Hania AKIR
Hania AKIR
Hania AKIR
juillet 2018
Hania AKIR
Université de Bejaia. Algérie
Résumé : L’objectif du présent article est Abstract: The aim of our article is to present
de faire connaître les particularités de la the characteristics of the toponymy of Béjaïa-
couverture toponymique de Béjaïa-Tichy- Tichy-Aokas, area on the east side Algerian.
Aokas, région située sur la côte Est Thus, our work wishes to show the various
algérienne. Par l’étude sémantique des semantic aspects of this toponymy, and their
mots que sont les noms de lieux de la frequency, in order to reveal the lived, the
région en question, nous avons souhaité trends and the concerns of people of this area,
déterminer les différents aspects auxquels through time.
ceux-ci renvoient, avec quelles fréquences, Keywords: Toponymy, etymology,
et partant, révéler le vécu, les tendances et semantics, history, geography, culture,
les préoccupations d’un peuple à travers le society.
temps.
Mots-clés : Toponymie, étymologie,
sémantique, histoire, géographie, culture,
société.
1
Notre contribution est une version synthétisée de la première partie de notre mémoire de magistère intitulé
Etude toponymique de Béjaïa, Tichy et Aokas – Approche sémantique et morphologique, sous la direction du
Professeur Foudil Cheriguen, Université de Béjaïa, 2003.
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Revue EXPRESSIONS n°6. juillet 2018
Introduction
Notre contribution vise à mettre en lumière les caractéristiques de la toponymie de la
région Béjaïa-Tichy-Aokas, sur un plan sémantique, à savoir, découvrir, d’une part, si cette
toponymie se définit par la prédominance d'un thème particulier, récurrent, et d’autre part, si
elle est semblable à la toponymie berbère, en général. Nous avons voulu par là déterminer ce
qui a marqué la société de la région, sa culture, puisque la toponymie est le reflet de la société
et que celle-là exprime les aspirations et les besoins de celle-ci.
L'acte de dénomination est en rapport direct avec la langue, avec la culture liée à celle-
ci. Les toponymes sont des mots, puisés dans le lexique d'une langue, qui désignent
« l'identité » que porte un espace. Les populations nomment leurs espaces dans une langue
donnée, et par rapport à une culture correspondant à cette langue. Ainsi, si le toponyme peut
nous renseigner sur les caractéristiques du lieu qu'il désigne, il peut aussi parfois nous donner
un aperçu de la relation entre le lieu et le nommant, et refléter la culture de celui-ci. « C'est
dans ce sens que le nom de lieu est une clé qui nous ouvre la porte sur l'histoire d'un lieu, sa
relation avec ceux qui l'ont côtoyé, aménagé, apprivoisé et nommé » (Atoui, 1998 : 37).
Nul ne saurait contester le fait que l'analyse et l'interprétation des mots qui désignent l'espace
contribuent, de manière considérable, au développement de la connaissance de ce dernier. La
grande majorité des noms de lieux est liée à l'homme ou à son environnement ou encore à son
histoire. Il s'agit de ce que Cheriguen (1994) appelle 1'« anthropo-toponymie », à savoir, cette
relation de l'homme avec l'histoire et la géographie (environnement). A travers les époques,
les espaces continuent à exister aux yeux des hommes, grâce aux dénominations
toponymiques, même si ces dernières sont exposées à de continuels changements : « la
toponymie conjuguée avec l'histoire, indique ou précise les mouvements anciens des peuples,
les migrations, les aires de colonisation, les régions où tel ou tel groupe linguistique a laissé
ses traces » (Dauzat, 1951 : 7). Cela correspond bien au cas de l'Algérie dont l'histoire est
longue et multiple.
Représentant une marque spatiale de la culture des peuples qui occupent ou ont occupé
un espace, la toponymie est un excellent moyen de connaître l'histoire d'une région, car au-
delà de l'analyse des mots, il y a cette volonté de découvrir les aspirations, les tendances de la
société qui nomme, au fil du temps.
