Un Moule A Enseigne Profane Decouvert Da
Un Moule A Enseigne Profane Decouvert Da
Un Moule A Enseigne Profane Decouvert Da
Don de Prosper Louis Merlin d’Estreux de Maingoval. Trouvé dans l’hôtel de M. Deforest de Quartdeville ;
musée de la Chartreuse, inv. A.1225.
Bibliographie : Stéphane Leroy et Maurice Wagon, Catalogue du Musée de Douai (Section d’Archéologie),
Douai, Imp. A. Lunven, 1937, n° 205, p. 36.
Face 1 : une troupe en mouvement menée par Jacques van Artevelde ;
Face 2 : un duel judiciaire entre Waflart de Croix (à droite) et Jehan de Moustiers (à gauche).
L’autre face présente deux chevaliers montés, disposés face à face, équipés
chacun d’un haubergeon dont on peut admirer en détail les mailles, coiffés
d’un heaume, d’un côté protégés par un écu armorié, et de l’autre armés par
une impressionnante masse d’armes. L’affrontement est situé au centre d’une
lice, sous le regard de deux spectateurs placés à l’extérieur, de part et d’autre
du champ clos. Il ne s’agit pas d’un tournoi, de joutes ou d’un autre type de
jeu chevaleresque, comme l’atteste l’armement ici figuré. Les picots visibles
sur les masses d’armes ne laissent pas de doute sur la nature de ce combat
qui se déroule à outrance et non à plaisance. L’inscription placée sous la
scène, nous permet d’identifier les deux belligérants. On lit : « WAFLART.
JEHANS DEMOUSTIER »
Le premier nom est loin d’être inconnu des historiens. Cité à plusieurs 4. Voir à ce sujet l’enquête minutieuse
reprises par les chroniqueurs, notamment par Jean Froissart, Jehan de Thians, de Denis Clauzel, « Les tribulations
mieux connu sous le surnom de « Waflart de Croix », apparaît comme l’ar- d’un chevalier dans la France du nord :
chétype du chevalier brigand4. Avant même le début du conflit entre les rois l'affaire Waflard de Croix (1336-1341) »,
de France et d’Angleterre, Waflart est déjà inquiété à plusieurs reprises par la Petite guerre et guerres asymétriques
justice royale, notamment pour répondre à plusieurs accusations de meurtre, de l’Antiquité au xxie siècle, Revue
mais s’y est toujours soustrait. Aussi, quand éclate le conflit entre le comte internationale d’Histoire militaire, n° 85,
Vincennes, 2009. p. 103-134.
de Flandre soutenu par le roi de France, et les villes flamandes appuyées par
le roi d’Angleterre, c’est sans surprise que le fugitif embrasse la cause rebelle 5. Mons, Archives de l’État. Registre
et harcèle les alentours de Lille, restée fidèle au comte de Flandre et au roi aux plaids de la cour souveraine de
de France. Hainaut, de 1355 à 1403, fos V à VII,
détruit dans les bombardements
L’autre protagoniste ne nous est connu qu’à travers des archives faisant de 1940. Cartulaire dit Carta Maria,
état d’un gage de bataille, c’est-à-dire d’un duel judiciaire, opposant Jehan f° XII. Pièce originale conservée. L’en-
de Moustier au fameux Waflart devant la cour comtale de Mons, le 1er juin semble est retranscrit dans l’ouvrage
13395. La scène de combat singulier gravée sur ce moule serait donc une de Léopold Devilers, Cartulaire des
représentation exceptionnelle de ce duel6 ! Si les pièces d’archives ne nous comtes de Hainaut, de l'avènement
renseignent pas directement sur l’issue de la rencontre, on peut être sûr, de Guillaume II à la mort de Jacque-
notamment grâce aux différentes chroniques, que Waflart survit à ce combat7. line de Bavière [1337-1436], Bruxelles,
F. Hayez, 1881. t. I, p. 77-80.
Si l’on suit l’ordre des noms portés sur l’inscription, comme l’identification
des blasons portée par les deux chevaliers, l’image nous confirme la victoire 6. Je ne peux souligner ici que suc-
de Waflart qui semble avoir impitoyablement abattu son arme sur le heaume cinctement les différences notables qui
existent cependant entre la représenta-
de son adversaire malheureux.
tion de ce gage de bataille et la charte
qui en détaille le règlement. Ainsi sur
De rare, ce moule à enseigne profane, qu’on doit, faute de mieux, rappro- notre moule, les deux gentilshommes
cher des enseignes dites « commémoratives »8 nous apparaît dès lors comme sont armés de masses d’armes, alors
unique, dans la mesure où pour la première fois un événement qui devait que le règlement précise : « Item , ne
apparaître aux contemporains comme actuel est représenté de manière précise doivent-il avoir nul couttiel à pointe , ne
sur ce type de production. L’iconographie des deux faces, qui met en scène autre baston deffensaulle que dist est
dessus ».
les coups d’éclat de deux importants protagonistes de la rébellion flamande,
tend à montrer le soutien populaire dont pouvait bénéficier le parti de Jacques 7. Toutefois le chevalier brigand sera
van Artevelde, même de ce côté de la Lys. finalement capturé par les troupes
françaises et livré à la justice lilloise qui
l’exécutera l’année suivante.
Cyril Dermineur
8. Sur la notion d’enseignes com-
Assistant principal de Conservation mémoratives, voir Denis BRUNA,
Chargé de la documentation des collections Enseignes de pèlerinage et enseignes
profanes…, op. cit. , p. 291. Voir égale-
Musée de la Chartreuse, Douai. ment Denis BRUNA, « La Mémoire de
la “Liturgie Profane” », Enseignes de
plomb et autres menues chosettes du
Moyen Âge, Paris, Éd. du Léopard d'or,
2006. p. 155-161.