Vie de Saint Martin (... ) Sulpice Sévère Bpt6k102665j

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Vie de saint Martin / par

Sulpice Sévère,... ; traduit du


latin par M. Richard Viot.
Précédé d'une Notice
historique sur [...]

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


Sulpice Sévère (0363?-0420?). Auteur du texte. Vie de saint
Martin / par Sulpice Sévère,... ; traduit du latin par M. Richard
Viot. Précédé d'une Notice historique sur Sulpice Sévère / par M.
l'abbé J. J. Bourassé,.... 1861.

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DE
DE

SAINT MARTIN
VIE
DE

SAINT MARTIN
PAR
SULPICE SÉVÈRE
DISCIPLE DB SAINT MARTIN

TR1DU1T DU LlTIR

PAR M. RICHARD VIOT

PR$6$D$ D'UHB
·

NOTICE HISTORIQUE SUR SULPICE S~9ÈRE

~AR M. L'ABBÉ J.-J.


BOURAsst,

·
(f?'<lJ.J.N~'IJi~ L'ÉGLISE MÉTROPOLITAINE
.f DE DE.TOURÇ.
1

·
r! J

,~y:
,nnc.S). I
·

TOURS
IMPRIMERIE Ad MAME ~E'P Cie

U6~
Le tombeau de saint Martin témoin de
miracles sans nombre fut le but d'un pèle-
rinage très-,fréquenté durant de longs siè-
cles. Malgré les ,calamités pub\ique~ qui dé-
solèrent trop souvent notre pays le chemin
de la basilique de Saint-Martin ne resta
jamaish désert. Les populations èhrétiennes
accouraient à Tours de toutes les contrées du
monde. Grands' et. petits,. riches et pauvres,
venaient..avec un égal empressement rendre
hommage au patron des Gaules. Tous
étaient attirés soit par l'espoir, soit par. la
reconnaissance tous rivalisaient de zèle
pour, célébrer sa protection puissante et
chanter ses louanges.
Nous n'avons point. à redire ici ces mer-
Teilles. Si nous en rappelons- le souvenir,
c"est seulement pour exciter, envers notre
illustre Protecteur, la confiance qui ne
s'est jamais éteinte dans les coeurs et que'
justifieront toujours de nouvelles faveurs
dues à son intercession.
En 1562, la Providence permit que les
huguenots, devenus maîtres de la ville de
Tours, missent au pillage toutes les églises,
et consommassent leurs forfaits par. le plus
affreux sacrilége: ils livrèrent aux flammes
les. reliques 'de saint Martin. Cet attentat
causa une douleur unIverselle. Dieu ce-,
pendant pour consoler ses fidèles servi-
teurs, inspira à un vertueux prêtre le cou-:
rage de braver la mort, afin d'arracher au:
feu quelques parcelies, au moins de ces
précieuses reliques. Un dévouement si hé-.
roïque reçut sa récompense. Il sauva 'la'!
majeure partie du chef et un os de l'avant-
bras du saint évêque de Tours, et nous les
possédons encore..
D'autres dévastations, plus terribles en-
core que les .pFécé4~ntes,; vinrent aflligér
et bouleverser 'la.Franèe' à la fin du siècle
dernier.' La basilique de Saint-Martin fut
emportée par l'orage. On gémissait ,à la'
pensée que cette déstruction pût être irré-
parable. On regrettait amèrement surtout
de voir le tombeau de notre grand évêque
profané et. à jamais perdu pour la piété des
fidèles. Une fausse tradition prétendait que
l'emplacement du sépulcre se trouvait au
milieu de la voie publique. Après plus d'un'
demi7'siècle, 1.'erreur fut 'reconnue à l'aide
d'un plan enfoui jusque-là .dans la pous.
sière des Archives du départemént d'l~ndre-
et-Loire. C'était une véritable découverte,
et les dévots serviteurs de saint Martin èn
furent ravis de joie. Grâce à un dévoue-
ment généreux, qui n'a pas tai~dé à obtenir.
sa récompense le 11 novembre 1860, on
retrouva le tombeau de saint Martin, con-
servP, comme par miracle, au milieu des
décombres de" l'antique église. Cette in-
vention a' été un jour de fête. Les pèlerins
pourront donc venir encore s'agenouiller
autour de cette glorieuse tombe, et le sanc-
tuaire de saint Martin redeviendra la terre'
des miracles1

Cet heureux événement a fait naitre la


pensée de publier Ia Yie de saint JVlartin,
par Sulpice Sévère, disciple du saint évêque
de Tours. La lecture de ce volume réveil-
Iera' la dévotion envers notre thaumaturge.
Puisse le nôm de sain Martin se trouver
sur toutes les lèvres puisse la charité
dont il a été un si parfait modèle régner
dans tous les coeurs
.NOTICE HISTORIQ.~E

SUR

SULPICE, S'ÉVÈRE

Sulpice Sévère, issu d'une fa~ille', illustre,


naquit vers l'an 350, dans la province d'Aqui-
taine. Son éducation répondit à la richesse
et aux vues ambitieuses de ses parents. A
l'exemple de plusieurs de ses contemporains
devenus 'célèbres, Sulpice' Sévère débuta de
bonne heure au barreau. C'était alors, comme
jadis .à 'Rome, le chemin le plus court pour
arriver aux dignitésï L'habitude de la parole
et le maniementvdésaffaires révélaient promp=
tement, chez les hommes instruits et sérieux,
l'aptitude aux' fonctions élevées de l'empire.
Sulpice s'y distingua par son éloquence, la sou-
plesse de son esprit, son habileté à déj~uer
les artifices de la chicane, la rectitude de son
jugement, et la solidité de son argumentation.
Sa réputation- se répandit au loin. Comblé des
dons de la fortune et du génie, il pouvait aspi-
rer sans témérité aux premières charges de
rétat. Entièrement absorbé par les: préoccu-
pations mondaines, dans un âge où toutes les
espérances sourient il l'imagination, il s'en-
gage!l'dans le mariage en épousant une femme
de famille consulaire, également remarquable
par ses richesses et ses alliances. Sa belle-
mère se nommait Bassula. Il était impossible
à un jeune homme d'entrer dans la carrière
des honneurs sous de plus heureux auspices.
Hélas tous ces ~èaux rêves. d'avenir ne tar-
1

dèrent pas à s'évanouir. La Providence lui


réservait une destinée plus glorieuse. La mort
lui ravit son épouse et le plongea dans une
tristesse profonde. Heureusement son âme, au
milieu de tant d'illusions était restée chré-
tienne. Au lieu de se laisser abattre par le dés-
espoir, il sc redressa énergiquement, et cher-
cha des consolations dans la piété. Dieu; ré-
compensa magnifiquement sa foi entre mille
autres grâces, il lui'ménagea celle de', devenir
l'ami de saint Martin, évêque de Tours.
Sulpice Sévère fut affermi dans ,sa résolution
de quitter le monde par un compagnon d'en-
fance et d'études, saint Paulin, qui r~enonça
lui.même aux grandeurs du siècle après avoir
été revêtu de la' dignité de consul, et fut plus
tard la gloire de rÉglise de Nole, en Cam-
panie. Sulpice était encore dans la première
fleur de l'âge: 'son sacrifice en fut plus mé-
ritoire. Il n'hésita pas un moment, et, en se
consacrant au service de Dieu, il se,dépouilla
sur -.le -champ de la propriété, de ses biens,
qui étaient considérables. Cependant, à l'imi-
'tation de saint Ambroise, il ne vendit pas ses
héritages pour en distribuer le prix aux pau-
'Tes; il' se contenta de les céder à l'Église"
en s'en réservant l'usufruit~ Ce genre d'aban-
'don plaisait davantage à ces grands person-
nages, accoutumés à exercer directement une
influence active sur les hommes. Saint Paulin
exalte en termes pompeux' cet acte de désinté-
re1sse.ment, -qu"il regarde 'CODlIne l'accomplis-
sement,'(Iu précepte de saint Paul recomman-
dant aux chrétiens de posséder comme s'ils ne
possédaient,pas.
Personne ne l'ignore, les généreuses réso-
lutions, comme les. grandes oeuvres, sont'or-
dinairement soumises aux épreuves. En, cette
occasion, Dieu n'en dispensa .pas son ~senvi-
teur. Sulpice rencontra des contradictions et
des obstacles de tous côtés. Son changement
de vie irrita son père, et excita la risée de ses
anciens amis. A ces chagrins,. dont l'amertume
le désolait, vint se joindre la maladie. A deux
reprises différentes il tomba grièvement ma-
lade mais sa force -d7àme~ aidée~ de la. grâce
divine, triompha de toutes les tentations.,
Peu de temps après sa conversion, Sulpice
Sévère vint à Tours visiter saint Martin. L'his-
toire ne nous a pas fait connaître la cause de
ce voyage. Nous pou-vonsl'attrifiuer à cet attrait
invincible qui poussait vers l'illustre évêque'
de Tours les coeurs héroïques, saintement pas-
sionp.éspour Dieu et pour son Église; amou-
reug des rigueurs salutaires de la mortification
de la croix, animés de l'amour du prochain.
On croit communément que cette première
entrevue eut lieu vers l'an 393. Sulpice-.fut
1
accuéilli avec les témoigriages les' plus tou-
chants de,.bonté et d'affection. de la part 'de
saint Martin. L'humble' évêque le 'remercia
d'abord de ce qu'il avait entrepris en sa con-
sidération un si long et si pénible voyage. Il
le fit asseoir à sa table faveur qu'il accor-
dait. rarement, surtout aux grands du monde.
« Quelque-misérable que je sois, dit Sulpice
Sévère, je n'ose presque le 'reconnaître;: ce
grand saint m'a' fait. 1"honneurde me rece-
voir à sa table de me verser de l'eau sur les
mains, de me laver les pieds. Il n'y eut pas
moyen de m'en dispenser, ni de' m'y' opposer.
Je fus tellement accablé du poids de son auto-
rité, que j'aurais cru faire un crime de ne. m'y
pas soumettre. »
Ainsi saint Martin remplissait envers un
étrangerles devoirs de l'hospitalité chrétienne;
ainsi commença pour Sulpice Sévère cette
douc* e familiarité avec notre saint évêque, qui
fit l'honneur et la consolation de sa vie'. D~ant
son séjour à Tours, Sulpice: étudiait la vie" et
les vertus de saint )Iartin, comme le meilleur
modèle 'à'suivre; déjà, même il avait conçu le
dessein de mettre par écrit tout ce qu'il avait
appris des actions de notre illustre évêque.
Jamais projet littéraire, ne porta plus bonheur
à un écrivain :la postérité connaît surtout Sul-
pice Sévère comme l'historien de saint Martin:
Quoique notre saint prélat eût l'habitude de
ne jamais parler de lui-même, et de cacher
les gràces particulières que Dieu luiaccordait,
Sulpice cependant affirme qu'il apprit, de sa
propre bouche une partie des faits racontés'
dans son histoire. D'autres traits, avec quan-
tité de circonstances intéressantes, lui furent
révélés par les clercs de l'Église de Tours ou
par les moines. de Marmoutier. Peu d'auteurs
ont eu la même bonne fortune. Aussi son récit
peut-il être. 'considéré comme entièrement
digne de foi, puisqu'il s'appuie constamment

Martin.
sur le rapport de témoins 'oculaires, quand il
ne reproduit pas les paroles. mêmes: de saint

A récole d'un maître si habile, Sulpice fit


de rapides progrès. Non content de venir de
temps en temps passer quelques jours de re-
traite à Marmoutier, il transforma sa propre
maison en communauté. 'Là, au milieu de ses
anciens serviteurs et esclaves; devenus ses
frères en Jésus-Christ, il mettait en pratique
les plus austères exercice~ de la mortification,
et passait ses jours dans les plus .douces occu-
pations de la piété. Il eut des disciples, parmi
lesquels on compte Victor., qui avait reçu les
premières leçons de la vie monastique à Tours.
Au sein de cette agréable, solitude, Sulpice

Sévère, adonné à la méditation des choses cé-


lestes et à l'étude des saintes lettres, conser-
vait une entière liberté .d'esprit; ét même cette
aimable gaieté qui fut souvent le partage des
serviteurs de. Dieu. On trouve une preuve
charmante de cet enjouement. innocent dans
une lettre qu'il écrivit à saint. Paulin.. Celui-ci
l'avait prié, de, lui envoyer un cuisinier. Sul-
pice 1"informe ,qu'il est assez heureux pour
pouvoir satisfaire à sa demande, et qu'il lui
enverra bientôt, un serviteur plein de bonnes
qualités. « Je ne veux pas toutefois, ajoute-
t-il"en trop vanter ses talents; car il
a été élevé dans. ma: cuisine. où l'on ne fait
,cuirè',que des fèves,et d7autres légumes, où
les mets les plus recherchés.sontune espèce de
bouillie et. des herbes hachées, dont tout l'as-
saisonnement, n 'est que du,vinaigre et des
feuilles de plantes aromatiques.,» Saint Paulin
et Sulpice Sévère vécurent toujours dans une
étroite ,union~ Outre.1e trait que nous venons
de citer, nous apporterons encore, comme
preuve de leur intimité, les petits présents
qu'ils étaient dans l'habitude d'échanger entre
eux. Un. jour, Sulpice envoya' à lévèque de
Noie un manteau de poils de chameau, grossier
produit des fabriques du midi des Gaules. fi
reçut en retour la tunique de laine que Pau~in
avait reçue de sainte Mélanie.
Charmante simplicité touchants commerces
de l'amitié chrétienne Les saints- ont souvent
inventé de ces procédés qui enchantent les
âmes candides. La religion épanouit ainsi les
cœurs, et donne naissance à des fleurs suaves
de sentiment et de délicatesse.
Nous ne diroas rien ici. de l'ouvrage de
Sulpice Sévère sur l'Histoire sacrée, quoique
ce livre justement estimé, lui ait mérité le
surnom de Salluste chrétien. Nous préférons
nous arrêter quelques instants à l'examen de
la Vie de saint 1~1'artin, des Lettres et des Dia-
logues qui en forment le complément.- Il entre-
prit de rédiger la Yie. sur la demande de~Didier,
le même, comme on le croit, à qui saint JérÕme
et saint Paulin ont. écrit. Lé ,but qu'il se pro-
pose est de contribuer au salut des hommes,.
en leu~'mettant sous. les yeux un admirable
modèle de toutes les vertus~l dédaigne la
vaine estime des gens du.monde, plus occupés
des artifices du langage que des, réflexions. sé-
rieuses suggérées par la lecture de la vie des
saints. La modestie lui fait dire, qu'il est inha-
bile à écrire, et qu'il ne rougit pis même de
faire des solécismes. Les'amis de lalittérature
latine le regardent néanmoins comme un des
meilleurs auteurs de son siècle. Apeiiie eut-il
achevé son travail, qu'il en remit une, copie
'à saint Paulin. Celui-ci la porta à Rome, où
chacun se.pressa de la lire. Les copies se mul-
tiplièrent rapidement, et la Vie de-saint Martin
se lisait jusque dans les déserts de la Thébaïde,
du vivant même de l'auteur. Jamais livre n'ob-
tint un succès plus rapide et plus général. Le
pieux évêque' de Nole félicite son ami de ce
que ,Dieu ra jugé digne de publier. lés louanges
d'un, si grand évêque, et illuf promet une
réeompense éternelle. Ce. discours, dit-il,
est comme un manteau dont ~ous, avez revêtu
1""
et paré le Seigneur Jésus, que vous avez, pour
ainsi dire, couronné des fleurs de votre élo~
quence.»
L'ouvrage avait d.'abord paru sans nom d'au
teur. Plus tard, Sulpice ne fit aucune difficulté
de le reconnaître,et il s'en expliqua nettement
dans les Lettres et les Dialogues. Ce n'est ce-
pendant, selon l'aveu. même de Sulpice, qu'un
abrégé de la vie de saint .Martïn; beaucoup
de faits :merve~euxont étépassés sous silence.'1

Nous n'acceptons pas l'excuse qu'il en ,donne;


si ses contemporains avaient-eu peine à les
croire, la postérité les aurait accueillis avec
édification. Nous regrettons donc vivement
cette fausse réserve de notre auteur. De son
temps on s'en plaignit hautement, et. ces
plaintes arrivèrent à son oreille. Afin de ré-
parer ces omissions, Sulpice écririt ses Lettres
et ses Dialogues. On Y trouve, en effet, la
narration de plusieurs traits omis dans la Vie.
Rien n'est plus édifiant que la longue lettre
adressée à Bassula, sa belle-mère, où il ra-
.conte la mort de saint Martin en termes si
touchants. L'Église en, a tiré la plus grande
partie de l'office du saint évêque de Tours.:
On -a- pensé,avec raison;que les écrits de Sul-
pice,Sévère relatifs à, 1 s aint.Martin, écrits dont
la,lecture fit, les délices de ses contemporains,
et.fait. encore le charme de tous les,dévots selr-
viteurs du patr9n,desGau1es;s~raientlus avec
plaisir et.pro6t, Par ceux qui ignorent la langue
latine, dans une traduction élégante- et fidèle,
où, l'on s'est appliqué à conserver, autant que
possible,~le caractère du texte original. Beau-
coup de
personnes aimeron~à parcourir les
pages mêmes de Sulpice Sévère au lieu de
s'arrêter aux commentaires plus ou moins in=
génieux des historiens modernes. Les eaux
sont toujours plus vives et plus pures à la
source, que dans des ruisseaux éloignés, quand
même les rives en,seraient émaillées de fleurs.
Les goûts, d'ailleurs, sont. variés, et les fidèles
seront heureux, nous n'en doutons' pas, de
pouvoir se procurer la traductiond'un ouvrage
aussi solide qu'attrayant,'Qu'il nous soit per-
mis ici' de féliciter sincèrement l'auteur de
cette traduction,. M.Richard Viot, qui a fait
preuve à la fois de bon goût et de zèle pour le
culte de l'illustre évêque de Tours.
Nous formons tous des vœux ardents poUr
que la dévotion envers saint Martin'se pro-
page de plus en plus. La puissance de ce grand,
pontife auprès de Dieu n7est pas -diminuél,.u.
c'est toujours letbaumaturge et le patron 'des
Gaules. Tous ceux qui l'invoquent avec con-
fiance éprouvent les effets de son intercession-
miséricordieuse.

A Tours le Ilmai 1861, fête de la Sub-


xention de saint Martin.

J .-J '~OURASSÉ

chanoine.
LETTRE
DE

SULPICE SÉVÈRE A DIDIER


SUR LE~ LIIIRE DE LA VIE DE 8~1NT 1H'ARTIN

Sévère, à son cher frère Didier, sateu

,RedoutaIit,les'jugements des hommes, et retenu


pair une timidité naturelle, ravais l'intention de gar-
der en manuscrit et de ne pas laisser sortir de chez
moi le petit livre que j'ai écrit sur la vie de saint
Martin. Je craignais que mon' style peu élé.gant ne
déphit aux lecteurs, et ne me fit encourir le blâme
universel car je m'emparais d'un sujet réservé à de
savants écrivains, mais je n'ai pu résister à tes in-
stances. Que ne sacrifierai-je, en ~tfet, à tOD'amitié,
même en m'exposant à la honte J'ai cependait écrit
ce livre, me fiant à la promesse que tu m'as faite, de
ne le livrer' à personne. Je crains cependant que tu ne
lui ouvres la porte, et' qu'une fois lancé, il ne puisse
plus être rappelé. S'il en était ainsi, et. si quelques
personnes le lisaient, supplie les d'attacher plus d'im-
portance -aux faits qu'aux mots; et. de supporter pa-
tiefnment les défauts de style qui pourraient les cho-
quer,. car le royaume de Dieu ne consiste pas dans
l'éloquence, mais dans la foi; qu'ils se souviennent
aussi que la doctrine du salut n'a pas été annoncée
au monde'par des orateurs, mais par des pêcheurs;
bien que. si cela eût été utile, le Seigneur eût pu le
faire ainsi.
Lorsque pour la première fois je me décidai à
écrire, dans la pensée. qu'il n'était pas permis de
tenir cachées les vertus'd'un si, grand homme, je
pris le parti de ne pas rougir des solécismes qui
pourraient m'échapper car je ne suis pas très-savant
en ces sortes de choses, et j'ai oüblié, pour ne pas
m'y être exercé depuis fort longtemps, le. peu que
j'en savais autrefois. Enfin pour ne pas prolonger
ces excuses importunes, si tu le juges convenable,
publie ce livre sans y joindre mon nom; pour, cela,
efface-Je du titre, afin qu'il, annonce le sujet sans
indiquerl'auteur, ce qui sera suffisant.,
~vl~

DE

SAINT MARTIN

I. La plupart de ceux, qui .ont' écrit la vie des


hommes illustres, exclusivement,occupés de la
poursuite d'une 'gloire toute mondaine, ont espéré
par là S'immortalis&. Sans avoir* ctimplétement
réussi, ils ont: atteint. leur but en partie;' car, tout
en acquérant une vaine renommée,: les beaux
exemples qu'ils racontaient de ces hommes remar-
quables excitaient, une grande émulation parmi
leurs -lecteurs. Mais ce soin qu'ils prenaient de la
gloire de leurshéros, n'avaitpointpour butla bien-
heureuse et. éternelle vie. Car, à quoi leur a servi
cette gloire qui doit périr avec leurs écrits, et quel
avantage a~ retiré la postérité de la, lecture des com-
bats d'Hector ou des disputes philosophiques de
Socrate, puisque c'est une folie de les imiter,
même' de ne pas les combattre avec énergie? Ne
et
considérant dans la vie que le présent, ils se
sont nourris de mensonges, et ont enfermé leurs
âmes dans la nuit du tombeau. Ils ont pensé
seulement. à s'immortaliser dans la mémoire des
hommes, tandis que tout homme doit- plutôt tra-
vaiuer à acquérir la. vie éternelle qu'à perpétuer
sa mémoire sur cette terre, non par des écrits,
des luttes ou des disputes philosophiques, mais
en menant une vie pietise et sainte. Cette erreur,
transmise d'Age en âge par les écrits des littéra-
teurs, a tellement prévalu, qu'il s'est rèncontré
beaucoup de partisans de cette philosophie insen-
sée et de ce vain mérite. Je crois donc avoir fait
,quelque chose d'utile en écrivant la vie de ce saint
homme; elle servira d'exemple à mies lecteurs, et
les excitera à acquérir la véritable*sa- gesse, à com-
battre pour le ciel, et à méri ter la force d'en haut.
En cela, je trouve aussi mon intérêt, espérant
obtenir de Dieù une récompense et non des
hommes un vain souvenir; car, si je~ n'ai pas vécu
de manière à être proposé aux autres comme un
modèle, je me suis du moins appliqué. à~ fâ.ire
connaître celui qui mérite cet honneur. Je vais
donc commencer à écrire la vie de saint Martin,
et à dire comment il s'est conduit, soit avant,
soit pendant son épiscopat', bien que je ne sois
pas parvenu à connaître toutes les particularités'
de sa vie et les faits dont il fut le seul témoin,
puisque, ne cherchant pas la gloire qui vient des
hommes, il s'efforça toujours de tenir ses vertus
cachées. J'ai même omis quelques-uns des faits
que je connaissais, persuadé.'«il était suffisant
de parler, des' plus',remarquables, et que pour mes
lecteurs trop de' matières causerait peut-ètre de
l'ennui. Je supplie ceux qui me liront d'ajouter
foi à mes' récits, et d'être' convaincus que jè n,'ai
écrit que des faits certains et avérés d'ailleurs
mieux vaut se,1airè que de 'mentir.

IL-Martin naquit à Sabarie (1),. en Pannonie,


de parents assez distingués, mais païens; il fut.
élevé à Ticinum (2), ville d'Italie. Son père fut
d'abord soldât puis devint tribun militaire. Martin
embrassa' encorè jeune la carrière des armes, et
servit dans la cavalerie, 'd~abord sous Co~ance
puis sous Julien César; non par goût cependant,
car, dès ses. premières années, cet illustre enfant
ne respirait que le service de Dieu. N'ayant encore
que dix ans,. il se rendit à l'église, malgré ses
parents, et demanda à. être mis au nombre des
catéchumènes. Bientôt après il se donna tout en-
tier au service,de Dieu; et, quoiqu'il n'mît encore
que d~uze ans il désirait passer sa vie dans la
retraite. Il. aurait même exécuté ce projet, si la
faiblesse de son âge ne s'y fût opposée; mais son
âl4e, touj ours occupée de solitudes et d'églises

(:1) 'Sabarie;ancienne colonieromaine,aujowd1uïsàrwar.