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(n’apparaissant pas ici car trop volumineux) réalisé en trois étapes principales qui sont : le
recensement, à partir de cartes2 de la région et du Code Postal3 , de 496 toponymes (noms de
quartiers, de villages, de hameaux, de bourgs, de lieux-dits), leur interprétation, et leur
classement sémantique. Parallèlement à cela, il est nécessaire de souligner certains aspects qui
ont été indispensables à la réalisation de notre étude, ou qui, au contraire, ont entraîné des
difficultés d'analyse. Il s'agit d'étymologie, d'interprétation, de transcription et de
classification.
1- Toponymie et étymologie
Dans notre étude, comme dans toute recherche toponymique, il a été fort utile de se
référer à « la racine » car elle est l'élément irréductible qui permet de regrouper plusieurs
formations toponymiques et par là, d'en connaître l'étymologie. En toponymie, on ne peut
parler de « quête de l'origine » sans envisager la quête de l'étymon des noms et, par extension,
la quête de la langue. L'étymologie donne alors la possibilité de restaurer une mémoire, une
identité et une culture perdue.
Selon Baylon & Fabre (1982 : 25), dès le XVIIIème siècle, De Brosses réalise déjà,
combien il est important d'étudier les noms de lieux qu’il considère comme des « témoins de
substrat linguistique » devant faire l'objet d'une recherche étymologique. Celle-ci peut révéler
que le nom a été soumis aux variations des mots ordinaires et par conséquent, sa construction
morphologique et syntaxique s'en trouve affectée. Délicate, voire complexe, l'étude
étymologique des noms de lieux n'est pas toujours facile à réaliser car il arrive que des
obstacles s'élèvent face à certaines tentatives de reconstitution.
2- Toponymie et interprétation
L'étude toponymique fait appel aux recherches lexico-étymologiques, mais elle
requiert également, et bien évidemment, les services de l'analyse sémantique. La connaissance
de la langue, de l'histoire et, pourquoi pas, de la topographie de la région étudiée facilite
l’interprétation des noms : « il s'agit d'interpréter les formes de toponymes en tenant compte
de l'histoire du pays, de la position topographique » (Dauzat & Rostaing, 1978 : 5). C'est
d'ailleurs ce raisonnement qui nous a amenés à supposer que Béjaïa-Tichy-Aokas, région
kabyle, à la fois, montagneuse et côtière, était marquée par une toponymie d'eau ou de relief.
2
- BEJAIA - Plan de rues. 1993. Institut National de Cartographie (échelle 1/7500), Alger.
- Carte d'Algérie-Département de Constantine, Echelle 1/50000- Service géographique de l'Armée. Ministère
des Travaux publics et des Transports , Institut Géographique National, Paris.
3
Code postal. 1998. Ministère des Postes et Télécommunications , Editions Populaires de l'Armée. Alger.
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3- Toponymie et transcription
Subissant les phénomènes de transformation et d'oubli, si les noms de lieux continuent,
à se transmettre par la tradition orale ou par l'écrit (cartes, cadastres), leur signification, en
revanche, aurait plutôt tendance à nous échapper : « certains toponymes ont été si maltraités,
déformés par l'oral ou l'écrit, qu'il est difficile de retrouver le mot d'origine et parfois
l'explication n'est plus possible » (Bettega, 1997 : 12).
Pour ce qui est des toponymes recensés dans la région Béjaia-Tichy-Aokas, ils ont été
relevés, en grande majorité, sur une carte4 établie à l'époque coloniale, par l'administration
militaire française et dont les officiers, chargés de la cartographie et des relevés de terrains,
ignoraient tout du berbère et de l’arabe. Ces toponymes ont été transcrits en français, qui n'est
pas en mesure de reprendre convenablement la prononciation de certains phonèmes de l'arabe
et du berbère. Conséquence : la région Béjaia-Tichy-Aokas a vu ses noms modifiés par la
graphie française.
