QDM 204 0107

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 45

Regards croisés

CONCILIER DISTANCE ET PROXIMITÉ, NOUVEAU DÉFI MANAGÉRIAL

Soufyane Frimousse, Jean-Marie Peretti

EMS Editions | « Question(s) de management »

2020/4 n° 30 | pages 107 à 150


ISSN 2262-7030
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-questions-de-management-2020-4-page-107.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour EMS Editions.


© EMS Editions. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


Concilier distance et
proximité, nouveau défi
managérial
Soufyane FRIMOUSSE,
Jean-Marie PERETTI

Trop de distance ou trop de proximité empêche la vue


(Blaise Pascal, Pensées, fragment 465)

Les crises des grands confinements de printemps et d’automne accentuent la distance et l’éloignement
physique amplifiant ainsi le besoin de lien, de liant et de contacts. Il apparaît donc indispensable de
répondre au nouveau défi managérial que revêt la recherche de « la proximité à distance ». Une orga-
nisation qui souhaite réagir rapidement, doit avoir des relais proches des clients et des collaborateurs.
Dans ce contexte, quelles sont les pratiques, les outils et les méthodes à adopter pour continuer à
échanger et se retrouver ? Comment prendre soin de son équipe à distance ? La visio est souvent l’outil
de communication privilégiée dans la configuration du télétravail. Pour être performant, le télétravail
doit s’insérer d’un changement de culture. C’est ici que le rôle de manager de proximité doit passer du
contrôle et du commandement à un rôle d’accompagnement pour rassurer et garantir le maintien de
la sécurité psychologique. Le manager de proximité est en contact avec les équipes ce qui lui permet
d’identifier et d’évaluer le niveau de santé des collaborateurs. Les entreprises qui réussiront dans ces
fortes périodes d’incertitudes seront celles qui auront su redonner une légitimité au manager de proxi-
mité. Par conséquent, il faudra moins de process et plus de responsabilisation. Dans cette optique,
quelles formes de leadership et de compétences développer pour stimuler l’empathie et maintenir un
sentiment d’appartenance et de proximité ? Ces périodes de confinement, de reprise progressive et de
re-confinement même si elles sont vécues différemment, touchent forcément émotionnellement les
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


personnes. Cette situation inédite demande aux managers de mobiliser encore davantage leurs compé-
tences émotionnelles et de développer une relation de confiance.
Le n° 28 de QDM a mis en évidence ce que seraient les répercussions durables de la crise sur le
management. Le n° 29 de QDM alimentait les débats sur les effets de la crise vécue par les orga-
nisations. Dans ce nouveau numéro Semiramis AHMADIPOUR, Abdelwahab AIT-RAZOUK, Sylvie
ALEMANNO, Hervé ANDORRE, Fabien AREVALO, Zeineb ATTIA, Hervé AZOULAY, Ionut-Cosmin
BALOI, Céline BAREIL, Nicolas BARTHE, Viviane de BEAUFORT, Togba BEHI, Bouchra BENRAÏSS,
Laïla BENRAÏSS-NOAILLES, Houcine BERBOU, Antoine BERTHEUX, Maëlys BEULQUE, Mireille
BLAESS, Patrick BOUVARD, Jacques BROUILLET, Mireille CHIDIAC EL HAJJ, Giovanni COSTA, Patrick
DAMBRON, Jean-Jacques DANDRIEUX, Richard DELAYE-HABERMACHER, Raphaël DOUTREBENTE,
Dominic DRILLON, Michelle DUPORT, Kofi John Idao EGBETO, Thierry FABIANI, Jean-Marie FESSLER,
Corinne FORASACCO, Hugo GAILLARD, Jean-Michel GARRIGUES, Anita GERMOND, Olfa GRESELLE-
ZAÏBET, Alexandre GUILLARD, Alexis HAKIZUMUKAMA, Laurence HIRBEC, Jacques IGALENS,
Abdelkader JAMAL, Emmanuel KAMDEM, Assya KHIAT, Eileen-Eunkyul KIM, Hubert LANDIER, Pascal
LARDELLIER, Damien LEBAS, Clémence LEBRE, Jean-Pierre LE CAM, Véronique MONTAMAT, Jean-
François NANTEL, Hadj NEKKA, Jean-Pierre NEVEU, Philippe PACHE, Michel PAILLET, André PERRET,
Yvon PESQUEUX, Mathieu PETIT, Frédéric PETITBON, Patrice POURCHET, Catherine POURQUIER,

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 107


REGARDS CROISÉS

Yann QUEMENER, Lydie RECORBET, Stéphane RENAUD, Khaled SABOUNE, Doha SAHRAOUI-
BENTALEB, Marie-José SCOTTO, Thierry SIBIEUDE, Patrice TERRAMORSI, Pascal TISSERANT, Laura
TOCMACOV-VENCHIARUTTI, Oumar TRAORE, Diane-Gabrielle TREMBLAY, Odile UZAN, Isabelle
VANDANGEON-DERUMEZ, Gilles VERRIER, Marc-André VILETTE, Catherine VOYNNET-FOURBOUL,
Rosaline Dado WOROU-HOUNDEDON, Zahir YANAT et André YOUNG ont répondu à la question :
« Quel management pour concilier distance et proximité dans le nouveau contexte ? » 
Sémiramis AHMADIPOUR pose le cadre des problèmes liés à la conciliation de la distance et de la proxi-
mité. Abdelwahab AIT-RAZOUK et Yann QUEMENER s’interrogent sur le comment manager avec les
dispositifs du contrôle distance. Pour Sylvie ALEMANNO il est essentiel de rester proche tout en étant
à distance. Pour Hervé ANDORRE le manager est un créateur de relations. Pour Fabien AREVALO, plus
que la distance, c’est donc bien d’un manager vraiment « présent » dont ont besoin les équipes. D’après
Zeineb ATTIA, empathie, solidarité, veille sociale, accompagnement et écoute deviennent les maîtres
mots aujourd’hui pour arriver à manager des collaborateurs dans le contexte de pandémie actuel. Hervé
AZOULAY se questionne sur le devenir du DRH qui va sans doute devenir un directeur des réseaux
humains. Ionut-Cosmin BALOI pense avec inquiétude au lendemain managérial. Céline BAREIL propose
de créer une « vibe » de proximité auprès de ses collaborateurs. Nicolas BARTHE explique le passage
du commandement de proximité au management agile à distance. Selon Viviane de BEAUFORT les
confinements accentuent le besoin d’autonomie des collaborateurs. Togba BEHI conseille au manager
de promouvoir un partage des objectifs collectifs à atteindre, tout en responsabilisant chacun via une dé-
marche personnalisée empreinte d’autonomie. Pour Bouchra BENRAÏSS, le management des équipes
à distance peut s’apparenter à un art, où le manager est un véritable chef d’orchestre. Laïla BENRAÏSS-
NOAILLES présente les caractéristiques du management proxidistant durable. Pour Houcine BERBOU,
un rééquilibrage entre le proche et le lointain est indispensable. Antoine BERTHEUX propose d’inclure
le ludique dans tous les outils de management d’autant plus à distance. Maëlys BEULQUE s’interroge
sur le bon équilibre à trouver entre distance et trop d’intrusivité. Mireille BLAESS insiste sur la place et le
rôle des leaders. Selon Patrick BOUVARD, la distance est un terrible révélateur du management ! Pour
Jacques BROUILLET, la Covid-19 nous invite à réviser certaines pratiques managériales pour mieux
concilier vie privée et vie professionnelle, distance et proximité, économie et social. Mireille CHIDIAC
EL HAJJ souligne la nécessite de se préparer à l’imprévu tout en développant suffisamment d’agilité.
Giovanni COSTA décrit le passage du fordisme au cloudisme. Patrick DAMBRON explique que la proxi-
mité est au cœur de l’acte serviciel. Richard DELAYE-HABERMACHER s’intéresse au sacré comme
mode de maintien, à distance, de la proximité étudiants/enseignants. Raphaël DOUTREBENTE distingue
le télétravail subi et le télétravail choisi. Pour Dominic DRILLON, la réussite reposera sur trois valeurs à
développer : la confiance, l’engagement et la solidarité entre ses membres. Michelle DUPORT souligne
que la proximité comme la distance peuvent être spatiales, temporelles, technologiques, sociocultu-
relles, socio-économiques, mais aussi cognitives, contextuelles et langagières. D’après Kofi John Idao
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


EGBETO la dématérialisation et la dé-spatialisation du travail deviendront désormais le nouveau crédo
du management moderne. Thierry FABIANI adresse une Lettre aux futurs managers de proximité. Jean-
Marie FESSLER s’interroge sur le retour du réel. Donner corps à la proximité c'est-à-dire en substance,
incarner la présence (physique ou distancielle) est la condition posée par Corinne FORASACCO. Pour
Hugo GAILLARD, nous sommes en train de trouver la « bonne distance » grâce à nos « nouvelles
proximités ». Jean-Michel GARRIGUES parle d’un management par le vide dans lequel il sera néces-
saire de libérer et ré-humaniser le management. Anita GERMOND évoque les difficultés spécifiques
du management à distance dans un territoire insulaire marqué par un attachement très fort pour les
relations interpersonnelles. Pour Olfa GRESELLE-ZAÏBET, le manager doit faire des points d’étapes
pour créer un sentiment de proximité, maintenir la dynamique collective et reconnaître les nouvelles
compétences mobilisées par ses équipes dans ce contexte en distanciel. Pour Alexandre GUILLARD,
l’enjeu principal est d’accéder au terrain dans des conditions de sécurité indispensables. Selon Alexis
HAKIZUMUKAMA, la distanciation sociale est un levier d’un management par l’intelligence collective.
Laurence HIRBEC évoque la distimité du manager qui se situe entre présence augmentée et efface-
ment assumé. Jacques IGALENS analyse la proximité et la distance entre riches et pauvres. Abdelkader
JAMAL rappelle les défis et les enjeux du management post pandémie. Emmanuel KAMDEM décrit
l’appropriation des réunions distancielles dans les tontines camerounaises. Assya KHIAT insiste sur
l’importance du « trust quotient ». Ainsi, après le QI et le QE vient le temps QC.

108 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Eileen Eunkyul KIM et Jean Jacques DANDRIEUX annoncent l’arrivée du management hybride. Hubert
LANDIER nous rappelle que la proximité ne se limite pas à la proximité géographique. C’est aussi la
proximité à travers les valeurs partagées et la participation à un projet commun. Pascal LARDELLIER
présente le management phygital qui se situe entre distance technologique et proximité relationnelle.
D’après Damien LEBAS, le télétravail aura eu le mérite de faire la lumière sur deux aspects ; la confiance
et la communication, deux facteurs clés de la posture managériale en général, encore plus nécessaires
en cette période d’incertitude et de doute. Clémence LEBRE et Pascal TISSERANT présentent les
enjeux de l’e-dentité et e-dentification en contexte de travail virtuel. Il s’agit d’un nouveau défi pour
les e-managers face au confinement. Jean-Pierre LE CAM évoque les trois temps provoqués par la
crise sanitaire : la percussion, les répercussions et la reconstruction du management. Pour Véronique
MONTAMAT, l'enjeu est de parvenir à développer une proximité psychologique sans forcément travail-
ler les uns à côté des autres. Jean-François NANTEL recommande une approche expérientielle pour
adopter les pratiques managériales adaptées. Hadj NEKKA décortique les concepts de proximité et de
distanciation. Selon Jean-Pierre NEVEU, le problème de la « saine », ou « bonne », distance avec la hié-
rarchie ne semble pas très nouveau. Philippe PACHE indique que l’ontogénèse doit dorénavant comp-
ter avec la technologie. D’après Michel PAILLET, le management doit s’inquiéter de savoir comment,
dans les environnements hybrides, le genre professionnel s’entretient et se renouvelle. André PERRET
indique que le distanciel ne fait qu’exacerber les bonnes et mauvaises pratiques managériales. Yvon
PESQUEUX fait un plaidoyer pour la logistique inverse. Mathieu PETIT souligne la nécessité de former
les managers à soutenir l’autonomie de ses collaborateurs. Frédéric PETITBON note une tendance
forte avec la crise sanitaire, l’émergence du « care augmenté ». Selon Patrice POURCHET, le Ratio dis-
tance-proximité sera le nouvel indicateur de la raison d’être au travail du collaborateur dans sa relation
au management et au manager de proximité. Catherine POURQUIER préconise de rassurer et moti-
ver grâce à la proximité émotionnelle. Pour Lydie RECORBET, le télétravail doit être alterné avec des
phases de présentiel. Stéphane RENAUD souligne que la bienveillance est un facteur de réussite pour
cultiver la proximité dans le travail à distance. Selon Khaled SABOUNE, la proximité à distance, c’est
possible. Pour Doha SAHRAOUI-BENTALEB, il faut redéfinir les modes de management pour créer de
la proximité dans la distance. Marie-José SCOTTO souligne que manager en temps de Covid repré-
sente une opportunité pour se réinventer. Pour Thierry SIBIEUDE, la stigmatisation de l’ultra proximité
devient le principal obstacle au management de proximité. Patrice TERRAMORSI rappelle que nous
avons tous besoin d’un plus petit que soi. Laura TOCMACOV-VENCHIARUTTI analyse l’alliance entre
les intelligences humaines et artificielles afin de concilier distance et proximité. Oumar TRAORE pré-
cise les déterminants d’un management de proximité. Diane-Gabrielle TREMBLAY donne cinq conseils
pour mieux gérer à distance. Odile UZAN préconise de repenser la convivialité et la festivité, entre dis-
tance et proximité, pour que l’entreprise reste pour ses salariés une belle expérience à vivre. Isabelle
VANDANGEON-DERUMEZ considère que concilier distance et proximité c’est pour le manager avant
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


tout définir la façon de travailler ensemble quel que soit le contexte. Gilles VERRIER pense que la crise
sanitaire peut être une superbe opportunité pour les organisations de transformer durablement leur
mode de management. Marc-André VILETTE rappelle que la proximité n’est pas qu’une question de
distance. Catherine VOYNNET-FOURBOUL pousse à inventer un modèle mixte permettant de répondre
à l’aspiration et à la nécessité du distanciel tout en répondant aux besoins de présence des personnes
afin de minimiser le sentiment d’isolement. Pour Rosaline Dado WOROU-HOUNDEDON, l’émergence
d’un management délégatif permet de favoriser la cohésion sociale et motiver les collaborateurs dans
cet environnement incertain. Pour Zahir YANAT, proximité et distanciation renvoient à une question et
une exigence de complémentarité. D’après Andrew YOUNG, la pandémie peut permettre de répondre
aux aspirations des jeunes générations.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 109


REGARDS CROISÉS

Oval floating management » to reconcile distance and proximity


Sémiramis AHMADIPOUR, Market analyst & strategist, Genève, Suisse 
The world we are living in now, was not even a dream/nightmare in the 20th century. Thirty years
ago human wouldn’t imagine to be drown in the ocean of information and be connected with others
virtually from near or far to run its own life in exchange of sharing, learning and growing together in
proximity. This virtual connection created gaps between humans, the situation came to an extreme
in March 2020 when a little uninvited guest called Covid-19 appeared, proximity counted as a serious
threat to our health and Human is guided to act more like a robot ; receive the information, analyse it
and act individually to be able to complete daily tasks, while connected to others by far, in an absolute
isolation. Work in distance is inevitable and helped to save many businesses’, but how far we can
go? Not proximity nor distance solely is the answer, but a combination of both methods can be the
solution. A “Floating Oval Management system”, where the manager is in the centre of an oval, work
and interact with all employees/supervisors by distance and have the ability to float in the system in
the form of physical meetings (proximity) weekly, to guaranty the performance and growth of the
organization. This method has the potential and basics to be tested and developped in near future.

Manager avec les dispositifs du contrôle à distance


Abdelwahab AIT-RAZOUK, Brest Business School – Laboratoire du LEGO
Yann QUEMENER, Brest Business School – Laboratoire du LEGO
La distance ne se résume plus, dans les organisations, aux populations traditionnellement nomades
comme les commerciaux. Désormais, les dispositifs du travail à distance ouvrent le champ des popu-
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


lations distantes. Dans ce contexte, les managers peuvent-ils s’en remettre à ces dispositifs pour
contrôler la performance de leurs collaborateurs distants ? Il semble que la mécanique des objets,
aussi fine et traçante soit-elle, ne suffise pas à piloter la performance. Certes, les dispositifs de ges-
tion sont des machines invisibles (Berry, 1983) qui recèlent des inscriptions induisant des prescrip-
tions dont les acteurs n’ont pas forcément conscience. Certes, les inscriptions de ces dispositifs, en-
fouies dans leurs caractéristiques techniques, œuvrent dans la perspective d’un projet social comme
nous l’a enseigné Foucault. Mais la distance (qui peut être spatiale, tout autant que hiérarchique ou
catégorielle) entraîne (requiert ?) une traduction selon la théorie de Callon et Latour, c’est-à-dire un
déplacement d’un contexte distant à une proximité. La traduction est un support de l’action permet-
tant de composer avec la complexité et l’ambigüité. C’est dans cette perspective que les travaux en
contrôle de gestion ont montré que le contrôle à distance mêle contrôle technologique et autocon-
trôle. L’autocontrôle des acteurs distants s’insère dans les prescriptions du contrôle, inscrites dans
les technologies. C’est cette articulation qui fait dire à Dambrin que le contrôle à distance est « un
autocontrôle par les technologies ».
Berry M. (1983), Une technologie invisible ?, Centre de Recherche en Gestion de l’école Polytechnique.
Dambrin C.(2005), Le Contrôle à distance ou l’Autocontrôle par les technologies : le cas des commerciaux,
Thèse de doctorat, Université Paris-Dauphine.

110 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Rester proche en étant à distance, enjeu managérial
Sylvie ALEMANNO, Professeur des Universités au Conservatoire National des Arts et Métiers
La période de pandémie marque désormais durablement les relations directes par les gestes barrière,
la distanciation, le masque, les désinfections diverses et variées. Il devient très dissuasif de s’appro-
cher des autres. Les organisations n’échappent pas à ces contraintes de santé et le management est
comptable de leur application pour des raisons légales et de protection des salariés. Les réaména-
gements du temps de travail débouchent sur plus de distance encore avec le télétravail et le travail
collaboratif numérique déjà en cours, mais accéléré par la pandémie Covid-19 entre les salariés et
avec le management. Or le management métonymie d’origine anglo-saxonne est cet « ensemble »
qui dirige (Traité sociol.,1967 : 484), et qui fait « réussir les entreprises humaines » (Loubat, 2006),
il est constitué du et des managers qui l’incarnent. Dans une période de profonde modification des
contacts, les managers seront capables d’un contact direct, visuel si numérique soit-il. Apparaître en
personne lors d’une visioconférence, s’adresser aux équipes, écouter et expliquer la politique, contri-
buent à la réduction d’une distance imposée par la pandémie. La refonte de la délégation par la
création d’une chaîne hiérarchique revisitée invite chacun des cadres à rencontrer les équipes directe-
ment pour manifester leur attention à la santé, aux difficultés techniques et environnementales dues
à ces nouvelles formes de travail de chacun(e). « Rester proche en étant à distance » revient pour le
manager à réduire pour tou(te)s la complexité de la situation, ce qui selon Luhmann (2006) définit la
confiance ; confiance en l’avenir dans et de l’entreprise.