(i) Ville' de la Gaule cisalpine, aujourd'hui Pavie~
lui faisait déj à proj eter, dès l'âge le plus tendre
ce qu'il. exécuta plus tard avec tant d'ardeur.
Lorsque les empereurs eurent ordonné. que les'
fils des vétérans entrassent dans l'armée, son
père lui-même, qui ne voyait pas d'un œil favo-
rable~ ces heureux commencements, le présenta
pour le service militaire; ainsi, n'ayant encore
que quinze ans, il fut enrôlé et prèta le serment.
A l'armée, Martin' se contenta d'un seul valet,
que bien souvent, intervertissant les r8les, -il
servait lui-même il allait jusqu'à lui ôter ses
chaussures et à les nettoyer; ils prenaient leur
repas ensemble, et le plus souvent c'était le
maître qui servait. Il passa. environ trois ans à
l'armée avant de recevoir le baptême et il se
préserva des vices si communs parmi les gens de
guerre. Sa bienveillance et sa charité' envers ses
compagnons d'armes étaient admirables, sa pa-
tience et son humilité sUrhumaiÍ1es~ Il estinu-
tile de louer sa sobriété il pratiqua cetté-vertu
à un tel degré, que déjà à cette époque on le
prenait plutôt pour un moine que pour un soldat;
aussi s'était-il tellement attaché ses compagnons,
qu'ils avaient pour lui le plus affectueux respect.
Martin, quoique n'étant pas encore régénéré en
Jésus-Christ, montrait déjà par ses bonnes œu:"
vres qu'il aspirait au baptême car il consolait les'
malheureux, secourait les pauvres, nourrissait
les nécessiteux, donnait des vêtements à ceux
'qui en manquaient, et ne gardait de sa solde'que.
ce qu'il lui fallait pour sa nourriture de chaque
jour déjà strict observateurdes paroles de l'Évan-
gile, n,ne songeait pas au lendemain.

RI. Un j our,au milieu d'un hiver dont les


rigueurs extraordinaires avaient fait périrheau-
coup :de personnes, Martin, n'ayant que ses armes
et, son manteau de soldat, rencontra à la porte
d'Amiens un paú~ presque nu. L'homme de
Dieu, voyant ce malheureux implorer vaine-

réservé. Mais que il


ment la charité des passants qui s'éloignaient sans
pjtié, comprit que c'était à lui que Dieu l'avait.
ne possédait que le
manteau dont il était revêtu, car il avait donné
tout le re~te; il. tire son. épée, le coupe en deux,
en donne la, moitié au pauvre et se revêt du reste.'
~Quelques spectateurs se mirent à rire en voyant ce
vétement informe et mutilé; d'autres, plus sen-
sés, gémirent profondément de n'avoir rien fait
de semblable, lorsqu'ils auraiént pu faire.davan-
tage, et. revétir ce, pauvre sans se dépouiller eux-
mêmes. La nuit s1rlvante Martin s'étant endormi
vit Jésus-Christ, (i) revêtu de la moitié du manteau

(i) La piété de nos rois n'a pas ,peu contribué à immorta-


liser l'action de sainUtiartiÍ1. Le roi Louis XI l'a honorée
par une fondation perpétuelle qu'il a faite dans'l'église de
Saint-Martin de Touxs, pour l'entretien d'an pauvre qui
polie une robe de deux couleurs. ( D. GBBVAISE.)
dont il avait couvert la nudité dtipauvre; et il'
entendit une voix: qui lui ordonnait de considérer'
attentivement- le Seigneur et de. reconnaître-:lé
vêtement qu'il lui avait donné. Puis Jésus se tour-
nant vers les anges qui l'entouraient leur dit
d'une voix haute « Martin n'étant encore, que
« catéchumène rn'a revêtu de ce manteau. »
Lorsque le Seigneur déclara qu'en revôtant le
pauvre, Martin l'avait vêtu lui-même, et que,
pour confirmer le témoignage qu'il rendait à une
si bonne action, il daigna sé. montrer revêtu de
Phabit donné, au pauvre, il se souvenait de ce qu'il
avait dit autrefois « Tout ce que vous avez fait
« au moindre des pauvres-vous me l'avez fait à
« moi.même. »' Cette vision ne donna
point d'or-
gueil au bienheureux mais, reconnaissant avec
quelle bonté Dieu le récompensait dé cette ac1ion,
il'se hâta de recevoir le baptême, étant âgé de
dix-huit ans. Cependant il ne quitta pas aussitôt
le service; il céda aux prières de son tribun, avec
qui il vivait dans la plus intime. familiarité, et
qui lui promettait de renoncer au monde aussi-
tôt que le temps de son tribunat serait écoulé.
Martin, se voyant ainsi retardé dans l'exécution
de ses projets, resta sous les drapeaux. et demeura
soldat, seulement de nom, il est vrai, pendant les
deux années qui suivirent son baptême.
IV. Cependant, les b arbares ayant fait ir-
ruption dans les Gaules, le César Julien rassembla
toute son armée près de Worms. et distribua des
1 argesses aux soldats; qui, selon la coutume, étaient
appelés les, uns après les autres. Vint le tour de
Martin; qui crut le moment favorable pour de-
mander son congé car il lui semblait qu'il ne
serait pas juste, n'ayant plus l'intention de ser-
vir', de recevoir les largesses de l'empereur. Jus-
« qu'ici, dit-il, je vous ai servi, César; per-
« mettez que je. serve Dieu maintenant que ceux
« qui doivent combattre acceptent vos dons; moi,
«' je suis soldat du Christ', il ne m'est plus permis

« de combattre. » A ces paroles, le tyran frémit


de colère, et lui dit que c'était la crainte de la
bataille qui allait se livrer le lendemain, et non
la religion qui le portait à refuser de servir. Mais
~intrëpide Martin, que le soupçon de lâcheté
rendait plus ferme encore répondit (1 Si l'on
« attribue
ma. résolution à la peur et non à ma
« foi, demain je me présenterai sans armes de-
« vant
l'arméè ennemie, et au nom du Seigneur
« Jésus, armé du signe de la croix, et non du
« casque et du bouclier, je m'élancerai sans crainte
«. au milieu des bataillons ennemis. » Julien le fit
aussit6t conduire en prison, et ordonna de l'ex-
poser le lendemàin sans armes devant Yennemi,
selon ses désirs. Le jour suivant; les ennemis
envoyèrent des ambassadeurs pour traiter de la
paix, se rendirent, et livrèrent tout ce qu'ils pos-
sédaient.
Qui doutera 'que cette victoire, ne soit due
au saint homme, que le Seigneur ne voulait
point envoyer sans armes au combat ? Et quoique
ce bon maitre eût bien la puissance de protéger
son soldat, même contre les épées et les traits
ennemis; cependant, pour que ses yeux ne fussent
pas même souillés de la vue du sang, il empècha le
combat. En effet, si le Christ devait accorder la
victoire en faveur de son soldat, ce ne pouvait
être qu'en empêchant toute effusion de sarig par
la soumission volontaire de,l'ennemi, sans qu'il
en coûtât la vie à personne.

V. Dans la suite, ayant quitté le service,


Martin se rendit 'auprès de saint Hilaire, évêque
de Poitiers; homme dont la foi vive était connue
et admirée de tout le monde; il y resta quelque
temps. Hilaire voulut lé faire diacre pour se Yat-
tacher plus étroitement et le consacrer au service
des autels; mais Martin avait souvent refusé, disant
hautement qu'il en était indigne. Hilaire, dans sa
sagesse, vit bien qu'il ne se l'attacheraitqu'en lui
conférant un emploi,. dans lequel il semblerait ne
pas lui rendre jùstice; il voulut donc qu'il fût
exorciste. Martin ne refusa point cet ordre, de peur
de paraître le mépriser, à cause de son infériorité.
Quelque temps après, Dieu lui ayant ordonné en
songe d'aller dans sa patrie visiter ses parents
encore païens, pour s'oécuper de leur, conversion
avec une pieuse sollicitude, saint Hilaire lui ac-
corda la permission de s'éloigner; mais, à force de
prières et de larmes, il obtint de lui la promesse
de revenir.Il était plein de tristesse, dit-on, quand
il entreprit ce voyage, et il assura à ses frères qu'il
y aurait beaucoup à souffrir ce qui arriva eft'ecti-
vement. S'étant d'abord ëgaré dans les Alpes, il
rencontra' des voleurs; l'un,d'eux le menaça d'une
hache qu'il brandissait au-dessus de sa tète, un
autre détourna le coup; on lui lia ensuite les mains
derrière le dos, et il fut livré à l'un de ces brigands
pour être gardé et dépouillé. Ce voleurle conduisit
dans un endroit plus retiré encore, et lui demanda
qui il était. « Je suis chrétien, » répondit Martin;
il lui demanda ensuite s'il avait peur; Martin ré-
pondit alors avec courage qu'il n'avait jamais été
plus tranquille, parce qu'il savait que la miséri-
corde du Seigneur ne lui ferait jamais défaut, sur-
tout dans les épreuves, et que c'était plutôt lui
qu'il plaignait, puisque le brigandage ,auquel il se
livrait le rendait indigne de la miséricorde de.Dieu.
Puis,? commençant à développer la doctrine de
l'.Évangile; il prècha au voleur la parole de Dieu.
Qu'ajouterà cela Le voleur crut en Jésus-Christ,
accompagna Martin qu'il remit dans son, chemin
en se recommandantà ses¡prières. Dès lors il mena,
dit-on, une vie sainte, et l'on croit même que
t
c'est de sa bouche que l'on a recueilli les détails
précédents.

VI. Martin, poursuivant sa route, avait dé-


passé Milan, lorsque le démon, sous une fÓrme
humaine, se ,présenta devant lui et lui demanda
où il allait. « Je- vais où le Seigneur m:'appel1e, »
répliqua Martin. Satan lui dit alors « Partout où
a'tu iras; dans toutes tes entreprises, le diable
« s'opposera à tes desseins.,»
Martin lui répondit
avec ces paroles du Prophète « Le Seigneur est
« mon appui, je n'ai rien à craindre des hommes. D
Son ennemi disparut aussitôt. Selon son espé-
rance, il retira sa mère des ténèbres du paga-
nisme, mais son père persévéra dans' l'erreur;
ses bons exemples convertirent partout plusieurs
personnes. L'hérésie d'Arius s'était répandue dans
tout l'univ~rs, et surtout en Illyrie Martin, qui
presque seul combattait vaillamment la perfidie
des prêtres hérétiques', souffrit beaucoup d'ou-
trages- ( car il fut publiquement battu de verges,J
et enfin chassé de la ville). Il reto~rna en Italie;
mais ayant alors appris que l'Église était égale-
ment agitée dans les Gaules à cause du départ de
saint Hilaire, que les ,hérétiques avaient contraint
de s'exiler, il alla à Milan où il se fit une soli-
tude. Là aussi Auxence, fauteur et chef du parti
aiien, le persécuta à outrance, l'accabla d'ou-
trages et le chassa de la ville. Martin, pensant
qu'il;fallait céder~auz. circonstances,se-retira avec
un .prêtre très-ver,tuenx.' dans .l'île, G~inaria (1);
il y. vécut: pendant 'quelque: temps de: r.acines' et>
selon la.tradition; ce:futJà qu'il;mangeade l'ellé=
bore "plante vénéneuse: Sentant :le poison' s'insi-
nuer dans ,ses: veines: etvla. mort .s'approcher, il
conjura par la:prière ce. péril imminent; et la doù-
leur cessa aussitôt. Peu de temps. après, ayant
appris que l'empereur, regrettant, ce qu'il avait
fait, accordait à: saint Hilaire la: permission de
revenir il: se rendit -à Rome, dans l'espérance de
l'y rencontrer. 1

VIT. Mais saint Hilaire avait déjà quitté cette


ville; Martin le suivit, et, enayant,é~é'reçu avec
la plus grande bonté, il se. fit une solitùde près de
Poitiers (2). Sur ce.s.entrefaites, un catéchumène,
désirant" être in~truit; par un si saint homme,
se joignit à lui; ,mais, peu de jours après il fut
pris de la fièvre. Martin était alors absent par
hasard. Cette, absence se, prolongea trois jours
encore., et à son retour il le trouva mort. L'évé-

(1) On croit. que c'est rite Gorgona, située à trente-deux


1,tilomètresde Livourne.
(~) Ce lieu s'appelle Ligugé. Les disciplesde, saint Martin
n'é~entpas moines deprotéssion,etleur engagement n'é-
tait pas pérp»étuel. Ce qUi n'bte cependant pas à saint Martin
la'gloire'd'avoir, le premier, introduitrla profession nrionas-
tiqUe enFrance.(D.GBBVAISE.)'
g
nement avait été sisoudain,qu'~l avait"<¡1.iitté
]~ terre. n'ayant .pas.encore reçu le baptême. Le
corps était placé au.milieu de la chambré; où,léss
frères se succédaient, sans: cesse pour.'lui rendre
leurs devoirs, lorsque Martin accourut; pleurant
et se lamentant. Implorant alors avec ardeur, la
grâce de l'Esprit-Saint, il fait sortir tout le monde,
et s'étend sur le.cadavre du frère. Après avoir prié
avec ferveur pendant quelque temps, averti par
l'Esprit du Seigneur que le miracle va s'opérer,
il se soulève un peu, et,. regardant fixement. Ie
visage du défunt, il attend avec confiance 1'effet
de sa prière et de la miséricorde divine. A peine
deux heures s' *étaient-elles écoulées, qu'il vit tous
les membres du défunt s'agiter faiblement et les
yeux s'entr'ouvrir. Alors Martin rend grâces à -Dieu
à haute voix, et fait ret'entir la cellule des accents
de sa joie. A ce-bruit, ceux qui se tenaient.,au
dehors rentrent précipitamment, et (ô spectacle
admirable! ) ils trouvent plein de vie celui qu'ils
avaient laissé inanimé. Ce catéchumène, revenu
à la vie, fut aussitôt baptisé, et vécut encore plu.
sieurs années. Le premier parmi nous il donna à
Martin l'occasion d'exercer sa puissance et resta
en quelque sorte la preuve vivante de ce miraclé:
Il nous racontait souv ent qu'après avoir quitté son
corps, son âme. avait -co" aru devant 1.8 t,J:i~)Uft~l
du Juge, et qu'il y`. avait en.tendu la t~iste s.e~;
tence qui le condaimnait à habiter des lieux, obs=
cnrS, avec. une foule d'autres âmes; mais alors
deux a~ges fu:eIit connaître au; ,Juge qu'il était
célûiv: pour.lèqûel Martin priait ils reçurent aussir
tôt l'ordre: de lé ~ener et', dé le rendre à la vie
etr à' Martin-. 'Ce-miracle rendit le nom de Martin
irè,s"Célèbr'e, 'et' ceux qui- déjà le considéraient
'com'me: .un`saint; le regardèrent alors comme un
h6u1irie" piI~ssant: et vraiment apostolique.

'VIII:= Peu de' temps après, Martin, traver-


sant les terres d'un certain' Lupicin, homme ho-
noéable selÓb.le monde, entendit.- les pleurs et les
lamentations, d'un grand, nombre de personnes.
Inquiet; il s'arrête', il. demande la cause dé ces
gémissements'; il rapprend qu'un -des esclaves
vient de" sepen~re~ Il 'entre aussitôt ,dans la
ch~reoùétait' ,le corps" fait sortir tout le
monde s'étend sur le cadavre;' et prie pendant
quelque temps. Bientôt le visage de l'esclave s'a-
nime il élève vers Martin des yeux languissants,
et~, ayant fait. de: lents. et 'inutiles efforts pour se
soulever, 'il' saisit -la main dû Saint, se dresse sur
ses piéds'puis s'avance avec lui- dans le vestibule
de la' maison,: à-la vue de tout le peuple.

lx. C'est à peu près à cette- époque que la


ville'de Tours demanda saint Martm pour éYêque
mais
tir
il n'était, pas facile de le faire sor-
de sa~ solitude, un des. citoyens de la ville;
nommé Ruricius, ,se eta à ses pieds, et, prétext~t
la maladie de sa femme, le détermina.à sortir.:Un
grand nombre d:~abitants sont,échelon~és"sllr la
route; ils se. saisissent de Martin, et, le: condui-
sent à Tours, sous bonne garde. Là",uIle~.IIlUl~
titude immense, venue non-seulement de Tours
mais des villes voisines, s'était eunie afin,de
donner son suffrage pour l'élection. L'unanimité
des désirs, des sentiments et, des votes.; déclara
Martin le plus digne de l'épiscopat, et 1'Église: de
Tours heureuse de posséder un tel pasteur. Un
petit nombre cependant, et JJlême, qu~lquesévê-,
ques convoqués pour élire le nouveau .prélat, s'y
opposaient, disant qu'un;homme.d'un e~térieur si
négligé, de si mauvaise mine, la:iête rase, et si mal
vêtu, était indigne de l~épiscopat. Mais le"peuple,
ayant'des sentiments .plus sages" ,tol1rna, en ridi-
cule la folie de ceux qui,. en voulant nuire:à.cet
homme illustre, ']le faisaientqu'exaIter ses
tus. Les évêques furent, donc obligés de..se rendre
au désir du peuple, dont Dieu se" ser,~ait:PQur
faire exécuter ses desseins. Parmiceux',q~i,s'~ppo-
saient à l'élection, il y avait un certain ,I)é~nsor:~
on verra qu'il fut pour cette rais.on; ,s,é~ère~en,t
blâmé, par les paroles du Prophète; car celui quii
devait fairé la lecture ce jour-là n'ayant. pu
pénétrer à cause de la:f~ule,.lesprêtl'es,seJrPll~'
blèrent, et l'un d'eux ne voyant point venir..le
lecteur, put le Psautier, et lut.1e premier verset'
qui lui 'tomba' sous, les yeux; c'était celui ci':
cl 'vous avez'tiré une' loùange Parfaite de la

bouche des enfants,, et de ceux'qui sont encore


à. la :mamelle, pour coüfondrè vos adversaires,
«
et'. pour: perdre. votre ennemi ret son dé fé~
a seur:'»~~A cés paroles, le peuple' pousse 'un' cri;
les ennemis" de Marlin'sorit' confondus. On resta
convaincu que Dieu avait permis qu'on lût ce
psaume, afin que Défensor y vît la condamnation
de safâute; car c'ést de la bouche des enfants
.et dé' ceux qui sont à la mamelle que Dieu,
en Màrtin;~ à:,tité-.1a louange 1~~ plus parfaite,
et l'e-enn 'à > été détruit ài1sSitôt qu'il s'est
montré~ `-
~NOllS' n-'avons point assez de talent pour
raconter ,ce que fut Martin devenu évêque il de-
'meura touJours 'ce qu'il' avait été auparavant, aussi
,humble- dè:cœur ,:ausSi simple: dans sa manière de
s'habillèr~ "n.remplissait; ses fonctions d'évêqUe
d'mi~' mariière,:pleine'd'imtorité èt de bonté, sans

il
~essel';pour cela.* aér vivre comme un;moine, 1 -et
d'en` pratiquer lés vertus: Pendant quelque temps
petite ceUwe près de l'église; màis,
importuné -du. grand nombre de visites qu'il y re-
cevait; il se fit une solitude (1) -à peu près à deux
,milles' de la ,ville. Cet' endroit' était 'si. caché et si

:1) Ce~fut ~plns tard la célèbre abbaye de Marmoutier.


retiré, qu'il ressemblait à undésert~:n était~, ren~
fermé d'un côté par un rocher haut et escarpé:;
de l'autre par une sinuosité du-cours de: la
Loire, qui y formait ainsi une petite ,vallée;, on
ne pouvait y aborder que par un sentier fort
étroit. Saint Martin habitait, une cabane.: de, bois;
quelques frères en avaient de semblables, d'au.
tres s'étaient creusé des cellules dans le roc., Il
y avait là quatre -vingts disciples, qui s'y for-
maient sur les exemples de leur ~i~$eureux
maître. Aucun d'eux n'y possédait rien~en propre;
tout était en con;unun;' ils ne :pouvaient ni vendre
ni-acheter, comme le font', 'ordinajrement:la plu:
part des. moines. On ne s'occupait d'aucun. ârt,1
si ce n'est de celui de copier des livres encore
cet emploi était-il réservé aux,plus:jeunes.,Les
plus âgés, vaquaient à l'oraison; ils; soxtaient-;ra:
rement de leur cellule, excepté lorscru'ils,se7~réu-
nissaient pour la prière; ils prenaient 'leurs: re~
pas ensemble. quand ,l'heure, 4~Tonipre le' 'jeûne
était arrivée, et ils ne linvaient. point ,de vin; à
moins qu'ils ne fussent malades. La plupart por-
laient des habits,de,'poils de chameau:; c'était
un 'crime de se vêtir plus délicatement.: Ce. ;'qui
rend cela plus admirable, c'est que plusieurs
d'~ntre eux étaient des hommes de qualité;quf,
~leyés d'une manière bien di1l'érente,s'étaient,
astreints à
cette -vie' d'humilité et dé souffrance.
Dans la suite, nous en avons .vu plusieurs de-
'venuS,évêques:; et quelle, ville: ou quelle Église
ne; se' 'réjémirait;pas, d'avoir"un évêque sorti- du
monastèreide saint -Mittin 1

XI.~ ,Je,vais'maintenant,rac~nter¡' les ..mi:-


racles ¡qu'il 'fit, pendant-:son'épiscopat. A' peu:,de
distance de, la ,vill~ ,et, non loin .du.: monastère, se
trouvait,. un endroit: que' l'on regatfdait, à tort
comme le lieu de la sépulture de plusieurs mar-
tyrs, qui y recevaient. un culte, car l'érection de
l'autel: était attribuée aux-évèqùes précédents~ Mais
Martin, Waj*oùtant 1 poïnt~ foi~ légèrement à des trai-
ditions incertaines, demanda aux plus anciens
desprêtres:et des: clercs .de lui dire là, nom du
prétendu saint et l'époque ,de; son 'ma~e.; n 'était
fort inqUiet .à:c,e.,sujet;;puisquela-tra.dition ,nè
rapportait iieii., d6'bièn'a*éré; Pendant quelque
temps il: s'abstint d'aller à ceténdroit, ne voù-
1ant,pas' porler-'atteinte,:àce! culte;tant: qu'il, se-
rait ~dans~ l'incértitude, ni' l'autoriser de peur dé
favoriser 'une superstition. Prenant. un j jour: avec
lûi quelqués uns des frères il s'y rendit, et,:se
.tenant sur lé sépulcre il. pria le Seigneur de lui
'faire. connaître quehhom.me,1avait été 'enterré dans
:ce ,lieu: .*et quels pouvaient être ses mérites. Alors
,il:voit se dresser à~ sa :gauche un spectre' affreux et
terrible. Martin;lui ordonne de déclarer qui il est,
et quels sont ses, mérites devant, le, Seigneur: le
se, nomme,. avoue ses crimes, dit qu'il
est un voleur, mis à. mort pour, :ses forfaits et
bonoréparune erreur populaire;' qn'il)r'a,rien
de commun avec les martyrs, qui. sont. dans, la
gloire, tandis qu'il est dans les tournien1s~ Ceux
qui étaient présents entendirent cette voix-étrange
sans voir personne,. 'Martin leur dit 'alors ce. qu'il
a vu, ordonne qu'on enlève l'autel, et délivre
ainsi ]epeuple deceÍteerreur.et decette,super~
stition.

