Histoire de La Mosaïque

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École pratique des hautes études.

4e section, Sciences historiques


et philologiques

Histoire de la mosaïque
Henri Stern

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Stern Henri. Histoire de la mosaïque. In: École pratique des hautes études. 4e section, Sciences historiques et philologiques.
Annuaire 1966-1967. 1966. pp. 235-240;

https://www.persee.fr/doc/ephe_0000-0001_1966_num_1_1_5030

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HISTOIRE ET PHILOLOGIE 235

HISTOIRE DE LA MOSAÏQUE

Chargé de conférences : M. Henri Stern,


directeur scientifique au C.N.R.S

En continuation du cours de l'année précédente, on a étudié


la naissance et les premiers développements de la mosaïque
romaine. Dès le début celle-ci se distingue de la mosaïque
grecque qui, imitant la peinture, atteint au — IIe siècle (1) son
point culminant dans les pavements de Pergame. La mosaïque
romaine du — IIe et du début du — Ier siècle est fruste : Yopus
signinum, ciment de couleur rouge éclatante, est décoré de grêles
dessins en cubes blancs, parfois mêlés de noirs qui imitent des
ornements grecs, mais en font des décors couvrant la surface
du pavé : méandres en forme de pannetons de clé, imbrications
d'écaillés, réseaux droits ou obliques losanges, lacis d'hexagones
et d'octogones. A partir de la fin de l'époque de Sylla ( — 79)
les mêmes motifs sont traduits dans la technique de Yopus
tessellatum qui est bichrome, noir et blanc, à l'encontre des
modèles grecs à plusieurs couleurs, \lemblema hellénique,
copiant des tableaux, n'est pas abandonné, mais ne se trouve que
dans des demeures particulièrement opulentes.
Ainsi, au cours du dernier siècle avant l'ère chrétienne un style
décoratif prend naissance qui sera la base de l'art de la mosaïque
de pavement romaine des siècles à venir. La mosaïque grecque
était un tapis, ajoutant sa polychromie à celle des murs, sans
former avec eux des ensembles organisés. La mosaïque romaine
tend à s'intégrer au décor intérieur de la maison. Certains dessins
annoncent l'imitation du canevas des voûtes ou des plafonds à
caissons (2) dont la mosaïque de Teramo (dans les monts Albans
près de Rome) est le meilleur exemple (3). A Pompéi, les orne-

(1) Les dates avant notre ère «ont précédées du signe « — ».


(2) Cf., par ex., G. Becatti, Mosaici e pavimenti marmorei (t. IV de-; Scaii
di Ostia), Rome, 1961, n° 68.
(3) M. E. Blake, The Pavements of the Roman Buildings of the Republic
and the Early Empire, dans Memoirs of the American Academy in Rome,
t. VIII, 1930, pi. hors texte; cf. E. Pernice, Pavimente und figûrliche Mosalken,
t. VI de Die hellenistische Kunst in Pcpeji, Berlin, 1938, p. 17 et suiv.
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ments sculptés d'un cryptoportique de la fin du dernier siècle


avant notre ère reviennent dans les pavements (1).
Dans une autre demeure de la ville campanienne, de Cuspius
Pansa (Paquius Proculus), du milieu du Ier siècle après l'ère
chrétienne, un nouveau pas est fait vers le rapprochement du
décor des pavements avec celui des plafonds et des murs. La
polychromie réapparaît sur le sol, mais les tableaux à couleurs,
insérés dans des canevas géométriques noirs et blancs sont
travaillés sur place et font corps avec le fond.
Le désir de créer une ambiance homogène à l'intérieur de
l'édifice se manifeste de manière plus frappante encore dans les
peintures murales de certaines constructions de plaisance du début
de l'Empire. Les fresques de la maison de Livie à Prima Porta
(Musée des Thermes), une salle octogonale des bains de Stabie
à Pompéi, dont la coupole représentait la voûte constellée du
ciel, la description par Varron (De re rustica, IV, 5, 9) de son
pavillon « aux oiseaux » (2) illustrent le désir des contemporains
de s'évader du monde réel, de s'entourer d'une nature
paradisiaque.
Le style « géométrique » en opus signinum et en opus tessella-
tum s'est répandu dans les provinces latines (Espagne :Ampurias;
Gaule : Glanum; Sicile : Solonte, Agrigente; Cyrénaïque :
Ptolemaïs), mais ne semble pas avoir atteint les provinces
grecques (3).
Une nouvelle phase de l'histoire de la mosaïque s'ouvre sous
le règne d'Hadrien. L'expérience tentée dans la maison de
Cuspius Pansa n'est pas poursuivie à Rome. On s'en tient à la
bichromie, noir et blanc, qui restera dominante en Italie centrale jusqu'à
la fin du IIIe siècle. Mais les artistes de cette époque, en
rapprochant toujours davantage les schèmes des pavements et des
plafonds, abandonnent le morcellement des surfaces du style julio-
claudien et flavien pour créer de grands tableaux qui s'étendent
d'un seul tenant sur toute la pièce. La rigidité des canevas géo-