Le manager, créateur des relations


© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Hervé ANDORRE, Culture & Management, Vice-Président, 3 DS.com, Dassault-systèmes SE
Le lieu et le temps de travail qui étaient des repères clés n’ont plus de frontières aujourd’hui. Les
organisations sont de plus en plus mondialisées et supportées par des plateformes collaboratives.
Nous avons appris à travailler à distance sans avoir besoin, ni de lieu physique partagé, ni de durée
de travail commune fixe. Désormais les plateformes deviennent le lieu de travail, c’est-à-dire l’endroit
où la collaboration s’effectue. La journée de travail est quant à elle diffuse, ce qui importe ce sont les
jalons de synchronisation collective. Le management a progressivement appris à développer l’enga-
gement de chacun dans ce contexte, en s’appuyant sur les processus et les opérations de partage
collectif. Il orchestre la co-création de valeur des talents où qu’ils soient. La situation nouvelle liée à
la Covid-19 avec confinement, a poussé à l’extrême les modes de travail à distance et les capacités
d’adaptation des équipes. Dans cet environnement incertain, le management est plus que jamais, le
garant des relations individuelles et collectives, tant au sein de l’équipe qu’avec les autres équipes. Sa
capacité d’écoute des besoins individuels, des questionnements collectifs est clé. Grace à l’écoute et
au dialogue, il permet à chacun de mieux vivre et intégrer les paramètres et les challenges auxquels
le monde est confronté. Il a, indirectement ou pas, la mission de faire progresser les consciences
pour entretenir l’optimisme et catalyser les énergies vers les solutions durables. Le management de
demain comporte une mission humaniste.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 111


REGARDS CROISÉS

Au-delà des questions de distance,


pour un manager vraiment présent !
Fabien AREVALO, Fondateur et Directeur d’Altamedia, Suisse
A l’aube d’un deuxième confinement dans plusieurs pays européens, la question du télétravail va à
nouveau se trouver au centre des débats. Et avec elle l’interrogation sur la place du manager auprès
de ses équipes. Au printemps, beaucoup ont pensé qu’il serait plus difficile de « suivre » ses équipes
depuis la maison. La question n’était pourtant pas nouvelle, et tous les managers devant gérer des
équipes distantes avaient déjà dû y répondre. Il y a plus de 10 ans, j’ai ainsi été chargé d’accompagner
des responsables d’une compagnie d’assurance, qui avaient à gérer plusieurs agences disséminées
en Suisse romande. J’avais alors été surpris par l’absence de littérature francophone sur le sujet du
management à distance, au moment de préparer mes interventions. Lors du bilan de cette action,
nous nous étions aperçus que les outils de management étaient au final les mêmes que si l’équipe
se trouvait dans la même pièce que le dirigeant. Il fallait cependant être encore plus précis dans les
fixations d’objectifs, les accompagnements et les débriefings. Et surtout, au-delà de la présence
physique, il fallait travailler sur sa disponibilité et sa présence auprès des collaborateurs, en variant
les canaux et les fréquences selon les besoins de chacun. Il en va de même pour le management en
période de télétravail. La présence physique du manager ne manque pas forcément au collaborateur.
Son manque de disponibilité et de suivi, oui. Plus que la distance, c’est donc bien d’un manager vrai-
ment « présent » dont ont besoin les équipes.

Loin des yeux mais proches du cœur :


des managers en temps de pandémie !
Zeineb ATTIA, Présidente HR EXPO Tunisie
Empathie, solidarité, veille sociale, accompagnement et écoute deviennent les maîtres mots au-
jourd’hui pour arriver à manager des collaborateurs sous pression, contrainte, peur et angoisse, peur
de ne pas avoir la santé, peur de perdre des proches, peur d’être contaminé si on reste à proxi-
mité physiquement. En effet dans un contexte aussi complexe qu’incertain quoi de mieux qu’un
management par les valeurs qui peut pérenniser une entreprise, donner du sens à l’action, orienter
l’engagement des collaborateurs, renforcer la cohésion et glorifier l’humain mais aussi la maîtrise des
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


nouvelles technologies d’information et communication ainsi que les outils adaptés ? A vrai dire un
nouveau mode de travail s’est imposé à nous malgré nous et nous a obligés à nous adapter à une
nouvelle situation, à apprendre à travailler à distance et en ligne avec nos collègues tout en étant
loin d’eux et en évitant le risque de perception d’isolement. Toutefois cette gestion des équipes à
distance doit privilégier le lien avec l’entreprise et la communication continue, la bienveillance à conci-
lier avec l’exigence pour une qualité de vie au travail, éléments clés d’un climat social serein doivent
primer et nous rapprocher le plus possible afin d’appuyer un projet d’entreprise, trouver de nouveaux
leviers de motivation et engagement et adopter une stratégie de résilience. Les bénéfices de ce
management par les valeurs et une neutralité bienveillante mais aussi faisant appel à une intelligence
émotionnelle ont été prouvés par l’adhésion à cette pratique d’une centaine environ de DRHS tuni-
siens en ces temps de pandémie. De toute évidence il semble que cette approche idyllique peut avoir
des limites en termes de résultats et peut soulever beaucoup de débats mais elle mérite un intérêt
certain. Sollicités dans le cadre d’une enquête menée par l’association des DRH tunisiens Arforghe,
un bon nombre d’entre eux nous ont conté leurs exploits et mis en place des protocoles particuliers
de gestes barrières et de distanciation pour lutter contre ce virus qui nous a tous rendus fous et leur
a appris à changer de mindset et de culture, à accepter et s’approprier le changement et revisiter les
différentes facettes des pratiques RH telles que l’intégration de nouvelles recrues, la rémunération,
la formation et l’évaluation et les adapter à une exploitation en ligne mais aussi à réagir pour savoir

112 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


retenir des talents prêts à se volatiliser. Voici en fait un exemple de management à la Tunisienne qui
a concilié le télétravail en période de confinement et le management de proximité des collaborateurs.
Une approche de la psychologie positive leur a permis de résister et de maintenir des emplois dans
certaines entités tout en anticipant sur les contraintes et difficultés nouvelles pour une continuité
d’activité. Le principe de solidarité adopté avec une sensibilité RSE affirmée, tous les mécanismes
d’entraide ont été mis en place, un inventaire des tracas et inquiétudes des collaborateurs a été
effectué, les familles nécessiteuses ont été identifiées et ont bénéficié de subventions et petites
aides pour lutter contre ce virus et tous ceux qui ont souffert de risques psychosociaux ont été pris
en charge individuellement ainsi que leurs familles. Des réunions de travail en ligne et des suivis et
accompagnements des collaborateurs en continu ont été organisés tout en respectant la qualité de
vie au travail et le droit à la déconnexion dans certains cas. C’est ainsi qu’ils ont réussi à s’assurer de
la qualité du lien et des relations sociales en fédérant tous les acteurs concernés autour d’un sens
et d’un objectif commun celui de la résilience et en instaurant la confiance et l’ouverture aux idées
nouvelles garantes d’une performance économique et sociale.

Confinement : Comment concilier distance et proximité


Hervé AZOULAY, Directeur de sociétés
À l’heure d’un confinement général, de nombreux salariés ne peuvent plus se rendre sur leur lieu
de travail. Cette évolution signe-t-elle la fin de l’open-space et de nombreux déplacements ? Le télé-
travail se révèle être une alternative pour concilier confinement et activité professionnelle et répond
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


bien à certaines demandes des employés : réduction du temps de transport, conciliation vie profes-
sionnelle et vie personnelle. Les nouveaux outils numériques permettent aujourd’hui des utilisations
inconcevables hier (vidéo conférences, réseaux sociaux, partage de documents, chat…) et ils ont
permis l’émergence de nouvelles pratiques managériales pour pouvoir travailler à distance. Nous
savons que chaque catastrophe, notamment la Covid-19, amène un changement de culture et les
managers ne seront pas épargnés, ils vont devoir changer leur façon de penser. En effet, les avan-
tages du télétravail sont nombreux et pourtant on se heurte encore à des difficultés managériales :
culture du présentéisme, éclatement des collectifs de travail, risque d’isolement, etc. Mais au-delà du
calcul financier, la position d’une entreprise vis-à-vis du télétravail est certainement plus fondamen-
talement révélatrice de son modèle culturel : organisation pyramidale ou organisation en réseaux.
Pour les entreprises en réseaux, le télétravail est assez naturel car les réseaux reposent sur des idées
fortes, sur une vision commune des valeurs, sur le partage des connaissances et sur des convictions
humaines. Ils ont dans leurs gênes : la confiance, la créativité, l’initiative et l’engagement de tous.
Les managers vont donc être confrontés à cette nouvelle situation et devront faire évoluer leurs pra-
tiques pour exister dans les réseaux et les communautés. Le DRH va-t-il devenir « le directeur des
réseaux humains », avec pour objectif d’organiser les réseaux ? Que vont aussi devenir les relations
humaines ? Les DRH auront un rôle très important à jouer pour veiller à fixer des règles du jeu, des
règles de vie pour qu’elles restent acceptables pour tous, managers ou collaborateurs.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 113


REGARDS CROISÉS

Penser avec inquiétude au lendemain managérial


Ionut-Cosmin BALOI, Chargé d’enseignement à l’Université de Craiova, Roumanie
Le fardeau de l’impasse mondiale transforme la réalité des affaires en un paysage qui reconsidérera
les opérations et les interactions sociales. Il n’y a pas de place pour les rebelles de l’inertie, le prix
de l’incapacité à s’adapter étant exorbitant ; même pour les modèles d’affaires les plus robustes.
Les nouvelles coordonnées managériales apporteront encore plus de différences entre le travail des
cols blancs et des cols bleus. Principalement en repensant les règles d’aménagement des espaces,
donc d’ergonomie, et de respect des impératifs de la distanciation. Les cols blancs doivent passer
le test de résilience en ne souhaitant plus sortir de la zone de confort (médical). Cette catégorie doit
apprendre à se coordonner à l’aide de l’écran. L’ergonomie du lieu de travail se confond avec l’inti-
mité de la maison, mais elle apporte aussi la sensation angoissante du travail solitaire. Les cols bleus
auront du mal à comprendre que la solidarité et la cohésion exigées par les managers jusqu’à hier
ne signifient plus la proximité sociale. Au contraire, la densité organisationnelle sera amincie et les
gestes habituels seront sanctionnés : pas de gifles à l’épaule, pas de poignées de la main, pas de
câlins. Il ne sera pas possible de brouiller les distances grâce à une connexion numérique dans toutes
les divisions organisationnelles. L’espace et son aménagement deviennent des facteurs clés de suc-
cès. Un lendemain décourageant ou incitant, mais certainement sans précédent.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Le « PRO-VIBE » du management !
Céline BAREIL, Professeure titulaire, HEC Montréal
En ces temps d’incertitude, de surcharge mentale, d’inquiétudes et d’isolement, le manager doit
se rapprocher de son équipe autrement que physiquement. Savoir créer une « vibe » de proximité
auprès de ses collaborateurs est selon moi, un art à maîtriser. Vibrer au même diapason, créer une
ambiance, voilà l’idée ! Dans un contexte à distance, il importe de créer ce rapprochement qui fait
en sorte de faire sentir à l’autre qu’on l’appuie, qu’on s’en soucie et qu’il est important. Promouvoir
la « vibe », c’est l’essentiel du « pro-vibe » ! Si on le décline, l’acronyme « P.R.O.-V.I.B.E. » pourrait
signifier : P pour performance ; R pour respect ; O pour optimisme ; V pour valeurs humanistes ; I
pour inclusif ; B pour bienveillance et E pour émotion. Ainsi, un manager « pro-vibe » atteindra la per-
formance en valorisant les personnes, en leur démontrant du respect et de la bienveillance, en étant
un leader inclusif qui fait preuve d’optimisme face au futur. Il est sensible aux émotions qu’il transmet
et qu’il reçoit car il est intelligent émotionnellement. Le « pro-vibe » s’applique tant au sein d’une
équipe, qu’avec des collègues, des clients et des fournisseurs. Il ajoute de la profondeur à la qualité
des relations, si importante en ces temps de distanciation.

114 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Du commandement de proximité au management agile à distance
Capitaine Nicolas BARTHE, responsable du recrutement pour l’armée de Terre dans les Alpes-
Maritimes, enseignant-chercheur IMSG
Dans mon domaine RH, le recrutement pour l’armée de Terre, l’expérience du commandement en
opérations apporte au manager des capacités d’innovation, développe son leadership et son aptitude
à la prise de décision rapide. Le contexte actuel est propice pour mettre en œuvre ces compétences
initiées sur le terrain aux processus organisationnel et administratif. Pour répondre aux attentes de
la génération Z tout en respectant la marque employeur « armée de Terre », une mutation agile du
management s’est effectuée rapidement. L’innovation RH par le management à distance : l’utilisation
des moyens numériques nomades a remplacé le poste de travail du bureau, et par le management
de proximité : des objectifs avec rétro-planning, des points de situation quotidiens, des rappels heb-
domadaires des ordres s’est développée. Chaque collaborateur s’est adapté et est une force de pro-
positions. La première étape du processus du recrutement : préparation des pièces pour le dossier
et entretien collectif ont donc trouvé une solution virtuelle. Ainsi, un gain de temps et une augmen-
tation du nombre de participants sont observés. Cependant, l’humain étant au centre de l’institution
militaire, la seconde étape, l’entretien individuel est conservé, dans le respect de règles strictes
sanitaires. Durant cette période si particulière, du commandement de proximité au management à
distance le lien entre les collaborateurs ne s’est pas distendu et l’innovation est cultivée.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

Le goût de l’autonomie
Viviane de BEAUFORT, Professeure, ESSEC Business School
Le contexte lié au confinement #Covid a accéléré le travail à distance interpellant les entreprises sur
l’autonomie des collaborateurs et le rôle du management. Il semble que la majorité des salariés aient
parfaitement travaillé seuls malgré parfois des contraintes de famille lourdes, désireux de soutenir
leurs organisations mais questionnant dès lors le rôle des managers intermédiaires. De retour au
« bureau » le « business as usual » semble impossible car les salariés ont pour une large part pris
goût à l’autonomie et identifie l’intérêt de travailler à domicile au moins en partie. C’est dès lors un
management plus souple, collaboratif et base sur la confiance, la fixation d’objectifs et non le calcul
d’heures de présence qui s’impose.
Ceux qui ne prennent pas ce train et persistent en mode vertical et autoritaire risquent de payer cher
en termes de démotivation des équipes.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 115


REGARDS CROISÉS

Manager la proximité à distance : entre l’humain et la technologie


Togba BEHI, Directeur Central des Ressources Humaines, Compagnie Ivoirienne d’Electricité,
Abidjan, Côte d’Ivoire
Une pneumonie apparue en Chine s’est muée en une pandémie qui a bousculé tout sur son passage,
en faisant fi de toutes formes de distances : distance géographique, distance culturelle, voire linguis-
tique. La vitesse de propagation de la Covid-19 a fini par révéler à tous les peuples du monde qu’ils
n’ont jamais été aussi proches, alors que son intensité impose une distanciation physique. Dans un
tel climat anxiogène, le monde de l’entreprise s’est rappelé au bon souvenir du travail « nomade »
expérimenté avec le développement de l’Internet et qui tend à se généraliser sous le vocable du télé-
travail. Dès lors, la posture pour le manager consiste à être proche tout en étant loin physiquement.
Serait-ce une posture du style « loin des yeux, loin du cœur » ? Certainement pas ! Elle devrait être
plutôt de type « loin des yeux, près du cœur ». Car la proximité relationnelle apparaît comme une
réponse pertinente à la distance physique. Pourtant, cette dernière amplifie les attentes en raison des
manques qu’elle engendre. C’est pourquoi, la relation managériale devra se nourrir des notions de
distance et de proximité dans la mise en place d’une relation à la fois rassurante, exigeante et cohé-
rente. C’est même une occasion inouïe, pour le manager, de valoriser sa marque employeur à travers
une disponibilité à toute épreuve, sans paraître envahissant. Cette relation est rendue possible grâce
au développement rapide des outils numériques ou digitaux tels que Zoom, Teams, Skype, Facetime,
WhatsApp, etc. Dès lors, le premier défi pour le manager est de promouvoir un partage des objectifs
collectifs à atteindre, tout en responsabilisant chacun via une démarche personnalisée empreinte
d’autonomie. C’est un défi à la fois humain et technologique. Sur ce chemin, son principal levier
demeure la communication. Communiquer en toute transparence, en ces « temps qui tanguent »
pour donner du sens.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Managers à distance, tous artistes ?
Bouchra BENRAÏSS, Enseignant-Chercheur, Faculté des Sciences Juridiques, Économiques et
Sociales de Fès, Maroc
Le management des équipes à distance peut s’apparenter à un art, où le manager est un véritable
chef d’orchestre. Comme tout artiste se doit de se doter d’instruments de qualité bien accordés, le
manager d’une équipe à distance se dote d’outils de communication numériques adaptés à l’utilisa-
tion qui en sera faite – des outils sous-dimensionnés ou surdimensionnés compliqueront leur prise
en main et leur appropriation. Comme tout chef d’orchestre qui suit des partitions, le manager à
distance devrait suivre un cadre juridique clair et disponible. Tel un chef d’orchestre, le manager se
doit d’insuffler la motivation nécessaire pour encourager ses équipes. Comme dans tout orchestre,
chaque membre est indispensable au groupe, son travail doit être en harmonie avec celui des autres
membres pour que l’ensemble reflète et valorise le travail et les efforts de chacun. Les managers
peuvent mener « à la baguette » leurs équipes à distance, d’autres managers ont un véritable don
dans la maîtrise de l’art de la communication permettant de fédérer, impliquer et motiver les équipes
à distance.

116 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Vers un management proxidistant durable !
Laïla BENRAÏSS-NOAILLES, MCF-HDR, IAE, IRGO, Université de Bordeaux
Le télétravail massif a fait sauter les derniers « verrous » organisationnels et individuels. En l’absence
d’autres alternatives, tous les acteurs ont pu se montrer à la hauteur d’un tel défi, en se lançant
« sans filets » dans le travail à distance. Depuis, le télétravail partiel est devenu la règle, et le mana-
gement à distance mis en place dans l’urgence est à repenser pour un usage plus pérenne. Pour une
réussite durable, le management à distance devrait intégrer plus de proximité, une sorte de manage-
ment proxidistant en introduisant des jalons quotidiens et de vrais moments d’échanges valorisants
en usant des canaux de communication (qui favorisent l’échange – les emails ne sont pas à privilé-
gier), la proximité ainsi entretenue saura maintenir le sentiment d’appartenance (mis à l’épreuve par
la distance). Une plus grande proximité est la clé de tout management à distance réussi, à travers une
relation individuelle soignée et une cohésion d’équipe renforcée.

« La proximité » change de sens en temps de la Covid-19


Houcine BERBOU, Consultant Expert en RH & Professeur de l’Enseignement Supérieur,
Université Hassan 1er, ENCG-Settat-Maroc
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Nous assistons aujourd’hui à un changement de paradigme mental dans la préparation du futur à
venir pour penser l’après dans la continuité et pas seulement dans la disruptivité de cette crise.
Pour développer une certaine résilience, le management des hommes doit effectivement passer un
rééquilibrage entre le proche et le lointain. Aussi, la proximité managériale ne doit plus reposer sur
une volonté de contrôle de l’individu mais au contraire sur plus de « liberté » et d’« autonomie ». En
effet, il s’agit de rappeler par un encadrement bienveillant à retrouver un sens plus grand à l’effort
que suppose le travail. Un lien de conscience avec le collaborateur qui soit plus dans une attention
réelle à l’autre. Cela peut devenir un vrai facteur fort de résilience si cette proximité respectueuse
remplace toutes les discussions informelles qui en fait font le maillage du tissu de l’environnement
professionnel : discussions à la machine à café, lors de pauses cigarettes…Tous ces moments infor-
mels sont fondamentaux pour mieux comprendre le fonctionnement de l’entreprise (M. Crozier). Ils
manquent cruellement dans les réunions virtuelles où on se rencontre pour un but bien précis, et
très rarement pour socialiser. L’entre-deux que permettait la pause au travail renvoyait à une vraie
possibilité de proximité avec un lien sincère de conscience. On y retrouvait ce que contient le mot
proximité dans son étymologie latine « proximitas » d’« affinité », voire de « connivence ». Certes,
le télétravail permet la proximité du travail à la maison en évitant les heures de trajet, mais là aussi
cette proximité peut être envahissante si elle n’est pas bien gérée. Le télétravail peut être compatible
avec la résilience s’il fait partie de cette volonté de rapprochement de cœur avec le manager.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 117


REGARDS CROISÉS

Un management digital : Le ludique comme clef de voûte du succès 


Antoine BERTHEUX, ISMG, Genève, Suisse
Nous utilisons, en société moderne, très faiblement, l’aspect ludique pour transmettre des informa-
tions. Le travail, tire sa signification du mot souffrance, c'est-à-dire qu’on ne pourrait pas travailler,
être sérieux, sans souffrir. Dans le royaume animal, les animaux utilisent énormément le jeu pour
l’apprentissage. Lorsqu’on observe deux lionceaux, leur activité quotidienne se résume à un combat
l’un contre l’autre et à jouer à la bagarre. Ils s’attaquent tendrement mutuellement. Ils jouent à lon-
gueur de journée.
Si un lion, une fois adulte, ne maîtrise pas l’essentiel des techniques qu’il apprend lors de son enfance
par un jeu, la sentence pourrait lui être fatale. Il s’agirait, ici, de ne pas savoir tuer pour chasser,
manger et donc, subsister. Il s’agirait aussi, de ne pas pouvoir se défendre lors de la présence d’un
prédateur. Comprenons bien : pour éviter l’issue la plus définitive, qu’est la mort, le lion utilise le
jeu pour apprendre à se défendre. Il y a aujourd’hui la démocratisation des concepts managériaux
ludiques, avec les « happiness officier », le google management, le « bleisure ». Alors finalement, un
parallèle est vite fait entre réussite scolaire et professeurs qui sont appréciés par les jeunes étudiants.
Le ludique, le plaisir, sont de vrais leviers de performance intellectuelle. Donc ? Pourquoi ne pas les
inclure dans tous les outils de management d’autant plus à distance ? Évidemment, le support s’y
prête bien… la gamification managériale a de beaux jours devant elle.