Xll. Quelque temps après,:Martin,anstm


de ses voyages, rencontra le ,convoi.uÍ1èbre d'un
païen qu'on portait en terre, avec des cérémoirles

instant car,.se trotiv~t à peu près à


superstitieuses. Voyant de loin-.cette foule qui s'a-
vançait, et ne sachant ce que c'était, il s'aTrètà un
cents
pas' de distançe, il lui était difficile:de 'rien, dis-
tinguer. Cependant-, comme'i1 voyait-une troupe
de paysans, et que le vent faisait, voltiger les,linges
blancs qui recouvraient, le corps,. il crut qu'on ac-
complissait quelque rite profane et superstitieux:
car les paysans, dans leur aveuglement,insensé;
ont l'habitude de porter autour de ,leurs .cbamps
les images des démons:recouvertesd'eto1l'es b]ari-
ches. Élevant donc la main-; il fait le :signe 'de la
croix, commande à la' foule de s'arrêter et de dé-
poser le. fardeau. A l'instant, même ils demeurent
immobiles comme des pierres; puis, faisant un
violent effort. pour continuer leur marche;~ ils.s6
-mettent. àtoùrner 'ridiculement ,sur eux-mêmés,
jusqu',à ce que, épuisés par. !e'poids '~ils,porteIit,
-ils, déposent le 'corps.: Étonnés, ils se.regardentles
uns: les -autres en; silence"'et' se demandent â. euz
:mêmesquelle:,peut;être la cause~.de:l'accident qui
leur arrive~<M;ais: le bienheureux, ayant reconnu
que, 'cette foule n'était point. réunie pour un sacri-
.fice, mais :pour des' funérailles) éleva de nouveau
-la'main, et. leur perrnit de. s'éloigner,et d'empor-
ter le corps du défunt.è'est ainsi que Martin, sui-
vant sa volônté; ou les ,força de s'arrêter, ou leur
-permit de 'reprendre leùr marche,

XIII: Dans 'u~ bourg se trouvait un. temple


fort ancien, que Martinavait détruit. et il se dis-
posait. à: abattre un pin qui en était proche, lorsque
le .prêtre. dé cet endroit et toute la foule des palens
s'y opposèrent; et: ces, mêmes hommes, qui, par
:la ,permission de Dieu,,avaient laissé, sans y me«re
obstacle; démolir. leur temple; ne :pouvaient'souf..
fi~ir~ qu'on abattit l'arbre. Martin faisait tous ses
efforts pour leur faire comprendre qûe ce tronc
-d'arbre' n'avait: rien de sacré qwils devaient plu-
'tÔt:adorer le Dieu qu'il servait lui-même, que cet
'arbre' consacré » au, démon devait être abattu. Alors
l'un4~eux) plus audacieux,queles autres, lui dit
,«~;Si¡tu'as quelque confiance..dans le Dieu que tu
;cr;sers~ nous --abattrons, nous -'mêmes cet arbre
consens àle laissertomber sur toi, et si, comme
« tu le dis, tu es protégé par ton Dieu,: tu: né-
« prouveras aucun mal. »
Martin n'est nullement effrayé: de :cette propo:-
sition, et se confiant dans le Seigneur; il :promet de
faire ce qu'on demande; touté:la foule des païens

leurs dieux. Le i
consent à cette condition, et se rësigrié à la perte
de l',arbre, si sa chute doit, écraser l'ennemi de
penchait tellement d'un côté,
que personne ne doutait du lieu où il ,devait tom-.
ber. Martin fut attaché dans cet endr~it:, suivant
la volonté des paysans ceux. ci, transportés .de
joie, se mirent aussitôt à 1'oeuvre. La foule atupé-
faite se tient à une grande distance. Déjà le pin
vacille, èt son ébranlement annonce sa chute. De
loin les moines pâlissent' de -craÏ11te, et, cons=
temés du péril imminent, ils:ont déjà ,perdu
tout espoir et toute confiancé; et n'attendent
plus que.la~ rriort de Martin. Mais celui-ci~ sé con-
fiant dans le Seigneur, demeure ferme et exempt
de toute crainte.,Tout à coup le pin éclate avec
fracas, tombe, et se précipite sur Martin, qui, éle-
vant la main, lui oppose, le signe du.salut:Aussitôt,
comme s'il eût été repoussé par un tourbillonjUl,
pétueu~, l'arbre se retourne et va tomherdel'autre
côté, où il manque de 'renverser lés paysans,, qui
ey croyaient fort en sûreté. Les païens, frappés de
ce miracle "poussent de. grands cris; ,les:moines
pleurent de joie.; les louanges du :Christ sont dans
toutes- les bouches. Ce jour-là fut' assurément un
jour: de: salut pour ce pays n'y eut per-
sonne,' dans cette immense niultitude, de- païens,
qui ne: demandât; aussit8t~1'imposition des:mains,
et- qui, abjurant.:les erreurs du.paganisme,ne cr~it
en Jésus-Christ. En effet, avant l'arrivée de M8r-
tin, presque personne ~:ne,colli1aisSaït le nom: de
Jésus- Christ dans- ce pays' ,Mais'ses,vertus et ses
exemples, y ont été. si puissants, que cette contrée
est maintenant couverte d'églises -et de monas-
tères'. A peine un ,temple païen est-il détruit, que
sur son emplacement .s'élève; une église ou un
,couvent.

XIV, A peu près :vers la même époque, 'Mar~


tin opéra un,miracle semblable. Dans un bourg.se.
trouvro,t un temple fort ancien, auquel. il .avait mis
le feu; les flammes,'poussées par le.,vent., atteigni-
rent une maison voisine, qui y était même atte-
nante. Dès qu'il s'en aperçut,' Martin, monta rapi
dément. sur.le toit, et se présenta aux flammes
comme un..obstacle. pour les arrêter. Alors vous.
auriez pu voir, par un 'miracle étonnant, les flam-
mes repoussées, contre' la direction du vent, et ces
déux éléments lutter en quelque sorte l'un:contre
l'autre. Ainsi, par. la puissance de Martin', le feu
n'agit que, dans l'endroit oùillel~ permit. Mar-
tin voulant encore. renverser un temple païen que
la auperstition. avait rendu prodigieusement.riche,
et qui était situé dans- un bourg nommé Lepro-
sum (1), un grand nombre de païensis'oppôsèrent
à son dessein, et le repoussèrent en l'accablant
d'injures. C'est pourquoi il*. se retira dans: un en=
droit voisin,. et,là, pendant trois joûrs, ,revêtu
d'un cilice et couvert de cendres, jeûnant et priant,
il suppliait le Seigneur dé'détruire ce temple par
sa toute-puissance, puisque la main de ,l'homme
n'avait pu le renverser. Tout à coup deux'anges,
armés de lances et de boucliers; comme les soldats
de la milice céleste, se présentèrent à lui, et lui
dirent qu'ils étaient envoyés par le~ Seigneur pour
mettre en fuite cette troupe de paysans,. et le'pro-
téger, si on voul3it lui résister pendant la destruc-
tion du temple qu'il y retournât donc pour ac-
complir avec ardeur l'oeuvre qu'il avait, commen-
cée. TI revint donc au bourg, et à la, vue de la foule
des païens, sans qu'aucun d'eux s'y opposât, il
détruisit le temple jusque dans ses fondements, et
réduisit en poudre tous les autels et les idoles. A
cette vue, les paysans, comprenant que c'était pour
favoriser le dessein de l'évêque que' la, puissance
divine les avait frappés d'effroi et de stupeur,
crurent presque tous en Jésus -Christ, et,confes-
sèrent publiquement et ,à haute voix qu'il fallait
adorer le Dieu de Martin, et- rejeter les. idoles qui
ne pouvaient leur être d'aúcun secours.

(1) Maintenant Loroux,. dans le département de la'Loire-


Inférienre; ou plutOt Leyroux, dans le Dem.
XV.Jevais;'racon~ermaintenant ce qu'il fit
dans uù'bourg:des Éduens (i)~'Pendant qu'il y- ren-
ve~sâit encore~ un temple 'de là ,même manière,
une multitùdê ,de'p~ens furieux se;. précipita sur
lui; l'épée'à la main. -Martin,rejetant son man-
teau; présenta son cou,nu à rassàssin. Le'païen
n'hésitè pas mais; au moment où-il élève le bras,
il tombe. à la renverse, et, saisi dune frayeur mi"
raculeuse ~il.demande pard~on.wYoici encore un
faitduinême,genre: Martin était occupé à renver-
ser des ido]es,un païen voulut lui donner un coup
de couteau,;àumo:lbent où;il allait'le frapper, le
fer s'écbappa:de ses mains. et disparut. La plupart
du temps, lorsque .les: paysans s'opposaient à la
destruction de leurs temples; il touchait. tellement
leurs'cœurs;en'leui.annonçant la parole de Dieu"
qu'éclairés de,la lumière de la vérité; ils les ren-
versaient:de; leurs 'propres mains.

xvi'- Martinétait si puissant pour la guérison


des malades; que presque tous ceux qui venaient
à lui. étaient: guéris:. L'esemple suivant en est. la
preuve. TI se trouvait à Trèves' une jeune fille at-
teinie: d'une' paralysie. si complète, que tous ses
membres;depuis'longtemps" lui refusaierit leur
service;'ils;étaient:déjà comme morts, et elle ne

(t) 'Le pâys: deS:tduêns:répondait.àune partie da Niver-


nais-et @dé 1a:'Bourgo~e; leur capitale était Antnù.
tenait plus à la vie ¡que' par ,un- souffle "Ses ;:pa-
reJ]tsi accablés de tristesse"étaientlà;,n~atteridant
plus que sa. mort,, lorsqu'on apprit. que Martin
venait 'd!arriver dans la ville. Aussitôt que le père
de la jeune :fille en est instruit"jl'y'cop.rt tout
tremblant, et implore :Martin pour sa fille" mou-
rante. Par hasard le saint évêque était déj à entré'
dans l'église; là, en présence du peuple et de beau-
coup d'autres évêques,' le vieillard, poussant, des'
cris de douleur, -embrasse ses -genoux, et luFdit:
« Ma fille se meurt d'une maladie:terrible, et ce
« qu'il y a de plus afi'reux,c'est que'ses,membres,
« bien qu'ilsvivent encore, sont comme morts et
«. privés de tout mouv~ment.Je.voustsupplie,:de
« venir la bénir, car j'ai la ferme confiance, que
et vous lui
rendrez la ,santé. »Martin,étonné de
ces paroles qui le couvrent de. confusion, s'excuse,
en disant qu'il n'a pas ce pouvoir, que le,ieillard
se trompe, et qu'il n'est pas digne que le Seigneur
se serve de lui.pour faire un rniracle..Le père, tout
en larmes, insiste plus vivement encore, et le
supplie de- visiter sa fille mourante. Martin se rend
enfin aux prières des 'évêques présents,: et vient
à la maison de la jeune fille. Une grande foule se
tient à la porte, attendant ce 'qu,e "le' serviteur de
Dieu va faire. ,Et d'abord, 'ayant' J'ecours à, ses
armes ordinaires il se prosterne à terre et prie
ensuite, regardant la malade il .demande..de
l'huile; après, l'avoir bénite, il en versé une: cer-
taine'quantitéd~la.:bouche,de'" la jeune fille, et
-la voix lui:revient aussitôt:; puis; peu à ,peu', ;par
-le ,contact de il~; main de Martin, ;ses .membres,:les
uns après: les :autres,. :commencentà reprendre la
vie; enfin, ses :forces reviennent, et. elle 'peut .se
tenir debout,dévan~le peuple.:

XVll., A la époque, Tétradius, per-


;sonnage consulaire, .avait.un :esclave possédé du
démon et qui allait faire:une fin, déplorable. On
pria Martin de 1ui imposer~lesmains "et il se le fit
.amener.. Mais on., ,nepntfaire.. sorn- le possédé
de la cellule, car:.il ~3unordait cruellement ,ceux qui
s'en approchaient: rAlois Tétradius; se jetant, aux
-pieds -de Martin .le supplia ide, venir. lui mème
dans la maison ,où';setrouvait:le,démoniaque;
mais il-refusa, 'disant;~il:'ne:'pouvaitentrer,dans
.la demeure d'un p~ofa1ie,' et ,d'un, paien. Tétra-
dius était encore plongé. dans.les erreurs. du pa-
ganisme mais il promit de se faire chrétien., si
'son 'serviteur était ;délivré du'démon., C'est pour-
.quoi Idartin imposa les mains à 1'escla.ve,. et en
chassa l'esprit: immonde. ,A cette vue;. Tétradius
fut
crut en.. Jésus -,Christ; aussitôt, fait, catéchu-
mène, .baptisé'peu, de: :temps ,'après, ,et, depuis lors
il e~~toujo~s'un respect.afIectueuxpo~:Martin,
l'auteur de. son:salut~,Vers la' même "époque et
dans la', mêmeville .Martin, ,étant:entré dans la
lwuson, d'un,.pèr~,de famille', ,s'arrêta'sur le. seuil,
disant qu'~lvoyait un affreux ,déIIlon; dans: le ves-
tibule. Au moment où Martin lui 'command~t de
sortir, ilr s'empara' d'un esclave qui se trouvait
dans l'intérieur de la maison; ce malbeureux~se
mit aussitôt à,mordre et à déchirer tous ceux qui
se présentaient à lui. -Toute la: maisonest, dans le
trouble et l'effroi; le peuple prend la fuite. Martin
s'avance vers le furieux, et lui commande'd'abord
de s'arrêter;.mais il grinçait des dents; et, ouvrânt
la bouche J menaçait de le mordre; 'Martin y met
ses doigts:; « Dévore-les; si tu en as le pouvoir, J)
lui dit-il: Alors le possédé, comme si on lui eût
plongé un fér, rouge. dans la -gorge., recula, pour
éviter de toucher les doigts dU. Saint., Enfin le
diable, forcé par les 'souffrances et les tourments
qu'il endurait de quitter; le corps de 1; esclave,. et
ne pouvant sortir par sa bouche'; s'échappa par les
voies inférieures en. laissant. des''traces dégoù-
tantes de son passage:

XVIU. Cependant -le: brUit d'une attaque des


barbares ayant inquiété les habitants de la ville,
Martin se fit amener un démoniaque, et lui
comxnanda de dire si cette .nouvelle, était,, vraie.
Celui-ci avoua qu'ils étaient ,dix démons, qui fai-
saient courir.ce bruit parmi'le;p'euple', afin" du
moins, que la crainte fit: sortir Martin de la villé~;
les barbares n'avaientvaiucunemént. l'intentiow de
faire une irruption..L..espritimmonde ayant fait
cet =aveu: au\,miliéu;de: 1'égliSe, délivra, la cité: de
la;crafute; et:,duArouble ¡qui -agitaient -Un-jour
.qu'il .,entrait.à ,Paris, ,'comme-il.passaitpar-urie:des
portes de,: cette,cité/:avec'une grande 'foule; de
peuple; .il:bénit et:baisa un lépreux:dont:la1igure
affreuse faisait:hÓiTeurà ',tous. celui -ci fut aussi'
tôt guéri :et:-vint le:lendemain.à l'église, avec un
visage' sain 'et' vermeil,. l'endregrâces: à Dieu 'pour
lavsànté ~qu'il~ avait recouvrée:: Ma3s:ce que nous ne
pouvons::noüs dispenser de 'dire,' c~est que les fils
des -vêtementsou du cilice de Ma.rün ~ôpérërent de
fréquent6s guérisons;appliqu'és aux:doigts ou au.
coudes malades; ils les délivraient-dé .}eursin1ir-'
mités.'

;XŒArbori~,¡ancien-préfet, homme plein


deJoi'et. de :,piét~ dont la fille était affectée: d'une
fièvre quarte très-violente, lui mit sur la poitrine
une,)létÍre'deMartin:, qui lui était: tombée par
.hasard,entrèles: xna.ins., ;et. aussitôt "'la fièvre 'cessa.
'Cette:guérison :toucha .tellement;Ârborius:, qt~iI
consacra'. sur le-cbiamp sa fille, à ,Dieu', et .:la'voua' à
riDe ;,virginitéperpétuèlle.,n partit ,ensuite pour
iller,trÓuver ,Martin, lui. 'présenta'sa'jille; qu'il
,avait.' ,guérie'; quoiqu'étant absent,: comme une
preuve' vivantei:de :ce'miracle, -et: ne souffrit-pas
(Wpii autre que':Martin'lui',donnât'le voile. Yaû=
devait: dônner 'plus tard d'illustres eaém-
"ples,fut"~ttaql1é d'un mal d'yeux qui le faisait'
beaucoup- souffrir; déjà -la;pupillet..de. son œiLse
couvrait d'une taie, très-épaisse. Martin:lui; toucha
l'oeil avec un pinceau aussitôt -la; douleur; cessa,
j
et il fut guéri., Un our, Martin tômba lui même
d'un étage supérieur, en roulant.sur..les marches
raboteuses de -l'escalier, et se :tlt;plusieurs.bles.
sures. Étendu presque ,sans vie dans- sa cellule,il
éprouvait de cruelles souffrances, lorsque. pen-
dant la nuit un ange lui apparut, lava,, ses. bles=
sures et oignit ses membres contusionnés d"u~
onguent 'salutaire, si bien que le -lendemain
rendu à Ja, santé,: il- ne paraissait avoir éprouvé
aucun accident. :Mais' comme, il :serait trop long:de
raconter en détail tous les miracles de Martin: je
me contenterai de rappeler les plus remarquables,
pour épargner l'énnui= que je pourrais, causer~.au
lecteur,- si j'~n:rapportais un-trop grand nombre.

XX. ~Après des faits si grands; si merveilleux,


en voici quelques autres:qui sembleraientpeu .im;
portants, si l'on ne-devait pas:placer. àù!:premier
rang" surtout à'notre époque oÙ"tout.est'dépravé
et corrompu., la,fermeté d'un évêque refusant :de
s'humilier., jusqu'à aduler' le: pouvoir, impériàl.
'Quelques, "évêques;; étalent, ':venus de différentes
contrées à la cour del'empereur,Maxime; homme
fier, et que ses victoires dans les: ;guerres civiles
avaient encore -enflé. et ils s'abaissaient; .j u~qu'à
placer leur, caractère sacré sous ,le,patronage:¡d~,
l'empereur;' Martin, seul, conservait. la dignité.de
l'ap8tre.' En: effet;: obligé ,d'intercéder:~auprèsde
l'empéreur pour quelques personnes; il com-
manda plut8t qu'il ne ,pria. Souvent, .invité, par
Maxime. à s'asseoir ,àsa:table, -il, refusa', disant
qu'il ne pouvait manger avec un. hOD1D,1e';qui
avait détrôné un- empereur et, en avait fait. mourir
una1itre~Maximelui assura,'que c~était -contre
son"gré.qu'il .était..monté, sur~ ¡le: :trone';qu.'ily
avait été, ,forc~ qu'il:n'avait employé les armes
que pour soutenir la souveraineté,que les soldats,
sans' doute par la volonté de :'Qieu:,Jrii avaient im-
'posée; :que la victoire si étonnante, qu'il avait:rèm:
portée.. prouvait bien que, Dieu combattait pour
lui et que. -tous. ceux.de ses ennemis ;qui: étaient
morts,n'avaient':péri- qUe:sur le champ de 'bataille-.
Martin, se: rendit. à la .fin' ;soit.aux;ra!sonsde :l'em=
.per~ur;, soit à" se,s..prières; et'VÜ1t à de repas: là la
grande joie' du -prince qui avait: obtenu .ce{ qu'il
.désirait si:ardemment: Les ,convives; ré~s comme
pour. un joul'de ;fête,:étaient,des;:personnages
grands et illustres il y avait. Évodius, en même
temps préfet, et consul, 'le. plus~ juste des ,-hommes,
et deux comtes très-puissants, l'un frère et l'auire
l'
oncle de' empereur.. Le prêtre: qui'avaitaccom-
pagnéMartin:étaÍt' placé" entre ces-deux. derniers
quant à~ celui.ci; il. oooupait:un'petit siégev près
de,Yempereur. A~peu~~près:vers :le, milieu d1i:re:"
,pàs, ,,1' écha~soIi, selon l'usage; présenta'une,coupe
à l'empereur, qui "ordonna de la ,porter: au'saint
évêque; car' ilespéraitef, désirait vivement la
recevoir ensuite de sa main. Mais Martin, après
avoir bu passa la coupe à son ,prêtre "ne trouvant
personne plus digne de boiré le 'premieraprès lui,
et. croyant manquer à son, devoir en préférant
au prêtre soit l'empereur soit le plus élevé en
dignité après luL',L'empereur et tous les. assistants
admirèrent tellement cette~ action'" que'le-' mépris,
qu'il avait montré pour eUT- futpréclsémeIit:'ce
qui leur plut.' davantage. Le bruit se 'répandit
dans tout le palais qùe'Martin' avait. fait à la' table
de l'empereur ce qu'aucun évêqüé n'aurait osé
faire à la tàble des juges les puissants. Il
prédit aussi' à, Maxime IOIigteIÎ1ps~avant l'événe-
ment que s'il allait. en Italie, comme il 'en'3.vait
l'intention pour combattré 'l'empereUr' Valenti:"
nien,. il serait-d'abord victoi4eux~ mais e..il-péri-
rait' peu de temps après.' Nous avons vu que cette
prophétie sè vérifia; car, dès que Maxinie se pré-
senta, Yalenünien prit la fuite; mais un an après,
ayant réparé'ses pertes, il tua Maxime; qu'il avait
fait prisonnier 'dans Aquüé6. y

XXI. C'èst u~rait constant que'Martin vit


souvent des anges s'entretenir ensenible' devant
lui: Il voyait: aussile démon si clairément; qu'ille
distinguait: ,:toujours' par quelque signe ',sensible',
soit qu'ilvou1ùt:se renfermer dans: sa propre subs-
tance,: soit,qull: pe~lt:le.9formes:diverses:que revêt
I'esprit.de malice. Aus~;Je;piable,ne:pouva!ltdis-
-simuler sapré~9,e' ni3e. itromper;,J'accablait-il
souvent d'outrages. Un jour, tenant une corne de
b.œuf ensanglantée,: il .entra précipitamment: dans
sa, cellule ..avec de, grands. cris; lui montrant:sa
main dégouttante,de: sang; et, faisant éclater la
joie quelÙÏ ,causait:1~. crime qu'il venait de com-
mettre,. il:dit< « Martin ,qu'est devenue .tapuis-
sance? je viens.de tuer l'un des tiens: ». Aussitôt
Martin, .~assemblant.les:frères, leur. raconte: ce que
-vient de lui apprendre le démon, et leur ordonne
d'aller examiner soigneusement..dans"chaquecel~
Iule quel est..celui que 'cemalheur: .vient,' defrap-
per.. Ils reviennent et lui disent qu'aucun des
moines ne manque; mais qu.'un:.paysan'qu~on a
loué pour transporter; dù. bois.: sur 'u~éhariot,. est
,parti,pour la: forêt. Il. ordonne: donc à :quelques
frèrès..d'aller. à. sa rencontre..Ëtant:partis, ils le
trouvent presque inanimé, non, loin du monas-
tère. Sur le point d'expirer, -il leur découvre la
cause.' de sa mort. et de ses blessures.' Pendant
«
a que .prèsde mes bœufs je renouais. le. oug
a;;dont:les liens:s'étaient.relâchés,1'un d'eux, dé-
gageant. ¡sa' tète,vni'a; donné un' .coup. de corne
a dans 1'aine: », -Peu de ~.temps après.il- expira; il
aura su. sans.doute :par quel secr~t.. jugement le
Seigneur.: avait:~donné au: démon .une .telle puis-
,sance: Ce qu'~ ~YLavait. de,merveillellx: en Martin
c'est: qu'iL prédit' aux frères ;noil~sêUleme:ilt.l' évé'
nement que. nous venons de rapporter,ÎIlaIs encore'
beaucoup d'autres: du:Ïnême. genre~:

xxn~- Le déinon~ usant.de mille artifices pour


tromper le saint. hommé; se présentait fréquem=
ment à lui sous les formes les ..plus ,variées quel-
quefois sous celle de Jupiter; la plupart du temps
sous celle de Mercure, et :même souvent de Vénus.
ou de Minerve. Martinluttaitintrépidementcontre
lui, soutenu par lesigne:de ;la.croix et la.prière.
On entendait très-souvent. dans sa cellule une
troupe de démoris .1'insulter. grossièrement; mais;
sachant que: tout cela n'était'qu:illusion et men-
songe, il ne s'en inquiétaitv nullement. Quelques-
uns des frères attestent qu'ils: ont -entendu-.Ie. ilé=
mon reprocher à Martin; d~une manière i~jurieuse,
d'avoir introduit. dans. le monastère des frères qui
avaient perdu, la gràce du baptême. en tomb3Jlt
dans, diverses erreurs ,de les avoir reçus après Ieur
conversion et en même. temps le malin esprit
énumérait leurs crimes. Martin, -lui:résistant1ou-
jours, répondait que les anciennes fautes: sont effa-
cées par une-vie meilleure ,et; que:, @comptant- sur
la ,miséricorde du Sèigneur, l'Église doit absoudre
ceux qui renoncent à .leurs;péches~~e! démon.osa
le contredire, ,prétendit.j'queles pécheurs ne peu-
vent obtenir.leur'pardon);et: que' le :Seigneur,.n'a
aucunè: indulgence:.poj}r- :ceûx, :qui (une. fois. sont
tombés: AlorsMartin s~écria-rÍ:«'. Si toi.- même
,«:.misérable: que: tu.«,,es,tu,- cessais, de tenter. les
;hommés; etlsrtú;faisais pénitence de" tes crimes;
'«'-mêIÍ1e:en 'cè"moment'quê'l~ jour du, jugement

te
uJ'est'proche,me coüfiânt sdâns le SéigneurJésus;
promettrais miséricorde-». Oh quelle sainte
présomption de la miséricorde, du. Seigneur!: Si ces
paroles de Martiri ne peuvent faire antorité;en cela;
elles~ montrent dù moins- lâ~bonté -de son.; éœur.
PUisque j'ai commencé:à'parler'!du'diable et dé
ses ~ificesj, ;'quoique,' je semble m'éloigner ici de
mon 'sujet, il'ne ~serâ ~cepèndant~ pâs hors de pro=
pas ;.de' raconter le fait. sUivant' parce' qu'il nous
aidera,'à mietixconnaître lapuissance'de.Martin,
et qu'il est bon' deconsèrver la. mémoire d'uri fait
si digned'a:dm~ation'; qui nous, fera tenir'sûr nos
gardes :Si;;jamais'; quelque chose de pareil nous
arrivait:

