la mort », Ecrits théologiques n° 3, Paris, Desclée de Brouwer, 1963, p. 117.
14
Karl RAHNER, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983, p. 483.
15
Ibid., p. 484.
16
Ibid., p. 487.
17
Ibid., p. 482.
18
Karl RANHER, « Pour une théologie de la mort », Ecrits théologiques n° 9, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 173.
19
Karl RAHNER, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983, p. 482.
20
Karl RANHER, « Pour une théologie de la mort », Ecrits théologiques n° 9, Paris, Desclée de Brouwer, 1968, p. 176 ;
Cf. Georges NOSSENT, « Mort, Immortalité, résurrection », Nouvelle Revue Théologique, juin-juillet, 1969, p. 623-625.
21
Karl RAHNER, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983, p. 489.
22
Ibid., p. 483-484.
28
est plutôt une modalité du temps qui advient dans une décision authentique prise dans le
présent, là où Dieu se donne : «  L’éternité n’est pas une modalité du temps pur qui durerait
longtemps, à perte de vue, mais une modalité de la spiritualité et de la liberté accomplies dans
le temps23.  » Il insiste sur le fait qu’il est urgent de le comprendre et de se débarrasser de la
vision de l’éternité comme une durée infinie après la mort  : «  Il nous faut apprendre à penser
en laissant là toute image, et, […], en pratiquant une démythologisation, et dire   : c’est par la
mort et non après elle, qu’existe la dimension définitive qui fut produite de l’existence
librement mûrie de l’homme 24.  »
III.2.1.3-Le purgatoire chez Rahner
En ce qui concerne la doctrine du purgatoire, Rahner fait remarquer la complexité de la
question tout en affirmant ceci : «  Si donc l’on ne peut contester qu’existe un état
intermédiaire dans le destin de l’homme entre la mort d’un côté et l’accomplissement corporel
de l’homme comme tout, l’on ne peut alors rien avancer non plus de décisif à l’encontre de la
représentation d’une maturation personnelle dans cet état intermédiaire, représentation à
laquelle on donne justement le nom de «  purgatoire  », ou mieux d’  «  état de purification  » ou
de «  lieu de purification  »25  ». Cette question n’est pas définitivement tranchée car selon Karl
Rahner «  Il y a encore beaucoup à faire, et bien des difficultés portant sur la doctrine de l’état
intermédiaire, du purgatoire, peuvent être certainement encore éliminées 26.  »
III.2.1.4-La doctrine de l’enfer
L’homme compris comme liberté et capable de décision libre en face de Dieu est engagé dans
une histoire qui l’invite au salut. Dans cette aventure bienheureuse, «  L’homme est vraiment
l’être qui, dans le cours de son histoire, est contraint de compter de façon absolue et
indépassable avec cette possibilité d’un accomplissement absolu dans le non à Dieu, et par
suite dans la perdition 27.  »Dans son accomplissement, l’être humain, capable de décision
devant Dieu, a la possibilité absolue au nom de sa liberté de refuser définitivement Dieu.
L’enfer est donc le refus définitif de l’être humain de Dieu. Rahner écrit  : «  Dans la doctrine
sur l’enfer, nous tenons la possibilité d’une perdition définitive pour tous les individus, pour
chaque ‘‘Je’’, parce que autrement ne subsisterait plus le sérieux d’une histoire libre 28.  »
III.2.2-L’eschatologie une en tant que collective
L’idée répandue selon une non-eschatologie consiste à limiter l’attente du monde qui vient au
salut individuel. L’idée est que l’objet principal de l’espérance chrétienne n’est pas un autre
monde mais un au-delà du monde à dimension plus individuelle que collective. Le Royaume de
Dieu est en fait le Royaume des morts, celui que l’on rejoint après la vie d’ici-bas. Cette vision
privilégie une compréhension individuelle du salut limitée à la seule espèce humaine. Or, selon
Rahner, «  l’eschatologie individuelle ne saurait être séparée de l’homme comme être corporel
historique, membre du monde et de la collectivité, dans toutes les différences de phases qui
peuvent exister 29.  » Il poursuit pour dire : «  L’eschatologie de l’individu concret ne peut être
complète que si l’on pratique aussi une eschatologie collective 30.  »
23
Ibid., p. 484.
24
Idem.
