Apprendre À Penser, Parler, Lire, Écrire
Apprendre À Penser, Parler, Lire, Écrire
Apprendre À Penser, Parler, Lire, Écrire
Laurence Lentin
Apprendre
à penser, parler,
lire, écrire
Acquisition du langage
oral et écrit
Apprendre a? penser:coll pédago recherche 19/01/09 9:01 Page 2
www.esf-editeur.fr
ISBN 978-2-7101-2920-2
ISSN 1158-4580
Pédagogies
Collection dirigée par Philippe Meirieu
Pédagogies/Références : revenir vers l’essentiel pour mieux penser l’urgence. Des livres qui
permettent de comprendre les enjeux éducatifs à partir des apports de l’histoire de la péda-
gogie et des travaux contemporains. Des textes de travail, des outils de formation, des
grilles d’analyse pour penser et transformer les pratiques.
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* *
Voir en fin d’ouvrage la liste des titres disponibles
et sur le site www.esf-editeur.fr
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Remerciements
J’exprime en particulier ma reconnaissance à ceux qui ont bien voulu relire cet
ouvrage et formuler leurs remarques constructives : Christiane Baruth, Daniel
Bianchet, Marcelle Chambaz, Martine Karnoouh-Vertalier.
Enfin, à mon mari et à mes enfants, qui subissent souvent les conséquences
d’un travail envahissant, je voudrais dire combien me sont précieuses leur patience
et leur active compréhension.
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Sommaire
Remerciements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
Avant-propos . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19
1. Le français parlé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Comment parlons-nous ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
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6. Questions et réponses . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79
Quelle différence entre communiquer et parler ? . . . . . . . . . . . . . . 79
Apprendre à parler, est-ce apprendre la langue « standard » ? . . 80
Quelle est la différence entre les exercices structuraux
et ce qui est proposé avec le concept des schèmes sémantico-
syntaxiques créateurs ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 80
Y a-t-il une différence entre langage spontané
et langage authentique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Les enfants s’apprennent-ils à penser-parler
les uns aux autres ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Que penser de l’apprentissage d’une langue étrangère
à l’école maternelle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84
Y a-t-il un ordre dans les acquisitions langagières ? . . . . . . . . . . . 85
À quel âge peut-on affirmer qu’il y a retard de langage ? . . . . . . . 86
Comment les enfants sourds apprennent-ils à parler ? . . . . . . . . . 86
Que faire avec des enfants « mutiques » ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Comment aider des enfants bègues ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87
Un enfant qui a besoin d’un entraînement cognitivo-
langagier à l’école maternelle est-il un enfant en difficulté ? . . . . 88
Interaction langagière au sein d’un petit groupe ou interaction
entre un adulte et un enfant : quelle différence ? . . . . . . . . . . . . . 88
Comment mettre en pratique une interaction individualisée
au sein d’une collectivité (famille, crèche, halte-garderie,
école maternelle…) ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89
Comment s’y prendre avec des apprenants tardifs ? . . . . . . . . . . . 90
Y a-t-il une démarche spécifique pour les apprenants
non francophones ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 90
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Sommaire
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ANNEXES
Conventions pour la transcription d’enregistrements adulte-enfant
(interprétation orthographique) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Présentation de la première feuille de transcription . . . . . . . . . . . 149
Transcription . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 149
Quelques définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 154
Introducteurs de complexité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156
Grille pour l’analyse en catégories syntaxiques d’énoncés . . . . . 157
Guide pour l’analyse d’un livre illustré destiné à être lu
par un adulte à un enfant non encore lecteur . . . . . . . . . . . . . . . . 159
Quelques éléments de bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 163
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I L VA SANS DIRE QUE, DEPUIS DIX ANS, NI LES CHERCHEURS NI LES PRATICIENS-
chercheurs ne sont restés inactifs.
Des recherches
De nombreuses recherches se sont développées pour étudier des aspects de
plus en plus variés des modalités de l’acquisition du langage par l’enfant depuis
sa naissance, à savoir son appropriation de la langue – ou des langues – en usage
dans son entourage. Beaucoup d’études quantitatives et de relevés « pointus » sur
tel ou tel phénomène de l’apprentissage. Depuis quelque temps apparaissent éga-
lement davantage de recherches qualitatives 1. Parfois aussi des observations de
l’interaction langagière entre l’enfant qui apprend à parler et le locuteur expert qui
dialogue avec lui.
Pour ce qui est des activités du cerveau, bien des travaux de pointe en neuro-
sciences sont en cours, mais les plus sérieux d’entre eux s’en tiennent à des inter-
prétations limitées. Certaines localisations cérébrales sont même contestées, y
compris celle du langage, sans parler de celles qui « prouveraient » qu’un bébé de
deux mois est capable de faire une addition !
Certains travaux en sciences cognitives sont très prometteurs, d’autres sont
sujets à discussion. Il s’agit de recherches fondamentales qui, pour la plupart,
n’ont pas d’incidence sur la pédagogie scolaire. Une exception importante pour-
tant : les recherches sur la langue des signes.
La langue des signes permet aux enfants sourds d’avoir une langue maternelle,
puis de devenir bilingues lorsqu’ils peuvent être initiés à la langue orale qui leur
donne ensuite accès à la langue écrite. Les travaux, les formations et les informa-
tions se sont multipliés et, fort heureusement, la France est en train de rattraper son
considérable retard sur de nombreux pays pour la mise en application généralisée
1. À titre d’exemples, on retiendra les travaux du CRALOE (Centre de recherche sur l’acquisition du
langage oral et écrit, université Sorbonne nouvelle), de l’Université Nancy 2, de l’AQRQ
(Association québécoise pour la recherche qualitative).
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L’apprentissage de la lecture
Le lieu n’est pas ici d’évoquer les querelles récurrentes sur l’apprentissage de
la lecture. Malheureusement, sous diverses formes en réalité peu renouvelées, ces
querelles sont toujours identiques. Même si certains « spécialistes » mentionnent
l’importance de la maîtrise du langage oral pour accéder à l’apprentissage de
l’écrit, le retour au « B.A.BA » et à la technique du déchiffrage ne cesse d’envahir
non seulement les publications spécialisées, les méthodes de lecture, les instruc-
tions officielles, mais aussi les medias.
Au fil des années, la conception de l’apprentissage de la lecture-écriture comme
activité cognitivo-langagière, évoquée dans ce livre et dans les précédents, n’a fait
que se renforcer grâce aux résultats obtenus concrètement auprès de nombreux
apprentis-lecteurs de tous âges. L’essentiel est de toujours commencer par instal-
ler l’intuition de ce qu’est l’écrit, son statut, son immuabilité, ses fonctions de
communication et d’information. En tout premier lieu, l’apprenant doit acquérir la
notion que lire c’est avant tout comprendre. Le corollaire obligé est qu’écrire
nécessite l’anticipation de la compréhension du destinataire du texte. Le débutant
en lire-écrire ne doit pas appréhender l’apprentissage de la lecture comme un
décryptage transformant des signes graphiques en signes sonores, il doit avant
tout découvrir un sens, une signification qui lui apportera information, connais-
sance, éventuellement – et nécessairement quand il s’agit d’un enfant – plaisir.
L’apprenant doit donc d’abord exercer une activité langagière et interprétative
avant d’acquérir, dans un deuxième temps seulement, la technique du déchiffrage,
bien entendu indispensable.
Et tout ceci ne devrait pas se produire prématurément. Nombreux sont ceux qui
déplorent que la dernière année d’école maternelle ait tendance à se transformer
en « cours préparatoire anticipé ». En effet, s’il est nécessaire de familiariser
l’enfant le plus tôt possible avec l’écrit, son statut, son utilité et son agrément pour
chacun, de lui faire approcher la « culture écrite », l’apprentissage proprement dit
ne devrait pas commencer avant six ans, l’âge prévu institutionnellement en
France.
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La formation, parlons-en ! 6
Oui, il faut en parler, et d’ailleurs on en parle : demandes réitérées, protesta-
tions des enseignants, des parents, des spécialistes. Mais, hélas, sans effet sur
une éventuelle mise en œuvre, quelle qu’elle soit.
On constate pourtant avec satisfaction que, depuis plusieurs années, les docu-
ments publiés par le ministère de l’Éducation nationale 7 insistent expressément
sur le rôle primordial de l’école maternelle pour amener l’enfant à la maîtrise de la
langue orale avant le début de sa scolarité à l’école élémentaire. La recommanda-
tion est claire : cet apprentissage conditionne tout l’avenir scolaire – et civique –
de chaque enfant.
D’année en année se renouvellent des demandes pressantes, des protesta-
tions, aussi bien de la part des enseignants que des familles ou de certains spé-
cialistes comme le linguiste A. Bentolila. Celui-ci, chargé par le ministre d’un
rapport sur la rénovation de l’école maternelle en 2007, expose avec vigueur cette
nécessité. Et pourtant, contre toute attente, aucun projet n’apparaît concernant la
formation, qu’elle soit initiale ou continuée, qui préparerait les professeurs d’école
maternelle à affronter cette tâche difficile. En effet, cette tâche est difficile entre
toutes, la responsabilité en est redoutable. Il s’agit d’un enseignement bien parti-
culier qui nécessite, en dehors des qualités requises pour tout enseignement, à la
fois des connaissances en linguistique, des connaissances en psychologie sur les
caractéristiques et le développement du très jeune enfant et, bien sûr, une culture
générale et artistique.
On est confondu d’entendre – tout récemment encore – des discours officiels
au plus haut niveau niant la nécessité d’une formation poussée et spécialisée, ou
même de toute formation, pour les professeurs d’école maternelle. Rappelons que
le grand Jean Piaget soulignait un jour que, pour éduquer les plus jeunes enfants,
il fallait choisir les éducateurs les plus instruits, les plus fins, les plus délicats, les
plus documentés, les mieux préparés et les plus robustes. Il avait raison de
6. Voir page 144, la proposition de formation des instituteurs présentée par L. Lentin en 1986.
7. Entre autres : ministère de l’Éducation nationale (1992) La maîtrise du langage à l’école, Paris,
CNDP, BO de l’Éducation nationale (1999), hors-série n° 8, BO de l’Éducation nationale (2000)
Hors-série, n° 1 Horaires et programmes d’enseignement de l’école primaire (2002), BO de
l’Éducation nationale, hors-série, n° 1 Programmes prévisionnels de l’école maternelle, BO de
l’Éducation nationale, n° 24 (2008).
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mentionner cette dernière qualité car travailler auprès de tout petits enfants est
très fatigant. Françoise Dolto rejoint également cette position : « J’ai tendance à
penser qu’à l’instar des pédiatres qui se spécialisent quelques années de plus que
les généralistes, les enseignants de maternelle devraient être davantage formés
que leurs collègues » 8.
« Personne ne prétend que la tâche est facile. Elle requiert détermination et inventivité.
Échanges, solidarité et travail en équipe. Elle exige du courage. Et la force de nager à
contre-courant. Il ne faut pas avoir peur de la marginalité. Car, plus que jamais et selon
la belle formule de Jean-Luc Godard « C’est la marge qui tient la page ».
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Avant-propos
1. Par rapport aux premières éditions, les rééditions successives ont été remaniées et augmentées.
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Bien qu’un certain nombre de chercheurs aient mêlé leurs voix, sur la base de
travaux sérieux et convaincants, dans le domaine du langage ou dans d’autres –
par exemple concernant les mathématiques (S. Baruk, ERMEL, travaux de l’INRP,
voir bibliographie), l’individualisation des apprentissages n’est encore évoquée le
plus souvent que du bout des lèvres et semble, pour beaucoup, n’être réservée
qu’aux apprenants « en difficulté », alors qu’elle concerne en réalité tout un cha-
cun. C’est là un problème de fond.
Notre époque voit croître – sur le plan national et international – les préoc-
cupations suscitées par l’étendue des inégalités devant le savoir et l’insertion
dans la société. Il paraît donc important de revenir sur certains aspects fonda-
mentaux de l’apprendre. En particulier, il convient d’évoquer les perspectives
ouvertes par les travaux en linguistique de l’acquisition portant sur l’apprentis-
sage du langage oral et écrit, pour une meilleure compréhension des processus en
jeu et ce, chez tous les apprenants, quels que soient leurs origines, leur histoire
personnelle ou leur âge.
Avis au lecteur
Afin de ne pas gêner la lecture, peu d’auteurs ou d’ouvrages seront cités au fil des
pages. Le lecteur trouvera une bibliographie en fin de volume. Un classement som-
maire par thèmes et quelques commentaires lui apporteront une information sur
certains des écrits les plus marquants et les plus facilement accessibles dans le
domaine ou dans des disciplines voisines. N’ont été retenus, volontairement, que
des ouvrages et articles en langue française.
Pour compléter certains passages du présent ouvrage, le lecteur trouvera, en fin de
volume, des textes parus antérieurement et devenus introuvables.
La présentation des exemples de langage parlé transcrit pourra étonner. Le lecteur
voudra bien se reporter aux conventions pour la transcription d’enregistrement
adaptées aux nécessités de la recherche et figurant en annexes.
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Introduction
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Introduction
Il n’est pas possible de développer dans ces pages cet aspect essentiel du
domaine abordé ici. Mais il est souhaitable que le lecteur puise le complément
indispensable dans les ouvrages des spécialistes. Un petit nombre de références
dans la bibliographie en fin de volume guidera un premier choix. On trouvera tou-
tefois ci-après quelques citations de « spécialistes » du cerveau, dont les propos
peuvent utilement alimenter notre réflexion sur l’apprendre. Il peut en effet paraî-
tre frustrant de constater que la nature exacte de l’activité cognitive reste encore
aussi mystérieuse. Il est cependant important d’accepter de ne pouvoir (provisoi-
rement ?) tout expliquer, tout comprendre du fonctionnement mental.
« Je prononce le mot “cerveau”. Cette action est l’aboutissement audible d’un processus
complexe qui inclut l’image mentale que j’ai de l’objet cerveau, la recherche du mot cor-
respondant dans mon lexique, l’utilisation de règles phonologiques et la mise en jeu des
muscles de mon tractus vocal pour produire les phonèmes qui le constituent. Enlevons
par l’imagination tous les mécanismes nerveux qui ont permis le déroulement de ces
opérations et qui font que le mot a finalement été prononcé. Que reste-t-il ? En d’autres
termes, qu’est-ce qu’une activité cognitive sans le cerveau qui, en définitive, la
fabrique ? Ces questions montrent bien l’intimité des relations qui unissent activité
cérébrale et cognition. Paradoxalement, pourtant, la connaissance que nous avons du
fonctionnement nerveux après un bon siècle de recherches ne nous éclaire encore que
très peu sur la nature de ces relations. »
M. Jeannerod, Le courrier du CNRS, 1992.
1. Tout ce qui est souligné dans les citations l’est par moi, L.L.
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précis mais l’on sait que, même en s’en tenant au cas des neurones, il est impossible de
parvenir jamais à une description précise des interconnexions qui s’établissent lors des
actes de la vie courante. Ne serait-ce qu’en raison de l’extrême importance de la varia-
bilité individuelle dans ce domaine. »
M. Sicard, Le cerveau dans tous ses états, 1991, p. 12-13, introduction.
« Je crois que l’on ignore plus de choses que l’on en sait à propos [du cerveau]. Deux
questions me semblent très importantes. La première, fondamentale, concerne la
mémoire, car on ne sait pas du tout comment le cerveau parvient à stocker l’informa-
tion de façon aussi longue. Les modèles actuels ne permettent d’expliquer le maintien
de circuits privilégiés que pendant des périodes qui vont de quelques minutes à plusieurs
jours. Pour comprendre comment des souvenirs résistent plusieurs années, il faudra
probablement trouver d’autres mécanismes. »
Dans M. Sicard, 1991, p. 168.
« Il s’agit là d’une question très vaste. Tout dépend du niveau auquel on se place.
Lorsqu’il s’agit d’apprentissage, on peut aller jusqu’à s’intéresser aux mécanismes
cellulaires, ou même subcellulaires, impliqués dans l’apprentissage. Dans tout appren-
tissage, il faut qu’il y ait au niveau des cellules, au niveau des synapses, des modifi-
cations durables, qui s’expriment par exemple dans la force qui relie les éléments d’un
circuit. Cette démarche, qui consiste à descendre de plus en plus bas dans l’analyse, est
dite, souvent de façon péjorative, réductionniste ; elle caractérise en fait toute démarche
scientifique positive.
Mais c’est vrai que l’on peut également s’intéresser à l’apprentissage à un autre niveau,
beaucoup plus élevé : comment apprend-on à écrire, comment apprend-on à trouver son
chemin dans une ville nouvelle, etc. Le danger serait de penser que, parce que l’on a à
sa disposition quelques mécanismes cellulaires bien décrits et bien clairs, on va pouvoir
les appliquer immédiatement à des apprentissages complexes, du type “apprendre à
jouer du piano, apprendre à réciter un poème”. Voilà le réductionnisme dans sa forme
caricaturale.
C’est la forme de réductionnisme qu’on ne saurait admettre, qui consiste à dire : “On
va expliquer quelque chose de complexe en se contentant de décrire des éléments plus
simples”. L’explication n’est pas transitive. Ce n’est pas parce que vous connaîtriez
tous les atomes (ou des quarks, ou des neurones, ou des transmetteurs, etc.) que vous
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Introduction
comprendriez pour autant ce qui se passe dans votre cerveau lorsque vous identifiez
un visage familier. Ce n’est pas parce que vous savez que l’eau est composée d’oxygène
et d’hydrogène, que vous pouvez comprendre pourquoi elle désaltère, pourquoi elle
glisse sur une surface lisse… Il y a des propriétés de l’ensemble qui ne sont pas la som-
me des propriétés des éléments constitutifs. Ceci est bien banal.
Je pense qu’à chaque niveau d’organisation, il doit y avoir une relative autonomie dans
les moyens d’investigation et dans les outils conceptuels, ainsi que dans le type d’expli-
cation qui est donné. Dès lors, je pense que le fait de connaître l’ensemble du système
nerveux et même de connaître le comportement de chacun des neurones particuliers
dans notre cerveau ne sera pas suffisant pour comprendre les comportements.
Même s’il était possible de connaître l’ensemble des mécanismes nerveux, ce qui n’est
sûrement pas possible, cela ne suffirait pas pour comprendre pourquoi ce soir j’ai envie
d’aller au cinéma. »
(ibid., p. 188-189).
Question : « Quels sont, selon vous, les grands domaines d’ignorance concer-
nant le fonctionnement du cerveau ? Quelles sont les questions actuelles qui vous
semblent les plus importantes ? »
Réponse d’Alain Prochiantz (directeur Unité de recherche associée CNRS-ENS
sur le développement et l’évolution du système nerveux à l’École normale supé-
rieure) :
« Donner à l’inconscient une spécificité au sens où l’entend Freud, l’envisager comme une
espèce d’appareil psychique qui fonctionnerait sous l’instance consciente me paraît trop
simplificateur. Je crois qu’il faut laisser à l’inconscient tout ce qui n’est pas conscience,
c’est-à-dire le travail du cerveau quand il n’y a pas la conscience. La conscience repré-
sente finalement très peu de chose par rapport à toutes les activités du cerveau.
En général, lorsque je choisis, je ne me dis pas que je vais faire tel ou tel choix qui aura
telle ou telle conséquence. La plupart du temps, mon choix est déjà fait, bien avant que
la conscience intervienne. Mais dès que je le formule, que j’en ai une représentation,
j’en fais un phénomène de conscience. La conscience de la représentation se surajoute
donc à l’acte de choisir. » (Ibid., p. 214).
