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Au sujet de la critique du Yoga chez Rudolf Steiner

Bernard Spirkl

Qu’est-ce qui mut Rudolf Steiner à cette attitude de refus à l’égard du cheminement du Yoga,
émergeant à plusieurs reprises dans son oeuvre de conférences et en partie vraiment claire ? Dans quel
contexte se trouvait sa critique d’alors ? Quelle en est encore l’importance pour l’actuel Yoga qui a
traversé au 20ème siècle une énorme transformation ? Pour le dialogue entre anthroposophie et Yoga ses
questions sont d’une importance décisive.

Si l’on tente de suivre foncièrement ces questions, alors sautent immédiatement aux yeux ce
qu’on caractérise aujourd’hui comme les exposés des « conférence des trois voies » dont Steiner fit à
plusieurs reprises le motif de base de ses conférences à partir de l’été 19061. L’occasion de fond à ces
«conférences des trois voies » fut offerte par le scandale qui éclata autour de Charles Leadbeater, qui
fut violemment débattu dans la Société théosophique (St) et devait conduire finalement, en 1906, à
l’exclusion de celui-ci.2 Comme cela est évident à partir de l’échange épistolaire de l’époque, Steiner
s’abstint largement d’émettre un jugement moral sur Leadbeater, mais il saisit pourtant l’événement
pour signaler aussitôt, au sujet de « l’école initiatique du Yoga » de celui-ci, qu’elle n’était plus
conforme à l’époque — à ses yeux (Steiner) et qu’elle devait presque forcément conduire à de telles
difficultés, comme celles surgissant dans ce scandale. Ainsi Steiner écrivit à Annie Besant, au début de
1906 : « Je dois voir le pire dans toute l’affaire, dans la manière propre à la méthode occulte de M.
Leadbeater. Cette méthode occulte doit nécessairement conduire dans certains cas à de telles erreurs ou
d’autres analogues, comme elles se rencontrent chez M. Leadbeater, parce qu’elle n’est plus utilisable
au cycle d’humanité dont la population occidentale fait partie.3 »
La préoccupation originelle de la St c’était de revivifier l’antique doctrine ésotérique du Yoga et
des sagesses orientales bouddhiques pour l’Occident. Mais Steiner parlait déjà, dans les premières
années de son activité au sein de la St, de la nécessité, « de replacer, dans le cadre de la Société
théosophique, un nouveau tableau »4. Cette intention, qu’il commença lentement à réaliser année après
année, en aucun cas de manière révolutionnaire mais diplomatiquement et pas à pas, apparaît très
nettement à jour dans les « conférences des trois voies ». Dans une vision d’ensemble de ses manières
de procéder d’alors, on peut presque en venir à l’impression qu’il eût en tête de « retrousser », pour
ainsi dire, la théosophie — enracinée dans une tradition antique hautement spirituelle de l’humanité —,
en mettant son intériorité « à l’air » et en enfouissant son extérieur à l’intérieur. Le tableau de
l’anthroposophie, en tant que théosophie moderne, édifiée sur des fondements d’apprentissages
initiatiques modernes et métamorphosée de fond en comble, n’a effectivement pas apparu seulement à
partir de 1912, après la bisbille avec la direction de la St, mais vivait déjà, au contraire, manifestement
lors de son engagement dans les intentions de son secrétaire général [La légende rapporte que Steiner s’était
engagé à cette fonction en 1902, sous la condition que le secrétariat en fût assuré par Mlle von Sivers, à l’époque, ndt].

