Colonialisme Afrique - Impact
Colonialisme Afrique - Impact
Colonialisme Afrique - Impact
Le colonialisme en Afrique :
impact et signification
Albert Adu Boahen
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l’afrique sous domination coloniale, 1800-1935
L’impact du colonialisme
Aucun sujet n’est probablement aussi controversé que l’impact du colonia-
lisme sur l’Afrique. Pour certains africanistes comme L. H. Gann, P. Dui-
gnan, M. Perham et P. C. Lloyd, son impact a été, dans l’ensemble, à la fois
bénéfique et négatif.
Lloyd, par exemple, n’hésite pas à affirmer le caractère positif de l’impact
colonial : « Il est facile d’ergoter aujourd’hui, affirme-t-il, sur la lenteur du
développement économique pendant les cinquante ans de domination colo-
niale. Néanmoins, la différence entre la condition de la société africaine à la
fin du XIXe siècle et à la fin de la deuxième guerre mondiale est proprement
stupéfiante. Les puissances coloniales ont fourni toute l’infrastructure dont a
dépendu le progrès à l’époque de l’indépendance : un appareil administratif
plutôt efficace, atteignant les villages les plus reculés, un réseau de routes et
de voies ferrées et des services de base en matière de santé et d’éducation.
Les exportations de matières premières ont apporté une richesse considé-
rable aux peuples d’Afrique occidentale3. » Dans ses conférences de Reith,
Margery Perham a également affirmé en 1961 : « Les critiques du colonia-
lisme s’intéressent surtout au présent et au futur, mais il faut rappeler que
notre empire en voie de disparition a laissé derrière lui un vaste héritage
historique, chargé de legs positifs, négatifs et neutres. Pas plus que ces criti-
ques, nous ne devrions omettre cette vérité4. »
Il est intéressant de remarquer qu’un autre historien anglais,
D. K. Fieldhouse, est arrivé à la même conclusion dans un ouvrage récent
(1981) : « II apparaît donc que le colonialisme ne mérite ni les louanges, ni
les blâmes qu’on lui a souvent décernés ; s’il a fait relativement peu pour
surmonter les causes de la pauvreté dans les colonies, ce n’est pas lui qui a
créé cette pauvreté. L’empire a eu de très importants effets économiques,
certains bons, d’autres mauvais…5 »
Enfin, Gann et Duignan, qui se sont pratiquement consacrés à la défense
du colonialisme en Afrique, concluaient en 1968 que « le système impérial est
l’un des plus puissants agents de diffusion culturelle de l’histoire de l’Afri-
que ; le crédit, ici, l’emporte de loin sur le débit6 ». Et, dans leur introduction
au premier des cinq volumes récemment complétés de l’œuvre qu’ils ont
publiée en commun, Colonialism in Africa, ils concluent de nouveau : « Nous
ne partageons pas le point de vue très répandu qui assimile le colonialisme à
l’exploitation. Nous interprétons en conséquence l’impérialisme européen en
Afrique aussi bien comme un agent de transformation culturelle que comme
un instrument de domination politique7. »
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à administrer une justice dans laquelle les sujets pouvaient faire appel devant
les tribunaux coloniaux affaiblit non seulement les autorités, mais encore
les ressources financières des dirigeants traditionnels15. Enfin, la diffusion
du christianisme finit par saper les fondements spirituels de l’autorité des
rois. Dans tous ces cas, le système colonial, ménageant ses intérêts, tantôt
affaiblissait, voire écrasait les chefs traditionnels, tantôt s’alliait avec eux et
les utilisait. Dans les deux cas, cependant, le système colonial amoindrissait
en fin de compte leur autorité.
Un autre impact négatif du colonialisme, du point de vue politique,
est la mentalité qu’il a créée chez les Africains et par laquelle toute pro-
priété publique n’appartenait pas au peuple, mais aux autorités coloniales
blanches. On pouvait et on devait donc en profiter à la moindre occasion.
Cette mentalité s’exprime parfaitement dans les dictons ghanéens : oburoni
ade see a, egu po mu, ou aban wotwuu no adze wonnsua no, qui signifient à peu
près : « si les biens de l’homme blanc sont endommagés, il faut simplement
les jeter à la mer » et « le gouvernement doit être tiré dans la boue, plutôt
que d’être relevé ». Les deux dictons impliquent que personne ne doit être
concerné par ce qui arrive à la propriété publique. Cette mentalité est le
produit direct de la nature distante et secrète de l’administration coloniale
et de l’élimination de l’écrasante majorité des Africains (« cultivés » ou
non) des processus de prise de décision. Il est important d’observer que
cette mentalité subsiste encore chez la plupart des Africains après plu-
sieurs décennies d’indépendance et qu’elle explique en partie la manière
insouciante dont la propriété publique est traitée dans de nombreux pays
africains indépendants.