25
Ibid., p. 488-489.
26
Ibid., p. 489.
27
Karl RAHNER, Traité fondamental de la foi. Introduction au concept du christianisme, Paris, Centurion, 1983, p. 490.
28
Ibid., p. 491.
29
Idem.
30
Ibid., p. 492.
29
2-Immortalité de l’âme et résurrection des morts
Afin de nous introduire dans le thème de l’immortalité de l’âme et de la résurrection, Joseph
Ratzinger préfère positionner le problème à partir d’une question que pose Oscar Cullmann : « Si,
de nos jours, nous demandons à un chrétien moyen, protestant ou catholique, intellectuel ou non,
ce qu’enseigne le Nouveau Testament sur le sort individuel de l’homme après la mort, la réponse
sera, à quelques exceptions près : ‘’ L’immortalité de l’âme.’’ Sous cette forme, cette opinion est
l’une des plus graves méprises sur le christianisme. »31Déjà dans l’Ancien Testament, la notion de
Dieu implique la résurrection des morts : Dieu dit à Moïse qu'il est «le Dieu d'Abraham, d'Isaac et
de Jacob»; or «ce serait faire de Dieu un dieu des morts (...) que de déclarer morts ceux qui
appartiennent à celui qui est vie.» Jésus ajoute quelque chose de nouveau : Jésus ressuscité
« devient la véritable norme dans la norme, la règle à utiliser pour lire la tradition : grâce à elle
l’effort de l’Ancien Testament est déchiffré comme une approche unique en direction du Christ
souffrant, crucifié et ressuscité ; il devient témoin de la résurrection. »32 Chez saint Paul, recevoir le
baptême signifie accepter de partager la destinée de Jésus, y compris sa mort; et puisque cette mort
est cheminement vers la résurrection, souffrir et mourir avec le Christ revient à participer à la
résurrection. C'est même parce que cette souffrance conduit à la résurrection que l’homme accepte
d’y entrer.
La résurrection est donc relative à une personne, Jésus-Christ; si les morts ne ressuscitent
pas, le Christ n’est pas ressuscité. Résurrection du Christ et résurrection des morts sont une même
réalité.On peut, avec Matthieu et Jean, aller plus loin : l’attachement à Jésus est déjà résurrection. «
Quand la communion avec lui est établie, les limites de la mort sont franchies»; (...) «senourrir de sa
parole et de sa chair équivaut à se nourrir du pain de l’immortalité.» Les frontières entre la vie et la
mort s'établissent au sein de la vie humaine, selon que l'on vit avec ou sans le Christ. «On voit que
la foi ne bannit pas seulement la peur de la mort, mais également le désir grandissant de mourir,
parce qu’elle impose aussi le fardeau du dépérissement quotidien, et la tâche glorieuse d'avoir à lui
plaire ».
Ce qui rend l’homme immortel, c’est sa capacité d’être relié à Dieu. Les Grecs avaient
compris que la vie est connaissance et contemplation de la vérité, mais l’homme, livré à lui-même
et à ses propres forces, ne peut voir Dieu; tel Pierre sur le lac, il se noie à l’instant même. «La vision
de Dieu qui est vie ne s’obtient pas par la spéculation de la pensée mais par la pureté d’un cœur
simple, par la foi, par l’amour qui se confient à la main du Seigneur ». La christologie complète le
thème platonicien de la vérité qui donne la vie en nous indiquant comment y parvenir. Cette
ouverture à Dieu est donnée à l'homme, et non produite par sa propre conduite ; c’est là le sens du
mot « création ». L’immortalité n’est pas le fruit d’un effort, mais « renvoie à une pratique de
l’accueil, au modèle de l’anéantissement de Jésus, contraire à l’émancipation totale comme voie
sans issue de salut ».
La conception chrétienne de la vie éternelle peut ainsi se résumer en trois mots : elle est
dialogale, globale, solidaire33.
 L’immortalité est dialogale car elle procède de l’union à Dieu. Parce que Dieu est le Dieu
des vivants et appelle l’homme par son nom, celui-ci ne peut périr. Dieu est vie parce qu’il est
relation ; c’est cette relation à Dieu qui rend l’homme immortel, et non son propre pouvoir.
31
Ibidem, p. 111.
32
Ibidem, p. 120.
33
Cf. Ibidem, pp. 163-166.