'XXIlt -jeune homme de qualité, nommé


Clair, avait: été ordon:né: 'prêtre.encorejeune ( il
est« heureua maintènant:parlâ'saintemort qri'il
a'.faite)~' :Ayant tout: abandonné; il.'vint trouver
Mamn~~et:brilla~bient8t par. sa foi et ses vertus::
Us'était;,étâbli- ,à '.peu :de- distance': du monastère
épiscopal; ei:un;grand-nombre,de frères démeu
rment'.àvecJllh:;Unjèune;<h'ommenommé Ana-
tole, Èir~ulant,'unelprofondehumilité et une grande:
pür~et6~de moeurs sous' les dehors ,de la vie monas-.
tique vint se joindre àeux., et vécut quelque
temps avec les frères, suivant en, tout, leur, genre
de. vie. Pell:detemps.près,il'leur dit, que;.des
anges conversaient souvent en sapréSence.C9mme
aucun des frères n'ajoutait,.foi. à 'ses .paroles,'au
moyen. de ,prestiges merveilleux il en détermina
un grand .nombre à le..s~vre.Ala.:fin,.ilen;vin1
jusqu'à prétendre que les anges allaient.et.~enaient
de lui à Dieu, et il voulaitqu'op.leregal.'dâtcomme
un prophète. Cependant il ne',pouvait jamais con-
vaincre Clair;. aussi le, menaçait-ilde la colère de
Dieu et.de châtiments immédiats,poul' n'avoir.pas,

«,
revêtu de cette robe, je au
cru à la parole d'un saint; enfin.il s'écria~ « Cette
« nuit le Seigneur me donnera une robeblanche;
milieu de
« vous, et: ce vêtement.descendu du .ciel sera une
« preuveque je suis la vertu de -Dieu.: »:Tous :at-
tendaient l'événement avec une grande, impa-
tience. Vers minuit, la terre retentit- comme d'un
piétinement le monastère ,tou.t:.entier :~parut
ébranlé; on vit briller-mille éclairs dans:la cellule
d'Anaitole; un bruit de pas et des voix: nombreuses
s'y firent entendre.. A cette agitation sucçéda,,4n,
grand silence. Alors Anatoleappelleàlui.l'un des
frères, nommé Sabatius, 'et lui montre-la'1'obe.dont
il est revêtu. Surpris,, celui ci, appelle les;. autres
frères, Clair accourt lui~même. ~On apportède la
lumière et tous ezaminent-la robe avec, soin.; elle
était d'une grande délicatesse" d~une' ~blancheur.
me.rveilleusei, ornée-de -pourpre. "*on' ne~ :pouvait
cependant en découvrir ,la nature ni la matière;
et ~n:eutbeaularegarder.etla::toucheravec soin
on.- ne put reconnaître'qu'une. chose c'était une
robe. -Clair avertit ses frères de prier:le. Seigneur
avec ardeur; .pourqu'il leur montrât plus claire:-
ment. ce que c'était; pendant le. reste~ de la nuit,
ils:chantèrent des'.hymnes'et des psaumes. Au
point du jour, il prit Anatole par la main pour le
conduire à Martin étant s1Îr que le diable ne
pourrait-tromper.le bienheureux. Alors ce misé-
rable s'y refusa, s'écriant qu'il lui av~it été dé-
fendu de paraîtl'e devantMartin. 'comme les frères
3. :ent;raînaierit malgré lui., la robe disparut entre
leurs mains. Aussi qui pourrait douter que':1~puis-
sance de :1\fartin n'ait.empêché le diable de 'dissi'
muler pluslongtemps'son .artifice, au moment où
il allait:paraître ~en sa présence?

XXIV. On .remarqua à cette époque, en :Es-


pagne, un jeune homme. qui, 'après avoir acquis
quelque influence. par. un grand nombre de-pres-
tiges, en vint jusqu'à se.faire passer pour le-pro-
phète' Élie. Beaucoup de personnes ayant eu la
témérité de le croire, il alla jusqu'à se donner
pour le 'Christ,. et 'il fit tant, par, ses artifices,
qu'un cértain évèque;. nommé Rufus, lui rendit
uncu1~e ,ce. qui, dans. la suite; le fit chasser de
son .siégé. La plupart- des frères nousont.rappGrt~
~3
homme qui .prétendait.être,saint Jean. De
aussi qu'il y avait alors :en :Orient. un-,certain

tence de 'ces. faux- praphèt~es, nous conjecturons que


l'arrivée de l'Antechrist est proche,pillsqu'il'opère
déjà en.eux son mystère d'iniquité. Jene;.dois
point, ce me semble, passer-sous silence tous Ies
artifices que le diable employa 'contre Martin à. la
même époque. Un jour.le démon'se:préseate:dan~
sa cellule., pendant qu'il priait., précédé et eriVi-
ronné d'une lumière éclatante -(afin de mieux, le
tromper par cet. éclat emprunté:j:, portant un man-
teau royal, ceint d'une couronne d'or et de pierres
pré,cieuses, avec des chaussures dorées, le visage
gai la physionomie sereine :pour ne pas ,être
reconnu. A cette vue, Martin est d-abord stupé-
fait; ils gardent- tous -deux. le silence pendant
quelque temps enfin le diable prend la :parole le
premier. « Rèconnais donc, Martin, celui. qui: se
« présente à toi; je suis le
Christ;.devant descendre
« sur la terre, c'est à toi le premier que j'ai N-oulii
« me montrer. » ~Martin ne répond' pas à cespa-
roles'7 et garde .un: profond '.silence.. Alors le diable
ose. renouveler son audacieux mensonge. « Martin,
« pourquoi hésites-tu à croire, .puisque tu me vois9~
«
Jè suis le Christ. » Mais à ce moment lé Saint-
.Esprit fit connaître à Martin quecen'étaitpas
Dieu, mais le .démon. « Jésus .~otre~SeigÎ1eur., lui
(,(
répondit-il, n'a .point .annoncé: qu~il viendrait,
(,(
vétu de.pourpre et ~ouronné: d:un;diad~me ;:je
«,:ne,'êroiraià sa présence quelorsque.je-le:verrai:
«, ,tel-qu'ilétait:lorsqu'ilsoufl'rit,pour, nons, por-
<c.,tântIes marques"de son supplice. »;A.ces môts.
Satan¡.disparut-:oomme;une" frimée, laissant dans,
lacell,Ule, une'odeur-i:i1foote, signe indubitable de~
sa présence.. Pour'quepersonneine puisse,révoquer:

que

XXV~ Il y
appris.
en:doute,le'fa.itque j~viens: de raconter j'ajon-
terai,Pe c7est: de::}a¡.bouche; de Martin .]ui -même!
je l'ai.

a~ quelquetemps, ayant entendu


parler de-la -foi, dé la vie'ef des vertus: de Martin.,
,et désirant ,'Vivement le voir, je partis: avec bon-
heur 'pour' àller lui. rendre visite~; et 'comme je
désirais; beaucoup écrire sa vie, je l'interrogeai
lui-même autant que!je.Je'pus':faire;'j!interi'ogeai
aussi ceux qui'avaient;v.écu'3veclui, ou qui étaient
bien' j~formés~ On 'ne'pourrait: croire avec quelle:
bmnihité et;queJlehonté il me reçut en: cette cir-
constance, témoignant une.. grande joie dans' le
Seigneur, de ce que j'avais fait assez' de cas de lui
pour entreprendre ce voyage.- Lorsqu'il. daigna
m~adD1ettre:à sa'1able., moi, misérable-que-je
suis; j'ose à,.peine; ravouer, il; me présenta lui-
même del'eau.pourme.laver:lesmains', et le soir
il me,]ava les 'pieds"; je n'eus pas.le courage de
résister ou.de,m!y.opposer; je.fus;tellement-subjtt>o-
guépar:son:autorité' que'je.meiserais.:fait:uri. crime
de: ne ,pas; acquiescerà sesi désirs. U,ne'.DQ1!S:'eDmr
tint que des charmes trompeurs et des embarra3
du siècle auxquels il faut renoncer; pour sùivre
le Seigneur.Jésus avec liberté et dégagement. Tl
nous proposait le plus. remarquable- -exemple de
notre temps, celui de l'illustre Paulin, dont nous.
avons parlé plus haut. Ayant abandonné d'im-
menses richesses pour. suiV1'e Jésus-Christ, il 'est.
presque le seul à notre époque qui. ait-.observé
dans toute leur perfection les préceptes évangé~
liques. « Voi~à l'exemple qu'il faut suivre, s'é-
« criait-il; heureux notre siècb d'avoir reçu ce
«
grand.enseignement de foi et de vertu, c'est-à..
« dire.- d'avoir y-u un homme possédant de grands
« biens, les vendre tous pour les donner. aux
« pauvres, selon le conseil dû Seigneur, et rendre
« ainsi possible par .son exemple ce que le monde
« croyait impossible. » Quelle gravité et quelle
dignité dans ses paroles et dans ses conversations
quelle pénétration d'esprit 1 comme ses discours
étaient persuasifs avec quelle promptitude et
quelle facilité il comprenait et rendait intelligibles
les passages obscurs des saintes Écritures! Je sais
que bien des personnes se sont refusées à croire
j'
surma parole ces derniers détails; mais en prend~
à témoin Jésus-Christ et.le ciel, notre'commune
espérance, que je n'ai jamais vu tant de science
et tant d'intelligence un langage plus éloquent
et plus.pur. Quoique pour un saint comme Martin
de pareils éloges aient bien peu de valeur, p.'est-il
pas r étonnant. qu'un.homme sans lettres ait possédé
même ces qualités?

XXVI.. -1~ais il est temps.de.terminer ce:livre,


'non qu'il n'y ait plus ;rien à dire de .Martin, .mais
,parce. que, semblable;à ces poëtes peu, féconds,
qui se relàchent à la fin- d'un long poëme nous
suc'combon~ sous le. poids de:notre intarissable
sujet..Car:s'il a été possible, jusqu'à un certain
point, de, raconter, les ,actions de notre.:bienheu-
reux, jamais., je le'déclare.en toute:vérité; jamais
on ne pourra décrire sa vie intérieure sa manière
d'employer chaque journée, son, £Œmr ÏDœssam-
ment appliqué à Dieu, la continuité de ses absti-
n~nces. et de ses -jeûnes, et le. sage tempérament
qu'il savait y apporter, la puissante efficacité de
-ses prières et, de ses oraisons, les nuits qu'il em-
ployait comme les journées; tout son temps, en
un mot, dont pas un' instant n'était donné au
repos ni aux affaires de ce monde, était entière-
ment consacré.à l'œuH'e de Dieu, même pendant
son. repos et son sommeil, auxquels il n'accordait
que ce que la nature exigeait absolument.. Non il
faut lfavouer, si Homère lui-même revenait, de
l'autre. monde, le génie de ce grand poëte serait
incapable de raconter.toutes ces merveilles tout
est si grand dans :Martin, que la parole 'est impuis-
sante.. àl'~xprimer. Jamais il ne laissait: passer
une heure, un seul moment sans vaquer à la
:prière ou à la lecture, et. mémé,. pendant -qu'il
lisait ou qu'il se livrait à toute autre occupation
:1

son cœur priait toujours. Comme les forgerons qui


frappent sur l'enclurne pour s'e 's0Ùlagerpei1dant
leur travail, Martin priait sans cesse, quoiqu'il
panit 'occupé d'autre chose. Heureux Martin~l il
ne se trouvait enlui aucune malice ne jugeait
ni necondamnait personne, 'et ne rendait jamais
le mal pour le mal. Il Stlpportait ;les injures ave'e
tant de 'patience, que,!bien qu'il fût: évêque,' -les
moindres clercs ~1'outrageaïent impnnément --et
sus qu.'illesprivât 'pour cela ¡de @leur emploi., ou
les cba9sât d-e 'son :cœnr.

XXV-11. Jamais on ne ~e -nt irrité ou ému,


.jamæsdaus la ¡tristesse ou)la gaieté;; il ,était tou-
jours lui-m~me; une joietoute céleste était en
quelque sorte empreinte sur son -visage, et il
semblait'élevé.-au-deSsus' de la nature. Il avait tou-
jOŒl'S le :nom du Christ, sur les lèvres; dans son

cae~r, la piété, la paix et la miséricorde. Il pleu-


rait souvent sur les fautes de ses détracteurs, qui
allaient le chercher jusqu'au fond de sa retraite,
'au";milieu du calme qu'il y goûtait, pour 1-'àtta-
quer avec leurs langues de vipères;' nous en avons
été nous-même le témoin. Jaloux de ses 'Vertus
et de,sa sainte vie, ils détestaient en lui ce qu'ils
ne trouvaient point en eux-mêmes et qu'ils n'a-
vaient pas le 'Courage d'imiter `il est inutile de
lesnommer,,quoiquelaplupart d'entre eux hurlent
autour de nous. Si l'un d'eux vient à lire ces
lignes, il suffit qu'il reconnaisse sa faute et en
rougisse; car s'il s'en irrite, c'est qu'il s'applique
à lui-même ce que nous avons peut-être pensé
d'un-autre; du reste, je ne refuse point de par-
tager avec Martin ,la haine qu'ils lui portent.
J'ose espérer que ce petit ouvrage plaira à tous
les hommes religie:nx. Si quelqu'un ne veut pas
ajouter foi à mes paroles, la faute retombera sur
lui. La certitude des faits que j'ai racontés, et
l'amour de Jésus-Christ, m'ont seuls porté à
écrire ce livre, j'en ai la conscience; car je n'ai
avancé que des choses vraies et incontestables, et.
Dieu, je l'espère, prépare une récompense, non
pour. celui qui lira, mais pour celui qui
croira.
'L,ETT'RES
DE

SULPICE SÉVÈRE

.AU PR~TRE EUSÈBE

.CONTRE CEUX QUI SONT~ 7ALOUX DES VERTUS


DE SAINT MARTIN..

Hier,'beaucoup de :moines vinrent me trouver,


et, au milieu de nos 'récits et dé nos -longs entre-
tiens; on parla de mon petit livre sur la.vie de
saint: Martin; j'appris. avec plaisir. que beaucoup
le lisaient avec:' empressement. On m'annonça
aussi qu'une.personne, inspirée par Je malin:es-
prit; avait .demandé pourquoi .Martin, ;qui avait
ressuscité des morts et arrêté des incendies, s'é-
tait trouvé exposé lui même à périr tristement
dans les flammes. 0 le misérable (quel qu'il
soit), dans ses paroles je reconnais la perfidie
des Juifs, qui, faisant des reproches au Seigneur
sur la croix, disaient « Il a sauvé les autres,
et il ne peut se sauver lui-même. » Vraiment,
si ce malheureu~ eût vécu à cette époque-là,
il eût adressé les mêmes outrages au Seigneur,
puisqu'il profère de semblables blasphèmes contre
l'un de ses saints. Quoi 1 Martin ne serait pas
puissant, Martin ne serait pas saint, parce qu'il a
manqué de périr dans un incendie 0 bienheu-
1

reux Martin!. semblable en tout aux apôtres,


même dans les injures qu'il reçoit. En effet, les
Gentils voyant Paul mordu par une vipère dirent
aussi de lui « Cet homme doit être un homicide;
il a échappé aux périls de la mer, les destins ne
lui permettent pas de vivre. » Mais Paul, secouant
la vipère dans le feu,' n'en ressent aucun mal. Ces
païens croyaient qu'il allait périr sur-le-champ;
mais voyant qu'il n'en était rien, ils changèrent
de sentiments et le prirent p01Ji1" an dieu. 0 le
plu 'misérable des mortels, ces exemples n'au-
2aient-ils pas dû confondre ta perfidie 1 et si tu
.¡!f&8 été d'abord .scandalisé en voyant Martin re-
oewir les att-eilltes du feu, tu aurais d û ensuite
attribuer à ses mérites et à la puissance de sa foi
q1i"il ait conservé ta "je au milieu ides flanunes1

~eounna~is ton 'ignorance malheureux'; :apprends


que c'est dans les dangers que la vertu des sain-ts
brille avec le plus d'éclat. Je vois Pierre, avec sa
foi puissante, marcher sur la mer, malgré la loi de
la nature, et se tenir ferme sur les flots mobiles.
Mais cet Apôtre des nations, qui fut englouti dans
les eaux, d'où il sortit sain et sauf après trois jours
et trois nuits ne me semble pas moins grand; et
je ne sais s'il est plu~ remarquable d'avoir vécu au
fond de la mer, ou d'avoir marché à sa surface.
Mais, insensé, tu n'avais donc ni lu ni entendu
lire ces' faits ? car ce n'est pas sans l'inspiration
divine. que l'évangéliste a rapporté, cet exemple
dans les saintes Écritures; c'était pour apprendre
aux hommes que les naufrages, les morsures de
l'
serpents ( comme le dit 4pôtre, qui se glorifie
d'avqir souffert la nudité, la faim et les dangers de
la part des voleurs ), <¡u'en un mot, tous ces acci-
dents sont communs aux saints, aussi bien qu'aux
autres hommes mais c'est en les supportant et en
en triomphant qu~ la vertu des justes a bullé du
plus vif éclat. Car, patients dans les épreuves' et
toujours invincibles la victoire qu'ils ont rem-
portée a été d'autant plus éclatante, que leurs
souffrances ont été plus violentes. Aussi le fait
que l'on cite pour amoindrir la vertu de Martin
le couvre:-t-il d'honneur et de gloire, puiSCN'il
est sorti vainqueur d'un accident rempli de péril.
D'ailleurs, on ne doit pas s'étonner si j'ai omis ce
fait dans la vie que j'ai écrite puiscine dans ce
'livre même J'ai àéclàré'que je ne raconterais pas
toutes ses actions. En efl'èt~'si j'eusse entrepris de
,*le faire,faurcris remplinnjmmense volume:; ses
actions ne sont pas si peu importantes qu'on 'puisse
«facilementles raconter toutes. Je ne passerai pour-
'tant pas sous silence le fait. dont il est question
ici, et je le raconterai dans tous ses détails, tel
qu'il s'est passé afin de ne 'pas parditre omettre
à dessein ce qui .peut -fournir des objéctiônsvcôntre
la vertu de notre bienheureux. Un jour d'hiver,
Martin visitant une paroisse' (suivant I'habitude
des évêques les clercs'lui.préparèrent nn loge-
ment dans la sacristie, allumèrent un grand feu
dans une sorte de fourneautrès-miilceet constiiiit
en pierres brutes, pms. lui dressèrent un lit, en
entassant une grandequantité de paille. Martin
s'étant couché eut horreur de la délièatesse dé ce
lit, à laquEIllè il n'était pas habitué, car.il avait cou-
tume de coucher sur un cilice, étendu sur la terre
nue. Mécontent de ce qu'il regardait comme une
injure, il repoussa la paill~ qui s'accumula par
hasàrd. sur le fourneau; puis, fatigué du voyage,
il s'endormit, étendu parterre, suivant'son usage.
Vers le milieu de la nuit, le feu; étant très-ardent,
se communiqua à la pàille à travers les fentes: du
fourneau. Martin, réveillé en sursaut, surpris par
ce danger subit et imminent, et surtout,' comme
il le raconta lui même,. par l'instigation du dé-
mon, eutrecours trop tard à la prière; e<ir,vQulant
se précipiter au dehors et ayant fait de. longs
efforts@ pour erilever la barre qui fermait la porte,
un feu si violent l'environna, que le vêtement
qu'il portait fut consumé. Enfin, rentrant-en lui-
même, et comprenant que ce n'était pasaans la
fuite- mais dans le Seigneur qu'il trouverait du
secours il s'arma du bouclier de la foi et de la
prière, et, se remettant tout entier entre les mains
de Dieu, il se précipita au milieu des flammes.
Alors le feu s'étant éloigné miraculeusement de
Martin, celui-ci se mit en prière au milieu d'un
cercle de flammes dont il ne ressentait nullement
les atteintes. Les moines qui étaient au dehors,
entendant le bruit etlespétillements de laflamme,
enfoncent les portes, écartent les frammes, et en
retirent Martin, qu'ils croyaient déjà entièrement
consumé. Du reste, Dieu m'en est témoin, Martin
lui- même me'racontait et avouait en gémissant,
que c'était par un artifice diabolique, qu'à l'in-
stant de soli réveil il n:avait pas eu la pensée de
repousser le danger par la foi et la prière; qu'en-
fin il avait senti l'ardeur des flammes jusqu'au
moment où, rempli de frayeur, il s'était précipité
vers'la porte; mais qu'aussitôt qu'il avait eu re-
cours au signe de la croix et aux armes puissantes
de la prière,, les flammes s'étaient retirées, et
qu'après lui avoir fait sentir leurs cruelles at-
teintes, elles s'étaient ensuite transformées en
celui qui lira
une douce rosée. Que ces lignes
comprenne que si ce danger a été pour Martin
une tentation, il a été aussi uue épreuve de
Dieu.
II

AU DIACRE AURÉLtUS

DE U MORT ET DE L'APPÀR1TION I)TJ BIENIl'EI1REUX MAItIril-(

5ulpice.Sévère, au diacre Aurélius, salut. Ce


matin, après votre dépa.rt, j'étais seul dans ma
cellule méditant, à mon ordinaire, sur les espé-
.rances de la vie future, le dégoût des choses de
ce monde, la crainte du jugement et des peines,
et* ces .pensées avaient naturellement fait naître
en moi, 1esouvenir de mes fautes, ce qui me
remplissait de tristesse et d'accablement. Ensuite,
le caeur fatigué, de ces angoisses, je. me jetai sur
man .lit,. -et bientét. le sommeil s'empara, de Moi.
effet ordinaire de la tristesse (c'était ce demi-
sommeil du matin, si inquièt et'si léger, qu'on
veille presque en se sentant dOl'mir,.ce qu'on n'é-
prouve pas dans le sommeil ordinaire)., lorsque
tout à coup il me sembla voir le saint évêque
Martin, revêtu d'une robe blanche, le visage en-
flammé, les yeux et les cheveux resplendissants
de lumière. Il me semblait retrouverven lui les
mêmes formes, les mêmes traits'qu'il.avait 'autre:"
fois, et, chose inexprimable 1 je ne pouvais fixer
mes yeux sur lui, et cependant je le reconnais-
sais. Il me regardait en souriant, et tenait à la
main le livre que j'ai écrit sur sa vie quant à
moi, j'embrassais ses genoux sacrés, et, selon ma
coutume,.je lui demandais sa bénédiction. Je sen-
tais sur ma tète le doux contact de sa main, tan-
dis que, dans la formule ordinaire de la bénédic-
tion, il répétait souvent le nom de la croix, qui lui
était si familier. Bientôt, comme je le considérais
attentivement, sans pouvoir me* .rassasier de sa
vue, il s'éleva subitement, et je le suivis des yeux,
traversant sur une nuée l'immensité des airs,
jusqu'à ce qu'il disparût dans le ciel entr'ouvert.
Peu de temps après, je vis le saint. prêtre Clair,
son disciple, mort peu auparavant, suivre le même
chemin que son maître. Dans ma téméraire au-
dace, je voulus les suivre mais. les efforts que je
fis pour m'élev.er en l'air me ;réveillèrent. Je me
réjouissais de cette vision, lorsqu'un de mes plus
intimes serviteurs entra avec un visage plus
triste qu'à l'ordinaire, et qui laissait voir toute la
douleur qui l'accablait « Qu'as tu ? lui dis-je;
d'où vient cette tristesse Deux moines arri-
yent'de Tours, dit il; ils annoncent. la mort du
seigneur Martin. » Je l'avoue, cette nouvelle me
consterna, et un torrent de larmes s'échappa_de
mes yeux: Elles coulent encore, cher frère, .au
moment où je vous écris ces lignes; rien ne peut
consoler mon amère douleur. Lorsque cette nou-
velle me fut annoncée, je voulus vous faire par-
tag~r mon affliction, vous qui partagiez aussi mon
amour 1)our Martin.
III

A ;BASSULA, SA BELLE-M~RE

COMMENT LE BIE~REUREUX MARTIN QUITTA CETTE VIE


POUR L'tTERNITÉ.

