2019 Massaux Alexandre

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 509

ÉCOLE DOCTORALE 509

CDPC

THÈSE présentée par :

Alexandre MASSAUX
soutenue le : 28 novembre 2019

pour obtenir le grade de Docteur en sciences juridiques


Spécialité : relations internationales

Partenaires ou adversaires : évolution des relations entre les


membres de l'OTAN et la Russie au XXIème siècle

THÈSE dirigée par :


Mr Balmond Louis Professeur des universités, Université de Toulon

JURY :

Mme Prémont Karine Professeure agrégée, Université de Sherbrooke


Mr Garcia Thierry Professeur des universités, Université Grenoble
Mr Binette Pierre Professeur titulaire, Université de Sherbrooke
Mr Gounelle Max Professeur émérite, Université de Toulon

Page 1
Remerciements

A mon directeur de thèse Louis Balmond et à mon co-encadrant Pierre Binette pour leur
patience et leurs conseils
A ma mère pour son aide précieuse

A Konrad Dębski et Miłosz Pieńkowski, haut-fonctionnaires du ministère des affaires


étrangères polonais, au docteur Agnieszka Legucka membre du PISM polonais, au docteur
Susan Stewart membre du SWP allemand pour leurs précieuses informations sur la politique
internationale de la Pologne et de l'Allemagne.

A Alexandre Vondra, ancien ministre de la défense et à Tomas Pojar ancien vice-ministre des
affaires étrangères de la République Tchèque pour m'avoir fait partager leur expérience
pratique.

Page 2
Page 3
Page 4
Table des sigles et des abréviations
-A2/AD: Anti Access/Area Denial
- AKP : Adalet ve Kalkınma Partisi/ Parti de la justice et du développement
- BRICS : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud
- CAN : Conseil de l'Atlantique nord
- CDU/CSU : Christlich Demokratische Union Deutschlands/Christlich-Soziale Union in
Bayern ; Union chrétienne-démocrate d’Allemagne/Union chrétienne-sociale en Bavière
- CEI : Communauté des États indépendants
- CED : Communauté européenne de défense
- CM : Comité militaire
- CSP : Coopération structurée permanente
- FIAS : Force internationale d'assistance et de sécurité
- FNI : Forces Nucléaires à portée Intermédiaire
- IEI : Initiative européenne d'intervention
- IESD : Identité Européenne de Sécurité et de Défense
- IRI : International Republican Institute
- ITM : l'Initiative des trois mers
- MAP : Membership Action Plan/ Plan d'action pour l'adhésion
- NED : National Endowment for Democracy
- NDI : National Democratic Institute for International Affairs
- NDM : National Missile Defense / « bouclier antimissile »
- OCI : Organisation de la coopération islamique
- OCS : Organisation de coopération de Shanghai
- ONU : Organisation des Nations-Unies
- OTAN : Organisation du traité de l'Atlantique nord
- OSCE : Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
- OTSC : Organisation du traité de sécurité collective
- PNAC : Project For The New American Century

Page 5
- RDA : République démocratique allemande
- RFA : République fédérale d'Allemagne
- SACEUR : Supreme Allied Commander Europe/ Commandant suprême des forces alliées en
Europe
- SACLANT : Supreme Allied Commander Atlantic/ Commandement allié Atlantique
- SHAPE : Supreme Headquarters Allied Powers Europe/ Grand Quartier général des
puissances alliées en Europe
- SPD : Sozialdemokratische Partei Deutschlands/ Parti social-démocrate d'Allemagne
- UE : Union Européenne
- UEE : Union économique eurasiatique
- URSS : Union des républiques socialistes soviétiques
- USAID : United States Agency for International Development/ Agence des États-Unis pour
le développement international

Page 6
Sommaire

Partenaires ou adversaires : évolution des relations entre les membres de l'OTAN et


la Russie au XXIème siècle ................................................................................................... 1
Table des sigles et des abréviations................................................................................ 5

Sommaire ....................................................................................................................... 7

Introduction ...................................................................................................................... 9
Partie I La volonté de perpétuer le duopole entre les Etats-Unis et la Russie .......... 33
Titre 1 : Une confrontation bipolaire dans un monde mondialisé : .............................. 35

Titre 2 Une relation tributaire de la pratique politique des administrations russes et

américaines ................................................................................................................. 150

Partie II : Les partenaires des États-Unis dans l'OTAN et la Russie : une mosaïque
de positions gravitant autour de la relation États-Unis/Russie ................................ 250
Titre 1 Les États membres de l'Union Européenne : l'absence de consensus vis-à-vis de

la Russie ..................................................................................................................... 254

Titre 2 Les États non-membres de l'UE : des relations dictées par leur position de

frontière du monde occidental  ................................................................................... 349

Conclusion générale ..................................................................................................... 434


Bibliographie .............................................................................................................. 440

Table des matières ...................................................................................................... 495

Index Thématique ....................................................................................................... 507

Page 7
Page 8
Introduction

« La Russie fait partie de la culture européenne et je ne considère pas mon propre pays
séparément de l’Europe [...]. C’est donc avec difficulté que je conçois l’OTAN comme un
ennemi. » Tels étaient les mots du président russe Vladimir Poutine en 2000. 1 Un message
contrastant avec la situation de 2019 dans laquelle les États-Unis et la Russie se retirent du traité
sur les Forces Nucléaires à portée Intermédiaire (FNI), signé en 1987 par Ronald Reagan et
Mikhaïl Gorbatchev, qui avait contribué à la fin de la guerre froide. En trente ans, la situation
entre la Russie et l'OTAN a changé et les tensions ont été fortement médiatisées. En 2008 avec
la Géorgie et depuis 2014 en Ukraine, des conflits semblent opposer la Russie et l'OTAN. En
juin 2018, l'OTAN accomplit en Pologne un exercice militaire nommé « Saber Strike »
réunissant 18 000 soldats de 19 pays membres ou partenaires de l’OTAN.2 En septembre 2018,
la Russie lance « Vostov 2018 », un vaste exercice militaire rassemblant 300 000 soldats, 36
000 blindés, un millier d'aéronefs et 80 navires de guerre, auquel la Chine est conviée 3 .
Parallèlement, les tensions ont généré une véritable paranoïa dans différents Etats de l'OTAN
et en Russie, chacun craignant une interférence étrangère dans ses affaires internes. Avec une
telle ambiance, il est ainsi devenu courant d'entendre parler de « nouvelle guerre froide » dans
les médias.4
Il est vrai que le contexte a changé par rapport aux années 1990 marquées par l'optimisme et
l'espoir d'une humanité qui allait peu à peu se débarrasser de ses conflits et profiter de la liberté.
La fameuse « Fin de l'Histoire » de Francis Fukuyama5 dominait les esprits à l'époque : L'URSS
que Ronald Reagan appelait « l'Empire du mal » s'était effondrée et l'Occident avec les États-
Unis comme hyperpuissance était désormais sans rival. Néanmoins, l'Histoire en a décidé
autrement au début du XXIème siècle : le 11 septembre 2001 a peu à peu détourné la vision

1 Poutine, Vladimir cité dans ‘Putin Says “Why Not?” to Russia Joining NATO’, Washington Post, 6
March 2000.
2 NATO, ‘Dix-neuf pays - membres de l’OTAN et partenaires - concluent l’exercice Saber Strike 2018’,
NATO .
3 Poncet, Guerric, ‘La Russie lance le plus grand exercice militaire de son histoire’, Le Point, 2018.
4 Par exemple : Hubert-rodier, Jacques, ‘Nucléaire : Trump et Poutine sur le sentier d’une nouvelle guerre
froide’, Les Echos, 2019, ou Richard, Hélène, ‘La nouvelle guerre froide’, Le Monde diplomatique, 2018 .
5 Fukuyama, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme (Flammarion, 2009).

Page 9
optimiste des relations internationales au profit d'une action politique accordant une importance
croissante à la théorie pessimiste du « Choc des Civilisations » de Samuel Huntington. Ce
changement progressif de paradigme n'est pas l'exclusivité de l'Occident mais, au contraire,
s'est étendu à un nombre de plus en plus important d’États comme la Russie. C'est ainsi un
monde de plus en plus instable qui voit le jour avec une Chine toujours plus puissante, une
Russie qui, au moyen de sa puissance militaire, réaffirme son influence et une présidence
américaine qui n'hésite pas à remettre en cause les traités internationaux. De plus, des acteurs
non-étatiques comme les groupes terroristes et les organisations rebelles contribuent à
déstabiliser le monde qui est devenu de plus en plus interconnecté politiquement,
économiquement mais aussi technologiquement avec la mondialisation. Par conséquent,
l'environnement des relations internationales est plus complexe qu’à l'époque de la guerre froide
et le monde en lui-même a changé. Parler de « nouvelle guerre froide » pour décrire la situation
actuelle entre l'OTAN et la Russie est donc un raccourci périlleux.

Les relations entre les États membres de l'OTAN et la Russie au XXIème siècle sont plus que
jamais d'actualité. L’intérêt d'un tel sujet est d'analyser ce qui se trouve derrière les apparences
médiatiques et les discours publics. Il est nécessaire de faire l'état des lieux sur la situation entre
la Russie et l'Ouest et de relativiser, si nécessaire, l'excitation que ce thème inspire au grand
public. La guerre et la paix sont les deux facettes des relations internationales 6. Les relations
entre l'OTAN et la Russie n'échappent pas à cette opposition qui, en l'espèce, se traduit par une
dualité entre coopération et confrontation. Le but est d'étudier et de mettre en évidence les
vecteurs de rapprochement et d'affrontement. Comme le résume Raymond Aron :« Le
commerce des nations est continu, la diplomatie et la guerre n'en sont que les modalités
complémentaires, l'une ou l'autre dominant tour à tour, sans que jamais l'une s'efface
entièrement au profit de l'autre, sinon dans les cas-limites soit d'inimitié absolue soit d'amitié

6 « Science de la paix et science de la guerre, la science des relations internationales peut servir de
fondement aux arts de la diplomatie et de la stratégie, les deux méthodes, complémentaires et opposées, selon
lesquelles est mené le commerce entre Etats. » Raymond Aron prend l'image du diplomate et du soldat pour définir
cette dualité : « Les relations interétatiques s'expriment dans et par des conduites spécifiques, celles des
personnages que j'appellerai symboliques, le diplomate et le soldat. Deux hommes, et deux seulement, agissent
pleinement non plus comme des membres quelconques, mais en tant que représentants, des collectivités auxquelles
ils appartiennent : l'ambassadeur dans l'exercice de ses fonctions est l'unité politique au nom de laquelle il parle ;
le soldat sur le champ de bataille est l'unité politique au nom de laquelle il donne la mort à son semblable. »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations (Paris: CALMANNLEV, 2004), p.18.

Page 10
ou de fédération totale. » 7 Ainsi ne voir que de la confrontation entre l'OTAN et la Russie fait
courir le risque de passer à côté d'un pan entier des relations qu'entretiennent les deux camps.
En outre, l’émergence progressive d'un monde multipolaire nécessite l'étude des interactions
entre États. En effet, pour comprendre les enjeux en relations internationales, il est nécessaire
de se placer au niveau du plus petit dénominateur commun, en la matière, l’État. Chaque
problème international a ses propres caractéristiques et la complexité du monde actuel tend à
rendre périlleuse une analyse négligeant les particularismes locaux. La scène internationale,
comme toute scène politique, est le produit de ses acteurs. Il est vrai, qu’afin d'éviter les conflits,
des tentatives ont été faites pour instaurer un système de sécurité collective et ainsi réduire la
marge de manœuvre des acteurs étatiques. Sous l'impulsion du président américain Wilson, la
Société des Nations est née après la fin de la première guerre mondiale mais s’est avérée être
un échec cuisant, incapable de lutter contre les actions de l'Allemagne nazie, de l'Italie fasciste
et de l'URSS. De même, les présidents Franklin Roosevelt et Truman ont participé à la création
de l'Organisation des Nations Unies qui, bien que plus fructueuse que la SdN, n'a pas réussi à
mettre fin à la discorde entre les États comme le montra la paralysie du Conseil de Sécurité
pendant la Guerre froide à cause de l'opposition entre les États-Unis et l'URSS. Dès lors, compte
tenu de la permanence de l’État dans les relations internationales, une analyse reposant sur un
réalisme géopolitique est la plus efficace pour traiter le sujet. L'OTAN doit être analysée dans
le cadre de ses États membres, d'autant plus que la structure de l'Alliance les rend primordiaux.

Si la rivalité entre les États-Unis et la Russie reste la plus évidente, elle ne peut être étudiée sans
analyser la situation sur le continent européen. Dès la guerre froide, les relations entre
Washington et Moscou sont principalement concentrées sur le contrôle de l'Europe avec comme
épicentre les deux Allemagne. Le retour progressif de la Russie sur la scène internationale avec
la crise géorgienne et ukrainienne a pérennisé l'importance du continent européen comme
territoire stratégique. Dès lors, la politique des États européens, voisins directs de la Russie
suivant à des degrés divers le modèle et le leadership américain, ne peut être ignorée. Dans le
cadre de leurs opérations contre la Russie, les États-Unis déploient leurs forces en Europe, et
l’étude de l'OTAN permet une vision de l'ensemble des relations. Selon le chercheur Olivier
Kempf, les États-Unis ont besoin de l'Alliance et de ses membres pour atteindre leurs objectifs

7 Op. Cit. p.52.

Page 11
en Europe.8 Dans une sphère internationale de plus en plus connectée dans tous les domaines,
des relations apparaissant au premier abord secondaires peuvent se révéler indispensables :
ainsi par exemple, la Pologne s'avère être un État pivot du fait de sa méfiance vis-à-vis de
Moscou, de son partenariat politique majeur avec les États-Unis et de membre non négligeable
de l'UE. L'analyse des rapports entre les membres de l'OTAN et la Russie, à la place des uniques
rapports États-Unis/Russie, permet une vision plus globale de la situation entre l'Occident et
son principal voisin. Les membres de l'OTAN font clairement apparaître un espace
géographique qui est constitué de pays du continent européen et deux anciennes colonies
anglaises : les États-Unis et le Canada. Géographiquement et politiquement, l'OTAN est un
espace rassemblant des États ayant une histoire commune. Même la Turquie qui est une porte
entre l'Europe et l'Asie a possédé un rôle non négligeable dans l'histoire de l'Europe. En cela,
l'OTAN ne doit pas être juste regardée comme une simple alliance mais comme un territoire
politique forgé d'abord par la guerre froide et le bloc de l'Ouest puis, après la chute de l'Union
soviétique, par tous les États satellites de l'ex-URSS souhaitant retrouver un système politique
occidental dirigé par les États-Unis. En l'espèce l'OTAN sera étudiée en tant qu'espace plutôt
qu'en tant qu'organisation.

Pour poser le contexte une présentation des deux camps, l'OTAN et la Russie, sera effectuée (1).
De plus, afin de définir le champ d'étude de cette thèse, il est nécessaire d'exposer le cadre et la
méthode d'analyse (2). Enfin, la problématique et le plan seront présentés (3).

1 L'OTAN et la Russie : deux acteurs en mutations


Les deux sujets étudiés ont leurs propres histoire et identité. Étant les acteurs majeurs de la
guerre froide, le changement de paradigme avec l’effondrement de l'URSS les pousse à se
transformer à partir des années 1990. Définir leurs attributs permet de comprendre le contexte
dans lequel leurs relations vont évoluer. Ainsi, l'OTAN est une organisation de défense en
mutation depuis la fin de la guerre froide (A), tandis que la Russie s'avère être un géant affaibli
(B).

8 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage
(Perpignan: Artège Editions, 2010), p.176.

Page 12
A : l'OTAN une organisation de défense cherchant son rôle

L'Organisation du traité de l'Atlantique nord est une organisation intergouvernementale prenant


ses décisions à l'unanimité (1) ayant vu sa mission et le nombre de ses membres évoluer (2)

1 Une organisation de défense intergouvernementale prenant ses décisions à


l'unanimité
L'OTAN, organisation internationale, est un acteur international créé par des États. Par
conséquent, elle existe à travers un traité multilatéral, le traité de Washington de 1949, son acte
fondateur.9 Dès lors, n'étant pas un acteur primaire du droit international, contrairement aux
États, elle est soumise à un certain nombre de règles définies par le traité. Ses compétences et
les limites de son champ d'action sont définies par le traité constitutif. Plus précisément,
l'OTAN est une alliance, notion qui peut être traduite de la manière suivante : « accord formel
entre deux nations ou plus, pour collaborer sur des questions de sécurité
nationale »10. L'OTAN répond initialement à un contexte historique (1.1), tout en ayant un
fonctionnement accordant une large liberté à ses membres (1.2)

1.1 Une organisation répondant initialement au contexte de la guerre froide

Le 17 mars 1948, la France, le Royaume-Uni, la Belgique, les Pays-Bas et le Luxembourg


signent à Bruxelles un traité créant l'Union Occidentale afin de lutter contre une résurrection du
danger allemand et la menace soviétique de plus en plus présente11. L'article 5 de ce traité
prévoit un engagement d'assistance automatique contre toute agression.12 Néanmoins, afin de
lui apporter une meilleure crédibilité, les États de l'UO, et tout particulièrement le Royaume-
Uni, cherchent à obtenir l'engagement et la présence des forces américaines sur le continent
européen. Cette invitation débouche sur la création de l'Alliance atlantique.

9 Drain, Michel, Relations internationales, 19e édition (Bruxelles: Larcier, 2017), p.141.
10 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage
(Perpignan: Artège Editions, 2010), p.41.
11 Le coup de Prague par les communistes et le blocus de Berlin en 1948 en sont les exemples principaux.
12 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage , Op.
Cit., p.21.

Page 13
L'Alliance a été créée avec le traité de l'Atlantique Nord signé le 4 avril 1949 à Washington par
le Canada, le Danemark, les États-Unis, l'Islande, l'Italie, la Norvège, le Portugal, et les cinq
membres de l'Union Occidentale. Elle aspire à protéger les pays signataires d'une attaque
soviétique, tout en assurant un contrôle de la République fédérale allemande, qui la rejoindra
en 1955. En effet, la déclaration de Lord Ismay décrit bien l'esprit de l'OTAN naissante :
« inclure les Américains, exclure les Soviétiques et soumettre les Allemands ». En cela, l'OTAN
espère une cohésion atlantique grâce aux américains, la protection européenne contre les
Soviétiques et une alliance des vainqueurs en soumettant l’Allemagne.13 Le traité, pour soutenir
cette alliance, prévoit une organisation, qui deviendra l'OTAN, à travers son article 9 : « Les
parties établissent par la présente disposition un Conseil, auquel chacune d'elle sera
représentée pour examiner les questions relatives à l'application du Traité. Le Conseil sera
organisé de façon à pouvoir se réunir rapidement et à tout moment. Il constituera les
organismes subsidiaires qui pourraient être nécessaires ; en particulier, il établira
immédiatement un comité de défense qui recommandera les mesures à prendre pour
l'application des articles 3 et 5. »14 Le Conseil de l'Atlantique Nord (CAN) se réunit pour la
première fois en septembre 1949. Toutefois, la guerre de Corée est un vrai catalyseur pour le
développement de l'Organisation et pour lui donner une activité continue. 15 En 1954, le CAN
sous la direction du Comité militaire (CM) attribue des pouvoirs réels au commandant suprême
des forces alliées en Europe, SACEUR, en « disposant des forces militaires de tous les pays
membres ». 16 Parallèlement, l’OTAN s’étend en acceptant l’adhésion de la Grèce et de la
Turquie en 1952 puis de l'Espagne en 1982. L'OTAN désirait à l'époque endiguer l'URSS et ses
États satellites et faire contrepoids à la menace soviétique. Le pacte de Varsovie, alliance de
défense créée par l'URSS et ses alliés européens, comptait en Europe le double du matériel de
l'OTAN17. Il lui était donc nécessaire de contrer cette force supérieure en nombre en dispersant
les fronts ennemis : selon Olivier Kempf la stratégie géopolitique de l'Alliance se résume lors
de la guerre froide à « une dorsale maritime fondamentale qui traverse l’Atlantique Nord,
appuyée au midi sur la réserve stratégique de l’Atlantique sud. […] un axe continental sur

13 Ibid p.43-44.
14 Article 9, Le Traité de l'Atlantique Nord, NATO , 4 avril 1949.
15 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.24.
16 Ibid p.26.
17 ‘L’OTAN et Le Pacte de Varsovie. Comparaison Des Forces En Présence. Dossier de Presse - Archives
de l’OTAN En Ligne’.

Page 14
l’ensemble Benelux et Allemagne, soutenu par la France ; un axe maritime offensif le long de
la Méditerranée, par l’Espagne, l’Italie, la Grèce et le Turquie. L’alliance détient les
débouchés des deux mers européennes » 18 Toutefois, le développement de l'OTAN avec la
guerre froide ne doit pas faire oublier un fonctionnement donnant une place primordiale aux
États membres comme le rappelle le retrait volontaire de la France du commandement intégré
de l'Alliance en 1966.

1.2 Le fonctionnement de l'Alliance : une liberté pour les Etats membres

L'article 5 du traité de Washington reprend le concept d'assistance en cas d'agression contre un


État membre de l'UO avec une différence : l'assistance n'est plus automatique dans l'OTAN et
reste soumise à la décision des membres. Compte tenu de la réticence des États-Unis pour les
engagements internationaux contraignants, ce changement a facilité la ratification par le
Congrès. Le principe repose sur la défense collective, conformément à l'article 51 de la Charte
des Nations unies relatif à la légitime défense individuelle et collective. 19 Contrairement à
l'assistance automatique, les États restent libres d'intervenir, ou non, grâce à la prise à
l'unanimité de toutes les décisions de l'Alliance. En effet, la clé de voûte de l'OTAN est le
Conseil Atlantique Nord (CAN), seul organe à être mentionné dans le traité de Washington
avec l'article 9, et le seul à pouvoir créer « les organismes subsidiaires qui pourraient être
nécessaires »20. En plus de cette base légale issue du traité, la composition du Conseil par des
représentants des États membres lui assure sa légitimité : « Les représentants de tous les pays
membres de l'OTAN siègent au Conseil. Celui-ci peut se réunir au niveau des représentants
permanents (ambassadeurs), au niveau des ministres de la Défense et des Affaires étrangères,
et au niveau des chefs d'État et de gouvernement. Ses décisions ont la même valeur et la même
validité quel que soit le niveau auquel il se réunit. »21 Les États membres restent souverains et
l'unanimité permet non seulement de les placer sur un pied d'égalité mais aussi d'éviter des
décisions contraires aux intérêts nationaux d'un membre. A cet égard, l'OTAN n'est pas une

18 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.37-38.
19 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Première
édition (Bruxelles: DE BOECK UNIVERSITE, 2009), p.117.
20 ‘Conseil de l’Atlantique Nord’, NATO.
21 Ibid.

Page 15
institution supranationale avec des résolutions de l'organe décisionnel soumises au vote
majoritaire, comme au conseil de sécurité de l'ONU ou l'UE, mais une organisation respectant
la totale souveraineté des États : aucun transfert de celle-ci n’est fait en faveur de l'OTAN. Cette
conception se retrouve également dans sa partie militaire : le Comité Militaire « constitue un
lien essentiel entre le processus de décision politique et la structure militaire de l'OTAN »22 et
23
ses représentants permanents sont des membres des États-majors nationaux . De même,
plusieurs fois par an, le CM réunit les chefs des États-majors de chaque pays membre
(CHOD).24 Ainsi, même au niveau militaire, les décisions restent liées aux représentants des
nations composant l'Alliance, d'autant plus que ce Comité Militaire est soumis à l'autorité du
CAN, l'organe décisionnel suprême. Certes, il existe un secrétaire général présidant le CAN25
et un général commandant le CM, mais leurs pouvoirs décisionnels dépendent des conseils et
consistent à assurer le bon déroulement des actions du CAN et du CM.
Cette structure centrale permet également l'existence d'organismes subsidiaires : les
Commandements Stratégiques rattachés au CM comme le SACEUR, Commandant Suprême
Allié pour l’Europe, et originellement le SACLANT, Commandant Suprême Allié pour
l’Atlantique. Ces deux commandements traditionnellement dirigés par des généraux américains
possèdent26 une dimension politique et trahissent le décalage de puissance militaire entre les
forces armées américaines et leurs homologues des autres États membres.
Aussi, la fin de la guerre froide a conduit l'OTAN à se réformer (2)

2 Une Alliance cherchant à s'adapter aux enjeux post-guerre froide


La chute de l'URSS a engendré une crise d'identité de l'Alliance, perdant sa raison d’être
originelle et contrainte de se trouver une nouvelle mission (2.1). Ces changements de
paradigmes aboutissent à des changements internes dans l'Alliance (2.2)

22 ‘Comité militaire’, NATO.


23 « L'Islande, qui n'a pas de forces armées, est représentée par un civil ».
24 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.50.
25 « Le Secrétaire général « est un homme d’État international de haut rang désigné par les pays membres
pour présider le Conseil, le CPD et le GPN 33 », et les différents conseils de coopération (Partenariat Pour la
Paix, Dialogue Méditerranéen, Conseil OTAN-Russie, etc.). »
Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.49.
26 Ibid p.52.

Page 16
2.1 L'OTAN à la recherche d'une nouvelle mission

Depuis la chute de l'URSS, une question récurrente se pose : « A quoi sert l'OTAN ? ».
Normalement, dans la théorie des relations internationales, une alliance doit disparaître quand
les conditions qui l’ont créées cessent d'exister.27 Pour autant, quasiment trente ans après la
disparition de son ennemi originel, l'Alliance est toujours présente. Cette situation résulte de
son adaptation au contexte international. Selon le général Denis Mercier28, commandant de la
Transformation de l'OTAN depuis 2015, l'Alliance a connu trois périodes après la fin de la
guerre froide : une axée sur les partenariats pendant les années 1990, une autre sur la gestion
de crise après le 11 septembre 2001 et enfin la période actuelle depuis la crise ukrainienne de
2014 renoue avec sa mission originelle.

La décennie 1990, marquée par la primauté des États-Unis sur la scène internationale en tant
qu'hyperpuissance29 se traduit par une forte stabilité mondiale. Avec la pénétration des idées de
Fukuyama dans la sphère des relations internationales, la priorité n'est plus au conflit mais à la
coopération mondiale. Le sommet de l'OTAN à Rome en 1991 décrit le nouveau concept
stratégique. La sécurité est définie au sens de prévention des risques, De même, ce sommet
prévoit l'ouverture de l'Alliance aux pays d'Europe centrale et de l'est. 30 Le principal outil, le
partenariat pour la paix, lui permet de resserrer des liens avec des États non membres, dont
certains deviendront par la suite membres de l'Alliance : la Hongrie, la Pologne la République
tchèque en 1999, la Bulgarie, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Roumanie, la Slovaquie et la
Slovénie en 2004, l’Albanie et de la Croatie en 2009 et le Monténégro en 2017.31 L'OTAN ,
dès les années 90, élargit ses compétences afin de devenir plus efficace en matière de
prévention des risques. Sous l'impulsion du président américain Bill Clinton, elle va également

27 Ibid p.13.
28 Conférence donnée par le général Denis Mercier le 30 mai 2018 à Sciencepo Bordeaux.
29 La dénomination d'hyperpuissance est souvent employée par l'ancien ministre des affaires étrangères pour
désigner la puissance des Etats-Unis et leurs influence : « les États-Unis qui jouent sur toute la palette des
pouvoirs, du plus hard au plus soft, des missiles nucléaires jusqu’à Hollywood […] En haut, il y a
l’hyperpuissance, dans une position unique. Après, il y a six ou sept puissances d’influence mondiale qui ont
certains éléments de la puissance dont la France. » Védrine, Hubert, ‘Les États-Unis : hyperpuissance ou
empire ?’, Cites, n° 20 (2004), 139–51.
30 ‘OTAN: Revue de l’OTAN - No 6 - 1991’.
31 ‘Élargissement’, NATO.

Page 17
étendre sa mission pour assurer le maintien de la paix en accord avec l'ONU et l'Organisation
pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE).32 Elle adopte alors une approche basée
sur le multilatéralisme en évoluant sur une scène internationale mondialisée où les rapports de
forces sont en sommeil, la Chine étant encore plus faible que l'Occident à l'époque.
Les attentats du 11 septembre 2001 changent la donne en fragilisant l'ordre mondial reposant
sur la stabilité américaine. L'OTAN s'oriente alors vers une mission de gestion de crise.
Activant pour la première fois de son histoire l'article 5, elle intervient en Afghanistan avec la
FIAS, Force Internationale d'Assistance à la Sécurité. Mais sa mission reste globale, en
témoignent la poursuite des partenariats pour la paix et les interventions en Afrique au Darfour
en soutien à l'Union Africaine, dans le golfe d'Aden pour lutter contre la piraterie en 2008-2009
ou en Libye en 2011. La première décennie est une période de doute pour l’Otan et le résultat
plus que mitigé de la FIAS en Afghanistan renforce ce sentiment : l'organisation est-elle une
alliance défensive ou bien une organisation à vocation plus globale ? Cependant la crise
ukrainienne et de Crimée à partir 2014 lui offre l'occasion de retrouver son rôle initial.
En effet, l’annexion de la Crimée aboutit à un retour aux sources pour les missions de l'Alliance.
Le sommet de Varsovie en 2016 met l'accent sur la défense de ses membres et de ses frontières.
L'approche globale est désormais secondaire et l'attention se concentre sur l’héritière de l’URSS
: la Russie, l'ennemie originelle. Ainsi, après avoir passée deux décennies à chercher sa raison
d’être, l'OTAN retrouve sa fonction première : une alliance défensive dirigée contre la Russie.
Ces différents changements de paradigmes ont toutefois eu une influence sur la structure de
l'organisation.

2.2 Une adaptation de la structure de l'OTAN


L'évolution de l'Alliance après la fin de la guerre froide a nécessité une adaptation de sa
structure. Si la partie politique reste inchangée, la structure de commandement est réduite avec
la réduction des forces des années 1990. L'Alliance passe ainsi de cinq commandements au
début des années 1990 à deux en 2002 : le SACEUR se maintient et se voit désormais nommé
ACO, Allied Command for Operations, tandis qu’apparaît l'Allied Command for
Transformation, ACT. L'ACO conserve son État-major avec le SHAPE, dirigé par le général

32 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.55.

Page 18
américain contrôlant les forces des Etats-Unis en Europe, et sa mission consiste en la direction
des forces et le contrôle des opérations militaires de l'Alliance, tandis que l'ACT est révélatrice
du besoin d'adaptation de l'OTAN de par sa mission de fixer les orientations stratégiques 33
Avec le retour de la France dans le commandement intégré en 2009, l'ACT est depuis dirigée
34
par un général français : aucune règle n’impose cette situation qui souligne surtout
l'importance de la France dans les capacités militaires de l'OTAN. Cette évolution de la
structure de commandement est significative quant à la place retrouvée de l'Europe en tant que
centre de gravité des intérêts de l'Alliance.
La création du COR, Conseil OTAN-Russie en 2002, lors de la déclaration de Rome, conforte
l'importance accordée au rival historique de l'Alliance. Lors de la mise en place du COR, la
pensée dominante consiste à mettre fin à l'esprit de la guerre froide et à démarrer des relations
« d'une qualité nouvelle »35. Né dans le contexte de l'après 11 septembre, le COR s'appuie sur
l'Acte fondateur OTAN-Russie de 1997 où « en son sein, les États membres de l’OTAN et la
Russie travaillent ensemble, en partenaires égaux, sur un large éventail de questions de sécurité
d’intérêt commun. »36. Ces dernières sont définies par la déclaration de Rome comme étant « la
lutte contre le terrorisme, la gestion des crises, la non-prolifération, la maîtrise des armements
et les mesures de confiance, la défense contre les missiles de théâtre, la recherche et le
sauvetage en mer, la coopération entre militaires, et les plans civils d'urgence. » Néanmoins,
la crise en Crimée en 2014 a pour effet la suspension de la coopération pratique dans le cadre
du COR tout en maintenant la communication « au niveau des ambassadeurs et à un niveau
plus élevé, pour permettre des échanges de vues, d’abord et avant tout au sujet de la crise en
Ukraine. » 37 Le COR assure ainsi un échange au niveau institutionnel entre l'Alliance et la
Russie, géant géopolitique affaibli.

33 « Le rôle de l’ACT en tant que commandement chargé de la préparation au combat est double.
Premièrement, il permet à l’ACO de conduire efficacement les opérations en cours et, deuxièmement, il prépare
les futures opérations de l’OTAN. Dans ce contexte, il veille à ce que les capacités OTAN de préparation au
combat demeurent pertinentes pour l’avenir, il apporte la compréhension indispensable de l’environnement de
sécurité actuel et futur, et il contribue à l’élaboration de la doctrine et des concepts ainsi que des normes
d’interopérabilité de l’OTAN. »
Commandement Allié Transformation (ACT)’, NATO.
34 2009-2012 : général d'armée aérienne Stéphane Abrial ; 2012-2015 : général d'armée aérienne Jean-Paul
Paloméros ; 2015-2018 : général d'armée aérienne Denis Mercier ; depuis le 30 septembre 2018 : général d'armée
aérienne André Lanata.
35 ‘Les relations OTAN-Russie : une qualité nouvelle - Déclaration des Chefs d’Etat et de gouvernement
des Etats membres de l’OTAN et de la Fédération de Russie’, NATO, 2002.
36 ‘Conseil OTAN-Russie’, NATO.
37 Ibid.

Page 19
B la Russie un géant géopolitique affaibli

La Russie est un ancien empire38 transformé au fil du temps par les changements de régimes :
la Russie impériale des tsars a laissé place à l'Union des républiques socialistes soviétiques de
1922 à 1991. Si le nom de l’État change, une continuité historique existe dans ce pays
caractérisé par un territoire de la taille d'un continent, riche en ressources mais difficile à
maîtriser (1), amenant un pouvoir central autoritaire. En cela la personne du président Poutine
et son entourage sont une des clés principales pour comprendre la politique russe actuelle. (2)

1 La Russie un pays à fort potentiel difficile à maîtriser


Etat ayant le plus grand territoire de la planète avec 17 098 246 km² en 2017 39, la Russie
contrôlait, juste avant la chute de l'URSS, une superficie de 22 402 200 km240. Malgré la perte
d'une partie non négligeable de territoire, la Russie possède aujourd'hui des terrains riches en
matières premières : première réserve au monde de gaz naturel, huitième réserve en pétrole41.
En outre, selon le chercheur Christophe-Alexandre Paillard « La Russie disposerait de 16 %
des réserves mondiales de béryllium, 11 % du chrome, 22 % du cuivre, 38 % du manganèse,
79 % du mercure, 15 % du nickel, 16 % du niobium, 10 % du platine, 7 % du tantale, 49 % du
vanadium, 24 % du zinc, ainsi que d’importantes réserves en métaux rares comme le
rhodium. »42 Ces gisements sont dispersés sur l'ensemble du territoire russe dont une large part
dans la Sibérie43. A cela s'ajoute le développement récent d'une économie agricole de grande
importance rendue possible avec le réchauffement climatique et la fonte des neiges sur des

38 Selon Hélène Carrère d'Encausse, qui reprend la définition de Jean-Baptiste Duroselle à propos de Rome,
un empire peut se définir par « sa durée et donc sa capacité à imposer pendant de longues périodes la pax à
l'intérieur de frontières interminables et parfaitement défendues. » Cette définition s'applique à l'histoire de la
Russie.
Carrere d’Encausse, Helene, L’Empire d’Eurasie : Une histoire de l’Empire russe de 1552 à nos jours
introduction.
39 Sans prendre en compte la République de Crimée.
‘Table 3 - Population by Sex, Annual Rate of Population Increase, Surface Area and Density’,
Demographic Yearbook, UNSD — Demographic and Social Statistics, 2017.
40 Dumont, Gérard-François, ‘LA POPULATION DE LA FRANCE EN 1993’, p.4.
41 ‘La Russie en bref’, CCI France International .
42 Paillard, Christophe-Alexandre, ‘La question des minerais stratégiques, enjeu majeur de la géoéconomie
mondiale’, Geoeconomie, n° 59 (2011), p.21.
43 Ibid.

Page 20
terres riches.44 La Russie possède ainsi un fort potentiel grâce à ces nombreuses ressources mais
est largement handicapée par l'incapacité à gérer son espace. Là où les Etats-Unis ont réussi à
créer un réseau d'infrastructures suffisamment dense pour faire fonctionner leur économie, la
Russie a plus de difficulté à gérer l'espace sibérien. S'il était déjà difficile pour l’État d'assurer
l'aménagement du territoire sous l'URSS, le vieillissement des infrastructures après la chute de
l'Union soviétique amplifie ce problème. Si des efforts de modernisation sont faits au XXIème
siècle, 45 ils restent insuffisants. De plus, la corruption liée au capitalisme d'Etat reste le
problème majeur de l'économie russe. Selon le diplomate français Eugène Borg, la corruption
représente 30 % du PIB russe et « entre 2001 et 2005, le marché annuel de la corruption est
passé de 33,8 milliards à 318 milliards de dollars ». 46 De même, les grands conglomérats
contrôlés par l’État créent une concurrence inégale aux TPE-PME.47 Cette situation bloque le
développement d'une économie solide. L'accent mis sur les hydrocarbures par le président
Poutine fait de la Russie une économie rentière vulnérable aux changements et fluctuations de
ce marché. Cette rente des hydrocarbures a pu atteindre certaines années 15 à 35 % du PIB et
fournir 50 % des recettes fiscales du pays.48

Politiquement, selon l'historienne Hélène Carrère d'Encausse :« L’Empire n’existe plus, certes,
et la Russie en a perdu les plus beaux fleurons : la « fenêtre sur l’Europe », c’est-à-dire les
rives de la Baltique, conquête de Pierre le Grand, et la Crimée, donc les rives de la mer Noire
acquises par Catherine II. »49 La Russie perd des positions géographiques clés lui permettant
des ouvertures sur différentes régions d'Europe et sur le contrôle des mers environnantes, ainsi
que, avec la fin de l'URSS, son statut de puissance mondiale. Elle n'est même plus dans les
années 1990 une force régionale. L'humiliation politique est d'autant plus forte que l’Empire
soviétique ne s'est pas effondré suite à une invasion mais du fait de ses propres faiblesses : les
erreurs politiques et économiques du régime soviétique l'ont conduit à perdre le contrôle du
système soviétique. A cette situation, s'ajoute un déclin démographique : en 1991, la population

44 Agliastro, Giuseppe, ‘Global warming is transforming Russia in an agricultural superpower’,


LaStampa.it, 2017.
45 ‘Chapitre 3. Évolutions dans certaines économies non membres’, Perspectives economiques de l’OCDE,
N° 94 (2013), p.246.
46 Berg, Eugène, and Jean-François Daguzan, ‘Situation et perspectives de l’économie russe’, Geoeconomie,
N° 78 (2016), p.83-84.
47 Ibid.
48 VERCUEIL, Julien ,‘Géopolitique. La Russie : Réalités et Perspectives Économiques’, Diploweb, 19
février 2019.
49 Carrere d’Encausse, Helene, La Russie Entre Deux Mondes (Pluriel, 2011).

Page 21
russe compte 148 millions d'habitants50, en 2009 cette dernière ne s'élève plus qu'à 142 millions.
Si on prend en compte que l'URSS comptait au moment de sa dislocation 292 millions
d'habitants 51 , la Russie perd beaucoup de son poids démographique dans le monde. Ces
nombreuses faiblesses favorisent le développement du régime du président Poutine.

2 La Russie du XXIème siècle contrôlée par Vladimir Poutine

L'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, d'abord en tant que premier ministre en août 1999
puis en tant que président à partir de décembre 1999, s'explique par la situation économique et
sociale chaotique en Russie. Selon le professeur Binette, l’économie russe sera « marquée par
une décroissance annuelle moyenne de son PIB de 1992 à 1998 de l’ordre de - 6,3%. Ce n’est
qu’à partir de 1999 que la croissance du PIB redeviendra positive 6,4%. En 1992, on
enregistrait un taux de déflation annuel des prix dans l’ensemble de l’économie de 1490 %, en
1995 de 144% et en 2000 de 37% ».52 En même temps, l'indice de développement humain chute
entre 1992 et 2000.53 Cette situation différente de celle des Etats satellites de la Russie, comme
les membres du groupe de Visegrad, provient de la captation des richesses par les oligarques.
Ces derniers, pour beaucoup d'anciens apparatchiks du régime soviétique, et donc les mieux
informés, vont prendre le contrôle de la plupart des richesses du pays à travers des conglomérats
et le clientélisme.54 En 2000, ces structures oligarchiques comptaient pour 60 % du PIB russe.55
La forte augmentation des inégalités fragilise le pays.
Dès son arrivée au pouvoir, Vladimir Poutine souhaite assurer un retour de l’État russe. 56
Comme le souligne Frédéric Pons : « Lorsqu’il arrive au pouvoir, Poutine hérite d’une
administration sclérosée et d’un pays où pratiquement plus rien ne fonctionne correctement. Il
reste les corps en uniforme. L’armée est déconsidérée, marginalisée. La police et les services
sont démoralisés. Tous leurs repères ont volé en éclats. Mais il n’y a plus qu’eux. »57. Poutine

50 Selon la Banque Mondiale.


51 Dumont, Gérard-François, ‘LA POPULATION DE LA FRANCE EN 1993’, p.4.
52 Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale, p.20.
53 ‘Russian Federation Human Development Indicators’, Human Development Reports.
54 Kinyakin, Andrey A., ‘Les oligarques dans la Russie contemporaine : de la « capture » de l’État à leur
mise sous tutelle’, Revue internationale de politique comparee, Vol. 20 (2013), p.115.
55 Ibid.
56 Gouline, Konstantin, and Vladimir Iline, ‘Le niveau de vie en Russie 1991-2004’, Le Courrier des pays
de l’Est, n° 1051 (2005), p.50-51.
57 Pons, Frédéric, Poutine (Calmann-Lévy, 2014), Chapitre 8, Le Cercle de confiance.

Page 22
construit son appareil administratif et politique en cooptant du personnel à partir de deux
sources qui lui seront les plus fidèles à savoir le clan de Saint-Pétersbourg et les Siloviki, deux
groupes dont il est lui-même issue. Le rôle des services de sécurité est d'autant plus important
que les trois quarts des hauts cadres russes exerçant le pouvoir politique et économique sont
issus de ceux-ci.58 Aux services de sécurité, s'ajoute la dimension « clanique » du pouvoir en
Russie. Le premier cercle de Poutine est au début composé de Saint-Pétersbourgeois : natif de
cette ville, c'est aussi là-bas qu'il fera ses premiers pas en politique en tant que conseiller
d'Anatoly Sobchak à la mairie de Saint-Pétersbourg dans les années 1990.59
Afin d'assurer le retour en force de la Russie, le président met l'accent sur la croissance
économique autour de l'exportation des hydrocarbures qui permet une stabilisation du pays mais
aussi la modernisation des forces armées. Entre 2000 et 2015, le budget militaire a augmenté
de 215 %, tandis que la part du PIB allouée à la défense passe en moyenne de 3,6% entre 2000
et 2008 à 4,2% entre 2009 et 2015.60 Cette modernisation fait suite aux difficultés rencontrées
lors des guerres en Tchétchénie : lors de l'arrivée au pouvoir de Poutine en 2000, ce conflit est
l'un des principaux problèmes internes et sa résolution inaugura un renforcement de ces
pouvoirs. Cette concentration progressive du pouvoir au niveau présidentiel permet à la Russie
de retrouver une voix forte sur la scène internationale.

2 Méthode de la recherche : une analyse inductive des relations


internationales

Selon l'encyclopédie Britannica, le terme « relations internationales » à la définition suivante :


« Les relations internationales sont l’étude des relations des États entre eux et avec les
organisations internationales et certaines entités sous-nationales (par exemple, les
bureaucraties, les partis politiques et les groupes d’intérêts). Elle est liée à plusieurs autres
disciplines universitaires, notamment les sciences politiques, la géographie, l'histoire,
l'économie, le droit, la sociologie, la psychologie et la philosophie. »61 Cette définition montre

58 Ibid.
59 Ibid Chapitre 3 : « une ascension fulgurante ».
60 Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale, p.II.3.2.3.
61 ‘International Relations | Politics’, Encyclopedia Britannica .

Page 23
que ce domaine est large et pluridisciplinaire. Les acteurs sont divers mais liés au principal :
l’État. Compte tenu de la complexité croissante de la scène internationale, il est nécessaire de
prendre en compte les acteurs intraétatiques mais aussi non-Etatiques 62 . De même la
pluridisciplinarité de la matière des relations internationales oblige à une grande polyvalence et
une bonne connaissance des différents domaines liés à celle-ci. En effet, les relations
internationales recoupent différents secteurs comme l'économie, la sécurité ou le culturel. Ces
derniers forgent la politique internationale du pays et influencent les liens qu'entretiennent les
Etats, L'étude d'une organisation de défense comme l'OTAN pourrait laisser penser à une
analyse centrée sur les relations de sécurité. Néanmoins, un tel choix ne permettrait pas de
montrer tous les aspects de la pratique politique dans laquelle les domaines sont tous
enchevêtrés entre eux : sans économie comment faire fonctionner et financer les forces armées
nécessaires à la défense ? De même, le conflit n'étant qu'un des aspects des relations, la
diplomatie doit aussi être prise en compte. Par conséquent, il semble plus pertinent de se
concentrer sur la géopolitique définie comme « l'analyse des rivalités de puissances sur les
territoires et leurs populations »63. Le choix d’une méthode plus géopolitique des relations
internationales permet de se concentrer sur leur aspect explicatif, les rivalités de puissances
entre les États, et ainsi de réduire le champ d'étude vers des éléments plus pertinents. Dans le
cas de l'OTAN et de la Russie, le concept de puissance a été le point fondamental de la guerre
froide avec l'affrontement de deux entités voulant assurer leur hégémonie.

A - Une analyse inductive se greffant sur le réalisme

Selon le professeur Dario Battistella : « la plupart des internationalistes sont désireux de


déceler les causes cachées, fondamentales, de ce qui se passe sur la scène internationale, et
qui échappent à la connaissance des acteurs eux-mêmes »64 L'étude des relations entre l'OTAN
et la Russie nécessiterait, dans l'idéal, d'avoir accès aux « boites noires » décisionnelles des
différents acteurs. Traiter des relations politiques dépendant par nature de l'action des

62 Comme le précise le professeur Dario Battistella : «on entend par relations internationales l’ensemble
des relations qui se déroulent au-delà de l’espace contrôlé par les États pris individuellement, quel que soit
l’acteur – étatique ou non – concerné par ces relations, et quelle que soit la nature – politique ou autre – de ces
relations. »
Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, 5e édition.
63 Kempf, Olivier, ‘De La Différence Entre Géopolitique et RI - Egeablog’.
64 Ibid.

Page 24
dirigeants, ou comme le dirait Machiavel, des princes, nécessite un travail de renseignement
destiné à révéler la pensée et l'action exactes de ceux-ci. Une telle chose est de fait impossible
vu la confidentialité, parfois d'un niveau militaire, de telles informations. En effet, les
informations concernant les éléments les plus sensibles de l'Alliance sont couvertes par le
niveau OTAN, niveau de sécurité et de confidentialité parmi les plus élevés au sein des Etats
membres 65 et leurs collectes demanderaient une habilitation particulièrement élevée. Quand
bien même il aurait été possible d’en obtenir une, un doctorant n’aurait pas été admis au cœur
des décisions politiques afin d’acquérir une connaissance totale de l’action de Conseil
Atlantique Nord et, de plus, afin d'avoir une vision parfaite de l'action des membres, il aurait
fallu avoir le même degré de collecte d'information au sein des chancelleries des 28 membres.
Enfin, compte tenu du sujet, les relations avec la Russie, avoir accès aux données
confidentielles de l’État russe est une chose irréaliste pour un non-russe, d'autant plus, que
Moscou se montre particulièrement méfiant quant à la diffusion de ces informations sensibles :
l'administration russe s'avère très cloisonnée et il est très difficile de pouvoir contacter les
différents services à cause de la structure rigide, héritière de l'URSS . 66 Le développement des
tensions poussent même certains services de sécurité russe à devenir particulièrement
précautionneux en matière d'information.67
Par conséquent, étudier les relations entre les États membres de l'OTAN et la Russie avec des
sources primaires exigerait un accès à l'ensemble de renseignements et secrets d’États ayant des
intérêts divergents. Cette situation idéale est utopique. Même les chefs d’États ou autres
décideurs n'ont jamais accès à l'ensemble des informations des autres pays et même de leur

65 Ainsi pour l'exemple de la France, Les articles R. 2311-2 et R. 2311-3 du code de la défense définissent
trois niveaux de classification : Très Secret Défense, réservé aux informations et supports qui concernent les
priorités gouvernementales en matière de défense et de sécurité nationale et dont la divulgation est de nature à
nuire très gravement à la défense nationale ; Secret Défense, réservé aux informations et supports dont la
divulgation est de nature à nuire gravement à la défense nationale ; Confidentiel Défense, réservé aux
informations et supports dont la divulgation est de nature à nuire à la défense nationale ou pourrait conduire à la
découverte d’un secret classifié au niveau Très Secret Défense ou Secret Défense.( ‘Protéger Le Secret de La
Défense et de La Sécurité Nationale | Secrétariat Général de La Défense et de La Sécurité Nationale’ ).
De ce fait, afin d'avoir les informations les plus cruciales, il serait nécessaire d'avoir une habilitation très
secret défense, honneur réservé au secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale.
66 Inkina, Svetlana, ‘Bureaucratic Reform and Russian Transition: The Puzzles of Policy-Making Process’,
Palgrave Communications, 5 (2019).
67 « D'après des experts russes spécialisés dans le domaine de la sécurité, les machines à écrire sont encore
utilisées par de nombreuses forces spéciales. Elles possèdent l'avantage de ne pas pouvoir être piratées
électroniquement. L'ex-directeur du FSB (ex-KGB) Nikolaï Kovalev estime que "le moyen le plus primitif doit être
privilégié : la main humaine ou la machine à écrire". »
Besson, Oscar, ‘Russie : les services secrets retournent à la machine à écrire’, Le Point, 2013.

Page 25
propre État. Dès lors, il est nécessaire d'utiliser des sources ouvertes accessibles à un public
plus large et de suivre une méthode d'analyse inductive.

Afin d'essayer de reconstituer la « boite noire » décisionnelle et de l'analyser, il convient


d'assurer une démarche inductive. Cette dernière peut se définir comme une méthode qui
« permet de passer d'observations, d'analyses particulières ou spécifiques, à des perspectives
plus générales. » 68 et s'oppose à l'approche déductive consistant à aller « du général au
particulier, du principe à la conséquence. On part de l'énoncé du concept ou/et de la règle pour
aller à la vérification par des exemples. » La méthode inductive utilise des sources plus
accessibles pour déterminer et mettre en évidence des phénomènes plus généraux. En ce sens,
l'étude des politiques à travers leurs effets et les discours publics permet de révéler les
dynamiques globales des relations entre les États membres de l'OTAN et la Russie. Les
décisions de l'OTAN prises à l'unanimité facilitent cette tâche et renforcent le choix d’une
analyse inductive : la politique de l'Alliance nord-atlantique est le produit de la volonté des
États membres qui conservent leurs capacités décisionnelles. L'approche empirique basée sur
l'étude des faits et greffée sur la méthode inductive, semble la plus pertinente. Dès lors, l'analyse
basée sur la politique des États, rend le choix de l'école réaliste des relations internationales
pertinente. Selon Kenneth Waltz, la théorie permet grâce aux faits observés de produire des
explications plus globales.69 L'existence de certains paradigmes de la théorie réaliste assure la
cohérence du cadre de pensée et donne une structure de l'analyse.
De fait, les intérêts des États permettent de comprendre et d'analyser les relations et l'action
politique de l'OTAN et de la Russie. L’État-nation reste l'acteur principal et dominant de ce
domaine d'étude. En outre, le droit qui régit cette société internationale laisse toute latitude aux
États-nations. Dans le droit international public, les États restent libres de signer et de ratifier
ou non les traités, les organisations internationales restent inter-étatiques et leurs membres sont
égaux en droit. L'approche réaliste, comme tout cadre doctrinal et théorique, est sujette à un
grand nombre de courants internes et de nuances en fonction de leurs auteurs et des praticiens.
Ces derniers ayant leurs propres hypothèses centrales. 70 Le réalisme s'est en effet créé
progressivement avec les travaux des partisans de cette doctrine et il existe donc des grandes

68 ‘Démarches déductive et inductive’, Academie de Paris.


69 Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, Op. Cit.
70 Donnelly, Jack, Realism and International Relations (Cambridge University Press, 2000), p.7-8.

Page 26
familles au sein de cette école.71 Ceci étant, dans le cadre de cette thèse, il ne s'agira pas de se
positionner ou de s'aligner sur une catégorie précise. Le but d'établir un choix doctrinal consiste
à fournir une grille de lecture pour l’analyse du sujet étudié. Il serait contreproductif de
s'enfermer dans une catégorisation trop étroite ne prenant pas assez en compte les faits. C'est la
méthode qui doit s'adapter à ces derniers et pas l'inverse. Raymond Aron « conçoit la théorie
comme une boîte à outils à la disposition de l’analyste grâce à laquelle celui-ci peut proposer
une compréhension des relations internationales à partir du point de vue des acteurs ».72

B : Des relations visant la poursuite des intérêts des Etats


La première hypothèse et la plus centrale est que les États sont motivés par la poursuite des
intérêts via des stratégies de puissance. C'est l’intérêt qui est au cœur de la politique des
nations.73 La célèbre phrase de Lord Palmerston, premier ministre anglais au XIXème siècle,
résume bien le concept de base des réalistes : "Nous n'avons pas d'alliés éternels et nous n'avons
pas d'ennemis perpétuels, ce sont nos intérêts qui sont perpétuels et éternels et c'est notre devoir
de les suivre.74 Cette phrase qui pourrait servir de devise aux réalistes a d’ailleurs été reprise
par plusieurs hommes politiques comme Charles De Gaulle ou Henry Kissinger.
Une première idée, d’inspiration « machiavélienne », consiste à estimer que le meilleur moyen
pour atteindre le résultat le plus efficace dans le domaine des intérêts d’un Etat, est la recherche
de la puissance ou le maintien de celle-ci quand l’État est dans une position dominante.
Toutefois, il est nécessaire de définir les intérêts au sens large comme le décrit Raymond
Aron75: en plus de l’intérêt traditionnel militaire, il faut aussi prendre en compte les aspects
économiques, culturels et sociaux. Cette conception étendue des intérêts est d'autant plus
nécessaire dans le cadre du XXIème, celui d'un monde globalisé 76 . Elle révèle une

71 On peut citer par exemple, le réalisme classique, les réalistes néo-classiques les néo-réalistes.
72 Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, Op. Cit.
73 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.23.
74 "We have no eternal allies and we have no perpetual enemies. Our interests are eternal and perpetual,
and those interests it is our duty to follow. . . . With every British Minister the interests of England ought to be the
shibboleth of his policy."
Heath, Edward, ‘Realism in British Foreign Policy’, Foreign Affairs, 1 October 1969.
75 Aron, Raymond, Paix Et Guerre Entre Les Nations (Paris: Calmannlev, 2004) p.70.
76 Ce que l'on appelle la mondialisation au sens actuel du terme a néanmoins débuté après la seconde guerre
mondiale. Un certain nombre d'éléments de ce phénomène sont toutefois largement plus anciens mais le
mouvement s'est accéléré depuis le Xxème siècle.

Page 27
interconnexion de plus en plus forte entre les Etats mais aussi entre les sociétés civiles, ce qui
les oblige à modifier leurs modes d’action.
Ces concepts d’intérêts et d'équilibre des puissances reprennent finalement ce qu'Adam Smith
appelait, dans ses essais économiques, la « main invisible ». Cette notion est transposable à la
vision réaliste des relations internationales.77 Dans un environnement par nature anarchique, les
acteurs motivés par leurs intérêts (à la fois convergents et concurrents) vont développer
inconsciemment un système ordonné global.78 Cette similitude de mécanismes découle de leur
même source philosophique : Thomas Hobbes. La pensée réaliste s'appuie sur une transposition
dans les relations internationales, de la vision de l'homme, décrite dans le Léviathan. L'idée
« homo homini lupus est »79,l'homme est un loup pour l'homme, est centrale et part du postulat
que la nature humaine, et par extension les sociétés et les États, est basée sur un désir perpétuel
d’acquérir le pouvoir.80 Cette vision pessimiste de l'homme nécessite d’en tenir compte et non
de la nier.81

Cette politique internationale fondée sur l’intérêt de l’État-nation, l’intérêt national, parfois
appelé raison d’État, s’accomplit au travers de la politique de son représentant : le dirigeant. Là
encore, le concept a largement été décrit par Nicolas Machiavel dans son ouvrage : le Prince82
C’est à travers ce dernier, que la politique de puissance de l’État et une part majeure de ses
intérêts se définissent.
Le régime de l’État va jouer sur la nature du pouvoir du dirigeant 83. Ainsi un État ayant un
pouvoir central fort de type autoritaire ou dictatorial laissera plus de marge de manœuvre à son
dirigeant qu'une démocratie de type parlementaire. À titre d'exemple, les États-Unis et la Russie
ont tous les deux des régimes présidentiels qui laissent une place prépondérante à leurs

77 Pour les liens entre la pensée d'Adam Smith et les relations internationales voir : Wyatt-Walter, Andrew,
‘Adam Smith and the Liberal Tradition in International Relations’, Review of International Studies, 22 (1996), 5–
28.
78 Mitzen, Jennifer, Power in Concert: The Nineteenth-Century Origins of Global Governance (University
of Chicago Press, 2013).
79 Formule employée par Hobbes dans De Cive et existante avant lui (Plaute l'utilisait déjà).
Weber, Dominique, Hobbes et le désir des fous: rationalité, prévision et politique (Presses Paris
Sorbonne, 2007) p.55.
80 Hobbes, Thomas, Leviathan p.88.
81 Niebuhr, Reinhold, and Cornel West, Moral Man and Immoral Society: A Study in Ethics and Politics, 2
edition (Louisville, KY: Westminster John Knox Press, 2013).
82 Machiavel, Nicolas, Le Prince (Paris: Le Livre de Poche, 2000).
83 "[les régimes politiques] diffèrent au moins par le mode de désignation de ceux qui exercent la souveraine
autorité, par la manière dont ces derniers prennent leurs décisions..."
Aron, Raymond, Paix Et Guerre Entre Les Nations, Op. Cit., p.283.

Page 28
présidents dans la politique internationale. La nature autoritaire de la Russie amène une
personnalisation du pouvoir forte autour du président alors, qu’au contraire, la nature
institutionnelle des États-Unis, amène le chef d’État américain à composer avec les organes du
pays, sous peine de paralysie. Henry Kissinger décrit le dirigeant de la manière suivante :"La
valeur d'un homme d’État tient à son talent à évaluer la relation exacte des forces, puis à faire
servir cette évaluation aux fins qu'il s'est assignées." 84 C'est donc un rôle littéralement
stratégique qui caractérise la mission du chef d’État. Selon Raymond Aron, ce dernier va
chercher à atteindre trois objectifs, : la gloire, l'idée et la puissance85 et c'est donc sa vision des
intérêts nationaux qui va influencer son action à travers la politique étrangère.

C - Des relations déterminées par l'espace où elles s’exercent


Au-delà des intérêts des États à travers la politique des dirigeants, il faut prendre en compte la
notion d'espace.
L'environnement international est un espace anarchique. Il n'y a pas l'équivalent de l'ordre
interne à l'échelle internationale. Il n'existe pas d'autorité ayant un pouvoir supérieur et
indépendant des États. Dès lors dans cet environnement, tous les acteurs luttent 86 afin d'assurer
leur survie et leur autosuffisance. Les États vont agir sur les espaces organisés en fonction de
leurs ressources87 et des collectivités88 . Les ressources, d'origine naturelles ou humaines, sont
réparties inégalement dans l'espace, d’où un effet de rareté et l'affrontement des Etats. Dans
cette situation, l’équilibre des puissances assure l’ordre, en organisant les intérêts entre les
États, 89 et la multipolarité permet un ordre mondial cohérent reposant sur les grandes
puissances. 90 La pluralité des acteurs et l'imprévisibilité de leurs comportements exigent la

84 Kissinger, Henry A., Le Chemin de La Paix, (Denoel, 1972) p.401.


85 Aron, Raymond, Paix Et Guerre Entre Les Nations , Op. Cit., p.86.
86 Ibid., p.29.
87 Aron, Raymond, Paix Et Guerre Entre Les Nations,Op. Cit. p.247.
88 Ibid. p.215.
89 « moral principles can never be fully realised, but must at best be approximated through the ever
temporary balancing of interests and the ever precarious settlement of conflicts. This school, then, sees in a system
of checks and balances a universal principle for all pluralist societies. It appeals to historic precedent rather than
to abstract principles, and aims at the realisation of the lesser evil rather than that of the absolute good. »
Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, cité dans
Sheehan, Michael, The Balance Of Power: History & Theory (Routledge, 2004) p.5.
90 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nation, Op. Cit. p.141.

Page 29
prudence pour l'ensemble d'entre eux. Cet équilibre est donc précaire et changeant.91 Et pour
fonctionner correctement, les acteurs doivent agir de manière rationnelle. Néanmoins, cela reste
un moindre mal et assure une stabilité, impossible à obtenir sans celui-ci.92

Outre ces principes généraux, les développements de cette thèse vont utiliser les schémas
géographiques du britannique Harold Mackinder93 et de l’américain Nicholas Spykman94. Pour
le premier, l'opposition entre puissances maritimes comme les Etats-Unis et continentales telles
que la Russie va servir de cadre explicatif pour la relation entre les deux acteurs majeurs.
Mackinder considère que l'Europe, l'Asie et l'Afrique ne forme qu'un seul grand continent qu'il
nomme « World Island », au cœur de cet espace se trouve le « Heartland » qui correspond
géographiquement aux steppes eurasiennes et donc à la Russie, l'Asie centrale et l'Europe slave
de l'ex-URSS. Cette superficie est bordée par l’« inner crescent » incluant l'Europe centrale,
la Turquie, le Moyen-Orient et la Chine. Mackinder considérant que : « qui tient l’Europe
orientale tient le heartland, qui tient le heartland domine l’île mondiale, qui domine l’île
mondiale domine le monde ».
L'inner crescent de Mackinder va être mis en valeur par Spykman qui le renomme Rimland.
Selon le géopolitologue américain ce sont ces territoires européens et asiatiques qui doivent
être utilisés pour empêcher l'expansion du heartland. Spykman considère d'ailleurs que ces
espaces, plus que les forces thalassocratiques et continentales, sont les clés géopolitiques. Son
analyse repose sur une conception des espaces à l'échelle régionale et sur l'équilibre de ceux-
ci.95 L'OTAN apparaît dès lors comme la concrétisation du contrôle du rimland européen par la
puissance thalassocratique américaine. Ces deux analyses géopolitiques, bien que partant de
concepts identiques, vont s'opposer dans l'importance des espaces : Mackinder privilégie la
dualité terre-mer, là où Spykman préfère se concentrer sur les Rimlands. Elles vont servir de
cadre général pour la thèse. Les relations entre l'OTAN et la Russie au XXIème siècle, sont
encore animée par l'opposition principale entre le Heartland russo-centré et les Etats-Unis
thalassocratique. Mais ce sont les États-membres de l'OTAN sur le continent européen (et donc

91 Ibid. 151.
92 Sheehan, Michael, The Balance Of Power: History & Theory Op. Cit., p.5.
93 Mackinder, Halford John, Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of Reconstruction
(Forgotten Books, 2017).
94 Spykman, Nicholas John, The Geography of the Peace (Harcourt, Brace and Company, 1944).
95 Zajec, Olivier, ‘« Je ne crois pas que l’on puisse diviser le monde en bons et en méchants » : Nicholas
Spykman et l’influence réelle du codage géopolitique sur la stratégie américaine de containment’, Relations
internationales, 2015, 95–110.

Page 30
dans le rimland) qui vont constituer le point d'équilibre en tant que points de contact entre
puissances maritime américaine et continentale russe. Si ces découpages ont fortement été mis
en avant au niveau universitaire (surtout aux Etats-Unis) pendant la guerre froide, ils sont
beaucoup moins utilisés pour expliquer la situation postérieure. Pour autant il semble que les
analyses de Mackinder et de Spykman gardent une actualité réelle, et ce malgré un contexte
multipolaire et non plus bipolaire. Il est, dès lors, pertinent de réutiliser cette cartographie
politique pour expliquer les développements sur la question de la Russie et l'OTAN au XXIème
siècle.

3 – Problématique, structure de la thèse et plan

Le choix d'étudier les États et les relations qu'ils entretiennent entre eux met en évidence le
bilatéralisme. En effet, l'approche réaliste confirmée par la pratique internationale suggère des
relations avant tout bilatérales. Elles constituent le fondement de la diplomatie mais aussi du
conflit : « la centralité de la relation bilatérale dans la diplomatie peut être abordée à travers
son rôle stratégique, en ce qu’elle permet de promouvoir l’intérêt national et structure les
négociations internationales. »96 Dans le paradigme suivant lequel les relations internationales
sont dirigées par les intérêts des États, le bilatéralisme est central. Néanmoins dans le cas de
l'OTAN et de la Russie, la question est plus complexe car un des deux acteurs est une
organisation de défense représentant 28 membres. Le bilatéralisme pur risque d'être dépassé.
Les relations des membres de l'OTAN sont tournées vers la Russie mais il existe aussi des
relations internes au sein de l'Alliance entre les membres devant être prises en compte. De plus,
les pays de l'OTAN ont chacun des poids politique, économique et militaire différents,
impactant leur puissance et influençant leur politique étrangère. Enfin, les relations bilatérales
entretenues par un pays avec la Russie ne peuvent ignorer celles de ce même État avec les autres
membres de l'OTAN.

96 Pannier, Alice, Chapitre 1. La relation bilatérale dans Manuel de diplomatie (Presses de Sciences Po,
2018) , p.25.

Page 31
La question posée est donc : « les relations entre les Etats membres de l'OTAN et la Russie
sont-elles des relations bilatérales ou des complexes de relations bilatérales et avec quelles
conséquences au niveau régional et global ? »

Pour y répondre, il est nécessaire de mettre en avant les États-Unis, prédominants dans
l'Alliance, ayant conservé avec la Russie une relation particulière issue de la guerre froide : les
deux pays perpétuent un duopole géopolitique du fait de relations bilatérales prioritaires (Partie
1). Dans l'ombre de cette relation, se dresse une mosaïque de positions développées par les
autres États membres de l'Alliance qui aboutit à des complexes de relations bilatérales qui
influencent la relation principale (Partie 2)

Page 32
Partie I La volonté de perpétuer le duopole entre
les Etats-Unis et la Russie

Page 33
Comme l'écrivait déjà Alexis de Tocqueville au XIXème siècle : « Il y a aujourd’hui sur la
terre deux grands peuples qui, partis de points différents, semblent s’avancer vers le même but :
ce sont les Russes et les Anglo-américains. »97 Le philosophe français voyait déjà l'importance
qu'allait occuper les deux États et la rivalité qui germa un siècle plus tard avec la guerre froide :
« Leur point de départ est différent, leurs voies sont diverses ; néanmoins, chacun d’eux semble
appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de
la moitié du monde »98. De même, l'organisation politique des deux pays paraissait claire aux
yeux de Tocqueville avec des États-Unis reposant sur les individus et la Russie sur son
dirigeant. 99 Cette analyse lucide et restant d'actualité pour les siècles suivants son écriture
montre comment l'opposition entre les deux pays est ancienne et ce malgré des périodes
d'alliances comme le prouve les deux guerres mondiales.
Ainsi malgré la fin de la guerre froide, cette relation particulière entre les États-Unis et la Russie
subsiste au XXIème siècle. D'un côté Washington reste le pays dominant au sein de l'OTAN de
par son poids économique et militaire, d'autant plus que durant les années 1990, les États-Unis
n'ont politiquement plus de rivaux. Ils pourront ainsi fortifier leur influence sur la scène
internationale et devenir la clé de voûte du nouvel ordre mondial qui se forme avec
l’effondrement de l'URSS. Face à eux, la Russie qui a connu d'importantes difficultés dans la
décennie 1990, se reforme et cherche à retrouver sa place dans un monde en mutation.
Avec cette situation inégalitaire, Moscou devient à nouveau très attentive à sa relation avec la
puissance qui est désormais au centre de la scène internationale ; quand les États-Unis
continuent à accorder une place importante dans leur politique étrangère à leur ancien
adversaire. Le duopole géopolitique entre les deux États se perpétue mais évolue dans un monde
qui change. En effet, la scène internationale est devenue mondialisée et l'opposition entre les
blocs a laissé place à des échanges économiques, politiques et culturels entre tous les États. On
assiste ainsi à une confrontation bipolaire dans un monde mondialisé (Titre 1). Toutefois, celle-

97 Tocqueville, Alexis de, De la démocratie en Amérique, Tome 2, 1850, p.385.


98 Ibid.
99 « le premier (l’Américain) s’en repose sur l’intérêt personnel, et laisse agir, sans les diriger, la force et
la raison des individus. Le second (le Russe) concentre en quelque sorte dans un homme toute la puissance de la
société. »
Ibid.

Page 34
ci reste largement dépendante des administrations et dirigeants des deux États qui en sont les
véritables variables d'ajustement. (Titre 2).

Titre 1 : Une confrontation bipolaire dans un


monde mondialisé :

Contrairement à la période de la guerre froide, les États-Unis et la Russie évoluent dans un


environnement avec moins de frontières et où les échanges économiques se sont accrus au point
de créer une interdépendance entre les différents États. La crainte d'un conflit nucléaire entre
les deux États est devenue quasiment nulle. Pour autant les relations restent conflictuelles du
fait de la volonté de chacun d'affirmer sa place dans le monde selon des visions différentes
(Chapitre 1)
Mais cette confrontation entre la Russie et les États-Unis prend de nouvelles formes plus
adaptées aux relations de l'ère de la mondialisation du fait de l'intervention des organisations
internationales (Chapitre 2)

Chapitre 1 : Une volonté d'affirmer leur place dans


le monde au travers de visions différentes
servant les intérêts des États :

Si la politique des États cherche à assurer ses intérêts nationaux, ces derniers doivent être
définis, la détermination de ce qui constitue cet intérêt national étant différente d'un État à un
autre voire entre les gouvernements d'un même pays. Cette définition est de fait la combinaison
de plusieurs facteurs propres à chaque nation comme la culture et l'histoire. Si le barrage
idéologique lié au marxisme-léninisme en Union soviétique a disparu, les prétentions
géopolitiques continuent d'exister. Tocqueville a mis en avant la dimension exceptionnelle des
deux États, ce qui les pousse à avoir une vision du monde particulière et à rechercher une
position dominante dans les relations internationales.

Page 35
En ce sens les idéologies liées à la culture nationale influent sur cette vision. Les intérêts
nationaux sont, aux États-Unis et en Russie, le produit d'idées contradictoires amenant un
rapport de force entre les deux États (Section 1). L'utilisation de l'idéologie par chaque pays est
en outre un outil d'influence ayant pour but d'étendre sa vision du monde aux autres États
(Section 2)

Section 1 : Les États-Unis entre interventionnisme et isolationnisme face à


la Russie entre Occident et Eurasie

Comme le rappelle Raymond Aron : « Les unités politiques s'efforcent de s'imposer l'une à
l'autre leur volonté » 100 . Cette conception des rapports empruntée à Clausewitz 101 est plus
qu'applicable pour les relations entre les deux États qui ont gouverné les relations
internationales pendant quasiment un demi-siècle. Si l'effondrement de l'URSS et l'instant
unipolaire autour des États-Unis du début des années 1990 ont modifié (et même rompu)
l'équilibre des puissances en vigueur pendant la guerre froide, le poids de l'histoire reste présent.
Les États-Unis et la Russie ont chacun développé des conceptions de leurs intérêts nationaux
qui sont le fruit d'un long processus historique, philosophique et culturel. De par leur taille,
leurs positionnements géographiques et leur potentiels politique et économique, ils ont
développé une conception du monde qui est parfois assimilée à une vision impériale.102 Pour
autant, c'est avant tout une logique sécuritaire qui définit les intérêts américains et russes. La
sécurité est en effet la base de la politique étrangère d'un État103 afin d'assurer sa survie. Elle va
le conduire à rechercher l'autosuffisance pour diminuer sa dépendance envers les autres acteurs
de la société internationale.

100 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit., p.81.
101 Ibid.
102 Chaudet, Didier, Florent Parmentier, and Benoit Pelopidas, L’empire au miroir : Stratégies de puissance
aux États-Unis et en Russie (Librairie Droz, 2007) p.90 à 96.
103 « Quel est donc le premier objectif que logiquement l'unité politique peut viser ? La réponse nous est
fournie par Hobbes, dans son analyse de l'état de nature. Toute unité politique aspire à survivre. Gouvernants et
gouvernés sont intéressés à, désireux de maintenir la collectivité qu'ils constituent ensemble, par la grâce des
siècles, de la race ou de la fortune. »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p. 82.

Page 36
Ce sont les conceptions de la sécurité et de l'autosuffisance104 de la nation qui vont être les
fondements des politiques américaines et russes. Dans les deux États, elles vont prendre la
forme d'idéologies contradictoires constituant les grandes tendances internes de chacun en
politique internationale. Comme le fait remarquer Morgenthau, le but des politiques est
rarement exprimé de manière directe et reste caché derrière des idéologies permettant de
susciter une adhésion politique. 105 Les chefs d’États américains et russes vont défendre les
intérêts nationaux sur un fondement réaliste, tout en instrumentalisant la dimension
idéologique. Là encore Morgenthau considère que l'idéologie peut être une arme pour assurer
la réussite de la politique internationale. 106 Cette idéologie, toutefois, ne peut ignorer la
personnalité des différents dirigeants qui va influencer la politique des États, et sera même
décisive pour la qualité de la diplomatie d'une nation façonnant la puissance réelle d'un État.107

La politique américaine sera, selon différentes formes, basée sur le concept de


l'exceptionnalisme américain (§1), là où la Russie aura une doctrine internationale tirant sa
nature de sa position géographique à la fois occidentale et orientale (§2)

§1 Une politique américaine marquée par l'exceptionnalisme

Parmi les éléments constitutifs du pouvoir de l’État évoqués par Morgenthau, se trouve le
caractère national. Celui-ci se définit comme un ensemble de valeurs intellectuelles qui sont
mises en avant dans une nation et que l'on ne retrouve pas dans les autres (du moins pas avec
la même intensité). 108 Cette personnalité nationale va se retrouver dans ce qui est appelé
l'exceptionnalisme américain. Si cette expression a commencé à être utilisée au début du
XXème siècle109, elle renvoie en fait à un ensemble d'éléments de nature historique qui ont

104 A savoir la capacité de subvenir par elle-même à ses propres besoins politiques et économiques.
105 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.61.

106 « Such are the psychological forces wich inevitably engender the ideologies of international policies and
make them weapons in the struggle for power on the international scene ».
Ibid p.62.
107 Ibid p.105.
108 Ibid p.96.
109 L'origine de cette expression serait imputable à Joseph Staline, qui aurait parlé d'exceptionnalisme
américain pour expliquer la résistance des Etats-Unis à la montée du socialisme en occident.

Page 37
forgé l'esprit américain. Deux semblent prédominants pour expliquer le caractère national
américain : la religion et le libéralisme.
Issue de la religion apparaît d'abord la notion de destinée manifeste. Celle-ci (« Manifest
destiny ») s'est historiquement implantée dans ce pays et est beaucoup plus ancienne que la
guerre froide car elle date du XIXème siècle. Elle vient de la colonisation de l’Amérique du
Nord (et surtout de l'ouest) et du modèle démocratique américain issu de la guerre
d’indépendance. Initialement, cette doctrine développait l'idée que les États-Unis avaient pour
mission divine de répandre leur modèle sur le continent américain. 110 Si la « destinée
manifeste » était au départ utilisée dans le cadre de l'extension des États-Unis en Amérique du
Nord, elle va devenir un élément majeur de la politique étrangère de l’État naissant.
Le concept de destinée manifeste est traditionnellement composé de trois piliers :111 les vertus
spéciales des citoyens américains et de leurs institutions ; la mission des États-Unis de recréer
le monde à leur image ; une destinée à accomplir sous la direction de Dieu. On peut ainsi voir
au travers de cette vision le rôle majeur de la religion dans la politique américaine.112 Si l'aspect
fondamentaliste des premiers pèlerins s'est affaibli dans les relations avec l'étranger, il subsiste
un fort aspect religieux dans celles-ci. Les Américains restent déterminés à accomplir une
mission morale. À cette culture religieuse s'ajoute la philosophie libérale 113, le futur président
Jefferson évoquant, en 1780, « l'empire de liberté ». La forte implantation de la doctrine libérale
aux États-Unis 114 va amener ceux-ci à se référer en permanence à ce modèle et à tenir un
discours basé sur la promotion des libertés fondamentales.115 Les conséquences sur la politique
internationale vont être multiples : rejet des régimes autocratiques, capitalisme comme modèle
économique de référence et appui à la société civile.

110 L'expression « Manifest destiny » vient d'un article du journaliste John O'Sullivan publié en 1845 lors de
l'annexion du Texas: « It is our manifest destiny to overspread the continent alloted by Providence for the free
development of our yearly multiplying millions ».
111 Robert J. Miller dans Native America, Discovered and Conquered: Thomas Jefferson, Lewis and Clark,
and Manifest Destiny.
112 David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis Balthazar, La politique étrangère des Etats-Unis :
Fondements, acteurs, formulation (Paris: Les Presses de Sciences Po, 2008) p.58 à 60.
113 Dans ce contexte, il faut comprendre le terme « libéralisme » dans son sens classique, à savoir la primauté
des principes de liberté et de responsabilité individuelle sur l'autorité d'un souverain .
114 Les deux grands partis américains sont liés au libéralisme : soit à sa forme classique (parti républicain)
soit progressiste (parti démocrate).
115 David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis Balthazar, La politique étrangère des Etats-Unis :
Fondements, acteurs, formulation, Op. Cit. p.62.

Page 38
C'est ce mélange de la « destinée manifeste » religieuse et de « l'empire de la liberté » libéral
qui va former « l'exceptionnalisme » américain, se transformant parfois en une forme de
paranoïa116. La croyance en la supériorité des États-Unis et leur position quasiment insulaire
vont pousser les Américains à considérer qu'ils sont entourés d'ennemis. Le cas du
maccarthysme en est l'une des manifestations. Si ce dernier point n'est pas une constante de la
politique américaine, elle peut avoir une influence de manière cyclique. Dans de tels cas,
l'ennemi prend une forme bien déterminée et la relation devient manichéenne.
Cette culture nationale va aussi amener deux positionnements contraires dans la politique
américaine : l'isolationnisme et l’interventionnisme (A), positionnements qui seront nuancés
par le réalisme des présidents américains (B)

A Les contradictions entre isolationnisme et interventionnisme : des conceptions


différentes de la place des États-Unis dans le monde

Orientés par leur culture nationale, les États-Unis vont adopter deux stratégies de puissance :
une défensive avec l’isolationnisme (1), l'autre offensive avec l’interventionnisme (2).117

1 L’isolationniste : une tradition tenace


L’isolationnisme se définit comme une posture défensive dans laquelle, un État renonce à
participer à la compétition internationale.118 Aux États-Unis, cette stratégie va être dominante,
pour ne pas dire exclusive, jusqu’à la fin de la première guerre mondiale.

116 Ibid p.79.


117 « Les deux concepts d'offensive et de défensive, écrit Clausewitz, sont les deux concepts supérieurs de la
stratégie. »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p. 92.
118 Ibid p.93.

Page 39
Ce sont les présidents Washington 119 et Jefferson 120 qui sont à l'origine de cette position
politique vis-à-vis des autres États, et particulièrement des États européens. Selon eux, les
contacts avec l'étranger doivent rester économiques. On y voit aussi l'expression de
l'exceptionnalisme, les différences de valeurs entre l'Europe et les États-Unis naissant motivant
ce retrait. Pour autant cet isolationnisme ne va être absolu que peu de temps : rapidement la
politique étrangère américaine va rechercher une zone d'influence à l'échelle du continent
américain. La doctrine Monroe 121 va ainsi définir la forme pratique de cette puissance
défensive : les États-Unis ne s'occupent que des affaires du continent américain et en
contrepartie aucune puissance extérieure à cette région du monde ne doit y intervenir. Cet
isolationnisme n'est cependant que politique. Le vecteur économique et commercial est
fortement encouragé par les partisans de cette doctrine, le retrait de la scène international visant
seulement à éviter des enlisements diplomatiques.
Au XXIème siècle, cette tradition isolationniste va décliner dans la politique américaine et
devenir secondaire par rapport à la mouvance interventionniste. Néanmoins, elle conserve une
influence et a même connu un regain d’intérêt avec les suites de l'opération de 2003 en Irak et
la crise de 2008. Elle va prendre deux formes principales : l'une proche de l'esprit de Jefferson
et la seconde liée aux travaux de Samuel Huntington.122 Les « Jeffersoniens » ainsi qualifiés
par le professeur Mead 123 correspondent à la mouvance libertarienne, qui se retrouve chez
certains membres du parti républicain comme l'ex-Sénateur Ron Paul124, la principale figure
publique du mouvement. Sa doctrine repose sur un isolationnisme centré sur la protection du
pays et il refuse tout interventionnisme militaire à l'étranger considérant que celui-ci a un effet

119 « La grande règle de conduite vis-à-vis des nations étrangères est, en étendant nos relations
commerciales, de n’avoir avec elles qu’aussi peu de liens politiques que possible. [...]. L’Europe a toute une série
d’intérêts de premier plan qui ne nous concernent pas ou qui ne nous touchent que de très loin [...]. Pourquoi, en
entremêlant notre destinée à celle d’une partie quelconque de l’Europe, empêtrer notre paix et notre prospérité
dans les rets de l’ambition, de la rivalité, des intérêts, des passions ou des caprices européens ? Notre véritable
politique doit être d’éviter les alliances permanentes avec quelque partie que ce soit du monde étranger, pour
autant que nous ayons actuellement la liberté d’agir ainsi ; car qu’on ne me croie pas capable d’encourager
l’infidélité aux engagements existants »
George Washington, « Message d’adieu », cité dans David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis
Balthazar, La politique étrangère des Etats-Unis : Fondements, acteurs, formulation, Op. Cit. p.69.
120 « I am for free commerce with all nations, political connection with none, and little or no diplomatic
establishment. »
‘Jeffersonian Perspective: Foreign Relations’ <http://eyler.freeservers.com/JeffPers/jefpco30.htm>
[accessed 7 October 2017].
121 Bühler, Pierre, ‘Les États-Unis et le droit international’, Commentaire, Numéro 103 (2003), p.554-555.
122 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations (Paris: ODILEJACOB, 2009).
123 Mead, Walter Russell, [(Special Providence: American Foreign Policy and How it Changed the World)]
(ROUTLEDGE, 2002).
124 Et depuis 2016 par son fils Rand.

Page 40
contreproductif. En effet, les actions militaires présentent un coût financier et humain qui va à
l'encontre des intérêts américains.125 Il estime aussi que les interventions militaires engendrent
des ennemis pour les États-Unis. Ce discours est repris par la gauche libertarienne incarnée par
le philosophe américain Noam Chomsky126127, en réaction à l’interventionnisme américain et à
un gouvernement fort. C'est par conséquent un isolationnisme total. Il a reçu un écho favorable
chez certaines mouvances antisystèmes qui formeront la base de l'électorat du président
Trump 128 . Il n'en reste pas moins que malgré cette évolution, l'idée principale est d'éviter
l’interventionnisme politique afin de limiter les retombées négatives sur la sécurité nationale129,
sans compter la croyance que le retrait politique des États-Unis dispense la paix en permettant
aux autres États de se développer. 130 Il s'agit donc d'une conception réduite de la sécurité
nationale. Selon les isolationnistes, elle peut être assurée en se concentrant uniquement sur le
territoire américain ou sur une zone d’influence réduite. Cette posture se rattache à une version
dure de ce que Morgenthau appelle le statu quo : 131 ne pas changer l'équilibre des forces
internationales.

L’isolationnisme basé sur « le choc des civilisations » du professeur Huntington présente une
conception différente.132 De par cette vision du monde, les États-Unis ne doivent pas intervenir
en dehors du monde occidental (Amérique du Nord et Europe hors États slaves) et diriger cette
aire au nom des valeurs américaines. C'est à certain égard, une résurgence de l'esprit de la
doctrine Monroe : un isolationnisme partiel combiné avec le contrôle d'une zone d'influence.133
Bien évidement dans les deux cas, il s'agit d'assurer aux États-Unis une position dominante dans

125 « Instead of securing our borders, we’ve been planning, initiating and waging wars of aggression. Our
military is spread thin all across the planet, yet we remain involved in dangerous power plays that unnecessarily
put the lives of our soldiers at risk. And we brazenly squandered the wealth of our nation as if there were no
tomorrow. »
Paul, Ron, ‘Foreign Policy’ <https://www.ronpaul.com/national-defense/> [accessed 8 October 2017].
126 Noam Chomsky se défini comme un libertarien socialiste.
127 David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis Balthazar, La politique étrangère des Etats-Unis :
Fondements, acteurs, formulation, Op. Cit.183.
128 Formant ce que le professeur Mead appelle les Jacksonien:en refrence au président Andrew Jackson voir
Mead, Walter Russell, Special Providence: American Foreign Policy and How it Changed the World Op. Cit.
129 Nordlinger, Eric, Isolationism Reconfigured: American Foreign Policy for a New Century, Revised ed.
edition (Princeton, N.J: Princeton University Press, 1996) p.4.
130 Ibid p.5.
131 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.21.
132 Selon ce dernier, le monde est organisé en aires civilisationnelles chacune dirigée par une puissance
dominante. Cette dernière ne doit pas chercher à étendre son influence sur une autre aire.
133 Adams, Paul C., Atlantic Reverberations: French Representations of an American Presidential Election
(Aldershot, England ; Burlington, VT: Ashgate Pub Co, 2007) p.15.

Page 41
une région où ils n'ont pas de rival. La vision d’Huntington transpose l’isolationnisme originel
lié au rejet des européens à celui lié à la méfiance des autres civilisations 134 . Si le texte
d'Huntington a eu paradoxalement une influence sur les franges les plus interventionnistes de
la politique américaine, il va aussi avoir un écho plus général sur les décideurs.

Toutefois, l’isolationnisme reste désormais secondaire face à l’interventionnisme (2)

2 La prédominance d'un interventionnisme variable


Si les États-Unis ont conduit des opérations militaires aux XIXème siècle contre des puissances
européennes, comme l'Espagne, ils vont réellement devenir interventionnistes lors des deux
guerres mondiales. En position de force face aux États d'Europe, Russie et URSS comprises, à
la sortie de ces conflits, l’Amérique va déployer une stratégie de puissance offensive. À travers
ces modes d'actions, on trouve deux formes d’impérialisme tel que le défini Morgenthau135 : le
militaire et le culturel136. Ces deux stratégies impérialistes se combinent depuis la fin de la
guerre froide avec la volonté de maintenir un statu quo : l’Amérique et ses alliés doivent rester
au cœur de l'ordre mondial. Il s'agit à la fois de diriger et de s'étendre.

L'impérialisme militaire se greffe sur un unilatéralisme hégémonique137. Cette vision est au


cœur du mouvement néoconservateur138, né avec la montée du socialisme au XXème siècle, et
dont une large majorité des membres appartient désormais au parti républicain. 139 Dans le
contexte post-guerre froide, Francis Fukuyama, néoconservateur à l'époque, estimera que la fin
du bloc soviétique amènera un monde dirigé par la démocratie libérale et ce de manière

134 Huntington vise particulièrement la civilisation chinois et le monde musulman comme principales
menaces des Etats-Unis.
135 Ce dernier décrit l'impérialisme comme l'action de mettre fin à un statut quo et non pas nécessairement
comme étant une volonté hégémonique.
Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit p.26.
136 Ibid p.38.
137 Tel est le nom donné à cette école de pensée dans :David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis
Balthazar, La politique étrangère des Etats-Unis : Fondements, acteurs, formulation, Op. Cit.189.
138 Ibid p.194-201.
139 Historiquement, ils étaient au départ dans l'aile droite de démocrates puis suite à une série de déceptions,
ont ralliés les républicains. Voir le premier chapitre de Chaudet, Didier, Florent Parmentier, and Benoit Pelopidas,
L’empire au miroir : Stratégies de puissance aux Etats-Unis et en Russie (Librairie Droz, 2007).

Page 42
définitive.140 On retrouve donc une vision linéaire de l'histoire avec un aboutissement final,
l'accomplissement de la partie missionnaire de la destinée manifeste des États-Unis. Dans cette
conception, les objectifs principaux de la politique étrangère américaine sont donc un monde
unipolaire et la volonté d'en être la force dominante. Elle trahit aussi une volonté de garder le
contrôle maximal sur la politique internationale.
L'action des États-Unis s'articule autour de l'action préventive, l'unilatéralisme militaire et
l'influence à l'échelle planétaire. Elle repose sur le concept de l'unipolarité (ou la conception
d'un monde unipolaire). Le néoconservateur Charles Krauthammer estime que celle-ci est
possible du fait de la supériorité technologique et militaire des États-Unis.141 De ces trois outils,
c'est l'unilatéralisme militaire qui occupe la première place. Les règles de droit international
sont alors utilisées en fonction des circonstances. Les propos du 30 septembre 2004 de
l'ambassadeur américain à l'ONU, John Bolton, montre bien l'esprit néoconservateur en la
matière :« la coutume internationale n’est pas faite par les professeurs de droit ; ils nous disent
que la coutume internationale est constituée par la pratique des États. Et bien, si la règle ne
nous plaît pas, on change la pratique. »142

L’impérialisme culturel 143 américain se manifeste à travers un internationalisme 144 : la


détermination à répandre le modèle américain par des moyens pacifiques comme la coopération
ou l'influence. Initialement cet interventionnisme a été conçu de manière multilatérale sous la
direction des États-Unis. Ce fut la doctrine du président Wilson, lequel considérant que les
théories classiques réalistes avaient échoué avec la première guerre mondiale, a émis l'idée d'un
ordre international reposant sur les valeurs libérales afin d'éviter une répétition des guerres
massives : créer une union d’États libéraux à l'échelle mondiale, ce que Kant appelait « union
pacifique ».

140 Fukuyama, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme (Flammarion, 2009).


141 L'auteur reconnaît toutefois que ce monde unipolaire ne durera pas.
Krauthammer, Charles, ‘The Unipolar Moment’, Foreign Affairs, 1 January 1990.
142 ‘Impérialisme et Droit International En Europe et En Amérique - Serge SUR’
<http://www.sergesur.com/Imperialisme-et-droit.html> [accessed 19 August 2017].
143 Hans Morgenthau définit l'impérialisme culturel en ces termes : « the conquest and control of the minds
of men as an instrument for changing the power relations between two nations ».
144 Doyle, Michael, ‘“Liberalism and World Politics.”’, American Political Science Review, December
1986, pp. 1156–61.

Page 43
Le philosophe allemand partait de plusieurs principes permettant d'arriver à cette « paix
perpétuelle »145.Politiquement, les régimes démocratiques ne se font que rarement la guerre.
Économiquement, le libre échange apporterait la prospérité tout en créant une interdépendance
qui empêcherait les conflits. Juridiquement, la présence d'institutions et l’émergence d'un droit
international permettrait d'assurer un pilotage efficace de cet ordre mondial et permettrait de
remplacer l'équilibre des puissances des réalistes. Ces principes kantiens vont influencer la
doctrine wilsonnienne reposant sur la construction d'un ordre mondial basé sur des institutions
internationales inter-étatiques mais aussi non étatiques, la promotion de la société civile et de
l 'individu étant les fondements du libéralisme. La promotion du modèle politique (démocratie),
économique (libre-échange capitaliste) et culturel (libéralisme sociétal) participent alors à la
construction d'un modèle de société permettant d'assurer la prospérité et la paix interne des États
et d'éviter les aspects belliqueux.

Néanmoins, malgré le multilatéralisme, les États-Unis considèrent qu'ils doivent être au centre
de l'ordre international.146 Dans le contexte post-guerre froide du XXIème siècle, cette volonté
repose sur le paradigme que l’Amérique ne peut pas diriger le monde seule et qu'elle doit s'aider
du reste du monde. Si ce dernier partage le point de vue américain, cela sera bénéfique
indirectement pour eux. 147 Au XXIème siècle, il s'agit donc de promouvoir et d'utiliser des
organisations comme l'ONU et l'OTAN pour développer cette société internationale, les
partenariats et les coopérations politiques et économiques étant les moyens d'actions
privilégiées avec les autres États. L’interventionnisme est normalement réduit puisque cette
doctrine a pour but d’empêcher les conflits. Il opère principalement dans le cadre de coalitions
avec les organisations précitées. C’est le « soft power », l'influence et la coopération, qui
prédomine dans l'action.
Morgenthau considère que cette stratégie est la plus subtile et celle qui donne le plus de résultats
en cas de réussite. 148 Cette stratégie offensive repose donc sur une conception de sécurité

145 Tel est le nom de l'ouvrage de Kant promouvant cette idée.


Kant, Emmanuel, Michaël Foessel, and Laurence Hansen-Love, Vers la paix perpétuelle (Paris: Hatier,
2013.)
146 Ikenberry, G. John, ‘Getting Hegemony Right’, The National Interest, 2001, 17–24.
147 «Even if the United States remains the largest power, accordingly, it will not be able to achieve many of
its international goals acting alone. For example, international financial stability is vital to the prosperity of
Americans, but the United States needs the cooperation of others to ensure it »
Jr, Joseph S. Nye, ‘Will the Liberal Order Survive?’, Foreign Affairs, 12 December 2016.
148 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.40.

Page 44
nationale étendue qui consiste à décréter que celle-ci ne peut être assurée que dans un monde
stable autour des États-Unis.

Les contradictions entre isolationnisme et interventionnisme trahissent la vision des intérêts des
États-Unis dans le monde et du rôle que ceux-ci doivent avoir. Elle suit finalement une logique
purement stratégique chère à Clausewitz : Quand les États-Unis sont affaiblis ou en proie à des
doutes quant à leur place sur la scène internationale, ils se tournent vers une posture défensive,
à travers l’isolationnisme, afin de se reconstituer et de se renforcer. Il n'est ainsi guère étonnant
que ce courant ait connu un regain d’intérêt suite à l'enlisement irakien et la crise économique
de 2008. Quand ils sont en position de force et/ou sont attaqués, l'offensive interventionniste
est lancée.
Si les deux attitudes ont stratégiquement des avantages, c'est un juste équilibre entre les deux
qui va permettre une efficacité optimale. La défensive et l'offensive sont inefficaces l'une sans
l'autre selon Clausewitz149. C'est donc au stratège de faire le juste équilibre, ce qui amène à
considérer le rôle du président américain, commandant en chef des armées et responsable
principal de la politique étrangère américaine. (/b)

B le réalisme des présidents américains : entre recherche du statu quo et


impérialisme

De par les exigences de la pratique du pouvoir et une scène internationale désordonnée, les
présidents américains sont obligés de faire preuve de réalisme. Les courants idéologiques ont
en effet tendance à être secondaires face à l'exigence des faits. Pour autant, ils ne sont pas
totalement absents. La culture nationale via l'exceptionnalisme américain va garder un rôle
important dans les positions personnelles et l'action des présidents.
Dans le cadre de la relation entre les États-Unis et la Russie, les positions américaines vis-à-vis
de Moscou au XXIème siècle s'expliquent par les politiques menées depuis la présidence

149 Brustlein, Corentin, ‘Clausewitz et l’équilibre de l’offensive et de la défensive’, Stratégique, 2009, 95–
122, p.101.

Page 45
Reagan qui a constitué le basculement de la fin de la guerre froide vers la mise en place du
nouvel équilibre mondial.

Les postures défensives et offensives derrière les idéologies peuvent se rattacher au maintien
du statu quo ou à l'impérialisme tel que le définit Morgenthau. C'est la politique des présidents
qui module ces objectifs de puissance, en fonction de leur appréciation à un moment donné de
l’intérêt national. Il s'agit donc d'appréhender les politiques des présidents à travers le but
recherché plutôt que par les moyens mis en œuvre.
Il n'est pas rare que les présidents alternent au sein d'un même mandat les deux politiques sous
des formes plus ou moins accentuées. L'impérialisme (1) sera utilisé quand Washington voudra
renforcer son avantage de manière significative en modifiant l'ordre établi, là où le statu quo
(2) sera privilégié quand les États-Unis se contenteront de l'équilibre international existant.

1 Des épisodes impérialistes

L'impérialisme se rattache logiquement à la stratégie offensive et donc interventionniste. Il


reprend les deux dimensions militaire et culturelle.
Sous la présidence Reagan, elles seront mises en œuvre : exercer une pression militaire contre
l'URSS grâce aux alliés des États-Unis et une course à l'armement contre l'URSS, tout en créant
une ouverture diplomatique pour Moscou.150 Le mélange de ces deux éléments a caractérisé la
politique américaine visant à mettre fin à la guerre froide et à permettre aux États-Unis de
devenir l'unique superpuissance. À bien des égards il a s'agit d'une application musclée de la
politique de l'endiguement du diplomate George Kennan, 151 cette dernière se définissant
comme l'encerclement de l’ennemi par les alliés jusqu'à ce que le système politique et
économique de celui-ci s’effondre (une stratégie de guerre d'usure). Mais à la fin de la guerre
froide, du fait de la position privilégiée de l’Amérique dans les relations internationales, la
politique visant à modifier l'ordre mondial en faveur de Washington se manifestera

150 « Mais en mars 1985, quelques heures après l'arrivée au pouvoir de Gorbatchev, Reagan l'invitait à un
sommet, sans poser de conditions. La même année, il a remercié les plus jusqu'au-boutistes de son administration »
Beinart, Peter, and Aurélie Blondel, ‘Reagan N’est Pas Celui Que Vous Croyez’, Slate.fr
<http://www.slate.fr/story/23275/ronald-reagan-pas-qui-vous-croyez> [accessed 21 September 2017].
151 Vandal, Gilles, La doctrine Obama : Fondements et aboutissements (Québec: Presses de l’Université du
Québec, 2012) p.95.

Page 46
ponctuellement : les États-Unis n'ont en effet plus de rivaux ; l'impérialisme sera dès lors utilisé
pour renforcer la position américaine dans le monde dans des occasions précises.

D'un point de vue militaire, cette approche sera celle du président Bush Jr. après les attentats
du 11 septembre. Le traumatisme consécutif à cet événement sur la scène politique américaine
amena l'arrivée des néoconservateurs dans son entourage. Le 11 septembre, étant perçu comme
un acte d’agression sur le sol des États-Unis, engendra un sentiment de vulnérabilité pour les
Américains, et encore plus pour les néoconservateurs. Les thèses impérialistes ont été réactivées
de même que les modes d'actions associés. Certains conseillers du président Bush Jr semblèrent
approuver l'idée d'empire152 et la volonté de transformer le monde selon le modèle américain.153
Pour autant ces discours cachent des intérêts plus réalistes. La guerre en Irak dissimulait des
intérêts de puissance américaine : le contrôle des ressources naturelles et la volonté de renforcer
la présence américaine au Moyen-Orient en créant une nouvelle balance des puissances encore
plus favorable aux États-Unis.154

Dans le même temps, l'impérialisme culturel se manifeste avec l’expansion de l'OTAN.


L'alliance ayant en plus de sa vocation militaire, un rôle politique et culturel, son élargissement
répond à un projet d'union des démocraties.155 Ceci s'est fait sous 4 présidents : Clinton (1999),
Bush Jr. (2004), Obama (2009) et Trump (2017). L'extension de l’alliance dominée par les
États-Unis marque la volonté de renforcer la puissance américaine, sur le continent européen
voire au-delà. Cette stratégie peut toutefois s'inscrire dans l’isolationnisme limité d'Huntington
et être par conséquent un impérialisme défensif, le contrôle d'une aire d'influence, tout en
reprenant la logique de l'endiguement. En effet, le lien transatlantique institutionnalisé par

152 Précisons qu'en l'espèce il s'agit plus d'une conception classique de l'empire que celle de Morgenthau.
Néanmoins les deux se rejoignent dans ce cas précis.
153 « We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that
reality -- judiciously, as you will -- we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and
that's how things will sort out. We're history's actors . . . and you, all of you, will be left to just study what we
do." »
Suskind, Ron, ‘Faith, Certainty and the Presidency of George W. Bush’, The New York Times, 17 October
2004, section Magazine <https://www.nytimes.com/2004/10/17/magazine/faith-certainty-and-the-presidency-of-
george-w-bush.html> [accessed 5 August 2017].
154 Ikenberry, G. John, and Daniel Deudney, ‘Realism, Liberalism and the Iraq War’
<https://www.iiss.org/en/publications/survival/sections/2017-579b/survival--global-politics-and-strategy-august-
september-2017-5983/59-4-02-deudney-and-ikenberry-4d9e> [accessed 8 October 2017].
155 Henry Kissinger nomme L'Amerique et l'Europe : le monde des démocraties
Kissinger, Henry, Does America Need a Foreign Policy? : Toward a Diplomacy for the 21st Century, 1st
edition (New York: Simon & Schuster, 2002) p.31.

Page 47
l'OTAN correspond à ce que Huntington appelle une aire civilisationnelle, à savoir un territoire
composé d’États partageant les même valeurs culturelles. L'alliance a ainsi un double rôle :
assurer une intégration commune des régimes démocratiques autour des États-Unis, tout en
fournissant à ces derniers un glacis protecteur contre des rivaux potentiels. Cette extension
s'accompagne d'une doctrine basée sur le libéralisme internationaliste sous la présidence de Bill
Clinton. Elle consiste à promouvoir le modèle américain par la coopération et les partenariats.
Ce fut un élément important de la politique du président. 156 Afin de renforcer la position de
Washington sur la scène internationale par un puissant soft-power américain. Dans les faits, il
s'agissait de faire prospérer les fruits de la victoire de la guerre froide et de renouer avec les
principes du président Wilson.

