Procès Civil L'action en Justice
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Le cours se déroulera de la manière suivante : nous nous intéresserons tout d'abord à l'action
c'est-à-dire à l'étude des conditions dans lesquelles le sujet de droit peut agir, de quelle
manière, et avec quelles perspectives de résultat. Nous verrons ensuite comment, une fois
le procès né, celui-ci s'organise et se déroule.
Les termes « agir » ou « action », souvent usités dans le langage courant, possèdent en droit
judiciaire une signification particulière qu'il convient de préciser. Pour permettre la sanction des droits
subjectifs, le droit judiciaire privé offre aux sujets de droit un pouvoir particulier, qualifié d'action en
justice. Cette prérogative constitue elle aussi un droit subjectif, même s'il a une nature spécifique du
fait de son caractère processuel.
Après une réflexion sur l'existence du droit d'action, nous nous intéresserons à ses conditions de
mise en oeuvre pour terminer par une présentation de la classification des actions en justice.
L'action peut se définir comme le pouvoir accordé par la loi de s'adresser à la Justice pour faire valoir
et sanctionner ses droits (droits subjectifs substantiels).
La réflexion originelle sur le droit d'action fut le fait des auteurs de droit public. Si la notion a donné
lieu à de nombreuses analyses doctrinales, la jurisprudence a joué un rôle non négligeable dans la
précision des conditions d'ouverture de l'action.
A. Rejet des analyses reposant sur une confusion avec le droit substantiel
1. Présentation
L'assimilation entre l'action et le droit substantiel qu'elle sanctionne correspond à la thèse des auteurs
classiques du 19ème siècle.
Remarque
Cette analyse se fondait sur une (mauvaise) interprétation du droit romain. A l'époque de la
procédure formulaire, la formule délivrée par le prêteur créait le droit en donnant l'action : il n'y avait
de droit que quand une action était accordée.
Des illustrations de l'assimilation entre droit et action transparaissent à travers la qualification
de certains droits (substantiels) : c'est ainsi que l'on fait référence à l'action «de in rem verso
» ou à l'action paulienne pour évoquer les droits qui leur sont sous-jacents. Nous verrons
aussi ultérieurement que la classification traditionnelle des actions en justice, qui n'a plus guère
d'incidence qu'en matière de compétence, se fonde sur la classification civiliste des droits
substantiels invoqués, basée sur la nature et l'objet de ces droits.
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2. Critique
Tous les auteurs s'entendent aujourd'hui sur la nécessité de distinguer l'action du droit qu'elle
sanctionne.
Exemple
L'obligation naturelle, non invocable en justice ; la prescription qui atteint l'action, non le droit ; le
moratoire, interdisant provisoirement le recours aux tribunaux.
Exemple
Contentieux objectif ; action du ministère public se manifestant par l'exercice de l'action publique
ou un pourvoi dans l'intérêt de la loi : le ministère public ne peut prétendre bénéficier d'un droit
subjectif ; recours pour excès de pouvoir pour faire respecter la légalité et non trancher un différend
entre particuliers.
• ensuite, le procès n'éteint pas le droit, l'extinction de l'instance n'empêchant pas en principe
d'en introduire une nouvelle (art 385 alinéa 2 CPC).
• enfin, l'existence du droit d'agir est indépendante de son bien-fondé et l'existence du droit n'est
pas une condition de l'action (Cass. Civ III, 5/2/97, Rev. Proc. n° 81; Civ. II, 18 oct. 07 Proc 08
n° 2), d'où la distinction des différents moyens de défense : fins de non-recevoir, exceptions de
procédure et défenses au fond (voir leçon 8).
3. Nuance
Si la distinction entre droit et action existe, il ne faut toutefois pas trop en exagérer la portée. Le
contentieux objectif demeure limité en droit judiciaire où le droit est en principe le fondement de
l'action : celle-ci suppose une prétention dont le but est presque toujours la consécration ou la
contestation d'un droit subjectif substantiel.
Par ailleurs, la distinction a priori (chrono)logique entre recevabilité et bien-fondé n'apparaît pas
toujours bien vérifiée en pratique, du fait notamment de la possibilité de soulever les fins de non-
recevoir en tout état de cause, alors que des défenses au fond ont déjà pu être examinées.
Enfin, l'exigence d'un intérêt "légitime" à l'action, posée par l'article 31 CPC, entretient la confusion
en semblant établir par anticipation un lien entre recevabilité et bien-fondé (voir leçon 8).
Il en déduisait la similitude des conditions de recevabilité de toutes les actions. Cette position avait
ensuite été en partie reprise par Jean Vincent et Serge Guinchard.