(1) Cf. G. Spinazzola, Pompei alla luce degli scavi di via delV Abbondanza,
Rome, 1955-1957, p. 549 et suiv.
(2) Cf., sur le texte de Varron, G. Fuchs clans Rômische Mitteilungen,
1962, p. 96 à 105.
(3) Des mosaïques d'époque augustéenne, découvertes récemment à Masada,
Israël (cf. Y. Yadin, The Excavations of Masada 1963-1964, Preliminary
Report, dans Israël Exploration Journal, t. XV, 1965, nos 1 et 2, p. 1 et suiv.)
sont d'un type mixte, grec et romain.
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métriques est assouplie par l'introduction d'éléments végétaux


qui jaillissent des nombreuses lignes courbes et des volutes.
Certains pavements de ce style que le xvnie siècle appelle celui
des « arabesques » (1) reproduisent exactement le décor de
coupoles (2). L'utilisation croissante par les architectes romains
de plafonds voûtés (hémisphériques, en berceau ou d'arête)
est la cause première de cette fusion progressive du style de la
décoration des plafonds et des pavés.
Au même moment, d'autres compositions font leur
apparition dans la mosaïque romaine. Les thiases marins, sujet
traditionnel de l'art hellénique, commencent à couvrir les pavés
des salles immenses des thermes. Le mouvement fougueux
des monstres de la mer, des Tritons et des Néréides, conduits
par Neptune ou par Amphitrite (thermes de Neptune d'Ostie,
Becatti, o. L, n° 71), se communique à la composition tout
entière. Parfois des représentations de la vie journalière
s'associent à ces sujets marins : des charretiers transportent des
voyageurs ou abreuvent leurs bêtes (thermes des Cisiari d'Ostie,
Becatti, o. /., n° 63). Sur un pavé des thermes des Sept Savants
(Becatti, o. /., n° 269) de magnifiques rinceaux d'acanthe
entourent des chasseurs qui poursuivent des bêtes de
l'amphithéâtre (venationes).
Les mêmes thermes ont livré l'échantillon unique d'une
mosaïque de voûte du premier quart du IIe siècle. C'est le plus
ancien exemple d'un genre de revêtement dont les textes (Pline,
Sénèque) commencent à faire mention cinquante ans plus tôt.
Inventée au dernier siècle avant J.-C, peut-être à Rome, pour
orner tout d'abord des grottes naturelles ou artificielles (musaea
= demeures des Muses), puis des nymphées et des fontaines (3),
la mosaïque de revêtement passe ensuite sur les voûtes des
thermes. Elle est plus résistante à l'humidité que la peinture, son
éclat s'intensifie par l'action même de l'eau. Imitant au départ la