À côté de cette stratégie impérialiste bien réelle, existe toutefois d'une forte volonté des États-
Unis d'assurer un statu quo. (2)

2 La prédominance d'une stratégie du maintien du statu quo

Avec la chute de l'URSS, les États-Unis ne vont plus avoir de véritables rivaux capables de
menacer leur statut de première puissance politique, économique et militaire. Dès lors, il s'agit
plutôt, pour Washington, de maintenir l'ordre international étant donné que celui-ci est déjà plus
que favorable aux États-Unis. Ce maintien du statu quo va être recherché en jouant aussi bien
sur l’interventionnisme que sur l’isolationnisme. En ce qui concerne la première posture, elle
répond aux idées de Reinhold Niebuhr qui est selon le diplomate et théoricien George Kennan,
le père des réalistes américains 157. Il rejette le pacifisme extrême qui se manifesterait dans
l’isolationnisme total car il estime réelle la présence du mal face à laquelle on ne peut rester
statique sous peine d’être détruit. De même il rejette l'idéalisme interventionniste excessif qu'il
estime dangereux pour la démocratie158. Il prône une solution intermédiaire : la guerre juste159
qui est conçue comme étant un mal nécessaire et qui doit se limiter à l'autodéfense. 160

156 ‘The Clinton Presidency: A Foreign Policy for the Global Age’
<https://clintonwhitehouse5.archives.gov/WH/Accomplishments/eightyears-10.html> [accessed 27 November
2017].
157 Vandal, Gilles, La doctrine Obama : Fondements et aboutissements Op. Cit. p.85.
158 Ibid p.84.
159 Concept de Saint thomas d'Aquin repris par Niebuhr.
160 Patterson, Eric, Christianity and Power Politics Today: Christian Realism and Contemporary Political
Dilemmas (Springer, 2008) p.59-61.

Page 48
L'opération en Irak en 1991 sous la présidence de George H. W. Bush. qui visait à mettre fin à
l'invasion du Koweït par l'Irak sans pour autant envahir l’État, suivra cette logique. Cette
doctrine formera la base de la pensée politique du président Obama, qui traitera ainsi durant
son mandat, les missions en Afghanistan et la lutte contre le terrorisme.161

À côté de cette dimension interventionniste, se manifeste des politiques plus isolationnistes,


avec une réticence à intervenir à l'étranger chez un certain nombre de présidents. Bill Clinton
refusera d'intervenir au Rwanda lors du génocide en 1994, tout comme Obama refusera une
intervention directe en Syrie contre le gouvernement de Bachar el Assad préférant une approche
indirecte reposant sur des forces locales. La négociation et l'utilisation de la coopération restent
dès lors préférées pour résoudre les crises globales. C'est une forme réaliste de l’isolationnisme
de Jefferson : un retrait politique accompagné du maintien de la diplomatie. Le président
Donald Trump va plus loin dans la volonté isolationniste en prônant parfois une prise de
distance vis-à-vis d'organisations comme l'OTAN. Il s'agit plus d'un repli sur les États-Unis que
de l'isolationnisme classique qui prône le libre échange : la position défendue par Trump se
traduit par un protectionnisme économique162 qui est contraire à la logique libérale promue par
les Jeffersonniens. À l'opposé des souhaits de ces derniers, les États-Unis ne doivent plus servir
d'exemple : seuls les intérêts internes du pays doivent être satisfaits. La politique ressortant des
discours et des actes du président Trump repose sur une conception restreinte des intérêts
américains163. Du fait d'un monde mondialisé, elle tend toutefois à modifier l'ordre international
de celui-ci, non pas par impérialisme, mais par l'absence d'un acteur international, les États-
Unis, permettant à d'autres acteurs, comme la Chine dans le domaine économique, de prendre
la place de l’Amérique.
L'ordre international après la guerre froide reposait sur le poids de la puissance américaine
s’exerçant par différents moyens : si celle-ci fait défaut, l'ordre international de nature
changeante et lié à la configuration des puissances s'adaptera. La perte d'influence des États-
Unis sur la scène internationale, qui serait la conséquence d'un isolationnisme trop prononcé,
amènerait d'autres États à contester la place privilégiée de Washington. Selon le paradigme

161 Vandal, Gilles, La doctrine Obama : Fondements et aboutissements Op Cit. p.141-164.


162 L'opposition aux traités de libres-échanges comme le Tafta, la volonté de renégocier l'ALENA en faveur
des États-Unis , tout comme le souhait d'augmenter les tarifs douaniers sont des exemples du discours
protectionniste du président.
163 Le nom de la doctrine présidentielle « America first » résume bien l'idée d'une politique centrée
exclusivement sur les Etats-Unis.

Page 49
réaliste, les « grandes puissances » sont en compétitions entre elles. L'isolationnisme qui se
manifeste par le retrait d'un État de ce système aura tendance à modifier le rapport des forces.
Raymond Aron, qui délivre cette analyse, considère ainsi que l'isolationnisme n'est pas pour
une grande puissance toujours utile et peut être néfaste du fait qu'il laisse un vide sur la scène
internationale qui sera comblé par d'autres États concurrents.164

Les présidents des États-Unis ont utilisé les différentes stratégies de puissance greffées sur les
idéologies dans des buts liés à leurs conceptions des intérêts nationaux et au poids de la politique
intérieure. On peut constater que la frontière entre les différentes options est parfois ténue du
fait que les dirigeants américains vont mélanger dans leur pratique différentes approches
stratégiques afin de répondre à leurs objectifs. La politique américaine oscille ainsi entre la
volonté d’accroître la puissance des États-Unis à travers l’impérialisme et celle de conserver
l'ordre actuel avec le statu quo. Il est possible de constater que les approches idéologiques
correspondent à des positions extrêmes (statu quo défensif et impérialisme offensif). À côté de
celles-ci vont se trouver deux catégories intermédiaires qui vont constituer le cœur de la
politique des présidents. Ce sont des postures avant tout guidées par une approche réaliste basée
sur l'équilibre des puissances internationales. Il s'agit d'éviter une trop grande passivité qui les
conduirait à perdre en puissance, tout en contrôlant leur force qui utilisée trop agressivement
serait contreproductive. La politique présidentielle américaine repose ainsi sur l'adaptation aux
circonstances et aux faits politiques : une réponse qui utiliserait une approche trop idéologique
serait vouée à terme à l'échec.

Face à ces stratégies de puissance, la Russie de Vladimir Poutine développe ses propres
conceptions de ses intérêts nationaux. (§2)

164 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations, Op. Cit. p.93.

Page 50
§2 une politique russe entre occidentalisme et eurasisme

Le constat géographique est simple : la Russie se trouve sur deux continents : l'Europe et l'Asie.
La culture nationale de la Russie va être le produit de cette situation. De l'histoire russe (a)
résultent trois écoles de pensée des relations internationales : l'occidentalisme, l'eurasisme et
l’Étatisme.165 Les deux premières sont le fruit du dualisme russe (b) tandis que la dernière va
être la médiatrice des deux premières (c). Ceci est d'autant plus vrai sous la présidence Poutine.

A: l’Histoire à l'origine de la conception des relations internationales russes :

« La Russie entre deux mondes »166 : cette expression qui est le titre d'un ouvrage d'Hélène
Carrère d'Encausse montre que la Russie se situe sur tous les niveaux entre l'occident et l'orient.
La partie la plus peuplée tout comme le cœur politique et historique de ce pays se trouvent en
Europe. La Rus de Kiev et les royaumes moscovites et de Novgorod formèrent la base du futur
État russe dès le moyen-âge. L'influence asiatique va être présente dès cette période à travers la
Horde d’Or mongole 167dont les princes russes seront les vassaux.168
Les Russes ont réellement commencé à s’ouvrir à l'occident européen à partir du règne du tsar
Pierre le Grand de 1682 à 1721, fondateur de la Russie impériale et à l'origine de l'extension du
territoire russe dans l'est sibérien. La conséquence de ce vaste territoire à cheval entre deux
continents fut en outre une forte diversité ethnique et religieuse. Pour arriver à contrôler le
territoire le plus vaste de la Terre, l’État russe fut obligé de renforcer son emprise et sa
puissance. L'invasion mongole eut un certain nombre de conséquences politiques et
économique sur la future Russie : la Horde d'Or fournit les bases d'un système politique et
administratif développé. Les princes moscovites établirent sous le patronage des Mongols un

165 Tsygankov, Andrei P., and Pavel Tsygankov, ‘Russian Theory of International Relations’, International
Studies Encyclopedia, Op. Cit.
166 d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes (Pluriel, 2011).
167 « Les princes russes du Nord se voient contraints de faire allégeance au khan de la Horde d'Or et de lui
verser un tribut. Ils n'en gardent pas moins une relative autonomie et surtout le droit de pratiquer leur religion. »
« À la même époque, le grand-prince Ivan 1er Kalita, sans cesser de faire allégeance aux Mongols, fait
l'unité de la Russie autour de Moscou et prend le titre de « prince de Moscou et de toute la Russie ». La ville s'est
en effet beaucoup développée du fait de l'arrivée de réfugiés chassés de la Russie méridionale par les Mongols. »
‘Russie - De Kiev À Moscou, Naissance D’un Peuple - Herodote.net’ <https://www.herodote.net/Russie-
synthese-1875.php> [accessed 9 August 2017].
168 Pour plus de détail sur l'histoire de la Russie au Moyen-age voir RIASANOVSKY, Nicholas V., Françoise
THOM, and André BERELOWITCH, Histoire de la Russie (Paris: Bouquins, 2014).

Page 51
État centralisé et fort.169Pour autant, cette vassalisation contribua au retard économique et à la
prise de distance vis-à-vis de l'occident,170 la rendant vulnérable aux prétentions de ses voisins.
L'économie russe a longtemps reposé sur une structure féodale et paysanne. La population
restait dans l'ensemble rurale. Ces éléments retardèrent le progrès technologique et industriel
de la Russie.171 Le poids de l'héritage de l'occupation mongole forgea à la fois l'attirance mais
aussi la crainte de l'orient. Une attitude ambiguë qui perdurera jusqu'au XXIème siècle.

L'histoire russe fut aussi jalonnée de conflits avec les pouvoirs environnant. L'historien Vassili
Klioutchevski mis en évidence que l’État russe fut formé et développé par la nécessité de se
défendre face à ses voisins.172 A cette fin et à partir d'Ivan IV, les princes moscovites prirent le
contrôle des territoires avoisinant Moscou et des steppes orientales. La logique était de fortifier
et d'affermir le pouvoir de l’État russe : assurer la cohésion et la sécurité nationale par
l'extension territoriale. 173 Cette conception élargie de la sécurité de l’État passant par la
conquête sera un élément persistant de la politique étrangère russe : une agressivité cachant la
crainte de la vulnérabilité. En conséquence de l'assurance créée par la politique de sécurisation,
se développa à partir de Pierre le Grand, une politique impérialiste visant à faire de la Russie
une puissance s'intégrant dans le concert des grandes nations d’Europe tout en étant capable de
faire face à l'empire ottoman. Si les conquêtes de sécurisation se concentraient dans les steppes,
le Heartland de Mackinder, celles de Pierre I et de ses successeurs s'inscrivaient dans une
politique d'accès aux mers et plus particulièrement les mers chaudes, territoires stratégiques
pour le commerce. Les conquêtes dans la baltique, dans le Caucase (vers l'Inde) et surtout sur
l'empire ottoman répondirent à cet objectif. Comme le précise Hélène Carrère d'Encausse, la
Russie est devenue, à la mort de Catherine II, un « empire universel »174

169 d’Encausse, Hélène Carrère, Victorieuse Russie, FAYARD. (Paris: Fayard, 1992), p.25.
170 Ibid p,24.
171 Sokoloff, Georges, Le Retard russe (Fayard, 2014)
172 d’Encausse, Hélène Carrere, L’Empire d’Eurasie : Une histoire de l’Empire russe de 1552 à nos jours
(Paris: Le Livre de Poche, 2008) p.30.
173 Ibid p.58.
174 « C'est un État offensif, conquérant, incorporant dans ses nouvelles frontières des catholiques et des
musulmans ; un État présent sur les mers et pouvant à bon droit se poser en protecteur des chrétiens des Balkans »
Ibid p.79.

Page 52
Liée à l'histoire de la Russie, subsiste dans une partie de la population une vision mythique de
la Russie attachée au présupposé d'un particularisme russe. 175 Le rôle de l’Église orthodoxe
dans la politique, utilisée à des fins de cohésion, et l'idée que la Russie est une « troisième
Rome » après la chute de l'empire romain d'orient en 1453, ont participé à l’émergence d'un
messianisme qui a fourni un terreau à ce particularisme propice aux thèses eurasistes mais qui
percera aussi chez les occidentalistes. L'idée que la Russie doit être un État universel chrétien-
orthodoxe176 s'installa peu à peu dans chez les élites russes et atteignit son apogée sous le règne
du tsar Alexandre 1er177. L'initiative russe de la « Sainte Alliance » en fut l'un des effets.178 Si
l'arrivée des bolcheviques suspendit les aspects religieux, la conviction en une mission
historique persistera à travers un idéalisme socialiste russe qui prendra forme autour de l'idée
de refaire la nature et de créer un homme nouveau.179 Cette conception historique que les élites
russes ont eux-mêmes contribué à créer est une culture nationale teintée de « missionnarisme »,
qui va contribuer à forger l'hésitation entre l'occident et l'orient (B)

B le dualisme entre l'occident et l'orient : des positions motivées par la vision de


l'occident

Dans le contexte du XXIème siècle, l'occidentalisme obéit à la recherche du maintien du statu


quo : conserver la trajectoire de la transition amorcée depuis la chute de l'URSS (1). A contrario,
l'Eurasisme est une posture impérialiste car elle vise à briser le rapprochement avec l'ouest afin
de retrouver la puissance passée de l'empire russe et soviétique (2).
Contrairement aux idéologies américaines qui reflètent des stratégies défensives et offensives,
celles des Russes sont conçues en réaction à l'occident. Cet aspect est fondamental dans les
débats post guerre froide en Russie. Les doutes laissés par la chute de l'Union soviétique

175 «Au demeurant, les Russes sont quelque peu responsables de ce malentendu, car ils sont tout à la fois,
par une longue tradition, prompts à se déprécier eux-mêmes et convaincus de leurs vertus spécifiques qui les
rendent exigeants, conférant à leur conception de la Russie une teinte quasi mystique bien illustrée par
Dostoïevski. » d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes, Op. Cit. p.12.
176 Kovalevsky, Pierre, ‘Messianisme et Millénarisme russes ?’, Archives de Sciences Sociales des Religions,
5 (1958), p.49.
177 Kovalevsky, Pierre, ‘Messianisme et Millénarisme russes ?’, Archives de Sciences Sociales des Religions,
5 (1958) p.56.
178 Ibid p.58.
179 Ibid p.68.

Page 53
entraînent la question de la place de la Russie sur la scène internationale et son positionnement
face à son ancien adversaire de la guerre froide. Le débat vis-à-vis de l'occident sera lié à la
politique interne russe : l'espoir d'un développement économique libéral au début des années
1990 favorisera l'occidentalisme tandis que les déceptions grandissantes pendant cette décennie
vont amener une prise de distance et une méfiance envers l'Europe et les États-Unis, permettant
le retour de l'eurasisme.

1 Le statu quo inspiré du libéralisme occidental

Les occidentalistes considèrent que la Russie devait surmonter son retard économique et social
en se tournant vers l'Europe et en profitant de son expérience et de sa puissance. Ce mouvement
se fondait sur la volonté d'adopter les valeurs issues des philosophes des lumières. Avant le
milieu du XIX, où ce mouvement est apparu, il y avait déjà eu un rapprochement entre la Russie
et l'occident grâce à Pierre 1er et à Catherine II.180Toujours sous les tsars, Alexandre I se ralliera
à l'Autriche et la Prusse pour former la « sainte alliance » et mettre fin à l'empire de Napoléon
Ier considéré comme une menace pour le continent européen. De plus, le tsar Alexandre II,
accomplira des réformes constitutionnelles assurant des libertés fondamentales.181182 Il s'agit
dans cette approche, de se rapprocher des valeurs de l'occident.

La doctrine des occidentalistes repose sur plusieurs éléments. D'une part, ils s'inspirent des
valeurs libérales occidentales aussi bien pour les aspects internes que pour les aspects
internationaux de la politique : la démocratie et les institutions internationales restent le
meilleur moyen d'assurer la paix. D'autre part, la Russie a des liens politiques, culturels et
économiques avec l'occident et doit renforcer ses partenariats avec ce dernier. Cette approche
va être mise entre parenthèse sous l'Union soviétique pour des raisons évidentes : le rejet du
libéralisme par la Russie et la participation des puissances occidentales à la guerre civile du
côté des forces de la Russie blanche.183 Le courant occidentaliste va reprendre force et même

180 Buruma, Ian, and Avishai Margalit, Occidentalism: The West in the Eyes of Its Enemies (Penguin, 2005).
181 Tsygankov, Andrei P., and Pavel Tsygankov, ‘Russian Theory of International Relations’, International
Studies Encyclopedia, Op. Cit.6377.
182 RIASANOVSKY, Nicholas V., Françoise THOM, and André BERELOWITCH, Histoire de la Russie,
Op. Cit. p.330-335.
183 Ibid p.52-523.

Page 54
devenir dominant pendant une décennie avec l'effondrement de l'URSS. Le renouveau de
l'occidentalisme se greffe sur les thèses de Fukuyama de la fin de l'histoire et de la victoire
totale du libéralisme 184 afin de reprendre l'idée d’universalisme libéral 185 . En matière de
politique étrangère il faut se rapprocher des États-Unis voire adhérer à l'OTAN et donc
s'intégrer pleinement à l'occident. La coopération avec les États européens et d’Amérique du
Nord est évidement un moyen privilégié de rapprochement.

Dans le contexte du XXIème siècle, le libéralisme occidentaliste russe se rattache au maintien


du statu quo, en continuité avec les objectifs des années 1990 et afin de ne pas remettre en cause
le système international centré sur les conceptions et valeurs occidentales. L’intérêt de la Russie
est selon eux en occident. Néanmoins, les événements se déroulant en Russie dans les années
1990 vont avoir un impact négatif sur cette approche. Le concept de thérapie de choc préconisé
par les États-Unis et le FMI, consistant à une transition rapide du modèle économique
soviétique à une économie capitaliste, a eu des effets négatifs sur la situation économique et
sociale de la Russie.186

De par les effets négatifs de la « thérapie de choc » et les problèmes internes imputés à la
politique occidentaliste, le courant eurasiste ressurgit peu à peu. (2)

184 Tsygankov, Andrei P., and Pavel Tsygankov, ‘Russian Theory of International Relations’, International
Studies Encyclopedia, Op. Cit.6377.
185 Ibid : « One example of it is the conceptualization of the emerging world as “democratic unipolarity”
(Kulagin 2002; 2008). The concept is Western in its origins because democracy is understood to be a West-
centered universal phenomenon, rather than developing out of local cultural, historic, and political conditions.
The supporters of the concept contend that “[Francis] Fukuyama and [Robert] Heilbronner were basically correct
in arguing the ‘end of history’ thesis which implied the absence of a viable alternative to Western liberalism”
(Shevtsova 2001). The argument implies that Russia too would do well to adopt standards of Western pluralistic
democracy if it wants to be peaceful and “civilized,” even if this means granting the right to use force to the only
superpower in the world, the United States (Kremenyuk 2004; 2006). »
186 « L’économie russe sera marquée par une décroissance annuelle moyenne de son PIB de 1992 à 1998 de
l’ordre de - 6,3%. []. En 1992, on enregistrait un taux de déflation annuel des prix dans l’ensemble de l’économie
de 1490 %, en 1995 de 144% et en 2000 de 37%.
L’indice de développement humain sera aussi en chute libre de 1992 à 2000. La Russie sera l’un des
seuls pays industrialisés à connaître une baisse significative de l’espérance de vie de ses citoyens. Si en 1988
l’espérance de vie à la naissance était de 69,4 ans, six années plus tard elle ne sera plus que de 64,4 ans. En plus
d’un taux de natalité qui ne cesse de chuter entre 1987 et 2000, la Russie perdra entre 1990 et 2000 plus de 2
millions d’habitants. ».
Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale.

Page 55
2 Le « civilisationnisme » eurasiatique : un impérialisme reposant sur le rejet
de l'occident

L'eurasisme est issu des mouvements slavophiles et panslavistes du XIX siècle qui prônent un
rôle accru de l'Église orthodoxe : renforcer le spirituel face au rationalisme européen issu du
« siècle des lumières » et s'éloigner de l'occident dans le but de créer « sa propre voie ». Les
panslavistes veulent réunir toutes les populations considérées comme slaves. Ce mouvement
gagna en influence chez les élites russes de la seconde moitié du XIXème siècle. Le théoricien
de celui-ci, Nikolaï Danilevski, posa les bases doctrinales développées par le panslavisme187 :
l'opposition entre l'Europe et la Russie, l’existence d'aires de civilisations fermées
hermétiquement, l'idée d'une histoire cyclique. L'eurasisme va revenir en force à partir des
années 1990 en Russie suite à la déception de l'ouverture à l'ouest.

L'historienne Marlène Laruelle distingue trois mouvements à l'origine du renouveau de


l'eurasisme188. Indépendants les uns des autres, ils n'offrent pas une vision unique. Le premier
est animé par Alexandre Panarin (membre de l'institut de philosophie de l’Académie des
sciences de Moscou) qui travaille sur la notion d'empire, le second par Edouard Bagramov et
sa revue Evrazija qui conçoit l'eurasisme d'un point de vue culturel, le troisième par Alexandre
Prokhanov et d'Alexandre Douguine qui prônent un impérialisme post-soviétique ainsi qu'une
opposition spirituelle à l'occident. Ce dernier mouvement défend une conception de l’Eurasie
géopolitique et reprend la théorie du « Heartland » de Mackinder 189 opposant la puissance
continentale (l’Eurasie) à la puissance thalassocratique (les États-Unis). Il possède une certaine
influence dans les différents milieux politiques aussi bien la gauche communiste que la droite
nationaliste mais aussi parmi les militaires russes. La vision de Dougine est celle qui semble
s’être, de ce fait, imposée aux partisans politiques de l'Eurasisme.

187 SKUPIEWSKI, J.J., ‘La Doctrine Panslaviste (Résumé de La Russie et l’Europe de Danilevski)’
<https://bibliotheque-russe-et-slave.com/Livres/Danilevski_-_La_Doctrine_panslaviste.htm> [accessed 9 August
2017].
188 Laruelle, Marlène, ‘Le néo-eurasisme russe. L’empire après l’empire ?’, Cahiers du monde russe. Russie
- Empire russe - Union soviétique et États indépendants, 42 (2001), 71–94.
189 Clowes, Edith W., Russia on the Edge: Imagined Geographies and Post-Soviet Identity (Ithaca, N.Y:
Cornell University Press, 2011) p.50.

Page 56
L'eurasisme a pour base le rejet de l'occident et la volonté de se rapprocher de l'Asie. Cela se
traduit par le refus d'un « nouvel ordre mondial » centré sur les États-Unis, de la vision des
Américains prônant la fin de l'affrontement des idéologies et, de ce fait, des idées mondialistes
développées en occident. Le concept de civilisation est un des points fondamentaux de l'idée
eurasiste. Chaque civilisation est unique et il n'est pas possible pour l’une d'entre elle de
critiquer ou imposer ses conceptions à une autre. Selon les eurasistes, l'universalisme est
impossible. Cette vision du monde n'est cependant pas exclusive aux eurasistes. Samuel
190
Huntington dans le « Choc des civilisations » aboutit aux mêmes conclusions. Le
civilisationnisme d'Huntington sera d'ailleurs repris par Dougine.191
L'idéologie eurasiatique bien qu'officiellement porteuse d'un projet pour l'ensemble des slaves
et des populations turco-musulmanes192 reste avant tout une idée développée par des Russes qui
veulent que la Russie (re)trouve sa place dans le monde. L'eurasisme sert même à combattre le
discours séparatiste. Enfin à travers l'idée de créer un espace eurasien, on trouve la volonté
d'étendre l'influence de la Russie. Ainsi, la doctrine eurasiste apparaît comme le miroir russe
du wilsonisme américain : la défense des intérêts d'un État par la promotion d'un modèle. Il
s'agit donc bien de ce que Morgenthau appelle l'impérialisme culturel. Cela trahit aussi une
orientation des intérêts nationaux vers l'Orient.

On assiste alors dans la Russie contemporaine à une opposition historique, quant à la position
à adopter vis-à-vis de l'occident, accentuée par la crise politique, économique et sociale. La
solution à cette contradiction va se trouver dans le réalisme étatique mis en œuvre par le
président Poutine.(/b)

190 « Some, similarly to Huntington, identify multipolar civilizational struggle (Nartov 1999; Zyuganov
1999; 2002), while others see an essentially bipolar geocultural conflict. Alexander Dugin’s (2002) concept of a
great war of continents is of the latter kind. »
Tsygankov, Andrei P., and Pavel Tsygankov, ‘Russian Theory of International Relations’, International
Studies Encyclopedia, Op. Cit.6386.
191 «Like all Neo-Eurasianists, Dugin is a supporter of Samuel Huntington’s “clash of civilizations”
argument, which is fashionable in Russia. »
Laruelle, Marlene, ‘Aleksandr Dugin: A Russian Version of the European Radical Right’, Occasional
Paper, 294 (2006), p.7.
192 Selon les théoriciens du mouvement les populations turco-musulmanes sont une part intégrante de la
civilisation eurasiste. Une telle conception s'expliquant par la présence historique de ces population dans l'empire
mais aussi par le concept de Heartland de MacKinder très prisé par Dougine qui intègre une partie du Moyen-
Orient dans le même ensemble géographique que la Russie et les slaves.

Page 57
C Le réalisme Étatique du président Vladimir Poutine

Le président Poutine débute son mandat dans une optique de remise en ordre de la Russie. Sur
plusieurs aspects, sa politique prend des allures gaullistes. Outre un contexte politique d'arrivée
au pouvoir marqué par des similitudes193, c'est le style de gouvernance autoritaire basée sur le
rétablissement d'un pouvoir central fort avec des valeurs communes comme le conservatisme
et un capitalisme d’État. Cette comparaison est défendue par certains proches du président russe
comme Vyacheslav Nikonov.194 Mais la véritable inspiration historique du président Poutine
semble être le tsar Pierre le grand 195 qui fut à la fois un occidentaliste mais aussi l'un des
architectes de la conquête sibérienne, tout en étant le fondateur de la Russie impériale. Enfin,
le président russe est né à Saint-Pétersbourg de parents ayant survécu au blocus de la ville
pendant la seconde guerre mondiale. Cet épisode de la guerre a profondément marqué la
mémoire des saint-pétersbourgeois et a contribué à créer chez Poutine une crainte de
l'encerclement. C'est sur la base de ces deux figures historiques que Poutine va bâtir son
Étatisme réaliste, le but global étant de permettre à la Russie de retrouver une place privilégiée
sur la scène internationale.
Cela se fit en deux temps et reprend la logique stratégique de la défensive et de l'offensive. Le
président adopta une posture défensive prudente dans un premier temps dans le but de stabiliser
le pays (1) puis adoptera peu à peu une attitude plus offensive à l'international visant à protéger
les intérêts russes à l'échelle globale (2).

1 : Une stratégie défensive visant à la stabilisation et à la reconstruction de


la Russie

La stratégie de consolidation de la puissance de la Russie s'exerce dans les relations


internationales par la coopération avec l'occident mais aussi par la volonté de retrouver son
influence dans sa zone impériale puis soviétique désormais baptisée « étranger proche ».

193 De Gaulle comme Poutine revient au pouvoir dans le cadre d'une crise politique majeure avec un
gouvernement précédent ayant perdu la capacité d'agir efficacement et la confiance. De plus la France de 1958
comme la Russie 1999 connaissent une guerre civile dans une de leur région (Algérie et Tchétchénie).
194 Nikomov, Vyacheslav, ‘“Russian Gaullism: Putin’s Foreign Policy Doctrine’, Russia Watch, March
2001, p. 18.
195 Pons, Frédéric, Poutine (Calmann-Lévy, 2014) p.29-30.

Page 58
La coopération avec l'occident est une constante pendant tous les mandats présidentiels et de
premier ministre de Vladimir Poutine. Ce dernier fut même au départ intéressé par une adhésion
à l'OTAN.196
Avec les États-Unis, il s'accorde sur un certain nombre de dossiers avec la vision américaine.
C'est ainsi qu'après le 11 septembre, il fut le premier chef d’État étranger à affirmer son soutien
au président Bush dans la lutte anti-terroriste. Il alla même jusqu'à demander aux services de
renseignement russe de partager les informations sur l'Afghanistan.197 Ceci s’effectuera dans le
contexte du conflit tchétchène, ce qui permet d'expliquer ce positionnement. De même, il fut
lors de son premier mandat favorable à la réduction des armes nucléaires. Avec l'Europe, il
soutient la construction européenne tant que celle-ci ne devient pas un rival politique. Ce choix
n'est pas désintéressé car le président Poutine souhaite que les pays du vieux continent prennent
leurs distances avec la politique américaine, se rapprochant ainsi de la vision du général De
Gaulle : » L’Europe de l'Atlantique à l'Oural ». Le président russe soutient également la zone
euro, là encore pour des intérêts d'interdépendance économique.198 La question économique est
la raison principale pour laquelle il cherche à se rapprocher de l'occident comme le montre
l’adhésion du pays à l'Organisation mondiale du commerce en 2012. On le voit au travers de
ces actions, le président Poutine mène une politique de voisinage et de coopération afin
d'assurer la modernisation du pays d'un point de vue économique 199 et même politique au
départ.

196 ‘Putin Says He Discussed Russia’s Possible NATO Membership With Bill Clinton’,
RadioFreeEurope/RadioLiberty <https://www.rferl.org/a/russia-putin-says-discussed-joining-nato-with-
clinton/28526757.html> [accessed 8 October 2017].
‘Putin to Oliver Stone: I Suggested Russia Joining NATO to Clinton, He “didn”t Mind’’, RT International
<https://www.rt.com/news/390724-putin-clinton-russia-nato-stone/> [accessed 8 October 2017].
197 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde (Athéna, 2015), p.40.
198 « Do you expect the euro to survive?
Vladimir Putin: I hope so, because we believe in the fundamental principles of the European economy.
We see that leaders in Western Europe (there are some debates of course, we also see that and analyse it all) stick
to, I cannot say right or wrong ones, it always depends on someone's view, but I think, very pragmatic approaches
in addressing economic issues. »
Poutine, Vladimir, ‘Interview to Bloomberg’, President of Russia, 2016
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/52830> [accessed 22 May 2017].
199 « Le décret présidentiel de 2000, intitulé « Concept de la sécurité nationale de la Fédération de Russie »,
pose le développement économique comme condition primordiale à tout gain de puissance ».
Voir Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale
<http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1282> [accessed 22 March 2017], II.3.1. La croissance économique
comme premier facteur de puissance.

Page 59
À côté de cette approche « occidentaliste » se manifeste une approche plus « eurasiste » avec
une politique régionale basée sur le renforcement des liens avec les ex-États soviétiques. Cette
politique de l'étranger proche, la doctrine Kozyrev200, se veut un équivalent russe de la doctrine
Monroe : 201 une zone d'influence dans laquelle la Russie refuse toute ingérence des autres
grandes puissances mondiales.

Trois vecteurs d'impérialismes sont utilisés à cette fin.


Le premier est culturel. Il s'agit d'abord de promouvoir l'identité russe, en assurant le maintien
et la propagation de la culture russe dans les États voisins de la Russie. En effet, la langue russe
est de moins en moins enseignée dans les États de la CEI en faveur de l'anglais.202, ce qui fait
craindre au gouvernement russe un éloignement de ces États vers l'occident. C'est pourquoi la
protection des russophones va être un moyen utilisé par Moscou pour assurer la défense de ses
intérêts. La présence de populations parlant russe dans des États tels que l'Ukraine203, la Géorgie
et les pays baltes 204 offre à la Russie une capacité d'influence en jouant sur les origines
culturelles voire nationales de la diaspora russe. Le second vecteur est économique. La création
d'organisation de libre échange comme l'UEE (Union économique eurasiatique) va aussi dans
le sens de cette politique de refonder un « empire russe » par la coopération économique avec
les États de l'étranger proche et en utilisant l'argument de la spécificité eurasiatique. Cette
stratégie est tournée vers la consolidation de l'économie russe qui cherche à se reconstruire au
XXIème siècle après les errements des années 1990. Le morcellement de l'Union soviétique a
privé la Russie des ressources se trouvant dans les États désormais indépendants, la création
d'une zone économique permet de réintégrer ceux-ci dans un espace commun.

200 Cette doctrine a été crée sous la présidence d'Eltsine. Néanmoins, Poutine la réutilisera abondement.
201 Litera, Bohuslav, ‘He Kozyrev Doctrine - a Russian Variation on the Monroe Doctrine’, Perspectives,
1994, 44–52.
202 d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit.
203 « Au début des années quatre-vingt-dix, 31 % de la population totale étaient russophones. » Huntington,
Samuel, Le choc des civilisations , Op . Cit. . Ce chiffre semble rester stable comme le montre cette étude du
groupe RATING en Ukraine en 2017 « Two-thirds of the respondents do not support granting the Russian
language with the official state status, 30% - support, 7% - undecided. Over the past two years, there has been a
slight increase of support for the Russian language official state status. It is the most supported in the East and
South and in the cities. »
http://ratinggroup.ua/en/research/ukraine/ukraina_v_fokuse_sociologicheskie_izmereniya.html
204 « Pour l’année 2008, les chiffres officiels montrent qu’en Estonie, un peu de plus de 31 % de la population
sont des allogènes (920 885 pour 1 340 935 habitants) alors qu’en Lettonie, le pourcentage est de 41 % (927 455
pour 2 270 894 habitants). »
Chillaud, Matthieu, ‘Les pays baltes : un modèle pour l’intégration ?’, Politique étrangère, Automne
(2009), p.523.

Page 60
Enfin se manifeste un impérialisme militaire qui a pris forme en Géorgie en 2008 et s'est
développé en Ukraine à partir de 2014. Cette politique se base sur la protection des populations
russophones et des compatriotes. Le soutien aux séparatistes géorgiens en 2008 s'inscrit dans
cette logique205 et la conquête de la Crimée en fut l'exemple le plus extrême. Bien entendu, cette
politique civilisationnelle, n'est en l'espèce, pas une fin en soi mais une rhétorique justifiant des
interventions dans les pays précités : la défense du « monde russe » vise à reprendre le contrôle
des anciens États de l'URSS et s'inscrit de fait dans une politique de puissance régionale.
L'utilisation de la méfiance envers l'occident et plus particulièrement envers les États-Unis au
sein d'une partie des populations des pays limitrophes à la Russie doit permettre à Moscou de
regagner de l'influence. Le président Poutine, avec sa politique reposant sur le retour à l'ordre,
utilise le civilisationnisme comme un élément d'unification pour renforcer l'assise de l’État
russe au niveau interne et régional. Le réalisme et la recherche des intérêts sont toujours présents
dans les discours civilisationnistes du président.206
On peut s'étonner que ces interventions militaires soient considérées comme une part de la
stratégie défensive de Vladimir Poutine. Ce choix s'explique, par le concept d'étranger proche
et comme étant une version miroir de la doctrine Monroe. Il faut par conséquent prendre en
compte que les États de la CEI sont considérés par Moscou comme étant dans la même situation
que les États de l'UE vis-à-vis des États-Unis : des États sous influence. Comme l'explique le
professeur Tsykankov, le cœur de la politique du président Poutine consiste à normaliser la
Russie en tant que grande puissance.207 Le chef d’État russe cherche à bloquer la progression
occidentale dans les États limitrophes, dès lors perçue comme étant une tentative
d'encerclement de la Russie.

205 «Pourtant, malgré le poids des populations géorgiennes en Abkhazie et en Ossétie du Sud, c’est le russe
qui est utilisé comme langue de communication entre les différentes ethnies présentes dans ces deux régions. »
Guénec, Michel, ‘La Russie et les « sécessionnismes » géorgiens, Russia and Georgians
“Secessionisms”’, Hérodote, 2010, 27–57.
206 Comme le fait remarquer le Professeur Pierre Binette : « même dans sa dimension « civilisationniste »,
V. Poutine conserve ses attaches étatistes/réalistes, notamment lorsqu’il affirme : « Russia has not only to preserve
its culture but to use it as a powerful force for progress in international markets. […] Exporting education and
culture will help to promote Russian goods, services and ideas».
Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale
<http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1282> [accessed 22 March 2017], III.2.3. Le facteur civilisationnel à
l’échelle nationale et régionale.
207 « Despite what critics might say, Putin’s strategy is hardly an empirebuilding project. Being a pragmatist,
he has no desire or capacity to seek Soviet-like grandeur. Rather, his is a rational policy aimed at providing Russia
with greater security and preparing for economic competition in world markets. Russia only does what many other
countries would do given the available resources and the international context. »
Tsygankov, Andrei, Vladimir Putin’s Vision of Russia as a Normal Great Power, in ,POST-SOVIET
AFFAIRS, 2005, 21, 2 , p.142.

Page 61
Cette politique visant à consolider la Russie et sa stabilité dans l'ordre mondial, va être
complétée lors du troisième mandat présidentiel par une politique plus offensive au-delà de
l'étranger proche (2)

2/ une stratégie offensive afin de permettre à la Russie de redevenir une


puissance globale

La stratégie offensive de la Russie conteste l'influence américaine et plus généralement


occidentale en Asie principalement mais aussi dans l'ensemble des États critiquant la diplomatie
et l'action américaine.208 Elle reprend le discours eurasiatique qui fournit une base idéologique
pour de tels projets sur le continent asiatique, et sert de contrepoids à l'occident pour la
Russie209. Là encore, elle utilise des formes d'impérialisme aussi bien culturel que militaire.

Sur le plan culturel, l'obtention du statut d'observateur dans l'Organisation de coopération


islamique à partir de 2005 s'inscrit dans la logique eurasiste qui prône un rapprochement entre
les orthodoxes et les musulmans.210 A cette occasion Vladimir Poutine prononcera des propos
en faveur du monde musulman211 et affirmera que la Russie fait partie de celui-ci. Derrière cette
rhétorique se trouve la promotion d'un monde multipolaire qui laisse place aux différentes
cultures et religions. De même, le gouvernement russe adoptera des positions semblable à celles

208 « Cependant, tout ce qui se produit actuellement dans le monde - et nous ne faisons que commencer à
discuter à ce sujet - est la conséquence des tentatives pour implanter cette conception dans les affaires mondiales:
la conception du monde unipolaire. »
‘Discours de Vladimir Poutine Prononcé Le 10 Février À La Conférence de Munich Sur La Sécurité
(Texte Intégral)’, Alterinfonet.org Agence de Presse Associative <http://www.alterinfo.net/Discours-de-
Vladimir-Poutine-prononce-le-10-fevrier-a-la-Conference-de-Munich-sur-la-securite-texte-integral_a6513.html>
[accessed 14 August 2017]
209 « Une vue réaliste des faits implique que la Russie y adapte ses ambitions en les fondant désormais sur
les données de la géopolitique. Refoulée à partir de l’ouest, la Russie doit tirer profit de son espace et se tourner
vers l’immensité asiatique pour y reconstruire sa puissance. »
Carrere d’Encausse, Hélène, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit..
210 Chaudet, Didier, Florent Parmentier, et Benoit Pelopidas, L’empire au miroir : Stratégies de puissance
aux Etats-Unis et en Russie p.155.
211 «There are also internal political considerations of another kind. We have 20 million Muslims, and 125
million non-Muslims. We are a mainly Christian, Orthodox country. And this section of Russia’s population should
understand that the state respects the legal rights and interests of their fellow citizens who are Muslims. This is
the path to a multi-religious world, to the respect of rights and interests of each other. »
Poutine, Vladimir, ‘Vladimir Putin Gave an Interview to Qatar’s Al-Jazeera TV Channel’, President
of Russia .

Page 62
de l'OCI, aussi bien sur le terrain international que national allant dans le sens du conservatisme
religieux212. Le meilleur exemple est le fait que la Russie soutienne des projets de résolutions
du Conseil des droits de l'homme (CDH) de l'ONU sur le thème de la « promotion des droits de
l’homme et les libertés fondamentales par une meilleure compréhension des valeurs
traditionnelles de l’humanité ». Moscou sera même à l'origine de certaines résolutions du
CDH.213214 Cette attitude est une prise de distance vis-à-vis de l'occident car la Russie, au sein
de cet organe, appartient institutionnellement à l'Europe orientale. Pour autant là où les autres
États du groupe votent comme l'Union européenne, la Russie a une position qui s'aligne sur
celle des pays du Moyen-Orient. 215 Comme le souligne le professeur Binette, le décret du
Président de la Fédération de Russie, n. 683 du 31 décembre 2015 acte des aspects
civilisationnels visant à contester les choix politiques américains.216
Il s'agit par ces actions, de créer à la fois « une internationale conservatrice » mais aussi de
remettre en cause la vision occidentale des droits de l'homme. Ce positionnement obéit toutefois
aussi à des intérêts économiques, la Russie en se rapprochant du monde musulman accédant à
de nouveaux marchés217, et assurant la stabilité des populations musulmanes russes.218

Dans le monde musulman mais sur le plan militaire, l'intervention en Syrie en 2016 et le soutien
affiché au gouvernement de cet État sont le symbole du retour de la Russie sur la scène
internationale. En cela, elle affirme les mêmes but que la politique civilisationnelle tout en
envoyant un message plus ferme à l'occident quant aux capacités militaires de la Russie.
L'impérialisme militaire manifeste, à travers l'intervention, repose de nouveau sur la
contestation de la domination militaire occidentale. En profitant à la fois des hésitations des

212 ‘Par exemple une loi anti-blasphème : Le Cadeau de Poutine À l’OCI’, Pensées Critiques, 2016
<https://penseescritiques.wordpress.com/2016/03/12/le-cadeau-de-poutine-a-loci/> [accessed 15 August 2017].
213 ‘Résolution Sur Les Valeurs Traditionnelles et Les Droits Humains - Humanrights.ch’
<https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/nouvelles/divers-organes-de-lonu/resolution-
droits-humains-valeurs-traditionnelles> [accessed 17 August 2017].
214 Résolution du CDH A/HRC/22/71 (6 décembre 2012).
215 Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale , Op. Cit.,
216 Ibid, note 146 : « « La stratégie de sécurité nationale de la Fédération de Russie » : « Pour la première
fois dans l’histoire contemporaine, la concurrence globale prend une dimension civilisationnelle et se manifeste
dans la rivalité de différentes valeurs et modèles de développement », par.13 ; « La tendance vers une importance
accrue du facteur d'identité civilisationnelle devient le revers des processus de mondialisation. Le désir de revenir
aux racines de leur civilisation est bien visible dans les événements au Proche-Orient et en Afrique du Nord où la
rénovation politique, sociale et économique de la société se passe bien souvent sous les slogans d'affirmation des
valeurs islamiques », par. 14. »
217 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, 3nd Revised
edition (Lanham, Md: Rowman & Littlefield Publishers, 2013) p.220.
218 Ibid.

Page 63
États Européens et des États-Unis et de la menace de renversement qui pesait sur le
gouvernement syrien, la Russie est intervenue en justifiant son action par la non-ingérence dans
les affaires d'un État. Officiellement Moscou agit en Syrie sur la demande du gouvernement.
Cette manœuvre s’inscrit dans la contestation d'une logique universaliste occidentale manifesté
par la « responsabilité de protéger » invoquée pour intervenir en Libye en 2011. La Russie
considère d'ailleurs que cette logique universaliste fut génératrice du chaos en Irak et en Libye.
La Chute du colonel Kadhafi et l'invocation de la responsabilité de protéger les civils par
l'occident à des fins politiques a accru la méfiance de Moscou envers les opérations dans les
États en proie à la guerre civile. Afin d'assurer l'ordre, Moscou préférera soutenir le
219
gouvernement baas plutôt que de risquer un chaos qui favoriserait les groupes
fondamentalistes.
Mais là encore derrière cette politique interventionniste, se manifeste la volonté de protéger les
intérêts russes.220 La chute du régime du président Assad conduirait très certainement à la perte
du port de Tartous, seule base maritime russe en mer méditerranée. De même, la crainte d'un
nouveau conflit dans le Caucase et en Tchétchénie qui serait déclenché par la prise de pouvoir
des islamistes en Syrie a été l'une des causes majeures du soutien au président syrien. Cette aide
se matérialise par des livraisons d'armes depuis le début de la guerre civile comme des missiles
antiaériens S-300 d'une valeur de 900 millions de dollars et des avions de combats Mig-29.
Enfin, l'importance du Moyen-Orient pour l'économie russe amène Moscou à chercher à
renforcer sa présence dans la région : la plupart des gazoducs et oléoducs de la région passent
par la Syrie et les entreprises d'hydrocarbures russes Gazprom et Rosneft veulent conserver
leurs quasi-monopole sur l'approvisionnement énergétique en Europe.221
De manière générale, cette stratégie réaliste utilisant l'eurasisme manifeste l’intérêt historique
de la Russie qui est l’accès aux mers chaudes, océan indien et mer Méditerranée, stratégie qui
existe depuis le règne du tsar Pierre le Grand. La diplomatie du président Poutine repose sur le
renforcement de la puissance de la Russie avec une politique défensive étendue à l'ex-espace
soviétique, oscillant entre rapprochement avec l'occident et repli sur l'étranger proche afin d'en
garder le contrôle. Cette politique régionale se greffe sur une politique globale plus agressive.

219 Le parti politique dont sont membres les Assad.


220 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde, Op. Cit.191.
221 Ibid p.192.

Page 64
Dans les deux États, des stratégies de puissance sont mises en œuvre en s'appuyant sur des
idéologies reflétant des conceptions fondées sur la prise en considération d'intérêts nationaux.
De plus, des cultures nationales se développent et tendent à des exceptionnalismes fondés sur
des valeurs différentes et même opposées. Dans les deux cas, les présidents utilisent les
idéologies pour servir les objectifs de puissances déterminés en fonction des circonstances.
C'est justement la combinaison de la recherche du statu quo et de l'impérialisme par les deux
États qui définit le rapport de force, les stratégies offensives et défensives étant accessoires et
servant de variables pour cette relation.
Ainsi, si les deux pays adoptent au même moment une posture impérialiste offensive, les
tensions seront au maximum car les intérêts seront divergents et s'affronteront. À contrario si
les deux États adoptent une position commune de statu quo défensif, les intérêts ne
s'entrechoqueront plus et les tensions seront plus faibles. Dans les faits, c'est souvent le
croisement des positions intermédiaires qui a lieu. La plus intéressante est l'impérialisme
défensif. Cette dernière met en évidence des politiques basées sur des zones d'influences
défendues par Moscou et Washington et qui se trouvent principalement sur le même continent :
l'Europe. C'est cette dualité de « doctrines Monroe »222 sur un espace resserré qui va ramener
cette confrontation. Il apparaît que le schéma de Mackinder garde une pertinence entre la
thalassocratie américaine qui contrôle la région atlantique grâce à l'OTAN et la Russie qui
cherche à se recréer un Heartland à travers l’Eurasie. Cependant, les impératifs de stabilité liés
à la mondialisation, via des économies interconnectées, vont favoriser stratégies de coopération
et de statu quo entraînant un rapport de force ambigu fondé à la fois sur le rapprochement et la
confrontation.
Les idéologies et les cultures nationales, vont à l'époque de la mondialisation, servir de vecteur
d'influences pour chaque partie (Section 2)

222 Il faut préciser que Morgenthau classe la doctrine Monroe classique dans la recherche du statu quo.
Néanmoins le cas de l'OTAN et de la CEI semble s’apparenter à l'impérialisme du fait qu'il y a une volonté de
modifier l'ordre établi : les États-Unis poussent l'extension de l'OTAN et cherchent donc à déployer leur influence
en Europe. Quant aux Russes, l'étranger proche ne leur est plus acquis après l’effondrement de l'URSS, il s'agit
donc bien d'une reconquête.

Page 65
Section 2 L'utilisation offensive de l'influence et de la propagande

Un rapport de force s'est ainsi établi du fait des politiques de puissance des États-Unis et de la
Russie. Les intérêts des deux États se camouflent derrière des idéologies liées à leur culture
nationale et aboutissent à la création de zones d'influence ayant comme point de contact le
continent européen.

Cette divergence d’intérêts amène à une confrontation, mais les réalités du XXIème siècle
empêchent qu'elle soit directe et militaire. Deux éléments principaux l'expliquent : la dissuasion
nucléaire et la connexion des économies russe et américaine du fait de mondialisation
économique. Si les liens économiques directs entre les deux pays sont de tailles moyennes 223,
un conflit de grande envergure déstabiliserait les marchés nationaux et mondiaux et créerait une
crise économique majeure avec des conséquences catastrophiques pour les États-Unis et la
Russie mais aussi l'Europe et le reste du monde. Aussi, l'usage du « hard power » est devenu
impossible. Par conséquent, il ne reste que le « soft power » comme alternative raisonnable
pour affronter l'adversaire.224

Les stratégies de soft power des deux protagonistes sont, par ailleurs, influencées par le
développement des réseaux d'informations et l'émergence de nouveaux outils de
communication liés à internet. La présence des grands médias d'une part et le développement
des réseaux sociaux amènent de plus en plus l'opinion publique à influencer indirectement voire
directement les décisions et les choix politiques. L'influence225 va ainsi être l'outil privilégié

223 La Russie est le 22ème partenaire des Etats-Unis en matière d'exportation et le 15ème pour l'importation
‘Partenaires Économiques Commerciaux - États-Unis’, Perspective Monde Université de Sherbrook.e
224 Cette distinction « soft power » et « hard power » est issue des travaux du professeur américain Joseph
Nye qu'il developpera notament dans Soft Power: The Means To Success In World Politics, 1 edition (New York:
PublicAffairs, 2005).
225 D'un point de vue sémantique l'influence et la puissance sont des notions ayants des différences
néanmoins dans le cadre de cette thèse elles seront confondues car elles restent très proches, et ce surtout dans les
stratégies américaines et russes : « La notion d’influence en relations internationales a pour fragilité une proximité
indéniable avec celle, archi-dominante, de puissance. Pour autant, les deux notions ne relèvent pas des mêmes
méthodes, outils et dynamiques,ni ne véhiculent la même symbolique en tant que fragment de discours politique
ou objet de recherche académique. Là où la puissance définit des leviers d’intervention classiques (l’économie, la
diplomatie, la puissance militaire) utilisés de façon directe, voire coercitive, l’influence définit de façon plus
souple la capacité d’un acteur à faire triompher ses vues ou à produire du changement par des outils alternatifs
(le rayonnement, la culture, l’image) utilisés de façon non coercitive voire indirecte. Puissance et influence sont
pourtant souvent employées de façon interchangeable. »

Page 66
des États-Unis et de la Russie pour assurer la défense et la diffusion de leurs intérêts nationaux.
La propagande sera l'un des vecteurs d'influence226 utilisés de manière croissante,227 à travers
deux stratégies : la promotion de son propre modèle (§1), le discrédit du celui de l'adversaire
(§2). Ainsi se manifestent des politiques de puissances en temps de paix.228

§1 La promotion des modèles : l'universalisme occidental américain contre le


particularisme culturel russe

La Russie comme les États-Unis utilisent des réseaux d'influences dans le but d'étendre leur
pouvoir auprès de personnes capable d'agir sur l'opinion publique et/ou sur les décisions
politiques. Dans un cas comme dans l'autre, la fabrication et l'action de ces réseaux puisent leurs
sources dans la guerre froide même si les changements postérieurs à celle-ci modifient le type
de structure et l'action de ceux-ci. Les intérêts communs entre la force émettrice et les agents
récepteurs seront utilisés pour étendre la puissance de la première tout en assurant un apport
pour le second. La Russie sous la forme soviétique fut d'ailleurs avec la France, et désormais la
Chine, la principale nation à mettre en place une véritable politique d'influence culturelle.229
Comme le précise François-Bernard Huyghe, il existe trois types d'organisations matérielles

Nivet, Bastien, ‘La puissance ou l’influence ? Un détour par l’expérience européenne’, Revue
internationale et stratégique, n° 89 (2013), 83.
226 La propagande est contenue dans l'influence, cette dernière étant plus vaste que la propagande qui est un
moyen de communication :« Propaganda is a form of communication that attempts to achieve a response that
furthers the desired intent of propagandist »
Jowett, Garth, and Victoria O’Donnell, Propaganda & Persuasion, 6 edition (Thousand Oaks, Calif: Sage
Publications, 2014) p.1.
227 L'idéologie êrmettra d'attirer des partisans à sa cause ou de réduire ceux de l'adversaire. Ce domaine
repose sur l'aspect psychologique et vise le moral des nations qui est l'un des éléments constitutif de la puissance
de l’État (voir Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit.
p.100-104) le fragiliser ou le renforcer a un effet sur la politique internationale de celui-ci.
228 « la puissance en temps de paix, autrement dit la capacité de ne pas se laisser imposer la volonté des
autres ou d'imposer aux autres sa propre volonté [] Au lieu de considérer l'appareil militaire, nous devons
considérer les moyens non violents (ou les moyens violents tolérés en temps de paix). [], elle s'exprime,
offensivement, par l'art de convaincre ou de contraindre sans recours à la force et, défensivement, par l'art de ne
pas se laisser tromper, terrifier, impressionner ou diviser. »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p.68.
229 « Dans l’histoire du monde contemporain, seuls trois grands États ont traduit en actes une politique
d’influence culturelle mondiale : la France dès les années 1870-1880, l’URSS dès les années 1920, les États-Unis
après 1945. La Chine se trouve sans doute être le quatrième, depuis une dizaine d’années seulement (le premier
Institut Confucius n’ouvre qu’en 2004, à Tachkent). »
Chaubet, François, ‘Rôle et enjeux de l’influence culturelle dans les relations internationales’, Revue
internationale et stratégique, 2013, p.95.

Page 67
permettent de diffuser l'influence : les ONG, les think tanks et les lobbies.230Ces 3 vecteurs
fonctionnent en deux temps : elles élaborent les idées puis cherchent des relais pour les faire
diffuser.231 Les médias peuvent remplir cette dernière fonction.

Bien évidemment le type de régime agit sur la structure de ces outils : l'influence américaine
sera plus déconcentrée (A) tandis que celle de la Russie sera plus liée au pouvoir central (B).
Mais les deux États cherchent aussi à créer une mythologie visant à assurer l’adhésion au roman
national à travers leurs médias. (C)

A - la promotion diffuse de l'universalisme occidental par les États-Unis :


Les deux principaux vecteurs américains pour diffuser les valeurs américaines sont les ONG
(1) et les think tanks (2).

1 Un ensemble complexe d'ONGs américaines participant à la diffusion des


valeurs

Les États-Unis ont une vision basée sur l'exceptionnalisme amenant un certain nombre
d'américains à chercher à répandre les valeurs américaines. De même en tant que conséquence
du modèle américain traditionnel basé sur la promotion de la société civile, un grand nombre
d'initiatives privées se développent. Ces deux éléments proprement américains couplés à la
mondialisation entraînent l'émergence d'ONG puissantes visant à promouvoir la démocratie
dans le monde.
Les principales ONG américaines indépendantes visant à répandre la démocratie sont 232 :
l'International Foundation for Election Systems (IFES), la Freedom House, l'Eurasia

230 Fr.-B, Huyghe, maÎtres du faire croire: De la propagande à l’influence (Paris : Bry-sur-Marne: vuibert,
2008) p.107.
231 Ibid p.108.
232 ‘Soft Power: Democracy-Promotion and U.S. NGOs’, Council on Foreign Relations
<https://www.cfr.org/backgrounder/soft-power-democracy-promotion-and-us-ngos> [accessed 20 September
2017].

Page 68
Foundation (EF), le Carter Center, l'Open Society Institute (OSI) de George Soros. A ces
organisations s'ajoutent des ONG liées aux formations politiques américaines. On trouve le
National Endowment for Democracy (NED) financé par le congrès américain 233, le National
Democratic Institute for International Affairs (NDI) dirigé par l'ancienne secrétaire d’État
démocrate de Bill Clinton, Madeleine Albright234 , et le International Republican Institute (IRI)
qui était dirigé par le sénateur républicain John Mcain235.

Toutes les organisations citées ont un point commun : la promotion de la démocratie et des
valeurs traditionnellement associées comme le respect des droits de l'Homme. Leur action n'est
pas intrinsèquement orientée contre la Russie, encore que certains éléments laissent à penser le
contraire pour la NDI et l'IRI, mais elle entre naturellement en conflit avec la doctrine de
Vladimir Poutine qui prône que chaque État puisse suivre son propre développement
démocratique. De plus la nature même de ces ONG est d’être un contre-pouvoir aux États236,
ce qui là aussi est en contradiction avec le principe de non-ingérence dans les affaires internes
des États tel qu’interprété par la Russie. Il ne faut, en effet, pas oublier que Vladimir Poutine a
fait du retour à l'ordre le cœur de son programme politique. Ce qui se traduit par la restauration
du rôle de l’État au détriment de la société civile, surtout si celle-ci est d'inspiration américaine.

Toutes les organisations citées ci-dessus se considèrent comme indépendantes des autorités
américaines. Pour autant, de par leur composition et surtout leur financement, on y trouve une
implication des institutions publiques. Pour les trois ONG liées aux formations politiques
(NED, NDI et IRI), le lien est facilement visible. Même si ces dernières se considèrent comme
indépendantes, le poids politique reste fort. Étant donné qu'elles sont liées idéologiquement aux
deux grands partis américains, elles participent à l'application des principes idéologiques de
chaque parti. Le NDI et l'IRI sont de plus partiellement financés par le « State department ». Et

233 « Created jointly by Republicans and Democrats, NED is governed by a board balanced between both
parties and enjoys Congressional support across the political spectrum. «
‘About the National Endowment for Democracy – NATIONAL ENDOWMENT FOR DEMOCRACY’
<http://www.ned.org/about/> [accessed 20 September 2017].
234 ‘MADELEINE K. ALBRIGHT’, 2016 <https://www.ndi.org/people/madeleine-k-albright> [accessed 20
September 2017].
235 ‘U.S. Senator John McCain | IRI’ <http://www.iri.org/who-we-are/bod/us-senator-john-mccain>
[accessed 20 September 2017].
236 Les ONG possèdent un rôle de lobby qui consiste à influencer les décisions de l’État à travers des
groupements civils. Leur but est de peser sur les actions des pouvoirs publiques. Cette vocation politique des ONG,
présente initialement aux Etats-Unis est utilisée à l'étranger.

Page 69
leurs directeurs sont réputés être des « faucons ». Madeleine Albright et John Mccain sont
connus pour avoir, pendant leur carrière politique, adopté des positions clairement
interventionnistes et agressives. Les deux ont également des positions hostile au gouvernement
russe 237 Pour les autres ONG, le lien politique avec les institutions américaines est moins
détectable à première vue mais reste présent. À l'instar du NDI et de l'IRI, toutes reçoivent ou
ont reçu des financements de l'USAID 238 qui est l'agence du gouvernement américain pour
l'action humanitaire. Ce financement est plus ou moins important en fonction des organisations
mais implique bien un support financier du gouvernement. À côté de l'USAID, d'autre
organismes de l’État américain ont une compétence de coordination et de soutien de l'activité
des ONG dans le cadre du programme d'aide au développement. Quatre secrétariats sont
concernés : défense, agriculture, trésor et affaires étrangères (secrétariat d’État).239
Apparaît ainsi une forme de soft power où l'action ne se fait pas directement par le
gouvernement et ses agences mais par des ONG ayant des liens avec les institutions publiques
américaines. À côté de celles-ci se trouve les think tanks américains. (a2/)

2 - les think tanks et les organisations d'échange politique, des outils participants à la
formation des décideurs occidentaux

Sur les 4000 think tanks dans le monde environ 1500 sont américains.240 Ces derniers ont un
rôle d'influence dans la vie politique américaine mais aussi à l'étranger. Le mot think tank a
commencé à être utilisé pour désigner les groupes d'experts civils et militaires visant à créer
une stratégie américaine pendant la seconde guerre mondiale. 241 A l'instar des ONG, les
Départements d’État et de la défense vont soutenir ces initiatives afin que les think tanks

237 Moore, Mark, ‘McCain Says Russia Is a Bigger Threat than ISIS’, New York Post, 2017
<http://nypost.com/2017/05/29/mccain-says-russia-is-a-bigger-threat-than-isis/> [accessed 21 September 2017].
PM, Damien Sharkov On 4/20/16 at 1:22, ‘Ex-Secretary of State Calls Putin An “evil Man”’, Newsweek,
2016 <http://www.newsweek.com/putin-smart-truly-evil-man-says-madeleine-albright-450332> [accessed 21
September 2017].
238 ‘Chapitre 5. Organisation et gestion’, Revue de l’OCDE sur le développement, 2006, 153–154.
239 Ibid.
240 Michelot, Martin, ‘Les modes d’influence des think tanks dans le jeu politique américain, The influence
of Think Tanks in American Politics’, Politique américaine, 2013, 97.
241 Ibid p.104.

Page 70
complètent leurs travaux à moindre coût.242 Comme le précise Pierre Conesa243, les États-Unis
investissent bien plus dans ces organisations que les européens. Il souligne par ailleurs le fait
suivant : « La porosité est quasi complète entre les think tanks, le système politique et le monde
de la défense, les experts faisant carrière dans l’un ou l’autre monde comme conseillers des
décideurs politiques. Ils médiatisent la relation avec le monde extérieur comme le font les
cabinets ministériels en France »244
De plus, un certain nombre de ces think tanks recevant de l'argent de grandes fortunes, 245
tendent vers une version élitiste de la création d'idées.

On peut en déduire que les think tanks sont un outil efficace de création d'idées et de diffusion.
Comme le précise le professeur Celia Belin, leur puissance dépasse les États-Unis car bon
nombre d'organisations internationales comme l'ONU, l'Union européenne et même les États
se réfèrent aux productions de ceux-ci : « Jouissant d’une réputation d’excellence, les analyses
des think tanks américains influencent le débat d’idées bien au-delà de Washington. Ainsi, les
organisations internationales (ONU, institutions de Bretton Woods), les organisations
régionales (Union européenne, ASEAN) et les grands pays de tradition diplomatique (France,
Royaume-Uni, Chine, Russie...) sont souvent plus influencés par les publications et les débats
qui émanent des think tanks américains que par des textes et conférences issus de leurs propres
organes de réflexion » 246

À côté des think tanks, des organisations de coopération informelle sont créées pour renforcer
les liens avec le reste de l'occident. Il existe ainsi des fondations à vocation plus bilatérales et
binationales, se concentrant sur les relations entre les États-Unis et un État en particulier. Elles

242 Ibid.
243 Conesa, Pierre, ‘Sociologie de la production stratégique’, Revue internationale et stratégique, 2011, 88
244 Ibid p.90.
245 « C'est donc sur ces fondations philanthropiques que reposait « la production des savoirs technocratiques
». Les plus importantes sont la Carnegie Foundation (fondée en 1903), la Carnegie Corporation (1911) et la
Rockefeller (1913). »
Michelot, Martin, ‘Les modes d’influence des think tanks dans le jeu politique américain, The influence
of Think Tanks in American Politics’, Politique américaine, 2013, 107.

246 Belin, Célia, ‘Chapitre 11 / La société civile organisée’, in La politique étrangère des Etats-Unis, Op.
Cit. p.538.

Page 71
ont pour but de consolider les liens culturels entre Washington et les différents pays. Ainsi, il
existe entre la France et les États-Unis, la French-American foundation et son programme
« young leader » (dont a bénéficié le président Emmanuel Macron) qui forme des personnes
influentes en France.
Enfin une organisation plus multilatérale comme le groupe Bilderberg fait aussi office de centre
d'échanges politiques entre les décideurs occidentaux. Si le rôle de ce forum est souvent
exagéré, il s'inscrit toutefois comme un outil d'influence diffuse occidentale. Né dans l'esprit de
la guerre froide en 1954,247 il visait à l'époque à faire face à la montée de l’anti-américanisme
et du communisme en Europe. Les fondateurs sont le prince Bernhard des Pays-Bas et le
milliardaire David Rockefeller. Groupe de discussion fermé, les membres des réunions sont
connus mais pas les discussions, ses participants sont pour la très large majorité, voire la totalité,
issus des pays d'Europe et d’Amérique du Nord : lors des 3 dernières réunions248 sur plus de
100 invités à chaque réunion, seuls des ressortissants Turcs et Israéliens, l'ambassadeur chinois
aux États-Unis en 2017 et un professeur russe en 2015 furent invités en dehors des Européens
et Américains. L'échantillon des nationalités est donc finalement proche de celui de l'OTAN.
Le groupe a été conçu comme un centre de réflexion pour des personnes partageant des valeurs
politiques pro-occidentales ; de ce fait initialement il n'acceptait pas les élites gaullistes249 et
s'opposait à tout nationalisme anti-atlantique. Cette position s'est assouplie peu à peu. Dans les
faits le poids politique des États-Unis va jouer en leur faveur. C’est la nationalité la plus
représentée250, ce qui leur permet d’être en position de force pour répandre leurs points de vue.
Pour autant, tous les membres et invités de cette organisation ne sont pas hostile à la Russie.
On y compte au contraire des personnes partisanes d'un rapprochement avec la Russie de
Poutine : en Europe, la Chancelière allemande Angela Merkel (Bilderberg 2005), l'ex premier
ministre français François Fillon (Bilderberg 2013) sont tous connus pour avoir une proximité
diplomatique même relative avec le président Poutine. De même, aux États-Unis, l'ancien

247 Krabbendam, Hans, and Giles Scott-Smith, The Cultural Cold War in Western Europe, 1945-60
(Routledge, 2004) p.92-100.
248 ‘Participants | Bilderberg Meetings’
<http://www.bilderbergmeetings.org/participants2015.html> [accessed 21 September 2017].
——— <http://www.bilderbergmeetings.org/participants2016.html> [accessed 21 September 2017].
——— <http://www.bilderbergmeetings.org/participants2017.html> [accessed 21 September 2017].
249 Krabbendam, Hans, and Giles Scott-Smith, The Cultural Cold War in Western Europe, 1945-60 Op. Cit.
p.97.
250 Pouchard, Pierre Breteau et Alexandre, ‘3 questions sur le très secret groupe Bilderberg, objet de
fantasmes’, Le Monde.fr, 12 June 2015 <http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2015/06/12/3-questions-
sur-le-tres-secret-groupe-bilderberg-objet-de-fantasmes_4653060_4355770.html> [accessed 18 September 2017].

Page 72
secrétaire d’État Henry Kissinger, qui a participé à de nombreuses réunions de Bilderberg et est
membre permanent, est connu pour avoir entretenu des liens diplomatiques avec le président
russe.
La politique d'influence culturelle américaine repose ainsi sur les principes de
Tocqueville : « une puissance qu'on voit de loin, et dont les actions servent d'exemple ; qui
parle, et qu'on écoute » 251 basée sur la société civile mais dirigée en sous-main par l’État.
L'influence russe est quant à elle plus étatique (B)

B - la promotion culturelle et politique de la Russie : un système en reconstruction

La Russie a beaucoup perdu de sa capacité d'influence après la chute de l'Union soviétique. La


faiblesse économique du pays dans les années 1990 et la volonté de rapprochement avec
l'occident ont été des facteurs qui l'ont fortement entravé.
Il a donc fallu pour la Russie récréer un système d'influence en se basant sur les restes de ce qui
existait à l'époque soviétique, tout en ajoutant des composantes liées au contexte du XXIème
siècle. Dans le cadre de la diffusion du discours de Moscou, deux outils sont utilisés : l'influence
culturelle (1) et la proximité d’intérêts avec des dirigeants que l'on pourrait qualifier
d'inspiration « gaulliste » (2).

1 L'influence culturelle

Le premier moyen d'influence est la promotion de la culture russe. Ce moyen très classique, est
utilisé par la plupart des États dans le monde pour promouvoir leur image à l'étranger.252
Les textes officiels du ministère des Affaires étrangères253 indiquent clairement cette stratégie
de promotion de la culture et de l'éducation russe et russophile. Elle est déployée en priorité

251 Tocqueville, Alexis de, De la démocratie en Amérique ... Orné d’une carte d’Amérique. Seconde édition,
1850 p.124.
252 L'utilisation des organismes culturels et linguistiques sont les vecteurs principaux comme les instituts
Confucius pour la Chine, Goethe pour l'Allemagne ou l'Alliance française pour la France.
253 ‘План Деятельности Министерства Иностранных Дел Российской Федерации На Период До 2018
Года. (Plan Du Ministère Des Affaires Étrangères de La Fédération de Russie Pour La Période Allant Jusqu’en
2018)’ <http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/102086> [accessed 10 February 2017].

Page 73
dans les États voisins de la Russie, membre de la Communauté des États indépendants. Cela
passe aussi par la promotion de la langue russe254 à l'étranger : la fondation Russkiy Mir estimait
en 2013 à 300 millions le nombre de russophones dans le monde.
L'utilisation des compatriotes est aussi utilisée comme moyen d'action, avec une volonté de
resserrer les liens culturels entre la Russie et les compatriotes à l'étranger, dont le chiffre exact
est mal connu. Cette diaspora serait comprise entre 30 et 35 millions selon les sources officielles
afin de protéger leurs intérêts. Cette stratégie a pour vocation logique d'assurer auprès de la
diaspora russe une bonne opinion de la Russie permettent aux compatriotes d'en donner une
image positive.
Ces opérations sont coordonnées par l'agence fédérale Hommes-orchestres255 (Federal Agency
for the Commonwealth of Independent States Affairs, Compatriots Living Abroad, and
International Humanitarian Cooperation), qui opère sous le contrôle du ministère des affaires
étrangères russes. Outre la fonction d'aide aux compatriotes russes, l'agence a un rôle de « soft
power à l'international ». C'est l'équivalent russe de l'agence américaine USAID.256

À côté de ces méthodes classiques on trouve certaines spécificités propres à la Russie. La


principale est le rôle de l'Église orthodoxe russe. Celle-ci et la patriarchie de Moscou
promeuvent l'influence religieuse et culturelle, principalement dans les États orthodoxes. Les
États comptant le plus d'orthodoxes en leur sein sont : la Russie (101,450,000 croyants 71.0%de
la population), l’Éthiopie 3(6060000 soit 43.5 %), l'Ukraine (34850000 soit 76.7 %), la
Roumanie (18750000 soit 87.3%), la Grèce (10030000 soit88.3%), la Serbie (6730000 soit
86.6%), la Bulgarie (6220000 soit 83.0%), la Biélorussie (5900000 soit 61.5%), l’Égypte
(3860000 soit 4.8%) et Georgia (3820000 soit 87.8%). Ces 10 États rassemblent 87,4 % des
croyants orthodoxes qui regroupent 260 380 000 membres dans le monde. 257 L’Église
orthodoxe est l'organisation préférée des Russes et a regagné en puissance après la fin de l'Union

254 Suslov, Mikhail, ‘“Russian World”: Russia Policy’s toward Its Diaspora’, Russie.Nei.Visions, Ifri, July
2017 p.10.
255 ‘Rossotrudnichestvo’, Rossotrudnichestvo <http://www.rs.gov.ru/en/about> [accessed 22 September
2017].
256 La différence de budget est toutefois conséquente : Rossotrudnichestvo se voit allouer en 2017 2 milliards
de roubles soit 48 millions d'euros qui pourrait monter à 9,5 milliards de roubles soit 157 millions d'euros en 2020
, l'USAID a pour budget pour 2019 de 16,8 milliards de dollars américain (soit 13,6 milliard d'euros).
Suslov, Mikhail, ‘“Russian World”: Russia Policy’s toward Its Diaspora’, Russie.Nei.Visions, Ifri, July
2017 p.23.
‘Budget | U.S. Agency for International Development’, USAID 2018.
257 ‘Global Christianity’, Pew Research Center, 2011.

Page 74
soviétique augmentant son influence auprès des chrétiens d’Orient, eux aussi orthodoxes. Elle
cherche également à se renforcer pour dépasser les autres Églises orthodoxes comme celle de
Constantinople et de Kiev. La religion orthodoxe n'ayant pas de direction unifiée comme le
catholicisme, il existe plusieurs patriarcats dispersés dans les principales régions pratiquant
l'orthodoxie. L'opposition entre les Églises de Kiev et de Moscou a servi d'ailleurs de vecteur
d'influence pour la Russie et l'Ukraine lors du conflit dans cette dernière à partir de 2014.258Le
président Poutine a cherché à renforcer les liens avec l’Église orthodoxe et le patriarche dans le
but de tirer profit de la popularité de l'église.259

2 - Les intérêts partagés entre le président Poutine et les dirigeants d'inspiration gaulliste260

La politique du président Poutine face à l'Europe peut être analysée en partie comme rejoignant
les thèses d'inspiration gaulliste.
Si les discours de propagande russes et certaines actions venant de la Russie sont tournés vers
l’extrême droite, dans les faits Vladimir Poutine est plus proche de la droite classique. En effet,
le parti de Poutine, Russie Unie, est classé en Russie, centre droit. De même le programme et
la politique concrète du président russe se rapprochent des thèmes classiques de ce courant de
pensée, malgré un tournant conservateur en Russie ces dernières années qui se rapproche de
l’extrême droite. Ce sont les partisans d'une Europe souple, non fédérale et non centralisée, qui
est aussi l'idée de l'Europe que prône le président russe, voyant en la Russie un État européen
permettant à l'Europe de se démarquer des États-Unis. En Allemagne, les chanceliers allemands
Gerhard Schroeder, membre de Gazprom après son mandat, et Angela Merkel partagent cette
vision de l'Europe. En France, c'est principalement à gauche les partisans de Jean-Pierre
Chevènement (ex-membre du parti socialiste) et à droite les conservateurs (une partie majeure
du parti Les Républicains, ex-UMP, ex-RPR).

258 ‘Bonjour l’Europe - La Religion S’invite Dans Le Conflit Entre La Russie et l’Ukraine’, RFI, 2017
<http://www.rfi.fr/emission/20170524-religion-invite-conflit-russie-ukraine> [accessed 22 September 2017].
259 Moniak-Azzopardi, Agnieszka, ‘Les religions et l’Etat en Russie’, Le Courrier des pays de l’Est, 2004,
30.
260 Cette dénomination employée par un certain nombre de politologues et professeurs comme Henry
Kissinger, désigne les partisans d'une Union européenne prenant ses distances de l'atlantisme et pratiquant une
politique réaliste basée sur l'équilibre des puissances conformément aux préceptes du général et président De
Gaulle.

Page 75
Il en découle un lien fort et spécial entre la Russie et les dirigeants des droites européennes : les
présidents Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et l’ancien premier ministre François Fillon en
France, l'ancien premier ministre Silvio Berlusconi en Italie par exemple. Néanmoins, ce lien
est davantage basé sur la pratique politique des dirigeants que sur les discours politiques.
Contrairement à l'influence qu'exerce Moscou sur les formations politiques anti-américaines,
cette tendance politique n'est pas totalement opposée aux États-Unis à l'instar de celle du
président Poutine qui coopère avec Washington à certaines occasions. Le lien entre les
« gaullistes » et le Kremlin est avant tout un lien réaliste reposant sur des intérêts et des projets
communs, comme les projets économiques tel que north stream. La proximité idéologique est
un élément permettant de fluidifier les échanges et de réduire les sources de tensions potentielles
qui pourraient freiner les objectifs que se sont fixés les dirigeants.

L'influence que s'efforce de développer la Russie reste plus faible que celle des États-Unis.
Moscou ayant des moyens inférieurs à ceux de Washington, elle est plus axée sur la perturbation
que sur la promotion. La difficulté de transposer le modèle russe qui repose sur un
particularisme national axé sur l’Eurasie explique aussi sa faible pénétration en occident.
Contrairement au marxisme-léninisme de l'URSS ou au libéralisme américain qui sont des
universalismes, l'alternative civilisationnelle eurasiste n'a pas vocation à se propager dans le
monde entier. Non seulement cette doctrine repose sur une zone définie mais aussi sur un
isolationnisme. La conception russe reste plus tournée vers la défense et la survie du pays que
vers une expansion illimitée. De ce fait en occident, le but de l'influence russe est de faire
connaître et accepter le particularisme culturel de la Russie afin qu'elle soit acceptée comme
telle dans la société internationale.

À côté de cette influence basée sur des réseaux de personnes physiques, apparaît une
propagande médiatique visant à répandre la culture ou la vision de l’État émetteur. (/c)

C - la constitution d'un mythe national au travers d'une propagande médiatique

Avec le développement des outils de communication et des grands médias, la mise en place
d'un discours public national et sa diffusion est facilité. Ce discours repose sur, ce que Pierre

Page 76
Conesa appelle une mythologie (1), les États-Unis (2) et la Russie (3) utilisent ce vecteur à des
fins de propagande.

1 - la mythologie nationale, la manipulation de la réalité à des fins idéologiques

Comme le souligne Pierre Conesa, les médias d'information et de divertissement, diffusent une
mythologie qui amène une adhésion au discours politique : « Des acteurs sociaux et politiques,
par leurs écrits ou leurs discours et par les mythologies qu’ils vont créer, contribuent à donner
consistance au discours stratégique. »261 Cette mythologie est créée en amont par un certain
nombre de personnes que Pierre Conesa nomme les « marqueurs d'ennemis »262 parmi eux se
trouve ce qu'il appelle les mythologistes263. En combinant le réel et l'imaginaire ils créent une
idéologie qui sert la stratégie du pays. L'histoire est parfois même réécrite ou manipulée afin
d'entrer en phase avec cette mythologie. Les intellectuels et les universitaires ont aussi un rôle
dans la formation de ces mythes nationalistes en donnant crédibilité à ceux-ci, avec une
rhétorique utilisant une rigueur scientifique mais orientée par l'idéologie à laquelle ceux-ci ont
adhéré. Ce mythe repose ainsi sur une vision manichéenne visant à établir à la fois les valeurs
acceptées et encouragées, les formations politiques et États acceptables mais aussi définir des
ennemis contre lesquels la nation doit s'opposer. Les médias quant à eux donne une dimension
épique et font vivre cette mythologie, encouragés par les leaders de la presse qu'il s'agisse des
patrons privés ou des gouvernements à travers les médias nationaux et les subventions. Ces
derniers suivent à cet effet une logique soit commerciale soit politique consistant à rechercher
l’adhésion au niveau interne et international. Le développement de la mondialisation leur a, en
outre, permit de toucher une population plus large et plus facilement.
Néanmoins cette mythologie nationale ne doit pas faire oublier la politique de recherche
puissance qui rythme l'activité des États sur la scène internationale. Ces mythes constituent une
diplomatie publique visant à influencer la population afin de renforcer la légitimité et l’adhésion
à un État via l'idéologie dominante dans celui-ci. Contrairement aux autres vecteurs d'influence

261 Conesa, Pierre, ‘Sociologie de la production stratégique’, Revue internationale et stratégique, Op. Cit.
p.92-93.
262 «les « marqueurs d’ennemis » qui se consacrent plus particulièrement à l’analyse des rapports de la
collectivité avec l’Autre : intellectuels, médias, journalistes, enseignants, universitaires, géographes,
explorateurs… »
Ibid p.87.
263 Ibid p.92-93.

Page 77
qui s'adressent à des réseaux et des personnes précises, cette propagande s'adresse à l'ensemble
de la population : aussi bien celle de l’État qui la diffuse que celle du reste du monde.
Toutefois, à l'instar des vecteurs d'influences plus classiques, l'utilisation des médias est liée à
la culture de l’État : diffuse pour les États-Unis (1) et centralisée autour du pouvoir pour la
Russie (2)

2 - Le secteur du divertissement américain : un vecteur de la construction et de la diffusion


des valeurs américaines

Pour les États-Unis, il existe une longue tradition de promotion du modèle et de l'action
américaine auprès de l'opinion publique. Cela vient de leur position dominante dans de
nombreux domaines économiques, le principal étant celui du divertissement. Les États-Unis
peuvent largement compter sur le domaine culturel principalement visuel pour diffuser leur
point de vue et promouvoir leur image. Le cinéma et la puissance d'Hollywood 264 sont le
premier vecteur qui a permis aux États-Unis de diffuser leur vision. À cela s'ajoute les bandes-
dessinées américaines (Comics) et plus particulièrement la mise en scène des super-héros.
Enfin, s'ajoute le contrôle non-négligeable par les entreprises américaines du marché du jeu
vidéo265. La combinaison de ces trois vecteurs contribue puissamment à engendrer une image
positive de l'action internationale des États-Unis. L'élément dominant est le culte du héros
américain qu'il soit soldat ou/et super-héros. Il s'agit souvent de mettre en place une intrigue
plus ou moins manichéenne qui tend à mettre en avant la force et le bienfondé de l'action des
États-Unis au travers d'un personnage auquel le public peut s'identifier. En ce sens le jeu vidéo
reste la forme la plus évoluée car elle permet de se mettre dans la peau soit du personnage
américain soit carrément d'une force américaine dans le cas de jeux de stratégie. Si l'aspect
propagande existe, il faut toutefois le relativiser car la volonté propagandiste de ceux qui
conçoivent l’œuvre culturelle peut être absente. Elle est davantage le résultat d'une culture qu'ils
ont inconsciemment en eux. Toutefois, il faut constater un intérêt récent de l'armée américaine
pour un vecteur comme le jeu vidéo qu'elle a investi.266

264 Valantin, Jean-Michel, Hollywood, le Pentagone et le monde : Les trois acteurs d’une stratégie globale
(Paris: Editions Autrement, 2010).
265 Rabino, Thomas, ‘Jeux vidéo et Histoire’, Le Débat, 2013, p.113.
266 ‘L’US Army Croit Aux Jeux Vidéo’, JeuxActu <http://www.jeuxactu.com/l-us-army-croit-aux-jeux-
video-33889.htm> [accessed 28 September 2017].

Page 78
Une autre limite à cette propagande est le fait qu'elle n'est pas affiliée obligatoirement au
pouvoir en place et peut même se retourner contre lui, comme le montre l'engagement
d'Hollywood contre le conflit irakien de 2003 qui contribua à la baisse significative de
popularité du président Bush. De manière plus générale, un certain nombre de secteurs
mythologistes américains ont une proximité avec les démocrates : c'est particulièrement le cas
d'Hollywood 267 mais aussi des intellectuels 268 . Ce biais politique fait que les présidents
républicains peuvent moins utiliser cette propagande en leur faveur et se retrouvent même à
être en conflit avec ceux-ci, les cas des présidents W. Bush et surtout Trump sont assez
significatifs. De manière réciproque, la population conservative nourrit une méfiance envers le
discours diffusé par Hollywood et ces intellectuels démocrates. Néanmoins au-delà de cette
limite liée au clivage progressistes-conservateurs, il existe des thèmes fédérateurs qui font
consensus dans l'ensemble de la population américaine et en occident tel que la recherche de la
liberté et de la démocratie.
En face de du secteur de divertissement américain se trouve la volonté russe de se recréer un
roman national russe (3).

3 - Un roman national russe mis en avant par l’État

Du côté russe, la promotion du modèle reste plus concentrée sur la diffusion traditionnelle
d'information à travers des médias étatiques comme Sputniknews et Russia Today. Ceux-ci sont
les produits d'une doctrine informationnelle élaborée par le gouvernement russe visant à assurer
la visibilité du modèle russe à l'étranger.269 Ils s'inscrivent dans la diplomatie publique : l’État
communique directement avec les populations étrangères afin de promouvoir ses intérêts.270
Pour cela sont mis en avant les points forts de la Russie, l'aspect spectaculaire d'événements et

267 Gross, Neil,| Why Is Hollywood So Liberal?’, The New York Times, section Opinion
<https://www.nytimes.com/2018/01/27/opinion/sunday/hollywood-liberal.html> [accessed 9 April 2018].
268 Gross, Neil, Why Are Professors Liberal and Why Do Conservatives Care? (Harvard University Press,
2013) .
269 « Proposé en juin 2016 par le Conseil de sécurité de la Fédération de Russie, le nouveau projet de «
Doctrine de sécurité informationnelle », qui vise à actualiser la doctrine de 2000, admet d’ailleurs que les «
technologies informationnelles » – médiatiques et cybernétiques – jouent un rôle fondamental dans la défense des
intérêts stratégiques du pays, sur le territoire national comme à l’étranger. Ces intérêts consistent, entre autres,
à fournir « à la communauté internationale [...] une information fiable sur les politiques publiques [du pays] et
sur les positions de ses principaux dirigeants », ainsi qu’à « garantir la souveraineté de la Fédération de Russie
dans le cyberespace » .
Limonier, Kevin, and Maxime Audinet, ‘La stratégie d’influence informationnelle et numérique de la
Russie en Europe’, Hérodote, 2017, p.125.
270 Ibid p.126.

Page 79
la mise en scène de la présentation de l'information. La volonté clairement affichée est d’être
une alternative aux médias américains271. À cet effet, les réseaux sociaux sont privilégiés par
les deux médias sur-cités.272 Ces vecteurs médiatiques sont fortement prisés par la Russie afin
de contourner les médias occidentaux qui restent majoritaires en termes d'audience en Europe.
L'influence des médias russes sur les réseaux sociaux se concentre principalement en Europe
de l'Est pour des raisons techniques comme la latence des réseaux qui devient de plus en plus
grande lorsque que la distance avec la Russie est grande.273 La Russie mène aussi une politique
de prestige.274 À cette fin, la diffusion des parades militaires du jour de la victoire, le 9 mai,
revêt un aspect de communication important dans la diffusion d'une image d'une Russie
puissante. On assiste à la mise en valeur médiatique des victoires militaires à l'occasion des
interventions russes ; de la même manière les médias Étatiques Russia Today et Sputniknews
ont pour thème de prédilection la modernisation de l'armée, soit en présentant le nouveau
matériel militaire entrant en action soit en présentant certains projets futuristes en discussion
dans les entreprises du complexe militaro-industriel russe. Il n'en reste pas moins que
contrairement aux États-Unis qui ont des secteurs du divertissement et d'informations puissants
et anciens, ceux des Russes sont récents et en construction : ils restent plus faibles.

Parallèlement à ces méthodes de promotion sont mises en place des stratégies visant à diviser
et affaiblir l’adversaire. Pour les deux États la méthode sera la même utiliser les failles internes
de l'autre et les crises politiques. (§2)

271 «RT et Sputnik se présentent comme des médias alternatifs au mainstream politique et médiatique de «
l’Occident », considéré comme une entité indifférenciée dominée par la puissance américaine, en particulier via
l’Alliance atlantique. Lors d’une conférence organisée à Moscou en juin 2016 par Rossija Segodnja et intitulée «
Une nouvelle ère du journalisme : adieu au mainstream », le directeur Dmitri Kisselev expliquait que les médias
russes s’inscrivaient dans une dynamique « post-mainstream », émancipée de la « vision du monde occidentale »
Ibid, p.132.
272 « Les deux réseaux jouissent d’une présence large sur les médias sociaux, adaptée aux pratiques
numériques de leurs audiences par pays. Sputnik a ainsi ouvert de multiples comptes sur les réseaux sociaux
Facebook, Twitter, YouTube, Instagram, SoundCloud, Pinterest, Weibo, Vkontakte, Telegram et Odnoklassniki.
L’agence développe une stratégie agressive de référencement naturel (SEO), payant (SEA) et social (SMO) pour
optimiser sa visibilité sur les moteurs de recherche et les médias sociaux. »
Ibid p.129.
273 «La latence est une donnée stratégique dans l’analyse des réseaux numériques dans la mesure où elle
permet aux acteurs du Web de mesurer l’accessibilité de leur service : plus une latence sera élevée, moins le
service sera accessible facilement, et donc plus on lui préférera un concurrent plus rapide » Ibid p.137-142
274 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.54-
56.

Page 80
§2 Diviser et affaiblir l'adversaire en utilisant les crises politiques internes

Quand des tensions se développent entre eux, la Russie et les États-Unis cherchent directement
et indirectement à affaiblir l'autre en visant l'opinion publique des États partageant la culture de
l'adversaire.
À cet effet, deux grandes manœuvres sont utilisées : utiliser des groupes politiques ou
organisations « antisystèmes » dans les régions sous influence adverse (a) et mener une
campagne de propagande de dénigrement (b).

A - l'utilisation de forces de contestation dans le cadre de crises politiques

L'instrumentalisation des révolutions de couleurs dans l'étranger proche russe par les États-Unis
et des mouvements anti-élites en occident par la Russie, présente un certain nombre de
caractéristiques communes. Cela se fait en trois temps : d’une part, des forces politiques
rejettent la politique dominante des États auxquels elles appartiennent, à savoir la politique pro-
russe dans l'étranger proche, la politique libérale en Occident . Ensuite, l'accumulation de
problèmes internes comme les crises économiques, la corruption des dirigeants présumée ou
avérée, permettent à ces groupes politiques de contestations d’accroître leur force sur la scène
publique. Enfin, la puissance déstabilisatrice leur offre un soutien indirect afin de faire grossir
la crise politique et d’affaiblir la puissance affectée par les tensions intérieures.
À cette fin, la Russie et les États-Unis instrumentalisent, les crises pour assurer une issue
conforme à leurs intérêts. Pour Washington, c'est la promotion du modèle occidental qui prime
au travers des ONG et des partenariats (/a1). Pour Moscou, ce sera la défense de la souveraineté
et du multilatéralisme (/a2).

Page 81
1- l'influence occidentale des États-Unis dans l'étranger proche russe 

L'action américaine est une application de l'impérialisme culturel, suivant la doctrine de


Madeleine Albright élaborée en tant que secrétaire d’État de la présidence Clinton.275 Cette
politique de démocratisation est partagée par les républicains américains et tout
particulièrement par les néoconservateurs. La promotion de mouvements révolutionnaires
visant à mettre en place des régimes démocratiques, du moins en théorie, va devenir un élément
de la politique extérieure américaine. A travers cette action, les États-Unis visent à ériger un
monde qui leur soit plus favorable : avec la démocratie propagée, le monde deviendrait plus sûr
car les démocraties ne se font pas la guerre selon Wilson. Cette stratégie repose avant tout sur
l'utilisation de forces locales soutenues par les ONG. L’organisation étudiante Pora qui a joué
un rôle important dans la révolution d'orange en 2004 a ainsi bénéficié du financement de
plusieurs d'entre elles.276
Les ONG ont, dans cette stratégie globale américaine, pour rôle de créer un espace public
favorisant la légitimité du nouveau pouvoir. 277 Cette doctrine a été tout particulièrement
employée en Ukraine. Les ONG américaines ont assurément un rôle dans les révolutions de
couleurs. En effet, la Free dom House en coopération avec le NDI278 et l'IRI, lança en 2004 un
programme "Citizen Participation in Elections in Ukraine" consistant à surveiller les élections
ukrainiennes du 26 décembre 2004.279 L'Open Societies va elle aussi être présente dans ce pays.

275 « Les origines de ce concept sont à rechercher dans la période Clinton. Sa secrétaire d’État Madeleine
Albright a opéré une division du monde en quatre catégories d’États : « les pays industriels avancés, les
démocraties émergentes, les « rogue states » (États voyous) et les « failed states » (États en faillite). La première
catégorie constitue les « alliés naturels » car les démocraties, d’après l’expression de Wilson, ne peuvent pas se
faire la guerre. La deuxième catégorie (démocraties émergentes) représente la cible de l’action de
démocratisation : cette catégorie réunit entre autres l’Ukraine et la Géorgie. Les troisièmes (États voyous) doivent
être combattus, leurs régimes sont considérés comme illégitimes. Les quatrièmes (États en faillite) doivent être
aidés, comme c’est le cas de l’Afghanistan. »
Avioutskii, Viatcheslav, ‘La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique’, Op. Cit. p.85-86.
276 Avioutskii, Viatcheslav, ‘La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique’, Hérodote, 2008,
p.78-79 .
277 « Les coalitions d’ONG constituent une de ces nouvelles formes d’institutions qui participent à la
construction de la légitimité du pouvoir en s’associant à l’observation électorale, devenue un élément
incontournable de la vie politique de ces pays. » .
Petric, Boris, ‘À propos des révolutions de couleur et du soft power américain’, Hérodote, n° 129 (2008),
p.15.
278 Avioutskii, Viatcheslav, ‘La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique’, Op. Cit. p.81.
279 « The European Network of Election Monitoring (ENEMO)...ENEMO, working in cooperation with
Freedom House, the National Democratic Institute, and the International Republican Institute »
‘Democracy Triumphs in Ukraine | Freedom House’ <https://freedomhouse.org/article/democracy-
triumphs-ukraine> [accessed 20 September 2017].

Page 82
Grâce à l'International Renaissance Foundation 280 qui en est membre, elle va encourager
localement l'Ukraine à aller vers l'intégration européenne281 en s'appuyant sur des groupes non
gouvernementaux ukrainiens282. Lors du « printemps orange » de 2004, l'Open Societies fut
présente au même titre que la NED et la Free dom House283.Georges Soros a reconnu dans une
interview de CNN que sa fondation a joué un rôle important dans les événements de Maidan en
2014284.
C'est ainsi au travers d'une combinaison subtile d'éléments de la société civile locale et
d'organisations américaines que les États-Unis profitent des crises afin de développer la
propagation de leur modèle.

2 : L'utilisation des anti-libéraux par la Russie :

L'Union soviétique possédait durant la guerre froide de vastes réseaux d'influence auprès des
formations et partis communistes et socialistes, même si certains avaient choisi de ne pas
s'aligner sur Moscou. Ces organisations étaient financées par Moscou et suivaient
idéologiquement la ligne de celle-ci, via des élites qui entretenaient des liens avec les officiels
soviétiques. Avec la chute de l'Union soviétique, les moyens pour maintenir ces réseaux ont
disparu. Aussi, quand les tensions sont peu à peu revenues entre la Russie et l'occident, Moscou

280 « It is part of the Open Society Foundations network established by investor and philanthropist George
Soros. »
‘International Renaissance Foundation’ <http://www.irf.ua/en/about/irf/> [accessed 20 September 2017].
281 « We promote European integration of Ukraine through the support of civil society initiatives, aimed at
strengthening the influence of civil society on EU-Ukraine relations. »
Ibid.
282 « The foundation works with leading Ukrainian nongovernmental groups to engage them in developing
a shared public policy agenda for the country, catalyze initiatives that address corruption, and prevent
backsliding from democratic reforms.»
Ibid.
283 « L’opposition a pu compter sur l’aide des ONG et fondations occidentales « spécialisées » en révolutions
de velours telles Freedom House et la fondation Open Society Institute de George Soros »
Avioutskii, Viatcheslav, ‘La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique’, Op. Cit. p.73.
« Ukraine had benefited from more than a decade of civil-society development, a good deal of it nurtured
by donor support from the United States, European governments, the National Endowment for Democracy, and
private philanthropists such as George Soros »
Karatnycky, Adrian, ‘Ukraine’s Orange Revolution’, Foreign Affairs, 1 March 2005 .
284 « SOROS: Well, I set up a foundation in Ukraine before Ukraine became independent of Russia. And
the foundation has been functioning ever since. And it played a — an important part in events now. »
‘CNN Press Site Soros on Russian Ethnic Nationalism «’
<http://cnnpressroom.blogs.cnn.com/2014/05/25/soros-on-russian-ethnic-nationalism/> [accessed 20 September
2017].

Page 83
a choisi une stratégie différente. La Russie, n'ayant plus les moyens de concurrencer les États-
Unis en matière d'influence et les tensions restants faibles comparées à la guerre froide, va
mener une stratégie de perturbation en se basant sur l’anti-américanisme et les mouvements
politiques sensibles à ce thème.

Le Kremlin va d'abord garder des liens avec la gauche antiaméricaine et/ou anti-libérale en
occident. Dans les faits, une partie de la gauche socialiste, ayant pris ses distances avec les
sociaux-démocrates, reprend le discours russe par opposition au modèle libéral occidental et à
l'occident. Les principales figures en Europe sont : Jean-Luc Mélenchon en France, Jeremy
Corbyn en Angleterre, Tsipras en Grèce, et le parti die Linke en Allemagne.
Tous ont en commun un programme anti-libéral et étatique à forte composante socialiste. Leur
raisonnement est globalement identique. Ils critiquent la politique interne de Vladimir Poutine
et les aspects autoritaires du régime mais rejoignent le discours de Moscou en matière de
politique internationale en opposition à l'action de l'OTAN et de ses membres, et tout
particulièrement celle des États-Unis. Il s'agit principalement d'une concordance d’intérêts.
L'avantage pour la Russie est de n'avoir besoin que de peu d'investissement pour véhiculer un
discours favorable, car cette gauche dure la rejoint d'elle-même. Cela s'explique, en partie, par
une vision historique liée à la guerre froide de la Russie antiaméricaine.

La nouveauté dans la politique d'influence russe est l'investissement dans la droite conservatrice
eurosceptique et antiaméricaine. 285 Comme avec l'eurasisme, l'administration Poutine utilise
une dimension civilisationnelle pour créer un discours fédérateur à la fois au sein de la Russie
mais aussi à l'étranger, dans but de rassembler toutes les mouvances ultra-conservatrices (voire
religieuses) critiquant le modèle occidental sous l'étendard russe. Cela consiste en la promotion
des thèmes que la politique russe applique en interne, principalement après le tournant
conservateur de 2012, qui sont principalement la protection de la vision traditionnelle de la
famille, la place importante de la religion dans les sociétés et le rôle de la patrie. 286 Cette
politique appliquée aussi bien au Moyen-Orient, auprès de certains États musulmans, qu'en

285 Limonier, Kevin, and Maxime Audinet, ‘La stratégie d’influence informationnelle et numérique de la
Russie en Europe’, Hérodote, 2017, 133.
286 «C’est la dimension franchement conservatrice de la doctrine Poutine : la priorité du spirituel sur le
matériel, le respect des traditions familiales et religieuses, le travail, le service à la patrie, la morale et l’éthique,
l’humanisme, la solidarité et la justice sociale »
Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale p.13.8

Page 84
Europe voire aux États-Unis vise à créer une « internationale réactionnaire287 » autour de la
Russie.
Le rapprochement idéologique basé sur un discours anti-élite occidentale, eurosceptique et
conservateur socialement permet à Moscou de trouver des partisans politiques en occident,
comme l'Afd (Alternativ fur Deutschland) en Allemagne, la Lega Norde en Italie, le Front
national en France.
Même si la frontière entre les « gaullistes » précités et la droite réactionnaire souverainiste est
ténue288, cette dernière, tout comme la gauche dure, se rapproche de la Russie plus par le rejet
de l'image diffusée par l'occident que par une adhésion à la politique du gouvernement russe,
celui-ci ayant une pratique éloignée d'un certain nombre d'idées des partis souverainistes et de
la gauche antilibérale. L'influence civilisationnelle à travers ces partis politiques obéit
davantage à une logique symbolique.
L'utilisation de ces groupes politiques à des fins de perturbations s'accompagne d'une campagne
médiatique s'appliquant à discréditer l'adversaire. (B)

B - Discréditer l'action et la politique adverse : la réactualisation d'ancienne


stratégies par les nouvelles technologies

Les enjeux liés aux médias de masses existaient déjà au XXIème siècle mais l'émergence des
nouvelles technologies amplifie le phénomène289 En effet, selon la doctrine réaliste, la politique
internationale ne doit pas tenir compte de l'opinion interne sous peine d'avoir une vision trop
basée sur le court terme qui donnerait l'avantage à un adversaire s'appuyant, lui, sur une
approche à long terme. Cependant comme l'explique Pascal Boniface290, l'opinion publique a

287 Cette « internationale » pourrait aussi être nommée conservatrice. Néanmoins, l'élément dominant dans
les discours russes et formations politiques proches de ses valeurs trahissent un positionnement lié au rejet clair
du système occidental et du progressisme.
288 Le cas du premier ministre hongrois Viktor Orban est équivoque sur ce point : la politique de son second
mandat est une réaction à celle de l'Europe de l'ouest, ce qui le met du côté des réactionnaires, mais il s'oppose à
une sortie de l'UE, et n'est pas totalement antiaméricain le rapprochant des positions gaullistes.
289 « La nouveauté, en notre siècle — nouveauté qu'impliquent nos mœurs démocratiques —, c'est que les
masses ne sont pas moins visées que les minorités dirigeantes par les paroles et les porte-parole des Etats offensifs.
Chacun des camps, chacun des géants s'efforce de convaincre les gouvernés, de l'autre côté de la ligne de
démarcation, qu'ils sont exploités, opprimés, abusés. La guerre des propagandes et des radios marque la
permanence du conflit entre les Etats et le recours sans trêve aux moyens de pression. ».
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p.70.
290 Boniface, Pascal, ‘Guerre et opinion publique : communiquer, informer, désinformer’, Hermès, La Revue,
2014, 68–73.

Page 85
un rôle indispensable dans la décision politique, alors qu'elle était dans les siècles précédents
un élément secondaire de la politique internationale et n'avait qu'un rôle de soutien. Une
décision politique prise dans un pays où l'opinion est contre n'aura pas les résultats escomptés.
Dès lors, il devient essentiel pour les dirigeants d'avoir l'opinion publique de leur côté pour les
décisions internationales, aussi bien leur opinion publique que l'opinion publique étrangère.
L'exemple irakien a montré comment l'impopularité internationale a conduit les Américains à
douter du bien fondé et du bénéfice qu'ils pourraient tirer de la guerre en Irak.
Décrédibiliser l'adversaire et le bienfondé de sa politique est un donc un outil de propagande.
Cette stratégie agressive repose principalement sur la désinformation qui se base sur des
tactiques antérieures à la réémergence des tensions entre la Russie et les États-Unis (1) mais
qui va gagner en puissance grâce aux nouveaux vecteurs d'informations (2).