30
 L’immortalité est globale car l’homme tout entier ressuscite; la distinction entre âme et
corps est devenue inadmissible. « Même dans l’incessante usure du corps, c’est bien l’homme
unique, l’homme tout entier qui marche vers l’éternité et, en tant que créature de Dieu, mûrit, dans
sa vie physique, pour contempler Dieu face à face»34.
 L’immortalité est solidaire car le dialogue chrétien avec Dieu passe par les hommes, par
l’histoire au cours de laquelle Dieu parle avec les hommes. Il se réalise dans le « corps du Christ »,
c’est-à-dire quand l’homme devient fils avec le Fils, et donc un avec tous ceux qui cherchent le
Père.
Pour Ratzinger, cette vie après la mort est. Certes, elle existe cette vie future. Elle n’est pas
de notre portée expérimentale mais elle existe. Cette conception pourrait donc être un vrai scandale
pour la raison. Pourtant, Ratzinger est convaincu que grâce à l’« ascension » du Fils de Dieu, le ciel
n’est plus fermé à l’homme tout entier, à l’homme qui, depuis sur cette terre ici-bas, a déjà
commencé sa marche à la suite du Christ : «La tradition de foi n'a pas pour but de nourrir la simple
curiosité. Quand elle dépasse le champ propre de l'expérience humaine, ce n'est pas pour nous
distraire, mais pour nous indiquer la voie à suivre. L’au-delà ne s’ouvre donc que dans la mesure
où cela est utile pour nous éclairer dans ce bas-monde. »35
III-Autres éléments de l’eschatologie ou l’eschatologie collective
1-Résurrection
Le sens théologique de « la résurrection des morts »
Parcours historique :
Joseph Ratzinger passe en revue quelques textes bibliques qui fondent la foi en la
résurrection des morts : il s’agit notamment de 1 Co 15,35-53, de 2 Co 5,1 et de Col 3,1-3.
Dans 1 Co 15,35-53, Paul aborde la question de résurrection des morts dans sa dimension
corporelle. Pour répondre aux objections des corinthiens : « Comment les morts ressuscitent-ils ?
Avec quel corps reviennent-ils ? », il fait une distinction entre « résurrection du corps » et « retour
des corps » à la vie. Contre une conception naturaliste de la notion de résurrection, Paul oppose
« un réalisme spiritualiste »36. Ce réalisme s’exprime davantage dans le chapitre eucharistique de
saint Jean où il est dit : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien » (Jn 6,63). Selon
Ratzinger, cette phrase ne devrait point nous dérouter, car c’est dans la tension entre chair et esprit
que l’on découvre le réalisme singulier et neuf du Ressuscité. Il dira à cet effet : « La ‟chair” du
Christ est ‟esprit”, mais l’esprit du Christ est ‟chair” »37.
Les passages de 2 Co 5,1 et Col 3,1-3 abordent dans le même sens en orientant les chrétiens
sur le fait que leur vraie vie demeure cachée dans le Christ, elle est hors d’eux, tout en étant leur
bien propre38.Ainsi donc, le chrétien est invité à vivre de manière « ex-centrique », à mener une vie
centrée sur le Christ. Pour Ratzinger, tous ces textes mettent l’accent sur le mode nouveau de
l’existence du ressuscité, laquelle vient d’en haut et non d’en bas ; ils affirment le caractère
christologique de notre vie de ressuscité, mais « ils ne présentent pas une théorie des rapports entre
le corps du Christ et le corps des chrétiens ressuscités »39. D’ailleurs, ni Paul, ni Jean n’établissent

34
Ibidem, p. 165.
35
Ibidem, p. 167.
36
Ibidem, p. 176.
37
Ibidem, p. 176.
38
Cf. Ibidem, p. 177.
39
Ibidem, p. 177.
31
d’équivalence entre l’être actuel avec le Christ et la résurrection. C’est pourquoi il invite à la
prudence dans l’interprétation systématique des données bibliques.