1
Rudolf Steiner commença à Leipzig, le 10.7.1906, à parler des voies orientaliste, Rose-Croix et chrétienne et déploya ce
motif pour la première fois dans le cycle : Devant le porche de la théosophie (GA 95 ; Dornach 1990). Voir les conférences
à Bâles, le 19.9.1906 et à Cologne, le 30.11.1906 (toutes deux dans : Le Mystère christique (GA 97). Les conférences en
question tirées du Devant le porche… sont imprimées séparément dans : Cheminement d’exercice. Thèmes tirés de l’œuvre
complète de Rudolf Steiner, vol.1, édité par Stefan Leber, Stuttgart 1981.
2
Leadbeater avait été coupable d’avoir donné aux pupilles hindous, qui lui avaient été confiés, des conseils pour la
masturbation.
3
Rudolf Steiner : Au sujet de l’histoire et des contenus du premier niveau l’école ésotérique 1904-1914 (GA 264), Dornach
1984, pp.280 et suiv. Une présentation récapitulant les contextes signalés ici se trouve dans : Christoph Lindenberg : Rudolf
Steiner 1861-1914 Stuttgart 1997, pp.333 et suiv.
4
Ainsi le 16 août 1902, dans une lettre à Wilhelm Hübbe-Schleiden, dans Rudolf Steiner : Lettres, vol. II, 1892-1902,
Dornach 1953.

1
Tradition et renouveau
Pour le Yoga et en général, pour la manière spirituelle à la fois assimilative et progressive de
l’Orient, ce que Steiner entendait faire, n’était pas un événement inhabituel : on savait là-bas que les
cheminements extérieurs, exotériques nécessitent sans cesse l’élargissement, le renouveau ésotérique et
parfois aussi la transformation. L’Orient vivait de tout temps dans la profonde confiance qu’il y aura
toujours des êtres humains qui feront entrer dans la tradition spirituelle de nouvelles impulsions
porteuses d’avenir et modifieront ainsi le bien spirituel donné jusqu’à présent, en le modernisant.
Presque au même moment que Steiner, le maître hindou Sri Aurobindo, développa le yoga intégral, qui
ne s’efforce pas, comme le Yoga classique, à la libération, (moksha), mais au contraire à une
transformation progressive de l’être humain et finalement celle-ci est censée amener une
spiritualisation de la Terre. Avec cela, Aurobindo inversa l’orientation des cheminements Yoga
existants et n’eut de cesse de son vivant de se donner la peine d’être compris dans cette disposition5.
Que Steiner ne se tint en aucun cas généralement dans une position de refus à l’égard de
l’Orient et de sa tradition spirituelle, cela est clair dans de nombreux passages de ses conférences. Les
conférences qu’il donna immédiatement au moment de la fondation de la Société anthroposophique sur
La Bhagavadïtã et les épîtres de Paul, démontrent, déjà par le choix inhabituel du sujet, que pour
Steiner, il s’agissait, face à son public, de mettre en évidence un Tournant des Âges qui avait eu lieu au
sein de la spiritualité de l’humanité dont il voulait tenir compte avec la fondation nouvelle de
l’anthroposophie6.

La critique de Steiner sur le Yoga


Quelles déclarations concrètes de Steiner découvrons-nous à présent dans les « conférences sur
les trois voies » ? Maintes de ces conférences renferment une description vraiment détaillée et un
commentaire de l’actuel « Raja-Yoga de Patanjali », du sentier octuple du yoga généralement connu.
La plupart des écoles de Yoga aujourd’hui en activité se réclament de ce cheminement Yoga, récapitulé
en quelques sutra à peine par Patanjali, autour du Tournant des âges, à l’occasion de quoi les
interprétations modernes de ces textes anciens divergent aujourd’hui largement des contenus
d’autrefois.
Le Raja-Yoga renferme à son troisième niveau, l’asana, ou bien les attitudes assises (dont devaient
naître entre les 9ème et le 11ème siècles ap. J.-C. les exercices corporels du Hatha-Yoga, en premier lieu
pratiqués dans l’actuel Yoga) et, en tant que quatrième niveau, les exercices respiratoires du Yoga
(Pranayama)7. Brièvement résumés, se trouvent les points de critiques suivants — à côté d’autres —
dans les conférences des trois voies :

▪ Une école de Yoga classique n’est réalisable que sous la surveillance d’un gourou, à la stricte
autorité duquel on doit se soumettre si l’on ne veut pas avancer de travers et rencontrer des
dommages. Les hommes de l’Orient sont encore capables de s’abandonner sans compromis à
l’autorité de leur enseignant, mais pas les hommes actuels de l’Occident.
▪ En outre, l’Hindou a une autre corporéité que l’Européen et peut, par conséquent, pratiquer des
exercices qui sont nocifs pour l’Européen.
▪ Pour le cheminement du Yoga hindou on doit complètement se retirer de la vie extérieure.