1 l’application des méthodes classiques de propagandes

Il existe un grand nombres de méthodes de propagande291. Dans le cas des propagandes russe
et américaine certaines d'entre elles dominent.

La première méthode utilisée est la diabolisation de l'adversaire292 par le développement d'un


discours manichéen afin de simplifier un contexte et une situation politique complexe. Les
situations de politique internationale sont liées à de nombreuses causes mais aussi à des intérêts
moins avouables politiquement. Par conséquent, un discours manichéen offre une vision facile
à comprendre pour l'opinion publique et permet de détruire la réputation de l'adversaire. Dans
les faits les raccourcis rhétoriques sont une des méthodes employées. L'adversaire devient ainsi
un bouc émissaire. C'est ainsi que le président russe Poutine sera comparé en occident à Hitler293

291 Fr.-B, Huyghe, maÎtres du faire croire: De la propagande à l’influence Op. Cit..
292 Limonier, Kevin, and Maxime Audinet, ‘La stratégie d’influence informationnelle et numérique de la
Russie en Europe’, Hérodote, 2017 p.113-120.
293 Rucker, Philip, ‘Hillary Clinton Says Putin’s Actions Are like “what Hitler Did Back in the ”30s’’,
Washington Post, 5 March 2014, section Post Politics <https://www.washingtonpost.com/news/post-
politics/wp/2014/03/05/hillary-clinton-says-putins-action-are-like-what-hitler-did-back-in-the-30s/> [accessed 29
September 2017].
Weaver, Matthew, ‘Prince Charles’s Putin-Hitler Comparison Is Outrageous, Says Russia’, The
Guardian, 22 May 2014, section World news <http://www.theguardian.com/world/2014/may/22/prince-charles-
putin-hitler-outrageous-russia> [accessed 29 September 2017].

Page 86
en assimilant l'action en Ukraine et en Crimée à la politique d'espace vital de ce dernier. Dans
une moindre mesure il sera aussi comparé à Staline294. À l'inverse, les médias russes reprendront
et diffuseront les propos de personnalités comparant les États-Unis à des terroristes295 ou à un
totalitarisme capitaliste. 296 Il s'agit d’émettre une opinion de valeur sur l'adversaire pour le
présenter comme malveillant dans l'esprit populaire.

La seconde méthode utilisée est l’exagération : prendre un fait réel et exagérer sa portée et son
importance pour créer une version d'un événement qui sera défavorable à l'adversaire. Ce que
l'on appelle le complotisme repose souvent sur ce principe : l'extrapolation de certains faits ou
de détails pour en faire le seul élément et la seule cause. Par exemple, la Russie utilisa la
présence et le rôle réel de l’extrême droite, le mouvement néonazi Svoboda et la milice Pravy
sektor, lors des événements de Maidan297, aussi bien au sein du parlement ukrainien298 que sur
le terrain avec le régiment Azov299, pour réduire tout le conflit ukrainien à une opposition entre
la Russie et les fascistes soutenus par les États-Unis. À l'inverse, la présence de l'influence russe
et de ses réseaux, qui sont bien réels, amène une partie des médias et d'hommes politiques
occidentaux à considérer comme agent de la Russie toute personne ayant une position non
opposée à la Russie, ce qui est parfois perçu comme une forme plus nuancée de
maccarthysme. 300 Ces discours fonctionnent d'autant mieux que le camp adverse refuse ou
minimise la reconnaissance de la partie réelle des faits. Les États-Unis et les médias occidentaux
n'ont que peu parlé de la présence fasciste en Ukraine, tout comme la Russie refuse de

294 ‘Stalin Rises Again over Vladimir Putin’s Russia’, The Independent, 2016
<http://www.independent.co.uk/news/world/europe/stalin-rises-again-over-putins-russia-six-decades-after-his-
death-a6893826.html> [accessed 29 September 2017].
295 ‘Noam Chomsky Calls US “World”s Leading Terrorist State’’, RT International
<https://www.rt.com/usa/202223-noam-chomsky-global-terror/> [accessed 29 September 2017].
296 ‘“Surveillance Capitalism, Robot Totalitarianism”: Oliver Stone Lashes out at Pokemon Go’, RT
International <https://www.rt.com/usa/352782-pokemon-snowden-oliver-stone/> [accessed 29 September 2017].
297 Umland, Andreas, ‘A Typical Variety of European Right-Wing Radicalism?’, Russian Politics and Law,
51 (2013), 86–95 .
298 D, Xavier, ‘Etat Des Lieux Des Neo Nazis Au Pouvoir a Kiev’, Club de Mediapart
<https://blogs.mediapart.fr/xavier-d/blog/020314/etat-des-lieux-des-neo-nazis-au-pouvoir-kiev> [accessed 29
September 2017].
‘Yes, There Are Bad Guys in the Ukrainian Government’, Foreign Policy
<https://foreignpolicy.com/2014/03/18/yes-there-are-bad-guys-in-the-ukrainian-government/> [accessed 29
September 2017].
299 Brewster, Murray, ‘Ukraine: le régiment Azov exclu de l’entraînement canadien’, La Presse, juin 2015
http://www.lapresse.ca/international/dossiers/ukraine/201506/26/01-4881215-ukraine-le-regiment-azov-exclu-
de-lentrainement-canadien.php.
300 ‘The McCarthyism of Russia-Gate’, Consortiumnews, 2017
<https://consortiumnews.com/2017/05/07/the-mccarthyism-of-russia-gate/> [accessed 29 September 2017].

Page 87
reconnaître qu'elle cherche à perturber l'occident via ses liens d'influence. À la fin, ce
complotisme réussit en utilisant les faiblesses de l'autre.

Enfin, l'utilisation de l’émotionnel s'avère également efficace. Cette méthode de manipulation


classique est liée à l'utilisation de l'image. Il s'agit de montrer des images et des vidéos chocs
d'un événement pour pousser à réagir et à accuser le responsable de manière déraisonné.
Cette méthode a été fortement utilisée par l'occident et la Russie dans le traitement du conflit
syrien : photos d'enfants morts301 et blessés par les frappes du gouvernement syrien, allié des
Russes, pour les médias occidentaux et par les rebelles, dont un certain nombre de groupes
alliés aux États-Unis, pour les médias russes.

La puissance de ses méthodes est amplifiée par les réseaux sociaux. L'opinion publique déjà
sensible va surenchérir sur cette propagande de désinformation (2).

2 - L'utilisation des réseaux sociaux à des fins de déstabilisation

L’émergence d'internet et des réseaux sociaux modifie les modes d'actions de la propagande :
ces nouveaux médias changent la scène politique interne et internationale ainsi que la manière
de communiquer. Ceux-ci répondent à plusieurs caractéristiques : les réseaux sociaux offrent
une forte interconnexion qui dépasse les frontières et les distances géographiques. Ils permettent
ainsi d'avoir des échanges d'informations avec des régions très éloignées. Ils sont également
décentralisés : il n'y a pas de structure particulière dans les réseaux sociaux et dans l'internet. Il
existe certes les grands leaders de l'informatique et du numérique qui sont les géants américains
comme Google, Facebook ou Apple302 et à une échelle moindre Vkontakte, l’équivalent de
Facebook en Russie, mais il reste extrêmement facile de créer un site, en utilisant des
prestataires de services, ce qui permet à une très large majorité de la population de créer « du
contenu ». De ce fait, les réseaux sociaux constituent des lieux d'échange d'informations, toute
personne connectée pouvant commenter et émettre une opinion. Enfin, ils fournissent un

301 Augé, Etienne, Petit traité de propagande : A l’usage de ceux qui la subissent Op. Cit. 112.
302 C'est trois entreprises font parties de ce que l'on appelle les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon)
ou GAFAM (si l'on y inclus Microsoft), qui désigne les plus grandes entreprises numériques americaines dominant
le marché informatique.

Page 88
nombre incalculable d'informations et de données (le Big data). Ainsi toute personne connectée
à internet peut avoir un rôle plus actif dans l'information à la fois en tant que receveur mais
aussi en tant que créateur. Cette situation engendre une concurrence vis-à-vis des médias
traditionnels qui vont devoir s'adapter.

Dans la relation entre les États-Unis et la Russie, c'est cette dernière qui va être bénéficiaire de
cette situation en matière de propagande. Les médias gouvernementaux russes utilisent en effet
massivement les réseaux sociaux afin de contester la primauté des médias occidentaux qui
diffusent sur des canaux plus traditionnels (télévision, presse écrite). Moscou, n'ayant pas les
moyens de concurrencer ceux-ci, adopte une posture de contournement avec les nouvelles
technologies numériques, ces dernières s'avérant un outil de transformation sociale voire de
révolution, comme le montre les printemps arabes.
De par la nature autoritaire du régime russe et des mécanismes médiatiques internes, 303 il est
difficile aux propagandistes américains de percer sur les réseaux sociaux en Russie. A contrario,
il est difficile pour les États-Unis de se prémunir de l'influence russe grâce à la censure sous
peine d'une réaction hostile de l'opinion publique.

La Russie met en exergue, à travers ceux-ci, les failles politiques de l'Occident. Les médias
étatiques et les officiels russes en présentent une image négative en se concentrant sur les crises
et les mouvements sociaux en Europe et aux États-Unis.304 La récupération de l'affaire Snowden
par le gouvernement russe s'inscrit aussi dans cette démarche. La stratégie d'influence
numérique russe se sert en effet des informations diffusées par Snowden concernant la
surveillance de masse pour contester le quasi-monopole des GAFA, du fait que ces derniers
soient liés aux agences de renseignement américaines,305 mais aussi pour mettre les États-Unis
devant leurs contradictions en matière de respect des normes démocratiques306 et ainsi affaiblir
leur influence auprès de leurs alliés traditionnels européens touchés par l'espionnage. Si cette

303 Kondratov, Alexander, ‘La couverture des événements ukrainiens de l’hiver-printemps 2014 dans les
réseaux sociaux russes’, Cahiers Sens public, 2014, 169–91.
304 « L’agence se concentre principalement sur la couverture de conflits (Ukraine, Syrie, avec utilisation de
drones), de mouvements de contestation (opposition à la loi El Khomri et Manif pour tous en France, mouvements
Pegida en Allemagne et Black Lives Matter aux États-Unis) ».
Limonier, Kevin, and Maxime Audinet, ‘La stratégie d’influence informationnelle et numérique de la
Russie en Europe’, Hérodote, Op. Cit. p.129-130.
305 Ibid 135.
306 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde, Op. Cit. 140-142.

Page 89
affaire dépasse le domaine des réseaux sociaux, ces derniers ont néanmoins servi de vecteur de
diffusions. Plus que du « soft power », la Russie utilise une stratégie de « sharp power ». Selon
le professeur Nye : « Là où le soft power exploite le rayonnement culturel et les valeurs pour
développer la puissance d’un pays, le sharp power consiste pour les régimes autoritaires à
imposer un comportement au niveau national, et à manipuler l’opinion à l’étranger. »307 Il ne
s'agit plus de promouvoir un modèle mais de perturber celui de l'adversaire.

Quand bien même la Russie possède ses propres réseaux sociaux avec Vkontact ou Yandex.ru
la propagande russe est largement diffusée sur les réseaux occidentaux. Là encore, malgré une
volonté affichée des GAFA de lutter contre ce phénomène, le résultat reste pour l'instant peu
probant et les moyens difficiles à mettre en œuvre sans une censure qui serait contreproductive
et renforcerait la Russie. En effet, dans des pays occidentaux garantissant la liberté d'expression,
la limiter n'est guère acceptée par l'opinion publique : quand bien même des motifs légitimes
sont invoqués, la crainte que la censure s'étende et se fasse en faveur d'agenda politiques fait
qu'une telle mesure suscite une forte méfiance. Cette dernière est en outre alimenté par les
révélations des lanceurs d'alerte comme Wikileaks et Snowden. Or c'est précisément l'utilisation
du doute que la Russie sait utiliser.

Avec l'utilisation de l'influence, les États-Unis et la Russie ont recours à des éléments des
idéologies nationales à des fins impérialistes. L'universalisme libéral américain d'un côté et
l'alternative civilisationnelle russe de l'autre servent à assurer l’adhésion à l'agenda politique
des gouvernements en interne mais aussi dans l'aire d'influence adverse. La présence des
nouvelles technologies et du contexte mondialisé rend cette lutte d'influence plus complexe et
plus diffuse que pendant la guerre froide.

307 Nye, Joseph S., ‘Le soft et le sharp power de la Chine | by Joseph S. Nye’, Project Syndicate, 2018 .

Page 90
Conclusion du chapitre 1

Ainsi les idéologies contribuent à former les stratégies de puissance des États-Unis et de la
Russie. Comme le rappelle Aron : « La conduite extérieure des États n'est pas commandée par
le seul rapport des forces : idées et sentiments influent sur les décisions des acteurs. »308
La Russie comme les États-Unis ont développé des cultures nationales basées sur un fort
exceptionnalisme : pour la première il repose sur un particularisme là où pour la seconde il tend
vers l'universalisme. Ces cultures forment le cadre de l'action des dirigeants des deux camps
créant ainsi un rapport de force qui évolue en fonction des événements.
Ce rapport de force tend vers un point d'équilibre qui se manifeste par la création ou plutôt la
recréation de deux « grands espaces » dans lesquels les deux États vont chercher à conserver et
développer leur puissance : l'Europe « Otanienne » pour les États-Unis, l'étranger proche pour
la Russie.

Dans ces deux espaces, la puissance dominante joue des méthodes d'influence pour créer une
véritable adhésion à son agenda politique et réduire celle de l'adversaire. De même, elle réduit
le soutien interne de l'adversaire par une influence s’exerçant sur le territoire sous emprise
opposée tout en propageant la sienne. Cette politique s'inscrit en soutien d'une politique
étrangère plus globale qui répond directement aux intérêts nationaux des deux puissances.

L'ordre mondial qui se développe depuis la fin de la guerre froide est utilisé par les deux camps.
Plus précisément, les organisations internationales de coopération servent aussi bien les États-
Unis que la Russie à renforcer leurs zones d'influences (chapitre 2)

308 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. P,108.

Page 91
Chapitre 2 : l'instrumentalisation des alliances et
des organisations de coopération
Le concept d'espaces et de zones d'influence est un thème récurrent chez les théoriciens des
relations internationales. Du fait de l'état d'anarchie de la scène internationale, des pôles de
puissances se forment. Ces thèmes se retrouvent chez un certain nombre d'auteurs : aires
civilisationnelles de Samuel Huntington309, grossraum (« grand espace) de Carl Schmitt310. Ces
espaces internationaux qui s'inspirent de la conception développée de la doctrine Monroe
reposent sur des fondations proches : un espace marqué par une culture homogène, idée reprise
par Raymond Aron et un État phare qui dirige cet espace de manière plus ou moins
hégémonique. Si cette vision est, chez Carl Schmitt et Samuel Huntington, fortement connotée
aux idées politiques des auteurs, il n'en reste pas moins qu'elle garde une forte pertinence et
offre une grille de lecture intéressante de l'organisation de la scène internationale. Les
organisations internationales vont permettre d'organiser ces pôles de puissances. Selon
Raymond Aron, les États partageant les mêmes valeurs et les mêmes cultures s'unissent autour
de systèmes homogènes. 311 Dans le contexte contemporain mondialisé c'est par une forme
institutionnalisée à travers diverses organisations intergouvernementales que ces systèmes vont
se construire. Mais les États étant inégaux en termes de puissance et de poids sur la scène
internationale, des centres de gravité se créent au sein de ces organisations en faveur de certains
États : le pays le plus puissant au sein de l'organisation devient le dominant. Les États-Unis et
la Russie ayant établi avec leur politique des zones d'influence, si pour les États-Unis
l'organisation servant l'espace americano-centré est toute trouvée avec l'OTAN (A), pour la
Russie cela va être plus complexe. Cette dernière, héritant d'un empire disloqué, va chercher à
reconstruire son espace, son « étranger proche », et même s'aider d'autre bloc de puissance non
américanisé à savoir le monde islamique et asiatique. (B)

309 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations, Op. Cit..


310 Schmitt, Carl, Le nomos de la Terre, 2nd edn (Paris: PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF,
2012).
311 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p.106.

Page 92
L'instrumentalisation des organisations internationales par les deux États va suivre la logique
du rapport de force développé dans la première partie de la thèse.

Section 1 : l'OTAN et ses partenariats : entre outil de contrôle régional et


d''influence globale :

Le potentiel d'influence et de puissance qu'ont les États-Unis au sein de cette organisation est
important. Washington, en tant que première puissance mondiale, à la fois politique,
économique, militaire à partir des années 1990, utilisera l'OTAN et ses partenaires dans le cadre
d'une stratégie visant à défendre ses intérêts et plus précisément à conserver et étendre sa
puissance. Outil créé pour lutter contre l'URSS, l'existence et le rôle de l'organisation ont fait
débat aux États-Unis après l'effondrement du bloc soviétique. Bien que le poids financier de la
contribution américaine de l'alliance soit un sujet récurrent amenant une volonté de prise de
distance, il est aussi vu comme un atout car il permet aux États-Unis une marge de manœuvre
au sein de l'organisation majeure. Aussi s’il existe un consensus dans le monde politique
américain sur le fait de conserver l'OTAN, son rôle fait débat.312 La politique des États-Unis
vis-à-vis de l'OTAN suit deux axes. Une première consistant à renforcer et garder le contrôle
du continent européen afin de conserver la zone d'influence des États-Unis. (§1) Une seconde
plus offensive qui voit dans l'OTAN un outil de propagation de la puissance américaine à une
échelle extra-européenne (§2)

312 A ce sujet voir l'étude faite par le professeur Kristina Klinkforth qui va étudier la vision de l'OTAN aux
Etats-Unis au XXIème siècle à travers les thinks tank démocrates, conservateurs, néoconservateurs et libertariens.
Il en ressort que les libertariens têtes de file de l’isolationnisme souhaitent une sortie de l'OTAN, les
néoconservateurs la voit comme un outil politique de domination, les démocrates comme un outil de promotion
des valeurs démocratiques et les conservateurs comme un outil de contrôle de l'Europe.
Klinkforth, Kristina, NATO in US Policymaking and Debate - an Analysis: ‘Drawing the Map’ of the US
Think Tank Debate on NATO Since 9/11 (Osteuropa-Inst., 2006).

Page 93
§1 : L'OTAN en Europe : un moyen pour les États-Unis de conserver un contrôle
régional :

A/Un intérêt américain en Europe motivé par des valeurs communes : la dimension
culturelle de l'OTAN :

L'OTAN s'est initialement forgée dans un contexte politique historique dont certains éléments
perdurent et subsistent après la fin de la guerre froide (1) ; cette situation politique reposant sur
des valeurs occidentales a favorisé une conjoncture permettant aux États-Unis d'établir via
l'OTAN une nouvelle doctrine Monroe en Europe. (2)

1 Un contexte favorisant le maintien d'alliance culturelle transatlantique

Ce qu'Henry Kissinger appelle le monde des démocraties313 consiste en régimes démocratiques


ayant une économie ouverte reposant sur le libéralisme économique. Cette approche quelque
peu « civilisationnelle », qui sera par ailleurs reprise par Samuel Huntington, n'est pas sans
fondement. Si la lutte contre l'Union soviétique fut la raison pratique de la création de l'OTAN,
certaines causes sont plus profondes.
Le préambule du traité Atlantique nord précise : « Déterminés à sauvegarder la liberté de leurs
peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie,
les libertés individuelles et le règne du droit ». Cette conception de l'OTAN montre tout l'aspect
culturel et civilisationnel de l'alliance. La participation des États-Unis aux guerres mondiales a
fait de ces derniers, une puissance s'inscrivant dans la géopolitique européenne. Le Royaume-
Uni et la France furent, à l'époque de la gestation de l'OTAN, les instigateurs de la présence des
États-Unis dans la formation de la future alliance.314 Le souhait d'un partenariat transatlantique
était donc partagé des deux côtés de l'océan.

313 Kissinger, Henry, Does America Need a Foreign Policy? : Toward a Diplomacy for the 21st Century, 1st
edition (New York: Simon & Schuster, 2002), p.32.
314 « Ce sont les diplomaties britannique et française, avec Ernest Bevin et Georges Bidault, qui insistent
plus particulièrement sur la nécessité d’un « système de sécurité atlantique », et la négociation entre les États
ouest-européens du traité de Bruxelles (17 mars 1948) s’inscrit dans cet objectif. »
Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical
phenomenon’, Hérodote, 2012, p.220.

Page 94
Raymond Aron décrit cette tendance comme étant le résultat des événements de la première
moitié du XXème siècle.315 Le développement du concept de sécurité collective et la protection
contre l’agression en tant que fait politique316 furent au centre de la création de l'alliance. Avec
ce partenariat transatlantique, les États occidentaux devaient s'unir afin d'éviter de nouvelles
tensions internes menant à des guerres. Ce dessein sera aussi mis en avant lors de la création de
l'Union européenne, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l'OTAN quand la construction
européenne se développera.
Ces raisons font du lien transatlantique un phénomène plus complexe que la simple lutte contre
l'URSS. En cela, l'OTAN diffère des alliances classiques qui l'avaient précédée.

Cette dimension politique et culturelle a permis à l'OTAN de perdurer après la guerre froide.
Comme le soulignent l'ancien secrétaire d’État américain Henry Kissinger et l'ancien secrétaire
au trésor des États-Unis Lawrence Summers, les États-Unis et les États d'Europe membres de
l'OTAN partagent toujours les idéaux et les intérêts qui les ont poussés à rester unis après la
guerre froide et au XXIème siècle,317 basés sur la démocratie et le libéralisme. Le Canada et les
États-Unis sont après tout d'anciennes colonies européennes et le lien reste fort. À cela, ces
auteurs ajoutent qu'ils se sont alliés plusieurs fois face au totalitarisme d'abord contre le
fascisme puis contre le communisme de l'URSS et de ses alliés. 318 Les liens économiques,
reposant sur une économie de marché basée sur des règles globalement similaires, qui se sont
développées et accentuées entre les deux continents sont un autre facteur de vision commune.

315 « Le pacte de l'Atlantique a été une réplique classique à une démarche classique. De même que la France
avait souhaité, après la Première Guerre, une garantie anglo-américaine parce que la participation des deux
puissances anglo-saxonnes avait été nécessaire à la victoire, de même les Etats d'Europe occidentale souhaitèrent
un engagement américain, dès le temps de paix, parce que les Etats-Unis avaient décisivement contribué à la
libération du Vieux Continent. Le pacte de l'Atlantique Nord, il est vrai, envisageait l'agression non plus de
l'ennemi mais de l'allié de la veille. Il n'en était pas moins l'expression d'une pensée conforme aux précédents.
Désormais la République américaine appartenait intégralement au système européen. Elle avait un intérêt vital,
manifesté par deux fois, à prévenir l'établissement sur l'ensemble de l'Europe d'une hégémonie ou d'un empire,
que le César fût brun ou rouge. Entrant dans l'avenir à reculons, les hommes d'Etat étaient enclins à croire que
le pacte de l'Atlantique Nord éviterait la prochaine guerre puisque, s'il eût existé, il aurait probablement évité la
précédente. La constitution, après le déclenchement de la guerre »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit., p.379.
316 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical
phenomenon’, Hérodote, Op. Cit.2012, p.220.
317 Kissinger, Henry, Charles Kupchan, and Council on Foreign Relations, Renewing the Atlantic
Partnership: Report of an Independent Task Force Sponsored by the Council on Foreign Relations (Council on
Foreign Relations Press, 2004).
318 « Europe and the United States must ensure that they remain embedded in a zone of democratic peace
and that the nations ofthe Atlantic community are never again divided by balance-of-power competition. »
Ibid.

Page 95
La défense reste aussi un intérêt commun d'actualité. Ce fut l'élément principal qui a justifié la
création de l'OTAN : protéger l'occident face aux soviétiques. Toutefois, le concept de sécurité
commune ne nécessite pas obligatoirement un adversaire défini car il repose sur la lutte contre
le principe même d’agression. De ce fait, il découle des valeurs partagées car il s'agit d'assurer
leur survie face à un ennemi. Mais les auteurs incluent aussi dans ce domaine, la défense face
aux menaces politiques comme le protectionnisme économique et le nationalisme ; 319 le
premier ayant contribué à la dépression de 1930, le second à la montée du nazisme. Il en résulte
que l'idée de défense commune de l'OTAN repose sur la protection d'un modèle de pensée à la
fois contre un ennemi aussi bien extérieur qu'intérieur.
Enfin, la volonté de répandre les valeurs démocratiques et économiques basées sur le libre-
échange dans le reste du monde est aussi une valeur commune. 320 Ces éléments ont apporté la
paix et la prospérité dans la zone atlantique et les diffuser dans le reste du monde aura le même
effet. Cette conception liée à l'exceptionnalisme américain se retrouve d'ailleurs à des degrés
divers dans certains États d'Europe : la France à travers sa culture nationale de « patrie des
droits de l'homme » partage avec les États-Unis cette propension à propager sa culture et ses
valeurs à l'étranger.

Les intérêts communs entre les Européens et les Américains les ont poussés à se rapprocher et
à faire perdurer ce lien qui se résume à l'occidentalisme : l'Europe de l'Ouest et l’Amérique du
Nord reposent sur une conception occidentale du monde. Si le concept d'occident n'est pas
absolu et connaît des différences entre l'Amérique et l'Europe, les bases citées par le préambule
du traité de l'OTAN sont les mêmes. 321 En ce sens, l'occidentalisme devient une forme de
« civilisationnisme ».322

319 « NATO’s founders were fully aware of two potential dangers that had produced great wars in the past
and might yet do so in the future. One of these was aggressive nationalism, an old problem in Europe that had
culminated disastrously in the rise of Nazi Germany. The other was economic protectionism: the erection of
barriers to international trade, investment, and the stabilization of currencies, which had deepened the Depression
of the 1930s, thereby weakening the democracies just as they needed strength. »
Ibid.
320 « help other parts of the world, including the Arab and Islamic world, share in the benefits of democratic
institutions and market economies. »
Ibid.
321 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical
phenomenon’, Hérodote, Op. Cit., p.223.
322 L'occidentalisme est ainsi à la fois un universalisme dans le sens où il cherche à transmettre ses valeurs
dans le monde entier (par l'exemple, la coopération ou la force) mais aussi un civilisationnisme quand cette
philosophie politique devient un moyen pour créer une cohésion régionale.

Page 96
La dimension politique de l’OTAN s'est perpétuée après la guerre froide et a pris de l'ampleur
du fait de l'absence d'un ennemi militaire défini. L’Alliance occupe dès lors un rôle de maintien
du lien entre les États-Unis et l'Europe. De par l'importance du poids politique et économique
des États-Unis, ces derniers sont en position dominante dans l’OTAN. Elle devient ainsi un outil
d'influence privilégié pour Washington, et de ce fait le continent européen un espace où se
déploie une nouvelle « doctrine Monroe ».

2 : La tentation d'une « doctrine Monroe » américaine en Europe :


Avec la dimension politique et culturelle de l'OTAN, les États-Unis déploient leur puissance en
Europe d'une manière qui présente un certain nombre de points communs avec les politiques
qu'ils ont jadis mises en place sur le continent américain. Certes, les États européens sont d'une
autre nature géopolitique que les États d’Amérique centrale et latine : s'ils sont moins puissants
que les États-Unis certains d'entre eux comme la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne restent
encore des puissances majeures économiquement et militairement. Néanmoins, le statut
d'hyperpuissance des États-Unis les met dans une situation d'infériorité vis-à-vis de ces
derniers. L'OTAN permet aux États-Unis d'assurer ce que Bruno Colson appelle une
« hégémonie par invitation »323 du fait que cette hégémonie a été consentie à la création de
l'OTAN par les Européens.
De par leurs valeurs et intérêts communs, l'Europe et l’Amérique du Nord forment un bloc
culturel et politique sur un certain nombre d'aspects. En reprenant l'analyse de Samuel
Huntington, dans chaque région « civilisationnelle » du monde, un État phare domine celle-ci
et tend à attirer les autres États partageant les mêmes valeurs.324 Les États-Unis occupent cette
place au sein de l'occident. L’État phare occupe une fonction de direction et de coordination sur
la région culturelle.325 En ce sens la politique américaine que les États-Unis appliquent grâce à
l'OTAN en Europe présente des similitudes avec la doctrine Monroe : une région du monde qui

323 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical


phenomenon’, Hérodote, Op. Cit., p.219.
324 « Les pays tendent à se raccrocher à ceux qui ont une culture semblable et à faire pendant aux pays avec
lesquels ils n’ont pas d’affinités culturelles. C’est particulièrement vrai des États phares. Leur puissance attire
ceux qui sont culturellement semblables et repousse ceux qui sont culturellement différents. »
Huntington, Samuel, Le choc des civilisations Op. Cit.
325 « Un État phare peut exercer sa fonction ordonnatrice parce que les États membres le considèrent comme
culturellement proche. Une cilivisation est une famille étendue, et, comme les aînés dans une famille, les États
phares apportent à leurs proches soutien et discipline. »
Ibid.

Page 97
est sous influence des Américains et qui sert les objectifs sécuritaires des États-Unis.326 Certes,
dans le cas de l'Europe et de l'OTAN, les États-Unis ne prévoient pas d'utiliser des méthodes
similaires à celles de la politique du « big stick » du président Théodore Roosevelt, mais cela
n'est pas nécessaire car le lien culturel entre l'Europe et les États-Unis est plus fort qu'entre ces
derniers et l’Amérique latine et cette nouvelle doctrine Monroe est institutionnalisée avec
l'OTAN. Le professeur John Ikenberry précise que la puissance américaine à l'étranger ne peut
être acceptée que si elle est légitimée par des institutions.327 L'Alliance devient ainsi un outil
pour pérenniser la puissance américaine en Europe. C’est avec celle-ci que les États-Unis se
sont implantés durablement sur le « vieux continent » après la fin de la seconde guerre
mondiale.
La multipolarité croissante de la scène internationale, loin de diminuer l'importance du rôle de
l'organisation, rend cette dernière indispensable en tant qu'outil d'influence américaine.

Le facteur sécuritaire était l'une des raisons de la doctrine Monroe. L'OTAN revêt un aspect
similaire pour les États-Unis. Ces derniers, de par leur position géographique, voient leur
territoire métropolitain éloigné de la plupart des zones conflictuelles du XXIème siècle. Si l'on
reprend l'organisation du monde de Mackinder, les États-Unis se trouvent en dehors de « l'ile-
328
monde » composée des continents européen, asiatique et africain. Mais avec la
modernisation des méthodes de combat, des armements et avec l'interconnexion économique,
la distance géographique ne suffit plus à assurer la sécurité des États-Unis. Dès lors, l'OTAN
permet à Washington de conserver une base avancée près des zones à tensions.329 L'engagement
de l'alliance en Afghanistan, suite aux attentats du 11 septembre 2001, a eu pour but de satisfaire
cet objectif. Paradoxalement, il s'agira de l'opération la plus massive de l'OTAN depuis sa
création. L'ennemi soviétique et le pacte de Varsovie ne déclenchèrent pas d'opérations d'une

326 .Kervégan, Jean-François, ‘Carl Schmitt et « l’unité du monde »’, Les Études philosophiques, 2004, p.12.
327 « L’Amérique a ainsi tissé un réseau d’institutions connectant les autres États à un ordre économique et
de sécurité dominé par elle ; mais, réciproquement, ces institutions ont aussi lié les États-Unis aux autres États et
réduit, du moins dans une certaine mesure, la possibilité pour Washington de se lancer dans un exercice arbitraire
et aveugle de sa puissance. Le prix payé par les États-Unis a été la limitation de leur autonomie politique (…). En
contrepartie, ils ont pu évoluer dans un monde où la puissance américaine était plus contenue et plus fiable. »
Trépant, Inès, ‘L’évolution récente des relations transatlantiques’, Courrier hebdomadaire du CRISP,
2004, p. 28.
328 Mackinder, Halford John, Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of Reconstruction, Op.
Cit..
329 Trépant, Inès, ‘L’évolution récente des relations transatlantiques’, Courrier hebdomadaire du CRISP,
Op. Cit., p.32.

Page 98
telle envergure. L'instabilité croissante de la scène internationale redonne un objectif
stratégique à l'OTAN.
Le déploiement progressif du bouclier anti-missile américain, National Missile Defense
(NDM)330, en Europe s'inscrit lui aussi dans cet objectif. Ce projet qui a commencé à prendre
forme sous la présidence de George W. Bush en 2001 est officiellement orienté contre les
« États voyous » (« Rogue States ») notamment l'Iran. Mais un tel système, compte tenu de
l'emplacement des bases où est installé l'équipement du bouclier, peut aussi être utilisé contre
la Russie. Le doute sur les cibles est d'autant plus permis quand on observe le discours de
certains conseillers néoconservateurs proches du président Bush Jr qui voient dans le système
de bouclier antimissile, non pas un instrument de défense mais un outil de domination
mondiale.331 Washington choisit d'accomplir ce projet dans le cadre de l'OTAN dans le but
évident de lui assurer une légitimité et de présenter celui-ci comme étant une action collective.
L'organisation reste également intimement liée au commandement militaire américain : le
SHAPE, Supreme Headquarters Allied Powers Europe, qui gouverne les opérations de l'OTAN
est depuis sa création en 1950 dirigé par des généraux américains qui ont une double casquette.
En effet, outre leur fonction de généraux de l'alliance, ils commandent également les forces
américaines en Europe.
Indépendamment de la légitimité, c'est le partage du poids de la sécurité qui intéresse les États-
Unis. Le statut de puissance mondiale, d'hyperpuissance, a pour contrepartie une nécessité de
défense élevée. Celle-ci est d'autant plus forte que les États Unis veulent rester au cœur du
système international et, qu’étant donné leur puissance, ils sont des alliés clés en offrant aux
États européens, un soutien à la sécurité collective. Toutefois l'alliance permet de déléguer une
partie du « fardeau »332 politique aux alliés, Ce lien prend forme dans l'interopérabilité et la

330 Ce programme de défense est en fait né pendant la guerre froideavec la présidence Reagan sous le nom
Initiative de défense stratégique (IDS) ou Strategic Defense Initiative (SDI). Ce projet visait initialement à détecter
et détruire les missiles stratégiques (donc intercontinentaux à tête nucléaire) soviétiques. Ce projet aurait d'ailleurs
contribué à la chute de l'URSS en la poussant à une course à l'armement alors que l'économie interne de l'Union
était incapable de se réformer.
331 « In journals across the political spectrum, military analysts write approvingly of BMD. In the
conservative National Interest, Andrew Bacevich writes, “Missile defense isn’t really meant to protect America.
It’s a tool for global dominance.” To Lawrence Kaplan in the liberal New Republic, BMD is “about preserving
America’s ability to wield power abroad. It’s not about defense. It’s about offense. And that’s exactly why we need
it. »
Chomsky, Noam, Making the Future: Occupations, Interventions, Empire and Resistance (Penguin UK,
2012).
332 D'un point de vue économique, le partage du fardeau renvoie à des critères définis qui, en l'espèce, ne
sont pas avantageux pour les Etats-Unis et est l'une des principales raisons des volontés de prise de distance de
l'OTAN par les Etats-Unis.

Page 99
coopération politico-militaire de l'OTAN.333 La première permet de renforcer le lien militaire
et l'intégration entre les forces américaines et européennes, la seconde assure une gestion des
crises auxquelles l'organisation est confrontée lorsqu'elle opère.
La stratégie américaine en Europe se résume principalement à ce que Raymond Aron nomme
« la paix par l'empire ». 334 Les États-Unis assurent la sécurité des alliés européens en
contrepartie de quoi ces derniers doivent participer aux théâtres extérieurs américains. 335 Pour
autant l’ascendant de Washington au sein de l'OTAN n'existe que parce que les membres
européens l’acceptent. Les États-Unis vont dès lors utiliser leur influence pour s 'assurer du
maintien de ce lien. (b)

B/ la recherche d'une Europe stable aux fins de renforcer la puissance américaine :

La stratégie de puissance des États-Unis en Europe nécessite de conserver une certaine fidélité
des européens. Le développement de l'Union européenne et plus précisément du projet de
défense sont des facteurs qui ont dû être pris en compte dans la stratégie américaine.
Washington a donc cherché à encadrer la construction européenne par l'OTAN (1) et se sert des
nouveaux entrants de l'UE et de l'OTAN pour contrer les risques de rivalités géopolitiques en
Europe (2). Néanmoins ces politiques sont sujettes à des variations du fait des priorités de la
politique américaine (3)

1 L'influence américaine dans les projets d'intégration européenne

Les dirigeants américains considèrent à la fois l'Europe comme un partenaire mais aussi comme
un acteur majeur de leurs intérêts économiques et sécuritaires.
La position des États-Unis vis-à-vis de l'Union européenne est très ambiguë. D'un côté, la
construction européenne est soutenue, y compris dans les projets de défense de l'Union. De
l'autre les États-Unis se montrent réticents à ce que l'Europe à travers une construction
européenne trop poussée prenne ses distances avec la puissance américaine. Washington craint

333 Michel, Leo G., ‘UE-Otan-États-Unis : vers un « ménage à trois » vertueux, U.S.-NATO-EU: toward a
virtuous “ménage à trois”’, Politique américaine, 2006, p.115.
334 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. , p.723.
335 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical
phenomenon’, Hérodote, Op. Cit. p.228.

Page 100
que l'Europe redevienne une grande puissance ce qui risquerait de la transformer en rival. Les
États-Unis cherchent à garder le contrôle de l'ordre mondial post-guerre froide : de manière
logique une grande puissance préfère ne pas avoir de rivaux.

La politique américaine en Europe repose sur la sécurisation des acquis : le continent doit être
suffisamment sûr afin de ne pas redevenir une zone de conflits et de troubles, mais l'Europe ne
doit pas devenir une puissance capable de modifier le statu quo de l'ordre des relations
internationales. L’élargissement de l'Union européenne et la réunification de l'Allemagne336 ont
en effet créé des conditions favorables à l’émergence d'une grande puissance européenne. La
crainte d'un rapprochement entre l'Allemagne et la Russie est aussi une source d'inquiétude pour
les États-Unis 337 . Plus généralement, les doctrines gaullistes 338 et celles visant à faire de
l'Europe un contrepoids à la puissance américaine sont source de dissensions politiques entre
Washington et les Européens.339

Le président Bill Clinton fut l'initiateur de la politique actuelle américaine concernant la


construction européenne. Partisan d'une Europe totalement démocratique, il est considéré
comme le président ayant le plus soutenu la construction européenne depuis la présidence
Kennedy,340 le principe de cette politique étant qu'une Europe forte permet d'assurer un lien
stable et utile pour les États-Unis. Comme le décrit le professeur Simon Serfaty341, plusieurs
intérêts motivent les États-Unis dans leur relation avec l'UE, ceux-ci découlant de l'aspect
civilisationnel de l'occident. L'Union permet de cristalliser les valeurs et intérêts communs entre
les deux continents. Il ressort surtout de cette analyse que l'Union européenne peut servir
d'aimant démocratique : son extension et son développement permettent d'attirer à elle les États
frontaliers et de démocratiser ces derniers. Le maintien du lien avec les États-Unis permettrait
donc également à Washington d'utiliser l'UE comme un tremplin pour étendre son influence.

336 Kissinger, Henry, Does America Need a Foreign Policy? : Toward a Diplomacy for the 21st Century,
Op. Cit., p.40.
337 Ibid.
338 Serfaty, Simon, Visions of the Atlantic Alliance: The United States, the European Union, and NATO
(Washington, D.C.: CSIS Press, 2005) p.22.
339 Kissinger, Henry, Does America Need a Foreign Policy? : Toward a Diplomacy for the 21st Century,
Op. Cit., p.56-57.
340 Serfaty, Simon, Visions of the Atlantic Alliance: The United States, the European Union, and NATO, Op.
Cit., p.23.
341 Ibid 25-28.

Page 101
Cette vision concerne directement Moscou car aux frontières de l'espace de l'UE et de l'OTAN
se trouve l'étranger proche de la Russie. L'impérialisme culturel latent de cette politique
participe à la sensation d'encerclement ressentie par Moscou. Toutefois à l'inverse de
l'endiguement exercé pendant la guerre froide à son encontre, il s'agit plutôt d'une politique
globale qui n'est pas tournée spécialement contre elle. Il convient de rappeler que sous la
présidence Clinton, la Russie n'était plus perçue comme un ennemi mais comme un partenaire
potentiel et la création du conseil OTAN-Russie suivra cette logique.

Pour autant, pour que la politique de démocratisation fonctionne comme l'entendent les États-
Unis, il est nécessaire que la vision européenne soit favorable à l'atlantisme. La persistance des
approches d'inspirations gaullistes dans un certain nombre d’États européens est de nature à
freiner voire faire obstacle à ces prétentions. La France est évidement le cœur du mouvement
et la présidence Chirac est allée dans ce sens. L'idée d'une Europe prenant ses distances vis-à-
vis des États-Unis voire incluant la Russie en son sein pour faire contrepoids, idée centrale des
gaullistes, s'inscrit à contre-courant des intérêts américains. Une telle situation bien
qu'hypothétique réduirait de manière considérable la puissance américaine hors continent
américain. En cela le positionnement de l'Europe et de l'UE reste décisif dans la balance des
pouvoirs en place, et la formule de Spykman prend tout son sens.342 Dès lors, les États-Unis
vont poser des limites à la construction européenne. La position américaine a été décrite dans
ce qui est appelé la doctrine des « three d »,343 élaborée par la secrétaire d’État du président
Clinton, Madeleine Albright et elle est appliquée par les administrations des présidents
ultérieurs.
Elle consiste à poser des conditions à l’émergence d'une politique de défense européenne. Il ne
doit pas y avoir de duplication de structures qui existent déjà dans l'OTAN, ni de discrimination
entre les États membres de l'UE et ceux non-membres de cette dernière au sein de l'OTAN, et
pas de découplage du lien transatlantique
On comprend à travers cette doctrine que les États-Unis ne veulent pas rester en dehors des
affaires militaires européennes et n'accepteront pas une prise de distance vis-à-vis d'eux dans
ce domaine. Cette position sera reprise par le secrétaire d’État du président Bush Jr. Colin
Powell qui répétera qu'il ne doit pas avoir de duplication entre l'OTAN et la défense

342 « Qui contrôle le Rimland domine l'Eurasie. Qui domine l'Eurasie contrôle les destinées du monde ».
343 Ricci, Matteo ‘The CSDP and NATO: Friends, Competitors or Both?’, Nouvelle Europe, 2014 .

Page 102
européenne.344 Ce dernier considérera que l'OTAN doit rester le pilier sécuritaire européen, ce
qui justifie un élargissement de l'organisation vers l'est. (/b2)

2 : la « nouvelle Europe » le cœur de la politique européenne américaine :


Les thèses d'inspiration gaullistes ont connu un regain d’intérêt dans certains pays fondateurs
de l’UE comme la France et l'Allemagne et s'accentuèrent lors des débats précédents l'opération
en Irak en 2003. Pour s'assurer que la politique des « three d »soit effective et plus globalement
pour conserver un contrôle dans les affaires européennes, les États-Unis vont se reposer sur les
nouveaux entrants d'Europe de l'est, anciens États du bloc soviétique. Selon Mackinder, cette
région géographique est vitale dans la conduite de la géopolitique345. Les dirigeants américains
reprennent cette perception lors de l'élargissement de l'OTAN à l'est avec ce que le secrétaire
de la défense Donald Rumsfeld appelle la « nouvelle Europe » 346 : les ex-pays satellites de
l'Union soviétique comme les États baltes, les États du groupe de Visegrad (Pologne,
République tchèque, Hongrie, Slovaquie) et aussi les États du sud-est du continent comme la
Roumanie et la Bulgarie. Le terreau est d'autant plus fertile que les États en question ont une
vision positive des États-Unis et sont favorables à leurs valeurs. En outre, ces États nourrissent
une méfiance envers les États comme l'Allemagne et la France à cause des événements passés
du XXème siècle comme l'invasion de l'Europe centrale par l'Allemagne et la passivité de Paris
face aux actions d'Hitler.
L'extension de l’organisation à l'est fin des années 1990 et au XXIème siècle obéit ainsi pour
les États-Unis à une double logique : les États-Unis profitent de l'inquiétude des États d'Europe
orientale et de l'est envers la Russie pour étendre leur influence sur les nouveaux entrants (2.1)
et garder un contrôle politique en Europe (2.2).

2.1 Une convergence d’intérêts entre la « nouvelle Europe » et les États-Unis

344 « I repeated our position that there should be no duplication of planning or operational activities and that
NATO members must be assured of the fullest possible participation in EU defense and security deliberations
affecting their interests. » Department Of State. The Office of Electronic Information, Bureau of Public Affairs,
‘Joint Press Availability with French Foreign Minister Hubert Vedrine’ <https://2001-
2009.state.gov/secretary/former/powell/remarks/2001/1681.htm> [accessed 13 October 2017].
345 La formule de Mackinder qui sera reprise et modifié par Spykman était : « Qui contrôle l'Europe de l'Est
contrôle l'Heartland ; Qui contrôle l'Heartland contrôle l'Île Monde ; Qui contrôle l'Île Monde contrôle le monde. »
346 Par opposition aux Etats fondateurs de l'UE qui sont nommés « vieille Europe ».

Page 103
Du côté des États de la nouvelle Europe, l’adhésion à l'OTAN répond avant tout à un objectif
sécuritaire. Il existe en effet, une crainte d'un retour de la Russie et d'une nouvelle menace de
la part de cet État. Cette crainte est particulièrement intense pour les pays baltes frontaliers de
la Russie et jadis républiques de l'URSS. Les cyberattaques venant de Russie347 étaient déjà un
facteur pour eux d’inquiétude, mais c'est la présence de fortes communautés russophones après
l'annexion de la Crimée qui fait craindre à ces États que la Russie utilise la même rhétorique
contre eux : l'utilisation des minorités pour étendre son emprise.
La solution pour ces États est donc l'alliance militaire procurée par l'OTAN et l'article 5 du
traité de Washington. La protection américaine, à travers l'organisation et ses capacités
militaires, reste un outil plus fiable qu'une défense européenne qui nécessiterait d’être
construite. Cet engouement qu'a « la nouvelle Europe » pour la force militaire américaine s'est
renforcé à la suite du sommet de Saint-Pétersbourg du 10 février 2003 qui réunissait la France,
l'Allemagne et la Russie348 : le rapprochement entre « la vieille Europe » et la Russie fut en
effet perçu de manière négative par la « nouvelle Europe ». Les doutes des États d'Europe
orientale et de l'est concernant le potentiel d'une protection européenne se sont accru et les ont
poussés à renforcer leur lien avec les États-Unis. La persistance de l'axe Moscou, Paris et Berlin
jusqu'en 2018 montre que ce clivage n'a pas disparu.
Du côté américain, cette stratégie vise à court-circuiter l'indépendance militaire de l'Union
européenne en empêchant le développement d'une défense commune qui concurrencerait
l'OTAN. Le but de cette manœuvre est qu'en poussant ces États à intégrer l'alliance et à se
reposer sur elle, la défense européenne deviendrait un doublon. La plupart des pays européens
faisant partie d'une alliance de défense à laquelle participe les États-Unis, ont moins besoin de
prendre en charge la leur. Là encore, l'efficacité de la méthode est renforcée par l'absence de
consensus politique dans l'UE. L'échec du traité constitutionnel européen de 2005, causé qui
plus est par des États de la « vieille Europe »349 et en partie à cause du rejet de la présence des
États d'Europe de l'Est dans l'UE350, a freiné l'intégration européenne et forcé l'Union à rester
dans une situation de statu quo. Le bilan mitigé de l'intégration de certains pays d'Europe

347 L'Estonie avait subi en 2007 une cyberattaque (DDOS) de grande envergure visant principalement les
sites gouvernementaux. L'origine de l'attaque a été détectée venant de Russie.
348 HATTO, Ronald, ‘Stratégies et Intérêts : Les Relations Des Etats-Unis Avec Les Pays d’Europe Centrale
et Orientale’, Op. Cit.
349 La France et les Pays-Bas furent les deux Etats qui refusèrent le projet de traité.
350 Giblin, Béatrice, ‘L’est de l’Union européenne’, Hérodote, 2008, p.4.

Page 104
orientale dans l'UE et le fort soutien de ceux-ci à l'OTAN351 permet aux États-Unis de conserver
des alliés sûrs.

2.2 La « nouvelle Europe » un contrepoids à la « vieille Europe »

La position géographique de ces États est d'autant plus intéressante pour Washington qu'elle
se situe plus proche des zones conflictuelles que les États d'Europe de l'Ouest.352 Ce faisant,
l'Europe de l'Est représente pour les États-Unis un intérêt aussi bien européen, à travers le
maintien du contrôle, qu'extra-européen comme plate-forme entre l'occident et le reste du
monde.
Cette relation entre la « nouvelle Europe » et les États-Unis s'explique par une balance des
puissances destinée à contrer un rapprochement entre les États de la « vieille Europe » tentés
par les positions d'inspirations « gaullistes » et la Russie. Pour lutter contre un éventuel axe
Paris, Berlin, Moscou, les États-Unis et l'Europe orientale avaient tout intérêt à se rapprocher
pour faire balancier. Les États de la « nouvelle Europe » appliquent ce que les réalistes
américains appellent le « bandwagoning »: pour des petits États se ranger derrière un État plus
fort afin d’obtenir sa protection en échange d'un renoncement partiel à leur souveraineté et à
leur autonomie. Les États-Unis, quant à eux, trouvent dans cette stratégie l'application du
principe « divide et impera » : profiter des divisions pour assurer son contrôle sur le continent
européen.
Avec cette politique d'Europe orientale et de l'est, la Russie devient un sujet central.
Contrairement aux États de la « nouvelle Europe », les États-Unis ne voient pas Moscou comme
un danger immédiat : c'est le rapprochement vis-à-vis de la Russie de la « vieille Europe » qui
est source d'inquiétude. Ce dernier a certes connu son apogée dans une période particulière qui
était l'opération en Irak de 2003 où les États-Unis avaient choisi une voie plus unilatérale pour
leur politique. Néanmoins, la tradition d'inspiration gaulliste en Europe, sceptique envers la
politique américaine, reste une préoccupation majeure pour la diplomatie de Washington.

351 On peut citer la Pologne et la Hongrie .


TRAMEAU, Valérie, ‘OTAN/UE : Hongrie, Quel Bilan ?’ <https://www.diploweb.com/OTAN-Union-
europeenne-Hongrie-quel.html> [accessed 30 January 2018].
352 A cet effet, il n'est pas surprenant que les Etats-Unis ait choisi des États comme la Pologne, la République
tchèque et la Roumanie pour installer le bouclier anti-missile.

Page 105
Les crises géorgiennes de 2008 et ukrainienne de 2014 ont permis de faire perdurer ce lien avec
l'Europe de l'Est. La présence américaine à travers l'OTAN sur le territoire polonais et des États
baltes après l'annexion de la Crimée s’inscrit également dans cette logique. Cependant cette
protection à un coût pour les États-Unis

3 Des priorités américaines amenant des choix vis-à-vis de l'Europe

Le fait que l’Amérique soit le premier pays contributeur de l'OTAN et que ses dépenses de
défense représentent la plus large part de l'ensemble des dépenses des membres de l'organisation
est un avantage : conférer une marge de manœuvre très grande aux États-Unis et amener à créer
une quasi-dépendance des autres membres à l'appareil militaire américain. L'inconvénient est
que cela a un coût majeur pour le budget américain et que le fait que les autres États de l'alliance
se reposent sur la puissance militaire américaine oblige les États-Unis à servir de « parapluie
militaire ».

La question des budgets militaires dans l'OTAN a commencé à réapparaître progressivement


après la guerre froide. Elle se greffe sur une tentation isolationniste qui n'avait jamais totalement
disparu et qui se manifeste de nouveau. Certaines orientations présidentielles suivent une
politique qui va devenir celle du « leading from behind » : une conduite diplomatique et
militaire assurant aux États-Unis des coûts moindre qu'une intervention classique dans une
coalition. La volonté des États-Unis, de garder un outil d'influence efficace poussent ceux-ci à
demander que les autres membres alliés prennent de plus en plus en charge leur défense dans
le cadre de l'OTAN, afin que Washington n'ait pas à assurer seul la défense.
Sous la présidence Clinton, des coupes budgétaires et un retrait de forces en Europe ont eu lieu.
Washington promeut alors une défense européenne qui permettait de soulager les États-Unis,
dans le cadre de l'OTAN avec le système des « three d ». La question revient en force à partir
de la présidence d'Obama et prend un nouveau tournant. L'affaiblissement financier relatif de
ceux-ci suite à l'opération en Irak et la crise économique ont amené des problèmes budgétaires
internes liés à la dette américaine. À cela s'ajoute des orientations stratégiques, comme le pivot
asiatique, qui obligent les États-Unis à faire des choix. La secrétaire d’État Hillary Clinton, fait

Page 106
remarquer que le partenariat avec l'Europe étant déjà opérationnel, les États-Unis doivent se
concentrer sur l'Asie pour créer une équivalence.353
La première année de la présidence Trump est, quant à elle, marquée par un relatif désintérêt
pour les questions européennes, l'accent étant mis sur la politique interne et sur la poursuite du
pivot asiatique. La tentation isolationniste de la politique du président et ses discours
défavorables à l'OTAN ne se concrétisent toutefois pas en actes amenant un changement de la
politique européenne de son prédécesseur : le lien avec les pays de la « nouvelle Europe » reste
maintenu et l'administration américaine favorable à l'OTAN.
Le point litigieux va être le financement indirect de l'Organisation à travers les budgets de
défenses nationaux. Tous les membres doivent consacrer 2 % minimum de leur PIB à leur
budget de défense. En 2017, et en dehors des États-Unis, seuls l'Estonie, le Royaume-Uni et la
Pologne respectent ces seuils. Aussi les présidents Obama et Trump vont demander à ce que
les États européens augmentent leurs contributions .354 Sans remettre en question la stratégie
régionale américaine en Europe, cette évolution récente tend à laisser plus d'autonomie à l'UE
et ses États membres. Ces derniers doivent assurer leur défense par eux-mêmes du fait de la
diminution du « parapluie » militaire américain. La relance du débat sur la défense européenne
par la chancelière Merkel et le président Macron est révélateur du changement de situation.

Avec cette politique européenne, les États-Unis font de l'OTAN la pierre angulaire de leur
présence en Europe. L'Organisation est la matérialisation du lien transatlantique qui fournit un
vecteur d'influence sur le continent. L'Europe a ainsi une vocation à la fois stratégique et
civilisationnelle pour les États-Unis qui cherchent à rester une « nation indispensable » pour le
vieux continent. À la fois outil de défense, d'encadrement politique et de promotion de la culture
démocratique, l'OTAN accompagne la politique américaine. L'intervention en ex-Yougoslavie

353 « We are proud of our European partnerships and all that they deliver. Our challenge now is to build a
web of partnerships and institutions across the Pacific that is as durable and as consistent with American interests
and values as the web we have built across the Atlantic. That is the touchstone of our efforts in all these areas. »
Clinton, Hillary, ‘America’s Pacific Century’, Foreign Policy
<https://foreignpolicy.com/2011/10/11/americas-pacific-century/> [accessed 19 October 2017].
354 Baker, Peter, ‘Trump Says NATO Allies Don’t Pay Their Share. Is That True?’, The New York Times, 26
May 2017, section Europe <https://www.nytimes.com/2017/05/26/world/europe/nato-trump-spending.html>
[accessed 19 October 2017].
Holehouse, Matthew, ‘Obama Tells “Complacent” Europe to Hike Military Spending’, The Telegraph,
25 April 2016 <http://www.telegraph.co.uk/news/2016/04/25/obama-tells-complacent-europe-to-hike-military-
spending/> [accessed 19 October 2017].

Page 107
et son soutien à l'indépendance du Kosovo s'inscrivent dans le souhait d'assurer la stabilité du
continent par tous les moyens disponibles.
Le partage du fardeau politique constitue une forme de soft power aux mains de Washington.
L'utilisation des intérêts communs entre les États-Unis et les États européens permet de faire
perdurer le lien après la guerre froide et de s'adapter aux nouveaux défis du XXIème siècle. De
même la position duale de Washington, soutenant à la fois la construction européenne tout en
veillant à l'encadrer répond à une vision stratégique de l'Europe qui serait un tremplin de la
puissance américaine en Eurasie. Ce dernier élément pousse les États-Unis à travers l'OTAN, à
se rapprocher des frontières russes et à intégrer les prétentions antirusses des nouveaux entrants
d'Europe de l'Est. Une telle situation est source d'inquiétude pour la Russie, crainte d'autant plus
forte que les États-Unis utilisent l'OTAN à des fins plus globales (§2)

§2 : L'OTAN en tant qu'instrument d'une stratégie globale américaine dans le


Heartland :

L'OTAN s'est rapprochée au fil de ses élargissements, des frontières russes. L’adhésion des
États baltes, ex-membres de l'URSS, en 2004 fut considérée par Moscou comme une intrusion
de l'organisation dans l'espace ex-soviétique : l'OTAN était désormais frontalière avec la
Russie. Cette pénétration fut perçue comme une menace. Mais cette dynamique de
l'organisation, s'inscrivant dans la continuité de la stratégie américaine en Europe, est complétée
par une stratégie plus globale sous impulsion américaine amène l’organisation à encercler la
Russie. Washington va promouvoir l'extension de l'Alliance hors de l'Europe au nom d'un
certain nombre d’intérêts nationaux (A) en pilotant des partenariats de l'OTAN aux frontières
de la Russie(B).

A : Une globalisation de l'alliance trahissant des prétentions extra-européennes :

Les États-Unis ne peuvent assurer seuls leur sécurité à l’ère de la mondialisation. Il est
nécessaire, pour atteindre cet objectif, de travailler en concert avec la communauté
internationale et de se baser sur un système de coopération et de partenariat. Cette approche,

Page 108
bien qu'au centre de l'idéalisme wilsonien, est aussi partagée par certains réalistes américains
comme Henry Kissinger, considérant que l'idéalisme et le réalisme doivent se combiner pour
former la politique étrangère américaine355 L'OTAN devient un outil visant à gérer les enjeux
globaux (1) mais aussi concurrencer l'ONU (2).

1 Un outil pour gérer les enjeux globaux

L'apparition de menaces globales au XXIème comme le terrorisme mondialisé amène


Washington à mettre en place une solution, elle aussi, globale. Cette dimension vise à renforcer
les partenariats en y intégrant à des degrés divers des États extra-européens partageant des
intérêts voire des valeurs communs avec les membres de l'organisation. En continuité des
objectifs sous-jacents de l'action américaine en Europe, cette projection de puissance repose sur
une influence diffuse dans l'espace extra-européen.
L'OTAN sert cette stratégie. La coopération politique qui s'était déjà développée lors de la
guerre froide va être étendue au-delà des membres de l'alliance. Cette conception de l'OTAN
va être principalement promue par les présidents Clinton et Obama mais aussi dans une certaine
mesure par le président Bush Jr. . En se reposant sur la stabilité du continent européen et sur les
membres de cette région, l'OTAN montre son souhait de devenir « une agence mondiale de
sécurité »356. L''élargissement n'est dès lors plus uniquement géographique mais fonctionnel.357
Selon le professeur Olivier Kempf 358 , trois axes vont être suivis pour la transformation de
l'OTAN en outil global : le premier est « missionnel », intégration de taches civiles dans le
champ d'action de l'Alliance, le second politique, une approche plus ancrée dans la société
internationale, et le troisième géographique avec un partenariat à l'échelle mondiale.
L'intervention en Afghanistan avec la FIAS est révélatrice de cette nouvelle dimension
mondialisée et de l’intérêt américain sous-jacent. La FIAS359, coalition mandatée par le Conseil
de sécurité360 en décembre 2001 et passant sous le contrôle de l'OTAN en août 2003, est une

355 Kissinger, Henry, World Order , Op. Cit.


356 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle, Op. Cit.
357 Ibid.
358 Ibid.
359 NATO, ‘ISAF’s Mission in Afghanistan (2001-2014) (Archived)’, NATO
<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_69366.htm> [accessed 23 October 2017]
360 Résolution 1386 (2001) .

Page 109
réponse au 11 septembre 2001. Elle comprend des États non-membres de l'organisation comme
l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Cette coalition opère avec l'opération « Enduring Freedom »
dirigée par les Américains eux-mêmes. Les États-Unis s’appuient ainsi sur l'OTAN pour
soutenir leurs propres opérations et leur assurer une dimension mondialisée qui est de nature à
renforcer la légitimité de celles-ci. Le président Bush qui avait au départ refusé l'utilisation de
l'OTAN en Afghanistan changea d'avis pour ces raisons.361 Ce choix lui sera aussi utile lors de
l'opération en Irak afin de distribuer les tâches, l'Alliance s'occupant de l’Afghanistan tandis
que les Américains se concentrent sur l'opération Iraqi freedom. La FIAS possède en outre dans
ses missions une dimension civil majeure362 : il s'agit de recréer avec les autorités afghanes un
système politique fonctionnel post-taliban. L'aspect militaire n'est plus unique, l'opération
intégrant des forces de sécurités intérieure des États de l'OTAN.363 Ces opérations se font avec
le consentement de la Russie soit directement avec l'opération « Enduring Freedom » soit au
travers du Conseil de sécurité avec la FIAS.
Le cas de cette opération met en évidence le développement de liens entre l'OTAN et l'ONU.
Le fait que l'Alliance agisse avec l'accord du Conseil de sécurité des Nations Unies montre une
capacité de créer un certain consensus autour de l'idée d'une défense collective dans laquelle
l'OTAN jouerait un rôle majeur.

Outre cette approche reposant sur les missions qui laisse aussi entrevoir une nouvelle portée
politique de l'action de l'Organisation, le souhait d'extension des partenariats prend forme avec
le sommet de l'OTAN à Riga en 2006. Cette réunion définit des orientations stratégiques pour
l'alliance qui tendent vers une globalisation des buts de l'organisation.

<http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/1386(2001)> [accessed 23 October


2017].
361 « At first, the Bush administration rejected any direct NATO involvement in military operations in
Afghanistan. But it later realized that such involvement was necessary to help it meet the challenges of the global
age, particularly because the deployment of forces to Iraq left the United States needing more help in securing
and rebuilding Afghanistan. »
Daalder, Ivo H., and James Goldgeier, ‘Global NATO’, Foreign Affairs, 1 September 2006 .
362 « Initié par les Etats-Unis en Irak, la FIAS reprit le concept de PRT et l’adapta en Afghanistan. La FIAS
organisa des équipes de reconstruction de province dans chacune des provinces sous sa responsabilité [ ] Ces
équipes sont des structures interministérielles destinées à épauler le rétablissement des administrations en
province. »
Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle Op. Cit..
363 « Par exemple, la PRT de Kunduz (nord) est tenue par les Allemands et réunit des militaires, des policiers
du ministère de l’Intérieur, des représentants du ministère des Affaires étrangères, du ministère de la Coopération
et du ministère des Finances. »
Ibid

Page 110
Il s'agit de développer des partenariats entre l'OTAN et les États partageant les mêmes valeurs
démocratiques, par exemple, l'Inde, le Brésil, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon. 364
Cette dynamique voulue par les États-Unis est toutefois freinée voire contestée par de
nombreuses chancelleries européennes, arguant qu'une telle politique repose trop sur un concept
civilisationnel de nature à renforcer les tensions. De même les États d'Europe orientales
craignent un affaiblissement du lien transatlantique et de la protection contre la Russie.365
Il n'en reste pas moins que les partenariats pour la paix répondent aux objectifs d'une extension
de l'OTAN hors de l'Europe. Selon Olivier Kempf ceux-ci obéissent à trois objectifs : assurer
l'interopérabilité avec les États possédant un standard de défense occidental, servir de chambre
à l’adhésion de membres et maintenir le dialogue militaire avec les États réformant leurs
systèmes de défense. 366 Des partenariats régionaux avec le Moyen-Orient 367 et l'Union
Africaine 368 ont aussi été développés. L'OTAN s'insère ainsi de plus en plus dans la
communauté internationale. De par la puissance des États-Unis dans l'OTAN, ces partenariats
servent la politique américaine en tant qu'outil d'influence. L'utilisation de ces programmes
permet à Washington de garder et de consolider sa position sur la scène internationale car ils
permettent de tisser des liens plus souples qu'une alliance militaire entre l'OTAN, et donc
indirectement les États-Unis. Aussi bien politique, économique, culturel que militaire, ils
offrent ainsi la possibilité d’avoir de nouveaux alliés nécessaires lors de la création de coalitions
en cas de futures menaces. De même, les partenariats offrent un cadre structurel qui permet
d'avancer les intérêts sécuritaires et économiques d'un État, les États-Unis, dans un contexte de
paix.369 En effet, selon le paradigme libéral, les partenariats et échanges économiques créent
une interdépendance permettant d'éviter les crises.

364 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle Op. Cit.
Clarke, Michael, ‘The Global NATO Debate’, Politique Étrangère, Hors série (2010), 57–67.
365 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle Op. Cit..
366 Ibid.
367 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘La nouvelle OTAN : des rivages nord-atlantiques aux confins
eurasiatiques’, Hérodote, no 118 (2005), p.44.
368 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle Op. Cit.
369 Edström, H., J. Matlary, and M. Petersson, eds., NATO: The Power of Partnerships, 1st ed. 2011 edition
(S.l.: Palgrave Macmillan, 2011).

Page 111
2 Un outil pour concurrencer l'ONU

Du côté américain, la globalisation de l'Alliance se traduit dans les discours de l'époque par la
transformation de l'OTAN en une « alliance des démocraties » à l'échelle mondiale. Cette vision
offre une opportunité de concurrencer l'ONU dans laquelle le poids de Washington est plus
faible que dans l'OTAN. L'Alliance permet de créer une zone d'influence mondiale avec tous
les alliés des États-Unis sous la forme d'une organisation qui possède une capacité concrète
pour diriger des opérations militaires. Dès la création de l'ONU et de l'OTAN, les deux
organisations sont entrées en concurrence. La première se voulait une organisation représentant
tous les États du monde, la seconde les intérêts atlantistes. Toutefois, l'OTAN reste soumise
aux règles de droit international et de ce fait reste dans le cadre de l'ONU. 370 Les objectifs de
globalisation de l'Alliance et les penchants unilatéraux qui ont pu se manifester dans la politique
américaine mettent en lumière les divergences entre les deux organisations internationales. Les
conflits en ex-Yougoslavie dans la seconde moitié des années 1990 marquaient déjà une prise
de distance de l'OTAN par rapport à l'ONU. Le rôle progressif de l'Alliance dans l'application
des accords de paix de Dayton montre l'échec des Nations Unies à gérer des conflits armés 371.
De même l'intervention au Kosovo en 1999 où l'OTAN intervint sans mandat du Conseil de
Sécurité de l'ONU 372373 montre à la fois la prise de pouvoir de l'Alliance mais aussi de
l'unilatéralisme des États-Unis qui en profitèrent pour mener leur propres opérations dans la
zone.374 L'utilisation des membres de l'OTAN par les Américains pour participer aux opérations
en Irak en 2003 marque aussi l'utilisation de l'Alliance, de manière indirecte, pour contourner
l'ONU.375 Le contournement du Conseil de sécurité de l'ONU vise principalement à ne pas
dépendre des votes des autres membres permanents capables d'imposer leur droit de veto, la

370 Roehrig, Benjamin, ‘L’OTAN et l’ONU : une relation complexe et ambiguë’, Sécurité globale, 2011,
p.82.
371 Ibid p.83.
372 « L’Alliance intervient sans mandat clair du Conseil de sécurité l’y autorisant, ouvrant alors le débat
entre légitimité et légalité. Même le secrétaire général de l’ONU y contribue quand il déclare à l’occasion le 24
mars 1999 « il est tragique que la diplomatie ait échoué, mais il y a des cas où l’usage de la force puisse être
légitime quand elle est au service de la paix ». »
Roehrig, Benjamin, ‘L’OTAN et l’ONU : une relation complexe et ambiguë’, Sécurité globale, 2011,
p.83.
373 Une situation similaire d’outre-passement du conseil de sécurité aura lieu avec l'intervention en Libye en
2011, même si à cette occasion l'initiative viendra de la France et du Royaume-Uni plus que des Etats-Unis
374 Roehrig, Benjamin, ‘L’OTAN et l’ONU, Op. Cit. p.83.
375 L'OTAN interviendra toutefois directement dans la sécurisation de l'Irak avec le déploiement de
formateurs visant à reconstituer un appareil de sécurité et de défense irakienne après la destruction de celui du
régime Saddam Hussein.

Page 112
Russie et de la Chine376 mais aussi la France comme en 2003. Pour autant malgré cette rivalité,
il existe une coopération entre les deux organisations internationales : en 2008, les secrétaires
généraux de l'ONU et de l'OTAN signent une déclaration conjointe qui vise à développer une
coopération dans les missions de maintien de la paix377. Cette déclaration est d'ailleurs source
d'inquiétude pour les membres de l'ONU opposés à l'OTAN qui craignent un phagocytage de
l'action de la première en faveur de la seconde.378
La logique ambiguë des relations entre les deux organisations et la volonté américaine de garder
une liberté d'intervention confère aux projets de globalisation de l'OTAN une dimension
géopolitique pour les États-Unis. Le souhait qu'a Washington de vouloir rester la puissance
phare et « indispensable » pousse l'administration à soutenir une extension globale de
l'Alliance : une propagation qui est moins intégrée qu’en Europe et qui repose plus sur des
partenariats que sur une intégration totale dans l'OTAN.

L'OTAN s'adapte peu à peu au monde multipolaire en cherchant à tisser des partenariats avec
son entourage tout en veillant à assurer ses intérêts et ceux des États-Unis. Aux mains de ces
derniers, la politique globale de l'Alliance devient une « boite à outil » destinée à assurer un
soutien à leur interventionnisme qu'il soit militaire, politique voire culturel. Toutefois, les
activités extra-européennes de l'organisation et son intervention au Kosovo en 2008 et en Libye
en 2011 vont être source de tensions avec la Russie, particulièrement quand les partenariats de
l'OTAN vont se développer sous la tutelle américaine avec son étranger proche . (B)

B : La pénétration de l'OTAN dans le Heartland au service des États-Unis :

L'Otan va se rapprocher des frontières russes amenant ainsi des relations particulières à la fois
avec les États de l'étranger proche mais aussi la Russie. Deux régions sont problématiques : le
Caucase du sud (1) et l'Ukraine (2)

376 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Première
édition (Bruxelles: DE BOECK UNIVERSITE, 2009) p.197.
377 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Première
édition p.200-201.
378 Ibid.

Page 113
1 Le Caucase du Sud, un pivot énergétique en Eurasie

La Géorgie, l’Azerbaïdjan mais aussi l’Arménie, bien que cette dernière ait un positionnement
pro russe, révèlent les prétentions américaines dans la zone eurasiatique. L'intérêt des États-
Unis pour cette zone est motivé par des considérations géostratégiques et la présence
d'hydrocarbures. Les partenariats conclus entre l''OTAN et ces États vont servir à donner une
légitimité à une politique américaine visant à en assurer le contrôle.

L'importance stratégique de ces États s'explique par le rôle géopolitique de l'Eurasie qui, comme
le rappelle en 1997 l'ex-conseiller à la sécurité nationale américaine Zbigniew Brzezinski,
contient :« 75 % de la population du globe, 60 % de son produit national brut et 75 % de ses
ressources énergétiques, région généralement considérée outre-Atlantique comme essentielle à
l’équilibre et à la sécurité du monde »379. Cette analyse reprend les schémas géographiques de
Mackinder avec le « Heartland » qui comprend la Russie et son entourage. Le Caucase qui
appartient à cet espace se révèle aussi être une aire de rencontre entre différents ensembles:
russo-slave, européen, turc-turcophone, arabo-musulman et iranien380. Il fut pendant des siècles
un territoire sur lequel passait la route de la soie et tend à retrouver ce rôle de position de transit
après la chute de l'URSS.381 De ce fait, il devient un pivot. La politique américaine consiste
alors en une pénétration dans le Heartland qui lui permet d'assurer ses intérêts politiques et
économiques sur le continent asiatique.

D'un point de vue politique, une présence occidentale et plus précisément américaine a pour
vocation de concurrencer le triangle constitué de la Turquie, l'Iran et la Russie, les trois
puissances régionales historiques entourant le Caucase. À cet effet, l’intention de réduire le lien
irano-russe qui se développe à nouveau au XXIème siècle est l'un des intérêts américains dans
la région. En outre, la lutte contre le terrorisme après le 11 septembre 2001 amène les États-

379 Zbigniew Brzezinski cité par Zarifian, Julien, ‘La politique étrangère américaine, en dehors des sentiers
battus : Les États-Unis au Sud Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie), de Bill Clinton à Barack Obama,
American Foreign Policy Off the Beaten Path: The United States and Southern Caucasus from Bill Clinton to
Barack Obama’, Politique américaine, 2012, p.71.
380 Ibid p.72.
381 Ibid.

Page 114
Unis à chercher des alliés stables au Moyen-Orient qui peuvent servir de bases avancées aux
opérations en Irak et en Afghanistan.382
Sur le plan économique, la politique de Washington se manifeste avec le « Silk Road Strategy
Act » voté par le congrès américain en 1999 qui consiste à créer une nouvelle route de la soie.
Cette loi a pour but officiel de renouveler le « Foreign Assistance Act » de 1961 dans le but de
soutenir l’indépendance383 économique et politique des États d'Asie centrale et du Caucase.
Derrière ce but de promotion de la démocratie, se trouve celui d'assurer l'approvisionnement
des États-Unis en hydrocarbures. Ce point est d'ailleurs présent dans la loi384 qui affirme la
volonté de développer une infrastructure physique afin d'amener les États de la région à
renforcer leurs liens économiques avec les États-Unis.
Ce projet devait permettre d'assurer l'indépendance de ces derniers vis-à-vis des puissances du
golfe persique jugées trop instables. Il a été estimé que cette région pourrait couvrir plus de
80 % des besoins en hydrocarbures des États-Unis.385 La Géorgie et l’Azerbaïdjan sont les deux
États majeurs de la région du Caucase, tous deux de la Russie et soumis à des volontés
sécessionnistes qui seraient susceptibles d’être utilisées par Moscou pour étendre son influence
dans ces pays. De ce fait, la présence de l'OTAN renforce ses liens avec les États du Caucase
et leur offre un soutien politique et économique à travers des partenariats, tout en servant les
intérêts économiques et politique américains. Une telle stratégie entraîne une perte de puissance
de la Russie dans ces États. Non seulement, elle aboutit à une présence et une influence
occidentale à ses frontières mais en outre les projets économiques permettent de contourner la
Russie en matière d'hydrocarbures qui sont l'un des éléments majeurs de l'économie russe. Cette
inquiétude est d'autant plus forte que Moscou doit gérer le problème tchétchène au nord de cette
région.386

382 «Les opérations qu’ils y mènent sont très lourdes en termes d’investissement financier et humain. Elles
requièrent de pouvoir traverser, par voie terrestre ou aérienne, un certain nombre de territoires eurasiatiques afin
d’acheminer à bon port matériels et troupes, de ravitailler ces dernières, de les stationner le cas échéant, etc. Les
pays du Sud Caucase, qui se trouvent à quelques centaines de kilomètres de l’Irak et un peu plus de l’Afghanistan,
peuvent apparaître dans ce contexte comme des bases arrières de premier plan.[] En outre, toujours en termes
géographique et géostratégique, la capitale arménienne, Erevan, se situe à plus de 900 mètres d’altitude et
constitue une sorte de « balcon » dominant le Moyen Orient »
Ibid p.74-75.
383 ‘Silk Road Strategy Act of 1999 (1999 - H.R. 1152)’, GovTrack.us
<https://www.govtrack.us/congress/bills/106/hr1152> [accessed 16 October 2017]
384 ‘SEC. 499B. DEVELOPMENT OF INFRASTRUCTURE.
385 Moniz-Bandeira, Luiz Alberto, The Second Cold War: Geopolitics and the Strategic Dimensions of the
USA (Springer, 2017) p.29.
386 Sander, Aaron G., ‘US-Russian Energy Security in the Caucasus’ <http://www.sras.org/us-
russian_energy_security_in_the_caucasus> [accessed 16 October 2017].

Page 115
Des projets d’adhésions à l'OTAN avaient même germé. C'est ainsi que la Géorgie et
l'Azerbaïdjan sont membres du Plan d’action individuel pour le partenariat (IPAP), une
coopération avec l'OTAN plus poussée que le Partenariat pour la paix. La Géorgie cherchera
même à avoir un Membership Action Plan (MAP) en vue d'une adhésion future et ce avant la
guerre des 5 jours en 2008. Une telle initiative sera approuvée et soutenue par les États-Unis
mais l'intervention russe amènera un recul de l'OTAN et de ses membres.387 Cet événement
révèle les limites de l'élargissement de l'OTAN : l’expansion de l'organisation repose sur le soft
power, le plus souvent celui des États-Unis, et sur des relations bilatérales. L'OTAN ne
cherchant pas une confrontation directe avec des États majeurs détenteurs de l'arme nucléaire,
le retour militaire de la Russie dans des pays de son étranger proche est de nature à bloquer le
rapprochement voire l'adhésion de ceux-ci.

2 : l'Ukraine : une stratégie de stabilisation aux portes de la Russie :

Le cas de l'Ukraine est particulier : ce pays d'Europe se trouve dans la sphère d'influence directe
de Moscou qui possède un poids historique dans cet État, faisant de celui-ci un élément majeur
de l'étranger proche russe. L'Ukraine connaît après la guerre froide un véritable clivage entre le
rapprochement avec l'UE et le maintien des liens avec la Russie.
Cette situation fait que la stratégie américaine mélange une dimension européenne et une
dimension globale. La politique de Washington en Ukraine obéit à la fois au souhait d'une
Europe stable mais aussi à la volonté de projeter son influence au-delà de ses alliés traditionnels.
Cette projection culturelle et politique globale suit une forme similaire que celle utilisée en
Géorgie. Outre l'action des ONG visant à occidentaliser le pays qui ont contribué aux
soulèvements en 2004 et en 2014, l'OTAN tisse en arrière-plan, des liens avec l'Ukraine qui à
l'instar de la Géorgie se montre intéressée par l’adhésion à l'organisation. L’escalade
consécutive aux événements de Maidan en 2014 recrée une véritable motivation chez les États-
Unis pour rassurer les Ukrainiens favorables à l'occident avec les partenariats. Le rattachement

387 Zarifian, Julien, ‘La politique étrangère américaine, en dehors des sentiers battus Op. Cit. p.80.

Page 116
de la Crimée à la Russie, est perçue par les États-Unis comme un retour en force agressif de
celle-ci et déclenche une réaction de l'OTAN qui retrouve l'une de ses fonctions originelles, être
une coalition contre la Russie. Washington de par l'inquiétude des pays d'Europe orientale liée
aux actions de la Russie en Ukraine, se sent, en outre, obligé d'intervenir pour assurer sa
crédibilité en tant que protecteur et en tant que leader de l'alliance. 388 Les États-Unis, s'étant
définis comme acteurs de la stabilité en Europe, développent ainsi leur présence militaire en
Ukraine, directement ou indirectement.

Paradoxalement, d'un point de vue réaliste, il existe un intérêt sécuritaire pour les États-Unis
qui va à l'encontre de l’interventionnisme en Ukraine. L'Ukraine a été une zone tampon neutre
entre les pays membres de l'OTAN et la Russie. 389 Cette zone permettait de stabiliser les
relations entre l'est et l'ouest après la guerre froide et d'éviter une escalade des tensions entre
les deux parties. La présence de forces américaines et russes et encore plus les projets
d’adhésion à l'OTAN de l'Ukraine sur le territoire ukrainien mettent en péril cet ordre
international. La polarisation des positions internes en Ukraine entre pro-européens et pro-
russes tend à rendre toute influence extérieure déstabilisatrice de la géopolitique du continent
européen.390
Les hésitations du président Obama à la suite du mouvement Maidan et surtout de la crise en
Crimée sont symptomatiques de la difficulté de la question : une passivité totale aurait
mécontenté les alliés de l'OTAN mais un interventionnisme est perçu comme une provocation
par la Russie.
L'Ukraine incarne à la fois les atouts de la stratégie américaine avec l'OTAN, un outil de soft-
power, mais aussi ses limites, une hausse des tensions avec d'autres grandes puissances.

L'OTAN reste au XXIème siècle, une organisation en mutation qui doit s'adapter aux enjeux
sécuritaires, politiques et civils du nouveau siècle tout en prenant en compte les dynamiques
internes que connaissent ses États membres :l'évolution mouvementée du rôle de l'Union
européenne et la politique américaine. Les États-Unis conservant à la fois la primauté militaire,

388 Lasconjarias, Guillaume, ‘Les initiatives de l’Otan depuis le début de la crise ukrainienne’, Les Champs
de Mars, 2017, p.64-74.
389 Posen, Barry R., ‘Ukraine: Part of America’s “Vital Interests”?’, The National Interest
<http://nationalinterest.org/feature/ukraine-part-americas-vital-interests-10443> [accessed 17 October 2017].
390 Les événements post-Maidan et l'annexion de la Crimée ont conduit à la suspension officielle des activités
conseil OTAN-Russie qui est une passerelle entre les deux entités et favorise la coopération.

Page 117
politique et économique vont garder un marge de manœuvre dans l'Organisation qu'aucun autre
membre ne peut actuellement avoir.
Le cœur du rôle de l'OTAN pour les Américains réside en Europe : préserver ou renforcer le
lien avec une région qui fut historiquement l'objet d'un partenariat économique et politique
privilégié depuis la guerre froide. Cette politique repose sur les États d'Europe orientale.
L'extension de l'OTAN en dehors de cette zone obéit soit à des besoins temporaires,
principalement économiques, soit à une volonté d'influence plus globale mais plus diffuse.
Les stratégies américaines sur la Russie, à part certaines initiatives néoconservatrices, ne
cherchent pas initialement à encercler la Russie mais les effets de leur politique proche des
frontières russes amènent cet encerclement. C'est la conséquence de la recherche d’intérêts
économiques dans les régions frontalières russes et le fait de baser la politique européenne sur
des États inquiets par le retour de la Russie. Ces deux positions suivent une logique impérialiste
afin de modifier l'ordre mondial en faveur des États-Unis avec aussi bien une politique régionale
en l'Europe qu’ il s'agit de fortifier qu'une politique globale. L'extension de l'OTAN s'inscrit
dans ces deux objectifs. Le ralliement des États ne faisant pas partis de la CEI est de nature
différente de ceux qui se situent dans cette dernière. La réaction des autorités russes diffère en
fonction des cas de figure : son hostilité à l'Alliance est croissante à mesure que cette dernière
se rapproche de ses frontières.

Le lien entre les États-Unis et l'Alliance n'est cependant pas absolu : Washington prend peu à
peu ses distances vis-à-vis de l'OTAN quand ses intérêts se tournent vers la Chine et l'Asie qui
remplacent l'Europe en tant que centre de gravité économique et politique, voire militaire.
Cette situation amène la Russie à utiliser à son tour d'autres organisations internationales afin
de faire contrepoids. (B)

Page 118
Section 2 L'utilisation par la Russie du monde multipolaire pour contourner
la puissance américaine

La Russie en occupant un territoire pivot s'étendant aussi bien sur l'Europe que sur l'Asie, se
trouve en contact avec un nombre important de cultures et de nations. Si cette étendue et ses
différents points de contact culturels rendent la gestion et le contrôle du territoire difficile, ils
offrent aussi des perspectives en matière de relations internationales : la Russie n'est
entièrement dépendante ni de l'Europe ni de l'Asie.
En effet, aux frontières soviétiques et russes, des organisations internationales inter-étatiques
qui marquent l'institutionnalisation d’intérêts communs de leurs membres vont se former.
Certaines sont civilisationnelles comme l'Organisation de coopération islamiste. D'autres sont
avant tout économiques et politiques comme l'Organisation de coopération de Shanghai.

La répartition des forces qui se crée peu à peu dans la première décennie du XXIème siècle
modifie l'ordre international dans la région eurasiatique, comme la chute de Saddam Hussein
qui a permis à l'Iran de reprendre de l'influence dans le Moyen et Proche-Orient, ou accentue
des dynamiques préexistantes à la fin du XXème siècle, comme la montée en puissance de la
Chine et de l'Inde. Le moment unipolaire américain qui régulait la scène internationale au début
des années 1990 n’existe plus et les faiblesses des politiques américaines391 conduisent d'autres
acteurs à contester cette « pax americana »et à devenir des acteurs majeurs de la politique
internationale. La Russie fait partie de ceux-ci : fortement affaiblie pendant la décennie
succédant à la chute du mur de Berlin, l’État russe se reforme et se fortifie peu à peu.
Toutefois, la Russie doit prendre en compte une réalité : même affaiblis les États-Unis reste la
première puissance militaire et économique392. La stratégie de Washington s'est transformée
pour intégrer la multipolarité de l'environnement international dans son action étrangère

391 Les résultats plus que mitigés de la « guerre contre le terrorisme » succédant aux attentats du 9/11
culminant avec l'échec de stabilisation de l'Irak et la crise économique de 2008 en sont les éléments les plus
symptomatiques.
392 Place qui est contestée depuis 2016 par la Chine.

Page 119
aboutissant à ce que Samuel Huntington appelle un monde uni-multipolaire 393 : une scène
mondiale reposant sur la prédominance d'un certain nombre d’États mais où les États-Unis
conservent l'ascendant en matière militaire. Par conséquent, la Russie ne possède pas les
moyens de rivaliser directement avec Washington mais comme les effets de la politique
américaine se font ressentir jusqu'aux frontières russes, Moscou cherche à éviter un nouvel
encerclement géopolitique.

394
Selon Huntington : « L’Union soviétique était une superpuissance qui avait des intérêts
globaux ; la Russie est une grande puissance qui a des intérêts régionaux et civilisationnels. »
Si la dimension « civilisationnelle » tend à être surestimée par Huntington395, ce dernier résume
assez bien la différence de capacité entre l'URSS et la Russie moderne. Le potentiel de cette
dernière est plus faible que celui de l'Union soviétique : un appareil économique à redévelopper
et peu diversifié396, une armée à moderniser et un territoire qui est privé depuis la dislocation
de l'Union de certaines régions clés. Il faut ainsi garder à l'esprit que la politique russe en la
matière s'apparente à un comportement de survie du fait d'un sentiment historique
d'encerclement et d'insécurité. Le professeur Tsygankov met en évidence que la politique des
dirigeants russes se construit par rapport à celle de l'occident.397
De ce fait, il ne faut pas perdre de vue l'objectif de la Russie du XXIème : être acceptée comme
une puissance sur laquelle il faut compter et être l'égale des États occidentaux dans le monde.
Ses faiblesses internes doivent être dès lors compensées par les organisations internationales.
De plus, l'argument multipolaire amène la Russie à chercher un nouvel équilibre des pouvoirs.
Dans la logique des dirigeants russes, « l'hégémonie » américaine doit être combattue par des

393 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations, Op. Cit..


394 Ibid.
395 Elle n'est pas absente dans la politique russe et c'est un des leviers de la politique interne et étrangère de
la présidence Poutine. Pour autant, on ne peut pas résumer celle-ci à une civilisation orthodoxe, comme le fait
Samuel Huntington. L'attrait économique et politique de l'occident tend à surpasser les considérations religieuses
et les valeurs dans des Etats comme l'Ukraine. Huntington mentionne d'ailleurs les tiraillements existant dans les
États de l'ex-URSS.
396 L'économie russe reposant principalement sur les hydrocarbures, la rendant dépendante de la politique
des prix de l'OPEP. Les autres domaines économiques importants (nucléaire, aerospatial et armement) sont aux
mains de conglomerats Etatiques. Néanmoins, la diversification n'est pas oubliée : « En 2015, pour la première
fois depuis les années1990, la part des produits manufacturés a été plus importante quecelle des hydrocarbures,
passant de 38% à 48%. »
Berg, Eugene, and Jean-François Daguzan, ‘Situation et perspectives de l’économie russe’, Géoéconomie,
N° 78 (2016), 75–89.
397 «What often determines Moscow’s foreign policy choices is whether or not the West’s international
actions are perceived by Russian officials as accepting Russia as an equal and legitimate member of the world. »
Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, 2nd Revised
edition p.1.

Page 120
systèmes d'alliances et de coopérations. Ce que le professeur Morgenthaus nommait « l'alliance
contre la domination mondiale »398 ainsi que « alliances et contre-alliances »399 résume assez
bien les stratégies utilisées par la Russie contre les États-Unis et l'OTAN.

À l'instar des États-Unis, la Russie cherche à consolider son emprise dans sa zone d'influence
historique (§1) tout en poursuivant une politique plus globale en Asie (§2).

§1 De la CEI à l'UEE/OTSC : une consolidation de la puissance russe dans


l'Heartland

L'utilisation de la multipolarité par la Russie répond à un double objectif : assurer les intérêts
internes liés à la reconstruction de l’État et la stabilité du pays en renforçant l'économie et la
sécurité de la Russie, et contester l'implantation et le soft power américain dans des régions
considérées comme stratégiques pour la Russie. Ces deux objectifs sont liés : la force
économique de la Russie et sa sécurité sont corrélées à la stabilité des régions qui l'entourent et
à l'absence d'implantation trop prononcée de rivaux. De tels buts semblent inatteignables de par
la nature mouvementée du Moyen-Orient et la présence chinoise, en tant que rival potentiel.
Néanmoins, Moscou s'efforce de transformer ces dynamiques problématiques en atout pour
élargir son « soft power ». Les organisations intergouvernementales sont la cristallisation de
cette politique visant à reconstruire et réaffirmer la place de la Russie sur la scène internationale.
Conformément au réalisme étatique russe initié par Primakov qui a été utilisé et développé par
le président Poutine, le retour de la Russie comme grande puissance repose sur un intérêt
national se composant de trois éléments : des alliances flexibles, l'intégration de l'espace de
l'ex-URSS et une réforme économique. 400.

398 Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, Op. Cit. p.137
399 Ibid p.138.
400 Cette vision de l'interet national met aussi en valeur le fait que la Russie est dans un environnement
international dangereux et ne peut pas se concentrer uniquement sur les problèmes internes.
Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.101.

Page 121
En 2016, le président Poutine considérait que Lénine avait « placé une bombe atomique sous la
Russie » en accordant l'autonomie à différentes régions de l'Empire russe, comme l'Ukraine,
chose qui aurait contribué au morcellement de l'URSS lors de sa chute.401
Dans cette prise de position, on peut voir le traumatisme laissé par la perte de territoire que la
Russie a connue en 1991. La Russie, sous sa forme impériale ou soviétique, qui s'était toujours
étendue dans le passé a connu une contraction de son espace, correspondant à ce que le
géographe anglais Mackinder appelait le « Heartland » 402 . De la fin de l'URSS jusqu'à
aujourd'hui, la Russie cherche à maintenir au mieux son influence voire son contrôle sur les
nouveaux États indépendants : d'abord avec la CEI en 1991 puis avec les unions douanières et
économiques qui aboutiront à l'Union Économique Eurasiatique.

La politique russe dans l'étranger proche repose principalement sur des organisations visant à
faire un contrepoids à l'OTAN et l'UE (A). Néanmoins de telles initiatives présentent des
résultats mitigés (B)

A La prétention russe de créer un contrepoids à l'OTAN et l'UE

Lors de la création de la CEI en 1991, des dissensions internes sont rapidement apparues. La
peur de la Russie présente dans un certain nombre d’États et les problèmes internes comme les
mouvements sécessionnistes en Moldavie, en Géorgie et Azerbaïdjan vont amener une
paralysie de l'organisation qui va se scinder en deux groupes.403

401 « There were many such ideas as providing regions with autonomy, and so on. They planted an atomic
bomb under the building that is called Russia which later exploded. We did not need a global revolution, ».
Vladimir Poutine cité dans ‘Putin Slams Lenin for Laying “Atomic Bomb” Under Russia’
<http://themoscowtimes.com/news/putin-slams-lenin-for-laying-atomic-bomb-under-russia-51544> [accessed 15
February 2018].
402 Mackinder, Halford John, Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of Reconstruction Op.
Cit. Chapter Four THE LANDSMAN’S POINT OF VIEW.
403 Comme le fait remarquer l'historienne Hélène Carrère d'Encausse, la Russie a trop souvent utilisé la CEI
comme un moyen de pression contre les différents membres en utilisant les situations conflictuelles dans ceux-
ci : « Dans plusieurs cas, la CEI n’a été en définitive que l’habillage juridique de relations préservées par des
pressions ou par l’exploitation cynique de situations conflictuelles. »

Page 122
Le premier éprouvant une forte méfiance envers la Russie se tourne vers l'occident et il est
principalement composé des États qui vont former le GUAM (Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan
et Moldavie). La Géorgie et l'Ukraine sortiront d'ailleurs toutes les deux de la CEI après les
tensions liées aux crises géorgiennes en 2008 et ukrainiennes en 2014. L'autre cherche à rester
en bon terme avec la Russie, et comprend principalement la Biélorussie, l’Arménie et le
Kazakhstan.

C'est sur ce second groupe que la Russie concentre son attention depuis l'arrivée au pouvoir du
président Poutine. La CEI était un moyen de faire une transition douce entre l'URSS et sa
disparition, et devait permettre à la Russie de ne pas se sentir acculée géopolitiquement. La
présence occidentale au travers du GUAM, tout comme l'extension de l'OTAN, amène Moscou
à développer une stratégie de contre influence au sein de la CEI afin de protéger ses intérêts,
principalement économiques et sécuritaires. Il faut toutefois noter que l'Ukraine malgré son
appartenance au GUAM participera à certaines initiatives russes du fait de la présence d'une
importante population pro-russe dans ce pays. Dès lors la Russie se fixe comme but la
stabilisation de l'étranger proche (1). Cette stratégie passe par la création de deux organisations
internationales principales avec certains États de la CEI, La première, l'Union économique
eurasiatique (UEE), est économique, la seconde est militaire avec Organisation du Traité de
Sécurité Collective (OTSC) (2).

1 Une stabilisation de l'étranger proche


Tout comme l'OTAN revêt une dimension civilisationnelle à travers l'occidentalisme, les
organisations eurasiennes ont, en plus de leur vocation politique reposant sur le régionalisme,
un aspect culturel emprunté aux partisans du courant eurasiste.404 Ce dernier point repose sur
une communauté multiculturelle, multiethnique et multireligieuse405 d’ Etats qui permettrait de
palier la disparition de l'URSS.

Carrere d’Encausse , Hélène, La Russie Entre Deux Mondes, Op. Cit. .

404 « The challenge, as Primakov and Yeltsin saw it, was to find a way to revive the identity of the
transnational community in the former Soviet area without giving ground to the hard-line Civilizationist
opposition. ».
Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.124.
405 Ibid.

Page 123
La région de l'ex-Union soviétique constitue, ce que le président Medvedev appela un « intérêt
privilégié » pour la Russie.406 L'action politique régionale vise en effet à renforcer la Russie sur
le plan global et à lui redonner une crédibilité à l'international. L'administration Poutine cherche
à profiter des faiblesses américaines pour se positionner en tant qu'acteur indispensable.
L'affaiblissement économique des États-Unis à partir de 2008, et la perte de confiance
internationale envers Washington vont être autant d'éléments qui vont justifier de la part des
Russes la recherche d'un espace politique eurasiste. De même le pivot asiatique des États-Unis
initié sous la présidence Obama renforce le rôle stratégique de la partie asiatique de la Russie
ainsi que des États frontaliers à celle-ci. Cette intégration est facilitée et rendue nécessaire par
l'interdépendance économique et structurelle issue de l'URSS et plus précisément de la période
stalinienne.407 Ce phénomène n'a pas disparu avec la présidence Eltsine et fut l'un des facteurs
qui évita une trop forte prise de distance des anciennes républiques soviétiques vis-à-vis de la
408
Russie. Ces organisations régionales répondent aussi au problème des faiblesses
économiques de la Russie : la Russie reste fragile économiquement et malgré les réformes de
l'administration Poutine et Medvedev, l'économie russe possède des fardeaux l'affaiblissant409,
le développement d'un marché commun avec l'étranger proche profiterait aussi à la puissance
économique de Moscou. On retrouve la manifestation de l’intérêt national russe : retrouver une
place sur la scène internationale à travers l'économie et l’intégration de l'étranger proche.
Ces politiques s'inscrivent dans la volonté du président Poutine de promouvoir un monde
multipolaire qui permettrait de s'opposer à l’unilatéralisme des Américains ou du moins leur
influence à l'échelle globale. De même la stabilisation de l'étranger proche a aussi vocation à

406 Ibid p.223.


407 « L’industrialisation effectuée par la bureaucratie stalinienne et ses successeurs vise notamment à
accroître le degré d’interdépendance entre les différentes républiques de l’URSS et à réduire les écarts de
développement entre le centre économique (principalement l’axe Moscou-St-Pétersbourg) et la périphérie de
l’espace soviétique (Transcaucasie, Asie centrale, Sibérie). »
Defraigne, Jean-Christophe, ‘L’Union eurasienne : un projet d’intégration régionale contrepoids à la
Chine et à l’UE Un dessein géopolitique sans dynamique économique’, Outre-Terre, 2016, p.219.
408 « Or, malgré la volonté du clan Eltsine de détruire la planification économique centralisée,
l’infrastructure construite à l’époque soviétique en matière de transport et d’énergie, dont les coûts de
remplacement sont prohibitifs, continue de générer une interdépendance économique entre la Russie et les
nouveaux pays indépendants. Des liens technologiques subsistent du fait de la spécialisation économique héritée
de la période soviétique. »
Ibid p.220.
409 La corruption touchant les milieux d'affaires y compris à des niveaux élevé mais aussi une croissance
instable du fait de la dépendance du cours des hydrocarbures sont les principaux boulets de l'économie russe.

Page 124
ralentir la progression chinoise dans l'étranger proche.410 Une Chine qui concentre toutefois la
majeure partie de son attention sur l'Asie du sud-est411 et la mer de Chine.
La crainte russe de voir l'étranger proche lui échapper et rejoindre les sphères d'influence
occidentale et chinoise pousse Moscou à cette intégration afin de créer un nouveau pivot entre
le territoire chinois et l'Europe 412 dans lequel la Russie jouerait le rôle d’État phare. Les
dirigeants russes mettent l'accent sur le rôle stabilisateur de cet espace. Le ministre des affaires
étrangères Sergueï Lavrov fait référence à une politique russe : « permettant [dans cette région]
une élévation du niveau de la stabilité [] qui correspond aux intérêts du reste du monde, [] ce
serait un anachronisme inexplicable si cet espace se transformait en zone de rivalité et de lutte
pour une “sphère d’influence” ». 413 La Russie reprend ainsi une logique multipolaire et
construit sa politique sur une vocation qui se veut une clé de voûte de cet ordre international.
Le président Poutine considère, dans tous les cas, que si la Russie n'intervient pas dans cette
région d'autres États prendront cette place de leader.414
Avec le tournant civilisationnel lors du troisième mandat du président russe, les organisations
prennent une dimension de contestation de l'occident. Si l'opposition à l'occident avait toujours
été plus ou moins présente dans la logique de ces institutions, l'impulsion donnée par le
président russe à la suite du rattachement de la Crimée à la Russie en 2014 met l'accent sur
l'idée d'un « monde russe »415. Les aspects culturels et nationalistes, via les populations russes
et russophones, qui étaient déjà présents chez Primakov, sont adaptés à une realpolitik marquée
là encore par ce souhait du retour de la Russie dans ce que Zbigniew Brzezinski appelait
« l'échiquier mondial ». De même, le refroidissement des relations avec l’Europe et les États-
Unis et les sanctions économiques qui s'ensuivirent, obligèrent la Russie à se tourner vers des
alternatives d'où une utilité accrue des organisations eurasiatiques.

410 Defraigne, Jean-Christophe, ‘L’Union eurasienne : un projet d’intégration régionale contrepoids à la


Chine et à l’UE Un dessein géopolitique sans dynamique économique’ Op . Cit. p.222.
411 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors (Los Angeles: CQ Press,
2013) p.189.
412 Ibid.
413 Tinguy, Anne de, ‘2. L’ex-empire : un enjeu stratégique majeur’, in Moscou et le monde (Autrement,
2008), p.65.
414 Ibid.
415 Une traduction en français du discours de Vladimir Poutine du 18 mars 2014 se trouve sur le site de
valeurs actuelles : Pons, Frédéric, ‘Crimée : le discours de Poutine à la Douma’, Valeurs actuelles
<http://www.valeursactuelles.com/monde/crimee-le-discours-de-poutine-a-la-douma-44555> [accessed 16
February 2018].

Page 125
Les vecteurs militaires économiques et militaires sont ainsi utilisés pour atteindre ces buts (2)

2 L'UEE et l'OTSC : les vecteurs économiques et militaires comme outils d’intégration de


l'espace soviétique :

Le vecteur que la Russie va le plus utiliser dans sa politique régionale est l'économie. C'est en
effet, à travers des organisations de libre-échange que la Russie va construire une politique
d'intégration régionale. L'épicentre de cette coopération sera la Russie, le Kazakhstan et la
Biélorussie qui seront membres des différentes organisations citées ci-dessous.