4- Toponymie et classification
Toute étude toponymique passe, en principe, par un travail de classification. Dans
notre cas, cette classification a fait ressortir des catégories de noms et ce, en fonction de leurs
propriétés sémantiques. Ont donc été groupés des mots, analogues par le sens, ou, sur la base
des thèmes et des affinités décelés (relief, eau, habitat, homme, végétation, etc.). Dans une
étude comme la nôtre, fondée sur un classement sémantique, l'évaluation de la fréquence des
toponymes, des séries thématiques qu’ils forment, des domaines sémantiques, a été plus que
nécessaire. Pour cela, nous avons eu recours à la statistique lexicale et morphologique qui a
permis l’élaboration d’un classement précis.
4
Carte d'Algérie-Département de Constantine, Echelle 1/50000 - Service géographique de l'Armée. Ministère
des Travaux publics et des Transports , Institut Géographique National, Paris.
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1- Le relief
Dans la toponymie berbère, ce sont les noms renvoyant au relief et à la nature du sol
qui prédominent. Cheriguen (1993 : 136) la qualifie de géographique, comparativement à la
toponymie de souche arabe ou française, qu'il qualifie d'historique, étant liée à l'homme et aux
événements historiques. Des raisons historiques justifient que la toponymie de souche berbère
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soit essentiellement caractérisée par des noms de relief. Les Berbères ont choisi de se réfugier
dans les montagnes plutôt que de s'exposer aux nombreuses invasions qu'a connues leur pays.
Cette forme de résistance les a donc forcés à apprendre à vivre en région montagneuse (la
cultiver et y habiter) et par là, à s'intéresser à la topographie. Cheriguen (1993 : 129)
considère que c'est pour des raisons défensives et d'économie de terrain que la diversité des
montagnes, des collines, des cols, a fait l'objet de désignations toponymiques en Kabylie. A ce
propos, Atoui (1998 : 156) affirme :
« les populations berbères étaient amenées à fuir les multiples invasions auxquelles elles
étaient soumises et à se réfugier dans les montagnes (…). Ce refoulement sur les montagnes
a amené les populations berbères à employer une série de noms de lieux, essentiellement à
valeur topographique. (…) c'est dire l'importance des oronymes dans la toponymie
berbère ».
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2- L'eau
Les noms en rapport avec l'eau sont ceux qui résistent le mieux au temps. En effet, ils
représentent une partie considérable des toponymes les plus anciens. A toutes les époques,
l'eau a été l'élément essentiel qui a favorisé la formation des agglomérations, touchant de ce
fait une population importante. Les appellations relatives à l’eau sont moins susceptibles de
changer au fil du temps car elles sont connues d'un grand nombre de groupes humains, elles
ne peuvent donc pas s'effacer facilement. Ainsi, en plus de donner un aperçu des points d'eau
d'une région donnée, de leur variété, de leur densité, l'étude des noms d'eau permet de
remonter loin dans le passé linguistique. Dauzat (1951 : 4) précise qu’« un nom de rivière,
rivé à un cours d'eau, ne voyage pas, contrairement aux noms d'objets fabriqués, de plantes,
etc., qui sont matières à exportations et à échanges ». Cependant, cette précision sur les noms
d’eau est tout aussi valable pour les noms de relief. Les points d'eau, de tout temps recherchés
pour l'installation des agglomérations, ont souvent donné leur nom à la localité dans laquelle
ils se trouvaient.
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Pour ce qui est de la toponymie des régions kabyles, Atoui (1998 : 156) souligne
qu'étant donné que ces dernières sont relativement bien arrosées, l'eau ne constitue pas une
préoccupation majeure pour la population de ces régions. Néanmoins, nous pensons que cela
justifierait peut-être le fait que le nombre de toponymes relatifs à l'eau y soit si élevé : 106
dans la région Béjaïa-Tichy-Aokas.
Les termes, en rapport avec l'eau, qui reviennent le plus souvent dans les désignations
toponymiques de cette région sont : tala (41 fois), ighzer (17 fois), oued (16 fois) et aïn (5
fois) signifiant respectivement « fontaine, ruisseau, rivière et source ».