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La fonction langage est une fonction mentale. Y a-t-il langage sans pensée ?
Y a-t-il pensée sans langage ? Interrogation des hommes depuis la nuit des temps,
interrogation sans réponse… Le point de vue adopté ici est que pensée (au sens le
plus large, englobant toute activité mentale et affective) et langage verbal (oral ou
écrit) sont indissociables.
Élément essentiel du patrimoine génétique humain, la fonction langage n’est
pourtant, du point de vue biologique, qu’une virtualité. La possibilité de penser-
parler ne peut être acquise que grâce à l’expérience procurée à l’individu par sa vie
dans une société humaine, pensante et parlante, quelle qu’elle soit. Innée la fonc-
tion, acquise la capacité. C’est pourquoi Henri Wallon a pu qualifier cette fonction
de « biologico-sociale ».
Remarque importante : cette fonction mentale propre à tous les humains peut
se réaliser dans des parlers innombrables, dont chacun est utilisé par un groupe de
personnes plus ou moins étendu. Ce qu’on nomme (souvent abusivement) langue
maternelle peut être n’importe lequel de ces parlers, à condition qu’il soit utilisé
par les personnes plus âgées que lui qui parlent au bébé depuis sa naissance. Ce
parler n’est donc pas obligatoirement une « grande langue ». Il peut s’agir aussi
bien d’un patois, d’un dialecte, d’un créole, d’une variante argotique, d’un sabir
(langage constitué d’emprunts), etc.
Le système cognitivo-langagier se met en fonctionnement en même temps que
l’enfant découvre le monde et qu’il se découvre lui-même, grâce à la médiation
verbalisée de ses adultes. L’enfant apprend à parler en apprenant à observer, à rai-
sonner, à réfléchir, à argumenter, à expliciter ce qu’il vit, ce qu’il expérimente, ce
qu’il ressent, ce qu’il pense. Il apprend à verbaliser la signification.
Il importe de souligner ici que cet apprendre – qui est fondamental pour tout le
devenir de l’individu, on le sait – se réalise sans que l’apprenant en prenne cons-
cience, sans qu’il y ait à proprement parler de « leçons » de pensée ou de langage.
Lorsqu’on apprend une langue étrangère au contraire, il arrive qu’il y ait réflexion
consciente sur la verbalisation, l’apprenant recourant parfois à une traduction de sa
langue maternelle ou à des comparaisons entre les deux langues. Tel n’est pas le cas
pour le premier apprentissage du langage et là réside l’une des difficultés majeures
de notre analyse du processus apprendre, des modalités de l’action de l’appreneur
et des caractéristiques de l’interaction langagière entre les deux interlocuteurs.
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Le français parlé
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Cet énoncé contient trois « entorses » aux règles de l’écrit, phénomènes cou-
rants dans le parlé de tout francophone :
1. Reprise du sujet « mes frères » par le pronom de troisième personne du plu-
riel.
2. Prononciation de i pour ils.
3. Négation exprimée par pas et non par ne pas.
Un exemple entre mille, pris au vol dans les propos d’une institutrice d’école
maternelle adressés à l’ensemble des enfants de sa classe :
Simon, i(l) veut peindre mais, vous savez, les mamans elles vont bientôt arriver, on va
pas commencer à peindre maintenant.
Maintenant les filles marchent deux par deux et les garçons ne marchent pas deux par
deux, ils marchent un par un.
Comment parlons-nous ?
Qui que nous soyons, quelle que soit notre formation, avons-nous conscience
des caractéristiques du français que nous parlons ?
La réponse est sans risque d’erreur : non, mis à part quelques linguistes et
quelques personnes qui ont été amenées à s’entendre parler, grâce à des conver-
sations familières enregistrées au magnétophone, réécoutées et analysées.
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Le français parlé
Certes, nous ne croyons pas « parler comme des livres » toujours et en toutes cir-
constances mais nous ne sommes pas conscients de nous exprimer fréquemment
dans des formulations qualifiées par les spécialistes qui les analysent d’agrammati-
cales, de désyntaxisées, disloquées, ou simplement présentant des configurations
propres à l’oral et que nous n’utiliserions en aucun cas à l’écrit.
Il y a, en général, une différence notable entre la représentation que se fait un
francophone de la langue qu’il parle et la langue qu’il parle réellement (on excep-
tera nombre d’Africains francophones qui, eux, parlent constamment une langue
normée).
On pourrait citer d’innombrables exemples pris sur le vif. Je n’en choisirai que
quelques-uns, laissant au lecteur le soin d’en collecter d’autres ou d’en glaner
dans les ouvrages spécialisés, notamment dans ceux qui figurent en bibliographie.
Toute honte bue, je commencerai par me citer moi-même. Avant de commencer
les enregistrements destinés à mes recherches, voulant expérimenter mon pre-
mier magnétophone, je le mis en route au cours d’un repas familial. L’écoute qui
suivit fut cruelle ! Je m’entendis dire :
Sans commentaire !
Exemples relevés au cours d’émissions de radio ou de télévision :
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L’étude du français parlé prend en compte, plutôt que des règles, l’usage que
font de leur langue les francophones.
Le français est une langue vivante, c’est dire que ceux qui le parlent et l’écri-
vent lui donnent vie, donc le font changer. Sans traiter ici la considérable problé-
matique de ce changement (dont on ne sait que rarement l’origine : les acteurs en
sont-ils les enfants, les jeunes, les médias… ?), donnons quelques exemples de
l’évolution syntaxique ou lexicale de notre français.
• La négation, à l’oral, s’exprime de plus en plus souvent par le seul élément
pas, et ce quel que soit le degré de culture du locuteur, de l’illettré à l’académicien
(mais oui ! vous pouvez vérifier vous-même, en ouvrant vos oreilles).
À noter que l’histoire de la langue nous montre qu’il n’y a pas si longtemps
l’expression de la négation en français écrit ne comportait que l’élément ne.
• La forme interrogative est de plus en plus fréquemment exprimée par la seule
intonation, sans inversion du verbe et du sujet. Exemples : Tu viens ? Vous voulez
manger ? etc. Le complément se transforme également : que veulent-ils ? devient ils
veulent quoi ? etc.
• Il y a une raréfaction de l’utilisation orale du passé simple, à l’exception de
certaines régions ou de certains récits.
• On constate une quasi-disparition de l’emploi oral (et même, pour beaucoup,
à l’écrit) de l’imparfait du subjonctif.
• Il faudrait aussi évoquer les mots nouveaux, issus de l’évolution du monde et
notamment de la technologie ou du sport. Si nos ancêtres revenaient, comment
comprendraient-ils les mots chaîne, cassette, fusée, les verbes assurer, se planter,
gonfler, jeter, sucrer, galérer ou les innombrables troncations du type « p’tit déj »,
« 5 heures du mat », « appart », « intro », « instit », « info », « compile », « perso »…
• Raréfaction également de l’emploi des relatifs dont et lequel, ce dernier par-
ticulièrement malmené par tout un chacun et très souvent mal accordé. Exemples :
L’histoire auquel se réfère l’auteur (un écrivain au cours d’un entretien radiophonique)
La femme duquel il s’était séparé (journaliste, informations radiophoniques)
Une langue dans lequel les plus grands chants ont été composés (un ministre de
l’Éducation nationale, au cours d’un entretien télévisé).
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Le français parlé
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2
Comment étudier l’apprendre
à penser – parler ?
1. Cf. J.M.O. Delefosse, Sur le langage de l’enfant. Choix de textes, L’Harmattan, 2009.
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Exemple :
L. (2 ans 8 mois) dit :
moi j’ai une copine qui joue aux billes
Cet emploi du qui relatif apparaît isolé dans un corpus assez abondant de la même
époque ; de nombreux énoncés tels que :
moi j’ai vu un chien il avait pas d(e) queue
montrent que l’usage du qui relatif ne fait pas encore partie de façon stable du sys-
tème de production langagière de L.
La conséquence commune à ces deux remarques est que l’analyse interne des
corpus doit être complétée par un appel à de nouveaux échanges langagiers chaque
fois qu’apparaît un point litigieux relativement au système langagier du sujet.
La récolte
Il fallait donc entreprendre une récolte, la plus abondante possible, de langage
de jeunes enfants. À l’époque, l’usage du magnétophone commençait seulement
à se répandre et mon équipement était des plus rudimentaires. Mais il ne pouvait
être question de se passer de ce moyen extraordinaire de disposer de documents
plus fiables que des notes et exploitables à l’infini.
Les enregistrements ont été et sont toujours accompagnés de notes écrites,
compléments indispensables portant sur leur contexte : situation, événements
non perceptibles dans l’enregistrement, toutes informations sur le sujet enregis-
tré, ses relations avec son interlocuteur, les paramètres affectifs et émotionnels…
La pré-recherche porta sur une soixantaine d’enfants « tout-venants » entre 3
et 6 ans, enregistrés dans une école maternelle de la région parisienne. Les ensei-
gnantes, directrice en tête, le personnel de service, le personnel spécialisé,
accueillirent le projet avec générosité, en dépit des inévitables perturbations
causées par un travail qui faisait irruption dans la vie quotidienne de l’école. Leur
aide ne s’est jamais démentie et je leur en garde une profonde gratitude.
Les échanges au jour le jour avec des praticiens de terrain, qui accompagnent
le chercheur et participent à sa réflexion, sont l’une des essentielles garanties de
la qualité d’un tel travail de recherche 2.
Que chercher ?
Le corpus récolté était considérable : la soixantaine d’enfants avaient été enre-
gistrés au cours de dialogues avec des adultes pendant toute une année scolaire,
pour certains plusieurs fois, au cours de séances de quinze à trente minutes.
2. On lira avec profit sur ce sujet : E. Canut, Apprentissage du langage oral et accès à l’écrit.
Travailler avec un chercheur dans l’école, 2006, SCEREN CRDP d’Amiens.
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(1) Se comprend facilement, puisque l’enfant entend souvent ses interlocuteurs lui dire
« tu es tombé » (ou même « t (u) es tombé ») et que, de plus, beaucoup de passés
composés se conjuguent avec l’auxiliaire avoir (ex. j’ai sauté).
3. Voir à ce sujet, en fin de volume : L. Lentin, Problématique de l’acquisition du lexique par l’en-
fant tout-venant depuis la naissance.
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(2) L’imparfait du verbe être est ici formé à partir du modèle des verbes du premier
groupe (ils sautent/ils sautaient ; ils sont/ils sontaient).
(3) Aller, verbe irrégulier, est conjugué comme un verbe régulier (je parle, tu parles ; je
va, tu vas).
(4) Les enfants emploient souvent il pour elle. On remarquera qu’au pluriel, en fran-
çais, le masculin l’emporte toujours, que ce soit pour les pronoms ou pour les adjec-
tifs ; l’imparfait du verbe venir semble ici formé à partir du présent vient.
(5) Il n’y a pas d’accord du verbe avec le sujet pluriel. Songeons que, à l’oreille, on
n’entend pas de différence entre il mange et ils mangent, d’où la fausse hypothèse de
l’enfant.
Les incorrections de ce type sont souvent décrites comme des « fautes intelli-
gentes » de l’apprenant. Notons qu’il est généralement tout à fait illusoire de vou-
loir les corriger. Elles disparaissent peu à peu, à mesure que l’apprenant acquiert
l’intuition de la langue, à travers une expérience verbale riche et diversifiée en
réception et en production. Cette évolution se réalise inconsciemment dans le
fonctionnement langagier de l’apprenant, qui ne pourra raisonner que bien plus
tard sur les marques grammaticales.
Linguiste et aussi ancienne enseignante formée aux conceptions « classiques »
de l’enseignement du français, j’ai poursuivi méthodiquement l’examen de l’emploi
par les enfants des différents éléments du discours : prépositions, conjonctions de
coordination et de subordination, pronoms, adverbes, adjectifs, substantifs, verbes
(les temps, les modes, les formes aspectuelles, les voix active et passive), puis la
négation, l’interrogation, etc. Ce n’est que lorsque j’en suis arrivée à comparer
la configuration syntaxique des énoncés que j’ai été frappée par les différences
entre les enfants.
Les uns (les « bons » parleurs) utilisaient un système syntaxique au fonction-
nement varié et complexe : énoncés souvent longs, articulés en deux ou plusieurs
séquences, impliquant des subordinations juxtaposées ou enchâssées. Toutes
formulations qui soutiennent à la fois le raisonnement, l’argumentation, l’explici-
tation de la pensée.
Les autres (les « mauvais » parleurs) présentaient un système syntaxique au
fonctionnement infiniment moins varié : énoncés souvent brefs, rarement articulés
en deux ou plusieurs séquences. Peu de subordination, pratiquement aucun
enchâssement. Conséquence : les formulations pouvaient le plus souvent être
qualifiées d’implicites par rapport à la pensée à verbaliser.
Voici, à titre d’exemple, une comparaison des verbalisations de deux enfants
(N. et R.) de 4 ans 2 mois, pris individuellement dans une même situation :
l’observation d’une diapositive dans une visionneuse (l’image n’est donc pas
visible par l’adulte (A.) qui en demande la description)
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La « complexité maxima »
Il est ensuite apparu intéressant de rechercher, pour chaque apprenant étudié,
l’énoncé (ou les énoncés) présentant une complexité maxima, c’est-à-dire compor-
tant le maximum de complexité syntaxique selon les critères adoptés.
Ce paramètre permet de comparer les apprenants entre eux et surtout chaque
apprenant à lui-même, dans une observation diachronique. On aperçoit déjà l’inté-
rêt du suivi de cette évolution pour accompagner activement les progrès de l’enfant.
Quelques complexités maxima du corpus recueilli
Les exemples qui suivent donnent un aperçu des disparités pouvant exister
entre enfants du même âge.
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Il est clair que les exemples (5) à (8) révèlent le fonctionnement d’un système
syntaxique permettant au locuteur une verbalisation explicite. À l’opposé, les
exemples (1) à (4) sont l’illustration d’un système syntaxique qui restreint le locu-
teur non seulement à une verbalisation brève mais surtout à un caractère implici-
te qui ne permet guère qu’une transmission d’information réduite.
Toutefois, du point de vue cognitif, il n’y a pas à émettre de jugement de valeur
qui désignerait les enfants J.-P., M., L., A.-M. comme sujets « moins intelligents »
que N., K., B., M. Qui pourrait en effet prouver, par exemple, que l’énoncé (4) tra-
duit un raisonnement moins élaboré que l’énoncé (5) ?
En revanche, il est certain que si les quatre premiers apprenants ne parvien-
nent pas à disposer des moyens langagiers qu’attestent les énoncés des quatre
derniers, ils rencontreront de plus en plus de difficultés, non seulement dans leurs
verbalisations, mais aussi pour leurs apprentissages, notamment du lire-écrire.
Voyons maintenant l’évolution des complexités maxima de deux apprenants
suivis de 3 ans 8 mois à 4 ans 11 mois : N. et L 4.
• 3 ans 8 mois
N. – on dort quand i(ls) mangent Papa et Maman
– c’est Papa qui préfère
L. – y a des voitures c’est pour jouer
• 4 ans 1 mois
N. – non i(l) peut pas dormir pa(r)ce que il entend le petit chat
– c’est le petit ours qui dit que c’est lui qui a cassé le pot de miel
L. – il entend Riquiqui qui pleure
– on dirait qu(e) c’est un ballon là
• 4 ans 2 mois
N. – maintenant faut que je mette le tracteur à côté d(e) moi sinon j(e) peux pas l(e)
voir/j(e) peux met(tre) les pieds par terre quand j’ai une grande chaise
L. – ben quand tu tombes on te donne des micaments (= médicaments)
• 4 ans 5 mois
N. – y a Zouzou qui parle e(lle) dit que le ballon est tombé dans le puits– il a mangé les
petits enfants pa(r)ce que il croyait que y avait une maison/le petit Poucet était monté
dans l’arbre il avait vu que y avait une petite lumière et puis i(l) croyait et puis i(l) croyait
que c’était la maison de papa et maman et puis c’était la maison de l’ogre et puis la
femme de l’ogre elle a dit la dame/mets vite tes bottes de cuir et p(u)is courez vite dans
la maison et cachez-vous et p(u)is dépêchez-vous
L. – là y a un ballon qu(i) est tout au fond de l’eau
– comment va faire pour ressortir ?
4. Cet exemple est extrait de Lentin L. « Recherche sur l’acquisition des structures syntaxiques
chez l’enfant entre 3 et 7 ans », in Études de Linguistique Appliquée, n° 4 (Larousse), p. 44-45.
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• 4 ans 11 mois
N. – elle dit que si on fait toujours des nœuds peut pas les défaire/c’est pour ça alors
elle veut plus qu’on les mette les habits/mais les habits d(e) cow-boys on peut les
mettre pa(r)ce que ç(a) a pas de capes
– c’est quelqu’un qui était plus grand qu(e) lui qui avait dix ans qui lui a donné un coup
de pied ici et p(u)is qui lui a fait une cicatrice et après la maman téléphone au docteur
pa (r) ce que i (l) faut bien qu’il aille à l’école pa(r)ce que si i(l) va pas à l’école i(l) peut
pas jouer avec ses petits amis
– on dit qu(e) c’est une pièce pa(r)ce que si c’est rond et p(u)is y a pas d(e) trou on dit
qu(e) c’est une pièce et p(u)is on donne
L. – la deuxième c’est celle qui grimpe
– i(l) demande très vite de l(e) soigner
Pendant cette période de 3 ans 8 mois à 4 ans 11 mois, les deux enfants N. et
L. n’ont bénéficié de notre part d’aucun entraînement au langage particulier. Leurs
productions langagières montrent qu’ils ne progressent pas de la même façon
dans leur maîtrise du système syntaxique de la langue. N. dispose peu à peu d’un
grand nombre d’introducteurs de complexité, il les utilise aisément, il les juxtapo-
se, il les emboîte (voir à ce sujet, en annexe, la partie méthodologique) suivant ses
besoins et il parvient à des énonciations étendues et explicites. L. ne produit que
des énoncés courts, peu explicites, dont les phrases sont souvent incomplètes et
n’utilisent que peu d’introducteurs de complexité.
Nous avons pu rencontrer les parents des deux enfants. Une conversation avec
chacun des deux couples a renforcé l’impression, déjà ressentie au cours de brefs
échanges antérieurs, d’habitudes langagières différentes, d’un statut du langage
différent dans chacune des deux familles.
Savoir parler
Il n’est sans doute pas possible de proposer une définition globale de ce qu’est
savoir parler. Il est néanmoins nécessaire de fixer un objectif au premier apprentis-
sage du langage si l’on veut à la fois analyser les processus d’acquisition et propo-
ser des modalités d’aide du formateur à l’apprenant. Les données recueillies ayant
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Définition
5. Cette définition figure déjà dans L. Lentin, Apprendre à parler à l’enfant de moins de six ans,
Paris, ESF éditeur, 1972.
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3
Appprendre à penser – parler
Un exemple
Richard, à 16 mois, désigne l’armoire de sa chambre par le « mot » [li] que les adultes
qui l’entourent interprètent comme le mot français lit et s’étonnent de la confusion que
fait l’enfant entre lit et armoire.