Martin connut l'heure de sa mort longtemps


d'avance, et annonça â ses frères que la disso-
hition, de.~ son corps était proche. Il eut à cette
époque un motif pour aller Yisiter la paroisse de
Cande (t f car, désirant rétablir la concorde parmi
les clercs de cette église qui étaient divisés quoi-

(t) Cande, ville du département d'Indre-et-Loire, située


au,confluent de la Vienne et de la Loire.
qu'il sût que sa fin approchait, il ne balanca ipas
à entreprendre ce voyage. Il pensait qu'il couron-
nerait dignement ses travaux s'il rétablissait la
paix dans cette église avant de mourir. Étant
donc parti, accompagné, suivant son usage, d'une
troupe nombreuse de pieux disciples, il vit sur le
fleuve des plongeons poursuivre des poissons, et
exciter sans cesse leur gloutonnerie par de uou-
velles captures « Voici, dit il une. image des'
démons, qui dressent des embûches aux impru-
dents, les surprennent et les dévorent, sans pou-
voir se rassasier. » Alors Martin, avec toute lapuis-
sance de sa parole, commanda aux oiseaux de s'é.
loigner du fleuve et de se retirer dans des régions
arides et désertes, employant contre eux le môme
pouvoir dont il usait souvent contre les démons.
A l'instant tous ces oiseaux se rassemblent., et,
quittant le 'Ileùve, se dirigent vers les montagnes
et les forêts, à la grande admiration de tous les
spectateurs, qui voyaient Martin exerçer son pou-
voir, même sur les oiseaux. Étant arrivé à l'église
de Ca'nde, il y demeura quelque temps,. et, après
avoir rétabli la concorde parmi. les clercs., il son-
geait déjà à retourner dans sa solitude, lorsque
ses fôrces l'abandonnèrent; il réunit alors ses dis-
ciples et leur annonça que sa mort était proche.
Une profonde douleur s'empare aussitôt de tous les
coeurs tous s'écrient en. gémissant a. 0 tendre
père 1 pourquoi nous abandonner et nous laisser
dans la désolation ?des loups avides de carnage se
jetteront. sur votre troupeau si le pasteur est
frappé, qui péurra7'le défendre l Nous savons bien
que vous souhaitez ardemment de posséder Jésus-
Christ inais votre récompense est. assurée, et elle
ne sera pas moins grande pour être retardée; ayez
pitié de nous que vous allez laisser seuls.» Martin}
touché de leurs.]armes, et 'brûlant de.cette tendre
charité qu'il puisait dans les entrailles de son divin
Maître, se mit aussi à pleurer. Puis, s'adressant
au Seigneur « Seigneur, s'écria-t-il, si je suis
encore nécessaire à votre peuple, je ne refuse pas
le travail que votre v olonté soit faite. » Hésitant
entre l'espérance du ciel et l'amour de ses frères,
il ne savait ce qu'il devait préférer; car,'s~ildési-
rait ne pas abandonner ses chers disciples, il ne
voulait pourtant pas vivre plus longtemps séparé
d e Jésus Clirist sacrifiant néanmoins sa propre
volonté et ses plus ardents désirs, il s'abandonnait
tout entier entre les mains de Dieu. Ne semblait-il
pas lui dire Seigneur, j'ai livré de rudes combats
sur la terre n'est-il donc pas temps que je jouisse
du repos Si pourtant vous me commandez de
combaitre encore devant.le camp d'ls1'aël pour la
défense de votre peuple je ne vous refuserai pas
non, mon. grand âge ne m'arrêtera pas, je rempli-
rai"mon devoir avec zèle; je combattrai sous-vos
drapeaux aussi longtemps que vous me l'ordon~
nerez. Le' vétéran qui a blanchi sous les armes
soupire .pourtant avec impatience après ce~ congé
qui. doit être la récompense de ses longs travaux.
N'importe, mon courage me fera triompher du.
poids des'années. Et pourtant, Seigneur,quel bon-
heur pour moi, si vous daigniez avoir.compassion,
de ma vieillesse Mais que votre volonté s'accom-
plisse. Si je vais à vous, ne prendrez:-vous pas:
soin vous-méme de ces chers enfants, pour qui je.
redoute tant de dangers1 0 homme admirable,
que ni le travail ni la mort même ne peuvent,
vaincre qui demeure indifférent, qui ne craint..
ni la mort ni la vie Ainsi, malgré l'ardeur de la
1

fièvre qui le consumait depuis plusieurs' jours, il


poursuivait l'oeuvre de- Dieu avec un zèle infati-
gable. Il veillait toutes les nuits, et les: passait en
prière. Étendu sur sa noble couche, la' cendre et
le cilice, il se'faisait obéir de ses membres épuisés
par l'âge e1.là maladie. Ses disciples l'ayant prié
de souffrir qu'on mît un peu de: paille sur sa,cou-
che «( Non, mes enfants, répondit-il, 'il ne con-
vient pas qu''un chrétien meure autrement que
sur la cendre et le cilice.; je, serais ¡ moi = même
coupable de 4'Vous laisser un autre exemple. ». Il
tenait ses regards et ses mains continuellement
élevés vers le ciel, et né se lassait point de. prier.
Un grand nombre de prêtres.qui 1s'étaient, réunis
près de. lui, le priaient de leur permettre -de:le
soulager un peu en le changeant de position
.Laissez:-moi, mes frères, répondit-il.; ~lai~ssez~
moi regarder' le ciel plutôt que la: terre, afin' que
mon: âme- prenne plusfucilement. son essor :vers
Dieu. » A'peine eut-il achevé ces mots, qu'il aper-
~Ut le!démon à ses côtés. a Que fais-tu' ici, bête
cruelle?,tune tro)lveras -rien en moi::qui:fappar-
tienne je serai, :reçu' dans le sein d'Abraham. n
Après" ces paroles, il expira. Des témoins de sa
mort nous ont, attesté 'qu'en ce moment son visage
parut'oelui ,d'un ange, et que ses membres de,in-
rent blancs comme.ia neige. Aussi s'écrièrent-ils:
« Pourrait on jamais croire qu'il soit revêtu d'un
cilice et couvert de cendres.?» Car, dans l'état où
ils virent. alors son corps, il semblait qu'il jouit
déjà de la transformation,glorieusedes corps res-
suscités.
Il est impossible de s'imaginer l'innolnbrable
multitude. de ceux qui vinrent, lui rendre les
derniers devoirs. Presque toute,la' 'Ville de Tours
accourut au-devant ,du. saint corps; tous les ha-
bitants. ,des campagnes et-des.bourgs voisins, et
même: un grand nombre de personnes des.autres
villes s'y--trouvèrent. Oh 1.. quelle a:Miction dans
tous les ,CŒur3'! Quels: douloureux gémissements
faisaierit entendre,.surtoutles moines 1: On dit qu'il
en :vint:'envi~on deux.mille: c'était la gloire de
Martin'" les fruits 'Vivants. let innombrables de ses
saints. exemples..Ainsile pasteur conduisait-il ses
ouailles devant,.lui., de',saintes multitudes pâles. de
douleur.,de81rp~ea.nombreuses'. de moines. revé-
tus de nianteaux; des vieillards épuisés: par d~
longs travaux, de jeunes novices de la solitude et
du sanctuaire. Apparaissait. ensuite le choeur. des
vierges, que la retenue empêchait de. p leurer,. et
qui dissimulaient par une joie toute sainte la pro-
fonde affliction de leurs coeurs et si la confiance
qu'elles avaient dans la sainteté de Martin ne leur
permettait pas de paraître tristes, l'amour. qu'elles
lui portaient leur arrachait cependant quelques.
gémissements. Car la gloire dont Martin jouissait
déjà causait autant de joie, que sa mort qui.le ra-
~~issait à ses enfants leur causait de douleur. fi fal-
lait pardonner les larmes des uns et partager Pal-
légresse des autres; car çhacun,. en pleurant pour
soi-même, d evait en même teinps se ré j ouir pour
lui.
Cette foule immense accompagna donc le corps
j
du bienhèureux jusqu'au lieu de sa sépulture
en chantant de saints cantiques. Qu'on se repré-
sente, si l'on veut, une pompe de la terre; je ne
dirai pas une cérémonie funèbre; mais la pompe
fastueuse d'un triomphé. (3ù trouverez-vous rien
de comparable aux funérailles de Martin? Que des.
héros vainqueurs s'avancent montés sur des, chars
de triomphe précédés d'hommes enchaînés et
suivis de leurs prisonniers lé corps de Martin est
suivi tous ceux qui, sous sa conduite, ont
"Vaincu¡le monde. Pour les premiers, les peuples
en dé~ence font entendre des applaudissements
et des cris confus en l'honneur de Martin, les
airs retentissentdu chant des.psaumes et des can-
tiques sacrés. Ceux-là, après leurs triomphes, sont
précipités dans les gouffrés de l'enfer; Martin,
rayonnant d'une joie céleste, est reçu dans le sein
d'Abraham. Martin, si pauvre en ce. monde, me-
nant une vie si simple, entre riche dans le ciel,
d'où, je l'espère, il veille sur nous, sur moi qui
écris ces lignes, sur vous qui les lisez.
-DIALOGUES
DE

SULPICE SÉVÈRE

Di ~LOGUE PREMIER'

Postumien, ami de Sulpice Sévère, revient d'Orient, où


il a passé trois années. Il fait un long récit `des merveilles
qu'fi. a admirées etsmtout des vertus des moinés de la Thé-
baïde. Le traducteur'a retranché ces détails; il reprend à
l'endroit où Postumien établit un parallèle entre les mi-
râcles des'moines d'Orient et. ceux de saint.Martin.

XXIII. «Comment ,dis-je, tu ne


possèdes:doncpaslelivre que. j'ai écrit sur la vie
et les miracles dev saint. ,Martin? Je l'ai; en
effet:, 'répondit Postumianus j
amais il ne m'a
quitté. ( il me fit voir le livre caché sous ses vête-
ments) si tu le reconnais, le voici: Ce volume
m'a accompagné sur terre et sur mer, il a été
mon compagnon et mon consolateur pendant tous
mes voyages. Je te dirai toutes)es.contrées où ce
livre a pénétré car il n'y a pas un endroit dans
l'univers où le récit d'une si admirablë histoire ne
soit connu, Paulin, qui t'est si attaché, est le pre-
mier qui l'ait porté à Rozne ~corrime toût~ l,a ville
se le disputait, j'ai entendulès'1ibraires'enchàntés
déclarer que rien n'était plus lucratif, rien ne se
vendaitplus facilement et plus cher que ce livre. Il
a beaucoup devancé mon voyage par mer; lorsque
j'arrivai en Afrique, on le lisait déjà dans toute la
ville de Carthage. Seul, le prêtre de Cyrène ne
l'avait pas, je le lui donnaipour le copier. Que te
dirais-je donc d'Alexandrie, 'où on le connait peut-
être mieux que tu ne lé connais tÕi-In~~e? na
pénétré en Égypte, en Nitrie, en Thébaïde,, et
dans tout le royaume de Memphis. J'ai vu un vieil-
lard le lire daris le désert. Lorsqu'il apprit -que
j'étais ton ami, il me chargea, ainsi que beaucoup
d'autres moines, si jamais je te rêtrouvais sain et
sauf en ce pays de t'exhorter à compléter ce que
tu reconnais avoir omis dans ton livre sur les ver-
tus de saint Martin. Enfin, je.joins mes prières à
celles de beaucoup d'autres pour te supplier de
nous raconter, non ce que tu as écrit, mais ce. que
tu as autrefois passé sous -silence,, 'pour éviter;.je
crois, de fatiguer les .lecte urs. »,

XXIV. « En vérité dis j e à. Postumianus


pendant. que j'écoutais depùis longtemps avec at-
tention le .récit- des. miracles,.des saints moines
d'Orient "je songeais silencieusement à Martin
et je voyais' avec raison que tout ce que chacun
a
de ces moines a 'fait en particulier ,été accompli
par Martin. Car, quoique leurs miracles soient fort
remarquables ( qu'il me soit permis de le dire sans
les offenser ), il n'en est pas un qui ne soit inférieur
aux sièns. Mais, si je déclare que la vertu de
Martin- ne pèut être ~~mparée à celle des autres
hommes, il faut aussi remarquer que l'on ne peut
-établir de juste comparaison entre Martin et:,les
ermites et ,les anachorètes. Ceux-ci sans entraves'
opèrent, de très- grands miracles et n'ont que le
Ciel et les anges pour témoins Martin; au con-
traire, vivant au milieu du monde, avec lequel il
est, toujours en rapport, parmi des. clercs en dis-
corde et des évêques sévères, a:flligé souvent.par des
scandales presque quotidiens, reste inébranlable
par sa vertu, et opère de plus grands miracles que
n'en firent: dans le désert les' moines dont tu nous
parles. Quand ils en auraient fait de semblables,
quel jugé serait. assez:injuste pour ne pas recon-
naître que Martin l'emporte sur eux? Songe donc
que Martin était- un soldat combattant dans un
poste désavantageux, et qui cependant a remporté
la victoire: je compare~ également les autres à des
soldats, mais à des soldats qui combattent dans
un endroit favorable et avantageux. Et d'ailleurs,
quoique tous aient été vainqueurs, la gloire.des
combattants ne saurait:être égale.; puis, en nous
racontant ces merveilles, au ne nous ~as pas ¡dit
qu'aucun de ces moines ait ressuscité. un .mort.et
cela seul te force à avouer que Martin ne peut être
comparé à personne. »

xxv. « S'il est merveilleux que le feu ait


respecté l'Égyptien,. Martin aussi commanda sou-
vent aux flammes. Si les anachorètes ont. dompté
la férocité des animaux, Martin souvent encore
contint la rage des. bêtes féroces, et arrêta le venin
,des serpents. Si tu veux comparer à Martin celui
qui, par la puissance de sa parole ou la vertu des
fils de ses vêtements, guérissait ceux qui étaient
possédés de l'esprit immonde, notre Saint n'a en-
core rien à lui envier en cela, et nous en avons
beaucoup d'exemples. Si,tu cites celui qui, n'ayant.
qu'un vêtement de poils, était, dit-on, visité par
les anges, Martin conversait tous les jours avec
eux.. Son âme était tellement supérieure: à la va-
nité..et à l'orgueil, que personne ne détesta ces.
vices plus que lui, bien que, même absent-, il
ait délivré les possédés du 'démon, et commandé
non-seulement aux comtes, et aux préfets, mais
aux empereurs eux-mêmes..11 est vrai que ce sont
là les moindres de ses mérites, mais je veux. te
persuader que personne ne résista plus courageu-
sement que lui non-seulement à la. vanité" mais
aux causes et aux occasions de la vanité. Je vais
maintenant raconter des choses peu importantes,
mais que je ne puis passer sous silence; car nous
devons louer celui qui, revètu d'une. grande auto-
rité, montratant dé respect envers le saint homme.
Je me souviens que le préfet Vincent, homme émi-
nent et le plus vertueux des Gaulès, demanda sou-
vent à Martin, lorsqu'il passait en Touraine, de le
recevoir à la table du monastère ( et il citait à cette
occasion l'exemple du saint évêque Ambroise, qui,
dit-on, rècevait de temps en temps à cette époque
les consuls et les préfets ). Mais Martin refusa tou-
jours, craignant, dans sa haute sagesse, qu'il n'en
tirât' de la vanité ou de l'orgueil. il faut donc que
tu avoues, Postumianus, que l'on trouve en Mar-
tintouslesmérites.de ces moines, qui, tous réunis,
n'en ont pas autant que lui. »

XXVI. G Pourquoi en agir ainsi avec moi9


dit Ptistumianus, ne suis-je donc pas de ton avis,
et n'en ai'je -pas été toujours? Tant que je vivrai
et que j'aurai ma raison, je vanterai les moines
d'Égypte, je louerai les anachorètes, et j'admirerai
les ermites; toujours jè ferai une exception pour
Martin, jamais je' n'oserai lui comparerles moines
ou d'autres évêques. C'est ce qu'avoue l'Égypte;
ce que croient la Syrie, .1'Éthiopie, les In~es, la
Parthie, la Perse; ce que n'ignorentpas l'Arménie,
le Bosphore, les fies Fortunées, si elles sont habi-
tées, et l'Océan glacial, s'il est sillonné .par: les
vaisseaux. Que notre pays si proche de ce grand
homme, est malheureux de' n'avoir..pas été digne
de le connaître Ce n'est pas sur le peuple que
retombe cette faute, mais sur les prêtres, sur
les évêques. Les envieux avaient bien leurs rai-
sons pour refuser de le connaître; car admettre
ses vertus, c'était avouer leurs vices: C'est, avec
horreur que je répète ce que j'ai récemment en-
tendu un malheureux ( j e ne sais qui c'est ) a dit
que ton livre était plein de faussetés. Ce propos
n'est pas d'un homme, mais du diable et ce n'est
c'est l'Évangile
pas Martin qu'il contredit en cela,
qu'il dément. Car le SeigneurJui~même;n'a t-il pas
attesté que tous les fidèles pouvaient opérer les
mêmes miracles que Martin? Or celui qui ne croit
pas aux m~â.cles de Martin ne croit pas aux pa-
roles du 'Christ. Mais ,ces malheureux, ces misé-
rables, ces lâches,. rougissant de ce qu'ils ne sont
pas aussi puissants que Martin, aiment mieux nier
ses' m.érites que confesser leur impuissance. Pas-
sons à, d'autres choses, et oublions-les; raconte-
nous plutôt les' autres miracles de ;,Martin, il y a
longtemps que je désire lesconnaitre. Quant. à
moi, dis-je, il me semble qu'il serait plus juste de
demander cela à Gallus, il en sait plus que nous
( un disciple peut il ignorer les actions de.son
maître? ), et il doit d'abord à Martin, puis à nous,
de traiter ce suj et à son tour car, pour moi, j'ai
écrit un 'livre, et. toi, Postumianos, tu. nous as
jusqu'à présent entretenu des miracles. des moines
d'Oljent~Gallusnous doit:~ ~dônc~ ce.. récit., et,
comme:je viens, de'. le dire, c'est à s4n tour .de
parler;, et, pour l'amour. de Martin,.ille fera, je
crois, avec plaisir.
-,Certainement, répondit Gallus, quoique je
sois'bien, ,faibiepour un si grand fardeau; c~pen-
dant; excité,'par .les:. exemples d'obéissance que
vient de rapporter Postumianus, je ne refuserai
point la charge que vous m'imposez. Mais, lors que
je pense que moi, Gaulois, je vais;par~er devant
des Aquitains; je crains. d~offenser vos oreilles dé-
licates par"mon langage peu soigné..Êcoutez-moi
donc comme un homme grossiér, simple et.sans
fard dans son langage. Car si vous m'accordez

fleuri..
d'être disciple de Martin, permettez moi à son
exemple, de mépriser. 'un style vainement orné et

Parlez celtique ou gaulois si vous l'aimez


mieux, dit Postumianus, mais du moins entre-
tenez-nous de Martin; quant à moi, je prétends
que, même si vous étiez muet,' pour nous parler
de A~fartin d'éloquentes paroles ne vous feraient
pas défaut la langue de Zacharie ne s'est- elle
pas déliée pour prononcer le nom de Jean? D'ail-
leurs vous êtes un homme lettré vous usez d'ar-
tifice, et vous vous excusez sur votre inhabileté
parce que vous êtes plein d'eloquence un moine
4.
ne peut être si adroit;'ni un Gaulois,si,rusé. Comi
mencez donc plutôt, et remplissez la 1âchequi
vous est imposée, nous avons déjà perdu trop'de
temps à d'autres choses: les ombres-qui s'allongent
et le soleil couchant annoncent la fin du jour et
l'arrivée de lanuit..
Après quelques moments de silenc 'e, Gallus com-
mença ainsi « Je crois que je doisvd'abord:prendre
garde à ne pas répéter les 'miracles de. ;Martin. que'
notre ami Sulpice a rapportés dans son livre je
passerai donc sous' silence ce que Martin a fait
lorsqu'il portait les armes et pendant qu'il fut
laïque et moine, et je raconterai plutôt ce que j'ai
vu moi-mème, de préférence à ce que je tiens des
autres. »
DE~UXLÈMEw DIALOGUE

-'« Aussitôt que j'eus quitté les écoles, je me


1.
joignis à Martin. Quelques jours après, comme
nous le suivions pendant qu'il allait à l'église, un
pauvre à demi nu ( c'était en hiver) se présenta
;à lui, demandant qu'on lui donnât un vètement.
Martin appela alors l'archidiacre, lui ordonna de
revêtir le pauvre immédiatement, et entra *ensuite
-dans la sacristie, où il demeura seul selon sa cou-
tume car, même dans I'église, accordant toute
liberté au. clergé', il préférait la solitude; quant
aux autres prêtres, .ils. se tenaient dans l'autre sa-
eristie, y recevaient des visites, ou s'occupaient
d'affaires. Mais Martin restait dans sa retraite,
jUsqu'à I'heure où il était d'usage de célébrer l'of-
fice pour le peuple. Je n'omettrai pas de vous dire
que, dans la sacristie, jamais il ne se servit d'un-
siège orné, et, dans l'église, personne ne le vit ja-
mais s'asseoir, comme le fit naguère un certain
personnage que je vis placé ( et j'atteste le Sei-
gneur 'que ce ne fut pas sans honte) sur un siége
élevé et magnifique, comme sur un trône royal.
Martin s'asseyait sur un petit escabeau grossier,
semblable à ceux dont se servent les esclaves, que
nous autres, simples Gaulois, nous appelons siéges
à trois pieds, et que vous lettrés et vous qui reve-
nez de la Grèc,e nommez trépieds. L'archidiacre
ayant négligé de donner un vêtement au pauvre,
celui-ci entra dans la retraite du saint homme,
se plaignant d'avoir été oublié, et de souffrir beau-
coup. Aussitôt, sans que le pauvre s'en aper-
çoive, le bienheureux. ôte secrètement sa tunique
sous son manteau, en revêt le pauvre et le con-
gédie. Quelque temps après, l'archidiacre entre,
et, selon l'usage, avertit Martin que le peuple
attend dans l'église, et qu'il est temps de sortir
pour célébrer le sacrifice. Mais le Saint lui répond
eil faut d'abord vêtir le pauvre ( il parlait' de.
lui-même), et qu'il ne peut aller à l'église avant
que le pauvre n'ait un vêtement. Le diacre qui ne
comprend pas, car Martin étant couvert d'un man-
teau, il ne peut s'apercevoir de sa nudité, affirme
qu'il n'y a pas de pauvre. « Que l'on m'apporte;
dit Martin, le vêtement qu'on ,lui a préparé, et
je'trouv~rai;unpauvreàvêtir.» Le prêtre; pressé
par c'et ordre, et dont la bile était déjà en mouve-
ment,. achète rapidement:pour ..cinq pièces d'ar-
gent- une robe grossière, courte et velue, et la
met, tout irrité, aux pieds de Martin: cc La voici,
dit-il, mais je ne vois point. de pauvre. » Martin,
sans aucune émotion,. lui ordonne de se tenir
quelques instants à la porte~ désirant être seul,
pendant' qu'il se revêt.. de 'cette tunique, s'ef-
forçant de cacher ,ce qu'il fait. Mais les saints
peuvent-ils céler ces' sortes de choses 1 bon gré
mal gré ceux qui s'en informent les découvrent
toujours.

