Echogeo 20218
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53 | 2020
Dénominations plurielles. Quand les noms de lieux se
concurrencent
Ghousmane Mohamed
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/echogeo/20218
DOI : 10.4000/echogeo.20218
ISSN : 1963-1197
Éditeur
Pôle de recherche pour l'organisation et la diffusion de l'information géographique (CNRS UMR 8586)
Référence électronique
Ghousmane Mohamed, « Le patrimoine onomastique touareg aux portes du désert saharien »,
EchoGéo [En ligne], 53 | 2020, mis en ligne le 25 octobre 2020, consulté le 29 octobre 2024. URL :
http://journals.openedition.org/echogeo/20218 ; DOI : https://doi.org/10.4000/echogeo.20218
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Le patrimoine onomastique touareg aux portes du désert saharien 1
Ghousmane Mohamed
Introduction
1 La plupart des noms de tribus et/ ou de topos aux portes du désert saharien
commencent par des syntagmes nominaux endogènes tels : ag, aw, am, an, in, Kel, tin,
tan, etc. En effet, à partir du radical de ces derniers, l’on a pu désigner un prénom ag
Mohamed ou « fils de Mohamed » ; une onomastique animale aw bagzan, littéralement
« celui de bagzan » ; une habitation et par extension un domicile, tan/tin-hinan ou « celle
de tente » ; une confédération tribale Kel Aïr. On y retrouve aussi un groupe social dont
les membres In-äbangaret, y compris des descendants de segments tribaux
patronymiques egawel, se trouvent sous l’autorité d’un chef Anastafidet/Amanokal, etc.
Aussi de nombreuses créations graphiques et appropriations nominatives collectives/
individuelles que trouvent historiens, voyageurs dans les documents topographiques,
sont issues du vocabulaire topographique et toponymique et de sa vivacité dans la
langue touarègue. En fait, la problématique de la graphie adoptée par l’administration
nigérienne ou celle que l’on retrouve sur les cartes (héritées souvent de la période
coloniale) est souvent loin de correspondre à la toponymie originelle touarègue.
D’autre part, une cartographie bien établie des espaces à la fois ruraux et urbains
exigeant une bonne connaissance topographique ne peut être acquise que grâce à un
travail sur le terrain. Notre approche doit actualiser la toponymie vernaculaire des
Touaregs1, des rapports entre l’analyse ethnolinguistique, les ancrages territoriaux des
agro-pasteurs ou pasteurs et le rapport historique à l’espace et/ ou au territoire. Nous
en parlerons dans cette étude en y abordant leur typologie, leur fonction et leur
symbolique. Pour ce faire, nous allons nous baser sur deux matériaux essentiels que
sont, en premier lieu le répertoire2 de la toponymie touarègue en Aïr, et, ensuite, notre
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propre expérience vécue ainsi que nos observations sur le terrain, après avoir brossé
l’état de l’art succinct en rapport avec notre réflexion.
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aux vallées dans l’Aïr en sont les illustrations en ce qu’elles connotent des similitudes
humainement corporelles sur le plan toponymique et linguistique. C’est le cas du
toponyme Germawen qui signifie littéralement « entre les bouches » (Bernus, 1981,
p. 67). Ce toponyme évoque une des nombreuses confluences entre deux oueds ou
vallées que l’on rencontre par exemple à Timia. Dans cette même vision toponymique,
s’y agglutinent d’autres perceptions sensorielles évoquant une kyrielle du lexique
relatif à l’anatomie humaine. À titre illustratif, il est loisible de ranger les références
topiques suivantes dans cette perception : ofoud, métaphore corporelle, littéralement
« genou » décrit souvent un promontoire ; eghef (tête), un sommet ; tagmmert ou
« côte » ; Ijir ou « épaule » ; tamart ou « la barbe » ou tadmar ou « poitrine » ; azar ou la
veine signifie aussi une vallée qui traverse d’est en ouest le bassin, pour ne citer que ces
exemples conceptualisés sous le mode de la parataxe sur un angle littéraire et faisant
allusion à des pentes et des escarpements. Kel est un nominal berbère et tamasheq
signifiant « les gens de, ceux de » le sing. est ag « fils de celui de… », à la fois ethnonyme
et toponyme. Caractérisant ceux qui ont été appelés Touaregs par les arabes et, à leur
suite les occidentaux, cette appellation autochtone souligne l’importance accordée à la
langue tamasheq et ses variantes : kel awal, « ceux de la parole » ; kel tamasheq, « ceux de
la langue touarègue » ; kel taguelmust, « les gens du voile », appellation métaphorique,
caractérise aussi la communauté culturelle touarègue. Le nominal berbère kel signifie
« ceux de » et précède généralement des noms de lieux (massifs montagneux, vallées,
par ex. kel Aïr, kel Ahaggar) ainsi que des noms de « groupes de descendants » (ex. kel
Ghela) ou de pays kel Frantsa, « ceux de France »). Ce nominal incorpore en fonction des
niveaux d’identification, des notions parentales, géographiques ou politiques incluant
celle de nation. kel évoque par extension l’idée, la marque de l’ancrage territorial. En
d’autres termes, dans la perspective de l’orientation spatiale, la locution nominale Kel
sert à distinguer et déterminer la configuration de points cardinaux. Par exemple dans
l’expression Kel Aïr, le terme Kel ne fait pas forcément référence à une région dans ce
cadre, mais plutôt sert de particule d’orientation à une direction relative au sein d’un
espace précis ou indicatif. Dans la rhétorique conversationnelle et géographiquement
codée, l’ellipse « Aïr » symbolise la position du nord et l’expression Kel Aïr littéralement
« ceux, gens du nord » ; de la même manière l’expression Kel ayiran ou « gens du nord »
évoque un positionnement géographique opposé à Kel Agala ou « gens du sud ». Selon ce
contexte, la locution référentielle Kel conceptualise et opérationnalise la symbolique
d’orientation et participe implicitement à la nomination et à la définition d’un groupe
social résident dans un espace ou territoire donné. C’est cette même occurrence qui est
contextualisée dans cette autre expression Kel Tafidet qui détermine doublement la
métaphore tribale, insistant ensuite sur la symbolique de la roche minérale de couleur
blanche du Ténéré, qui, une fois réduite en poudre, est utilisée comme colorant après
avoir été mise au feu pour teindre les peaux une fois tannées en noir ou bleu. En
plusieurs autres similitudes locales, le nominal Kel est associé à diverses catégories
taxinomiques dites « ethnonymes » voire toponymes.