Selon Serge Guinchard, l'action constitue un pouvoir légal, impersonnel, objectif et permanent,
permettant de s'adresser à la justice pour obtenir le respect de la loi. Cette faculté de saisir les
tribunaux apparaît inconditionnée, puisque le juge doit toujours statuer sur la recevabilité à peine
de déni de justice.
2. Appréciation
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Selon Motulsky, cette approche opérait une confusion entre les notions d'action et d'accès aux
tribunaux : pour lui, l'accès aux tribunaux était une liberté publique, alors qu'il considérait l'action
comme un droit subjectif.
La théorie de Motulsky a influencé la rédaction de l'article 30 CPC, qui définit l'action comme un
véritable droit d'agir ou d'être entendu, l'envisageant en outre à la fois du côté du demandeur et du
défendeur.
Motulsky considérait par suite l'action comme un droit subjectif processuel, distinct du droit subjectif
substantiel dont il vise à assurer le respect ou la reconnaissance. De fait, l'article 30 CPC établit
bien une distinction entre le droit et l'action, le droit d'agir apparaissant indépendant du succès de
la prétention.
Motulsky distinguait aussi l'action des actes processuels que constituent les demandes et les
défenses en justice (la demande est l'acte juridique par lequel s'exerce le droit d'agir, qui saisit le
juge et l'oblige à statuer, créant entre les plaideurs le lien d'instance). L'article 30 CPC envisage en
effet l'action de manière indépendante de son exercice et de la position procédurale de son titulaire
(demandeur, défendeur, tiers...).
L'action a un caractère facultatif, le droit d'agir existant indépendamment de son exercice, de sa
concrétisation et préexistant à la demande. L'antériorité de l'action s'exprimerait notamment dans
le mandat de représentation, dont l'objet ne pouvait selon Motulsky être la demande, puisqu'elle
n'existait pas encore. Il en déduisait que le mandat ne pouvait porter que sur un pouvoir distinct de la
demande: le droit d'agir. On a par ailleurs souligné la diversité des formes que la demande en justice,
en tant qu'acte de procédure, est susceptible de revêtir (cf art 54 CPC). Enfin, l'inexistence du pouvoir
d'agir conduit à l'irrecevabilité de la prétention, même exprimée dans une demande apparaissant
valable et régulière en tant qu'acte juridique.
2. Critiques
J. Vincent et S. Guinchard ont discuté la qualification de droit subjectif, considérant que l'action
ne constitue que l'exercice d'une liberté ou d'une faculté. Selon Serge Guinchard, s'il s'agissait
d'un droit subjectif son sujet passif devrait pouvoir être déterminé. Or, il ne peut s'agir du défendeur,
puisque celui-ci n'est pas obligé de comparaître et de se défendre. Et il serait artificiel de soutenir
qu'il s'agit de l'Etat ou du juge. La même interrogation existe en cas de pourvoi dans l'intérêt de la loi.
J. Héron et G.Wiederkehr ont établi pour leur part un lien entre action et actes de procédure en
s'appuyant sur certaines "incohérences" de l'art 30 CPC (G. Wiederkehr, la notion d'action selon
l'art. 30 CPC, Mélanges Hébraud 1981 p 949 - Héron, 3ème éd. par T. Le Bars, Droit judiciaire privé,
Précis Domat, Montchrestien, 2006).
La première contradiction découle du fait que le texte présente l'action comme un pouvoir abstrait et
virtuel tout en faisant référence à l'auteur d'une prétention, ce qui postule l'existence d'une demande,
nécessairement émise, et devenant par conséquent élément de l'action.
Ensuite l'art. 30 CPC contient deux définitions de l'action, envisagée du côté du demandeur puis
du défendeur. Cette double approche surprend, s'agissant d'une même notion. En outre, la définition
envisagée sous l'angle du défendeur se révèle incompatible avec la distinction entre l'action et son
exercice car elle suppose un procès déjà engagé. La symétrie n'est pas non plus totale dans la
mesure où l'irrecevabilité sanctionnant le défaut du droit d'agir affecte seulement le demandeur, la
fin de non-recevoir à l'origine de cette sanction étant quant à elle toujours soulevée par le défendeur.
Pour le défendeur, il s'agit de discuter du bien-fondé de la demande, ce qui est incompatible avec la
qualification de droit virtuel donnée à l'action. Par ailleurs, selon H. Croze et C. Morel, le respect des
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droits de la défense pourrait suffire à fonder le droit de discuter le bien-fondé de la prétention adverse.
Enfin, la définition apparaît incomplète car la défense ne se limite pas au droit d'être entendu sur le
fond : outre les défenses au fond, existent des fins de non-recevoir et des exceptions de procédure
(voir leçon 8).