L'UEE et l'OTSC vont être créées suite à l'échec de la CEI. Cette organisation de coopération
avait été mise en place en 1991 suite à l'éclatement de l'URSS et aux déclarations successives
d'indépendance des républiques soviétiques. Sa création fut de l'initiative du président russe
Boris Eltsine et de ses homologues ukrainien et biélorusse. Elle regroupait, lors de sa création,
toutes les républiques soviétiques sauf les 3 États baltes et la Géorgie, qui rejoindra
l'organisation en 1993 sous pression russe. Cette communauté avait pour but de favoriser la
coopération économique entre les membres. Face au manque de résultats de la CEI, le président
Poutine a soutenu la mise en place de nouvelles organisations régionales avec un nombre plus
restreint d’États.
Le projet d'un espace économique commun autour de la Russie débute en 2000 avec la
Communauté économique eurasiatique comptant 6 membres de la CEI 416 : la Russie, la
Biélorussie, le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan et le Kirghizstan. Elle a pour but de
mettre en place une union douanière. En 2003, un accord entre la Russie, l'Ukraine, le
Kazakhstan et la Biélorussie vise à terme la création d'un espace économique commun entre
ces 4 membres.417 Les révolutions de couleurs418 vont toutefois perturber la mise en place de
ces politiques avec certains États comme l'Ukraine.

416 de ROHAN Josselin, Josette DURRIEU, Jean-Pierre FOURCADE, Robert HUE, Yves POZZO di
BORGO, and Roger ROMANI, ‘Rapport D’information N° 416 Où va La Russie ?’, 2007.
417 Ibid.
418 « La révolution des roses, la révolution orange et celle des tulipes, ponctuent respectivement l’actualité
politique en Géorgie (2003), en Ukraine (2005) et au Kirghizstan (2005). »
SLASKI, Bertrand, and Emmanuel DREYFUS, ‘L’Union Douanière Russie, Biélorussie, Kazakhstan’
<https://www.diploweb.com/Quelle-Union-eurasiatique.html> [accessed 1 November 2017].

Page 126
Suite à cela, la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan vont s'accorder à créer une union
douanière en 2010. Pour Moscou, l'enjeu est non seulement de bloquer l'extension de l'influence
occidentale chez les membres de la CEI mais aussi de faciliter l'accès aux marchés des autres
membres pour les entrepreneurs russes. Ce deuxième aspect peut être encore plus avantageux
pour la Russie si un plus grand nombre d’États d'Asie centrale entre dans cette Union. 419 Il
convient de noter que les deux autres États membres de l'union douanière ont aussi des intérêts,
cette initiative n'est donc pas seulement issue de la volonté de Moscou.

Dans ce cadre est donc apparue l'Union économique eurasiatique (UEE) en 2014 qui remplace
l'Union douanière et la Communauté économique eurasiatique. En plus des trois membres de
la première organisation, elle compte aussi l’Arménie et le Kirghizistan.420
Cette organisation qui se veut inspirée de l'Union européenne, tout comme ses prédécesseurs
étaient basés sur le modèle du marché commun européen, est conçue par Moscou comme un
outil pour retrouver un certain poids auprès des membres de la CEI qui se tournaient vers
l'Europe ou la Chine mais aussi sur la scène globale. En effet, le constat est que la plupart des
régions du monde ont des organisations de libre-échange421 et que l'absence d'équivalent dans
l'espace eurasiatique rend cette région, et donc la Russie, plus vulnérable politiquement et
économiquement.422 La création de l'UEE répond d'abord à ce but.

L'UEE reste une organisation dominée par la Russie. La commission eurasienne, l'organe
exécutif, est composée de 84 % de représentants russes, 10 % de Kazakhes et 6 % de diplomates
venus de Biélorussie.423 L'utilisation de la dépendance économique424 voire politique des États
d'Asie centrale envers la Russie va servir d'élément favorisant l'expansion de l'UEE. C'est ainsi

419 Ibid.
420 ‘Eurasian Economic Union’ <http://www.eaeunion.org/?lang=en#about-countries> [accessed 1
November 2017].
421 ALÉNA en Amerique du nord, ANASE en Asie du sud-est.
422 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors (Los Angeles: CQ Press,
2013), p.189.
423 « La répartition se fait proportionnellement à la population des Etats membres. »
MOREAU, Noémie, ‘L’Union Economique Eurasiatique (UEE) : Le Nouvel Empire Russe ?’, Les Yeux
Du Monde.
424 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit. p.181-182.

Page 127
que le Tadjikistan, État non-membre mais potentiel futur adhérent à l'Union, voit 43 % de son
PIB provenant des transferts d'argent des travailleurs migrants.425
Toutefois, la politique de libre-échange déployée au sein de l'UEE va aussi avoir des avantages
pour les États membres autre que la Russie. La facilité d'accès à de nouveaux marchés va offrir
des gains économiques immédiats à certains d'entre eux. Ainsi pour le cas de l’Arménie,
Moscou accorde une réduction du prix du gaz en décembre 2013 et en septembre 2015, celui-
ci passant de « 270$ les 1 000 m3 à 189$ fin 2014 et à 165$ fin 2015 ». 426 De même, les
échanges bilatéraux entre les deux États représentent « 1 400 000 000 de dollars en 2014, soit
un record historique »427. De plus, l'UEE cherche aussi à créer une zone de libre-échange avec
des États non-membres de l'organisation. L’Inde, le Chili, Singapour et Israël sont visés par
cette politique de partenariat économique428 n'est pas sans rappeler le concept de partenariat de
l'UE.

En plus du vecteur économique, la Russie utilise le fait qu'elle reste une puissance militaire
majeure et cherche à conserver une maîtrise dans ce domaine dans l'étranger proche.
Créée en 2003, l'Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC) 429 est une alliance
militaire visant à « Renforcer la paix et la sécurité internationale et régionale, protéger sur une
base collective l’indépendance, l’intégrité territoriale et la souveraineté des pays membres ».430
Sa création s'inscrit dans un contexte de lutte contre le terrorisme en Asie centrale. Dans les
faits, elle n'a pas eu d'activités opérationnelles mais effectue régulièrement des manœuvres. 431
Cette alliance présente deux avantages pour la Russie : garder un contrôle militaire du fait de
sa puissance sur un certain nombre d'ex-républiques soviétiques et assurer sa sécurité en créant
un cadre régional plus sûr.

425 Thibault, Hélène, ‘Asie Central: La Fin Du Pré Carré Russe?’, Grands Dossiers Diplomatie, September
2017, 67–71.
426 VARJABEDIAN, Joris, ‘Géopolitique de l’Arménie. Pourquoi Adhérer À l’UEE ?’
<https://www.diploweb.com/Armenie-non-a-l-UE-oui-a-l-UEE.html> [accessed 2 November 2017]
427 Ibid.
428 MOREAU, Noémie, ‘L’Union Economique Eurasiatique (UEE) : Le Nouvel Empire Russe ?’, Les Yeux
Du Monde .
429 Elle contient la Russie, l'Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, l'Ouzbékistan et le
Tadjikistan.
430 Voskresenskiy, Mikhail, ‘«Otan Russe»: l’Organisation Du Traité de Sécurité Collective Fête Ses Quinze
Ans’, 2017 <https://fr.rbth.com/international/2017/05/19/otan-russe-lorganisation-du-traite-de-securite-
collective-fete-ses-quinze-ans_765224> [accessed 1 November 2017].
431 Ibid.

Page 128
Cette stratégie n'est pas sans rappeler celle des États-Unis avec l'OTAN en Europe, à savoir
utiliser une zone tampon pour la sécurité de l’État phare. Il faut en outre préciser que les
membres et signataires s'engagent à ne pas rejoindre une autre organisation de défense 432 :
clause clairement tournée contre l'alliance atlantique. Par contre il n'y a pas d'équivalent de
l'article 5 de l'OTAN dans l''OTSC433. Cela a pour conséquence de faire de cette dernière une
organisation de coopération militaire plus qu'une alliance stricto-sensu. Il n'en reste pas moins
que celle-ci permet à la Russie de garder une présence militaire en Asie centrale et hors de son
territoire,434 tout en permettant de tirer avantage de la protection militaire de Moscou.435
Pour la Russie, l'organisation répond aussi à un rôle de stabilisation politique. En effet, l'OTSC
s'est vue reconnaître la mission de lutter contre les « désordres inconstitutionnels » visant
principalement à éviter des insurrections à l'image des « révolutions de couleurs » et des
« printemps arabes ».436 Comme le disait Staline : « Quiconque occupe un territoire impose son
propre système social. Tout le monde impose son propre système aussi loin que son armée peut
se déployer ».437 Certes, la Russie n'occupe pas les États avec l'OTSC mais le lien militaire créé
par celle-ci possède une dimension politique qui lui permet d'assurer son influence. L'objectif
de Moscou est d'éviter une trop grande pénétration de son appareil militaire en Asie centrale.

Toutefois, toutes ces politiques vont donner un résultat mitigé qui est corrélé aux limites du
potentiel russe (b)

432 Thibault, Hélène, ‘Asie Central: La Fin Du Pré Carré Russe?’, op, cit,.
433 Hayrapetyan, Albert, ‘Why the Collective Security Treaty Organization Is a Pale Replica of NATO |
Russia Direct’ <http://www.russia-direct.org/opinion/why-collective-security-treaty-organization-just-pale-
replica-nato> [accessed 1 November 2017].
434 C'est ainsi qu'au Tadjikistan, la Russie laisse en garnison les 7000 soldats de la 201 unité motorisée
chargée de la surveillance de la frontière Afghane.
435 C'est le cas de l’Arménie, avec la Russie se pose en garante de l'indépendance de l’État (ce qui permet
en contrepartie à cette dernière permet d'assurer un contrôle qui se rapproche du protectorat). La Russie possède
trois bases dans ce pays et des milliers de soldats déployés aux frontières armeno-turques et armeno-iranienne.
VARJABEDIAN, Joris, ‘Géopolitique de l’Arménie. Pourquoi Adhérer À l’UEE ?’
<https://www.diploweb.com/Armenie-non-a-l-UE-oui-a-l-UEE.html> [accessed 2 November 2017].
436 « Finally, the Russia-controlled CSTO, [ ] amended its mission by pledging to defend its members from
internal “unconstitutional disturbances.” In an apparent response to Arab-like uprisings, the CSTO also
conducted an ambitious military exercise by imitating the defeat of an attempted coup in Tajikistan. »
Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.224.
437 « Whoever occupies a territory also imposes on it his own social system. Everyone imposes his own
system as far as his army can reach. It cannot be otherwise. »
Joseph Staline cité dans Kissinger, Henry, World Order Op. Cit. p.281.

Page 129
B - Un résultat limité par les handicaps du potentiel russe

Si les deux organisations ont permis à la Russie de retrouver une certaine influence dans ce qui
était avant l'URSS et tout particulièrement dans la région d'Asie centrale, le résultat reste
inférieur aux espérances russes. En matière économique, l'UEE et les organisations qui l'ont
précédé ont contribué à l’essor économique de la Russie au début du XXIème siècle.
Néanmoins, les failles internes de ces organisations les empêchent de produire un contre-
modèle à l'UE et l'OTAN.(1) Cette situation amène la Russie à devoir progressivement faire
appel à la puissance chinoise dans l'étranger proche , ce qui n'est pas sans effet négatif sur la
politique.(2)

1 L'incapacité de la Russie à fournir un contre-modèle à l'UE et l'OTAN

L'OSTC et l'UEE ne sont viables sur le long terme que si la cohésion interne de celles-ci
demeure. Les États membres doivent avoir le désir et trouver des intérêts à maintenir des liens
étroits avec Moscou.
La Biélorussie et le Kazakhstan sont deux États où il existe une personnalisation du pouvoir
forte. Alexandre Loukachenko en Biélorussie depuis 1994 et Noursoultan Nazarbaïev au
Kazakhstan depuis 1991 dirigent depuis longtemps ces États et ce sont principalement leurs
personnalités qui ont amenées leurs pays à se rapprocher de Vladimir Poutine. À moyen et long
terme, du fait de la succession des dirigeants actuels, il existe un risque croissant de changement
de régime qui pourrait mettre à mal leur intégration au sein des deux organisations.438
En outre, pour que la Russie puisse continuer à attirer des membres, et les maintenir, dans ces
organisations, il faut un apport positif de ces dernières. Dans le cadre de l'UEE, l'aspect
économique étant le moteur du développement de la coopération, la stagnation de l'économie
russe, liée en partie aux bas prix du pétrole et aux sanctions économiques suites à la crise
ukrainienne de 2014, a des retombées négatives sur l'ensemble des États de l'Union : la chute

438 Fean, Dominic, ‘L’Union Eurasienne. Un Projet Économique À Visée Géopolitique’, Ramses 2013, 2012,
pp. 122–25.

Page 130
du rouble en Russie entraîne une dévaluation des monnaies locales chez les autres États
membres.439
Économiquement, l'UEE possède des faiblesses internes qui l’empêchent d’être un concurrent
sérieux pour une organisation comme l'Union européenne : un marché de taille insuffisante
pour créer un poids commercial important 440 , un système peu attirant pour les entreprises
étrangères 441 et un développement technologique encore trop faible en Russie incapable
d'impulser suffisamment l'économie442.
Enfin, le refus de l'Ukraine d'adhérer à l'UEE et le positionnement pro-occidental du
gouvernement de Kiev après les événements de Maidan, vont être un frein sérieux au
développement de l'Union eurasiatique. Cette dernière ayant été conçue par la Russie comme
un moyen de s'émanciper de l'occident et de retrouver un poids dans la CEI, la prise de distance
de l'Ukraine va bloquer l’extension de l'Union en Europe. Le cas Ukrainien montre que la
politique régionale russe ne progresse pas sur le continent européen, ne lui laissant que la
Biélorussie comme véritable alliée. Cet épisode et le relatif succès du partenariat occidental de
l'UE montre que cette dernière reste plus attirante que les organisations russo-centrées.

De même, la puissance géopolitique de l'OTSC reste encore à prouver. Si elle permet d'assurer
une présence russe dans les États frontaliers et dans une certaine mesure de garantir une sécurité
pour les membres de l'organisation, elle reste marginale dans les considérations militaires des
grandes nations. La Russie, elle-même, ne l'a pas consultée et utilisée lors de l'intervention en
Afghanistan443, montrant qu'elle se repose plus sur sa propre puissance militaire que sur celle
d'une coalition ce qui, compte tenu du faible poids des armées des autres membres serait
d'ailleurs inutile.

439 « Le Kazakhstan a été le plus touché, avec une baisse de 37 % de l’ensemble de son commerce extérieur
en 2015 – et de 29 % au sein de l’Union. La Biélorussie en sort aussi affaiblie avec une forte dévaluation de sa
devise. »
‘L’Union eurasiatique, un succès mitigé pour le Kremlin’, La Croix, 27 May 2016,op. Cit.
440 «Les PIB combinés des quatre autres États membres de l’UEE n’atteignent même pas 20 % du PIB russe
et l’Ukraine dépasse à peine les 7 %. Dans le meilleur des cas, plus qu’improbable, où l’UEE reconstituerait
l’ensemble de l’espace soviétique moins les pays Baltes membres de l’UE, cela ne correspondrait qu’à 40 % du
PIB russe ou à l’équivalent d’une économie de la taille de Taïwan. »
Defraigne, Jean-Christophe, ‘L’Union eurasienne : un projet d’intégration régionale contrepoids à la
Chine et à l’UE Un dessein géopolitique sans dynamique économique’, Op. Cit. p.223.
441 Ibid p.225.
442 Ibid p.226-227.
443 Gomart, Thomas, ‘Quelle influence russe dans l’espace post-soviétique ?’, Le Courrier des pays de l’Est,
2006, p.6.

Page 131
Les limites des politiques russes et la puissance marginale des autres membres des organisations
sont des barrières à l'émergence d'une politique régionale pouvant recréer un espace post-
soviétique. La Russie va dès lors devoir faire appel à un autre État dans ses prétentions à
s'opposer et à contester l'occident : la Chine en tant que puissance globale ascendante va remplir
ce rôle. (2)

2 : Le recours à la Chine à travers l'OCS

Dans le cadre de la politique civilisationnelle du troisième mandat de Vladimir Poutine, la


Chine va gagner un rôle important dans les stratégies russes de l'étranger proche. Depuis la
chute de l'URSS, les relations entre les deux États se sont améliorées progressivement. Ce
partenariat particulier repose avant tout sur des intérêts communs. Le chercheur Bobo Lo, cité
par l'historienne Hélène Carrère d'Encausse décrit cette relation comme étant : « un
arrangement opportuniste, un axe de commodités, et, dirions-nous, une alliance ou un mariage
de raison. »444 Si la Chine constitue l’État le plus puissant d'Asie, et de ce fait un rival pour la
Russie, elle permet aussi, à certaines occasions, à la Russie de retrouver sa force dans l'étranger
proche en bloquant l’expansion des États-Unis.
Cette stratégie repose sur l'Organisation de coopération de Shanghai. Créée en 1996 sous le
nom de « groupe de Shanghai », elle a pris de l'importance après la pénétration américaine en
Asie, suite au 11 septembre 2001. Un point important à souligner est que l'OSC a pour membres
des États de l'UEE et de l'OTSC (Russie, Kazakhstan et Kirghizstan) ainsi que des pays de la
CEI, Tadjikistan, Ouzbékistan, qui avaient refusé de rejoindre les organisations sous influence
russe . En cela l'OCS offre déjà un avantage pour la Russie en lui donnant un autre outil lui
permettant de retisser des liens avec des États de la CEI défaillante. Le cas de l'Ouzbékistan qui
quittera le GUAM pour rejoindre l'Organisation de coopération est une victoire pour la politique
russe. L'OCS est en outre une organisation développant une intégration dans un certain nombre

444 d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit.

Page 132
de domaines aussi bien sécuritaires445 qu'économiques446. Elle est appelée à devenir au XXIème
siècle un acteur majeur dans la politique de l'étranger proche, s’avérant une plus grande réussite
que les projets russes comme l'UEE et l'OTSC. Cette différence de résultat vient du fait que là
où les organisations russocentrées reposaient sur une trop forte présence russe, l'OCS se
présente comme une structure d'intégration asiatique diluant, pour les autres membres, le poids
de la Russie.

Les gains pour la Russie sont réels : l'OCS permet de limiter l'influence de la Chine dans
l'étranger proche en permettant à Moscou de participer aux décisions diplomatiques. 447 En
évitant une lutte d'influence trop forte, Moscou peut consolider sa présence dans le Heartland.
En effet, le fait que l'Organisation de coopération de Shanghai soit dirigée par un tandem russo-
chinois rassure les autres États membres.448 Le risque d’être mis sous tutelle par une des deux
puissances régionales est considérablement réduit permettant une meilleure coopération. De
plus, ce duo géopolitique permet de modérer les prétentions américaines dans cette région. Sur
ce point, l'OCS aura d'ailleurs des résultats comme le prouve la fermeture des bases aériennes
américaines en Ouzbékistan et au Kirghizstan après le sommet de l'OCS à Astana en 2005.449
Si l'OCS est loin d’être une alliance aussi structurée que l'OTAN, son aspect dissuasif reste
présent.

445 A la création du groupe de Shanghai en 1996, l'un des objectifs est de régler le conflit frontalier en Asie
centrale entre la Russie et la Chine. « À l’origine, il s’agit d’assurer la sécurité des frontières des États signataires
dans une région riche en conflits frontaliers, déclarés ou potentiels. Plus de 8 000 kilomètres de frontières
communes courent entre Chine-Russie, Chine-Kazakhstan, Tadjikistan-Kirghizstan, mais aussi entre ces trois
États d’Asie centrale et, enfin, entre Russie et Kazakhstan. » d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux
Mondes Op. Cit..
À partir de 1999 la menace des mouvements djihadistes en Asie centrale et la présence des talibans en
Afghanistan vont créer une dimension sécuritaire à ce groupe régional qui va étre rejoins par l' Ouzbékistan en
2001, date où le groupe de Shanghai devient l'Organisation de Shanghai. « La lutte contre les trois fléaux majeurs
de l’époque – terrorisme, séparatisme, extrémisme – figure désormais au programme de l’organisation, aux côtés
des problèmes de sécurité régionale. » d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit..
446 Cette dimension est surtout impulsée par la Chine qui lance, au XXIème siècle, un certain nombre de
projets : « La Chine entend asseoir les avancées politiques de l’OCS en termes économiques et promeut la création
à long terme d’une zone de libre-échange. Elle pousse à la création d’un Conseil des affaires (Business Council)
et d’un Conseil interbancaire. En 2003, l’OCS adopte un programme de commerce multilatéral et de coopération
économique. En 2004, 127 projets sont signés dans les domaines de l’énergie, du transport, de l’éducation, des
sciences et des technologies : le centre de gravité de l’Asie centrale bouge, en direction de la Chine. »Eisenbaum,
Boris, ‘Négociation, coopération régionale et jeu d’influences en Asie centrale : l’Organisation de coopération de
Shanghai’, Politique étrangère, Printemps (2010), p.160-161 .
447 « La Russie a inscrit dans sa politique étrangère le principe du pragmatisme. Elle sait que la Chine fait
désormais partie du paysage centro-asiatique. Grâce au groupe de Shanghai, elle limite les conséquences de cet
état de fait et y contrôle en partie les progrès de l’influence chinoise. »
d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit..
448 Ibid.
449 BRET, Cyrille, ‘Russie-Chine: Plus Qu’un Partenariat, Mais Moins Q’une Alliance?’, Diplomatie, mai-
juin 2017, pp. 43–46.

Page 133
A travers l'OCS la Russie change sa relation avec les autres États de l'étranger proche membres
de l'organisation : elle n'est plus l'héritière d'un ancien empire recherchant sa gloire perdue
comme c'est le cas avec la CEI et ses successeurs (UEE/OTSC) mais devient un membre d'une
communauté. Comme le conclu l'historienne Hélène Carrère d'Encausse : « Dans la CEI
globalement entendue [] la Russie a toujours été perçue comme l’ancienne puissance
dominante. Dans le cadre de l’organisation de Shanghai, au contraire, où elle ne peut
revendiquer de zone d’influence ni arguer de quelques droits historiques, elle s’est taillé en peu
d’années un rôle inédit, celui de partenaire égal à l’ensemble de la communauté »450

Avec ces différentes organisations déployées dans l'étranger proche, la Russie met en œuvre
différentes stratégies qui se complètent. Moscou cherche tout d'abord à retrouver une puissance
post impériale en voulant moderniser la CEI et en favorisant une intégration autour d'elle avec
l'UEE et l'OTSC. Conjointement à cette approche, la diplomatie russe impulse l'OCS et le
tandem avec la Chine pour combler les failles des premières organisations.
Mais au-delà de l'étranger proche qui constitue le Heartland russe, la Russie va opter pour une
stratégie plus globale, bien que là encore centrée en Asie, visant à utiliser le Rimland asiatique
afin de contester l’expansion occidentale (§2)

§2 Le « Rimland » asiatique comme contrepoids à l'occident


Comme le précise Nicholas Spykman 451 , l'opposition terre et mer, prônée par Harold
Mackinder, doit tenir compte des régions qui se situent autour du Heartland à savoir le Rimland.
Si Mackinder s'est concentré sur le territoire européen452, l'espace asiatique et moyen-oriental
est, au XXIème siècle, redevenue une région majeure, intéressant désormais toutes les grandes
puissances. La Russie va participer à ces dynamiques. Il existe pour Moscou un intérêt
historique qui l'a incitée à se tourner vers l'Asie, hors espace impérial et étranger proche : l'accès
aux mers chaudes. Cette politique visant à connecter la Russie aux mers (la méditerranée) et
océans (indien voire pacifique) où se déroulent le commerce mondial est attribuée à l'origine

450 Ibid.
451 Spykman, Nicholas John, The Geography of the Peace Op. Cit..
452 Lorsque Spykman écrivit son ouvrage la seconde guerre mondiale est toujours en cours et la guerre froide
se prépare, d'où son intérêt sur le continent européen.

Page 134
au tsar Pierre le Grand. Elle perdurera jusqu'à la présidence Poutine et prendra de l'importance
lorsque les frictions avec l'occident augmenteront, avec la nécessité de devoir chercher d'autres
marchés pour ne pas dépendre de l'ouest.
Elle porte sur les États réémergents connaissant une forte croissance (A), mais aussi un proche
et Moyen-Orient troublés sujets à de fortes convoitises (B).

A L 'OCS et les BRICS : l'utilisation des puissances émergentes et réémergentes par


Moscou afin de favoriser un ordre mondial multipolaire

Si l'OCS était originellement une organisation régionale avec principalement l'étranger proche
russe et la Chine, l’adhésion en 2017 de l'Inde et du Pakistan concrétise une dimension plus
large de l'institution : l'Organisation de coopération de Shanghai s'ancre de plus en plus sur le
continent asiatique et non plus uniquement l'étranger proche, ce qui lui donne un poids régional
et global plus conséquent. Avec l'arrivée de la puissance indienne dans l'organisation, l'OCS
comprend désormais trois des cinq membres des BRICS, ce qui tend à fusionner les agendas
politiques des deux groupes.
Les puissances majeures qui composent ces organisations cherchent, afin de protéger leurs
intérêts communs, à impulser une dynamique mondiale basée sur la multipolarité (1).
Avec les problèmes internes que connaît le Brésil ces dernières années et le fait que l'Afrique
du Sud possède un faible potentiel comparé aux autres États membres des BRICS, l'épicentre
de ce groupe informel s'oriente désormais autour d'un triangle asiatique entre la Russie, la Chine
et l'Inde (2)

1 L'utilisation des BRICS : De la défense des intérêts russes à travers l'impulsion d'une
nouvelle dynamique mondiale :

La raison d’être principale des BRICS est de défendre les intérêts communs des cinq
membres.453 Ces États représentent 40 % de la population mondiale et un tiers de la surface du

453 Les BRICS sont à la base un concept financier crée par l'analyste de Goldman Sachs Jim O’Neill, qui
amènera cette banque à créer un fonds d'investissement en 2006.
Matelly, Sylvie, ‘À quoi servent les BRICS ?’, Revue internationale et stratégique, 2016, p.77.

Page 135
globe454. Leurs économies bien qu'intégrées dans le marché mondial souffrent de faiblesses
internes, les incitant à se rapprocher pour peser sur les relations internationales. 455 Très
rapidement ce groupe a pris une position de contestation des grandes structures internationales
comme le FMI.
Les cinq sont particulièrement actifs sur ce sujet après la crise économique de 2008.
L'affaiblissement des États-Unis et le dynamisme d’États comme la Chine et l'Inde vont inciter
à la mise en place de projets ambitieux. En effet, le concept de BRICS tel qu'imaginé par
Goldman Sachs reposait sur l'idée que les puissances économiques occidentales allaient
connaître un déclin absolu ou relatif d'ici 2050. 456 La crise de 2008 fut perçue comme une
concrétisation de ce mouvement par les membres du groupe. C'est cette dernière qui va leur
fournir un véritable tremplin d'influence. La prise d'importance du G20 après 2008, forum
duquel les cinq sont membres, va leur permettre de gagner en force dans les relations
internationales. En ce sens, cette situation est favorable à la Russie qui possède un certain
nombre « d'alliés » non occidentaux dans ce forum contrairement au G8. La suspension de
Moscou du G8 en 2014 amplifiera l'utilité des BRICS au sein du G20. La Russie fut d'ailleurs
le principal acteur de la politisation du groupe des cinq , y voyant une coalition possible contre
l'Occident. De plus, elle utilise les BRICS pour sortir de l'isolement : sa difficulté à redevenir
une puissance régionale l'amène à chercher des alliés globaux.457 Comme les autres membres,
le groupe lui permet de combler les domaines où elle est vulnérable.
La Russie pourra aussi compter sur le soutien des 4 autres membres dans les dossiers
conflictuels l'opposant aux occidentaux. C'est ainsi que tous les membres condamnèrent
l'opération de l'OTAN en Libye en estimant que la résolution 1973 avait été outrepassée. En
conséquence, ils s'alignèrent sur la position russe en Syrie par crainte d'une situation
identique.458 L'absence de condamnation par les membres de l'annexion de la Crimée459 montre
enfin, le soutien que les BRICS apporte à la Russie, même si ce soutien est en l'espèce tacite.460

454 Ibid p.79.


455 Ibid.
456 Ibid p.77.
457 Laïdi, Zaki, ‘Les BRICS : un cartel d’ambitions souverainistes’, Le Débat, 2011, p.55.
458 Il y a eu cependant un certain assouplissement venant du Brésil, de l'Inde et de l'Afrique du sud qui
s'abstinrent lors du vote du conseil de sécurité en octobre 2011.
459 Duclos, Michel, ‘Les puissances émergentes et la politique mondiale’, Commentaire, Numéro 149
(2015),p.26.
460 Ibid.

Page 136
D'un point de vue politique, le groupe sert à Moscou de relais à ses visions souverainiste et
multipolaires. La souveraineté en tant que contrepoids à l'universalisme occidental est le ciment
des BRICS.

Outre l'aspect politique, l'économie sera un élément majeur des BRICS. La banque
d'investissement et le fonds des BRICS, projets lancés en 2014, sont des exemples de la volonté
de former un nouvel ordre économique. Le but affiché par le groupe est de se doter d'institutions
financières indépendantes du fonds monétaire internationale (FMI) et de la Banque Mondiale
liées aux accords de Bretton Woods.461 Un montant initial de 100 milliards de dollars a été
investi dans la banque d'investissement 462, principalement par la Chine qui possède la plus
grande réserve de change. Cette réserve monétaire est principalement destinée à permettre aux
pays membres des BRICS de supporter des chocs et crises financières.
Les États-Unis sont particulièrement visés car il s'agit de se prémunir face aux changements de
la politique monétaire américaine qui en 2013 avaient amené les États émergents à subir des
sorties de capitaux. De même, la création de ces organes est aussi une riposte au refus du
Congrès des États-Unis de réformer le FMI. 463 La banque d'investissement et le fonds des
BRICS vont susciter l'attention de Moscou qui y voit surtout un moyen de s'opposer à la
domination du dollar comme devise sur la scène internationale, ce qui dans le contexte
ukrainien des sanctions contre la Russie va être un atout pour elle.
Dans le même ordre d'idée, Moscou et Pékin ont annoncé en 2014, la création d'une agence de
notation commune pour faire face au trio occidental : Moody's, Standard & Poor's et Fitch.464
Outre ces projets qui ont désormais une existence concrète, une proposition d'accord de libre-
échange a aussi été mis en avant par la Chine dans le cadre des BRICS en 2013465 puis en
2017466. Là encore, il s'agit de contrer la politique États-Unis : en 2013 l'idée était de faire
concurrence aux projets américains de libre échange dans le pacifique (TPP) et avec l'Union
européenne (TTIP), en 2017, de profiter de l’isolationnisme et surtout du protectionnisme du

461 ‘Les BRICS Un Acronyme Séduisant, Une Réalité Économique et Politique Encore Floue’, RAMSES
2015, 2014, pp. 36–41.
462 Ibid.
463 Charrel, Marie, ‘Les BRICS ont lancé leur banque de développement’, Le Monde.fr Op. Cit..
464 Kastouéva-Jean, Tatiana, ‘Russie. Un Emergent Qui Plonge?’, RAMSES 2015, 2014, 48–53.
465 ‘Les BRICS Un Acronyme Séduisant, Une Réalité Économique et Politique Encore Floue’, RAMSES
2015, Op. Cit..
466 ‘Chine : Plaidoyer Pour Le Libre-Échange Au Sommet Des BRICS’, Lesechos.fr, 2017
<https://www.lesechos.fr/monde/chine/010208366200-chine-plaidoyer-pour-le-libre-echange-au-sommet-des-
brics-2111293.php#Xtor=AD-6000> [accessed 7 November 2017].

Page 137
président américain Donald Trump. Cela reste pour l'instant une volonté chinoise. Toutefois, le
fait que la Russie ait promu le libre échange dans le cadre de l'Union économique eurasiatique
avec des États qui sont pour la plupart aussi membres de l'OCS peut porter à croire que Moscou
ne serait pas fermé à cette idée, même si le risque de domination de la Chine peut être un frein.

Les BRICS sont ainsi devenus un tremplin politico-économique qui offre à la Russie des alliés
et des projets pour peser face aux États-Unis et l'Europe. Toutefois, un épicentre commun à la
fois aux BRICS et à l'OCS se forme peu à peu autour de l'Inde, de la Russie et de la Chine.

2 : Le triangle Russie-Chine-Inde : une dynamique régionale interne source de puissance :

La Chine, la Russie et l'Inde ont formé un axe qui constitue l'épicentre de l'OCS et des
BRICS. 467 Ces trois États partagent une vision des relations internationale et des buts
convergents qui sont : « la multi polarité, démocratisation des relations internationales,
primauté de la souveraineté des États, droit des États à leur modèle propre de développement,
attachement à l’action de sécurité collective dans le cadre de l’ONU en cas de menace pour la
sécurité internationale (et opposition aux solutions unilatérales, surtout celles reposant sur la
force), besoin de renforcer le Conseil de sécurité. »468 Pour la Russie ce triangle lui offre un
lien avec les deux puissances maîtresses de l'Asie du Sud et de l'Est qui constituent
principalement le Rimland asiatique. Ces relations sont d'autant plus importantes avec le
décalage du centre de gravité économique qui s'est opéré peu à peu de l'Atlantique à l'Asie au
XXIème siècle et qui motive aussi le pivot asiatique américain. Enfin, ce triangle offre à la
Russie un rôle dans la rivalité entre l'Inde et la Chine et permet d'éviter que cette dernière
devienne une rivale problématique pour Moscou.

D'importants liens bilatéraux en matière de défense sont tissés par la Russie. Moscou joue sur
son statut d'ancienne puissance militaire et sur sa volonté de reconstituer son armée depuis la

467 Lo, Bolo, ‘Russie-Chine-Inde : Un Vieux Triangle Dans Un Nouvel Ordre Mondial ?’
<https://www.ifri.org/fr/publications/notes-de-lifri/russieneivisions/russie-chine-inde-un-vieux-triangle-un-
nouvel-ordre> [accessed 6 November 2017].
468 Facon, Isabelle, ‘Russie, Inde, Coopération Militaro-Technique’, Fondation Pour La Recherche
Stratégique, 2008 .

Page 138
présidence Poutine pour créer une coopération en matière d'armement visant à moderniser les
forces militaires des trois armées. Ce processus se fait à travers des échanges bilatéraux.
L’intérêt pour la Russie est triple : économique en mettant en avant un secteur qui est l'un de
ses atouts ; sécuritaire, en permettant à ses armées d'assurer la sécurité collective de la région. ;
militaire en créant une alternative à la présence américaine dans la région.
Avec la Chine, il faut souligner que la coopération est irrégulière et dépend de la conjoncture.
En outre, Pékin devient de plus en plus indépendante dans le cadre de son économie et de
l'industrie d'armement. Elle n'hésite d'ailleurs pas à développer ses propres modèles en se basant
sur ceux des Russes. C'est le cas du chasseur J-11 chinois qui est une copie du Su-27.1. Ces
éléments montrent les limites de ce partenariat.
Avec l'Inde, la Russie a dû prendre en compte le contexte particulier de cet État qui a de bonnes
relations avec les États-Unis, allant jusqu'à une coopération militaire469, mais qui nourrit une
forte méfiance envers la Chine. De ce fait, le partenariat indo-russe s'inscrit dans la poursuite
de deux objectifs partagés par les deux États470: diminuer l'influence économique et militaire
américaine en Inde et ainsi la rendre moins dépendante de la politique de Washington et
s'opposer à l'influence croissante de la Chine, qui de par sa puissance économique exprime des
prétentions de plus en plus fortes.

Sur le plan stratégique, la Russie a entrepris de renforcer ses relations économiques en matière
d'hydrocarbures en Asie et particulièrement avec la Chine. Si dans l'ensemble les relations entre
les trois États restent dans l'optique d'une politique de voisinage, celles-ci vont avoir un tournant
de plus en plus politique suite aux tensions liées à la Syrie et l'Ukraine. 471 Moscou désormais

469 «Ces commandes passées auprès de l’industrie américaine de l’armement coïncident avec le
rapprochement opéré par New Delhi et Washington en 2004, avec la signature du Next Step in Strategic
Partnership (NSSP) et celle, un an plus tard, d’un accord sur le nucléaire civil. Et cela, alors que les États-Unis
cherchaient aussi à ménager le Pakistan – ennemi historique de l’Inde et allié de la Chine – dans le cadre de leur
engagement en Afghanistan..
Depuis, les relations entre les deux pays ne cessent de s’intensifier, le Premier ministre indien, Narendra
Modi, s’étant déplacé au moins à 4 reprises aux États-Unis depuis 2014. »
Lagneau, Laurent, ‘Les États-Unis et l’Inde Renforcent Leur Coopération Militaire’, Zone Militaire
<http://www.opex360.com/2016/08/30/les-etats-unis-linde-renforcent-leur-cooperation-militaire/> [accessed 7
November 2017].
470 Facon, Isabelle, ‘Russie, Inde, Coopération Militaro-Technique’, Fondation Pour La Recherche
Stratégique, 2008.
471 Après 10 ans de négociation, la Chine et la Russie ont conclu un vaste accord gazier. L'entreprise russe
Gazprom a conclu avec la société étatique China National Petroleum Corporation, une entente de livraison de 38
milliards de mètres cubes de gaz naturel sur une période de trente ans.
‘Livraison de Gaz Naturel Russe Vers La Chine : Un Accord Historique | Perspective Monde’
<http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=1839> [accessed 7 November 2017]

Page 139
isolé en Occident, tout particulièrement avec les sanctions économiques, doit raffermir ses liens
avec les puissances asiatiques pour contourner cette mise à l'écart par les pays de l'OTAN. La
Russie se rapproche aussi de l'Inde et de l'Iran en matière énergétique et développe une « route
de la soie » destinée à contourner le poids américain au Moyen-Orient : « il s’agirait ici d’une
voie maritime au départ (Mumbai Bandar Abbas), puis terrestre, reliant le port iranien, aux
intenses activités énergétiques, au sud de la Caspienne et à l’Azerbaïdjan, et de là vers la
Russie, le Kazakhstan et la Turquie : un projet baptisé « corridor de transport international
Nord-Sud » »472 Moscou ne se limitera pas qu'aux hydrocarbures et participera à la construction
de réacteurs nucléaires en Inde.473
Pour la Chine et l'Inde, il s'agit de diversifier leur approvisionnement en ressources énergétiques
dépendant principalement du charbon pour Pékin. Pour la Russie, le but est de moins dépendre
de ses clients occidentaux et de se tourner vers un partenaire globalement en phase avec ses
positions politiques.474 Cela ne veut pas dire pour autant que Moscou souhaite abandonner le
marché européen, une telle chose étant contre-productive pour l'économie russe qui reste
majoritairement dépendante de ce marché475. Il s'agit de diversifier les partenaires économiques
et d'envoyer un message voire un avertissement politique aux européens et aux États-Unis. La
politique russe pratiquée dans cet axe Russie-Chine-Inde s'inscrit dans les objectifs stratégiques
de la présidence Poutine : l'utilisation de l'économie afin de retrouver une puissance
internationale. En tissant des liens commerciaux et en diversifiant ses partenaires parmi les
États majeurs de la scène internationale, la Russie diminue sa dépendance envers chacun de ses
partenaires.

Si l'utilisation des émergents en Asie du Sud et de l'Est permet à la Russie de réduire sa


dépendance vis-à-vis de l'Occident et de partager un projet multipolaire de contestation,

472 The geopolitics of Indian energy’, Hérodote, 2014, p.125.


473 Kudankulam, au Tamil Nadu.
Ibid p,116.
474 Livraison de Gaz Naturel Russe Vers La Chine : Un Accord Historique | Perspective Monde’
475 « L’Europe absorbe en effet près des 3/5 du pétrole exporté par la Russie (57 %) et plus des 4/5 de ses
exportations de gaz (56 %). Au total, environ 15 % du PIB russe dépendent ainsi des échanges énergétiques avec
l’Europe. »
Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘Les relations pétrogazières UE-Russie et le débouché chinois. La
géopolitique avant le commerce, European Union-Russia oil and gas relationship and the Chinese prospect.
Geopolitics before trade’, Hérodote, 2014, p.45.

Page 140
Moscou ne délaisse pas la région du Proche et du Moyen-Orient qui représente un intérêt
historique pour elle. Elle utilisera pour cela l'OCI (B)

B La participation à l'OCI : limiter la pénétration occidentale au Proche et Moyen-


Orient

La Russie est un État musulman. Comme le rappelle l'historienne Hélène Carrère d'Encausse,
de nombreux éléments passés et présents justifient ce qualificatif.476 Les Russes ont eu au cours
de leur histoire une relation complexe avec ce monde musulman, à travers principalement le
rival turc. De même durant la période soviétique, l'URSS sera active à soutenir les régimes
socialistes qui vont se développer dans cette région. Si ces derniers étaient laïques, cela a permis
à Moscou de renforcer ses liens avec certains États de culture musulmane comme en premier
lieu la Syrie.
La chute de l'URSS va amener une diminution conséquente de l’influence russe au Proche et
Moyen-Orient au profit des Américains et de leurs alliés, l'Arabie Saoudite, la Turquie et
Israël.477 De plus l'indépendance des États du Sud de la Russie va créer une zone tampon avec
le monde musulman, incitant Eltsine à se désintéresser de celui-ci. Cette situation change sous
la présidence Poutine : la seconde guerre en Tchétchénie qui a débuté au début de son premier
mandat et la situation chaotique qui se forme dans le monde arabo-musulman après le 11
septembre 2001 furent des déclencheurs pour la Russie qui voit de nouveau ses intérêts dans
cette zone (1) et qui adopte progressivement un rôle de médiateur en profitant des erreurs et
hésitations américaines (2)

476 « Depuis le xvie siècle, la Russie s’est étendue sur des terres d’Islam, absorbant les prestigieux khanats
de Kazan, de Crimée, d’Astrakhan, avant d’ajouter à son patrimoine l’Asie centrale et le nord du Caucase. » Il
ne faut pas non plus oublier le congrès de Bakou de 1920 qui était une tentative d'attirer les musulmans dans le
Komitern : « À Bakou, des communistes ou des nationalistes de la partie musulmane de la Russie attirés par le
communisme reprennent les appels du Tatar Sultan Galiev à une révolution orientale, développement de la
révolution russe. » Carrere d’Encausse, Helene, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit..
477 Là encore le cas Syrien est intéressant, la Russie sous la Perestroïka de Gorbatchev pris ses ditances du
régime Baas et se rapprocha d'Israel. Moscou cessa, en 1991, toute aide économique et militaire, ne conservant
que son port militaire de Tartous.
Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.190.

Page 141
1 : la situation chaotique au Moyen-Orient entre enjeux et opportunités pour la Russie :

L'Organisation de coopération islamique a été créée en 1969, dans le but de rassembler tous les
États musulmans du monde. Elle comporte 57 membres dont tous les pays du Maghreb, tous
les pays du proche et Moyen-Orient hors Israël.478 Malgré son existence, elle n’empêchera pas
les tensions et conflits entre ses membres qui ressurgiront au XXIème siècle. Cette situation
tient à la combinaison de trois divisions majeures au sein de cet espace géopolitique. Tout
d'abord l'opposition millénaire idéologique et religieuse entre les chiites et les sunnites.479 Le
cas de la Syrie est particulier car malgré une majorité sunnite dans la population, l’État est dirigé
par les alaouites qui se rattachent aux chiites. Derrière cette division religieuse se greffe une
opposition politique entre l'Iran et l'Arabie saoudite pour le contrôle de la région. Ces deux États
vont utiliser les deux courants de l'Islam afin d'étendre leur influence. Enfin derrière cette
rivalité Iran/Arabie saoudite, se trouve une rivalité entre les États-Unis et la Russie datant de la
guerre froide et reposant sur des alliés traditionnels datant de cette époque. Les premiers ont
pour principal partenaire dans le monde musulman , l'Arabie saoudite depuis le pacte du Quincy
en 1945480. La Russie va avoir comme allié principal, la Syrie depuis l'arrivée au pouvoir des
alaouites, et donc indirectement des chiites, du parti Baas en 1966 puis d'Hafez al-Assad en
1971481.
L’intérêt russe pour la région se manifesta avec sa volonté de rejoindre l'OCI à partir de 2003.
Le discours civilisationnel fut à la fois utilisé à cette occasion à des fins diplomatiques afin de
se rapprocher des membres de l'organisation au nom d'un rapprochement entre les religions.
Les propos du ministre des affaires étrangères russe Serguei Lavrov à l'OCI en 2005 sont
éloquents sur ce sujet : « L’islam est la religion d’une grande civilisation ; il fait partie
intégrante de l’héritage historico-culturel et de la vie de notre pays aujourd’hui. Au fil de

478 ‘Histoire’ <http://www.oic-oci.org/page/?p_id=116&p_ref=26&lan=fr> [accessed 25 October 2017]


la liste des 57 membres:‘Organisation de La Coopération Islamique’ <http://www.oic-
oci.org/states/?lan=fr> [accessed 25 October 2017].
479 Le monde musulman est constitué de 80 % de sunnites et de 20 % de chiites. Leur répartition
géographique a de l'importance . Les chiites se concentrent en Iran (80 % de la population et c'est aussi la religion
d’État) et en Irak (51 % de la population concentré dans le sud du pays). Le reste des régions musulmanes sont à
majorité sunnite.
‘Le Moyen Orient / Carte Du Sunnisme et Du Chiisme’ <http://www.linternaute.com/savoir/idee-
religion/dossier/sunnisme-chiisme/carte.shtml> [accessed 25 October 2017].
480 « Celui-ci repose sur la protection de l'Arabie par Washington en contrepartie d'un accord commercial
pétrolier. »
Labévière, Richard, ‘Printemps, été et automne arabes’, Revue internationale et stratégique, 2011, p.83.
481 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.190.

Page 142
l’histoire plus que millénaire de la Russie, la coexistence de la majorité orthodoxe et des
musulmans – soit aujourd’hui près de 20 millions de citoyens russes – s’est transformée en une
imbrication étroite et mutuellement enrichissante de cultures. En agissant main dans la main,
nos deux confessions traditionnelles font beaucoup pour prévenir les discordes interethniques
et l’intolérance religieuse en Russie, contribuant ainsi à consolider l’évolution future du
dialogue islamo-chrétien. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le patriarche de Moscou et de
toutes les Russies Alexis II a apporté son soutien à l’initiative qui a conduit la Russie à
s’engager dans la coopération avec l’Organisation de la Conférence islamique. »482, De plus
la Russie rejette le concept du « choc des civilisations » repris aux États-Unis. Là encore le
ministre Lavrov mentionne : « Comme l’a fait remarquer le président Vladimir Poutine au
cours d’une récente visite au Proche-Orient, maintenant que le schisme idéologique du monde
a pu être surmonté, nous ne saurions laisser triompher ceux qui voudraient le diviser cette fois
en vertu de principes religieux ou civilisationnels. » Ce discours cache des intérêts plus
réalistes, principalement d'ordre économique et sécuritaire. À cette fin, le cœur de la stratégie
russe au sein des États de l'OCI se situe dans les relations entre les deux rivaux, l'Iran (1.1) et
l'Arabie Saoudite (1.2), tout en cherchant à conserver l'allié Syrien qui lui offre un point
d'attache à la mer méditerranée.

1.1 Un rapprochement avec l'Iran proportionnel aux tensions avec les États-Unis

Le rapprochement entre l'Iran et la Russie a commencé à la fin de la guerre froide sur une base
pragmatique. L’Iran ne devait pas intervenir auprès des populations musulmanes du Caucase et
d'Asie centrale et donc des républiques soviétiques. En contrepartie, la Russie aidait Téhéran à
développer le nucléaire civil et coopérait avec celle-ci dans des secteurs stratégiques sensibles
comme l'armement.483
Néanmoins, c'est clairement l'opposition entre la Russie et les États-Unis qui va servir de fil
directeur à cette relation. Lorsque la Russie est en bon terme avec eux, le lien Moscou-Téhéran

482 Lavrov Serguei cité dans Tinguy, Anne de, and Isabelle Facon, ‘6. L’ouverture sur l’Asie et le monde
arabo-musulman : la Russie « quitte-t-elle l’Occident » ?’, in Moscou et le monde (Autrement, 2008), p.171.
483 Therme, Clément, ‘L’axe Irano-Russe Au Moyen-Orient’, Diplomatie, March 2016, pp. 60–63.

Page 143
est mis de côté, a contrario quand les tensions entre les deux puissances resurgissent le
rapprochement avec l'Iran prend une place majeure dans la politique moyen-orientale de la
Russie. 484 Ce soutien russe n'est donc pas absolu. C'est ainsi que la Russie soutiendra les
sanctions contre le nucléaire iranien au Conseil de sécurité entre 2006 et 2010, ce qui sera perçu
par l'Iran comme une soumission de la Russie aux intérêts américains. Toutefois, dans le même
temps, Moscou cherchera à rester en contact avec Téhéran en maintenant la coopération
militaire et le partenariat sur le nucléaire civil.485 De même la Russie critiquera la volonté de
recourir à la force par l'administration Bush. Finalement la Russie adoptera avec l'Iran une
position médiane entre les États-Unis et Téhéran pendant cette période. Elle cherche ainsi à
l'époque à se poser en intermédiaire et en médiateur.
L’élection en Iran du président Rohani en 2013 facilite la coopération. Le rapprochement avec
l’administration d'Obama réalisé par ce dernier suscite une réaction duale de la part de la Russie.
D'un côté, Moscou soutient ce rapprochement sur fond d'apaisement et de résolution du
problème du nucléaire iranien en tant que continuité de la politique de médiation sous le mandat
de Bush. De l'autre, elle craint une normalisation des relations entre Téhéran et Washington et
donc de perdre un partenaire majeur dans la région. C'est donc une logique d’intérêts communs
économiques au profit de la Russie du fait de sa supériorité économique basée sur la haute
technologie, l'armement mais aussi les hydrocarbures qui est la partie majeure de la coopération
jusqu'à la crise syrienne. Cette dernière est un facteur majeur du rapprochement russo-iranien
et de la convergence d’intérêts entre ces deux États menant au soutien le gouvernement syrien.
La Russie profite aussi de la situation pour former une coalition avec l'Iran et la Syrie afin
d'intervenir et de combler l'inaction des occidentaux. L'intervention militaire russe en septembre
2015 est le résultat de ce rapprochement : l’Iran au travers ses milices libanaises du Hezbollah
joue un rôle de renfort et de soutien à l'armée syrienne. Le tout étant coordonné par Moscou.

484 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors (Los Angeles: CQ Press,
2013) P.319.
485 « Dans le courant de l’année 2006, 29 systèmes antiaériens mobiles de type TOR M-1 (équipés de missiles
sol-air à courte portée, code OTAN SA-15 Gauntlet) ont été livrés en Iran et une aide d’environ un milliard de
dollars a été apportée. »
« On notera que la coopération entre Moscou et Téhéran se développe aussi bien dans le domaine de la
haute technologie (énergie atomique, hydroélectricité, armement, technologie de l’aviation civile,
communications, spatial) que dans la production/le transport du pétrole et du gaz naturel, la construction de
chemins de fer dans le cadre du projet Nord-Sud – aménagement d’un corridor de transport de la frontière russo-
finlandaise jusqu’au port iranien de Bandar-‘Abbâs dans le golfe Persique –, et aussi dans le domaine de
l’approvisionnement en matières premières, en équipements, en produits alimentaires et en produits manufacturés
de l’industrie légère. »
Evseev, Vladimir V., ‘Russie-Iran : un partenariat prudent’, Outre-Terre, 2011, 501–11.

Page 144
Cette politique de convergence d’intérêts entre la Russie, la Syrie et l'Iran ainsi permet à
Moscou de gagner en influence dans cette région et de prouver une capacité d'action retrouvée.

1.2 Un rapprochement opportuniste avec l'Arabie saoudite

Du côté saoudien, des rapprochements ponctuels ont lieu quand les relations entre l'Arabie et
les États-Unis se tendent. C'est ainsi qu'après le 11 septembre 2001, les États-Unis exerçant des
pressions sur le royaume Saoud, celui-ci commencera à diversifier ses relations afin de diminuer
sa dépendance à l’Amérique, ce qui l’amènera à améliorer sa position avec la Russie. En 2003,
le futur roi Abdullah ira rencontrer le président russe à Moscou et donnera des garanties à
Moscou de ne pas interférer en Tchétchénie en considérant que c'est une affaire interne.486 Cette
rencontre se fera dans le contexte du début de la guerre en Irak lancée par les États-Unis. En
2008, le président Poutine ira en Arabie, une première pour un dirigeant russe, le but étant
principalement économique, les Saoudiens voulant un autre partenaire que les États-Unis,
capable de leur fournir de la haute technologie dans certains secteurs clés comme le nucléaire.
Pour la Russie, il s'agit d'avoir un nouveau partenaire économique. Mais l'élément majeur du
rapprochement entre les deux parties est la question du règlement des différends sur les
questions énergétiques, les deux États figurant parmi les plus gros producteurs d'hydrocarbures
au monde et l'Arabie ayant une position prédominante dans le cartel de l'OPEP.
Néanmoins la crise syrienne va être source d'un profond désaccord entre la Russie entre la
Russie et l'Arabie menant finalement à un conflit interposé au travers des factions syriennes.
De même la hausse de production impulsé (amenant une baisse du prix du baril de pétrole) par
le royaume saoudien aura pour but de mettre à mal les économies de rentes iraniennes et
russes. 487 Si la guerre civile syrienne mettra en pause ce rapprochement, le comportement
stratégique américain les pousse à se rapprocher de nouveau. Le rapprochement entre l'Iran et
l’Amérique sous la présidence d'Obama pousse l'Arabie saoudite à reprendre sa politique envers
la Russie, toujours dans le but de diversifier ses relations. De même le refus d'intervention
américaine en Syrie et l'aspect aléatoire et incertain de la politique de l'administration Trump
renforce la position de l'Arabie envers la Russie.

486 Katz, Mark N., ‘The Emerging Saudi-Russian Partnership’, Mideast Monitor, 3 (2008) .
487 ‘Pourquoi l’Arabie Saoudite Est Nettement plus Forte (et Dangereuse) Qu’on Le Croyait’, Atlantico.fr
<http://www.atlantico.fr/decryptage/pourquoi-arabie-saoudite-est-nettement-plus-forte-et-dangereuse-qu-on-
croyait-david-rigoulet-roze-1923096.html> [accessed 27 October 2017].

Page 145
C'est dans cet esprit que le roi d'Arabie Salmane va rencontrer le président Poutine en octobre
2017 488 pour régler les différends qui sont survenus avec le conflit syrien. Sur ce dernier,
l'Arabie ne considère plus le départ du président Assad comme un préalable à la discussion.489
Les soutiens du royaume dans cet État étant en difficultés, il s'agit désormais de discuter et
négocier une sortie de crise. De même sur la question des hydrocarbures, le modèle
OPEP+Russie, initié en décembre 2016, a permis la stabilisation des prix du pétrole grâce à une
diminution de la production.

2 La Russie, médiatrice au Proche-Orient

Grâce aux relations tissées par la Russie, celle-ci va pouvoir se poser comme intermédiaire
voire médiateur au sein de l'OCI et principalement entre les deux grands acteurs (Iran et Arabie
Saoudite) de la géopolitique interne de l'organisation. Ces derniers ont progressivement rompu
leurs relations, sur fond de crise syrienne mais aussi et surtout avec la guerre civile yéménite à
la frontière saoudienne et les affrontements entre les communautés chiites et sunnites.
L'implication de la Russie en Syrie lui a permis de montrer qu'elle était désormais une force sur
laquelle il fallait compter dans la région et qui ne peux plus être ignorée. De plus, Moscou
possède un avantage comparé à Washington au sein des membres l'OCI : elle entretient des
liens avec tous les membres. Les États-Unis ne possèdent en effet pas d'ambassade à Téhéran
contrairement à Moscou. La ligne dure préconisée par le président Trump sur l'Iran va conforter
cet avantage diplomatique pour la Russie.
La nécessité de trouver une solution politique au conflit syrien amène les différentes parties à
discuter avec la Russie qui possède désormais un contrôle incontestable sur une partie du
pays490. Cette possibilité de médiation peut en outre être facilitée par la modération de l'Iran et

488 Delanoe, Igor, ‘Ce Qu’il Faut Retenir de La Visite Du Roi d’Arabie Saoudite À Moscou’, Le Courrier de
Russie, 2017 <https://www.lecourrierderussie.com/international/2017/10/visite-roi-arabie-saoudite-moscou/>
[accessed 27 October 2017].
489 Ibid.
490 Le roi d'Arabie Salmane rencontra le président Poutine en octobre 2017 dans cette optique. Le but est
principalement de régler les différends qui sont survenus avec le conflit syrien. Sur ce dernier, l'Arabie ne considère
plus le départ du président Assad comme un préalable à la discussion. Les soutiens du royaume dans cet État étant
en difficultés, il faut désormais de discuter et négocier une sortie de crise. De même sur la question des
hydrocarbures, c'est un domaine qui a connu d'importants progrès. En effet, le modèle OPEP+Russie, initié en
décembre 2016, a été confirmé et la stabilisation des prix du pétrole est désormais acceptée au travers une
diminution de la production. Enfin, il existe une formalisation du projet de la vente d'armement russe à l'Arabie
saoudite (qui se fournie habituellement chez les États-Unis voire en Europe).

Page 146
de l'Arabie saoudite : la prise de distance des gouvernants vis-à-vis des élites religieuses peut
amener ce résultat, l'argument religieux étant l'une des principales sources de tensions entre
eux. Certains signes montrent que cette direction commence à être prise : la réélection du
président Hassan Rohani en Iran en 2017 qui incarne l’aile politique modérée et la volonté du
prince héritier d'Arabie Mohammed ben Salmane Al Saoudde de moderniser son pays. La
rivalité géopolitique reste toutefois présente et s'est même accrue depuis 2017 mais peut être
gérée par Moscou qui garde des relations positives avec les deux États.
Ce contexte qui s’établit progressivement face à l'intransigeance américaine de la nouvelle
administration Trump sur certaines questions touchant la région peut permettre à la Russie de
gagner en influence dans l'OCI. Il convient de noter que la Russie a déjà commencé son action
de médiation au sein des États de l'organisation comme le montre les pourparlers d'Astana en
septembre 2015 entre Moscou, Téhéran et Ankara sur la crise syrienne, se déroulant en parallèle
à ceux de Genève.

La stratégie politique et diplomatique de la Russie profite ainsi de la prise de distance, à des


degrés divers, des États de la région vis-à-vis de Washington même si la récente politique
commerciale du président Trump envers l'Arabie saoudite a amené cette dernière à se
rapprocher des États-Unis. En l'espèce, il s'agit avant tout d'une politique régionale visant à
assurer les intérêts historiques de la Russie dans cette zone. Moscou est toutefois consciente
qu'elle ne peut pas totalement prendre la place des États-Unis au sein des États musulmans mais
plutôt assurer une présence.
En effet, Moscou n'a pas les moyens économique et militaire de concurrencer Washington. De
même, le partenaire principal de la Russie reste à l'heure actuelle l'Iran et cette relation reste
prioritaire dans la région. L'Arabie continue de maintenir un fort partenariat avec les États-Unis
comme le prouve le contrat d'armement de 380 milliards passé avec le président Trump en mai
2017. Toutefois, le but de la Russie est d'élargir le champ des discussions dans la région afin de
lui permettre de jouer un rôle dans la résolution des défis géopolitiques et économiques en
comblant le vide laissé par les limites de la politique américaine.
En plus des grandes puissances majeures de la région comme l'Iran et l'Arabie saoudite, il faut
noter qu'un certain nombre d’États de l'OCI se sont aussi tournés vers Moscou pour prendre
leur distance avec les États-Unis. C'est ainsi particulièrement le cas de l’Égypte du président
Sissi qui s'est rapprochée de la Russie suite aux tensions avec Washington résultant du coup

Page 147
d’État du président égyptien.491 Dans un tel cas, la Russie devient plus qu'un médiateur, elle
devient un contrepoids.

La stratégie russe dans son étranger proche et en Asie repose ainsi sur deux vecteurs
économique et sécuritaire conformément aux intérêts russes définis par Primakov puis par
Vladimir Poutine. Les différentes organisations internationales utilisées par Moscou lui
fournissent un cadre institutionnel lui permettant de tisser des liens bilatéraux avec les
puissances présentant des intérêts stratégiques pour la Russie. C'est d'ailleurs toute l’ambiguïté
de la diplomatie russe basée sur le réalisme : prôner le développement de structures de
coopération politiques régionales et globales afin de concurrencer et limiter la percée
occidentale, tout en privilégiant les relations bilatérales où la Russie peut utiliser sa puissance
pour défendre ses intérêts propres.

Conclusion du chapitre 2

Les États-Unis comme la Russie utilisent les organisations internationales pour appuyer leur
politique. Trois points communs en ressortent : les deux États ont une vision utilitariste des
organisations dont ils font parties ; si celles-ci ne répondent plus à leurs besoins, Moscou et
Washington prendront leurs distances comme en témoigne le pivot asiatique américain et le
retour de l’isolationnisme dans ce pays ou les contourneront comme le prouve les actions
militaires russes contre des membres de la CEI. De plus, les deux États n'abandonnent pas les
relations bilatérales avec les autres membres ,et partenaires , des organisations auxquelles ils
ont adhéré : bien au contraire elles sont des vecteurs permettant de tisser des liens en prévision
d'une coopération approfondie. Ces relations bilatérales permettent d'influencer l'équilibre
régional en faveur des États-Unis avec l'opposition entre « vieille » et « nouvelle Europe » dans
l'OTAN ou de la Russie avec l'utilisation des rivalités Iran/Arabie Saoudite et Inde/Chine.
Enfin, les politiques russe et américaine se concentrent principalement sur les territoires que

491 Mongrenier, Jean-Sylvestre, et Françoise Thom, ‘Chapitre III. Un tournant de la Russie vers l’Orient ?’,
in Géopolitique de la Russie (Presses Universitaires de France, 2018), 2E ED., p.109.

Page 148
chacun considère comme leur zone d'influence : former un glacis stratégique pour assurer la
sécurité et les partenariats économiques immédiats de chacun.
Il subsiste toutefois une différence majeure entre les deux États : le potentiel de moyens
utilisables joue en faveur des États-Unis qui, malgré des faiblesses certaines, possèdent une
primauté politique, économique et surtout militaire sur la scène internationale, la Russie étant
toujours dans une phase de reconstruction interne. De même le lien transatlantique reste solide,
là où les relations entre la Russie et son étranger proche sont gangrenées par le passé soviétique
provoquant une méfiance envers le pouvoir russe. La capacité impérialiste de la Russie au sens
que Raymond Aron lui donne492 est dès lors limitée. La force de Moscou viendra de sa capacité
à tirer profit des erreurs et faiblesses américaines : ne pouvant l'affronter de manière d'égal à
égal, la stratégie russe se concentre sur le contournement lui permettant de réduire la pression
occidentale. Toutes ces stratégies restent toutefois conditionnées par l'actions des
administrations des deux États (Titre 2)

492 « une entité politique exerce une sorte de domination sur d'autres entités, soit en lui dictant l'action
qu'elle doit mener au-dehors, soit en lui interdisant de choisir le régime de son choix. »
Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit..

Page 149
Titre 2 Une relation tributaire de la pratique
politique des administrations russes et
américaines

Les intérêts intrinsèques des États-Unis et de la Russie ont créé un cadre pour une confrontation
réactualisée par les mécanismes d'une scène internationale mondialisée. Mais cette relation
reste guidée par la pratique des administrations des deux États. Comme le rappellent les
penseurs réalistes, l’État s'incarne dans ses représentants. Si, selon Machiavel, la politique
étrangère se définit comme l'ensemble des décisions prises par le chef de l’État en vue de
maximiser les objectifs dudit État, dans les faits, celui-ci n'est jamais seul. Il est entouré de ses
conseillers et/ou de son cabinet. De plus, la nature démocratique ou autoritaire du régime influe
sur l'étendue des pouvoirs et de liberté décisionnelle accordée au dirigeant. Dans le cas des
États-Unis, le président493 est appuyé en matière de politique étrangère par son cabinet et tout
particulièrement par le secrétaire d’État et le secrétaire de la défense494. La communauté du
renseignement495 et le Conseil de sécurité national496 ont aussi pris une importance considérable
dans le processus décisionnel. De plus, le Congrès des États-Unis497 exerce une fonction de
contrôle sur cette politique. En Russie, la présidentialisation du régime sous la présidence
Eltsine accentuée sous celle de Poutine couplée à l'autoritarisme croissant du régime permet au
président russe d'avoir plus de liberté en matière de politique étrangère. Son pouvoir n'est
cependant pas à surestimer : la politique russe obéit à une logique de clan avec laquelle le
dirigeant du Kremlin doit composer. En conséquence, le pouvoir du président de la Russie
s’appuie en priorité sur les « siloviki »498 dont il est lui-même issu. En outre, il élargit son cercle

493 David, Charles-Philippe, La politique étrangère des États-Unis Op. p.193–239.


494 Ibid p. 242-262 Il convient de souligner que l'importance donnée aux membres du cabinet varie en
fonction du président.
495 Ibid p.262-278.
496 Ibid p.287-334.
497 Ibid p.339-390.
498 Les cadres vétérans des ministères soviétiques et russes liés à la sécurité et la défense qui ont peu à peu
pris une place prépondérante sur la cène politique et économique après la chute de l'URSS
Raviot, Jean-Robert, ‘Le prétorianisme russe : l’exercice du pouvoir selon Vladimir Poutine’, Hérodote,
2017, p.15.

Page 150
intime en y intégrant d'abord des élites de Saint-Pétersbourg, sa ville natale, puis moscovites.
À côté de ces cercles de pouvoirs, il convient aussi de noter la prise d'importance progressive
du ministre des affaires étrangère Serguei Lavrov, en poste depuis 2004, qui est devenu le pilier
de la diplomatie russe.
Ces corps dirigeants, sous l'autorité des présidents russes et américains, définissent la politique
étrangère via leurs perceptions des intérêts de leur pays mais aussi de la personnalité de ces
derniers. En effet, la qualité des relations étrangères repose aussi sur les relations personnelles
entre les dirigeants et sur la concordance de leurs caractères. Sur ce point, les relations
américano-russes ont été impactées par le fait que le président soit Medvedev ou Poutine.

Enfin, la pratique diplomatique entre les États-Unis et la Russie est influencée par un facteur
lié à la stratégie russe. Lors des deux premiers mandats de Vladimir Poutine et celui de Dimitri
Medvedev, Moscou a eu pour objectif de reconstruire la Russie et de reconsolider l’État
amenant le pays à limiter la confrontation avec les États-Unis (Chapitre 1). Le retour de
Vladimir Poutine à la présidence en 2012, conduit à un changement de paradigme : le pouvoir
prend un tournant plus autoritaire et souhaite jouer un rôle plus actif dans les relations
internationales (Chapitre 2). Ce tournant, quoique logique, dans la conduite de la politique
étrangère russe par le gouvernement de Poutine entraîne une dynamique relationnelle différente
avec les États-Unis.

Page 151
Chapitre 1 L’Administration des États-Unis face à une
Russie en reconstruction (2000 -2012)

Dans le cadre de la doctrine étatique qui sert de fil conducteur à l'action du président Poutine,
les autorités russes chercheront dans un premier temps à rétablir l'ordre interne et à renforcer
les vecteurs de puissance du pays, à savoir l'économie et l'outil militaire. Cette politique a pour
corollaire d'éviter autant que possible le retour d'une rivalité trop forte avec les États-Unis qui
serait contre-productive à l'essor de la Russie. Cette situation favorise des rapprochements
ponctuels entre les deux États et ce, tout particulièrement, au début des mandats des présidents
américains (1). Toutefois, un certain nombre de facteurs, liés à des positions divergentes des
administrations, ont créé de nouvelles frictions entre les États-Unis et la Russie. (2)

Section 1 Les débuts des mandats des présidents Bush Jr et Obama : des
rapprochements motivés par des intérêts communs

Le début du premier mandat des présidents George W. Bush et Barack Obama a donné lieu à
un rapprochement avec la Russie. Pour autant, les causes ne sont pas les mêmes et sont liées
aux circonstances. Dans le cas du rapprochement entre les présidents Bush et Poutine, c'est
l'attentat du 11 septembre qui sert de catalyseur et qui amène Moscou à prendre l'initiative de
resserrer ses liens diplomatiques avec les États-Unis, dans un but intéressé. (§1). Dans le cas du
« reset » des relations entre les présidents Obama et Medvedev, le contexte de crise économique
est un élément favorisant cette ouverture (§2). Ces deux épisodes permettent de mettre en
évidence des dynamiques générales favorisant la coopération entre les deux États.

Page 152
§1 le rapprochement entre les présidents Bush Jr et Poutine : une main tendue
intéressée de la part de la Russie

Les attentats du 11 septembre 2001, ont changé l'ordre géopolitique qui est en vigueur depuis
la fin de la guerre froide. Les États-Unis perçus comme invincible subissent un choc
psychologique majeur. Si leur puissance économique et militaire est intacte, cette attaque a
ébranlé la sphère politique non seulement américaine mais aussi des autres États du monde. Le
gouvernement russe, crée une ouverture pour le gouvernement américain en proposant une
coopération sécuritaire teintée d'occidentalisme (A). Néanmoins derrière ce rapprochement se
manifestent des intérêts nationaux (B)

A Une coopération idéologique sur fond sécuritaire


La coopération entre les deux présidents trouve sa source dans une vision du monde commune
teintée de conservatisme (1) qui se dote d'une couche de « civilisationnisme » occidental après
le 11 septembre 2001 (2).

1 Un conservatisme dans les relations internationales partagé par les présidents

Les premières années des mandats des deux présidents nouvellement élus se caractérisent par
un programme politique rompant avec certains paradigmes de leurs prédécesseurs. Vladimir
Poutine, en souhaitant rétablir l'ordre étatique en Russie et assurer au pays une présence
renouvelée dans les relations internationales, prend ses distances avec l'occidentalisation de la
société accomplie sous Boris Eltsine. George W. Bush, de son côté, se fait élire avec une
position en politique étrangère axée sur une vision réaliste à la fois pessimiste et géopolitique
du monde, refusant l’interventionnisme humanitaire et l'internationalisme idéaliste de Bill
Clinton499. Ce tournant politique conservateur teinté de nationalisme s’effectue dès l'arrivée au

499 « [la politique étrangère] s’est surtout concentrée sur la quête d’une « politique réaliste », par opposition
à une approche clintonienne dénoncée comme irréaliste ou naïve. Cette quête a paru largement s’inspirer de deux
slogans : « Sécurité d’abord » et « America First ». »
MELANDRI, Pierre, ‘La politique étrangère de George W. Bush’, AFRI 2002, 2003 p.514.

Page 153
pouvoir des deux présidents. Leurs premiers contacts sont cordiaux, comme le prouve leur
échange lors de leur rencontre en Slovénie en juin 2001,500 l'approche réaliste partagée, tout
comme une certaine proximité idéologique 501 , et l'absence d’intérêts de nature à créer la
discorde sont les causes de cette bonne entente. Avant le 11 septembre, la politique du président
Bush renoue avec celle du président Reagan, tout particulièrement en matière économique.
Cette dernière dimension est également bien présente dans le programme du président russe.
Même si les orientations de ces programmes économiques vont dans des directions opposées
avec la promotion du libre-échange du côté américain et la reprise en main partielle de
l'économie en Russie, il existe une logique commune d'affaire chez les deux dirigeants qui
s'inscrit dans un réalisme général reposant sur la maximisation de la puissance économique de
l’État à travers les points forts de chaque pays502.
De même, les deux présidents sont partisans d'une forme d’isolationnisme limité. Du côté
américain, malgré une campagne électorale accusant Bill Clinton de passivité et de
complaisance dans les relations internationales, le président Bush se montre peu actif à
l'étranger avant le 11 septembre. La Russie, de son côté, préfère se concentrer sur ses problèmes
de sécurité interne comme la Tchétchénie plutôt que de prendre une place trop importante sur
la scène internationale, place qu'elle aurait du mal à assumer de par sa faiblesse structurelle et
politique de l'époque. Les présidents Bush et Poutine avec leur vision du monde ont des
positions communes qui permettent d'expliquer le terreau fertile aux bonnes relations dès leur
première prise de contact. D'une certaine manière, compte tenu de l'influence de la pensée
« Reagan » au sein du parti républicain et chez W. Bush avant le 11 septembre, il n'est pas
impossible que ce dernier ait voulu renouer avec l'esprit qui animait le président Reagan : faire

500 «« Bush déclare alors : « j’ai regardé cet homme [Poutine]droit dans les yeux. Je l’ai trouvé droit, franc
et digne de confiance […]J’ai pu comprendre le sens de son âme » . Le Président américain propose à son
homologue russe de « faire l’Histoire ensemble » .
ZARIFIAN, Julien, ‘Les relations entre les Etats-Unis et la Russie depuis la chute de l’URSS. La
recherche perpétuelle d’un “rythme de croisière”’, AFRI 2012, 2014 p.485.
501 Malgré des divergences sur un certain nombre de points liés aux différences culturelles entre les deux
États, les présidents Poutine et W. Bush sont issus de formations de droite libérales-conservatrices : cette doctrine
est en effet celle en vigueur dans le parti républicain depuis la présidence Reagan et le parti naissant Russie Unie
bien qu'avant tout étatique y accordait une place importante. Le futur montrera que ces deux partis suivront peu à
peu une voie similaire les poussant à privilégier le conservatisme au détriment du libéralisme.
502 Les États-Unis qui se voulait le parangon du libéralisme économique à l'époque se sont orienté lors de
l'arrivée au pouvoir de W. Bush sur la défense du libre échange « Le nouveau Président a ainsi multiplié les prises
de position en faveur de la poursuite d’une politique de réduction ou d’élimination des barrières douanières.
L’intensité de son intérêt pour ce dossier s’est traduit dans le choix d’un diplomate habile et expérimenté, Robert
Zoellick, comme Special Trade Representative, et par celui d’un proche, Don Evans, comme secrétaire au
Commerce. »MELANDRI, Pierre, ‘La politique étrangère de George W. Bush’, AFRI 2002, Op. Cit. p.513 A
contrario, la Russie, pays à forte tradition autoritaire et en crise économique interne a utilisé l'outil Étatique dans
le but de ramener la stabilité.

Page 154
de la Russie un partenaire permanent pour les États-Unis.503 Le triomphalisme504 qui a dominé
aux États-Unis sous la présidence Clinton et qui était source de tension avec la Russie est moins
présent lors du mandat Bush et ce tout particulièrement après l'attentat du 11 septembre 2001,
qui fragilise psychologiquement le pays. La proposition d’adhésion à l'OTAN, dans le but d'une
sécurité européenne, faite par le président américain à la Russie va dans le sens d'un nouveau
partenariat.505 Dans l'histoire de l'URSS et de la Russie, le pays s'est mieux entendu avec les
présidents américains républicains qu'avec les démocrates.506 Dès lors la relation entre les deux
présidents part sur de bons auspices. Les attentats du 11 septembre 2001 ont accentué cette
coopération (2)

2 Une « guerre contre le terrorisme » reposant sur des valeurs communes

Les événements du 11 septembre 2001 vont en effet renforcer ce lien entre la Russie et les États-
Unis. Le président Poutine, en étant le premier chef d’État à affirmer son soutien au président
Bush, et ce avant les alliés traditionnels des États-Unis, se crée une opportunité pour se
rapprocher des États-Unis. L'administration Poutine ne s’arrête d'ailleurs pas à une simple
proclamation et met en œuvre une véritable collaboration en matière de sécurité qui étonne
aussi bien les observateurs externes qu'internes à la Russie507 : elle partage des informations des
services de renseignements russes avec les Américains508 et approuve le déploiement des forces
de ses derniers dans les anciennes républiques soviétiques d'Asie centrale.509 Cette politique
pro-américaine inédite en Russie est perçue comme une alliance occidentale entre les États-

503 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.15.
504 Ibid p.15.
505 Ibid p.41 Précisons que cette posture n'est pas propre au président Bush, Bill Clinton a fait la même offre
et la charte de Paris de 1990 (qui débouchera sur l'OSCE) auquel était présent George Bush, François Mitterrand,
Margaret Thatcher, Edmund Kohl et Mikhaïl Gorbatchev visait à réintégrer la Russie dans le monde occidental.
506 « Il est vrai que, déjà du temps de la guerre froide, le Kremlin a toujours entretenu de meilleures relations
avec les administrations républicaines (Eisenhower, Nixon) qu’avec celles présidées par un démocrate (Truman,
Kennedy, Johnson, Carter). Après tout, n’est-ce pas avec les présidents Reagan et Bush (père) que la hache de la
guerre froide a été enterrée ! »
Rucker, Laurent, ‘La politique étrangère russe’, Le Courrier des pays de l’Est, 2003, p.28.
507 Ce rapprochement qui fut une surprise sur le moment souleva d'ailleurs des critiques politiques venant
principalement des formations antiaméricaines comme les communistes ou les nationalistes eurasistes. Ceux-ci
voyant en la main tendue de Poutine une soumission aux intérêts américains.
508 Contre l'avis de ces services.
509 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.40.

Page 155
Unis et une Russie, certes autoritaire, mais totalement tournée vers l'ouest.510 Si cet aspect ne
doit pas être exagéré, la relation entre les deux États prend une tournure civilisationnelle
occidentaliste dans sa conception de la « guerre contre le terrorisme ». Aux États-Unis, l'attentat
du 11 septembre amène un regain d’intérêts pour les thèses civilisationnelles et les analyses de
Samuel Huntington concernant le « choc des civilisations ».Si l’interprétation du texte fut
erronée dans la réponse à apporter511, il n'en reste pas moins que le découpage du monde en
civilisations principalement religieuses et le fait que la « civilisation musulmane » est
considérée comme l'une des principales menaces à l'occident, devinrent des éléments
importants dans la rhétorique américaine et tout particulièrement chez les néoconservateurs qui
prenaient de plus en plus de place au sein de l'administration Bush. Du côté de la Russie, la
position du président Poutine est bien accueilli par les occidentalistes russes. Des observateurs
étrangers y voient même un basculement de la Russie dans l'occident.512 Il est vrai que la Russie
utilise cet événement pour se rapprocher des États-Unis en tant que puissance dominante,
dynamique qui a déjà commencé quelques mois avant l'attentat avec le rapprochement vis-à-
vis de l'OTAN. 513 Le ministre des affaires étrangères russe Igor Ivanov déclarera « le 11
septembre a été plutôt une étape qui a influencé non pas tant la politique extérieure de la Russie
que la façon de penser et le comportement des États-Unis et de l’Occident en général ».514 Le
ministre met ainsi en avant le lien entre la Russie et l'Occident mais il tend aussi à relativiser le
changement de paradigme de la politique russe : c'est l'Ouest qui s'est adapté à la Russie et non
pas l'inverse. Ce discours offre ainsi un double avantage : s'attirer les faveurs des États-Unis et
acter la coopération avec ces derniers mais aussi rassurer les franges politiques les plus
antiaméricaines en Russie.
Pour les deux États ce rapprochement fait qu'ils ne se perçoivent plus comme une menace
réciproque, comme c'était le cas lors de la guerre froide et même à la fin des années 1990, mais

510 À titre de comparaison la Russie adoptait une attitude similaire à celle de la Turquie khémaliste ou de la
Corée du Sud pré-démocrate.
511 Contrairement à ce qu'affirme les interventionnistes se revendiquant des thèses d’Huntington, ce dernier
prône l’isolationnisme et considère comme contre productif de changer le système d'une autre aire culturelle.
512 « Vladimir Poutine, [...]saisit l’occasion que lui offrent les événements du 11 septembre pour sortir de
l’ambiguïté et rejoindre le camp occidental. »
François-Poncet, Jean, ‘Un tournant de l’histoire ?’, Commentaire, Numéro 96 (2001), p.762.
513 « Il renoue le dialogue avec l’Otan en recevant en février 2000 à Moscou son secrétaire général, George
Robertson. Le 5 mars, à une question d’un journaliste de la télévision britannique sur l’entrée de la Russie dans
l’Otan, il répond : «pourquoi pas ?». Il donne son accord à la reprise des travaux du Conseil conjoint permanent
qui, le 24 mai 2000, se réunit pour la première fois depuis la crise du Kosovo. En février 2001, le bureau
d’information de l’Alliance à Moscou est inauguré. »
Rucker, Laurent, ‘La politique étrangère russe’, Le Courrier des pays de l’Est, 2003, p.28.
514 Ibid p.29.

Page 156
qu'ils considèrent le danger comme étant extérieur et commun : l'islamisme. La vision de plus
en plus civilisationnelle du monde aux États-Unis et la volonté russe de combattre le terrorisme
de manière globale jusque dans ses retranchements poussent les deux États à partager le même
point de vue sur la question du terrorisme islamiste. Les deux États ont sur ce sujet une approche
plus radicale que les membres de l'UE. En effet, si l'Europe prend des mesures internes visant
à se prémunir contre le risque terroriste, elle se montre plus sceptique quant à la conduite
extérieure à adopter après le 11 septembre. Si les États européens sont d'accord pour qu'une
opération soit menée en Afghanistan, leur investissement est plus faible que celui de la Russie
et des États-Unis. Cette situation s'explique à la fois par le fait que les membres de l'UE n'ont
pas été touchés directement par les attentats mais aussi par le rejet d'une réponse trop directe et
militaire contre le terrorisme, jugée contre-productive et ne prenant pas assez en compte les
causes de la menace. En ce sens la Russie se montre plus en phase avec les aspirations
américaines, sur cette question, que les alliés traditionnels des États-Unis.
Toutefois, ce rapprochement en apparence idéologique ne doit pas conduire à sous-estimer la
volonté des deux États de poursuivre la recherche de leurs intérêts(B).

B Un rapprochement satisfaisant les intérêts propres à chaque État 


Derrière les discours et les orientations idéologiques se trouvent toujours des intérêts. Un tel
rapprochement bien que facilité par les circonstances s'est fait car chaque partie avait un objectif
qui allait dans ce sens : le président Poutine voit dans le lien avec les Américains un tremplin
pour retrouver une partie de la puissance russe (1) et l'administration W. Bush un allié dans une
région tumultueuse (2)

1 Une stratégie au profit de la consolidation de l’État russe

Malgré ce tournant occidental, il ne faut pas perdre de vue les objectifs que le président russe
s'est fixé : assurer un retour à l'ordre en interne et redonner à la Russie une place de grande
puissance dans la société internationale. La politique du président Poutine s'expliquant par une
logique de realpolitik, son positionnement reste intéressé. La ligne directrice de celui-ci est
d'utiliser la puissance américaine à son avantage : un partenariat avec l'hyperpuissance qui n'a

Page 157
pas connu de rival majeur dans la précédente décennie permettrait d'avoir des retombées
positives sur la Russie.
Tout d'abord, la main tendue après le 11 septembre est étroitement liée à la situation en
Tchétchénie. Le conflit qui y règne depuis 1994515 est un enjeu majeur de la sécurité interne et
de l'économie russe. Cette région officiellement russe située dans le Caucase est, en effet, le
siège de volontés indépendantistes. Sur cette dynamique se greffe à la fois, un terrorisme
islamiste comme mode d'action idéologique des séparatistes et, à l'instar du reste du Caucase,
des réserves de pétrole importantes. La Russie cherche dès lors à réprimer cette région qui est
économiquement stratégique. De plus, Moscou doit faire face à une opinion internationale qui
lui est défavorable, jugeant la répression fortement militarisée, disproportionnée et inacceptable
sur le plan moral et humain. Il faut préciser que la qualification des séparatistes est sujette à
controverse : « terroristes islamistes » pour Moscou et « combattants pour la liberté » pour
l'occident et tout particulièrement les États-Unis516. L'attentat du 11 septembre est une occasion
inespérée pour le gouvernement russe de se débarrasser du fardeau de la critique américaine du
conflit et légitimer son action. Non seulement, il peut faire le rapprochement entre les attentats
de Moscou en août et septembre 1999, déclencheurs de la seconde guerre de Tchétchénie, et
ceux du 11 septembre 2001 mais aussi accréditer que les séparatistes tchétchènes étaient des
djihadistes : après tout, Al-Qaïda était issu des « combattants pour la liberté » afghan517. Il est
dès lors plus simple d'affirmer que c'était le même groupe qui agissait en Russie. Cette dernière
était, en effet, avant le 11 septembre, plus inquiète du terrorisme islamique que les États-Unis
du fait du conflit tchétchène mais aussi de la situation générale dans l'Asie musulmane518. Les
attentats sur le sol américain et son soutien à la réaction de Washington lui firent espérer qu'au

515 Il y a en fait deux « guerres de Tchétchénie », la première étant de 1994 à 1996 et la seconde de 1999 à
2009. Pour autant malgré la paix entre les deux conflits, ces derniers suivent une dynamique identique.
516 Cette expression de « combattant pour la liberté » fut d'abord utilisée par les Américains pour désigner
les différentes forces rebelles Mujahedin lors du conflit en Afghanistan de la décennie de 1980 qui combattait les
soviétiques. Elle sera réemployée lors de la guerre de Tchétchénie.
517 « Les plus engagés rejoignirent les rangs des moudjahidin transnationaux, les´ combattants de la liberté
ª islamistes, partis dans les années 1980 en Afghanistan bouter dehors l'envahisseur soviétique et mécréant. Ceux
qui y gagnérent leurs galons firent ensuite leur chemin dans les rangs d'Al-Qaida, du djihad islamique et des
autres réseaux terroristes »
Appleby, R. Scott, and Martin E. Marty, ‘Le fondamentalisme’, Le Débat, 2002, p.148.
518 « Depuis deux ans, les dirigeants russes sonnaient l’alarme en faisant valoir qu’un grand arc de
subversion et de déstabilisation internationale, basé sur l’extrémisme islamique, s’étendait d’Est en Ouest, et allait
des Philippines (avec référence au groupe Abou Sayyaf) en passant par l’Afghanistan, l’Asie centrale ex-
soviétique, la Tchétchénie, jusqu’au Kosovo et plus récemment à la Macédoine. Leur opposition à l’UCK, au
Kosovo, se fondait en partie là-dessus. »
Lévesque, Jacques, ‘Chapitre 13. La Russie et les États-Unis après le 11 septembre 2001 : l’« énigme »
Poutine’, in Entre Kant et Kosovo (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2003), p. 178.

Page 158
pire les États-Unis fermeraient les yeux sur le conflit tchétchène et qu'au mieux ils offriraient
un soutien dans la sécurisation en Asie centrale. C'est précisément pour cela que la Russie
accepta le déploiement de forces américaines dans cette région. Cette décision est aussi motivée
par la crainte que le régime des talibans, affilié au noyau d’Al-Qaïda, envoie des soldats dans
les anciennes républiques soviétiques comme le Tadjikistan. La puissance russe restant encore
amoindrie par le choc qu'elle a connu consécutivement à la disparition de l'URSS, il lui est donc
utile d'avoir le soutien d'autres puissances pour assurer la sécurité de la région asiatique :
l'appareil militaire américain peut être à ce titre un atout pour la politique régionale du
gouvernement Poutine.

Mais au-delà de l'aspect purement sécuritaire, la Russie profite de ce rapprochement pour


chercher à retrouver sa place dans les relations internationales. Le pays a perdu une part
importante de son potentiel avec la dissolution de l'URSS, particulièrement au niveau
économique et politique 519 . Le retour d'une situation conflictuelle de grande envergure lui
permet de retrouver une utilité sur la scène internationale et de mettre en avant ses atouts en
matière de défense et sécurité, l'un des domaines qui, s'il a été affaibli, reste non négligeable520.
À côté de la question de la gestion de l'Asie centrale, se trouve celle des hydrocarbures. En
effet, économiquement, cette volonté de rapprochement se traduit par un partenariat énergétique
entre les États-Unis et la Russie qui fait suite au sommet d'Houston d'octobre 2001 et qui vise
l'échange et le transport d'hydrocarbure.521 Enfin, le soutien du président Poutine aux États-
Unis a aussi pour but d’accélérer l’adhésion à l'Organisation Mondiale du Commerce.

Les intérêts sécuritaires et économiques, causes de l'accent occidentaliste, mettent en évidence


la permanence des intérêts étatistes du président Poutine, défini par le professeur Andrei
Tsygankov comme un Étatiste occidentaliste. Du côté américain ce rapprochement s'inscrit
dans le but d'avoir un allié à l'échelle globale (2).

519 Situation d'autant plus problématique pour la Russie que le système international post-guerre froide
reposait à l'époque principalement sur la mondialisation économique et culturelle.
520 « Après le 11 septembre, elle peut faire valoir à nouveau des atouts (partage de renseignements,
connaissance du terrain, situation géographique) notamment auprès des Etats-Unis,et (re)trouver un rôle dans un
domaine − les questions de sécurité − qui lui est beaucoup plus familier. »
Rucker, Laurent, ‘La politique étrangère russe’, Le Courrier des pays de l’Est, 2003, p.29.
521 Ibid p.33.

Page 159
2 L'intérêt pour les États-Unis d'avoir un allié global :

La connaissance par les Russes du terrain du Moyen-Orient et plus précisément de l'Afghanistan


est un atout que les Américains cherchèrent à capitaliser lors de la riposte contre le régime des
Talibans. La Russie conservant une certaine influence dans la région d'Asie centrale grâce à la
CEI et à l'OTSC, le soutien russe permet aux États-Unis une plus grande liberté d'action et leur
évite de gérer un rival géopolitique dans leurs activités dans cette partie du monde. L'accord de
la Russie pour la mise en place de bases militaires américaines dans des États comme l'
Ouzbékistan et le Kirghizstan va dans cette direction. Le partenariat russo-américain s'inscrit
dans l'idée d'une gestion collective de l'Asie centrale522 qui permet aux deux États de mettre en
commun les intérêts sécuritaires : la Russie n'ayant plus les moyens d'assurer seule la sécurité
et l'ordre dans la région, l'aide américaine est la bienvenue, et pour les États-Unis cette gestion
leur offre une légitimité accrue et une réduction des coûts logistiques en leur permettant
l'installation de bases sûres plus proches des zones de conflits. Les deux armées vont jusqu'à se
côtoyer523 laissant, à l'époque espérer une coopération durable entre la Russie, les États-Unis et
la Chine, cette dernière étant présente via l'OCS.
Sur le continent européen cette coopération entre la Russie et les États-Unis transforme le cadre
stratégique qui existait à la fin des années 1990 par une Russie méfiante envers Washington, et
ramène les relations à une situation semblable à celle qui dominait au début de la décennie :
une confiance réciproque et un espoir de partenariat durable. Pour les États-Unis, ceci a un effet
non négligeable dans le développement de l'OTAN : la Russie ne s'oppose pas à l'élargissement
de l'organisation aux États baltes, question pourtant hautement sensible pour Moscou car ces
États sont des républiques membres de l'URSS contrairement aux autres États entrés dans
l'OTAN après la fin de la guerre froide. La position de Poutine sur cet élargissement s'explique
par le fait qu'il estime que la Russie est désormais associée à la prise de décision. Le président
russe va jusqu'à considérer l'OTAN comme une alliance défensive524 ne constituant plus une
menace contre son pays. C'est d'ailleurs dans ce climat cordial que le conseil OTAN-Russie

522 Ibid p.30.


523 « au Tadjikistan et au Kirghizstan où forces russes à Kant et américaines à Manas se côtoient
désormais »
Ibid p.30.
524 Ibid p.31.

Page 160
voit le jour le 28 mai 2002. La politique européenne des États-Unis via l'alliance nord atlantique
ne connaît alors plus d'obstacle majeur. Enfin, à une échelle globale, la coopération avec la
Russie offre aux États-Unis un soutien de Moscou au Conseil de sécurité, soutien essentiel du
fait du droit de veto de cette dernière. Le vote par Moscou des résolutions 1377 du 12 novembre
portant sur les actes de terrorismes, 1378 du 14 novembre 2001 et 1386 du 20 novembre 2001
portant sur la situation en Afghanistan est la preuve de l'alignement de la Russie sur les positions
américaines pour l'intervention des États-Unis en Asie centrale.
Le contexte de coopération a permis de transformer la Russie en un partenaire renouant avec
les souhaits des précédents présidents américains depuis Reagan. En ce sens le président W.
Bush suit la même direction que son père au début des années 1990, le catalyseur n'étant cette
fois plus la chute de l'URSS mais la lutte contre le terrorisme. L'administration Bush pouvait
alors se targuer d'avoir fini de tourner la page de la guerre froide. Si ce rapprochement fut
motivé principalement par la proximité politique et les enjeux sécuritaires, celui entre les
présidents Obama et Medvedev s'inscrit dans un contexte marqué par la fragilité économique
et politique des États-Unis. (§2)

§2 Le rapprochement entre les présidents Obama et Medvedev : le souhait d'une


réinitialisation des relations réciproques

A l'instar des liens cordiaux entre les présidents Bush et Poutine les deux premières années du
XXIème siècle, les contacts entre les présidents Medvedev et Obama peuvent s'expliquer par la
personnalité des deux hommes (A) mais aussi par la nécessite de faire face à un monde en
évolution (B)

Page 161
A Des dirigeants animés par une volonté d'ouverture

1 Des présidents aux caractères différents de leurs prédécesseurs :

Le 2 mars 2008, le premier ministre Dimtri Medvedev est élu président de la Fédération de
Russie, succédant à Vladimir Poutine qui devient le premier ministre, interversion des rôles
s'expliquant par l'impossibilité constitutionnelle d’enchaîner plus de deux mandats présidentiels
consécutifs, barrière levée depuis. Il ne fait toutefois aucun doute que l'homme fort de Russie
reste Vladimir Poutine. Ceci est d'autant plus vrai que les deux hommes politiques se
connaissent depuis les années 1990 à l'époque où ils travaillaient pour le maire de Saint-
Pétersbourg, Anatoli Sobchak, qui fut leur mentor commun. Toutefois, ce changement amène
une différence qui ne doit pas être négligée : la personne chargée de la diplomatie, qui est le
représentant à l'étranger de Moscou est le président, de ce fait, c'est la personne de Medvedev
qui occupe cette place et malgré un contrôle politique par Poutine, c'est le premier qui sera en
contact avec les autres chefs d’États. Medvedev apparaît plus accueillant et plus diplomate que
Poutine, plus réservé et plus froid. De plus, contrairement à Poutine, qui est issu des services
de renseignements, Medvedev est plus connu comme homme d'affaire ayant siégé au conseil
de surveillance de Gazprom. En outre le nouveau président cherche à se présenter comme plus
libéral et occidentaliste que son prédécesseur525, affirmant par exemple, lors de la campagne
présidentielle, que « La liberté est supérieure à l'absence de liberté »et que l'Occident et la
Russie partagent les même valeurs526. Ces différents éléments de la personnalité de Medvedev
laissèrent à penser que les facteurs pour une coopération avec l'ouest étaient réunis.
Il ne faut toutefois pas sous-estimer le rôle de Vladimir Poutine qui resta actif en matière
diplomatique et qui rencontra aussi le président Obama comme en 2009 en Italie. Pour autant,
un tel fait n'est pas de nature à créer une tendance à la politique de Medvedev : les deux malgré
un caractère différent partagent un aspect occidentaliste et considèrent à l'époque que la Russie
ne doit pas délaisser les relations avec l'ouest. De même, malgré un vernis libéral et d'ouverture
vers l'Occident, Medvedev reste dans la tradition étatiste de Poutine. Par conséquent, loin d’être

525 Mendras, Marie, and Jean-Charles Lallemand, ‘Poutine III. Comment les Russes ont dû voter Medvedev
pour conserver Poutine’, Esprit, Août/septembre (2008), p.93.
526 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.205.

Page 162
une rupture ou une opposition à la politique de Poutine, le programme de Medvedev s'inscrit
dans la continuité de la doctrine étatiste occidentale de son prédécesseur : la restauration de la
Russie en tant que grande puissance capable de retrouver sa place face à l'Occident. Le nouveau
président russe affirme en 2009 que la Russie a fini sa transition et qu'elle a désormais atteint
un nouveau niveau de développement stratégique à long terme527 Le conflit en Géorgie en 2008
suite au rapprochement de cette dernière avec l'OTAN et la critique virulente du bouclier anti-
missile au début de la présidence Medvedev528 en furent la preuve.
Le meilleur exemple de la dualité des aspects occidentaux et étatistes sous Medvedev se trouve
dans la doctrine économique russe de l'époque. En effet suite à la crise de 2008, se crée un débat
interne au sein de l'administration du Kremlin sur les questions économiques entre les partisans
du libéralisme économique via la diversification de l'économie russe et ceux favorables au
corporatisme avec support des entreprises énergétiques.529 Le retour de ce débat montre que le
gouvernement cherche à combiner à la fois une ouverture à l'Occident qui serait nécessaire à la
diversification de l'économie et la volonté de garder un contrôle étatique à travers un
capitalisme soit de connivence soit étatique. Le président Medvedev peut ainsi se définir
comme représentant la continuité du programme de Poutine mais avec un caractère plus libéral
et occidentaliste.

De l'autre côté de l'Atlantique, le président Barack Obama est élu en novembre 2008 face au
candidat républicain John McCain connu pour ses positions néoconservatrices, tendance
interventionniste renforcée par la présence de Sarah Palin comme colistière. Le programme
républicain eu un effet dans la victoire du président Obama qui prônait à l'époque de mettre fin
au chaos irakien avec ses conséquences néfastes pour les États-Unis aussi bien en termes de
pertes humaines avec plus de 4000 soldats morts et plus de 22000 blessés du côté des
Américains 530 , qu'en matière de réputation avec la montée de l'anti-américanisme. Obama,
réaliste en relations internationales et adepte de la doctrine de la puissance intelligente, rejette
l'idéalisme néoconservateur. La personnalité du président Obama et son programme furent une

527 Ibid.
528 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.23.
529 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.205.
530 Il faut rappeler que l'opinion publique américaine ne tolère pas les pertes militaires, c'est la raison pour
laquelle les différentes doctrines militaires des États-Unis cherchent à assurer une supériorité technologique afin
de limiter celles-ci.

Page 163
rupture par rapport au président W. Bush sur plusieurs points. Juriste de formation, il connaît
les théories des relations internationales. Deux penseurs l'inspirent : le pasteur Niebuhr 531 et le
diplomate George Kennan532. Tous deux étaient des réalistes rejetant les velléités militaires qui
dépassaient le strict nécessaire : les aspects hégémoniques et idéologiques devaient selon eux
être évités. Le président Obama s'inspire fortement de ces théories pour forger sa propre
doctrine. Conscient de l'impopularité et des conséquences contre-productives engendrées par la
guerre d'Irak, il se montre prudent en matière d’interventionnisme en relations internationales
et rejette l'unilatéralisme533.
À ces idées internationales s'ajoute aussi un contexte interne particulier : Barack Obama en tant
que premier président américain afro-américain jouit d'une forte popularité médiatique et
possède une réputation de progressiste. À cela s'ajoute le problème de la crise économique des
« subprimes » qui a débuté en 2007 et qui se transforma en crise bancaire en 2008, fragilisant
fortement l'économie américaine puis mondiale ainsi que la réputation du pays déjà entachée
par l'unilatéralisme militaire. Le président Obama entre ainsi en fonction dans une période
délicate où les États-Unis sont en perte de puissance et soumis à un fort anti-américanisme. Il
doit dès lors gérer des problèmes internes et externes ce qui l’amène à avoir une approche
pragmatique : si Barack Obama est connu pour être en public quelqu'un capable de rassembler
les foules, il est aussi vrai qu'en matière de gestion politique et en privé, le président est
beaucoup plus réservé et introverti534. Ce trait de personnalité fait que le président américain
raisonne par une approche plus réfléchie et moins émotionnelle.

Les caractères des présidents Obama et Medvedev bien que différents à la fois de leur
prédécesseurs mais aussi l'un de l'autre, trahissent toutefois une volonté de réforme et
d'ouverture vers l'extérieur à des degrés divers. Sur cette base, les deux présidents ont pu
s'accorder sur une gestion pragmatique et tourné vers la multipolarité.(2)

531 Vandal, Gilles, La doctrine Obama : Fondements et aboutissements.


532 Ibid.
533 Dans un discours donné en juillet 2008 à Berlin, le futur président déclare : « C’est pourquoi nous ne
pouvons pas nous permettre d’être divisés. Aucune nation, aussi grande et aussi puissante soit-elle, ne peut gagner
seule ces batailles.»
Ibid.
534 « D'une part si le président Obama est très chaleureux dans ses échanges avec les foules, il entretient
des rapports très froids avec les dirigeants des autres pays. Il est très cérébral. Il se comporte comme si les
relations personnelles étaient secondaires et il a de la difficulté à établir une chimie personnelle avec les autres
dirigeants »
Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p. 23.

Page 164
2 : Entre pragmatisme et reconnaissance de la multipolarité :

Malgré la crainte russe face au bouclier anti-missile lors de l’élection du président Obama, les
relations sont rapidement devenues cordiales entre les deux chefs d’États. Le président
Medvedev n'hésite pas à employer l'expression « gagnant-gagnant » pour désigner celles-ci535 :
chaque camp, pense-t-il peut tirer profit des liens entre les deux États ; quant aux tensions et
conflits d’intérêts, une gestion pragmatique permet de les résoudre sans léser une des deux
parties. Les deux présidents n'hésitent pas à publiquement se complimenter : Obama
reconnaissant le leadership et la clarté de pensée de Medvedev tandis que ce dernier décrit le
président américain comme un penseur.536 Cette relation a permis des avancées en matière de
coopération internationale comme le montre les accords New Start de 2009-2010 visant à la
réduction des arsenaux nucléaires des deux pays.
Mais cette relation cordiale doit surtout à la reconnaissance d'un monde multipolaire par
l'administration Obama. Les difficultés et l'enlisement dans le conflit irakien, et dans la moindre
mesure dans le conflit afghan, auxquels s'additionne la crise économique de 2008, ont fait
prendre conscience aux États-Unis qu'ils ne sont plus aussi puissants qu'ils l'étaient dans les
années 1990. La crise économique a mis en évidence un nouveau groupe d'acteurs : les BRICS,
les pays ayant une économie émergente ou réémergente, et qui ont pu montrer leur poids lors
du G20 mi-2008. La mondialisation nécessite pour fonctionner que les différents États aient
une économie prospère, et tout particulièrement ceux qui représentent une part importante des
échanges mondiaux. De par cet effet de réseau, l'affaiblissement d'une économie d'un État a des
conséquences sur le reste de la scène internationale537. À ce phénomène, s'ajoute la perte de
crédibilité de l'Amérique sur les questions de régulations économiques538 du fait que la crise

535 Ibid p.24.


536 Ibid.
537 Le cas des relations économiques entre la Chine et les Etats-Unis est un bon exemple « La Chine,
deuxième partenaire commercial des Etats-Unis après le Canada, pourrait par exemple être fortement affectée si
le marché américain se rétractait. 2009 risque d’ailleurs d’être une année difficile pour ce pays : baisse des
exportations et de la demande intérieure, recul de la croissance sous la barre des 8 % symboliques, chômage chez
les jeunes, etc. La stabilité intérieure de la Chine semble menacée, ce qui pourrait avoir des répercussions sur
toute la région, voire sur l’économie – et donc sur la sécurité – internationale. »
‘Le nouveau monde d’Obama’, Sécurité et stratégie, 1 (2009), p.55.
538 Ibid.