Chacun chez soi mais chacun chez l’autre


Maëlys BEULQUE, Consultante SMO, Genève, Suisse
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


C’est toute l’ambivalence des réunions sur Zoom®, à la fois si loin parfois en termes de distance
géographique pure mais d’un autre côté si proche en ce qui concerne l’intimité. Une bibliothèque qui
apparaît en fond, une plante qui déborde du cadre, un animal de compagnie qui se montre, un range-
ment quelque peu désordonné, laisse à voir beaucoup plus que nous ne le pensons ou que nous sou-
haiterions en montrer à l’autre. L’autre, dans le sens de l’altérité, ce concept d’origine philosophique,
étant caractérisé ici comme nos collègues mais aussi nos managers. Comment dans les conditions
imposées par la crise récente est-il alors possible d’inventer un nouveau management, à la fois souple
et tolérant, qui évite l’intrusivité et reste dans le cadre professionnel, tout en évitant de juger ? Les
petites remarques désagréables et sournoises sont bien évidemment malvenues mais parfois une
inflexion de la voix, un haussement de sourcils ou un soupir peuvent en dire bien plus long que des
mots sur les pensées qui animent le manager. L’impassibilité et la froideur n’est pas non la solution
bien sûr, car c’est justement en étant le plus à distance que l’on manque le plus de contacts humains
voir même, si j’ose dire, de chaleur humaine. Pourquoi pas, dans ces conditions, essayer un manage-
ment collaboratif ? Ou l’accompagnement des collaborateurs se ferait en douceur, notamment pour
l’installation et la décoration d’un espace de travail dédié et propre à l’activité, chez soi, qui montre sa
personnalité sans en dévoiler trop de son quotidien. Cela permet à tous de se sentir à l’aise, y com-
pris les collègues derrière la caméra, pour qui le rôle de voyeur est malvenu, et qui préfèrent malgré
les kilomètres, rejouer un cadre de travail propice aux échanges professionnels plus conventionnels.

118 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Leadership inspirant et capacités individuelles
dans un monde nouveau
Mireille BLAESS, DRH Voisin Consulting
Dans un monde bouleversé par la crise sanitaire, des remises en cause profondes s’opèrent dans la
relation des individus au travail et dans la gestion des entreprises. Définitivement le leadership indis-
pensable valeur ajoutée dans la gestion de groupes, a occulté le management, au sens d’organiser,
gérer, qui fait partie d’une routine qu’une machine, l’IA fera pour nous (après) demain. En termes de
compétences, les profils gagnants seront ceux qui auront quatre capacités qui sont : – Gérer son
temps, prioriser ; – Gérer sa mémoire (surcharge mentale) ; – Développer son attention (concentra-
tion) ; – Renforcer son intention d’apprendre continuellement (devenir un « serial learner »).
La distance contribue à une certaine liberté qui nécessite aussi une responsabilisation individuelle
renforcée. La distance a généré également de l’innovation, de la créativité sur lesquels les entreprises
doivent capitaliser. Il s’agit donc pour les leaders de se monter inspirants, savoir écouter à distance,
développer une posture de coach, être attentif au bien-être des équipes avec bienveillance. Nous
pouvons nous interroger sur le devenir de la gestion dans les couloirs, à la machine à café, des jeux
politiques etc. Ce nouveau monde nous porterait il vers plus d’efficience collective et d’évaluation de
la contribution effective ?

La distance : un terrible révélateur du management !


Patrick BOUVARD, Rédacteur en chef de RH info, le média RH d’ADP France
Le contexte de la crise sanitaire contraint beaucoup d’entre nous à télétravailler, et donc à télé-mana-
ger, si telle est notre fonction. Soyons clair : le télé-management répond rigoureusement à la même
définition que le management ; ses problématiques de fond ne sont pas différentes ; et l’usage
des technologies comme vecteur plus important de communication n’affecte pas le sens même du
travail effectué. En clair : ceux qui redoutent le télé-management, au nom du manque de contrôle
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


qu’il induirait… sont probablement déjà de piètres managers « traditionnels ». Ceux qui ne sont pas
capables de structurer une relation de confiance et d’autonomie, et la responsabilité qui en découle…
font autant de mauvais managers que de mauvais télé-managers. Le management répond dans tous
les cas, en effet, à une définition précise : il est l’établissement de règles claires et communes qui
définissent les rapports et les comportements que sont censés développer des professionnels dans
l’exercice de leurs activités respectives. Il établit une structure stable, capable de supporter les varia-
tions d’environnement et les adaptations organisationnelles nécessaires. Ces règles répondent à
une formalisation explicite, permettant à chacun d’apprécier avec justesse sa marge de manœuvre,
son pouvoir d’initiative et les limites de ses responsabilités. Établir ces règles de telle sorte qu’elles
ne formalisent ni trop ni trop peu les rapports et les comportements des individus et des équipes
relève d’un art, parfois fort délicat, sur place comme à distance. Trop de formalisation produit un effet
inhibant et une passivité ; trop peu de formalisation conduit du flottement, de la démotivation et de
l’insatisfaction. On pourrait presque dire que la problématique du management peut se réduire au fait
de savoir ce qu’il faut formaliser et ce qu’il ne faut pas formaliser. Mais c’est vrai « sur place » comme
« à distance »… si ce n’est qu’à distance cette problématique est incontournable, alors que sur place
on peut gérer par l’arbitraire les défaillances d’un management mal ficelé. Bref, comme dirait Patrick
Storhaye, PDG de Flexity : « la distance n’est pas une raison pour faire plus de management, mais
bien une raison de plus pour le faire bien ».

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 119


REGARDS CROISÉS

Des modes de management novateurs ou le


management d’une mode temporaire
Jacques BROUILLET, Avocat au barreau de Paris, ACD AVOCATS
La Covid-19 nous invite à réviser certaines pratiques managériales pour mieux concilier vie privée
et vie professionnelle, distance et proximité, économie et social. Les DRH sont appelés à jouer un
rôle d’équilibristes entre ces objectifs apparemment opposés. Il m’apparaît que la Covid-19 devrait
conduire les DRH à s’appliquer à davantage considérer le salarié comme un SUJET (de droits indivi-
duels) et non seulement comme un OBJET de droits et de soins collectifs, à répudier les mesures
de préventions excessives dans la crainte de leur mise en cause de leur responsabilité (l’obligation
de sécurité) ainsi qu’une communication fondée sur la peur, qui conduisent toutes deux au rejet de
l’autre, à la méfiance, au repli sur soi…voir aux dénonciations. Il s’agit en quelque sorte de savoir-faire
un mix entre prévention et compréhension (pour ne pas dire compassion). La Covid-19 aura suscité
l’ouverture d’un débat sur les bienfaits et/ou méfaits du télétravail qui bouleverse non seulement l’or-
ganisation de l’entreprise mais aussi l’ensemble des relations sociales déjà polluées par les réseaux
sociaux, et perturbe l’équilibre vie privée /vie professionnelle. Elle entraîne la multiplication des négo-
ciations d’entreprises ou interprofessionnelles sur ce thème. Elle accélère aussi le passage à l’ère
de « l’entreprécariat » avec le développement de l’emploi indépendant, des micro-entrepreneurs…
sans oublier les plateformes au point qu’on peut se demander si on ne glisse pas vers « l’entreprise
virtuelle sans salariés » !
En conclusion, la Covid-19 peut avoir cet avantage de faire émerger les notions de solidarité, de res-
pect de l’autre ainsi que celui des règles de protection et de responsabilité collectives. C’est aux DRH
de résister aux critères exclusivement financiers des DAF !

Distance décédée, talents libérés


Mireille CHIDIAC EL HAJJ, Professor, Faculty of Business and Economics, Department of
Management, Lebanese University, Beyrouth, Liban
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Dans un monde changeant et volatil, l’identification précoce du potentiel et de la performance fait
partie de la plupart des stratégies de la gestion des talents. Identifier, développer et fidéliser les
talents internes a toujours constitué l’un des enjeux pertinents de toute entreprise. Les talents étant
l’un des facteurs clés de son succès. La Covid-19 a pourtant bouleversé les stratégies. Se préparer
à l’imprévu, développer suffisamment d’agilité et répondre de manière appropriée aux changements
environnementaux et organisationnels sont devenus une nécessité. Remodeler la « nine-box grid »
ou « la grille des talents » pourrait dans ce sens procurer des perspectives multiples sur les potentiels
des employés non explorées auparavant. Un troisième axe est ainsi à ajouter : celui de l’espace. Sans
aucun doute, le digital avait permis aux entreprises de se réinventer, mais il leur a fallu la pandémie
pour se métamorphoser ; changer la façon d’aborder l’emploi ; renforcer le télétravail et assurer une
transition sans précédent vers un travail plus flexible permettant aux compétences de travailler à dis-
tance. Les talents sont enfin libres ! Ils se déchainent géographiquement et physiquement. Une nou-
velle culture se construit, basée sur des technologies humanisées par le biais de la communication,
de la diversité cognitive et de nouvelles pratiques de travail assurant l’équité, l’égalité des sexes et la
non-exclusion de la femme. Malgré ses inconvénients, la pandémie a su offrir de nouvelles opportu-
nités à prendre en compte même après sa fin. C’est l’ère des talents qui permettra de construire un
écosystème dépassant les frontières des organisations.

120 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Du fordisme au cloudisme ou les vertus de l’ubiquité
Giovanni COSTA, Université de Padova, Italie
La conciliation entre distance et proximité est un oxymore, mais comme disait un vieux sage « quand
vous arrivez à un carrefour, prenez-le ! » En d’autres termes, le management doit vivre les contra-
dictions de nos jours. Heureusement, l’aide vient des infrastructures de connexion qui annulent les
distances et séparent le couple espace-temps. Nous sommes passés de l’unité de temps, de lieu et
d’action du théâtre classique à l’ubiquité de l’épopée postmoderne ; du temps linéaire de la physique
newtonienne au temps indéfini de la physique quantique ; de la séquentialité de la ligne d’assem-
blage à la simultanéité des chaînes de production globales ; de l’immobilité de l’usine fordiste au
nomadisme des réseaux du cloudisme (et de la pandémie). La distance n’est plus ce qu’elle était
autrefois et la proximité n’est pas encore celle du futur. Cependant, l’ubiquité et le nomadisme grâce
aux nouvelles technologies permettent à chacun de surmonter les contraintes d’espace et de temps,
de ne pas être lié à vie à un seul métier, d’être flexible, capable de bouger rapidement et de recom-
biner ses compétences, sans perdre en rigueur professionnel. Il y a peu de temps pour répondre à la
demande de nouvelles relations organisationnelles et marchandes, pour développer les interactions
personnelles en essayant d’arrêter le processus de leur banalisation quantitative. Cela implique sans
doute un changement radical du rôle du management, mais « ce n’est qu’un début… ».

La proximité, de François Rabelais à l’éthique du care


Patrick DAMBRON, Président IEAM
Se préoccuper de proximité, c’est s’interroger sur « la capacité de l’entreprise à “résonner” avec son
écosystème »1, note Benoît Meyronin, ce qui fait société et ouvre l’organisation sur un engagement
plus fort pour mieux faire entrer en résonance les collaborateurs avec le monde qui les entoure. C’est
aussi les prendre en considération pour qu’eux-mêmes prennent en considération leurs clients, ce
que l’expert des services notait déjà voici bien des années. La symétrie des attentions est apparue
comme le socle d’un rapprochement constructif entre collaborateur et client, tous deux impliqués
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


dans la réalisation du service. La proximité n’exprime pas seulement le « proche de chez soi », ce
que sous-tendent les services dits, justement, « de proximité ». Le curseur serviciel est plus globale-
ment placé dans le temps et l’espace, avec l’indispensable implication managériale qu’il requiert. « Il
faut voir dans les personnes avec lesquelles nous travaillons, partenaires internes comme externes,
non seulement le moyen d’arriver au résultat visé, mais aussi une fin en soi, c’est-à-dire le sujet de
notre attention bienveillante et, pour partie, gratuite » Ce propos d’Yves Chapot, gérant et directeur
financier du groupe Michelin, donne à voir l’approche marketing sous un angle plus ouvert, au-delà
des publicités aguicheuses et des promotions désuètes. La fabrication raisonnée d’un service tenant
compte du voisinage entre collaborateur et client donne son sens au marketing des services. Il est
d’autant plus utile que la qualité de la prestation en dépend. La proximité est donc au cœur de l’acte
serviciel. C’est en effet la proximité collaborateur-client et leur implication réciproque, engagée dans
un contexte particulier, qui structurent l’expérience client à laquelle répond l’expérience collaborateur,
thème développé avec pertinence par Benoît Meyronin. Penser l’action marketing dans le service,
c’est s’approcher de l’éthique du care dont parle l’auteur : enrichir les expériences en leur donnant du
sens, exprimer la bienveillance, prendre soin de l’autre. N’est-ce pas le médecin François Rabelais qui
écrivait : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » ?

1 Meyronin B. (2020), Manager l’expérience client-collaborateur. Vers l’éthique du care, Paris, Editions Dunod.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 121


REGARDS CROISÉS

Le sacré au service du maintien, à distance, de


la proximité étudiants/enseignants
Richard DELAYE-HABERMACHER, IMSG, Genève, PROPEDIA/ICD-BS
En 2003, Second Life, logiciel permettant à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans
un monde créé par les résidents voyait le jour. Séduit par ce projet ainsi que par les nombreuses
possibilités qu’offrait cette solution, j’ai aussitôt envisagé d’y créer une filiale, totalement dématé-
rialisée, de l’établissement que je dirigeais en Seine-Saint-Denis. Il est intéressant, aujourd’hui, avec
la situation de trouble que nous traversons, de se remémorer les diverses réactions, très souvent
hostiles, que j’ai été contraint d’essuyer. En effet, qu’il s’agisse des enseignants et des autres diri-
geants, il était encore inconcevable, il y a 17 ans, de se rendre dans une salle de cours, suivre les
enseignements de ses professeurs, passer les épreuves des partiels et pourquoi pas se voir remettre
son diplôme en ayant revêtu une identité numérique, l’avatar, bien connu des générations Y, Z et sui-
vantes puisqu’elles l’utilisent quotidiennement pour communiquer sur les réseaux sociaux et autres
outils de réalité virtuelle (RV). Or, ce qui est intéressant, c’est que l’avatar est, à l’origine, un concept
issu de l’hindouisme pour lequel il représente une « incarnation divine » descendue sur terre pour
sauver les mondes du désordre cosmique engendré par les démons. Si la période de confusion que
nous vivons peut être considérée comme « désordonnée », et elle l’est sans conteste, alors, nous
ne pouvons que saluer l’avènement de ce nouvel élan digital ainsi que l’utilisation massive desdits
avatars qui vont participer au sauvetage de nos institutions éducatives de démons d’un autre genre :
la Covid-19, certes, le manque de proximité qui provoque une rupture progressive des liens sociaux
et surtout d’une forme de sclérose qui s’est installée chez certains de nos pédagogues.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

Du télétravail subi au télétravail choisi


Raphaël DOUTREBENTE, DG, EUROPORTE
Les problématiques auront été multiples et les méthodes mises en œuvre auront été diverses dans
la mise en place du travail à distance. Cette période doit être comprise comme une opportunité pour
repenser les organisations et le rôle des managers dans ce contexte difficile. Cette période ne doit
pas servir à économiser des mètres carrés de bureaux au risque de casser l’esprit d’équipe. Cette
période est ainsi de repenser en consacrant le temps nécessaire aux hommes et aux femmes qui
doivent être rassurés dans leur quotidien loin des collègues et d’une ambiance chaleureuse. Le mana-
gement de proximité doit rester présent malgré les distances physiques et non sociales. La difficulté
est pour les salariés qui, ont pu garder leur emploi, d’être régulièrement écoutés et pris en compte
dans la gestion de leurs angoisses. L’histoire et les grandes crises nous apprennent que le passé doit
nous aider à mieux envisager l’avenir et comme le disait Churchill. Plus vous saurez regarder loin dans
le passé, plus vous verrez loin dans le futur.

122 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Alerte info : un méchant petit virus a frappé la planète Management !
Dominic DRILLON, HDR, Professeur Excellia Group, CeRIIM – Centre de Recherche en
Intelligence et Innovation
Dans le dernier catalogue de la prévention des risques, combien de gourou du Management avait
prédit ce qui allait se produire en cette année 2020 ? Quelles conséquences au niveau des organisa-
tions ? Quelle transformation ou quelle rupture allait devoir s’opérer dans la sphère du management ?
La pratique du travail à distance reçoit un coup d’accélérateur. Ses conséquences sont immenses sur
l’immobilier de bureau, sur les sièges sociaux des entreprises, leur localisation, sur la vie de famille où
le bureau s’invite dans le quotidien, sur la résidence, sur les transports… Les interactions humaines
sont des éléments essentiels à la survie. Rares sont ceux qui peuvent résister longtemps sans inter-
actions avec leur environnement ou alors dans une posture volontaire et généralement temporaire.
Le management à distance va donc devoir réinventer son futur pour évoluer d’un environnement
ritualisé, consacré au travail, à un environnement hybride où vont se côtoyer dans un espace virtuel et
réel les collègues de bureau, la famille, éventuellement les animaux de compagnie. La problématique
est simple : comment dans la réalisation d’un projet, concilier distance et proximité, réel et virtuel,
analogique et digital ? Comment maintenir une dynamique de groupe quand ses membres sont dis-
persés ? N’oublions pas que pour la communication qui est le liant et le carburant de la réussite du
management, plus de la moitié de l’information passe par le non verbal et des moments informels.
La réussite de ce changement reposera probablement par un bon équilibre (dosage) entre les deux
modes (proximité / distance) et l’invention de nouveaux « team building ». Les managers vont devoir
jongler entre objectifs individuels et collectifs partagés afin que chacun dispose d’une vision globale
de l’action commune et de sa propre responsabilité dans l’atteinte des résultats escomptés. Des
objectifs à atteindre dans des délais choisis, avec des modalités claires agiront comme un phare pour
de petites équipes autonomes. La réussite reposera sur trois valeurs à développer : la confiance,
l’engagement et la solidarité entre ses membres. Un point de vigilance toutefois, dans une observa-
tion antérieure d’une entreprise dont une unité fonctionnait déjà sur ce mode distanciel, le turn over
et le burn out étaient beaucoup plus important que chez des équipes au fonctionnement traditionnel.
Ceci est bien normal lorsque l’espace privé se mélange avec l’espace professionnel, lorsque la fron-
tière entre les temps de travail et de repos devient floue, lorsque tout individu a besoin de lien social.

Proximité et distance ne sont pas qu’une question spatiale !