Au fil des mois, la transcription de nombreux enregistrements des dialogues de l’en-
fant avec les adultes révèle que [li] est pour Richard la prononciation de livre. En effet,
l’armoire abrite, entre autres, les livres de Richard, qui sont l’une de ses passions.
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Il est fort probable que, sans l’étude suivie des dialogues de l’enfant avec son
entourage, il n’aurait pas été possible de comprendre la correspondance entre un
objet et un élément langagier (entre signifié et signifiant) que Richard avait établi,
« faussement » à nos yeux.
La contradiction est de taille : le seul parler que l’homme se révèle incapable
d’apprendre est celui de sa propre progéniture ! Ce qui tendrait à prouver qu’un
parler en cours d’apprentissage présente des caractéristiques propres à chaque
individu, et non reproductibles.
Les premières productions langagières du bébé sont, entre toutes, les plus
difficiles, non seulement à comprendre mais même à reconnaître. Le langage en
cours d’acquisition varie d’un individu à l’autre, et chez le même individu d’un
moment à l’autre ; et le jeune locuteur serait bien en peine de se transformer en
informateur pour un chercheur : inutile d’essayer de demander au bébé ce qu’il
veut dire en nous adressant des productions verbales telles que bababa, a-eu,
titi, mamao, agre, ou autres combinaisons.
Nos recherches visent à progresser dans la saisie de la toute première mise en
route de ce qu’on peut supposer être des systèmes successifs, même s’ils sont
rudimentaires et fugitifs. Alors que le nourrisson nous semble produire « lalla-
tions », « gazouillis », « babillages », l’hypothèse est que certains éléments de ces
émissions phoniques sont déjà des signes porteurs de sens, et non uniquement
des signaux, des associations conditionnées (cf. B.F. Skinner comme représentant
du behaviorisme), des activités sensori-motrices (cf. J. Piaget et les innombrables
auteurs qui l’ont suivi ou le suivent dans cette conception).
Quelles sont les traces que laisse une mise en relation établie par le bébé ? Ces
traces sont-elles le point de départ du système qu’il va construire pour apprendre
à penser-parler ou s’agit-il d’éléments isolés ? Cette capacité de mise en relation
est-elle de même nature que celle qui permet à l’enfant les mises en relation que
lui proposent les adultes ? Cette capacité a-t-elle quelque lien avec les universaux
(cf. ceux que cherche par exemple N. Chomsky, et bien d’autres à sa suite) ?
Quelques exemples
C., aux environs de 4 mois, dit gu gu gu (avec un [g] guttural) dès que quelque chose
lui déplaît. Tout au moins est-ce vers cette époque que sa mère a pu déceler cette mise
en relation, qui peut-être s’était produite antérieurement. Il n’a pas été possible
d’identifier cette émission à un élément pris dans le parler adulte.
F., 5 mois, salue d’un awa enthousiaste et bien scandé tout plaisir (arrivée d’une per-
sonne connue, offre d’un biscuit ou d’un jouet, câlineries, chants, etc.). Première inter-
prétation « glottocentrique » de l’entourage : pourquoi diable dit-il au revoir dans ces
situations ?
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Le « premier mot »
À quel âge votre enfant a-t-il dit son premier mot ? Cette question figure dans
la plupart des questionnaires que doivent remplir les jeunes parents dans les ser-
vices sociaux ou médicaux, à côté des demandes concernant les dates de double-
ment du poids de naissance, de la première dent, de la marche, des premières
maladies, etc.
Il va de soi que nul ne peut répondre à cette question. Le premier signifiant
véritable que se forge le bébé nous échappe sans doute toujours, comme nous
l’avons vu plus haut. Et s’il s’agit d’un mot « français », il faudrait alors que soit
demandé le premier signifiant qu’ont reconnu les adultes, encore que très souvent
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le désir est si intense d’entendre « Papa » et « Maman » que les parents négligent
toute autre reconnaissance antérieure d’élément signifiant dans le parler du bébé !
A-re a-re…
Un phénomène concernant le nourrisson est à noter comme l’un des seuls
constatés massivement chez les bébés français. Très tôt, parfois avant 2 mois, le
bébé français produit des « a-re a-re » bien articulés et sonores, qui sont aussitôt
encouragés et repris par l’entourage attendri.
Jusque-là, rien de bien étonnant. Mais ce qui suit est inattendu : vers 6, 7,
8 mois (parfois un peu plus tôt, parfois un peu plus tard), ce « a-re » disparaît chez
la presque totalité des bébés et la capacité d’articuler le son [r] ne reparaît quel-
quefois que vers 6 ou même 7 ans (dans certains cas aussi dès 2 ans et demi ou
3 ans). Je n’ai jamais rencontré d’explication probante ni d’ordre articulatoire ni
d’aucune sorte sur ce donné phonique, que ce soit à propos des bébés français ou
à propos de bébés d’une autre ethnie.
Je voudrais revenir, en quelques mots, sur l’assertion souvent avancée qu’au
cours de ses premiers mois, le bébé prononcerait n’importe quel son, ou même les
sons de toutes les langues. Ceci est très exagéré et ne saurait évidemment être
vérifié. Il est certes indéniable que le nourrisson est apte à produire avec son
appareil phonatoire toutes sortes de sons et de « clics », en s’aidant de sa langue,
de ses lèvres, de sa salive… que nous autres adultes sommes bien en peine de
reproduire (et parfois de noter en transcription). Mais de là à affirmer qu’il produit
effectivement tous les sons…
D’ailleurs, si on tente d’établir un relevé de ces productions, on s’aperçoit
qu’elles varient d’un bébé à l’autre, même s’il y a de toute évidence des caracté-
ristiques communes. Ajoutons que le bébé abandonne progressivement une
grande partie de ces éléments phoniques, à mesure qu’il sélectionne les sons du
parler de ceux qui l’entourent et les utilise couramment.
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Apprendre à parler,
ce n’est pas apprendre des mots
Si vous apprenez par cœur le dictionnaire d’une langue étrangère, vous ne sau-
rez pas pour autant parler cette langue. L’énonciation verbale ne se limite pas à la
juxtaposition de mots, elle nécessite une organisation des éléments signifiants au
moyen de règles de production qui respectent des catégories grammaticales et un
fonctionnement sémantico-syntaxique.
Nous savons maintenant que, pour apprendre à parler, l’enfant est actif. Il se
livre à un travail ardu, dont la mémorisation des éléments lexicaux n’est que l’un
des paramètres.
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Le parler de l’adulte
Aussitôt s’ouvre un autre champ d’investigation : quel est ce parler adressé par
l’adulte à l’enfant ? Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux ont été
entrepris dans ce domaine. Certains soulignent des traits communs relevés dans
différentes langues, sans être vraiment convaincants, les enquêtes étant réduites.
Certains autres constatent un peu rapidement que le parler adressé à l’enfant par
l’adulte est « plus simple » que le parler couramment adressé à un interlocuteur
adulte. La notion de « simple » reste floue. Et des travaux comme ceux d’E. Ferreiro
sur simple, opposé à complexe chez le jeune enfant, montrent qu’on ne peut pas
se livrer à la légère à de tels classements et que ce que nous supposons être sim-
ple pour un enfant est parfois ressenti par lui comme compliqué, ou vice versa.
Un point commun indiscutable pourtant : tout adulte familier d’un enfant adapte
à son jeune interlocuteur son débit, son articulation, son intonation, son lexique,
sa syntaxe, bien entendu avec plus ou moins de bonheur suivant les individus.
Un exemple : sur des centaines de milliers d’énoncés enregistrés au cours de
dialogues entre adultes et enfants de 0 à 6 ans, depuis plus de vingt-cinq ans,
nous n’avons trouvé que chez un seul adulte des occurrences du relatif dont, alors
qu’il est présent dans les dialogues des mêmes adultes avec des enfants plus âgés
ou avec d’autres adultes.
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Les répétitions
En étudiant de nombreux échanges verbaux familiers et quotidiens entre des
adultes et des enfants, la pratique de la répétition m’est apparue comme l’un des
facteurs décisifs de l’apprendre à parler du jeune enfant.
Il n’est peut-être pas superflu de souligner que cette conception de l’interac-
tion qui s’instaure entre l’adulte et l’enfant exclut la notion de la « répétition écho-
lalique », dont on a usé et abusé.
Certes, l’enfant « répète » beaucoup, parfois inlassablement jusqu’à faire sor-
tir l’adulte de ses gonds. En écoutant converser jeunes enfants (et même jeunes
bébés) et adultes, on est frappé des innombrables séquences répétitives, dans le
parler de l’un et de l’autre. Mais des études un peu fines des répétitions montrent
que « l’écho », la répétition en quelque sorte passive, est rarissime. Il y a beau-
coup de façons pour l’enfant de répéter, ou plutôt de reprendre ce qu’il dit
lui-même ou ce que lui dit l’adulte. Loin d’être mécanique, cette activité est volon-
taire, personnelle, autonome, en quelque sorte « intelligente », et participe de
l’apprendre. Il est parfois étonnant de voir l’enfant exploiter la reprise de séquen-
ces parlées plus ou moins étendues pour s’approprier, opposer, interroger, rejeter,
progresser dans l’articulation, l’intonation, la morphologie, l’agencement des élé-
ments verbaux, la compréhension. Citons quelques exemples de ces reprises d’ap-
prentissage :
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• A. – Il y a de l’eau.
E… – de l’eau de l’eau de l’eau (il y) a de l’eau
Certaines reprises peuvent aussi servir au jeune enfant à pallier ses lacunes.
Ci-dessous un exemple où la répétition remplace chez un enfant l’utilisation des
marques du pluriel.
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Les schèmes sémantico-syntaxiques créateurs ne sont pas des modèles, mais des
stimulations mentales de mise en relation d’éléments verbalisables. Ce fonctionne-
ment mental permet à l’enfant, dans d’autres circonstances, de s’approprier pour
son propre système langagier un fonctionnement dont on lui a donné l’expérience.
Il n’y a pas ici répétition, mais utilisation d’une formulation de la causalité dans
un autre contexte que celui où l’adulte l’avait employé.
L’interaction cognitivo-langagière
entre l’adulte et l’enfant
Les observables de cette interaction entre les adultes et les enfants ne sont que
rarement saisissables de façon univoque (comme ils le sont dans les exemples (1)
et (2) des enfants S. et V. cités plus haut).
C’est en « différé » que l’enfant utilise le plus souvent les schèmes proposés
par l’adulte, interdisant au chercheur de décider à coup sûr des modalités de
l’interaction pour chaque occurrence (c’est le cas dans l’exemple ci-dessus sur
l’emploi de parce que).
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– Le do(c)teu(r) (i)l a dit que faut pas qu’e(lle) manze ma sœu(r)) pa(r)ce que elle a mal
au vent(re)
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Y. (4 ans 9 mois) – peut-être qu’il a pleuvu cette nuit, i(l) pleuvra encore tout à l’heure
Réponse de l’adulte – Oui, tu as raison, peut-être qu’il a plu cette nuit et qu’il pleuvra
encore tout à l’heure.
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– veux ça
– bébé veut ça
– veut ça, Luc
– i(l) veut ça, Luc
– i(l) veut ça, moi (ou ma)
– c’est Luc veut ça
– moi, veux ça
– moi Luc veux ça
– moi je (ou ze) veux ça
– je veux ça
ou même :
– tu veux ça
Dans ce dernier exemple, tu remplace je, sans qu’il y ait le moindre trouble de
la personnalité ! En effet, il faut éviter de confondre apprentissage de la verbalisa-
tion et développement de l’ego, mis à part d’éventuels cas pathologiques de ce
développement de la personnalité. Un certain nombre de jeunes enfants, auxquels
on s’adresse nécessairement le plus souvent au moyen du pronom de deuxième
personne, adoptent le tu pour s’autodésigner pendant une période variable, entre
2 ans et 3 ans et demi ou 4 ans. Ce que H. Wallon (1949, p. 277) signalait ainsi :
« L’enfant ne sait pas convertir en “je” les “tu” qui lui sont adressés ».
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La compréhension
De nombreux travaux traitent de la compréhension, domaine particulièrement
ardu et complexe, dont l’essentiel demeure encore largement mystérieux.
A. Culioli écrit :
Sans aller aussi loin, force est de constater qu’il est toujours délicat d’affirmer
que l’un a compris l’autre.
Parmi d’innombrables définitions de la compréhension, du comprendre, nous
en choisirons deux.
1) Définition de V.N. Volochnikov :
« La compréhension d’une phrase exige, entre autres choses, la mise en relation des infor-
mations issues du lexique avec celles provenant de la syntaxe (ordre des mots, catégories
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« Comprendre un énoncé, ce n’est pas seulement saisir ce qu’il veut dire, c’est aussi iden-
tifier de quoi il parle. En d’autres termes, c’est tout à la fois en déterminer le sens et la
référence. » (in Buscila « L’interaction », 1989).
Or, si le locuteur s’efforce d’adapter son énoncé aux capacités langagières qu’il
peut attribuer avec une certaine précision à son jeune interlocuteur, il lui est en
revanche très difficile d’imaginer les références, les représentations dont dispose
l’apprenant pour interpréter ce dont on lui parle.
Pour illustrer ce phénomène, le lecteur voudra bien se reporter à mon article
reproduit à la fin de ce volume, intitulé L’intercompréhension dans le dialogue
adulte-enfant : une problématique.
En ce qui concerne la référence, évoquée plus haut, chacun de nous comprend
les propos d’un interlocuteur, ou encore le texte qu’il lit, à partir de ses connais-
sances, à partir de son expérience du monde – sans parler de ses caractéristiques
personnelles, de ses goûts, de son attention au moment où il reçoit le langage de
l’autre, etc.
Un exemple supplémentaire, particulièrement frappant, fera apparaître l’écart
considérable entre les références dont un adulte peut disposer pour parler et
celles dont dispose éventuellement, sur le même sujet, un petit enfant.
Un petit Coréen de 5 ans, adopté par une famille française, révèle des capacités assez
exceptionnelles pour apprendre le français. Une amie de la famille, en visite, lui dit :
« Tu as fait beaucoup de progrès depuis la dernière fois que je t’ai vu ! »
Réponse de l’enfant : « Dis, quand je saurai très bien parler français, je n’aurai plus les
yeux comme ça ? » (Il montre ses yeux bridés).
Cet enfant a établi des références qui lui sont propres. Il a repéré, chez les
Français qui l’entourent, deux caractéristiques qu’il convoite et qu’il a associées :
maîtriser la langue et avoir des yeux non bridés.
L’interprétation par les jeunes apprenants des propos de leurs interlocuteurs
adultes est beaucoup plus souvent qu’on ne le croit altérée par cet écart qui existe
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entre la vision du monde de l’un et celle des autres. Dans la majorité des cas,
l’incompréhension reste non dite. Le cas le plus fréquent, chez l’enfant, est qu’il ne
comprend pas qu’il ne comprend pas. Quant à l’adulte, il lui est très difficile d’ima-
giner les références et les représentations dont dispose l’enfant et donc de situer
l’éventuel malentendu.
Il faut admettre qu’il n’est pas nécessairement pertinent d’opposer compré-
hension à incompréhension : la capacité de comprendre et, corrélativement, de
distinguer compréhension et incompréhension, se construit progressivement chez
chacun au cours de son expérience.
L’intuition de la langue
Le fonctionnement mental qui permet à l’être humain de penser et de parler
est, nous l’avons vu, inconscient (certains auteurs parlent d’un « inconscient
cognitif »). Notre maniement de la langue n’est pas non plus une activité analysée
consciemment au moment où elle se produit. Si on peut évoquer l’intuition de la
langue – avant tout l’intuition de la langue maternelle – c’est que la pratique (en
production et en réception) en est directement disponible, sans intervention d’une
analyse ou d’un raisonnement.
Il va de soi que, lorsque nous parlons ou lorsque nous écoutons parler l’autre,
nous ne procédons pas à une analyse consciente telle que : « Dans cette phrase, il
y a un sujet féminin pluriel, puis un verbe accordé au sujet, suivi d’une préposition
et d’un complément comportant un nom masculin singulier et un adjectif accor-
dé… » Il serait alors impossible de parler ou de recevoir le parler de l’autre.
C’est dans l’accumulation d’expériences de la langue commune aux membres de
son milieu de vie, grâce à l’interaction langagière mentionnée précédemment, que
l’apprenant acquiert cette intuition. Citons ici la définition que propose de ce mot
l’Encyclopédie philosophique universelle. Les notions philosophiques (1990, Paris,
PUF) : « forme de savoir dans lequel l’objet connu est immédiatement présent à
l’esprit […], s’oppose aux connaissances discursives, déductives ou symboliques ».
Nous disons spontanément d’une énonciation : « c’est français » ou « ce n’est pas
français », dans une appréciation immédiate, découlant d’une opération mentale
instantanée, même si nous avons appris les règles de la grammaire traditionnelle.
Lorsque nous écrivons, au contraire, les connaissances acquises concernant la
langue écrite (morphosyntaxe, lexique, ponctuation, style…) nous permettent une
analyse des éléments qui composent une phrase, un énoncé, un texte. Nous pou-
vons alors procéder consciemment à des ajustements successifs qui modifient
notre écrit. On remarquera cependant que, même dans cette activité raisonnée,
l’intuition de la langue n’est pas absente, plus, elle guide souvent nos choix.
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Français oral, français écrit :
une même langue
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Exemples I
(1) Catherine sa mamie eh ben des pommes sa voisine elle est gentille un panier plein
elle lui a donné
(1’) Des pommes sa grand-mère à Catherine plein un panier e(lle) lui a donné sa voisi-
ne elle est chouette
(2) La voisine de la grand-mère de Catherine lui a donné un panier plein de pommes
(2’) La grand-mère de Catherine a une gentille voisine qui lui a apporté en cadeau un
plein panier de pommes
(3) La grand-mère de Catherine compte au sein de son voisinage une fort obligeante
personne dont elle a reçu présent d’un panier empli de pommes
Exemples II
(1) Jérôme son copain eh ben son cousin il est plus grand des petites voitures il est
sympa i(l) lui a prêté une boîte pleine
(1’) Une boîte pleine de petites voitures i(l) lui a prêté son grand cousin au copain de
Jérôme tu sais c’est gentil
(2) Le copain de Jérôme a un grand cousin très gentil qui lui a prêté des petites voitu-
res plein une boîte
(2’) Le copain de Jérôme a un grand cousin très gentil qui lui a prêté une boîte pleine
de petites voitures
(3) Le camarade de Jérôme a un cousin, plus âgé que lui, qui lui a prêté fort gentiment
une boîte pleine de petites voitures
Les énoncés 1 des exemples I et II sont les énoncés respectivement d’un enfant
de 5 ans 9 mois et d’une enfant de 6 ans 2 mois, lors d’une dictée à l’adulte (voir
plus loin).
Les énoncés I (1’), I (2), II (1’), II (2), sont les formulations successives des
enfants, obtenues au cours de l’interaction orale avec l’adulte. Les énoncés I (2’),
I (3), II (2’), II (3) n’ont pas été suggérés à l’enfant. Ils sont proposés ici, sur le
modèle de textes pris dans des manuels de lecture de fin de cours préparatoire.
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Exemple
Je rentre chez moi avec une amie. Mon mari m’annonce : « Ça y est, j’ai fini ». Il s’agit
là d’un « implicite partagé » : je sais de quoi parle mon mari. Il n’en est pas de même
de mon amie, à laquelle j’explicite : « Il a entrepris cette semaine de ranger quelques
rayons de sa bibliothèque ».