L’explication de « la résurrection de la chair » dans les premiers siècles de l’Église :
Les trois premiers siècles de l’Église sont marqués par l’importance accordée, non à
l’expression « résurrection des morts, mais à l’expression « résurrection de la chair ». Cette
expression, que nous trouvons dans le Symbole des Apôtres, du fait de son origine juive, renvoie au
salut de la créature, l’homme ou à la création en général 40. La question est donc de savoir si la
résurrection a un quelconque rapport avec la matière ? En d’autres termes, la résurrection de la
créature (homme) incluait-elle nécessairement son corps ? À partir de 1 Co 15,50 dans laquelle Paul
déclare que « la chair et le sang ne peuvent hériter du Royaume de Dieu  » va naître la querelle de la
première Église portant sur les notions paulinienne et johannique de « chair ». Sur cette querelle
portant sur l’énoncé apostolique de « chair », Joseph Ratzinger rappelle deux textes gnostiques
caractéristiques qui concordent avec les conceptions modernes : l’évangile valentinien (IIème ou
IIIet la lettre de Rheginos (valentinien du IIème siècle).
Le premier, composé au IIème siècle, interprète la « résurrection de la chair » à partir du fait
que le ressuscité est dépouillé de sa propre chair et revêtu de celle du Christ. Ici, « la résurrection
du Christ est déjà notre propre résurrection »41. Seule cette chair est le lieu de salut. Le deuxième
texte aborde la résurrection dans la perspective de l’idée que l’on a de soi. En invitant les chrétiens
à se considérer comme déjà ressuscités, le texte souligne le fait que la résurrection est déjà une
réalité présente.
En résumant les discussions de l’Église primitive, Ratzinger nous fait comprendre que la
question de la résurrection de la chair ne signifie résurrection de la créature que si elle inclut le
corps.42
2-Parousie
La question du rapport entre le retour du Christ et notre temps se reflète dans la question des
signes de la fin du monde, qui, née des interrogations analogues de l’apocalyptique juive, ne cesse
de ressurgir dans la chrétienté depuis l’époque des disciples de Jésus43. Du fait de sa nature,
l’arrivée du Seigneur ne peut se décrire qu’en images44.
Aujourd’hui, la foi au retour du Seigneur semble curieusement absente des préoccupations
centrales des chrétiens, quand elle n’est pas purement et simplement remise en cause. Joseph
Ratzinger, sans doute luttant contre ce syndrome, cherche à montrer la pertinence de l’espérance
chrétienne « hier et aujourd’hui ».
En ce sens, l’auteur souligne que la venue du Christ est tout à fait incompatible avec le
temps de l’histoire, avec les lois de sa durée 45. Toutes les fois que l’homme se livre à calculer, il
passe à côté du Christ qui n’est pas le produit de l’évolution ni un moment dialectique dans la
raison, mais l’Autre, celui qui de l’extérieur, ouvre les portes du temps et de la mort. La parousie ne
peut, en elle-même, pas être datée46. En Jésus-Christ, Dieu agit comme Dieu divinement, sans
intermédiaire, et en lui, Dieu agit comme homme par la médiation de l’histoire : seul le mystère
humano-divin du Christ Jésus permet de comprendre sa parousie ; la parousie est avant tout un
40
Cf. Ibidem, p. 178.
41
Ibidem, p. 179.
42
Cf. Ibidem, p. 181.
43
Cf. Ibidem, p. 201.
44
Cf. Ibidem, p. 208.
45
Cf. Ibidem, p. 201.
46
Cf. Ibidem, p. 202.
32
événement christologique. C’est pourquoi comme le dit Jean Daniélou, le Christ serait en même
temps Telos et Peras de l’histoire ; telos comme l’accomplissement transcendant de tout le réel,
accomplissement incompatible avec le cours temporel du monde et de l’histoire, et peras comme la
fin chronologique de ce temps47. En tant que telos et peras, la parousie est « déjà et pas encore »
réalisée.
La parousie est donc pure action de Dieu, dont il n’existe aucun correspondant historique et
que ne peut prendre en compte aucune chronologie de l’histoire ; mais elle est en même temps
libération de l’homme qui, si elle n’est pas son propre fait, ne peut s’opérer sans lui, et qui, par
suite, si elle n’autorise pas des pronostics, laisse place à des signes. C’est en ce sens que Ratzinger a
su examiner de plus près les signes de la fin mentionnés dans le Nouveau Testament (Mc 13 ; 2 Th
2, 3-10 ; 1Jn 2, 18-22 ; 2Jn 7). Dans l’homme Jésus, Dieu vient d’une manière à la fois divine et
humaine. Ainsi, sa venue transcende la logique de l’histoire et concerne pourtant toute l’histoire48.