Michelle DUPORT, Université Paul Valéry – Montpellier 3
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Le nouveau contexte fait référence aux confinements successifs imposés par la propagation d’un virus
et à la généralisation du travail à domicile. Comment manager à distance ? Comment maintenir un pro-
cessus de reliance et donc une proximité des équipes ? Comment organiser un management de proxi-
mité ? Ces questions se réfèrent à la seule dimension spatiale de la proximité comme de la distance.
En management, la proximité comme la distance ne peuvent se résumer à la seule question spatiale et
donc métrique. Proximité et distance peuvent être spatiales, temporelles, technologiques, sociocultu-
relles, socio-économiques… (Jacquinot, 1993) mais aussi cognitives, contextuelles, langagières (etc.).
Covid-19 ou pas, la mise en lien, l’organisation des relations entre différents acteurs sont inhérentes
au management. Et l’on peut dire que les organisations caractérisées par une fluidité des relations
ont naturellement recréé, avec des canaux différents, la proximité qui les particularisait. A contrario,
le confinement a pu servir de révélateur de pratiques dysfonctionnelles pour d’autres organisations.
Amenant les managers à réfléchir sur leurs pratiques. Difficile de rapprocher des acteurs à distance
quand la règle était celle de la séparation alors même qu’ils partageaient un espace commun.
Le management à distance reste du management et nécessite autant de proximité qu’en présentiel.
Le contexte de la crise sanitaire favorise la réflexion sur les pratiques managériales et représente une
opportunité à ne pas manquer de revenir à quelques fondamentaux du management. C’est notam-
ment une occasion de changer d’état d’esprit et de pratiquer un management de proximité durable
sous toutes ses formes.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 123


REGARDS CROISÉS

Management sous Covid-19 : si loin, si près


Dr Kofi John Idao EGBETO, Président d’INVESTEK GROUP, Lomé, Togo
Alors que l’infiniment petit n’a pas fini de tourmenter le corps médical qui se cherche encore dans
les méandres des formules chimiques aux fins de médicaments et de vaccins contre la pandémie, le
management au contraire semble trouver grâce à la révolution numérique, son verbe d’action : être si
loin et si près. En effet, les nouvelles technologies de l’information et de la communication (TIC), ont
permis au management de s’adapter au contexte actuel en initiant de nouvelles formes d’organisation
de travail à distance qui substitue généralement les lieux habituels de travail physiques aux domiciles
des travailleurs. Selon certaines études, le télétravail prend une dimension de plus en plus importante
dans le concert des nations. S’il est vrai que le management a réussi par le travail à distance à s’adap-
ter, il n’en demeure pas moins que la conciliation de la distance et de la proximité reste un défi majeur
à surmonter. Les facteurs clés pour relever ce défi résident à notre humble avis dans une définition
claire des modalités de télétravail ; le suivi des indicateurs de performance et des indicateurs de
satisfaction et de sociabilité ; l’optimisation de la charge du travail ; la traçabilité des informations avec
des réponses adaptées ; l’opérationnalité des outils de communication et la formation à leur usage.
L’avènement plus ou moins obligatoire du travail à distance n’est qu’à ses débuts. Lorsque l’efficacité
et la productivité rimeront de concert avec la vie de famille avec ses avantages, la dématérialisation
et la dé-spatialisation du travail deviendront désormais le nouveau crédo du management moderne.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

Lettre aux futurs managers de proximité,


source de future performance
Thierry FABIANI, MCF, Université de Corse
Il y a quelques semaines nous évoquions un monde volatile, incertain, complexe et ambigu. Voilà que
celui-ci nous rattrape. Vous aurez très bientôt, la responsabilité d’animer et de coordonner l’action de
collaborateurs. Votre rôle, essentiel, sera de tirer la richesse de la proximité. Il vous faudra pour cela,
faire preuve d’humilité, d’adaptabilité et d’audace, en permettant à toutes les singularités de s’expri-
mer. C’est ainsi, que votre organisation pourra trouver de nouveaux regards, lui permettant d’affronter
les incertitudes qui l’entourent. Le dirigeant cherche des regards nouveaux et doit pouvoir compter
sur vous pour lire autrement son environnement, sa façon d’aborder son activité et ses marchés. De
votre capacité à gérer la proximité dépend ainsi la compétitivité.

124 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Le retour du réel ?
Jean-Marie FESSLER, docteur en éthique médicale, ancien directeur d’hôpital et des
établissements de soins de la MGEN
En cette fin d’année 2020, l’incertitude pèse sur nombre d’impacts de la pandémie et de sa gestion,
tensions géopolitiques et sur la paix civile comprises. 250 millions d’emplois ont été détruits et un
milliard d’enfants partiellement déscolarisés. Des évolutions ont été accélérées par le télétravail et
les chaînes de valeur sont modifiées. Entreprises, élus locaux, associations, citoyens ont inventé des
actions solidaires. En revanche, la gouvernance verticale par les textes et les nombres a manifesté
impréparations et contradictions. La pandémie a soudainement modifié nos temporalités, les es-
paces, le partage entre les savoirs utiles – ceux des métiers – et les modèles abstraits des pouvoirs.
Du point de vue hospitalier et mutualiste, les immenses chantiers auxquels nous sommes mainte-
nant confrontés nécessitent d’abord de cesser les pratiques du management public et privé toxique.
La proximité est un état d’esprit qui invite à tisser les décisions en navette, à s’entraîner localement
à la surprise et au discernement de l’essentiel. Co-piloter avec celles et ceux qui savent faire devrait
s’imposer. Alors, nous serons crédibles pour construire un récit social libéré des artifices et des souf-
fleurs de braises et ouvert à l’invention d’une économie humaine.

« Boss Impact » ou plaidoyer pour un « manager-psy »


Corinne FORASACCO, Executive Coach, Directeur académique du Parcours « Coaching
Leadership & Change », ESSEC Business School
Toutes les enquêtes relatives à l’engagement des collaborateurs ou ayant trait à la prévention des
RPS mettent en relief le rôle clé du manager dans, non seulement la performance des équipes, mais
aussi la qualité de vie au travail, la fidélisation des collaborateurs, bref le désir de chacun(e) de s’inves-
tir dans son travail. Dans ce nouveau rôle du manager, une logique du « care » ou du « pendre soin »,
pouvant nous apparaître quelque peu décalée dans un univers professionnel, apparaît pourtant plus
essentielle que jamais. Son pivot en est une posture enrichie du manager. Mais à la fois l’apprentis-
sage de cette posture et la gestion de certains paradoxes qu’elle suppose rendent l’exercice parfois
difficile.
Le premier pas est de savoir donner corps à la proximité c'est-à-dire en substance, incarner la pré-
sence (physique ou distancielle) pour que chacun se sente à minima écouté et pris en compte comme
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


un personne dans toutes ses dimensions, et mieux encore, soutenu, accompagné et reconnu. Le
préalable en est logiquement d’être en capacité d’être « présent à soi-même ». Savoir prendre soin
des autres passe en effet par une meilleure conscience de soi-même et savoir prendre soin de soi.
Les vertus du feed-back par exemple en management ne repose pas seulement sur l’exercice effectif
d’une bonne pratique, expression de communication et de proximité. Elle repose aussi sur la capacité
du manager à exprimer une intériorité qui parle à l’autre, le fait avancer.
Le développement de ces compétences plus tournées vers l’autre, outre le « coaching de soi », fai-
sant sortir le manager de comportements automatiques pour des comportements dits stratégiques
(c'est-à-dire « choisis »), suppose les « gammes » d’un leadership plus responsable. Il va s’agir de
mieux décoder la complexité, simplifier le quotidien, détecter les besoin de ses collaborateurs y com-
pris les signaux d’une surcharge mentale, rassurer ses équipes tout en leur permettant de se projeter
quelque peu dans le temps (si ce n’est dans l’avenir).
Si la formule de « manager coach » paraît inappropriée car apposant des rôles et postures assez anti-
nomiques, nul doute que la manager doit veiller impérativement désormais à demeurer présent, en
conscience, à ses collaborateurs pour passer les turbulences que nous traversons. Nous parlons ici
de l’exercice d’un leadership à fort impact humain. Dans nos organisations et fonctionnements « tra-
ditionnels » le manager se doit d’élever « l’être » au même niveau que « le faire », un réel challenge
pourtant seul gage d’une véritable et précieuse « humanité ».

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 125


REGARDS CROISÉS

Serions-nous en train de trouver la « bonne


distance » grâce à nos « nouvelles proximités » ?
Hugo GAILLARD, Laboratoire ARGUMans, Le Mans Université
Concilier distance et proximité par le management, il y a ici un projet ambitieux ! La visée prescriptive
des sciences de gestion nous invite fréquemment à proposer des best practices, des recommanda-
tions managériales. Ainsi, par cette injonction quasi-épistémologique, les travaux en management
abordent fréquemment la dyade distance/proximité sous l’angle de la tension qu’il faudrait réduire.
Considérer la distance comme une voie pour prendre du recul sur le quotidien, constitue une oppor-
tunité nouvelle offerte aux managers. L’introduction (forcée) de la distance a pu permettre de mettre
au jour l’importance d’un collectif de travail aux échanges féconds, échanges que bon nombre de
managers se sont efforcés et s’efforcent de réintroduire, pour donner « un semblant de proximité ».
Mais finalement, ne s’agissait-il pas de nouvelles proximités ? Des proximités distantes, hybrides, où
la confrontation en face-à-face (le très en vogue F2F) est devenue l’exception qui permet d’accepter
la normalité de la distance, voire de l’absence. Sans tomber dans un discours prophétique sur les
vertus de la distance pour refaire collectif moins souvent mais mieux, il semble que le questionne-
ment managérial du temps et de l’espace soit reposé en de nouveaux termes. Plus spécifiquement,
il semble que l’individualisation des pratiques, des outils, et des discours managériaux, en particulier
RH, concernant le rapport au travail et au collectif, puissent (doivent ?) être renforcée, et ce sans
trop de risque de dislocation des équipes. Bien sûr, il restera des ajustements, et le temps du tout
distanciel a des airs de mythe et ne sera jamais un idéal, mais combien de bienfaits potentiels à cette
souplesse managériale du temps et de l’espace, face aux quelques défis techniques qu’il a fallu et
qu’il faut encore relever ? Nous sommes peut-être proches de trouver la bonne distance.

Le management par le vide


Jean-Michel GARRIGUES, associé BLD, RH et développement
L’imprévisibilité du confinement a mis en exergue les insuffisances de l’organisation, dans nombre
d’entreprises. Celles qui n’avaient pas consacré du temps et des moyens au pilotage prévisionnel
du management, notamment intermédiaire, ont connu des grands moments de solitude. Certes,
globalement, la plupart des acteurs ont fait preuve d’adaptabilité, de conscience professionnelle, de
bonne volonté, mais au prix de libertés avec les process de l’entreprise, et d’initiatives régulièrement
approximatives. Evidemment, tous ces manques flagrants, tous ces pragmatismes bienvenus, n’ont
pu être, en si peu de temps, réévalués dans la politique globale de ressources humaines de l’entre-
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


prise. La succession d’un confinement interminable, d’un été évanescent, et maintenant d’un retour
à un télétravail préconisé, a permis juste de gérer les urgences, sans avoir le temps de traiter le fond
du problème. Il n’en reste pas moins que, à défaut d’avoir su prévoir, il convient maintenant de gérer
les conséquences de ce contexte exceptionnel sur le fonctionnement général des rapports humains
au sein de l’organisation. En fait, peu des solutions adoptées sont sans incidence sur la marque em-
ployeur : le confinement nécessaire a laissé de profondes traces dans bien des familles, le télétravail
a souvent eu des effets contrastés (imposé à ceux qui n’en voulaient pas, refusé à ceux qui l’auraient
souhaité), les mesures sanitaires modifient considérablement le quotidien de travail, et le récent
couvre-feu interdit les traditionnels exutoires festifs de fin de journée ou de semaine. Comment réa-
gir ? Comment s’adapter ? Comment réussir à recréer du lien là où tout tend à le distendre ?
La réponse est simple à formuler, mais complexe à réaliser : installer la confiance, sans doute ce qui
manque le plus à l’entreprise postmoderne. Confiance des collaborateurs envers les dirigeants et les
parties prenantes (actionnaires, administrateurs), confiance des opérationnels envers leur encadre-
ment direct, confiance des managers envers leurs équipes délocalisées à domicile, notamment. Un
obstacle rédhibitoire se dresse sur la route des meilleures volontés pratiques : la contrainte du temps.
Car de moins en moins de salariés doivent réaliser de plus en plus de résultats en de moins en moins
de temps. Et, à ce titre, les managers n’ont plus le temps de faire autre chose que leur job technique

126 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


et du reporting permanent. Ainsi, ils ne peuvent réussir une mission qui par nature va demander du
temps : moins les collaborateurs sont sur place, moins leur lien avec l’entreprise est salarial, et plus
les managers doivent consacrer du temps à échanger, à épauler, à conseiller, à coordonner, à évaluer.
Ils devraient donc pouvoir se consacrer pleinement à ces missions d’impact humain essentiel. Jouer
leur rôle de courroie de transmission, de lubrifiant permanent de structure, d’autant plus dans des
organisations de projets, où des équipes restreintes se focalisent sur un objectif précis et mesurable.
Libérer et réhumaniser le management, voilà un facteur-clef de succès de l’entreprise post-pandé-
mique.

« Réunions-nous » à distance, tout en gardant un lien individualisé


Anita GERMOND, Adjust RH, Présidente IAS Océan Indien
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Notre territoire insulaire est marqué par de nombreuses spécificités dont celles d’un attachement
très fort pour les relations inter personnelles. Si dans le « oui n’a point bataille » (expression qui signi-
fie que l’on vous dira facilement « oui », pas pour vous faire plaisir mais pour ne pas rentrer dans le
débat ou en conflit), face à la personne vous lui accorderez une attention toute particulière et ainsi les
sentiments exprimés sont plus facilement perceptibles. Il est plus aisé de rebondir au regard d‘une
expression ou d’une attitude.
Alors comment entretenir ce lien si fort quand il est vécu contraint et forcé par le seul moyen permis
et autorisé, à distance ?
Dans notre organisation, notre modèle avant crise permettait à chacun d’entre nous de gérer son
temps, ses horaires et sa présence ou non au bureau. Un format qui semblait convenir à tous d’autant
que tous les outils ont été déployés dans ce sens. 
Force est de constater qu’à la sortie de ce premier confinement, ce modèle n’était pas suffisant. Les
uns et les autres ont vécu et même subi cette période avec un sentiment parfois d’iniquité. Les expli-
cations individuelles ne sont pas toujours rationnelles mais les ressentis sont bien réels.
Cette situation ne fait qu’accentuer une approche du management par l’individu. Il est possible de
penser un modèle d’organisation dans sa globalité mais dans son pilotage dès lors où l’humain est en
est la cheville ouvrière, il ne peut être piloté par une approche globale collective. 

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 127


REGARDS CROISÉS

Manager à l’ère de la Covid-19 : Entre respect


des distances et proximité humaine…
Olfa GRESELLE-ZAÏBET, MCF, LIRSA-HESAM, CNAM Paris
Toutes les études sur le management à distance aboutissent au même constat : plus on est en situa-
tion de distance, plus il faut faire de la proximité (Fonction RH, 2020)1. Dans cette période si particulière
que nous vivons, la crise de la Covid-19 a fait naître de nouvelles problématiques organisationnelles,
a amplifié certaines pratiques managériales, a révélé certaines situations de travail délicates et fait
apparaître certaines contraintes pour les collaborateurs. Cette épidémie conduit ainsi à des formes
de coordination de l’activité qui exigent de la distance. Au cœur d’injonctions paradoxales : conci-
lier bienveillance et exigence pour maintenir l’activité tout en préservant la qualité de vie au travail
des équipes, le management doit donc trouver ses marques virtuellement et organiser le télétravail
comme alternative légitime au travail en site. Réponse d’urgence éphémère, le télétravail s’installe et
perdure dans notre quotidien professionnel et personnel mais sans vraiment que les collaborateurs
ne soient concertés ni accompagnés et sans avoir réfléchi au flou autour des frontières profession-
nelles-personnelles. L’enjeu est de garder mobilisés durablement les collaborateurs. Bien souvent,
le lieu géographique du travail a été déplacé, mais pas son cadre institutionnel. Dans cette situation
de crise, ce n’est pas en soi la distance qui est problématique mais bien le risque de non adaptation
des processus organisationnels au nouveau contexte. Le manager doit ainsi faire des points d’étapes
pour créer un sentiment de proximité, maintenir la dynamique collective et reconnaître les nouvelles
compétences mobilisées par ses équipes malgré ce contexte en distanciel : 1) Informer (maintenir le
lien d’appartenance avec l’organisation : identité organisationnelle) ; 2) Échanger avec et entre colla-
borateurs (maintenir la cohésion et l’identité collectives) ; 3) Rassurer, soutenir et écouter (reconnaître
l’identité individuelle).
Le rôle de la relation managériale et de la pratique des managers de proximité sont centraux dans la
mise en œuvre du changement. La pandémie de la Covid-19 amène la manager à se dépasser (pro-
fessionnellement et humainement) et peut pousser les collaborateurs à se révéler ou au contraire se
replier sur soi…

1 Dejoux C., Pennaforte A., Condomines B., Greselle-Zaïbet O., Bender A-F., Storhaye P. (2020), Fonctions RH, Des
stratégies, métiers et outils en transformation, 5e édition, Pearson.

L’injonction quasi-paradoxale
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Alexandre GUILLARD, Co-animateur de l’agence des transformations & directeur du
développement de l’intelligence collective, Covéa
La question posée est d’une ardente actualité à ce moment où nous vivions un deuxième confine-
ment et la généralisation massive du télétravail. Ce dernier devient désormais obligatoire et porté à
100 % pour les activités qui le permettent. Pour le manager, se pose à nouveau la question de savoir
comment exercer le management à distance tout en gardant la proximité avec ses équipes. Mais,
ainsi reformulée, nous voyons bien que la question contient une injonction quasi-paradoxale : celle
de « concilier » distance et proximité, ce qui est physiquement impossible, sauf à être présent simul-
tanément à plusieurs endroits ou de basculer dans la physique quantique ! Certes, les technologies
comme la visio ou les applications utilisant la vidéo prétendent supprimer la distance et faire « comme
si » nous étions proches. Mais, il suffit d’une simple interruption de la visio-conférence, par exemple,
pour se rendre compte que la communication digitale constitue un autre espace et ne remplace pas la
proximité physique. Dès lors, comment résoudre le dilemme ? Prenons l’exemple d’une pratique par-
ticulièrement appréciée des managers sensibles aux principes du lean management : celle consistant
à aller fréquemment sur le terrain (ou « gemba walk » pour les initiés) afin de « voir » – les personnes,
le travail et les problèmes qu’ils rencontrent – (« go and see »). Dans le contexte de confinement et

128 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


de télétravail, comment vont-t-ils s’y prendre ? Avant d’aller trop vite à la solution, en leurs proposant
de faire de la visite terrain à distance (ou « remote gemba walk »), reposons les finalités de cette
pratique. Si nous nous référons au fameux modèle Toyota, il est possible d’en dénombrer au moins
quatre : 1. Montrer du respect, s’intéresser aux personnes et à leur travail. 2. Comprendre les obs-
tacles et les gaspillages qui les empêchent de donner pleinement la valeur ajoutée à leur travail.
3. Créer le consensus autour des problèmes à traiter ensemble. 4. Reconnaître les efforts accomplis
pour faire face aux défis (« kaizen »), et saluer les réussites sans oublier d’en informer les autres
équipes. En énonçant ces quatre finalités, il est facile de constater que certaines activités peuvent
s’accommoder d’un mode distanciel : par exemple, celle qui passe par le partage d’informations
comme la 4. En revanche, lorsqu’il s’agit d’appréhender le travail, les problèmes rencontrés par les
personnes dans leurs contextes comme pour 1 et 2, seule la présence sur le « vrai » terrain permet
d’y avoir accès et ne peut s’observer à distance.
Quelles décisions prendre alors ? D’une part, il s’agit d’intensifier en distanciel les usages qui le
permettent en utilisant les techniques de vidéo par exemple en mettant l’accent sur des enjeux
clefs comme les gestes sanitaires. D’autre part, il faut pouvoir continuer à accéder au terrain dans
des conditions de sécurité indispensables (pour le lean manager, la sécurité est primordiale, « safety
first »). Certes, cela requiert de l’organisation, de la pédagogie et une bonne dose de volonté pour
maintenir les visites de terrain à un rythme suffisant dans un contexte incertain. En conclusion, l’enjeu
principal est d’avoir des intentions claires et des attitudes constantes, gage de crédibilité et de proxi-
mité auprès de son équipe.