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Exemple
Une enfant (4 ans 7 mois) raconte : « Les monsieurs i(l) s ont tout cassé ma maison ».
L’institutrice n’est pas en mesure d’interpréter cette déclaration. Grâce à un long dialogue
interactif, l’adulte comprend que la réfection de plusieurs pièces de l’habitation familiale
a nécessité des travaux de préparation que l’enfant a interprétés comme une destruction.
L’enfant n’a pas pris en compte l’ignorance de ces circonstances par l’adulte.
La narration
L’importance de la narration chez l’enfant au cours de son apprentissage du
langage ne saurait être mieux présentée que par J. Bruner dans son ouvrage Car la
culture donne forme à l’esprit (1991). Il écrit :
« La narration est une structure interne au discours, plus loin […] il existe une dispo-
nibilité, ou une prédisposition à organiser le vécu sous forme narrative […] (p. 58) […]
Les jeunes enfants savent très tôt reconnaître que ce qu’ils ont fait ou envisagé de faire
n’est pas seulement interprété d’après leurs actes eux-mêmes, mais également d’après la
manière dont ils en ont parlé […] On est contraint, pour situer culturellement sa propre
action, de devenir un narrateur. Il ne s’agit pas seulement dans cet exercice d’étudier
comment l’enfant s’implique dans le récit, mais de montrer à quel point cet investisse-
ment compte pour vivre au sein d’une culture […] (ibid., p. 93). »
« […] Les jeunes enfants entendent sans cesse leurs proches (parents, frères et sœurs plus
âgés) parler de leurs propres relations avec autrui […] (ibid., p. 97), […] ces enfants
apprennent à comprendre les récits « quotidiens », non seulement comme un moyen de
raconter, mais aussi comme une forme de rhétorique […] (ibid., p. 98). »
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Les petites mains sont très tôt capables, si on prend le temps de le leur apprendre,
de tourner les pages une à une, sans les froisser.
Certains albums – trop rares – présentent une mise en page qui permet d’ha-
bituer l’enfant à regarder d’abord la page de gauche et ensuite la page de droite,
préparant ainsi sa future activité de lecteur. Dans ce cas, il est indispensable que
l’histoire comporte un déroulement logique, soutenu ou complété par les illustra-
tions, de la première à la dernière page. L’enfant apprenant s’habitue alors à ce
qu’une histoire, un récit, ait un début, un développement et une fin.
Contrairement à l’opinion de certains auteurs ou praticiens, cette discipline
précoce n’est nullement un obstacle à l’amour du livre, bien au contraire. Pour cer-
taines de leurs activités, les enfants apprécient les règles. Il va sans dire qu’à côté
de ces contraintes justifiées, toutes les occasions possibles d’activités entière-
ment libres doivent être constamment proposées à l’enfant. Après tant d’années
de pratique avec des petits enfants de tous milieux, je peux affirmer que, si on leur
en propose de façon appropriée, tous les enfants adorent les livres (bien entendu,
plus ou moins tôt, suivant leurs caractères propres et leur histoire personnelle).
Nous avons la chance, à notre époque et dans notre pays, de disposer d’une
quantité imposante de livres et de revues pour enfants qui, en majorité, sont de
grande qualité. Le petit enfant peut donc choisir, feuilleter, regarder, interpréter les
images à son gré, alimenter son imaginaire. L’adulte peut lui commenter certains
albums à sa façon, lui lire des poèmes ou des textes dont l’enfant profitera à plus
d’un titre, même s’il ne les comprend pas toujours vraiment.
Pour ce qui nous occupe ici, l’apprendre de la langue proprement dit, il est
besoin de livres illustrés dont les textes présentent à la fois la configuration syn-
taxique, le champ lexical, le déroulement logique, le sens qui peuvent être reçus
par l’enfant grâce à son fonctionnement coginitivo-langagier du moment.
Nos recherches sur la première acquisition du langage nous ont amenés à
expérimenter des livres illustrés dont le texte était écrit en conformité avec les
besoins de l’enfant au cours de son apprentissage 1. De même qu’il les trouve dans
les verbalisations que lui adresse l’adulte, l’apprenant rencontre dans ces textes
des schèmes sémantico-syntaxiques créateurs, sources des hypothèses qui ali-
mentent la progression de son propre fonctionnement cognitif et langagier.
Des psychologues ont montré que, pour apprendre, l’individu doit être
confronté à 80 % de connu pour 20 % d’inconnu, sinon l’apprenant est privé des
1. Des livres, conçus et expérimentés par notre équipe, ont été écrits par des auteures ayant tra-
vaillé les textes en tenant compte de nos thèses sur l’acquisition du langage (Lokra, G. Allain,
M. Bertin entre autres…). Ils ont été illustrés par des dessinatrices ayant accepté nos exigences
sur la relation texte-image, notamment Claire Lhermey, Françoise Luxereau, Maïou… On trouve-
ra les références dans la bibliographie en fin de volume.
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repères qui lui permettent une acquisition. Il en est ainsi des textes qui sont lus
aux apprentis du penser-parler.
Il est bien connu que les enfants réclament inlassablement la relecture de leurs
livres préférés, ce qui parfois lasse les adultes mais est de première importance
pour les petits. Ces lectures répétées sont à la fois sécurisantes et éducatives.
L’enfant connaît de mieux en mieux l’histoire, il peut anticiper sur le texte et, en
quelque sorte, se l’approprier. Vient alors le moment où il souhaite raconter lui-
même, ce qui lui apporte à la fois le plaisir de maîtriser une narration et une expé-
rience de verbalisation explicite, cohérente, syntaxiquement construite.
Il ne s’agit nullement que l’enfant apprenne le texte du livre par cœur : il y pui-
se les éléments nécessaires à ses propres formulations, qui, en général, diffèrent
largement de celles de l’auteur (voir en bibliographie les ouvrages traitant de ces
questions, notamment L. Lentin et al. 1984 et 1995, M. Karnoouh 1986, 1988,
1992).
Les fonctions de la langue écrite doivent être perçues par l’apprenant avant
qu’il en acquière lui-même le maniement. L’enfant vit, entre autres, l’expérience
d’écrits servant à la communication : lettres adressées à lui, à sa famille, à sa clas-
se ; lettres envoyées à un ou des destinataire(s) qu’on lui désigne (correspondan-
ce familiale, correspondance interclasses, commandes à des fournisseurs,
demandes à une bibliothèque ou à un service quelconque) ; cahiers de correspon-
dance entre l’école et la famille ; petits messages échangés entre les membres de
la famille ou parmi le personnel de l’école ; affiches informatives placardées sur les
murs de l’école ou de la cité, que les adultes lui lisent ; tous documents transmet-
tant des informations dont le sens lui est accessible… (On lira à ce sujet l’étude de
M. Dauriat « Les écrits destinés aux adultes dans une école maternelle », in
L. Lentin et al., 1988).
Il s’agit toujours de textes et non de mots isolés, tels qu’ils peuvent être recon-
nus globalement sur des étiquettes : café sur le bocal à café, farine sur le paquet de
farine, chat sous une image de chat, toilettes sur une porte… Dans ce cas il y a une
correspondance terme à terme entre le graphisme d’un mot et l’objet reconnu, et
non à proprement parler un acte de lecture qui, lui, consiste à chercher puis à déga-
ger du sens à partir des seules traces écrites de la langue, sans autre représenta-
tion visible. Ce même principe gouvernera également l’apprentissage systématique
de la lecture.
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Un exemple
Si l’enfant dicte
– le garçon i(l) veut pas sortir
Celui qui tient la plume dira
– Bon, j’écris : le garçon ne veut pas sortir
Sans faire de remarque explicite à l’enfant mais en relisant plusieurs fois le tex-
te écrit, on s’aperçoit que, rapidement, l’enfant se met à dicter des énoncés ne
comportant pas de reprise du sujet par un pronom et utilise les deux éléments de
la négation.
L’apprenti est là en présence d’une activité double : lecture et écriture. En
effet, le formateur lit, relit inlassablement le texte écrit, depuis son début : « Je
te relis ce que tu m’as dicté et que j’ai écrit. Ça te convient ? Crois-tu que le lec-
teur comprendra ? » Observant le scripteur qui écrit sous ses yeux (les deux pro-
tagonistes sont assis l’un à côté de l’autre), l’apprenant remarque et repère les
intervalles entre les mots, les majuscules, la ponctuation et même l’orthogra-
phe. Vient ensuite le moment où le « dicteur » demande au scripteur de s’arrê-
ter : « Laisse, maintenant c’est moi qui écris ! »
Pour de nombreux apprenants, une expérience unique suffit, si elle est menée
au bon moment, et réussie. Pour quelques-uns, il faut plusieurs, voire de multiples
expériences, en commençant par un texte de dimension réduite et en progressant
doucement jusqu’à une réussite satisfaisante.
Remarque
Il est toujours délicat de trouver le bon moment pour proposer la dictée à
l’adulte à un apprenant. Il faut éviter à tout prix cette activité avant que soit acquise
une maîtrise orale de la langue permettant une autonomie d’utilisation des varian-
tes langagières nécessaires, en même temps qu’une représentation pertinente de
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l’écrit. Pour certains enfants, ce sera dès cinq ans, pour d’autres seulement à cinq
ans et demi ou 6 ans et plus.
Une bonne préparation à cette activité individuelle consiste, à l’école mater-
nelle, à pratiquer dans la classe quelques « dictées à l’adulte » collectives. Le
scripteur écrit au tableau ce qu’il choisit parmi les propositions orales des enfants
qui ont convenu d’un projet commun : lettre du groupe à un correspondant, déci-
sions concernant la vie du groupe, recettes… Les enfants font ainsi l’expérience de
la transformation en un texte écrit de leurs verbalisations orales.
Afin d’expliciter un peu mieux le déroulement de l’interaction langagière entre
un adulte et un enfant, l’exemple qui suit donne une idée de ce que peut être une
dictée à l’adulte individuelle (exemple extrait de l’étude de M. Guillou, « La dictée
à l’adulte », in L. Lentin et al., 1988, p. 167).
La situation : des dictées à l’adulte collectives ont déjà été réalisées dans une
classe de grande section d’école maternelle. « L’histoire des lapins » a été racon-
tée (et non lue) plusieurs fois aux enfants de la classe et à Emmanuel (5 ans
8 mois) individuellement, avec le support de six images que chacun des enfants de
la classe a à sa disposition sous la forme d’un petit livre qu’il a confectionné et
colorié. Le dialogue qui s’instaure (dont seul un petit extrait est reproduit ici) mon-
tre comment l’adulte apprend à l’enfant à reconnaître intuitivement les énoncés
écrivables et à acquérir une représentation de l’acte de lire (l’adulte lit et relit ce
qu’il écrit sous la dictée de l’enfant).
Les numéros sont ceux des énoncés du corpus. On trouvera en annexe les
conventions de transcription propres à la dictée à l’adulte.
A = adulte
Em = l’enfant
Em 36 – ils roulent sur la route
A 37 – Voilà.
Em 37 – avant ils ont regardé le panneau
A38 – Bon, comment est-ce que tu vas me dire cela ?
Em 38 – ils ont regardé le panneau si c’était la bonne route
A39 – Ils ont regardé le panneau pour voir.
Em 39 – si c’était la bonne route
A 40 – Si c’est la bonne route. Vas-y !
Em 40 – ils ont regardé sur le panneau si c’était la bonne route
A41 – Ils ont regardé sur le panneau si ils avaient pris la bonne route. C’est ça.
Em 41 – oui
A 42 – Bon. Ils ont regardé sur le panneau si ils avaient pris la bonne route. C’est très
bien, Emmanuel. Mais qui est-ce qui a regardé sur le panneau ?
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Em 42 – les lapins
A 43 – Oui, il faudrait que tu me le dises. Alors qu’est-ce que je vais écrire ?
Em 43 – ils ont regardé
A 44 – Non, je ne vais pas écrire « ils ». Parce que, « ils ont regardé », si on ne regarde
pas l’image ça peut être le papa et la maman, ça peut être n’importe qui.
Em 44 – les lapins ils ont regardé
A 45 – Les lapins ont regardé sur le panneau si
A 46 et Em 45 (ensemble) – s’ils avaient pris la bonne route/si c’était la bonne route.
…
Em 68 – ils sont repartis les enfants lapins
A 69 – J’écris. Les enfants lapins sont repartis.
Em 69 – ils avaient mangé leurs goûters
A 70 – Oui, ils ont mangé leurs goûters. En fait, ils sont repartis quand ils ont mangé
leurs goûters. Quand ils ont eu fini de manger leurs goûters, ils sont repartis. Alors
qu’est ce que tu vas me dire ? Les enfants lapins sont repartis.
Em 70 – ils ont mangé leurs goûters, avant de partir
A 71 – Ah ! Ils ont mangé leurs goûters avant de partir.
Em 71 – trois petites feuilles tombaient du panier
A 72 – Trois petites feuilles tombent du panier. Tu ne dis pas pourquoi elles tombent,
les feuilles ?
Em 72 – parce qu’ils roulaient trop vite
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Apprendre à lire – écrire
L IRE ET ÉCRIRE NE SONT PAS DES FONCTIONS HUMAINES, CE SONT DES USAGES
socio-historiques présents dans certaines civilisations, somme toute de date
récente. Il y a environ six mille ans seulement que les humains ont inventé des écri-
tures, alors qu’on suppose l’apparition du langage chez l’homme infiniment plus
ancienne. Le langage est une fonction biologique, propre au système nerveux cen-
tral de l’homme, la lecture et l’écriture sont des techniques inventées par l’hom-
me. À noter qu’il existe encore de nos jours des langues parlées et non écrites.
L’apprentissage du lire-écrire n’est donc pas identifiable au premier apprentis-
sage du langage, comme certains croient pouvoir l’affirmer. L’apprenti parleur,
devenu un parleur compétent, est capable de formuler explicitement sa pensée,
l’enchaînement de ses pensées, dans des énonciations verbales répondant aux
exigences de la langue. Faut-il préciser qu’il ne maîtrise pas toutes les variantes
énonciatives qu’il utilisera peu à peu durant son parcours scolaire et tout au long
de sa vie ? Il dispose toutefois d’une possibilité de choix pour s’adapter à un grand
nombre de contextes énonciatifs.
Sans rupture, le parleur a expérimenté l’écrit de son parler, dans une réalisa-
tion devenue tangible de son activité cognitive (la dictée à l’adulte, au formateur).
Il a par ailleurs été préparé, grâce à des activités graphiques diversifiées, à tracer
lui-même les signes qui permettent de transcrire une énonciation orale. Sachant
écrire les lettres de l’alphabet, il va être capable d’utiliser cette technique pour son
usage de la langue écrite, à savoir : rédiger. Une représentation équilibrée des usa-
ges de l’écrit, une intuition ainsi qu’une expérience de son statut et un désir d’ap-
prendre dans le plaisir, rendent l’enfant apte à un apprentissage systématique.
Lire
De nombreux auteurs et spécialistes ont travaillé, travaillent sur le délicat pro-
blème de la lecture et de son apprentissage. On trouvera quelques références
dans la bibliographie en fin de volume.
Les remarques qui suivent sous-tendent la conception ici adoptée : le lire et
l’écrire sont des activités langagières, supposant un fonctionnement mental
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Les mots couvent, résident, président, fils, portions, est, fier ne peuvent être ni
lus ni prononcés correctement si on ne les distingue pas d’abord d’après le sens
de l’énoncé dans lequel ils sont employés. La reconnaissance des sons et la
connaissance de l’orthographe ne sont ici d’aucun secours.
Lire n’est donc pas transformer des graphèmes en phonèmes. On peut vivement
regretter que, pour la plupart et peut-être même dans leur totalité, les méthodes de
lecture destinées aux apprentis lecteurs présentent dès leur première page, en
même temps que des morceaux de texte (de valeur inégale), l’étude systématique
des « sons » qui, à nos yeux, doit constituer la dernière étape de l’apprentissage de
la lecture, au cours de laquelle l’apprenant effectue de lui-même des observations,
des comparaisons, des recoupements qui l’aident à acquérir la technique voulue.
Le fameux b, a, ba, dont la connaissance est indispensable au déchiffrage (déco-
dage technique), constitue néanmoins, au début de l’apprentissage, un obstacle à
la lecture (recherche de sens). Comme le dit plaisamment Jean Vial : « Beaucoup
d’épelé, peu de lu ».
Les exercices de déchiffrage qui, en outre, portent souvent sur des « non-
mots », des syllabes, des mots isolés (donc hors sens) ont en effet l’inconvénient
de fausser la représentation que peut se faire l’apprenant de ce qu’est lire (voir
E. Duntze, 1991, L. Lentin et E. Duntze, 1992). On peut même qualifier de « non-
textes » de nombreux énoncés proposés au débutant, défilant ligne après ligne
sans lien entre eux.
Exemple : quel sens peut être attribué à cette suite, proposée aux élèves d’un
cours préparatoire cinq semaines après la rentrée scolaire ?
« Les phrases décontextualisées […] surgissent comme si personne ne les avait émises et
comme de nulle part ; ce sont des énoncés pris pour eux-mêmes, sans « parrainage ». Pour
en établir la signification, il faut faire appel à un ensemble extrêmement abstrait d’opé-
rations formelles […] » (op. cit., 1991, p. 75).
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On objectera que tout un chacun croit avoir appris à lire grâce au b, a, ba. Or,
pour ceux qui sont devenus de véritables lecteurs, cet apprentissage technique n’a
été généralement pour eux que la phase finale d’un apprentissage préparatoire
antérieur de l’écrit, tel qu’il est décrit précédemment.
Écrire
Il convient de ne pas confondre écrire au sens de copier, tracer des signes gra-
phiques, et (c’est ce qui nous occupe ici) une activité d’énonciation. Écrire (rédi-
ger) est un acte langagier de communication, un acte créatif qui permet de
verbaliser sa pensée sous une forme tangible et durable.
À travers la dictée à l’adulte, l’apprenant est en contact à la fois avec l’acte de
lire et l’acte d’écrire, ce qui est indispensable pour assurer un apprentissage cohé-
rent et efficace de l’écrit. Toutefois il ne faut pas oublier que la maîtrise autonome
de l’énonciation écrite ne s’acquiert pas aussi vite que celle de la lecture. Peu à
peu, l’apprenant devient capable de produire des énonciations simples, de petits
textes, puis des textes plus importants. On sait qu’un lecteur-scripteur expert est
toujours plus performant comme lecteur que comme scripteur. Nous lisons tous
une multitude de textes que nous serions bien en peine de rédiger nous-mêmes !
La dictée à l’adulte conduit l’enfant plus ou moins rapidement à l’énonciation
écrite autonome. Après avoir copié l’écrit de son parler tracé par l’adulte médiateur,
l’enfant commence par rédiger seul de courts textes, en utilisant des éléments de
ceux qu’il a dictés à l’adulte, complétés par ceux dont il demande la graphie à
mesure de ses besoins. L’apprenant s’exerce ainsi en même temps à relire ce qu’il
écrit (des exercices appropriés de graphisme l’ont préparé dès l’école maternelle,
et au début de l’année de cours préparatoire, au tracé graphique nécessité par
l’énonciation écrite qui lui est alors proposée).