Parmi les éléments qui apparaissent dans ces désignations relatives à l'eau, certains se
rapportent justement à des caractéristiques de cette eau : couleur, température, etc., et ce, à
travers une épithète descriptive ou qualitative, présentant parfois une métaphore. Exemples :
Tala Melloul « fontaine (d’eau) blanche », Oued Achaalal « rivière (d’eau) blanche, claire, ou
brillante », Aïn Sekhoun « source (d’eau) chaude », Tala K'frida « fontaine (d'eau) froide ou
fraîche », Ighzer Amerzag « ruisseau (d'eau) amère », Amane Semoumen « eaux acides »,
Oued Soumam « cours d'eau acide ou qui engloutit ».
D’autres décrivent directement le point d'eau en question ou encore son
environnement immédiat. Exemples : Oued Es Seghir « petit cours d'eau », Ighzer Temdint
« ruisseau de la ville », Ighzer Tizi « ruisseau du col », Tala Amaniouaten « fontaine d'eau où
poussent des withania », Tala Oulili « fontaine (près) du laurier rose ».
En outre, il y a, dans la région, des toponymes relatifs à l’eau qui présentent une redondance
car ils sont formés par une répétition d’éléments aquatiques. Exemples : Taouin Ou Amane
« source d'eau », Tala Yaouine « fontaine-source ».
3- L'habitat
Les toponymes relatifs à l’habitat, dans la région Béjaïa-Tichy-Aokas, constituent une
catégorie qui n’est pas des moindres, avec un nombre s’élevant à 87 ; celle-ci compte des
noms qui renvoient à la « maison » ou à des constructions aux usages divers. A ce propos,
Cheriguen (1993 : 94) mentionne bien qu'à travers l'expression « lieu habité » est désigné non
seulement « le cadre bâti, mais aussi, par extension, tout lieu de rencontre des hommes tels
que marché, porte, etc. ».
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Dans la région en question, les termes les plus fréquents qui caractérisent l'élément
habité sont : douar « circonscription administrative rurale »5 (6 fois), azib « ferme » (6 fois),
village (6 fois), place (6 fois), dar « maison » (5 fois) et bab « porte » (4 fois).
Par ailleurs, une série de désignations en relation avec le port se distingue, elle compte les
termes port, jetée et quai. Exemples : Port pétrolier Sidi Yahia, Rampe du port, Carrefour du
port, Jetée de fermeture, Grande Jetée du large, Petite Jetée du large, Quai de la Casbah,
Quai de la passe, Quai nouveau, Quai central, Quai Nord-Ouest, Quai Sud-Est.
Mais que le thème de l'habitat fasse l'objet de plusieurs toponymes formés avec le terme port,
ou en rapport avec celui-ci, n'est en rien étonnant, car il est assez logique que dans une
importante ville portuaire, le port soit une dénomination qui s'impose. Notons que ce type de
nom n'apparaît qu'au centre de la ville de Béjaïa, uniquement aux alentours du port, et de ce
fait, jamais dans le reste de la région considérée.
4- L'homme
Il arrive que le lieu donne son nom à l'homme, mais il n'est pas rare, non plus, qu'un
nom d'homme serve à désigner le lieu qu'il habite. De tout temps, les noms de personnes ont
donné des noms de lieux. Cheriguen (1998 : 95) confirme cela en faisant remarquer qu'« il n'y
a qu'à considérer la plupart des noms de rues ou même de bourgs, hameaux, villages, villes,
etc. ». Selon Dauzat (1951 : 33), « l'anthroponymie a prêté beaucoup à la toponymie à charge
de revanche ». Mais Bettega (1997 : 148), qui n’est pas tout à fait d'accord sur la fréquence de
cette réciprocité, déclare que « les noms de personnes sont à l'origine de certains noms de
lieux. L'inverse est possible mais beaucoup plus rare ». Néanmoins, ce qui se veut
incontestable est que, d'une manière ou d'une autre, les noms de personnes et les noms de
lieux sont liés. Cela permet d'autant plus, d'apprécier les rapports entre l'homme et l'espace.