Tout pratiquant actuel secouera probablement la tête dès qu’il prendra connaissance d’une critique
ainsi formulée par Steiner. Car elle ne lui semble pas tant convenir à ce qu’il a lui-même appris à

5
Voir Sri Aurobindo : Sur soi-même, Gladenbach 1994, pp.100 et suiv.
6
Voir Rudolf Steiner : La Bhagavadgïtã et les épîtres de Paul (GA 142), Dornach 1982 ; en particulier le début de la
conférence du 28.12.1912.
7
Voir, par exemple, Rudolf Steiner : Devant le porche… ; en particulier les conférences à Stuttgart des 3 & 4 septembre
1906.

2
connaître et apprécier comme Yoga. C’est la raison pour laquelle, on entend dire, de multiple manière
aujourd’hui, dans les cercles du Yoga que Steiner, ou bien n’avait pas eu beaucoup d’intuition sur le
Yoga, ou bien que l’image qui lui avait été communiquée en avait été totalement dénaturée. Cela ne
colle pas. Or, c’est beaucoup plus le fait que l’actuel Yoga, tel qu’on le connaît aujourd’hui, a subi de
nombreuses transformations dans l’espace des cent dernières années, de sorte que ce que nous avons
appris à connaître aujourd’hui, en tant que pratique du Yoga, n’est à peine comparable encore avec ce
qui se pratiquait du temps de Steiner en Inde et en Europe en Raja- ou Hatha-Yoga8.
Ce sont en particulier les Yogis itinérants, se rendant de lieu en lieu, qui passaient en Inde souvent
pour des sorciers, des excentriques et des personnages exotiques tournés sur le passé 9. Après tout ce
que nous a dévoilé la recherche récente sur le Yoga, nous devons admettre que la pratique de l’Hatha-
Yoga, qui remontait au 9ème siècle ap. J.-C. et au maître renommé, Gorakshanatha, se trouvait
effectivement tombée en pleine décadence à l’époque de Steiner. Même Swami Vivekananda, qui
passait pour l’un des premiers ambassadeurs du Yoga en Occident (il tint une conférence au « World
Parliament of Religions « à Chicago, en 1893, qui rencontra beaucoup d’attention), n’attribuait plus
aucune sorte de valeur à l’Hatha-Yoga d’alors et en déconseillait la pratique, comme déjà auparavant
son gourou, Ramakrishna10. Helena Petrovna Blavatsky qui, exactement comme Vivekananda, adoptait
en position plus positive à l’égard du Raja-Yoga , mettait en garde d’avoir à faire preuve d’une
extrême prudence: « Je voudrais le plus rigoureusement déconseiller à chaque élève de tenter
n’importe quel exercice de cet Hatha-Yoga, car ou bien il en sera complètement ruiné ou bien il sera
renvoyé si loin en arrière qu’il sera pratiquement impossible de regagner le terrain perdu dans cette
incarnation-ci… Je vous dis de vous en garder !11 »