Pour réaliser ses premiers écrits autonomes, l’enfant prend appui sur son acti-
vité langagière, en interaction avec l’adulte lecteur-scripteur expert. C’est-à-dire
que sa rédaction est toujours précédée d’un échange langagier avec l’adulte. Pour
cet apprentissage, l’adulte se donne comme objectif de mettre à la disposition de
l’enfant des écrits dans lesquels il peut puiser, et de lui fournir, à sa demande, les
éléments écrits complémentaires dont il a besoin (voir C. Clesse, in L. Lentin et al.,
Du parler au lire, p. 108-125).
Dans une classe de cours préparatoire, dans une quelconque situation d’ap-
prentissage de la langue écrite, il est nécessaire d’établir un « texte de référence »
(et, progressivement, d’en établir plusieurs). À partir d’un thème ou d’une histoi-
re intéressant directement les apprenants, une dictée à l’adulte collective permet
d’écrire un texte. Chaque apprenant peut copier et conserver ce texte pour son
usage personnel.
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L’enfant est ensuite invité à écrire un texte librement. Il choisit dans le texte de
référence les éléments dont il a besoin. Il est capable de déterminer les éléments
qu’il souhaite utiliser qui ne figurent pas dans le texte de référence mais il sait qu’il
ne peut pas en inventer la graphie. Il les demande à l’adulte qui les lui fournit par
écrit, non pas sous forme de mots isolés, mais inclus dans un énoncé dont les aut-
res termes lui sont connus. Le mot est pris dans un contexte dont la signification
est accessible à l’enfant, qui peut alors le lire, puis l’écrire à la place qui convient
dans son propre texte.
L’exemple qui suit est extrait de l’ouvrage de M.-Th. Rébard Un apprentissage
personnalisé de la langue écrite, p. 159. Il s’agit d’une première énonciation écrite
libre de Natacha (6 ans 6 mois) qui dispose d’un texte de référence de 23 lignes :
Le bain du bébé. Orthographe et ponctuation sont respectées.
« Victor et Pauline tiennent bébé qui rit papa sort la baignoire pour laver bébé. Il écla-
bousse, maman arrive. »
N. a demandé les mots « rit », « laver », « éclabousse » qui ne figurent pas dans le texte
de référence et que l’institutrice lui a écrits dans trois phrases :
Il rit
Maman va laver le linge
Nathalie éclabousse la cuisine
Par la suite, on constate les progrès des énonciations écrites de N. qui s’éloi-
gne de plus en plus des textes de référence, tout en utilisant les éléments qu’elle
connaît pour rédiger des textes de son choix.
Peu à peu, l’apprenant rédige des textes de plus en plus longs, de plus en plus
personnels. Conscient de ce qu’il sait ou ne sait pas écrire, il se renseigne à l’aide
de textes qu’il connaît, du « dictionnaire » qu’il s’est constitué et, plus tard, quand
le déchiffrage n’a plus de secrets pour lui, du vrai dictionnaire. Son recours ultime
reste toujours le lecteur-scripteur compétent qui est à sa disposition pour l’aider à
créer son texte.
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Questions et réponses
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Questions et réponses
Exemples
Modèle donné à l’élève :
Avez-vous du thé ? Oui, j’ai du thé
Non, je n’ai pas de thé
Exercice
Stimulus Réponse attendue
Avez-vous du pain ? Oui, j’ai du pain
Non, je n’ai pas de pain
Avez-vous des pommes ? Oui, j’ai des pommes
Non, je n’ai pas de pommes
Avez-vous de l’eau ? Oui, j’ai de l’eau
Non, je n’ai pas d’eau
Cet exercice est conçu comme une sorte de dressage comportant confirmation
et rectification immédiates.
Différentes sortes d’exercices structuraux sont proposés : questions-réponses,
répétition, répétition avec addition, substitution, sans ou avec accord, transfor-
mation, réponses construites.
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À noter
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Questions et réponses
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Il est cependant évident que les apprentis parleurs ne peuvent pas élaborer
leur système syntaxique en conversant seulement avec leurs congénères. Ils ont
besoin d’une interaction ajustée de la part de leurs interlocuteurs, ce qui ne peut
être le fait de leurs coapprenants.
Il peut arriver que des enfants plus âgés aident efficacement des plus petits à
apprendre à parler mais il convient de ne pas généraliser. De sérieuses études de
psycholinguistes ont montré que, dans les familles nombreuses, les enfants par-
lent de moins en moins bien en allant de l’aîné au plus petit. L’explication est que,
d’une part, plus il y a d’enfants dans une famille, moins les adultes disposent de
temps pour parler à chacun, d’autre part, les enfants se comprennent entre eux,
sans souci de « correction » ou d’explicitation.
En même temps qu’il apprend à parler à un enfant en voie d’acquisition du lan-
gage, l’éducateur lui apprend à raisonner, à argumenter. Ceci n’est pas à la portée
d’enfants du même âge. Les thèses exposées dans cet ouvrage montrent sans
doute amplement que le rôle interactif joué par l’éducateur auprès de l’apprenti
penseur-parleur ne saurait être joué par l’un de ses pairs.
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Questions et réponses
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Questions et réponses
mêmes que celles de son voisin. Il demande alors « Qu’est-ce que tu as dit ? », « Je
n’ai pas compris ! », « Qu’est ce que ça veut dire ? ». À partir d’erreurs, d’hypothè-
ses, de recherches qui lui sont propres, l’apprenti parvient ensuite à une activité
créative. Telles sont les caractéristiques du processus de l’apprendre : activité per-
sonnelle de chacun dans sa singularité, quel que soit l’objet de l’apprentissage.
Même si ces moments ne peuvent être que de très courte durée, il est indispen-
sable que chacun se trouve parfois dans la situation d’autonomie que suppose la
création verbale personnelle. L’éducateur se doit de réserver à chaque apprenant
de telles possibilités.
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Problématique de l’acquisition
du lexique par l’enfant tout-venant
depuis la naissance 1
1. Ce texte est paru dans Rééducation Orthophonique, Vol. 27, septembre 1989, n° 159.
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Lexique et syntaxe
Les travaux relativement récents de la lexicographie ont profondément renou-
velé la conception même des dictionnaires dont les auteurs se soumettent désor-
mais à des critères linguistiques.
Les lexicographes prennent en considération l’intrication entre lexique et syn-
taxe ; le lexique n’appartient donc plus à un domaine isolé, mais se rattache aux
autres domaines de la linguistique.
Il s’ensuit que dans l’étude du fonctionnement du langage et donc de son
acquisition, syntaxe et lexique sont considérés comme indissociables.
Pour ce qui nous intéresse aujourd’hui, la conséquence incontournable de ces
conceptions est qu’il est devenu pour les linguistes hors de question d’envisager
le lexique de façon spécifique, ce qui conforte le parti-pris qui est le nôtre de ne
jamais étudier les éléments lexicaux que par rapport à leurs contraintes contex-
tuelles.
À noter que, dans l’état actuel des connaissances, et malgré de nombreuses
recherches en cours, on connaît encore très mal le fonctionnement des éléments
lexicaux des langues. Toutefois il est établi – ceci est d’une importance décisive
pour l’étude de l’acquisition du lexique – que les locuteurs d’une même langue
peuvent avoir des compétences lexicales diverses, alors que la compétence syn-
taxique est (ou peut être) pratiquement la même chez tous.
En ce qui concerne l’acquisition du langage et l’observation qu’il est possible
d’en faire, il importe de prendre dès l’abord en considération ce donné que le sys-
tème syntaxique d’un locuteur compétent dans une langue est relativement fixe et
complet alors que son système lexical est nécessairement partiel, dépendant de
son histoire personnelle, et amplement variable. Le lexique, en effet, bien plus que
la syntaxe et surtout bien plus rapidement, évolue dans la langue et chez chaque
usager de la langue.
Je ne prendrai qu’un seul exemple qui m’a récemment frappée simplement pour
en sourire : jusqu’à un passé récent l’expression « lever le pied » désignait la fugue
d’une dame quittant le domicile conjugal… De nos jours, « lever le pied » (sous-
entendu de l’accélérateur de la voiture) signifie réduire une activité, atténuer un
engagement…
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[1] [ɔvwa]
signifie à la fois : au revoir, manteau, cagoule, sac, voiture.
(2) [pε̃]
signifie à la fois pain et tout ce qui se mange.
(3) [wawa]
signifie à la fois chien, chat, animal à quatre pattes leur ressemblant plus ou moins.
(4) [abwa]
signifie à la fois : à boire, verre, biberon.
(5) [asi]
signifie à la fois assis(e), je veux m’asseoir, je m’asseois, chaise.
(6) [ba]
signifie à la fois : balle, ballon, ce qui est rond.
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dans ce qu’il a perçu des verbalisations adultes coïncidant avec ce qu’il a reconnu
et conceptualisé du contexte événementiel vécu.
Dans (1), on peut admettre que l’enfant ne dispose dans son réseau mnésique,
dans ses relations interconceptuelles, que d’une catégorie générale « départ »,
« changement de lieu », « promenade »… (appliquée à soi-même ou à autrui). Il tra-
duit donc par un seul élément lexical [ɔvwa] l’ensemble des concepts qui pour l’a-
dulte (ou même l’apprenant un peu plus âgé) constitue un ensemble de catégories
de différents niveaux se diversifiant en catégories de propriété, d’objets indivi-
duels ou même d’objets généraux.
Dans (3), le concept général de « chien » englobe pour A.-S. tous les quadru-
pèdes qu’elle connaît et ceux qui lui paraissent leur ressembler. Pour que cette
catégorie conceptuelle se différencie en sous-catégories des divers quadrupèdes,
il est nécessaire qu’intervienne un déplacement de la typicalité, ce qui est d’une
grande complexité.
En observant diachroniquement les acquisitions d’un enfant, on constate que
les champs de signification des éléments lexicaux se rétrécissent, les concepts se
précisent, se spécialisent, s’opposent dans les relations que le bébé devient capa-
ble d’établir. Ces modifications de la distribution des éléments lexicaux chez l’en-
fant ne sont possibles que grâce à des expériences repétées que vit l’enfant,
expériences constamment verbalisées dans leur contexte par l’adulte.
De nombreuses occurrences des mêmes rencontres référent-représentation
verbale sont en général nécessaires pour que le petit apprenti-penseur-parleur
parvienne à une hiérarchisation des concepts qui se rapproche peu à peu de celle
d’un adulte.
En effet, un individu disposant du concept général de « chien » sait que le chien
est un quadrupède, mammifère, à poils, qu’il aboie, qu’il est en général domesti-
qué, qu’il peut mordre, qu’on peut le dresser, qu’il s’alimente de telle et telle
façon, qu’il existe un grand nombre d’espèces (dont il connaît certaines) de chiens
de toutes tailles, de toutes couleurs, de tous caractères, etc. On peut en outre
avancer que le concept général de « chien », ne gouverne pas le même réseau de
référents chez tous les locuteurs.
Chez le très jeune enfant, on constate que l’élément lexical « chien » peut à la
fois (c’est le cas d’A.-S.) s’étendre indûment à des « non-chiens » ou inversement
désigner un référent unique de chair et d’os (Boby, le chien de la maison, familier
à l’enfant).
Une constatation surgie au cours des expérimentations avec des tout-petits
concerne les imagiers. La plupart d’entre eux présentent les objets et les animaux
précédés de l’article défini : le chien, le lit, le pantalon, la pelle, la fleur… La consé-
quence est que si ces dénominations ne correspondent pas aux référents connus
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Exemple:
Jean-Louis, 4 ans 2 mois, auquel on demande d’énumérer les desserts qu’il connaît, et
qui reste muet. On lui souffle : une banane, de la mousse au chocolat…, en vain. J.-L. n’a
pas conceptualisé dans son expérience verbalisée l’élément lexical de catégorie supé-
rieure « dessert », il ne peut donc s’en servir pour classer dans cette catégorie d’autres
référents, par ailleurs connus de lui sous leur dénomination verbale.
Les travaux de recherche que nous menons sur des enfants depuis la naissance
révèlent certes certaines régularités dans les processus d’acquisition, mais ils font
ressortir principalement des particularités propres à chaque apprenant dans les
acquisitions elles-mêmes et dans le rythme de leur progression.
Méthodologie
Je ne m’étends pas ici sur la méthodologie mise au point dès 1969 (voir
L. Lentin et al. 1984 et 1988), et enrichie depuis par les praticiens-chercheurs qui
travaillent avec moi : enregistrements de dialogues de vie quotidienne (non stan-
dardisés, en toute situation) entre l’enfant et l’adulte (ou les adultes) qui lui
parle(nt), transcriptions, analyses, comparaisons.
Nos études sont toujours diachroniques, c’est à dire que nous suivons chaque
enfant au fil des semaines, des mois, des années.
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Marion, 2 mois, articule avec insistance des « i » sonores et joyeux pour accueillir son
biberon et cette dénomination devient dans les semaines qui suivent « an ». En exa-
minant a posteriori les corpus recueillis par les parents, on s’aperçoit que la mère
accompagne régulièrement l’offre du biberon à Marion d’énoncés du genre : « voilà ton
biberon, ma chérie » (en accentuant la dernière syllabe), « c’est le biberon de ma peti-
te chérie », « il est bon le biberon de ma chérie », « elle a fini son biberon, ma
chérie », etc. Bien que la mère prononce souvent le mot « chérie » en d’autres occa-
sions, M. a provisoirement attribué au référent « biberon » la dénomination « i » puis
« an ». Cet usage a persisté plusieurs semaines.
De telles mises en relation sont propres à chaque bébé. Comme elles ne durent
parfois que très peu de temps (deux ou trois jours, une semaine…), il est difficile
de les déceler. Paradoxalement, il est plus facile pour nous de suivre les hypothè-
ses langagières des enfants dont le rythme d’acquisition est plus lent que celles
des enfants dont l’évolution est rapide.
Mon hypothèse est que, bien plus souvent que nous le pensons, le nourrisson
ne se contente pas de la jubilation que lui procure son babil, mais qu’il attache des
significations à des productions phoniques. Quel sens le bébé attribue-t-il à ses
« are are », « bababa », « ata ata » et autres improvisations ? Nous sommes enco-
re loin de pouvoir interpréter ces bribes de langage éphémère qui ne s’inscrivent
pas dans les conventions de la langue.
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2. Voir à ce sujet, L. Lentin et al., Ces enfants qui veulent apprendre. L’accès au langage chez les
enfants vivant dans la grande pauvreté, L’Atelier-ATD Quart Monde, 1995.
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• L’enfant éprouve souvent des difficultés dans le choix des prépositions, mots
dont l’usage pertinent n’est pas aisé à repérer, nous l’avons vu.
Martin, 1 an 9 mois :
– morceau à pain (= morceau de pain)
– je mets le dessin dans la table
– je veux m’asseoir dans la chaise
– on est passé dans le canal (sur le canal)
– faire pipi à le pot
– je veux venir à votre lit
– ma boîte de légos, elle était dessous dans l’armoire
2 ans 1 mois :
– le biberon est à chambre
2 ans 11 mois :
– le lapin est dans le piano (se reprend) sur le piano
Martin, 1 an 10 mois :
– un militaire camion
– des secs raisins
2 ans
– une montagne gros
Martin, 1 an 9 mois :
– deux la balle (plusieurs balles)
– oiseaux deux (5 oiseaux sur une image).
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• L’enfant fait des hypothèses de segmentation dans le langage que lui adresse
l’adulte.
Zoé, 4 ans 3 mois, voyant sa mère s’habiller pour partir, à son père d’un ton furieux :
– Maman va encore à la dégoûtante Pêtrière (= la Salpêtrière)
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2 ans 6 mois
A – Tu ne veux pas que je t’aide ?
Z. – non veux pas que je t’aide
A. – Tu peux pas te lever toute seule ?
Z. – non […] vais tomber, viens Maman venir me t’aider viens me t’aider
L’analogie est souvent utilisée par l’enfant pour former des éléments lexicaux
« hors langue ».
Yacine, 3 ans, simule la lecture d’un livre d’adulte (sans images) en le feuilletant
consciencieusement page après page, le referme et déclare :
– je suis un grand livreur
Charles, 5 ans, à l’adulte qui lui parle de son pull, tricot maillot gilet…, sans arriver à se
faire comprendre, dit soudain
– ah tu veux dire mon col roulé ?
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Marine, 5 ans 2 mois, ne comprend pas l’adulte qui lui parle de mouchoir car elle ne
connaît que le mot Kleenex.
Laurent, 5 ans 8 mois, ne comprend pas l’adulte qui lui parle d’une armoire, d’un buffet
Après avoir vu des images représentant des cuisines, L. a une illumination
– tu veux dire les éléments ?
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L’intercompréhension
dans le dialogue adulte-enfant :
une problématique 1
1. Ce texte est paru dans Rééducation orthophonique, mai 1976 (numéro spécial jubilé – S. Borel
Maisonny).
2. Linguistique générale, Paris, Larousse, 1970.
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Il est possible que C. ait saisi /va chercher/, mais n’ait pas identifié le lexème
/chaussons/ et la compréhension s’est déclenchée grâce au geste de la mère dési-
gnant ses pieds nus, ce qui est assez complexe.
3. Les transcriptions de cet article ont été faites avant l’établissement des conventions qui figu-
rent page 149.
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Il semble que l’enfant était troublée par le fait qu’elle avait entendu (remarqué)
pour la première fois ce jour-là, que sa mère appelait sa grand-mère /maman/ et
elle ne comprenait plus. Elle avait apparemment déplacé l’appellation /maman/
de sa mère à sa grand-mère. Le prénom de sa mère ajouté au mot /maman/ lève
l’ambiguïté. On devine ici tout un travail cognitif très complexe de l’enfant, et de la
grand-mère qui a été très intuitive.
On voit dans cet exemple un cas où il est bien difficile de décider s’il y a inter-
compréhension. Il y a là un phénomène fréquent au cours de la première acquisi-
tion du langage : l’enfant attribue dans une situation concrète un élément du
discours de l’adulte à un signifié, et l’adopte comme signifiant correspondant. Ici
le lexème n’est pas repris par l’enfant : par contre son comportement prouve qu’il
attribue une dénomination à sa main qu’il était bien dans l’intention de l’adulte de
lui faire dénommer. Il faudrait s’étendre sur le rôle que peut jouer par exemple l’in-
tonation dans la méprise de l’enfant.
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(Conversation libre. Michel raconte ce qu’il a fait le mercredi ; son articulation n’est pas
très nette.)
M. 1. – et puis, j’ai vu un monsieur qu’il avait plus cheveux
A. 1. – Tu as vu un monsieur qui n’avait plus de cheveux, ça arrive que les gens perdent
leurs cheveux…
M. 2. – ou peut être qu’il a tout coupé ?
A. 2. – Peut être qu’il les avait rasés, oui.
M. 3. – eh ben eh ben j’ai fait un éléphant qui rasait un monsieur j’ai vu ça dans le
cirque et puis j’ai fait ça en briques
A. 3. – Tu as vu un éléphant qui faisait semblant d’écraser le monsieur ?
M. 4. – non, dans le cirque j’ai vu ça
A. 4. – L’éléphant mettait la patte sur le monsieur, il ne l’écrasait pas vraiment !
M. 5. – ah ! non il a mis la patte/les quat (re) pattes par terre l’éléphant et pi après
il a fait quoi il a il a, il a euh, le le (é)léphant il a rasé le monsieur avec ça d’la mous-
se, la mousse l’a (ou : la) partout, pi l’a mis une serviette autour du cou comme ça
A.5. – Il a rasé le monsieur !…
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Exemple 12
A. 3. – Où on pourrait mettre ton dessin, tu n’as pas une petite idée ?
N. 4. – non, ma p(e) tite sœur elle est mignonne oh la la !
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Elle regarde un hamster qui se recroqueville dans un coin de la cage à la vue d’un chat.