Page 165
venait des États-Unis. Le président Obama a dès lors deux choix : soit se tourner vers
l'isolationnisme dur, stratégie qui sera suivie par son successeur Donald Trump, soit s'ouvrir à
une plus grande coopération internationale. Obama était conscient de la mutation de la société
internationale et d'un changement dans l'ordre international vers une configuration moins
favorable aux États-Unis. En effet, outre les aspects économiques, sur le plan sécuritaire et
malgré une supériorité encore présente, les États-Unis étaient de moins en moins capables de
contrer les actions de leurs rivaux (Russie, Chine et Iran) et des groupes non étatistes (Al-Qaïda)
qui se développent. Ce contexte amène le président Obama à chercher un maximum de
partenaires à l'étranger. Dans cette optique le rapprochement avec la Russie paraît logique. Les
penchants occidentalistes du président Medvedev facilitèrent la chose. La logique de la
promotion d'un monde multipolaire sous-jacente à cette position marqua un virage du côté de
la politique américaine qui s'était peu à peu tournée vers l'unilatéralisme au début du XXIème
siècle. Aussi la politique du début du premier mandat du président Obama s'aligne sur la vision
russe qui repose sur le développement d'un monde multipolaire. Le souhait d'ouverture de
l'administration du nouveau président américain à des États considérés jusqu'alors adversaires
des États-Unis, parfois appelés « États voyous », comme Cuba et l'Iran539, en fut l'exemple.
La crise économique en fragilisant les États-Unis les pousse à se rapprocher d'une Russie en
développement. Ceci est d'autant plus nécessaire que cette dernière est membre des BRICS et
que son poids politique grandit peu à peu. Si les États-Unis ont toujours la primauté politique
sur la scène internationale, la Russie ne peut de moins en moins être ignorée et se montre de
plus en plus active comme dans l'épisode géorgien en été 2008. A cette fin, les États-Unis
entament à l'égard de la Russie un reset des relations (B)

B Un « reset » des relations : surmonter ensemble les enjeux du XXIème siècle

Cette réinitialisation des relations diplomatiques entre les États-Unis et la Russie repose sur le
concept de la « puissance intelligence » développé par l'administration Obama (1), posture
politique guidée par des intérêts liés au déplacement du centre de gravité de l'économie et de la
politique mondiale en Asie (2)

539 Ibid p.57.

Page 166
1 Le reset : un avatar de la « puissance intelligente «
La doctrine Obama repose sur le concept de puissance intelligente consistant en un mélange de
puissance forte et douce telle que décrite par Joseph Nye Jr.540 Cette approche obéit, de facto,
à une conception extrêmement réaliste des relations internationales : il s'agit de s'adapter aux
rapports de forces et aux situations données. Comme le précise le professeur Gilles Vandal :
« le décideur doit avoir une bonne connaissance de l'autre partie et des enjeux. Il doit prendre
en compte que cette dernière va développer une stratégie de réponse. »541 Ce « smart power »
a été introduit dans l'administration Obama par la secrétaire d’État Hillary Clinton, ancienne
rivale du président à la primaire démocrate de 2008. Au-delà des raisons politiques internes542,
son intégration au cabinet permit au président Obama de mettre en pratique une politique qui
va conduire au « reset » avec la Russie. Bien qu'ayant une position plus dure543 qu'Obama, elle
sait se montrer pragmatique et elle estime que la puissance intelligente est le meilleur moyen
de restaurer le leadership des États-Unis, la combinaison de la puissance douce et dure
permettent de surmonter les obstacles544. Comme le souligne Hugh Shelton, ancien chef de
l’État-major des États-Unis,545 la secrétaire d’État Clinton reconnaissait que la Russie avait à la
fois une importance dans les affaires internationales mais aussi des positions hostiles à
Washington concernant certains intérêts dans des régions géographiques précises. Dans de
telles conditions, la puissance douce à travers la voie diplomatique est utilisée vis-à-vis de la
Russie. Cette politique est aussi soutenue et accompagnée par l'ancien conseiller républicain,
Henry Kissinger, proche du président désormais premier ministre russe Vladimir Poutine,546

540 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.20.
541 Ibid p. 21.
542 Comme le souligne le professeur Charles-Philippe David : « En la nommant, Obama faisait d’elle une
alliée et non une adversaire pendant quatre ans, en plus de projeter l’image d’un rassem-bleur et de se doter d’une
personne d’expérience pour ce poste. » Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, dans Au
sein de la Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la politique étrangère des
États-Unis 2015, p. 943.
Rappelons au passage que l'écart de voix entre les deux candidats lors de la primaire démocrate de 2008
était très faible : Jackson, Brooks, ‘Clinton and the Popular Vote’, FactCheck.Org, 2008
<https://www.factcheck.org/2008/06/clinton-and-the-popular-vote/> [accessed 18 April 2018].
543 Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, in Au sein de la Maison-Blanche De
Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la politique étrangère des États-Unis 2015, p. 943.
544 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.21.
545 Ibid p.22.
546 Dubien, Arnaud, ‘États-Unis – Russie : un partenariat est-il possible ?’, Revue internationale et
stratégique, 2009, p.195.

Page 167
qui considère que les États-Unis ont plusieurs fois ignoré les intérêts russes. Il fut mandaté par
le président Obama pour une mission confidentielle à Moscou en décembre 2008547.
La politique de réinitialisation des relations entre Moscou et Washington s'inscrit dans ce
contexte. À cette fin, l'activité de l'OTAN est freinée en Europe afin de limiter les sources de
tensions entre les deux grandes puissances : les projets d’adhésion de l'Ukraine et de la Géorgie
à l'organisation sont mis en veilleuse et le projet de déploiement du bouclier anti-missile en
Europe devient moins prioritaire548. La volonté de relancer le dialogue pour le désarmement
nucléaire est aussi bien perçu par la Russie. Cette dernière y voit la fin de l'unilatéralisme
américain qu'elle critiquait et fait aussi des concessions sur des dossiers stratégiques pour les
Américains comme une meilleure coopération en Afghanistan, avec le transport de troupes, et
la prise de distance de Moscou vis-à-vis de Téhéran en soutenant des sanctions contre l'Iran549
. Par la même occasion, Moscou profite de ce rapprochement pour obtenir un soutien pour son
adhésion à l'OMC. 550 Ceci portera ses fruits en 2012, date à laquelle la Russie intègre
l'organisation avec le soutien de l'administration Obama. Pour le gouvernement russe, cette
adhésion lui offre une meilleure intégration dans l'économie mondiale, ce qui est un élément
essentiel dans sa stratégie de recouvrement de la puissance constituant l'ossature de la politique
russe depuis l'ancien premier ministre Primakov. Du côté américain l'avantage de cette adhésion
était d'encadrer l'économie russe avec un certain nombre de règles internationales et aussi
d'avoir un cadre légal permettant des procédures en cas de pratiques concurrentielles russes
déloyales. À travers cette souplesse diplomatique liée à la mise en œuvre de la puissance
intelligente, les États-Unis ont réussi à recréer un partenariat avec la Russie et posséder ainsi
un soutien, ou du moins une convergence de positions de la part de Moscou. Néanmoins, cette
réinitialisation des relations doit aussi se comprendre avec la montée en puissance de la Chine
en tant que puissance mondiale.(2)

547 Ibid.
548 « la défense antimissile mais aussiune attitude plus prudente sur l’élargissement de l’OTAN. Là encore,
les thèses de Kissinger ont prévalu. Officiellement, la question est toujours sur la table – Joseph Biden l’a rappelé
à Kiev cet été – mais l’on sent bien qu’elle n’est plus poussée avec la même ardeur que précédemment. »
Ibid.
549 « Moscou, se démarquant alors nettement de sa posture traditionnelle, décide notamment de soutenir, en
mai 2010, un round de sanctions onusiennes voulu par les Etats-Unis à l’encontre de l’Iran. De même, le Russie
annule, à la dernière minute, en septembre 2010, la livraison de batteries antimissiles S-300 à la République
islamique, auprès de laquelle elle s’était pourtant engagée »
ZARIFIAN, Julien, ‘Les relations entre les Etats-Unis et la Russie depuis la chute de l’URSS. La
recherche perpétuelle d’un “rythme de croisière”’, AFRI 2012, Op. Cit. p.489.
550 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.60.

Page 168
2 Un reset lié à la montée en puissance de la Chine

La Chine gagne en puissance depuis les réformes de Deng Xiaoping des années 1980. Étant
originellement une puissance régionale, le développement économique et la modernisation
technique du pays lui ont permis de se hisser en tant que superpuissance à l'échelle mondiale.
Ce phénomène s'accentue avec la crise économique de 2008, lors de laquelle la Chine a acquis
une part importante de la dette américaine (un quart de celle-ci 551 ) devenant le principal
créancier des États-Unis. De même, le fait que Pékin soit membre des BRICS et de l'OCS dont
la Russie fait partie, lui confère une capacité d'influence non négligeable. Elle se targue d’être
le porte-parole des puissances en développement à partir du G20 de 2008 grâce à sa position au
sein des BRICS. Parallèlement, la Chine dépend des importations américaines. 552 À ce
phénomène s'ajoute le déplacement du centre de gravité économique en Asie du Sud-Est comme
le montre l'évolution des ports mondiaux553. Cette évolution politique et économique pousse les
États-Unis à se préoccuper de la Chine. Dès 2001, un document proposant une réorientation
stratégique des États-Unis vers le pacifique avait déjà été soumis au président Bush
nouvellement élu.554 L'idée était que l'Asie au début des années 2000 présentait de grandes
opportunités stratégiques et économiques, tout en étant le cœur d'enjeux importants.555 Sous la
présidence Obama, la secrétaire d’État Clinton, là encore au nom du concept de la puissance
intelligente fait du pivot asiatique une priorité stratégique pour la politique étrangère
américaine. Il s'agit de concentrer les efforts politiques, économiques, militaires dans cette
partie du monde en forte croissance, d'éviter une trop grande extension de l'influence chinoise
en Asie et de rassurer les alliés japonais et sud-coréens.556

551 Lachèvre, Cyrille, ‘Les chinois détiennent le quart de la dette américaine’, L’éco décodée
<http://blog.lefigaro.fr/economie/2011/03/les-chinois-detiennent-le-quart-de-la-dette-americaine.html> [accessed
20 April 2018].
552 Nardon, Laurence, ‘Les États-Unis vers l’indépendance énergétique ?, Laurence Nardon, The United
States toward Energy Independence?’, Politique étrangère, Eté (2013), p.35.
553 Données issues du site de l'American Association of Ports Authorities : http://aapa.files.cms-
plus.com/Statistics/WORLD%20PORT%20RANKINGS%202015.xlsx.
554 Kandel, Maya, ‘Repli, Pivot, Leadership En Retrait? La Politique Étrangère Americaine Sous Obama’,
Diplomatie, mai-juin 2014.
555 Kerrey, Robert, and Robert A. Manning, The United States and Southeast Asia: A Policy Agenda for a
New Administration: Report of an Independent Task Force Sponsored by the Council on Foreign Relations
(Council on Foreign Relations Press, 2001).
556 « Pour certains observateurs américains, le soft power de Washington aurait ainsi décliné, notamment
en Asie du Nord-Est. Plus qu’une présence stratégique à laquelle l’administration Obama s’est eff orcée de
répondre en réaffi rmant le lien avec Tokyo et Séoul et en développant de nouveaux partenariats avec Manille et
Hanoi, c’est la capacité d’infl uence de Washington qui serait mise à mal dans cette région. »

Page 169
La réinitialisation des relations avec la Russie au début du premier mandat d'Obama doit
s'analyser en tenant compte de cette situation géopolitique. Tout d'abord, les États-Unis
cherchent à régler les dossiers diplomatiques qui les retiennent dans les autres parties du monde,
d'où leur souhait de régulariser les relations gelées avec Moscou. Si Washington souhaitait
concentrer son attention en Asie il fallait s'assurer que des crises géopolitiques ne touchent pas
les alliés traditionnels européens : la politique d'apaisement vis-à-vis de l’extension de l'OTAN
et du bouclier anti-missile en Europe obéit à cette idée En outre refaire de la Russie un partenaire
permettait de diminuer l'influence chinoise parmi les pays émergents. La crainte d'un
rapprochement sino-russe, déjà débuté avec les BRICS et l'OCS et largement motivée par une
réaction anti-américaine, pousse Washington à ce rapprochement : le fait que les liens entre la
Russie et la Chine soient avant tout de circonstance a permis aux Américains d'exploiter les
aspects occidentalistes du gouvernement russe. La politique des dirigeants russes obéissant à
une stratégie de consolidation du pouvoir, ceux-ci sont ouvert à tout État ne s'opposant pas à
leurs intérêts immédiats, comme l'étranger proche, et leur permettant de gagner en puissance.
La Russie ayant économiquement et politiquement un lien plus fort avec l'occident qu'avec
l'orient, la normalisation des relations avec les États-Unis leur laisse plus de facilité pour
renforcer leurs liens avec les alliés de Washington. En ce sens, la stratégie de l'administration
Obama est de modifier l'ordre international qui avait résulté de l'unilatéralisme du précédent
président et d'éviter la consolidation d'une coalition de puissances rejetant les États-Unis. Dès
lors il devient judicieux de chercher à faire de la Russie un allié et non un adversaire. En ce
sens la politique de la puissance intelligente s'inscrit dans un travail diplomatique où les États-
Unis privilégient le partenariat à la confrontation. Il convient toutefois de remarquer que les
rapprochements au début de la présidence Bush et Obama suivent une dynamique générale
présentant des points communs (§3)

§3 Des dynamiques générales amenant à la coopération

Courmont, Barthélemy, ‘La relation sino-américaine d’Obama à Trump’, L’Europe en Formation, 2017,
p.86.

Page 170
De par les rapprochements qui ont eu lieu entre les présidents russes et leurs homologues
américains au début des mandats de ces derniers, plusieurs éléments ressortent et montrent des
dynamiques permettant d'expliquer les causes de ces rapprochements. Le premier est la
personnalité et la doctrine des dirigeants et leurs capacités à capitaliser leurs points communs
(A), le second est la capacité à utiliser le contexte en leur faveur (B).

A L'importance du rôle des dirigeants dans le rapprochement

Clauzewitz définissait la politique comme « l'intelligence de l’État personnifié »557 et à l'instar


de Machiavel, elle est le produit des dirigeants. Les rapports humains doivent, dès lors, ne pas
être ignorés. Si la politique reste conditionnée par des calculs visant à acquérir et conserver la
puissance, la personnalité et les idées des autres acteurs jouent un rôle important. La capacité
de deux dirigeants à axer leur relation sur leurs intérêts et visions communs peut permettre un
rapprochement aboutissant à la coopération, quand bien même elle serait temporaire. Ainsi la
vision à la fois réaliste et conservatrice des présidents Bush et Poutine, tout comme le souhait
d'ouverture des présidents Medvedev et Obama constituèrent des vecteurs de rapprochement.
La politique des dirigeants reposant sur leur perception des intérêts nationaux et de
l'environnement international, la nécessité d'une compréhension mutuelle entre eux incite à la
coopération. Par conséquent, lorsque les deux camps utilisent une rhétorique proche l'une de
l'autre et partagent des intérêts communs, il existe un environnement favorable au
rapprochement. La conception d'un monde basé sur les rapports de forces par les présidents
Poutine et Bush et le rejet de l'universalisme leur permet au départ de partager une vision proche
des relations internationales ; de même la conception multipolaire du monde par le président
Obama s'accorde avec la doctrine des dirigeants russes. En ce sens, la prise de décision bien
qu'avant toute rationnelle comme le veut l'approche réaliste n'est pas sans être influencée par
des éléments plus personnels.
De même, en partant du principe que les dirigeants agissent dans leurs intérêts et ceux de leurs
États, la coopération permet de maximiser ceux-ci. Aussi bien les réalistes que les libéraux558

557 « Si l’on conçoit la politique comme l’intelligence de l’Etat personnifié, ses calculs doivent inclure même
les situations où la nature des rapports produit une guerre dans laquelle s’efface la politique » Clausewitz, Carl
von, De la guerre (Paris: Editions de Minuit, 1959) Livre 1, Chapitre 1, §26.
558 Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, 4e édition, Op. Cit. p.457-458.

Page 171
s'accordent à dire qu'il existe un certain nombre de situations où la coopération offre des gains
plus importants que l’unilatéralisme et la confrontation. En reprenant la théorie des jeux mixtes
et du dilemme du prisonnier, il s'avère que la coopération se développe quand les différents
acteurs peuvent prévoir l'action des autres559 : c'est en cela que le développement de relations
interpersonnelles cordiales entre les dirigeants permet le rapprochement : à l'instar de
l'économie la confiance est le vecteur de la coopération. Lorsque les présidents américains et
russes ont pu développer cette confiance, les relations se sont pacifiées. En l'espèce, ces liens
se sont formés aux débuts des mandats des présidents américains voulant créer une rupture avec
leur prédécesseur (universalisme démocratique du président Clinton puis unilatéralisme
militaire du président W. Bush). Toutefois, ces relations restent liés aux contextes
internationaux (B)

B L'influence du contexte international

Le contexte international occupe une place importante dans les dynamiques de rapprochement
et de tensions. En l'espèce plusieurs éléments ont conduit à la coopération entre les présidents
américains et russes au XXIème siècle. Comme l'indique le professeur Charles Kindleberger
dans sa théorie de la stabilité hégémonique560, l’existence d'une puissance largement dominante
sur la scène internationale amène à une coopération globale entre les différents acteurs du fait
que l’État dirigeant créera un cadre politique et économique qui s'imposera à tous. Selon
Kindleberger, c'est avant tout une « infrastructure économique internationale » qui permet cette
stabilité. Au début du XXIème siècle, les États-Unis sont dans cette situation suite à la chute du
bloc soviétique et ils possèdent de facto cette infrastructure. Les dirigeants russes soucieux de
moderniser leur pays et de retrouver leur puissance par la voie économique sont dès lors obligés
de suivre les règles du système issu de l’État dominant. Le comportement des présidents Poutine
et Medvedev qui sont à la tête d'un État en reconstruction suit cette idée : la volonté de profiter
d'un système qui leur permettrait d'obtenir des gains économiques mais aussi politiques. Ce fut

559 Ibid p.463.


560 Ibid p.454-456.
Charles Kindleberger développa cette théorie dans son ouvrage The World in Depression, 1929–1939. Il
convient de préciser que l'auteur n'évoque pas ce lien sous le terme d'hégemon mais de leadership bienveillant, cet
ordre devant non seulement satisfaire les intérêts de la puissance prédominante mais aussi ceux des autres acteurs.
Il s'agit ainsi d'une acceptation de l'ordre par les différents acteurs et non pas une soumission forcée.

Page 172
le cas du souhait de l'adhésion de la Russie à l'OMC. Ce rapprochement se fit dans des périodes
où Washington se montrait bienveillante envers Moscou. Malgré la différence de puissance
entre les deux États-Unis, la coopération fut possible car consentie par les deux.
Outre cette relation liée à la configuration de l'ordre international, l'utilisation des événements
influe sur la capacité de coopération. Un certain nombre d'auteurs en science politique ont
évoqué l'importance des aléas et du hasard dans la prise de décision : la fortune chez
Machiavel561 ou le brouillard de guerre chez Clauzewitz562 en sont des exemples. La capacité
d'utiliser les imprévus pour remplir ses objectifs peut constituer un avantage dans les relations
internationales : l'utilisation des attentats du 11 septembre par le président Poutine s'opéra afin
de se rapprocher des États-Unis et de défendre des intérêts à la fois propres à la Russie et
communs aux deux États. De la même manière, tirer profit d'une situation problématique pour
regagner en force et en puissance, fut l'un des aspects de la doctrine d'Obama : en se servant de
la réorganisation de l'ordre international suite à la crise de 2008, il retrouve des partenaires sur
la scène internationale. Pour autant malgré les différents efforts accomplis par les dirigeants des
deux États pour se rapprocher, ceux-ci n'ont pas réussi à empêcher le retour des tensions
(Section 2)

561 Machiavel, Nicolas, Le Prince .


562 Clausewitz, Carl von, De la guerre Op. Cit.

Page 173
Section 2 : Des prises de positions ramenant les tensions diplomatiques

Malgré les efforts de la part des dirigeants des deux États visant à créer un contexte de
coopération, des tensions ont ressurgi au cours des mandats des présidents W. Bush et Obama.
Elles sont le résultat de la résurgence de la prise en considération des intérêts de chaque État
combinée avec des positions perçues comme une menace par le camp adverse, principalement
par la Russie. Le poids de l'histoire et de la culture politique des deux pays reste une constante
qui resurgit en force sous diverses formes et qui, en s'opposant, créent les tensions. Comme
l'explique Raymond Aron563, la présence de systèmes politiques hétérogènes564 est de nature à
encourager les tensions : les différentes parties n'ont pas les mêmes référents, les mêmes valeurs
et donc les mêmes intérêts. Les États-Unis et la Russie se retrouvent encore dans cette situation
de systèmes hétérogènes qui persiste malgré un alignement de Moscou sur un certain nombre
de valeurs occidentales, principalement au niveau économique avec l'adoption de l'économie
de marché et du capitalisme. En effet, les intérêts et les valeurs des deux États restent
conditionnés par leur histoire qui est encore marquée par le poids de la guerre froide et par les
suites de la défaite de l'URSS mais aussi par le contexte du début du XXIème siècle avec la
crise géopolitique post 11 septembre 2001 et par la Russie en reconstruction. L'attentat du 11
septembre a pour effet de créer un fort sentiment d'insécurité des États-Unis sur la scène
internationale face à une Russie encore affaiblie et disposant de peu de moyen pour contester
les décisions de Washington.
Là encore comme le précise Raymond Aron, les aspects idéologiques ainsi que les intérêts sous-
jacents des systèmes hétérogènes influent sur les tensions potentielles : deux systèmes
hétérogènes peuvent cohabiter tant qu'il n'y a pas d'élément déclencheur, ce dernier étant
souvent un intérêt litigieux entre les deux parties. Celui-ci est, en l'espèce, le retour de forces
politiques interventionnistes aux États-Unis qui créera une réaction de rejet de la part de
l'administration russe. Cette opposition systémique ressurgit dans les administrations

563 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations Op. Cit. p.108.
564 « J'appelle systèmes homogènes ceux dans lesquels les Etats appartiennent au même type, obéissent à la
même conception de la politique. J'appelle hétérogènes, au contraire, les systèmes dans lesquels les Etats sont
organisés selon des principes autres et se réclament de valeurs contradictoires. »
Ibid.

Page 174
américaines et russes sous différentes formes : le retour en force des « faucons », franges
interventionniste du monde politique américain, (§1) qui amènent en réaction une
intransigeance des dirigeants russes sur les dossiers jugés comme stratégiques pour la Russie
(§2)

§1 une pression des interventionnistes américains dans les administrations


présidentielles conduisant à une politique offensive :

Depuis le tournant interventionniste de la seconde guerre mondiale565 aux États-Unis, il existe


une confrontation entre deux courants de pensées en matière de gestion de la politique étrangère
opposant les colombes (Doves) et les faucons (Hawks).566 Les premiers sont partisans d'une
approche avant tout diplomatique et refusent l'interventionnisme, sauf dans des cas très
restreints, principalement pour la légitime défense. Les seconds sont moins réticents à l'usage
de la force et estiment que celle-ci peut être justifiée afin d'assurer la crédibilité du pays sur la
scène internationale. Le 11 septembre 2001 et le traumatisme interne qui s'en suivit marqua un
retour en puissance des « faucons » qui reprirent un poids conséquent dans les administrations
des deux présidents. Sous la présidence de George W. Bush, c'est la branche la plus dure qui
prend le dessus avec les néoconservateurs (A). Malgré un rejet apparent du président Obama
pour ces derniers, la présence des « faucons » persiste et a une influence sur sa politique. (B)

A les néoconservateurs sous la présidence Bush : une volonté de renforcer la


crédibilité des États-Unis

565 Ce n'était pas la première fois que les États-Unis intervenait hors de leur territoire comme le montre les
volontés coloniales du pays au XIXème siècle et les projets wilsoniens après la première guerre mondiale mais
c'est avec la seconde guerre mondiale et le début de la guerre froide que les Etats-Unis s'affirmèrent en tant que
puissance ayant vocation à intervenir sur les différents continents.
566 Il arrive que des classifications politiques et doctrinales soient faites avec ces catégories, mais dans les
faits la catégorisation est difficile à faire du fait de situations hybrides : « De même que les faucons peuvent être
wilsoniens ou réalistes et les liberals néoconservateurs, les classifications entre les théoriciens laissent échapper
toutes les positions hybrides. »
Guerlain, Pierre, ‘Les théories américaines en politique étrangère et leur réception en Europe’, in États-
Unis / Europe : Des modèles en miroir, ed. by Jean-Marie Ruiz and Mokhtar Ben Barka, Espaces Politiques
(Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du Septentrion, 2017), p.10.

Page 175
Suite aux attentats du 11 septembre 2001, les néoconservateurs et les groupes les plus
interventionnistes prennent un poids considérable dans l'administration Bush en remettant
d'actualité la doctrine de « la paix par la force » (1) qui sert de plan d'action dans le but de
renforcer la crédibilité internationale des États-Unis (2)

1 la réactualisation de la doctrine de « la paix par la force » dans l'administration Bush

La doctrine de la « paix par la force » existe bien avant les attentats du 11 septembre et date de
la guerre froide. Elle repose sur une conception unilatéralisme de la scène internationale : dans
un monde marqué par l'instabilité, la force et la puissance militaire restent les meilleurs outils
pour assurer une paix durable grâce à la dissuasion, traditionnelle ou nucléaire, et par une
domination américaine reposant sur la supériorité de son armée. Cette approche qui se combine
bien avec le réalisme offensif567 des conservateurs américains, influencés par Kissinger, attira
aussi peu à peu les néoconservateurs déçus par les démocrates.568 Ces derniers ajoutent une
dimension morale à cet interventionnisme qui dépasse alors la simple protection des intérêts
américains : en éliminant les régimes dictatoriaux et autoritaires, la paix se ferait naturellement.
En ce sens, ils reprennent le concept de la paix perpétuelle de Kant chère aux wilsonniens mais
là où ces derniers privilégient la coopération, les néoconservateurs ont un mode d'action plus
militaire. Malgré des essais infructueux de pénétration dans les administrations Reagan et
G .Bush, les néoconservateurs et les conservateurs interventionnistes n'arrivent à prendre le
pouvoir que sous la présidence de George W. Bush après le 11 septembre.
Cette doctrine interventionniste repose sur les objectifs du «  Project For The New American
Century» (PNAC), think tank néo-conservateur créé à la fin des années 1990569 : les États-Unis

567 Si la plupart des réalistes s'opposent à l’hégémonie d'une puissance ainsi qu'à un interventionnisme trop
fort, d'autres comme John Mearsheimer et Kenneth Waltz adhèrent à l'idée qu'une puissance unique dominante
assurerai une meilleure stabilité qu'une pluralité d'acteur.
568 Le mouvement, apparu au sein du centre gauche du parti démocrate qui refusait toute complaisance avec
les totalitarismes, est surnommé le Vital Center. Peu à peu il va être rejeté par les courants les plus à gauche du
parti, plus progressistes sur la vision des relations internationales. De ce fait, peu à peu les néoconservateurs vont
glisser vers le parti républicain. Sous la présidence Nixon, Irving Krystol rejoignit les républicains mais c'est sous
la présidence Carter que les néoconservateurs basculèrent en masse vers la droite américaine. En effet, le président
Carter et son administration étaient considérées comme trop faibles pour faire face à la menace soviétique.
Pour l'histoire des néoconservateurs voir Chaudet, Didier, Florent Parmentier, and Benoit Pelopidas,
L’empire au miroir : Stratégies de puissance aux Etats-Unis et en Russie (Librairie Droz, 2007).
569 SIONNEAU, Bernard, ‘Réseaux conservateurs et nouvelle doctrine américaine de sécurité’, AFRI 2003,
p.515.

Page 176
doivent assurer un leadership global à l'aide de leur puissance militaire.570 Là encore l'aspect
moral de la mission des États-Unis est évoqué, poussant la doctrine vers un idéalisme et
l'éloignant du réalisme : en ce sens l'exceptionnalisme américain et une version moderne de la
destinée manifeste reprennent de l'importance. La promotion des valeurs américaines au travers
de la force est aussi explicitement mentionnée571. Pour atteindre ces buts, des propositions dans
un rapport d'expertise visant à guider l'action du Pentagone 572 prévoyaient entre autres les
guerres de grandes envergures (Larges Wars) et des missions de polices (Constabulary Duties).
Pour ces dernières le rapport préconise que les forces de maintien de la paix doivent pouvoir
agir plus loin et sur une plus longue durée. La politique du président W. Bush est peu à peu
influencée par ces positions interventionnistes teintées d'idéologie et ce malgré un début de
mandat plutôt marqué par une relative prudence dans les affaires internationales, attitude
pouvant s'expliquer en partie, par le lien étroit entre milieux néoconservateurs et complexe
militaro-industriel américain.573 Néanmoins, cette collusion existant déjà sous les présidents
Reagan et H. Bush et n'ayant pas amené une politique néoconservatrice, il faut tenir compte du
rôle des attentats du 11 septembre.
La crainte d'une perte de crédibilité de Washington sur la scène internationale qui s'ensuit574
pousse l'administration Bush à suivre les néo-conservateurs. Les documents officiels
confirmèrent ce changement : la stratégie de sécurité nationale du président Bush575 précise :
«The United States must defend liberty and justice because these principles are right and true

570 « le leadership américain est bon pour l’Amérique et pour le monde ; un tel leadership nécessite une
puissance militaire, une diplomatie vigoureuse, un engagement à respecter certains principes de moralité ;
aujourd’hui, trop peu de leaders politiques se prononcent en faveur d’un leadership global » Project for The New
American Century, sur le site Internet http://www.newamericancentury.org sité par SIONNEAU, Bernard,
‘Réseaux conservateurs et nouvelle doctrine américaine de sécurité’, AFRI 2003, p.516.
571 « des forces armées qui sont puissantes et décidées à affronter les défis d’aujourd’hui et de demain; une
politique étrangère qui, avec audace et constance, s’attache à promouvoir à l’extérieur les grands principes
américains ; un leadership national qui accepte les responsabilités globales des EtatsUnis »
Ibid.
572 Ibid.
573 « Ainsi, presque la moitié des membres du conseil de direction de NIPP (6 sur 13) siègent également
dans l’organe de direction du Center for Security Policy . Parmi les plus connus, on trouve Henry Cooper, le
directeur du think tank High Frontier, pionnier en matière de défense antimissiles; Charles Kuppermann, Vice-
President for National Missile Defense chez Lockheed Martin; le docteur William Graham, ancien Science Advisor
des Présidents Reagan et Bush, membre de la première Commission Rumsfeld. »
Ibid p.524.
574 « Les « faucons » croient que les États-Unis doivent agir comme une puissance impériale, et cela pour
deux raisons. La première tient à ce que les États-Unis peuvent se permettre d’assurer ce rôle, et la seconde réside
en ce que, si Washington n’exerce pas sa force, les États-Unis se marginaliseront de plus en plus. »
Wallerstein, Immanuel, ‘L’atterrissage forcé de l’aigle américain’, Revue internationale et stratégique,
2002, p.49.
575 Department Of State. The Office of Electronic Information, Bureau of Public Affairs, ‘II. Champion
Aspirations for Human Dignity’.

Page 177
for all people everywhere » montrant ainsi la vocation morale et universelle des États-Unis. Le
président Bush affirmait de même : « We recognize that our best defense is a good offense »,
ce qui était une référence claire à la guerre préventive 576 . La présence dans le cabinet du
président de personnes proche du mouvement contribue à cette politique : le vice-président
Richard Cheney et le secrétaire à la défense Donald Rumsfeld furent tous deux membres du
Center for Security Policy, un autre think tank néoconservateur.577 Ce nouveau positionnement
amènera aussi certains membres modérés du cabinet à tenir des positions de plus en plus
interventionnistes, comme le prouve notamment le virage du secrétaire d’État Colin Powell578
lors de la préparation du conflit irakien en 2003. De la même manière le Conseil de sécurité
nationale, jadis influent au sein de l'administration est orienté en faveur de cette nouvelle
579
doctrine néo-conservatrice. Avec une équipe de plus en plus acquise aux idées
néoconservatrices, la politique étrangère suit leur doctrine. (2)

2 Une politique impériale visant à retrouver une crédibilité interne et externe

Outre le problème de la crédibilité externe et de l'image de puissance amoindri à l'international,


les attentats du 11 septembre ont aussi eu un effet néfaste sur la cohésion interne de
l'administration des États-Unis. Très rapidement les failles des services de sécurité ont été mises
en évidence : l'absence de coopération entre le FBI et la CIA580 tournant même à la rivalité ainsi
que l'incapacité du Conseil de sécurité nationale à prévoir l'attaque furent mis en avant comme
des causes du 11 septembre, Afin d'éviter un chaos décisionnel au plus haut niveau et dans le
but de provoquer une réaction se développe alors une doctrine unique autour de la pensée néo-
conservatrice. Ce phénomène apparaît lors de l'attaque en Afghanistan avec un rôle plus

576 Department Of State. The Office of Electronic Information, Bureau of Public Affairs, ‘III. Strengthen
Alliances to Defeat Global Terrorism and Work to Prevent Attacks Against Us and Our Friends’.
577 SIONNEAU, Bernard, ‘Réseaux conservateurs et nouvelle doctrine américaine de sécurité’, 2005, Op.
Cit. p.528.
578 Le général Powell n'était pas un néoconservateur et fut d'ailleurs remplacé lors du second mandat du
président Bush par Condoleezza Rice plus proche du mouvement « Powell est avant tout un républicain
internationaliste pragmatique, dans la lignée de Kissinger et Scowcroft : il n’est pas un idéologue (il appuiera
même la candidature d’Obama en 2008). Par loyauté pour le président, cependant, Powell soutient publique-ment
les décisions de l’Administration. Cela ne l’a pas empêché, en privé, d’exprimer des réserves et, à l’occasion, de
s’opposer à certaines stratégies de l’équipe Bush, notamment du duo Cheney-Rumsfeld ».
David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 12 . La politique étrangère inféodée (2001-2008)’, in Au sein de la
Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la politique étrangère des États-Unis,
2015, p. 830.
579 Ibid, p. 805-806.
580 Ibid p.861-862.

Page 178
important joué par le président et par un collège restreint de conseillers au détriment des
administrations classiques et des chefs des armées. 581 Cette présidentialisation de l'action
étrangère a pour but un « ralliement autour du drapeau » et ainsi d'assurer une cohésion de
l'action américaine. Toutefois, l’imprégnation de l'idéologie néo-conservatrice dans cette
nouvelle gouvernance entraîne la témérité dans les affaires étrangères. Une action de plus en
plus policière et impérialiste se développe.
Dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, le Moyen-Orient est la principale cible de cette
politique. Dans l'esprit des néoconservateurs, partisans de la démocratisation des États,
l'Afghanistan n'est que le prélude à des actions contre les autres « États voyous ». En Irak, un
pilier de « l'axe du mal », la guerre préventive et le changement de régime sont considérés
comme des moyens de cette action étrangère.582 L’Irak étant un État central de la région, il s'agit
par effet de domino d'assurer un contrôle de cette zone géographique et donc indirectement de
garder sous le contrôle de Washington des États comme la Syrie et l'Iran.583 Dans le même
temps, le projet de bouclier anti-missile en Europe, rejoint cette volonté tendant vers
l’hégémonie : outil tourné vers les ennemis ou adversaires des États-Unis il permet une présence
assurant une sécurité globale sous le contrôle américain. À travers cette conception, il apparaît
que les objectifs principaux de la politique étrangère américaine étaient à l'époque, un monde
unipolaire et leur volonté d'en être la force dominante. Il trahit aussi la volonté de garder le
contrôle de la politique internationale. Enfin, l'exemple du bouclier anti-missile s'inscrit
également dans l'action préventive qui est une doctrine chère aux néoconservateurs : privilégier
l'offensive à la défense et bloquer les adversaires avant qu'ils ne puissent nuire aux États-Unis.
La crainte du gouvernement américain est, après le 11 septembre, que le poids de Washington
diminue et qu'un monde multipolaire se développe sans les États-Unis. Dès lors le choix de
maintenir absolument un monde unipolaire à l'aide du principal atout du pays, l'armée et la
supériorité technologique, est mis en avant. Cette politique conduit ainsi Washington à un fort
interventionnisme progressivement dénoncé, y compris en interne, notamment de la part du

581 Ibid p.867.


582 « Bush énonce deux doctrines : celle du changement de régime visant directement Bagdad, en avril, et
celle de la guerre préventive (preemptive war) justifiant l’intervention américaine, en juin. »
Ibid p.876.
583 ' « Enfin, après la guerre en Irak, et craignant sans doute la puissance américaine, le régime de Téhéran
a tenté de mener des négociations avec le représentant du Département d’État sur le statut de l’enrichissement du
nucléaire civil pouvant servir à des fins militaires. L’Iran va jusqu’à proposer, en mai 2003, un comprehensive
package »
Ibid p.874.

Page 179
président Obama . Néanmoins, la présence des interventionnistes se poursuit sous son premier
mandat, non plus sous une forme néoconservatrice mais sous une forme mélangeant réalisme
et wilsonisme (B)

B la persistance d'un interventionnisme contrôlé sous la présidence Obama

Chez Obama, la doctrine de la puissance intelligente n’empêche pas la présence


d'interventionnistes wilsoniens au sein de son administration dès son premier mandat avec les
anciens membres de l'administration Clinton (1). Cela conduit au développement d'une doctrine
basée sur le « leadership from behind » (2)

1 Le retour des « wilsoniens » de la présidence Clinton dans l'administration d'Obama

À l'instar de George W. Bush qui avait pris dans son administration des anciens membres de
celles des présidents Reagan et H. Bush, Obama fait de même en récupérant une partie de celle
du président Clinton avec 40 % des nominations et bien entendu l'ancienne première dame
Hillary Clinton. 584 Ce choix politique s'explique dans les deux cas par la popularité des
présidents Reagan et Clinton au sein de leur partis respectifs et même au sein de la population
américaine585. La volonté de prendre des contributeurs d'une politique ayant été populaire dans
le passé tend à recréer les conditions de ce succès. Pour le président Obama, cette décision est
aussi justifiée par la relative inexpérience du cercle de ses partisans, que le professeur Charles-
Philippe David nomme les « obamiens »586. Ces derniers sont partisans d'une ligne modérée en
politique étrangère jugeant qu'après l'interventionnisme du président précédent et des résultats
plus que discutables, une politique étrangère plus défensive semble réaliste. 587 Le choix
d'ajouter des « clintoniens » permet de compenser cette direction politique ; ces derniers ont de

584 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, Op. Cit., p.930.
585 Selon les sondages gallup de 2011 et de la Quinnipiac University en 2014, Ronald Reagan sont considérés
comme les meilleurs présidents depuis la seconde guerre mondiale.
Inc, Gallup, ‘Americans Say Reagan Is the Greatest U.S. President’, Gallup.Com
<http://news.gallup.com/poll/146183/Americans-Say-Reagan-Greatest-President.aspx> [accessed 29 April 2018]
University, Quinnipiac, ‘QU Poll Release Detail’, QU Poll <https://poll.qu.edu/national/release-
detail?ReleaseID=2056> [accessed 29 April 2018].
586 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, Op. Cit., p.937
587 Ibid.

Page 180
l'expérience dans les précédentes administrations démocrates et ont une bonne connaissance
des affaires.588 Enfin, des membres de l'administration du président W. Bush sont conservés
comme le secrétaire à la défense Robert Gates. Cette équipe diverse est le souhait du président
Obama d'avoir une « équipe de rivaux »589 et d'éviter une pensée collective finissant par devenir
unique comme sous la présidence George W. Bush 590 . Cette configuration se combine
parfaitement avec le concept de la puissance intelligente qui cherche à allier de manière habile
la voie diplomatique et militaire. La présence des « clintoniens » est aussi un vecteur
d'interventionnisme dans le sens du président Wilson : un idéalisme humanitaire à répandre
dans le monde, les valeurs démocratiques principalement par la voie diplomatique mais aussi
militaire dans des circonstances précises lorsque le droit humanitaire est violé. Un autre élément
de la politique des « wilsoniens » est aussi la politique transformationnelle, à savoir provoquer
et/ou accompagner les changements de régimes dans les régimes autoritaires591. Cette politique,
suivie y compris durant la présidence W. Bush, eut une incidence sur la gestion des printemps
arabes. Provoquant au début, un vif débat entre les « obamiens » adeptes d'une realpolitik et
d'une position en retrait et réservée, et les « clintoniens »592 souhaitant une ligne plus dure vis-
à-vis des régimes qui se manifesterait par des interventions plus ou moins directes.593
Le rôle et la position de la secrétaire d’État Hillary Clinton sont symptomatiques du conflit
interne au sein de l’administration du premier mandat d'Obama. À la fois, à l'origine d'un certain
nombre de doctrines réalistes utilisées par Obama comme la « puissance intelligente » et le
pivot asiatique, elle était aussi partisan d'une ligne dure et interventionniste. Concernant le
printemps arabe, elle suivit d'abord une ligne modérée pour des motifs réalistes, considérant

588 « Susan Rice avait servi au NSC de Tony Lake et sera nommée ambassadrice à l’ONU (elle est très proche
de Power et sera très insistante pour promouvoir le programme humanitaire au sein de l’Administration). Jim
Steinberg, qui avait occupé le poste de NSA adjoint sous Sandy Berger, prendra le poste de secrétaire d’État
adjoint ; Tom Donilon, qui avait travaillé pour Hamilton Jordan et Warren Chris-topher sous Carter, de même
que pour la campagne de Mondale en 1984, deviendra le NSA adjoint, puis le NSA ; Tony Blinken, qui était au
NSC de Clinton, deviendra le secrétaire général du vice-président Biden »
Ibid.
589 Ibid p.931.
590 le président Obama disait en décembre 2008 : « un des dangers à la Maison-Blanche, si je me fie à ma
lecture de l’histoire, est de se retrouver coincé dans une pensée groupale, tandis que tout le monde semble
d’accord sur tout et qu’il n’y a ni discussion ni opinions dissidentes. Par conséquent, je vais saluer la tenue de
débats vigoureux à la Maison-Blanche et déciderai ensuite comme président des politiques à suivre. » cité dans
David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’ Op. Cit. p.931
591 Voir la seconde section du premier chapitre de cette thèse pour plus de détail sur cette stratégie et son
utilisation en Ukraine.
592 Tout particulièrement l'ambassadrice à l'ONU Susan Rice qui regrettait l'inaction de Bill Clinton lors du
génocide du Rwanda.
593 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’ Op. Cit. p.958.

Page 181
que la chute des dirigeants des États arabes concernés créait un environnement chaotique594.
Pour autant, elle a considéré avec le recul que l'inaction n'avait pas été une posture
satisfaisante 595 . Elle est toutefois l'architecte de plusieurs interventions pendant le premier
mandat d’Obama, en l'Afghanistan et en Libye. Si le président Obama est parfois considéré
comme réaliste-libéral, en référence aux deux principales écoles de pensées des relations
internationales, dans les faits ce qualificatif devrait plutôt s'appliquer à la Secrétaire d’État
Clinton qui combina aussi bien des éléments de réalisme comme la défense des intérêts
nationaux américains et des aspects plus idéalistes venant du wilsonisme. Cette position la
conduisit à une approche plus interventionniste qu'Obama mais moins agressive que d'autres
membres de l'administration qui souhaitaient un activisme plus important sur la scène
internationale. Cette dualité dans l'administration du Président et l'importance de la Secrétaire
d’État dans le processus décisionnel ont conduit Barack Obama à une approche en politique
étrangère pouvant être qualifiée comme un interventionnisme retenu : le leadership from
Behind. (2)

2 l'utilisation du « leadership from behind » comme doctrine interventionniste

Le terme « leadership from behind » est employé pour décrire la stratégie américaine employée
en Libye en 2011 qui fut un cas d'école de ce type d'interventionnisme. Elle consiste à intervenir
en appuyant des alliés et des acteurs locaux. 596 Le président Obama considère que ce type
d'opération multipolaire permet d'assurer une action efficace sans avoir à déployer en
permanence des troupes,597 respectant à la fois son engagement, de la campagne de 2008, de

594 Comme le disait Hillary Clinton dans ses mémoires : « If Mubarak falls, I told the President, “it all may
work out fine in twenty-five years, but I think the period between now and then will be quite rocky for the Egyptian
people, for the region, and for us.” ».
Clinton, Hillary Rodham, Hard Choices, Abridged edition (New York, N.Y.: Simon & Schuster Audio,
2014) p.341.
595 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’ Op. Cit. p.958
596 Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique étrangère, Hiver
(2015), p.161-162.
597 Le président Obama tenait les propos suivants lors de son discours à West point en 2014 qui étaient déjà
valables lors de son premier mandat : « So we have to develop a strategy that matches this diffuse threat -- one
that expands our reach without sending forces that stretch our military too thin, or stir up local resentments. We
need partners to fight terrorists alongside us. And empowering partners is a large part of what we have done and
what we are currently doing in Afghanistan. » .
Obama, Barack, ‘Remarks by the President at the United States Military Academy Commencement
Ceremony’, Whitehouse.Gov, 2014 <https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/2014/05/28/remarks-
president-united-states-military-academy-commencement-ceremony> [accessed 29 April 2018].

Page 182
retrait de troupes, tout en gardant un rôle actif dans la sphère internationale. En effet, très
rapidement le président Obama a refusé un isolationnisme total qui mettrait en danger le pays
du fait de la dangerosité du monde598 mais dans le même temps il renforce ce repli sur les Etats-
Unis à cause des crises. Comme l'indique le chercheur Olivier Kempf, le président connaît lors
de son mandat une période comparable à l'après Vietnam où les États-Unis devait se recentrer
et retrouver leur force militaire et leur cohésion interne. 599 Le refus d'une nouvelle opération
prime alors jusqu'en Libye où le président se rallie aux partisans d'une intervention, à savoir les
« clintoniens » favorables à une approche plus humanitaire des relations internationales. Ce
choix a pour but de dénouer une impasse décisionnelle au sein de son administration sur la
manière de gérer le cas du colonel Kadhafi.600 Le problème rencontré par le président Obama
sur ce dossier était qu'il subissait une pression des partisans de l'intervention venant aussi bien
de son administration que des alliés, la France et le Royaume-Uni, qui invoquaient la
responsabilité de protéger.
Le « leadership from behind » est la solution trouvée pour Barack Obama pour régler la crise
humanitaire sans déployer de forces sur le sol et avec une implication minimale. De plus et
contrairement au président W. Bush, il cherche à obtenir l'aval du Conseil de sécurité de l'ONU
afin que cette intervention soit à la fois légale et légitime. En effet selon Charles-Philippe David,
« la responsabilité de protéger » qui sert de justification à l'intervention connaît son origine
juridique dans la résolution 1674 (2006) votée à l'unanimité par ses membres et donc avec
l'accord de la Russie et de la Chine.601 L'abstention de ces deux dernières lors de la résolution
1973 (2011) ne fait pas obstacle à l'intervention malgré des discussions concernant le champ
d'action de celle-ci. 602 De la même manière, l'administration Obama préfère agir avec
l'OTAN603, là encore dans un souci de légitimité, le président visant à mettre en avant l'aspect
multilatéral de l'intervention et éviter une comparaison avec le cadre politique qui avait amené

598 Dans le même discours : « It is absolutely true that in the 21st century American isolationism is not an
option. We don’t have a choice to ignore what happens beyond our borders. If nuclear materials are not secure,
that poses a danger to American cities. » Ibid.
599 Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Op. Cit..
600 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, Op. Cit., p.962
601 ‘LE CONSEIL DE SÉCURITÉ RENFORCE LES MESURES DE PROTECTION DES CIVILS EN
PÉRIODE DE CONFLIT ARMÉ | Couverture Des Réunions & Communiqués de Presse’
<https://www.un.org/press/fr/2006/CS8710.doc.htm> [accessed 29 April 2018].
Szurek, Sandra, ‘La responsabilité de protéger : du prospectif au prescriptif… et retour. la situation de la
Libye devant le conseil de sécurité’, Droits, 2012, 59–96 <https://doi.org/10.3917/droit.056.0059>.
602 L'article 4 de la résolution prévoit en effet qu'elle « Autorise les États Membres qui ont adressé au
Secrétaire général une notification à cet effet et agissent à titre national ou dans le cadre d’organismes ou
d’accords régionaux et en coopération avec le Secrétaire général, à prendre toutes mesures nécessaires ».
603 L'opération de l'OTAN s'intitulant Unified Protector .

Page 183
la guerre en Irak en 2003. Le but, au plan interne, était bien d'assurer un compromis entre les
interventionnistes et les partisans d'une politique plus défensive. À travers cette action, il mène
une politique offensive tout en n'ignorant pas l’intérêt national. De la même manière, le
président se montrera plus prudent que son prédécesseur concernant le projet de bouclier anti-
missile en Europe : là encore, il préférera intégrer le projet de déploiement en y intégrant les
alliés européens, à travers l'OTAN604 et en faisant du bouclier un outil utilisable pour la défense
européenne.605 Cette nouvelle stratégie s'inscrit dans la même optique que l'opération en Libye :
une position de retrait qui guide et soutient les alliés et permet un interventionnisme plus
maîtrisé.
Néanmoins, qu'il s'agisse de l'interventionnisme néoconservateur du président W. Bush ou celui
plus contrôlé du président Obama, ces politiques sont sources de tensions avec la Russie qui
considère ses intérêts menacés (§2)

§2 Un interventionnisme rentrant en conflit avec les intérêts russes :

La Russie cherche avant tout à conserver et protéger ses intérêts nationaux, politique d'autant
plus exacerbée par le souhait des administrations Poutine et Medvedev de recréer la puissance
de la Russie. Par conséquent, toute action s'apparentant à de l'impérialisme, militaire ou
diplomatique, venant des États-Unis est perçue par les Russes comme une menace contre leurs
intérêts. Les tensions entre les deux États viennent de ce fait d'une réaction russe à
l'interventionnisme américain. La puissance de la Russie entre 2001 et 2012 restant en
reconstruction, il s'agit pour celle-ci de chercher à bloquer la politique américaine. Cette
problématique fut appliquée dans deux espaces géographiques importants pour la stratégie de
la Russie606 : l'étranger proche (A) et le Rimland européen et arabo-musulman (B)

604 Ce qui était réclamé par des Etats comme la France et l'Allemagne.
Paszewski, Tomasz, ‘Us Missile Defense Plans: Central And Eastern Europe’, Revue d’études
Comparatives Est-Ouest, 2013, p.50.
605 Ibid p.53-54.
606 La Russie se montrera d'autant plus attachée à défendre ses intérêts dans les Etats et régions qui se situent
autour de la Russie européenne et du Caucase qui représente l'espace le plus peuplé et le plus industrialisé du pays.

Page 184
A La critique de l'action russe dans l'ex-URSS : source du durcissement du régime

L'étranger proche fut toujours le point sensible entre la Russie et les occidentaux, Moscou
considérant cette région comme sa zone d'influence. La politique des administrations
américaines dans cette région mais aussi en Europe de l'Est, où se situaient les États satellites
du l’URSS, est, de ce fait, toujours vue avec méfiance par Moscou. Plus l'interventionnisme
direct ou indirect des États-Unis se rapproche des frontières russes, plus les relations entre les
deux États en pâtissent. Ce phénomène se manifeste à la fois par la critique du système interne
russe par l'administration américaine (1) et par l'influence américaine dans les États frontaliers
de la Russie (2)

1 Une critique du système russe par l'administration américaine

Les néoconservateurs, tout comme les wilsoniens partagent la volonté de propager les valeurs
démocratiques et l'intransigeance envers les régimes autoritaires et dictatoriaux. Un tel
positionnement n'est pas compatible avec l'autoritarisme croissant du régime de Poutine qui
privilégie la reconstruction de l’État et la recherche de puissance au détriment des valeurs chères
aux Américains. Le président de « Russie unie » Vladislav Sourkov estime que la méthode de
développement appartient à l’État et ne doit pas être dictée de l'extérieur. 607 Cette idée de la
démocratie souveraine est reprise par le président Poutine qui refuse, selon ses dires, que les
choix de la Russie soient imposés par une puissance externe.608 La différence de point de vue
sur la gestion d'un État est source de nombreuses critiques de la part d'officiels américains aussi
bien des démocrates wilsoniens que des républicains néoconservateurs.

607 « Thus, we may define sovereign democracy as a mode of the political life of society in which the state
authorities, their bodies and actions are elected, formed, and directed exclusively by the Russian nation in all its
unity and diversity for the sake of achieving material well-being, freedom, and justice for all the citizens, social
groups, and peoples that constitute it » V. Surkov, « Nationalization of the Future : Paragraphs pro Sovereign
Democracy », Russian Studies in Philosophy, vol.47, n. 4 (spring 2009), p. 8, 200 cité par Binette, Pierre, ‘La
Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale
<http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1282> [accessed 22 March 2017].
608 « At the same time, everything we do will be based on our own interests and goals, not on decisions other
countries impose on us. » Poutine, Vladimir, ‘Russia and the Changing World’, RT International
<https://www.rt.com/politics/official-word/putin-russia-changing-world-263/> [accessed 30 April 2018].

Page 185
La crise en Tchétchénie est l'origine d'une de ces critiques, malgré le rapprochement avec le
président Bush dans la lutte contre le terrorisme qui avait pour but de faire cesser celles-ci. Il
s'avère que des officiels américains continuèrent à se montrer sévères sur l'action du
gouvernement russe dans cette affaire. La critique américaine609 de la gestion de la prise d'otage
dans une école à Besant610 est un élément déclencheur pour la Russie qui s'estime trahie par les
États-Unis. Le reproche adressé à la Russie de ne pas avoir établi des relations avec les
dirigeants séparatistes tchétchènes, ce qui selon les Américains auraient pu contribuer à éviter
une telle action611, amène le président russe à considérer que les États-Unis ne l'aideront pas à
lutter contre le terrorisme et que ces derniers s’octroient des pouvoirs qu'ils refusent à d'autre.612
Un cercle vicieux s'enclenche par la suite car cet attentat amène le gouvernement de Poutine à
renforcer son pouvoir en accroissant le contrôle sur les autorités locales 613 soulevant en
conséquence d'autres critiques du gouvernement américain de l'époque : ces mesures étant
qualifiées de « pas en arrière sur le chemin de la transparence et de la démocratie » par Richard
Armitage, l’adjoint de Colin Powell.614 Le président russe dénonce de manière générale les
reproches qui lui sont adressés par l'occident en les considérant comme le discours d'une
politique du double standard aboutissant à une plus grande impunité pour l'action de l'occident
que pour celle de la Russie.615
De la même manière, certains officiels américains comme Michael McFaul en 2003, futur
secrétaire d’État sous le président Obama, attribuent les désaccords entre les États-Unis et la
Russie au fait que cette dernière n'est pas une démocratie totalement consolidée, alors que, sans

609 « Le département d’Etat a mis en garde contre le «tout répressif» en Tchétchénie et a appelé à la
recherche d’une «solution politique» ».
Rucker, Laurent, and Gilles Walter, ‘Russie 2004’, Le Courrier des pays de l’Est, 2005,p.10.
610 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit. p.89.
611 Pour la majorité de l'opinion russe de l'époque cet attentat et les résultats de l'intervention sont imputables
à la corruption de la police et de l'administration. Seuls 27 % de la population russe pense que l'attentat à pour
cause la guerre en tchétchénie en elle-même.
Rucker, Laurent, and Gilles Walter, ‘Russie 2004’, Le Courrier des pays de l’Est, 2005, Op. Cit. p.10.
612 « Putin himself told a group of visiting Western specialists at a 2004 meeting organized by the Valdai
Discussion Club, including one of the authors, that he equated the call on the part of some U.S. officials for Russia
to negotiate with Chechen separatists as akin to asking Osama bin Laden to visit the White House for talks with
the U.S. government and expressed his frustration with apparent double standards between the U.S. prosecution
of the global war on terror with its criticisms of Russia. »
Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors ; Op. Cit. p.89.
613 Rucker, Laurent, and Gilles Walter, ‘Russie 2004’, Le Courrier des pays de l’Est, 2005,Op. Cit. p.8-9.
614 Ibid p.15.
615 « Ils légitiment des élections quisont loin de correspondre aux normesdémocratiques (en Afghanistan,
au Kosovo, en Macédoine), mais les mettent en doute en Tchétchénie : «En Irak où 100 % du territoire est occupé,
il est possible de tenir des élections. Mais pas en Tchétchénie !»
Ibid.

Page 186
cela, la Russie serait un pays totalement pro-américain.616 Cette posture est très révélatrice des
idées des wilsoniens et des néoconservateurs qui considèrent que le changement de régimes
vers des sociétés démocratiques permet de gommer les différences politiques et les sources de
conflits. La différence de vision entre ces officiels américains et l'administration de Poutine est
un avatar du conflit entre les idéalistes, wilsoniens et néoconservateurs, américains et les
réalistes dont Poutine fait partie. Une véritable incompréhension entre les deux existe : les
premiers conservant une forme d'optimisme, héritière de la victoire de la guerre froide tandis
que les seconds sont dans une optique plus pessimiste des relations internationales. Elle
développe le syndrome de la « citadelle assiégée » chez l'administration russe et une crainte
vivace d'un encerclement par les États-Unis qui chercherait à s'attaquer au régime russe.
Parallèlement, le Congrès américain se montre sceptique face à une coopération avec la Russie
et refuse de ratifier certaines avancées réalisées par l'administration américaine. 617 Cette
escalade plus idéologique que fondée sur la confrontation des intérêts, a un rôle important dans
le déclin des relations entre les deux États, amenant à la fois, les dirigeants russes à prendre
leurs distances avec les États-Unis et ces derniers à se méfier de plus en plus de Moscou. De
2003, période où les tensions reviennent, jusqu'au tournant conservateur et autoritaire du
président Poutine en 2012, la Russie préfère éviter une confrontation frontale avec les États-
Unis ; Moscou se contente d'ignorer de plus en plus les critiques américaines. Les liens entre
les deux Etats se réduisent alors à quelques épisodes sporadiques de coopération sur des projets
spécifiques.618 Néanmoins, cette situation accroît un ressentiment respectif chez les officiels
des deux pays : les américains considèrent Vladimir Poutine comme une relique de la période
soviétique de par son passé de membre du KGB, les Russes que les dirigeants de Washington

616 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors ; Op. Cit. p.88.
617 « After his first meeting with Putin, Bush promised that he would push to have Russia graduated from the
Jackson-Vanik amendment, which was passed in 1974 to put trade restrictions on nonmarket (read Communist)
economies that prohibited the free emigration of their citizens. This would create normal trading relations between
the U.S. and Russia, a necessary precondition for Russia to be able to enter the World Trade Organization. He
was unable to mobilize support to do this, however, because this remained a Congressional point of leverage over
Russia. » Ibid.
Le même phénomène se répéta lorsque le président Bush négocia un accord avec la Russie lors du G8 en
2006 permettant une coopération dans le domaine nucléaire fut rejeté par le Congrès américain : « Indeed, Senator
Joe Biden frankly declared the 123 Agreement to be “dead” unless Russia did not “reverse course” on a number
of issues that were at odds with American policy. »
Ibid.
618 Alexey Pushkov le directeur du comité des affaires étrangères de la Douma disait :“Putin has not dropped
the idea of partnership with the United States altogether, but he has definitely moved away from some of the more
grandiose proposals in favor of a much more limited arrangement.”
Ibid p.90.

Page 187
veulent contrôler Moscou. À cette critique interne du système russe s'ajoute la vision de
l'étranger proche par les dirigeants américains.

2 Les conflits gelés de l'étranger proche comme vecteur de discorde entre les administrations
russes et américaines

L'étranger proche de la Russie est depuis la chute du bloc soviétique, le problème le plus
épineux que doivent gérer les deux administrations dans le cadre de la relation russo-
américaine. Les dirigeants russes considèrent depuis les années 1990 que cette région est sous
leur influence, là où les Américains nient tout droit pour la Russie d'avoir une zone sous son
contrôle, y compris indirect, du fait du principe de la souveraineté des États.619 Si la CEI permit
au départ de rassurer la Russie, la crainte d'un rattachement des pays de l'étranger proche à
l'Union Européenne ou pire à l'OTAN amena Moscou à se montrer de plus en plus présente
dans les affaires internes de ces États.
L'élément qui réenclencha ces conflits gelés furent les révolutions de couleurs en Géorgie en
2003 et en Ukraine en 2004. Dans les deux cas, la situation est similaire : une élection
présidentielle donne comme vainqueur un candidat pro-russe620, des mouvements populaires
contestent ces élections ce qui aboutit à l'annulation de celles-ci et à la victoire du candidat
opposé plus pro-occidental 621 . Les administrations américaines comme russes s'accusent
réciproquement d'ingérence et d'influence dans les élections des deux États. Il est en effet vrai
que les deux États sont intervenus indirectement dans celles-ci afin d'assurer leur contrôle sur
l'Ukraine et la Géorgie. Toujours est-il que ces révolutions furent un véritable échec politique
pour la Russie qui perdit une part importante de l'influence politique qu'elle avait sur eux. La
révolution orange en Ukraine fut, à cet égard, plus mal acceptée par le président russe que la
révolution des roses en Géorgie : l'importance de ce pays pour la Russie et le fort soutien au
président déchu Viktor Ianoukovitch expliquant cette attitude. 622 Ces épisodes ont mis en

619 Comme le rappelle le vice-président Joe Biden en 2009: « We will not agree with Russia on everything. .
. . We will not recognize any nation having a sphere of influence. It will remain our view that sovereign states have
the right to make their own decisions and choose their own alliances. » cité dans Gvosdev, Nikolas K., Russian
Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors ; Op. Cit. p.96.
620 Eduard Shevardnadze pour la Géorgie et Viktor Ianoukovytch pour l'Ukraine, ce dernier étant aussi le
président lors des événements de Maidan en 20014.
621 Mikheil Saakachvili pour la Géorgie et Viktor Iouchtchenko pour l'Ukraine.
622 Rucker, Laurent, and Gilles Walter, ‘Russie 2004’, Le Courrier des pays de l’Est, 2005, Op. Cit. p.15.

Page 188
lumière la faiblesse politique de la Russie qui était incapable de maintenir un contrôle et une
influence sur des anciennes républiques soviétiques qui se tournaient de plus en plus vers
l'Occident. En outre, l'influence des ONG, avec le soutien de certains officiels américains
comme le sénateur McCain et l'ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright, dans les groupes
civils ayant participés aux révolutions de couleurs renforce encore plus le complexe
d'encerclement des autorités russes.
Ces événements sont objets de débats au sein de l'administration Poutine. Les libéraux, comme
le conseiller économique de l'époque Andreï Illarionov, estiment que la Russie devait se servir
de cette défaite pour tourner la page quant au souhait de conserver une zone d'influence et se
concentrer sur des réformes internes 623 . A l'inverse les « siloviki » dont est issu Vladimir
Poutine souhaitent une ligne plus dure. C'est cette seconde ligne que suivra le président russe.
À l'instar de la crise tchétchène, les révolutions de couleurs contribuèrent au tournant étatique
et à une prise de contrôle accrue de l'administration par le président russe au détriment des
forces libérales qui sont présentes dans celle-ci au début de la présidence Poutine. 624 La
présidence Medvedev malgré une certaine ouverture ne permit pas de retrouver la position
initiale libérale-conservatrice. Au contraire la politique étatique continua et la confrontation
avec les États-Unis concernant l'étranger proche connut une escalade supplémentaire avec le
conflit géorgien d'été 2008 : profitant des problèmes séparatistes de l’Ossétie du sud, la Russie
bloqua une possible entrée du pays dans l'OTAN.625 Par cette opération, la Russie adressait un
double message à l'occident et plus particulièrement aux États-Unis : sa puissance militaire était
encore capable d'intervenir à l'étranger et Moscou n'hésiterait pas à défendre ses intérêts par la

623 « Andreï Illarionov, est allé plus loin, n’hésitant pas à se faire sarcastique : «Il s’agit de l’opération
spéciale la plus réussie de l’année et d’une grande victoire de la diplomatie russe. Avec les moyens grossiers mis
en œuvre, elle a réussi à convaincre même les Ukrainiens qui ne comptaient pas voter au départ Iouchtchenko». Il
s’est félicité de la victoire de ce dernier parce qu’elle donne à la Russie l’occasion d’abandonner son «complexe
d’empire», condition pour qu’elle devienne «véritablement démocratique et qu’elle se développe
économiquement ». »
Ibid.
624 Là encore la position d' Andreï Illarionov qui démissionna en 2005 est équivoque sur le conflit entre les
libéraux et les Etatiques: « Andrei Illarionov will describe how the Kremlin’s policy decisions in the past few years
have given rise to a new corporate state in which state-owned enterprises are governed by personal interests and
private corporations have become subject to arbitrary intervention to serve state interests. The reduction in
economic freedom is negatively affecting political freedom, civil society, and foreign relations. »
‘The Rise of the Corporate State in Russia’, Cato Institute, 2012 <https://www.cato.org/events/rise-
corporate-state-russia> [accessed 2 May 2018].
625 La Géorgie attaqua aout 2008 la capitale de l'Ossetie du sud Tskhinvali causant la mort de militaires
russes, que cette dernière avait placé en tant que gardiens de la paix, événement qui offrit l'opportunité à Moscou
de riposter de manière massive et de détruire une majeure partie de l'armée géorgienne.
Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.193.

Page 189
force si nécessaire. Cette opération est la première illustration d'un retour de la Russie sur la
scène internationale, souhaitant éviter une nouvelle défaite politique comme pour les
révolutions de couleurs et freiner la dynamique qui s'est enclenchée en Géorgie depuis ces
événements. Là encore le président russe voit la main de Washington derrière les forces
géorgiennes. L'administration américaine ne réagit ni militairement ni à travers des sanctions
malgré sa préoccupation et celle de ses alliés dans l'OTAN. 626 Washington ne sanctionne
toutefois pas cette action, souhaitant au plus vite un retour à la normale et à la paix.627 Cette
position américaine conforta Moscou dans sa méfiance envers les États-Unis, critiquant une
intervention russe après être intervenus unilatéralement en l'Irak. Mais la passivité des
Américains eut aussi pour effet de valider la théorie du président Poutine que l'on est mieux
respecté si l'on est fort.628
Il convient, néanmoins, de souligner que malgré les discours alarmistes de l'époque évoquant
une nouvelle guerre froide, un tel épisode n’empêcha pas un rapprochement de la Russie et des
États-Unis au début du mandat d'Obama prouvant la primauté des intérêts globaux sur les
conflits locaux. Pour autant, cette confrontation indirecte entre les États-Unis et la Russie sur
l'étranger proche pèse sur la vision que les deux administrations avaient l'une de l'autre, chacune
accusant l'autre d’être responsable de la situation en Géorgie et en Ukraine. A ce problème
touchant ce que les Russes considèrent comme étant leur zone d'influence, s'ajoute l'impact de
la politique américaine en dehors de celle-ci (B)

626 Le président Bush déclara : « La Russie a envahi un pays souverain voisin et menace un gouvernement
démocratiquement élu par son peuple, une telle action est inacceptable au XXIe siècle »
‘Les réactions au conflit entre la Géorgie et l’Ossétie’, L’Obs
<https://www.nouvelobs.com/monde/20080808.OBS6731/les-reactions-au-conflit-entre-la-georgie-et-l-
ossetie.html> [accessed 2 May 2018].
627 La encore le président Bush déclara« Le gouvernement russe doit changer la politique qu'il semble mener
et accepter l'offre de paix (de la Géorgie, ndlr) comme premier pas vers la résolution de ce conflit » ; « Il est temps
pour la Russie de respecter sa parole et d'agir pour mettre fin à la crise »
Ibid.
628 « Ce que la Russie voulait démontrer à ses véritables interlocuteurs, c’est d’abord qu’elle n’accepterait
pas l’extension de l’OTAN au Caucase. Poutine et Medvedev l’avaient dit à maintes reprises ; n’étant pas écoutés,
ils sont passés du discours aux travaux pratiques – à une guerre. Cette fois, ils ont été entendus. »
Carrere d’Encausse, Helene, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit.

Page 190
B La difficulté russe à faire valoir sa politique hors de sa zone d'influence

Si la Russie se montre faible sur l'ancien territoire de l'URSS, conduisant, de ce fait, à une
centralisation du pouvoir par crainte d'un interventionnisme américain dans cet espace ; la
capacité de Moscou à faire valoir ses vues aux États-Unis sur des problèmes géopolitiques en
Europe (1) et au Moyen-Orient (2) est encore plus limitée.

1 Une rivalité renaissante entre les États-Unis et la Russie sur le continent européen

Si la Russie concentre ses politiques avant tout dans l'étranger proche, les États membres de
l'Union européenne font l'objet d'un vif intérêt de la part de la Russie qui se considère au début
du premier mandat de Poutine comme européenne.629 L’intérêt des États-Unis est aussi évident
pour un partenaire privilégié à travers le lien transatlantique. Les relations russo-américaines
sont, de ce fait, affectées par la politique de chaque administration en Europe. Toujours mue
par une crainte d'encerclement, la Russie se montre hostile à l'application de la grande stratégie
américaine en Europe et tout particulièrement en matière militaire.
Le bouclier anti-missile à l'époque du président Bush est l'une des principales sources du
contentieux avec l’extension de l'OTAN soutenue par les États-Unis. Si cette dernière est
tolérée lors du rapprochement entre les présidents Bush et Poutine, l’adhésion des États baltes630
à l'organisation en 2004 est critiquée par le gouvernement russe. Bien que n'ayant jamais fait
partie de la CEI comme l'Ukraine ou la Géorgie, le fait de voir d'anciennes républiques
soviétiques frontalières de la Russie devenir membres d'une organisation de défense inquiète
l'administration russe déjà empêtrée dans les problèmes tchétchènes et ukrainiens.631 La Russie
craignant de nouveau une hégémonie américaine en Europe via l'OTAN, s'inquiète de la
possibilité de leur présence sur les territoires baltes avec l'implantation de bases militaires voire

629 Contrairement au premier ministre Primakov qui était partisan d'une prise de distance vis-à-vis de
l'Occident, Vladimir Poutine souhaitait combiner le renforcement de l’État russe et le maintien du lien avec
l'Europe et les Etats-Unis.
630 Cette adhésion est motivée par la crainte d'une agression militaire de la Russie dans la région baltique.
Les trois Etats baltes se situent en effet entre deux postions stratégiques russes : Saint-Petersbourg et surtout
l'enclave militaire de Kaliningrad.
Nies, Susanne, ‘Quelle sécurité pour la région baltique ?’, Le Courrier des pays de l’Est, 2003, p.61.
631 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors ; Op. Cit. p.100.

Page 191
de missiles.632 Cette nouvelle vague d’adhésion intervient en outre, pendant le conflit irakien,
dans une période de fort pouvoir néoconservateur à Washington avec l’unilatéralisme militaire
comme doctrine. Ce faisant, les relations entre les deux États sont déjà froides et la période de
rapprochement est finie.
La question de l'installation de missiles est d'autant plus problématique que Washington a
modernisé son bouclier anti-missile depuis le début des années 2000 et commence à le déployer
en Europe entre 2004 et 2007 et plus précisément en Pologne et en République Tchèque633,
États ayant rejoint l'alliance en 1999 et anciens satellites de l'URSS. Cette situation pose
problème pour la Russie pour deux raisons : le concept de bouclier anti-missile fait suite au
projet IDS (Initiative de défense stratégique) développé sous le président Reagan pendant la
crise des euromissiles en 1983 qui visait les Soviétiques et dont on peut penser qu'il a conduit
à la fin de l'URSS. Ensuite le choix de déployer ce nouveau bouclier dans la partie orientale de
l'Europe vise une région connue pour sa méfiance envers Moscou. Cette politique n'est à
l’époque, concertée ni avec l'UE, ni avec l'OTAN, renforçant l'aspect d'une stratégie purement
américaine. Le président Poutine met en garde contre une escalade lors d'une conférence à
Munich 2007. Il va jusqu'à menacer d'abroger le Traité sur les forces nucléaires à portée
intermédiaire de 1987634 et compare cette situation à la crise des missiles de Cuba en 1962.635
Cette manifestation de la puissance américaine en Europe combinée avec l'extension de l'OTAN
près des frontières de la Russie est là encore source d'une prise de distance de la part de Moscou.
La défense anti-missile étant perçue comme un outil de domination par les néoconservateurs
américains, cette idée est reprise à son compte par la Russie, ce qui conduit à une impasse
politique.
Enfin, à cette présence militaire s'ajoute une rivalité sur les questions économiques et plus
particulièrement sur la question des hydrocarbures avec la rivalité entre les projets d'oléoducs
et de gazoduc soutenus par les américains (Nabucco) 636 , et les russes (North stream par la

632 « Le 14 janvier 2005, le ministre russe de la Défense, Sergueï Ivanov, en visite à New York, est intervenu
en ce sens, invoquant l’élargissement de l’Alliance et le déploiement de missiles américains sur le territoire de
certains nouveaux membres d’Europe de l’Est. »
Bayou, Céline, ‘Etats baltes −− Russie’, Le Courrier des pays de l’Est, 2005, p.18.
633 Paszewski, Tomasz, ‘Us Missile Defense Plans: Central And Eastern Europe’, Revue d’études
Comparatives Est-Ouest, 2013, p.41.
634 Ibid p.51.
635 Ibid..
636 Le projet Nabucco est originaire de l'UE mais l'administration américaine l'a fortement soutenu.
Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , p.87.

Page 192
Baltique et South Stream par la Mer Noire). Cette rivalité est d'autant plus forte que le projet
Nabucco doit faire jonction avec le gazoduc américain Bakou-Tbilissi-Erzurum créé en 2005
en Asie centrale. 637 Les administrations des États-Unis cherchent à bloquer la pénétration
économique de la Russie en Europe en faisant pression diplomatiquement sur ses alliés de
l'OTAN638 en représailles à l'utilisation des hydrocarbures comme arme politique par la Russie
dans des États comme l'Ukraine. Compte tenu de l'importance de l'économie dans la politique
du président Poutine, qui en fait l'élément principal de la reconstruction de la puissance russe,
une telle rivalité porte atteinte aux intérêts de Moscou. Comme le précise Hélène Carrère
d'Encausse, ce contournement de la Russie pour l'alimentation en hydrocarbure de l'Europe
couplé à la politique pro-américaine de la Géorgie où passeraient les tubes du gazoduc, participe
grandement à convaincre la Russie qu'elle est la cible d'un complot américain visant à
l'encercler.639 Si le gouvernement russe a pu montrer sa force militaire en Géorgie en 2008 dans
le but d'adresser un message aux États-Unis, il n'a aucun moyen de pression contre eux en
Europe ce qui amène peu à peu à un repli sur eux-mêmes ainsi qu'à un virage vers l'Asie au
détriment de l'occident. Toujours selon Hélène Carrère d’Encausse, « En 2004-2005, la
diplomatie russe se trouve à un tournant. Ni les États-Unis ni l’Europe ne sont ouverts à une
stratégie de réchauffement. D’une certaine manière, c’est l’indifférence, voire la paix froide,
qui caractérise le climat des relations entre la Russie et le monde occidental. » 640 Cette
situation perdure jusqu'en 2008 où le conflit géorgien et l’élection d'Obama change la situation
en passant rapidement d'une hausse des tensions à une nouvelle coopération marquée par une
logique de realpolitik. Toutefois, la politique américaine dans le monde arabo-musulman, qui
met encore plus en exergue l'incapacité de la Russie à s'opposer aux États-Unis, parachève le
sentiment d’encerclement. (2)

637 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.185
638 « For instance, in April 2006, Secretary of State Condoleezza Rice, during her visits to Greece and
Turkey, apparently lobbied both governments to block Gazprom participation in a Greece–Turkey gas pipeline
“whether as a shareholder in the pipeline company or as a gas supplier.” »
Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , p.87.
639 Carrere d’Encausse, Helene, La Russie Entre Deux Mondes Op. Cit..
640 Ibid.

Page 193
2 L'échec de la Russie à protéger ses alliés au Moyen-Orient

La Russie a perdu une part majeure de son influence au sein des États du monde arabo-
musulman après la chute de l'URSS, au profit des États-Unis dans les années 1990 et au début
des années 2000. Le poids militaire de Moscou ayant considérablement diminué, le soutien aux
régimes arabes comme la Syrie, l'Irak et la Libye est moins efficace que pendant la guerre froide
et n'est plus une priorité. De plus, la participation de la Russie, même temporaire, à la guerre
contre le terrorisme, n'aide pas à retisser des liens avec les États musulmans qui étaient à
l'époque dans l'ensemble hostile aux États-Unis. Les relations avec ceux-ci sont néanmoins
maintenues, dans le cadre de la politique de grande puissance à laquelle il aspire, le président
Poutine cherchant à diversifier les relations en continuant la politique de Primakov641. Il montre
ainsi une volonté de renouer peu à peu des liens avec les États du Proche et Moyen-Orient.
Cette politique se heurte à deux reprises à l'action des États-Unis qui interviennent dans la
région sans l'accord explicite de la Russie : en Irak et en Libye. Dans le premier cas,
l'intervention américaine est la manifestation la plus dure du poids néoconservateur dans
l'administration Bush : une intervention unilatéralement décidée par les États-Unis décidant
d'une invasion d'un État jugé comme potentiellement dangereux pour Washington. Cette
intervention est d'autant plus dommageable pour les relations entre les deux Etats que l'invasion
de l'Irak a fait l'objet d'un consensus au sein du Congrès des États-Unis dépassant les
néoconservateurs et même les républicains642. Cet accord s'étendant aux démocrates renforce
l'idée que Washington dans sa large majorité approuverait cet unilatéralisme. Le président
Poutine considérera également, plus tard, que ce sont les fausses informations des services de
renseignements qui furent à l'origine des choix de George W. Bush, rejetant la faute sur l’État

641 Primakov bien qu'appartenant au courant russe étatiste des relations internationales, possédait des vues
se rapprochant des eurasistes et donc était partisan d'un rapprochement avec l'Orient. De ce fait quand il fut premier
ministre de 1998-1999, il entama une politique dans ce sens avec l'Irak, tout en précisant aux Etats-Unis et à
l'Arabie Saoudite que celle-ci n'était pas tournée contre eux.
642 Le 11 octobre 2002, le congrès américain vota l'autorisation pour le gouvernement d'une intervention
armée en Irak. 215 représentants républicains ,81 représentants démocrates votèrent pour (68 % de l'assemblée)
et 48 sénateurs républicains ainsi que 29 sénateurs démocrates votèrent pour (77 % du sénat).
‘Oct. 2002 Congressional Votes Authorizing the President to Use Military Force Against Iraq - US - Iraq
War - ProCon.Org’ <https://usiraq.procon.org/view.additional-resource.php?resourceID=001987> [accessed 4
May 2018] ‘H.J.Res. 114 (107th): Authorization for Use of Military Force Against ... -- House Vote #455 -- Oct
10, 2002’, GovTrack.Us <https://www.govtrack.us/congress/votes/107-2002/h455> [accessed 4 May 2018]
.‘H.J.Res. 114 (107th): Authorization for Use of Military Force Against ... -- Senate Vote #237 -- Oct 11, 2002’,
GovTrack.Us <https://www.govtrack.us/congress/votes/107-2002/s237> [accessed 4 May 2018].

Page 194
profond plutôt que sur le président américain.643 Cette situation a eu deux effets négatifs sur
l'administration Poutine : l'impression que les officiels américains dans leur ensemble
n'écoutent plus les autres États, y compris leurs alliés traditionnels comme l'Allemagne et la
France qui se sont opposés à cette intervention ; la crainte que cette intervention n'amène la
destruction de structures faisant barrage au terrorisme644, raisonnement qui sera réutilisé en
Syrie. Le président Poutine critique en 2003 frontalement les États-Unis, comportement qu'il
n'avait jamais eu auparavant, du fait du rapprochement avec Washington. 645 L'incapacité
d’empêcher l'intervention américaine, malgré l'accord avec la France et l'Allemagne face à
l'administration des Etats-Unis montre les limites de la diplomatie russe dans la région.
Néanmoins la réaction reste mesurée : malgré une hausse de ton entre les deux administrations,
Moscou ne veut pas s'opposer durablement aux États-Unis avec qui elle avait réussi à se
rapprocher, d'autant plus que les intérêts économiques et politique de la Russie en pâtirait.646
Le gouvernement russe se retrouvant devant un état de fait, il souhaite ne pas être exclu de la
reconstruction de l'Irak et être présent dans les marchés pétroliers américains se développant
dans la région.647 Les autorités russes doivent ainsi dans cette crise combiner la protection de
leurs intérêts avec une position de faiblesse dans les relations internationales.
L'intervention en Libye, bien qu’entraînant un chaos régional comme l'Irak, s'inscrit dans un
contexte global différent : la Russie a en 2011, déjà utilisé la force armée hors de son territoire
pour défendre ses intérêts en Géorgie et le pouvoir de Poutine en interne s'est renforcé tandis
les États-Unis sont fragilisés par la crise économique ainsi que par des divisions internes sur la
conduite des relations internationales. L'intervention en Libye dans le cadre du printemps arabe

643 « President Bush certainly thought how to protect the United States and to protect the citizens of the
United States. He thought how to do that. And it was easy for him to believe the data he was provided with by the
intelligence services. Even though that data was not entirely correct. There are attempts at demonizing Bush, and
I don’t think that’s the right thing to do. »
Vladiimir Poutine cité dans Stone, Oliver, Qarie Marshall, Pete Cross, Lesa Lockford, and Chris Lutkin,
The Putin Interviews: Oliver Stone Interviews Vladimir Putin, Unabridged ; ON THE WAR IN IRAQ AND
AMERICAN EXPANSION.
644 « As to Iraq, I told you already. We believed that, in the end, that would lead to the disintegration of the
country, to the disappearance of structures which were able to resist terrorism, which in turn would lead to large
scale regional problems. We put forward proposals to cooperate in this direction, but they were left unanswered. »
Ibid.
645 Hedenskog, Jakob, Vilhelm Konnander, Bertil Nygren, Ingmar Oldberg, and Christer Pursiainen, eds.,
Russia as a Great Power: Dimensions of Security Under Putin, 1 edition (London; New York: Routledge, 2013)
p.193.
646 Dans une interview donné à Tamboc le 3 avril 2003, le président Poutine déclara que « compte tenu des
considérations économiques et politiques, la Russie ne souhaite pas une défaite des Etats-Unis »
Ibid p.194.
647 Ibid.

Page 195
a interrompu le rapprochement entre les États-Unis et la Russie. Le passage d'une mission visant
à empêcher les attaques contre les civils à une opération aboutissant à la chute du régime est
perçu par les autorités russes comme outrepassant la résolution 1973. La Russie s'est abstenue
sur ordre du président Medvedev lors du vote afin de prendre ses distances vis-à-vis du colonel
Kadhafi et de ne pas s'opposer aux États-Unis. Ce choix a fait polémique au sein du
gouvernement, Poutine désapprouvant celui-ci car il anticipait le renversement du régime
libyen.648 La position du premier ministre s'explique par des motifs similaires à ceux qu'il avait
développés pour le conflit irakien, à savoir une propagation des extrémistes qui créerait des
troubles en Russie. L'échec de la position de Medvedev a eu un effet direct sur le tournant
autoritaire qui suivit lors du retour au pouvoir de Vladimir Poutine : en effet, la position de
blocage en Syrie fait directement suite à l'épisode libyen et certains analystes estiment que
l'erreur de Medvedev lui coûta la possibilité de pouvoir se présenter pour un second mandat
présidentiel.649
Ces deux épisodes interventionnistes permettent de montrer que la faible opposition de la
Russie n'a pas empêché l'action des États-Unis et ce sans tenir compte des intérêts russes. Les
conséquences néfastes des renversements de régimes dans le monde musulman et les
répercussions au-delà avec le terrorisme poussèrent la Russie à tirer les leçons de ces
événements.

Le cœur du contentieux entre les deux pays qui prit progressivement forme au début du XXIème
siècle se caractérise ainsi par une constante : l’incompatibilité des initiatives interventionnistes
de l'administration américaine visant à transformer la société internationale face à une position
russe cherchant à retrouver son ancien prestige dans les relations interétatiques. Les officiels
des deux États sont restés attachés à une culture nationale opposée les poussant à s'affronter :
les Américains se définissent toujours comme une nation indispensable, alors que les Russes se
considèrent comme un empire sans cesse menacé. Cette persistance de systèmes de pensée qui
diffèrent l'un de l'autre empêche les administrations des deux États de se comprendre.

648 Tsygankov, Andreï P., ‘La Russie et le Moyen-Orient : entre islamisme et occidentalisme, Abstract’,
Politique étrangère, Printemps (2013), p.88.
649 Ibid.

Page 196
Conclusion du Chapitre 1 :

Le rôle des dirigeants et des officiels, qu'ils soient membres de l’exécutif ou du législatif, influe
directement sur les décisions et la conduite de la politique internationale. La période de
consolidation de la puissance russe entre 2000 et 2012 est ainsi marquée à la fois par la
coopération et par les tensions. Les débuts des mandats mouvementés des présidents Bush et
Obama permettent d'assurer un climat favorable à une ouverture avec l'administration russe :
chacun compte tenu des circonstances, lutte contre le terrorisme sous le président Bush et crise
économique sous Obama, a besoin de l'autre et la personnalité des présidents crée des tandems
qui permettent d'aboutir à des résultats aussi bien politiques qu'économiques. La Russie restant
faible en interne et sur le plan international, la doctrine des présidents Poutine et Medvedev
consiste à avoir les États-Unis de son côté et à tirer profit du partenariat.
Pour autant les vieux réflexes politiques n'ont pas disparu dans les deux États et montrent les
limites de ces initiatives : d'importants conflits d’intérêts et la différence de vision quant aux
solutions à apporter à ceux-ci font ressurgir les tensions amenant le président Poutine vers un
tournant de plus en plus autoritaire. (Chapitre 2)

Page 197
Chapitre 2 : Les présidents des États-Unis face au
tournant autoritaire du président Poutine
(2012) : des tensions malgré des coopérations
ponctuelles

Étant donné les nombreuses déceptions dans les relations entre la Russie et les États-Unis
pendant les deux mandats présidentiels et le mandat de premier ministre de Vladimir Poutine,
ce dernier, de retour à la présidence en 2012 accomplit un tournant plus autoritaire. Si
l'autoritarisme s'est accentué de manière croissante dans le régime russe, le troisième mandat
présidentiel marque un tournant. Conformément à une politique réaliste dictée par les intérêts
nationaux, l'action de la Russie reste liée aux contextes domestique et international qui influent
sur sa puissance. La présidence Medvedev avait marqué un assouplissement des relations avec
l'ouest dans le but de gérer la crise économique : à la fois éviter une trop grande dégradation de
l'économie russe mais aussi prendre un rôle plus affirmé dans la mondialisation.650
Le président Poutine choisit au contraire, lors de son retour à la tête de l’État, une ligne
directrice plus conservatrice, nationaliste et civilisationniste. Ce choix fait suite à une
perception d'un occident menaçant et interventionniste. Le fait de mener une politique plus dure
a pour finalité d'assurer un meilleur contrôle interne de la Russie mais aussi dans l'étranger
proche.651 De plus, la politique de modernisation de l'armée russe commence à porter ses fruits
et lui permet plus de témérité pour défendre ses intérêts. Cette politique influence les relations
avec le président Obama qui connaît lui aussi un changement de situation interne lors de son
second mandat. De par le basculement des chambres du Congrès au profit des républicains, il
doit à la fois prendre en compte les positions de Vladimir Poutine mais aussi gérer les crises
globales (section 1). En outre, si la Russie a connu un tournant politique conservateur en 2012,
les États-Unis le connaissent aussi en 2016 avec l'arrivée au pouvoir de Donald Trump qui
modifie l'ordre international du fait d'une politique imprévisible (section 2).

650 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.233.
651 Ibid.

Page 198
Section 1 Le second mandat du président Obama : un partenariat officieux
avec la Russie

La période de 2012 à 2016 est une époque charnière parfois analysée comme marquée par la
montée de l'instabilité politique dans le monde. Si les effets directs de la crise économique
s'estompent peu à peu et la croissance économique est de retour, les effets politiques restent
toujours présents avec la montée de forces antisystèmes 652 dans les différentes régions du
monde. Les États-Unis, qui ont jusqu'à présent servi de point d'équilibre sur une scène
internationale qui leur était largement favorable, accomplissent une transition vers un monde
multipolaire. Une incertitude géopolitique liée au changement de rapport de force en est la
conséquence. La faiblesse politique de l'Europe ne lui permet pas de se placer en tant que
substitut à la puissance américaine. La Russie, à l'instar d'autres États comme l'Inde et la Chine,
profite dès lors de la situation pour gagner en importance sur la scène internationale. C'est dans
ce contexte que la politique du second mandat présidentiel d'Obama et le troisième de Poutine
prend place : un nouvel ordre international se constitue.
Les réalistes prônent la séparation entre la politique interne et externe, mais elle est difficile à
accomplir compte tenu des rouages du pouvoir en interne et de leur connexion avec la politique
étrangère. Si cette dimension a toujours existé653, elle est renforcée par la mondialisation qui
rend les sociétés plus connectées. De ce fait, la politique étrangère que les présidents Poutine et
Obama ont conduite entre 2012 et 2016 ne peut faire abstraction de la situation politique interne
des deux États (§1). De celle-ci découle une situation paradoxale où des tensions se cristallisent
autour de quelques crises violentes (§2), amenant un retour actif de la Russie sur la scène
internationale. Les deux administrations coopèrent toutefois pour régler ces crises et atténuer
les tensions menant à une impasse (§3)

652 Le monde arabo-musulman connaît les effets pervers du printemps arabe avec la montée des islamistes
en Afrique du Nord, le coup d’État du général Sissi qui lui-même fait suite à l'élection des frères musulmans,
l'enlisement de la guerre civile syrienne. En Europe, les partis rejetant « l'establisment » progressent voire arrivent
au pouvoir comme en Grèce avec Syriza en 2015, ou en Pologne le retour du parti « Droit et Justice ».
653 Le prince de Machiavel traite principalement de ces thèmes sur le fait d’obtenir et de maintenir le pouvoir.

Page 199
§1 des phénomènes politiques internes influant sur la marge de manœuvres des
présidents

Les États-Unis restent beaucoup plus puissants que la Russie sur tous les plans. Néanmoins, un
rééquilibrage du potentiel de la puissance se fait à travers la marge de manœuvre des présidents.
Le processus décisionnel est en effet complexe dans les instances politiques. Le pouvoir du chef
de l’État reste corrélé à l'acceptation ou l'application des décisions par les cercles officiels,
l'administration et le pouvoir législatif, et par la population. Un dirigeant populaire ou
autoritaire a une marge de manœuvre plus grande qu'un autre moins soutenu et plus encadré par
des institutions. Ainsi, le pouvoir réel des présidents russe et américain est modifié et la
différence de puissance entre les deux États réduite. Un double phénomène se produit : le
président Obama connaît une baisse de soutien (A) tandis que le président Poutine consolide
son pouvoir (B)

A Une paralysie progressive de l'administration Obama

Si le président Obama réussit à remporter l’élection présidentielle face au républicain Mitt


Romney en 2012, sa force politique est plus faible qu'en 2008. L'étude de popularité accomplie
par l'American Presidency Project654 de l'Université de Californie Santa Barbara montre que la
popularité du président Obama est de juillet 2013 à février 2016 en dessous de 50 % là où lors
de la première moitié de son premier mandat, elle montait jusqu'à 68 %. 655 Encore plus
problématique, selon un sondage de l'Université Quinnipiac en 2014, Obama serait considéré
comme le pire président depuis la seconde guerre mondiale.656 Cette position politique difficile
se matérialise sur plusieurs plans : le basculement progressif du congrès dans l'opposition
républicaine (1) la montée en puissance de mouvements antisystèmes (2)

654 Pour l'étude complète voir : Peters, Gerhard, ‘Presidential Job Approval F. Roosevelt (1941) - Trump’,
American Presidency Project (APP).
Cette étude repose sur les sondages Gallup.
655 Le président avait déjà connu une baisse significative de popularité en 2010 et 2011 qui s'était résorbé
en 2012.
656 33 % des sondés le considérait comme le pire dépassant George Bush Jr. (28%) et Richard Nixon (13%)
University Quinnipiac, ‘QU Poll Release Detail’, QU Poll .

Page 200
1 Un blocage institutionnel : le basculement du Congrès entre les mains du parti républicain

Le Congrès américain a peu à peu basculé dans le camp des républicains, en 2011, la Chambre
des Représentants puis le Sénat en 2015. Un tel phénomène n'est pas anodin compte tenu des
pouvoirs du Congrès en matière d’affaires internationales. Avec des actes législatifs tels que les
lois de procédures de la politique étrangère (procedural legislation, PL) et celles visant à définir
des orientations en la matière (substantive legislation, SL)657, le Congrès possède des leviers
pour infléchir la politique de la Maison-Blanche : les PL peuvent imposer des structures au sein
de l’exécutif ou créer des obligations de suivi tandis que les SL s'avèrent, dans les faits,
nécessaires au président pour accomplir sa politique étrangère du fait qu'elle demande un accord
entre l’exécutif et le législatif.658 Ces dernières furent largement utilisées lors du second mandat
du président Obama 659 . Bien évidemment, le pouvoir de veto du président incite à une
coopération entre les deux pouvoirs mais le risque de paralysie existe. Outre ce pouvoir
purement législatif, la présidence doit composer avec le pouvoir financier et fiscal du Congrès :
comme le précise le chercheur Frédérick Gagnon, c'est un « pouvoir de porte-monnaie »660. En
adoptant les budgets de fonctionnements des départements liés à la conduite de la politique
étrangère, le Capitole possède un véritable contrôle sur celle-ci. De plus, sur ce point, des
considérations plus nationales peuvent se mêler : le budget étant général il est aisé de favoriser
soit les dépenses internes soit les dépenses internationales ou bien de limiter les dépenses en
général. Enfin, le Sénat possède des pouvoirs propres mais essentiels quant à la conduite des
affaires étrangères : il faut son accord pour ratifier des traités internationaux et déclarer la
guerre.661

657 Gagnon, Frédérick, ‘Chapitre 9 / Le congrès’, in La politique étrangère des Etats-Unis Op. Cit. p.415.
658 « Puisque le Congrès a la responsabilité de voter les lois fédérales, le président a besoin de son appui
s’il souhaite formaliser sa politique étrangère sous forme de lois » Ibid.
659 « Selon le site Govtrack.us, qui recense l’ensemble des projets de loi débattus au Capitole, les membres
du 112e Congrès des États-Unis (session parlementaire de 2011 à 2013) ont proposé près de six cents textes
législatifs touchant aux affaires internationales. Les thèmes qu’ils abordaient étaient variés : endiguement de
l’Iran et de la Corée du Nord, trafic international d’organes, droits de la personne au Vietnam, protection de
l’environnement, etc.12 Treize de ces textes sont devenus des lois fédérales. Parmi celles-ci, le Iran Threat
Reduction and Syria Human Rights Act of 2012 imposait des sanctions aux acteurs internationaux aidant l’Iran à
développer ses ressources pétrolières et ses capacités nucléaires. Cette loi prévoyait également des sanctions
contre le gouvernement syrien en réponse aux violations des
droits de la personne dont il était responsable. » Ibid p.417.
660 Ibid p.419.
661 Pour lancer des opérations militaires il n'est pas nécessaire d'obtenir son autorisation mais il est préférable
pour le président de le faire : « Le président projette alors l’image d’un chef rassembleur, capable de rallier ses
adversaires à sa cause. En obtenant l’appui formel des législateurs, le président prévient également d’éventuelles
critiques. En effet, si les membres du Congrès finissent par pourfendre le commandant en chef, ils donneront le
sentiment de changer d’opinion au gré du vent et prêteront eux-mêmes flanc à la critique. » Ibid p.433.

Page 201
L'arrivée du parti d'opposition au Congrès à partir de 2011 n'est donc pas sans conséquence,
surtout dans un contexte où les deux partis défendent des positions de plus en plus tranchées.
Ce faisant le 112e Congrès (2011-2013) a été l'un des plus tendus avec le nombre de textes
législatifs adopté le plus faible de l'histoire américaine, faisant ainsi échouer des projets en
politique étrangère du président Obama. Cette situation s'explique par un certain nombre de
facteurs. Le plus important est la volonté des républicains de diminuer le déficit budgétaire. Au
sein du parti, on assiste à un changement des forces en présence où les « faucons militaires »
partisans des dépenses militaires se font dépasser par les « faucons du budget », fiscalement
conservateurs et adeptes d'une dépense publique moindre.662 Leur politique consistant à réduire
l'aide à l'étranger est en outre soutenue par une partie des démocrates souhaitant se recentrer
sur les dépenses sociales internes.663 Une telle décision porte tort à la doctrine de la « puissance
intelligente » du président qui utilisait cette aide pour la mettre en œuvre. 664 En plus de cette
politique de conservatisme fiscal républicain, la montée de l'isolationnisme au sein du parti
républicain se ressent de plus en plus avec l'influence des libertariens Ron Paul puis de son fils
Rand Paul665. Ce faisant, le parti républicain se retrouve avec les deux mouvances les plus
opposées en matière de relations internationales : les isolationnistes avec les libertariens et les
interventionnistes avec la persistance des néo-conservateurs. Ces deux positions rejettent le
« smart power » d'Obama qui ne peut que difficilement s'appuyer sur eux réduisant son soutien
au Congrès. Outre, ce problème législatif, le président doit faire face à des mouvances sociales
antisystèmes qui participent elles aussi à la diminution de sa marge de manœuvre faute d'une
popularité suffisante (2)

2 La montée en puissance de mouvances antisystèmes : source de contestation civile de la


politique d'Obama
Si l'aspect partisan est fort au Congrès avec des positions de plus en plus tranchées, il faut le
mettre en perspective avec l’émergence de mouvements sociaux de protestation aussi bien dans
la droite que la gauche américaine. L'apparition du « Tea party » et du mouvement « Occupy

662 Kandel, Maya, ‘Politique étrangère et soutien populaire : la fin du consensus et du siècle américain ?’,
Revue française d’études américaines, 2015, p.51.
663 Ibid.
664 Ibid.
665 « Ces positions lui ont donné une audience bien au-delà des cercles libertariens «traditionnels» qui
constituaient la clientèle de son père Ron Paul. » Kandel, Maya, ‘Politique étrangère et soutien populaire : la fin
du consensus et du siècle américain ?’, Revue française d’études américaines, 2015, p.51.

Page 202
Wall Street » ont eu une influence disruptive sur la politique d'Obama. Ceux-ci, bien qu'au
départ assez marginaux malgré une forte médiatisation, ont connu un soutien direct et indirect
au sein de la population comme le montre les résultats de Bernie Sanders666 et la victoire de
Donald Trump lors de l’élection présidentielle de 2016. Leurs électorats ont en effet été
influencés par ces mouvements dont les idées ont été reprises par les deux candidats. Les deux
groupes bien qu'ayant des idées différentes sont tous deux hostiles à la politique du
gouvernement.
Cette contestation affecte la politique du président Obama de deux manières. Non seulement,
le « Tea Party » et « Occupy Wall Street » sont tentés par l'isolationnisme mais ceux-ci obligent
le président à se concentrer sur les affaires internes au détriment de la politique extérieure.
Concernant le premier point, le fait que l'une des deux factions internes du « Tea Party » soit
les libertariens667 explique ce refus de l’interventionnisme. Pour « Occupy Wall Street » c'est
la présence d'altermondialistes et des franges les plus à gauche du parti démocrate dans le
mouvement qui amène de facto une dimension isolationniste. De plus, l'opposition à certaines
mesures ou des choix du gouvernement obligent le président à se recentrer sur la
politique intérieure : l'opposition du Tea Party à l'Obamacare contribue à rendre la réforme
difficile à réaliser alors que le mouvement « Occupy Wall street » souhaite, de son côté, un
interventionnisme plus actif dans la réglementation économique. Cette situation est révélatrice
du problème que le président Obama doit gérer : deux groupes populaires critiquant sa politique
et possédant des conceptions du rôle du gouvernement opposées avec la promotion de l’État
minimal libéral pour le Tea Party contre celle d'un État interventionniste voire socialiste pour
« Occupy Wall street ». La polarisation de la vie publique complique ainsi la tâche du président
pour unir la population ou au moins pour réussir à arbitrer ses vœux. Cette situation s'aggrave
avec la pénétration au niveau institutionnel de ces groupes et tout particulièrement du Tea Party
qui arrive à pénétrer le parti républicain668 pourtant hostile à l'origine. « Occupy Wall Street »

666 Si Bernie Sanders n'a pas gagné la primaire démocrate, son score de 43,1 % fut une surprise étant donné
qu'il était considéré que sa rivale Hillary Clinton gagnerait sans problème la primaire. La popularité de Sanders au
sein des électeurs parti démocrate et même en dehors de celui-ci était importante comme le montre des sondages
opposant Trump à Sanders, qui donnait un écart de +10 % en faveur au démocrate , là où les sondages entre Clinton
et Trump ne donnaient qu'un écart de 3-4 %.
‘RealClearPolitics - Election 2016 - General Election: Trump vs. Clinton’.
‘RealClearPolitics - Election 2016 - General Election: Trump vs. Sanders’ .
667 La encore, au début du mouvement le sénateur Ron Paul y était influent.
668 « Ainsi, au cours des primaires sénatoriales de 2010, la Tea Party a provoqué la défaite de plusieurs
candidats soutenus par l’establishment du Parti républicain – en particulier en Utah et en Alaska, où les sénateurs
républicains Robert Bennett et Lisa Murkowski n’ont pas pu être désignés et ont dû céder la place aux favoris de
la Tea Party Mike Lee et Joe Miller ; dans le Kentucky, où le Secrétaire d’État Trey Grayson a été battu par le

Page 203
n'arrive pas à faire une telle percée, mais séduit des membres du parti démocrate déjà affaibli
par un report d'une partie de la classe moyenne sur le Tea Party.669
Si globalement, l'administration Obama évite de céder à ces mouvements, ce sont des facteurs
d'amoindrissement du soutien populaire. De même, la pénétration du Tea Party dans le parti
républicain eut un impact lors du passage du Congrès entre les mains du GOP en contribuant
au tournant conservateur. Ces éléments institutionnels et populaires montrent les difficultés que
rencontre le président Obama lors de son second mandat et annoncent la future victoire du
président Trump. Or, parallèlement à ce mouvement, s'effectue une consolidation du pouvoir
en Russie par le président Poutine. (B)

B La consolidation du pouvoir du président Poutine

Si le tournant présidentiel en Russie date de la période d'Eltsine, le président Poutine l'accentue.