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sédentaires. Ainsi, d’un point de vue mémoriel, la nomenclature toponymique est aussi
sans cesse objet d’interprétation et de réinterprétation en fonction des préoccupations
des acteurs sociaux et des moments de l’histoire. Elle se crée sur le savoir des
communautés. Celles-ci disposent des modes d’identification et de nomination de la
cartographie originelle des espaces pastoraux et des ressources naturelles. Ainsi, dans
de nombreuses créations et pratiques populaires, la toponymie demeure un lieu de
démarcation spatio-identitaire ; par exemple, la toponymie de nom Niger, une
référence à la couleur de peau des habitants ? Le nom du fleuve Niger, du terme
autochtone nigir « rivière ; du touareg n’egrorren « eaux qui coulent », souvent mal
interprété, particulièrement par les latinistes, comme dérivé du latin Niger (« noir »).
Cette étymologie ne nous paraît pas satisfaisante, même si elle semble décrire une
situation topographique, il reste que la région désignée par ce toponyme n’est pas
davantage pourvue en population noire que d’autres3. En effet, le fleuve ou le territoire
du Niger qui s’appellerait egaraw, igarow, sing., igirwan, plur. en parler Tamasheq, aurait
été baptisé à une date inconnue par une franche de population touarègue. Egaraw au
sens étymologique évoque une mare, un marigot, un fleuve ou toute source d’eau qui
coule abondamment. En tamasheq, le terme est surtout utilisé pour désigner le fleuve
ou la mer. C’est donc une métaphore hydrique endogène ou fluviale de l’onomastique
touarègue dérivative de egraw4 (« l’eau du fleuve qui coule ») qui a rendu possible
l’hydronyme « fleuve Niger », pays ou territoire. Pour autant, certaines valeurs
onomastiques proviendraient de Kel, antéposé à un nom d’élément naturel devenu un
toponyme ou en voie de l’être ou un bien. Il peut révéler des déclinaisons toponymiques
perceptibles selon le contexte spatio-temporel, le genre, le sexe, le statut, les domaines
et les emplois. C’est une notion polysémique et multidimensionnelle. Lorsque celle-ci
est employée dans la toponymie semi-nomade et sédentaire, elle mobilise toute une
panoplie des références onomastiques qui conceptualisent des préceptes purement
endogènes. Remplissant une fonction de dénomination et d’identification, elle revêt un
ethnonyme ou assertion cognitive, descriptive, expressive se rapportant aux éléments
de la nature (Kel Ewey, « ceux du taurillon »). Aussi, exprime-t-elle la métaphore tribale,
confédérale, familiale, comme lorsqu’on dit : Kel Aïr, « ceux de l’Aïr » ; animale quand
on dit Kel Afis, « ceux de l’hyène », etc.
5 Une grande partie de la mémoire collective touarègue a porté et pensé certaines
constructions et fonctions nominalement onomastiques à partir du Kel. Ainsi, les
différents systèmes de transhumances et quêtes saisonniers et périodiques inhérents à
la sur(vie) et constitutifs d’une migration pastorale, se déroulent et s’effectuent pour
l’essentiel autour des puits, des vallées, des plaines en s’inscrivant dans une logique
bien plus grande teintée des temporalités saisonnières (la saison froide, l’été). Dans ce
contexte, certaines références onomastiques rappellent un toponyme tribal ou le séjour
de nomadisation sur ce milieu en y laissant son origine ou encore son appartenance
familiale pour avoir vécu et exploité les ressources du terroir ou de la vallée. En cela,
elles sont ainsi souvent révélatrices d’une préoccupation écologique. Celle-ci est perçue
dans le proverbe berbère suivant : « nous n’héritons pas la terre de nos parents, nous
l’empruntons à nos enfants ». Il faut aussi souligner que le nomade Kel Tamasheq
entretient des liens affectifs étroits avec le pays qui le fait vivre. Chaque arbre, chaque
mare, chaque emplacement, sert de référence à une multitude de souvenirs. Il rêve
constamment de la vallée (agoras) ou des ravines (Telletin) où est blotti son
campement : akal désigne le pays, la région, et un nomade définit une région en parlant
du pays de telle tribu ; akal ou Illabakan, « le pays des Illabakan » par exemple. (…) akal
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est donc à la fois le pays du campement (aghiwan) en même temps que son espace
exploité. De même, certains Touaregs regardent certains espaces éloignés des
pâturages comme le leur, puisque leurs ancêtres y sont morts et enterrés :
Les Kel Gress donnent l’exemple d’une exploitation qui dépasse les limites de leur
contrôle territorial (…) c’est pour eux un retour vers les bordures occidentales de
l’Aïr, où se trouvent encore les cimetières de leurs ancêtres, et les marques de leurs
installations dans le pays qu’ils occupent avant leurs migrations vers le sud. Les
jeunes Kel Gress qu’aujourd’hui conduisent les chamelles à Teguiddan Tagey n’ont
pas l’impression de pénétrer dans une région étrangère, mais bien d’avoir accès à
des pâturages qui constituent une annexe estivale à leurs parcours de saison sèche.