L’objectif du cheminement Yoga


Ces techniques du Yoga, que Leadbeater, selon toute apparence, pratiquait et que Steiner avait
alors en tête dans ses critiques, s’efforcent, avec l’aide d’un système complexe d’exercices de
respiration, de méditation et de visualisation, d’obtenir des changements radicaux dans le système
énergétique du pratiquant. Le but était avant tout de soumettre à un contrôle conscient 12 le système
nerveux végétatif, lequel fonctionne normalement de manière autonome et inconsciente. À partir de ce
contrôle complet, les pratiquants sont sensés éveiller des facultés déterminées appelées siddhis. On
compte parmi celle-ci, par exemple, celles de lire dans le penser et de disposer de la précognition. Le
temps physique de vie est aussi censé être allongé au moyen de ces techniques. Il existe de nombreux
récits sur des Hatha Yogis qui sont soi-disant pluri-centenaires13. Que Steiner eut été très mal informé
sur ces manières de procéder dans l’initiation Yoga, c’est ce que révèle un endroit de la conférence du
12 décembre 1912 : « La méthode Yoga amenait l’être humain, d’abord, à un certain degré d’extinction
de l’instrument cervical du penser, voir même à tout éteindre de ce que communique le reste du
système nerveux supérieur. On faisait un instrument de cette stricte contemplation intérieure dans les
méthodes Yoga, de cette partie du système nerveux humain, (…) que nous caractérisons comme le
plexus solaire et le système nerveux sympathique. (…) Ainsi contemplait-on, avec cet instrument du
système nerveux sympathique, à l’intérieur des mondes spirituels, on y apercevait des faits et des
entités concrètes.14 »
8
Une bonne récapitulation, d’une écriture divertissante, de l’hindouiste d’Heidelberg, Alex Michael, se trouve sur le site
suivant : http://sss.nzz.ch/auf-der-westoestlichen-uebungsmatte-1.10651191
9
Voir Marc Sungleton¨Yoga Body, Oxford 2010, pp.56 et suiv.
10
Voir Stephanie Syman : The subtle body, NewYork, 2010, pp.74 et suiv.
11
Helena Petrovna Blavatsky/ La Doctrine secrète, vol.3, La Haye, (sans indication d’année), p.491.
12
Les descriptions de Theos Bernard d’une initiation classique dans le Yoga qu’il connut dans les années 30 du 20ème siècle,
peuvent donner un discernement approximatif dans le Yoga que Steiner avait à l’esprit dans sa critique, voir Theos Bernard :
Hatha Yoga, Stuttgart 1970.
13
Voir Aurobindo, à l’endroit cité précédemment, p.292.
14
Rudolf Steiner : Résultats de l’investigation de l’esprit (GA 62), Dornach 1982, p.201.

3
Comme Marc Singleton l’a démontré, il y a quelques années dans son étude Yoga Body qui fut
remarquée, c’est nonobstant l’actuelle pratique du Yoga, avec son accent porté sur la santé et le bien-
être, qui est une nouvelle découverte du 20ème siècle, dans laquelle confluent les influences orientales et
occidentales. Quand bien même le pratiquant du Yoga d’aujourd’hui ne se sente pas bien correctement
perçu dans la critique de Steiner sur sa pratique, cela a avant tout à faire avec la métamorphose qu’a
connu le Yoga à l’intérieur de la culture globalisée du 20ème siècle.

La critique de Steiner, est-elle dépassée ?