Le retour au pouvoir de ce dernier en 2012, marque néanmoins une nouvelle étape dans
l'autoritarisme russe. Le président cherche à avoir un meilleur contrôle de la société russe (1)
en utilisant un discours et une politique plus conservatrice et souverainiste (2).

1 Un contrôle accru de la société russe

En 2011, 50000 manifestants se sont rassemblés à Moscou670 contre la réélection du président


Poutine en s'organisant via les réseaux sociaux. 671 Ce mouvement a été la plus grande
manifestation sous les mandats de Vladimir Poutine. Si ce dernier réussit à se faire réélire en
2012 avec 63,6 %, cette contestation marque l'esprit des dirigeants qui prennent dès lors des

fils de Ron Paul, Rand Paul ; au Colorado, où la Ministre de la Justice partie favorite Jane Norton a été battue
par Ken Buck ; dans le Delaware, où Mike Castle a été battu par Christine O’Donnell ; en Pennsylvanie, où le
républicain modéré Aren Specter a été contraint de changer de parti face à la contestation de Pat Toomey, un
ancien membre du Congrès soutenu par la Tea Party; et enfin, un exemplaire spectaculaire en Floride, où le
gouverneur républicain en poste, Charlie Crist, a été battu par l’ancien Speaker de l’Assemblée locale Marco
Rubio. »
Rae, Nicol C., and Aurélie de Porteere 89615, ‘Le renouveau du conservatisme populiste : la montée de
la Tea Party et son impact, The Return of Conservative Populism: The Rise of the Tea Party and Its Impact on
American Politics’, Politique américaine, 2012, p.19.
669 Ibid p.125.
670 Des manifestations similaires ont eu au même moment dans d'autres villes comme Saint-Petersbourg
(7000 manifestants selon les chiffres officiels) et Novossibirsk (4000 manifestants).
671 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.65-66.

Page 204
mesures afin d'éviter une perte de contrôle. En effet, la peur des révoltes et des mouvements
sociaux a toujours été une inquiétude historique pour le pouvoir russe 672 , les changements
politiques en Russie étant particulièrement durs et amenant des bouleversements internes
importants.673 De plus, cette montée d'opposition intervient dans un contexte où la Russie se
sent de plus en plus menacée et encerclée par l'occident et les États-Unis. Les printemps arabes
et l'opération en Libye se situent dans cette période et le gouvernement craint une propagation
de la contestation.
Le gouvernement de Poutine prend un certain nombre de mesures destinées à contenir
l'opposition, avec une politique à la fois cohérente et continue visant à marginaliser et intimider
la contestation. Comme le précise le professeur Gilles Vandal : « La Douma a entériné une
série de lois restreignant davantage la liberté de presse, le rôle des réseaux sociaux, les droits
de manifester publiquement et exigeant des ONG qui reçoivent des dons extérieurs de s'inscrire
comme agents étrangers. » 674 Ce dernier point montre clairement la crainte d'une influence
étrangère. La modification de la loi sur la trahison qui a été adoptée en 2012 dans le cadre de
cet ensemble de mesures est l'exemple du durcissement 675 . A travers son flou, elle permet
d'étendre ce crime à toute coopération avec une organisation ou des médias étrangers. 676 De
même, pour les ONG, ce contrôle est une réponse au fait qu'elles sont perçues comme étant des
outils de déstabilisation677 et au rôle qu'elles ont joué dans l'étranger proche dans le passé,
comme en Ukraine avec la révolution orange de 2004. Cette dynamique à la fois orientée contre

672 La Russie connue au cours de son histoire un certains nombres de révoltes comme les jacqueries sous les
Tsars ou la guerre civile consécutive à la révolution d'octobre 1917.
673 Par exemple, les révolutions de 1917 amenèrent successivement un régime démocratique à la place du
Tsarisme puis un Etat peu à peu totalitariste. En 1992, l'URSS passe d'un régime socialiste au capitaliste.
674 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.66.
675 « Les amendements apportés en novembre 2012 à l’article 275 du Code pénal de Russie ont élargi la
définition de la haute trahison. En vertu de la nouvelle loi, le crime de haute trahison ne se limite plus à une
coopération avec les organismes du renseignement étrangers, mais s’étend à toute consultation ou aide financière
ou technique à des organisations impliquées dans des « activités dirigées contre la sécurité de la Fédération de
Russie ». »
Moussa, Flora, ‘Gros plan sur le délit de haute trahison’, 2015
<https://fr.rbth.com/ps/2015/02/12/gros_plan_sur_le_delit_de_haute_trahison_32779> [accessed 14 May 2018].
676 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.66.
677 « En mai 2015, la Douma d’État a adopté la loi fédérale sur les activités indésirables d’organisations
non-gouvernementales étrangères et internationales126. Cette loi permet au Procureur général de la Russie ou
ses adjoints, en collaboration avec le ministère des Affaires étrangères, de qualifier d’indésirables les activités
d’une ONG étrangère ou internationale si ces activités constituent « une menace pour les bases de l’ordre
constitutionnel de la Fédération de Russie, les capacités de défense du pays, ou la sécurité de l’État». Les ONG
inscrites sur la liste fédérale sont interdites d’œuvrer sur le territoire de la Fédération de Russie par «
l’intermédiaire d’entités structurelles ; d’y réaliser des programmes (projets), d’y distribuer des matériels
d’information ; d’organiser et de tenir des actions de masse et des manifestations publiques et d’y participer ;
d’utiliser un compte bancaire et des dépôts pour d’autres motifs que ceux qui sont prévus dans le texte de loi »
Binette, Pierre, ‘La Doctrine Poutine’, PSEI | Paix et Sécurité Européenne et Internationale Op. Cit.

Page 205
l'opposition interne mais aussi contre l'occident aboutit à un cercle vicieux quand les critiques
américaines et européennes sont émises à l'encontre de cette répression. Le président russe
utilise dès lors, un conservatisme dur et un nationalisme pour riposter à l'occident. (2)

2 L'utilisation du conservatisme et du nationalisme comme outils de cohésion interne

Le président russe utilise le conservatisme et le nationalisme dans le but de raffermir son


autorité en interne mais aussi de riposter aux critiques européennes et américaines. Si les
conservateurs et les nationalistes ont suivi le président lors de ses premiers mandats, et ce
malgré une politique plus modérée que leurs espérances, de la crise économique naît un
contexte qui permet aux franges les plus extrémistes de ces mouvements hostiles au président
jugé trop modéré, de gagner en puissance, surtout dans la jeunesse russe 678 . Afin d'éviter
l’émergence d'un nouveau front de contestation, Vladimir Poutine décide de tenir une position
plus proche de leurs revendications. À cette fin, les discours « civilisationnistes » sont utilisés.
Pour le nationalisme, le président publie un article en janvier 2012 dans le quotidien russe
Nezavissimaia Gazeta, où il affirme que la Russie est une civilisation unique avec un peuple
uni par une culture et des valeurs communes,679 tout en ne rejetant pas la diversité ethnique du
pays. Par cette position, le président cherche à rassembler mais aussi éviter des débordements
nationalistes à l'encontre des minorités en Russie, qui seraient sources de déstabilisations
internes. Mais c'est surtout le conservatisme qui permet la cohésion de la société russe. En se
reposant sur les concepts d'un monde multipolaire et du droit de chaque État de choisir sa forme
de développement, les autorités russes utilisent le conservatisme afin de présenter une
alternative à l'occident qui le critique. Le rejet du progressisme, alors présent dans les États
d'Europe occidental et aux États-Unis, sert de discours aux autorités afin de légitimer ce
tournant conservateur. De même, la reprise par le président russe des positions religieuses anti-
occidentales peu à peu développées par l’Église orthodoxe de Russie est liée à la popularité de
celle-ci dans la population russe. Par ces différents aspects, l'administration Poutine cherche à
tirer profit de forces populaires dans la société russe et compatibles avec la doctrine étatiste du
gouvernement russe. Cette politique est clairement une réaction à la contestation qui a eu lieu

678 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.78.
679 Ibid p.79.

Page 206
en 2011. Il s'agit de s'opposer au libéralisme et plus particulièrement à sa frange progressive680
la plus critique, aussi bien en interne qu'à l'international, envers l’étatisme du pouvoir russe.
Ce renforcement de la puissance russe, désormais plus hostile à l'occident, combiné avec
l'affaiblissement du président Obama en interne génère une nouvelle dynamique. La difficulté
du président américain et de son administration à gérer cette opposition du fait de la nature
démocratique de l’État américain limite les actions à l'étranger. Barack Obama doit se
concentrer sur les affaires internes et adopter une posture défensive. À l'inverse, les problèmes
internes en Russie sont contrôlés voire canalisés afin de renforcer l'emprise du Kremlin sur la
société russe parachevant la montée de l'autoritarisme dans le pays. Le président Poutine a, dès
lors, plus de liberté pour gérer les affaires étrangères et son souhait de s’opposer à
l’interventionnisme occidental, aussi bien militaire que politique, affûté par les tensions des
premiers mandats, le pousse à adopter une stratégie plus agressive et plus présente sur la scène
internationale. Cette dynamique détermine un contexte conflictuel qui se greffe sur l'instabilité
croissante de la scène internationale. (§2)

§2 Un contexte conflictuel et instable profitant à la Russie

De par la fragilisation des États-Unis, l'ordre mondial est en train de se modifier. Comme toute
période de transition, l'instabilité tend à s'installer temporairement et repose sur deux points. Le
premier est le fait qu'un certain nombre d’États, de puissances aussi bien régionales que
globales, cherchent à tirer profit de la fin de la prédominance des États-Unis681. La Russie et la
Chine sont parmi les plus actives mais des États disposant d'une puissance régionale ont aussi

680 Le libéralisme auquel s'attaque le gouvernement russe est avant tout celui au sens américain (liberal) qui
est une version plus progressiste que le libéralisme classique. Le libéralisme conservateur semble moins dans le
collimateur comme le montre la persistance des relations avec la droite classique européenne.
681 Henry Kissinger précise à ce sujet que : « Finally, there awaits a conception of America’s world role
transcending individual crises and domestic political debates. American leadership has been indispensable, even
when it has been exercised ambivalently. It has sought a balance between stability and advocacy of universal
principles not always reconcilable with principles of sovereign noninterference or other nations’ historical
experience. » Kissinger, Henry, World Order Op. Cit. p.370.
La société internationale, à l'issue de la guerre froide, s'est en effet construite sur le paradigme que les
Etats-Unis étaient une puissance indispensable, le défaut de ceux-ci et par conséquent facteur d'un déséquilibre.

Page 207
un rôle croissant comme la Turquie, l'Iran ou l'Arabie Saoudite. Le second facteur d'instabilité
est la présence de forces dépassant les États : la mondialisation a conduit au développement de
mécanismes permettant de contourner l’État et donc affectant l'ordre westphalien en vigueur
jusqu'alors682. Si ce phénomène n'est pas nouveau, il a pris de l'ampleur au XXIème siècle et on
assiste désormais à la structuration de forces capables de former des quasi-Etats. Des groupes
non étatiques, ONG mais aussi groupes armés, profitent de cette situation pour avancer leurs
intérêts. La combinaison de ces deux facteurs fait naître le contexte qui conduit aux conflits
ukrainien et syrien (A), deux terrains de confrontation entre la Russie et les États-Unis qui
aboutit au retour de la Russie sur la scène internationale. (B)

A Des crises dégénérant du fait de l'instabilité

Le second mandat présidentiel d'Obama et le troisième de Poutine ont été marqués par deux
crises majeures, l'Ukraine et la Syrie. Leurs gestions ont été les principaux facteurs de discorde
entre les deux administrations. Bien qu'obéissant à un certain nombre de dynamiques différentes
liées aux géopolitiques régionales, ces deux conflits présentent des points communs. Ils
concernent à la fois des États ayant une faible capacité à maintenir leur contrôle sur le territoire
(1) et se situent dans des zones d’intérêts pour la Russie (2)

1 L'Ukraine et la Syrie : des États divisés et fragilisés


Malgré leur appartenance à des continents différents et à des cultures différentes, ces deux États
partagent un contexte interne commun. Tout d'abord leur population connaît des divisions
importantes. Le cas de l'Ukraine est significatif quant à sa position vis-à-vis de la Russie et de
l'Union Européenne : l'ouest du pays est majoritairement pro-européen tandis que l'est est pro-
russe. Cette division est visible dans les élections depuis l'indépendance de l’État en 1991683 et
est encore présente dans les élections post-Maidan d'octobre 2014. En Syrie, la division est plus

682 Kissinger, Henry, World Order Op. Cit. p.365.


683 Samuel Huntington le signalait déjà dans les années 1990 : « La coupure est/ ouest a été évidente aux
élections présidentielles de juillet 1994. Le sortant, Leonid Kravtchouk, qui se présentait comme un nationaliste
même s’il avait travaillé de façon très proche avec les dirigeants russes, a gagné dans les treize provinces de
l’ouest, avec une majorité qui a parfois atteint 90 %. Son adversaire, Leonid Koutchma, qui avait pris des leçons
d’ukrainien pendant la campagne, a conquis les treize provinces de l’Est avec des majorités comparables.
Koutchma a finalement gagné par 52 % des voix. » Huntington, Samuel P., Le choc des civilisations Op. Cit.

Page 208
complexe et en partie religieuse : la majorité de la population est sunnite (75%) mais est dirigée
par la minorité alaouite (10%) proche des chiites, seconde minorité avec les chrétiens d'orient
(10 %).684 De plus, la minorité ethnique Kurde, bien que faible en proportion de la population
(6,3 %), reste très active grâce aux autres membres de la communauté, dispersés dans les pays
voisins. Cette division des populations est accentuée en Ukraine et en Syrie par la géographie.
Les deux Etats sont entourés de puissances rivales qui peuvent profiter de cette situation pour
défendre leurs intérêts : si l'Ukraine est un cas d'école de la confrontation entre la Russie et
l'occident, le conflit syrien est fortement lié aux stratégies régionales turques, iraniennes,
saoudiennes, israéliennes et qataries. La nature conflictuelle et chaotique du Moyen-Orient
permet la confrontation de ces différents acteurs, et la perte d'influence et de popularité, voire
de crédibilité, des États-Unis dans la région dont l'action passée fut contre-productive laisse un
vide comblé par ces puissances régionales. L’élément déclencheur de ces conflits reste toutefois
l'incapacité de l’État et de ses dirigeants à assurer la stabilité du pays suite aux crises. Dans les
deux cas, les gouvernements, du fait de la division interne de la société, sont contestés. En
Ukraine, l'alternance entre les gouvernements pro-russes et pro-européens montre l'absence de
consensus, d'autant plus que les affaires judiciaires sont utilisées par les deux camps pour
décrédibiliser l'adversaire685. En Syrie, le pouvoir est marqué par une relative stabilité avant
2011 du fait du régime clanique des Assad, même si un soulèvement des frères musulmans en
1982 a eu lieu sous Hafez Al-Assad et a été durement réprimé avec le massacre de Hama.686
Cet épisode combiné avec le contexte du « Printemps arabe » est un précurseur du conflit syrien
de 2011. Non seulement par la forte présence de la confrérie dans la rébellion 687 mais aussi par
le fait que Bashar Al-Assad a voulu réutiliser les même méthodes que son père pour mettre fin
à la rébellion.
La combinaison de ces facteurs liés aux dirigeants, avec la division de la population et la
déstabilisation étrangère est à l'origine de ces conflits. Ils mettent en évidence le rôle majeur
des acteurs non étatiques, bien qu’instrumentalisés par les États, dans les mouvements de
contestations. Cette réutilisation des stratégies non gouvernementales a mené aux conflits

684 Leclerc, Jacques, ‘Syrie’ <http://www.axl.cefan.ulaval.ca/asie/syrie.htm> [accessed 16 May 2018].


685 L'ancienne première ministre pro-européenne Yulia Tymoshenko fut ainsi emprisonnée en 2010 pour des
affaires de corruptions et d'autres affaires criminelles sous le mandat Viktor Yanukovych, quant à lui pro-russe,
qui fut lui-même poursuivi, après les événements de Maidan, pour un certain nombre de griefs comme l'abus de
pouvoir.
686 Lefèvre, Raphaël, ‘Révolution et violence en Syrie : l’héritage des Frères musulmans, Revolution and
violence in Syria : the Muslim Brotherhood’s legacy’, Maghreb - Machrek, 2012, 65–81 .
687 Ibid p.79.

Page 209
syriens et ukrainiens. Pour autant, ils ont pris une importance plus globale de par l’intérêt des
puissances majeures. Le fait que ces États soient essentiels pour la stratégie russe est
déterminant. (2)

2 Des États essentiels pour la stratégie russe de la reconquête de puissance

L'élément déterminant la globalisation de ces conflits est l’intérêt porté par la Russie à ces États.
Moscou possède un intérêt militaire commun aux deux : l'accès à la mer méditerranée et
indirectement à l'océan indien. Véritable intérêt historique, cet objectif maritime permet de
désenclaver la Russie et lui permet de mener une politique à plus grande échelle. De ce fait, les
ports de Tartous en Syrie et de Sébastopol en Ukraine ont un rôle vital, mais ces enclaves
russes688 peuvent être menacées par le changement de régime dans les deux États. D'autant plus
que des forces profondément antirusses se trouvent dans les mouvements contestataires. En ce
sens, la présence de groupes extrémistes dans l'Ukraine de Maidan et dans la rébellion syrienne
a été une cause d'envenimement de la situation : les groupes d’extrême droite nationalistes
ukrainiens689 et les djihadistes690 en Syrie ont amené les autorités russes à percevoir ces révoltes
comme une menace orientée contre elle. Le président Poutine en tant que réaliste et étatiste
craint le chaos qui se situerait près des frontières du pays. Celui-ci se montre inquiet quant au
changement de régimes691, facteurs d'instabilité.
Toutefois, ces problématiques militaires et sécuritaires s'inscrivent dans la stratégie plus globale
de la reconquête de la place de la Russie sur la scène internationale. L'Ukraine est l'un des

688 Sebastopol était depuis 1997 loué par l'Ukraine à la Russie et Tartou est une concession faite par Hafez
Al-Assad à l'URSS.
689 La présence du parti neo-nazi Svoboda et de Pravy sektor lors des mouvements de la place Maidan
marquèrent la Russie qui en font un élément clé de leur discours afin de présence cet événement comme accompli
par les fascistes.
690 L’État islamique compte un contingent important de tchétchènes (entre 500 et 1500) qui est considéré
comme étant une élite au sein du groupe : leur expérience lors des guerres de Tchétchénie en font des soldats
appréciés des chefs de l'organisation.
Taylor, Adam, ‘Why Being Chechen Is a Badge of Honor for Islamist Militants’, Washington Post, 3 July
2014, section WorldViews <https://www.washingtonpost.com/news/worldviews/wp/2014/07/03/why-being-
chechen-is-a-badge-of-honor-for-islamist-militants/> [accessed 17 May 2018].
691 Il convient d'ailleurs de noter qu'en Syrie c'est plus le maintien du régime baas que de Bashar al Assad
qui est la préoccupation de la Russie. La Russie veut surtout s'assurer que le système politico-militaire ne bascule
pas dans des ennemis de la Russie, d'autant plus si c'est des forces djihadistes.
Pichon, Frédéric, ‘La Syrie, quel enjeu pour la Russie ?, Abstract’, Politique étrangère, Printemps (2013),
p.117.

Page 210
membres les plus importants de l'étranger proche : servant de glacis entre l'Europe de l'OTAN
et la Russie et conservant une dimension historique et symbolique aux yeux de Moscou avec la
Rus de Kiev, le gouvernement de Poutine se considère plus encerclé que jamais et craint de
perdre toute influence sur un espace qui lui fut jadis proche692. L'ancien conseiller à la défense
nationale américaine Zbigniew Brzeziński mentionne à ce propos : « L’indépendance de
l'Ukraine modifie la nature même de l'État russe. De ce seul fait, cette nouvelle case importante
sur l'échiquier eurasien devient un pivot géopolitique. Sans l'Ukraine, la Russie cesse d'être un
empire en Eurasie. »693 Pour la Syrie, c'est l'influence russe qui serait gravement impactée étant
donné que Damas est le seul gouvernement de la région avec lequel la Russie a des relations
stables et fortes. Elle cherche avant tout à redevenir un interlocuteur respecté des États-Unis et
faire en sorte que ses propres intérêts soient respectés. 694 Face à l'impasse diplomatique et
surtout à la dégénérescence des crises, la Russie va choisir la voie de la confrontation. (B)

B Une confrontation favorable à la Russie


Compte tenu des crises et des intérêts en jeu, la Russie ne peut se permettre de rester inactive
ou trop en retrait comme elle l'a fait auparavant. Moscou va décider de recourir au « hard
power » avec la force militaire (1) et profiter de l'incapacité des États-Unis à riposter (2)

1 Un interventionnisme russe militaire maîtrisé

La Russie, qui a modernisé sa force armée à partir de 2008, suite aux opérations en Tchétchénie
et en Géorgie,695 utilise ce moyen pour défendre ses intérêts et faire pression sur l'occident aussi
bien en Ukraine avec la Crimée en 2014 qu'en Syrie en 2015. Il s'agit d'une projection limitée
sans atteindre les limites de la capacité militaire de l'armée russe : soutenir des forces locales,
le gouvernement d'Assad et la population pro-russe de Crimée, afin d'assurer un avantage
stratégique à Moscou. Ces interventions peuvent s'analyser avant tout comme étant un message

692 Fallas, Thibault, ‘Vladimir Poutine et la crise ukrainienne : excellent tacticien, piètre stratège ?’,
Stratégique, 2016, Op. Cit. p.204.
693 Brzezinski, Zbigniew, Le grand échiquier (Fayard/Pluriel, 2011), p.74.
694 Ibid p.118.
695 Facon, Isabelle, ‘La menace militaire russe : une évaluation’, Les Champs de Mars, 2017, p.37.

Page 211
envoyé aux occidentaux et plus particulièrement aux États-Unis en les forçant à reconnaître une
place à la Russie sur la scène internationale qu'ils ne peuvent plus ignorer.
De même, ces interventions veulent être le parachèvement de la consolidation de la puissance
russe en montrant une Russie capable d'imposer ses intérêts dans sa zone d'influence, en
Ukraine et plus précisément en Crimée, mais aussi au-delà, en Syrie. Cette stratégie militaire
s'inscrit dans le tournant civilisationnel accomplit par le président Poutine depuis 2012. Le
président préfère sacrifier les bonnes relations qu'il avait avec les occidentaux pour favoriser
une défense accrue des intérêts russes en se consacrant à l'Eurasie. Enfin, outre l'aspect externe
de cette stratégie, ces interventions ont aussi un rôle de cohésion interne. Une hausse de la
popularité du président russe suit l'annexion de la Crimée 696 : Vladimir Poutine connaissait
depuis 2011 une baisse de celle-ci qui stagnait entre 48 % à 45 %. A partir de 2014, sa popularité
remonte à 67-68 %. Cette politique offensive visant un ralliement de la population russe au
drapeau réussit à renforcer le président en utilisant la crainte de l'occident et de l'encerclement.
La force de ces opérations militaires est leur maîtrise par les autorités russes, sachant comment
utiliser au mieux leurs moyens, beaucoup plus limités que ceux de l'OTAN, pour atteindre leurs
objectifs et éviter un enlisement sur le terrain. L'utilisation de méthodes mêlant des tactiques
irrégulières à travers les groupes locaux du Dombass et de Donetsk et les forces spéciales russes
et un volet psychologique visant à déstabiliser politiquement l'adversaire en Ukraine et en
Europe697 est l'exemple de cet emploi de la force par la Russie. En Syrie, si l'intervention est
plus directe avec la présence officielle de forces russes au sol, Moscou utilise aussi les forces
locales, celles du régime et des alliés iraniens. Ce soutien à des forces locales sans avoir à
déployer massivement des forces au sol n'est pas sans rappeler la doctrine du « leadership from
behind » du président Obama. Dans les deux cas, la Russie fait appel à des sociétés militaires

696 ‘Доклад Немцова: Путин. Война’, Украинская Правда


<http://www.pravda.com.ua/rus/articles/2015/05/12/7067579/> [accessed 10 May 2018].
697 Cet essemble de tactiques sont souvent appelées « guerre hybride », néanmoins les analystes militaires
estime que ce terme reste mal défini et souvent utilisé à des fins politiques.
Lasconjarias, Guillaume, ‘À l’Est du nouveau ? L’OTAN, la Russie et la guerre hybride’, Stratégique,
2016, p.110.

Page 212
privées (SMP) comme le groupe Wagner698 mais aussi aux Cosaques699 pour assurer la conduite
de ses opérations à un moindre coût et aussi diminuer sa présence politique dans les actions
accomplies sur le terrain. Stratégiquement, la Russie arrive à mettre en place une capacité de
déni d‘accès (A2/AD anti-access/area denial)700 Comme le précise le chercheur au collège de
défense de l'OTAN Guillaume Lasconjarias : « La Russie combine ce déni d‘accès à une
analyse de l‘espace géographique, pour protéger ses sites stratégiques (la péninsule de Kola),
ses conquêtes territoriales (la Crimée) et ses opérations en cours (la Syrie). Là encore, cette
capacité vise directement les Alliés et l‘OTAN, car ce déni d‘accès porte justement sur des
régions contestées où les risques d‘affrontement sont considérés comme importants. »701 Cette
stratégie bien préparée et bien rodée aboutit à une incapacité pour l'administration américaine
de s'opposer efficacement à cet interventionnisme russe (2)

2 L'impossible riposte américaine

Les États-Unis malgré de vives protestations envers la politique interventionniste russe, n'ont
pas été en mesure de la stopper. Les facteurs politiques en sont l'une des causes. La nécessité
de gérer la politique interne du pays marquée par des tensions partisanes tout comme le souhait
de concentrer la politique étrangère américaine en Asie, obligent les États-Unis à chercher à se
désengager de l'Europe et du Moyen-Orient. Si le renouveau de la puissance russe dans ces
régions compromet cette dynamique, il n'en reste pas moins que la réaction politique de

698 « Wagner Group is today one of the most recognisable Russian PMCs because of its participation in the
war in Donbas, Ukraine, and Russia’s military operation in Syria, where in February the group attacked a base
that included U.S. soldiers, who called in air strikes that killed about 300 Wagner mercenaries. The group’s boss
is Yevgeny Prigozhin, a close associate of Russian President Vladimir Putin. One of Prigozhin’s companies was
the food supplier for the Russian army and he was named the owner of a St. Petersburgbased “troll factory” that
employed people to create online propaganda. »
Dyner, Anna Maria, ‘The Role of Private Military Contractors in Russian Foreign Policy’, The Polish
Institute of International Affairs <http://www.pism.pl/publications/bulletin/no-64-1135> [accessed 18 May 2018].
699 « Another group with direct links to the Russian authorities are the Cossacks. They consist of ethnic
Cossack sub units and their activity is controlled by the Presidential Council for Cossack Affairs. Cossacks have
been present in Donbas, Crimea, Syria, Iraq, Afghanistan and Chechnya. Officially, their task is territorial
defence, border protection, and fighting terrorism. » Ibid.
Il convient de préciser qu'un tel fait n'est pas anodin. Les cosaques étaient à l'époque des Tsars une force
fidèle au pouvoir et puissante politiquement.Réprimés très durement sous l'URSS du fait de leur précédente
allégeance, le retour dans la vie politique russe sous la présidence Poutine et la place renouvelée que ce dernier
leur réserve avec le conseil présidentiel pour les affaires cosaques ,crée en 2009 et valorisé à partir de 2012, est
symptomatique du tournant eurasiatique et civilisationnel de la politique du président russe.
700 Lasconjarias, Guillaume, ‘À l’Est du nouveau ? L’OTAN, la Russie et la guerre hybride’, Stratégique,
2016, Op. Cit. p.116.
701 Ibid.

Page 213
Washington démontre une réticence à se réinvestir directement dans ces zones. Toujours en
appliquant le « smart power », le président Obama cherche à proportionner sa réponse. Des
sanctions économiques ciblées, touchant principalement le secteur bancaire et la défense de la
Russie, suite à l'annexion de la Crimée sont adoptées 702 tandis qu'aucune action n'a été prise
lors de l'intervention russe en Syrie. Malgré les protestations de Kiev et de l'opposition syrienne,
qui trouvaient l'action du président Obama insuffisante, la logique de ce dernier repose sur une
vision réaliste de la situation : ni l'Ukraine, ni la Syrie ne constituant des intérêts immédiats
pour la politique américaine, une riposte plus forte aurait été contreproductive car aurait causé
un conflit direct avec la Russie. Le président Poutine a fait en sorte de mettre le reste du monde
devant le fait accompli avec ses actions en Ukraine et en Syrie, et les atouts de la puissance
russe interdisent une escalade sous peine de retombées contre productives pour l'Europe et les
États-Unis.
En face, le smart power d'Obama repose sur la diplomatie publique qui passe par l'utilisation
des réseaux sociaux en cherchant à se lier avec la société civile des États comme l'Ukraine mais
aussi en Syrie.703 Mais l’essor d'une stratégie de communication de la part de la Russie sur ces
réseaux sociaux limite le potentiel d'influence des États-Unis sur ces territoires. Washington
bien qu'ayant la supériorité absolue dans les domaines militaire et économique se retrouve
bloqué au niveau politique. De l'autre côté, la Russie sait que ces opérations lui coûtent cher
diplomatiquement et que l'enlisement des conflits, malgré une sécurisation des territoires
« utiles », n'est pas une option avantageuse pour elle. Cette situation d'impasse conduit les deux
États à coopérer sur des points précis afin de régler les crises. (§3)

§3 Une coopération afin de gérer les crises

Les intérêts entre les États-Unis et la Russie divergent sur l'Ukraine et la Syrie et leur vision
s'oppose sur de nombreux points tels que la caractérisation des groupes armés, terroristes et
rebelles, dans les deux États ou la responsabilité du déclenchement des conflits. Pour autant,

702 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.226.
703 Nocetti, Julien, ‘La diplomatie d’Obama à l’épreuve du Web 2.0, , Politique étrangère, Printemps (2011),
157–69 .

Page 214
les présidents Obama et Poutine, malgré une méfiance réciproque, sont tous deux des réalistes
en matière de relations internationales. Leur compréhension du monde est partagée et il existe
des convergences importantes entre les deux grilles de lectures : les deux craignent l'instabilité
et le chaos, ils reconnaissent que le monde est devenu multipolaire et que les intérêts nationaux
prédominent la scène internationale. Si la confrontation sur un certain nombre de points est
inévitable, la crainte d'une menace plus grande de déstabilisation durable et incontrôlée de ces
régions, pousse les dirigeants à la coopération afin d'éviter les scénarios du pire et assurer un
minimum d'ordre international. À travers ces buts, les présidents Obama et Poutine ainsi que
leurs administrations veillent à assurer une prédominance de la diplomatie (A) mais aussi à
tenter de recréer un ordre dans les relations internationales. (B)

A La prédominance de la diplomatie comme outil de coopération

Les deux dirigeants n'ayant aucun intérêt à une surenchère d'un conflit dépassant leurs intérêts
ont fait en sorte de privilégier une communication permanente (1) motivée par la volonté de
faire face aux menaces communes (2)

1 La volonté d'une permanence de la discussion entre les administrations Poutine et Obama

La doctrine Poutine et celle d'Obama ont en commun la diplomatie comme moyen privilégié
de règlement des conflits. La conscience des effets contre productifs d'un interventionnisme
mal maîtrisé fait que la voie pacifique est privilégiée. La Russie rappelle d'ailleurs lors de la
réunion du Conseil de sécurité portant sur la résolution 2270 que : « il n’existe pas de solution
de remplacement au dialogue ; il ne peut y en avoir […] car même les situations de crise
internationale les plus complexes peuvent être réglées par la coopération et le dialogue »704.
Ce point de vue russe vise, dans les fait, à s'opposer aux systèmes de sanctions, de menaces705
voire d'interventions et sera la position constante de Moscou lors de la gestion de la crise
syrienne. De même, l'administration Obama, du fait de la doctrine du smart power, se montre

704 Vitali Tchourkine, ambassadeur russe à l'ONU cité dans Balmond, Louis, ‘La Politique Étrangère de La
Fédération de Russie à Travers Les Résolutions Récentes Du Conseil de Sécurité Des Nations Unies’
<http://revel.unice.fr/psei/index.html?id=1278> [accessed 22 March 2017].
705 Ibid.

Page 215
réticente à l'utilisation de la force ou de la coercition et préféré la voie diplomatique. Le
comportement du président américain lors des attaques chimiques en septembre 2013 en est
révélatrice : Barack Obama qui avait annoncé que l'utilisation de telles armes était une ligne
rouge, préfère demander l'accord du Congrès pour l'intervention. Compte tenu de l'impopularité
d'une intervention en Syrie au sein de la population des États-Unis, le vote risquait d'être négatif.
Ce stratagème montre que le président ne souhaite pas intervenir et provoque dès lors une
solution diplomatique : le président Poutine propose à son homologue américain un accord qui
aboutit à la destruction du stock d'armes chimiques du régime syrien sous le contrôle de
l'Organisation pour l'interdiction des armes chimiques.706 La solution, adoptée par la résolution
2118 du Conseil de sécurité, permet d'assurer un dégel des relations.
Cette politique s'accompagne d'un contrôle de la force des factions locales par chacun des
camps. En Syrie, le gouvernement russe n'hésite pas à faire pression sur le gouvernement de
Bachar Al-Assad, comme pour la résolution 2118, afin de le forcer à accepter la diplomatie de
Moscou, tout comme en Ukraine, où le président russe désavoue l'idée d'un référendum sur
l'autonomie des régions de l'est de l'Ukraine, proposé par les nationalistes de Nouvelle
Russie707. De même, les États-Unis refusent de fournir à l'Ukraine des armes trop sophistiquées
et d'assurer une présence et un soutien trop directs dans le pays708. Les deux dirigeants s'assurent
que la diplomatie puisse se maintenir sans être bouleversée par des éléments qui leur seraient
imputables.709 Enfin en Syrie, il existe entre les deux États, une coopération informelle visant à
assurer un minimum de sécurité. 710 Celle-ci consiste principalement en des mesures de
« déconfliction » afin d'éviter que les forces présentes sur le terrain s'attaquent par erreur.
Toutes ces mesures sont révélatrices de la volonté de coopérer malgré les obstacles. Mais c'est
le développement de menaces majeures comme le terrorisme qui force ce rapprochement (2)

706 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.198.
707 Ibid p.228.
708 Ibid p.230.
709 Le comportement modérateur du président Obama lors de la destruction de l'avion de chasse russe par la
Turquie en ait la preuve : « Mr Obama expressed his regret over the incident with the Russian military airplane
shot down by the Turkish air force in Syria. »
Poutine, Vladimir, ‘Meeting with US President Barack Obama’, President of Russia, 2015
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/50836> [accessed 20 May 2018].
710 ‘Selon Moscou, une coopération entre la Russie et les États-Unis contre le Front al-Nosra a été évoquée’,
Zone Militaire <http://www.opex360.com/2016/06/02/selon-moscou-cooperation-la-russie-les-etats-unis-le-
front-al-nosra-ete-evoquee/> [accessed 19 May 2018].

Page 216
2 La lutte contre le terrorisme, un vecteur réactualisé de coopération

L'un des vecteurs de rapprochement qui avait, sous la présidence Bush Jr., permis une
coopération entre les États-Unis et la Russie était la lutte contre le terrorisme. Certes, les espoirs
d'une coopération stable et globale en la matière entre les deux États furent détruits par le
soutien américain aux rebelles tchétchènes711 et aux groupes islamistes en Syrie n'appartenant
pas à la nébuleuse d’Al-Qaïda et de l’État Islamique712. Néanmoins, la montée en puissance de
ces deux derniers groupes en Syrie et leur influence à l'échelle mondiale, justifient une
coopération ponctuelle et a minima. Le fait que les deux groupes menacent aussi bien les États-
Unis que la Russie, pousse les États à se rapprocher. C'est ainsi qu'à la suite de l'attentat de
Boston en 2013, le président russe reprend la stratégie de la main tendue avec Obama comme
il l'avait fait en 2001 avec le président W. Bush, et prône une coordination des efforts de la lutte
contre le terrorisme. 713 L’intérêt du président Poutine est le même qu'en 2001 avec la
Tchétchénie : obliger l'administration américaine à s'aligner sur ses positions en considérant les
rebelles syriens comme terroristes. Si, sur le terrain, une coopération institutionnalisée est
difficile à mettre en place, le relatif champ libre que les Américains laissent au gouvernement
russe et au régime syrien, en refusant des attaques directes contre ce dernier, donne à penser
que le président américain ne désapprouve pas implicitement l'action de Moscou.
Cette politique, bien que moins explicite que celle ayant suivi le 11 septembre, démontre la
permanence de la coopération en la matière. De même, à travers le Conseil OTAN-Russie, les
deux États participent jusqu'en 2014714 à des exercices pour la lutte contre le terrorisme. Mais
au-delà de cette coopération de crise, il apparaît la volonté d'assurer un ordre international
multipolaire. (B)

711 Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde Op. Cit. p.156.
712 Ibid p.200.
713 Poutine, Vladimir, ‘Condolences to US President on the Terrorist Attack in Boston’, President of Russia,
2013 .
714 Suite à l'annexion de la Crimée, la coopération dans le cadre du COR est suspendue.

Page 217
B Un souhait de rétablir un ordre international

L'instabilité croissante de la scène internationale instaurée par ces crises mais aussi par le
changement de l'ordre international est une préoccupation à la fois pour Washington et Moscou.
L'émergence d'un nouvel ordre stable et d'une sécurité commune, n'est pas facilité et une
coopération visant à gérer les crises est souhaitable. Pour cela des faisceaux d'indices montrent
que les deux administrations cherchent indirectement à assurer une stabilité. Cette action n'est
pas toujours concertée mais aboutit à des consensus ou des rapprochements. C'est le cas de
l'utilisation d'acteurs régionaux comme médiateurs (1) et de la promotion d'un monde
multipolaire (2)

1 L'utilisation d'acteurs régionaux comme médiateurs

Dans le cas des crises syriennes et ukrainiennes, les présidents Poutine et Obama utilisent plus
ou moins directement des acteurs régionaux en tant que médiateurs. Pour le cas ukrainien, c'est
le duo franco-allemand, notamment à travers l'OSCE. Les deux États en tant que membres
influents de l'OTAN et de l'UE entretiennent des relations étroites avec les États-Unis mais
aussi avec la Russie au nom dite de la « vieille Europe » et cette position les a fait participer
aux accords de Minsk II 715 . Face au conflit politique entre les États-Unis et la Russie,
principalement lié à la Crimée, la présence d'acteur tiers permet de détendre les relations. En
effet, les États-Unis n'ayant pas participé à l'accord de Minsk II, la présence de leurs alliés
européens leur permet de défendre, par voie interposée leurs intérêts. Ce processus s'inscrit
d'ailleurs dans la doctrine du président Obama, de laisser plus d'autonomie aux alliés européens
dans la gestion des affaires internationales. D'autant plus que les accords de Minsk II accordent
une place importante à l'OSCE716 qui est partie prenante. L'utilisation de cette organisation de
sécurité collective à laquelle appartiennent aussi bien la Russie que les États-Unis démontrent
une tentative pour ramener un ordre régional.

715 Une version complète de ces accords se trouve dans le Financial Times : ‘Full Text of the Minsk
Agreement’, Financial Times, 2015 <https://www.ft.com/content/21b8f98e-b2a5-11e4-b234-00144feab7de>
[accessed 22 May 2018].
716 L'OSCE se voit en la matière une compétence pour superviser l’arrêt des combats (article 2 et 10 des
accords).

Page 218
Le cas syrien, du fait de la situation chaotique de la région, est plus délicat. Trouver un acteur
médiateur est plus difficile qu'en Europe, de par la multiplicité des tensions, la violence des
affrontements et le caractère incontrôlable d'acteurs comme l'EI. Toutefois, l'Iran apparaît sous
Obama comme étant un État stabilisateur. Le fort contrôle iranien en Syrie et en Irak717 combiné
avec le rapprochement avec le Qatar 718 et la Turquie d'Erdogan 719 font de Téhéran une
puissance montante. L'accord sur le nucléaire conclut par l'administration Obama révèle son
souhait d’assurer un retour de l'Iran sur la scène internationale et lui assure un rôle de pivot au
Moyen-Orient. Indirectement, cette vision se rapproche de celle de la Russie qui voit aussi en
Téhéran un partenaire clé.720 Si les positions de Moscou et Washington peuvent être divergentes
sur les relations avec l'Iran, il existe une convergence quant à la place à lui accorder. Ces
politiques reprennent le concept réaliste de l'ordre par l'équilibre des puissances : en donnant
aux acteurs régionaux un rôle plus important dans leur sphère d'influence, les grandes
puissances veillent à réduire le nombre de leurs interlocuteurs et ainsi à avoir des relations plus
simples à gérer. Cette dynamique s'inscrit dans la reconnaissance d'un monde multipolaire. (2)

2 Le choix de la multipolarité

Les deux présidents ont toujours promu un monde multipolaire, avec le souhait d'occuper une
place importante dans cet ordre international. Les confrontations entre les deux dirigeants sont
liées à leurs intérêts divergents mais leur vision du monde converge. La Russie de Poutine
cherche à redevenir un acteur écouté et respecté dans le concert des nations, sans être
fondamentalement opposé aux États-Unis721. Quant aux États-Unis d'Obama, ils souhaitent tirer
profit du multilatéralisme afin d'éviter une trop grande présence dans les affaires des autres

717 La chute du régime de Saddam Hussein a amené la majorité religieuse chiite au pouvoir accroissant le
pouvoir de l'Iran .
718 Djalili, Mohammad-Reza, and Thierry Kellner, ‘L’Iran dans son contexte régional, Politique étrangère,
Automne (2012), p.525.
719 Ibid.
720 d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes, Op. Cit.
721 « C’est dans un équilibre des forces ou des pôles, comme dans le concert des puissances 20, que la Russie
peut espérer obtenir des États-Unis un statut de joueur égal aux autres, alors qu’elle échouerait en s’affirmant
contre les autres. Là où Primakov suggérait un jeu destiné à s’opposer aux États-Unis, à contester leur autorité,
Poutine conclut à la possibilité d’équilibrer toutes les prétentions à la puissance. Le président russe nourrit
l’espoir d’éviter de dépendre d’un allié contre d’autres, en privilégiant une interprétation flexible de la
multipolarité. »
d’Encausse, Helene Carrere, La Russie Entre Deux Mondes, Op. Cit.

Page 219
États qui serait contre-productive et très difficile à maintenir, comme l'a montré le conflit
irakien.
Ce paradigme multipolaire laisse une place importante pour les nouveaux enjeux
géostratégiques comme la montée de la Chine et influe sur les relations. Pékin est en effet
devenu un acteur incontournable de la scène internationale et a des liens étroits tant avec la
Russie via l'Organisation de Coopération de Shanghai qu'avec les États-Unis de par les liens
économiques.722 Ce déplacement du centre de gravité des relations internationales fait que les
relations entre la Russie et les États-Unis sont à l'échelle globale minorée par le poids de la
Chine. Le rôle majeur de cette dernière au sein du G20, 723 tend à réduire le duopole Moscou
/Washington : à l'instar des puissances régionales qui servent de médiateurs dans des aires
géopolitiques précise, la Chine devient peu à peu le pivot des affaires mondiales en utilisant le
G20 en sa faveur. Le professeur Shi Jian Xun (Tongji University, Shanghai, et ancien
fonctionnaire, proche du gouvernement) considère qu’« à la fois le gouvernement et le public
ont bon espoir que la Chine va jouer un rôle plus important dans le G20 et équilibrer le pouvoir
américain dans la mondialisation (à travers le G20) »724 Les présidents Poutine et Obama l'ont
bien compris. Si les relations à l'échelle du Proche-Orient et de l'Europe restent dominées par
les deux dirigeants, faute d'un intérêt direct majeur de la Chine, la gouvernance mondiale et
l'équilibre des puissances ne peuvent faire fi des prétentions chinoises. La dernière rencontre
entre les présidents russes et américains au sommet de l'APEC en novembre 2016, montre
l'importance prise par l'Asie du sud-est.

Le retour sur la scène internationale de la Russie, qui n’hésite plus à utiliser son outil militaire
et son tournant plus autoritaire lors du nouveau mandat présidentiel de Vladimir Poutine,
combinés avec les problèmes que rencontre le président Obama créent une situation politique
nouvelle. L'instabilité de la scène internationale due au repli partiel des États-Unis et à la montée

722 « Si le PIB chinois n'atteint que 60 % du PIB américain, la Chine est devenue néanmoins la première
puissance commerciale mondiale avec 11 % des échanges mondiaux comparativement à 7 % pour les États-
Unis. »
Vandal, Gilles, ‘L’avenir Du Pivot Américain En Asie Orientale | Perspective Monde’, Perspective
Monde Université de Sherbrooke
<http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse=2094> [accessed 23 May 2018].
723 « On peut sans doute dire que l’engagement de la Chine derrière le G20 comme plateforme nécessaire à
la gouvernance mondiale est plus fort que l’engagement américain. » Tiberghien, Yves, ‘La Chine face au grand
jeu du G20 et de la gouvernance mondiale, , Revue internationale de politique comparée, 18 (2011), p. 111.
724 Cité par Tiberghien, Yves, ‘La Chine face au grand jeu du G20 et de la gouvernance mondiale, , Revue
internationale de politique comparée, Op. Cit., p. 112.

Page 220
en puissance de nouveaux acteurs étatiques et non-étatiques est à l'origine des crises, sources
de tensions entre les présidents Poutine et Obama. Dans un tel contexte, la coopération devient
difficile mais subsiste, malgré tout, afin d'éviter la dégradation des relations internationales.
Cette situation d'instabilité perdure avec l'arrivée au pouvoir du président Trump à la Maison-
Blanche. (Section 2)

Page 221
Section 2 La présidence Trump : une relation américano-russe marquée par
l'incertitude

Le 9 novembre 2016, le candidat républicain Donald Trump a été élu président des États-Unis.
Sa victoire fut globalement une surprise étant donné que la plupart des sondages et des
organismes de prévisions le considérait largement perdant face à la candidate démocrate Hillary
Clinton725. La campagne présidentielle de 2016 fut aussi révélatrice de plusieurs tendances qui
marquent la présidence Trump. On assiste à une véritable polarisation de la société américaine
avec une percée des extrêmes dans les deux partis, l'alt-right726 dans le parti républicain et des
mouvements socialistes durs727 du côté du parti démocrate. L'activisme de ces deux extrêmes
sur les réseaux sociaux728 leur a permis d'occuper une place prédominante dans la campagne,
et a fait que Donald Trump les utilisera abondement aussi bien en tant que candidat qu'en tant
que président. Un véritable cercle vicieux apparaît à cette occasion car les positions de chaque
camp se radicalisent en s'appuyant sur les déclarations de l'autre. Ce phénomène existait déjà
sous la présidence d'Obama mais restait globalement marginal. La campagne présidentielle et
la première année du président Trump ont réveillé ces forces. En plus de cette division interne,
le soupçon d'interférence russe plus ou moins marquée dans les élections a compliqué les
relations du président à la fois avec les démocrates qui lui attribuent en partie la défaite d'Hillary
Clinton, qu’avec son propre parti et tout particulièrement les « faucons ». Elle provoque de plus
une pression accrue des enquêteurs des services de renseignement.

725 Cette erreur de diagnostic pouvant en partie s'expliquer par le fait que cette dernière a eu plus de voix que
Donald Trump.
726 Cette expression désigne un ensemble de groupes de la droite américaine rejetant les élites du parti
républicain et partisans d'une position très conservatrice voire suprémaciste blanc. Steven Bannon et le média
numérique Breitbart en furent les principales icônes lors de la campagne.
727 Outre la politique de Bernie Sanders, qui si elle est perçue comme social-démocrate en Europe de l'Ouest
et considérée comme fortement socialiste aux EtatsUnis, il faut aussi signaler la prise en importance des Social
Justice Warriors (SJW) dans la gauche américaine. Ceux-ci sont partisans d'une défense radicale des droits des
minorités qui revêt une forme de revanchisme.
728 L'alt-right est connu être fortement implantée sur le site 4chan et sur certains « forum » de Reddit
(TheDonald par exemple). De même les SJW sont aussi liés à la culture du net et sont présent surReddit et Tumblr.
Pour une étude plus approfondie du rôle de la culture du net dans la création de ces mouvement voir : Nagle,
Angela, Kill All Normies: Online Culture Wars From 4Chan And Tumblr To Trump And The Alt-Right
(Winchester, UK Washington, USA: Zero Books, 2017).

Page 222
De ce fait, le président Trump prend le pouvoir dans un contexte américain chaotique, avec une
popularité faible à la même période comparé à ces prédécesseurs, face à une Russie qui est
devenu une puissance qui ne peut plus être ignorée. Si les positions du président forment un
ensemble complexe à analyser en apparence du fait des divergences entre elles, elles suivent
pourtant une logique (§1). Cette doctrine va être mise à l'épreuve face à une Russie qui a su
tirer profit de la situation internationale et compte tenu de la prudence de la politique américaine
sous le second mandat d'Obama. (§2)

§1 Une doctrine Trump s'inscrivant dans les traditions américaines

Si Donald Trump n'a aucune expérience de mandat électoral, il n'en est pas moins familier du
monde politique comme le montrent des relations antérieures avec différentes personnalités
politiques tel que Reagan, les Clinton729 et sa quasi-candidature à la présidentielle en 2000730.
Ses hésitations quant à son affiliation politique,731 démontrent que l'idéologie est un facteur
assez peu déterminant pour le président. La politique de Trump, est dans les faits, proche de
celle du président Andrew Jackson, considéré comme président populiste : c'est dans cette
logique marquée par le rejet des élites (A) qu'une partie importante de l'action du président
s 'accomplit. Néanmoins, la filiation revendiquée avec Ronald Reagan par le président l'oblige
à inscrire sa politique dans la continuité de celle du parti républicain (B).

729 Donald Trump a entretenu des relations étroite avec Bill et Hillary Clinton allant jusqu'à soutenir la
sénatrice lors de la primaire démocrate de 2008.
Scott, Eugene, ‘Donald Trump in 2008: Hillary Clinton Would “make a Good President” -’, CNN .
730 Donald Trump avait faillit se présenter à la présidentielle sous l'étiquette du Parti de la réforme qui
cherchait à étre un parti alternatif aux deux grands. Le milliardaire prônait à cette occasion des positions
progressistes tel que la sécurité sociale universelle. Schwarz, Hunter, ‘The Many Ways in Which Donald Trump
Was Once a Liberal’s Liberal’, Washington Post, 9 July 2015, section The Fix .
731 En 1987, il était au parti républicain, en 199 au parti de la réforme, en 2001 au parti démocrate et depuis
2009 de nouveau chez les républicains.

Page 223
A Une politique basée sur la rupture de l'ordre établi

Les nombreux effets d'annonce du président sur le réseau social « twitter » laissent à penser
qu'il n'existe aucune doctrine et stratégie dans son action. Pour autant, une analyse approfondie
fait apparaître que les actions de Donald Trump obéissent à une logique particulière. Comme le
futur président le disait lors de la primaire républicaine en 2016 sur la politique étrangère
américaine : « nous devons être une nation imprévisible »732, cette imprévisibilité semble être
la ligne directrice principale de la première année de mandat. Loin d’être une simple
conséquence de sa politique, le chaos est un outil consciemment utilisé par le président (1). De
plus, la doctrine « America First » témoigne du poids de la politique interne dans la conduite
des relations internationales chez Donald Trump. (2)

1 L'utilisation du chaos en tant qu'instrument politique

L'utilisation de « Twitter » par Donald Trump pendant sa campagne et sa présidence, avec un


discours très direct et souvent peu diplomatique, est un facteur de polémiques qui va jusqu'à
diviser au sein du parti républicain. Loin de rassembler et de chercher le consensus, le président
préfère attaquer frontalement ses adversaires, comme le montre son comportement en interne
vis-à-vis des médias733 mais aussi en externe avec ses attaques contre la chancelière allemande
Angela Merkel734 ou le régime de Bachar Al-Assad et ses alliés735.
Cette approche de la communication et de la politique n'est pas un hasard chez le président qui
est un entrepreneur et non un politicien de carrière. Ces méthodes viennent donc d'une approche
non politicienne. Comme l'explique Gilles Vandal : « Pour comprendre véritablement la
stratégie de Trump, il faut recourir à la théorie du chaos dont il est un adepte. Loin de sentir
un désarroi devant le chaos, il le provoque. Il utilise celui-ci comme un outil efficace pour

732 « We must as a nation be more unpredictable. We are totally predictable. We tell everything. We’re
sending troops. We tell them. We’re sending something else. We have a news conference. We have to be
unpredictable. And we have to be unpredictable starting now. »
Trump, Donald, ‘Transcript: Donald Trump’s Foreign Policy Speech’, The New York Times, 19 January
2018, section U.S.
733 Goldsmith, Jack, ‘Trump et les médias’, Commentaire, Numéro 160 (2017), p. 885–887.
734 Kempf, Olivier, ‘La crise des relations germano-américaines vue de France’, Outre-Terre, 2017, p.282-
284.
735 Trump qualifiera Bachar Al-Assad de boucher en avril 2017.

Page 224
négocier, diriger une organisation, et ultimement comme moyen d'atteindre ses objectifs. Le
chaos lui permet de déstabiliser ses adversaires et de rendre nerveux ses alliés. En créant le
chaos, il demeure le maître du jeu. »736 En ce sens, Donald Trump est habitué aux polémiques
et les utilisait déjà en tant qu'homme d'affaires pour gérer ses intérêts,737 dans le but de faire
réagir les différents acteurs autour de lui et de lui permettre de les évaluer et de déceler leurs
faiblesses.738 Donald Trump s'est fait élire pour assurer un changement ; or générer le chaos est
un facteur pouvant forcer celui-ci : en détruisant les structures organisationnelles existantes,
une anarchie s'installe et peut être manipulée pour introduire ses propres intérêts et son modèle.
Cette stratégie doit se combiner avec l'instinct : en partant du paradigme que le dirigeant,
politique ou d'une entreprise, ne peut connaître toutes les informations, il doit se fier à son
intuition. Cette conception du commandement est issue de Machiavel, qui met en avant la
capacité intuitive du « prince »739 afin de saisir le bon moment pour agir et est aussi utilisée
dans les sciences du management. 740 Trump insiste particulièrement sur ce point dans son
autobiographie « Art of deal », en considérant que c'est une clé essentielle pour le succès des
affaires.741 Il garde cet esprit en tant que président. La manipulation du chaos provoqué à travers
des décisions instinctives constitue le cœur de l'action du président. En interne, l'utilisation de
cette stratégie semble avoir en partie fonctionné, notamment vis-à-vis des médias.742
Cette stratégie n'est pas pour autant une nouveauté dans la politique étrangère américaine. En
effet, Nixon avait, lors de sa présidence, une politique reposant sur une attitude agressive et

736 Vandal, Gilles, ‘La Stratégie Du Chaos Sous Donald Trump | Perspective Monde’, Perspective Monde
Université de Sherbrooke .
737 «But I’m a businessman, and I learned a lesson from that experience: good publicity is preferable to bad,
but from a bottom-line perspective, bad publicity is sometimes better than no publicity at all. Controversy, in short,
sells. »
Trump, Donald J., and Tony Schwartz, Trump: The Art of the Deal, Reprint edition (Ballantine Books,
2009) p.176.
738 Vandal, Gilles, ‘La Stratégie Du Chaos Sous Donald Trump | Perspective Monde’, Perspective Monde
Université de Sherbrooke Op. Cit..
739 Machiavel insiste sur l'utilisation de l'intuition combinée à la ruse .
Machiavel, Nicolas, Paul Veyne, and Jacques Gohory, Le Prince Op. Cit. Chapitre XVIII.
740 Rowan, Roy, Intuition et management (Paris: Rivages, 1987).
741 Trump, Donald J., and Tony Schwartz, Trump: The Art of the Deal, Op. Cit. p.45.
742 « En février, un sondage d’Emerson College indiquait qu’il y avait davantage d’électeurs pour trouver
Trump plus fiable que les médias et un sondage Suffolk University/USA Today en juin concluait que le taux
d’appréciation du Président, dont l’impopularité atteint des niveaux historiques, était légèrement plus favorable
que celui des médias. Trump n’est pas seulement en train de discréditer les médias traditionnels, mais aussi
d’accélérer les changements dans les médias de droite. La chaîne Fox News a toujours penché à droite, mais, l’an
passé, plusieurs de ses programmes se sont transformés ouvertement en officines de propagande en faveur de
Trump. En outre, l’influence d’organes extrêmement partisans, comme Breitbart News et The Daily Caller, s’est
accrue au sein des conservateurs. »
Goldsmith, Jack, ‘Trump et les médias’, Commentaire, Numéro 160 (2017), Op. Cit., p.886.

Page 225
chaotique que son conseiller à la sécurité nationale nomma la « théorie du fou » (madman
theorie) 743 . Elle consiste à menacer d'utiliser l'escalade violente afin de soumettre ses
adversaires. Comme le disait Nixon : « Si nous ripostons, même de manière risquée, ils diront :
“Ce gars devient irrationnel. Il vaut mieux s’entendre avec lui” »744 L'idée est d'envoyer une
image d'un président incontrôlable et de par le potentiel de nuisance dont dispose techniquement
745
les États-Unis, leur assurer un positionnement dominant dans les discussions. Ce
comportement semble être réutilisé par le président Trump à la fois pour les questions militaires
comme avec la Corée du Nord et la Syrie mais aussi pour l'économie internationale avec les
négociations sur l'ALENA et la hausse des tarifs douaniers. En multipliant les positions
agressives, il force ses adversaires comme ses partenaires à accepter les volontés du président
des Etats-Unis. Le compromis n'est pas un objectif pour Trump, position partagée avec celle de
Machiavel.746 Cette politique du chaos se combine, en outre, avec la doctrine interne « America
First » du président. (2)

2 L'America first : l'importance de la politique interne dans les décisions du président

Comme le précise le professeur Walter Russell Mead qui divise la politique étrangère
américaine en quatre écoles de pensées 747 , la politique de Donald Trump suit une logique
« jacksonienne »748, du nom du président Andrew Jackson. Elle repose sur une méfiance des
élites et considère l’État comme un mal nécessaire, vision partagée avec celle de Jefferson, qui
regroupe les libertariens,749, sur un nationalisme défensif dans le sens où les « jacksoniens »

743 David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 6 . La politique étrangère impériale (1969-1974)’, in Au sein de la


Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la politique étrangère des États-Unis,
2015, p. 462.
744 Ibid p.442.
745 « : « Je veux que les Nord-Vietnamiens croient que j’ai atteint le point où je pourrais faire n’importe quoi
pour mettre fin à la guerre. Nous leur ferons passer le mot [....] “nous ne pouvons pas contrôler Nixon lorsqu’il
est en colère, et cet homme a la main sur le détonateur nucléaire” » Richard Nixon cité par David, Charles-
Philippe, ‘Chapitre 6 . La politique étrangère impériale (1969-1974)’,Op. Cit. p.442.
746 « sans prendre de parti moyen ; parti toujours pernicieux dans les affaires d'État, comme nous l'avons
dit ailleurs, « qui ne donne pas un ami de plus, et ne fait pas un ennemi de moins » Machiavel, Nicolas, Discours
sur la première décade de Tite-Live Chapitre XL.
747 Hamiltonien, wilsoniens, jeffersoniens, jacksonien Mead, Walter Russell, Special Providence: American
Foreign Policy and How it Changed the World Op. Cit.
748 Walter Russell Mead cité par Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The
Resurgence of the Jacksonian Tradition?’, L’Europe en Formation, 2017, 33–46.
749 Mead, Walter Russell, ‘The Jacksonian Revolt’, Foreign Affairs, 20 January 2017 p.2.

Page 226
cherchent avant tout la sécurité et le bien-être économique des citoyens américains. Elle
débouche ainsi sur l'isolationnisme. De plus, cette école de pensée, et dans une moindre mesure
les « jeffersoniens », ont été marginalisés depuis la fin de la seconde guerre mondiale dans les
institutions au profit des hamiltoniens et « wilsoniens ». 750 Les jacksoniens ont même été
considérés comme l'origine de tous les maux internes par l'administration d'Obama 751 : le Tea
party est d'ailleurs issu de cette école de pensée. L'arrivée de Trump au pouvoir marque une
revanche pour eux. Le lien entre le candidat puis président et cet électorat devient de plus en
plus fort de par le rejet de ceux-ci par leurs opposants. La difficulté d'établir un programme est
due au fait que la population « jacksonienne » est principalement un mouvement de colère
motivé par la peur d'un futur où elle ne trouverait pas sa place. Cela amène Donald Trump à
être leur représentant. La faible popularité du milliardaire l'incite à renforcer sa position autour
d'un programme et d'actions visant à contenter ses partisans. Cette base n'ayant d'autre
représentant, est dévouée et fidèle à Donald Trump et ce dernier ayant besoin d'elle pour
s'assurer un minimum de soutien populaire, tend à multiplier les positions, ou du moins les
déclarations, en sa faveur. De ce fait, la politique étrangère en est affectée : les « jacksoniens »
ne s’intéressent aux problèmes extérieurs que lorsque ceux-ci concernent directement les
intérêts de la vie quotidienne des Américains. En réponse à cela, Donald Trump réutilise le
concept d'America first.
Celui-ci est un vieux slogan utilisé par les isolationnistes aux États-Unis. Le fait que le président
l'utilise montre ainsi sa volonté de tourner sa politique vers l’intérieur. Cet isolationnisme se
greffe aussi sur une dynamique protectionniste. En effet, l'une des inquiétudes majeures de cette
population est la détérioration de son niveau de vie à cause de la désindustrialisation des États-
Unis752. La « guerre » commerciale et douanière répond à cette logique tendant à protéger le
pays contre les délocalisations. Ensuite, cette forme d'isolationnisme cherche à remettre en

750 « Since World War II, U.S. grand strategy has been shaped by two major schools of thought[ ]
Hamiltonians believed that it was in the American interest for the United States to replace the United Kingdom as
“the gyroscope of world order, [ ] Wilsonians, meanwhile, also believed that the creation of a global liberal order
was a vital U.S. interest, but they conceived of it in terms of values rather than economics. »
Mead, Walter Russell, ‘The Jacksonian Revolt’, Foreign Affairs, Op. Cit. p.2.
751 « He hates their instincts at home, too. It is Jacksonians who, as I wrote in Special Providence back in
2001, see the Second Amendment as the foundation of and security for American freedom. It is Jacksonians who
most resent illegal immigration, don’t want to subsidize the urban poor, support aggressive policing and long
prison sentences for violent offenders, and who are the slowest to “evolve” on issues like gay marriage and
transgender rights. » Mead, Walter Russell, ‘Andrew Jackson, Revenant’, The American Interest, 2016.
752 C'est cette inquiétude qui a principalement contribué à faire élire Donald Trump ce dernier à remporté
les swing states de l'Ohio, Pennysilvanie, Wiscosin et Michigan de la rust belt, une zone particulièrement touchée
par la crise économique et qui connaît une forte désindustrialisation.

Page 227
cause le paradigme qui était en vigueur au sein des cercles de la politique étrangère : il ne s'agit
plus de faire des États-Unis un acteur au centre de l'ordre mondial. En ce sens, la volonté du
président Trump, de prise de distance initiale envers l'Otan répond à une approche d'un ordre
mondial plus individualiste. La ligne directrice de cette politique « jacksonienne » apparaît
comme le rejet total d'un système « wilsonien » qui bien que tempéré plus ou moins fortement
par le réalisme, était toujours présent dans la politique américaine. Le nouveau président, de
par son électorat, cherche à rompre avec le consensus établi, jugé responsable de la crise que
traverse la classe moyenne. Les réalistes estiment que la politique étrangère doit être séparée
de la politique interne ; en l'espèce une telle chose est impossible car la victoire de Trump est
le produit d'une crise interne. Son affrontement avec le reste de « l'establishment » ne lui laisse
désormais que le choix de prendre en compte cet électorat populaire. Pour autant, le président
ne peut pas se permettre d'ignorer les élites qui lui sont essentielles pour assurer sa politique.
Par conséquent, Donald Trump inscrira aussi sa politique dans la continuité de celle du parti
républicain. (B)

B Une pratique de la politique internationale s'inscrivant dans la continuité du parti


républicain

Donald Trump a été très critique envers le parti républicain lors de la primaire et de la campagne
présidentielle. Des divisions profondes au sein du parti sont apparues notamment avec le
mouvement « Never Trump » regroupant un certain nombre de partisans de la droite américaine
refusant de soutenir le candidat et allant parfois jusqu'à soutenir Hillary Clinton. Néanmoins, le
fait que Trump a gagné les élections a obligé le parti et le président à coopérer et ce d'autant
plus que le Congrès, qui avait été renouvelé dans sa grande majorité le jour de l’élection
présidentielle, conservait son ancrage chez les républicains. Ce lien entre le président et le parti
se fait principalement par son cabinet (1) aboutissant à une politique qui peut s'apparenter à du
réalisme offensif. (2)

Page 228
1 Le rôle du vice-président Pence et du cabinet : le poids du parti républicain

À la fin de la primaire républicaine, en juillet 2016, Donald Trump choisit le gouverneur de


l'Indiana et ex-membre à la chambre des représentants Mike Pence comme colistier, et par
conséquent comme candidat à la Vice-Présidence. Ce choix est motivé tout d'abord par le fait
que Pence est proche de la mouvance du Tea Party 753 apportant ainsi un soutien à la base
électorale de Trump qui est aussi proche du mouvement.754 Mais Pence est aussi plus populaire
que le candidat à la présidence parmi les dirigeants du parti. Bien qu'il soit plus dur sur un
certain nombre de sujets sociaux qu'une bonne part de la droite américaine, il reste respecté par
les dirigeants des républicains.755 De ce fait, un tel choix permet de réunir à la fois la base et les
élites du parti et de réduire la tension palpable entre les deux : la montée en puissance du
président est en effet une réaction de l’électorat de droite face aux chefs traditionnels du parti
accusés de les avoir abandonnés.756 La nomination de Mike Pence peut aussi être vue comme
apportant un autre avantage à Donald Trump : l'ultra-conservatisme du futur Vice-Président
inquiète la gauche et le centre américain. Par conséquent, la perspective que Pence devienne
président suite à un impeachment757 de Trump tend à réduire cette menace. Mike Pence sert dès
lors de bouclier politique pour le futur président. Enfin, le parcours politique du Vice-Président,
le rend plus expérimenté que Donald Trump et lui permet de s'appuyer sur lui pour la gestion
des affaires, tout en rassurant le reste du monde politique inquiet par l'inexpérience du
milliardaire en la matière. Ce dernier point se confirme après l’élection : comme le précise le
professeur Karine Prémont : « Pence semble être, depuis janvier 2017, à la fois le porte-parole
désigné de la Maison-Blanche (notamment en politique étrangère), le professeur de Trump
quant au fonctionnement du gouvernement, en plus d’être en charge de transformer les grandes
orientations du président en politiques concrètes (comme le remplacement du Affordable Care

753 Rae, Nicol C., and Aurélie de Porteere 89615, ‘Le renouveau du conservatisme populiste : la montée de
la Tea Party et son impact,, Politique américaine, 2012, p.119.
754 Cette nomination est toutefois source d’inquiétude au sein d'une parti de l 'électorat de Trump, du fait des
positions plus conservatrices de Pence sur les thèmes sociaux.
755 Prémont, Karine, ‘Un « modèle Biden » ? L’influence du vice-président au sein de l’administration
Obama’, Politique américaine, 2017, p.130.
756 Le faible score de Jeb Bush, favori par les dirigeants au début de la primaire, en est la preuve : ce dernier
ne remportera aucun Etat, laissant place à un duel entre Donald Trump et Ted Cruz (ce dernier étant aussi un
membre peu apprécié jusqu'alors par les élites du parti).
757 Selon le 25ème amendement de la constitution des Etats-Unis en cas d'empeachement ou de décès du
président, le Vice-Président devient président jusqu'à la fin du mandat et nomme à son tour un nouveau Vice-
Président .

Page 229
Act). »758 Pence suit en effet, une ligne plus traditionnelle en matière de politique étrangère et
réaffirme les engagements des États-Unis auprès de leurs alliés. L'OTAN, inquiète des
déclarations précédentes du président, est rassurée par les positions de celui-ci rappelant la
nécessité de l'OTAN dans la politique étrangère des États-Unis759 et du soutien de ces derniers
envers les États baltes.760
En outre, le cabinet du président tend de plus en plus vers un alignement sur des positions plus
compatibles avec la politique traditionnelle du parti républicain. L'éviction de Steve Bannon en
août 2017, qui représentait la tendance populiste761 dans l'entourage de Trump, va dans ce sens.
Comme le souligne le professeur Gilles Vandal, les premiers mois de la présidence Trump ont
été agités par une rivalité interne au sein du cabinet entre les populistes de Steve Bannon et sa
famille dont Jared Kushner, son gendre.762 Le second a une approche plus traditionnelle de la
politique et est opposé à la vision nationaliste de Bannon. L'importance prise progressivement
par Kushner au sein de l'administration Trump, le conduit à devenir l'un des acteurs phare de la
politique étrangère763 au même titre que l'ex-secrétaire à la défense le général James Mattis.
Ces derniers forment une faction plus favorable à la mondialisation et moins à une politique de
repli sur les États-Unis qui aboutirait à un isolationnisme exacerbé. 764 Le remplacement du
secrétaire d’État Rex Tillerson, ancien PDG d'ExxonMobil et donc lui aussi étranger au monde
politique, par le républicain Mike Pompeo ancien directeur de la CIA, tout comme la
nomination de John Bolton, ancien ambassadeur américain à l'ONU sous la présidence de
Gorge W. Bush, au poste de conseiller à la défense nationale en avril 2018 vont aussi dans le
sens d'un retour du parti dans l'administration Trump.

758 Prémont, Karine, ‘Un « modèle Biden » ? L’influence du vice-président au sein de l’administration
Obama’, Politique américaine, Op. Cit. , p.130.
759 ‘U.S. Stands by NATO against “Specter of Aggression” from Russia, Says Pence’, NBC News .
760 Ibid.
761 Vandal, Gilles, ‘Rivalités Au Sein de l’administration Américaine | Perspective Monde’, Perspective
Monde Université de Sherbrooke..
762 Ibid.
763 « Plus encore, le président Trump rétablit le CSN dans ses structures traditionnelles, redonnant au
conseil son rôle de leadership dans la définition des politiques de sécurité nationale. Alors que la refonte du CSN
représente une importante défaite pour Bannon dans la réalisation de sa politique nationaliste, Jared Kushner a
vu son influence grandir. Dans les gestions des dossiers du Moyen-Orient, du Mexique et la Chine, le gendre du
président a agi de facto comme s'il était secrétaire d'État. »
Ibid
764 Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The Resurgence of the Jacksonian
Tradition?’, L’Europe en Formation, 2017, p.35.

Page 230
Cette équipe qui se forme peu à peu reprend les lignes directrices en vigueur dans la politique
étrangère des États-Unis et plus particulièrement celles pratiquées par le parti républicain
depuis Ronald Reagan. Le retour progressif de membres du parti vise à réduire les tensions
entre le président et la majorité et lui permettre d'avoir une marge de manœuvre plus importante.
On y retrouve les différentes factions internes du GOP : une réaliste, incarnée principalement
par le général Mattis, et une plus interventionniste en la personne de John Bolton. 765 Cette
situation n'est pas sans rappeler celle qui existait dans l'administration W. Bush avec la
coexistence des réalistes (Colin Powell) et des néoconservateurs interventionnistes (Richard
Cheney). Ces choix ne sont pas pour autant les signes d'un changement brutal de la doctrine
Trump. Les personnes de son cabinet restent conformes à sa vision basée sur les rapports de
forces et sur une protection radicale des intérêts américains. En ce sens, la politique du président
Trump s'apparente de plus en plus à un réalisme offensif (2)

2 Une politique pouvant déboucher sur le réalisme

Si la politique du président Trump est mouvementée, elle prend peu à peu une logique réaliste
en relations internationales. Dès le départ le candidat Trump a une vision du monde reprenant
les présupposés du réalisme : sa conception d'une scène internationale anarchique et basée sur
les rapports de forces se rapproche de celle de Hobbes766. Le discours que Donald Trump, alors
encore candidat, a donné le 27 avril 2016,767 en est la preuve : « We will no longer surrender
this country, or its people, to the false song of globalism. The nation-state remains the true
foundation for happiness and harmony. I am skeptical of international unions that tie us up and
bring America down, and will never enter America into any agreement that reduces our ability
to control our own affairs. » Cette phrase résume parfaitement sa vision du monde et du rôle
des États-Unis. Le rejet de l'idéalisme international et la mise en avant de l’État nation sont des
fondements du réalisme. De même la crainte de la puissance des organisations internationales

765 John Bolton est souvent décrit comme un néoconservateur. Dans les faits, il est plus proche des
« faucons » nationalistes : l'interventionniste de Bolton vise plus à protéger les intérêts des États-Unis par une
logique hégémonisme que répandre les valeurs américaines comme le préconise les néo-conservateurs.
Heer, Jeet, Jason Silverstein, Matt Ford, Sarah Jones, Alex Shephard, Rachel Syme, and others, ‘Scarier
Than a Neoconserative’, The New Republic, 23 March 2018.
766 Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The Resurgence of the Jacksonian
Tradition?’, L’Europe en Formation, 2017, Op. Cit., p.36.
767 Trump, Donald J., ‘Trump on Foreign Policy’, The National Interest , 27 avril 2016.

Page 231
indique une conception reposant sur les rapports de forces. Donald Trump précise lors de ce
discours que la politique étrangère américaine doit se prévaloir des intérêts nationaux
américains.768
Il reprend en ce sens les idées de Samuel d'Huntington en déclarant : « Instead of trying to
spread “universal values” that not everyone shares, we should understand that strengthening
and promoting Western civilization and its accomplishments will do more to inspire positive
reforms around the world than military interventions. ». En rejetant l'universalisme et en
prônant un renforcement de la civilisation occidentale, Trump renoue avec le réalisme
civilisationnel de l'auteur du « choc des civilisations ». Ce dernier craignait un déclin de
l'Occident 769 résultant d'un idéalisme universaliste basé sur le multiculturalisme 770 . Ce
pessimisme repris par Donald Trump s'accompagne d'une posture rejetant un interventionnisme
dans d'autre civilisations.771
Si ce réalisme idéologique est présent lors la campagne de Trump, il est ajusté durant sa
présidence. Cette dernière, affectée par la politique du chaos, se distingue pendant le début du
mandat par l'absence de grande stratégie en relations internationales ; néanmoins, l'utilisation
du chaos à l'échelle internationale n'est pas sans effet sur l'ordre international. Contrairement
au président Obama qui avait une doctrine lui servant de base pour l'action, Donald Trump
semble agir au cas par cas. A travers l'utilisation du chaos, il organise une situation empêchant
toute puissance adverse de devenir trop puissante et donc de devenir un rival sérieux des États-
Unis. La formule « diviser pour mieux régner » s'avère un élément majeur dans la méthode de
gouvernance de Donald Trump. Enfin, le fait que Trump accorde plus d'importance aux
dirigeants étrangers qu'aux sociétés civiles se combine avec l'idée réaliste tirée de Machiavel
de la puissance de l’État incarné par son chef. D'autre part, la présence importante d'officiers
généraux dans le cabinet du président Trump, comme le secrétaire de la défense James Mattis,
qui a néanmoins démissionné depuis, ou le chef de cabinet et ancien secrétaire à la sécurité

768 « Our foreign policy goals must be based on America’s core national security interests, and the following
will be my priorities. In the Middle East, our goals must be to defeat terrorists and promote regional stability, not
radical change » Ibid.
769 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations Op. Cit. p.453 à 464.
770 Ibid.
771 « Toute intervention de l'Occident dans les affaires des autres civilisations est probablement la plus
dangereuse cause d'instabilité et de conflit généralisé » Huntington, Samuel, Le choc des civilisations Op. Cit.
p.470.
« In the Middle East, our goals must be to defeat terrorists and promote regional stability, not radical
change. » Trump, Donald J., ‘Trump on Foreign Policy’, The National Interest , Op. Cit.

Page 232
intérieur John Kelly,772 laisse entendre une pratique politique allant dans le sens d'une stratégie
réaliste. Comme le précise le professeur Tanguy Struye de Swielande en reprenant les courants
de pensées du professeur Mead, les membres du cabinet occupant des fonctions de politique
étrangère sont des hamiltoniens, à savoir des réalistes pragmatiques.773
Malgré des divergences concernant le libre-échange et le multilatéralisme, Donald Trump se
rapproche de la politique du président Reagan, réaliste dans les relations internationales. Les
deux présidents considèrent qu'il n'y a pas de substitut à la puissance américaine pour protéger
les intérêts américains774 et que les États-Unis doivent être puissants pour servir de phare au
reste du monde. En ce sens, Reagan comme Trump considèrent qu'en renforçant en interne les
États-Unis sur les plans économique et militaire , ceux-ci pourront être pleinement
opérationnels dans les affaires étrangères. Pour les deux présidents, il s'agit de conforter
l'économie en baissant les impôts775 et en réduisant les réglementations afin de la libéraliser,
tout en augmentant les dépenses militaires : Ronald Reagan augmente entre 1981 et 1985 le
budget de la défense de 157 milliards de dollars776, et Donald Trump débloque 54 milliards de
dollars en 2017. Le président W. Bush, en dehors des périodes néo-conservatives, a aussi été
partisan de cette approche réaliste reposant sur la primauté de la puissance américaine en tant
que garant de l'ordre mondial et sur la nécessité d'avoir une nation forte plutôt que l'utilisation
de la communauté internationale et d'un idéalisme universaliste. En ce sens la politique de
Donald Trump n'est pas une nouveauté mais une continuité de la politique du parti républicain.

La doctrine du président Trump est donc une combinaison complexe entre deux courants qui
s'opposant en apparence, se rejoignent dans les faits. Le premier est une volonté de rupture
utilisant le chaos pour fortifier son poids politique et se mettre en position de force pour imposer
son programme, le second un ancrage dans la politique du parti républicain combinant à la fois
conservatisme et réalisme. Trump utilise l'instabilité interne et internationale pour transformer

772 Il convient de noter que ces deux généraux ne sont affiliés à aucun parti politique marquant une volonté
du président de s'entourer de professionnel plutôt que de politiques.
773 de Swielande, Tanguy Struye, ‘Les Débuts de La Présidence Trump Ou La Victoire Du Jacksonisme’,
Diplomatie, June 2017, p. 19.
774 Kaufman, Robert, ‘The First Principles of Ronald Reagan’s Foreign Policy’, The Heritage Foundation .
775 Ronald Reagan a accompli une baisse des impôts en 1981 puis 1986, tandis que Donald Trump le fit en
2017. Il est à noter que celle de 1986 s'est faite dans des proportions plus importantes que celle de 1981 et 2017 et
avec un soutien bi-partisan.
776 Thompson, Loren, ‘A Reagan Moment Arrives For America’s Military’, Forbes, 2017.

Page 233
la droite américaine à l'instar de Reagan,777 la différence entre les deux étant que l'optimisme
du président libéral-conservateur des années 1980 a laissé place à un pessimisme plus
conservateur et moins libéral. C'est avec cette politique que le président Trump va gérer les
relations avec la Russie lors de sa première année de mandat. (§2)

§ 2 L'application à la Russie de la doctrine Trump lors de sa première année de


mandat présidentiel : une relation ambiguë

La Russie fit beaucoup parler d'elle lors de la campagne présidentielle américaine. Source de
clivage entre les deux candidats, la position à adopter vis-à-vis de Moscou opposa Donald
Trump à Hillary Clinton. Le premier souhaitait un rapprochement tandis que la seconde voulait
durcir le ton. En outre, l'opposition des médias russes à la candidate démocrate renforça la haine
de la Russie parmi les électeurs et les soutiens médiatiques d'Hillary Clinton qui accusent
désormais Donald Trump d’être un pion de la politique du président Poutine. Dans les faits, la
politique du président républicain suit la même dynamique que ses prédécesseurs : un
rapprochement (A) suivit d'un refroidissement des relations (B)

A - Le souhait d'un rapprochement limité


Donald Trump arrive au pouvoir avec assez peu d'alliés sur la scène internationale. Ses discours
rejetant l'ordre établi et son caractère chaotique inquiètent et beaucoup de dirigeants étrangers
sont dans l'attente d'une ligne directrice américaine. Le gouvernement russe bien que lui aussi
surpris par la victoire du nouveau président se montre moins opposé à Donald Trump que les
États d'Europe de l'Ouest comme la France et l'Allemagne. Dans un premier temps le président
républicain cherche à renouer des liens avec son homologue russe avec une vision conservatrice

777 L'auteur libéral Guy Sorman décrit les mécanismes qui ont permis à Reagan d'arriver au pouvoir et qui
ont amené ce qui est appelé la révolution conservatrice (et libérale). Ceux-ci sont principalement l'opposition aux
médias, rejet de l'action de l’État et appels aux forces de l'Amérique profonde chrétienne et des classes moyennes.
Sorman, Guy, La révolution conservatrice américaine, Fayard (Paris: Fayard, 1983).
C'est des mécanismes similaires qui ont amené au pouvoir Donald Trump malgré une personnalité et un
programme différent.

Page 234
commune (1) et afin de lutter contre l’expansion chinoise, véritable préoccupation dans sa
politique (2)

1 Une approche conservatrice et réactionnaire

À l'instar du président George W. Bush, Donald Trump est idéologiquement proche de son
homologue russe. Se définissant tous deux comme conservateurs, le dialogue est facilité lors
des premiers mois de la présidence. Trump consacre ses premiers appels téléphoniques au
Kremlin. 778 Le rejet par le président républicain des approches « wilsoniennes », et de
l'interventionnisme universaliste qui leurs sont associés, tend à rassurer, dans un premier temps,
Vladimir Poutine. Les deux chefs d’États ont, de plus, tous deux une vision nationaliste reposant
sur l'attachement aux valeurs historiques et traditionnelles. Du côté russe, depuis le tournant
civilisationnel du président en 2012, le rôle de la religion orthodoxe et de la culture eurasiatique
est mis en avant. Aux États-Unis, c'est le conservatisme américain, reposant sur les valeurs qui
ont fait le succès du Tea party,779 qui est promu par Donald Trump. Ces tendances politiques
russes et américaines, s'accordent parfaitement avec le rejet de l'universalisme : en l’espèce,
elles mettent en avant la dimension exceptionnelle et spécifique de la Russie et des États-Unis.
Chacun des deux gouvernements considère qu'il doit défendre sa spécificité nationale et non
pas l'étendre au reste du monde, reprenant ainsi la conception d'un monde partagé en
civilisations de Samuel Huntington. Pour le président Poutine, le penchant de Donald Trump
pour cette thèse a l'avantage de limiter les critiques américaines sur les affaires internes russes.
En effet, le président russe s'était fait critiquer par l'administration Obama pour ses mesures
violant les droits de l'Homme, notamment les lois contre les minorités sexuelles. L'arrivée d'un
président républicain conservateur laisse un espoir au président russe que ce type de
d'intervention ne soit plus d'actualité. Effectivement, la cause principale des tensions entre la
Russie de Vladimir Poutine et les États-Unis est l'ingérence dans les affaires internes russes : la
critique du traitement du conflit tchétchène, du tournant autoritaire puis conservateur du
gouvernement russe est toujours perçue comme une menace par le Kremlin. Le tournant de

778 Caselli, Gian Paolo, and Esther Feingold, ‘Une nouvelle relation entre les États-Unis de Trump et la
Fédération de Russie poutinienne est-elle possible ?’, Outre-Terre, 2017, p.239.
779 Ces valeurs sont la fusion de deux factions du parti républicain «les conservateurs religieux, attachés à
une vision traditionaliste de la société; les conservateurs fiscaux, hostiles à l’expansion dugouvernement fédéral
et à l’impôt » Belin, Célia, and Paul Zajac, ‘Le parti de Donald Trump’, Le Débat, 2018, p.12.

Page 235
Vladimir Poutine en 2012 et la politique de Donald Trump suivent une idée commune : le rejet
d'un système libéral teinté de progressisme 780 fondement de la doctrine d'Obama et plus
généralement des démocrates.
Seul le libéralisme conservateur est toléré compte tenu du passif des deux formations politiques
dans lesquelles évoluent Trump et Poutine. Le premier compte dans son électorat des anciens
libertariens et des partisans de Reagan781 tandis que le second possède parmi ses conseillers,
lors de son premier mandat, des libéraux conservateurs comme Andreï Illarionov. Les deux
présidents n'hésitent d'ailleurs pas à se comparer aux figures du libéralisme conservateur : si la
volonté de filiation entre Trump et Reagan est facile à déceler à travers son slogan « Make
america great again », le discours du président russe782 lors de la mort de Margaret Thatcher
démontre le respect qu’il lui porte. Ainsi et avant tout, Trump et Poutine rejettent le
progressisme et sa vocation de créer une société universelle.
Les liens de Bush ou d’Obama au début de leurs mandats avec Poutine sont différents : les deux
États avaient à l'époque une politique bien intégrée dans le système international et ne
s'opposaient pas aux engagements diplomatiques traditionnels de ceux-ci. Ce n'est pas un
partenariat qui a lieu entre Trump et Poutine mais une perception commune du monde tendant
à le transformer en un théâtre d'opportunité pour les deux présidents. Au-delà de ces aspects
idéologiques, c'est encore une fois les intérêts communs qui sont les vecteurs d'un
rapprochement (2)

2 La présence d’intérêts économiques et politiques

Donald Trump en tant qu'homme d'affaire est sensible aux intérêts économiques, axes majeurs
de sa campagne, notamment avec son souhait de renforcer l'économie américaine à travers le
protectionnisme. Une position mercantiliste et affairiste prend rapidement forme dans son
action mais aussi dans son cabinet. Effectivement, au sein de ce dernier et à côté des membres

780 Ce qui correspond donc au sens du mot « liberal » en Amérique du Nord, le libéralisme classique étant
appelé « libertarianism ».
781 « Le Pew Research Center estime que les New Era enterprisers constituent 16% des militants
républicains, tandis que le Cato Institute calcule que les free marketeers constituent jusqu’à 25% de l’électorat
de Donald Trump. » Belin, Célia, and Paul Zajac, ‘Le parti de Donald Trump’, Le Débat, 2018, p.17.
782 AFP news agency, Thatcher Was a ‘Brilliant Political Figure’: Putin
<https://www.youtube.com/watch?v=FRokYvXXskQ> [accessed 7 June 2018].

Page 236
du parti républicain et des militaires, se trouve un certain nombre d'hommes d'affaires. Deux
d'entre eux sont importants concernant les relations avec la Russie. Tout d'abord le secrétaire
d’État Rex Tillerson, ancien PDG de la société pétrolière américaine ExxonMobil est considéré
comme étant le principal lien entre Poutine et Trump : de par le poids de la Russie dans le
marché des hydrocarbures, Tillerson connaît bien ce pays et son dirigeant avec lesquels il a déjà
fait affaires. Comme le précise John Hamre du Center for Strategic and International Studies783
et ancien fonctionnaire du département de la défense sous Bill Clinton : « He has had more
interactive time with Vladimir Putin than probably any other American with the exception of
Henry Kissinger »784. Le second homme d'affaire influent dans les relations avec la Russie est
le gendre du président, Jared Kushner, qui selon Henry Kissinger est la personne la plus
influente du cabinet de Trump785 et réaliste en matière de relations étrangères.
Cette configuration politique inaugure des auspices favorables pour une coopération avec la
Russie au nom d’intérêts économiques communs et permet alors à Donald Trump d'envisager
de mettre fin aux sanctions contre la Russie.786 Mais certains membres du Congrès comme le
sénateur républicain McCain craignent que cette politique ne privilégie que des intérêts privés
et plus particulièrement ceux d'Exxonmobil. 787 . Cette analyse s'explique par le fait que le
président Trump raisonne en matière économique avec une logique bilatérale plutôt que
multilatérale 788 liée à un capitalisme de connivence « crony capitalism » favorisant des
entreprises ayant les faveurs du gouvernement, ce qui contribue à renforcer les soupçons
d'ingérence russe lorsqu'un phénomène de réseaux entre les milieux politiques et économiques
américains et russes se crée.

Ce souhait de rapprochement avec la Russie s’explique aussi par l'importance prise par la Chine
sur la scène internationale. Déjà, pendant la campagne, Donald Trump en avait fait une de ses

783 Think tank dont Rex Tillerson est aussi membre.


784 Olson, Bradley, ‘Rex Tillerson, a Candidate for Secretary of State, Has Ties to Vladimir Putin’, Wall
Street Journal, 6 December 2016, section Politics.
785 Kissinger, Henry, ‘Jared Kushner: The World’s 100 Most Influential People’, Time .
786 Gardner, Hall, ‘Point de vue. Ukraine : un nouveau plan’, Politique américaine, 2017, p.175.
787 « le secrétaire d’État américain Rex Tillerson, ancien PDG d’ExxonMobil, pourrait utiliser ses liens avec
Poutine au profit d’ExxonMobil. L’élimination des sanctions, imposées par Washington depuis 2014 au secteur
énergétique russe, aurait été envisagée par Trump. Cela permettrait de sauvegarder les transactions faites par
ExxonMobil, d’une valeur considérable compte tenu de la taille des réserves russes en mer de Kara-Arctique, en
Sibérie occidentale, sur l’île de Sakhalin, et en mer Noire, transactions signées avec Rosneft, société énergétique
du gouvernement russe, entre 2012 et 2013. »
Gardner, Hall, ‘Point de vue. Ukraine : un nouveau plan’, Politique américaine, 2017, p.175.
788 Velut, Jean-Baptiste, ‘La Politique Commerciale de Donald Trump’, RAMSES 2018, 2017, p. 193.

Page 237
cibles principales, en la considérant comme une rivale, là encore pour des raisons économiques
teintées de protectionnisme.789 Contrairement à l'ambiance médiatique qui prévaut depuis son
élection, le président considère que la Chine est une plus grande menace que la Russie,
rejoignant la pensée d'Henry Kissinger, grand connaisseur de Pékin790 mais aussi d'une certaine
manière celle du président Barack Obama, qui avait initié le pivot asiatique. Néanmoins,
Donald Trump choisit une posture différente de son prédécesseur : là où le président démocrate
avait choisi d'encadrer Pékin avec des instances régionales au nom d'une politique
d’apaisement791, le nouveau président républicain choisit une politique plus active à l'encontre
de la Chine et surtout de son allié nord-coréen. Comme le fait remarquer le professeur Tony
Corn, la politique d'Obama n'a pas réussi à dissuader Pékin qui aurait au contraire pris de
l'importance.792 Cette analyse est aussi celle de Donald Trump.
Cette orientation stratégique impose une hiérarchisation des menaces faisant de la Chine un
problème plus important que la Russie. C'est l'une des raisons majeure de la volonté du
président d'avoir une meilleure relation avec Moscou. Une telle posture permettrait de diminuer
les tensions en Europe et au Proche-Orient en aidant le règlement des questions litigieuses
comme l'Ukraine et la Syrie, où Trump estime que le régime d'Assad ne doit pas chuter, et
permettrait à Washington de concentrer ses efforts sur la Chine. En outre, le but en se
rapprochant de la Russie, serait d'affaiblir le lien entre Moscou et Pékin. Avec un discours
promouvant le rapprochement avec la Russie, et une confrontation économique avec la Chine,
le président montre sa volonté de changer l'ordre international afin qu'il soit favorable à
Washington. L'invitation du professeur Graham Allison à la Maison blanche l'été 2017793, qui
souhaite un dégel des relations avec Moscou afin de contrer la Chine qu'il juge comme étant la

789 « Fixing our relations with China is another important step towards a prosperous century. China respects
strength, and by letting them take advantage of us economically, we have lost all of their respect. We have a
massive trade deficit with China, a deficit we must find a way, quickly, to balance. A strong and smart America is
an America that will find a better friend in China. We can both benefit or we can both go our separate ways. ».
Trump, Donald J., ‘Trump on Foreign Policy’, The National Interest .
790 « Lors du fameux voyage de Nixon en Chine en 1972, le premier avait confié au second: «À long terme,
les
Chinois sont plus dangereux que les Russes. » »
Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, 2018, p.53.
791 Ibid p.55.
792 « Vis-à-vis de la Chine, le pivot d’Obama fut à la fois «trop faible pour dissuader, mais assez fort pour
provoquer» (too little to deter, but large enough to provoke). La réaction de Beijing ne se fit pas attendre: dès son
arrivée au pouvoir en 2012, Xi Jinping répliqua par un «pivot» de la Chine vers le Moyen-Orient et l’Europe sous
la forme d’une Silk Road Strategy comportant une version terrestre et une version maritime (d’où son nom officiel
«One Road, One Belt», ou OBOR). »
Ibid.
793 Ibid.

Page 238
plus grande menace géopolitique pour les États-Unis, confirme cette dynamique tout comme le
fait que Donald Trump concentre ses efforts diplomatiques dans le Pacifique au détriment de
l'Europe, et ce malgré un retour des tensions avec la Russie. En effet, ces dernières ressurgissent
de par la persistance de dossiers conflictuels (B)

B Une relation gangrenée par des dossiers conflictuels

Si le candidat puis président Trump a témoigné de sa volonté de se rapprocher de la Russie de


Poutine, un certain nombre de dossiers empêche un véritable « reset » des relations comparable
à la situation sous Bush Jr. et Obama. Cela tient à la fois de la situation chaotique interne (1) et
à la persistance des tensions en Ukraine et en Syrie (2)

1 une situation politique interne aux États-Unis bloquant le rapprochement

Les chaos institutionnel, politique et médiatique qui ont suivi l’élection de Donald Trump
influent sur la relation entre ce dernier et la Russie. Il existe un fort sentiment antirusse au sein
des instances politiques, de l'administration et de la population. Tout d'abord, le parti
républicain, de par la présence des néo-conservateurs et des « faucons », est connu pour sa
position hostile à la Russie, déjà présente sous la présidence Obama. Le discours des deux
candidats républicains qui ont fait face à Barack Obama est clair en l'espèce : McCain n'a jamais
caché son mépris pour le régime russe, quant à Mitt Romney, il déclare en 2012 que la Russie
est l'adversaire géopolitique numéro un794. Ce thème a d'ailleurs été un point de divergence lors
de la primaire républicaine de 2016 entre Trump et les autres candidats républicains. Du côté
du parti démocrate, le rôle des médias russes affichant une hostilité à l'égard d'Hillary Clinton
a aussi renforcé cette russophobie, entraînant la candidate à considérer la Russie comme une
cause de sa défaite. La position du futur président génère une véritable suspicion de lien entre
lui et son équipe et l'administration russe. Cette inquiétude atteint les services américains et
débouchent sur des affaires judiciaire qui prennent de l'ampleur du fait des réseaux
professionnels du candidat et président Trump795.

794 Ibid p.60.


795 Le cas de Paul Manafort, consultant politique au début de la campagne de Trump et mis en examen en
octobre 2017 est symptomatique : celui-ci a travaillé pour un grand nombre d'hommes politiques américain comme

Page 239
Pour l'instant, il reste difficile de détecter la véracité et le fondement de ces affaires vu le
comportement chaotique du président qui semble en jouer pour discréditer l'opposition mais
aussi vu le côté profondément antirusse de l’ « État profond » conservant des réflexes hérités
de la guerre froide. Le professeur Gian Paolo Caselli considère que ce « Deep State » tend à se
rebeller vis-à-vis d'une politique qui serait trop russophile.796 Cette analyse est confirmée par
Rolf Mowatt-Larssen, un ancien « chief of station » de la CIA à Moscou devenu professeur à
Harvard, qui estime qu'il existe actuellement une véritable peur d’être considéré comme
russophile au sein des politiques, de l'administration diplomatique et militaire ainsi que des
services de renseignement.797 Ces tensions institutionnelles dans l'administration américaine
impliquant la Russie, ont dans tous les cas des conséquences sur la relation avec cette dernière.
On assiste à une suspension du rapprochement avec Moscou afin d'éviter d’accroître les
soupçons de collusion avec le régime de Poutine et les services de renseignements russes. De
plus, l'opinion politique américaine à travers le Congrès n’accepte certainement pas des mesures
trop amicales envers Moscou.

Outre ce problème lié à l’élection, un autre facteur de discorde entre Moscou et Washington est
l'application de la doctrine « America First » et du nationalisme économique américain qui lui
est associé. Le secteur des hydrocarbures est particulièrement affecté. En effet, les États-Unis
sont devenus depuis l'exploitation du gaz de schiste, le premier producteur d'hydrocarbures
dépassant l'Arabie saoudite (2ème) et la Russie (3ème). Une rivalité existe dans ce domaine
entre les deux États qui s'accentue avec la volonté de Donald Trump de mener une politique
commerciale agressive permettant aux États-Unis d'avoir des retours sur investissements à
l'étranger.798 Le président américain souhaite développer l'exportation du gaz de schiste vers
l'Europe centrale et orientale, et particulièrement la Pologne et l'Ukraine, se positionnant ainsi
en concurrence directe avec la Russie, le fournisseur principal d'hydrocarbures dans cette

Ronald Reagan, George W. Bush mais aussi étranger comme l'ancien premier ministre Edouard Balladur ou
l'ancien président d'Ukraine Viktor Ianoukovytch.

796 « Un changement subit dans la politique extérieure qui a provoqué des réactions extrêmement dures au
sein de la classe dirigeante américaine et à l’intérieur des structures de surveillance, d’espionnage, de
renseignement, de cybersécurité, des institutions qui ont dans leur ADN une composante antisoviétique puis
antirusse. Le deep state américain se rebelle contre pareil tournant radical dans la vision de ses objectifs et tente
de faire obstacle à la politique que le nouveau Président semble vouloir imprimer vis-à-vis de la Russie. »
Caselli, Gian Paolo, and Esther Feingold, ‘Une nouvelle relation entre les États-Unis de Trump et la
Fédération de Russie poutinienne est-elle possible ?’, Outre-Terre, 2017, p.239.
797 Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, Op. Cit., p.61.
798 Gardner, Hall, ‘Point de vue. Ukraine : un nouveau plan’, Politique américaine, 2017, p.175.

Page 240
région. Le soutien du président Trump à « l'Initiative des trois mers »799 lors du sommet de
celle-ci à Varsovie le 6 et 7 juillet 2017 confirme cette direction. Elle vise à utiliser tout le
potentiel économique des États-Unis, afin de leur permettre de conserver la place de leader sur
la scène internationale quitte à entraîner la dégradation des relations avec les autres États dont
la Russie.

Cette situation peut toutefois être plus dommageable aux États-Unis qu'à la Russie. Déjà sous
la présidence Obama, les problèmes internes avaient profité aux intérêts de Poutine sur la scène
internationale. Le chaos institutionnel et l'incapacité voulue du président Trump à rassembler
les élites politiques l'affaiblit encore plus.800 Le vide laissé par la paralysie interne américaine
donne à la Russie la possibilité de le combler. Pour autant cette dynamique doit être nuancée
car la mise sous pression du président Trump le conduit à adopter une politique plus agressive801
sur certains dossiers de la politique internationale. (2)

2 Le retour en force des États-Unis en Syrie et en Europe : une persistance des tensions

Lors de l'arrivée au pouvoir de Donald Trump, deux contentieux avec la Russie étaient en
suspens : la crise en Syrie et celle en Ukraine. Si le nouveau président a affirmé vouloir se
rapprocher de son homologue russe, il a aussi précisé qu'il souhaitait un retour en force des
États-Unis sur la scène internationale par opposition à la politique du président Obama qu'il
juge être un fiasco802 ayant contribué au déclin du pays. De même, la doctrine « jacksonienne »
de Donald Trump le conduit à adopter une démarche plus radicale que son prédécesseur dans
l'utilisation du « hard power ».803 A cette doctrine s'ajoute le poids des intérêts américains liés

799 « Cette dernière vise à favoriser le commerce, l’infrastructure, l’énergie et la coopération politique entre
les pays ex-communistes bordant l’Adriatique, la Baltique et la mer Noire. Presque tous les pays impliqués - la
Pologne, la Hongrie, la République tchèque, la Slovaquie, la Roumanie, la Bulgarie, la Lituanie, l’Estonie, la
Lettonie, la Croatie, la Slovénie et l’Autriche – sont fortement tributaires des importations russes de gaz et de
pétrole. « L’initiative des Trois Mers » vise à minimiser la dépendance de ces États à l’égard des importations
d’énergie russes. »
Ibid p.176.
800 Piskunova, Ekaterina, ‘Lune de Miel En Eaux Troubles: Les Relations Russo-Américaines Sous Donald
Trump’, Grands Dossiers Diplomatie, September 2017, pp. 50–54.
801 Ibid.
802 Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The Resurgence of the Jacksonian
Tradition?’, L’Europe en Formation, Op. Cit., p.43.
803 « By rejecting the idea of a“limited military intervention”, Jacksonians see “war as a switch that is
either ‘on’ or ‘off ’” and consider that “wars must be fought with all available force.” In this light, Trump’s

Page 241
à certains alliés clés comme la Pologne et plus généralement les États d'Europe orientale ou
Israël. Le président Trump a réaffirmé ces liens et sa volonté de protéger ces États. Dès lors, sa
politique étrangère ne peut que s'opposer à la Russie.