Force est de constater qu'existe bien une confusion entre demande et action car on parle souvent
de l'irrecevabilité des demandes.
Cette confusion est sans doute liée au fait qu'en pratique la demande précède l'appréciation du juge
quant à la recevabilité de l'action. En outre, l'absence de droit d'agir, liée au défaut d'intérêt, au défaut
de qualité ou à la chose jugée peut ne pas être invoquée dans la mesure où soulever ces fins de
non-recevoir est facultatif pour le juge selon l'art. 125 CPC.
Sa démonstration reposait sur une approche structurale de l'article 30 CPC, faisant apparaître que
la définition de l'action implique l'émission d'une prétention :
si... (présupposé), alors... (effet juridique qui serait l'action, droit d'être entendu sur le fond).
Il estimait qu'aucun effet juridique ne résulterait en soi de la seule réunion d'un intérêt et d'une
qualité, lesquels ne seraient dès lors que des conditions de la demande, acte de procédure : il n'y
aurait donc pas indépendance entre action et demandes mais énoncé des conditions de recevabilité
des actes. Pour Jacques Héron, les demandes sans action, donc irrecevables, ne caractérisaient
pas l'inexistence d'une action, droit autonome et distinct, mais l'absence d'une condition du droit
de demander. Pour répondre aux arguments de Motulsky quant à l'impossibilité de conventions
portant sur le droit d'agir (mandat), il estimait qu'une convention peut concerner un acte à venir,
en l'occurrence la demande future. Il en tirait des conséquences du point de vue des « supposées
» conditions du droit d'action, qui selon lui constituaient seulement des attributs, soit du droit
substantiel, soit des actes processuels.
Une analyse proche a été développée par R. Martin qui est allé jusqu'à considérer le droit d'action
comme un concept faux et inutile, pour affirmer qu'il convient seulement de se poser la question des
obstacles pratiques, d'ordre objectif et subjectif, que doit franchir le demandeur pour court-circuiter
la défense, quel que soit le régime procédural propre à chacun des moyens de défense en cause (R.
Martin, Un virus dans le système des défenses du CPC : le droit d'action, Rev. Gén. Proc. 98 419).
Une thèse opposée avait été développée par Ihering, pour qui l'action était un devoir.
Jurisprudence
La renonciation ne doit pas être ambiguë (Civ II, 19 nov. 98, Proc 99 n°1).
Cette renonciation produira effet, sauf si l'instance est liée, du fait d'une intervention active du
défendeur. La liberté d'agir ou non trouve une limite en cas de représentation : n'étant pas titulaire
de l'action, le représentant n'a pas le choix et encourrait une responsabilité s'il n'agissait pas.
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B. Caractère libre de l'action
Cette liberté se traduit par une absence de sanction, une immunité, en cas de succombance :
le demandeur qui perd ne peut être condamné sous ce seul prétexte, parce qu'il a agi à tort.
Certaines limites tempèrent un peu ce principe : c'est ainsi que le perdant est en général
condamné aux dépens (art 696 CPC), voire même au paiement de frais irrépétibles (art 700 CPC).
Ensuite, si agir à tort n'entraîne pas ipso facto engagement de responsabilité, il peut en aller
autrement si l'action est jugée abusive.
Libre, l'action n'a cependant pas un caractère discrétionnaire: l'article 32-1 CPC permet de
sanctionner par une amende civile d'au maximum 3000 euros, sans préjudice des dommages-
intérêts qui seraient réclamés, celui qui agit en justice de manière dilatoire et abusive. Des textes
comparables existent en matière de voies de recours. Il s'agit d'une transposition de la théorie
générale de l'abus de droit, avec une application atténuée. La preuve de l'intention de nuire est
requise ou tout au moins la conscience d'absence de droit : celui qui agit ne doit pas être certain
de courir à l'échec !
Jurisprudence
La Cour de cassation est en principe exigeante sur ce terrain : elle impose de caractériser la faute,
pas seulement de mentionner le préjudice, et elle en contrôle la qualification. Le critère intentionnel
a même été précisé : « l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute... que s'il constitue
un acte de malice ou de mauvaise foi, ou tout au moins une erreur grossière équipollente au dol ».
Sur la question de savoir s'il peut y avoir abus lorsque le demandeur a obtenu gain de cause en
première instance et qu'intervient une réformation partielle en appel, voir Civ I, 10/3/98, RT 99 199,
Rev. Gén. Proc. 99 655, revenant -heureusement- sur Civ I, 7 nov. 95, Justices n°3 p 364.Civ.
