Support Pédago Fertilisation Organique
Support Pédago Fertilisation Organique
Support Pédago Fertilisation Organique
Mots clés : fertilisation organique, minéralisation de l’azote, engrais vert, compost, rendement, qualité
La culture est fortement artificialisée : engrais chimiques pour les apports en azote et potassium,
traitements herbicides et nécessite dans la plupart des cas un travail du sol important. Outre la pol-
lution qu’engendrent les engrais chimiques, ceux-ci sont pour la grande majorité importés alors
que le territoire fournit une grande quantité de déchets organiques : déchets verts urbains, résidus
organiques d’élevage, de distillerie, de boues de station d’épuration compostées etc. De plus, con-
trairement à un engrais chimique, l’apport de matière organique entretient la fertilité du sol, et
dans le cas d’un engrais vert (jachère de légumineuses), offre également une couverture du sol
entre les cycles d’ananas, réduisant l’érosion, le travail du sol et les traitements herbicides avant
plantation.
Des travaux de recherche antérieurs ont démontré le pouvoir fertilisant des jachères de légumi-
neuses (engrais vert), permettant de réduire de moitié la fertilisation minérale sans baisse de ren-
dement. De plus, cela a eu pour conséquence une augmentation de la qualité des fruits. L’étude du
pouvoir fertilisant de matières organiques disponibles à la Réunion s’est alors imposée dans le but
d’approfondir ces connaissances empiriques en vue d’élaborer des scénarios de fertilisation orga-
nique. Cette étude s’inscrit ainsi dans un objectif conjoint de durabilité des systèmes de cultures
(réduction des intrants chimiques, recyclage des matières organiques locales et préservation des
sols réunionnais) et de production de fruits de qualité.
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Les jachères de légumineuses
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L’étude réalisée
L’ananas Victoria à la Réunion est produit sur un cycle de 12 mois au minimum à 18 mois (voir 24
mois parfois). La fertilisation classique, calquée sur les besoins de l’ananas, consiste à apporter
300 U d’azote et 450 U de potassium (K/N = 1.5) d’engrais minéral fractionnées en 7 apports sur le
cycle végétatif. Environ 20 % des apports sont apportés dans le sillon de plantation et le reste en
pulvérisation foliaire mensuelle jusqu’à l’induction de la floraison lorsque le poids du plant est suf-
fisant(6 à 7 mois après plantation à basse altitude, 12 mois et plus dans les Hauts).
Ainsi, une fertilisation organique doit répondre aux besoins de la culture en libérant de l’azote mi-
néral assimilable par la plante au bon moment en quantité suffisante. Les objectifs étaient alors,
dans un premier temps, de pouvoir déterminer et comparer les cinétiques et taux de minéralisa-
tion potentiels de l’azote et du carbone d’une dizaine de matières organiques en laboratoire. Le
but étant d’obtenir un premier critère de choix de matières organiques dont les éléments nutritifs
contenus sont suffisants et libérés suivant une cinétique adaptée aux besoins de la culture tout au
long du cycle. Dans un second temps, des matières choisies selon leur disponibilité et transporta-
bilité mais aussi leurs différences de composition, ont été testées et comparées en champ, dans
un réseau de fermes pilotes et sur un site d’expérimentation. Le but étant de tester leur efficacité
et la faisabilité réelle d’une culture d’ananas en fertilisation 100 % organique sans baisse de rende-
ment ni de qualité de la production (par rapport à une fertilisation minérale). Ces deux études ont
été menées en parallèle pour cause de contraintes organisationnelles (financements sur projet).
Neufs matières organiques ont été sélectionnées : un engrais du commerce, deux composts, de la
farine de plumes et de sang, quatre engrais verts (soit 4 espèces de légumineuses) et un mélange
« engrais vert + farine plume et sang » afin d’observer le comportement d’un mélange. Chaque
matière a été séchée, broyée puis mélangée à du sol tamisé et séché (sol brun andique). Chaque
matière est répartie dans des pots (échantillons) puis incubée à 28°C jour et nuit à humidité cons-
tante pendant 6 mois consécutifs. Les quantités d’azote et de carbone contenues dans les échan-
tillons sont dosées chaque jour la première semaine, puis une fois par semaine pendant 6 mois,
avec 3 répétitions pour chaque matière. La méthode Kjeldalh est utilisée pour doser l’azote. Le
carbone est dosé avec la technique de Van Soest (capture du carbone par la soude). Cela a permis
d’obtenir, pour chaque matière, un suivi de la dynamique de minéralisation de l’azote (quantité
disponible pour la culture au cours du temps), ainsi que son pouvoir humigène (quantité de car-
bone disponible pour la formation d’humus), qui détermine sa stabilité dans le temps.