En Europe, malgré une relation compliquée avec la « vieille Europe », et tout particulièrement
l'Allemagne, ainsi qu'avec l'Union européenne, le président amplifie le soutien militaire et
politique aux États d'Europe de l'Est. En ce sens, « L’initiative des trois mers », outre son aspect
économique, pouvant être utilisé au nom « l'America first » , revêt une dimension politique
s'inscrivant dans la relation privilégiée entre les États-Unis et la « nouvelle Europe ». En effet,
l’intérêt apporté par le président Trump à l'initiative impulsée par le parti conservateur polonais
« Droit et Justice » s'accompagne d'un soutien politique à ce parti connu pour des positions
antirusses. De plus, lors de sa visite à Varsovie en juillet 2017, le président américain a
réaffirmé l'importance de l'OTAN en Europe orientale804 dans un discours prônant la défense
de la civilisation occidentale 805 et le soutien militaire se concrétise par une proposition de
coopération en matière d'armement806.Le souhait du président américain que la Pologne joue
un rôle primordial dans les relations internationales est problématique vis-à-vis de la Russie qui
se montre toujours inquiète de l'émergence de rivaux proches de ses frontières. Enfin, la vision
européenne de Donald Trump centrée sur l'Europe de l'Est n'est pas sans évoquer la maxime du
géographe Mackinder qui considérait que celui qui contrôle cette région dirige la destinée du
continent.807 Cette conception qui s'est jadis matérialisée par l'endiguement de la Russie est à
rapprocher de celle du président George W, Bush qui concentrait ses efforts européens dans la
partie orientale du continent au détriment de l'Allemagne et de l'Europe de l'Ouest. À travers ce
positionnement, le président Trump réaffirme la stratégie visant à rassurer les anciens États

criticisms addressed to Obama’s “limited war” in Libya and his “red line fiasco” in Syria, make full sense in
terms of losing face and staining America’s international image and reputation »
Ibid.
804 Richard, Dorota, ‘Europe centrale : l’Initiative des Trois mers’, Politique étrangère, Été (2018), p.108
805 « L’histoire de la Pologne nous apprend que la défense de l’Occident ne dépend pas finalement de
l’argent mais de la volonté de la nation de survivre. Ici se pose la question essentielle de notre temps : l’Occident
a-t-il LA VOLONTE de survivre ? Croyons-nous suffisamment en notre système de valeurs pour le défendre à tout
prix ? »
Trump, Donald J., ‘Discours de Donald Trump à Varsovie Le 7 Juillet 2017’, NIEZALEZNA.PL, 2017 .
806 Richard, Dorota, ‘Europe centrale : l’Initiative des Trois mers’, Politique étrangère, Op. Cit., p.108.
807 La citation initiale de Mackinder est la suivante :« Qui contrôle l’Europe de l’Est contrôle l’Heartland ;
Qui contrôle l’Heartland contrôle l’Île Monde ; Qui contrôle l’Île Monde contrôle le Monde. »
Mackinder, Halford John, Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of Reconstruction Op.
Cit.

Page 242
satellites de l'URSS. Cette continuité est poussée jusque sur le dossier ukrainien où il déclare
que la Crimée doit être rendue à l'Ukraine. Ainsi, sur les dossiers litigieux en Europe, il n'y a
pas de « reset ».

Mais c’est le Moyen-Orient qui est source d'un gel des relations entre la Russie et les États-
Unis lors de la première année de mandat du président Trump. Les frappes américaines qui ont
eu lieues le 7 avril 2017 contre une base du régime syrien, bien que stratégiquement sans
conséquences ont eu un effet politique majeur. Elles interviennent dans un contexte où le
président américain est mis en difficulté par les affaires russes, et s'inscrivent dans la doctrine
Trump : en générant du chaos, il détourne temporairement l'attention des médias des problèmes
internes et s'attire le soutien de certains dirigeants occidentaux. De plus, ces actions contre un
allié majeur de Poutine permettent de faire taire les critiques sur un lien supposé entre le
président américain et son homologue russe. Enfin, cette réaction militaire s’inscrit dans la
logique « jacksonienne »qui consiste à utiliser la force si les intérêts américains sont
menacés.808 Ce positionnement contre le régime d'Assad a été mal accepté par le Kremlin qui
craint un retour en force des États-Unis dans cette région, crainte amplifiée par la politique
hostile à l'Iran de l'administration Trump motivée par la défense d’Israël et l'importance des
liens économiques avec l'Arabie Saoudite809, alliés privilégiés des États-Unis au Moyen-Orient.
L'absence de recherche de compromis par Washington vis-à-vis des alliés des russes dans la
région est à l'origine d'un blocage des relations entre les deux États.

A bien des égards, la politique du président Trump sur les dossiers géopolitiques impliquant la
Russie n'est pas sans rappeler les positions du président W. Bush et plus classiquement celles
du parti républicain. Si le concept néoconservateur de forcer les changements de régimes reste
écarté, comme le montre l'absence de suite militaire aux frappes en Syrie, le président Trump
inscrit son action en Europe de l'Est et au Moyen-Orient dans la continuité de la politique
étrangère du parti républicain. Les liens avec les alliés traditionnels sont conservés voire
renforcés et les rapports de force sont préférés au consensus. Si Donald Trump n’abandonne
pas son tournant isolationniste, il n'hésite pas à intervenir ou utiliser la force pour mettre sous

808 Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The Resurgence of the Jacksonian
Tradition?’, L’Europe en Formation, 2017, p.43.
809 Il semble que la relation entre Donald Trump et les Saoud se concentre principalement sur les affaires
économiques comme le montre le contrat en matière d'armement d'un montant de 380 milliards de dollars

Page 243
pression ses adversaires. Cette situation incertaine est de nature à entraîner une reconfiguration
de l'ordre international entre la Russie et les États-Unis dans un futur proche (§3)

§3 Le futur proche de la relation américano-russe : une reconfiguration de


l'équilibre des puissances

La politique du président Trump reste tiraillée entre une vision nationaliste « America first » et
une position plus classique marquée par un réalisme offensif. Dès lors, deux scénarios peuvent
se produire dans le futur proche en fonction de l'axe qui prédominera dans la politique du
président Trump : soit un isolement américain (A), soit un tournant vers une politique
reaganienne (B)

A - le scénario de l'isolement américain : des opportunités pour la Russie

Depuis le début de l'année 2018, le président Trump menace de mettre en œuvre une politique
commerciale agressive à travers une augmentation des frais de douanes sur des matériaux jugés
stratégiques comme l'acier et l'aluminium. Cette politique remettant en cause l'ordre
économique mondial, axé sur un développement du libre-échange, montre que le
protectionnisme « America first » reste d'actualité. Donald Trump en cherchant à ramener les
relations au niveau bilatéral et en mettant fin au multilatéralisme adopte une logique unilatérale.
Les États-Unis doivent se reposer sur leur puissance plutôt que sur leurs alliés : à l'image de sa
politique interne le président préfère conduire une politique agressive visant à diviser ses
adversaires quitte à s'isoler.
Cette posture offre des opportunités à la Russie qui peut se poser comme contrepoids des États-
Unis. Lorsque Washington avait fait preuve d'unilatéralisme dans ses relations étrangères à
l'occasion du conflit en Irak en 2003, Moscou en avait profité pour renforcer ses liens avec les
États du Moyen-Orient mais aussi avec les alliés des États-Unis en Europe comme la France et
l'Allemagne. Si Donald Trump persiste sur une trajectoire unilatérale et isolationniste, il est
probable que la Russie adoptera de nouveau cette stratégie consistant à combler le vide laissé
par les États-Unis. De plus, contrairement aux années Bush, la Russie s'est renforcée dans tous
les domaines. Le pouvoir du président Poutine est plus solide qu'il y a une décennie et le

Page 244
dirigeant russe peut jouer un rôle plus influent dans les affaires étrangères. De manière générale,
un isolationnisme américain trop prononcé aurait pour conséquence de permettre aux
puissances rivales des États-Unis de contester l'ordre mondial et de les amener à adopter un
nouvel équilibre des puissances pour compenser le retrait américain810. La difficulté des États
européens à s'organiser et à s'unir laisse une porte ouverte à la Russie qui se retrouverait dès
lors en position de force sur l'Europe délaissée, par les États-Unis. Ce scénario qui avantagerait
les puissances comme la Russie ou la Chine peut ne pas se produire si le président Trump
accomplit un véritable tournant réaliste. (B)

B le scénario d'un tournant réaliste du président Trump : une nouvelle coopération

La politique du président Trump possède des aspects réalistes et la présence de conseillers


comme James Mattis renforce cette direction. Le réalisme de Donald Trump basé sur les
rapports de force, pourrait ressembler à celui du président Théodore Roosevelt qui déclarait
« « Si je dois choisir entre une politique de fer et de sang et une autre de lait et d’eau, dit-il à
un ami, je choisis la politique de fer et de sang. Elle est meilleure non seulement
Pour notre nation, mais à long terme pour le monde ».811 Henry Kissinger qui a analysé la
victoire du milliardaire et qui était pressenti pour mettre en contact le nouveau président avec
son homologue russe812 fait plusieurs recommandations en ce sens. Pour la Chine, il préconise
d'éviter la confrontation directe et de continuer à la considérer comme un partenaire.
Concernant la Russie, il suggère de faire de l'Ukraine « un pont entre l’OTAN et la Russie plutôt
qu’en avant-poste de l’une ou l’autre des deux parties »813. Enfin il estime qu'il faut ramener
l'Europe à sa responsabilité stratégique.814 Mis à part le dernier point, la première année du

810 « Si les États-Unis se retirent par néo-isolationnisme de la géopolitique de l’Eurasie, ce retrait forcera
les autres à entrer dans un monde de realpolitik reposant sur l’équilibre des forces » Garfinkle, Adam, and Isabelle
Hausser, ‘Les options stratégiques de Trump : continuité, solitude ou réalisme’, Commentaire, Numéro 158 (2017),
p.320.
811 Ferguson, Niall, and Isabelle Hausser, ‘Henry Kissinger, Theodore Roosevelt et l’ordre mondial selon
Trump’, Commentaire, Numéro 158 (2017), p.307.
812 Sputnik, ‘Quel est le rôle de Kissinger dans la rencontre Poutine-Trump? Le Kremlin lève le voile’, 2017
.
813 Kissinger cité par Ferguson, Niall, and Isabelle Hausser, ‘Henry Kissinger, Theodore Roosevelt et l’ordre
mondial selon Trump’, Commentaire, Op. Cit., p.305.
814 Ibid.

Page 245
mandat de Trump n'a pas suivi ces recommandations. Pour autant, si le président américain
souhaite l'appui du parti républicain, un tournant réaliste dans le sens que Kissinger préconise
sera nécessaire. Le réalisme de Reagan était venu de sa capacité à bien s'entourer et à écouter
ses conseillers, deux éléments qui, en faisant pour l'instant encore défaut à Donald Trump,
bloquent ce tournant politique.

Compte tenu du caractère imprévisible du président Trump, il est toutefois fort probable
qu’aucun de ces scénarios ne s'accomplisse totalement. En effet, la politique de Trump oscillant
entre un isolationnisme protectionniste et un réalisme basé sur les rapports de forces, ces deux
axes peuvent se combiner. Il reste très peu probable que le président soit démis de ses fonctions,
événement qui aboutirait à une présidence Pence qui ne changerait probablement pas la ligne
directrice des relations avec la Russie, mais qui amènerait tout au plus une politique plus
prévisible et plus favorable au libre-échange.
Le retour des démocrates au sein de la Chambre des Représentants, lors des élections de mi-
mandat en automne 2018, oblige l'administration Trump à cohabiter, et le dialogue entre les
démocrates et le président Trump est quelquefois difficile comme le prouve l'arrêt partiel des
activités gouvernementales suite au désaccord au niveau du budget. Toutefois, le Sénat restant
républicain et la politique américaine vis-à-vis de la Russie suivant des dynamiques plus
profondes, un changement majeur est peu probable,

Conclusion du chapitre 2 :

La Russie, suite au tournant autoritaire et conservateur du président Poutine, a réussi depuis


2012 à retrouver une place sur la scène internationale. Elle s'est imposée comme étant une
puissance essentielle avec laquelle les autres acteurs doivent compter. Si sa force économique
et militaire reste largement inférieure à celles des États-Unis, le président Poutine a su tirer
profit du déclin relatif de Washington dans les affaires internationales et des doutes que
rencontre la politique interne américaine. En cherchant à défendre ses intérêts par un usage
maîtrisé de la force, la Russie est entrée en conflit avec les États-Unis. Les présidents Obama
et Trump, de leur côté, suivent en la matière une ligne directrice proche l'un de l'autre, dictée
par une politique visant à rassurer leurs alliés mais aussi à maintenir un dialogue minimum avec
la Russie. Les deux présidents se démarquent quant à la manière d'assurer ceux-ci : Barack

Page 246
Obama choisit le multilatéralisme, là où Donald Trump préfère le bilatéralisme voire
l'unilatéralisme.

Page 247
Conclusion de la partie 1 :

Les relations entre les États-Unis et la Russie se distinguent par des dissensions profondes liées
aux cultures nationales marquées par l'exceptionnalisme, vecteur de discorde qui pousse les
deux États à vouloir occuper une position importante sur la scène internationale. Une situation
de rapport de force perdure entre Moscou et Washington, toujours dans une logique de rivalité :
chacun développe des stratégies de puissance dans le cadre de sa culture nationale. Cette
logique, bien qu'étant un outil aux mains des dirigeants des deux États, forme un cadre difficile
à dépasser. Les idéologies associées aux cultures nationales fournissent des vecteurs d'influence
afin de renforcer le poids politique des États à l'étranger. La mondialisation offre de nouveaux
outils pour répandre celles-ci : l'importance croissante de la société civile, de l'opinion publique
et des mouvements politiques permet de déployer la vision de Moscou et Washington à une
échelle globale dans le but de rassembler les alliés mais aussi de diviser les adversaires. En ce
sens, les nouvelles technologies de communications, comme les réseaux sociaux, constituent
un support particulièrement efficace pour l'influence
En conséquence, une logique de bloc se reforme à travers des zones d'influences : l'Europe pour
les États-Unis et les anciennes républiques soviétiques pour la Russie, aires sur lesquelles
Moscou et Washington jouissent d'un pouvoir politique prédominant. Une logique
d'instrumentalisation des organisations internationales s'installe alors dans le but d'assurer la
domination de la Russie ou des États-Unis dans sa zone d'influence mais aussi d'étendre cette
dernière. Pour Washington, l'OTAN et ses partenariats fournissent un instrument efficace lui
permettant d'assurer un lien transatlantique et d'avoir un regard sur les affaires européennes,
tout en lui offrant une possibilité d'agir sur les États frontaliers de l'URSS. Pour la Russie, il
s'agit de réagir à ce phénomène en opposant l'Alliance atlantique des organisations régionales
en Asie comme l'OCS et l'OCI et en fortifiant son poids dans son étranger proche avec l'UEE
et l'OTSC. A travers ces blocs c'est une logique de complexes de relations qui se forment :
Washington et Moscou utilisent leur influence pour peser sur les décisions globales.

Page 248
Toutefois c'est l'action des dirigeants américains et russes qui influe sur la pratique des relations.
Dans ce contexte, les relations bilatérales prédominent : la personnalité, les accointances entre
les hommes politiques jouent un rôle major. La mise en œuvre concrète de politiques visant à
assurer les intérêts nationaux a abouti à la fois à des rapprochements et des affrontements. La
compréhension mutuelle des deux parties a aidé à la coopération entre les deux États. De même
la nécessité de gérer des défis majeurs comme le terrorisme international ou les enjeux
économiques suites à la crise de 2008 ont permis de maintenir un lien fonctionnel entre les deux
administrations. Toutefois, la persistance de logiques nationales opposées est la source d'un
affrontement qui va aller crescendo avec la montée en puissance de la Russie : l'opposition du
souhait américain de maintenir sa puissance internationale et du vœu russe de redevenir une
puissance respectée amène inévitablement un affrontement.
Celui-ci ne fut jusqu'en 2012, que peu visible du fait de la prudence de la politique russe, même
si le conflit géorgien préfigurait le tournant stratégique. Suite à ce dernier, le président russe a
adopté une attitude plus directe destinée à bloquer les actions des dirigeants américains qui
n'avaient auparavant que peu de considération pour les problèmes russes. S’ensuit une logique
proche du « piège de Thucydide » consistant pour une puissance dominante géopolitiquement
à avoir peur de la montée d'un rival et à adopter en réaction un comportement agressif pour
maintenir sa position. Aux États-Unis, si cette théorie est surtout visible à l'égard de la Chine,
force est de constater que Washington adopte un comportement similaire avec la Russie.

Page 249
Partie II : Les partenaires des États-Unis dans
l'OTAN et la Russie : une mosaïque de
positions gravitant autour de la relation États-
Unis/Russie

Page 250
L'article 3 du traité fondateur de l'OTAN précise qu’ : « Afin d'assurer de façon plus efficace
la réalisation des buts du présent Traité, les parties, agissant individuellement et conjointement,
d'une manière continue et effective, par le développement de leurs propres moyens et en se
prêtant mutuellement assistance, maintiendront et accroîtront leur capacité individuelle et
collective de résistance à une attaque armée. »815. Par conséquent l’organisation « alliance
internationale composée d’États indépendants et souverains »816, est obligée de tenir compte
des positions de ses membres autres que les États-Unis.
En effet, si Washington est la principale puissance dans l'OTAN, les autres États membres sont
importants dans le processus décisionnel de l'Alliance atlantique de par la prise à l'unanimité
des décisions. Même au-delà de l'aspect institutionnel, ces autres États membres ont, pour
certains, un poids local voire régional qui ne peut être ignoré par la Russie et les États-Unis. De
ce fait et malgré la primauté de la relation entre ces deux derniers, les politiques des autres pays
membres ont une influence sur l'équilibre des puissances entre la Russie et l'OTAN. Cette
dernière comporte, depuis 2017, 28 États membres. Depuis sa fondation en 1949, une véritable
mosaïque de positions s'est développée, rendue de plus en plus complexe avec les
élargissements successifs. Cette dynamique est d'autant plus forte au XXIème siècle, qu'avec
l’effondrement de l'URSS, l'Alliance a dû se trouver un nouveau but accepté par tous ses
membres désormais plus nombreux que sous la guerre froide. De plus, le développement d'une
scène internationale multipolaire et le déclin relatif des États-Unis incitent d'autres États à
prendre plus d'autonomie dans leur politique étrangère et à contester Washington. Si l'équilibre
des puissances était, dans les années 1990, définit par la position centrale des États-Unis,
qualifiés à cette époque d'hyperpuissance, le premier quart du XXIème siècle est marqué par
des changements qui affectent par ricochet les différents États membres de l'OTAN.

Il existe toutefois dans cette diversité de positions, un pôle : l’Union européenne et ses Etats
membres. Plus intégrée qu'une organisation intergouvernementale mais moins qu'un État
fédéral, cette entité particulière qui n'existait pas encore lors de la création de l'Alliance est le

815 NATO, ‘Le Traité de l’Atlantique Nord’, NATO, 1949 .


816 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage , p.45.

Page 251
symbole du retour de l'Europe sur la scène internationale. Économiquement comparable aux
États-Unis817, l'UE et ses membres pèsent sur les décisions avec la Russie et suit une logique
différente de Washington. Mais sur le plan politique et militaire, et contrairement aux États-
Unis, l'UE reste marquée par l'absence de consensus dans ses relations avec son voisin russe.
(Titre 1) À côté de ce bloc européen qui constitue le cœur originel de l'OTAN avec l’Amérique
du Nord, se trouvent des membres qui se situent aux frontières de l'organisation et qui, de ce
fait, ont une relation particulière avec la Russie (Titre 2)

817 Le PIB du marché commun de l'UE est estimé en 2017 par le FMI à 17 112 922 milliards de dollars
américains contre 19362129 milliards de dollars américains pour les États-Unis.
‘Report for Selected Country Groups and Subjects’, FMI .

Page 252
Page 253
Titre 1 Les États membres de l'Union Européenne :
l'absence de consensus vis-à-vis de la
Russie

Le continent européen est avec les États-Unis au cœur de l'OTAN. Ces deux blocs forment le
lien transatlantique qui est la raison politique de l'Alliance. Pendant la guerre froide, seule
l'Europe non soviétique était logiquement membre de l'Organisation. Néanmoins avec la chute
de l'URSS, l'OTAN s'est étendue sur le continent en intégrant la majorité des États qui en étaient
jusqu’alors dépendants.
Parallèlement à l’expansion de l'Alliance, le projet d'une Union Européenne s'est développé.
Partant d'une coopération économique visant à mettre en place un marché commun avec la
communauté économique du Charbon et de l'Acier en 1952 puis avec la Communauté
économique européenne en 1957, elle devient un projet politique avec la création officielle de
l'Union Européenne en 1993, suite au traité de Maastricht. Elle intègre en 2004818, en 2007 819
et en 2013 avec la Croatie, les États de l'Europe orientale qui avaient préalablement rejoint
l'OTAN. L'UE passe ainsi d'une organisation de 6 membres à sa création à 28 en 2013 jusqu'en
2016820. Sur les 28 États de l'UE, seuls 6 ne sont pas membres de l'OTAN821 montrant ainsi la
forte proximité entre les deux organisations et ce malgré des buts différents : un rôle militaire
pour l'OTAN et économique et politique pour l'UE. En effet, la pensée dominante en 1949 est
résumée par le premier secrétaire général de l'OTAN, Lord Ismay : « inclure les Américains,
exclure les Soviétiques et soumettre les Allemands ».822
Par conséquent, cette répartition des taches influe sur les liens avec la Russie qui voit l’UE à
travers ses intérêts économique puis politique, et préfère établir des relations avec les États
membres de l'UE plutôt qu'avec cette dernière en tant qu'institution. Cette tendance est
renforcée par la difficulté à établir un consensus dans une union de 28 membres ayant des poids
politiques variables. De fait, les relations entre l'UE et la Russie sont définies par celles de

818 République tchèque, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie.
819 Bulgarie, Roumanie.
820 Malgré le Brexit, il convient de considérer le Royaume-Uni comme étant membre de l'UE du fait que
celui-ci n'est pas encore appliqué .
821 Autriche, Suède, Finlande, Malte et Chypre.
822 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle , Op. Cit., p.43.

Page 254
quelques États européens (Chapitre 1) et ce malgré le développement d'une timide politique
commune européenne (Chapitre 2)

Page 255
Chapitre 1 Une relation influencée par des États
membres clés de l'UE

De 1989 à 1990, outre l'ouverture vers l'occident de l'ancien bloc soviétique, se produit la
réunification de l'Allemagne . Cet événement symbolisant la fin de la période soviétique est
aussi un élément géopolitique majeur. Comme le precise Henry Kissinger: « German
unification altered the equilibrium of Europe because no constitutional arrangement could
change the reality that Germany alone was again the strongest European state. » 823 Cette
réunification laisse à penser que l'Allemagne peut redevenir la puissance dominante en Europe
et qu'une zone d'influence peut se recréer autour d'elle.
Au XXIème siècle, cette analyse se réalise d'un point de vue économique. L’Allemagne est
désormais la première puissance d'Europe en considérant son PIB.824 Sa position centrale et sa
force économique la conduisent à devenir l’État dominant de la relation entre la Russie et
l'Europe (Section 1). Toutefois, cette politique germano-russe subit l'influence de l'action d'un
certain nombre d’États voisins de la Russie, membres eux aussi de l'UE. (Section 2)

Section 1 Une relation dominée par le lien germano-russe

Suite à sa réunification, l'Allemagne a gagné en puissance dans l'Europe jusqu'à s’imposer


première puissance du continent. L'Allemagne est en 2019, la quatrième puissance économique
mondiale et la première d'Europe avec un PIB estimé à 3,693 milliards de dollars américains
selon la Banque Mondiale. Elle est aussi le premier en termes de contribution nette au budget
européen avec 10 milliards d'euros.825 Berlin est aussi le troisième contributeur au budget de
l'ONU après les États-Unis et le Japon mais avant la France. 826 Cette puissance désormais
renouvelée de l'Allemagne est guidée au XXIème siècle par les chanceliers Gerhard Schröder
de 1998 à 2005 et Angela Merkel jusqu'à nos jours. Malgré des divergences, la politique

823 Kissinger, Henry, World Order, p.91.


824 A titre d'exemple en 2010, l'Allemagne avait un PIB de 3 305 898 milliards de dollars américains, la
France 2 582 527 milliards $ et le Royaume-Uni 2 258 565 milliards $ selon le FMI.
825 Toute l’Europe.eu, ‘La contribution des Etats européens à l’OTAN’, Toute l’Europe.eu .
826 ‘Budget des Nations Unies’ <https://www.un.org/fr/aboutun/budget/contributions.shtml> [accessed 20
June 2019].

Page 256
allemande tend à reposer sur un système de coalition offrant au pays une continuité dans son
action : le premier et le troisième mandat d'Angela Merkel reposent ainsi sur une alliance des
deux grands partis allemands (CDU-CSU/SPD). Cette force politique centrale en Europe ainsi
que la recherche d'un équilibre lui accordent un rôle de médiateur entre l'Occident et la
Russie.827
Dans le livre blanc sur la politique de sécurité allemande de 2016, la chancelière décrit ainsi la
place de l'Allemagne dans les relations internationales : « Germany’s economic and political
weight means that it is our duty to take on responsibility for Europe’s security in association
with our European and transatlantic partners in order to defend human rights, freedom,
democracy, the rule of law and international law. We must stand up even more for our shared
values and demonstrate even greater commitment to security, peace and a rules-based order
than we have done to date. »828
La chancelière souligne l'importance de l'économie dans la force de l'Allemagne (§1) mais elle
rappelle aussi que Berlin est à la fois une puissance de l'Union européenne et de l'OTAN et que
sa politique étrangère reste prioritairement liée à ces deux organisations. (§2) C'est ce double
enjeu qui définit la politique étrangère allemande vis-à-vis de la Russie au XXIème siècle.

§1 Un rapprochement guidé par la politique économique

La puissance allemande s'exprime principalement à travers son économie. Ce phénomène est


d'autant plus accentué que ses capacités politiques militaires portent encore les stigmates de la
seconde guerre mondiale et du traumatisme politique qui s'en est suivi. 829 En conséquence,
l'économie est un vecteur de sa politique étrangère qui accorde une place majeure à l'Europe

827 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, 2009, p.62-63.

828 Merkel, Angela, and Ursula Von der Leyen, ‘White Paper on German Security Policy and the Future of
the Bundeswehr’, The German Marshall Fund of the United States, 2016.
829 Maulny, Jean-Pierre, ‘La politique de défense de l’Allemagne : le post-traumatique est encore loin’,
Revue internationale et stratégique, 2009, p.108–113 .

Page 257
orientale et à l'est : l’Ostpolitik devient un enjeu stratégique pour Berlin (A) qui se traduit par
un partenariat étroit avec la Russie, débouchant par une interdépendance économique.(B)

A L’Ostpolitik et le Russlandpolitik: un pragmatisme stratégique

La position centrale de l'Allemagne lui confère un avantage politique mais lui donne aussi une
vision des affaires étrangères stabilisatrice. Si le lien franco-allemand a pu être stabilisé depuis
la guerre froide et avec la construction européenne, l'est de l'Europe est en transformation depuis
la fin de l'URSS. Une attention politique particulière des dirigeants allemands (1) influence
l'intégration de la Russie dans l'Europe. (2)

1 Une attention particulière portée par les dirigeants allemands à la Russie

Les dirigeants allemands ont accordé une grande importance à l'Europe de l'Est depuis la fin de
la guerre froide et ce parallèlement à la montée en puissance du pays. Le chancelier Gerald
Schröder déclare en 2001 : « l’Allemagne a tout intérêt à se considérer elle-même comme une
grande puissance en Europe et à orienter en conséquence sa politique étrangère »830. En accord
avec ce souhait qui s'est réalisé, l'Allemagne renforce de manière continue son lien avec la
Russie. La RDA et la réunification ont été les principaux vecteurs de cet intérêt allemand envers
la Russie. Jusqu'à l'intégration de la RDA dans la RFA, la politique à l'est de cette dernière se
concentre sur la question allemande et donc sur les relations entre les deux Allemagne 831. Du
fait que la RDA apparaît comme un État fantoche sous occupation soviétique, cette politique
consiste à renforcer ses liens avec la Russie. Pour les allemands, c'est la politique d'ouverture
et d’apaisement du secrétaire général de l'URSS Gorbatchev qui a permis la réunification
pacifique du pays. En ce sens, celui-ci a reçu plus de crédit politique de la part de la population
allemande que le président américain Reagan ou que le chancelier Kohl.832 La Russie étant la
principale puissance à l'est de l'Allemagne, elle est perçue non plus comme une menace mais

830 Gougeon, Jean-Pierre, ‘L’Allemagne puissance’, Revue internationale et stratégique, Op. Cit., p.39.
831 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne. Vers un pragmatisme opportuniste’, 2017, AFRI
2017, p.426.
832 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics (London: Bloomsbury Academic,
2015), p.14.

Page 258
comme une puissance réémergente et une partenaire833, même si la crise ukrainienne de 2014
et l'annexion de la Crimée ont amoindri cette confiance. De plus, les Allemands de l'ex-RDA
restent plus favorables vis-à-vis de Moscou de par le passé soviétique et la propagande
associée.834 Du fait de la guerre froide, la Russie a été une question nationale pour l'Allemagne,
favorisant ainsi le renforcement des liens entre les deux États.

Dans la vision politique allemande, la Russie est nécessaire pour assurer une stabilité
européenne. Comme le fait remarquer le professeur Stephan Martens, Berlin considère que le
destin du continent est déterminé par l'intensité des relations entre les deux pays .835 Ainsi le
président de la République d'Allemagne Roman Herzog déclare lors de sa première visite
officielle à Moscou en 1997 que : « le poids de la Russie et de l’Allemagne a toujours marqué
de manière décisive la stabilité et la coopération en Europe et que les relations entre les deux
pays ont toujours été un « sismographe pour l’état des rapports politiques en Europe ».836 Cette
position solennelle sur l'équilibre européen s'explique par les dégâts de la rivalité passée entre
les deux nations lors des guerres mondiales, ayant engendré de profonds traumatismes.
L'Allemagne considère que sa sécurité dépend de sa bonne entente avec Moscou alors que la
confrontation débouche sur une situation profondément destructrice.837 Les livres blancs sur la
défense allemande vont donc jusqu'à la crise ukrainienne, reconnaître un statut de partenaire à
la Russie : le livre blanc de 1994 énonce que « La Russie est un partenaire particulièrement
important pour une stabilité durable en Europe et dans le reste du monde »838 et celui de 2006
précise la nécessité du « développement et l’approfondissement d’un partenariat de sécurité
durable et solide avec la Russie »839.

Malgré un consensus général sur une coopération approfondie avec la Russie, des divergences
subsistent néanmoins quant à l'intensité de celle-ci. D'après le professeur Stephen F. Szabo,
deux courants de pensées existent au sujet de la Russie : un premier reposant sur la promotion

833 Ibid p.16.


834 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics p.16.
835 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne. Vers un pragmatisme opportuniste’, AFRI
2017Op. Cit., p.428.
836 Ibid.
837 Ibid.
838 Ibid p.434.
839 Ibid.

Page 259
des droits de l'Homme et un second mettant l'accent sur les intérêts économiques. 840 Cette
distinction, qui n'est pas sans rappeler l'opposition entre l'idéalisme et le réalisme en relations
internationales, crée des divisions.

Dans les partis politiques allemands, le SPD se montre plus favorable au rapprochement avec
Moscou. Aussi bien les élites que la base du parti social-démocrate sont plus proches de la
Russie que la CDU.841 Le SPD cherche à prendre ses distances avec les États-Unis et à avoir
une politique plus ancrée dans l'Europe. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, le SPD
préférait prendre ses distances avec l'atlantisme naissant et voulait maintenir des liens cordiaux
avec Moscou : c'est la position que souhaitait le chancelier Kurt Schumacher, le premier
dirigeant du SPD après la guerre, mais aussi celle du chancelier Willy Brandt qui a mis l'accent,
entre 1969 et 1974, sur l'Ostpolitik et la détente.842 Cette conception de la politique étrangère
allemande rappelle celle du général De Gaulle qui préférait ancrer sa politique dans l'Europe en
prenant ses distances avec les Etats-Unis et en maintenant des relations cordiales avec
l'adversaire soviétique. Le rapprochement du SPD en faveur de la Russie connaît toutefois son
apogée au XXIème siècle sous la chancellerie de Gerhard Schröder qui développe une véritable
amitié avec le président Poutine nouvellement élu. Comme le souligne un des conseillers de
l'ancien chancelier, la similarité de leur jeunesse et de leur parcours les a amené à se lier
fortement. 843 De plus, le chancelier Schröder refuse de critiquer outre mesure la politique
interne du président russe sur les aspects non démocratiques, jugeant qu'une telle attitude
aboutirait à une « réaction d'obstination »844 de la part de Moscou et préfère soutenir la volonté
de réforme que Poutine met en œuvre. Si cette politique atteint son apogée sous le chancelier
Schröder, elle perdure après sa démission au sein des membres du SPD. Ces derniers continuent
au sein des grandes coalitions CDU-CSU/SPD de la chancelière Merkel à prôner une politique
de rapprochement vis-à-vis de la Russie. Frank Walter Steinmeier, l'ancien conseiller en chef
de Gerhad Schröder, devenu ministre des affaires étrangères sous le premier et troisième

840 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.35.
841 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.35.
842 Ibid p.36.
843 « “They came from similar backgrounds and both fought their way up.” They were both from poor
families and worked their way up the political ladder by intelligence, guile, charisma, and ambition. Both studied
law and were cynics about power. They both liked wealth and the good life, having been deprived of it as youths. »
Ibid p.36.
844 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.63.

Page 260
gouvernement de Merkel, puis président de la république depuis 2017, a été l'architecte de « la
modernisation par l’interdépendance » avec la Russie845 consistant à moderniser cette dernière
non pas par une pression externe mais par une relation de partenariat continue.846 Enfin cette
politique amicale envers Moscou ne s’arrêtera pas suite à la crise ukrainienne comme le montre
le plaidoyer du vice-chancelier et ministre de l'économie Sigmar Gabriel le 16 mars 2016 au
« forum germano-russe » en faveur de la levée des sanctions économiques et d'un nouveau
départ dans les relations entre les deux pays.847

À côté de l'attitude amicale du SPD avec la Russie, la CDU est plus en retrait et méfiante vis-
à-vis de la politique du président Poutine. Le parti de la droite allemande reste plus attaché au
lien transatlantique et est plus critique vis-à-vis de la situation interne de la Russie. Ceci se
traduit au XXIème siècle par une priorité accordée aux relations avec les alliés de l'OTAN et
plus particulièrement la Pologne et l'Europe de l'Est. Les chrétiens-démocrates n'hésitent pas à
critiquer le régime de Poutine sur les droits de l’Homme. En conséquence, Angela Merkel
adopte une position plus critique que son prédécesseur et mène une relation politique plus
retenue avec le président russe.848 L'attitude de la chancelière s'explique en outre par le fait
qu'elle est originaire de la RDA et donc préoccupée par les problèmes de droit de l'Homme et
de liberté.849 Pour autant, malgré ces valeurs pro-atlantistes, le réalisme reste fort dans la CDU
et chez la chancelière Merkel qui maintiennent la volonté d'assurer un partenariat avec la
Russie.850 La politique mise en avant par la dirigeante allemande est pragmatique, visant à
trouver un juste équilibre entre les alliés traditionnels de l'OTAN et la Russie, puissance
incontournable de l'est de l'Europe. Il n'y a donc pas de véritable dissension au sein de la grande
coalition concernant la Russie : les différents partis souhaitent à des degrés divers que

845 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.36.
846 Ibid p.34.
847 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne. Vers un pragmatisme opportuniste’, AFRI 2017,
Op. Cit., p.435.
848 « La chancelière n’hésite pas, lors de ses rencontres avec V. Poutine et, à partir de 2008, avec le nouveau
président Dmitri Medvedev, à faire référence, de manière allusive mais réelle, aux points névralgiques des
relations germano-russes – la démocratie en Russie et la question des droits de l’Homme – adoptant davantage
que ses prédécesseurs une « distance critique »
Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.63.
849 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.38.
850 Dans le manifeste électoral de la CDU en 2009 il était écrit : « We want relations with Russia to be as
close as possible, but that the depth and breadth of relations depend on Russia’s behavior and willingness to meet
its international obligations and play by the rules. »
Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.39.

Page 261
l'Allemagne coopère avec Moscou. Cette politique vise de fait à assurer une place à la Russie
en Europe. (2)

2 Une politique visant à intégrer la Russie dans l'Europe

Le cœur de la politique étrangère allemande étant d'assurer la stabilité en Europe, l'intégration


de la Russie dans l'Europe est une priorité. Par conséquence, Berlin veille à ce que Moscou ne
soit pas isolée. Les dirigeants allemands mettent en avant leur puissance renouvelée dans
l'Europe pour jouer pleinement leur rôle de médiateur politique. Berlin souhaite une modération
de la part de ses alliés afin d'éviter une réaction négative de la part de la Russie. D'où le rejet
d'une expansion rapide de l'OTAN et de l'UE à l'est de l'Europe qui intégrerait les membres de
la CEI. Le chancelier Schröder prend d'ailleurs ses distances par rapport à la première
organisation en déclarant en 2005 qu'elle « n'est plus le lieu privilégiée » pour le partenariat
transatlantique.851 Si la chancelière Merkel reste attachée à l'OTAN, elle se montre prudente
quant à l'intégration de nouveaux membres dans l'UE852 et sur certains dossiers conflictuels
comme l'indépendance du Kosovo, à laquelle elle se montrait au départ peu favorable.853 Cette
politique de retenue indique que l'Allemagne a compris que la Russie n'accepterait pas un
encerclement et qu'une telle situation créerait des troubles politiques et sécuritaires sur le
continent. Berlin préfère ainsi avoir des différends mineurs avec certains de ses alliés, comme
les Etats-Unis ou la Pologne, partisans d'une plus grande expansion européenne, qu'une tension
majeure avec la Russie.

En outre, l’Allemagne utilise l'Union européenne et ses alliés pour assurer un rapprochement
entre la Russie et le reste du continent. En ce sens, le gouvernement allemand fait appel au
couple franco-allemand pour consolider son partenariat avec la Russie. En 2003, le sommet de
Saint-Pétersbourg permet au président français Jacques Chirac et au chancelier Gerhad
Schröder de se rapprocher du président Poutine sur fond d'intervention en Irak des États-Unis.

851 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
p.128.
852 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.68.
853 Stark, Hans, ‘La politique étrangère de l’Allemagne’, Politique étrangère, Hiver (2007), p.793.
Il convient de remarquer néanmoins que l'Allemagne reconnaîtra l'indépendance du Kosovo en 2008.

Page 262
L’interventionnisme de ces derniers offre à l'Allemagne une occasion de renforcer le partenariat
avec la Russie dans le cadre d'un axe continental entre les trois grandes puissances. Du fait de
sa position privilégiée en Europe, l'Allemagne est la pierre angulaire de ce « triumvirat » de
circonstance malgré sa discrétion (Berlin laissant à Paris le soin de s'occuper de la diplomatie à
l'ONU).854 Cet axe bien que de circonstance, de par la persistance d’intérêts divergents entre
les trois pays 855 , marque le souhait d'intégrer la Russie en Europe. En dehors de ce
rapprochement lié à un contexte particulier, le couple franco-allemand réitère sa volonté de
coopérer avec la Russie en 2009 : le président Nicolas Sarkozy et la chancelière Angela Merkel
publient une tribune commune sur la sécurité en Europe, dans laquelle ils rappellent que la
Russie« reste notre voisine et un partenaire très important » et appellent à « tendre la main à
la Russie et à relancer notre coopération au sein du conseil OTAN-Russie et entre l’UE et la
Russie, si celle-ci le souhaite. Nous voulons un dialogue politique et de sécurité plus étroit entre
l’UE et la Russie, qui permette de l’impliquer plus avant dans l’espace de sécurité euro-
atlantique. »856 Ce choix de partenariat avec la Russie pour assurer la stabilité du continent
européen est ainsi constant et l'Allemagne cherche à mobiliser toute sa puissance à cette fin.
Mais ce sont avant tout les intérêts économiques qui dictent cette coopération. (B)

B Un partenariat étroit dicté par une interdépendance économique

L'Allemagne est tout d'abord une puissance économique. Sa politique étrangère envers la
Russie suit ainsi le principe d'interdépendance économique. Le partenariat économique qui en
résulte se caractérise par une imbrication des économies russes et allemandes (1) avec un accent
mis sur les hydrocarbures (2).

1 Une imbrication des deux économies

854 Demesmay, Claire, ‘France-Allemagne-Russie : Retour Sur Une Alliance Atypique’, Fondation Robert
Schuman, 2003 <https://www.robert-schuman.eu/fr/syntheses/0091-france-allemagne-russie-retour-sur-une-
alliance-atypique> [accessed 30 June 2018].
855 Ibid.
856 Merkel, Angela, and Nicolas Sarkozy, ‘“La sécurité, notre mission commune” (3 février 2009)’, Frankrijk
in Nederland/ La France aux Pays-Bas <https://nl.ambafrance.org/La-securite-notre-mission-commune>
[accessed 30 June 2018].

Page 263
Vladimir Poutine déclarait en 25 septembre 2001, devant le Bundestag que l'Allemagne
« incarnait pour les Russes souvent l’Europe, la culture européenne, la faculté de penser
technique et le savoir-faire commercial »857. La relation entre la Russie et l'Allemagne est avant
tout économique. En 2007, la chancelière Angela Merkel affirme que « les relations avec la
Russie passent surtout par les entreprises » 858 . Ce secteur est influent dans la politique
étrangère entre Berlin et Moscou, les acteurs économiques et commerciaux allemands soutenant
et impulsant les relations bilatérales.859 En effet, l'industrie allemande représente un quart du
PIB du pays et l'Allemagne reste la nation industrialisée la plus dépendante de ce secteur. 860
Les exportations forment en effet 41 % du PIB.861 Cette situation rend l'Allemagne dépendante
de son commerce extérieur. Aussi, la chute de l'URSS et la réunification lui offrent de nouvelles
opportunités de développement économique. L'Allemagne qui avait concentré ses liens
économiques pendant la guerre froide sur les pays d'Europe de l'Ouest et les États-Unis se
déploie au XXIème siècle hors de la zone européenne pour chercher de nouveaux marchés en
Europe de l'Est, en Russie mais aussi en Asie. Cette dynamique économique est rendue
nécessaire par le coût de la réunification, qui s'élève à 1,9 trilliard d'euros, et la nécessité de
développer l'ex-RDA.862 Selon le professeur Stephen Szabo, c'est le secteur économique qui
impulse les relations étrangères. Les politiques ont une fonction de suivi et de soutien de cette
économie.863 Berlin profite de la mondialisation en utilisant son atout économique plutôt qu'un
pouvoir politique et culturel comme les États-Unis : là où ces derniers font usage de leur
puissance pour répandre leur modèle à l'étranger à travers les sociétés civiles, les allemands
font preuve de plus de retenue et se concentrent sur les échanges économiques qui permettent
de tisser des liens avec les nations étrangères.

857 Vladimir Poutine cité par Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne. Vers un pragmatisme
opportuniste’, AFRI 2017, Op. Cit., p.437.
858 Merkel, Angela, ‘Entretien Avec Angela Merkel’, Le Monde, 15 January 2007.
859 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.70.
860 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.4.
861 Ibid.
862 Ibid p.7.
863 Ibid.

Page 264
Selon le professeur Stephan Martens, il existe un lobby de l'industrie allemande très actif qui
agit avec l'Ost-Ausschuss der Deutschen Wirtschaft (Comité pour les relations économiques
avec l’Est)864. De plus, diverses organisations de coopérations économiques se sont peu à peu
établies comme l'Informationszentrum der Deutschen Wirtschaft (Maison économique
allemande) en 2004 et la Chambre de commerce germano-russe en 2007.865 Ces organisations
montrent comment l’Allemagne utilise sa société civile pour atteindre ses objectifs politiques :
une interconnexion des deux économies permet de cimenter la relation, tout en développant la
croissance des deux États. Les résultats sont d'ailleurs loin d’être négligeables pour
l'Allemagne : « près de 4 500 entreprises allemandes sont installées sur le sol russe et 70 000
emplois allemands dépendent directement de la qualité des relations commerciales avec ce
pays. L’Allemagne est devenue le premier partenaire commercial de la Russie ; elle est le plus
important investisseur en Russie, avec près de 16 % de l’ensemble des investissements
étrangers. Bien que la Russie ne représente encore que 3 % du total des exportations
allemandes, elle est, par son immensité et son potentiel en matières premières, et malgré des
problèmes incontestables de corruption et d’insécurité juridique, un partenaire de premier
choix. »866 Pour l'économie russe, l'Allemagne voit toutefois sa place de premier partenaire
commercial et d'investisseur contestée par la Chine depuis 2013867 tandis que pour l'économie
allemande, Moscou n'est que son huitième partenaire.868 Les investissements directs étrangers
(IDE) ont aussi une part importante, souvent sous-estimée, dans cette relation économique : ils
représentent 23 milliards d'euros en 2012 soit une augmentation de 78 % depuis 2008.
La politique allemande suit, de fait, un « réalisme commercial », consistant à utiliser les
échanges économiques comme vecteur de cohésion et de développement afin de limiter voire
de neutraliser les rapports de forces. En assurant l'interdépendance des économies, les tensions
ne peuvent pas se développer sous peine d'avoir des résultats néfastes pour chacun. L'argument
économique est d'autant plus efficace avec la Russie qu'elle base sa politique de reconstruction

864 « crée en 1952, organisme de tutelle regroupant à la fois des entreprises, des organisations
professionnelles et des syndicats allemands, lié au ministère fédéral de l’Economie, qui approche les marchés de
l’Est européen, et en particulier celui de la Russie, et qui promeut les engagements des entreprises allemandes
dans tous les secteurs »
Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.70.
865 Ibid p.71.
866 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit. p.71.
867 Bürbaumer, Benjamin, ‘La puissance des entreprises allemandes, la faiblesse des sanctions économiques
contre la Russie’, Allemagne d’aujourd’hui, 2015, p.7.
868 Ibid.

Page 265
sur la remise sur pied de son économie. Pour l'Allemagne et ses entreprises, l'économie russe
représente un marché important et influence la prise de décisions, comme les sanctions
économiques après l'annexion de la Crimée869 : le secteur économique étant partisan de libre-
échange, de telles mesures n'ont pas reçu un bon accueil. L'Ost-Ausschuss a ainsi fortement
médiatisé son opposition aux sanctions économiques et semble avoir réussi à limiter l'impact
de ces dernières.870 Finalement, il s'est avéré que les difficultés rencontrées par les entreprises
allemandes étaient dues aux problèmes économiques internes à la Russie, à la faible croissance
et à la chute du prix de pétrole et non pas aux sanctions.871 La primauté de l'économique sur la
politique dans la relation germano-russe est établie. L'épicentre de ce partenariat est le domaine
des hydrocarbures. (2)

2 Le poids du commerce des hydrocarbures

Le ciment de cette relation économique est l’énergie. Le chancelier Schröder a considéré au


début de son mandat qu'il était nécessaire pour la sécurité économique de l'Allemagne de
sécuriser l'accès aux matières premières. 872 Par conséquent, la Russie de par son potentiel
apparaît comme une cible prioritaire. Le secteur des hydrocarbures est le vecteur privilégié.
Cette dynamique renforcée par la décision de la chancelière Merkel de sortir du nucléaire,
oblige l'Allemagne à redevenir dépendante des importations de gaz et de pétrole provenant de
la Russie. L'absence de politique énergétique européenne efficace réduit la marge de manœuvre
de l'Allemagne dans ce domaine et fait de la Russie un partenaire indispensable.873 Les officiels
allemands comparent ainsi leur relation en matière d’hydrocarbures, à celle qu'ont les États-
Unis avec l'Arabie saoudite : une fourniture de carburant essentielle pour l'économie interne qui
prime sur les autres considérations de la politique étrangère.874

869 Ibid p.14-15.


870 Ibid.
871 Bürbaumer, Benjamin, ‘La puissance des entreprises allemandes, la faiblesse des sanctions économiques
contre la Russie’, Allemagne d’aujourd’hui, 2015 p.9.
872 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.256.
873 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.72.
874 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.256.

Page 266
Du côté russe, la société étatique Gazprom875 représente un outil considérable de sa politique
en Europe et tout particulièrement en Allemagne. Gazprom Germania représente d'ailleurs la
moitié des emplois créés par les entreprises russes en Allemagne. 876 Au sein de la direction de
Gazprom, aussi bien la maison mère que la filiale allemande, une logique politique prédomine
reposant sur la connivence avec le gouvernement russe : les dirigeants sont proches du clan du
président Poutine 877 . Cette logique se combine parfaitement avec la volonté d'utiliser
l'économie pour retrouver de la puissance, en interne en redynamisant le pays et à l'étranger en
tant qu'outil d'influence. Le président de Gazprom Alexandre Medvedev déclare d'ailleurs que
le but de l'entreprise est de devenir la plus grande société d’énergie au monde.878 S'ensuit donc
une politique agressive visant à prendre le maximum de parts de marché : selon le professeur
Szabo, Gazprom a voulu à renforcer la dépendance de l'Europe en sa faveur en concluant des
accords avec des pays comme l’Algérie et créer un cartel limitant la concurrence.879 Enfin, cette
politique de développement a été facilitée par la libéralisation du secteur énergétique dans l'UE
offrant des possibilités de pénétration de Gazprom sur le marché européen.
La sécurisation des hydrocarbures pour Berlin et le souhait d’expansion de l'économie russe
vers l'Europe vont aboutir à la construction des gazoducs et oléoducs reliant directement la
Russie à l'Allemagne. En évitant les pays d'Europe centrale et de l'Est, ils ne dépendent plus de
leur politique dans le domaine énergétique. 880 A cette fin, la société russe Gazprom, et les
entreprises allemandes BASF (via sa filiale Wintershall) et E.ON signent en 2005, un accord
visant la construction du gazoduc Nord Stream dans la mer baltique.881 La dimension politique
est bien présente dans ce projet inauguré en 2011 avec la nomination de l'ex-chancelier

875 « Gazprom est une très grande entreprise d’État (50,002 % des parts sont possédées par l’État fédéral)
de plus de 375 000 salariés. Elle a produit 83 % du gaz russe en 2008 et possède environ 160 000 km de gazoducs,
219 stations de compression et 25 sites de stockage. Depuis 2006, elle a le monopole de l’exportation du gaz
naturel russe et sa production s’est accrue, passant de 512 milliards de mètres cubes en 2001 à 550 en 2008, soit
17 % du total mondial. Ses réserves représentent 17 % des réserves mondiales et 70 % des réserves prouvées
russes. À titre de comparaison, en matière d’infrastructures, le français GRT Gaz détient un réseau d’environ 32
000 km et 25 stations de compression. »
Bros, Aurélie, and Yann Richard, ‘La relation énergétique Russie-Union européenne La libéralisation du
marché de l’énergie en Europe : chance ou défi pour Gazprom ?, Abstract :’, Revue d’études comparatives Est-
Ouest, 2011, p.153.
876 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.70.
877 « After assuming the presidency for the first time, Putin replaced the leadership of Gazprom with his own
team, including Medvedev, and they all profited as a result. Putin himself is reported to own 4.5 percent of the
company ».
Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.70.
878 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.256.
879 Ibid.
880 Ibid.
881 Ibid.

Page 267
Schröder à la tête du Conseil de surveillance du consortium germano-russe de nord stream882
qu'il a aidé à mettre en place. Pour autant, cette situation ne sera pas remise en cause par le
gouvernement de Merkel qui poursuit le projet. Là encore, on peut y voir la volonté du
gouvernement de donner la primauté à l'économie plutôt qu'à une politique plus dure.
A l'instar des autres domaines économiques, les tensions consécutives à la crise ukrainienne ne
mettent pas fin à ce partenariat. Le projet Nord Stream 2, chargé de doubler le gazoduc Nord
Stream et de développer le volume des échanges entre l'Allemagne et la Russie, reste d'actualité
malgré le contexte des sanctions économiques et l'opposition drastique des États-Unis allant
jusqu'à menacer de sanctions les entreprises participant à ce projet.883 La sécurité énergétique
de l'Allemagne restant une priorité au même titre que l'équilibre des puissances en Europe,
Berlin n'abandonne pas son partenariat avec la Russie peu importe les circonstances. La
realpolitik visant à assurer un rôle central à l’Allemagne passe par un renforcement de la
puissance économique allemande à travers son économie et son accès aux matières premières
nécessaires à son industrie. Toutefois, ce lien avec Moscou n’éclipse pas l'attachement de
l'Allemagne à l'occident et plus précisément à l'Europe dans laquelle elle joue désormais un rôle
stabilisateur. (§2)

§2 l'Allemagne en tant que stabilisateur européen

L'Allemagne fédérale a été après la seconde guerre mondiale mise sous contrôle occidental afin
d'éviter une résurgence du bellicisme du pays hostile au reste de l'Europe. Progressivement, le
pays s'intègre aux organisations comme l'OTAN et participe à la création de l'UE. Le
traumatisme lié au nazisme pousse l'Allemagne à devenir un membre européen majeur de
l'OTAN (A). Cette situation l'oblige à arbitrer entre ses intérêts dans l'OTAN et ceux avec la
Russie faisant d'elle un stabilisateur européen (B)

882 Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics, Op. Cit., p.74.
883 ‘Nord Stream 2 : les acteurs craignent les sanctions américaines’, lesechos.fr, 2017
<https://www.lesechos.fr/15/07/2017/lesechos.fr/030447382713_nord-stream-2---les-acteurs-craignent-les-
sanctions-americaines.htm> [accessed 6 July 2018].

Page 268
A - Un membre européen majeur de l'OTAN

L’Allemagne est, de par sa position politique et géographique, un membre de première


importance dans l'Alliance atlantique. L'organisation présente un double intérêt pour ce pays :
maintenir un lien avec les États-Unis (1) mais aussi progressivement jouer un rôle accru dans
la défense de l'Europe (2).

1 : la persistance du lien entre les États-Unis et l'Allemagne

Comme le fait remarquer Oliver Kempf, l'Allemagne a cherché depuis la fin de la seconde
guerre mondiale et son adhésion à l'OTAN, a être un « bon élève ».884 La RFA puis le pays
réunifié ont mis leurs qualités tels que leur sérieux, leur rigueur et leur organisation au service
de l'Alliance. Ce zèle envers l'organisation s'expliquait pendant la guerre froide par une logique
défensive : l'OTAN avait pour vocation de protéger ses membres de l'URSS et ses alliés et la
RFA étant en première ligne, les combats en cas de conflit se déroulaient sur son sol. De plus,
la dimension politique de l'Alliance permettait à la RFA d'avoir un sentiment d'appartenance à
l'Occident et de ne plus être isolée comme elle l'était à la sortie de la seconde guerre mondiale.885
Néanmoins, jusqu'à la fin du XXème siècle, pour la RFA puis l'Allemagne réunifiée, l'OTAN
fut considérée comme une alliance avec les États-Unis. La dimension bilatérale avec ces
derniers a primé dans la conception de l'OTAN de Bonn puis Berlin. Cette perception a été
renforcée lors de la crise de Berlin en 1961 et le soutien du président Kennedy à la RFA, les
américains étant les seuls capables de la protéger. La RFA, élément important dans la stratégie
américaine contre l'URSS, a été la principale raison de cet axe. 886 De même, compte tenu du

884 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage.
885 Ibid.
886 « N’étant tout d’abord pas autorisée à disposer de sa propre armée et ayant par la suite placé cette
armée sous le contrôle de l’OTAN, la RFA avait un besoin vital de ses alliés occidentaux. Tous les chanceliers
depuis Konrad Adenauer cherchèrent donc à s’assurer des bonnes grâces des États-Unis et le développement
allemand se fit sous la protection du parapluie nucléaire américain. Pays-clé de la stratégie américaine de défense
contre la menace communiste, l’Allemagne avait une économie puissante et ses soldats étant les seuls à avoir fait
l’expérience du combat sur le sol russe, leurs conseils étaient très prisés des Américains, inquiétés par la présence
des troupes soviétiques en RDA. »
Lambertz, Ruth, ‘Les relations germano-américaines après les élections allemandes, German-U.S.
relationships after Merkel’s election’, Politique américaine, 2006, p.95-96.

Page 269
partage du pays en 1945, la réunification n'a pu s'accomplir qu'avec l'accord des quatre
puissances dominantes et avec le soutien déterminant du président Reagan.887 Le lien avec les
États-Unis perdure après la réunification même s’il tend à s'atténuer avec le retour de la
puissance de l'Allemagne et le développement de l'UE. Berlin n'a plus de menace majeure à
craindre à l'est, d’autant que le partenariat avec la Russie s'est développé.
La relation transatlantique change car les États-Unis prennent conscience du rôle que
l'Allemagne est en train de retrouver en Europe : une puissance centrale. Berlin joue alors un
Rôle clé dans la stratégie américaine « Partnership in leadership ». Développée par les
présidents Bush Senior et Clinton, elle consiste pour les États-Unis à avoir des partenaires
stratégiques dans les différentes régions du monde pour leur servir de relais. 888 Comme le
précise l'ancien ministre des affaires étrangères, Hubert Védrine, les États-Unis en détenant tous
les attributs de la grande puissance sont la seule « superpuissance » et sont suivis de plusieurs
« puissances d'influence mondiale » qui « détiennent un ou plusieurs attributs de la grande
puissance, mais pas tous »889. Cette hiérarchie des forces incite les États-Unis à se servir des
puissances d'influences régionales alliées en tant que vecteur de leur propre puissance. En
Europe, l'Allemagne, devient à la fin du XXème siècle, l’État le mieux placé pour occuper cette
fonction grâce à sa force économique et son activisme. L'intervention des forces allemandes en
Bosnie, première intervention militaire de l'Allemagne hors de ses frontières depuis la seconde
guerre mondiale le montre. Cet axe Washington-Berlin consistant à récompenser la loyauté du
pays européen envers l'OTAN et son refus de certains attributs de la puissance, principalement
militaire, contribuent paradoxalement à renforcer la puissance allemande en lui ouvrant de
nombreuses portes diplomatiques. Cette logique de « partenaire américain » sera mise à mal
par l’interventionnisme américain en Irak mais retrouvera sa force pendant les mandats
d'Obama . Non seulement ce dernier s'avère partisan des partenariats et de rôles accrus pour les
alliés mais, de plus, l'Allemagne est dirigée par la chancelière Angela Merkel qui est plus pro-
américaine que son prédécesseur. Elle qualifie, en effet, sa relation avec les Etats-Unis
« d'amitié » là où elle parle de « partenariat stratégique » avec la Russie.890 Du côté allemand,
le Livre blanc de 2016 sur la défense insiste sur le lien avec les Etats-Unis, principalement au

887 Ibid.
888 Hureaux, Roland, ‘Les États-Unis, l’Allemagne et l’Europe’, Commentaire, Numéro 95 (2001), p.623.
889 Védrine Hubert cité dans Gougeon, Jean-Pierre, ‘L’Allemagne puissance’, Revue internationale et
stratégique, 2009, p.36.
890 Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’, Revue
internationale et stratégique, Op. Cit., p.69.

Page 270
niveau sécuritaire mais aussi au niveau des valeurs : « The United States of America has
guaranteed security and stability in Europe since 1945. Germany has a long-standing
partnership with the United States which is deeply rooted in our society and is reflected by a
broad spectrum of common security policy interests. »891 De plus, cette protection américaine
reste nécessaire pour l'économie allemande: cette dernière reposant principalement sur le
commerce maritime (80 % des échanges commerciaux se font par la mer), la présence de l'US
navy dans le monde est un atout pour Berlin.892
Pour autant, cette relation s'affaiblit au XXIème siècle, du fait de la montée en puissance de
l'Allemagne en Europe et de sa recherche d'une identité politique.893 En 2005, le chancelier
Schröder ira jusqu'à vouloir prendre ses distances avec l'OTAN et plus particulièrement avec
les États-Unis compte tenu de la politique néo-conservatrice de Washington. De plus,
l'opposition entre vieille et nouvelle Europe développée sous les présidences Bush Jr. et Donald
Trump est mal perçue par l'Allemagne. Paradoxalement la montée en puissance allemande en
Europe inquiète les Etats-Unis. Ils craignent de la voir échapper à leur influence et adoptent un
comportement la poussant involontairement à raffermir ses positions en Europe. (2)

2 : une réaffirmation de la puissance allemande en Europe


Historiquement l'Europe centrale a toujours été la région dominante sur le continent. Du Saint
Empire Romain Germanique à l'Allemagne, la puissance contrôlant cette région était en
position de force en Europe et capable d'influer sur la destinée du continent tout entier. C'est en
partant de ce constat que des observateurs ont vu la réunification de l'Allemagne comme
l’élément permettant le retour en puissance de cette région par ailleurs neutralisée par la dualité
entre la Russie et les États-Unis. Bien que destiné initialement à encadrer l'Allemagne, le
développement de l'Union européenne et la mise en place de l'euro comme monnaie unique ont
d'ailleurs été considérés comme des vecteurs de développement de l'influence allemande sur le
continent.894 Cette dynamique, montre une fois encore, que le développement de l'Europe reste
étroitement lié à celui de l'Allemagne. Selon le professeur Tony Corn, ce retour de l'Allemagne
est dû à une diplomatie particulièrement habile, plus concentrée sur les intérêts nationaux que

891 Merkel, Angela, and Ursula Von der Leyen, ‘White Paper on German Security Policy and the Future of
the Bundeswehr’, The German Marshall Fund of the United States, 2016 p.31.
892 Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, 2018, p.64.
893 Gougeon, Jean-Pierre, ‘L’Allemagne puissance’, Revue internationale et stratégique, 2009, p.33.
894 Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, 2018, p.64.

Page 271
sur « une gouvernance globale » comme la France.895 De facto, Berlin s'est moins dispersée
dans sa politique étrangère que les autres puissances européennes comme Paris et Londres qui,
de par leur passé de puissances mondiales, avaient des intérêts plus globaux et disséminés hors
d'Europe. Cette opposition n'est pas sans rappeler celle que fait MacKinder entre les puissances
maritimes (Royaume-Uni et France) et puissances continentales (l'Allemagne). Cette idée d'une
Allemagne puissance maîtresse de l'Europe était aussi présente chez Carl Schmitt à travers son
concept de grand espace/GrossRaum ce qui donna un résultat destructeur du fait de l'idéologie
national-socialiste associée à l'espace vital. Néanmoins, la permanence de cette idée que
l'Allemagne occupe une place incontournable en Europe montre une dynamique historique.
Mais pour que Berlin assure cette fonction, elle doit accepter cette responsabilité.

L'Allemagne utilise avant tout sa puissance civile avec son économie pour assurer sa position.
Toutefois, les enjeux du XXIème siècle la poussent progressivement à développer d'autres
aspects de sa puissance. Critiquée depuis les années 1990 pour son rejet de l'utilisation de l'outil
militaire, l'Allemagne développe peu à peu une politique de défense et sécurité à une échelle
régionale pour faire face aux enjeux régionaux. Berlin présente, à cet effet, à l'OTAN en 2013
le concept de « nation-cadre » qui est adopté par l'Alliance au sommet de Newport en 2014.896
Selon ce concept « les pays européens devraient former des clusters, ou groupes de petits et
grands États qui coordonneraient plus étroitement l’acquisition et l’emploi de matériels et la
disponibilité des troupes à long terme. Le commandement de chaque cluster serait assuré par
une « nation-cadre », qui fournirait le dispositif militaire de base : la logistique, les centres de
commandement, etc. » 897 Il permet à l'Allemagne de donner des gages au reste de l'Europe
signifiant ainsi qu'elle n'est plus attentiste en matière de sécurité et prête à prendre des
initiatives, tout en évitant un investissement militaire trop important qui ne serait pas accepté
en interne . Et Berlin étant la nation-cadre par excellence sur le continent, ce concept lui permet

895 ' « Il faut le reconnaître: de la création de la République fédérale en 1949 à l’entrée en vigueur du traité
de Lisbonne en 2009, la qualité de la diplomatie allemande a été bien supérieure à celle de la diplomatie française.
Il est vrai que l’Allemagne avait l’avantage de ne pas être membre permanent du Conseil de sécurité de l’Onu: à
l’inverse des Français, les Allemands ne furent pas tentés de se disperser dans la «gouvernance globale» et la
«gestion des crises», et eurent tout loisir de se concentrer sur leur«intérêt national» au sens le plus traditionnel
du terme. Après soixante ans de patients efforts, l’Allemagne a réussi, par le biais de sa «puissance civile»
(Zivillmacht) – qui est essentiellement une puissance mercantile – à établir une hégémonie qu’elle n’avait pu
atteindre par la puissance militaire. »
Ibid.
896 Major, Claudia, and Christian Mölling, ‘Le concept allemand de nation- cadre pour une coopération de
défense en Europe’, ’Institut allemand des affaires internationales et de sécurité (SWP) p.90.
897 Ibid p.91.

Page 272
de retrouver son autorité. Selon le professeur Tony Corn, cette situation permettrait à
l'Allemagne de surpasser la France en matière de défense.898 En effet, dans le Livre blanc de la
défense de 2016899, aucune référence n'est faite au couple franco-allemand, la France étant mise
au même niveau que la Pologne à propos du triangle de Weimar. De même, l'augmentation des
dépenses militaires prévues par Berlin qui passeraient de 34 milliards d'euros à 40 milliards
d'ici cinq ans et le vœux de porter à terme ce budget à 60 milliards pour atteindre les 2 % requis
par l'OTAN permettraient de distancer la France dont le budget de défense s'élève à 32 milliards
en 2016.900 Même si des efforts sont faits du côté français en la matière sous la présidence
Macron901, cela restera insuffisant pour rattraper l'Allemagne : il faudrait en effet que la France
consacre 4 % de son PIB pour la concurrencer.902 Par conséquent, Berlin rattraperait son retard
dans le secteur militaire, seul domaine qui l’empêche d’être une puissance complète et dans
lequel Paris surpassait Berlin.
De plus, cette politique s'inscrit dans l'Ostpolitik. L'Allemagne concentre sa défense et son
attention sur l'Europe de l'Est au point que certains observateurs se demandent si le couple
franco-allemand ne cède pas la place à un couple germano-polonais.903 Il est vrai que le triangle
de Weimar tentait déjà, lors de sa création en 1991904, de mettre sur un pied d'égalité la Pologne
et la France avec une Allemagne centrale. Mais ce sont surtout les intérêts géopolitiques
communs entre Berlin et les pays d'Europe orientale et de l'Est qui montrent l'importance de
l'Ostpolitik dans la politique étrangère : le désintérêt commun pour les problèmes liés à
l'Afrique 905 et dans une moindre mesure pour le Moyen-Orient et à contrario l'importance
accordée à la Russie. De même, l'application par l'Allemagne du concept de « nation-cadre »
vise naturellement les pays de cette région906 et induit la création d'une force militaire pilotée
par Berlin dans la région.

898 Corn, Tony, ‘Vers un nouveau concert atlantique’, Le Débat, 2017, p.99.
899 Merkel, Angela, and Ursula Von der Leyen, ‘White Paper on German Security Policy and the Future of
the Bundeswehr’, The German Marshall Fund of the United States, 2016 .
900 Corn, Tony, ‘Vers un nouveau concert atlantique’, Le Débat, 2017, Op. Cit., p.99.
901 AFP ‘La France veut consacrer près de 300 milliards d’euros à sa défense en sept ans’, Le Point, 2018
<http://www.lepoint.fr/societe/augmentation-reguliere-du-budget-de-la-defense-entre-2019-et-2025--07-02-
2018-2193226_23.php> [accessed 7 July 2018].
902 Corn, Tony, ‘Vers un nouveau concert atlantique’, Le Débat, 2017, Op. Cit., p.99.
903 Corn, Tony, ‘Pax germanica’, Le Débat, 2014, p.109.
904 Ce forum informel est une initiative du ministre des Affaires étrangères allemand Hans-Dietrich
Genscher.
905 Le retrait de l'Allemagne sur le dossier syrien en est symptomatique.
906 Voir à ce propos les cartes faites par le Center for Security Studies de l'ETHZurich qui montre clairement
que la zone d'application par Berlin toucherait toute les pays à l'est de l'Allemagne. Glatz, Rainer, and Martin
Zapfe, ‘NATO’s Framework Nation Concept’, Center for Security Studies ETH Zurich, 2017, p.3.

Page 273
A travers l'OTAN et une influence à la fois prudente et efficace, l'Allemagne fortifie sa
puissance en Europe et tout particulièrement en Europe de l'Est. L'affaiblissement des États-
Unis et leur choix de se concentrer sur l'Asie, laissent à Berlin de la marge pour développer son
potentiel. Pour autant, cette volonté de jouer un rôle accru dans l'OTAN et dans l'Europe est
problématique face à une Russie revendicative. L'Allemagne doit dès lors effectuer un arbitrage
entre son partenariat essentiel avec Moscou tout en assurant sa crédibilité auprès de ses alliés.
(B)

B Le conflit ukrainien : un difficile arbitrage entre les membres européens de l'OTAN et la


Russie

Le retour en puissance de la Russie à partir de 2012, et surtout la crise ukrainienne débutant en


2014 créent un dilemme pour Berlin qui doit gérer des intérêts opposés entre ses alliés
européens et son partenaire russe. L'Allemagne a politiquement fait en sorte que la Russie ne
se sente pas isolée afin d'éviter une réaction néfaste pour la stabilité de l'Europe. L'action en
Crimée a été perçue par Berlin comme une trahison de la part de Moscou et débouche sur une
perte de confiance des dirigeants allemands envers la politique russe. Cette situation aboutit à
une stratégie visant à rassurer les alliés européens et occidentaux (1). Néanmoins, le lien avec
la Russie perdure (2)

1 Une politique visant à rassurer les alliés occidentaux

La situation en Ukraine post-Maidan et l'annexion de la Crimée créent un sentiment d'insécurité


chez un certain nombre d’États d'Europe orientale comme la Pologne et les États baltes. Ces
États étant stratégiques pour l'Ostpolitik de l'Allemagne, il est nécessaire de donner des gages
afin de les rassurer. Cette politique est d'autant plus importante que les pays de la nouvelle
Europe ont un lien fort avec les États-Unis et qu'en cas d'inaction de l'Allemagne, ils se

Page 274
tourneront vers Washington907même si un rapprochement avec l'Europe s'est effectué dans le
passé.908
Par conséquent, Berlin joue un rôle important dans la mise en place et le soutien des sanctions
économiques européennes prises à l'encontre de la Russie.909 La position de l'Allemagne vise à
envoyer un double message. Le premier à la Russie en montrant que le partenariat avec elle
n'est pas absolu et doit être réciproque, le second à ses alliés en montrant que son soutien au
reste de l'Europe n'est pas sacrifié par le partenariat entre Berlin et Moscou. Cette politique est
d'ailleurs accueillie positivement en Pologne qui y voit un alignement bien que partiel de
l’Allemagne sur sa politique étrangère. Comme le souligne le professeur Dorota Richard :
« L’interview accordée par Jaroslaw Kaczynski au Frankfurter Allgemeine Zeitung le 6 février
2017 a confirmé cette tendance. Le chef du PiS y soulignait que, du point de vue
polonais, la victoire d’Angela Merkel aux élections de septembre serait la meilleure solution.
Par ailleurs, il jugeait positive la position de cette dernière sur le maintien des sanctions contre
la Russie et l’envoi de soldats allemands sur le flanc est de l’OTAN. »910 Le retour en force de
Berlin sur la scène européenne est d'ailleurs globalement accueilli positivement par Varsovie
qui, selon le président Andrzej Duda en 2017, estime qu'une Allemagne puissante
économiquement et militairement est dans l’intérêt de la Pologne.911
Militairement, l'Allemagne s'investit dans la sécurité de l'Europe orientale et de l'est avec
l'OTAN. Pour cela, elle utilise le concept de nation cadre pour soutenir les États baltes, comme
en Lituanie, avec le déploiement de 450 soldats dans le cadre du bataillon multinational de
l'OTAN. 912 Cette politique s'accompagne d'une coopération accrue avec le groupe de
Visegrad.913 Selon le professeur Elsa Tulmets : « Ces mesures contribuent principalement à
apporter des garanties aux PECO, surtout à la Pologne et aux États baltes, dans le cas de

907 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage , Op. Cit.
908 « Les gouvernements polonais et tchèque avaient pourtant été déçus par les États-Unis à la suite de
l’abandon du projet antimissile et s’étaient entre-temps fortement réorientés vers l’UE et le renforcement de la
Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), autrefois appelée PESD ».
Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, p.149.
909 Richard, Dorota, ‘Pologne/Allemagne : quelle coopération dans une Europe « à deux vitesses » ?’,
Politique étrangère, Printemps (2018), p.160.
910 Richard, Dorota, ‘Pologne/Allemagne : quelle coopération dans une Europe « à deux vitesses » ?’,
Politique étrangère, Printemps (2018), p.160.
911 Ibid p.159.
912 Ibid p.163.
913 Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, p.1156.

Page 275
l’improbable « scénario de Narva » qui envisage une invasion russe à la frontière estonienne.
Il en est beaucoup question dans les simulations militaires et les discussions entre experts. »914
Enfin, l'Allemagne joue un rôle important dans le triangle de Weimar avec la France et la
Pologne. Les crises en Ukraine en 2004 et 2014 se sont avérées positives pour la survie de ce
forum915 et ont permis la cohésion des trois pays sur le problème ukrainien et sur la défense de
l'Europe. La déclaration conjointe des trois ministres des affaires étrangères le 31 mars 2014 en
est la preuve.916 En particulier, la France, qui se préoccupait peu de l’Europe orientale avant la
crise de 2014, s'aligne sur les positions germano-polonaises en impulsant la PEV (politique
européenne de voisinage) 917 . Si le forum reste trilatéral, il semble évident que de par sa
puissance politique et économique au sein de l'Europe, l'Allemagne est la clé de voûte du trio.
De ce fait, le triangle de Weimar est, pour elle, un outil pour sa diplomatie européenne qui lui
permet de soutenir ses alliés.

La crise ukrainienne donne donc l'opportunité à l'Allemagne de jouer son rôle de puissance
phare en Europe. La nécessité de jouer un rôle plus fort dans la défense du continent européen
lui permet de renforcer son influence en Europe. La priorité de son action est de rassurer les
États de l'Europe de l'est inquiets de la politique russe. Si le poids politique de Washington reste
fort dans cette région, l'Allemagne se montre de plus en plus présente. Néanmoins cet activisme
ne met pas fin au partenariat qu'entretient Berlin avec Moscou (2)

2 Le maintien du lien avec la Russie pour maintenir la stabilité en Europe

La Russie, malgré les tensions en Ukraine à l'origine d’une perte de confiance et de sanctions
commerciales, reste le partenaire de l'Allemagne. Les échanges économiques entre les deux

914 Ibid.
915 Doliger, Philippe, ‘Le Triangle de Weimar à l’épreuve de la crise ukrainienne’, Allemagne d’aujourd’hui,
2014, p.12.
916 « En vue de la réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’OTAN du 2 et 3 avril
2014, il était nécessaire d’afficher une position commune sur la question ukrainienne. Ainsi l’utilisation récurrente
de la première personne du pluriel met en relief l’unité au sein du Triangle. Les recommandations inscrites ont
valeur d’action et ne témoignent pas d’une passivité, telle que présente dans les anciennes déclarations de Weimar
(par exemple dans le cas de la crise syrienne). »
Doliger, Philippe, ‘Le Triangle de Weimar à l’épreuve de la crise ukrainienne’, Allemagne d’aujourd’hui,
2014, p.13.
917 Ibid p.12-13.

Page 276
États, bien que touchés, persistent. Berlin a fait en sorte que les sanctions européennes
n'affectent que marginalement ses entreprises qui ont justement réussies à faire entendre leur
voix auprès du gouvernement allemand.918 Du fait de la primauté de la « puissance civile » dans
la doctrine allemande, les entreprises restent un point de contact essentiel avec la Russie : leur
poids dans la politique allemande et leur intérêt à commercer avec le maximum d’États sans
entrave ont permis de minimiser la tension entre les deux pays.
Du côté politique, l'Allemagne a également cherché une sortie de crise avec la Russie en
l’Ukraine avec les accords Minsk 2 de 2014 réunissant les deux États ainsi que la France et
l'Ukraine. D'après le professeur Hall Gardner : « L’accent mis sur les discussions de Minsk
portait sur le conflit en Ukraine orientale. Seules les questions du cessez-le-feu, de la
décentralisation ukrainienne et des négociations directes entre Kiev et les « autonomes » du
Donbass ont été jugées primordiales pour aboutir au succès. »919 La possibilité d’adhésion de
l'Ukraine à l'OTAN et la rétrocession de la Crimée à Kiev ne sont pas abordées.920 Par cet
accord, l'Allemagne montre qu'elle cherche à régler les tensions en évitant d'évoquer les
problèmes qui susciteraient la colère de Moscou et un blocage certain. Le refus d'une solution
trop dure à l’encontre de cette dernière reste une ligne directrice pour l'Allemagne souhaitant
éviter une dégradation de la situation en Ukraine qui déboucherait sur une montée de l'instabilité
en Europe.

Berlin, par sa politique, vise un équilibre entre les intérêts divergents de ses alliés et partenaires.
Sa force politique est désormais sollicitée par les deux camps qui souhaitent qu'elle joue un rôle
majeur dans la résolution de crise. Sa gestion des affaires étrangères est, par conséquent,
symptomatique de sa position dans l'Europe : une puissance située entre deux blocs. Si
contrairement à la guerre froide, le pays ne constitue plus la frontière géographique entre
l'Occident et la zone d'influence russe, elle est désormais le médiateur entre les deux. Cette

918 « Les sanctions sur les biens à double-usage touchent toutes les branches confondues mais l’exportation
est seulement interdite si elle est à destination de l’industrie de l’armement ou d’une des rares entreprises
sanctionnées par l’UE. Le secteur pétrolier reste largement épargné puisque seulement certaines activités précises
sont sanctionnées. De plus, d’après le rapport de la Chambre de commerce germano-russe le potentiel de
croissance attendu par les entreprises allemandes provient avant tout des branches non-touchées par les
sanctions40. Autrement dit, aucun des secteurs où les entreprises allemandes sont particulièrement investies en
Russie n’est sanctionné. »
Bürbaumer, Benjamin, ‘La puissance des entreprises allemandes, la faiblesse des sanctions économiques
contre la Russie’, Allemagne d’aujourd’hui, Op. Cit., p.13-14.
919 Gardner, Hall, ‘Point de vue. Ukraine : un nouveau plan’, Politique américaine, 2017, p.177.
920 Ibid.

Page 277
position fait de l'Allemagne un État indispensable dans les relations entre les membres de
l'OTAN et la Russie. Son attitude mesurée entre les deux blocs combinée avec sa puissance
font d'elle, la clé de voûte de la stabilité de l'Europe. Pour autant, malgré la prédominance de
l'Allemagne sur l’échiquier européen, la politique d'autres pays influe sur les relations de la
Russie avec les membres de l'UE. (Section 2).

Page 278
Section 2 « Vieille Europe » contre « nouvelle Europe » : une opposition
entre États européens en matière de relations avec la Russie

Henry Kissinger considère que l'équilibre des puissances en Europe était traditionnellement le
fruit d'une certaine égalité entre ses membres les plus importants et que l'OTAN transforma cet
équilibre en un système unilatéral dirigé par les Etats-Unis 921 . Néanmoins, l'émergence de
l'Union européenne et le désengagement partiel de Washington depuis la fin de la guerre froide
ramènent cet équilibre en Europe. Si l'Allemagne reste la pièce maîtresse de cet ordre européen,
un certain nombre de ses voisins font office de puissances locales voire régionales au sein du
continent : la puissance de Berlin, en effet, n’éclipse pas les positions de celles-ci. L'Union
européenne a dans son sein, d'anciennes grandes puissances qui gardent des réflexes historiques
et qu’il convient de prendre en compte. Des Etats comme la France, l'Italie et la Pologne
souhaitent défendre leurs intérêts propres à travers l'Union européenne. Cette situation
complexe influe sur les relations avec la Russie qui se trouve face à un certain nombre de pays
sources de coopérations ou de tensions.
En ce sens le triangle de Weimar est une bonne illustration de l’existence de plusieurs pôles de
puissances au sein de l'Europe. Ce « triumvirat », qui prend d'autant plus d'importance avec la
prise de distance du Royaume-Uni vis-à-vis du continent, montre des centres de gravités autour
de l’Allemagne : un à l'ouest avec Paris et un à l'est avec Varsovie. La distinction entre la
« nouvelle Europe » et la « vieille Europe » faite par des officiels américains lors de l'opération
en Irak reste d'actualité en tant que grille de lecture pour les relations entre les États de l'Union
européenne et la Russie. Il existe dans ce domaine une véritable opposition entre l'Europe de
l'Ouest constituant la « vieille Europe » et l'Europe orientale formant la « nouvelle Europe ».
La première se montre, en effet, plus ouverte à la coopération avec Moscou (§1) alors que la
seconde cherche à diminuer l'influence russe (§2)

921 « The traditional European balance of power had been based on the equality of its members; each partner
contributed an aspect of its power in quest of a common and basically limited goal, which was equilibrium. But
the Atlantic Alliance, while it combined the military forces of the allies in a common structure, was sustained
largely by unilateral American military power »
Kissinger, Henry, World Order Op. Cit. p.89.

Page 279
§1 La vieille Europe : une posture favorable à la coopération avec la Russie

En plus de l'Allemagne, deux puissances se démarquent dans la vieille Europe : la France et


l'Italie. Ces deux pays membres du noyau d’États fondateurs de l'UE conservent une puissance
certaine en Europe. Elles sont les héritières d'une histoire ayant contribué activement à la
géopolitique du continent. De ce fait, les relations qu'elles entretiennent avec Moscou affectent
l'équilibre politique du continent. Selon leur place dans les relations internationales, le lien avec
la Russie est renforcé (A). Mais, le lien transatlantique reste une part importante de la politique
des deux pays (B)

A Une coopération dictée par le rôle particulier de l'Italie et la France en Europe

Les deux pays sont dans le voisinage de l'Allemagne et sont au XXIème moins puissants que
cette dernière. La France en tant que puissance majeure en Europe de l'Ouest et l'Italie, pays
européen dominant une partie de la Méditerranée, ont donc développé des politiques étrangères
liées à ce contexte géopolitique. À l'instar de l'Allemagne, l'Italie voit sa politique étrangère
tributaire de ses intérêts économiques, la poussant à se tourner vers les BRICS et plus
particulièrement la Russie. (1) De son côté la France a développé une stratégie particulière
d'inspiration gaulliste depuis la guerre froide, aboutissant à une posture réaliste vis-à-vis de
Moscou (2)

1 L'intérêt économique de l'Italie envers la Russie : une nécessité pour trouver sa place sur le
continent

L'Italie n'est devenue un État indépendant qu'en 1861 et ce avec l'union d'un certain nombre de
royaumes. Cette situation a engendré un retard politique vis-à-vis des autres États européens
alors au sommet de leur puissance soit grâce à la fortification de leur force sur le continent
européen comme la future Allemagne, soit à l'aide d'empires coloniaux. 922 L'Italie ayant ainsi
mis du temps à définir sa politique étrangère et ses intérêts nationaux, était instable en terme

922 Liberti, Fabio, ‘Les fondements de la politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique,
2006, p.121.

Page 280
d'Alliance jusqu'à son adhésion à l'OTAN.923 Toutefois, de par son histoire et sa géographie,
elle reste liée à la mer méditerranée : son potentiel économique important n'est d'ailleurs pas
nouveau. La mare nostrum de la Rome antique et l'importance des cités marchandes comme
Gène et Venise à la fin du Moyen-Age le prouvent. Ayant renoncé à des prétentions
internationales trop importantes après la défaite du fascisme, Rome adopte désormais une
politique plus modeste. L'Italie occupe une position médiane en terme de puissance sur le
continent européen. Selon Fabio Liberti : « les capacités du pays l’ont toujours amené à être le
dernier des grands Etats européens ou le premier des petits. »924 En outre, la politique interne
marquée par une certaine instabilité ne permet pas encore l’émergence d'une politique étrangère
à long terme et ambitieuse.925 Cette situation de « faiblesse relative » pousse Rome à adopter
une politique étrangère volontaire destinée à éviter une mise à l'écart par les autres puissances.
À cette dynamique s'ajoute le fait que l'Italie cherche à développer sa force économique afin
d'éviter d’être trop dépassée par la triade Royaume-Uni, Allemagne, France. L'Italie est en quête
d'autres partenaires comme la Russie.

Les relations entre Moscou et Rome existaient déjà pendant la guerre froide du fait de
l'importance du parti communiste dans la politique italienne926. Celui-ci fut un vecteur dans la
coopération économique entre les deux pays : Palmiro Togliatti, le chef des communistes
italiens eut un rôle majeur dans les négociations entre les deux pays qui aboutirent en 1966 à
l'installation d'une usine du constructeur automobile italien FIAT à Stavropol, rebaptisée
Togliatti, en Russie pour aider le développement du constructeur russe AvtoVAZ. 927 En outre,
ce lien économique est, dès la guerre froide, marqué par un intérêt énergétique qui deviendra
par la suite prédominant. La compagnie pétrolière italienne Eni utilise alors l'Union soviétique
comme source alternative de pétrole.928La fin de la guerre froide et le développement de la

923 Ibid .
924 Liberti, Fabio, ‘Les fondements de la politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique,
2006, p.123.
925 Ibid p.122.
926 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.266
927 Ibid.
928 « The Italian state energy company Eni also turned to the Soviet Union as an alternate source for oil,
signing its first contrast with the USSR in 1958, much to the irritation of the United States—because Eni’s action
broke the de facto embargo on Western countries purchasing Soviet oil and thus providing the USSR either with
hard currency or with advanced technologies in exchange. »
Ibid.

Page 281
mondialisation ont offert des opportunités économiques à Rome en matière commerciale929.
L'ouverture de la Russie a permis de créer un véritable partenariat économique entre Rome et
Moscou car les deux économies s'avèrent complémentaires. L'Italie a besoin d'hydrocarbures
et 90 % des importations venant de la Russie consistent en du gaz naturel.930 Moscou de son
côté, bénéficie du haut degré de spécialisation de l’industrie manufacturière italienne lui
permettant de satisfaire la demande interne russe mais aussi d'effectuer un transfert de
technologie.931
Au XXIème siècle, la relation entre l'Italie et la Russie apparaît comme le pendant sud-européen
et méditerranéen du partenariat germano-russe. Si la notion d'équilibre européen n’est pas
présente dans la relation entre Rome et Moscou, il n'en reste pas moins que l'aspect économique
est dominant dans le lien entre les deux pays. À l'instar du projet Nord Stream dans la Baltique
pour l'Allemagne, l'Italie participe à travers ENI au projet South Stream piloté par Gazprom
visant à relier par la mer Noire la Russie aux pays du sud de l'Europe dont l'Italie. Comme son
équivalent du nord, South Stream est en extension932 et offre à la société étatique russe Gazprom
un avantage stratégique en Europe. Ce projet est important pour l'Italie, comme le prouve le fait
qu'elle utilise son influence sur les pays des Balkans pour assurer la réalisation de South
Stream 933 . En retour la Russie permet aux entreprises comme ENI et Enel d'investir en
Russie. 934 L'Italie cherche en effet à multiplier ses investissements vers les BRICS afin de
rattraper le retard qu'elle a vis-à-vis de ses voisins et principalement l'Allemagne. La Russie est,
à cet effet, le pays des BRICS qui voit augmenter le plus les investissements directs italiens :
entre 2005 et 2009, ceux-ci doublent en passant de 56 milliards à 100 milliards. 935
De plus, de la même manière qu'une amitié avait émergé entre le chancelier allemand Schröder
et Vladimir Poutine, une relation étroite et amicale se forme entre le président russe et le premier
ministre italien Silvio Berlusconi. Il s'avère, en effet, que lors de leur rencontre, le protocole

929 Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign Policy in the Twenty-first
Century: A Contested Nature? (Routledge, 2017) p.18.
930 Meletti, Giorgio, ‘Moscou-Rome-Ankara’, Outre-Terre, 2011, p.94.
931 Meletti, Giorgio, ‘Moscou-Rome-Ankara’, Outre-Terre, 2011, p.94.
932 « Le 15 mai 2009, Gazprom et l’Ente nazionale idrocarburi (Eni) signent à Sotchi un avenant au
protocole qui les liait depuis 2007 concernant le gazoduc South Stream en présence de Poutine et de Berlusconi ;
la capacité annuelle du tube est réévaluée à la hausse par les deux hommes d’État : de 31 à 63 milliards de m3 ;
le projet sera réalisé d’ici 2015 (initialement 2013). »
933 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.268.
934 Ibid.
935 Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign Policy in the Twenty-first
Century: A Contested Nature? Op. Cit., p.73.

Page 282
officiel n'est pas respecté936 et qu’ils se reçoivent dans leurs résidences personnelles937938. Cette
situation s'explique par le fait que Berlusconi est avant tout un des principaux hommes d'affaires
d'Italie et il en résulte une approche plus mercantile des relations internationales, en accord avec
la logique économique de la Russie : sa politique est ainsi plus orientée sur les résultats.939 De
plus, le positionnement conservateur du milliardaire italien ne s'oppose pas fondamentalement
à la vision de Poutine. Le fait que Silvio Berlusconi ait au pouvoir une large majorité durant la
première décennie du XXIème, de 2001 à 2006 puis de 2008 à 2011, a favorisé la relation
continue entre l'Italie et la Russie. Toutefois et contrairement à la scène politique allemande,
l'opposition italienne ne se montre pas distante vis-à-vis de la Russie, le premier ministre social-
démocrate Prodi entre 2006 et 2008 prône un rapprochement entre l'Europe et la Russie pour
assurer la stabilité du continent.940 Ce consensus ne change pas avec la crise ukrainienne, l'Italie
se montrant réticente aux sanctions.941
Rome est, par conséquent, le partenaire le plus favorable à la Russie dans l'Europe.
Contrairement à l'Allemagne dont une partie du territoire a connu l'occupation soviétique et qui
doit prendre en compte les prétentions des pays de l'Europe orientale, l'Italie est moins sollicitée
par les autres membres de l'OTAN. Cette situation lui laisse une marge de manœuvre plus
grande pour ses relations avec la Russie. Cette dernière peut par conséquent compter sur le
soutien d'un « axe » germano-italien au centre de l'Europe qui lui sert de relais politique et
économique dans l'Union européenne. Dans ces deux États de l'UE, la dimension économique
prédomine du fait de leur dépendance énergétique avec la Russie qui utilise celle-ci à son
avantage. Cette dépendance est toutefois consentie et encouragée par l'Allemagne et l'Italie qui
en retour exportent leur industrie et leur technologie vers la Russie. La posture française à
l’égard de la Russie, héritière du gaullisme, obéit à une logique différente. (2)

936 Meletti, Giorgio, ‘Moscou-Rome-Ankara’, Outre-Terre, 2011, p.95.


937 Ibid.
938 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.268.
939 Ibid.
940 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors , Op. Cit. p.267.
941 Galietti, Francesco, and Pierangela Desideri, ‘L’Italie et le Khanat 2.0 : histoire d’un flirt’, Outre-Terre,
2016, p.109.

Page 283
2 l’héritage gaulliste dans la politique étrangère française : une posture réaliste vis-à-vis de
la Russie
La France possède une relation complexe et spéciale avec l'OTAN. Bien qu'étant un des
membres fondateurs, elle se retire du commandement intégré en 1966 jusqu'en 2008, tout en
restant dans l'Alliance. Cette posture s'explique par des facteurs liés à l'identité politique du
pays tels que la méfiance envers les anglo-saxons et tout particulièrement les États-Unis et la
défense de la souveraineté qui est d'autant plus rendue possible par la détention de l'arme
nucléaire depuis 1960.942 Si les prémices de cette culture nationale existaient avant l'arrivée au
pouvoir du général de Gaulle en 1958, c'est ce dernier qui cristallise cette pensée et la
transforme en véritable doctrine. Le fait que la large majorité de la classe politique française,
aussi bien de droite que de gauche, fasse référence aux politiques du général montre la
persistance de ses idées. 943 Ces dernières reposent sur une approche réaliste des relations
internationales : De Gaulle croyait que les relations internationales devaient être bâties de
concert par des grandes puissances et que la paix en Europe devait être accomplie par les grands
États du continent.944 Cette idée le conduit à adopter une logique de non-alignement visant à
assurer de bonnes relations avec les Etats-Unis et l'URSS. De même il ne rejetait pas le concept
de zone d'influence et en reconnaissait une à la Russie comme un contrepoids à l’Allemagne.
Enfin, il considérait que les dirigeants soviétiques comme Staline étaient plus des héritiers des
tsars que des leaders marxistes et par conséquent faisait primer l'aspect géopolitique à
l'idéologie. 945 Ces paradigmes réalistes ont façonné la relation avec la Russie et persistent
jusqu'au XXIème siècle.

Le souhait de former une Europe qui ne dépendrait que des grandes nations européennes se
concrétise dans la distance que les dirigeants prennent avec les Etats-Unis après la fin de la
guerre froide. La fin de la menace soviétique détermine une Europe plus proche de la Russie.
Elle permet même d'espérer ramener la Russie dans le concert des nations européennes. Le
président de la République Jacques Chirac fut l'un des acteurs majeurs de cette coopération.
Déjà le 31 août 1995, il prônait que la Russie devienne l'un des deux piliers de l'OSCE avec

942 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage Op. Cit.
943 Roziers, Étienne Burin des, ‘Le non-alignement’, in La Politique étrangère du général de Gaulle (Presses
Universitaires de France, 1985), p.63.
944 Ibid p.68.
945 Ibid.

Page 284
l'UE.946 Cette coopération connut une continuité avec la guerre en Irak et le sommet de Saint-
Pétersbourg en 2003 entre la France, l'Allemagne et la Russie. L'alliance de circonstance liée
au refus de l'opération américaine permirent de mettre en évidence une dynamique de fond, qui
bien que facilitée par la complicité relationnelle entre Chirac, Schröder et Poutine, montra une
volonté de prendre des distances vis-à-vis des États-Unis et de recréer un équilibre des
puissances internes à l'Europe. Ce lien est institutionnalisé à partir de 2002, avec le Conseil de
coopération sur les questions de sécurité destiné aux échanges entre les ministres de la défense
et des affaires étrangères de la France et de la Russie.947 Celui-ci connaît un certain succès car
entre 2002 et 2012, 11 réunions ont été organisées.948
À cette logique d'ancrer la Russie dans l'Europe, s'ajoute le souhait d'éviter une trop grande
ingérence dans son étranger proche, source de tension avec la Russie et donc d'instabilité en
Europe. Par cela, il s'agit de lui reconnaître une zone d'influence comme le considérait De
Gaulle. Par conséquent, les dirigeants français se sont montrés très réticents à l’adhésion des
Etats de l'ex-URSS dans l'OTAN. Le refus français d'octroyer le plan d'action à l'Ukraine et à
la Géorgie pour leur adhésion à l'OTAN lors du sommet de Bucarest en 2008 en est l'exemple.949
De même, la retenue française concernant « les printemps de couleurs » motivée par la méfiance
de la promotion de la démocratie américaine fut appréciée par Moscou. Cette position a offert
des facilités à la France, alors à la présidence de l’UE, pour sa médiation de la crise de Géorgie.
Cette politique suit la logique réaliste de De Gaulle consistant à faire primer l'ordre à travers
les puissances. Comme le fit remarquer en 2008 le premier ministre François Fillon : « Nous
sommes opposés à l'entrée de la Géorgie et de l'Ukraine parce que nous pensons que ce n'est
pas la bonne réponse à l'équilibre des rapports de puissance en Europe et entre l'Europe et la

946 « Vers l'Est, c'est une relation de véritable partenariat que l'Union doit construire avec ce très grand
pays qu'est la Russie. L'établissement de liens solides entre celle-ci et ses partenaires de la Communauté des Etats
indépendants doit être encouragé dès lors que ce rapprochement s'effectuerait dans le respect des souverainetés
et des intérêts de chacun. Ce vaste ensemble formerait, aux côtés de l'Union européenne, le second pilier d'une
architecture continentale fondée, son sur l'antagonisme des blocs, mais sur la coopération de deux grands
ensembles, partenaires dans une OSCE qui pourrait progressivement devenir l'Organisation de l'Europe
Continentale, gage de paix et de sécurité pour tous ses peuples. »
CHIRAC Jacques, ‘Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, sur la politique étrangère
et notamment sur la défense de l’Europe, la force de dissuasion française, sur les relations de l’Europe avec
l’Afrique et la Méditerranée et sur le refus du partage de la Bosnie, Paris le 31 août 1995.’ <http://discours.vie-
publique.fr/notices/957009200.html> [accessed 14 July 2018].
947 FACON, Isabelle, ‘La relation France-Russie à l’épreuve’, 2015, p.118.
948 Ibid.
949 Ibid p.121.

Page 285
Russie » 950 . C'est par conséquent bien l'équilibre des puissances qui motive la politique
française envers la CEI.
Enfin, il existe la même volonté de passer outre l'idéologie et la nature du régime du président
Poutine que celle de Charles De Gaulle avec le communisme de la Russie. Ce choix de mettre
de côté les différences de valeurs est d'autant plus facile que le régime autoritaire de Poutine
n'est pas comparable au régime soviétique. Les nombreux intérêts communs entre les deux pays,
puissances européennes, permettent de surmonter une barrière idéologique finalement plutôt
faible avec la droite française qui a dirigé le pays la première décennie du XXIème siècle, à
l'instar des relations avec un grand nombre de partis conservateurs occidentaux

Pour autant, le partenariat avec la Russie a longtemps fait consensus dans la classe politique y
compris la gauche socialiste. Ce partenariat est ainsi soutenu par le ministre des affaires
étrangères socialiste Hubert Védrine pendant la cohabitation de 1997 à 2002 et il conserve cette
position après la fin de ses fonctions, et après les différentes tensions avec la Russie. Il considère
qu'il est nécessaire que la France retrouve une autonomie dans ses relations avec la Russie.951
L'ancien ministre des affaires étrangères Jean-Pierre Chevènement partage la même opinion.952
La position des personnages politiques s’est toutefois polarisée depuis 2012, du fait du retour
en force de la Russie, sur des dossiers dans lesquels la France s'était investie comme la Syrie et
l'Ukraine. Cette situation contribue à une prise de distance avec la Russie, des partis
« centristes » comme le parti socialiste, l'aile centriste de l'UMP/LR et En Marche, tandis, que
le Front national, les Insoumis et l'aile droite des LR souhaitent continuer et renforcer le lien
avec Moscou. De même la montée du Front National et les soupçons de liens russes avec ce
parti, ont contribué à renforcer cette division. Il n'en reste pas moins que la position de la France
reste singulière par rapport à ses voisins du fait de l'emprunt du gaullisme dans sa politique
étrangère et son souhait de rester une puissance de premier rang. Toutefois, que ce soit pour la
France ou l'Italie, la persistance du lien transatlantique ne doit pas être négligée. (B)

950 ‘Ukraine-Géorgie/OTAN: Fillon contre’, FIGARO, 2008 <http://www.lefigaro.fr/flash-


actu/2008/04/01/01011-20080401FILWWW00408-ukraine-georgieotan-fillon-contre.php> [accessed 14 July
2018].
951 « Il faut sortir d’une position statique et redéfinir notre propre politique russe (à cause de l’Europe, de
la Syrie, etc.). Il serait préférable que ce mouvement soit admis par les Américains, et conduit avec l’Allemagne.
Sinon la France devrait ouvrir la voie, avec d’autres Européens de préférence, ou, à défaut, seule. »
Vedrine Hubert dans Montbrial, Thierry de, and Thomas Gomart, Notre intérêt national: Quelle politique
étrangère pour la France (Paris: Odile Jacob, 2017) p.85.
952 Chevènement, Jean-Pierre dans Montbrial, Thierry de, and Thomas Gomart, Notre intérêt national:
Quelle politique étrangère pour la France (Paris: Odile Jacob, 2017) p.85 p,63.