(Bernus,1981), p. 298)
6 D’un point de vue sémantico-référentiel, les noms issus des plantes (phytonymie) ont
permis de désigner certaines années soulignant ainsi que le descripteur végétal est en
même temps un descripteur spatial qui renvoie à un espace physique et à des
conditions géographiques précises. À titre d’exemple, il faut citer « l’année de la tawit5
(awatay n tawit) située entre 1905 et 1910, pendant laquelle pasteurs et agriculteurs de
l’Ahaggar se rendirent dans l’Atakor (massif central de l’Ahaggar) entre le pic Ilman et
le centre de cultures de Tazeruk, afin d’y faire paître leurs troupeaux et d’y cueillir les
graines minuscules produites par cette plante. L’exemple de « l’année de la tawit »,
auquel il faut en ajouter bien d’autres (Foucauld, 1951, p. 1539-1545), caractérise une
organisation de l’espace physique connue de tous, ce qui implique un ensemble de
relations sociales qui se réalisent dans et par les pratiques de gestion et d’utilisation de
l’espace (Bourgeot, 1995, p. 148).
7 D’autres fixations toponymiques à la fois symboliques et métonymiques plus explicites
dans le lexique des descendances lignagères aussi bien sur les éléments du milieu
naturel, évoquent soit l’oronyme comme kel adghagh ou ceux de la montagne,
l’hydronyme par exemple (anu-n-alkher littéralement « puits de la paix »), la piste ou
encore la zoonomie comme anu-n-edjan qui veut dire littéralement « le puits des ânes ».
Relevons quelques-unes de ces connotations toponymiques évoquant les assertions
confédérales ou tribales : Kel Aïr, Kel-Ewey ; ou villageoises à l’exemple de Kel Timia, Kel
Tabelot ; ou des régions naturelles comme la vallée, la montagne, le plateau, c’est le cas
de Kel Afassas, Kel Bagzan, Kel Afala6 ; ou encore se rapportant à une entité politique,
culturelle et identitaire telles : Kel Algérie, Kel Nigéria, Kel Tamasheq, Kel Tagelmust7 ;
enfin, certains toponymes suggèrent implicitement une orientation géographique entre
Kel Agala et Kel Aïr. Ces deux derniers déictiques métaphoriquement spatio-temporels,
font référence respectivement aux points cardinaux notamment à « ceux du sud » et
« ceux du nord », c’est-à-dire les caravaniers qui partent en pays Houssa, au sud de
l’Aïr, et les agropasteurs (Gagnol, 2001) par extension les sédentaires.
8 Comme on peut le constater, l’identification par le nominal Kel n’est pas figée, elle est
contextuelle dans le temps et l’espace. Dans un tout autre champ de représentation,
une simple narration d’une séance de mise en scène de vicissitudes et circonstances de
la vie personnelle et commune, est susceptible d’être une occasion de construire un
topoi inédit, sous la base du nominal Kel. Comme le langage, la toponymie explicite
souvent tout un système de communication qui tient compte soit des formes et aspects
des éléments du milieu naturel (oueds, roches), ou espèce floristique comme (talat/n-
alaw littéralement « ravine de Laperrine »). Elle développe à partir d’une situation de
fait un système de représentation / interprétation en lien soit avec les vicissitudes
humaines plus ou moins héroïques des personnages (historiques, mystiques,
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Corrélation
patronyme / ethnonyme / toponyme / topographie
11 Le nominal Kel n’a pas simplement une fonction symbolique, sociale, culturelle,
nominale, historique ou linguistique, il est porteur de tout un imaginaire. S’étendant
sur toutes les formes catégorielles des taxinomies, il figure dans les contextes
événementiels de la vie courante dans laquelle se meuvent les différentes vicissitudes
touarègues. Il met ainsi en relief de multiples corrélations constructives et
poétiquement dénominatives obéissent çà et là à des scènes symboliquement
descriptives des héros ou de leurs cirques ou leurs cycles de parcours en rapport avec
certains éléments du milieu naturel dont ils portent les noms. Dans cette configuration,
de nombreux éléments du paysage (vallées, oueds, mares, montages, etc.) portent des
noms poétiques, des noms propres de jeunes « mariés » tels que « bec d’aigle » ou
« selle de chameau », ou bien des assertions anecdotiquement sémantiques comme le
révèle l’hydronyme agizat. Cet hydronyme signifiant littéralement « sauvez-moi »,
rappelle une légende locale connue par les autochtones. Il s’agit du récit d’un jeune
marié qui s’est noyé dans un marigot lors d’un pique-nique avec ses amis. Pendant sa
noyade en l’absence de ses intimes, le jeune homme alerta ces deniers à son secours en
prononçant à maintes reprises l’expression agizat littéralement « sauvez-moi ». Ce geste
expressif ayant sauvé le jeune marié, « l’ancêtre éponyme8 » aurait suffi à baptiser à
une date inconnue le marigot situé à trois kilomètres de la commune rurale de Timia.