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Fertilisation organique VS fertilisation minérale
A la différence d’une fertilisation minérale, les matières organiques sont composées d’azote miné-
ral et d’azote organique, chacun en proportions variables. L’azote organique n’est pas assimilable
par les plantes, il nécessite d’être minéralisé par la vie du sol. Ce processus de minéralisation li-
bère l’azote minéral de façon progressive sur une durée relativement longue en fonction de la
matière organique. La culture va donc pouvoir prélever au fur et à mesure l’azote (s’il est présent
en quantité suffisante) dont elle a besoin tout au long du cycle de production, ce qui limite les
pertes d’azote et donc les risques de pollution. Cette dynamique de libération de l’azote corres-
pond mieux au comportement normal d’une culture, c’est-à-dire le prélèvement régulier des nu-
triments, et évite l’effet d’à-coup de la fertilisation minérale mensuelle.
Le rapport carbone/azote (C/N) d’une matière est déterminant pour vitesse de libération d’azote
minéral. Une matière organique dont le C/N est faible (farine de plume et sang, entre 3 et 4)libère
rapidement l’azote minéral assimilable par la culture tandis qu’une matière à fort C/N (compost)
aura un fort pouvoir humigène mais l’azote assimilable sera libéré plus lentement au cours du
temps. Les matières organiques peuvent être classées en engrais (plutôt à pouvoir fertilisant) ou
en amendement (plutôt pouvoir humigène) en fonction de leur composition en éléments nutritifs
et en carbone.
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Les tests in situ au champ ont été réalisés sur deux
fermes pilotes (Bassin Martin zone Sud et Hauts du
Cratère, zone Est) et sur la station expérimentale de
Bassin Plat (zone sud), soit 3 parcelles au total. Sur le
Photo : P. Fournier site d’expérimentation, un témoin (fertilisation miné-
rale classique) et 3 matières organiques sont testés
Jachère de Mucuna
pruriens en place Photo : P. Fournier sur une même parcelle en la subdivisant de façon
Jachère broyée et enfouie aléatoire (expérience en bloc de Fisher). Sur les
fermes pilotes seul un engrais organique est testé sur la parcelle. Une jachère de légumineuses
(choisie grâce aux résultats des travaux précédents) est tout d’abord mise en place sur la parcelle
(sans travail du sol préalable). Elle sera broyée et enfouie en fin de cycle (4 mois après sa mise en
place), avant la plantation de la culture d’ananas. On estime l’apport en éléments fertilisants de la
jachère en fonction de la biomasse récoltée. On calcule ensuite les apports complémentaires si
nécessaire en azote et potassium de la matière organique choisie, qui seront apportés en une seule
fois dans le sillon de plantation. Les apports de matières organiques sont calculés sur la base de
300 kg d’azote/ha et 450 kg de potassium/ha. Après chaque récolte d’ananas, on mesure le rende-
ment, la teneur en sucre et l’acidité des fruits. L’acidité est mesurée par dosage colorimétrique
avec de la soude et un indicateur coloré. La teneur en sucre (exprimée en °Brix) est mesurée grâce
à un réfractomètre. C’est le rapport sucre/acidité (E/A) qui va déterminer la qualité gustative du
fruit. Plus ce rapport est élevé meilleur est le fruit, il doit toujours être supérieur à 1.
Les résultats
Les résultats des profils de minéralisation de l’azote et des indices de stabilité des matières orga-
niques testées au laboratoire ont permis de déterminer les matières organiques les plus intéres-
santes pour la culture d’ananas. L’indice de stabilité (voir graphique ci-dessous) reflète la part de
matière organique carbonée résistante à la minéralisation après un an au champ mais potentielle-
ment minéralisable à long-terme. Les matières les plus stables se sont révélées être les composts,
ce seront de bons amendements organiques. Dans une moindre mesure, les autres matières con-
servent au moins 30 % de carbone au bout d’une année.
Indice de stabilité de la matière organique (ISMO)
Litière de volaille
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Les profils de minéralisation de l’azote au cours du temps pour chaque matière sont visibles sur le
graphique ci-dessous. L’engrais organique du commerce et la farine de plumes et de sang se sont
révélés être des engrais organiques à libération rapide et en quantité d’azote minéral dans le
temps. Le mélange farine de plumes et sang + lablab purpureus donne également de bons résultats
en ce sens. Le compost B en revanche ne se révèle pas intéressant pour la fertilisation de la cul-
ture, il est pauvre en azote et se minéralise peu. Il reste toutefois un très bon amendement pour le
sol. Les deux engrais verts Lablab purpureus et Mucuna pruriens semblent intéressants en terme
d’apport azoté pour la culture malgré un bref effet « faim d’azote », c’est-à-dire que les microor-
ganismes vont dans un premier temps puiser dans l’azote du sol pour décomposer la matière or-
ganique carbonée. Les racines de l’ananas se développant qu’à partir de la troisième semaine
après plantation cela n’affectera pas négativement la culture. En revanche, les engrais verts Crota-
laria var. spectabilis et retusa, très pauvres en azote, induisent une « faim d’azote » prolongée et
n’offrent ainsi pas vraiment de bonnes perspectives comme engrais. Cependant, les faims d’azote
observées en laboratoire ne sont pas toujours observées en conditions réelles. Il faudra tout de
même faire attention à leur utilisation sur un sol pauvre en azote.