Coronavirus : La distanciation sociale, levier d’un


management par intelligence collective
Docteur Alexis HAKIZUMUKAMA, Assistant Chargé de cours, HEC Liège/ École de Gestion de
l’Université de Liège
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Les modèles classiques de management produisent de moins en moins les résultats attendus par les
organisations qui s’interrogent sur la manière d’adapter ou de repenser ces modèles. Cette interro-
gation qui date déjà de quelques années s’avère être un impératif à résoudre aujourd’hui plus qu’hier.
S’il est vrai que les revenus des clients ont véritablement été affectés la Covid-19, le grand défi reste
d’ordre organisationnel. En effet, la distance sociale, mesure phare de lutte contre la pandémie,
réduit la collaboration et la coopération entre collègues et le contrôle par la hiérarchie et la direction
(jeu de pouvoir). Dans ce contexte, comment concilier la distanciation sociale et la proximité profes-
sionnelle ? Pour y parvenir, nous suggérons de recourir au modèle managérial centré sur l’intelligence
collective. Ce modèle octroie la parole et le pouvoir aux différents acteurs, y compris ceux qui habi-
tuellement ne participent pas à la prise de décision. Ainsi, ces derniers apportent non seulement leurs
contributions dans le fonctionnement global de l’organisation mais aussi ils donnent plus de sens à ce
qu’ils font (plus d’implication et de motivation). Ce modèle managérial est donc une co-construction
de compromis fondée sur l’écoute mutuelle et la gestion des divergences d’intérêts qui en découlent.
Il suppose une réelle autonomie accordée à tous les acteurs. Les principaux ennemis du modèle sont
la pression de perte de temps et les conflits interpersonnels qui s’accentuent sur les lieux de travail.
Or, la distanciation sociale permet d’apaiser sensiblement ces relations conflictuelles et réduit ainsi
les pertes de temps alloués à la recherche de compromis pour aboutir au succès de ce modèle.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 129


REGARDS CROISÉS

Distimité du Manager : entre présence


augmentée et effacement assumé
Laurence HIRBEC, Responsable pédagogique programmes internationaux de leadership,
Formatrice en leadership et conduite du changement, Executive Coach, Thales

La quadrature du cercle des managers dans la tourmente de la crise sanitaire prend souvent la forme
de cette question : comment augmenter sa qualité de présence tout en étant plus souvent éloi-
gné géographiquement ? Comment donc conjuguer distance et proximité, voire intimité ? Plus que
jamais, ces notions se trouvent entremêlées, et un nouveau vocable pourrait trouver tout son sens :
la « distimité ». Il s’agit bien de pallier la distance physique par une forme d’intimité relationnelle qui
est une composante clé de la performance, à travers la confiance et la motivation qu’elle est sus-
ceptible de générer. En effet, le mot « présence » signifie bien plus que la présence physique, et le
mode présentiel n’implique pas la qualité de présence, tout comme le mode distanciel n’exclut pas la
présence consciente et pleine. Pour que le management à distance ne se transforme pas en contrôle
à distance, ni en prise d’otage à distance par la multiplication des réunions, les managers sont invités
à repenser et optimiser leur présence, tant vis-à-vis des collaborateurs, que vis-à-vis du collectif. Cela
les appelle à développer leur sens de l’écoute, de l’attention, afin d’affûter leur conscience des autres,
de leurs besoins, de leurs préoccupations et de leurs aspirations. Parmi ces besoins fondamentaux,
chacun a besoin de se sentir écouté, reconnu, contributeur d’un collectif mais aussi de disposer
d’une autonomie suffisante. Le rôle du manager consiste alors à nourrir ces différents besoins pour
créer les conditions de la motivation individuelle et de la cohésion collective, elles-mêmes sources de
performance. Ainsi, paradoxalement, cette présence augmentée du manager doit cohabiter avec une
forme d’effacement ayant pour objectif de responsabiliser les collaborateurs tout en leur permettant
de se développer et de gagner en autonomie. Cette posture qui allie une qualité de présence et un
retrait assumé requiert une habileté relationnelle qui sera de plus en plus précieuse à mesure que les
nouvelles pratiques de travail à distance se répandront de façon pérenne.

Distance entre les revenus, les jeunes pauvres et le contrat social


Jacques IGALENS, Professeur émérite Université de Toulouse Capitole, président de l’IAS
Dans notre pays, les 5 % de Français les plus riches ont une espérance de vie supérieure de treize
ans à celle des 5 % les plus pauvres. Ceci n’est qu’une facette des effets produits par la distance
entre les revenus. Proximité ou distance entre riches et pauvres produisent beaucoup d’autres effets
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


qui concernent toutes les dimensions de la vie sociale. Le logement, l’alimentation, la santé en sont
des composantes bien connues que l’Observatoire des inégalités (https://www.inegalites.fr/) docu-
mente régulièrement. On sait, notamment grâce aux travaux de T. Piketti, que ces disparités loin de
se réduire se sont accrues régulièrement et que nous vivons actuellement une période d’inégalité
sans équivalent. En France, la pauvreté des jeunes de 18 à 29 ans a augmenté de 50 % entre 2002 et
2017 et s’est certainement accélérée notamment avec l’apparition de la pandémie. Selon l’Observa-
toire précité, « les jeunes pauvres le sont surtout parce qu’ils sont des enfants de milieux populaires
ou des jeunes actifs peu qualifiés : leur pauvreté est pour une grande part liée à leur appartenance
à un milieu social et non à des accidents de la vie ». La France est pourtant un pays qui dispose de
nombreuses mesures sociales pour les jeunes, le RSA, l’APL, la garantie jeune, etc. La distance entre
jeunes riches et jeunes pauvres s’accroit malgré tout et, avec elle, le contrat social est menacé car
si la différence de richesse peut être si non acceptée mais du moins expliquée à l’âge de la retraite
(par les péripéties d’une vie active notamment) elle est insupportable chez les 18/25 ans. La notion
d’égalité des chances qui est à la base du contrat social républicain risque d’être remise en cause et
l’apparition d’une contestation de la société par les jeunes pauvres devrait être sérieusement envisa-
gée, non seulement par les pouvoirs publics mais aussi par les entreprises qui participent à l’exten-
sion de la pauvreté du fait de la pratique du travail précaire et des plateformes qui abusent du statut
de micro-entrepreneur ((Deliveroo, Uber, Glovo, Frichti,Taxify, Kapten, etc.).

130 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Les défis et enjeux du management post pandémie
Abdelkader JAMAL, Directeur, Alger Business School, Alger
L’irruption de la pandémie a pris de court toutes les organisations et a agi comme un sifflet de fin
de récréation pour les habitudes ancrées comme de véritables cultes indétrônables dont les modes
d’organisation et de fonctionnement. Dans certains pays par exemple le télétravail même s’il n’est
pas généralisé est non seulement appliqué mais aussi encadré par le droit du pays. Ce qui n’est pas le
cas en Algérie. L’immobilisation des activités à l’échelle du monde a poussé les organisations de tra-
vail a cherché les adaptations qui concilient la poursuite de l’activité avec un minimum de lien social.
En effet dans le processus de travail observé jusque-là nous retrouvons une place de plus en plus
importante conféré au lien social et à la proximité (de plus en plus d’occasions pour déjeuner, voyages
de motivation de teams buildings, pots, etc. Organisation du travail en open-space… Dans la gestion
des organisations les habitudes de briefing et débriefing sont devenues un vrai mode de gestion appli-
qué parfois au quotidien et sont l’occasion de retrouvailles de partages. Ces habitudes ne peuvent
plus avoir court en raison des protocoles sanitaires engageant la responsabilité juridique et sociale de
l’employeur. D’un autre coté le recours généralisé au télétravail n’est pas sans risque sur la famille,
le salarié, et l’État. En effet l’habitation n’a pas été réfléchi pour y travailler et par conséquent ni les
moyens de travail (mobilier conçu à cet effet, sa disposition, l’espace peut aussi ne pas s’y prêter) ni
les habitudes des autres membres de la famille partageant l’espace ne permettent un déroulement
efficient du procès de travail. Le management d’équipes va être confronté aux problèmes de contrôle
de la qualité de travail quand celui-ci se déroule au domicile du salarié surtout si la relation est directe
avec le client. Enfin, l’État lui aussi ne peut rester sans adapter son mode de contrôle de l’activité
en raison des risques liés au travail dissimulé et à tous les préjudices en découlant, en termes de
contrôle fiscal, parafiscal, des conditions de travail (inspection du travail.). L’effritement de ce lien
social va avoir des répercussions sur l’activité et la mobilisation des organisations syndicales les ame-
nant à adapter leur mode d’intervention au nouveau contexte qui est marqué par une réduction de la
présence des salariés sur le lieu de travail. Le style de gestion doit aussi être revisité pour encourager
la motivation et l’engagement des salariés sans recours au contrôle et aux rappels à l’ordre en raison
des nouvelles formes de travail. Il faudra réfléchir et agir pour être plus à l’écoute des salariés en rai-
son de nouvelles exigences que leur impose le protocole sanitaire aussi bien chez eux qu’en milieu
de travail surtout lorsque leurs parents, proches ont été contaminés par le coronavirus.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


La vague déferlante de l’appropriation des réunions
distancielles dans les tontines camerounaises
Emmanuel KAMDEM, Professeur des Universités, CÉRAME, ESSEC / CREMIA, IME, Université
de Douala, Cameroun

La crise pandémique de la Covid-19 a révélé un événement majeur et inédit permettant de conci-


lier la distance physique et la proximité sociale dans le management des tontines camerounaises.
Rappelons brièvement que la tontine est généralement définie comme une structure de solidarité, de
socialisation et d’épargne-investissement. Les membres sont des personnes qui souhaitent conver-
ger leurs efforts vers la création du capital social à travers des réseaux affinitaires. Le capital social
ainsi crée devient le vecteur majeur de la création du capital financier destiné au financement des
projets entrepreneuriaux. Depuis quelques années, ces tontines camerounaises fonctionnent comme
des structures de mobilisation des communautés diasporiques installées dans différentes régions du
monde (Europe, Amérique, Asie). Les membres de ces communautés ont ainsi la possibilité d’effec-
tuer, à destination du pays d’origine, des transferts financiers pour des investissements économique-
ment rentables, socialement utiles et sociétalement responsables. Par exemple, les chiffres récents
de la Banque mondiale montrent que ces transferts financiers diasporiques représentent environ

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 131


REGARDS CROISÉS

29,7 % de la totalité des transferts financiers vers l’Afrique (41,9 % pour les investissements directs
étrangers et 28,4 % pour les aides publiques au développement). Désormais, les membres des
tontines résidents au pays ou en diaspora réussissent à concilier la distance et la proximité, par la
communication virtuelle à travers les différentes plates-formes disponibles actuelles (Skype, Zoom,
Microsoft Teams). Le contexte pandémique critique actuel a accéléré l’appropriation, par les tontines
camerounaises, des réunions distancielles. Ces dernières ont des impacts managériaux et sociétaux
considérables qui permettent aux membres des tontines d’être désormais si distants et si proches.

Symphonie achronique : quand le chef d’orchestre cherche la mesure !


Assya KHIAT, Professeur, Université d’Oran, Algérie
Depuis la crise de la Covid-19, les essais de compréhension s’inscrivent hors du temps. Des tensions
perturbent le confort intellectuel des managers. « Une valse à mille temps » semble se dessiner
comme une solution par le télétravail tentant de concilier distance et proximité. Le télétravail semble
pour certains « déployé dans l’urgence, sans formation ni sans concertation » il s’agit plus d’une
solution à court terme qualifiée « de béquille temporaire et imparfaite imposée dans l’urgence. Bien
souvent, le lieu du travail a été déplacé, mais pas son cadre » (Mathias Baitan, Audric Mazziettti,
2020). C’est là, que se pose la question « Quel management pour concilier distance et proximité
dans le nouveau contexte ? » d’autant que la communication verbale / non verbale cède le pas à la
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


communication synchrone / asynchrone avec le risque d’incompréhension même si chacun dans son
registre codage/décodage avait parfaitement fait son travail (Barthélémy Chollet, 2014). Quel com-
mandement dans l’exercice donc du contrôle et de l’autorité ? Pour (Nicolas Rousseaux, 2014), « Le
leadership gagnant consiste à gérer la fluidité du grand écart entre distance, proximité, cadrage et
influence ». Ce faisant, le leadership stratégique consiste à piloter la confiance à distance (Bertrand
Jouvenot, 2020), « la confiance est le ciment des équipes les plus efficaces. Son management s’ins-
crit aujourd’hui dans une nouvelle réalité liée au télétravail de masse » au risque de voir s’installer le
sentiment de peur, de désengagement, de fuite de responsabilité. Les fondements du marketing que
sont l’écoute active, l’empathie, le sens de la négociation sont autant de clés de lecture sur la portée
pour le chef d’orchestre. Voilà le temps du « trust quotient ». C’est ce à quoi nous invite Bertrand
Jouvenot quand il conclut sur l’idée qu’après le QI et le QE vient le temps QC. La Covid-19 devient
alors, un test de confiance et de maturité managériale (Paule Boffa-Comby, 2020), au service de la
cohésion entre les collaborateurs.
1   https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/06/30474-le-management-de-proximite-a-lepreuve-de-la-distance
2   https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/02/1431-equipes-virtuelles-defis-reels-comment-manager-distance
3   https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2014/01/407-autorite-controle-proximite-que-devient-le-commandement
4  https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/10/31679-piloter-la-confiance-a-distance
5  https://www.hbrfrance.fr/chroniques-experts/2020/06/30538-la-crise-du-covid-19-un-test-de-confiance-et-de-maturite-
manageriale

132 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Post Covid-19 : l’arrivée du management hybride ?
Eileen Eunkyul KIM, Director, fourdice consulting, New York, USA
Jean-Jacques DANDRIEUX, Managing director, fourdice consulting. New York, USA
Le nouveau contexte (Covid) génère déjà de nouvelles organisations construites autour de la dis-
tanciation. Ces dernières seront poursuivies après la maîtrise de la pandémie. En fin de compte, fin
quasi définitive du papier, des bureaux, des voyages d’affaires… Tous nous seront Googlisés, et les
managers n’ont qu’à se référer au modèle existant : Un grand superviseur de dossiers numériques…
rendus dans les temps, le grand prêtre du calendrier des vidéo conférences, qui aura comme principal
collaborateur un DSI spécialisé en réseaux et au budget sans limite ! Et pourtant ! Si de nombreuses
activités pourront rejoindre ce nouvel éden, une grande partie de l’industrie, des services à forte
proximité humaine ne pourront rentrer dans ce monde de la distanciation. Donc, si le modèle de la
proximité avec ses organisations, ses rites et ses usages se transforme profondément, il n’en res-
tera pas moins toujours aussi présent. Le manager va devoir gérer désormais les 2 modèles. Celui
de la distanciation est le challenge. Un changement de paradigme ? Oui, mais à géométrie variable
conditionné selon l’industrie. Il est primordial, donc, de faciliter, de concilier, les interactions humaines
en utilisant la technologie comme outil et non comme fin en soi. Nous allons vers un management
de plus en plus horizontal sur le plan des interactions humaines mais plus hiérarchique sur le plan
légal : pare-feu efficaces, et évaluation des KPI (Key Perfomance Indicator) rigoureuse. De plus il
faut prendre en compte, la gestion RH qui, sans présence sociale dans un lieu de travail, perdra en
synergie d’équipe pour des activités créatives ou de développement en stratégie. Le case study
de Business School à résoudre en groupe peut devenir moins dynamique et fastidieux donc moins
innovant. Sur un plan logistique, il est primordial de standardiser les méthodes de communication et
de management en utilisant des systèmes traçables mais pas trop invasifs pour laisser aux équipes
une certaine marge de manœuvre et de décisions. Par exemple, un system de traçage trop rigoureux
peu effrayer la prise de décision et rendre le brainstorming souvent difficilement quantifiable par des
systèmes IT, dangereux. Le manager doit avant tout faire preuve de pragmatisme et, tout en adaptant
son style de management, rester à l’écoute du client et des stakeholders coute que coute. Il est donc
impératif que les solutions soient sanitairement confortables pour les employées mais améliorant la
relation client et créatrice de valeur pour les actionnaires. Un piège, dangereux dans lequel, beau-
coup de grands groupes peuvent tomber, est le coupé-collé des méthodologies managériales des
géants de la Tech. Rappelons-nous que Google and Co sont dématérialisés depuis leur genèse, donc
ce changement ne les impacts que marginalement. De plus il faut garder en mémoire et préparer la
sortie de la crise sanitaire vers des systèmes de management hybrides entre le tout bureau et le tout
télétravail ; la gestion actuelle tirera les leçons et décidera de l’avenir, beaucoup plus hétéroclite, du
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


management moderne. Il est évident que nous sortirons de cette crise blessés mais ayant appris et
adopté de nouvelles façons de travailler, dans un timing record. Il est donc nécessaire de documenter
notre progression et nos challenges managériaux, pour mieux les corriger et les inscrire dans le long
terme.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 133


REGARDS CROISÉS

Travailler à distance sans se connaître, c’est possible


Hubert LANDIER, consultant, Vice-président de l’IAS
La proximité ne se limite pas à la proximité géographique. C’est aussi la proximité à travers les valeurs
partagées et la participation à un projet commun. En mars et avril derniers, j’ai eu la chance de faire
partie d’une équipe dont les membres ne se connaissaient pas, ne s’étaient jamais rencontrés et
qui se retrouvaient néanmoins tous les jours par téléphone en vue de l’action à mener en commun.
Le processus était le suivant : 14h, briefing téléphonique avec la responsable d’activité (est ce que
tout le monde est là, répartition du travail, rappel des consignes) ; de 14h à 17h, chacun s’y colle (il
s’agit d’appels téléphoniques à des personnes confinées et isolées) ; 17h30, débriefing en présence
d’une psychologue. Comment est-ce possible ? Trois conditions. 1) Un objectif qui est clair (porter
assistance à des personnes en difficulté) ; 2) une préparation très soigneuse : chacun dispose de
consignes et d’un annuaire de numéros de téléphone à communiquer éventuellement aux personnes
contactées, d’un planning communiqué par e-mail la veille au soir, de fiches de présentation des per-
sonnes à contacter qui sera enrichie d’appel en appel ; 3) et un cadrage très rigoureux : chacun sait ce
qu’il a à faire et à ne pas faire, sachant qu’une petite formation lui a été dispensée préalablement par
Zoom. Et donc, ça marche. Mais je ne sais toujours pas qui sont Magali et Jacques. Par contre, quand
je vois comment les entreprises s’empêtrent avec le télétravail, je suis tenté de sourire.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

Entre distance technologique et proximité relationnelle :


vers le management phygital
Pascal LARDELLIER, Professeur, Université de Bourgogne
Le management souhaitant concilier distance et proximité doit tenir compte à la fois les évolutions
technologiques et les évolutions sociétales actuelles, tout en s’adaptant aux exigences de la crise
sanitaire. À ce titre ce management doit être comme le marketing du même nom : « phygital ».
« Physique » car le pouvoir est un moment « forcément » présent. Et seule la présence, « l’incar-
nation » du leadership en un leader fait sens pour les collaborateurs. Et puis l’oublions pas que la
présence est un don fait à autrui, a present en anglais. Mais il est « digital », aussi, car de plus en
plus c’est à distance que l’on va manager le management. « Phygital » et agile aussi, à haute valeur
technologique mais aussi symbolique ajoutée. Ce management anticipe celui du « monde d’après »,
humaniste, pragmatique et technologique, il est en quelque sorte un « management 3.0 ».