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Dans une autre représentation analogue, on peut évoquer le cas de cet autre oronyme
attribué à la montagne dénommée ed’/fattetenwa9, littéralement « donnez-la à mon frère ».
Cette toponymie rappelle une autre légende locale d’un targui qui avait un jour parié
une chamelle quand il réussirait l’ascension de la montagne en forme de pain de sucre ;
à peine arrivé au sommet de son sacre, il glissa et dans sa chute, il prononça ed’/fattet
enwa qui signifie « donnez-la à mon frère ». Cette tournure syntaxique liée à la
toponymie événementielle, marque mémorielle de l’espace, a servi depuis lors à
baptiser la montagne ed’ /fattet enwa ou « donnez-la à mon frère ». En dehors du
paysage toponymique lié à la mémoire collective et surtout au lyrisme héroïque ou
situationnel, d’un point de vue linguistique, d’autres allusions étymologiques en liant
avec l’onomastique animale, sont suggérées. Ce sont des évocations des éléments du
milieu naturel comme la vallée, l’oued qui sont respectivement reformulés dans ces
exemples : imi-n/oufadi ou « bouche de Oufadi » et talat /n-ezgar ou « vallon du bœuf »,
etc. Parallèlement, on trouve des marques toponymiques se rapportant également aux
animaux : sauvages, comme Tin Eguran « un des chacals », egur, plur. Iguaran ; aux
animaux domestiques, I-n Arrigan, « un du chameau adulte » (arrigan.plur. Irriganan).
12 Comme tout toponyme, le nom de Bagzan est sujet à diverses interprétations. Bagzan
au sens étymologique et topographique évoque une forteresse fortifiée10. Néanmoins,
l’idée de fortification exprimée est une stratégie sécuritaire présente à l’esprit des
populations. Dans un autre sens, cette locution pourrait avoir une résonance
phonétique emprunté à Bizgan signifiant le peuplement d’un arbuste connu sous le
nom botanique de salvadora persica. Le terme Bagzan est surtout utilisé pour désigner à
la fois la race de cheval aw-bagzan11 et la présence d’une hauteur naturelle
montagnarde : les Monts Bagzan. Sur un plan historique et poétiquement littéraire, aw-
Bagza symbolise localement le personnage animalier de la tradition orale, aux exploits
inédits et aux caractéristiques mystiques et mythiques. Cette toponymie animale
évoque l’imaginaire mythologique, la caractérisation animale du cheval blanc ailé qui
aurait baptisé l’espace géographique de Monts Bagzan et repose sur une trame
historique locale : aw-Bagza symbolise le personnage animalier de la tradition orale, aux
exploits inédits et aux caractéristiques mystiques et mythiques. (Bernus1995). Sa
rapidité inégalée, son hennissement et ses pouvoirs magiques lui confèrent dans un
premier temps un toponyme montagnard ; aussi, cette toponymie désigne à la fois le
refuge, le terroir, l’espace de nomadisation de Kel Bagzan pasteurs nomades. On peut
établir un rapprochement entre les pouvoirs magiques d’aw-bagzan et le mythe de
Pégase dans la mythologie grecque. On y trouve, en effet, des pouvoirs attribués au
cheval grec semblable à aw-bagzan par le fait que le cheval grec est un animal fabuleux,
né du sang de méduse. Il est ailé et au XVIe siècle, cette race de cheval a été considérée
comme le cheval des poètes. Dans la tradition orale et le patrimoine cosmogonique
targuis, aw-bagzan est connu pour ses qualités guerrières, son agilité, sa rapidité et ses
mystères. Et l’on pense qu’il pourrait voler en cas de danger. Selon l’histoire et la
tradition orales, c’est le même type de cheval qu’aurait utilisé Bulkhu, chef guerrier Kel
Ewey de la tribu Igermadan lors du guet- apens qu’il aurait tendu à la tribu Awled
suleyman, pillarde et guerroyeuse et qui eut mené plusieurs raps et rançonné plusieurs
fois les caravanes Kel Aïr dans le Sahara. Il eut recours à ce mystérieux et emblématique
cheval pour venir au bout de l’ennemi de Kel Ewey. Cette toponymie animale offre deux
pistes de lectures tant au niveau endogène qu’au niveau national : au niveau endogène,
Bagzan connote la symbolique animalière, mais aussi une entité identitaire
spatialement culturelle, topographique et géographiquement dénommée les Monts
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Bagzan où est évoquée la relation aw-bagzan (« la race chevaline ») et Kel Bagzan (« les
habitants du mont Bagzan »12). Dans cette approche dichotomique, l’animal tout en
étant doté des pouvoirs surnaturels et magiques, représente l’élément faunique qui
assure la transcendance entre la terre et le ciel par sa capacité à voler, à survoler des
hautes altitudes d’où une sorte de déification du cheval et même du massif montagneux
auquel il avait donné son nom. Dans les récits oraux, aw-bagzan demeure
linguistiquement parlant le héros actantiel ou l’adjuvant de l’homme comme le
souligne la narration poétique. Au niveau national, Bagzan est par métonymie le
symbole de l’identité nationale puisque c’est sur le massif des Monts Bagzan que se
situe le plus haut sommet de la République du Niger en l’occurrence Idoukal-Ntags
cumulant 2022 m d’altitude. Par conséquent, l’avion présidentiel de la République du
Niger porte le toponyme de « Mont Bagzan » survolant les aires en rappelant la même
fonction dévolue au cheval aw-Bagzan par ses ailes et sa rapidité, son agilité, son talent à
(sur)voler les airs.