Un pur produit du colonialisme, et qui est souvent ignoré par la majeure
partie des historiens, mais qui s’est avéré être d’une importance absolument
cruciale, est, comme l’a bien montré l’étude de R. F. Betts (chapitre 13),
l’existence d’une armée permanente ou à plein temps. Ainsi qu’il a été
amplement démontré, la plupart des États africains au sud du Sahara
n’avaient pas d’armée permanente. Dans toute l’Afrique occidentale, seul le
Dahomey (actuel Bénin) en avait une, avec un « régiment féminin », les célè-
bres Amazones. Dans la plupart des cas, il n’y avait pas de dichotomie entre
les civils et les soldats. Bien au contraire : tous les adultes mâles, y compris
les membres de l’aristocratie dominante, étaient soldats en temps de guerre
et civils en temps de paix. Ainsi, l’une des institutions les plus novatrices
introduites par les autorités coloniales, dans chaque région, était l’armée
professionnelle. Ces armées furent créées à l’origine, essentiellement dans
les années 1800 et 1890, pour la conquête et l’occupation de l’Afrique ; elles
servirent ensuite à maintenir la domination coloniale, puis à poursuivre des
guerres plus vastes et à écraser les mouvements d’indépendance africains.
Après le renversement du régime colonial, elles ne furent pas dispersées,
mais récupérées par les nouveaux chefs indépendants et elles se sont avérées
être le plus problématique de tous les legs du colonialisme. Comme Gutte-
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ridge l’a reconnu, les forces armées ont « agi à long terme contre la stabilité
des ex-colonies16 ». Et, en fait — comme on le verra dans le volume VIII
de cet ouvrage —, de par leurs interventions répétées, souvent injustifiables
et superflues, dans la politique des États africains indépendants, ces armées
sont devenues un véritable boulet que les gouvernements et les peuples
d’Afrique doivent traîner.
Le dernier impact négatif du colonialisme, probablement le plus impor-
tant, a été la perte de la souveraineté et de l’indépendance et, avec elle, du
droit des Africains à diriger leur propre destinée ou à traiter directement
avec le monde extérieur. Dès les XVIe et XVIIe siècles, des États comme le
Dahomey (actuel Bénin) et le Congo pouvaient envoyer les ambassades et
des missions aux cours des rois européens. Jusque dans les années 1890, nous
l’avons vu, certains États africains pouvaient traiter d’égal à égal avec leurs
partenaires européens. L’Asantehene, le roi du Matabeleland et la reine de
Madagascar envoyèrent des missions diplomatiques à la reine d’Angleterre
à cette époque. Le colonialisme mit fin à tout cela et priva donc les États
d’Afrique de la possibilité d’acquérir de l’expérience dans le domaine de la
diplomatie et des relations internationales.
Cependant, la perte de leur indépendance et de leur souveraineté a eu
pour les Africains une signification beaucoup plus profonde. Elle s’est d’abord
traduite par la perte du pouvoir de prendre en main leur destin, de planifier leur
propre développement, de gérer leur économie, de déterminer leurs propres
stratégies et priorités, d’emprunter librement au monde extérieur les techni-
ques les plus modernes et les mieux adaptées et, d’une manière générale, de
gérer, bien ou mal, leurs propres affaires, tout en puisant leur inspiration et un
sentiment de satisfaction dans leurs propres succès et en tirant les leçons de
leurs échecs. Bref, le colonialisme a privé les Africains de l’un des droits les
plus fondamentaux et inaliénables des peuples, le droit à la liberté.
Comme Rodney l’a montré, les soixante-dix années de colonialisme en
Afrique ont été, pour les pays capitalistes et socialistes, une période d’évolution
décisive et fondamentale. Elles ont vu, par exemple, l’Europe entrer dans l’ère
de l’énergie nucléaire, de l’avion et de l’automobile. Si l’Afrique avait pu maî-
triser son propre destin, elle aurait pu bénéficier de ces fabuleux changements
ou même y prendre part. Cependant, le colonialisme l’isola complètement et la
maintint dans la sujétion. À l’évidence, c’est cette perte d’indépendance et de
souveraineté, cette privation du droit fondamental à la liberté et cet isolement
politique, imposés à l’Afrique par le colonialisme, qui constituent l’un des
effets les plus pernicieux du colonialisme sur le plan politique.