134 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Télétravail ou l’éloge de l’adaptation à marche forcée
Damien LEBAS, Consultant / Formateur Management & Conduite du changement, DL
Management
Le télétravail aura eu le mérite de faire la lumière sur deux aspects ; la confiance et la communication,
deux facteurs clés de la posture managériale en général, encore plus nécessaires en cette période
d’incertitude et de doute. A la fois précis sur les livrables et confiant sur le travail de son équipe, le
manager performant sera celui qui saura trouver la bonne distance avec son équipe, et chacun des
membres de celle-ci. Dans ce contexte, faire confiance c’est être capable de doser avec subtilité
les phases de mise à distance, d’invitation à la créativité, d’intérêt sur sa manière de faire, et de
contrôle du travail réalisé. Par l’implication de tous et la mise en place de rituels nous rappelant que
nous faisons partie d’une équipe, la communication permet de maintenir du lien et motiver l’équipe.
C’est aussi la capacité du manager à avoir une approche empathique, à écouter réellement pour com-
prendre afin d’aller chercher les collaborateurs là où ils sont, et adapter son mode de management
en fonction de chacun d’eux.
Les enseignements tirés de ces adaptations à marche forcée ont fait évoluer les pratiques managé-
riales, et grâce au télétravail, repositionné la confiance et la communication comme les principaux
leviers de performance.

e-dentité et e-dentification en contexte de travail virtuel :


le défi des e-managers face au confinement
Clémence LEBRE, doctorante en psychologie sociale des organisations
Pascal TISSERANT, Maître de conférences et Vice-Président égalité-diversité, Université de
Lorraine

Notre identité est mise à mal. En cause, le contexte de confinement et la généralisation du travail
à distance « forcé » qu’il implique. Le sentiment d’appartenance à l’organisation et/ou à l’équipe de
travail est alors fragilisé. Par voie de conséquence les liens interpersonnels se distendent, la qualité
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


de vie au travail se dégrade et la performance décroît. Dans un tel contexte où les conditions de vie
s’enchevêtrent intégralement dans celles du travail, les inégalités, en particulier sociales et de genre,
se renforcent singulièrement. Les échanges professionnels se restreignent à l’unique usage des TIC
au sein de l’espace privé, avec l’apparition de nouveaux outils et fonctionnalités qui ambitionnent de
faciliter les réunions à distance. Ainsi, pour faire face à ce nouveau contexte de travail, le e-manager
doit accompagner chaque membre de son équipe dans l’appropriation de ces outils, veiller constam-
ment au sentiment d’inclusion de chacun et tenir compte de la digitalisation de leurs identités. L’e-
dentité naît donc de cette perception d’un lien issu d’une relation virtuelle et à distance, entre la
personne et ses collaborateurs et collaboratrices, sa ou son manager, face à la réalité d’un contexte
qui disloque les équipes. C’est pourquoi, plus l’e-dentification au groupe, certes éclaté mais réuni
de la sorte, sera importante, plus la personne retirera de cette situation de travail une estime de soi
favorable et sera à même de recréer un sentiment de proximité avec son équipe. Le sentiment d’iso-
lement caractéristique du travail derrière l’écran ou le téléphone doit laisser la place à un véritable
sens du « nous ». Dans ce contexte de plus en plus récurrent, et plus particulièrement en période
de confinement, qui interdit toute proximité physique et restreint considérablement les espaces de
socialisation jusque dans la sphère privée et familiale, le travail peut devenir le principal espace de
maintien des identités. Dans cette perspective, le défi des e-managers est considérable puisqu’il en
va de la santé des individus, des organisations et de la société.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 135


REGARDS CROISÉS

Percussion, répercussions, et reconstruction du management


Jean-Pierre LE CAM, Change Master, Directeur Expert, Société Générale
Le nouveau contexte vient percuter le cadre managérial traditionnel. Ce cadre est souvent basé sur
une hiérarchie pyramidale nombreuse (4 à 8 strates entre collaborateurs et dirigeants), une unicité
du lieu de travail (le manager au milieu de son équipe en open-space), un management en command
control (manager expert en one to one avec ses collaborateurs sur le « comment » du travail). Garder
cet ancien cadre en place, en transposant (voir en « filmant » à distance (Skype, Zoom) les anciennes
pratiques, aggravent les travers du management traditionnel : sentiment de manque de direction,
incompréhensions sur le « pourquoi », manque de clarté du « qui fait quoi » amplifié quand les colla-
borateurs sont dispersés et à distance. Les répercussions sont pour le management de retrouver un
cadre, un ancrage, des rituels qui concilient distance et proximité, de mettre en œuvre un système
de management plus rapide, réactif, résilient. Tout en garantissant à ses collaborateurs un minimum
(au sens « consensus social ») sur la qualité de vie au travail, et en télétravail, et sur l’équilibre vie
privée vie professionnelle. La reconstruction du management passe par donner un nouveau sens au
management (coach plutôt qu’expert, investisseur plutôt que contrôleur), autonomiser ses équipes
(plus que de « raison traditionnelle »), faire décider collectivement, gérer sereinement les activités
malgré le contexte incertain. Cela veut dire concrètement qu’au-delà des rôles et responsabilités
traditionnellement définis, il doit être plus clairement et régulièrement challengé et partagé les rede-
vabilités et les délégations par équipe, par niveau managérial. A cet effet, les cycles de réunions et de
cérémonies sont cadencés et synchronisés, les protocoles de délégations et de décisions sont clairs
et partagés. Les leaders expliquent, donnent la direction, connectent les équipes, les experts, les par-
tenaires, et prennent en compte les facteurs de motivations de chaque collaborateur pour favoriser
performance et l’engagement de tous à distance… ou à proximité !

Générer des relations de confiance devient


© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


une nouvelle mission managériale
Véronique MONTAMAT, Directrice Marketing & Communication, Sopra HR
Le paradoxe de ce nouveau contexte d'organisation du travail est, pour le management, d'arriver à
concilier l’éloignement physiquement des collaborateurs tout en se rendant hautement disponible.
L'enjeu est donc de parvenir à développer cette proximité psychologique sans forcément travailler les
uns à côté des autres. La distance géographique exige d'entretenir une proximité psychologique dans
la relation entre les individus, basée sur un management par la confiance. Pour autant, la confiance
n'exclut pas le contrôle, mais ce n'est pas parce que l'on augmente la distance que l'on doit augmen-
ter le contrôle. Le défi est donc de trouver un juste équilibre entre contrôle et confiance.
Il appartient aussi au management de favoriser le lien social existant dans tous les collectifs profes-
sionnels. Un des enjeux de réussite dans une relation de travail à distance réside dans la capacité à
rapprocher les membres de l'équipe psychologiquement. On voit donc apparaître une nouvelle mis-
sion pour le manager : entretenir un climat de coopération et un sentiment d’appartenance.
Si de nouveaux modes de management émergent dans ce nouveau contexte, les collaborateurs aussi
doivent évoluer dans leurs interactions sociales au sein de l'entreprise, par la prise d'initiatives, la
bienveillance entre collègues pour favoriser la confiance managériale.

136 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Face à l’incertitude, un management de co-création
Jean-François NANTEL, Ingénieur, MBA, Enseignant ESSEC Executive Education
Bien sûr, tout dépend de la définition qu’on a du management pour pouvoir répondre à cette question.
Mais au-delà des variantes et des contingences reliées au secteur d’activité, d’abord, renonçons à
réussir du premier coup. Le succès dans ce nouveau contexte se bâtit au jour le jour en s’adaptant à
une réalité changeante et en apprenant de nos succès et de nos échecs, tant individuellement que
collectivement. Adoptons rapidement ce qui fonctionne et laissons tomber ce qui ne fonctionne pas.
En reconnaissant que ce contexte est nouveau pour tous, regardons de temps en temps ce qui fonc-
tionne ailleurs et adaptons-le aux spécificités du groupe ou de l’entreprise. Donc un management qui
encourage et facilite l’innovation, le partage et la prise de risque et qui s’inscrit dans l’amélioration
continue. Il faut aussi reconnaître que le contexte impose des changements parfois importants dans
les vies des collaborateurs. Donc garder en tête qu’il faut accompagner les individus dans ces chan-
gements qu’ils et elles vivent à des rythmes différents, dans des contextes différents et avec des
appétences différentes. Finalement, un management qui n’oublie personne en reconnaissant que
tous ne s’expriment pas avec la même facilité en allant vers les collaborateurs et en adaptant notre
communication à ces nouveaux besoins et aux nouveaux outils.

Deux concepts sont au cœur du décryptage des


situations de gestion : Proximité et distanciation
Hadj NEKKA, Rédacteur en chef de la revue RISO, Université d’Angers
Il est désormais bien connu que l’articulation entre proximité/distance, quel que soit le niveau d’ana-
lyse retenu (intra ou inter-organisationnel), constitue un moyen pertinent pour éclairer les différentes
situations de gestion. En effet, les deux concepts favorisent une analyse transversale et s’accom-
modent bien avec des analyses statiques et/ou dynamiques, ce qui permet des lectures riches de nos
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


organisations. Un management de la proximité et de la distance au-delà de ses qualités intrinsèques,
il devient indispensable dans un monde globalisé et technologiquement avancé. Un tel management
concerne tous les domaines de l’entreprise et en particulier la gestion des ressources humaine et
le marketing. Dans ces domaines comme ailleurs, la reconquête de la performance passe souvent
par le développement de plus de proximité. Surtout là où l’entreprise a laissé volontairement ou
involontairement s’installer une certaine distance avec les personnes. C’est le cas en GRH lorsqu’il
s’agit de retrouver une proximité avec les salariés, indispensable à la promotion du dialogue social, à
la prévention des conflits et des crises sociales, voir sociétales. C’est le cas également en marketing,
parce qu’il faut retrouver la proximité avec le client afin de pouvoir mieux le satisfaire et le fidéliser et
se protéger de la concurrence. Ainsi, la proximité est un état qu’il faut exploiter pour gérer les orga-
nisations. En ce sens, elle doit être considérée comme une ressource qui peut s’avérer stratégique
pour comprendre et gérer les situations de plus en plus complexes de gestion. Par ailleurs, dans un
monde caractérisé par l’individualisme, il n’est plus possible de considérer la proximité comme une
voie facilitant le management et qu’à tous les coups on peut la mettre à profit de l’entreprise : une
étude menée par deux chercheurs de Harvard a par exemple démontré que l’Open Space réduisait
de 70 % les échanges entre collaborateurs. Ainsi, nous insistons sur le fait que la proximité et la
distanciation soient des moyens de diagnostic des situations de gestion et ne pas se précipiter à en
faire des pistes de solutions.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 137


REGARDS CROISÉS

La saine distance : une affaire de perspectives


Jean-Pierre NEVEU, Professeur, Université de Pau et des pays de l’Adour
Fin 2016, une enquête de la CFDT indiquait un mécontentement massif (82 % d’un échantillon de
123 500 salariés) à l’encontre d’un encadrement perçu comme bridant l’autonomie individuelle au
travail. Autrement dit, le problème de la « saine », ou « bonne », distance avec la hiérarchie ne
semble pas très nouveau. De surcroît, dans un monde connecté de travail à distance, la temporalité
des rapports n’est plus limitée aux heures de travail en présentiel : par mail et téléphone, la distance
a rattrapé l’intimité de l’expérience quotidienne. Ne plus voir son encadrement ne signifie pas ne plus
entendre parler de lui, surtout quand se jugeant indispensable, celui-ci ne cesse de vouloir imposer sa
tutelle pavée de bonnes intentions (dans le meilleur des cas). Le management d’une distance appro-
priée entre salariés me semble ainsi relever de trois indicateurs : le professionnalisme (l’intelligence
du métier), la santé psychologique (la gestion par les décideurs de leurs propres névroses), et le
savoir-vivre (le respect minimal d’une civilité autrefois appelée « politesse »). Covid-19 ou pas, le
contexte change, mais dans la continuité de rapports sociaux fluides échappant à la chimère d’un
étalonnage optimal.

L’ontogénèse doit dorénavant compter avec la technologie


Philippe PACHE, Psychologue, professeur de RH, Genève
Le management dans le contexte actuel de crise s’articule autour de 3 stratégies principales avec les-
quelles l’individu compose depuis ses origines : le maintien à distance en cas de danger, l’intégration
au sein d’un groupe donné permettant de bénéficier de sécurité et l’assimilation de nouvelles pra-
tiques et concepts lui permettant de s’adapter. Les évolutions technologiques dont nous bénéficions
aujourd’hui, permettent d’une part de s’affranchir des notions de distance et de très nettement accé-
lérer les cycles de la communication tant au niveau de la relation que du contenu. Les composantes
de l’ontogénèse s’en trouvent modifiées. Les managers d’aujourd’hui qui accompagnent les individus
dans ce nouveau contexte sont donc amenés à : – choisir des outils et technologies permettant
d’accroître l’agilité tout en fédérant autour de leur utilisation ; – jouer un rôle de réducteur de bruit
face un flux d’information continu et à souligner les éléments relevant ; – Accélérer l’intégration de
ces outils en encourageant les acteurs, leurs initiatives et en limitant la résistance au changement.
Ainsi, adaptabilité et agilité deviennent les éléments clefs ; l’individu assimilant les technologies qui
lui permettent d’écrire son histoire évolutive.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Travail à distance : pour que la (res)source ne se tarisse…
Michel PAILLET, Docteur en sciences de gestion
« S’il nous fallait créer pour la première fois dans l’échange chacun de nos énoncés, cet échange
serait impossible ». Pour Bakhtine repris par Clot, les rapports entre le sujet, la langue et le monde
ne sont pas directs. Ils se manifestent dans des genres de discours, « stock d’énoncés attendus,
prototypes des manières de dire ou de ne pas dire dans un espace-temps socio-discursif ». Cette
mémoire transpersonnelle « règlent les rapports aux objets et entre les personnes ». Aussi invisible
qu’indispensable, sa puissance est au cœur de l’action collective efficace. Même avec l’apport des
technologies à distance, les 140 000 salariés de l’assurance qui, en l’espace d’un week-end de Mars,
ont basculé dans le télétravail n’auraient pu faire sens des situations et assurer la continuité du ser-
vice s’ils n’avaient emporté avec eux le genre professionnel dans leur salon ou dans leur cuisine. En
même temps qu’il est ressource pour les individus, le genre professionnel est un produit de l’activité
collective. Le travail à distance a ainsi pu tirer sur un capital déjà constitué par l’activité collective sur
site. Pour prévenir un délitement ou une nécrose, le management doit s’inquiéter de savoir comment,
dans les environnements hybrides, le genre professionnel s’entretient et se renouvelle. Pour s’empa-
rer de cet objet, il devrait trouver dans les concepts et méthodes de la clinique de l’activité (Clot) une
inspiration bien utile.

138 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Tu es loin, et je t’aime…
André PERRET, Rédacteur en chef de MAG’RH
Quel sale temps pour les managers qui ne se sentent bien qu’en comptant les troupes présentes
le matin. Ah, faire l’appel et s’apprêter à sanctionner le retardataire… La Covid les a déstabilisés,
surtout lorsque l’ordre est venu d’en haut, « il faut qu’ils travaillent chez eux ! ». On a vu apparaître
des logiciels « espions » qui renseignent sur la présence effective derrière l’écran, et des coups de
fil inopinés, juste pour savoir… mais surtout on s’est rendu compte du désarroi des N+ face à une
question existentielle : « à quoi je sers ? ». Lorsque vos enfants, votre conjoint, votre ami partent en
déplacement, les aimez-vous moins pour autant ? N’êtes-vous pas présent au premier appel de dé-
tresse ? Votre aide et votre appui sont alors dimensionnés et c’est la confiance et l’écoute qui feront
le reste. Pour le « managé » votre rôle était de le préparer à assumer cette autonomie. Si ce n’est
pas le cas, il y a du retard à rattraper pour éviter le burn-out. Voilà votre priorité. En fait le distanciel ne
fait qu’exacerber les bonnes et mauvaises pratiques managériales. Il existe des managers qui doivent
laisser une partie « contrôle » au vestiaire et des managers « abusifs » qui doivent laisser s’envoler
leur progéniture. Oui, il faut revenir à la notion d’objectif négocié et accepté, avec les moyens alloués
nécessaires, quant à la forme, « fichons-leur la paix » et soyons présent lorsqu’ils en auront besoin…
ils (elles) le valent bien !

Concilier distance et proximité : plaidoyer pour la logistique inverse


© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Yvon PESQUEUX, Professeur, CNAM, Paris
La logistique inverse est un enjeu majeur de la tension entre l’entreprise et la société, tension mani-
feste depuis l’Accord de Paris de 2015 et la pandémie Covid-19, enjeu dont le projet est de concilier
distance et proximité. La logistique inverse concerne trois types de flux de marchandises : les retours
de marchandises (comme les invendus ou les produits en fin de vie), le service après-vente (tests,
réparations, échanges) et le recyclage qui peut s’inscrire dans le champ de la « logistique territoriale
durable » et dans celui de la « logistique verte ». Elle recherche, tout en améliorant la productivité, à
économiser les ressources et à éliminer et traiter les déchets dont l’objectif est de réduire l’utilisation
de ressources, compte-tenu des différents types d’emballages (cartons, verres, palettes etc.) et de
l’effet rebond lié à la multiplication des transports. Rappelons à titre d’exemple les opérations initiées
par certaines enseignes pour inciter aux retours à l’initiative des consommateurs (H&M, Séphora).
Avec la logistique inverse, il faut faire la différence entre les « retours après achat » dont les béné-
fices sont la fidélité du client, l’« attractivité tarifaire » nécessaire à la réparation et les « retours après
consommation » dont les bénéfices sont la compétitivité sur les coûts par les économies réalisées
en production par la réutilisation des matières ou des pièces. C’est tout cela qui fait de la logistique
inverse un enjeu du management de la conciliation entre distance et proximité jusqu’à pouvoir même
en faire un véritable « modèle organisationnel ».

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 139


REGARDS CROISÉS

En temps de crise, la qualité de la motivation des


télétravailleurs dépend des adaptations des organisations
de travail et de l’exercice du leadership
Mathieu PETIT, Toulouse School of Management
Le recours au télétravail, imposé à la plupart des organisations pour lutter contre le coronavirus, inter-
roge les adaptations des pratiques de management à mettre en œuvre notamment en matière de
gestion de la motivation des salariés travaillant à distance.
Les travaux de recherche de deux experts en psychologie : Richard Ryan et Edward Deci – repris
dans la théorie de l’auto-détermination qu’ils ont créée – permettent de comprendre les mécanismes
conduisant à la motivation et au bien-être psychologique des salariés et il n’y a pas de raison que le
contexte actuel y fasse exception.
Selon Ryan & Deci, les salariés fonctionnent de manière optimale et ressentent du bien-être si leurs
besoins d’autonomie, de compétence et d’appartenance sociale sont satisfaits. En cas de non-satis-
faction d’au moins un de ces besoins, leur fonctionnement s’en trouvera perturbé et leur bien-être
diminuera. La satisfaction de ces besoins est influencée par l’action d’un ou plusieurs de ces trois
leviers : l’organisation du travail, le leadership et la rémunération.
En plus des contraintes du télétravail qui bouleverse notamment les rapports entre les individus et im-
plique l’adaptation d’espaces privés aux exigences du travail, les marges des organisations en termes
de rémunération sont actuellement faibles. C’est pourquoi, les adaptations de l’organisation du travail
et de l’exercice du leadership apparaissent décisives pour assurer la satisfaction des besoins des
salariés et maintenir un bon niveau de motivation.
Concrètement, cela peut par exemple être des formations sensibilisant les managers à la nécessité
de soutenir leur équipe, de soutenir l’autonomie des collaborateurs qui les composent, de favoriser
le sentiment d’appartenance sociale, des primes d’aménagement de poste de travail à domicile…
Toutes ces adaptations doivent être le résultat d’une réflexion propre à chaque organisation en fonc-
tion de ses caractéristiques singulières.

De la proximité du postillon au « care augmenté »


Frédéric PETITBON, People & Organisation, PWC | Consulting | Associé
On peut être plus proche de son équipe à distance qu’à portée de postillon. L’organisation managé-
riale reste trop souvent marqué par ce que nous a légué l’organisation de l’usine : un même espace-
temps, un lieu unique pour travailler et le chef qui, dans un fonctionnement « en étoile » peut donner
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


ses instructions ou remonter les informations avec des équipiers à portée de main, à portée de
postillon.
Crise sanitaire et télétravail nous permettent, enfin, de déconnecter la proximité de la seule présence
physique. Et d’ailleurs nous ne nous en trouverons pas plus mal : la proximité c’est aussi la capacité
à prendre des décisions individualisées ; c’est l’écoute et la compréhension, avec une vraie empa-
thie ; c’est le partage des enjeux ; c’est le partage d’un même langage… (Julie Bastianutti et Frédéric
Petitbon, La Proximité, une stratégie ! Six questions pour mettre l’homme au coeur de l’entreprise,
Dunod, 2015).
Une tendance forte avec la crise sanitaire, l’émergence du « care augmenté », En français : une
organisation de la relation en « multi-canal », de la visio à la réunion in situ, de l’enquête flash sur
l’humeur de la journée à l’explicitation et le partage du plan de travail de la semaine, avec en mots
clés l’importance de la relation – je m’intéresse à toi et je m’intéresse aux antres – et la transparence
dans l’organisation collective.
Transformation majeure pour le manager de proximité : il n’est plus au centre de la toile, il rend
possible une organisation du travail partagée pour son équipe, en étant explicite sur ses attentes,
transparent sur l’organisation collective, et à l’écoute « pour de vrai » de chacun plutôt que dans les
commandes et l’injonction.
Vive le care augmenté !