13 D’un autre côté, notamment au plan hydronymique, il faut signaler que par le procédé
de l’onomatopée doublée d’une sensorialité audiovisuelle et tactile, l’on est parvenu par
la dimension onomatopéique à attribuer un toponyme à une source naturelle bien
connue dénommée ighalabelaben. Située à Tadara au pied du mont Bagzan, le « tic-tac »
onomatopéique de celle-ci imite le bruit (la déflagration) de l’eau qui cascade entre les
rochers et le nom d’un puisard signifie aussi « le filet d’eau dans la roche ». D’un point
de vue analogique, les occurrences toponymiques et ethnonymiques nominales sont un
usage connu et répandu servant par métonymie à la localisation, à la délimitation voire
à la fixation des entités spatiales tribales, territoriales, confédérales voire identitaires.
Certaines riment aussi avec des représentations métonymiques d’un matériel ou d’un
outil à usage domestique. Par leurs multiples fonctions, elles désignent
conceptuellement et contextuellement une catégorie taxinomique et terminologique à
l’échelle géographique. Ce sont là des constructions et fonctions toponymiques qui
peignent à la fois la forme élémentaire de l’objet ou de la chose en lui attribuant des
dénominations onomastiques localement sociolinguistiques. Les exemples ci-dessous
sont tout à fait explicites : takabar ou « petit mortier » désigne une montagne située
dans la commune de Timia ; tchiriken signifiant « selles » évoque une étendue
montagnarde à l’ouest de Timia ; tanut-n-alkher faisant allusion au « puits de la paix »
symbolise aussi un toponyme de culte étant donné que c’est au sein de cet espace sacro-
saint situé dans la commune de Tabelot que se recueillent certains Touaregs
musulmans à proximité des cimetières lors de leurs visites de tombes et de pèlerinage ;
adghagh-n-tawwa, littéralement « rocher du lion », est une étendue rocheuse connue
pour avoir abrité des lions ; tamolat, littéralement « louche », est une dénomination
montagneuse localisable à proximité de Timia ; anwar, terme polysémique dont le
premier sens est la « mare » et le second renvoie à une petite outre confectionnée à
base de la peau du cabri où le pasteur caravanier met quelques-uns de ses outils
(théière, sucre, verres, allumettes, etc.) ; isqou sing., isqawen plur. indique « la corne »
d’un animal dont les sens sémantique et toponymique déclinent le nom de la montagne.
14 Sur un plan sémantiquement métonymique et symbolique, d’autres onomastiques
reposent sur la description du règne animal, végétal ou minéral en y convoquant le
champ hydrographique šisengay. C’est le cas de taghes-n-zegret qui revêt un des deux
grands cônes volcaniques des monts Bagzan. Aussi, la portée d’un trou d’eau
permanent dans les rochers rendant possible la présence d’un village et d’une oasis, est
sujette à un qualificatif sur le plan toponymique. À ce sujet, le village d’Amalaoule situé
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dans la localité d’Ingal au nord du Niger à 100 km au sud de la région d’Agades, évoque
allusivement un effet de « brillance ». De même, la réverbération de la source d’eau a
été dénommée pour cette qualité, et ce lieu est sensoriellement perçu à cause de sa
brillance.
15 Dans le domaine agricole : tekarkart suggère « poulie » mais aussi décrit un tournant et
une descente dangereux d’une piste située à trois kilomètres de Timia.
Sémantiquement, au niveau traditionnel, tekarkart traduit également le dispositif
traditionnel servant dans certains jardins de l’Aïr à puiser l’eau de puits pour arroser
les plantes et les planches. En revanche, l’énonciation sanfoši (emprunt Haoussa)
représente « panier », et évoque aussi la forme d’étendue montagneuse située à environ
soixante kilomètres de Timia tandis que l’hydronyme eres désigne un « puisard » et par
extension un toponyme hydrique se situant au croisement des pistes de parcours de
pasteurs nomades.
16 D’autres observations et recherches onomastiques s’attachent surtout à montrer que
nombre de toponymes sont formés à partir d’un élément relevant du champ
sémantique de l’eau. À titre d’exemple, täouârdé (fem. sing. ; plur. Tiouârdiouîn) : creux
naturel dans le rocher où l'eau de pluie s'amasse et se conserve ; se dit de tout creux
naturel dans le roc propre à conserver l'eau de pluie, qu'il contienne de l'eau ou non, de
n'importe quelle dimension (Foucauld, 1951-1952, p. 1524). Quelques termes utilisés
dans la désignation de parties du corps humain et/ou animal, ont aussi un sens
hydrographique, de la même manière que nous parlons d'un « bras de rivière ». Par
exemple :
- Tit (fem. sing., plur. tittaouin) : œil ; source,
- Imi (masc. sing., plur. imawan) : bouche ; orifice, débouché, embouchure,
- Ta£pd£pda (fem. sing.) : tronc humain, vallée maîtresse d’un réseau eau
hydrographique hiérarchisé,
- Azar (masc. sing., plur. izerwan) : nerf, veine ; vallée sèche bien visible dans sa
linéarité,
- Tadïst (fem. sing., plur. shidusen) : ventre ; vallée bien marquée, plus large et plus
enfoncée qu'azar,
- Arori (masc. sing., pl iroran) : dos ; artère maîtresse d’un réseau hydrographique
hiérarchisé, épine dorsale d’un grand bassin versant,
- Täsa (fem. sing., pl tissätten) : foie, ventre ; cuvette, fond de vallée circulaire ou ovoïde,
- Adekel (masc. sing., plur. idukal) : paume de la main ; vallée plate non arborée ne qu'un
seul exutoire,
- Adar (masc. sing., plur. Idaran) : pied, patte, jambe ; portion, branche de vallée
allongée encaissée,
- Adri (masc. sing., plur. idran) : fente, crevasse entaillant le talon ; ulcère, gerçure;
source issue d'une fente, d’une profonde excavation dam le rocher (Bernus, 1987,
p. 176-178).