Il faut cependant prendre ses résultats avec précautions car pour le test en laboratoire le sol a été
tamisé, gardé à humidité constante et à une température de 28°C jour et nuit. Or, en conditions
réelles, le sol est sous forme de conglomérats de terre plus ou moins importants, l’humidité et la
température varient en permanence. Toutes ces variations peuvent ralentir voir stopper le pro-
cessus de minéralisation (surtout en cas de baisse de température et de période de sécheresse
prolongée).
N minéralisé (%)
Part de l’azote minéralisé au cours du temps
Mucuna pruriens
Litière de volaille
6
Rendement (t/ha)
Les essais au champ sur le site ex- 60 Rendements obtenus avec différents engrais organiques
périmental de Bassin Plat, ont per- 50
mis de tester après une jachère de
40
Mucuna pruriens, la farine de
30
plumes et de sang, l’engrais du com-
20
merce et le compost A. Les résultats
10
montrent (voir graphique ci-après)
0
qu’une fertilisation avec de la farine Fertilisation Farine de Engrais Compost A
de plume et de sang ou le compost A minérale plumes et sang organique du
commerce
permettent d’obtenir des rende-
ments similaires à une fertilisation
minérale classique. En revanche, l’engrais organique du commerce ne donne pas d’aussi bons ré-
sultats, le rendement obtenu est inférieur à celui du témoin minéral. Les essais sur les fermes pi-
lotes ont permis de tester la farine de plumes et de sang après respectivement, une jachère de
Mucuna pruriens, et une jachère de Vigna unguiculata. Les résultats chiffrés ne sont pas encore
disponibles, mais semblent aller dans le même sens que sur le site d’expérimentation.
En conclusion, ces premiers essais permettent d’entrevoir deux résultats majeurs : il est possible
de substituer totalement les engrais chimiques par certains engrais organiques sans baisse de ren-
dement. De plus, les doses d’azote et potassium actuellement préconisées semblent être suresti-
mées. Des travaux antérieurs sur la station de Bassin Plat avaient en effet montré que la réduction
de moitié des doses d’engrais minéraux (sans jachère) n’induisait pas de baisse de rendement. Une
poursuite de l’ensemble de ces travaux serait de tester à nouveau l’association jachère de légumi-
neuse et engrais organique mais sur une base de calcul d’ 1/2 dose de fertilisation. Dans l’idéal, les
suivi des cinétiques de l’azote et du carbone devraient s’effectuer en plein champ plutôt qu’en la-
boratoire afin de pouvoir ensuite calculer précisément les doses d’azote et de potassium à appor-
ter à la culture. Ces changements techniques vont entrainer au-delà de la réduction des impacts
de la culture d’ananas sur l’environnement, des baisses du coût de production et des temps d’inter-
vention non négligeables pour les agriculteurs. Ils offrent également de bonnes perspectives
quant à la faisabilité d’une production d’ananas biologique.
Toutefois, il faut bien noter que les parcelles choisies étaient toutes dans de bonnes conditions
hydriques soit de façon naturelle (zone Est) soit par un dispositif d’irrigation. Or, le premier fac-
teur limitant du rendement de la culture d’ananas est l’eau. En effet, pendant la phase végétative,
si l’alimentation en eau est insuffisante surtout dans les premiers mois, on observe une croissance
et un rythme d’émission foliaire plus faible. Le maintien d’une bonne humidité est indispensable a
une bonne adsorption des éléments minéraux par les racines. L’impact peut être d’autant plus
important que le stress arrive tôt dans le développement de la plante. Les besoins restent encore
mal connus mais les besoins en eau de l’ananas sont estimés entre 50 et 100 mm par mois.
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Quelles préconisations pour les producteurs d’ananas pour un
itinéraire technique 100 % organique ?
La jachère se choisit en fonction de la durée disponible dont peut disposer le couvert avant plan-
tation de la culture d’ananas, le type de sol (si sol pauvre préférer une espèce à fort pouvoir humi-
gène par exemple), les problèmes sanitaires (adventices, nématodes etc.). Le tableau ci-dessous
permet de visualiser rapidement les caractéristiques principales des jachères étudiées.
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3-Choisir les matières organiques
N P K ISMO
Il est important de bien noter qu’il n’y a pas un itinéraire technique mais plusieurs. Les choix des
jachères, matières organiques et des apports potassiques seront fonction des conditions pédocli-
matiques de la parcelle (teneur en éléments minéraux du sol, climat, pluviométrie etc.), des con-
traintes techniques (mise en place hors période de canne, disponibilité et transport des matières
organiques, durée du cycle de la culture etc.) ou encore économiques.
Ce document a été rédigé par Sarra Poletti dans le cadre du transfert des travaux du projet ECOFRUT.
CIRAD - EPLEFPA Saint-Paul - Armeflhor. Mars 2015.
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