II. Revêtu de. cet habit, ilalla donc offrir le


«
saint sacrifice. Ce jour-là. même ( chose merveil-
leuse ), comme il bénissait .1'autel selon la cou-
1

tume, nous vîmes briller au-dessus de sa tête un


globe de feu, qui, en s'élevant en l'air, traça un sil-
lon.lumineug. Quoique'ce miracle soit arrivé un
jour de grande. fête, et en présence d'une immense
foule de peuple,.une vierge, un prêtre et trois
moines en furent les seuls témoins. Pourquoi les
autres ne le virent-ils pas C'est ce.que. je ne puis
expliquer. A peu près à cette époque, mon oncle
Evanthius, bon chrétien, quoiqu'il vécût dans le
monde, tomba. dangereusement malade, et se vit
aux portes,de la mort; il fit demander Martin, qui
vint aussitôt. Avant que le saint homme eùt fait
la moitié du chemin, le malade éprouva: le bien-
fait de son approche, recouvra aussitôt, la santé, et
vint lui-même au-devant -de nous. Le lendemain
il retint Martin, qui voulait partir, et le -même
jour un serpent piqua mortellemènt un des es-
claves de la maison. Evanthius le prit sur ses
épaules ( car le poison était si violent, qu'il était
déjà presque inanimé) et le déposa aux pieds du,
Saint, assuré qu'il n'y avait rien d'impossible pour
lui. Déjà le venin s'était répandu dans tous les
membres; vous eussiez vu les veines gonflées sou-
lever la peau et le ventre tendu comme une outre.
Martin étendit la main, plaça son doigt près de
rend~oit où la bête avait déposé son venin. Alors,
(chose admirable 1 ) nous vîmes le poison revenir.
de tous côtés vers le doigt de Martin, et, mêlé de
sang, sortir abondamment par l'étroite ouverture
de même que les mamelles des chèvres ou des bre-
bis, pressées par la main du pasteur, laissent sortir
de longs filets d'un lait abondant. L'esclave se leva
complétement guéri. Quant à nous,. stupéfaits
d'un si grand miracle, et cédant à l'évidence,
nous avouâmes qu'il n'y avait personne sous le
ciel qui pût imiter Martin.

III. « Quelque temps après, nous voyagions


avec Martinqui visitait son diocèse je ne sais pour-
quoi nous étions restés en arrière, et il nous pré-
cédait un. peu..A"ce'moment un chariot. du fisc,
plein de soldats, s'avançait ,sur la voie publique.
Dès que les mules qui le traînaient aperçurentprès
&elle,s Martm', enveloppé d'un vètement grossier
et d'un :long'. manteau noir, saisies de~ frayeur,
elles se: jetèrent un :peu à l'écart;, leurs traits. se
mêlèrent, :~t.elles.mirent le désordre dans tout
l'attelage. Les soldats rétablirent l'ordre difficile-
ment., ce qui, leur causa. du retard.'Irrités- de cet
accident., ;'iIs' se' précipitèrent en .bas de 'leurs
voitures, et se 'mirent. à frapper Martin à coups de
fouets et de'bâtons'; mais celui-ci sùpportait leurs
coups' sans. mot dire, avec -une incroyable pa-
tience, ce qui augmentait la folie de ces malheu-
reux, rendus plus furieux, parce qu.'il semblait
mépriser et ne pas sentir leurs coups. Nous arri-
vâmes aussitôt, et. nous trouvâmes Martin étendu
à terre, à demi mort, horriblement ensanglanté,
et tout le corps cruellement déchiré. Après l'avoir
plàcé sur son âne, nous nous hâtâmes de nous
éloigner, en maudissant le lièu de cet affreux
malheur. Pendant ce temps les soldats, revenus
à leurs chariots, après avoir assouvi leur fureur,
excitent leurs mules à. continuer la route. Mais
ces animaux, fixés au sol comme des statues
d'airain, ne font. aucun mouvement, malgré les
cris perçants de leurs maîtres et les coups de
fouets qui résonnent de tous côtés. Enfin ils se
lèvent. tous pour les frapper, mais c'est en vain
qu'ils font usage des fouetsgaulois; :ils dévastent
la forêt voisine et frappent les, mules -avecd'é-
normes branches mais leurs"mains~cruelles;sont
impuissantes, elle 's~restent. à la même place, ,im-
mobiles comme des statues. Ces malheureux ne
savaient plus que faire; malgré leur brutalité, ils
ne pouvaient déjà plus se dissimuler qu'~s :étaient
retenus par une puissance divine;' Enfin, ren-
trant en eux-mêmes, ils commencèrent. à sede-
mander quel était celui qu'ils. avaient frappé dans
ce même endroit; ils ~'informént. aux passants,
qui leur apprennent que' c'est Martin qu'ils ont
traité si inhumainement. Alors tout leur fut dé-
couvert, ils comprirent que c'était à cause de l'ou-
trage fait au saint évêque' qu'ils ne pouvaient plus
avancer, et ils s-'élancèrent rapidement.'après *nous.
Sentant leur faute, et remplis~: d'une juste honte,
pleurant,la tête et la figure couvertes dé poussière,
ils se précipitent aux genoux de Martin, implorent
leur pardon et la permission de s'éloigner, disant
que les remords de leur conscience les ont assez
punis, et qu'ils comprennent 'bien qu'ils auraient
pu être engloutis par la terre, ou, perdant la rai-
son; être changés en durs rochers, comme leurs
mules avaient été clouées au sol; ils le prient et
le supplient de leur pardonner et de leur per-
mettre de partir. Le saint homme savait avant
leur arrivée qu'ils étaient retenus, et il vous en
avait prévenus; il leur pardonna cependant avec
bonté, et.leur perrnit de continuer leur route avec
leur équipage.

IV. (( J'ai plus d'une fois remarqué, Sulpice,


que Martin, devenu évêque, disait'souvent qu'il
n'avait. plus autant. de: puissance qu'autrefois pour
opérer des miracles. Si cela est vrai, ou plutôt
puisque c'est vrai, nous pouvons conJecturer que
les miracles qu'il fit sans témoins, lorsqu'il' était
moine, furent très-remarquables; caril en opéra
publiquement de très-grands durant spn épiscopat.
Beaucoup de ses premiers miracles ne purent
échapper' au monde, ni demeurer dans l'oubli
mais le nombre de ceux qu'il cacha pour échapper
à la vanité, et 'qu'il ne laissa pas arriver à la con-
naissance des hommes; est, dit.on, incalculable.
Car, supérieur à la nature humaine et sentant sa
puissance, il foulait aux pieds la gloire. du monde,
et n'avait.que'le Ciel pour témoin. C'est ce qui a
été prouvé par le récit. de ceux que nous connais-
sons et qu'il n'a pu nous cacher. Avant dètre
évêque, il a ressuscité deux morts, ce ~que~ voùs
nous racontez très-bien' dans votre livre; mais (et
je m'étonne que vous 'ayez omis de le dire)
pendant son épiscopat il n'en ressuscita- qu'un
seul; ce que je puis affirmer comme témoin, si
mon témoignage vous paraît. suffisant. Voici com-
ment la chose s'est passée Je ne sais pour quelle
raison nous allions.à Chartres. Comme nous'pas-
sions dans un bourg très-populeux, nous rencon-
trâmes une grande foule de gentils, car il ne se
trouvait aucun chrétien en cet endroit. A.l'annonce
de l'arrivée d'un si grand homme les champs
voisins s'étaient couverts d'une foule énorme~
Martin sentit qu'il devait agir le frémissement
de tout son corps'lui annonça l'approche du Saint-
Esprit, et d'une voix surhumaine il annonça aux.
gentils la parole de Dieu, gémissant souvent
qu'une si grande multitude ignorât le Seigneur
Jésus. Alors. (nous étions entourés d'une grande
foule) une femme, dont le fils venait de mourir,
tendit vers le Saint ce corps inanimé, et lui dit
« Nous savons que tu es ~1'ami de Dieu; rends-moi
mon fils, mon fils unique. » Martin, voyant en
ce moment ( comme il nous le dit plus tard) que
pour le salut de tous il pourra obtenir un mi-
racle, reçoit l'enfant entre ses bras, fléchit le
genou devant la foule, et, après avoir prié le
rend plein de vie à sa mère. Toute cette multi-
tude pousse aussitôt de grands cris qui s'élèvent'
jusqu'au ciel, et reconnaît le Christ pour son Dieu;
tous ils se jettent aux pieds du saint homine, de-
mandant avec foi qu' ~n les fit chrétiens. Martin
n'hésite pas. Comme il se trouve au milieu d'une
plaine, il les fait tous catéchumènes par une im-
position générale des mains; puis se tournant
vers nous, il. nous dit que ce n'est pas sans rài-
son que l'on peut faire des catéchumènes dans
une plaine puisque c'est. là ordinairement que se
consacrent.. les martyrs. »

V. « Tu Femportes,,GaUus, dit Postumianus,


non pas sur moi, qui suis dévoué partisan.de Mar-
tin, qui connais tous ses miracles et y crois fer-
mement, .mâis tu l'emportes sur tous les ermites
et. les anachorètes. Aucun .d'entre eux, comme
votre Martin, ou:plutôt comme notre Martin, n'a
ressuscité de~.morts. C'est avec raison que Sulpice
le compare aux apôtres et aux prophètes; il leur
ressemble en.. tout; sa grande foi et ses miracles
nous le prouvent. Mais achève, je t'en prie,
quoique nous. ne puissions rien entendre de plus
magnifique; achève cependant de nous .raconter
ce qui. te reste à nous dire de Martin. Mon âme
désire .Vivement connaître ses moindres actions de
chaque jour; car, sans .aucun. doute ses moindres
actions sont ,plus importantes que les plus grandes
actions des; autres..» CI
Il est vrai que je n'ai
pas vu ce que je. vais raconter, car ce .miracle
arriva avant que je me= fusse joint au bienheu-
reux; mais il est fort célèbre et a été divulgué par
les moines fidèles qui étaient présents. A peu près
à l'époque où il reçut l'épiscopat Martin fut
obligé de se préseilter.à la cour. Valentinien ré-
gnait alors. Sachant que Martin .demandait des
choses-; qu'il* ne voulait. pas accorder, il ordonna
qu'on ne le laissât pas entrer au palais. Outre sa
vanité et son orgueil, il avait une épouse arienne
qui l'éloignaitdu Saint et l'empêchait de lui rendre
hommage. C'est pourquoi Martin, après avoir fait
plusieurs tentatives inutiles pour pénétrer chez ce
prince orgueilleux., eut recours à sés arines ordi-
naires il se revètit d'un cilice, .se" couvrit de
cendres, s'abstint de boire et de manger; et pria
jour et nuit. Le septième jour, un ange lui. appa-
rut et lui ordonna de. se rendre avec .confiânce.au
palais; il lui dit que les portes, quoique fermées,
s'ouvriront d'elles-n:têmes, et que 'le fier empe-
reur s'adoucira. Rassuré par la présence et, les
paroles de l'ange, et aidé de son secours, il se
rend au palais. Les portes s'ouvrent; il ne .ren:-
contre personne, et parvient sans opposition jus=
qu'à l'empereur. Celui-ci, le voyant venir de loin,
frémit de rage de ce qu'on l'a laissé entrer, et'ne
veut pas se lever p'endant':qu'il se tient debout.
Tout à coup son siége est couvert de flammes qui
l'enveloppent, et forcent ce prince orgueilleux de:
descendre de son trône et de .se tenir debout,
malgré lui, devant Martin. n'. embrasse ensuite
celui qù'il avait résolu de mépriser, et avoue qu'il
a .ressentiJes effets de la puissance divine; puis,
sans attendre les prières de Martin, il lui accorde
tout ce qu'il veut, avant qu'il lui ait fait aucune
demande. Il le fit souvent venir pour s'entretenir
avec lui, ou le faire asseoir à sa table. Á son départ,
il lui offrit beaucoup de présents mais le saint
homme., voulant., toujours. rester~ -pauvre n'en
accepta. aucun.

V~7 ~c .Et:puisque nous voici dans le palais.


l"

j e: racônterai. tout ce'lque:~artin y a ~-fait à diverses


épo~es. n-me semble que je -ne dois pas omettre
de ;parler de 1'admiration d'une pieuse :reine pour
Martin. L'empereur: Maxime gouvernait l'empire;
c'était ;un'homme'dont toute la vie serait digne de
louanges s'il.eût pu refuser. une puissance ~illé-
gitime que' lui imposèrent des soldats en révolte;
et.éviter la guerre civile;, inais il n'eût pu sans
danger_ refuser un si..grand empire, et le ~gouver:
~ers'ans,aroi,r,recours aux armes. Ce prince Jaisàit
souvent venir:Martindans son palais,, et s'entre=
tenait longtemps avec. lui de la vie présente et
4~ure de la gloire des fidèles, de l'éternité des
saints; ;tandis quejour et nuit la reine restait
suspend~e:auxlèvres,de Martin et, semblable à
Marie, arrosait ses pieds, de.pleurs, qu'elle essuyait
avec ses chevéug..Martin, qu'aucune femme n'a-
vait j amais touché; ne pouvait éviter 1a présence
continuelle de l'impératrice, ou plutôt cette véri-
table servitude. Oubliant.ses richesses; la dignité
impériale', le diadème et., la. pourpre, prosternée
à ,terre; elle ne pouvait ètre arrachée des pieds de
Martin.. Enfin,elle. demanda -à son mari de lui
permettre d'éloigner: tous ses serviteurs et de
préparer seule un repas pour Martin. L'empereur
joignit ses instances à celles -de Fimpératrice, pour
décider le bienheureux, qui ne put 's'opposer à
ce'dessein. Elle prépara donc tout de ses, mains
royales, couvrit'son siége'd'un.tapis, 'approcha
la table,'présenta l'eaû pour les mains et"apporta
les mets qu'elle avait fait'cuire ene~même. Pén-
dant que Martin était assis, 'elle se tint immobile
à quelque distance selon l'ùsàgé des domestiques,
montrant en tout la réserve d'un serviteur et, la
soumission d'un esclave; elle même lui versa
à boire et lui présenta la coupe..A près le repas
elle recueillit avec 'soin les morceaux de pain et
les miettes, préférant ces restes, aux repas impé-
riaux. Heureuse femme ses sentiments de piété
la rendent, avec raison, comparable à cette reine
qui vint des confins de -la terré entendre Salomon,
si nous nous en tenons simplement ~â Phist'oire;
mais si nous comparons la foi de ces deux reinès
( qu'on me permette cela,'en mettantdec~té la
majesté du' 'mystère) on verra que' l'une ,alla
entendre un sage, et qu'à l'autré,' contente
de Pentendre, le voulut servirell~niême.»

'Vil. A cet endroit, Postumianus prit la pa-


role. « Il y a longtemps, Ga,llûs; que je t'écoute ,et
que j'admire profondément la: foi de l'impératrice;
mais ne m!avàis4u pas dit qnejamais'Martin ne'se
laissait. approcher par une femme et 'voici: que
l'impératrice .non-'seulement s'est ~approchée: @de
Martin, mais encore l'a servi pendant son repas. »
«Pourquoi,' lui dit alors Gallus ne considérez-
vous pas -comme le font. les grammairiens, le
lieu, le'temps' et la pers Représentez-vous
la position difficile où se trouvait Martin dans le
palais de l'.empereur;1'impératrice qui' l'obsédait,
qui liri faisait -en, quelque sorte violence par ses
prières. et les instances que'sa foi lui: inspirait;
enfin considérez les circonstances' impérieuses
qui,.le pressaient :il voulait obtenir la- liberté
d'infortunéscaptüs, .faire révoquer des sentences
d'exil., et enfin faire rentrer dans la possession dé
leurs biens des malheureux qu'on en d-vait dépouil-
lés. Pour obtenir toutes ces: grâces, auxquelles le
saint évêque attachait un si grand prix, n'a-t-il pas
dû. se relâcherun peu de la ri gueur de la règle devie
qn.'il~s'était-tracée2~ ~Néanmoins vous pensez, vous,
que quelqu.es'personnes'pourront s'autoriserde cet
exemple. et'en abuser; eh bien, moi, je proclame
heureux ceux qui, dans une circonstance sem-
blable, prendront modèle'sur Martin. Qu'onréfté-
chisse donc que Martin déjà septuagénaire, une
seule fois dans sa vie, fut servi à table non par
une 1venve,vivant. à sa guise, ni'par une vierge,
mais par une femme mariée, qui le fit à la prière
de son. mari lui~~ême" par une impératrice. Elle
se tint debout.pendant qu.'ilmangeait,sans s'asseoir
à côté de lui et s'ans. oser partager son repas, elle
le'servit.hÚJnblemerit.Voici'doncla règle que la
femme vous serve sans vous commander et sans
prendre place à côté de ,vous; Marthe' servit ainsi
le Seigneur" sans être admise au repas;; et qui plus
est Marie, qui éèoutailla parole .du, Sauveur, fut
mise au-dessus de Marthe qui le servait.: Quant à
l'impératrice, elle a pareillement agi envers Mar-
tin; elle l'a servi comme Marthe, et ,écouté comme
Marie. Si quelqu'unveut s'autoriser de cetexemple,
qu'il Fimite donc scrupuleusement.; que ce soit le
même.motif, la même personne, la même humi-

vie.
lité le même festin et que cela ne lui arrive
qti'une fois dans sa

Vin. Je vous ai déjà raconté tant de mer-


veilles, que je devrais vous. avoir:. satisfait mais
puisque je ne puis. me refuser à vos désirs, je par-
lerai encore jusqu'à la,fin du jour. Lorsque je re-
garde cette.:paille préparée pour nos lits, je me
souviens que la paille du lit de Martin, fut l'occa-
sion d'un miracle; voici .comment.la. chose se
passa. Le bourg de Claudiomaglls se trouve sur les
limites du Berri et de la Touraine; là est une
église célèbre par la piété de ses saints et: le trou-
peau non moins glorieux de ses vierges.: Martin
passant en cet endroit coucha dans.la-,sacristie.
Après son départ, les vierges. s~y précipitèrent en
foule, baisèrent les. endroits où le Saint s'était
assis ,où arrêté, et se partagèrent la paille' où il
avait reposé: L'une: d'elles, quelques jours après;
suspendit 'au' cou d'un énergumène la paille qu'elle,
avait recueillie par respect, et aussitôt, plus vite
que je ne vous le raconte, le démon fut chassé et
la personne délivrée.

1~: A peu pres à cette. époque, ~en revenant


de Trèves, Martin rencontra une vache agitée par
le démon; elle avait' quitté le troupeau, se pré-
cipitait sur tous ceux qu'elle rencontrait, et avait
déjà frappé plusieurs personnes. Lorsqu'elle fut
près de nous, ceux qui la suivaient de loin se mi-
rent à nous crier d'e prendre garde;: mais Martin
éleva la main au moment où elle s'approchait
toute furieuse avec des yeux menaçants, et lui
commanda de s'arrètér. A cet ordre, elle demeura
aussitôt immobile. Ce fut alors que Martin vit un
démon assis sur son dos, et lui dit « Misérable
éloigne-toi de cet animal innocent et cesse de l'a-
giter. » L'esprit malin obéit et disparut. La vache,
ayant 'assez d'instinct pour comprendre sa 4éli-
vrance, devint tranquille, se prosterna aux pieds*
du Saint, et sur son ordre regagna le troupeau
qu'elle suivit plus douce qu'une brebis. Ce fut jJ.
cette époque que Martin sortit sain et sauf du mi-
lieu des flammes. 'Je ne crois point devoir rappor-
ter ce fait; car, quoique Sulpice l'ait omis dans son
livre il l'a cependant raconté avec détail dans sa
lettre à'Eugi~4- s -prêtre et récemment devenu
évéqu~Ÿôü`s~é~ue, je crois, Postumianus,; si
(
~v
:3,i?: 5
vous ne la connaissez pas, vous la trouverez à votre
disposition dans cette bibliothèque, car je ne rap-
porte que ce que Sulpice a omis. Un jour, Martin
visitait son diocèse, lorsquenous rencontrâmesune
troupe de chasseurs dont les chiens poursuivaient
un lièvre. Déjà la pauvre bête, fatiguée d'une
longue course, et ne voyant aucun refuge dans la
plaine immense qui l'entourait, s'efforçait de con-
jurer le péril imminent en bondissant de côté et,
d'autre. Le Saint, ému du danger qu'elle courait,
ordonna aux chiens de cesser leur poursuite et de
la laisser s'échapper. A peine eut-il donné cet
ordre, qu'ils s'arrêtèrent à l'instant; on les aurait
crus liés ou plutôt cloués au sol, tant i1s.dêmeu~
raient immobiles. Aussi le pauvre lièvre, dont les
ennemis étaient ainsi retenus, put s'échapper sain
et sauf.

X. « Les propos spirituels et familiers de


:Martin méritent d'être rapportés. Apercevant une
brebis qu'on venait de tondre, il dit «.Elle a ac-
compli le précepte de l'Évangile.; elle avait deu..x
tuniques, elle en a donné une à celui qui n'en-
avait pas c'est aussi ce que v ous devez faire. »
Ytiyant encore un porcher à demi nu, transi de
froid sous un vêtement fait de peaux «( Voici
Adam chassé du paradis, dit-il, qui fait paître ses
pourceaux sous un vêtement de peaux; quant à
nous, dépouillons notre. vieux vêtement que celui-
rï a gardé, et l'evêtons- nous du nouvel Adam. »
Des boeufs avaient brouté une partie d'une prai-
rie, des pores en avaienifouillé une autre le
reste, demeuré. intact, verdoyait, émaillé de mille
fleurs. « La partie que les boeufs ont broutée, nous
dit-il, représente -le mariage; si la verdure a en-
core quelque fraîcheur, les fleurs ne l'ornent plus.
La partie fouinée par les porcs immondes repré-
sente la, dégoî~tante image de la débauche; mais
la portion qui n'a reçu aucune souillure nous
montre la gloire de la virginité l'herbe y est
épaisse et le foin abondant, et les fleurs, leur plus
f,'1'and ornement, y brillent comme des pierres
précieuses. Quel magnifique spectacle, digne des
yeu.~ de Dieu 1 car rien n'est comparable à la vir-
ginité. Ceux, qui comparent le mariage à ta forni-
~cation sont grandement dans l'erreur, et ceux qui
le comparent à la virginité sont de misérables in-
sensés. Les sages doivent faire cette distinction
que le mariage est toléré, la virginité glorifiée, et
la fornicationpunie, à moins qu'on ne l'expie par
la pénitence.