II, 10/5/07, Proc 07 n° 156 : une action en justice ne peut, sauf circonstances particulières qu'il
appartient aux juges du fond de justifier, constituer un abus de droit dès lors que sa légitimité a été
reconnue, au moins partiellement, par la juridiction du premier degré; Civ. I, 13 mars 2008, JCP
08 I 184 n° 17.
L'appréciation est parfois délicate au regard de l'incertitude affectant beaucoup de procès : il est
souvent difficile de savoir lors de l'introduction d'une instance si l'on obtiendra gain de cause ou
non. Cela peut notamment être le cas quand sont en cause des notions de droit non contrôlées
par la Cour de cassation.
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Section 2. Les conditions d'ouverture de l'action
L'article 31 CPC fait référence à deux de ces conditions en mettant l'accent sur l'intérêt puis en
évoquant la qualité. Si elles ne sont pas respectées, le juge n'examinera pas le bien-fondé et rejettera
la demande, la déclarant irrecevable pour défaut de droit d'agir. Le non-respect des conditions
d'existence de l'action est sanctionné par des fins de non-recevoir, selon les articles 32 et 122 CPC.
Des controverses anciennes existent quant au nombre de fins de non-recevoir. La doctrine classique
exigeait ainsi la réunion :
• d'un droit,
• de la qualité,
• d'un intérêt,
• et de la capacité.
Nous avons vu, en traitant de la confusion antérieure entre droit et action, qu'il convient d'exclure le
droit : l'existence du droit n'est pas une condition d'exercice de l'action, donc de recevabilité de la
demande mais de bien-fondé (Civ III, 5/2/97, Rev. Proc. 97 n° 81; Civ. II, 18 oct. 07 Proc 08 n° 2).
En outre, il n'y a parfois que sanction de la violation d'un intérêt.
La capacité quant à elle ne constitue pas une condition d'existence de l'action mais de régularité
de son exercice -ou plus exactement de régularité de la demande, en tant qu'acte processuel- et de
régularité de l'instance. Tel est au moins le cas de la capacité d'exercice.
Remarque
Il y a principe de capacité de jouissance et d'exercice du droit d'ester en justice sauf exception :
mineurs non émancipés, majeurs sous tutelle, groupements sans personnalité morale.
Certaines conditions d'existence du droit d'action dépendent parfois du type d'action intenté. Au-
delà de ces conditions spéciales, existent des conditions générales qui se retrouvent de manière
systématique et tiennent :
• à la personne qui agit ;
• à l'objet de la demande : il ne doit pas y avoir chose déjà jugée ; la demande ne doit pas attenter
à l'ordre public ou aux bonnes mœurs et respecter la règle "nemo auditur" ;
• au délai dans lequel l'action doit être exercée (il existe aussi des délais dans le cadre du
déroulement de l'instance ou pour exercer les voies de recours).
Nous n'examinerons dans ce chapitre que les conditions relatives aux personnes, les autres
conditions étant abordées à l'occasion de développements ultérieurs. S'agissant des personnes,
il apparaît que la seule véritable exigence autonome est l'intérêt. Nous verrons ensuite que la loi
y ajoute parfois une seconde condition, en sélectionnant certaines personnes parmi toutes celles
susceptibles d'éprouver un intérêt à agir : elle leur réserve la qualité pour agir (ex : l'action en divorce
est réservée aux seuls époux).
L'exigence, résumée par la formule "Pas d'intérêt, pas d'action", signifie que peut agir celui dont
la situation juridique est susceptible d'être influencée par la règle de droit : il doit en résulter pour
lui un avantage.
L'intérêt doit présenter 3 caractères : il doit être légitime, personnel et direct, né et actuel.
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Nécessaire, l'intérêt devrait être suffisant. Il s'agit néanmoins d'un intérêt qualifié puisque le code et
la jurisprudence exigent qu'il soit légitime et juridique.
On a même parfois imposé qu'il se fonde sur une situation juridiquement protégée. Cette
conception justifiait le refus jurisprudentiel d'indemnisation de la concubine dont le compagnon était
accidentellement décédé, jusqu'à l'intervention de la chambre Mixte en 1970 (Mixte, 27 fév 70, D
70 201 Combaldieu).
Les auteurs qui confondaient droit et action exigeaient l'atteinte à un droit subjectif. Nous avons vu
le caractère erroné de cette exigence, notamment du fait de l'existence d'actions ne reposant pas
sur un tel droit.
Exemple
Action des syndicats, action en nullité de mariage, contentieux objectif destiné à sanctionner des
libertés publiques ou privées, c'est-à-dire des devoirs sanctionnés par la loi.
