La Lutte Senegalaise
La Lutte Senegalaise
La Lutte Senegalaise
La lutte sénégalaise (avec frappe) provoque enflamme les passions de tous les Sénégalais. Tous
se rendent aux stades, tendent l’oreille à la radio ou se fixent devant leurs télévisions pour
regarder les rencontres entre les lutteurs. Un sport qui génère, depuis sa professionnalisation,
des millions de francs CFA. Abdou Wahid Kane, sociologue du sport et enseignant à l’Institut
national supérieur de l’éducation physique et du sport de Dakar, décortique pour nous la
discipline. Bienvenue dans l’arène des combattants et des codes de la lutte.
Afrik.com : Avant l’affrontement des lutteurs, l’atmosphère est très protocolaire, avec à
tout un cérémonial et tout un rituel mystique. Pourquoi ?
Abdou Wahid Kane : La lutte est auréolée de nombreux rituels mystiques, qui sont des chants
de bravoure censés galvaniser les lutteurs. Tout cela est suivi par des cérémonies pour conjurer
le mauvais sort avant chaque combat. Au-delà de la préparation physique des « mbeurkatt »
(mot wolof désignant les lutteurs, ndlr), le cortège des marabouts accompagnant les athlètes
dans l’arène de la compétition, viennent cristalliser des prières salvatrices censées donner la
victoire à son protégé qui arbore des gris-gris (talisman) de même que des prises de bains
rituels. Avant chaque affrontement le mbeurkatt se livre au « Baccou » qui consiste à chanter
ses prouesses en vue d’intimider l’adversaire et de séduire son public en dansant au rythme du
tam-tam. Chants, également entonnés par les griots et griottes attitrés, qu’on appelle alors
« Ndawrabine ».
Afrik.com : L’écurie Mbolo à Pikine (banlieue de Dakar) est le temple formateur des plus
grands lutteurs du Sénégal. Pourquoi ?
Abdou Wahid Kane : Pikine est un cas sociologique bien à part, car c’est une zone à forte
urbanisation depuis des années. Elle a connu l’arrivée d’une forte population issue des
campagnes. Et ce sont les personnes rurales qui ont importé la pratique de la lutte à la ville,
donc Dakar et sa banlieue. Ainsi, l’école de lutte de Mbolo, créée dans les années 70, a formé
les plus illustres lutteurs, tels que Mor Fadam ou Manga II. Vers la fin des années 90, ces
lutteurs seront déchus par le jeune Tyson.
Afrik.com : Justement pouvez vous nous en dire plus sur Tyson et son écurie Bull Falé ?
Abdou Wahid Kane : Mohamed Tyson alias Tyson a été la star par excellence de la lutte
sénégalaise entre 1995 à 2002. A lui seul, ce phénomène a fait mordre la poussière aux plus
vaillants et redoutables lutteurs de l’histoire de ce sport. Non seulement c’est un colosse de
plus de 1m98 et plus de 130 kg de muscle, mais il figure également parmi des lutteurs qui ont
insufflé un nouveau courant dans la lutte sénégalaise avec l’écurie Bull Falé (terme wolof
voulant dire Témérité, Rébellion, ndlr) de Pikine, dont il est le chef de file. C’est une manière
d’être, de s’habiller, une affirmation de soi. Le Tyson sénégalais écoute de la musique rap,
roule dans de gros véhicule 4/4 et porte le pseudo d’un des plus célèbres boxeurs américains
(Mike Tyson, ex-champion du monde de la catégorie poids lourd, ndlr). Ce sportif est
également intéressant, car s’il est très religieux (il affiche son appartenance à la confrérie
musulmane Tidjane) et incarne à la fois le rêve américain. Le succès grâce au sport, donc la
réussite sociale et la notoriété nationale. Tyson est un exemple pour beaucoup de jeunes
sénégalais qui s’identifient à lui. Il symbolise la tradition et le modernisme dans lequel nous
vivons.
Afrik.com : Les cachets des lutteurs atteindraient des millions de Fcfa ? Est-ce un mythe ou
une réalité ?
Abdou Wahid Kane : C’est une réalité, car les télévisions, les sponsors et les promoteurs sont
prêts à payer ces sommes aux sportifs. L’ensemble de ces éléments combinés fait qu’il est
possible de payer des cachets de 30 à 50 millions de Fcfa pour les grands lutteurs dans la
catégorie des poids lourds. Certains disent que les sommes versées sont bien au-dessus de
celles annoncées par les promoteurs pour des raisons fiscales.
Afrik.com : Le 14 mai dernier un gala de trois grands combats était organisé. On parlait
d’une enveloppe de 80 à 200 000 millions Fcfa pour rétribuer les lutteurs.
Abdou Wahid Kane : C’est très plausible, comme je vous le disais précédemment. La lutte
suscite un tel engouement que tout le monde veut voir son nom, son logo, son spot publicitaire
être mis en image. Et il faut ajouter le nombre des entrées payantes, qui peuvent être de
l’ordre de 5 000, 10 000, voir de 25 0000 à 30 000 places comme dans l’enceinte du stade
Léopold Sédar Senghor pour le cas du gala du 14 mai dernier. Gala qui regroupait trois grands
combats de poids lourd et super lourd. Chaque lutteur était une tête d’affiche à lui seul.
Évènement rarement organisé vu la dimension des lutteurs (Yékini, Bombardier, Mustapha
Gueye...) présents dans l’arène.
Afrik.com : S’il y a une histoire de business, le phénomène du dopage doit être une
réalité ?
Abdou Wahid Kane : En principe le problème du dopage n’est pas censé exister, mais lorsque
l’on remarque, en peu de temps, les changements morphologiques de certains lutteurs, on
peut émettre des doutes sur l’absence de dopage. De plus conjugué aux manques de contrôle
des lutteurs, le problème du dopage n’est pas à exclure.