XI. « Un soldat, ayant abandonné la carrière


des armes, fit profession de moine au pied des
autels, et se bâtit une cellule dans un lieu retiré
pour y vivre en ermite. Mais. 1!'espi-it malin, qui
agitait de beaucoup de'pensées son âme grossière,
lui fit changer d'idées et souhaiter de vivre' avec
sa femme que :Martin avait fait 'entrer dans un
couvent de filles. Ce vaillant ermite alla donc
trouver Martin, et lui lit part de son désir. Celui-ci
refusa aussitôt, en lui disant qu'il n'était pas con-
venable qu'une femme habi1ât avec un homme,
qui n'est plus son mari puisqu'il s'est fait moine.
Enfin, comme le soldat faisait des instances, affir-
mant que cela ne nuirait point à son genre de vie,
qu'il ne voulait avoir sa femme que comme une
consolation, et qu'il n'était point à craindre qu'ils
tombassent dans le vice car, disait-il, je suis
soldat du Christ, et ma femme a aussi, prêté ser-
ment dans cette sainte milice; accordez donc à
des religieux, qui par le mérite de la foi ne con-
naissent plus le sexe, la permission,de combattre
ensemble. Martin lui dit alors ( je cite ses .propres,
paroles): « As tu' jamais été à la guerre, dans les
rangs d'une armée rangée.en bataille? Souvent,
répondit le soldat, je me suis trouvé dans les rangs
d'une armée, ét j'ai assisté à des combats. Dis-
moi donc, reprit Martin, ,as-t11 jamais vu dans une
armée prête à en venir aux mains, ou combattant
déjà l'ennemi l'épée rIa main, une femme se te-
nir dans les rangs et prendre part au combat? »
Alors, enfin, le soldat confus rougit et remercia
Martin de l'avoir détourné de cette erreur, non
par.de rudes réprimandes, mais en se servant
d'une comparaison juste, raisonnable, 'et appro-
priée à un soldat. Puis, Martin se tournant :vers
nous (car il était souvent èntomé" d'une nom-
breuse troupe de frères ) cc La fèmme, dit -il ne
doit point entrer dans le camp des soldats, ni se
mèler à. eug. Qu'elle reste chez elle; une armée
devient méprisable, lorsqu'une troupe de femmes
se mêle à ses rangs. C'est au soldat de combattre
en bataille rangée et en plaine la femme se doit
renfermer dans l'asile de sa demeure. Sa gloire, à
elle., c'est de rester pure en l'absence de son mari;
sa première vertu et sa plus grande victoire, c'est
de rester cachée. »

Xll. «' Vous devez vous rappeler; Sulpice,


avec quelle ardeur Martin louait cette vierge qüi
s'était si complétement soustraite aux regards des
hommes, qu'elle ne voulut pas mème recevoir
Martin, qui voulait la visiter par honneur; car,
passant par le lieu qu'elle habitait depuis plusieurs
années, il s'arrêta, ayant entendu parler de sa foi
et de ses vertus, afin d'honorer une si sainte per-
sonne d'une visite épiscopale. Nous le suivions,
persuadés que cette vierge s'en réjouirait, 'et re-
garderait comme un témoignage de sa vertu, qu'un
év~êque si célèbre se rêlâchât pour la voir de son
austérité. Mais le plaisi de sa visite ne fut pas
pour elle une raison suffisante pour manquer à la
ferme résolution 'qu'elle avait prise. Le bierilien-
reuz reçut, ses excuses par l'entremise d'une àutre
femme, et s'éloigna plein de 'joie, de la.maison de
cette vierge, qui ne lui avait pas permis de la voir
et de la saluer..0 la glorieuse vierge qui ne souf-
frit pas les regards de Martin lui-même. 0 heureux
Martin! qui, loin de considérer ce reÍ1.1s comme une
injure, exaltait cet acte de vertu, dont on n'avait
pas encore vu d'exemple dans ces contrées, et s'en
réjouissait dans son coeur. L'approche de la nuit
nous ayant forcés de nous arrêter à quelque dis-
..tance de cette demeure, cette même vierge envoya
un cadeau au saint évêque. Martin fit alors ce qu'il
n'avait point fait auparavant ( car jamais il n'ac-
cepta un présent de personne ) en disant qu'un
évêque pouvait accepter les offrandes bénies d'une
vierge si vénérable, que l'on pouvait préférer à
bien des évêques. Que les vierges n'oublient pas
cet exemple; qu'elles ferment leurs portes même
aux honnêtes gens pour éviter les méchants, et si
elles veuleD.t leur fermer tout accès auprès d'elles,
qu'elles ne reçoivent pas même les évêques. Que
le monde entier l'apprenne, une :vierge n'a pas
souffert que Martin la vît. Et ce ne fut'pas un
prêtre quelconque qu'elle refusa de voir, c'était
celui dont la vue est le salut de tous ceux qui le
voyaient. Quel autre évêque que Martin n'en eùt
pas été offensé? Quel n'eût pas été son méconten-
tement contre cette sainte viergé fi l'eût tenue
pour hérétique, et l'eût anathématisée. Combien
il eût préféré à cette belle âme cés vierges qui
toujours vont partout à la rencontre des évêques
J
~eur 'préparent de somptueux repas, et se mettent
a table avec eux. Mais où me conduit mon récit!
Réprimons ce langage trop libre, de peur d'offen-
ser quelqu'un. Car les reproches ne font aucun
effet sur lés infidèles, tandis que cet.exemple suf-
fit pour les fidèles. Mais si j'exalte la vertu de cette
Nierge, je ne prétends rien ôter à la gloire de celles
qui vinrent de régions fort éloignées pour voir
Martin, puisque les anges eux-mêmes ont sou-
vent visité le saint homme avec autant de res-
pect.

XIII. « Ce que je vais raconter, Postumia-


nus, celui-ci, dit-il en me regardant, vous l'at-
testera. Un jour, Sulpice et moi nous, veillions à
la porte de Martin; nous étions ,assis là 'en silence
depuis quelques heures, pleins de respect et de
crainte,, comme ,si nous veillions à la porte d'un
ange. Or la cellule de Martin était fermée, et il
ne savait pas que nous fussions là. A ce moment.
nous entendîmes le bruit d'une conversation; la
frayeur s'empara de nous, et nous sentîmes qu'il
se passait quelque chose de surnaturel. Deux
heures après Martin sortit. Alors Sulpice ( car
personne n'est plus familier avec lui ) se mit à le
prier instamment de satisfaire notre pieuse curio-
sité, en nous faisant connaître quelle était cette
frayeur surnaturelle que nous avions ressentie
tous deux, ou quelles étaient les personnes avec
lesquelles il avait conversé dans sa. cellule; ,car
nous avions entendu derrière la porte le .bruit
d'une conversation, qu'à la vérité nous n 1 avions
pu comprendre. Martin hésita beaucoup; mais il
n'y avait rien que Sulpice n'~blînt de lui. ( Je vais
raconter des choses merveilleuses, mais je prends
Dieu à témoin que je dis la vérité, et personne ne
sera assez sacrilége pour accuser Martin de men-
songe). « Jevous le dirai, dit-il, mais, de grâce;
ne le confiez à personne* Agnès, Thècle' et Marie
étaient avec moi. » Et il nous décrivit le visage et
le vêtement de chacune d'elles il nous avoua
qu'elles ne l'avaient pas visité seulement ce jour-là,
mais bien d'autres fois; il ne nous cacha pas non
plus qu'il voyait souvent Pierre' et Pauh Lorsque
les démons venaient auprès de lui,. il les appelait
par leurs noms. 1\1ercul'e lui était particulièrement
désagréable,; Jupiter, dis.ait-il,, était hébété et gros-
sier. Toutes ces choses paraissaient incroyables,
même à ceux qui habitaient le même monastère
que. lui, et je ne crois pas que tous ceux. qui les
entendront y ajouteront foi. Mais si. sa vie. et ses
miracles. n'étaient pas si étonnants, sa gloire ne
serait pas. si grande. ,D'ailleurs il n'est pas sur-
prenant que notre faiblesse humaine doute des
miracles de Marlin, lorsque nous voyons tous les
jours beaucoup de personnes qui ne croient pas
même à l.'Évangile. Souvent nous avons remarqué
q,u.e les. anges. çanYersa~ent avec :Martin 1. et natu.s
.~en avons été'témoins. Ce 'que je vais raconter est
peu important., toutefois je le dirai. Martin'avait
refusé d'assister à un concile 'd'évêques qui se' te-
'nait'à Nîmes; il désirait cependant savoir ce qui
ey- passe~ait. Par hasard, Sulpice était sur le même
bateau que 'lui;' selon son habitúde, Martin se te-
'nait loin des autres dans un endroit 'écarté: là
un ange lui annonça ce qui s'était passé dans le
concile. Nous nous informâmes av,ec soin de l'é-
-poque où s'était tenu le concile; nous nous'con-
vainquîmes que c'était le jour même de l'appari-
-tion, et que les évêques avaient décrété ce que
l'ange avait annoncé à Martin.

XIV. >ilLors~e nous l'interrogions sur la fin


du monde, nous disaitque Néron et l'Antéchrist
devaient d'abord venir. Néron, ajoutait-il, règnera
en Occident après avoir vaincu dix rois, et persé-
cutera le peuple;pour le faire tomber dans l'ido-
lâtrie. Quant à l'Antechrist, il règnera d'abord en
Orient, et établira le siége de son empire à Jérusa-
lem, qu'il rebâtira ainsi que le temple; il ordon-
nera une persécution pour forcer ses sujets à re-
nier Dieu, et à le reconnaître pour le Christ.11
mettra Néron à mort, et soumettra toutes les na-
tions de l'univers: Il nous disait encore qu'il n'é-
tait pas douteux que l'Antechrist; engendré par
le malin esprit, ne fût déj à né, mais encore enfant,
et n'attendant que'l'âge viril pour régner. Il y a
5-
déjà huit ans que Martin nous parlait ainsi voyez
combienest imminent cet effrayant avenir. » Pen-
dant que Gallus parlait encore, -.et il n'avait pas
tout dit, un serviteur entra annonçant que le
prêtre Réfrigérius était à la porte. Comme nous
.hésitions, ne sachant s'il était préférable d'écouter
encore Gallus, ou d'aller à la rencontre d'un prêtre
qui nous est si cher et qui venait nous rendre vi-
site, Gallus nous dit ( Quand bien. même nous'
ne devrions pas finir ces discours pour recevoir
un si saint prêtre, la nuit nous forcerait d'aban-
donner ce récit déjà si long. Comme je n'ai pu
J

vous raconter tous les miracles de Martin, que


mon récit d'aujourd'hui vous suffise, demain je
vous raconterai le reste. Après cette promesse
de Gallus, nous nous levâmes tous.
TROISIÈME DIALOGUE

L il commence à faire jour, Gallus, le-,


vons-nous; car, comme tu le vois, Postumianus
est impatient; et le prêtre, qui n'a pu t'entendre
hier, attend que, selon ta promesse, tu continues
tes récits sur Martin. Ce dernier, il est vrai, n'i-
gnore pas ce que tu vas raconter, mais il est doux
et. agréable d'entendre de nouveau ce qu'on con-
naît déjà; il a suivi Martin dès sa jeunesse; il
connaît donc tous ses. miracles mais il les écou-
tera encore avec plaisir. Je l'avouerai, Gallus, que
bien souvent j'ai entendu raconter les miracles dé
Martin; j'en ai rapporté beaucoup dans mes lettres;
mais ils sont tellement admirables, que le récit en
est toujours nouveau pour moi. D'ailleurs, je suis,
d'autant plus heureux de voir Réfrigérius grossir
notre auditoire; que Postullianus, qui est pressé'
de retourner en Orient raconter tÕutes ces mer-
veilles, emportera d'ici des récits dont la véracité'
aura été attestée par un plus grand nombre de
témoins. » Après ces paroles, Gallus se préparait
à parler, lorsque subitement entrèrent un grand
nombre de. moines, le prêtre Évagr~us, Apex;
Sébastien, Agricola; et peu après le prêtre Acthe-
rius, avec le diacre Calupion et l'archidiacre
Amator. Enfin le prêtre Aurélius, mon ami in-
time, arriva le dernier de fort loin et hors d'ha-
leine. « Qui peut vous faire venir de si loin, si
subitement et inopinément, à cette heure mati-
nale ? leur dis-je. Nous' avons appris hier,
répondirent -,ils que pendant toute la journée
Gallus avait parlé des miracles de Martini et qu'il
avait remis la suite au lendemain à cause de
l'approche de la nuit; nous avons donc pris la
résolution de 'former un nombreux auditoire. à
celui qui' de,rait traiter unè si belle matière. ,» On
nous annonça en ce moment qu'un grand nombre
de laïques étaient à la porte, n'osant entrer, mais
priant qu'on voulût bien les admettre:- « Un' est-
pas convenable, dit alors Apel'; de leur.permettre
dé se mêler à nous, car ils ont été amenés. plutôt
par la curiosité que,par la.piété. » Hontèux .pour
ceux qu'Aper ne voulait pas laisser en1ret;, j '~btins
enfin, non sans peine qu'on admît Eucherius,
ancien vicaire et Celse personnage consulaire.
Alors Gallus, placé sur un siége au milieu de
l'assemblée garda longtemps un modeste silence,
puis il commença en ces termes

II. « Hommes saints et instruits, qui vous


êtes réunis pour m'entendre, je m'adresserai à
votre piété, bien plus qu'à votre savoir; veuillez
m'écouter plutôt comme un témoin fidèle, que
comme un éloquent orateur. Je ne répèterai pas
les choses que j'ai dites hier.; ceux qui ne les ont
pas entendues les peuvent lire. Postumianus en
attend de nouvelles, afin de les raconter à l'Orient,
pour que la comparaison avec :Martin l'èmpêche de
se, préférer à l'Occident. Et d'abord, je désire vive-
ment *vous raconter un miracle que Réfrigérius me
souffle à l'oreille il s'est passé dans la ~-ille de
Chartres. Un père de famille présenta à 31artin sa
fille, âgée de douze ans et muette. de naissance,
suppliant le Saint de lui rendre l'usage de la
langue par ses mérites. Martin, par déférence
pour les évêques Valentinien et Victrice, qui se
trouvaient par hasard près de lui, disait que cette
iâc1ie était au-dessus de ses forces, mais qu'elle
n'6tait.pas impossible à .ces saints évêques.Ce~-
ci -joignirent. leurs pielises instances aux, suppli-
cations, du père, et le prièrent d'acquiescer à sa
dem.and~~ Le sent homme n'hésita ,pas' .(.quelle
humilité et quelle admirable miséricorde t) et fit
éloigner le peuple. En présence. seulement' des
évêques et du père de la jeune fille, il se mit en
prière, selon son habitude il bénit ensuite 'lm
peu d'huile en récitant une formule d'exorcisme,
et versa la liqueur sacrée sur la langue de la jeune
fille, qu'il tenait entre ses doigts., Son attente ne
fut point trompée. Il lui demanda le nom de son
père, qu'elle prononça aussitôt; celui-ci jette un
cri, se précipite aux pieds de Martin, 'en pleurant
de joie, et assure aux assistants étonnés que c'est
la première parole qu'il entend.prononcer à sa
fille. Si par hasard ce fait vous parait incroyable;
Èvagrius, ici présent, vous attestera sa véracité,.
car il en fut témoin.

III. (c Le fait que le prêtre Harpagius m'a


raconté n'est pas très-remarquable; cependant je
ne dois pas le passer sous silence. La femme du
comte Avicien avait envoyé à Martin de l'huile
dont elle se servait, selon l'usage, contre di-
verses maladies, afin qu'il la bénit. Cette huile
était contenue dans une fiole de verre courte et
ronde et dont le col fort long n'était pas tout à
fait plein, parce qu'ordinairement on ne remplit
pas ces petits vases, afin de laisser de l'espace
pour les boucher. Harpagius assure qu'il a vu
l'huile croître pendant la bénédiction'de Martin,
puis déborder et se répandre au dehors;. pen-
dant qu'on portait le vase à la femme d'Avicien,
elle bouillonnait. et coulait encere entre les mains
de l'esclave avec tant d'abondance, qu'elle couvrit
ses vêtements. La matrone reçut cependant la fiole
pleine jusqu'au bord, et le prêtre Harpagius affirme
qu'aujourd'hui encore elle est si pleine, qu'on ne
peut y mettre un bouchon, afin de la conserver
avec plus de soin. Ce qui est arrivé à celui-ci ( et il
'me regardait) est aussi fort étonnant. Il avait dé-
posé sur une fenêtre élevée une fiole pleine d'huile
bénite par Martin. Un d omestique tira sans pré-
caution le linge qui la recouvrait, ignorant qu'eUe
fût dessous, et le vase tomba sur le pavé de
marbre. Tous tremblaient que cet objet sacré ne
fût brisé; mais on le trouva intact, comme s'il
fût 'tombé sur la plume la plus douce. on ne peut
attribuer ce miracle au hasard, mais à Martin.,
dont la bénédiction ne devait point se perdre.
Raconterai-je ce qui a été fait par une certaine
personne dont je tairai le nom, car elle est pré-
sente et ne veut pas être connue; Saturninus,
-d'ailleurs, fut témoin de ce fait à cette époque.
Un chien. nous importunait par ses aboiements.
« Au'nom de Martin, dit cette personne, je t'or-
donne de te taire. » Les aboiements s'arrêtèrent
aussitôt dans son gosier, et sa langue (qu'on aurait
crue coupée ) resta muette. C'était peu, croyez-
moi, que Martin fit des miracles, car les autres en
faisaient en son nom.
IV. « Vous savez combien se montrait autre'"
fois barbare et cruel le comte Avicien. Il venait-
d'entrer à Tours fort irrité, ayant à sa suite une
'longue file de prisonniers encbafnés, à l'aspect
misérable; il avait ordonné qu'on préparât toutes
sortes de supplices, se disposant à procéder le len-
demain à une si triste tâche à la vue de la. ville
étonnée. Lorsque Martin en fut instruit, il se ,rendit
seul, un peu avant minuit, au palais' -de-cette,
bête cruelle. Mais comme les portes étaient fér-
mées à cette heure de la nuit obscure où tout le
monde dort profondément, Martin se prosterna
sur le seuil de cette maison de sarig. Cependant
Avicien«, enseveli dans le sommeil est réveillé
par un ange. « Le serviteur de Dieu est à la porte,
et tu reposes, » dit-il. A cette voix, il sort tout
,troublé de son lit, appelle ses serviteurs en trem-
blant, leur dit que Martin est à la porte, et, or-
donne d'aller sur-le-champ lui ouvrir, afin que le
serviteur de Dieu n'ait pas à souffrir une injure.
Mais ceux-ci ( car tels sont les esclaves) ne dépas-
sèrent pas les portes intérieures, se moquant de,
leur maître devenu le jouet d'un songe, et
dirent qu'il n'y avait personne à la porte; car, ne
croyant pas qu'un homme pût passer la nuit, de=
hors ils ne pouvaient s'imaginer qu'un évêqu~
fût prosterné devant un seuil étranger; dans l'hor--
reur des ténèbres. Avicien les crut facilement et
se rendormit. Mais il est de nouveau réveillé par
une puissance supérieure, et s'écrie que Martin est
à la porte ce qui l'empêche d'avoir aucun rèpos
de corps ou d'âme. Comme les esclaves tardaient
à venir, il alla lui-même jusqu'à la porte exté-
rieure, et là il,trouva Martin, comme il en avait
été averti. Le malheureux, frappé d'un si grand
miracle, s'écria « Pourquoi agir ainsi? Seigneur,
je sais ce que vous désirez, je vois ce que vous
demandez; éloignez-vous de suite, afin que le feu
de la colère céleste ne me consume pas, à cause
de l'injure que je vous fais; j'ai assez'souffert
jusqu'à présent; croyez-le bien, ce West pas sans
raison que je suis venu moi-même ici. » Dès que
Martin se fut retiré il appela ses officiers, fit dé-
livrer tous les prisonniers, et bientôt s'éloigna lui-
même son, départ délivra la ville et la remplit de
joie.

v. « C'est Avicien lui-même qui rapporta ce.


fait à beaucoup de personnes. Le prêtre. Réfrigé-
rius ici présent, l'a récemment entendu racon-
ter par Évagrius homme rempli de foi et ancien
tribun, qui a juré par la majesté divine qu'il le
tenait d'Avicien lui-même. Ne vous étonnez point
si je fais aujourd'hui ce que je ne faisais point
hier; c'est-à-dire, si à chaque miracle je nomme
les témoins et les personnes encore vivantes, aux-
quelles les incrédules peuvent recourir. J'agis
ainsi, parce que certaines personnes ont mis en
doute ce que j'ai raconté, hier. Je cite donc des
témoins encore pleins de vie et de santé; et ceux
qui ne me croient pas auront petit-étré plus de con-
fiance en eux; mais les croiront-ils eux-mêmes,
ces incrédules ? Je m'étonne qu'avec le moindre
sentiment de religion, on puisse être assez cou-
pable pour croire qu'un mensonge est possible en
parlant de Martin. Que celui qui craint Dieu éloigne
ce soupçon, car Martin n'a pas besoin qu'on s'e
serve du mensonge pour ajouter à sa gloire. 0
Christ! je te prends à témoin que dans tous mes
discoursje n'ai rien dit et ne dirai rien que je n'aie
vu moi-même, ou que je ne tienne de personnes
dignes de foi, et la plupart du. temps de Martin
lui-même. Quoique j'aie choisi la forme du dia-
logue, pour éviter la monotonie et varier mes ré-
cits, je déclare que je m'en suis loyalement tenu
à la véritÉ: de l'histoire. C'est l'incrédulité d'un
grand nombre de personnes qui me force, à regret,
d'interrompre mon récit. Mais revenons à l'objet
de notre réunion; on m'écoute avec tant d'atten-
tion que je me vois forcé d'avouer qu'Aper avait
raison d'éloigner les incrédules 'persuadé que
ceux-là seulement qui croient doivent m'en-
tendre.

VI. « En vérité, je suis transporté d'indigna-


tion, et la douleur m'égare; des chrétiens,ne
croient pas aux miracles de'Martin, et les démons
y ajoutent foi Le monastère du Saint é tait éloigné
de la ville d'environ deux milles. Chaque fois qu'il
mettait le pied hors de sa cellule pour aller à
l'église, on voyait les énergumènes rugir dans
toute l'église, et les coupables trembler comme
à l'approche d'un juge; si bien que les clercs
qui ignoraient l'arrivée de l'évêque, en étaient
avertis par les plaintes des démons: J'ai vu un
possédé, à l'approché de Martin, s'élever en l'air,
les mains étendues, et rester suspendu sans tou-
cher' le sol de ses pieds. Lorsque Martin était
chargé d'exorciser des démoniaques, il ne les tou-
cbait point, ne les réprimandait pas, comme font
les clercs, avec un grand bruit de paroles; mais il
faisait approcher les énergumènes, ordonnait à la
foule de se retirer; puis les portes étant fermées,
revêtu d'un cilice, couvert de cendres, il se pros-
ternait au milieu de l'église pour prier. Alors on
voyait ces misérables délivrés de diverses maniè-
res les uns, enlevés en l'air par les pieds, sem-
blaient suspendus aux nues, sans que leur vète-
ment retombât sur leur figure, et que leur nudité
choquât la modestie les autres étaient cruellement
tourmentés, et avouaient leurs noms et leurs cri-
mes, sans qu'on les. interrogeât. L'un disait qu'il
J était Jupiter, l'autre Mercure; enfin le diable et
ses ministres étaient à la torture; ce qui nous force
à avouer qu'en Martin s'est accompli ce qui était.
.~crit « Les saints jugeront les anges. »
VII. ci La grèle exerçait tous les ans de si

affreux ravages sur un village du pays des Séno-


nais (i), que les babitants, dans cet excès de leurs
maux, se déterminèrent à implorer le secours de
Martin. Ils lui envoyèrent donc une députation
d'hommes honorables, à la tète desquels était
Auspicius, ancien préfet, sur les propriétés duquel
le fléau faisait ordinairement le plus de dégâts!
Après avoir prié dans cet endroit Martin délivra
si complétement tout le pays de cette calamité
que pendant les vingt. années qu'il vécut. encore
la grèle n'y fit de tort à personne. Que l'on n'at.
tribue point. cela au hasard, mais plutôt à Martin;
car, l'année même de sa mort, le fléau revint et
s'étendit de nouveau sur cette contrée: Le monde
se ressen.tit tellement de la mort de ce saint
homme, qu'il pleura la perte de celui dont la vie
était pour lui une .juste cause de joie. Si, pour
s'assurer de la vérité de ce que j'avance, le lecteur
incrédule me demaride des témoins, je n'en citerai
pas seulement un seul, mais plusieurs milliers,
et j'appellerai tout le pays 'de Sens pour rendre
témoignage de ce miracle. Mais vous,' Réfrigé-
rius, il me semble que vous devriez vous souve-
nir de ce que nous en avons dit avec le pieux et

(1) Le pays des Sénonais comprenait les départements


actuels de l'Yonne, du Loiret, de Seine-et--Marne et de
l'Aude.
honorable Romulus, fils d'Auspicius, qui nous
racontait ces faits comme si nous les ignorions.
Or les pertes continuelles qu'il avait éprouvées le
faisaient trembler pour ses récf:}ltes futures; et il
se plaignait amèrement, comme vous l'avez vu
que Martin ne fût, plus en vie aujourd'hui.