En matière d’imageries décrivant la parousie, le Nouveau Testament a emprunté les siennes
aux représentations du Jour du Seigneur dans l’Ancien Testament, elles-mêmes héritées de
l’histoire antérieure des religions et de leurs propres liturgies 49. Ce qui permet à notre auteur de dire
que le langage cosmique du Nouveau Testament est un langage liturgique 50. La description de la
parousie porte donc à la fois des traits de l’épiphanie du Seigneur comme des traits de la fête du
nouvel an (Schofar) et de sa liturgie. Son irruption (le Christ) est l’entrée du véritable imperator, sa
venue signifie la chutes « éléments » du monde ; elle signifie également le commencement d’une
nouvelle année de Dieu, du banquet éternel qu’il tient avec les siens 51. La parousie apparait,
premièrement, comme le degré suprême d’intensité et de plénitude de la liturgie, seule lieu de
contact avec Dieu en ce monde. La liturgie est parousie, événement parousial parmi nous.
Deuxièmement, il apparaît que cette Église même, qui, dans la liturgie, semble tourner ses regards
vers l’intérieur, s’attaque ce faisant au fondement du cosmos et opère sa métamorphose libératrice.
En d’autres termes, loin des interprétations naturalistes des symboles liturgiques, Ratzinger signale
que la référence réelle au cosmos n’est pas à éliminer ; référence qui n’est pas un brillant à-côté,
mais touche au cœur même de la réalité. Toute eucharistie est parousie, venue du Seigneur, et toute
eucharistie est pourtant plus que jamais désir ardent qu’Il manifeste sa splendeur cachée 52. En
définitive, « à considérer les choses ainsi, le thème de la parousie cesse d’être une spéculation sur
l’inconnu. Il devient une interprétation de la liturgie et de la vie chrétienne ; une invitation à vivre
la liturgie comme une fête de l'espérance et de la présence du Christ cosmocrator. (…) Le thème de
la vigilance (Mc 13, 37) s’approfondit ainsi dans la tâche concrète de donner réalité à la liturgie
jusqu’à ce que le Seigneur lui-même lui confère cette suprême réalité qui, en attendant, ne peut être
recherchée qu’en symboles »53.
3-Jugement
Tout comme le retour du Christ, le jugement échappe à nos efforts d’imagination.
L’essentiel de sa signification apparaît au mieux quand il est demandé qui est le sujet du jugement
selon la tradition biblique. En parcourant le Nouveau Testament, c’est d’abord Dieu qui est qualifié
de juge, puis le Christ et, enfin les Douze apôtres (2 Th 1, 5 ; Mt 25, 31-46 ; Mt 19, 28).
47
Cf. Ibidem, p. 203.
48
Cf. Ibidem, p. 208.
49
Cf. Ibidem, p. 208.
50
Cf. Ibidem, p. 209.
51
Cf. Ibidem, p. 210.
52
Cf. Ibidem, p. 211.
53
Ibidem, p. 211.
33
Chez Jean, le jugement est ramené au présent de cette vie, de notre histoire présente ; la
décision intervient maintenant entre foi et incroyance. Certes le jugement final n’est pas supprimé
mais un nouveau rapport s’établit entre jugement et christologie. Le christ ne condamne personne ;
il est pur salut, et celui qui se tient à son côté se trouve dans le lieu du salut. La damnation ne
dépend pas du Christ ; mais elle est le fait de l’homme resté loin de lui 54. Le jeu de masques d'une
vie qui se retranche derrière des positions fictives prend fini. Le jugement consiste à mettre bas les
masques, et c’est la mort qui les fait tomber. En mourant, l’homme s’en va vers la réalité et la vérité
sans voile. Le jugement, c’est simplement la vérité même, sa manifestation. Cette vérité c’est Dieu,
Dieu en « personne ». La vérité définitive n’est porteuse de jugement que si elle a un caractère
divin ; Dieu est juge dans la mesure où il est la vérité même. Mais Dieu est vérité pour l’homme en
tant qu’il s’est fait homme et qu’en cela il est modèle d’homme 55. Ainsi, Dieu est règle de vérité
pour l’homme dans et par le Christ : la vérité qui juge l’homme est elle-même venue le sauver. Par
ailleurs, le Christ ne prononce aucune condamnation, seul l’homme peut mettre une limite au salut
par l’isolement de qui se refuse à sa rencontre56.