Nous pouvons donc constater que les points de critique mentionnés par Steiner dans les
« conférences des trois voises » n’étaient en aucun cas absurdes, pour la pratique du Yoga de l’époque
— que ce soit même en Inde, ou bien dans sa « version d’exportation » en Amérique ou en Europe —,
mais bel et bien pertinentes au contraire. L’actuel Yoga n’existait tout simplement pas à l’époque de
Steiner. Cela étant, en tirer la conclusion que sa critique du Yoga eût été superflue, puisque le Yoga
actuel, dans sa forme moderne, a surmonté15 tous les points de critique, se serait de nouveau aller trop
vite. Pour établir quelle importance détient encore de nos jours la critique de Steiner sur le Yoga, les
formes modernes de celui-ci et leurs répercussions devraient, d’une part, être prises en considération de
plus près, au sens d’une image anthroposophique de l’être humain et d’autre part, l’ensemble des
déclarations de Steiner sur le Yoga devraient être prises en compte, ce qui dépasserait le cadre de cet
article.
Seulement autant que ceci : vis-à-vis d’une simple « gymnastique-Yoga », comme elle surgit en
maints endroits, sous une forme sécularisée, on ne devrait assurément pas exercer de critique de grand
style. Il est vrai que là où l’on travaille avec les énergies du corps et en particulier là où le Yoga veut
communiquer des expériences spirituelles, une discussion sur le fondement de l’anthroposophie devient
importante. Dans cette mesure, un tel dialogue qui serait à traiter de manière circonspecte et non-
dogmatique, serait enrichissant pour les deux côtés. Les premières amorces de dialogue se situent dans
les années 60 déjà, avec Otto Albrecht Isbert, l’un des co-fondateurs de la BDY [Bund Deutscher Yoga-
Fédération allemande de Yoga], — qui, dans son jeune temps, avait encore rencontré Steiner et qui
n’eut de cesse de renvoyer à la valeur de l’anthroposophie en tant que cheminement initiatique — dans
ses efforts d’alors pour une pratique du Yoga adaptée aux exigences de l’Occident16.
On ne peut que présumer l’attitude qu’eût adoptée Rudolf Steiner vis-à-vis du Yoga moderne
avec les exercices corporels de celui-ci. L’eurythmie développée par lui, a, avant tout, un caractère
artistique. Il s’agit pour elle de transférer en les élevant, des processus et événements de la vie de l’âme
et de l’esprit et de les rendre visibles ou selon le cas éprouvables. Le travail avec l’eurythmie reste de
ce fait libre d’une volonté associée [sic ? !¸ndt] et donc de la tentative de vouloir faire entrer, au moyen
d’exercices corporels, dans une expérience de l’âme et de l’esprit, comme cela est souvent le cas dans
le Yoga. Le corps reste un moyen d’expression et ne devient pas le véhicule de la réalisation.
Il était très important pour Steiner, lors de la pratique des exercices et méditations enseignés par
lui, que ceux-ci commencent aux forces du penser et d’introduire ainsi un cheminement spirituel « du
haut vers le bas », au lieu d’aspirer à un changement direct du corps éthérique avec l’aide d’exercices
corporels et de respiration17.
Pourtant la pratique du Yoga est aujourd’hui aussi encore à chaque fois, selon l’orientation du
style, fortement imprégnée du cheminement contraire « de bas en haut ». C’est précisément ainsi
qu’elle est aussi dans la situation de renforcer les corps végétatif et physique et de les pourvoir d’une

15
Voir par exemple Florian Heinzmann : Aucune crainte devant le Yoga dans : Info3 5/2015., pp.55 et suiv.
16
Voir, par exemple, Otto Albrecht Isbert : Yoga — Un travail sur soi, Heidenheim-sur-la-Brenz, 1960.
17
Voir Rudolf Steiner : la science de l’occulte en esquisse (1910 ; GA 13), Dornach 1989, p.372 : « L’idéal du
développement c’est même de ne réaliser au moyen du corps physique lui-même aucun exercice, pas même de tels exercices
respiratoires, mais au contraire que tout ce qui doit se produire avec ce travail se mette en place comme une suite de purs
exercices d’intuition. »

4
vigueur nouvelle. Une investigation plus précise des conditions de cette pratique d’exercices du Yoga
contemporain par rapport au cheminement anthroposophique serait très intéressante. On devrait en
particulier probablement repérer, lors d’une telle investigation, la différence fondamentale quant à
savoir si la vertu directionnelle du Je, vis-à-vis des énergies de l’âme et des composantes essentielles
inférieures, renforce avec cela aussi l’empathie et la faculté sociale, ou bien s’il ne s’ensuit qu’une forte
charge d’énergie-prana qui offre, certes, au pratiquant une meilleure sensation corporelle et
éventuellement aussi une meilleure santé, ceci cependant au détriment de sa perception extérieure
objective.

La « nouvelle volonté Yoga »