140 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Être « proche à distance » ! Une révolution ou un standard
pour le manager et les collaborateurs du quotidien ?
Patrice POURCHET, Professeur à l’ESSEC Business School
Dans un environnement économique et social très bouleversé, la relation collaborateur et manager
est significativement modifiée et doit trouver des nouvelles ressources pour développer ou maintenir
une qualité de relation élevée dans ce contexte pour affirmer et renforcer les liens aujourd’hui et dans
un futur proche ! La finalité de cette relation dans un cadre nouveau est toujours pour l’entreprise,
maintenir un engagement fort des collaborateurs, avoir des managers « éveillés », attentifs aux équi-
piers et entretenir le niveau de performance attendu par l’organisation pour développer ses marchés
mais aussi maintenir dans ce nouveau contexte un lien dense avec ses clients ! Cependant, il sub-
siste beaucoup d’incertitudes ou d’inconnus pour saisir de manière efficace et efficiente ce nouveau
type de relation. Nous sommes dans une situation qui exige au minimum pour une question de survie
et au mieux pour une question de développement de relais de croissance, de l’innovation, la créa-
tion de nouvelles ressources managériales et le recours à de nouvelles technologies pour faciliter la
construction d’une relation en mode complexe. Avons-nous bien identifié les invariants du contexte ?
Les équipes et le management sont-ils prêts ? Avons-nous la « plasticité » nécessaire pour accom-
pagner ces bouleversements au sein de l’entreprise ? Sommes-nous prêts à être « disruptifs » ?
Pouvons-nous construire des Stratégies RH et managériales « Bleu Océan » ? Quels sont les points
clés introduits par cette question ? Tout d’abord il nous paraît important de souligner les invariants
dans le contexte nouveau par rapport à l’ancien pour ensuite estimer et mesurer la pierre angulaire
du management dans ce contexte nouveau autour de laquelle le manager construira sa méthode
et ses outils de management pour être « proche à distance ». Qui sont-ils ? : La prévalence de ce
contexte dans l’avenir, le droit du travail et son corollaire le contrat de travail, la réalisation d’un travail,
l’utilisation de technologies de l’information et digitales (en tenant compte de leur développement
exponentiel !) à disposition du collaborateur et du manager, le lien hiérarchique entre eux et dans
l’entreprise, la coopération dans une organisation, dans une équipe (ce thème, à lui seul, mériterait
un développement autour du débat sur la question de la coopération versus la collaboration), le lien de
subordination du collaborateur au manager et à son entreprise et leur besoin de proximité, la base de
la reconnaissance de la performance du collaborateur ! Nous n’oublions pas, bien sûr, les nouveaux
horizons des modèles de gouvernance des entreprises, bien-être au travail, création de valeur, entre-
prise à mission, raison d’être, entreprise libérée, responsabilité environnementale et sociale, c’est-
à-dire la matrice et les modes de gouvernance dans lesquels vont évoluer les collaborateurs et leurs
managers. Dans ce nouveau contexte quels sont les « variants » introduits par celui-ci ? Nous allons
nous focaliser sur deux notions principalement qui en sont le nœud : La distance et la proximité ! Ces
deux termes sont polysémiques par nature et nous devons de fixer quelques éléments explicatifs afin
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


d’amener notre proposition :
« Le vrai drame, c’est la distance et que les êtres ne se connaissent pas » écrivait Jean Cocteau, la
distance exprime un écart, ce qui sépare, en mode confinée elle sépare physiquement les collabora-
teurs des centres de décisions mais introduit aussi pour le collaborateurs une forme de « déspatiali-
sation » physique, psychologique et émotionnelle. Dans les modes de travail qui émergent dans ce
nouveau contexte, elle résulte de l’empêchement du collaborateur à rejoindre la sphère traditionnelle
de son activité professionnelle. Il subit la distance, il est conscient que celle-ci perturbe sa relation au
manager et au travail, le manager comme le collaborateur posent dans un premier temps la notion
de la bonne distance pour maintenir cette ligne de « vie professionnelle », la piste envisagée est :
comment pouvons-nous « se rapprocher » afin de trouver la distance optimale matérielle ou imma-
térielle pour reconstruire ce lien déchiré par le contexte nouveau ! « La proximité ne s’obtient pas
en abolissant la distance, mais en la surmontant » (Citation de l’auteur « Quand souffle le vent du
nord »-Daniel Glattauer) Ce terme exprime un type de lien qui relie les hommes et les choses, nous
pouvons envisager deux types de proximité celle de coordination (la relation, la médiation, l’échange,
le degré d’autonomie du collaborateur) et celle des ressources (cognitive, matérielle ou immatérielle).
Une fois ces deux « proximités » acquises, elles permettront de définir la distance objective dont
les objectifs seront : maintenir voire développer l’engagement du collaborateur et donc réduire les

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 141


REGARDS CROISÉS

incertitudes liées à sa condition professionnelle dans ce contexte, le haut degré de coopération entre
les acteurs (internes ou externes à l’entreprise, équilibrer la part vie professionnelle, vie sociale et per-
sonnelle, viser la performance du collaborateur par un haut degré d’autonomie acquise ! La distance
objective aura une incidence très forte sur la distance managériale perçue par les acteurs et renfor-
cera en cela la proximité virtuelle entre le manager et ses collaborateurs perçue par ce couple comme
une « autre » réalité convenable, raisonnable et créatrice de valeur matérielle et immatérielle redon-
nant un nouvel équilibre à leur relation professionnelle. Les équipes sont-elles prêtes ? Objectivement
non, car non préparées à ce type de bouleversement inattendu. Comment pouvons-nous alors don-
ner de l’épaisseur à la relation de cette dyade dans un contexte différent ? Tout d’abord apprendre
à communiquer différemment en s’appuyant sur les technologies d’échanges et d’animation, ceci
nécessite une formation solide à ces outils, qui permettront d’enrichir la représentation de l’autre.
Elles permettront tout en préservant l’autonomie des acteurs de « véhiculer le sens » en créant un
nouveau référentiel de relation « pour être « proche à distance ». Se donner les moyens d’une flexi-
bilité ou d’une « plasticité » dans ce mode de relation par une reconnaissance de l’autonomie accrue
des acteurs instrumentalisant la capacité à travailler à distance comme une nouvelle compétence
fondatrice du management dans ce contexte nouveau. La « distance objective » définira la proximité
perçue par les acteurs et résoudra en partie ou en totalité à mon sens la proposition complexe propo-
sée, je le crois étant moi-même depuis des années dans ce contexte dit nouveau ! Ceci étant posée
comment allons-nous dans un environnement économique ou « business » évaluer la performance
induite par le concept « être proche à distance », en effet l’art du management passe aussi par la
mesure de l’impact des actions et sur l’efficience et l’efficacité de la dyade ? Pour cela nous vous
proposons d’enrichir votre tableau de bord de la performance managériale par cet indicateur hybride
résumant mes propos :
Rdp= F(Distance perçue⁄Proximité perçue)
Le Ratio distance-proximité, nouvel indicateur de la raison d’être au travail du collaborateur dans sa
relation au management et au manager de proximité dans un contexte nouveau ! A 1 il est équilibré,
a plus de 1 il est créateur de valeur à moins de 1 il faut le travailler ! Manager et collaborateur à vos
marques la révolution dans un monde nouveau approche !

Rassurer et motiver grâce à la proximité émotionnelle


Catherine POURQUIER, Professeure Associée, Burgundy School of Business, Université de
Bourgogne Franche-Comté
La gestion de la crise sanitaire actuelle oblige les entreprises à repenser la relation au travail et place
le manager dans une situation très particulière qui privilégie les processus de protection individuelle
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


et collective. En effet, le changement de paradigme est de taille : l’impératif de santé passe au pre-
mier plan, avant même celui de la performance économique. La protection de la vie devient au niveau
sociétal la valeur première et la posture du manager oscille entre distance et proximité au nom du
respect de celle-ci. La distance physique, ouvre la place à de nouvelles formes de communication,
qui bien que virtuelles doivent rester vivantes et motivantes pour les collaborateurs. La mise en place
du télétravail, partiel ou total, déplace la posture managériale qui de physique, kinesthésique, devient
virtuelle. Les questions qui se posent alors pour le management sont les suivantes : comment retrou-
ver et conserver le lien de proximité qui permet le sentiment d’appartenance à l’égard de l’entre-
prise et de l’équipe de travail ? Comment rassurer les collaborateurs en dépit d’un climat anxiogène
ambiant ? C’est ici que la notion de résonnance émotionnelle, qui part de l’idée que les émotions se
transmettent, prend toute sa place. En sollicitant davantage l’intelligence émotionnelle du manager,
le télétravail l’invite à être particulièrement attentif (ve) à la qualité des émotions qu’il (elle) transmet
autour de lui (elle). En effet, la proximité virtuelle n’a pas les mêmes effets rassurants sur le cerveau
reptilien (face à l’émotion de peur notamment) que la proximité physique. Être ensemble à distance,
en étant capable de rassurer et de faciliter un dialogue, devient alors un vrai challenge pour le mana-
ger. Il s’agit alors pour lui (elle) de rassurer par un « toucher » qui ne sera pas physique mais émo-
tionnel en mobilisant son empathie, son sens de l’écoute, notamment grâce à sa voix et sa qualité de
présence, afin d’être, de préférence, un (e) « diffuseur de sérénité ».

142 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Et si on avait réussi ensemble à travailler à distance ?
Lydie RECORBET, Chargée de mission engagement social et sociétal à l’Orse (Observatoire de
la responsabilité sociétale des entreprises)
La forte culture du présentéisme en France a souvent rendu le télétravail peu attractif pour les entre-
prises. Si d’aucuns avaient réussi, d’autres résistaient encore. Mais voilà la Covid-19 est passé par
là et les barrières sont tombées. En effet, pendant le confinement, l’Orse a observé que le télétra-
vail avait contre toute attente humanisé nos relations à travers les visio-conférences, où l’on a pu
entendre les bruits de la maison, des conjoints, des enfants ou entrevoir les espaces de vie de ses
collègues. Et puis les managers ont pris soin de prendre des nouvelles de leurs équipes, de s’assu-
rer qu’elles avaient du matériel, le temps de s’organiser, que la charge de travail convenait. Appeler,
écouter, s’intéresser à son collaborateur, dialoguer a été très bien perçu. Quelques mois plus tard, les
retours d’expérience de ce télétravail d’urgence se sont révélés globalement positifs et ont démontré
la nécessité de faire confiance aux collaborateurs. Toutefois, si cette adaptation s’est bien passée,
nous devons nuancer notre propos et reconnaître que tous les salariés ne sont pas égaux face au
télétravail. Ces bonnes conditions dépendent de la taille du logement, de la couverture « réseau » des
territoires, de la situation parentale et financière de chacun. Aujourd’hui, les réticences tombées, les
organisations réfléchissent à une mise en place plus pérenne avec la signature d’accords, de chartes
et la commande de matériel adapté. Enfin, tout est une question de dosage ! Le télétravail doit être
alterné avec des phases de présentiel : l’informel à la machine à café, la réunion d’équipe, le déjeuner,
la gestion des stagiaires, le face-à-face font partie du travail et participe de la cohésion d’équipe. Ne
l’oublions pas.
Pour en savoir plus : www.orse.org

La bienveillance : un facteur de réussite pour cultiver


la proximité dans le travail à distance
Stéphane RENAUD, Professeur titulaire, École de relations industrielles, Université de
Montréal
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


La pandémie qui fait rage depuis bientôt une année a indéniablement des conséquences sur le ma-
nagement des collaborateurs appelés à effectuer du télétravail. Le problème le plus fréquemment
engendré par le télétravail est l’isolement qu’il génère chez les salariés. Ce problème s’avère encore
plus important dans un contexte d’incertitude. Ainsi, quel management pour concilier proximité et
distance dans un tel contexte ? Comment empêcher l’érosion du sentiment d’appartenance à une
organisation dans laquelle les collaborateurs sont privés d’interactions sociales directes qui viennent
enrichir le travail ? Il faut faire preuve de bienveillance. Cette réponse peut sembler simpliste mais
est difficile à implanter car elle exige des individus de modifier leurs affects et leurs comportements
habituels dans le monde du travail. Ainsi, les dirigeants et les collaborateurs doivent développer plus
que jamais leurs capacités d’être compréhensifs, attentionnés et indulgents non seulement entre eux
mais aussi avec eux même. Pour ce faire, il faut être à l’écoute des autres et faire preuve davantage
de souplesse, de patience et de tolérance. De plus, les attentes doivent être réévaluées et adaptées
à la nouvelle réalité. Enfin, il faut trouver des occasions pour conserver et renforcer la collaboration, la
collégialité et les liens d’amitiés qui existent entre les salariés. En conclusion, l’isolement engendré
par le télétravail et la pandémie force une reconfiguration des rapports sociaux dans les organisations
et la bienveillance peut être mis à profit pour contrer le risque d’érosion du sentiment d’appartenance
organisationnelle.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 143


REGARDS CROISÉS

La proximité à distance, c’est possible


Khaled SABOUNE, Maître de Conférences, IMPGT, Aix-Marseille Université, Laboratoire
CERGAM (EA 4225)
Dans le contexte particulier de la crise sanitaire liée à la Covid-19, le télétravail, porté par les nouvelles
technologies de l’information et de la communication, fait évoluer le contrat psychologique relationnel
entre le salarié et son supérieur hiérarchique. En effet, le manager en tant qu’« accompagnateur du
changement » est amené à instaurer, malgré la distance physique, une relation de proximité avec ses
collaborateurs afin de tenter de réduire leurs sentiments d’isolement et d’incertitude, d’entretenir leur
motivation et de maintenir leur performance. Dans ce but, il est nécessaire de remettre de l’humain
dans le management et de multiplier les échanges informels et formels par visio-conférence avec les
télétravailleurs. La relation entre la distance physique et la proximité relationnelle est en effet possible
grâce à des outils de communication adaptés (O’Leary, Wilson, Metiu, 2014). Ainsi, le manager est in-
vité, dans ce contexte de télétravail « forcé » ou « souhaité », à revoir ses priorités et à réorganiser son
travail afin de pouvoir disposer du temps nécessaire pour développer un management par la confiance.
Ce management devrait rassembler les équipes autour des valeurs et des objectifs communs, valori-
ser les compétences et favoriser la créativité de chacun, réduire le formalisme dans le travail et laisser
plus de place à la spontanéité humaine, accompagner les collaborateurs vers l’autonomie et donner
plus de sens au travail à distance. Enfin, dans le nouveau contexte, manager consiste non seulement
à planifier, organiser, diriger et contrôler, mais aussi à prendre soin, partager et soutenir.

Manager à l’ère du distanciel : Rendre le distant proche


Doha SAHRAOUI BENTALEB, Professeure de Management, Université Cadi Ayyad,
Marrakech, Maroc
Avec le développement des théories fondées sur la valorisation du capital humain le management
dans la proximité a été érigé comme principe et vecteur de création de valeur. Le sens et la portée de
la notion de proximité ont radicalement changé avec les nouvelles contraintes imposées aux organi-
sations. Dans le nouveau contexte, les organisations se dématérialisent, et confrontent une situation
paradoxale : le proche est distant, et le distant est proche. À nouveau contexte, nouveau paradigme :
la proximité est dorénavant « distancielle ». Accompagner ce changement ne peut pas se limiter au
niveau instrumental mais intégrer une dimension plus stratégique et fondamentale : redéfinir les
modes de Management pour créer de la proximité dans la distance. Les défis à relever sont nom-
breux. Il s’agit de maintenir le lien entre l’organisation et ses parties prenantes internes, construire
une nouvelle compréhension des situations « distancielles », et redéfinir le contrat psychologique
dans la distance. Les nouveaux modes de management doivent réussir à instaurer de la proximité
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


psychologique pour compenser la distance physique.

Manager en temps de Covid : entre distance et


proximité, une opportunité pour se réinventer ?
Marie-José SCOTTO, Professeure, IPAG Business School, Nice
Le glissement imprévu et à grande échelle vers le travail à distance en ces temps de pandémie, inter-
roge les modèles de management. Les équipes habituées aux frontières physiques des organisations
ont dû s’ajuster de manière brutale à des environnements digitaux et aux difficultés croissantes de sé-
paration de la vie familiale et de la vie professionnelle. La technologie permet des modes de contacts
et les échanges de données, mais qu’en est-il de la communication interpersonnelle, des relations
sociales ? En face de cette situation, générant anxiété, frustration, voire colère, le management a dû
se réinventer à distance, dans un contexte où il devient quasiment impossible de prédire ce que seront
les bonnes solutions et les conséquences sur le corps social de l’entreprise. Les routines digitales
peuvent permettre de créer une certaine proximité au cœur de cette distanciation. A côté des réunions
hebdomadaires, on a vu se développer des « apéros ou des cafés virtuels », propres à tenter de main-
tenir une dynamique de groupe. Plus importante sans doute mais aussi plus difficile, la mutation vers

144 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


la confiance et le développement de l’autonomie des équipes. Le rôle d’écoute et de « personne
ressource » devient essentiel ainsi que celui de « passeur » d’informations pour éviter l’isolement
des équipes. Un choc dans une culture organisationnelle à la française fortement marquée par le
présentéisme et le contrôle. Pourtant, En temps de crise et d’incertitude, c’est par la collaboration
et l’engagement des équipes qu’un manager pourra maintenir le ciment collectif.

Quand la stigmatisation de l’ultra proximité devient le


principal obstacle au management de proximité
Thierry SIBIEUDE, Professeur à l’ESSEC Business School
Le deuxième confinement imposé par les pouvoirs publics oblige, de façon irréversible, les organisa-
tions à savoir exercer leurs activités avec des salariés, dont les rencontres seront limitées au strict
minimum : c’est la conséquence de l’absolue prééminence accordée par le gouvernement à la dimen-
sion sanitaire de la vie en société au détriment de toutes les autres dimensions notamment sociale et
économique même politique et démocratique.
C’est donc « télétravail pour tous chaque fois que possible ». A court terme le télétravail, qui était
pratiqué par environ 3 % la population active de temps en temps et qui a été imposé à près de 30 %
de la population active tout le temps,1 a fait la preuve d’une certaine efficacité managériale en rac-
courcissant les chaînes hiérarchiques lors du premier confinement. Mais cette expérience a aussi
montré que, pour être in fine positive pour le salarié comme pour son organisation, une préparation
minutieuse en amont, puis un encadrement rigoureux dans la mise en œuvre et enfin un suivi régulier
des impacts dans le temps étaient indispensables.
En outre cette approche est lourde de conséquences à moyen et long terme puisqu’elle pose l’ultra
proximité, à l’exception du noyau familial de base, comme la première source de danger : les interac-
tions avec son voisin, son collègue de travail constituent un risque potentiel pour l’individu. Ainsi lors
du Baromètre CEVIPOF de la confiance politique d’avril 2020, 65 % des français adhèrent à l’idée que
« l’on n’est jamais trop prudent quand on a affaire aux autres » soit 14 % de plus que les allemands
et 18 % de plus que les britanniques. Et aujourd’hui, même les enfants de 6 ans doivent porter le
masque à l’école : ceci en dit long sur les réflexes que l’on fabrique chez nos concitoyens, qui auront
forcément un impact sur les comportements et donc le management des équipes.
Cette mise à mal de solidarité par cet individualisme exacerbé complique singulièrement la tâche
à long terme des managers, notamment les managers de proximité. Ils doivent donc inventer un
nouveau leadership : construire un esprit d’équipe et de communauté et impulser une dynamique de
partage et de solidarité sur cette base qui place la santé individuelle au-dessus de tout, Vaste tâche,
qui plus est, dans un contexte d’incertitude scientifique avéré.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


1 Fourquet J. et Gariazzo M. (2020), En Immersion. Enquête sur une société confinée, Editions du Seuil, Juin, p. 202-203.