Ce lien établi entre les noms de lieux et les noms d'hommes, Baylon & Fabre (1982 : 238) le
qualifient de « pont », de « passage » possible entre deux catégories onomastiques : l'une
concernant les gens, l'autre, les lieux. Ils ajoutent que « toponymes et anthroponymes, de par
leur fonction respective, de par le soutien mutuel que chaque catégorie a apporté à l'autre,
constituent une source d'enseignement très riche en même temps qu
'ils représentent un patrimoine important et toujours vivant ». C’est un fait,
anthroponymie et toponymie procèdent fréquemment à des échanges ; la contribution de la
première à la seconde est large, et l'inverse est aussi vrai.
5
Sous la colonisation française.
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Une étude toponymique ne peut donc être envisagée sans considérer les
anthroponymes ; ces derniers forment à eux seuls une catégorie toponymique. Dauzat
explique que : « l'homme a été souvent désigné par la terre, d'après son lieu d'origine - et la
terre par l'homme, en particulier le domaine d'après son propriétaire »6 . En effet, on constate
fréquemment que le nom du possesseur primitif d'un domaine rural est donné au village ou à
l'agglomération qui se forme par la suite autour du lieu en question. Dans la région Béjaïa-
Tichy-Aokas, les toponymes Vaccaro, Ibachiren, Ichoulaken en sont des exemples
caractéristiques. De même, une ville ou une région peut porter parfois le nom de son
fondateur ou de son conquérant ; c'est le cas de la ville de Béjaïa (du nom de la tribu qui
l’habitait) qui, à l'époque de Nacer Ben Alennas, fut rebaptisée par celui-ci En Naciria.
Baylon & Fabre (1982 : 229) précisent à ce sujet que « ces désignations systématiques sont
dues à l'autorité d'un pouvoir, d'un conquérant, d'un fondateur de ville, etc. Souvent d'ailleurs,
ce fondateur ou ce conquérant donne son nom au lieu sur lequel il établit un habitat nouveau
ou qu'il conquiert ».
Par ailleurs, il n’est pas inhabituel de rencontrer dans la toponymie algérienne des
noms dont la particule est : ouled « enfants », ben « fils », beni « pluriel de ben », bel
« variante de ben », bou « celui au(x)… », ou aït « forme francisée du berbère at précédant les
noms de tribus, de quartiers et de villages, signifiant les gens de… » comme le confirme
Cheriguen (1993 : 114-132) qui, en outre, signale : « durant la période coloniale, la particule
berbère at (orthographiée aït) est dans l'usage officiel systématiquement remplacée par son
équivalent arabe béni. La tradition orale a cependant gardé parallèlement l'usage de la
particule berbère, du moins, en régions berbérophones ». Ce type de désignation, illustré par
ces six particules, apparaît dans des noms de lieux qui renvoient à une relation de parenté ou
dans ceux qui se rapportent à une tribu. Pour ce qui est des quatre premiers termes, ils sont de
souche arabe et apparaissent très peu dans la région Béjaïa-Tichy-Aokas : ouled (1 fois), ben
(1 fois), bel (1 fois), beni (2 fois). Quant aux deux derniers termes bou et aït, d'origine
berbère, recensés plus régulièrement dans la région, respectivement 17 et 8 fois, par leur
présence dans un toponyme, ils rapprochent un homme ou un groupement d'hommes de leur
lieu de vie. En outre, les six termes susdits peuvent aussi servir à marquer les biens des
familles et sont un peu « un titre de propriété, un repère cadastral » (Atoui, 1998 : 135), car
« généralement les membres de la société algérienne de tradition musulmane ne possèdent pas
de titre de propriété »7 .
6
Dauzat cité par Baylon & Fabre (1982 : 78).
7
Maarouf cité par Atoui (1998 : 135).