L’impact dans le domaine économique
L’impact dans le domaine politique est donc important, même si sa posi-
tivité est loin d’être entière. Tout aussi important, et même davantage,
est l’héritage économique. Le premier effet positif du colonialisme — le
plus évident et le plus profond — est, comme le montrent maints chapitres
antérieurs, la constitution d’une infrastructure de routes et de voies ferrées,
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par les famines, la pauvreté endémique et les impôts. En outre, étant donné
que les Européens avaient tendance à vivre dans les centres urbains, toutes les
commodités énumérées plus haut, et qui amélioraient la qualité de la vie, ne se
trouvaient que dans ces zones. Les régions rurales étaient donc pratiquement
négligées, ce qui accentuait le phénomène de désertion. Un fossé énorme
existe aujourd’hui encore entre les zones rurales en Afrique et il est certain que
c’est le système colonial qui a créé et agrandi ce fossé.
Ces migrants ne trouvaient pas dans les centres urbains le paradis riche
et sûr qu’ils espéraient. Les Africains n’étaient considérés dans aucune ville
comme des égaux ; ils n’étaient jamais entièrement intégrés. De plus, pour la
majorité, il était impossible de trouver un emploi ou un logement décents. La
plupart d’entre eux s’entassaient dans les faubourgs et les bidonvilles dans les-
quels le chômage, la délinquance juvénile, l’alcoolisme, la prostitution, le crime
et la corruption devenaient leur lot. Le colonialisme ne fit pas qu’appauvrir la
vie rurale : il corrompit également la vie urbaine. Il n’est donc pas surprenant
que les membres de ce groupe social soient devenus après la deuxième guerre
mondiale les troupes d’assaut des mouvements nationalistes.
Le second problème social grave est celui des colons européens et asiati-
ques. Bien qu’il y eût des Européens installés dans les États d’Afrique du Nord
et en Afrique du Sud avant l’ère coloniale, il est certain qu’à partir de celle-ci,
leur nombre augmenta et que des immigrants asiatiques et européens furent
également introduits en Afrique orientale et centrale, ainsi que dans certaines
parties d’Afrique occidentale. Comme M. H. Y. Kaniki l’a montré plus haut
(chapitre 16), le nombre des Européens au Kenya passa de 596 en 1903 à 954 en
1905, à 5 438 en 1914 et à 16 663 en 1929 ; ceux de Rhodésie du Sud passèrent
de 11 000 en 1901 à plus de 35 000 en 1926, et ceux d’Algérie de 344 000 en
1876 à 946 000 en 1936. Mais, dans de nombreuses régions d’Afrique orientale,
centrale et septentrionale, la présence des Européens provoqua l’hostilité des
Africains, parce qu’ils occupaient la plupart des terres fertiles, tandis que les
Asiatiques monopolisaient le commerce de détail et le commerce de gros. En
Afrique occidentale également, les Asiatiques (Syriens, Libanais et Indiens),
dont la population passa de 28 seulement en 1897 à 276 en 1900, 1 910 en
1909, 3 000 en 1929 et 6 000 en 1935, chassèrent également leurs concurrents
africains. À partir de cette date, le problème européen et asiatique prit de gra-
ves proportions pour l’Afrique ; à ce jour, il n’est pas entièrement résolu.
De plus, même si le colonialisme introduisit certains services sociaux, il
faut souligner que non seulement ces services étaient globalement inadaptés
et distribués inégalement dans chaque colonie, mais qu’ils étaient tous desti-
nés, en premier lieu, à la minorité des immigrants et administrateurs blancs :
d’où leur concentration dans les villes. Rodney a montré qu’au Nigéria, dans
les années 1930, il y avait 12 hôpitaux modernes pour 4 000 Européens dans le
pays, et 52 pour plus de 40 millions d’Africains31. Dans le cas du Tanganyika
des années 1920, la proportion de lits pour la population était de 1 pour 10 à
l’hôpital européen et de 1 pour 400/500 à l’hôpital africain de Dar es-Salaam32.