On a tous besoin d’un plus petit que soi


Patrice TERRAMORSI, MCF, Université de Corse
La multiplication des modalités de l’action collective, l’interconnexion des activités et la diversification des
aspirations individuelles, imposent plus que jamais l’altérité comme une question d’actualité. Or, piégées
par les présupposés de la doxa managériale dominante (Marchesnay, 2008), les organisations modernes
éprouvent les plus grandes difficultés à appréhender l’autre dans sa complexité. Il est alors fort à parier que
les tentatives visant à réinventer les pratiques de supervision s’avèreront vaines tant que celles-ci seront
développées sous le filet d’une même la réalité. Il conviendrait pour s’en libérer, de considérer l’organisa-
tion non comme un objet auto-suffisant et déterminé (Barney, 1991) mais comme une dynamique, sans
cesse renouvelée et toujours incertaine (Langley, 2007). Une aide pour cela, pourrait bien provenir de
ces espaces oubliés, ces petites organisations, ces territoires ruraux, que d’aucuns considéraient comme
marginaux, inutiles, voire gênants, mais qui, du fait de leurs spécificités, ont appris que la richesse pouvait
provenir de la complémentarité (Dyer et Singh, 1998).
On a toujours besoin d’un plus petit que soi… de cette vérité, la question de la proximité aujourd’hui fait foi.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 145


REGARDS CROISÉS

Quand intelligence humaine et artificielle s’allient


pour concilier distance et proximité
Laura TOCMACOV-VENCHIARUTTI, Directrice Fondation impactIA, Genève
Le monde du travail d’aujourd’hui est un héritage dépassé de l’ancien monde où nous utilisons la
métrique de la productivité pour évaluer le travail, des bureaux pour la contrôler et des responsables
pour mettre la pression et en assurer la cadence. Le résultat le plus probant de ce modèle est cer-
tainement l’augmentation de 70 % des absences liées à des problèmes de santé mentale en Suisse
depuis 2012. Ainsi, burn-out, bore-out, burn-in et brown-out se sont invités à notre table. D’un point
de vue purement productif, l’une des choses les plus convaincantes pour les IA faibles que nous
avons, est qu’elles nous dépassent déjà dans leur périmètre même limité. Nous nous trouvons donc
en concurrence avec des machines qui peuvent fonctionner 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, toujours
constantes dans leur productivité, sans temps d’arrêt ni absences. En cessant de mettre la notion de
productivité sur l’humain, l’IA nous pousse à nous diriger vers l’Excellence et à activer une nouvelle
forme d’intelligence, l’intelligence hybride. Cette intelligence est l’articulation de l’intelligence indivi-
duelle, collective et artificielle pour dépasser ensemble les limites de chacune. Aujourd’hui distance
et proximité doivent trouver leur place. En nous permettant de repositionner le travail pour l’être hu-
main dans la vision de la valeur ajoutée et en augmentant notre puissance de solution par l’activation
de l’intelligence hybride, l’IA nous permet d’embrasser ce nouveau défi avec humanité.

Le management de proximité, ça se construit !


Oumar TRAORE, Managing partner, Optimum International, Côte d’Ivoire
Aborder les questions de proximité, appelle tant d’interrogations sur les enjeux et les problèmes qui
se posent aux managers. Pour G. Le Boulch (2001) : « La proximité est un jugement de valeur qui
porte sur une perception de la distance ». La réflexion sur le concept de proximité peut être abordée
sur un plan relationnel quoique la proximité puisse laisser subsister l’idée de la distance flexible pou-
vant exister entre deux personnes ou deux objets. En tout état de cause, la proximité est un concept
dans l’air du temps. La proximité est omniprésente dans le management, la politique, le marketing…
Il y a autant d’enjeux intra-organisationnels, surtout lorsque les managers doivent gérer les disparités
multiculturelles vues comme un défi. La question des perspectives en entreprise est substantielle
pour construire la proximité autour des aspirations individuelles des collaborateurs en prenant en
considération la singularité de leurs besoins et de leurs attentes. La proximité doit favoriser une rela-
tion de confiance qui exige d’oser autrement la gestion des hommes et des organisations pour offrir
des garanties d’expression et de responsabilité au niveau individuel.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


Cinq conseils pour mieux gérer à distance !
Diane-Gabrielle TREMBLAY, Professeure, Université Téluq, Montréal
L’explosion du télétravail en contexte de Covid-19 a poussé nombre de gestionnaires à s’interroger sur
leurs modes de gestion. Alors que les écrits recommandaient déjà la gestion par objectifs et par résul-
tats, plusieurs d’entre eux en étaient encore au contrôle à vue. Aussi, le passage au télétravail les a for-
cés à changer leurs pratiques. Bien qu’il n’y ait pas de recette unique pour le succès, on recommande
aux gestionnaires de faire confiance à leurs salariés, de leur fixer des objectifs clairs, et de vérifier les
résultats, sans contrôler. Il s’agit d’établir une bonne communication dans les deux sens et de bien
encadrer les employés. Un bon « télésuperviseur » devra aussi avoir la capacité à motiver son équipe
à distance, être capable de donner de la rétroaction et d’encourager l’autonomie des personnes et des
équipes, connaître les technologies et offrir les bons outils pour le travail à distance. Des employés
auront de la difficulté à établir des frontières entre le travail, la famille, les loisirs. Mes travaux indiquent
que la plupart s’adaptent assez facilement au télétravail et arrivent à cloisonner leurs activités, mais
certains peuvent souffrir d’un certain isolement en télétravail. Les gestionnaires doivent donc s’assu-
rer que les membres de leurs équipes arrivent à se préserver un temps personnel ou familial et être
attentifs aux éventuels risques psycho-sociaux. Pour en savoir plus, voir : teletravail.teluq.ca

146 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Vers un management détendu et festif en
contexte de crise et de…non crise !
Odile UZAN, Professeure des Universités, Université de Montpellier
De quoi parlons-nous ? Selon les statistiques disponibles, alors que moins de 7 % des travailleurs
français exercent à leur domicile en 2018, ils sont 27 % en période de confinement (mars/mai 2020)
puis repassent à 15 % en août 2020. Ce n’est donc pas une révolution mais une évolution sensible
destinée à se poursuivre puisque 41 % des cadres souhaitent recourir au télétravail plus qu’à la
période précédant le confinement et que certains pays européens se situent déjà autour de 30 % en
temps normal. Le management français peut s’y préparer selon 5 axes : 1) Se souvenir des vertus de
la DPPO qui permet de piloter l’entreprise par les objectifs en laissant plus de latitude organisation-
nelle aux acteurs pour les atteindre ; 2) Se rappeler les compétences des managers de proximité, les
mieux à même de prendre en compte les contingences structurelles et individuelles pour organiser
le travail ; 3) Poursuivre l’effort récent des entreprises pour appréhender, tant au plan cognitif qu’au
niveau des outils de pilotage, la « performance globale » pour éviter des coordinations redondantes
et des tensions contre-productives ; 4) Ouvrir le CSE aux parties prenantes internes et externes pour
qu’il devienne un vrai lieu de dialogue partenarial sur les questions de plus en plus sensibles de SST ;
5) Repenser la convivialité et la festivité, entre distance et proximité, pour que l’entreprise reste pour
ses salariés une belle expérience à vivre et pas seulement un instrument de survie, en temps de crise
et…de non crise.

Quel management pour concilier distance et


proximité dans le nouveau contexte ?
Isabelle VANDANGEON-DERUMEZ, Maître de conférences à l'IAE Gustave Eiffel, université
Paris-Est Créteil, membre du laboratoire de recherche IRG
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


La distance et la proximité sont des mots qui en termes de management peuvent revêtir plusieurs
sens. Dans une vision classique organisationnelle la question de la proximité est souvent liée à celle
de coordination et donc de la supervision directe des activités des collaborateurs. Plus l’entreprise
grandit, plus la distance entre les niveaux hiérarchiques augmente et le contrôle direct est alors pro-
gressivement remplacé par des processus ou des outils de reporting. Bien sur dans cette vision la
question du contrôle s’articule avec la question de l’autonomie.
Une approche plus psychologie aura quant à elle tendance à considérer la proximité spatiale. Cette
forme de proximité facilite alors la communication verbale et non verbale. La distance quant à elle
rend plus difficile cette communication et donc la compréhension mutuelle des acteurs. Au delà de
la dimension purement spatiale la distance qu’une personne établit avec l’autre peut alors être un
moyen de préserver son intimité.
Entre les deux niveaux, organisation et individu, se situe le collectif de travail. La question de la
distance et de la proximité peut alors s’envisager en termes de capacité à travailler ensemble. La
proximité peut alors représenter les valeurs partagées au sein du groupe, les objectifs partagés. La
distance serait alors tout ce qui éloignent les membres d’un collectif les uns des autres comme par
exemple les jeux de pouvoir.
Finalement pour le manager concilier distance et proximité c’est avant tout définir la façon dont on va
travailler ensemble quelque soit le contexte.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 147


REGARDS CROISÉS

La crise sanitaire peut être une superbe opportunité


Gilles VERRIER, Président, Identité RH
Héritage du modèle néo-taylorien, la proximité managériale est restée dans de nombreuses entre-
prise, synonyme de déresponsabilisation et de contrôle, avec une animation centrée sur les modalités
de l’activité. Dans les organisations que nous accompagnons, nous faisons un constat. Avec le confi-
nement, puis avec les modalités de travail mises en place dans la période qui suit, de nombreuses
entreprises ont dû lâcher du lest : une autonomie plus large accordée aux collaborateurs, l’obligation
de faire confiance, un management plus centré sur les résultats et la finalité de l’activité. En ce sens,
la crise sanitaire constitue une opportunité : elle pourrait amener certaines entreprises à transformer
durablement leur mode de management et à mettre en place le modèle qu’appellent aujourd’hui les
défis auxquelles elles sont confrontées, basé sur la responsabilisation, l’autonomie et la confiance.
La proximité change alors de nature. Elle reste nécessaire pour entretenir le lien social, malgré la
distance. Nourri de façon informelle lorsque les membres d’une équipe sont sur un même lieu, il doit
l’être de manière volontariste par le manager lorsque la distance physique est là. Elle reste également
nécessaire puisque dans ce modèle, le manager devient une ressource pour les collaborateurs et
non plus l’inverse. Ce qui suppose qu’il soit tout aussi facilement joignable sur son téléphone, son
interface de vidéoconférence et ses autres outils de communication qu’il l’était physiquement dans
les locaux de l’entreprise.

La proximité n’est pas qu’une question de distance


Marc-André VILETTE, Enseignant-chercheur à l’ESC Clermont Business School et
accompagnateur RH de PME
En France, sur les plus de quatre millions d’entreprises, seulement six mille environ emploient plus de 250
salarié-e-s (Insee, 2018). Pour les 99,86 % restant(e)s, un seul auteur a écrit l’un des 17 articles acadé-
miques dans les deux derniers numéros de cette revue – sur la gestion de crise dans les PME. Et cet acro-
nyme n’est cité qu’une fois dans les Regards croisés du n°29 (45 pages, 83 contributeurs) – trois fois dans
ceux du n°28 (85 pages, 155 auteurs)… Le praticien RH en PME « fait de la proximité », comme Monsieur
Jourdain faisait de la prose. Ainsi, il commence par le tour des locaux et des salarié-e-s, sa (demi)-journée
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


de travail. En effet, quand il est à temps partagé, il partage aussi en demi-journées son temps dédié à une
entreprise, afin de favoriser la proximité avec les personnes. Quand il reprend ses activités de recherche,
cette notion est donc très parlante. Il découvre alors qu’au-delà de la proximité physique, toutes les carac-
téristiques des PME (Julien, 1994) peuvent se traduire en termes de proximité : spatiale interne donc, mais
aussi hiérarchique, fonctionnelle, temporelle… – ce qui décrit un management de proximité. (Torrès, 2003).
« La notion de distance amplifie grandement le besoin de lien, de liant et de contact. » (Peretti, 2020). Car
celle-ci, à l’instar du temps partiel, limite les « temps d’apprentissage et d’information utile dans le travail,
de contacts importants pour le développement professionnel ou la progression de carrière. » (Bonnet-
Polèse, 2003). Si « la confiance n’exclut pas le contrôle » (mais c’est selon Lénine…), Ruiller et al. (2017)
montrent qu’en matière de management à distance, le modèle basé sur la confiance est plus performant
que celui du contrôle – particulièrement pour la proximité perçue. De même, « la confiance semble être
le seul vaccin efficace capable de trouver le bon équilibre entre proximité et distance ». (Costa, cité par
Peretti, 2020). Dans la vie personnelle, celles et ceux que nous appelons « nos proches » ne le sont pas
toujours physiquement. Professionnellement, pour être accompagnateur (plutôt que coach, mentor, tuteur,
guide, conseiller… – en avançant à côté de l’autre) de salarié (en qualité de DRH), de collaborateur (comme
manager), d’étudiant (en tant qu’enseignant), sans doute vaut-il donc mieux (avec le côté un peu naïf et non
opérationnel de ce verbe) les aimer. Et si « l’amour rend aveugle » (Platon, 3 siècles avant J.-C.), il s’agit de
rester vigilant – comme souvent rappelé aux élèves, « bienveillant et exigeant ».

148 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS


Distance et proximité
Catherine VOYNNET-FOURBOUL, MCF-HDR, CIFFOP, Université Paris II
Lors de la crise sanitaire les habitudes des managers ont été chamboulées par la difficulté de vivre
les rites informels qui contribuent à la cohésion des équipes à distance et beaucoup d’efforts ont
été accomplis afin de maintenir le lien social entre les collaborateurs et de répondre au besoin accru
des équipes d’être fédérées et rassurées. De nombreuses initiatives contribuent à maintenir le lien
social : petits déjeuners ou déjeuners virtuels, temps de pause communs, partage de newsletters
humoristiques… permettant à la fois de partager de l’information professionnelle, mais aussi plus per-
sonnelle. La distance imposée a également questionné le suivi de la performance individuelle et col-
lective. Du point de vue managérial le contrôle de l’activité réalisée à distance implique d’établir une
nouvelle relation basée sur la confiance et de prendre des risques si le collaborateur ne joue pas le
jeu. Face aux préoccupations individuelles et collectives, certains managers peuvent décider de mul-
tiplier les temps d’échanges, en privilégiant transparence et visibilité. Travailler à distance suppose le
développement de compétences spécifiques à cette nouvelle organisation du travail : formations au
management à distance, coaching, co-développement entre pairs… Si les salariés peuvent être aussi
productifs en télétravail qu’en présentiel, cela entraîne de revoir les indicateurs clés pour les équipes :
définition et suivi d’objectifs quotidiens, élaboration de plans d’actions individualisés. Enfin, le déve-
loppement des outils digitaux et coopératifs et la mise en place de nouveaux mécanismes de com-
munication se sont accélérés. Si une grande aspiration existe pour travailler à distance et résider dans
des lieux plus sereins que les grandes villes, on ne peut pas sous-estimer l’importance de la présence
physique dans le plaisir de travailler et dans la construction de la confiance des équipes. Il s’agit donc
d’inventer un modèle mixte permettant de répondre à l’aspiration et à la nécessité du distanciel tout
en répondant aux besoins de présence des personnes afin de minimiser le sentiment d’isolement.

De la proximité à la distance : Quel management


en contexte d’incertitude ?
Rosaline Dado WOROU-HOUNDEDON, Professeure, Université d’Abomey-Calavi, Cotonou, Bénin
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


La planète est frappée par une pandémie sanitaire COVID-19 dont les conséquences sont très graves
et constituent des menaces extrêmement fatales pour les organisations quel que soit le secteur
d’activité (Cruz, 2020). On note ainsi une désorganisation accrue des modes de gestion et une réa-
daptation du style de management et des répercussions importantes et durables sur le management
(Frimousse et Peretti, 2020). De nouveaux modes de travail comme le télétravail avec l’utilisation
accélérée des nouvelles technologies d’information et de communication apparaissent. Dans un tel
contexte, le management de proximité doit inévitablement céder place au management à distance.
Les organisations au Bénin, ne sont pas en marge de cette réalité. Ces organisations cherchent
à adapter leur management au nouveau contexte de la crise sanitaire. Une étude réalisée dans le
contexte béninois montre que les managers sont favorables à l’émergence d’un management déléga-
tif. En effet, l’étude révèle que ce style de management est adéquat pour favoriser la cohésion sociale
et motiver les collaborateurs à s’impliquer davantage dans cet environnement incertain. Toutefois,
pour une bonne mise en œuvre de ce management à distance, il importe de s’assurer de l’adéqua-
tion des compétences des acteurs ainsi que des moyens nécessaires. Cependant, il faut reconnaitre
que beaucoup d’organisations cherchent à s’adapter au nouveau contexte en revoyant leur style de
management, malheureusement la plupart d’entre elles ne disposent pas de moyens adéquats pour
y parvenir.

© Éditions EMS Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 / 149


REGARDS CROISÉS

Proximité et distanciation : une question et


une exigence de complémentarité
Zahir YANAT, Professeur HDR, ISTEC, Paris
La crise sanitaire, « économique et sociale qui traverse « l’archipel français » impacte très forte-
ment le fonctionnement des entreprises. Elle modifie de façon significative la nature du lien social
attendu dans les organisations. L’altruisme, l’empathie, la générosité qui ont marqué de leur em-
preinte le comportement des parties prenantes en d’autres temps, diminuent d’intensité positive.
L’obsolescence de l’homme appelle à mettre de l’humain dans l’inhumain et à remplacer la culture de
méfiance par une culture de confiance. Dans ce contexte, nous sommes invités à prendre en compte
deux prérequis : – Un prérequis de choix de modèle de gestion libérée de l’esprit bureaucratique qui
favoriserait le triomphe du processus rationnel ; – Un prérequis d’ancrage aux sciences humaines
qui dépasserait l’ancrage aux sciences juridiques. Le choix de ces prérequis doit nous permettre de
rompre avec une pratique managériale qui relèverait de « la bonne administration des choses » en
lui proposant, voire lui préférant la pratique du « gouvernement des personnes ». Deux outils com-
plémentaires – la distanciation et la proximité – seront mis en œuvre. Le succès de la distanciation a
pour origine la croyance en la vertu de la rationalité et de l’objectivité. Elle s’inspire d’une philosophie
d’essence taylorienne, fayolienne et weberienne. Mais cet outil n’identifie que les faces visibles de
l’activité professionnelle. Il en ignore les faces cachées.
Pour réduire les lacunes de la distanciation, il faudrait reconnaître l’homme dans son métier et pour
son métier, choisir une méthode d’accession à une reconnaissance exhaustive de l’homme, de tout
l’homme, une méthode de proximité et de mobilisation de l’anthropologie, de la philosophie. Ces
deux outils ne devront pas être envisagés sous un angle manichéen. Quelle que soit notre activité
notre responsabilité, nous gagnerons à envisager la mise en œuvre de façon complémentaire et
opérationnelle et pas uniquement conceptuelle et abstraite. Le facteur humain est complexe, nous
devons l’envisager selon une approche plus conforme à la réalité quotidienne avec ses affects, son
histoire, ses angoisses, dans des situations singulières. Dès lors, la proximité consistera, comme la
distanciation, à adopter, pour saisir la complexité de la réalité, une approche méthodologique de type
« observation participative », afin de saisir « la temporalité longue », à la manière de Fernand Braudel.
© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)

© EMS Editions | Téléchargé le 12/03/2021 sur www.cairn.info (IP: 105.158.57.57)


La pandémie au service des aspirations des jeunes générations ?
Andrew YOUNG, Enseignant, International Management School Geneva (IMSG), Formateur
d’adultes diplômé FSEA
L’impact des restrictions de déplacement imposées durant l’année 2020 en réponse à la pandémie
auront au moins le mérite d’accélérer le développement du travail à distance. Au grand bonheur des
générations Y et Z, les entreprises et les administrations ont été contraintes de sauter le pas du
télétravail – parfois à leur corps défendant. Cette révolution organisationnelle doit s’accompagner
nécessairement d’une remise en question du management. Les collaborateurs et collaboratrices
concernés doivent gérer leurs deux univers, professionnel et personnel, de manière qu’ils n’entrent
pas en conflit et que leur vie privée ne s’en ressente pas, tout en satisfaisant aux besoins de leur
poste. À cette fin, le management va devoir faire ce qui pourrait être perçu comme des concessions.
Mais cette évolution est souvent désirée… Détermination d’objectifs plutôt que cahier des charges,
flexibilité horaire plutôt que pointage, organisation à moyen terme plutôt que changement de der-
nière minute, bienveillance plutôt que surveillance seront désormais à l’ordre du jour du management
2020. Finalement, les contraintes du confinement pourraient bien être idéales pour attirer les jeunes
talents des générations actuelles et à venir.

150 / Question(s) de Management ? / N°30 / Décembre 2020 © Éditions EMS

Vous aimerez peut-être aussi