17 L’on remarque que cette désignation est fondamentalement anthropomorphique de
certains éléments du réseau hydrographique. Il est intéressant de signaler que tasa et
arori sont également utilisés pour les dénominations de parenté. Tasa est relié à la
lignée maternelle et arori à la 1ignée paternelle (Claudot, 1986, p.193). Du point de vue
de l'onomastique, l'étude des noms des tribus touarègues de l’Ahaggar relevés par
Foucauld (1940), montre que certains d'entre eux sont liés à des ternes désignant les
cours d'eau. Cela peut s'expliquer par le fait que les personnes prennent le nom du lieu
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Wannalxer, « celui de la paix » ; Tannalxer « celle de la paix » ; Tandǝrrăt, « celle qui est
petite » ; Intagle, « celui du déménagement » ; s himumenin, « les croyantes »
sémantiquement polysémique, à la fois toponyme et anthroponyme féminin.
20 Ainsi, la patronymie sous plusieurs mentions reflète parfois l’environnement saisonnier
pendant lequel l’individu a vu le jour. On ne peut s’empêcher donc de mentionner que
certains anthroponymes sont ancrés, attribués, classifiés ou orientés selon la
cosmogonie à travers la mobilité périodique voire même climatique. Il est important de
mentionner que la quête cosmogonique s’appuie sur des figures mentales et de
rhétorique, des techniques savantes qu’il faut connaître pour s’orienter dans le Sahara
d’un point de vue nocturne. Par exemple, dans la myriade des constellations qui
guident les mouvements de la caravane, apparait d’abord tafella (celles du dessus, les
quatre étoiles qui forment le carré de Pégase), ensuite émergent dans les différentes
subdivisions nocturnes successivement et respectivement : timighgit (les deux étoiles de
la constellation du bélier) qui donnent à leur tour la direction de l’est. S’ensuit après
satchchi ou encore « les sept petites » appelées également les filles de la nuit, « chat
ehad », les pléiades, puis kokayad ou aldéraran, l’insomniaque guettant, sans succès, les
filles de la nuit, et enfin amanar ou « le guide », Orion, où l’on reconnaît sa tête, son
turban, son sabre, ses bras et ses pieds. Les caravaniers marquent une pause avec
l’apparition du dernier repère céleste ibikas (constellation du chien) et au retour, ils
prennent pour repère Venus « la traite des chèvres 13». De ce fait, certaines catégories
de noms propres et communs rappellent des référents métaphoriques figurés et connus
dans les oscillations saisonnières ou cycliques voire liturgiques. Le recours à la
métaphore est fréquent chez les Tamasheq dans de diverses et multiples configurations
ethnonymiques et toponymiques. Par exemple, certains patronymes sont appréhendés
comme moyen de mettre en image le cycle périodique ou saisonnier : Un prénom
comme Enizbi (masc.) rappelle que le jour de la naissance de l’enfant était pendant la
transhumance vers le sud ou plus spécifiquement lors des caravanes. De même, In/taglé
ou in Tchinikar (masc.), celui qui est né pendant la transhumance (déplacement).
D’autres revêtent une substitution tantôt liée aux célébrations liturgiques tantôt au
calendrier agraire rappelant des situations et/ou des événements voire des instants
cérémoniels, mensuels, rituels, etc. Dans ce schéma, divers patronymes
sémantiquement chargés circulent entre Ger-mudan, Ger-maddan ou encore « entre les
fêtes » et la période de la culture locale de moisson dite ummud ou oummoud. En plus
d’exprimer la symbolique saisonnière ummud et mensuelle Ger-mudan, Ger-maddan, ces
deux termes vernaculaires sont tributaires de patronymes connus et baptisés
localement. En cela, une multitude d’onomastiques est empruntée de l’appellation
saisonnière. Partant de la racine du terme tamasheq, les patronymes suivants en plus
d’être soit affectés d’un préfixe soit d’un suffixe, selon le genre (masculin, féminin),
sont agglutinés dans la résonance mensuelle de Ger/mudan, Ger/maddan onzième mois
de l’année ou entre les fêtes ou encore ummud ou la saison de la moisson. Il s’agit de
Amud, Mudda, Amado, Emud, Madalo, Mude pour le nom masculin et de Immudan,
Tchimmadan, Tchimmadanete, Tchimmi, Tchimmo, Tahamud, pour le nom féminin. Il en est
de même pour Akassa et Teksa noms féminins connotant littéralement quelqu’un qui est
né pendant la saison des pluies. Dans la même corrélation patronymique et saisonnière,
on ne peut passer sous silence ces autres occurrences anthroponymiques à savoir
Mawli, Moulay qui sont masculines connotant des similitudes sémantiques, culturelles
voire nominatives avec Mulud, tellit/tan/gani, Mawli/wa/yazzaran, Awje/-azzaran ou
encore le premier faon de gazelle qui désigne le troisième mois de l’année
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Le patrimoine onomastique touareg aux portes du désert saharien 12
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22 De nos jours encore, les marques de bétail ou ejwel continuent de servir de moyen de
retrouver les animaux perdus ou volés. Ce sont des variantes distinctives, personnelles
à quelqu’un ou communes à une famille et à une tribu, indiquant que l’animal ou l’objet
qui la porte appartient à un membre de telle famille. Par exemple pour les gros
animaux (camelins, bovins, parfois asins), ils sont marqués au fer (endel) mis au feu,
alors que le petit bétail (ovins et caprins) porte plutôt des entailles aux oreilles. Ces
signes ont des dénominations endogènes telles que askom ou « le crochet », adad ou « le
doigt », tagiyst ou « la flèche » représentant la trace de la patte de l’outarde.