Centrale pour le dialogue entre Yoga et anthroposophie serait bien aussi la recherche plus
profonde sur la conceptualité de la « nouvelle volonté-Yoga ». Rudolf Steiner forgea ce concept le
30.11.1919, à l’intérieur du cycle de conférences « La mission de Michaël et ne l’utilisa qu’à de rares
reprises. Le contenu de cette conférence est très complexe et il aurait assurément, pour le futur dialogue
entre Yoga et anthroposophie, une grosse importance. Steiner y décrit deux processus d’évolution des
connaissances suprasensibles : l’antique « processus aérien de l’âme », à l’intérieur de l’antique culture
du Yoga au moyen de laquelle avait été réalisée une manière particulière de cultiver la respiration
(aujourd’hui ces exercices sont connues par le Yoga comme « pranayama », ou bien « contrôle de
l’énergie de vie ») et le « processus lumineux de l’âme » qui a lieu au moyen de la perception
sensorielle. L’antique « processus aérien de l’âme » ne serait plus possible aujourd’hui, puisque l’air
n’est plus aussi « remplie d’âme [beseelt]», comme il l’avait été encore jusqu’à la fin du 8 ème siècle
avant le Christ : « Non pas seulement, par exemple, que la conscience de l’humanité s’est modifiée, oh
non, dans l’atmosphère de la Terre, il y avait une âme. L’air était l’âme. Ce n’est plus le cas
aujourd’hui, mais elle l’est encore d’une autre façon.18 » La nouvelle volonté Yoga, qu’introduit Steiner
par la suite, comme concept, a désormais pour base le processus de perception et non plus celui de la
respiration : « Mais nous devons éduquer les ténuités de notre commerce avec le monde, de sorte que
nous n’ayons pas simplement des perceptions sensorielles dans l’accueil que nous lui réservons, mais
que nous en laissions aussi filtrer la spiritualité. Nous devons êtres certains qu’avec chaque rayon de
lumière, avec chaque son, avec chaque perception de chaleur et leurs résonances dans l’âme, dans la
circulation réciproque qui s’installe ainsi dans l’âme avec le monde et cette circulation dans la vie de
l’âme doit devenir pour nous quelque chose de significatif.19 »
Ce motif de base, d’une mise en opposition entre la « respiration-Yoga » d’autrefois et une
nouvelle manière, conforme à l’époque, de la quête cognitive que Steiner voulut ancrer dans la culture
avec l’anthroposophie, nous le rencontrons par la suite dans toute son œuvre de conférences plus ou
moins exposé en détail. Du fait que ce motif se répète en variations (quoique le concept de « nouvelle
volonté Yoga » ne surgisse plus une seconde fois de manière explicite), laisse reconnaître que cela était
manifestement important pour Steiner20. Mais bien entendu, il ne voulait assurément pas renvoyer à
« l’impossibilité d’utiliser » ou à « la médiocrité » du Yoga, au contraire, pour lui c’était une sorte
d’approche du monde spirituel, qui doit être aujourd’hui relayer par un principe nouveau. Il semble que
dans cette opposition renouvelée Orient-Occident, de l’ancien et du nouveau, Steiner ait voulu nous
faire toucher du doigt l’un des principes fondamentaux de tout retour, dont il était question au début :
alors nous devons pouvoir nous dire : à présent, nous n’allons plus vers l’intérieur, comme le Yogi y est
allé, vers le processus respiratoire, à présent nous allons vers l’extérieur ; regardons chaque plante,

18
Rudolf Steiner : La mission de Michael (GA 194), conférence du 30.11.1919, Dornach 1994, p.109.
19
Ebenda.
20
Voir entre autre, Rudolf Steiner : Vie de l’âme humaine et aspiration à l’esprit (GA 212), Dornach 1978, Conférence du
27 mai 1922. Ici Steiner entre dans le détail de la réceptivité de l’âme aux processus aérien et lumineux. Voir aussi, au sujet
du processus lumineux de l’âme, l’article de Klaus J. Bracker : Je humain, processus d’âme lumineux et Yoga hindou, dans :
Anthroposophie 2/2015, p.112.

5
regardons chaque animal, et regardons chaque être humain et vivons avec ce qui est extérieur. De sorte
que le penser vienne de la simple image de nature et collabore à la vie réelle du monde extérieur.21 »

Où est le soi, qui doit être réalisé ?