Tout comme un intérêt fondé sur une situation juridiquement protégée constitue quasiment un droit,
on peut se demander si la confusion antérieure n'est pas reprise par l'article 31CPC : exiger la
légitimité de l'intérêt comme condition d'existence de l'action revient à se placer sur le terrain du bien-
fondé de la demande, donc du droit substantiel, ce qui apparaît discutable comme nous venons de
le rappeler (Civ. II, 26 oct. 06, Proc 08 n° 2).
Jacques Héron considérait que le problème relevait essentiellement du droit substantiel, en ce sens
que l'intérêt peut exister mais que la loi ne reconnaît pas forcément un droit à réparation. Pour
supprimer toute ambiguïté, Loïc Cadiet a proposé de se référer soit au sérieux de l'intérêt, soit à son
caractère légal, c'est-à-dire répondant à des critères liés essentiellement à son caractère personnel.
Jurisprudence
Com 8 février 2011, D. 2011 p. 1535, note X. Boucobza et et Y.-M. Serinet : La recevabilité de
l'action en responsabilité engagée par un associé à l'encontre d'un cocontractant de la société est
subordonnée à l'allégation d'un préjudice personnel et distinct de celui qui pourrait être subi par la
société elle-même.
Les principaux problèmes suscités par ce critère concernent des groupements souhaitant
agir en justice pour protéger l'intérêt d'autrui.
L'intérêt ici visé se distingue, d'une part de l'intérêt général dont la défense constitue
le monopole du Ministère public, d'autre part de l'intérêt individuel des membres du
groupement. On considère qu'il y a atteinte à l'intérêt collectif dès que se produit un trouble
susceptible d'être ressenti par chacun des membres du syndicat et à même de nuire à toute la
profession. Il peut en aller ainsi en cas de mise en cause de questions de principe ou de portée
générale, intéressant la condition individuelle de tous les salariés de l'entreprise ou d'une partie
d'entre eux.
L'action des syndicats est possible aussi bien au civil qu'au pénal. Elle se manifeste le plus souvent
par une constitution de partie civile devant les juridictions pénales, destinée à déclencher
l'action publique, ou par une intervention volontaire devant les juridictions civiles (H. Kobina
Gaba, Action syndicale : intervention volontaire dans un procès prud'homal, D. 2010 724).
D'un point de vue procédural, il convient de préciser que si le syndicat agit au nom de la profession,
il ne la « représente » pas, au sens technique du terme, car il agit en son nom et pour son compte
bien qu'il fasse valoir des règles de droit dont il n'est pas le destinataire direct. Cette action est aussi
ouverte aux Ordres professionnels, sans que la Cour de Cassation ne répartisse intérêts moraux et
matériels entre les deux catégories de groupements. En l'absence d'habilitation légale, l'action est
en revanche fermée aux associations professionnelles (voir D. 99 331).
Remarque
Actualité : Aux termes de la loi n° 2011-311 du 28 mars 2011, les organes représentatifs des
professions judiciaires peuvent désormais devant toutes les juridictions, exercer tous les droits
réservés à la partie civile relativement aux faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt
collectif de la profession.
Le syndicat doit informer le salarié par lettre recommandée avec accusé de réception. Ce dernier
reste libre d'agir personnellement. Il peut faire savoir au syndicat dans les 15 jours qu'il s'oppose
à son action.
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2. Situation des associations
Les associations ont en premier lieu la possibilité d'agir pour la défense collective des intérêts
individuels de leurs membres. Tel est le cas des ligues et associations de défense, associations de
quartier.... L'intérêt collectif en cause n'est en fait que la somme des intérêts individuels des
membres du groupement : il y a en quelque sorte mandat de représentation, délégation du
droit d'agir.
Jurisprudence
Ce type d'action est admis au civil, non au pénal (Paris 3/7/95, AGRIF/VSD, JCP 96 II 22601:
habilitation jurisprudentielle assez extensive; Civ III, 17/7/97, JCP 98 II 10204 : associations de
locataires - Civ III, 4 nov 04, Proc 05 n° 1 : exclusion dans le cas d'un dommage ne concernant
qu'un seul membre de l'association. Il semble qu'existe par ailleurs une controverse entre la Cour
de cassation et le Conseil d'Etat sur les modalités concrètes de mise en œuvre du droit d'action par
le président d'une association, s'il n'y est pas habilité par les statuts (CE 13 nov. 02 (favorable) et
Civ I, 19 nov. 02 (défavorable), JCP 03 II 10059, note Boré, D. 03 2 concl. Sainte-Rose).
S'agissant ensuite de la défense d'intérêts collectifs généraux, la solution, affirmée en 1923 (Ch.