(1) N. Ponce, Arabesques antiques des bains de Livie et de la villa advienne,


Paris, 1789.
(2) Ponce, o. L, en particulier pi. 2, à comparer a\ec pi. LXXVI (n° 292,
Casa di Bacco e di Ariana) dans Becatti, o. /.
(3) Cf. H. Stern, Origine et débuts de la mosaïque murale, dans Études
d'archéologie classique. IL Annales de l'Est, Faculté des lettres de Nancy,
Mémoire 22, Paris, 1959, p. 99 à 122. — G. Becatti, o. /., p. 291 et suiv., qui
n'a pas connu l'étude précédente, ne relève pas l'origine italienne de la mosaïque
de revêtement que je considère comme certaine.
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peinture murale, la mosaïque de revêtement, appliquée aux


plafonds, en adopte le style qui, de son côté, se rapproche de
celui des pavements. Alors qu'elle était réservée dans l'art
hellénique au décor du sol, la mosaïque s'étend maintenant à la
plupart des surfaces qui clôturent la pièce. On pressent le rôle
prédominant qu'elle jouera dans l'art paléochrétien et byzantin.
A côté des pavements noirs sur blanc, la mosaïque polychrome
occupe une place effacée en Italie. Elle semble être réservée aux
pièces d'apparat et aux demeures particulièrement luxueuses.
Le sol du triclinium d'un collège de fidèles de Sérapis (Becatti,
o. L, n° 283), et celui d'une grande salle du « palais impérial »
(Becatti, o. /., n° 296) à Ostie en étaient ornés. Le dessin ne
s'écarte pas des canevas noirs sur blanc.
Quelques leçons ont été consacrées à la mosaïque de l'Afrique
du Nord. L'influence « alexandrine », affirmée depuis de longues
années, est une notion trop vague pour en expliquer les origines
et en définir la nature. Les rares échantillons conservés de la
mosaïque et de la peinture égyptiennes des époques hellénistique
et romaine contredisent d'ailleurs cette thèse traditionnelle (1).
Les mosaïques de l'Afrique du Nord dont des exemples
d'Algérie (Lambèse, Hippone, Sétif, Timgad, Orléansville...) ont été
étudiés, paraissent être inspirées par des œuvres romaines.
Mais les artistes africains ont plus souvent eu recours à l'imitation
directe de la peinture monumentale contemporaine ou antérieure
(hellénistique) que leurs collègues de la métropole. Aussi ont-
ils réussi à créer un style pictural d'une belle vigueur qui
n'est pas qu'une variante de l'art de l'Italie. Il a rayonné, au
IVe siècle, en Sicile, à Rome et jusqu'en Orient.
Un cortège de Néréides, un fragment à sujet inexpliqué (une
nymphe en présence d'un personnage masculin), des scènes
bachiques prises dans les enroulements de branches de vigne et
un tapis décoratif, trouvés il y a soixante ans dans une villa de
Lambèse, sont les produits d'un seul atelier dont le maître
d'œuvre a signé le premier de ces tableaux de son nom grec
Aspasios. Les lettres K et H qui suivent ce nom, séparées par un
vide qui est l'emplacement d'une troisième lettre perdue,
suggèrent son origine Cretoise (KPHTAIEOJC). Malgré cette signa-

(1) C'est la conclusion à laquelle arrive Bl. Brown, Ptolemaic Paintings


and Mosaics and the Alexandrian style, Cambridge, Mass., 1957.
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ture, il serait abusif d'appeler grec le style des tableaux figurés,


éminemment pictural, et sans doute inspiré par le « grand »
art. Les nombreux reliefs de cortèges marins semblables sur
des sarcophages romains suggèrent l'existence d'un art de la
koiné antique qui ne serait pas très différent à l'Ouest et à l'Est
de la Méditerranée. La date, début du 111e siècle, jamais encore
discutée, se déduit du style ornemental, d'une mosaïque adjacente.
Plus spécifiquement nord-africains sont les tableaux d'un autre
site de l'Est algérien, d'une villa du front de mer d'Hippone
(près de Bône) (1). Deux strates de mosaïques s'y superposent
dont l'inférieure date de la première moitié du IIIe siècle (2),
la supérieure du milieu du IVe. D'un savoir-faire moins raffiné
que les tableaux de Lambèse, ceux du premier groupe représentent
l'art de la mosaïque nord-africaine à son apogée. Le groupe
récent, un immense tableau de capture de bêtes et une Vénufr
anadyomène entourée du cortège marin habituel, est d'un
colorisme plus heurté, d'un réalisme plus brutal. Cet art tardif
a pu influencer la mosaïque du Bas Empire d'Italie (Sainte-
Constance), de Sicile (Piazza Armerina) et du Proche-Orient (3).
Les magnifiques tapis décoratifs de Timgad, fouillés avant
et peu après la première guerre mondiale, ont été étudiés
récemment (4). Tributaires de l'art des mosaïstes d'Hadrien pour les
schèmes du fond et les motifs, mais modifiés par une gamme
chromatique d'une extrême richesse, ils sont les plus beaux exemples
de la mosaïque décorative romaine du IIIe siècle. Dans un groupe
de pavements tardifs de la maison de l'évêque donatiste Optât
(388-398), ce style raffiné et luxuriant est abandonné. Les
canevas sont géométriques, la facture est grossière, la gamme des
couleurs réduite. C'est vers la fin du IIe et au IIIe siècle que se