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sentiment d’infériorité n’a pas entièrement disparu, même après vingt ans
d’indépendance.
Pire encore a été l’incidence du colonialisme dans le domaine culturel.
De fait, comme l’a déclaré le IIe Congrès des écrivains et artistes noirs tenu
à Rome en mars-avril 1959, « parmi les péchés du colonialisme, l’un des plus
pernicieux — parce que longtemps accepté sans discussion en Occident — est
d’avoir diffusé la notion de peuples sans culture42 » ; cela ne devrait pas nous
surprendre. Comme P. Curtin et d’autres l’ont souligné, « l’entrée de l’Europe
en Afrique a coïncidé avec l’apogée, aux XIXe et XXe siècles, du racisme et du
chauvinisme culturel en Europe même43 ». Les Européens qui se rendaient en
Afrique pendant cette période, spécialement entre 1900 et 1945, missionnaires,
marchands, administrateurs, colons, ingénieurs et mineurs, étaient générale-
ment imbus de cet esprit et condamnaient donc tout ce qui était autochtone
— la musique africaine, l’art, la danse, les noms, la religion, le mariage, le
régime successoral, etc. Pour être admis dans une Église, un Africain devait
non seulement être baptisé, mais changer de nom et renoncer à beaucoup de
ses coutumes et traditions. Même le port du vêtement africain fut interdit ou
découragé dans certaines zones et les gens éduqués à l’européenne qui persis-
taient à porter des habits africains étaient accusés de « jouer à l’indigène ». Pen-
dant la période coloniale, donc, l’art, la musique, la danse et même l’histoire
de l’Afrique ne furent pas seulement ignorés, mais même ouvertement niés
ou méprisés. C’était l’époque où le professeur A. P. Newton pouvait écrire :
« L’Afrique n’avait pratiquement pas d’histoire avant l’arrivée des Européens
[…] [car] l’histoire ne commence que quand les hommes adoptent l’écriture44 »
et sir Reginald Coupland pouvait lui faire écho en déclarant cinq ans plus tard :
« Jusqu’au XIXe siècle, la majeure partie des Africains, les peuples nègres qui
vivaient dans leurs terres tropicales entre le Sahara et le Limpopo, n’avaient
jamais eu […] d’histoire. Ils étaient restés, pendant des siècles et des siècles,
plongés dans la barbarie. Tel semblait être le décret de la nature […] Ainsi
stagnaient-ils, sans progresser ni régresser. Nulle part au monde, sauf peut-être
dans quelque marécage miasmatique d’Amérique du Sud ou dans quelque île
perdue du Pacifique, le genre humain n’avait été aussi stagnant. Le cœur de
l’Afrique battait à peine45. » De tels points de vue ne correspondaient pas à
un « décret de la nature », mais plutôt à l’imagination fertile de ces historiens
chauvinistes européens ; le cœur de l’Afrique battait, mais les Européens
étaient rendus sourds par leurs propres préjugés, leurs idées préconçues, leur
arrogance et leur chauvinisme.
Il devrait être maintenant évident, d’après l’analyse qui précède, que
les spécialistes qui estiment que le colonialisme a été un désastre total pour
l’Afrique, n’ayant provoqué que du sous-développement et du retard, ont lar-
gement exagéré. Mais sont également coupables d’exagération les apologistes
tels que les Gann, Duignan et autres Lloyd, qui considèrent le colonialisme
comme un bien absolu pour l’Afrique et les Perham et les Fieldhouse, qui
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estiment que son bilan est équilibré. Il ne serait pas exact de dire, à propos
de l’opinion de ces auteurs, que le colonialisme n’a rien fait de positif pour
l’Afrique. Car il a eu du bon. Mais il n’empêche que les Européens ont réa-
lisé d’énormes bénéfices en Afrique grâce à des compagnies minières, à des
entreprises commerciales, à des banques, à des compagnies maritimes, des
exploitations agricoles et à des sociétés concessionnaires. En outre, les puis-
sances coloniales disposaient dans les métropoles de substantielles réserves
financières en provenance de leurs colonies, réserves qui auraient pu fournir
une partie du capital nécessaire au développement de ces métropoles. Enfin,
les industries métropolitaines tiraient des matières premières bon marché des
colonies et les bénéfices obtenus de l’exportation des produits manufacturés.