J. – le hamster il est p(e)tit. Quand i s(e) ra grand il aura plus peur du chat.
A. – Le hamster va rester petit, un petit animal.
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Suit un long dialogue au cours duquel l’adulte tente de faire comprendre à l’en-
fant ce que signifie « réparer ». Aucun emploi de synonymes, aucune évocation de
scène éventuellement vécue en famille ne permettent d’évoquer pour l’enfant
quelque chose de connu.
Il faudra détériorer et réparer effectivement une mécanique devant l’enfant
pour parvenir à un début de compréhension.
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On pouvait supposer que l’enfant avait voulu dire « C’est papa qui m’a fait faire
pipi avant de venir à l’école », ce qui a été confirmé par le père.
L’exemple suivant donne un cas tout à fait analogue, mais cette fois dans un
dialogue entre adultes.
Exemple 19
Dialogue entre adultes (Intercompréhension grâce à l’implicite).
Pendant des vacances à la montagne, dans un chalet, plusieurs familles réunies.
A. – Tu vas chercher tes neveux à la patinoire ?
B. – non, on n’a pas besoin de saucisson.
(Implicite : on a fait les courses ce matin. On ne savait pas si on avait acheté assez de
saucisson, finalement oui, donc je n’ai pas besoin d’aller en ville en voiture).
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Les deux exemples suivants assez chargés d’angoisse, sont des cas extrêmes.
Une méprise sur un lexème, rencontré par l’enfant dans une situation donnée, n’est
pas décelée par l’adulte, et entraîne des conséquences dramatiques et durables.
Cette méprise se produit dans un contexte autre, où le lexème prend une signi-
fication absolument différente. L’enfant élabore alors inconsciemment des hypo-
thèses d’analogie ou de généralisation qui ne sont pas comprises par l’adulte.
Dans ces conditions, la signification attribuée par l’enfant à l’ensemble de la
situation vécue est absolument imprévisible pour l’adulte.
On voit ici les conséquences entraînées par le fait que les limites référentielles
d’items lexicaux peuvent être indéterminées.
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une linguistique autre, une linguistique qui nous permette d’échapper au modèle,
au système, à la compétence, à l’acceptabilité, etc., une linguistique appliquée à
l’interaction entre les deux interlocuteurs que sont un adulte et un enfant.
Ici prendraient place les hypothèses qui guident toute une expérimentation met-
tant en œuvre le concept de schème syntaxique créateur fonctionnant au sein d’une
interaction entre adulte et enfant, permettant toute une activité de tâtonnements
verbaux chargés de signification. Ces tâtonnements semblent amener l’enfant à
expérimenter constamment un travail qui concerne simultanément activité verbale et
activité cognitive en relation avec un contexte présent ou différé, concret, ou abstrait.
Il y a donc interaction, non seulement entre l’adulte et l’enfant, mais aussi entre
les deux interlocuteurs et une multiplicité de contextes d’énonciation.
Cette expérience amène petit à petit l’enfant à l’intuition de « ce qui cloche » dans
sa compréhension ou dans celle de son interlocuteur. Cette voie semble pouvoir
amener l’enfant à la discrimination de ce qu’il comprend et de ce qu’il ne comprend
pas. Ceci suppose un constant ajustement des productions verbales des deux locu-
teurs.
S’agissant d’éducation et/ou de rééducation, on voit à quel point cette concep-
tion exclut l’exercice collectif et combien astreignantes deviennent les contraintes
de l’adulte qui vise dans un dialogue avec un enfant, non l’illusoire intercompré-
hension, mais la confrontation, l’ajustement, l’interpénétration de deux réalités le
plus souvent très éloignées l’une de l’autre. Il est aisé d’en pressentir les implica-
tions sur le plan cognitif, affectif, sociologique, culturel.
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Le texte du livre illustré
et l’apprendre à parler,
lire et écrire de I’enfant 1
1. Texte paru dans La Revue des livres pour enfants, n° 72-73 (mai-juin 1980).
La diffusion des livres pour enfants et les méthodes de lecture ont changé depuis la rédaction
de cet article, mais les textes, eux, n’ont guère évolué.
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Toute une gamme de registres de parler est offerte à l’enfant par les adultes par-
leurs compétents dans des situations constamment renouvelées, adaptées au
besoin, au désir, au plaisir, au réel de l’enfant à chaque moment de son développe-
ment et de son histoire. Un riche éventail de formulations est ainsi progressivement
mis en fonctionnement, qui permet au jeune enfant d’adapter sa production verba-
le à toute situation d’énonciation. Le locuteur éducateur, souvent sans en avoir
conscience, met en oeuvre dans certaines formulations parlées des constructions
syntaxiques permettant une explicitation complète, appuyée et articulée sur le rai-
sonnement. C’est ce qu’on appelle parfois, de façon réductrice, le « registre récit »,
dont il faut souligner qu’il ne saurait être réservé au récit d’une histoire, d’un conte,
mais qu’il peut servir couramment dans l’énonciation verbale quotidienne.
La maîtrise de ce type de formulation, à l’oral, se révèle indispensable (même
si parfois la simple communication entre deux interlocuteurs ne l’exige pas) : il
s’agit moins d’un « style » que d’une organisation syntaxique, qui sert de passe-
relle entre les parlés les plus coutumiers à l’enfant (à la fois ceux qui lui sont adres-
sés et ceux qu’il produit) et les formulations qu’il sera amené à fréquenter lorsqu’il
sera sollicité pour un apprentissage, systématique cette fois, du lire-écrire.
Il s’agit du domaine du livre et du rôle qu’il joue très précocement dans l’inter-
vention de l’adulte auprès de l’enfant pour lui apprendre à parler. Au cours des
recherches sur l’acquisition du langage par l’enfant, et des expérimentations
qu’elles exigent, le linguiste est vite confronté à l’utilisation du livre illustré. Dans
le milieu familial, dans les collectivités (garderies, crèches, pouponnières, écoles
maternelles, bibliothèques, services de santé, etc.), le livre illustré permet des
activités et des échanges faciles, rapides, riches, attrayants.
Précisons toutefois d’emblée que tout livre illustré n’a pas à devenir un outil de
l’apprentissage du langage. Non, certes non ! Simplement : il paraît juste, et
indispensable, d’inclure parmi les différentes sortes de livres proposés aux très
jeunes enfants des livres qui soient propres à jouer ce rôle, sans cesser pour
autant de mériter le nom de livres d’enfants. Ce n’est pas là un projet aisé, comme
nous allons le voir…
L’illustration
Les chroniques consacrées aux albums et livres pour petits, et notamment
dans la Revue des livres pour enfants, traitent souvent, sous divers aspects, de ce
que peut déclencher un livre chez un enfant. Le sujet, le contenu, le titre, le choix
des personnages, le format, la typographie, toutes les caractéristiques d’un livre
font de chaque confrontation avec un enfant une expérience originale, car elle
dépend non seulement des goûts et tendances de l’enfant, mais aussi de sa vision
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« Livres illustrés »
« Livres illustrés », et non « livres d’images » : il s’agit d’une distinction qui peut
sembler arbitraire, mais j’appelle « livre illustré » un livre qui comporte des images
(de préférence une par page) et un texte qui est en correspondance avec cette ima-
ge. Le texte, illustré par des images, raconte une histoire, et pas n’importe quelle his-
toire : l’histoire que l’auteur a écrite, à laquelle l’enfant ne peut avoir accès qu’en
lisant le texte ou, s’il ne sait pas encore lire, en écoutant l’adulte lecteur.
J’appelle « livre d’images », par contre, un livre qui accorde infiniment plus de
liberté à celui qui le regarde. Dans un tel livre, on peut regarder la page 8 avant la
page 3, la page droite avant la page gauche, commencer à la fin, regarder
quelques pages et s’arrêter, feuilleter les pages à toute vitesse : l’enfant prendra
ce qui lui conviendra sur les images qui lui plairont, qui le frapperont, qu’il sou-
haitera regarder à nouveau, seul ou avec l’aide de l’adulte. Et n’oublions pas qu’in-
terpréter, s’approprier une image constitue une activité sans doute encore plus
complexe que l’écoute d’un texte.
Rappelons aussi que le livre n’est pas le seul écrit que rencontre le petit enfant.
Certains chercheurs qui travaillent sur l’acquisition de la lecture insistent beau-
coup sur les affiches et inscriptions de tous genres, notations de toutes sortes par
exemple sur les emballages alimentaires ou autres, etc. Nous vivons, c’est vrai,
dans un monde de l’écrit, même à l’ère de l’audiovisuel.
Mais il est question ici du livre.
L’objectif
En incluant l’étude du texte du livre illustré dans les recherches en cours sur
l’acquisition et le fonctionnement du langage, on vise un objectif multiple.
1. Apprendre à l’enfant à avoir du plaisir avec le livre, et ce, par rapport à une
signification accessible, ce qui le prépare à aimer lire plus tard.
2. Apprendre à parler à l’enfant futur lecteur. Ceci suppose que le texte lu par
l’adulte soit utilisable par l’enfant pour son apprentissage actif : un texte
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2. Ceci serait à nuancer quelque peu en 1998. Il faudrait mentionner l’accroissement notable de
la présence des livres dans toutes les collectivités de petite enfance (les écoles maternelles en
tête), ainsi que l’excellente action de terrain menée dans ce but par ACCES, association créée
par le docteur R. Diatkine et la docteure M. Bonnafé.
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Sartre explique, dans Les Mots (Gallimard, p. 34-36) comment lui a été communiqué
le désir impérieux d’apprendre à lire, comment il a pris conscience par le truchement
de sa mère, de la différence entre parlé et écrit :
« Anne-Marie me fit asseoir en face d’elle, sur ma petite chaise ; elle se pencha,
baissa les paupières, s’endormit. De ce visage de statue sortit une voix de plâtre. Je
perdis la tête : qui racontait ? quoi ? et à qui ? Ma mère s’était absentée : pas un sou-
rire, pas un signe de connivence, j’étais en exil. Et puis je ne reconnaissais pas son
langage. Où prenait-elle cette assurance ? Au bout d’un instant j’avais compris :
c’était le livre qui parlait. Des phrases en sortaient qui me faisaient peur : c’étaient
de vraies mille-pattes, elles grouillaient de syllabes et de lettres, étiraient leurs diph-
tongues, faisaient vibrer les doubles consonnes ; chantantes, nasales, coupées de
pauses et de soupirs, riches en mots inconnus, elles s’enchantaient d’elles-mêmes
et de leurs méandres sans se soucier de moi : quelquefois elles disparaissaient avant
que j’eusse pu les comprendre, d’autres fois j’avais compris d’avance et elles conti-
nuaient de rouler noblement vers leur fin sans me faire grâce d’une virgule.
Assurément, ce discours ne m’était pas destiné. Quant à l’histoire, [que Sartre
connaissait par les récits « parlés » de sa mère], elle s’était endimanchée […]. Anne-
Marie, aussi, c’était une autre, avec son air d’extra-lucide : il me semblait que j’étais
l’enfant de toutes les mères, qu’elle était la mère de tous les enfants […]. À la longue
je pris plaisir à ce déclic qui m’arrachait de moi-même […]. Aux récits improvisés, je
vins à préférer les récits préfabriqués ; je devins sensible à la succession rigoureuse
des mots à chaque lecture ils revenaient, toujours les mêmes et dans le même ordre,
je les attendais. Dans les contes d’Anne-Marie, les personnages vivaient au petit
bonheur, comme elle faisait elle-même : ils acquirent des destins. J’étais à la Messe :
j’assistais à l’éternel retour des noms et des événements.
Je fus alors jaloux de ma mère et je résolus de lui prendre son rôle. […] »
3. Il existe maintenant une association « Les amis du Père Castor » (87380 Meuzac) qui réédite
des textes de Paul Faucher et certains albums qui ont toujours autant de succès auprès des
enfants.
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Lutteur inlassable, Paul Faucher a apporté dès 1929 des orientations décisives
dans les conceptions et objectifs des utilisateurs et des concepteurs de livres d’en-
fants.
Les écrits que nous possédons de Paul Faucher sont en nombre réduit : quel-
ques interviews et articles, mais les livres réalisés dans ses collections illustrent
largement ses vues.
En ce qui concerne les caractéristiques des textes, il n’a pas à ma connaissance
poussé très loin les précisions, se contentant de remarquer qu’il avait tenté « de
délivrer les enfants des thèmes conventionnels qui leur étaient imposés à cette
époque (1930). Ce que les albums du Père Castor leur ont apporté, c’est la poésie
du réel et le merveilleux de la nature ».
« Mais il ne suffit pas de connaître la nature et de l’aimer, il ne suffit pas d’être docu-
menté dans le plus petit détail, il ne suffit pas d’écrire agréablement. Pour toucher
les enfants, il faut encore être près d’eux par le cœur. Pour capter leur intérêt, il faut
savoir trouver le ton juste et les mots qui portent. C’est un don très rare. Je ne l’ai pas
rencontré plus de trois ou quatre fois en trente ans. »
Paul Faucher, Conférence à Zurich, mai 1957.
Ailleurs :
« Nous avions le désir d’aider nos jeunes lecteurs à saisir le pouvoir de la lecture en
leur offrant des récits qui répondent à leurs intérêts, écrits dans une langue qu’ils
puissent comprendre, avec des illustrations vivantes qui racontent elles aussi l’his-
toire, expliquent et touchent. Ambition à échéance plus lointaine : donner l’habitude
de la lecture personnelle et non la manie de feuilleter ou… de dévorer l’imprimé 4. »
4. Enfance, numéro spécial « Les livres pour enfants », 1956. Interview de Paul Faucher par
Marc Soriano.
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Une réponse honnête à cette question ne peut être que négative. Le travail de
recherche n’est encore qu’ébauché, il s’avère fort délicat, car il faut prendre en
compte des composantes disparates et faire la chasse aux idées reçues.
La simplicité
Parmi les idées reçues, l’une des plus tenaces est que l’adulte disposerait des cri-
tères qui permettent de reconnaître ce qui est simple, donc ce qui ne l’est pas, pour
un enfant. Or nous sommes ramenés à plus de réalisme, aussi bien par des études
sur le développement cognitif (voir les travaux d’Emilia Ferreiro de l’Université de
Genève, par exemple sa contribution au Colloque sur Apprentissage et Pratique de
la lecture à l’école, actes du Colloque, CNDP, Paris 1979, p. 118-119), que par des étu-
des linguistiques de parlers enfantins (voir par exemple L. Lentin et al. « Apparition
de la syntaxe chez l’enfant », Langue Française n° 27, Larousse, 1975).
L’enfant s’installe dans le monde réel, et met en fonctionnement tous les élé-
ments de sa personnalité, non pas suivant un processus programmé dans tous ses
détails, le même pour tous, mais à travers une succession d’événements (néces-
sairement différents pour chaque individu) parmi lesquels il tâtonne et choisit et à
partir desquels il organise et construit ses propres systèmes.
Le vocabulaire
Ceci implique que, suivant ce que lui apporte sa vie, le milieu naturel et social
qui l’entoure, la façon dont ce qu’il vit est verbalisé par autrui à son intention, l’en-
fant va comprendre ceci et non cela, « accrocher » à ce qu’il connaît pour savoir ce
qu’il ne connaît pas… On ne peut donc pas affirmer par exemple : l’enfant de 3 ans
comprend tels mots, et non tels autres. Certes, il ne faut jamais se départir du bon
sens : nulle étude approfondie n’est nécessaire pour refuser de lire à un enfant de
3 ans un commentaire d’image de ce genre : « Le regard de X trahissait son anxié-
té », ou « Après mûre réflexion, Y se résigne à se passer de souper », etc.
Par contre, on est parfois surpris de voir un enfant bloqué dans l’incompré-
hension d’un texte « très simple » où il est question d’un gilet (alors que lui
connaît : tricot, pull, maillot, ou… col roulé, ou même « petite laine »), ou bien d’un
placard (alors qu’il connaît : armoire, buffet ou… élément), ou encore d’un épicier
(alors que lui ne connaît que la grande surface du coin). Ainsi de : partir/s’en
aller/se barrer, enlever/ôter, mettre/foutre, soulever/porter, fric/argent, etc.
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Méthodes de lecture
toujours utilisées dans les écoles
Si l’on considère des « champs lexicaux », on s’aperçoit que parfois les enfants
sont précocement très « calés » dans un domaine qui leur est familier, complète-
ment dépourvus d’information dans un autre qui leur est étranger, mais ce qui est
familier aux uns peut être étranger à d’autres enfants. Le phénomène est d’ailleurs
le même chez les adultes, mais il ne porte généralement pas sur ce qui nous sem-
ble appartenir au familier et au quotidien de tout un chacun.
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Un petit citadin de 5 ans, voyant un poulain sur une image, déclare « ça, c’est le veau
du cheval », ce qu’assurément ne pourrait pas dire un enfant vivant dans un milieu
d’agriculteurs (il y en a encore).
La construction syntaxique
Le texte que nous cherchons devrait présenter des formulations proches du
parler que l’enfant est habitué à entendre et à manipuler. Qu’est-ce à dire ?
C’est sans doute à ce confluent que se situent les difficultés les plus considé-
rables : s’agit-il de « style » ou s’agit-il d’une langue écrite standardisée dans une
« correction » normée, voire puriste…
Passerelle entre le parlé connu (ou reconnu) de l’enfant et l’écrit sous ses for-
mes infiniment diverses, une « bonne » formulation est-elle possible ?
Une expérience désormais courante consiste à enregistrer au magnétophone
du français parlé (causeries, entretiens de toutes sortes, dialogues, tables ron-
des, etc.), puis de le transcrire. On s’aperçoit alors que si on se tient à une trans-
cription exacte (même en supprimant les répétitions et bafouillages ainsi que les
nombreux euh… hein… alors… ben, etc.) on n’obtient pas une énonciation écrite
utilisable sans modification. Si donc on veut obtenir une séquence de français
écrit, il faut procéder dans une large mesure à une écriture, au cours de laquelle
vont surgir quantité de problèmes à résoudre.
Par exemple, que feron-nous :
– des formes interrogatives non canoniques du type : « Je peux entrer ? », « Ma
copine est malade ? », etc.,
– de la fameuse forme négative qui, de plus en plus et chez les locuteurs de
tout « niveau » d’instruction, se réduit de nos jours à un élément post-verbal
(pas, plus, jamais, etc.), le ne préverbal disparaissant (« on veut pas », « je
le ferai plus », « elle ira jamais »…). On notera que c’est un changement en
cours de la langue française.
Parmi les producteurs de livres pour enfants, certains ont pris un parti (souvent
mal compris, mais le public s’y fait petit à petit…) que le linguiste ne peut
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qu’approuver : lorsqu’il s’agit d’un passage de récit, les deux parties de la négation,
la forme interrogative inversée.., sont respectées, mais lorsqu’il s’agit d’un discours
rapporté mis entre guillemets, c’est la forme parlée courante qui est écrite.
À quoi bon ? objecterez-vous.