Avec cette distinction d’un « chemin vers l’intérieur » et d’un « chemin vers l’intérieur », nous
avons exprimé un aspect, me semble-t-il, qui est souvent peu pris en compte ; or, pour la rencontre du
Yoga et de l’anthroposophie, il est d’une importance centrale. Justement en considération de la
compréhension de la spiritualité dans le Yoga moderne, mais aussi dans la mystique, avec laquelle
Steiner ne s’est pas moins confronté de manière critique, ainsi qu’avec d’autres courants spirituels, on
doit s’interroger pour savoir où doit siéger le « soi » qui doit être réalisé. Car le vissions-nous comme
déjà présent et pour ainsi dire, n’attendant que sa « découverte », sommeillant en notre intériorité22 et
non pas comme une rencontre, encore continuellement transcendante au Je, avec l’extérieur (ou bien,
avec les mots de Buber : avec le « Tu ») d’un Soi encore à conquérir, alors surviendrait une difficulté
de poids, qui passe pareillement fréquemment inaperçue : à savoir, nous n’accomplirions alors, dans
notre quête vers la réalisation de soi que ce qui, provenant des incarnations précédentes, repose déjà en
nous. Nous reculerions avec cela, pour ainsi dire dans l’héritage des temps primitifs et non plus sur le
cheminement créateur vers l’extérieur, nous préparant à une nouvelle incarnation23. Mais ce que Steiner
caractérise comme l’impulsion christique — qui est devenue importante au Tournant des Âges, pour
tous les cheminements spirituels et qui commence aujourd’hui à se développer lentement d’abord, à
partir des diverses voies — est toujours une forme de rencontre respirante avec un extérieur qui nous
est encore nouveau et inconnu. Ou bien, en prenant une fois encore la peine de citer Buber : « L’être
humain devient au Tu un Je. »
En récapitulant, nous pouvons aussi dire que Steiner n’était en aucun cas un critique
probablement ignorant et présomptueux du Yoga, comme il est parfois présenté aujourd’hui. Bien plus,
il s’agissait pour lui — comme nous pouvons le dire avec prudence, après nos premières réflexions eu
égard à ses déclarations sur le Yoga — de l’exposition d’un nouveau chemin de connaissance, qu’il
caractérisa aussi, entre autre, comme « nouvelle volonté-Yoga », dont le pratiquant fait l’ascension non
pas avec l’aide de la respiration ou d’autres exercices, dans un monde intérieur mystique et révolu,
mais au contraire en parvenant dans la rencontre avec le monde extérieur, en s’éveillant à Soi-même, en
effet a une « relation au Christ »24, avec la nature qui l’entoure. En cela, il n’est ni voyant ni percevant
passif, au contraire, il devient créateur lui-même avec chaque perception, chaque idée, chaque
sensation, il ajoute un nouvel être créé par lui à l’existant. Sans doute beaucoup dépendra de savoir si
nous apprendrons à ressentir ce fait concrètement décrit « d’une respiration sensorielle de lumière »
avec toutes ses conséquences et portée.
Die Drei 9/2015.
(Traduction Daniel kmiecik)

Bernard Spirkl, né en 1970, De 1991 à 2013 étude du Yoga et à partir de 2006 séminaire d’assistance auprès de Heinz
Grill, en Bavière, puis en Italie.. Étude de l’anthroposophie et du Yoga intégral depuis 1995. Depuis 2004, directeur du studio
adhikara-Yoga à Heidelberg : directeur de formation au Yoga, divers articles dans des revues traitant du Yoga — Contact :
info@bernhard-spirkl.de yoga-in-heidelberg.de bernhard-spikl.de

21
Rudolf Steiner : Les énergies spirituelles de base de l’art de l’éducation (GA 305), Dornach 1991, p.34.
22
Voire par exemple Eckhard Tolle et dans le mouvement Satsang.
23
Celle-ci est aussi la critique principale de Heinz Grill adressée au Yoga et les dérivés aujourd’hui répandus d’anciennes
voies mystiques. Voir par exemple Heinz Gill : La relation maître-élève à l’intérieur de l’évolution de la vie de l’âme et de
l’esprit, Vaihingen 2012, pp.40 et suiv. Que sur les deux voies, aussi bien en avant, par le « porche du Soleil » ou bien en
arrière par le « porche de la Lune » peuvent naître des expériences spirituelles, cela est hors de doute, sauf que les
répercussions et « retours de manivelle » de ces deux formes de spiritualité sont totalement diverses.
24
Voir Steiner : La mission de Michael…, conférence du 30.11.1919 : « Lorsque nous apprenons à ressentir la vie de l’âme
dans la nature avec la contemplation sensorielle, alors nous avons la relation-Christ à la nature extérieure. Alors la relation
au Christ à la nature extérieure devient une sorte de processus respiratoire spirituel. »

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