VIII. « Mais pour en revenir à Avicien, qui


laissait en tous lieux et' dans toutes les villes
d'horribles t.races de sa cruauté, et n'était inoffen-
sif qu'à Tours, cette. bête cruelle avide de sang
humain et de supplices, devenait doute et tra.n-
quille en.présence du bienheureux. Je me rappelle
qu'un jour Martin l'alla trouver et entra dans son
tribunal, lorsqu'il aperçut un démon d'une ,gran-
deur étonnante assis sur son épaule. De loin ( ici
je suis obligé de me servir d'un mot qui n'est pas
très-latin) il souilla 'sur le malin esprit. Avicien
cro~ànt qu'il souillait sur lui « Pourquoi me re-
cevoir ainsi? dit-il. Ce n'est pas sur vous que
je souffle dit Martin; :JÍlais sur l'infâme assis sur
vos épaules. » Aussitôt le diable abandonna son
siége habituel, et c'est un fait constant qne de-
puis. ce moment Avicien devint plus doux et plus
traitable j soit que, comprenant qu'il exécutait en
tout les volontés du démon, il ait rougi d'être ainsi
l'agent du mauvais esprit, soit. que ce dernier,
chassé par Martin de la place qu'il occupait,1 ait
enfin cessé de l'obséder. Dans le bourg d'Amboise.
(c'est-à-dire dans le vieux château, maintenant
habité par un grand nombre de moines) on voyait
un temple d'idoles élevé à .grands frais. C'était'
une tour bâtie en pierres de taillê, qui s'élevait en
forme de cône, et dont la beauté entretenaitl'ido-
lâtrie dans le pays. Le .saint homme avait. souvent
recommandé à Marcel, prêtre de cet endroit, de
la détruire. Étant revenu quelque temps après,
il le réprimanda de ce que le temple subsistait
encore. Celui-ci prétexta qu'une troupe. de soldats
et une grande foule de peuple viendraient diffici:
lement à bout dé renverser une pareille masse de
pierres, et que c'était une chose impossible pour
de faibles clercs et des moines exténués. Alors
Martin, recourant à ses armes ordinaires, passa
toute la nuit à prier. Dès le matin s'éleva une
tempête qui renversa le temple de l'idole jusque
dans ses fondements. Je tiens ce fait de Marcel,
qui en fut témoin.'

IX. « Sur le témoignage de Réfrigérius, je


vais raconter un miracle semblable au précédent,
et accompli en pareille circonstance. Martin dési-
rait renverser une immense colonne, surmontée
d'une idole, mais il n'avait aucun moyen d'exé-
cuter ce dessein; selon sa coutume, il recourut
alors à la prière. Tout à coup l'on vit une colonne
semblable tomber du ciel sur l'idole ,et réduire
en poudre cette immense masse de pierres. C'eilt
c;té bienpeu de chose, si Martin se fut servi invi-
siblement des puissances du ciel, et si l'aeil de
l'homme n'elÎt pu les voir à son service. Le même
Réfrigérius attestera qu'une femme souffrant d'une
perte de sang toucha le vêtement de.Martin, à
l'exemple de la femme de l'Évangile, et fut aus-
sitôt guérie. Un serpent traversait un fleuve et
nageait vers la rive 'où nous nous trouvions. « Au
nom du Seigneur, dit Martin, je t'ordonne de
te retirer. » A la voix du Saint, l'animal pervers
se retourna, et, selon notre attente, se dirigea
de nouveau vers la riv e opposée. Comme nous
regardions ce miracle avec étonnement, il se
mit à gémir profondément et dit « Les ser-
pents m'écoutent, et les hommes ne m'écoutent
pas.
X. a A Pâques, le bienheureux avait cou-
1 ume de manger un poisson. Un peu avant l'heure
du repas, il demanda s'il y en avait. Le diacre
Caton, chargé de l'administration du monastère et
habile pêcheur, lui dit qu'il n'avait pu rien pren-
dre pendant tout le jour, et que les autres pê-
cheurs qui en vendaient ordinairement n'avaient
pu rien prendre non plus. Va, dit Martin, jette
cc

ton filet, et ta pêche sera fructueuse. » Nos cel-


lules ( comme Sulpice l'a écrit ) étaient situées
près du fleuve. Nous allâmes donc tous'voir le
pêcheur, car c'était un jour de fête, assurés que sa
tentative ne serait pas inutile puisque Martin
avait ordonné qu'on pêchât pour Martin. Du pre-
mier coup de filet (et il était fort petit) le diacre
retira un énorme saumon; il accourut tout joyeux
au monastère, et, comme dit je ne sais quel poëtè
(je cite un 'vers classique,,carje parle à des gens
lettrés )

Apporta le sanglier captif aux Argiens étonnés.

C'est ainsi que Martin, véritable disciple du Christ,


imitant les miracles que le Sauveur a opérés pour
servir d'exemple à ses saints, montrait en lui l'o-
pération de Jésus-Christ, qui glorifiait partout son
saint serviteur, et réunissait. sur un seul homme
tous les dons de la grâce. Arborius, ançien préfet,
vous attestera qu'il vit la main de Martin offrant
le saint:sacrifice briller d'un vif éclat, comme si
elle eût été revêtue, de magnifiques pierres pré-
cieuses, qu'il entendait s'entre-choquer lorsqu'il
remuait les mains.

XI. J'en viens à ce miracle que Martin ca-


(i
cha toujours, à cause du malheur des temps, mais
«il ne put nous dissimuler; je veux parler de la
conversation qu'il eut'face à faèe avec un ange:
Lorsque Priscillien eut été mis à mort, l'empereur
Maxime couvrait de sa protection .impériale l'é-
véque 1thace~ et tous ceux de son parti; qu'il n'est
pas nécessaire de nommer ici, ne voulant pas
qu'on pût.lui reprocherd'avoir fait condamner un
hommequel qu'il fût. Martin forcé d'aller à la
cour, afin- d'intercéder pour plusieurs personnes
en grand danger de mort, eut à supporter tous les
coups 'de la tëmpête. Des évêques réunis à Trèves,
et communiquant tous les jours avec Ithace,
avaient ainsi participé à son crime. L'arrivée de
Martin, qu'on leur annonça inopinément, les rem-
plit de trouble et d'effroi. La veille déjà l'empe-
reur avait décrété, d'après leur a,is,. qu'on en-
voyât en Espagne des tribuns munis de pouvoirs
pour recherc~er les hérétiques, les mettre à mort
et confisquer leurs biens. il n'était pas douteux
que cette tempête ne dût entraîner la perte d'un
grand nombre de fidèles, tant il y avait peu de
différence entre les hérétiques et ceux qui ne l'é-
taient pas; car, à,'cette époque, les yeux seuls
étaient juges, et un homme était convaincu d'hé-
résie, moins sur l'examen de sa foi, que sur la
pâleur de son visage et sur son habit: Les évêques
sentaient que de pareils actes ne plairaient point
à Martin; mais comme ils avaient la conscience de
leur faute, leur plus grand souci était la crainte
qu'à son arrivée il ne 'voulüt pas communiquer
avec eux; car ils savaient bien que son influence
lui gagnerait des partisans, qui imiteraient la
fermeté d'un si saint homme. De concert avec
l'empereur, ils envoyèrent donc au devant de
6
Martin des officiers chargés de l'empêcher d'en-
trer à ~rèves, à moins qu'il ne déclarât venir
en paix avec les ,évêques réunis dans la ville. Le
Saint les trompa habilement, en disant qu'il venait
avec la paix du Christ. Il entra pendant la nuit;
et se rendit à l'église; seulement pour prier; le
lendemain il alla au palais. Outre les nombreuses
requêtes qu'il avait à adresser à l'empereur, et
qu'il serait trop long de détailler ici, il avait
surtout deux choses à lui demander la grâce
du comte Narsès et du gouverneur Leucade, tous
deux ardents partisans de Gratien, et qui s'étaient
attirés la colère du vainqueur. Mais le souci prin-
cipal de Martin était d'empêcherqu'on n'envoyât
en Espagne des tribuns avec- droit de vie et de
mort; car, dans sa pieuse sollicitude, il voulait
sauver non-seulement les chrétiens exposés à être
perséciii és, mais aussi les hérétiques eux mêmes.
Les deux premiers jours, le rusé Maxime'laissa
Martin dans l'incertitude, soit pour augmenter
l'importance de cette affaire soit qu'il fût inexo-
rable, ou bien ( et c'est l'ayis d'un très grand
nombre ) parce que son avarice l'empêchait d'a~
bandonner des biens qu'il convoitait. Ce prince,
que l'on dit doué de nombreuses et belles qualités,
ne pouvait résister à l'avarice'; du reste, les be-
soins du gouvernement le feront peut-être facile-
ment excuser de ,s'être ainsi ménagé des ressources
en toute occasion (car ses prédécesseurs avaient
épuisé .le trésor publie), et il se vit toujours em-
barrassé par des expéditions ou par les guerres
civiles.

,XII. a Cependant les évêques avec lesquels


Martin avait- refu~é de communiquer coururent
tout tremblants auprès de l'empereur, se plai-
gnant avec douleur. d'être condamnés d'avance;
c'en était fait d'eux tous, si le puissant Martin
se joignait contre eux à l'opiniâtre- Théogniste,.
qui les avait publiquement cond~mnés; que
Martin n'était déjà plus le défenseur, mais le
vengeur dès hérétiques, et que la mort de Pris-
eillien. devenait inutile, puisqu'il se chargeait de
la venger. Enfin, prosternés aux pieds de l'em-
pereur ils le supplièrent avec larmes de faire
usage de sa puissance contre lui. Ils avaient pres-
que amené Maxime à confondre Martin parmi les
hérétiques; mais cè prince, malgré sa trop grande
déférence pour ces évêques, n'ignorait pas que la
foi, la sainteté et les vertus de Martin le rendaient
supérieur à tous les mortels. Il.~ essaya donc de le
vaincre d'une autre manière; il le fit secrètement
venir près de lui et lui parla avec douceur. a Les
hérétiques, dit- il,. sont justement coupables, ils
out -été condamnés judiciairement, et n'ont point
été victimes de la haine des évêques; ce n'est pas
une raison suffisante pour refuser de communiquer
avec Ithace et ses partisans. Théogniste s'est sé-
paré d'eux plutôt par haine que pour un motif
légitime, et il est le seul qui l'ait fait; les autres
évêques n'ont rien changé dans- leurs relations
avec lui, et le concile lui-même, réuni il y a quel-
ques jours, a déclaré qu'Ithace était innocent. »
Comme toutes ces paroles faisaient peu d'impres-
sion sur Martin, l'empereur s'enflamma de colère
et s'éloigna brusquement; bientôt après il donna.
l'ordre d'exécuter ceux pour qui Martin ~1'avait
imploré.

XIII. « Lorsque Martin l'apprit, il était déj à


nuit; ilse rendit précipitamment au palais, et
promit à l'empereur de communiquer avec les
évêques, s'il pardonnait et rappelait les tribuns
envoyés en Espagne pour la ruine des' églises.
Sans retard, Maxime accorda tout. Le lendemain
avait lieu le sacre de l'évêque Félix, très saint
homme assurément et bien digne d'être fait
évêque à une meilleure époque. Ce fut ce jour-là
que Martin communiqua avec les évêques, pen-
sant qu'il était préférable de céder pour le mo-
nie~t, que d'abandonner ceux que le glaive me-
naçait. Les évêques s'efforcèrent d'obtenir ,de lui
une attestation écrite de cette communion; mais
ils ne purent y réussir. TI s'éloigna à la hâte le
lendemain, en gémissant le long du chemin d'a
,voir participé pour quelques heures à une cou-
pable communion. Près du' bourg d'Andethan-
na (1), là où commencent à s'étendre de vastes
forêts solitaires, ses compagnons l'ayant un peu
dépassé, il s'assit accusant et défendant tour à
tour dans son, esprit cette communion, cause de sa
douleur. Tout à. coup un ange' se présenta à lui
«(
Martin, c'est avec raison que tu t'affliges, dit-
il mais tu ne pouvais t'en tirer autrement; ra-
nime ton courage, afin de ne pas mettre mainte-
nant en péril non ta gloire mais ton salut. »
A partir' de cette époque, il se garda de com-
muniquer avec le parti d'Ithace. Comme. il déli-
vrait les possédés avec moins de facilité qu'au,
paravant, il nous avoua en pleurant qu'à cause
de cette coupable communion, à laquelle il avait
participé un instant par nécessité et non de coeur,
il sentait. une diminution de sa puissance. Pen-
dant les seize années qu'ü vécut encore, il n'as-
sista. à aucun concile ou à aucune réunion d'é-
vêques.

XIY: « Mais cette puissance diminuée pour


un temps lui fut, certes, rendue avec usure,

aujourd'hui' le bourg d'Echternach, à l'entrée


(1) C'est
du Luxembourg, sur' la rivière de Sour, à quatorze kilo-
mètres.de Trèves.
comme nous pûmes nous en convaincre. Car je
vis plus tard un énergumène, amené à la porte
dérobée du monastère, se'trouver délivré avant
d'en avoir touché le seuil. Une personne qui a été
témoin db. fait m'a raconté' que, se rendant à
Rome par la mer Tyrrhéniennè, une.tempête s'é-
leva, qui mit dans le plus grand' péril la vie de
tous les' passagers. Alors un marchand égyptien,
.qui n'était pas encore cbrp.tien" s'éc~ja à haute
voix « Dieu de Martin, sauvez-nous. n A l'instant
les flots s'apaisèrent, et pendant le reste du voyage
ils demeurèrent calmes et tranquilles. Lycbntius,
ancien vicaire .et homme d'une vive foi écrivit à
Martin pour implorer son secours, car une ma-
ladie contagieuse avait atteint ses esclqves et en-
combré sa maison de malades. Le bienheureux.
répondit alors que la guérison serait difficile, car
le Saint -Esprit lui avait révélé que la main de
Dieu s'était appesantie sur cette demeure. Pen-
dant sept jours et sept nuits il ne cessa pas de
prier et. de jeûner, afin d'obtenir du Seigneur ce
qu'il s'était chargé dé demander. Bientôt tycon-'
tius accourut vers lui, pénétré de reconnaissance,
pour lui annoncer que tous ses esclaves étaient
saùvés. Il lui offrit cent livres d'argent que le'Saint.
accepta sans les recevoir; car, avant que cet ar-
gent fût arrivé au monastère, il l'avait déjà em-
ployé à racheter des captifs. Et comme les frères
lui suggéraient d'en garder un peu pour l'entre-
tien du monastère, lui représentant qu'ils. avaient
à peine de'quoi vivre et que plusieurs d'entre eux
manquaient de vêtements, il leur dit « L'église
doit nous nourrir et nous vêtir, pourvu que nous'
ne demandions rien pour notre usage. » A pré-
sent revient à ma mémoire le souvenir de grands
miracles opérés par ce saint prélat, et qu'il est
plus facile d'admirer que d'e rapporter. Vous re-
connaîtrez certainement avec moi qu'il y en a
beaucoup qu'on ne'peut raconter. En voici un,
par exemple que je doute pouvoir vous exposer
comme il s'est, passé.. Un des frères (:vous le con-
naissez, mais je ne le nommerai pas, afin de ne
pas causer de honte à un saint homme ), ayant
trouvé quelques charbons dans le fourneau de
Martin, approcha: un siége, écarta les jàmbes et
s'assit au-dessus du feu en relevant indécemment
sa robe. Martin, s'apercevant aussitôt qu'on profa-
nait sa cellule, s'écria à haute voix « Quel est
celui qui souille'ainsi notre chambre?» Le frère
l'entendit, et, reconnaissantla faute qu'on lui re-
prochait, il accourut tout tremblant auprès de
nous, et confessa sa honte et la puissance de
Martin:

xv. « Un jour que Martin était assis dans la


petite coUr qui entourait sa cellule, sur l'escabeau
de bois que vous connaissez tous, il vit deux dé-
mons passer sur le rocher élevé qui domine le mer
nastère, et de là, gais et joyeux, pousser des cris
d'encouragement Allons Brice courage
1

Brice. » Ils voyaient de loin;je crois, ce Ín3.Iheu-


reux qui s'approchait, et savaient bien quelle rage
le malin esprit.avait excité dans son coeur. Aus-
sitôt. Brice entra furieux, et dans sa folie vomit
mine injures contre Martin. Ce dernier, en effet,
lui avait reproché la veille d'entretenir des che-
vaux et d'avoir des esclaves, lui qui ne possédait
rien avant d'être clerc et qui avait été élevé, dans
le monastère par Martin lui-même.' Beaucoup
l'accusaient alors d'acheter de jeunes esclaves des
deux sexes. Ce fut pour cela que ce malheureux,
enflammé d'une colère insensée et surtout, comme
je le crois, excité par ces démons, s'emporta si vio-'
lemment contre Martin, qu'il le menaça presque
de le frapper;.tandis que le saint, le visage calme,
J'âme tranquille, s'efforçait par de .douces paroles,
de calmer l'irritation qui lui troublait le juge ment.
Le démon avait si bien envahi lé coeur de Brice;
q ti'j 1 eil avait
presque perdu la raison; les lèvres
tremblantes, le visage décomposé et pâle de colère,
il proférait des paroles de péché, assurant qu'il
était plus saint que Martin. « Car moi, disait-il,
j'ai passé mes premières années à observer les
saintes règles du monastère où vous m'éleviez;
quant à vous, dès votre jeunesse, vous rie pouvez
le nier, vous avez été souillé par la licence des
camps, et.maintenant, dans votre vieillesse, vous
êtes tombé dans de vaines superstitions et des
visionsridicules~ » Après avoir vomi ces in-
jures et d'autres plus graves encore, qu'il vaut
mieux taire il s'éloigna après avoir exhalé sa
colère et croyant sètre vengé; puis il reprit en
marchant rapidement la route par laquelle il était
venu.. Cependant les prières de Martin, j'en suis
persuadé, chassèrent les démons du coeur de Brice,
qui, plein de repentir,. revint tout de suite trou-'
ver Martin, se jeta à ses pieds, et, rentrant en lui.
même, avoua qu'il avait cédé aux instigations du
démon; rien n'était plus facile à Martin que de
pardonner à un suppliant! C'est alors qu'il nous
raconta, ainsi qu'à Brice comment il avait vu le
diable l'agiter et était demeuré insensible à des
injures qui nuisaient plutôt à celui qui les profé-
rait. Dans la suite, ce même Brice fut accusé de
grands crimes; mais jamais Martin ne put se ré-
soudre à déposer ce prêtre, de peur de paraître
venger une injqre personnelle; souvent il répé-
tait « Si le Christ a supporté Judas, pourquoi
ne supporterai-je pas Brice? »

XVI. « Postuinianus prit alors la parole


« V oi~i un bel exemple pour notre
voisin; lors-
qu'on l'irrite, malgré tout son bon sens, il oublie
le présent et l'avenir, ne se contient plus, s'em-
porte contre les clercs, attaque les laïques, ei
remue toute la terre pour se venger. Voilà trois
ans qu'il est continuellement en querelle ni le
temps, ni la raison ne le peuvent apaiser. Qu'il
est à plaindre que cet état est déplorable ce et
n'est cependant pas là son seul vice incurable. Tu
aurais dû lui raconter souvent Gallus, ces exem-
ples de patience et de calme, afin qu'il pût oublier
ses fureurs et apprendre à pardonner. Si jan1ais il
vient à être instruit de la petite digression qu'il a
occasionnée dans mon discours, qu'il considère
que je parle plutôt comme ami, que comme en-
nemi car, si cela était possible, j'aimerais mieux
le voir ressembler au saint évêque qu'au tyran
Phalaris. Mais laissons ce souvenir désagréable,
et revenons à notre Martin. a

XVII. « Comme'je m'aperçus que le soleil


disparaissait à 1-'horizon et que la nuit arrivait
« La fin du jour approche, dis-je à Postumianus;
levons-nous, car nous devons offrir à souper à des
auditeurs aussi attentifs. Ne crois pas pouvoir ter-
miner tes récits sur Martin, c'est une matière
aboildante qui jamais ne s'épuise. Va porter ces
récits à l'Orient, et en retournant sur tes pas, en
trav ersant les ports, les -îles et les cités, répands
parmi le peuple le nom et la gloire de Martin.
N'oublie pas surtout la Campanie quoique ce
pays.'ne soit pas sur ton chemin, ne regarde pas
à un détour, même considérable, pour visiter l'il-
lustre Paulin, cet homme célèbre dans tout l'uni-
vers. Raconte lui, je t'en prie, tout ce que nous
avons dit hier et aujourd'hui; raconte-lui bien
tout, n'oublie rien', afin qu'il ,fasse connaitre à
Rome la gloire du bienheureux comme il a
déjà répandu mon livre non- seulement en Italie,
mais encore dans toute l'myrie. Paulin, nulle-
ment jalou~ de la gloire de Martin, et grand ad-
mirateur des miracles opérés en Jésus-Cbrist, ne
refusera point de comparer notre saint évêque
avec Félix de Nôle. Si, par hasard, tu passes en
Afrique, raconte à Carthage ce que tu viens' d'en-
tendre, bien que cette ville, comme tu no~s l'as
dit, connaisse déjà Martin, afin qu'elle ne garde
pas toute son admiration pour son martyr Cyprien,
qui l'a consacrée en y répandant son sang. Si in-
clinant à gauche, tu entres dans le golfe d'Achaïe,
apprends à Corinthe et à Athènes que Platon à
l'Académie n'a pas surpassé Martiri par sa science,
et que Socrate dans sa prison ne 's'est pas montré
plus Eourageux que lui. Heureuse est la Grèce qui
a mérité d-entendre la parole de l'Apôtre! Mais le
Christ n'a pas non plus abandonné les Gaules, à
qui il a donné Martin. Lorsque tu seras enfin par-
venu en Égypte, quoique cette contrée soit fière
de la mul1itude et des miracles des saints, qu'elle
ne dédaigne pas d'apprendre que, grâce ,au seul
l~9artin, l'Europe ne le cède en rien à- l'Asie tout
entière.

XVIII. «Enfin, lorsque tu mettras. de nou-


veau à la voile pour te rendre à Jérusalem, je te
charge d'une mission douloureuse si jamais au
touches au rivage où est située l'illustre Ptolé-
maïs (i), c'est de t'informer avec soin de l'endroit.
de la sépulture de notre cher Pomponius, et de ne
pas refuser une visite à des ossements déposés en
terre étrangère. Là, que la douleur que tu éprouves'
de la perte d'un ami que nous chérissions tous te
fasse verser des larmes,. et; tout vain que soit cet
hommage, couvrir. sa tombe de brillantes fleurs
et d'herbes odoriférantes. Dis-lui, sans dureté ni
sans aigreur en le plaignant, et sans lui adresser
de reproches,* que s'il eût voulu 8uhTe toujours
tes conseils et les miens, et imiter plutôt Martin
que certaine personne que je ne veux pas nom-
mer, jamais il n'aurait été si cruellement séparé
de moi; ses cendres ne reposeraient pas sous le
sable d'une plage inconnue il n'aurait pas péri
au milieu de la mer, comme un pirate naufragé,
et n"aurait pas trou vé à grand'peine une sépul-
ture à l'extrémité du rivage. Qu'ils voient leur

(1)Aujourd'hui Saint-Jean-d'Acre, à soixante kilomètres


environ au nord de Jérusalem.
ouvrage ceux qui voulurent me nuire en l'éloi-
gnant de moi et qu'ils cessent maintenant de
s'acharner contre moi, puisqu'ils tiennent main-
tenant leur vengeance. » Ces tristes paroles, pro-
noncées d'une voix altérée, arrachèrent' des larmes
à tout J'auditoire, qui se leva rempli d'admira-
tion pour Martin et non moins ému de mes
pleurs.

FIN
TAB LE

Notice historique sur Sulpice Sévère. i


Lettre de Sulpice Sévère à Didier, sur le livre de la vie
de saint Martin. 13

VIE DE SAINT MARTIN. !5

LETTRES DE SULPICE SÉVÈRE.

1.

Il.
Au prêtre Eusèbe, contre ceinc
des vertus de saint Martin. 57
qui sont jaloux

Au diacre Anrélias. =- De la mort et de l'appa-


rition du bienheureux Martin. 63
ItI. A Ba.gsula, sa belle-mère. Comment le bien-
heureux Martin quitta cette vie pour l'éternité. 67
DIALOGUES DE SULPIOE SÉVÈRE.

Premier dialogue. 75
Deuxième 83
TrOiSiè1~~1~r~1 '1
Troisiè~é~ciiâ;lôga~~
2o7
107

.i.u:.s~i'
lJI t'
Tours. Impr. MAllE.

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