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À côté de cela, dans la région Béjaïa-Tichy-Aokas, les noms de saints sont ceux qui,
de loin, occupent la place la plus importante dans le contingent des toponymes fournis par
l'élément humain, dont le total est de 79. En effet, le nombre considérable (32) de noms de
lieux à base du terme sidi, titre de noblesse et indicateur de statut social, signifiant
« monsieur, seigneur », est un indice privilégié, pour estimer l'ampleur de la dévotion aux
saints protecteurs, dans la région. Les toponymes à base de sidi sont, en principe, en rapport
avec les croyances anciennes et les religions ; « l'anthropolâtrie se mêle étroitement à
l'hagiolâtrie » déclare Cheriguen (1993 : 116) qui explique que, implanté dans la vie sociale,
l'aspect religieux caractérisant la culture de l'Afrique du Nord a ancré en elle des croyances
profondes, tant à travers l'Islam, qu'à travers le Judaïsme et le Christianisme, voire à travers le
polythéisme. Le terme sidi, vient certes de la langue arabe classique, mais ce qu'il exprime
n'est pas toujours en rapport avec l'Islam ou même avec le Judaïsme ou le Christianisme mais
plutôt avec des croyances multiples (polythéisme), demeurant ainsi fidèle à la tradition
berbère. Du reste, selon Marcy, « Gsell a pu ainsi dresser une liste d'une vingtaine de noms de
petites divinités indigènes adorées par les Berbères [...] Nulle part autant qu'en Berbérie, le
culte des saints n'est aussi fervent »8 . Rappelant qu’« à partir du XVème siècle tout change, les
tribus n'ont plus les mêmes noms, elles se donnent des patrons religieux »9 , Atoui (1998 : 50)
confirme qu'en Algérie, le culte des saints est très répandu, et ce, par les visites aux tombeaux
vénérés mais aussi par la dénomination de l'espace par des hagionymes à l’exemple de Sidi...
Ces noms sont ceux d'hommes qui ont été sanctifiés parce qu'ils ont marqué l'histoire.
L'usage de désigner un lieu par un nom de saint relève d'un phénomène qui consiste à placer
une localité sous la protection d'un patron. Le culte des saints est une tendance non
négligeable en toponymie, en raison des nombreuses traces qu'il y a laissées. En fait, il y a de
la théonymie dans l’onomastique maghrébine qui répertorie un grand nombre de noms de
divinités et de personnages sanctifiés. D’ailleurs, il faut noter ici l'utilité incontestable de
l’onomastique à l'anthropologie puisqu'elle lui permet la découverte de croyances et de
mentalités. Ainsi, la toponymie sert non seulement à mettre en évidence les contacts qu'il y a
eus entre les langues et dont résultent les influences lexicales, mais aussi l'aspect spirituel du
monde maghrébin. Les hagionymes qu'on y retrouve en sont une preuve. Citons, à titre
d'exemple, la référence permanente à des saints par lesquels il est coutume de jurer, ou encore
Béjaïa réputée pour être la ville aux 99 saints.
8
Marcy cité par Cheriguen (1993 : 13).
9
Doutté cité par Atoui (1998 : 119).
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5- Les végétaux
« A toutes les époques, les noms de plantes ont servi à dénommer les lieux habités, surtout les
lieux-dits et les fermes que la présence d'un arbre remarquable suffit à distinguer » (Rostaing,
1997 : 81).
L'ensemble des noms de lieux, renvoyant aux végétaux, recensés dans la région
Béjaïa-Tichy-Aokas montre que sa toponymie est aussi caractérisée par la flore. En effet,
celle-ci y a laissé d'importantes marques, bien qu'elle ne fournisse pas le contingent le plus
nombreux. Classés en cinquième position après le relief, l'eau, l'habitat et l'homme, puisqu'en
nombre plus restreint, les végétaux, avec 68 noms, constituent une catégorie toponymique à
ne pas négliger.