L’emplacement de la marque donne les mêmes précisions surtout en ce qui concerne le
chameau : sous l’œil, l’oreille, sur le cou, à droite ou à gauche. Tous ces détails
rassemblés permettent d’identifier la tribu, la famille ou parfois le propriétaire ou le
chef. Ces différentes marques portent un symbolisme ou un aspect de l’organisation
sociale. (Bernus, 1991, p. 189). La majorité des pasteurs recourt au marquage et la
communauté touarègue en fait un usage judicieux. Les techniques traditionnelles de
base demeurent sensiblement les mêmes dans toute cette société pastorale où le
cheptel constitue l’essence même de leur vie. Les marques véhiculent toujours des
valeurs précises. La force prégnance de certaines marques d’identité est telle que celle-
ci est transformée en un réel patronyme : le nom de la marque ne représente plus un
onomen mais est devenu un véritable énoncé onomastique (Drouin, 1995, p. 73). Ainsi, la
marque « patte d’outarde », tegayest a donné son nom aux Kel-Agayes « gens de la patte
d’outarde », tribu noble des Iwellemmeden Kel Ataram du Mail ; les Kel Ashget « tribu de
l’Azawagh, Kel-Ataram », ont la marque ashget ; les Kel-alekkod ou « ceux à la cravache »
ont pour marque alekkod « cravache » (associée à la takhamimt) ; les Kel-Esshin-
Kemmedan « ceux aux deux trait » ont pour marque deux trait verticaux. Voici
quelques exemples de principales marques de propriété du bétail chez les Kel
Tamasheq :
- I adad « doigt », le doigt qui crèvera l’œil de celui qui tentera de toucher à l’animal. Ce
signe peut être vertical ou horizontal, selon son emplacement (cuisse, cou, tête …) et le
groupe, la tribu ou la famille qui se l’est attribué.
- ▬ taswoq, tägaleyät, alekkod, « cravache, verticale ou horizontale ».
- ⸧) allekkod, cravache circulaire formant anneau.
- = coup de cravache sur la cuisse.
- Ψ tegayest emprunte d’outarde ou egayes/ ägayes, ou a/far/n/ägayes, patte d’outarde,
placée sur le cou, c’est une marque de Kel-Agayes, tribu noble des Iwellemmedäan Kel
Ataram, au Mali.
- IoI ettebel ou tambour de chefferie.
- ++ shiqqit ou brûlure.
- + shiqqit ou brûlure.
- // ꝩ Kprad /in/ tākoba/d iyāt/ n/allagh/, pff-/I/eder-in, littéralement trois coups ceux de
l’épée et une lancée de javelot, lâche-moi mon bien (c’est-à-dire ce châtiment qui te
seras réservé si tu touches à mon bien).
- IOI Kel Agadez, côté gauche du cou (différence de localisation).
23 En zone touarègue, les marques de propriété ne sont appliquées qu’aux animaux qui
sont identifiés comme possession d’un groupe ou d’une confédération ou d’une famille.
Dans certains groupes ethniques sédentaires, peuples haoussa de Doutchi au Niger par
exemple, il existe une tradition selon laquelle les membres de ces ethnies affirment leur
identité par des marques ou scarifications sur leur propre visage : les Touaregs
désignent ces populations par l’anthroponymes Kel-Tegyast « ceux aux balafres, aux
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Conclusion
25 La création toponymique/onomastique aux portes du désert saharien nigérien est sans
aucun doute un de ces lieux privilégiés de la mémoire collective. Exprimée dans la
langue tamasheq, elle peut évoquer des spécificités telles que l’histoire linguistique et
culturelle, l’existence du peuplement d’un arbre (talat n-alaw), ou animal particulier
(aw-bagzan par exemple), la topographie du terroir (mare, plaines, montagnes,
plateaux…), l’orientation (Aïr par exemple), la présence d’un cours d’eau, d’une hauteur
naturelle, l’existence d’un lieu de culte, d’un hameau etc. Se déployant sur de
nombreux éléments de la nature en se superposant aux attributs humains, les
expressions toponymiques se sont pas des désignations figées. Elles sont autant que les
sociétés qui les utilisent, sans cesse en mouvement. Elles connaissent des mutations et
sont, pour cela même des pivots de l’histoire linguistique et socioculturelle, du
patrimoine oral et identitaire. En récapitulatif, on remarque que les marques de
propriété participent à l’expression de l’identité des personnes, des groupes ou de
principales tribus ou confédérations et que le procédé est unanimement employé dans
le vaste espace touareg, Ahaggar, Aïr, Adghagh, Azawagh, Udalan. En définissant la
fonction et la symbolique de chaque élément de la nature, les syntagmes onomastiques
endogènes ont servi et servent encore à déterminer dans un élan tribal, la ligne
territoriale qui se dessine autour d’un groupe de personnes ou de son appartenance à
une entité familiale ou confédérale à partir de laquelle l’individu s’oriente et inscrit ses
marques ou ses activités. On le sait le patrimoine toponymique touareg est attesté par
de nombreuses histoires dont certaines ont laissé des onomastiques qui constituent de
véritables bibliothèques.