Au cours des expérimentations que nous menons maintenant depuis de lon-
gues années avec de jeunes et très jeunes enfants, nous avons constaté que
lorsque le texte d’un livre présente ces caractéristiques, l’apprenti parleur réussit
une approche du livre radicalement autre que si on lui lit par exemple une comp-
tine, un texte « poétique » ou un conte écrit dans un style traditionnel. Pour éviter
toute méprise, je répète à nouveau qu’il n’est pas question de rejeter ces autres
écrits, mais je veux dire que l’enfant ne peut pas recevoir, exploiter de façon iden-
tique un texte qu’il comprend peu, voire pas du tout (même s’il lui apporte plaisir
et richesse affective) et un texte qui est en grande partie à sa portée.
Certains chercheurs ont montré, par des enquêtes fort intéressantes, que pour
qu’un lecteur (adulte ou enfant) puisse comprendre ce qu’il lit (ou ce qui lui est lu),
il faut qu’il puisse repérer du déjà connu dans une proportion de 80 % par rapport
à 20 % d’inconnu ! Si vous regardez la plupart des livres d’enfants, la proportion
est bien souvent inversée !
Que fait l’enfant d’un texte approprié ? D’abord, il y trouve un plaisir affectif, sen-
soriel, esthétique, mais en même temps il y trouve un matériau dans lequel il peut
puiser pour verbaliser à son tour. Attention ! il ne s’agit pas de mémorisation d’un
texte, d’un « apprendre par cœur », comme c’est le cas pour une comptine, un
poème, une chanson… Il s’agit d’un choix qu’opère l’enfant, choix qui est pour nous
imprévisible, puis l’enfant intègre dans son propre système du moment les éléments
qu’il a choisis, sans qu’il soit possible (dans l’état actuel de nos connaissances) de
distinguer les éléments du fonctionnement mental des éléments du fonctionnement
verbal. Raisonnement et verbalisation du raisonnement s’élaborent dans un travail
interactif (nous suivons ici la voie féconde ouverte par Henri Wallon).
Ce travail rend possible toute la suite de tâtonnements qui permet à l’enfant
d’accéder progressivement à l’autonomie langagière. Rappelons que, comme tout
apprendre, l’apprendre à parler et à penser est un processus actif et non un phé-
nomène passif. Ce travail, facilité par le texte du livre illustré, apporte en outre à
l’enfant ce qu’on peut appeler (pourquoi pas ?) un plaisir intellectuel. Ce n’est pas
aux lecteurs de la Revue des livres pour enfants que j’apprendrai la joie intense
que manifeste un enfant lorsque, après des lectures et des relectures par l’adulte,
à travers mille et mille tâtonnements, il réussit à parler l’histoire que raconte un
livre depuis le début jusqu’à la fin. (Notons en passant que cette verbalisation
peut être au début très partielle, le bébé commençant par mimer, produire des
onomatopées ou s’approprier d’une façon quelconque les éléments du récit qu’il
choisit.)
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• Emploi de « je »
« Je joue avec mes poupées ».
« Je regarde par la fenêtre ».
« Je vais à l’école ».
Qui est ce « je » ?
– Est-ce la personne qui lit à l’enfant ? Ou quelqu’un (Qui ? L’auteur ?) qui parle par
sa voix ?
– Est-ce le personnage représenté sur l’image ? mais alors il n’a pas été présenté.
– Est-ce l’enfant à qui le texte est lu ? Mais alors ce serait l’adulte lecteur qui dirait
« je » à sa place !
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Ou bien : «… Le texte ne suit pas toujours et peut déboucher sur des interpré-
tations erronées », « un texte très mal adapté aux petits », «… les illustrations sont
expressives et très lumineuses. Elles pourraient se passer du texte qui, pourtant
les accompagne parfaitement… », « Le texte est superflu… », « versification un peu
laborieuse », « vocabulaire non adapté aux petits »…
Il faudrait aussi mentionner que, pour certains spécialistes, les textes écrits (ou
dictés à l’adulte) par des enfants, seraient particulièrement bien adaptés (ce qui
n’est pas mon avis, expérimentations à l’appui).
Les remarques qui précèdent évoquent (un peu sommairement) une manière
de critique littéraire. Ces analyses ne proposent pratiquement jamais de mise en
relation des caractéristiques d’un texte avec les informations que les recherches
des vingt dernières années ont commencé à apporter sur l’acquisition et le fonc-
tionnement du langage chez l’enfant. (Pour une première évocation en profondeur
de cette problématique, je rappelle l’important chapitre qu’Isabelle Jan a écrit
dans Du parler au lire : « Le texte dans le livre pour enfants ».)
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Le souhait que je voudrais formuler est que s’ouvre ici une tribune d’échanges
à propos d’un projet de longue haleine, dont l’extrême complexité et l’enjeu
n’échappent à personne.
Est-il traité ici de « littérature enfantine » ? je ne sais pas, mais il est certaine-
ment question de livres pour enfants… Or il est plus urgent que jamais d’œuvrer à
faire se rejoindre (voire même se confondre) livre-plaisir et livre scolaire puis-
qu’aussi bien il est désormais amplement prouvé qu’on n’apprend véritablement
qu’en rencontrant plaisir et intérêt.
Paul Faucher disait déjà en 1957, lors d’une conférence à Zurich :
« […] Il n’est pas suffisant d’amener un plus grand nombre d’enfants au livre. Il faut
encore que les publications qui leur sont offertes leur apportent quelque chose de plus
que le plaisir de lire. […] Il devrait être possible de concevoir des ouvrages qui seraient,
non pas des livres scolaires, mais des instruments de développement personnel.
Instruments conçus de telle sorte que le seul fait de s’en servir amène l’éducateur, insen-
siblement mais nécessairement, à prendre une nouvelle attitude pédagogique !... »
Et plus loin : « … Les enfants ont droit à plus d’égards et de respect que tout autre
public »… pensée qu’on aimerait adopter comme devise et comme program-
me !
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Le formateur est un chercheur 1
1. Ce texte est paru dans Raison Présente, n° 71, 1984. Ces quelques réflexions semblent encore
d’actualité, alors qu’il est toujours difficile d’établir la communication entre recherche et pratique.
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mais si vous vous entretenez avec des formateurs de formateurs, ils vous diront
presque inévitablement : « Ce que demandent les praticiens, ce sont des recet-
tes. » C’est également la demande que rencontre bien souvent le chercheur.
Comment s’en étonner ? La formation reçue par les maîtres eux-mêmes leur a
proposé une certitude : en matière d’enseignement, les mêmes procédés suscitent
les mêmes résultats.
Que dire qui n’ait été dit et redit ?
Notre système éducatif et ses pédagogies ont été, essentiellement, depuis la
fin de la Seconde Guerre mondiale, l’objet d’innombrables analyses, critiques,
polémiques, projets, contre-projets, recherches, réformes, contre-réformes… C’est
une tarte à la crème que d’évoquer l’incertitude et l’angoisse de beaucoup
d’enseignants et de beaucoup de parents, l’agressivité de certains autres et, d’une
manière générale, la préoccupation d’ordre national qu’est devenu ce domaine
particulièrement complexe où dominent malheureusement plus souvent des
modes ou des vedettes que les résultats de recherches en sciences humaines.
Dans l’espace restreint de ces pages, je me bornerai à quelques notations que
m’inspirent de nombreuses années d’enseignement et de recherche. Je me limite-
rai essentiellement aux secteurs dans lesquels je travaille : l’apprentissage du lan-
gage oral et écrit dans l’enseignement pré-élémentaire, élémentaire, spécialisé
secteurs « sensibles », s’il en est.
Sans polémiquer sur le terme même de pédagogie, celui qui porte la redouta-
ble charge d’enseigner ne devrait réclamer ni recettes ni procédés préfabriqués.
Ce dont il a fondamentalement besoin est autre. Des connaissances, il lui en faut
certes, à propos de ce qu’il doit enseigner, mais il lui faut (il lui faudrait) surtout
avoir mené de sérieuses réflexions ainsi que des expérimentations diversifiées sur
quelques points essentiels :
• Qu’est-ce qu’apprendre pour lui, adulte, et que peut-il en déduire sur ce
qu’est apprendre pour tout apprenant ?
• Comment exerce-t-il, lui adulte « compétent », l’activité cible ou comment uti-
lise-t-il les connaissances visées ?
• Que sait-il des apprenants qu’il a à instruire ? (Nous posons que chaque indi-
vidu est unique et nous nous refusons à considérer anonymement une clas-
se d’âge, une catégorie d’élèves, etc.)
• Comment envisage-t-il ses propres échanges avec les apprenants, son rôle
dans l’interaction qui s’instaure entre apprenant et appreneur au cours du
processus de l’apprendre ?
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La nouvelle attitude engendrée par une telle préparation évite à coup sûr la
désastreuse habitude, actuellement la plus répandue, qui consiste pour le praticien
à appliquer des directives pédagogiques sans être en mesure de se demander pour
chaque activité qu’il propose, ce qu’il est réellement en train de faire et par rapport
à chacun des élèves qu’il enseigne et par rapport à l’objectif poursuivi.
Apprendre
Apprendre n’est pas recevoir passivement quelque transmission de savoir ou
de savoir-faire, apprendre suppose une activité créatrice de celui qui apprend et
de celui qui éventuellement l’aide.
Chaque élément que tente de s’approprier l’apprenant s’introduit dans le fonc-
tionnement de son système mental (pour ne parler que de lui) en le modifiant. De
nombreux auteurs l’ont montré : ce qui est appris ne s’additionne pas à ce qui est
déjà maîtrisé, mais modifie l’ensemble du système. Je renvoie ici aux nombreux
travaux récents qui tentent de faire avancer la connaissance du fonctionnement du
cerveau, particulièrement en ce qui concerne la mémoire d’une part, et la compré-
hension d’autre part.
Apprendre est un ensemble d’actes personnels, intelligents, impliquant des
mises en relation propres à chaque individu, qui parvient ainsi à un usage auto-
nome de ce qu’il acquiert et à la possibilité d’accroître ou de modifier indéfiniment
cet apprendre, grâce à un libre accès aux travaux du passé ainsi que de la
communauté scientifique, technologique et culturelle de son temps.
Il n’est sans doute pas nécessaire de préciser qu’une telle conception de
l’apprendre suppose l’intérêt et le plaisir de l’apprenant.
On parle, on a parlé jusqu’à saturation de l’indispensable « motivation » de
celui qui apprend.
Notons seulement que certains apprentissages qui sont éventuellement res-
sentis comme ennuyeux, répétitifs, seront acceptés facilement, dans la mesure où
ils seront insérés dans un projet global apprécié et assumé par l’apprenant.
Un éducateur « compétent » ?
L’instituteur est un maître « polyvalent »… il devrait être un homme-orchestre !
Or, comment pourrait-il acquérir une compétence spécialisée dans tous les domai-
nes qu’il lui faut aborder avec ses élèves ? En revanche, il me semble qu’il lui est
possible de parvenir à une attitude et de pratiquer une démarche qui lui permet-
tront d’affronter la diversité de ses tâches.
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Suivant ses goûts, il peut choisir d’approfondir tel ou tel champ. Il y deviendra
compétent, ou au moins éclairé, capable de choisir ses conduites d’éducateur en
connaissance de cause. Il se tiendra au courant des recherches et expérimenta-
tions et pourra en tirer profit sans précipitation et sans a priori, ayant acquis la
possibilité de se faire une opinion personnelle.
Dans mon travail de chercheur, mené constamment en équipe avec des prati-
ciens et devenant parfois action de formation, il est apparu avec une évidence
aveuglante que celui qui devient dans un domaine ce praticien-chercheur qui à
mes yeux est le seul « pédagogue » authentique, celui-là adopte de façon irréver-
sible cette attitude ouverte et féconde dans tous les autres domaines et sait trou-
ver les voies et les moyens de pratiquer les démarches voulues auprès des
apprenants.
Prenons un exemple : le langage ou plutôt le parler-lire-écrire.
Qu’est-ce que parler, pour un adulte « compétent » qui maîtrise ce qu’on
appelle sa langue maternelle (ou langue natale) ? Sans devenir nécessairement un
linguiste émérite, chacun peut, en rapport avec sa propre expérience et grâce à
certains travaux spécialisés, prendre conscience de la problématique complexe du
fonctionnement du langage dans ses aspects anthropologiques, sociologiques,
scientifiques.
Qu’est-ce que lire, pour un lecteur compétent ? Comment aider des apprenants
(quel que soit leur âge) à acquérir la langue écrite si on n’a pas regardé de près la
nature de l’acte de lire, ainsi que son statut socioculturel ? D’innombrables métho-
des de lecture (très « pédagogiques ») amènent les maîtres à croire que l’appre-
nant sait lire (= recevoir et traiter la signification d’un texte) alors qu’il ne sait que
déchiffrer (= transformer un signe écrit en un signe sonore, assembler des lettres
et des syllabes). C’est en analysant sa propre activité de lecteur, à la lumière des
travaux des chercheurs, que l’éducateur pourra enseigner à l’apprenant à trouver
le sens de ce qu’il lit en utilisant le fonctionnement de son propre langage.
Enseigner à écrire suppose aussi qu’on ait découvert qu’écrire ne signifie pas
copier, mais rédiger et qu’on ait pris conscience que les difficultés que rencontre
le débutant ressemblent comme des sœurs à celles que doit surmonter tout un
chacun dans cette activité, sans tomber dans le piège des « dons », des « non-
dons », ou des « sur-dons ».
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valeurs propres, sa représentation du monde, qu’il a vécu (même s’il est encore
très jeune) sa propre histoire, qu’il construit sa personne au moyen de ses expé-
riences qui ne sont celles d’aucun autre.
Si l’espèce humaine possède dans son patrimoine génétique un certain nom-
bre de potentialités, nous savons désormais que chaque être ne les développe que
grâce aux échanges féconds qui s’instaurent entre lui et d’autres et que ses
milieux de vie conditionnent l’ensemble de son développement en lui offrant les
matériaux, les interactions, les expériences qu’il peut exploiter pour construire sa
personnalité, son savoir, son savoir-faire.
Je ne veux pas dire que dans nos écoles les enseignants devraient connaître de
l’intérieur tout ce que vit chacun de leurs élèves. Ne caricaturons pas ! Je veux dire
que si l’éducateur parvient à rejeter le « bon élève » modélisé et pédagogisable
qu’il a dans la tête et qui lui occulte toute autre occurrence d’apprenant, il consi-
dérera chacun de ceux qu’il a à enseigner comme un être humain à part entière,
quelles que soient ses caractéristiques ethniques, physiques, psychologiques,
sociologiques… et instaurera avec lui des relations personnalisées et privilégiées
qui seules peuvent étayer un dialogue éducatif.
Cette capacité de dialogue authentique est une qualité indispensable à tout
éducateur, quel que soit l’âge de ceux dont il a la charge et quel que soit le domaine
de l’enseignement.
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Au gré des mouvements aussi variés et inattendus que ceux de la vie elle-
même, au cours d’improvisations qui vont et viennent entre deux partenaires,
l’appreneur ajuste étroitement à chacun le contenu et la forme de son interven-
tion. Au cours de l’apprendre à parler du jeune enfant (de la naissance à 5-6 ans),
puis au cours de l’apprendre à lire-écrire, on peut ainsi étudier le rôle décisif de
ce que l’éducateur « offre » ou « renvoie » à son interlocuteur. A partir de là, quelle
est la place de la reprise, de l’imitation, de la mémoire, de l’intuition, de la compré-
hension, de la relation affective, de l’imagination… ?
Les expérimentations montrent comment l’apprenant travaille à sa façon, selon
ses choix (dont nous ne perçons pas les secrets), à partir de ce qu’il maîtrise déjà
et à partir de ce qu’il expérimente à l’aide des matériaux et des fonctionnements
qui lui sont présentés par l’autre.
Ajoutons, en passant, qu’il n’est pas besoin d’utiliser de « ruse pédagogique » :
on redécouvre chaque jour au cours de ces expérimentations que tous les enfants
aiment apprendre, veulent apprendre, à la seule condition qu’on n’entrave pas
leurs efforts en ne les reconnaissant pas tels qu’ils sont et en leur imposant une
pédagogie collective, unifiée et figée.
Le moins émouvant n’est pas de constater que des adultes de tous âges, si
l’exclusion par l’école et la société peut être rompue, manifestent également ce
désir d’apprendre. Je pense notamment à des adultes des populations les plus
démunies – le Quart Monde – qui demandent à apprendre à lire et à écrire, et qui
y parviennent.
J’entends d’ici ceux qui m’accusent de préconiser la très ancienne pratique du
préceptorat. Il n’en est rien : je crois à l’école et au collectif qu’elle représente, à
condition qu’elle soit véritablement insérée dans la cité parmi tous les citoyens, et
à condition qu’au sein de cette collectivité chacun soit enseigné de façon appro-
priée. Il est possible, de nombreuses expérimentations le montrent, d’individualiser
les échanges avec chaque apprenant, à condition de modifier certains aspects de
l’organisation scolaire et de rompre avec un apprendre fictif, fruit d’illusions péda-
gogiques.
Ce rejet de l’illusion pédagogique suppose des enseignants devenus des
praticiens-chercheurs, ce qui bien entendu ne s’improvise pas.
La formation
Une telle pratique de l’interaction, pour être efficace, ne peut s’appuyer que
sur une formation appropriée, tant formation initiale que formation continuée.
Ce qui a été évoqué pour l’apprenant doit être mis préalablement à la disposition
du formateur. Il s’agit pour lui d’acquérir cette nouvelle attitude, non seulement vis-
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Le 21 février 1986
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Annexes
Afin d’aider ceux de nos lecteurs qui souhaiteraient réaliser eux-mêmes une
étude de langage en cours d’acquisition, les annexes qui suivent présen-
tent quelques indications concernant la méthodologie utilisée pour les tra-
vaux évoqués dans cet ouvrage.
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Transcription
Présentation matérielle
Les énoncés de l’adulte sont transcrits à partir de la gauche de la feuille, à la
marge, et sont numérotés A 1, A 2, …… A n.
Les énoncés de l’enfant sont transcrits en retrait de la transcription de l’adulte,
vers la droite, à 4 cm de la marge (ou 10 intervalles). Ils sont désignés par l’initiale
1. Au cours des dix dernières années, ces conventions ont été légèrement modifiées. En revan-
che, de nouvelles conventions ont été établies et sont en cours de recherches, en vue d’un trai-
tement informatique de corpus de langage oral en voie d’acquisition. Voir à ce sujet le n° 60-61
de l’Acquisition du langage oral et écrit, 2008.
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Exemple de présentation :
A 1 – D’abord, il ramasse un joli caillou rond.
D 1 – i(l) va le mett(r)e dans le p(e)tit panier
A 2 – Oui, i(l) va pas mett(r)e tous les cailloux, il choisit les cailloux qu’il va ramasser.
D 2 – oui ben maintenant il est en train d(e) le ramasser
La transcription
Il faut savoir que la transcription ne peut pas refléter l’enregistrement avec une
fidélité parfaite : la prononciation d’un même sujet, enfant comme adulte, est
variable. Le but de notre travail sur corpus n’est pas une analyse fine de la pro-
nonciation. C’est une étude approfondie de la sémantique et de la syntaxe en fonc-
tion de l’objectif précis que nous fixons à l’analyse. Cette analyse doit être
rigoureuse, chaque corpus présentant des données particulières. Les éléments
transcrits sur lesquels subsistera un doute ne seront ni interprétés ni analysés. On
ne formulera éventuellement que des hypothèses.