En ce qui concerne le rapport entre le jugement individuel et le jugement universel, notre
auteur indique : « Bien que la mort fixe la vérité définitive de tel homme, il y aura quelque chose de
nouveau quand le monde cessera de souffrir de toute faute, quand donc, pour ainsi dire, toutes les
conséquences des actes de cet homme seront tirées, quand sa place dans l’ensemble sera enfin
définitivement fixée. Ainsi, pour l’individu, la fin de tout n’a rien d’extérieur à lui, c’est au
contraire une réalité qui le touche au plus intime de lui-même »57
En définitive, en matière de jugement, c’est à Dieu seul d’en décider, lui qui connaît les
oblitérations de notre liberté et qui sait également les appels et les possibilités offertes à l’homme.
4-Enfer
Le dogme d’un châtiment éternel repose sur une base solide tant dans l’Ancien Testament
que dans le Nouveau (Mt 25, 41 ; Rm 9, 22). Ce dogme s’est progressivement formulé non sans
secousses. En effet, Origène fut l’un des premiers qui essaya de formuler ce dogme mais
malheureusement avec l’idée d’une réconciliation universelle dont la tradition de l’Église se sépara
de cette voie puisqu’elle n’a pas de fondement Biblique 58. Cette idéologie voulait soit exempter
entièrement les chrétiens d’une éventualité de la damnation, soit en raison de la miséricorde divine
faire bénéficier tous les damnés d’un allégement au détriment de leur mérite. Origène met en doute
le caractère éternel de la damnation avec l'idée de l'apocatastase qui stipule que Dieu, à la fin des
temps, unifiera tout arbitrairement, dans un salut universel. Le synode de Constantinople en 453,
DS411 va réaffirmer l’éternité de l’enfer.
Pour la tradition chrétienne, le Christ va en enfer et le vide en souffrant 59. Le ciel repose sur
la liberté humaine ; Dieu souffre et meurt, cela signifie que pour lui le mal n’est pas irréel. La
souffrance du Christ à la croix donne tout son sens à l’existence du mal, il descend au schéol. Cette
réalité du Christ illustre bien l’existence de l’enfer. Le nier serait fait preuve d’amateurisme. En
passant par Jean de la croix et Thérèse de Lisieux, le mot enfer a pris une nouvelle signification et
une nouvelle forme60. L’enfer n’est plus une menace mais un appel à souffrir dans la nuit obscure de
54
Cf. Ibidem, p. 213.
55
Cf. Ibidem, p. 213.
56
Cf. Ibidem, p. 214.
57
Ibidem, pp. 214-215
58
Cf. Ibidem, p. 224.
59
Ibidem, p. 225.
60
Ibidem, p. 226.
34
la foi la communion avec le Christ en tant que communion aux ténèbres de sa descente dans la nuit.
Cette nouvelle dimension invite à l’Espérance dans le Christ. De là le dogme trouve sa vraie
dimension. L’enfer n'est pas seulement une exclusion de la vie éternelle, mais une vraie
condamnation et refus des injustes de la part du Seigneur, ils seront repoussés par Christ (1Co 6,9;
Mt 25,41; Mt 7,23).Le Catéchisme de l'Eglise Catholique, s’appuyant sur les paroles de Jésus en Mt
13,41-42, affirme que la peine principale de l'enfer consiste dans la séparation éternelle d’avec
Dieu. (Cf. CEC. 1034-1035).
5- Purgatoire
La tradition Orientale considère le purgatoire comme l’« état intermédiaire » mais la
tradition occidentale l’appelle « purgatoire ». Il faut dire que les Grecs n’admettent l’idée d’un
châtiment ni d’une réconciliation dans l’au-delà, cependant, avec les Latins ils ont en commun
l’intercession pour les défunts. Le dogme en question trouve sa racine dans le judaïsme (2 M 12 ?