Si les dénominations tirées du règne végétal tiennent une telle place dans l’usage
toponymique, c'est parce que la présence d'arbres ou de plantes, d'espèces données, près d'un
village ou d'un lieu quelconque où s'est implantée une population « est une caractéristique très
fréquente de désignation » (Dauzat, 1951 : 26). Cette réalité est vérifiée à travers les usages
toponymiques rencontrés dans la région Béjaia-Tichy-Aokas ; citons à titre d'exemple : Les
Oliviers, Tazeboujt « oléastre », Issoumar et Tismarine respectivement « joncs et petites
jonchaies », Tablout « chêne », Aharache « chêne à glands doux », Tiferkine « chênes-
lièges », Tarmant « grenadier », Aboudaou « massette », Oulmou « orme », Iddelès « diss »,
Afara « chiendent ».
Dans la région, ces toponymes renvoyant aux végétaux ne sont pas que des noms
d’arbres ou de plantes, mais aussi des noms de fruits ou de légumes, tels que : Adekar « figues
sauvages », Tigoulaline « radis », Khiara « concombre », Taghidiouine « cardes », Talendjast
« poire ».
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saline »), les éléments de la nature (Iriahène « les vents », Brise de mer), l'altitude (Ifalen
« les surélévations », Aliouen « les hauteurs »), l'étoffe (Techtet « linge, tissu, chiffon »,
Ifoughalene « parties d’un tissage »), les aliments (Chereh « viande sans os, ou chair de fruits,
de légumes »), les saisons (Ahiani « période hivernale du calendrier berbère »), les
circonstances de la vie (Imessaoudene « les bienheureux »), les jours de la semaine (Djamaa
Oussaka « vendredi de l’arrosage »), l’Islam (El Kawtar « l’abondance », titre de la sourate
n°108 du Coran).
Conclusion
Si, en général, « le système onomastique apparaît, en fait, comme une double grille de
lecture de la société et de la culture dont il participe » (Bromberger, 1982 : l22), la toponymie,
en particulier, est toujours en rapport avec l'histoire d'une région et le milieu naturel de celle-
ci. En effet, la toponymie de Béjaïa, Tichy et Aokas est caractérisée par une certaine diversité,
mais elle reste très fortement liée au relief et à l'eau : topographie, nature du sol, orographie,
hydronymie. Et bien que l'on observe que le nombre de noms relatifs à l'habitat, à l’homme
n'est, tout comme celui des végétaux, pas à négliger, il n'en demeure pas moins que la majeure
partie des toponymes demeure inspirée du milieu physique.
Dans la région en question, c’est principalement l'aspect géographique qui a été retenu
pour nommer l'espace. Les nommants ont voulu baptiser les lieux surtout en fonction de
l'environnement et plus particulièrement du relief et de l'eau. Il est donc tout à fait justifié de
qualifier la toponymie de la région de « géographique » ; cela confirme qu’elle ne fait pas
exception à la toponymie berbère dans sa dominante principale.
Notre contribution, dont l'objectif final était de déterminer le thème prédominant dans la
toponymie de Béjaïa, Tichy et Aokas, pourrait en fait, ne représenter qu'une partie d'autres
recherches toponymiques portant sur toute l’étendue de la région de Béjaïa ; car la toponymie
est une science qui progresse très lentement et les recherches, dans ce domaine, ne sont
pratiquement jamais finies :
« la toponymie constitue une utile gymnastique de l'intelligence. Elle développe le goût de
la précision et de la méthode et surtout l'esprit critique, en tenant en éveil contre les pièges
divers, en montrant que la science n'est jamais achevée, que maints problèmes restent à
Il est donc nécessaire que la recherche se poursuivre, car « faute d'une recherche (…), une part
10
Dauzat cité par Baylon & Fabre (1982 : 35)
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Revue EXPRESSIONS n°6. juillet 2018
de notre passé continuera de nous échapper » (Baylon & Fabre, 1982 : 81). Symboles de
l'histoire du lieu qu’ils désignent, les toponymes, parce qu’ils expriment une vérité
étymologique, contribuent à conserver les vestiges linguistiques du passé.
Références bibliographiques
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