1. Transcrire tout ce qui est dit par l’adulte et par l’enfant.
2. Transcrire les hésitations, les répétitions.
3. Transcrire les mots selon l’orthographe usuelle, c’est-à-dire :
– dans le cas de mots où certaines lettres ou syllabes ne sont pas prononcées,
les faire apparaître entre parenthèses pour la compréhension du corpus :
– ne pas changer ce que dit l’enfant si ce n’est pas compréhensible mais indi-
quer entre parenthèses l’interprétation que vous en faites :
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– noter les mots indistincts (ind.). Ne pas numéroter l’énoncé si tous les mots
de cet énoncé sont indistincts ;
– « mm » seul n’est pas comptabilisé comme énoncé mais est transcrit sans
que l’énoncé soit numéroté. Exemple :
Exemple : la porte.
[s] [ə]
Exemple : un chat une pomme
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7. La notation des silences est très importante. Les silences sont notés entre
deux virgules plus ou moins espacées :
L’adulte relit ce qui a été dicté par l’enfant : soulignage en petits traits dis-
continus
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– L’adulte relit ce qui a été dicté pour inciter l’enfant à continuer la dictée à
l’adulte. Il emploie un ton suspensif : terminer l’énoncé par une virgule sui-
vie d’une barre oblique
– Tout ce qui concerne la prosodie dans les énoncés de l’enfant dictant doit
être indiqué de façon très détaillée entre parenthèses.
Noter les silences.
– La ponctuation de l’écrit est respectée :
• quand l’adulte dit ce qu’il écrit, il n’y a pas de majuscule en début d’énoncé
s’il n’y en a pas dans le texte. Exemple :
A 19 – Les lapins
E 20 — ((sont rentrés chez eux (.)))
A 20 – sont rentrés chez eux
• quand l’adulte relit ce qui a été écrit, la ponctuation de l’écrit est conservée.
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Quelques définitions
Corpus (C) : ensemble des énoncés attestés dans des enregistrements de
conversation entre un enfant déterminé et un adulte. Par extension, fragment de
cet ensemble produit lors d’un enregistrement déterminé.
Énoncé (é) : d’après Z.S. Harris, « toute partie de discours, tenue par une seule
personne, avant et après laquelle il y a silence de la part de la personne ».
Phrase (Ph.) : pour L. Bloomfield et au sens où nous en avons besoin ici : « La
phrase est une forme linguistique indépendante qui n’est pas incluse en vertu d’une
quelconque construction grammaticale dans une forme linguistique plus grande ».
Complexité des énoncés : les énoncés peuvent être caractérisés par des formes
de complexité syntaxique différentes. On distinguera :
– Ph. s. : les énoncés contenant une phrase simple.
– Ph. s. m. : énoncés contenant des phrases simples multiples ; énoncés compo-
sés de phrases simples juxtaposées ou coordonnées.
– Ph. c. : les énoncés contenant une ou plusieurs phrase(s) complexe(s) compor-
tant un introducteur de complexité et éventuellement une ou plusieurs phra-
ses simples.
– I.C. : les « introducteurs de complexité » ont été déterminés expérimentale-
ment ; certains (introducteurs sélectionnés) sont apparus comme les plus
significatifs de la progression de la complexité syntaxique en liaison avec
l’articulation du raisonnement dans le langage en voie d’acquisition (liste
établie au cours de l’enquête préliminaire à la recherche effectuée en 1969
sur un corpus de dialogues authentiques entre des adultes et des enfants de
3 à 7 ans, et toujours confirmée depuis).
Dans une phrase contenant plusieurs introducteurs de complexité (I.C.), ces
I.C. peuvent être juxtaposés ou emboîtés.
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• I.C. juxtaposés :
Exemple : maman emmène Tom chez la dame qui le garde et il a emmené le petit lapin
que Mamie lui a donné
• I.C. emboîtés :
Exemple : quand maman fait la cuisine, Victor et Pauline se font de grandes mousta-
ches en léchant le chocolat qui est dans le bol
Victor est déjà là parce qu’il est descendu plus vite que elle.
Exemple : ma sœur elle est plus petite que/plus petite de/ma sœur elle est petite et
moi je suis grande
NB. Dans les transcriptions, les énoncés sont repérés de la façon suivante :
l’initiale du prénom du locuteur et le numéro.
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Introducteurs de complexité
à + V inf*
de + V inf
discours indirect
il faut que
interrogative indirecte ex. : je sais ce que, je vais voir comment, je (ne) sais (pas)
si…
introducteurs temporels autres que quand (lorsque) : dès que, après que, chaque
fois que, pendant que, avant que, etc.
où relatif
parce que
pour + V inf
pour que
puisque
que conjonction
si supposition et condition
V + V inf
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Total
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Le texte
Les relations énonciatives
S’agit-il d’une narration à la troisième personne avec effacement du narrateur
ou d’une narration à la première personne ?
Narration et dialogues sont-ils bien distincts ?
Les différents locuteurs sont-ils identifiables avant leurs paroles ? Comment ?
(Phénomènes à éviter, ne convenant pas pour des enfants dont le langage est en
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Correspondance texte/illustration
Mise en page
Pages de couverture (titre, image-titre : est-elle reprise d’une image du livre, ou
non ?), pages de garde, page titre. Typographie. Présence de majuscules. Emploi
de la ponctuation.
Emplacement respectif du texte et de l’illustration.
Régularité ou irrégularité de la mise en page. Préparation au mouvement de la
lecture.
Redondance justifiée ou non, ou contradictions, entre le texte et l’illustration.
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Guide pour l’analyse d’un livre illustré destiné à être lu par un adulte à un enfant non encore lecteur
L’illustration
Style. Les illustrations sont-elles accessibles à l’enfant ? Objets et personnages
sont-ils représentés en entier ou de manière partielle ? Les personnages sont-ils
reconnaissables et différenciables les uns des autres ? Présence de repères dans
l’espace et permanence du décor.
Conclusion
Dans quelle mesure le texte peut-il être utilisé pour l’entraînement langagier et
cognitif de l’enfant ? Comporte-t-il des éléments qui permettront à l’enfant de
raconter l’histoire à sa manière après quelques lectures par l’adulte ?
L’âge d’utilisation possible et les qualités du livre vous semblent-ils concorder
avec les indications de l’auteur ou de l’éditeur ?
Avis personnel.
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BOSSEAU A., CANUT E., Elle/il apprend à parler. Comment l’aider ?, Paris, Retz, 2009,
(sous presse).
• Petit manuel simple et clair expliquant en détail les mécanismes de l’acquisi-
tion du langage, le caractère individuel de cet apprentissage, le rôle des
adultes qui parlent à l’enfant apprenti-parleur, les caractéristiques d’une inter-
action langagière bien adaptée. Des exemples, des informations complètent
cet ensemble.
BOURDIEU P., Ce que parler veut dire. L’économie des échanges linguistiques, Paris,
Fayard, 1982.
– La misère du monde, Paris, Le Seuil, 1993.
• Les travaux du sociologue P. Bourdieu font autorité dans les domaines qu’ils
abordent et apportent un éclairage fondamental.
BOUVET D., La parole de l’enfant : pour une éducation bilingue de l’enfant sourd, Paris
PUF, collection Le fil rouge, 2003, réédition augmentée.
• Ouvrage fondamental d’une pionnière de la langue des signes pour l’acqui-
sition du langage par l’enfant sourd.
BOYSSON-BARDIES B., Comment la parole vient aux enfants, de la naissance jusqu’à
deux ans, Paris, Odile Jacob, 1996.
BRONCKART J.-P., Genèse et organisation des formes verbales chez l’enfant, Bruxelles,
Mardaga, 1976.
– Théories du langage. Une introduction critique, Bruxelles, Mardaga, 1977.
– Activité langagière, textes et discours : pour un interactionnisme sociodis-
cursif, Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1997.
• Principes théoriques de l’interactionnisme sociodiscursif en sciences cogni-
tives.
BRONCKART J.-P., SCHNEUWLY B., Vygotsky aujourd’hui, Paris-Neuchâtel, Delachaux
et Niestlé, 1985.
• Exposé clair des vues de Vygotsky.
BRUNER J.-S., Le développement de l’enfant : savoir-faire savoir-dire, Paris, PUF, 1983.
• Recueil d’articles publiés en anglais entre 1972 et 1982, fondamentaux de
la pensée de l’auteur.
– Comment les enfants apprennent à parler, Paris, Retz, 1987.
– Car la culture donne forme à l’esprit (de la révolution cognitive à la psycho-
logie culturelle), Paris, ESHEL, 1991.
– L’éducation, entrée dans la culture, Paris, Retz, 1996.
• Pour cet auteur, l’évolution de l’intelligence est inséparable de la structura-
tion par le langage. Le développement individuel est soumis à l’influence du
milieu socioculturel. Importance du « tutoring » : interaction individualisée
permettant le passage de la communication au langage.
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DELSART C., FAYART D., Le Quart-monde, TDC (Textes et documents pour la classe)
n° 537, Paris, CNDP, 1990.
• Document bien conçu sur la misère en France, les populations du Quart-
Monde dans leur réalité crue. Analyse constructive orientée vers des solu-
tions culturelles et de solidarité dans le cadre des Droits de l’Homme.
DESCLÉS J.-P. et al., Langage et cognition, Paris, revue Intellectica, n° 6, 1988.
DIATKINE R., « L’enfant en communication dans ses différents milieux de vie. Propos
d’un psychanalyste », Paris, Enfance, 4-5, 1980.
– « L’écrit, l’enfant et le psychiatre », in L’enfant et l’écrit, Paris, Textes du
Centre Alfred Binet, n° 3, 1983, p. 1 13.
– « La formation du langage imaginaire », Paris, Le français aujourd’hui, n° 68,
1984, p. 25-29.
• R. Diatkine, pédopsychiatre, a apporté, par ses recherches, son enseigne-
ment et son action, un éclairage original et décisif sur le développement de
l’enfant en général, et en particulier sur son développement mental et lan-
gagier. Il s’est intéressé particulièrement aux enfants de milieux démunis ou
en échec scolaire, prônant inlassablement la prise en considération de
chaque enfant dans sa personnalité unique, au moyen d’une interaction
individuelle.
DOLTO F., Destins d’enfants, Paris, Gallimard, 1995 (rééd.).
– Tout est langage, Paris, Gallimard, 1995 (rééd.).
• Les travaux de F. Dolto, célèbre pédopsychiatre, marquent fortement les
conceptions contemporaines sur le développement mental et affectif de
l’enfant depuis la naissance. Elle a particulièrement démontré l’importance
des échanges langagiers de l’entourage avec le bébé pour assurer dans
l’harmonie toutes les acquisitions vitales de l’enfant.
DUNTZE É., « Apprendre à lire avec Bigoudi et compagnie », Acquisition du langage
oral et écrit, n° 27, 1991, p. 29-42.
ÉQUIPE DE DIDACTIQUE DES MATHÉMATIQUES, « Un, deux, beaucoup, passionnément ! »,
Rencontres pédagogiques, n° 21, Paris, INRP, 1980.
• Cet ouvrage propose une vue renouvelée de l’apprentissage des mathéma-
tiques pour les jeunes enfants.
ERMEL, Apprentissages numériques en grande section, Paris, Hatier, 1990.
– Apprentissages numériques au CP, Paris, Hatier, 1991.
– Apprentissages numériques au CE1, Paris, Hatier, 1992.
• Conception originale et individualisée de l’apprentissage des mathéma-
tiques par les jeunes élèves.
FAYOL M., Le récit et sa construction. Une approche de la psychologie cognitive,
Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1985.
– Des idées au texte : psychologie cognitive de la production verbale orale et
écrite, Paris, PUF, 1997.
• Panorama des méthodes, recherches et orientations théoriques en psy-
chologie cognitive de la production verbale (du mot au texte en passant par
la phrase).
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FERREIRO É., GOMEZ PALACIO M., Lire-écrire à l’école. Comment s’y apprennent-ils ?,
Lyon, CRDP, 1988.
– Apprendre à lire-écrire (Extraits d’un document rédigé pour l’UNESCO en
1988), Lyon, Voies-livres, 1990.
• Psychologue généticienne, E. Ferreiro mène des études génétiques sur la
représentation de l’écrit que se fait le jeune enfant avant l’apprentissage du
lire-écrire.
FIGGE U.L., JOB. U., « Mémoire, champ lexical et système notionnel », Linguistical
investigationes, t. XI, fasc. 2, Amsterdam, J. Benjamin, 1987.
FIJALKOW J., Entrer dans l’écrit, Paris, Magnard, 1993.
FLORIN A., Pratiques du langage à l’école maternelle et prédiction de la réussite
scolaire, Paris, PUF, 1991.
– Parler ensemble à l’école maternelle, Paris, Ellipse, 1995.
• Soucieuse de la réduction de l’échec scolaire, la psychologue A. Florin
observe les comportements des enfants dans leurs classes en s’intéressant
particulièrement à l’apprentissage du langage, mais sans le dissocier des
autres aspects du développement. Des aménagements du fonctionnement
habituel des classes sont expérimentés et les résultats discutés.
FOUCAMBERT J., La manière d’être lecteur, Paris, OCDL/SERMAP, 1980.
– Lire c’est vraiment simple quand c’est l’affaire de tous, Paris, OCDL (AFL),
1982.
– L’enfant, le maître et la lecture, Paris, Nathan, 1994.
• Militant pour que tous les enfants apprennent à lire et à écrire, J. Foucambert
a apporté de vigoureuses critiques sur les méthodes utilisées pour l’appren-
tissage de l’écrit. À noter que ses propos ne prennent jamais en considération
l’apprentissage du langage.
FRANÇOIS F. (éd.), Conduites linguistiques chez le jeune enfant, Paris, PUF, 1984.
– La communication inégale : heurs et malheurs de l’interaction verbale, Paris-
Neuchâtel, Delachaux et Niestlé, 1990.
FREINET C., La méthode naturelle (I. L’apprentissage de la langue), Paris-Neuchâtel,
Delachaux et Niestlé, 1968.
• Pédagogue original, Célestin Freinet a combattu pour promouvoir une péda-
gogie respectant la personnalité et le rythme de chaque enfant. Afin de
favoriser l’accès à l’autonomie de tout apprenant, il préconisait une interac-
tion ajustée à chaque individualité. Il a laissé une œuvre considérable qui con-
tinue à alimenter la pratique et l’action de ses nombreux continuateurs.
GADET F., Le français ordinaire, Paris, Armand Colin, 1989.
– Le français populaire, Paris, PUF, « Que sais-je ? », 1992.
• Les travaux de cette linguiste mettent en évidence les mouvements et l’évo-
lution du français. Elle considère la langue comme « un système unique à
deux manifestations » (l’oral et l’écrit) « ne mettant pas enjeu les mêmes
paramètres lors de leur énonciation ».
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VION R., La communication verbale. Analyse des interactions, Paris, Hachette, 1992.
VOS VAN STEENWIJK DE A., II fera beau… le jour où le sous-prolétariat sera entendu,
Paris, Éd. Quart-Monde, 1977.
• Ce livre est l’histoire de dix années du courage, de l’endurance, de l’espoir
de la population du Quart-Monde, pour éveiller, élever et éduquer ses
jeunes enfants.
VYGOTSKY L., Pensée et langage, Paris, Messidor, 1985.
• « Le développement de la pensée est déterminé par le langage, c’est-à-dire
par les outils linguistiques de la pensée et par l’expérience socioculturelle
de l’enfant ».
• « […] il (le langage intérieur) découle du langage externe de l’enfant paral-
lèlement à la différenciation des fonctions sociales et égocentriques du lan-
gage et finalement […] les structures fondamentales maîtrisées par l’enfant
deviennent les structures fondamentales de sa pensée. » (Trad. américaine
Thought and Language, 1934, passage traduit en français par M. Karnoouh-
Vertalier).
WALLON H., « L’interrogation chez l’enfant », in journal de Psychologie, XXIe année,
n° 1-3, Paris, 1924, p. 170-182.
– L’évolution psychologique de l’enfant, Paris, Armand Colin, 1941.
– De l’acte à la pensée, Paris, Flammarion, 1942.
– Les origines de la pensée chez l’enfant, Paris, PUF, 1945.
– Les origines du caractère chez l’enfant, Paris, PUF, 1949.
• On souhaiterait que les ouvrages de ce grand penseur de la psychologie de
l’enfant soient mieux connus et davantage utilisés pour la réflexion actuelle
dans ce domaine.
WIRTHNER M., MARTIN D., PERRENOUD P. éd., Parole étouffée, parole libérée. Fonde-
ments et limites d’une pédagogie de l’oral, Paris-Neuchâtel, Delachaux et Niestlé,
1991.
• Cet ouvrage contient différents articles sur la pratique et la pédagogie de
l’oral.
WYATT G., La relation mère-enfant et l’acquisition du langage, Bruxelles, Mardaga,
1969.
• Cette auteure a exploité de nombreuses conversations authentiques entre
enfants et adultes pour montrer les interactions favorables à l’apprentissage
du langage. Elle a dégagé la notion féconde de « feedback correctif » adap-
té, ou non, aux besoins de l’enfant à un moment donné.
Livres pour enfants
L. LENTIN et al.,
– Histoires à parler, 18 livres (chaque livre 6 pages). Texte : LOKRA. Illustrations :
Claire LHERMEY, Paris, Hachette/Istra, 1989. Nouvelle édition. Illustration :
F. LUXEREAU, AsFoRel, 2007.
– Apprendre à parler en racontant, (La Cité des Bleuets), 12 livres de 8, 12,
16 pages. Texte: LOKRA. Illustrations: Claire LHERMEY, Paris, Hachette/Istra, 1989.
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Histoires à lire :
– 1978: Série orange : 1 livre.
Divers auteurs et illustrateurs.
– 1979 : Série verte : 1 livre Jo et Timothée, Texte : LOKRA (traduit et adapté de
l’anglais). Illustrations : P. Claude LAFONTAINE.
– 1981 : Série rose : 1 livre.
Texte : divers auteurs. illustrations : divers dessinateurs, Paris, Hachette/Istra.
Les livres verts de l’école :
– « Basile et Valentin », texte M. J. RANCON, illustration C. LHERMEY, Poitiers,
Scolavox, 1981.
– « Lire, fabriquer, cuisiner », texte et illustration C. LHERMEY, Poitiers, Scolavox,
1981.
Les livres jaunes à parler ensemble :
– « Madame Moutarde et son chien prennent le train », texte LOKRA, illustration
C. LHERMEY, Poitiers, Scolavox, 1981.
– « Tout pour rien à la foire », texte LOKRA, illustration C. LHERMEY, Poitiers,
Scolavox, 1981
Collection Grenadine 6 livres (chacun 12 pages)
– Texte G. ALLAIN et M. BERTIN, illustration D. CHABOT, A. CRAPON, D. LAUER, Paris,
Fleurus Enfants, 1988, nouvelle édition, Châtenay-Malabry, AsFoReL, 2008.
Certaines revues pour enfants éditées par Bayard Presse jeunes, Paris, (notam-
ment Popi, Pomme d’Api, Youpi, J’aime lire) publient des textes dont la formulation
syntaxique et le vocabulaire correspondent souvent aux exigences du langage du
jeune enfant en voie d’acquisition du langage oral et écrit.
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PRÉPARER UN COURS
Tome 1 : Applications pratiques
Alain Rieunier
PRÉPARER UN COURS
Tome 2 : Les stratégies pédagogiques efficaces
Alain Rieunier
QUESTIONS DE SAVOIR
Gabrielle Di Lorenzo
Hors série