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BIBLIOGRAPHIE
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NOTES
1. Dida Badi dans une étude non publiée rapportait que le terme touareg (sing. targui ; fem. sing.
Targiya ; Fem. plur. targiyat) est l’arabisation du toponyme « Targa », qui est le nom vernaculaire
de la région du Fezzan, en Libye. Etymologiquement, le terme de [targa] signifie le canal
d’irrigation, la rigole, le caniveau. Il n’est pas sans intérêt de noter que la région du Fezzan
(Targa), où se trouve la ville de Djerma (Garama), est le berceau de la civilisation garamantique.
Selon Hérodote, qui les a cités au Ve siècle avant Jésus Christ, les Garamantes, qui étaient des
sédentaires, ont pratiqué l’agriculture. Le terme [garamante] est tiré de la racine [G R M] qui a
donné (aghrem), ou village, cité. Il est à signaler que les Touaregs sédentaires se donnent le nom
de « Kel Aghrem », vocable signifiant les « sédentaires », par opposition aux imghad terme
désignant les bergers de chevreaux, les pasteurs nomades, en fait, ici, Dida faisait l’hypothèse de
lier l’origine du savoir agricole des Touaregs sédentaires du Tassili n’Ajjer à ces Garamantes de
l’antiquité. Cependant, nous maintenons, dans cet article, le vocable [touareg], sous ses
différentes déclinaisons, pour nommer et qualifier ces communautés et ce, en raison de sa large
diffusion dans la littérature ethnologique la concernant. Toutefois, il faut signaler que les
Touaregs, eux-mêmes, s’appellent les Kel tamasheq, terme qui fait référence à la culture et
nullement à une race spécifique.
2. La plupart des informations que nous exploitons proviennent d’un corpus plus large que nous
avons recueilli lors de nos sessions de recherche.
3. Il faut noter l’importance de la littérature géographique arabe elle-même parfois issue de
Ptolémée pour ce qui est des toponymes de l’intérieur de l’Afrique. En ce sens le Niger a souvent
été opposé au Nil.
4. Egraw s’il s’agit de la racine verbale, ce n’est pas le sens premier car, egraw, verbe signifie en
tamasheq trouver.
5. Tawit dénomme une plante non persistante qui pousse abondamment après les pluies dans
certaines parties de l’Ahaggar situées entre 2000 et 3000 mètres d’altitude (Foucauld, 1951,
p. 148). Ce même auteur donne une chronologie des années 1860 à 1906 (chronologie
probablement recueillie chez les tributaires dag Ghali de l’Atakor) parmi lesquelles figure un
certain nombre d’années caractérisant les déplacements massifs des Kel Ahaggar sur de riches
pâturages localisés dans leur sphère d’influence politique.
6. Gagnol, 2001. Kel Afala littéralement « ceux du haut ». Il s’agit du terme employé par les
agadéziens pour nommer les habitants des Kel Ferwan au-delà de la « falaise » de Tiguidit qui se
trouve sur un plateau appelé « Tadarast », du nom de l’arbre, adaras », donc en dessus d’Agadez et
de la plaine Talaq. Par ailleurs, les Kel Ferwan portent toujours le nom de la vallée d’origine,
Iferouāne, au nord de l’Aïr.
7. Turban ou Tegelmust (chez les Touareg) est le nom berbère du chèche servant à cacher son
visage à la colère, à l’orgueil, à la souffrance, à l’amour, à la mort a valu d’ailleurs aux nomades
du désert leur surnom « d’hommes bleus » car par cette bande de tissu, teinte d’indigo et
déteignant sur la peau, une fois enroulée autour de la tête, ne laisse plus apparaître que les yeux.
8. Même les autochtones sont incapables de donner le nom de famille ainsi que le lignage du
jeune marié en question.
9. Vient du verbe tuffa donner en tamasheq takelawayt ou tayert. Tanafut, « don », peut avoir pour
synonyme : apport, soutien, contribution, etc.
10. Lire à ce propos Bourgeot, 1992 au sujet de aw Bagzan.
11. Le cheval aw-bagzan désigne aussi une race de chevaux native de l’Aïr.
12. Ici l’on obtient une connotation toponymique et ethnonymique forte dérivée à partir du
nominal « aw » et « kel ». Ce dernier désigne les habitants d’une région, d’un pays, d’un terroir.
13. Pour plus de détails sur la cosmogonie ou l’orientation de la caravane dans le désert lire
Gagnol (2001).
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14.
AUTEUR
GHOUSMANE MOHAMED
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