32646). Le purgatoire pour les chrétiens n’est pas un camp de concentration dans l’au-delà mais
« plutôt un processus interne et nécessaire de transformation de l’homme, par lequel ce dernier
devient capable du Christ, capable de Dieu et par suite capable de s’unir à toute la communio
sanctorum »61. Dans cet état qui s'appelle purgatoire, se trouvent "ceux qui meurent dans la grâce et
dans l'amitié de Dieu, mais ils sont imparfaitement purifiés", afin qu'ils soient préparés pour la
vision de Dieu. En conséquence, le purgatoire n'est pas un enfer adouci et temporaire. "Quoiqu'ils
soient certains de leur salut éternel, ils sont soumis cependant, après leur mort, à une purification,
afin d'obtenir la sainteté nécessaire pour entrer dans la joie du ciel. Ainsi, « la rencontre avec le
Seigneur constitue cette transformation, ce feu qui, en brûlant, le métamorphose en cet être sans
scorie qui peut devenir le vaisseau d’une joie »62.
Cette doctrine trouve son fondement dans la grâce christologique de la pénitence. La
doctrine du purgatoire affirme que l’amour de Dieu ignore les frontières de la mort, puisqu’il va au-
delà de la mort humaine. Mais ici le mort ne peut plus rien pour lui-même d’où le suffrage de prière
et surtout l’Eucharistie pour les aider dans cet état de purification.
6-Ciel
Le ciel est sans nul doute le désir de tous les chrétiens. Pour le désigner, la tradition
chrétienne tout comme la tradition hébraïque utilise des images. La tradition chrétienne désigne le
ciel l’ « en haut » comme l’accomplissement définitif de l’existence humaine par l’amour accompli
à quoi tend la foi63. Il ne s’agit pas ici d’une simple image mais l’exposé du réalisme dans la
rencontre du Christ. Le ciel dont il est question ici a plusieurs dimensions : christologique,
théologique, ecclésiologique, anthropologique et cosmique mais la principale de qui émane les
autres est la christologie. En effet, du point de vue christologique, il est à noter que le ciel n’est pas
un lieu sans histoire où les hommes vont car « qu’il y ait un « ciel », cela est dû au fait que Jésus-
Christ, en tant Dieu, est homme, et qu’il a donné à l’être humain une place dans l’être de Dieu.
L’homme est dans le ciel, quand et dans la mesure où il est auprès du Christ par qui il trouve le
lieu de son être, en tant qu’homme, dans l’être de Dieu »64. Ainsi, le ciel apparaît d’abord comme
une réalité personnelle marquée par son origine historique dans la mort et la résurrection du Christ.
Du point de vue de théologique, le ciel a le caractère d’adoration, en lui s’accomplit le sens
premier de tout culte. Cela grâce au Christ qui est permanemment en état d’offrande au Père. Il
61
Ibidem, p. 239.
62
Idem.
63
Cf. Ibidem P. 242
64
Ibidem, p. 242.
35
s’agit de la vision de Dieu ou encore de l’Amour qui est tout en tous. Si alors le ciel a pour
fondement le fait d’être dans le Christ, il implique de même le fait d’être associé à tous ceux qui
ensemble constituent l’unique corps du Christ65 d’où l’élément ecclésiologique. Cette dimension
communautaire marque la communion avec les saints. L’aspect anthropologique du ciel consiste
dans le fait que : « l’inclusion du moi dans le corps du Christ, sa mise à la disposition du Seigneur
et des autres n’entraînent pas la dissolution du moi, mais sa purification qui comble en même
temps ses plus hautes possibilités »66. Quant à l’aspect cosmique, le fait que le Christ soit entré ou
élevé avec son humanité dans la Trinité ne signifie pas qu’il s’est éloigné du monde mais c’est un
nouveau mode de présence dans le monde. Au fond le « Christ glorifié n’est pas dépris du monde
mais élevé au-dessus du monde et donc relié au monde »67. En définitif, le ciel n’est pas un lieu
localisable ni dans et hors de notre système spatial, cependant, il n’est non plus à réduire à un pur
état de cohérence du cosmos. En tant que réalité eschatologique, « le ciel est l’éclosion définitif de
ce qu’il y a de définitif dans l’amour irrévocable et sans partage de Dieu »68. Le salut ne sera plein
et entier que lorsque s’accomplira le salut de l’univers et de tous les élus.

65
Cf. Ibidem, p. 243.
66
Ibidem, p. 243.
67
Ibidem, p. 245.
68
Ibidem, p. 245.
36

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