Réunies, 15 juin 1923, DP 24 1 154, S 1924 1 49), apparaît en principe opposée à celle existant pour
les syndicats. Les actions visant à faire valoir des intérêts collectifs moraux sont en général
déclarées irrecevables sauf si des textes spéciaux le prévoient explicitement.
L'explication tient en partie au fait que l'intérêt général invoqué apparaît souvent comme une notion
floue. L'intérêt collectif doit tout d'abord être distingué, d'une part, de l'intérêt des membres du
groupement, d'autre part des intérêts propres du groupement (ex : usurpation de nom, atteinte à ses
biens...). Par ailleurs, l'objet de certaines associations apparaissant particulièrement large (grandes
causes), l'intérêt collectif tend aussi à se confondre avec l'intérêt général (de la société). Or, le
monopole de la protection de celui-ci, au pénal, appartient au Ministère public. Cela étant, les textes
autorisant les associations à agir se sont multipliés (exemple : associations œuvrant en faveur des
victimes de discrimination : D. n° 2008-799 du 20 août 2008, art. 1263-1 CPC, JCP 08 actu n° 528),
ce qui a pu parfois donner à penser que ces actions étaient par principe admises. La jurisprudence
rappelle périodiquement que ce n'est pas le cas.
Jurisprudence
En l'absence d'investiture officielle, les actions sont vouées à l'échec : Paris, 5/7/94, JCP 96 II
22562, D 96 578: PPDA et la fausse interview de Fidel Castro - TGI Paris 29 nov. 95, JCP 96 II
22563, D 96 578 Martin.
Les textes (articles 2-1 à 2-21 C.Proc. Pén.) prévoient en général l'exercice de l'action civile au pénal.
Dans ce cas la jurisprudence criminelle refuse a priori l'extension (Crim, 25 sept. 2007, JCP 07 II
10205 : restriction au droit d'une association de lutte contre le racisme de se constituer partie civile,
à défaut d'accord de la victime, seule titulaire de ce droit qui s'éteint à son décès - Crim, 8/1/08, JCP
09 I 123 n°2 : refus d'une demande de DI), alors que la jurisprudence civile récente fait preuve de
plus de libéralisme (voir infra).
Le droit d'agir est souvent accordé à des associations habilitées. Il s'agit d'un octroi de la qualité
pour agir.
Exemple
Associations de lutte contre la prostitution, contre l'alcoolisme...
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L'attribution du droit d'agir est parfois subordonnée à des conditions de durée d'existence, de nombre
d'adhérents et de représentativité, ou d'agrément.
Depuis peu, la jurisprudence civile témoigne en effet d’une relative souplesse, admettant des actions
au visa de l’article 31 CPC, et hors habilitation législative en l’absence d’infraction pénale, à la
condition sine qua non qu’elles entrent dans l’objet social de l’association (Civ. I, 2 mai 2001, D. 01
1973 ; Civ. II, 27 mai 2004, D. 04 2931 ; Civ. II, 14 juin 07, D. 08 170 ; Civ. III, 26/9/07, D 07 2760 et
D. 08 2895, JCP 08 II 10020, RT 08 305 ; Civ. III, 1/7/09, JCP 09 Fasc. 47 n° 454 obs. N. Dupont).
L’action est admise sous cette seule limite, même « en l’absence de prévision statutaire expresse
quant à l’emprunt des voies judiciaires », et même si est en cause une demande d’indemnisation et
non uniquement la cessation de faits illicites (Civ. I, 18 sept. 08, JCP 08 II 10200 et JCP 09 I 123
n° 3, D. 2008 2437 obs. X. Delpech et D. 09 pj 393 et 2448 - Civ. I, 20 oct. 2011, D. 2011 2910
note E. Bazin).
Des arrêts récents retiennent en outre une approche large du préjudice en matière d’environnement :
• Civ. III, 9 juin 2010, D. 2010 2608 § 5, obs. A-C. Monge : recevabilité de l’action en justice d’une
association agréée pour la protection de l’environnement, alors que l’infraction a cessé.
• Civ. III, 8 juin 2011, D. 2011 2635 obs. G. Forest et note B. Parance, RT 2011 765 note P.
Jourdain : l'infraction aux prescriptions techniques relatives aux installations classées, de nature
à créer un risque de pollution majeure pour l'environnement, porte atteinte aux intérêts collectifs
que les associations requérantes ont pour objet de défendre. Cette seule atteinte est considérée
comme suffisant à caractériser le préjudice moral indirect dont l'article L. 142-2 du code de
l'environnement prévoit la réparation, même si l’infraction avait cessé à la date de l’assignation.