(1) E. Mirée, Trois mosaïques d'Hippone à sujets marins et Une nouiell^


mosaïque des Muses à Hippone, dan« Libyca, t. VI, 1, 1958, p. 9) à 14U.
(2) E. Marec, o. /., a certainement fait erreur en attribuant les mo-aiquc-
de la première strate au IIe (/. c, p. 99) ou même eu itr (?) siècle (/. t., p. 116).
G. -Cl1. Picard, dans Revue archéologique, 1950, II, p. 33 et «ui\., a d"jà corrigé
cette erreur.
(3) I. Lxvin, The Hunting Mosaics of Anlioch and their S nirces, dan^
Dumbarton Oaks Papers, t. XVII, 1963, p. 179 à 286, a, le premier, suggéré
un rajonnement de l'art des. mosaïques africaines en Italie et dans le Proche-
Orient.
(4) M1Ie S. Warot, Inventaire des mosaïques de Timgad, thèse de III0 cjcle
soutenue à la Sorbonne en été 1965. Cette thèse «era publiée par le Centie de^
recherches sur l'Afrique méditerranéenne (CRAM) (Alger).
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place l'essort de l'école tamugadienne. En ces années, les ateliers


de la ville, comme ceux des autres provinces de l'Empire,
atteignent le sommet de leur art.
L'une des tâches urgentes de l'archéologie romaine sera de
recueillir l'immense documentation que présentent ces mosaïques.
Elles permettront de définir les caractères d'écoles régionales
et révéleront la variété considérable de «styles» qui surgissent
de toute part à l'intérieur des frontières de l'Empire.
Parmi les auditeurs Mmes A. Barbet, inscrite pour une thèse
de IIIe cycle sur des peintures gallo-romaines, et J. Christophe,
collaboratrice au C.N.R.S., Mlles J. Breda, élève de l'École
normale supérieure, D. Joly, maître-assistant à la Faculté des
lettres de Dijon, M. Lemée, inscrite pour une thèse de IIIe cycle
sur un groupe de mosaïques de Djémila (Algérie), MM. N.
Adam et M. Pelle, ont suivi le cours avec le plus grand zèle,
Mme R. Zerez y a assisté de façon suivie depuis le mois de mai.
Mme Barbet a fait un exposé (en deux leçons) de sa thèse de
l'Ecole du Louvre sur les peintures de quelques maisons de
Glanum, thèse qu'elle a brillamment soutenue au mois de mars
1966. Mlle Lemée a rendu compte des controverses sur la
datation des mosaïques de Zliten (Libye). Cette communication a
donné lieu à des suppléments d'information par M. G. Ville,
conservateur au Musée du Louvre, qui avait étudié de près
cet ensemble exceptionnel dont la date reste toujours sujette
à caution. M. Bechaouch, élève de l'École normale supérieure,
a bien voulu nous communiquer les résultats fort intéressants de ses
recherches sur les inscriptions d'une mosaïque, trouvée à Smirat
près de Monastir en Tunisie. Cette mosaïque, qui représente
des venationes de l'amphithéâtre, offre par ses textes une véritable
somme des acclamations qui furent en usage à Rome. Elle permet
aussi d'expliquer toute une série de symboles, fréquents sur des
pavements nord-africains du 111e et du IVe siècle. Enfin, M.
Christophe, ingénieur, a exposé et commenté l'étude récemment
parue d'un mathématicien anglais, M. R. E. M. Moore, sur la
structure des mosaïques romaines et sur leurs méthodes de «
construction », étude qui est appelée à influencer considérablement
nos recherches.

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