Si l’on compare tout cela avec ce que les propriétaires terriens africains, les
paysans et les mineurs obtenaient, et si l’on tient compte du fait que toutes
les infrastructures et les facilités sociales fournies devaient être financées par
les colonies elles-mêmes, on ne peut que s’étonner de la férocité du contrat
léonin que le colonisateur a imposé aux Africains.
En second lieu, quoi qu’ait pu faire le colonialisme pour les Africains,
étant donné ses possibilités, ses ressources, le pouvoir et l’influence dont il
jouissait en Afrique à l’époque, il aurait pu et dû faire beaucoup plus. Comme
Lloyd l’admet lui-même : « On aurait peut-être pu faire beaucoup plus, si
le développement des territoires arriérés avait été considéré par les nations
industrielles comme une urgente priorité46. » Mais c’est justement parce que
les autorités coloniales n’ont considéré le développement de l’Afrique ni
comme une priorité urgente, ni même comme une priorité en général, qu’elles
doivent être condamnées. C’est pour ces deux raisons que l’époque coloniale
restera dans l’histoire comme une période de croissance sans développement,
d’exploitation impitoyable des ressources de l’Afrique et, à tout prendre,
d’humiliation et de paupérisation pour les peuples africains.
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le vêtement, le style de vie, les goûts et le statut. Certes, si ces élites avaient
constitué un pourcentage appréciable de la population africaine, on aurait
pu accepter leur formation comme une autre transformation fondamentale
introduite par le colonialisme. Mais on a déjà vu que les groupes urbains ou
les élites ne constituaient à la fin de l’ère coloniale qu’une petite fraction de
la population (20 % au plus). Le reste de la population était formé de paysans,
qui demeuraient généralement analphabètes et gardaient leurs croyances,
leurs valeurs et leurs modèles traditionnels. De fait, la civilisation ou la socia-
lisation introduites par le colonialisme constituaient essentiellement un phé-
nomène urbain, qui n’a pas réellement touché les populations rurales. Dans
la mesure où celles-ci formaient l’écrasante majorité des habitants des États
africains, nous pouvons en conclure raisonnablement et sans risque d’erreur
qu’ici, l’impact colonial, malgré son intérêt, est resté extrêmement limité.
En conclusion donc, bien que le colonialisme ait été sans aucun doute un
simple chapitre dans une longue histoire, un épisode ou un interlude dans les
expériences multiples et diverses des peuples d’Afrique, qui n’a duré nulle
part plus de quatre-vingts ans, il s’est agi d’une phase extrêmement impor-
tante du point de vue politique, économique et même social. Il a marqué
une nette coupure dans l’histoire de l’Afrique ; le développement ultérieur
de celle-ci, et donc de son histoire, a été et continuera à être très influencé
par l’impact du colonialisme. Il prendra un cours différent de celui qu’il
aurait suivi si cet interlude n’avait pas existé. La meilleure manière d’agir
aujourd’hui, pour les dirigeants africains, n’est donc pas de biffer le colonia-
lisme, mais plutôt de bien connaître son impact, afin d’essayer de corriger ses
défauts et ses échecs.
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Notice biographique des auteurs
du volume VII
Chapitre 1 :
A. ADU BOAHEN (Ghana). Spécialiste de l’histoire coloniale de l’Afrique
occidentale ; auteur de nombreuses publications et articles sur l’histoire de
l’Afrique ; professeur et chef du Département d’histoire de l’Université de
Legon-Accra, Ghana.
Chapitre 2 :
G. N. UZOIGWE (Nigéria). Spécialiste de l’histoire de l’Afrique orientale, et
plus particulièrement de l’ancien royaume bunyoro en Ouganda ; auteur de
plusieurs ouvrages et articles sur l’histoire de l’Afrique ; professeur d’histoire
à l’Université du Michigan, à Ann Arbor.
Chapitre 3 :
T. O. RANGER (Royaume-Uni). Spécialiste des mouvements nationalistes
et de résistance en Afrique ; auteur et directeur de publication de nombreux
ouvrages et articles dans ce domaine ; ancien professeur d’histoire à l’Uni-
versité de Dar es-Salaam et à l’UCLA, Californie ; enseigne actuellement
l’histoire à l’Université de Manchester.
Chapitre 4 :
H. A. IBRAHIM (Soudan). Spécialiste de l’histoire de l’Égypte et du Soudan
aux XIXe et XXe siècles ; auteur de nombreuses études ; maître de conféren-
ces à l’Université de Khartoum (Département d’histoire).
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