Selon B. Parance, la spécificité du droit de l’environnement semble justifier en partie cette solution,
qui réalise une fusion entre conditions de recevabilité et bien-fondé de l’action (B. Parance, Action en
justice des associations de protection de l’environnement, infraction environnementale et préjudice
moral, D. 2011 2635).
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Un représentant peut ainsi, sans mandat, exercer une action mettant en cause les droits individuels
concernés. La réparation, attribuée globalement, peut ensuite être réclamée de manière individuelle
par chaque membre du groupe : le jugement est opposable par tous ceux concernés par la situation
en cause.
Exemple
En mai 2012, une class action a été engagée contre Facebook devant un tribunal de Californie
L'opportunité d'introduire un mécanisme d'action de groupe dans notre législation est donc toujours
à l’étude, sachant que les pouvoirs publics souhaitent éviter les dérives de certains dispositifs en
vigueur à l'étranger, et que la Commission européenne a lancé des initiatives qui pourraient aboutir
à l'instauration d'un mécanisme d'action collective commun aux États membres.
Jurisprudence
Un jugement du TGI Paris du 6 déc. 05 (JCP 06 II 10019, note R. Martin) a considéré que l'offre de
services sur « class action.fr » était constitutive d'un démarchage juridique illicite. Frappée d'appel
(JCP 06 actu n° 136), la décision a été entérinée par la Cour de cassation (Civ. I, 30/9/08, JCP
09 I 120 n° 3).
Les "class actions" ne doivent pas être confondues avec les actions en représentation
conjointe, créées à partir de 1992 au bénéfice de certaines associations, qui se sont vues
reconnaître le droit d'agir devant toutes les juridictions pour défendre les intérêts de personnes ayant
subi des préjudices individuels ayant une origine commune tenant au fait d'un même professionnel.
Sont concernées:
• les associations de consommateurs représentatives au niveau national (L 18 janv. 92 art 8 ; D.
11 déc. 92; Cadiet, JCP 92 I 3587 n° 6 et 93 I 3678 n° 11; Martin JCP 94 I 3756; Boré, l'action
en représentation conjointe: class action à la française ou action mort-née? D 95 chr 267, art
L 422-1 à L 422-3 C.Consom.);
• les associations d'investisseurs personnes physiques identifiées (L 10/8/94 : art L 452-2 à L
452-4 C. mon et fin.) ;
• les associations agréées de protection de l'environnement (L 2/2/95 et D 28/2/96 précisant les
conditions de l'agrément : art L141-2 et R 142-1s C.Rur).
Ces associations doivent au préalable avoir obtenu l'accord des personnes représentées, lesquelles
doivent donc être identifiées : l'action est en effet subordonnée à l'existence d'un mandat écrit
donné par au moins deux des « victimes » concernées. En fait, il ne s'agit pas de l'octroi d'une
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qualité pour agir mais d'une forme particulière de représentation dans l'exercice de l'action,
se traduisant par un pouvoir au sens de l'art 117 CPC.
Jurisprudence
Cass. Civ. I, 26 mai 2011, D. 2011 1884, note N. Dupont : ne respecte les dispositions de l'article
L. 422-1 du code de la consommation, lequel prohibe notamment tout appel public par moyen
de communication de masse ou par lettre recommandée personnalisée, l’association qui, pour
initier une action en représentation conjointe, tente de solliciter un mandat écrit en réalisant du
démarchage sur internet.
Tel est le cas de l'action en dénonciation de nouvel oeuvre, de l'action des associations de
consommateurs en matière de suppression de clauses illicites (art. L 421-8 C. consom.), des actions
préventives en matière probatoire (ex : action principale en vérification d'écriture art 296 à 298 CPC -
action en inscription de faux principale : art 314 à 316 CPC - mesures d'instruction in futurum en cas
de risque de disparition de preuves :art 145 CPC), du référé de l'art 809 al 1 CPC visant à obtenir des
mesures conservatoires pour prévenir un dommage imminent ou, auparavant, du désaveu préventif
des articles 326 et 327 C.Civ (textes relatifs à la filiation légitime, abrogés depuis le 1er juillet 2006).
Jurisprudence
Intérêt d’un héritier à faire constater la prescription d’une créance : Civ. I, 9 juin 2011, D. 2011 2140
n° 4, obs. C. Creton, S. Grayot-DIRX, Une action en justice peut-elle naître indépendamment d’un
litige?, D. 2011 2311.
Ces actions sont ouvertes à ceux qui pourront plus tard se prévaloir de l'effet juridique de la règle
(ex : en cas de terme dans un contrat). Leur utilité tient au fait qu'elles peuvent permettre de prévenir
des difficultés ou un dommage ultérieur (un parallèle est possible avec le référé -précité- de l'art
809 al 1 CPC). Leur recevabilité est souvent fonction de l'utilité de la demande pour la situation des
parties, mais peut susciter des interrogations, par exemple en cas d'invocation de la nullité d'actes
juridiques. Jacques Héron estimait qu'il s'agissait d'un contentieux artificiel, modifiant le rôle du juge,
car consistant en un contrôle anticipé, proche de celui existant en matière gracieuse.
Remarque
Attention : il existe un risque de confusion avec le pouvoir, lequel ne constitue qu'une condition de
régularité de l'instance.
La qualité est parfois difficile à distinguer de l'intérêt, d'autant que souvent celui-ci suffit, à lui
seul, à justifier la recevabilité de l'action. En particulier, s'agissant des groupements, la difficulté de
détermination de l'intérêt personnel et direct se résout par une attribution légale de qualité postulant
l'intérêt, d'où des difficultés de distinction. En fait, la spécificité de la qualité est fonction de l'intérêt
dont se prévaut le demandeur, et plus précisément du fait qu'il s'agisse ou non pour lui d'un intérêt
personnel (A / B).
Depuis le décret du 20 août 2004, outre le défaut d'intérêt, le juge peut aussi soulever d'office le
défaut de qualité.
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Remarque
J. Héron considérait que ce raisonnement était transposable aux cas où d'autres auteurs
considèrent que l'action n'est pas fondée sur un droit subjectif mais sur la violation d'un devoir
(actions en responsabilité délictuelle sanctionnant la violation de libertés publiques ou privées,
action en concurrence déloyale).
Le législateur restreint parfois le droit d'agir, alors que certaines personnes seraient en
mesure de se prévaloir d'un intérêt : leur situation pourrait être influencée par la règle de droit.
On parle alors d'action attitrée ou réservée. Tel est le cas quand l'intérêt potentiel est jugé trop
lointain, ou quand on ne souhaite pas trop ouvrir le droit d'action (ex : dommages par ricochet ou
liens de causalité très indirects).
On rencontre de telles limitations en matière extra-patrimoniale ou en matière contractuelle, où
l'action est réservée aux seules parties à l'acte, à l'exclusion des tiers, en liaison avec l'effet relatif
des contrats.
Remarque
Selon J. Héron, la restriction en cas d'action attitrée ne portait pas sur le droit d'agir mais sur le droit
substantiel dont les personnes concernées ne seraient pas destinataires.
Exemple
L'action oblique : l'article 1166 CCiv permet à un créancier de demander en justice la sanction des
intérêts d'autrui, à l'exclusion toutefois des actions à caractère strictement personnel. A la différence
de l'action paulienne (art 1167 Cciv), l'action oblique n'est pas intentée par le créancier à des fins
immédiatement personnelles.
L'action sociale « ut singuli » ou « ut plures »: ce type d'action, contre les mandataires sociaux,
est ouvert à un ou plusieurs associés pour la défense des intérêts d'un groupement (ex : sociétés
civiles : action contre les gérants ouverte par l'art 1843-5 Cciv - SARL : art L 223-22 C.Com - SA :
art L 225-256 C.Com). L'article L 621-39 C.Com, issu de la loi du 25 janvier 1985 (et abrogé par
la loi du 26 juillet 2005), accordait au représentant des créanciers qualité exclusive pour agir au
nom et dans l'intérêt de ces derniers : il était seul titulaire du droit d'agir et c'est en sa personne
que s'appréciaient les conditions d'existence de l'action au nom et dans l'intérêt de ces derniers
(distinction de la notion de pouvoir).
Attention : il ne faut pas confondre les situations précédentes, liées à des octrois de qualité pour agir
et les actions "ès-qualités", où n'est en cause qu'un problème de représentation, de pouvoir d'agir.
Le pouvoir est une condition de régularité de l'instance et des actes de procédure, non d'existence
de l'action.
Celui qui agit « es-qualités » ne se prétend pas titulaire d'un droit substantiel. Il invoque un droit
appartenant à celui au nom et pour le compte duquel il agit. On parle dans ce cas de représentation
dans l'action ou représentation ad agendum. Les deux "qualités" ne sont pas appréciées chez la
même personne : intérêt et qualité sont appréciés chez le représenté, tandis que le représentant
doit seulement justifier d'un pouvoir, en application de la règle "nul ne plaide par procureur" (nous
avons vu auparavant que cette règle signifie que, sur le plan formel, le nom du représenté doit être
indiqué dans les actes de procédure).
Pour dresser un parallèle : la qualité pour agir n'est pas appréciée dans la personne même du
représentant d'un groupement ayant la personnalité morale ni, en cas de mandat, dans celle du
mandataire.
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