Page 286
B Un lien transatlantique restant présent

L'Italie et la France appartiennent toutes deux à l'OTAN qui au-delà de sa dimension militaire
possède une dimension politique fondée sur le lien transatlantique. Les deux pays possèdent
dès lors un fort lien avec les États-Unis qui influe sur leur politique étrangère de manière
différente. Pour l'Italie c'est une relation privilégiée qui s'est installée depuis la fin de la seconde
guerre mondiale (1). Pour la France, le lien est plus profond et repose sur des valeurs communes
(2)

1 Une relation privilégiée de l'Italie envers les États-Unis

Grâce au plan Marshall, l'Italie a pu se développer de nouveau économiquement et devenir une


des principales puissances économiques mondiales.953 En outre, la prédominance des chrétiens-
démocrates soutenus par les États-Unis a permis la stabilité du système politique italien qui est
constitutionnellement marqué par un gouvernement faible. 954 De ce fait, les chrétiens-
démocrates ont utilisé leur relation avec Washington et l'OTAN pour se maintenir au pouvoir
face à une gauche plus proche de l'URSS. 955 Ce contexte a eu pour conséquence à la fois
d'amener l'Italie à se mettre sous dépendance militaire et politique de manière volontaire mais
aussi aux Américains de ne porter que peu d’intérêt à l'Italie jugée trop instable. 956 Le lien
militaire avec les Etats-Unis s'explique par l'absence de culture stratégique de la part de l'Italie
moderne. L'implantation de nombreuses forces et structures de l'OTAN et des Etats-Unis sur

953 Liberti, Fabio, ‘Les fondements de la politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique,
Op. Cit., p.125.
954 « suite à l’expérience d’un pouvoir exécutif fort durant le fascisme, la Constitution a établi un régime
dans lequel le gouvernement était faible, engendrant à la fois de la stabilité et de l’instabilité. En effet, le fait que
les mêmes hommes politiques gouvernent l’Italie durant cinquante ans de gouvernement démocrate-chrétien fut
un facteur de stabilité. Par contre l’instabilité était due à la faiblesse du gouvernement. En effet, le pouvoir réel
se trouvait au sein des partis, ce qui entraînait une instabilité gouvernementale. »
Ibid 125-126.
955 Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign Policy in the Twenty-first
Century: A Contested Nature? Op. Cit. p.50.
956 Liberti, Fabio, ‘Les fondements de la politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique,
Op. Cit., p.126.

Page 287
son sol lui a permis de compenser cette faiblesse. 957 Cette politique explique également le
volontarisme militaire des Italiens auprès des opérations américaines telles que le conflit irakien
en 2003.

La fin de l'URSS combinée avec la chute des chrétiens démocrates en 1992 suite à des affaires
de corruption ne mirent pas fin à cette tendance qui perdurera grâce aux gouvernements de
Silvio Berlusconi. Dans les années 1990, ils prirent la place des chrétiens-démocrates sur la
scène politique. Dès ses premiers mandats, Silvio Berlusconi privilégie le lien avec les États-
Unis au détriment de l'UE vis à vis de laquelle il éprouve un certain scepticisme.958 Le premier
ministre italien développe une bonne relation avec le président Bush en matière de lutte contre
le terrorisme et tend à subordonner sa politique étrangère à celle des Etats-Unis.959 Néanmoins,
cette proximité avec les États-Unis n’empêche pas Berlusconi d'avoir des relations encore plus
cordiales avec la Russie : là encore Washington représente un intérêt plus important pour Rome
que l'inverse. L'influence américaine en Italie reste modérée comparée à celle qu'elle déploie
dans d'autres États Européens et montre que la politique italienne occupe stratégiquement une
importance limitée dans les prétentions américaines.
La politique étrangère italienne reposant sur un lien fort avec les États-Unis et un partenariat
renforcé avec la Russie cherche, en fait, à contourner un duopole européen formé par le couple
franco-allemand. Le choix de s'aligner sur la position américaine pendant le conflit irakien en
2003 en est un exemple. 960 Le ministre des affaires étrangères italien de l'époque, Franco
Frattini s'exprimait ainsi à l'université américaine de Rome le 8 novembre 2004 : « In this world
we do not need less America. We need more Europe. But we need Europe as a loyal partner,
not as a rival of the US. We do not need a multipolar world of competing global powers, where
the US is counter-balanced by Europe. America and Europe need to work together to establish
an effective multilateralism, starting from the United Nations. »961 La crainte d'une Europe

957 « Elle en tira largement profit, grâce à l’installation durable de troupes américaines en Italie (Aviano,
Vicence, VIe flotte), ainsi que des états-majors de l’OTAN. Il est d’ailleurs remarquable de constater que les
réformes de la structure de commandement maintinrent en Italie de nombreux états-majors et centres de l’Alliance
(CFI de Naples, Collège de l’OTAN à Rome, centre d’études sous-marines de La Spezia). »
Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage
(Perpignan: Artège Editions, 2010).
958 Liberti, Fabio, ‘La nouvelle politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique, 2004, p.41.
959 Ibid.
960 Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign Policy in the Twenty-first
Century: A Contested Nature?, Op. Cit., p.56.
961 Frattini, Franco cité dans Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign
Policy in the Twenty-first Century: A Contested Nature?, Op. Cit., p.56.

Page 288
distantes des Etats-Unis et noyautée par la France et l'Allemagne est de ce fait une inquiétude
pour l'Italie. Cette dernière souhaite un monde multilatéral afin de trouver sa place et d'éviter
d’être désavantagée par son retard vis-à-vis des autres grandes puissances européennes.
Néanmoins si le lien de l’Italie avec les Etats-Unis obéit à une approche fondée sur le souhait
de retrouver sa place sur la scène internationale, celui de la France suit une logique reposant sur
des valeurs communes (2)

2 La « Patrie des droits de l'Homme » français et les Etats-Unis: un rapprochement réaliste


autour des valeurs communes
La France tend à se considérer comme « la patrie des droits de l'Homme » 962 . Elle fut la
première nation européenne à s'inspirer de l'idéal des philosophes des lumières avec la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen en 1789. Cette perception historique que le
pays s'attribue depuis la révolution a contribué à créer un exceptionnalisme français. Ce point
est un facteur de rapprochement avec les États-Unis qui ont adopté un système républicain
libéral issu des philosophes des lumières. La déclaration d'indépendance de 1786 et le « Bill of
Right » de 1789, ont contribué ainsi au développement de l'exceptionnalisme américain. Cette
relation particulière est d'autant plus forte que la France était intervenue lors de la guerre
d'indépendance pour aider les colons américains.
Au vu des liens plus ou moins abondants entre les deux pays au cours des deux derniers siècles,
ce socle de valeurs communes a perduré et il est revenu en force après la guerre froide. Les
deux États ont toujours eu la prétention de présenter un modèle universel et malgré une rivalité
pour savoir lequel serait celui qui propagerait ses idées au reste du monde, les valeurs
communes furent un facteur de rapprochement.963 Toutefois, la configuration internationale qui
s'est développée après la seconde guerre mondiale a confirmé la prédominance des États-Unis
sur la France. En reprenant la classification d'Hubert Védrine, les premiers deviennent à la fin
de la guerre froide une « hyperpuissance » tandis que la France est « puissance d’influence
mondiale ». 964 Face à cette situation, la France est tentée d'établir une nouvelle relation
privilégiée avec Washington. Cette option avait déjà été envisagée par le général de Gaulle à

962 Védrine, Hubert, ‘La juste place de la France dans le monde’, Études, Tome 408 (2008), p.15-16.
963 Gauchon, Pascal, Géopolitique de la France - Plaidoyer pour la puissance, 1st edn (Paris: PRESSES
UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF, 2012).
964 Védrine, Hubert, ‘La juste place de la France dans le monde’, Études, Op. Cit., p.16.

Page 289
travers un directoire au sein de l'OTAN formé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la
France.965 Mais le refus américain de cette proposition le poussa à prendre ses distances avec
l'organisation. La décision du président Sarkozy en 2008 de réintégrer la France dans le
commandement intégré de l'Alliance s'inscrit dans la volonté de raffermir le lien entre les États-
Unis et la France voire de ramener une relation privilégiée entre les deux États. C'est, en effet,
à partir de la présidence Sarkozy qu'un véritable tournant vis-à-vis des Etats-Unis s’accomplit.
Le président Sarkozy se montre plus attaché aux valeurs communes comme le montre son
discours d'investiture en 2007 : « Je veux être le Président d'une France qui dira à l'Amérique
: nous sommes amis et la France demeurera fidèle à cette amitié que l'histoire, la civilisation
et les valeurs de la liberté et de la démocratie ont tissé entre nos deux peuples. »966 De même,
le retour du concept de la patrie des droits de l'homme dans les discours du président explique
aussi que la France se tourne de plus en plus vers son ancien allié : Nicolas Sarkozy met en
avant une rhétorique greffée sur l'universalisme allant jusqu'à rejeter le réalisme en relations
internationales.967 Si dans la pratique celui-ci est bien présent, ces discours montrent le souhait
de mettre en avant les valeurs. Cette position est proche de la politique étrangère américaine
oscillant toujours entre idéalisme et réalisme. L'intervention en Libye a été l'un des résultats de
cette politique : la France suivie des États-Unis est intervenue guidée non pas par les intérêts
nationaux968 mais par idéalisme. C'est une dynamique similaire basée sur « la responsabilité de
protéger » qui guidera le président François Hollande et le ministre des affaires étrangères
Laurent Fabius en Syrie969 ; même si dans cette affaire, les américains se montrent plus prudents
avec le refus d'intervention d'Obama. Cette tendance s'amoindrit quelque peu avec l'arrivée au
pouvoir d'Emmanuel Macron. Si le lien avec les Etats-Unis reste très fort comme le montre le

965 Gauchon, Pascal, Géopolitique de la France - Plaidoyer pour la puissance, 1st edn.
966 Sarkozy, Nicolas, ‘Le discours d’investiture de Nicolas Sarkozy’, Le Monde.fr, 15 January 2007, section
Société <https://www.lemonde.fr/societe/article/2007/01/15/le-discours-d-investiture-de-nicolas-
sarkozy_855369_3224.html> [accessed 22 July 2018].
967 « Je ne crois pas à la " realpolitik " qui fait renoncer à ses valeurs sans gagner des contrats. Je n'accepte
pas ce qui se passe en Tchétchénie, au Darfour. Je n'accepte pas le sort que l'on fait aux dissidents dans de
nombreux pays. Je n'accepte pas la répression contre les journalistes que l'on veut bâillonner. Le silence est
complice. Je ne veux être le complice d'aucune dictature à travers le monde. »
Ibid.
968 La France avait invité l'année précédente le colonel Khadafi dans le but de se rapprocher économiquement
du pays.
Montbrial, Thierry de, and Thomas Gomart, Notre intérêt national: Quelle politique étrangère pour la
France Op. Cit. p.189.
969 « La question de l’intérêt – en quoi était-il important pour les intérêts français de frapper le régime
syrien – n’est pas mise en avant. L’argument moral a été privilégié (l’utilisation probable d’armes chimiques par
le régime de Damas est inacceptable), [ ]mais pas l’argument de l’intérêt. »
Ibid p.193.

Page 290
soutien du président français aux frappes décidées par le président Trump sur la Syrie en avril
2018, l'aspect idéaliste bien que présent est plus mesuré. Mais cette approche idéaliste couplée
au rapprochement avec les États-Unis est un point de tension majeur entre la France et la Russie.
Cette dernière voit dans la position française un équivalent du néoconservatisme américain, l'un
des facteurs majeurs de la prise de distance de la Russie vis-à-vis de l'Occident. Par conséquent,
les relations tendent à se refroidir entre les deux États et poussent Moscou à chercher d'autres
partenaires privilégiés en Europe comme l'Italie et l'Allemagne.

Les relations que la Russie entretient avec la France et l'Italie s'expliquent par la place politique
et géographique occupée par ces pays. Il apparaît que les différences entre les États clés de la
« vieille Europe » s'avèrent faibles sur la question russe : les trois ont des relations continues
avec Moscou afin d'assurer un équilibre des puissances en Europe et d’être des acteurs du
concert des nations sur le continent. Toutefois, on remarque un axe germano-italien qui s'est
formé en faveur de la Russie. Celui-ci repose sur la prédominance des questions économiques
et aboutit à une interconnexion profonde : pour ces Etats, il s'agit de sécuriser leur
approvisionnement en hydrocarbure et de disposer d’un marché russe conséquent pour leur
industrie, tandis que pour Moscou il s'agit de s'assurer des alliés économiques et politiques
fiables en occident. Le positionnement géographique de « l'axe germano-italien » en Europe
représente pour la Russie un intérêt géopolitique : l'Europe centrale a été historiquement le
centre de gravité du continent. En s'assurant des relations solides avec cette région, Moscou se
met en position de force dans toute l'Europe.
Si la relation franco-russe s'avère plus secondaire sur le continent européen avec la
consolidation de la position allemande, elle n'en reste pas moins majeure de par le rôle de Paris
dans les domaines politique et militaire. Sur ce dernier point sa place de membre permanent au
Conseil de sécurité de l'ONU et son poids dans la défense européenne en font un pilier de
l'équilibre des puissances en matière sécuritaire. Toutefois, il existe depuis le XXIème siècle
un déplacement progressif du centre de gravité européen vers l'Europe orientale et ce tout
particulièrement au sujet de la question russe. (§2)

Page 291
§ 2 La « nouvelle Europe » : une relation difficile avec la Russie

Les anciens États satellites européens ainsi que les ex-républiques baltes de l'Union soviétique
conservent avec la Russie une relation complexe marquée par la méfiance. Le souvenir de la
gouvernance soviétique les a poussés à se rallier à l'OTAN puis à l'UE à la fin des années 1990
et pendant la première décennie du XXIème siècle. Combiné avec un fort développement
économique 970 pour combler l'écart avec les pays d'Europe de l'Ouest, les États d'Europe
orientale provoquent un déplacement progressif du centre de gravité de l'UE vers l'est. Cette
nouvelle donne influe sur l'équilibre des puissances en Europe. Pour autant, malgré la méfiance
envers la Russie, il n'existe pas de véritable position commune sur la question russe (A). Dans
cet ensemble hétérogène, la Pologne cherche à redevenir une puissance régionale, impliquant
l'émergence d'un nouvel acteur. (B)

A L'absence de position commune en Europe orientale

La région de l'Europe orientale occupe une place particulière dans la géopolitique européenne
du fait de sa position charnière (1), mais les États membres du groupe de Visegrad ont des
intérêts divergents en matière de politique étrangère (2)

1 Une région charnière hésitant entre l’atlantisme et l'européanisme

Avant la guerre froide, l'Europe orientale intéressait les grandes puissances européennes et
extra-européennes comme l’Empire Ottoman. Cette région qui comprend les États membres de
l'UE à l'est de l'Allemagne et de l'Autriche actuelle, a constitué un carrefour géopolitique sur le
continent. Traditionnellement, cette région a été une « zone tampon » entre les empires
allemand et russe et fut le lieu des échanges commerciaux entre les deux. 971 Parallèlement, la
présence de l'empire austro-hongrois a permis à cette époque de stabiliser la région en

970 A titre d'exemple en 2017, les pays d'Europe orientale sont les pays avec la plus forte croissance
économique de l'UE : l'Estonie (4,9%), la Pologne (4,6%), la Lettonie (4,5%) et la République tchèque (4,3%), la
Hongrie (4%). Là où l'Europe de l'ouest ferme le classement : l'Allemagne et la France (2,2% chacun), la Belgique
et le Royaume-Uni (1,7%), l'Italie (1,5%).
‘La croissance en Europe’, Toute l’Europe.eu <https://www.touteleurope.eu/actualite/la-croissance-en-
europe.html> [accessed 24 July 2018].
971 Michel, Bernard, ‘Chapitre 27. Problématiques de l’Europe centrale’, in Pour l’histoire des relations
internationales (Presses Universitaires de France, 2012), p.611.

Page 292
empêchant la rivalité entre l'Allemagne et la Russie de dégénérer. 972 Pour autant, malgré la
présence de ces empires, cette région abritait des États qui ont acquis une réelle indépendance
après la chute de l'URSS et ce après avoir connu une Histoire mouvementée avec de nombreuses
invasions et occupations qui ont culminé avec les totalitarismes nazi et soviétiques au XXème
siècle.
Ce passé a forgé une perception du monde qui fait que cette région possède une dynamique se
démarquant dans l'UE. Ces pays sont marqués par une méfiance envers les grandes puissances
européennes : vis-à-vis de la Russie de par le souvenir récent de l'occupation soviétique mais
aussi, dans une moindre mesure, de l'Allemagne et la France à cause de leur attitude pendant la
première moitié du XXème siècle.973 Le véritable allié des États d'Europe orientale après la
chute de l'URSS est sans conteste les États-Unis qui les ont soutenu pendant la guerre froide et
qui sont sortis vainqueurs de l'affrontement avec l'Union soviétique. C'est dans le but de
renforcer ce lien avec Washington que les pays d'Europe orientale ont adhéré rapidement à
l'OTAN.974 Aussi bien les trois États baltes que les États du groupe de Visegrad (Pologne,
République tchèque, Hongrie et Slovaquie) ont été attirés par la sécurité et le lien politique que
procure l'Organisation.975 Ce lien avec l'Amérique est d'autant plus fort que la plupart de ces
États n'ont pas le potentiel pour être des puissances militaires capables de peser sur les
discussions de sécurité internationale. Les États d'Europe orientale suivent une logique
pragmatique consistant à se mettre sous la protection d'un allié puissant considéré comme
fiable. Cette politique est d'autant plus prioritaire pour les pays baltes du fait de leur proximité
géographique avec la Russie.976
Cela dit, ce lien n'est pas absolu et tend à faiblir en faveur de l'Europe et plus particulièrement
de l'Allemagne. En effet, le tournant asiatique à partir de la présidence d'Obama conduit
Washington à se désintéresser de l'Europe. La réticence du président américain à installer le
bouclier anti-missile en Pologne et République tchèque fait que le soutien américain est perçu
dans les pays d'Europe orientale comme n'étant plus aussi fort que dans les années 1990 et sous

972 Ibid.
973 HATTO, Ronald, ‘Stratégies et Intérêts : Les Relations Des Etats-Unis Avec Les Pays d’Europe Centrale
et Orientale’ <https://www.diploweb.com/Strategies-et-interets-les.html> [accessed 29 January 2018].
974 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage Op. Cit.
975 Ibid.
976 « Au-delà de ces raisons historiques et de l’atlantisme balte, l’attachement à l’OTAN repose sur un
certain réalisme, l’Alliance atlantique permet de compenser les manques structurels de défense des trois
républiques. ».
Perchoc, Philippe, ‘Les États Baltes, Entre Défense Territoriale Et Élargissement Des Concepts De
Sécurité’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2013, p. 67.

Page 293
la présidence Bush Jr. Cette situation incite ces pays à se rapprocher de l'Europe. Selon le
professeur Jana Vargovčíková à propos du groupe de Visegrad : « Aussi les quatre décident-ils
le 12 mai 2011 de former avant 2016 un groupement tactique européen (Battle Group),
similaire au groupement tactique nordique (Nordic Battle Group), rattaché à la PESD et
commandé par la Pologne. Tout en demeurant proches des États-Unis sur nombre de questions,
les quatre envisagent désormais cette relation de manière moins sentimentale et plus
pragmatique. »977 Une dynamique similaire touche les pays baltes qui bien que plus atlantistes
que ceux de Visegrad, accomplissent aussi un tournant européen.978 L'UE jadis vue comme
secondaire par rapport aux EU, prend désormais de l'importance. La consolidation de la place
centrale de l'Allemagne contribue d'ailleurs à cette variation politique : la puissance
économique de Berlin lie les États d'Europe orientale à l'économie allemande. C'est le premier
partenaire commercial pour les quatre membres du groupe de Visegrad dépassant très
largement les autres partenaires commerciaux, y compris les échanges entre les États de
Visegrad : en 2017 pour la Pologne, l'Allemagne représente 26 % du total de ses exportations
et 25 %979 du total de ses importations, pour la Hongrie 27 % et 27 %, 980 pour la République
tchèque 31 % et 26 %981 et pour la Slovaquie, 20 % et 19 %.982 Pour les Baltes, l'Allemagne est
moins une destination d'exportation contrairement à la Russie qui est le premier partenaire en
la matière : en 2015, pour la Lituanie avec 14 %983 du total des exportations et troisième pour
l'Estonie et la Lettonie avec respectivement 8 % 984 et 9 % 985 . L'économie allemande est
cependant le deuxième partenaire en matière d'importation avec pour la Lituanie 12 %, pour la

977 Vargovčíková, Jana, ‘Le Groupe de Visegrad, 20 ans après, The Visegrad Group, 20 Years Later’,
Politique étrangère, Printemps (2012), p.156.
978 Perchoc, Philippe, ‘Les États Baltes, Entre Défense Territoriale Et Élargissement Des Concepts De
Sécurité’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 2013, p. 82.
979 The Observatory of Economic Complexity, ‘Pologne (POL) Export, Importer, et Trade Partners’, The
Observatory of Economic Complexity <https://atlas.media.mit.edu/fr/profile/country/pol/> [accessed 8 May 2019].
980 The Observatory of Economic Complexity, ‘Hongrie (HUN) Export, Importer, et Trade Partners’, The
Observatory of Economic Complexity <https://atlas.media.mit.edu/fr/profile/country/hun/> [accessed 8 May
2019].
981 The Observatory of Economic Complexity, ‘Czech Republic (CZE) Exports, Imports, and Trade
Partners’, The Observatory of Economic Complexity <https://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/cze/>
[accessed 8 May 2019].
982 The Observatory of Economic Complexity, ‘Slovaquie (SVK) Export, Importer, et Trade Partners’, The
Observatory of Economic Complexity <https://atlas.media.mit.edu/fr/profile/country/svk/> [accessed 8 May
2019].
983 ‘Partenaires Économiques Commerciaux - Lituanie’, Perspective Monde Université de Sherbrooke
<http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEchangesPays?codePays=LTU> [accessed 25 July 2018].
984 ‘Partenaires Économiques Commerciaux - Estonie’, Perspective Monde Université de Sherbrooke
<http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEchangesPays?codePays=EST> [accessed 25 July 2018].
985 ‘Partenaires Économiques Commerciaux - Lettonie’, Perspective Monde Université de Sherbrooke
<http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMEchangesPays?codePays=LVA> [accessed 25 July 2018].

Page 294
Lettonie 10 % et pour l'Estonie 11 %. Cette double situation pour les pays baltes permet de
comprendre leur ardeur à défendre l'OTAN afin de faire un contrepoids à la dépendance
économique russe mais aussi afin de développer leur intégration européenne.

L'Europe orientale oscille donc entre l'atlantisme et l'européanisme pour assurer sa sécurité et
faire face au risque de résurgence d'une Russie agressive mais aussi pour des raisons
stratégiques et économiques. Son développement économique lui permet de peser de plus en
plus sur la politique européenne. Les Etats-Unis se doivent de conserver un minimum de
présence sur le continent européen malgré une perte d’intérêt depuis la présidence Obama. Le
retour de la Russie sur la scène internationale avec la crise ukrainienne depuis 2014 fait de cette
région une position stratégique. Elle redevient une « zone tampon » entre les puissances
occidentales européenne et américaine et Moscou. Toutefois, la faiblesse de l'Europe orientale
tient à l'absence d'un vrai consensus entre ses États. Le cas du groupe de Visegrad est en ce sens
symptomatique de cette absence de consensus avec la divergence des intérêts nationaux. (2)

2 Une politique de voisinage dépendant des intérêts nationaux : le cas du groupe de Visegrad

Le groupe de Visegrad est créé en 1991 par les dirigeants de la Pologne, de la Hongrie et de la
Tchécoslovaquie (la division du pays entre la République tchèque et la Slovaquie n'intervenant
qu'en 1992). Son but est de former un groupe politique capable d'influencer la politique des
puissances qui les entourent. 986 Comme le précise l'ancien ministre de la défense tchèque
Alexandre Vondra987, il avait originalement pour objectif la défense les intérêts des membres
face à l'Allemagne et la Russie. De même, l'activité du groupe de Visegrad s'est cristallisée sur
quatre objectifs successifs depuis sa création qui sont parfois rentrés en opposition avec les
intérêts des États d'Europe de l'Ouest.988 Le premier a été l’adhésion à l'OTAN fin des années
1990 des membres : ce projet a été initialement accueilli de manière négative par des États
comme la France et l'Allemagne obligeant le groupe de Visegrad à faire pression sur les États-

986 « Dès janvier 1990, moins de deux mois après la révolution de velours, le président de la Tchécoslovaquie
Václav Havel déclare au Sejm, Chambre basse polonaise : « Nous avons une chance historique de transformer
l’Europe centrale en une entité politique».
Vargovčíková, Jana, ‘Le Groupe de Visegrad, 20 ans après, The Visegrad Group, 20 Years Later’,
Politique étrangère, Op. Cit. p.148.
987 Entretien avec Alexandre Vondra, ancien ministre de la défense de la république tchèque, le12 juillet
2018.
988 Ibid.

Page 295
Unis pour permettre leur adhésion. Le second objectif a été leur intégration à l'Union
Européenne dans la première décennie du XXIème siècle pour le marché commun. Là encore,
des divergences sur les questions économiques sont apparues avec des pays comme la France
et l'Allemagne sur la question de la mobilité du marché du travail. Le troisième objectif a été
de faire front commun contre l'accueil des migrants à partir de 2012. Enfin, le dernier objectif,
qui est toujours d'actualité, est d'assurer une indépendance énergétique vis-à-vis de la Russie.
Le ministre Vondra met en avant que ces objectifs ont permis de défendre les intérêts communs
du groupe au sein de l'Union. Le groupe possède d'ailleurs un fond propre destiné à assurer la
cohésion des membres et soutenir les initiatives : celui-ci est financé par les quatre pays, chacun
ayant une part égale à 1750000 euros 989
Pour autant, le ministre Vondra comme l'ancien ministre adjoint aux affaires étrangères Tomas
Pojar990, s'accordent sur le fait qu'en dehors de ces quelques points, le groupe n'a pas de vision
commune. D'importantes divergences existent de par la position géographique des différents
États qui influe sur la politique étrangère et sur les relations avec les voisins. Selon le ministre
adjoint Pojar, la république tchèque de par ses frontières avec l'Autriche et l'Allemagne possède
une relation plus forte avec ces deux États qu'avec les autres pays du groupe. Cette situation
n'est pas nouvelle au vu de la position de l'ancien premier ministre Vaclav Klaus dans les années
1990 qui se sentait plus proche des États germaniques que du reste du groupe de Visegrad.991
Bien que moins proche de l'Allemagne, la Pologne cherche à conserver un lien majeur avec
Berlin mais se montre aussi l’État le plus pro-OTAN et pro-américain. Enfin, la Slovaquie et la
Hongrie restent plus distantes politiquement de Berlin du fait de l’absence de frontière avec
l'Allemagne préférant se tourner vers l'est et les Balkans pour la Hongrie.992
Le groupe s'avère être divisé en deux pour des motifs économiques et géographiques : une partie
occidentale composée de la Pologne et de la Tchéquie contre une partie avec la Hongrie et la
Slovaquie. Cette division a un impact direct sur les relations avec la Russie. La République
tchèque et la Pologne font de la défense des droits de l'Homme une composante importante de

989 Racz, Andras, ‘The Visegrad Cooperation: Central Europe divided over Russia’, L’Europe en Formation,
2014, p.66.
990 Entretien avec Tomas Pojar, ancien vice-ministre des affaires étrangère de la république tchèque le 17
juillet 2018.
991 Vargovčíková, Jana, ‘Le Groupe de Visegrad, 20 ans après, The Visegrad Group, 20 Years Later’,
Politique étrangère, Op. Cit. p.150.
992 Dallago, Bruno, and Steven Rosefielde, Transformation and Crisis in Central and Eastern Europe:
Challenges and prospects (London ; New York: Routledge, 2016) p.225.

Page 296
leur politique étrangère et se montrent, par conséquent, plus critiques envers le régime russe.993
A contrario, la Hongrie et la Slovaquie ont une attitude plus pragmatique et moins critique sur
les problèmes internes russes.994 Toutefois cette distinction doit être relativisée à cause de la
dépendance de ces pays au gaz russe : la Slovaquie importe 93 % de son gaz de Russie, la
Pologne 83 %, la Hongrie 81 % et la Tchéquie 66 %.995 Une telle situation impose des relations
commerciales stables. La divergence des positions au sein du groupe est, en outre, aggravée par
les politiques des différents dirigeants, particulièrement en République tchèque, où les
présidents Vaclav Klaus et Miloš Zeman se montrent plus ouverts à la coopération russe.996 De
même la position pro-russe de la Hongrie tient beaucoup à la politique du premier ministre
Viktor Orban. Ces positions se justifient par le souhait des dirigeants de diversifier leurs
relations afin de ne pas être dépendants d'un seul État. Les présidents tchèques comme le
premier ministre Orban rejetant l'idée d'une Europe centralisée, le développement des relations
avec Moscou leur permet d'effectuer un équilibre entre l'Europe de l'Ouest et la Russie.
Ainsi n’y a-t-il pas de consensus ni de cohésion sur la question russe au sein du groupe de
Visegrad. Les différences entre les politiques des États ne permettent pas une position commune
susceptible de peser sur la politique européenne. Du fait de la prédominance de l’intérêt
national, la Pologne va utiliser son potentiel pour devenir de nouveau la puissance régionale en
Europe orientale et ainsi mettre en avant sa position. (B)

B La Pologne : une puissance en devenir

La Pologne est, au XXIème siècle, le plus puissant État de l'Europe orientale avec un PIB
nominal de 524,89 milliard de dollars américain en 2017 selon le FMI soit le 8ème membre le
plus riche de l'UE. Il est aussi le 6ème membre le plus peuplé avec 38 millions d'habitants et le
plus vaste en superficie (313 milliers de km²). 997 Si cet État possède une force politique,

993 Racz, Andras, ‘The Visegrad Cooperation: Central Europe divided over Russia’, L’Europe en Formation,
2014, Op. Cit. p.68.
994 Ibid.
995 p.71.
996 Ibid p.69.
997 Données venant de la commission européenne :
https://europa.eu/european-union/sites/europaeu/files/docs/body/eu_in_slides_fr.pdf.

Page 297
économique et militaire inférieure à certains États d'Europe de l'Ouest, il est un pays clé dans
le paysage politique européen en tant que pivot stratégique entre la Russie et l'Allemagne. (1)
Cette situation l’incite à retrouver une influence au sein de l'Europe orientale et par extension
sur tout le continent à travers un nouveau projet d’ « Intermarium » (2)

1 Un pivot stratégique entre l'Allemagne et la Russie

La Pologne occupe une position stratégique sur le continent européen. Le pays possède des
frontières avec l'Allemagne mais aussi la Russie avec l'enclave de Kaliningrad et possède une
ouverture importante sur la mer Baltique. À cette situation s'ajoutent des relations historiques
avec les pays baltes et particulièrement la Lituanie et l'Ukraine : la Pologne constituait avec ces
deux pays la République des Deux Nations entre 1569-1795 qui à son apogée s'étendait de la
Baltique à la Mer Noire.998 Ce passé continue de marquer les esprits polonais qui cherchent à
récupérer un rôle important dans le concert des nations européennes.
Pour cela, la Pologne met en avant sa vocation de stabilisateur régional auprès des institutions
occidentales comme l'OTAN et l'UE.999 Aussi bien l'OTAN et l'UE que les pays d'Europe de
l'Est souhaitent que la Pologne joue un rôle central dans la démocratisation de l'Est et tout
particulièrement l'Ukraine1000, de par la connaissance politique acquise par la Pologne à travers
son histoire et sa position dans le pacte de Varsovie.1001 Le sommet de l'OTAN à Varsovie en
2016 a renforcé son rôle 1002. La Pologne devient peu à peu un fournisseur de sécurité pour la
région. L'UE est aussi, comme le fait remarquer la chercheuse Elsa Tulmets , un multiplicateur
de puissance pour Varsovie : « Les tentatives de la Pologne, entre 1998 et 2004, de proposer
à l’UE de créer une politique étrangère européenne vers l’Est ont été remplacées par un projet
plus vaste : la Politique européenne de voisinage (PEV) »1003 Cette dernière se combine avec

998 Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, Op. Cit., p.65.
999 Dunn, David H., and Marcin Zaborowski, eds., Poland: A New Power in Transatlantic Security, 1 edition
(Routledge, 2004) p.54.
1000 Ibid.
1001 « Language skills, cultural understanding and an appreciation of diplomatic styles that Poland acquired
during this period have become assets for Poland, which Warsaw must capitalise upon. ».
Ibid.
1002 Ministry of foreign affairs Republic of Poland, Polish Foreign Policy Strategy 2017-2021 p.7.
1003 Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, p.145.

Page 298
le partenariat oriental qui est aussi porté par Varsovie.1004 Ces politiques visent à créer des liens
approfondis avec les membres de la CEI et particulièrement l'Ukraine et la Géorgie. Le rôle de
Varsovie dans la région lui permet d’être un acteur clé et ainsi d'éviter une entente entre
l'Allemagne et la Russie sans son accord, source historique de danger pour elle.1005
Si l'attachement de la Pologne à l'OTAN est absolu et son lien avec l'UE fort, sa politique
étrangère obéit aux intérêts nationaux et est influencée par le parti au pouvoir. En effet, la
position vis-à-vis de la Russie et de l'Allemagne est différente selon que le parti libéral-
conservateur Plateforme-Civique (PO) ou que le parti conservateur-nationaliste Droit et Justice
(Pis) gouverne. En ce sens, la carte des résultats des élections présidentielles de 2015 1006 est
révélatrice d'une division géographique et politique au sein de la Pologne. La partie ouest du
pays proche des frontières de l'Allemagne vote PO tandis que la partie est vote Pis. De même,
la frontière fictive séparant les régions ayant votées Pis et PO correspond quasiment à la
frontière de l'ancien empire allemand.1007 Cette division interne illustre les positionnements des
partis sur la scène internationale. PO qui a contrôlé la Diète de 2007 à 2015 et la présidence de
2010 à 2015 adopte une position favorable à l'Allemagne et à l'intégration européenne. 1008 Le
gouvernement PO de Donald Tusk fut, à cet effet, actif dans l'élaboration et la ratification du
traité de Lisbonne.1009 De la même manière, le premier ministre polonais Donald Tusk et son
gouvernement du PO ont cherché à développer des liens avec la Russie dans le but d'assurer
une détente entre les deux États1010 même si une méfiance subsiste. L'approche de PO s'inscrit
donc dans une politique européenne plus classique. De l'autre côté, le parti Droit et Justice créé
et dirigé par les frères jumeaux Kaczyński a été au pouvoir de 2005 à 2007 (le président Lech
Kaczyński était toutefois encore en fonction jusqu'à sa mort en 2010) et est redevenu le parti
dirigeant depuis 2015. Celui-ci met en avant une approche plus nationaliste et plus sceptique
envers l'UE. Il s'oppose à une union politique centralisée trop forte et lui préfère une union plus

1004 Ibid.
1005 Dakowska, Dorota, ‘Les relations germano-polonaises’, Pouvoirs, 2006, p.116.
1006 ‘Poland’s Stark Electoral Divide’, GeoCurrents.
1007 Ibid.
1008 Korybko, Andrew, Poland’s Place in Multipolarity, 2018.
1009 Wilga, Maciej, and Ireneusz Pawel Karolewski, ‘La Pologne et le traité de Lisbonne : Préhistoire,
négociation et application’, L’Europe en Formation, 2012, 195–215 .
1010 « Les stratégies annuelles du ministre des Affaires étrangères reflètent clairement cette ambition qui s’est
concrétisée sous la forme d’un comité d’historiens polono-russe, du sommet de Westerplatte près de Gdansk en
2009 et de la commémoration des événements de Katyn » .
Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, Op. Cit., p.152.

Page 299
centrée sur le libre-échange et la compétition.1011 La critique de l'Allemagne et son poids dans
l'Europe ont aussi été un angle d'attaque récurrent de Pis contre PO mais aussi dans les relations
étrangères. Mais l'élément qui bouleverse la politique du parti et par extension du pays est
l'écrasement de l'avion transportant le président Lech Kaczyński en 2010 dans la région de
Smolensk en Russie. Cet événement renforce considérablement le ressentiment vis à vis de la
Russie du parti qui accuse Moscou de l'accident. 1012 Ces diverses positions conduisent la
Pologne à prendre ses distances avec ses deux principaux voisins : l'Allemagne et la Russie.
Dès lors, cette politique plus nationaliste incite le pays à vouloir redevenir la puissance
dominante en Europe orientale à travers l’»Intermarium ». (2)

2 Le souhait de créer un nouvel « Intermarium » intégré à l'Union européenne

L'idée de reformer une zone d'influence polonaise en Europe orientale allant de la Baltique à la
mer Noire, en se basant sur la république de Pologne-Lituanie, n'est pas nouvelle. Selon le
professeur Tony Corn : « au lendemain de la Grande Guerre le maréchal Pilsudski n’eut rien
de plus pressé que de soutenir le projet d’une « fédération Intermarium», allant de la Baltique
à la mer Noire et constituant une entité politique assez forte pour tenir tête aux impérialismes
russe et allemand. »1013 A la sortie de la seconde guerre mondiale, le général Sikorski en exil à
Londres a aussi repris cette idée.1014 La politique conflictuelle du Pis avec l'Allemagne et la
Russie, couplée à sa politique nationaliste ramène cette idée sur le devant de la scène.
L'objectif est à la fois de renforcer la puissance de la Pologne en Europe centrale mais aussi par
extension qu'elle retrouve sa place dans l'Union européenne. Ce projet est étroitement lié au
Brexit : la Pologne comme un certain nombre de pays d'Europe orientale entretenait des liens
étroits avec le Royaume-Uni, tout particulièrement en matière économique. 1015 De plus, il
existait avant le Brexit un équilibre de puissances au sein de l'UE se concentrant sur le triangle

1011 Ministry of foreign affairs Republic of Poland, Polish Foreign Policy Strategy 2017-2021 p.14.
1012 Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, Op. Cit. p.152.
1013 Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, Op. Cit., p.65.
1014 Ibid.
1015 « Les agences de notation comme Standard & Poor’s ont estimé que les pays Baltes et la Pologne
subiraient plus fortement les conséquences économiques du Brexit que leurs voisins, la Lituanie devant être le
plus durement touchée car le Royaume Uni est son cinquième client à l’exportation (5,3 % de ses ventes) et son
septième fournisseur à l’importation (4% de ses achats) »
Drweski, Bruno, ‘Du nouveau à l’Est : défection d’un allié’, Outre-Terre, 2016, p.305.

Page 300
Londres-Paris-Berlin : les trois premières puissances économiques et militaires de l'Europe
étaient les plus à même de peser sur les décisions. Le Brexit modifie cet équilibre et la Pologne,
en tant que membre profondément atlantiste ayant une forte influence sur l'Europe orientale ,
aimerait prendre la place du Royaume-Uni .1016 Le choix de l'OTAN d'effectuer son sommet à
Varsovie en 2016 renforce cette conviction de jouer un rôle plus important sur la scène
régionale, d’autant plus que les États-Unis, alliés principaux de la Pologne, cherchent à rassurer
les États de cette zone.1017 Etant donné que le poids de Berlin dans l'Europe a été renforcée par
le Brexit et que ses relations sont très inégales avec le pouvoir polonais de « Droit et Justice »,
Varsovie cherche à se constituer une zone d'influence.
Ce projet est aidé par la conjoncture politique : la crise des migrants pousse les Etats d'Europe
orientale mais aussi l'Autriche1018 vers une position commune. De plus plusieurs pays comme
la Hongrie ou la Bulgarie ont émis le souhait que Varsovie joue un rôle majeur dans la
région.1019 L'économie va en être le vecteur principal avec ce que le gouvernement polonais
appelle « Adriatique-Baltique-mer Noire », en polonais ABC.1020 Ce projet aboutit à l'Initiative
des trois mers (ITM) créée lors du Forum international de Dubrovnik le 25-26 août 2016.1021
Comme le précise le docteur Dorota Richard : « Dans son discours de Dubrovnik, Andrzej
Duda insistait sur trois piliers de cette nouvelle coopération : les infrastructures de transport
et de communication, l’approvisionnement énergétique, et la coopération scientifique et
culturelle. »1022 L'UE est visée quand le président polonais Duda dit : « Nous voulons l’unité et
l’intégration, mais cela ne signifie pas que nous voulons l’uniformisation. L’intégration n’est
pas l’ennemie de la diversité. Cette logique, nous pouvons la changer en développant la
coopération entre les pays des Trois mers, et selon l’axe Nord-Sud »1023. L'idée de former un
contrepoids au reste de l'Europe est donc bien présente. Toutefois, le président Duda insiste sur

1016 Drweski, Bruno, ‘Du nouveau à l’Est : défection d’un allié’, Outre-Terre, 2016, p.313.
1017 Ibid p.308.
1018 Ibid p.315.
1019 « le président bulgare Rosen Plevneliev avait déclaré après son entrevue avec le président polonais
Andrzej Duda : « La Pologne constitue le leader naturel des pays de l’Europe du Centre et de l’Est qui ont adhéré
à l’UE » ; tandis que le Premier ministre hongrois Victor Orbán déclarait vouloir consacrer les dix prochaines
années à « construire une communauté centre-européenne où la Pologne devait occuper une place de premier
violon ». Même tonalité par exemple chez le président estonien Toomas Hendrik Ilves. » Ibid.
1020 Ibid .
1021 Richard, Dorota, ‘Europe centrale : l’Initiative des Trois mers’, Politique étrangère, Été (2018), Op. Cit.,
p.104.
1022 Ibid.
1023 Ibid.

Page 301
le fait que ce projet n'est pas une alternative à l'UE.1024 Il s'agit de faire en sorte que l'Europe
orientale devienne à nouveau influente dans la politique de l'Europe.
Cependant, le pays le plus visé par cette initiative polonaise est la Russie : le but principal de
l'ITM est de diversifier les sources d'approvisionnement en hydrocarbures afin de réduire leur
forte dépendance à la Russie. Ce projet s'inscrit en opposition avec le projet Nord Stream II
défendu par l'Allemagne et principale source de tension entre Berlin et Varsovie. Toutefois,
cette initiative reste un forum informel destiné à mettre en place une coopération interne à l'UE
mais aussi ouverte à des membres extérieurs. La présence des États-Unis et de la Chine au
Forum de Dubrovnik sont des indices quant aux partenaires privilégiés par les membres de
l'ITM.1025 Le soutien du président américain Trump affirmé lors de sa venue à Varsovie l'été
2017 concrétise celui-ci et le rôle de la Pologne en Europe orientale.
C'est pourquoi les pays de la « nouvelle Europe » bien qu'ayant des intérêts divergents prennent
de l'importance sur la scène européenne et dans les relations avec la Russie. La montée en
puissance de la Pologne soutenue par son poids dans l'OTAN fait que l'Europe orientale est
désormais une région stratégique qui compte dans les décisions de l'UE. Si le groupe de
Visegrad a connu un certain succès pour certains thèmes, il est désormais intégré dans la
politique étrangère de Varsovie au même titre que les États baltes.

Conclusion du chapitre 1

Les relations des États membres avec la Russie se sont cristallisées dans les politiques
étrangères de certains pays reflétant la puissance et l'influence de ceux-ci sur le continent.
L'Allemagne a réussi à conforter sa position centrale en Europe récupérant le rôle historique
qu’elle avait avant le XXème siècle. Son partenariat privilégié avec la Russie, allié à la nécessité
d’être une puissance majeure dans l'OTAN et l'UE permettent d'assurer un équilibre en Europe
et de modérer les prises de positions des autres membres. La France comme l'Italie s'avèrent
suivre le positionnement allemand pour des motifs similaires : le partenariat économique et le
souhait de stabilité en Europe. L'Europe orientale bien que parfois plus réticente vis-à-vis du

1024 Ibid p.105.


1025 Ibid.

Page 302
rôle central allemand cherche à trouver un équilibre. Elle défend ses intérêts nationaux pouvant
s'opposer à un trop grand rapprochement avec la Russie mais souhaite aussi utiliser l'Europe et
l'Allemagne comme un multiplicateur de sa puissance.

Page 303
Chapitre 2 Un rôle peu abouti de l'UE dans les
relations avec la Russie

L'ancien premier ministre Winston Churchill prononce le 19 septembre 1946 à l'université de


Zurich, un discours fondateur décrivant la raison d’être et le but de l'Union européenne : assurer
la paix et la sécurité sur un continent qui sort pour la deuxième fois d'une guerre ayant détruit
les pays européens. Winston Churchill estime que pour éviter un nouveau conflit le remède
« consiste à recréer la famille européenne, cela dans la mesure du possible, puis de l’élever de
telle sorte qu’elle puisse se développer dans la paix, la sécurité et la liberté. »1026. La question
de la sécurité et de la stabilité du continent apparaît comme un fondement de ce qui allait devenir
l'Union européenne. Cette organisation unique sur la scène internationale a évolué et s'est
renforcée au fil des décennies mais se caractérise avant tout comme une puissance économique.
En effet, c'est ce domaine qui a été utilisé en priorité pour assurer la cohésion et l'adhésion des
membres : la constitution d'un marché commun destiné à apporter prospérité au continent. Ce
choix se révèle dès la constitution de la Communauté de l'Acier et du Charbon en 1951 avec le
traité de Paris et est confirmé avec le traité de Rome de 1597 instituant la Communauté
économique européenne. Le but est, grâce à l'échange des ressources économiques, d’accélérer
la reconstruction du continent et de créer une interdépendance empêchant une nation d'adopter
des velléités contre ses partenaires.
Toutefois, la CEE prend peu à peu un tournant plus politique afin de renforcer sa position sur
la scène internationale et se transforme en Union Européenne en 1993 suite au traité de
Maastricht. Ce passage d'une union économique à une union politique s'inscrit dans un contexte
post-guerre froide qui laisse ensuite place à une situation paradoxale dans le monde post-11
septembre 2001. L'Union s'est développée notamment avec le traité de Lisbonne en 2008 mais
est aussi en proie aux doutes comme le montre l'échec du projet constitutionnel de 2005 et plus
récemment le Brexit en 2016. L'UE doit prendre en compte le rôle de la Russie qui retrouve sa
place sur la scène internationale et qui souhaite jouer un rôle sur le continent européen. Par

1026 Churchill Winston « Debout l’Europe ! », Commentaire, Numéro 71 (1995), p.630.

Page 304
conséquent les relations entre l'UE et la Russie sont affectées à la fois par les divergences
internes sur le rôle à donner à l'Union européenne (Section 1) mais aussi par le développement
progressif d'une défense européenne (Section 2).

Section 1 : Une politique de l'Union européenne en proie à des divergences


internes

La dimension politique de l'UE a toujours été source de divergences. Le fait que l'Union est
constituée de grandes puissances n'aide pas la mise en place d'un État supranational. La
persistance des intérêts nationaux est à l'origine de divergences qui tendent à bloquer le
développement d'un consensus des institutions de l'UE. Il existe, en effet, une constante dans la
politique de l'Union européenne : les États restent réticents à transférer leurs compétences si
cela ne sert pas leurs intérêts.1027 Comme le précise le professeur Paul Magnette : «Chaque fois
que cela paraît possible, les dirigeants nationaux optent pour des formes souples
d’européanisation, qui n’impliquent pas la reconnaissance de nouvelles compétences
européennes ; et quand ils s’accordent néanmoins pour collaborer dans le cadre des traités, ils
n’acceptent qu’avec précaution les contraintes supranationales. » 1028 Dès le traité de
Maastricht, qui officialise l'union politique, des désaccords sont apparus et se sont renforcés
avec la complexité du système des institutions européennes1029. L’extension de cette dernière
avec l’adhésion de nouveaux membres combinée avec le souhait d'une intégration politique de
plus en plus poussée au XXIème siècle est une source de trouble dans la cohésion de
l'organisation européenne.
Cette situation a des conséquences sur les relations avec la Russie. Les oppositions sur le projet
européen influent sur les liens avec Moscou (§1) et aboutissent à un consensus limité visant à
guider les relations entre l'UE et la Russie (§2)

1027 Magnette, Paul, Le régime politique de l’Union Européenne. 4e édition revue et corrigée (PRESSES DE
SCIENCES PO, 2017) p.28.
1028 Ibid p.53.
1029 Bocquet, Dominique, ‘Paris, Bonn, Delors : l’Europe en quête de centre’, Le Débat, 1995, p.18-19.

Page 305
§1 Une opposition sur les perspectives du projet européen influant les relations
avec la Russie

L'ancien président de la Commission européenne Jacques Delors a qualifié l'UE de « Fédération


d’États-nations »1030. Cette notion s'apparente à un compromis entre les deux visions classiques
en matière d'entité regroupant des États : la fédération et la confédération. Il s'agit, à l'époque,
d'éviter l'alternative entre les deux formes d'union et de proposer un modèle original pour les
membres de l'UE.1031 Néanmoins, l'évolution de la scène internationale marquée par la fin de
l’uni polarité américaine des années 1990 d'un côté et les problèmes internes que rencontrent
les États membres de l'UE de l'autre font que le débat redevient actuel (A) Ce débat entre
fédération et confédération interfère dans les relations avec la Russie qui a, elle aussi, sa vision
de l'UE : une Europe stable mais non rivale. (B)

A « Fédération européenne » ou « Confédération des États-nations européens » :


deux modes d'organisation du continent

L'UE a pour idéal de devenir un État européen à travers une fédération (1). Cependant en raison
d'un grand nombre de difficultés, il apparaît illusoire. Par conséquent, l’euroscepticisme
s'accentue et se traduit par le souhait de créer une confédération autour des États-nations (2)

1 La fédération européenne : un idéal de puissance difficile à atteindre

Winston Churchill voyait ce projet fédéral ainsi « Si l’on veut mener à bien sincèrement l’œuvre
de construction des Etats-Unis d’Europe, leur structure devra être conçue de telle sorte que la
puissance matérielle de chaque État ne jouera plus qu’un rôle secondaire. Les petits Etats
compteront autant que les grands et s’assureront le respect par leur contribution à la cause
commune »1032. Aussi, avant même les projets communautaires de Jean Monnet, l'idée fédérale
existe. Cet idéal chez Churchill obéit toutefois à un certain réalisme, le but étant d'assurer la

1030 Quermonne, Jean-Louis, ‘Vers une fédération d’États-nations’, in L’Union européenne dans le temps
long, 2008, p. 201.
1031 Ibid p.203.
1032 Churchill Winston « Debout l’Europe ! », Commentaire, Numéro 71 (1995), p.631.

Page 306
stabilité du continent. La création d'un État qui engloberait la plupart des pays du continent qui
doit assurer la paix et renforcer le poids de l'Europe sur une scène internationale désormais
influencée par des dynamiques extra-européennes. Cette vision sera souvent au centre des
préoccupations des dirigeants européens et la raison de leur soutien au projet européen. Cette
idée ne s'est pas éteinte au XXIème siècle et ressurgit à chaque crise des institutions
européennes. En 2006, suite à l'échec du projet constitutionnel européen : le premier ministre
belge Guy Verofstadt reprend cette expression pour prôner un projet européen plus clair et plus
efficace.1033 De la même manière, le candidat SPD aux élections fédérales allemandes et ancien
président du parlement européen Martin Schultz propose en 2017, la création des États-Unis
d'Europe d'ici 2025.1034 A côté de ces déclarations politiques isolées, un véritable projet de
réforme de l'UE a été proposé en 2012 par les ministres des affaires étrangères de dix États
membres : l'Autriche, la Belgique, le Danemark, l'Italie, le l'Allemagne, le Luxembourg, les
Pays-Bas, la Pologne, le Portugal et l'Espagne.1035 Selon certaines sources, la France aurait aussi
1036
fait partie de ce rassemblement. Cette initiative appelée « groupe du futur »
(Zukunftsgruppe) et initiée par le ministre libéral allemand Guido Westerwelle souhaite
renforcer la dimension économique de l'Europe avec l'euro. De plus, et c'est en cela qu'il innove,
le groupe préconise la création d'un gouvernement européen avec un président élu ainsi qu'une
seconde chambre parlementaire européenne chargée de représenter les États membres et qui
formerait un homologue du Sénat des Etats-Unis.1037
Malgré l’émergence de tels initiatives et vœux, ceux-ci restent lettres mortes. Le problème
tenant à l'absence de vision commune de la part des États membres : chacun possède sa propre
vision de ce que doit être l'Europe. Cette division se retrouve au sein même du couple franco-
allemand censé être le moteur de la construction européenne. La conception du rôle de l’État
est différente entre l’État unitaire français et la fédération allemande et chacun tend à transposer
son modèle pour l'UE : une vision républicaine pour la France et un « staatenverbund », une

1033 ‘Les Etats-Unis d’Europe’, Institut Jacques Delors, 2006.


1034 Madelin, Thibaut, ‘Avant ses discussions avec Merkel, Schulz propose des «Etats-Unis d’Europe»’,
lesechos.fr , 07/12/2017.
1035 Bolzen, Stefanie, ‘Zukunftsgruppe: Europas Außenminister Wollen Mehr Macht Für EU’, DIE WELT,
20 June 2012 <https://www.welt.de/politik/ausland/article106633378/Europas-Aussenminister-wollen-mehr-
Macht-fuer-EU.html> [accessed 2 August 2018].
1036 Barthalay, Bernard, ‘Une souveraineté fédérale pour la zone euro’, L’Europe en Formation, 2013, p.185.

1037 BÖHM, WOLFGANG, ‘Umbauplan für einen EU-Staat’, Die Presse, 2012 .

Page 307
association d’État renforcée, pour l'Allemagne. 10381039 Dès lors, sans vision commune,
l'intégration européenne s'est accomplie au cas par cas et au fil des pressions externes. Selon le
professeur Paul Magnette : « Dès les origines, et tout au long de l’intégration, c’est parce qu’ils
percevaient un « défi commun » que les gouvernements ont suivi la voie de la coopération. »1040
C'est ainsi une stratégie moins ambitieuse, ou qui voit à court terme, qui remplace dans la
pratique l'idéal d'un État fédéral européen et ce depuis sa création. Les États membres restant
motivés par leurs intérêts mais voulant aussi renforcer l'intégration du fait des nécessités
extérieures, « créent des compromis imparfaits » qui « aboutissent à des agencements
institutionnels instables et complexes ».1041 Au lieu et place d'une fédération, l'UE est devenue
une construction hybride. Les institutions européennes vont toutefois utiliser cette complexité
afin de servir de médiateur et impulser l'intégration 1042 à travers un jeu d'influence. 1043
Paradoxalement, on y retrouve l'esprit fédéral, et de ce fait, la crainte d'une bureaucratie
croissante. Cette situation est donc à la fois source de renforcement et de fragilité pour la
stabilité de l'UE.
Une dernier facteur rend la construction fédérale compliquée, c'est l'absence de philosophie
politique unique. Si la divergence d’intérêts et de conception de la fédération est en soit déjà un
handicap, l'absence d'unité philosophique et idéologique est plus profonde. Les États-Unis
d'Amérique ont pu se construire sur une approche commune fondée sur le libéralisme qui
apparaît dans la déclaration d'indépendance et le bill of right américain. La construction
européenne ne bénéficie pas de cette cohésion nécessaire. A l'époque de la CECA et de la CEE
se succèdent, l'approche d'une « économie sociale de marché » puis à partir de la fin des années
1970, une approche libérale sous l'impulsion des anglo-saxons. 1044 Si cette différence
idéologique semble être chronologique, la vision libérale est présente dès le début.
L'économiste et juriste Friedrich von Hayek, membre de l'école autrichienne, se montrait un

1038 Barthalay, Bernard, ‘Une souveraineté fédérale pour la zone euro’, L’Europe en Formation, 2013, p.171.
1039 Borella, François, ‘Chapitre 8. Les mises en cause du cadre étatique’, in Éléments de droit constitutionnel,
2008, p. 383-390.
1040 Magnette, Paul, Le régime politique de l’Union Européenne.Op. Cit. p.46.
1041 Ibid p.48.
1042 Ibid p.49.
1043 « Enfin, dans la mesure où elles développent une « vision » des politiques ou des institutions de l’Union
qu’elles défendent avec constance, dans une logique de persuasion, les institutions peuvent contribuer à l’ancrer
dans les représentations des gouvernants nationaux. »
Ibid p.50.
1044 Magnette, Paul, Le régime politique de l’Union Européenne.Op. Cit. p.38.

Page 308
fervent partisan d'une fédération européenne1045. Le traité de Maastricht et les différents traités
lui succédant laisseront cette question de choix idéologique en suspens alimentant les critiques
à la fois libérales et sociales. Face à cette situation, certains eurosceptiques sont partisans d'une
confédération d'Etats-nations. (2)

2 Une confédération autour des Etats-nations : une alternative poussé par certains
eurosceptiques

Du fait des doutes du projet européen naît un euroscepticisme qui prône une union d'Etats-
nations. Cette conception de l'Europe tend à se rapprocher plus ou moins fortement du concept
de la confédération, à savoir un « groupement dans lequel les États membres gardent (ou
obtiennent) leur indépendance et qui relève donc du droit international». 1046 Si les visions
eurosceptiques sont différentes les unes des autres au sein de l'Europe, elles ont en commun le
rejet de la création d'un État supranational qui aurait des pouvoirs propres trop importants. Cette
idée confédérale se cristallise autour de deux héritages politique : le gaullisme et le
thatchérisme.
Si le président Charles De Gaulle et le premier ministre Margaret Thatcher ont été tous deux
partisans et acteurs de la construction européenne, leurs idées de l'Europe ont divergé quant aux
développements de l'intégration européenne. Tous deux voyaient l'UE sous le spectre de la
coopération plutôt que de l’intégration. Cette position partagée émane de leur vision réaliste
des relations internationales. Les présupposés de cette doctrine sont difficilement compatibles
avec l'idée d'un Etat supranational : le concept d'équilibre des puissances et la prédominance de
la notion d’État-nation comme base de la scène internationale rend la mise en place d’un État
européen difficile. De Gaulle considère lors de sa présidence que le rapprochement avec
l'Allemagne doit obéir à des buts stratégiques visant à renforcer la puissance mais doit
s'effectuer principalement par la coopération.1047 Son parti, quant à lui, a directement proposé

1045 Gowan, Peter, ‘Friedrich von Hayek et la construction de l’Europe néolibérale’, Contretemps, 4 (2009),
p.85.

1046 Définition issue de Bruno de Witte, « Fédération », in Olivier Duhamel et Yves Mény (dir.), Dictionnaire
constitutionnel, PUF, 2000, p. 435.
1047 Gaulle, Charles de, « La base d’une Europe » , Commentaire, Numéro 71 (1995), p.636.

Page 309
une confédération : Gaston Palewski a ainsi fait part à l'assemblée nationale de son souhait que
le projet européen consiste en un système dans lequel les États conservent leur souveraineté
sauf dans des domaines stratégique précis comme la défense ou le commerce.1048 Toutefois,
cette vision de l'Europe se doit d'assurer à la France le renforcement de sa puissance : dans le
projet confédéré de Gaston Palewski, Paris se voit attribuer un rôle d'administrateur. Par
conséquent, la conception gaulliste est avant tout une logique tournée vers l’intérêt national.
Pour Margaret Thatcher, la crainte d'une Allemagne réunifiée qui prendrait de par son poids
politique une position dominante en Europe1049 est l'une des raisons de son opposition à une
fédération européenne : « Britain and France are sufficient to balance German power : and
nothing of the sort would be possible within a European super-state » 1050 . Néanmoins,
contrairement à De Gaulle, il existe une dimension libérale qui explique sa position. Si Friedrich
von Hayek, dont Thatcher est partisane, estime qu'il est nécessaire de créer une fédération
internationale afin d'assurer la paix, celui-ci la définit de la manière suivante : « Le rôle de la
fédération est d’être « un pouvoir qui peut limiter les différentes nations […] un ensemble de
règles définissant ce qu’un Etat peut faire et une autorité apte à faire respecter ces règles. Les
pouvoirs nécessaires à une telle autorité sont avant tout négatifs : elle doit avant tout être
capable de dire « non » à toutes sortes de mesures restrictives ». 1051 Dans la conception
d'Hayek, cet État européen doit être minimal et avant tout gardien des libertés. Il ne doit pas
impulser des mesures. Cet État minimal est l'une de base de la politique de Margaret
Thatcher. 1052 Par conséquent, cette dernière refuse l'idée d'une union interventionniste : sa
politique au Royaume-Uni visant à réduire le champ d'action de l’État se transpose à l'échelle
communautaire. Elle propose à la place une union reposant sur le libre-échange avec un budget
resserré.1053
Si les époques de De Gaulle et de Thatcher sont révolues, leur héritage reste encore présent.
Les conceptions souverainistes font référence à l'esprit du chef de l’Etat français et mettent en
avant l’intérêt des États-nations. De plus, la conception de l'UE des pays de l'Est reste marquée
par la vision thatchérienne. Ceux-ci, du fait de leur fort lien politique avec les pays anglo-saxons

1048 Palewski, Gaston « L’unité prendrait d’abord la forme d’une Confédération » , Commentaire, Numéro
71 (1995), p.634.
1049 Thatcher, Margaret, The Downing Street Years (London: HarperPress, 2012) p.769.
1050 Ibid p.791.
1051 Hayek, Friedrich A., Friedrich Hayek, and Georges Blumberg, La route de la servitude, 6e edn (Paris:
Presses Universitaires de France - PUF, 2013).
1052 Thatcher, Margaret, The Downing Street Years, Op. Cit., p.14.
1053 Ibid p.80.

Page 310
depuis la chute de l'URSS, ont intégré des points de vue combinant à la fois leurs intérêts
nationaux et des idées se rapprochant de celles de Thatcher. Il existe, dans les pays d'Europe
orientale le vœu d'une UE reposant sur le libre-échange avec une dimension politique des
institutions modérée. 1054 À cela s'ajoute le souhait d'éviter une UE, qui deviendrait une
extension de la politique de la France et de l'Allemagne1055 grâce à leur poids économique et
politique. De manière plus générale, l'intégration et la perte de souveraineté qui s'ensuivent
posent le problème de l'indépendance des États 1056 : beaucoup de ces derniers refusent de
franchir le cap d’une délégation de compétences trop importantes à une autre entité. C'est une
approche réaliste qui guide un certain nombre d'eurosceptiques se définissant d'ailleurs parfois
comme des euro réalistes 1057 . Le concept de puissance de l’État-nation reste central.
L’intégration européenne est acceptée à condition de suivre les intérêts des pays membres en
multipliant leur force. Or, tant dans le domaine économique que sécuritaire, les eurosceptiques,
et tout particulièrement les Britanniques, ne considèrent pas nécessaire la création d'un Etat
européen : la coopération à travers le marché commun et l'OTAN étant, selon eux, suffisante.
Cette opposition entre fédération et confédération démontre toute la difficulté du débat sur la
construction européenne qui affecte la politique de l'UE en obligeant à la recherche de
compromis. Cette division interne influe sur les relations entre l'Union et la Russie (B)

B La crainte de la Russie d'une Europe puissance

À l'instar de l'OTAN, l'UE est vue par Moscou comme une entité internationale se rapprochant
de ses frontières et pouvant constituer une potentielle menace. De ce fait, la Russie reste
méfiante face au risque d'une intégration européenne trop forte (1), tout en restant favorable au
maintien de l'UE (2)

1054 Entretiens avec Mrs Konrad Dębski et Miłosz Pieńkowski, hauts fonctionnaires du ministère des affaires
étrangères polonais 21 mai 2018 et Mr. Alexandre Vondra, ancien ministre de la défense de la république tchèque
12 juillet 2018.
1055 Ibid.
1056 « L’engagement dans une fédération suppose ainsi la délégation, par les États, non pas de la totalité de
leurs souverainetés, mais de la marque de leur souveraineté relative à la guerre et à la paix, autrement dit à la
vie et à la mort. »
Diop, Pathé, ‘La souveraineté, pierre d’achoppement pour une fédération politique européenne, L’Europe
en Formation, 2012, p.68.
1057 Korybko, Andrew, Poland’s Place in Multipolarity, 2018 op. Cit..

Page 311
1 Une coopération russe méfiante envers le renforcement de l'intégration européenne

La politique de la Russie au XXIème siècle, désirant retrouver sa place sur la scène


internationale, va se trouver confronter à l'intégration européenne. Moscou, souhaitant garder
un contrôle sur son étranger proche, reste réticente à l'intégration d’États d'Europe orientale
dans une UE politiquement trop puissante. Le développement d'une structure politique proche
de ses frontières lui est défavorable car changeant l'équilibre des puissances en sa défaveur. La
Russie est plus faible économiquement que des pays comme l'Allemagne voire la France :
l'économie russe est en 2017 dans le classement du FMI en douzième position en matière de
PIB nominal là où Berlin et Paris sont respectivement quatrième et septième. Toutefois, en
matière de PIB à parité de pouvoir d'achat, Moscou est en sixième position derrière l'Allemagne
qui est cinquième mais devant la France qui est dixième. Dans tous les cas, une Union
européenne unie politiquement accroîtrait l'écart entre la Russie et l'Europe. Cette situation
inquiète d'autant plus Moscou que des différences de points de vue sur la gestion politique de
la Russie persistent. À l'instar des Etats-Unis, l'UE perçoit la décennie de 1990 comme étant la
période la plus démocratique en Russie 1058 alors que cette dernière considère cette période
comme une époque de chaos. Le gouvernement de Poutine refuse donc d’être un « preneur de
normes »1059 venant de l'UE perçues comme une ingérence dans le système russe. De ce fait, la
Russie refuse d’être un « objet passif de la politique de l'UE »1060 et cherche à développer une
position particulière avec Bruxelles plutôt que d’être intégré dans la politique de voisinage
européenne (PVE).
De plus, avec l'intégration dans l'UE d’États, comme la Pologne et les pays baltes, hostiles à
Moscou, les dirigeants russes craignent que l'Union ne serve de tremplin à leurs positions. Ainsi
le représentant spécial du président russe pour les questions relatives au développement des
relations avec l’Union européenne, Sergey Yastrzhembsky déclare « nous trouvons
inadmissible de profiter de ces sommets pour faire passer les demandes de certains États
membres de l’Union européenne à notre égard pour des demandes émanant de l’Union elle-

1058 Clouet, Louis-Marie, Andreas Marchetti, Collectif, Thierry de Montbrial, and Ludger Kühnhardt,
L’Europe et le monde en 2020 : Essai de prospective franco-allemande (Villeneuve d’Ascq: Presses Universitaires
du Septentrion, 2011).
1059 Ibid.
1060 Ibid.

Page 312
même. »1061 De ce fait, le gouvernement russe préfère renforcer ses liens avec les États membres
de l'UE qui lui sont plus ouverts,1062 les relations bilatérales avec les membres de l'Union plutôt
qu'avec les institutions de Bruxelles afin de pouvoir jouer de sa puissance. Selon le professeur
Dominic Fean : « Les divisions sont exacerbées par la préférence marquée de la Russie pour
les relations bilatérales dans les domaines stratégiques – en particulier l’énergie, un secteur
privilégié de la politique étrangère. Sur les questions où il pourrait être en position de faiblesse
si elles étaient traitées au niveau communautaire, le Kremlin tente de tirer profit de différences
d’opinion en montant des États membres les uns contre les autres. »1063 En effet, l'approche
réaliste des relations internationales, base de la politique étrangère russe tend, à préférer le
bilatéralisme à une approche plus globale et institutionnelle. En cela, elle se rapproche de la
posture eurosceptique en préférant une coopération réaliste entre États-nations. En outre, une
UE accordant une grande importance à ses membres permet à Moscou de retrouver une place
dans le concert des nations européennes et d’être l’égale des puissances d'Europe de l'Ouest.
C'est ainsi qu'un certain nombre de partisans de l'Europe des nations voient en la Russie un
contrepoids à un État européen trop puissant et influent sur le continent. Cette analyse n'est pas
nouvelle car Margaret Thatcher considérait, lors de la réunification de l'Allemagne, que la
Russie pouvait servir de balance géopolitique face à la montée en puissance de Berlin. 1064
L'idéal serait donc de disposer d'une Europe avec plusieurs centres d'impulsions politiques
pouvant s’équilibrer plutôt qu'une concentration de la puissance aux mains d'une seule entité.
Moscou, espérant être l'un de ces centres, se montre donc partisane de cette conception de
l'Europe et tend à jouer de la faiblesse institutionnelle de l'UE en sa faveur. Néanmoins, malgré
cette posture critique envers l'intégration européenne la Russie souhaite le maintien de l'UE (2)

2 La volonté russe de maintenir une UE stabilisatrice

Malgré les divergences politiques, l’Union européenne et la Russie sont interdépendantes


économiquement. L’UE est le principal partenaire commercial de Moscou, qui est le troisième

1061 Yastrzhembsky, Sergey, ‘La Russie et l’Europe, enjeux et perspectives’, Géoéconomie, 2007, p.3.
1062 Ibid.
1063 Fean, Dominique dans L'Europe et le monde en 2020 Op. Cit.
1064 Thatcher, Margaret, The Downing Street Years, Op. Cit., p.799.

Page 313
partenaire le plus important pour l'Union après les États-Unis et la Chine. 1065 Le marché
commun européen offre d’importantes opportunités pour la Russie qui base sa politique
étrangère sur le développement de sa puissance économique. Malgré une inflexion récente suite
à la crise en Ukraine poussant Moscou à se tourner vers les BRICS et tout particulièrement vers
la Chine, l’Europe reste un partenaire important. Le Kremlin ne peut pas ignorer l'institution
dominante sur le continent auquel il estime appartenir en partie. En effet, il ne faut pas oublier
qu'en accord avec sa doctrine réaliste le président Poutine avait témoigné au début de ses
mandats d’une forte volonté de se rapprocher de l’Occident1066 . De plus, en tant qu'admirateur
du tsar occidentaliste Pierre le Grand, il se montre intéressé par l'Europe.
Ces deux facteurs, à savoir l'importance économique de l’Europe et le rôle majeur conféré au
continent par la vision réaliste de Poutine, poussent Moscou à se rapprocher de l'UE. Si cette
dernière est vue à certains moments comme une menace, elle apparaît aussi comme un facteur
de stabilité pour le continent. De plus, une UE ayant une certaine cohésion présente un intérêt.
L'interconnexion économique fait que Moscou ne veut pas que l'Union et particulièrement
l’Eurozone soient déstabilisées : 40% de l'or russe et des réserves monétaires russes sont en
euros.1067 Cela témoigne de la confiance des dirigeants russes dans le marché européen. Des
troubles économiques dans cette zone seraient néfastes pour le marché et les finances publiques
russes. Le rôle de l’économie dans sa stratégie de recherche de puissance fait que la stabilité
financière de l'Europe lui est importante. Dès lors, la Russie reste dépendante du marché de
l’Union européenne.
À cet argument économique s’ajoute un autre plus politique. Le tournant eurasiatique accompli
par Moscou ces dernières années se révèle être un pari risqué pour le gouvernement russe. Les
prétentions de plus en plus unilatérales de la Chine, combinées avec la différence de puissance
politique militaire et économique en faveur de Pékin, font que la Russie ne peut pas se permettre
de tourner complètement le dos à l’Europe. La Sibérie et l’Asie centrale sont, en effet, des
régions particulièrement convoitées par la Chine et font ainsi concurrence au projet russe de

1065 Fean, Dominique dans L'Europe et le monde en 2020 Op. Cit.


1066 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.140.
1067 « I think that the leading economies are very pragmatic and efficient in addressing the issues facing the
European economy. That is why we keep approximately 40 percent of our gold and foreign currency reserves in
euros. »
Poutine, Vladimir, ‘Interview to Bloomberg’, President of Russia, 2016
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/52830> [accessed 22 May 2017].

Page 314
l’Union eurasiatique.1068 Un rapprochement entre la Russie et l'UE permettrait ainsi de contrer
l’influence grandissante de Pékin. 1069 Selon le professeur Jean-Paul Guichard : « La question
de la Sibérie regarde au premier chef la Russie, mais elle concerne aussi toute l’Europe. Le
maintien de la souveraineté russe sur cette région du monde constitue une condition de
l’existence même de la Russie. La fin de cette souveraineté serait une catastrophe pour la
Russie, mais aussi pour toute l’Europe. ». Le souhait d'une « Grande Europe » partagée avec la
gouvernement russe répond à cette préoccupation. L'idée d'une coopération entre la Russie et
l'UE permettrait à la Russie d’être plus forte face à des puissances globales telles que les États-
Unis et la Chine.1070
C'est donc une conception ambivalente de l'UE qui guide le gouvernement de Poutine . L'Union
doit être assez forte et stable pour être un partenaire efficace et permettre à la Russie d'en tirer
des bénéfices politiques et économiques mais ne doit pas devenir une rivale. Ainsi cette dernière
s’accommode mieux d'une UE autour des États-nations que d'une Europe qui serait trop
intégrée. En conséquence les liens entre les institutions européennes et Moscou vont être
limités. (§2)

§ 2 Des liens limités entre la Russie et l'UE

La coopération entre la Russie et l'UE est marquée actuellement par la méfiance. Néanmoins,
elle arrive à donner quelques résultats. Le cœur de celle-ci se trouve dans l'Accord de partenariat
et de coopération (APC) entré en vigueur en 1997, complété par la Stratégie commune de l’UE
en 1999 et par le projet des quatre espaces communs établi en 2003, lors du sommet de Saint-
Pétersbourg. 1071 Ces derniers portent sur un espace économique, un espace de liberté, de
sécurité et de justice, un espace de sécurité extérieure et un espace de recherche et
d’éducation.1072 Du fait de la stratégie politique de la Russie, il s'avère rapidement que l'aspect

1068 Guichard, Jean-Paul, ‘La politique russe, la Sibérie et l’Europe’, Géoéconomie, 2015, p.96.
1069 Ibid p.100.
1070 Ibid p.99.
1071 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit., p.248.
1072 La Documentation française, ‘Les quatre espaces communs : un projet’
<http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/europe-russie/quatre-espaces-communs.shtml> [accessed 6
August 2018].

Page 315
économique devient le plus important (A). Mais les dimensions politiques ne sont pas à négliger
(B)

A le facteur économique : une relation stratégique problématique

L'aspect économique des relations entre l'UE et la Russie revêt une dimension fondamentale.
La force du marché commun européen dans l'économie internationale combinée avec le
potentiel de la Russie en termes de matières premières et de commerce font que des projets
ambitieux ont été mis en place (1). Toutefois, ceux-ci vont être limités par l'instabilité
économique russe (2).

1 Une coopération ayant un fort potentiel

Depuis leur accord de Partenariat et de coopération, l’UE et la Russie visent à mettre en place
une zone de libre-échange. L’APC constitue le cœur de la coopération entre l’UE et la Russie.
Si ce projet final est pour l’instant inachevé, les relations économiques ont pu se développer au
travers d’un certain nombre de partenariats. Se trouvent en premier lieu la coopération
énergétique mais aussi des programmes d'aide financiers avec TACIS jusqu’en 2006.1073
La question énergétique reste toutefois le point le plus important dans la coopération entre
l’Union européenne et la Russie. Il apparaît que celles-ci sont interdépendantes dans ce
domaine. Selon l’agence internationale de l’énergie en 2007, la demande européenne en énergie
doit augmenter de 50 % d’ici 2020 en Europe ce qui permettrait à la Russie de fournir 70 % du
gaz importé pour les pays européens.1074 Les deux camps ont donc intérêt à s’entendre. D'un
point de vue européen, le plan Prodi1075 mis en place en 2002 par la commission, a fait de la
Russie un partenaire économique privilégié dans ce domaine en considérant que sa proximité
géographique et sa stabilisation institutionnelle offrait un avantage commun. Du côté russe, le
fait que son économie repose encore sur la rente pétrolière, la livraison de gaz à toute l'Europe
lui assure une source importante de devise mais aussi des technologies et des investissements
étrangers nécessaires à la modernisation de ses infrastructures et de ses outils de productions

1073 Richard, Hélène, ‘La coopération communautaire par le marché’, Terrains & travaux, 2005, p.74.
1074 Giuliani, Jean-Dominique, ‘Union européenne-Russie : je t’aime moi non plus’, Géoéconomie, 2007, p.9.
1075 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit., p.249.

Page 316
obsolètes par rapport au reste du continent. 1076 Cette coopération est actée par la "dialogue
énergétique" (pétrole, gaz et électricité) lors du Sommet de Paris du 30 octobre 2000 mais aussi
depuis 2005 par l'existence d'un Conseil permanent de partenariat des ministres de l’énergie.1077
Les politiques de libéralisations et de réformes accomplies lors du premier mandat de Poutine
et sous la présidence de Medvedev ainsi que la stabilisation interne du pays ont été des atouts
dans le renforcement de la coopération, car l'UE a conditionné ce partenariat au développement
d'une économie russe sûre et libérale économiquement. Si cette dernière n'atteint pas les
standards occidentaux, l'évolution est jugée suffisamment positive pour le maintien de la
coopération énergétique. Il convient toutefois de rappeler que dans ce domaine, la politique
européenne reste principalement le fait des États membres. Le secteur de l’énergie n'est pas une
compétence communautaire et n'est abordé à cet échelon que comme appendice d'autres
politiques. 1078 Ce partage des tâches entre les États et la Commission offre à Moscou la
possibilité de renforcer ce partenariat à travers les relations avec les pays lui étant les plus
favorables. C'est ainsi que la coopération entre l'UE et la Russie en la matière a pu être clarifiée
sous la présidence allemande de l'UE en 2007.1079
Ce lien économique ne se résume toutefois pas uniquement à l’énergie. En effet, selon Sergey
Yastrzhembsky : « Les investissements étrangers en Russie s’élèvent à 150 milliards de dollars,
tandis que les investissements russes à l’étranger sont de 140 milliards. Nous avons l’intention
d’augmenter ces investissements. Nous avons déjà une expérience positive avec nos partenaires
européens, notamment l’Allemagne et l’Italie. » 1080 et « Il est important de construire une
nouvelle architecture des relations économiques internationales basée sur la confiance et
l’intégration ainsi que sur la concurrence, qui serait avantageuse pour tous. La Russie est prête
à promouvoir la confiance dans les économies régionales et mondiale. »1081 Moscou voit le
marché commun européen dans son ensemble comme un atout à la fois économique mais aussi
pour assurer sa stabilité. En outre, le rapprochement russe avec l'UE lui permet d’acquérir un

1076 La Documentation française, ‘Le partenariat énergétique : un succès’ .


1077 Giuliani, Jean-Dominique, ‘Union européenne-Russie : je t’aime moi non plus’, Géoéconomie, 2007,
p.10.
1078 « la politique européenne de l’énergie a été conçue jusqu’à récemment comme un appendice d’autres
politiques : libéralisation et réalisation du marché unique, politique de protection de l’environnement »
Keppler, Jan-Horst cité dans Autret, Florence, ‘La politique énergétique sous la présidence allemande de
l’UE’, Regards sur l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, 2007, p.9
1079 Autret, Florence, ‘La politique énergétique sous la présidence allemande de .l’UE’, Regards sur
l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, 2007, p.9.
1080 Yastrzhembsky, Sergey, ‘La Russie et l’Europe, enjeux et perspectives’, Géoéconomie, 2007, p.6.
1081 Ibid.

Page 317
soutien pour son adhésion à l'OMC. Cette dernière qui se réalise en 2012, a pour vocation
d'offrir une meilleure crédibilité économique à l'échelle internationale pour la Russie et par voie
de conséquence une facilité à acquérir de nouveaux marchés y compris avec l'UE. 1082
Néanmoins, les problèmes liés à la politique économique sont un frein à cette coopération (2)

2 Des politiques économiques problématiques

La coopération économique entre l'UE et la Russie est néanmoins limitée par des divergences
sur les conceptions économiques. Le partenariat s'est inscrit au départ dans un certain contexte.
La Russie s'est ouverte à l'occident et a accompli des réformes économiques visant à se
rapprocher des standards de l'UE. Néanmoins, le fait que l'Etat reprenne le contrôle des
entreprises d'hydrocarbures, avec en tête Gazprom, est conflictuel car, les partenaires ont des
visions différentes. L'UE aspire à sécuriser sa demande en libéralisant le marché gazier et en
assurant un système basé sur la concurrence grâce au « troisième paquet énergie ».1083 Et afin
d'éviter d’être dépendante de quelques fournisseurs, elle limite les contrats longues durées. De
plus, cette libéralisation est combinée avec un protectionnisme discriminatoire à l'encontre des
investisseurs extra-européen.1084 Ces politiques sont désavantageuses pour la Russie et pour
Gazprom qui sont dans une logique de sécurisation de l'offre.1085 Pour Moscou, il est préférable
de conclure avec l'Europe des contrats à longs termes contraignants1086 désormais plus difficiles
à mettre en place. Les logiques sont donc opposées : la Russie préfère conforter sa position
dominante en Europe tandis que l'UE souhaite diversifier ses fournisseurs.
Mais la politique européenne laisse apparaître des divisions internes révélatrices. Les
principaux consommateurs d'hydrocarbures européens comme la France, l'Italie et l'Allemagne
se montrent réticents à une libéralisation du secteur de l’énergie car ils souhaitent soutenir leurs

1082 Yastrzhembsky, Sergey, ‘La Russie et l’Europe, enjeux et perspectives’, Géoéconomie, 2007, p.5.
1083 Locatelli, Catherine, ‘Interdépendances et conflictualités russo-européennes en matière de gaz naturel’,
Revue internationale et stratégique, 2011, p.99.
1084 « la « third country clause » ouvre la voie à un traitement discriminatoire des investissements étrangers.
Selon cette dernière, les compagnies détenues par des actionnaires extérieurs à l’UE devront démontrer qu’elles
ne portent pas atteinte à sa sécurité énergétique si elles veulent pouvoir y opérer. »
Ibid p.100.
1085 Ibid.
1086 Fean, Dominique dans L'Europe et le monde en 2020 Op. Cit..

Page 318
entreprises nationales gazières et pétrolières. 1087 A contrario, la Pologne et la Lituanie ont
soutenu les clauses visant à limiter les investissements extra-européens1088 dans le but peu voilé
de diminuer la présence de Gazprom en Europe. Dès lors, la Russie profite de ces dissensions
internes pour mettre en avant ses relations bilatérales avec les États membres. Il apparaît
clairement une divergence entre les pays européens ayant des industries d'hydrocarbures
majeures et la Commission européenne. Les premiers soutiennent activement les projets de
Gazprom avec Nord Stream et South Stream tandis que la seconde se concentre sur les projets
Nabucco et Nabucco West. Ces deux derniers ont pour vocation de fournir un
approvisionnement venant du Caucase du Sud1089 en contournant la Russie. De ce fait, South
Stream et Nabucco apparaissent comme des concurrents directs car ils empruntent tous deux
les couloirs énergétiques de l'Europe du sud-est et ont été lancés dans la même période : 2007
pour South Stream et 2008 pour Nabucco. Aucun des deux projets n'a abouti du fait de leurs
annulations respectives en 20141090 et en 20131091, mais ils soulignent les tensions existantes
entre les institutions européennes et la Russie. De plus, la position de l'UE, suite à la crise
ukrainienne et à l'annexion de la Crimée, a contribué à la détérioration du climat économique
entre Bruxelles et Moscou. L'annulation de South Stream est en partie liée à l'incompatibilité
du projet avec le « troisième paquet énergie » et la réglementation de l'UE. En outre, la
Commission européenne entre en conflit avec Gazprom en 2015 en lui signifiant qu'elle n’obéit
pas aux règles anti-monopoles. 1092 Dès lors, l'entreprise russe est moins présente sur le sol
européen et conclut des accords avec ses partenaires européens pour qu'ils prennent le relais
dans l'Union.
Plus généralement, l'UE se montre critique et inquiète vis-à-vis de l'absence de diversification
de l'économie russe concentrée sur les hydrocarbures, alimentant une logique rentière. De plus,
le marché de gaz russe est parfois jugé instable par les observateurs européens : selon le
professeur Dominique Fean « Une grande inquiétude porte sur la durabilité du marché du gaz
russe – l’incapacité à investir suffisamment dans le captage de ressources supplémentaires a

1087 Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond: States,
Markets, Institutions (Abingdon, Oxon ; New York, NY: Routledge, 2017) p.100.
1088 Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond: States,
Markets, Institutions (Abingdon, Oxon ; New York, NY: Routledge, 2017) p.102.
1089 Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond: States,
Markets, Institutions (Abingdon, Oxon ; New York, NY: Routledge, 2017) p.109.
1090 Ibid p.118.
1091 Ibid p.116.
1092 Ibid p.118.

Page 319
parfois donné lieu à des commentaires affolés en Europe. » 1093 Ainsi la politisation de
l'économie de la part des deux camps affecte la coopération. Du côté de Moscou, le fort contrôle
de l’État dans les domaines qu'il considère comme stratégiques pousse l'Europe à percevoir
l'économie russe comme une arme à l'encontre des pays de l'UE. Du côté européen, la
persistance des désaccords entre les États membres et l'utilisation du rôle de l'UE afin de servir
leurs intérêts nationaux font que la Russie tend à négliger son lien avec les institutions
européennes.
Cette situation s'aggrave avec la mise en place de sanctions entre l'UE et la Russie suite à
l'annexion de la Crimée. Le conseil européen des 20 et 21 mars 2014 déclare que « toute
initiative que prendrait la Fédération de Russie afin de déstabiliser la situation en Ukraine
entraînerait, pour les relations entre l’Union européenne et ses États membres, d’une part, et
la Fédération de Russie, d’autre part, d’autres conséquences d’une grande portée dans toute
une série de domaines économiques ». 1094 Consécutivement à cette décision politique et au
refroidissement des relations avec les Etats-Unis, la Russie augmente ses investissements avec
l'Asie afin de contrebalancer le poids de l'occident et éviter de pâtir de ces tensions. Si les
relations économiques avec l'UE restent importantes pour Moscou, le gouvernement de Poutine
cherche de plus en plus à contourner les instances européennes pour se concentrer sur des États
membres clés comme l'Allemagne : le cas du projet Nord Stream 2 soutenu par Berlin, Paris et
Rome et critiqué par la Commission européenne1095 en est l'exemple. Par conséquent, et malgré
la nécessité de la coopération économique, la relation politique s’avère prédominante (B).

B le facteur politique : une stabilité difficile entre l'UE et la Russie

Si la relation économique est fondamentale entre la Russie et l'UE, la dimension politique


occupe une place majeure dans l'APC et le projet des quatre espaces communs, tout
particulièrement avec l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Ce lien politique suit, à l'instar
de la relation entre les États-Unis et la Russie, une logique contradictoire liée à la politique

1093 Fean, Dominique dans L'Europe et le monde en 2020 Op. Cit.


1094 Secrétariat général du Conseil cité par Simonet, Loïc, ‘La crise du gaz de 2014 entre l’Ukraine et la
Russie : beaucoup de bruit pour rien ?’, Géoéconomie, 2014, p.113.
1095 Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond, Op. Cit.,
p.121.

Page 320
russe : un rapprochement basé sur l'occidentalisme (1) mais handicapé par le particularisme
russe (2).

1 Une relation politique visant à ancrer la Russie dans l'Occident

La vision européenne du partenariat avec la Russie consiste à ancrer cette dernière dans
l'Occident et à s'assurer qu'elle adopte les valeurs des pays de l'UE. Les Accords de Partenariat
et de coopération entrés en vigueur en 1997 mettent l'accent sur la démocratisation de la Russie
et des autres membres de la CEI. Ceux-ci stipulent que : « Ces partenariats ont comme objectifs
de : fournir un cadre approprié au dialogue politique ; soutenir les efforts de ces pays pour
consolider leur démocratie et développer leur économie ; accompagner leur transition vers une
économie de marché ; promouvoir les échanges et les investissements. » 1096 Ces accords
s'inscrivent dans la vocation normative de l'UE d'assurer le développement par le droit. À
travers cela, il s'agit de garantir la stabilité entre l'UE et son voisin principal avec des accords
institutionnels. L'esprit régissant ces accords doit être replacé dans le contexte dominant les
années 1990 : la Russie fait preuve d'ouverture envers l'Europe de l'Ouest et ses valeurs. La
présidence Eltsine marquée par un fort courant occidentaliste souhaite devenir une « grande
puissance démocratique »1097. Selon les propos du ministre des affaires étrangères russes Andreï
Kozyrev, l'UE et ses membres sont alors considérés comme « les alliés naturels de la nouvelle
Russie »1098 et cette alliance se fonde « sur la base de valeurs communes et de la défense de ces
valeurs ». L'arrivée au pouvoir du président Poutine ne va pas modifier initialement et
radicalement cette tendance. Si l’enthousiasme en faveur de l'Occident laisse place à la stratégie
de grande puissance, Vladimir Poutine est conscient qu'il est de l’intérêt de la Russie de garder
le lien politique avec L'UE et ce, malgré une critique interne due au retour en puissance des
eurasistes dans les élites russes dès la fin des années 1990.1099 En effet, que ce soit à Moscou
ou à Bruxelles, l'ambition d'un partenariat politique consiste à la formation d’un bloc

1096 ‘EUR-Lex - R17002 - EN - EUR-Lex’, Eur-Lex (European Union Law).


1097 Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, dans Moscou et le
monde (Autrement, 2008), p.147.
1098 Kozyrev, Andreï cité dans Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou
coexistence ?’, in Moscou et le monde (Autrement, 2008), p.147.
1099 Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, dans Moscou et le
monde Op. Cit., p.148.

Page 321
géopolitique englobant toute l'Europe. L'UE utilise la démocratisation dans les pays d'Europe
orientale et dans la CEI à cette fin.1100 Bruxelles ne dispose pas, comme les Etats-Unis, d'une
véritable doctrine et des valeurs à promouvoir mais souhaite être une union de démocratie.1101
En conséquence, son outil est ce que le chancelier allemand Konrad Adenauer appelait
« Magnet Europa » : l'UE doit être un aimant visant à attirer tout État se considérant européen
et les amener à adopter le droit et les valeurs de l'Union.1102 La perspective de l’adhésion à l'UE
a d'ailleurs été un outil efficace en Europe centrale avec les pays de Visegrad1103. L’UE profite
du rapprochement des sociétés russes et européennes1104 pour faire basculer Moscou dans le
camp occidental : ce mouvement est d'autant plus important que les élites russes y ont des
intérêts personnels.1105 Le souhait de Bruxelles est de former une zone stable sur le continent
où même les États n'ayant pas et ne souhaitant pas adhérer soient intégrés, en tant qu'alliés et
partenaires. Le président de la Commission Romano Prodi voit dans la politique de voisinage
de l'UE un « cercle d'amis ».1106 C'est ainsi un mélange d'éléments normatifs et diplomatiques
ayant pour objectif de créer un lien amical avec la Russie. De son côté Moscou souhaite une
Europe bipolaire forte grâce à la Russie.1107 Vladimir Poutine, alors premier ministre, présente
le 22 octobre 1999, lors du sommet UE-Russie la « Stratégie du développement des relations
de la Fédération de Russie avec l’Union européenne dans une perspective de moyen terme
(2000-2010) ». 1108 Ce texte met l'accent sur le partenariat avec l'UE mais aussi sur le rôle
dominant de la Russie dans la CEI. Le concept se traduit par l'Union de deux blocs mis sur un
pied d'égalité, la Russie désirant être considérée comme une égale de l'UE afin de pouvoir
retrouver une position majeure sur la scène internationale. La différence de vision entre Moscou
et Bruxelles est déjà présente mais elle reste négligeable dans les premières années de la

1100 Rupnik, Jacques, Géopolitique de la démocratisation : L’Europe et ses voisinages (Paris: Les Presses de
Sciences Po, 2014), p.16.
1101 Ibid p.28.
1102 Rupnik, Jacques, Géopolitique de la démocratisation : L’Europe et ses voisinages (Paris: Les Presses de
Sciences Po, 2014) p.28.
1103 Ibid.
1104 Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, dans Moscou et le
monde Op. Cit., p.140-141.
1105 « Les élites russes ont des intérêts en Occident, résume un observateur russe, « elles y ont des comptes
bancaires, s’y reposent, envoient leurs enfants y étudier, investissent dans l’immobilier »
Ibid.
1106 Rupnik, Jacques, Géopolitique de la démocratisation : L’Europe et ses voisinages Op. Cit. p.32.
1107 Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, dans Moscou et le
monde Op. Cit., p.142.
1108 Ibid p.142-143.

Page 322
présidence Poutine grâce à la convergence des intérêts et de la dominance de l'aspect
occidentaliste dans la « grande stratégie » du gouvernement russe. Ce que le professeur
Tsygankov appelle « l'occidentalisme pragmatique » du président Poutine répond à la crainte
que la Russie reste un pays dans la misère.1109 Moscou souhaite profiter de la position forte de
l'UE sur le continent européen afin d'avoir des alliés sur une scène internationale commençant
à se transformer après le 11 septembre. Néanmoins, ce partenariat politique s'estompe peu à
peu à cause des divergences entre les deux camps et du retour du particularisme politique russe
(2).

2 Une relation politique dans l'impasse du fait de la spécificité de la politique russe

Le tournant autoritaire en Russie à partir de 2003 combiné avec la stratégie de grande puissance
prenant de plus en plus d'ampleur au sein du Kremlin aboutit à des difficultés institutionnelles
avec Bruxelles. Ces éléments découlent des critiques venant de l'UE sur la gestion du conflit
tchétchène mais aussi des positions opposées sur le dossier ukrainien lors de la révolution
orange de 2004. L'UE considère la démocratisation de la Russie et l'adoption par celle-ci des
valeurs occidentales comme un préalable nécessaire pour l'accomplissement du partenariat. Or,
la Russie met en avant son particularisme freinant la coopération entre Bruxelles et Moscou :
l'élaboration des quatre espaces communs en 2004 est donc ralentie par cette divergence de
vues. 1110 La Russie estime de plus en plus qu'elle est libre de choisir sa méthode de
développement et entre en contradiction avec la projet européen préconisant l'adoption de
normes spécifiques. Les théories de « démocratie souveraine » se développent au sein des élites
russes et mettent l'accent sur une priorité nationale destinée à fortifier la Russie afin qu'elle soit
suffisamment puissante pour défendre ses intérêts.1111 L'UE qui s'est construite sur l’approche
visant à dépasser le souverainisme ne peut que difficilement accepter cette vision : les politiques
de voisinage visaient à stabiliser l'Union en poussant les États frontaliers à adopter des valeurs
similaires. Le retour d'une approche souverainiste inquiète Bruxelles qui craint une

1109 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.138.

1110 Fean, Dominique dans L'Europe et le monde en 2020 Op. Cit.


1111 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.183.

Page 323
déstabilisation de sa bordure avec un retour en force d'une Russie plus distante. De plus, l'idée
de l'indépendance nationale promue par Moscou ainsi que sa primauté par rapport à une
intégration internationale tend à relancer le débat interne à l'UE sur l'intégration européenne et
sur la part de souveraineté des États membres. Les partisans de Poutine mettent l'accent sur le
fait que la défense de l’État-nation est compatible avec les valeurs européennes et que la défense
de ce concept par la Russie permet de défendre l'Europe et ses nations. 1112 Il est facile de
comprendre que ce point de vue est un écho aux idées d'inspirations « gaullistes » et
« thatchérienne » et tend à affaiblir les institutions européennes avec la reprise de ces idées par
des dirigeants et politiques de pays membres. Il apparaît que plusieurs formations
eurosceptiques reprennent cette idée d'union des nations européennes souveraines et souhaitent
privilégier les liens avec la Russie au détriment des institutions européennes : c'est par exemple
le cas du premier ministre hongrois Viktor Orban, de l'ancien premier ministre italien Silvio
Berlusconi et de l'ancien président tchèque Vaclav Klaus. En conséquence de cette doctrine,
l'utilisation du bilatéralisme par la Russie amenuise l'importance du lien entre les institutions
européennes et Moscou.
À cette conception de la gestion politique s'ajoute un autre facteur de discorde concernant la
place géopolitique que veut retrouver la Russie. À l'instar de l'OTAN, l'UE doit gérer le
problème de « l'étranger proche » de la Russie. Cette dernière a conçu la CEI comme étant sa
zone d'influence et comme une barrière de protection vis-à-vis des influences occidentales. Le
souhait de toute une partie de l'Ukraine de rejoindre l'UE et le soutien de cette dernière à la
révolution orange puis au soulèvement de Maiden sont perçus comme une intrusion par la
Russie. La volonté de l'UE de démocratiser et d'attirer à elle son environnement rentre en conflit
avec la logique russe basée sur le fait qu'elle forme un bloc géopolitique. Le développement de
l'eurasisme au sein des élites russes et l'utilisation de cette doctrine par le président Poutine
depuis son retour au pouvoir depuis 2012 renforcent cette position. L'idée d'une Russie, pas
totalement européenne ou asiatique, avec sa propre civilisation montre une distanciation de
Moscou avec les valeurs européennes et met l'accent sur l'espace eurasiste au détriment de l'UE.
Par conséquent, l’élargissement de l'Union inquiète les autorités russes du fait de leur hostilité
vis à vis d’elle. Elle redoute que de plus en plus d’États frontaliers, comme l'Ukraine voire la
Géorgie, rejoignent l'UE par rejet de Moscou et renforcent ainsi l'hostilité de Bruxelles envers
elle. L'influence d’États déjà membres comme la Pologne et les pays baltes a compliqué les

1112 Ibid.

Page 324
relations et le gouvernement russe appréhende une dégradation supplémentaire des relations
avec l'adhésion d'autres pays frontaliers.1113 La Russie considère que l'UE via les nouveaux
pays membres et à l'instar de l'OTAN cherche à l'encercler et à l’empêcher de retrouver sa force.

Les relations entre l'UE et la Russie s'avèrent ainsi largement dépendantes des États membres
qui utilisent les institutions européennes pour faire avancer leurs propres intérêts. Le balancier
interne au sein de l'Union entre l'intégration et le maintien du rôle des pays membres permet
aux institutions de servir de multiplicateurs de puissance pour certains États. En résulte une
politique marquée par une cohérence européenne limitée. La coopération se concentre, sur les
intérêts économiques de la Russie et de l'UE et plus particulièrement l’interdépendance
énergétique. La coopération politique, quant à elle, reste plus difficile à mettre en place à cause
des divergences de vues et malgré l'existence d’une réelle volonté de rapprochement de part et
d'autre. Le rejet, par Moscou, d'une institution supra-Étatique trop près de ses frontières et la
vision globale de l'UE rentrent en conflit et conduisent à une impasse. Toutefois, le point
principal de friction est le domaine sécuritaire. L'UE et ses membres doivent s'adapter au retour
de la Russie et se posent la question du développement de leur sécurité (Section 2)

1113 «Cette crainte est confirmée au moment de la révolution orange. Très impliqués dans la recherche d’une
sortie de crise, les nouveaux membres, en particulier la Pologne et la Lituanie, pèsent sur la définition de la
politique ukrainienne de l’Union. »
Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, dans Moscou et le
monde Op. Cit., p.163.

Page 325
Section 2 Une défense européenne commune face à la Russie et
indépendante des États-Unis difficile à développer

L'UE est avant tout une organisation économique et politique visant à assurer la cohésion par
la paix. Néanmoins, la transformation de la situation internationale engendre un retour de
l'instabilité et des crises sécuritaires et conduit l'Union à se poser de nouveau la question de sa
défense. Dès la fin de la seconde guerre mondiale, plusieurs organisations ont eu pour missions
d'assurer la défense de l'Europe occidentale : l'OTAN en tant qu’« alliance des démocraties »
nord-américaines et européennes mais aussi l'Union de l'Europe occidentale (UEO) créée en
1954 pour la défense du continent et composée exclusivement de membres de l'UE1114. Si cette
dernière voit son rôle marginalisée par l'OTAN et se conçoit comme un complément de
l'Alliance pendant la guerre froide, elle est la représentante d'une défense produite par des États
européens. Après la guerre froide et la disparition de la menace soviétique, l'UE et ses membres
cherchent peu à peu à gagner en puissance et à jouer un rôle de stabilisateur sur le continent. Ils
souhaitent une autonomie accrue en la matière. Les évolutions politiques liées à l'après 11
septembre, caractérisées par les difficultés des États-Unis d'assurer la paix sur la scène
internationale et la montée de puissances révisionnistes comme la Chine et la Russie tendent à
accentuer la place de la sécurité européenne dans l'agenda des dirigeants de l'UE. Le but affiché
est de gagner en indépendance face aux deux géants voisins : les États-Unis et la Russie.
Toutefois, si la défense de l'UE connaît un regain d’intérêt, elle n'arrive pas à prendre ses
distances avec l'OTAN (§1). En outre, face à une Russie qui s'avère un adversaire ayant retrouvé
une certaine capacité d'action, et face aux nouveaux enjeux induits elle doit adapter sa défense
(§2).

§ 1 Une défense européenne restant dépendante de l'OTAN

Si les années 1990 ont été dominées par des missions de maintien de la paix, les conflits
traditionnels où une puissance majeure utilise le « hard power » n'ont pas disparu et

1114 Allemagne, Belgique, Espagne (adhésion en 1990), France, Grèce (adhésion en 1995), Italie,
Luxembourg, Pays-Bas, Portugal (adhésion en 1990), Royaume-Uni.

Page 326
redeviennent d'actualité. Les actions de la Russie dans son étranger proche avec la Géorgie en
2008 et l'Ukraine en 2014 en sont des exemples. Aussi, au XXIème siècle, le projet de défense
européenne doit s'adapter pour surmonter les enjeux sécuritaires d'une situation internationale
marquée par le retour de ce type de conflits et repose sur une coopération accrue entre les Etats
(A). Néanmoins, l'UE et ses membres restent tournés vers l'OTAN et renforcent leur rôle au
sein de celle-ci afin d'assurer leur sécurité (B).

A L'émergence d'une défense européenne reposant sur la coopération entre États

L'idée de défense « communautaire » avec comme finalité la création d'une « armée


européenne » n'a pas réussi à aboutir à cause d'un trop grand nombre d'obstacles à la fois
politiques et techniques (1) poussant des initiatives centrées sur la coopération entre États (2)

1 L'échec de la création d'une armée européenne dans le cadre de l'UE

L'idée politique sous-jacente de l'intégration européenne a été, dès le début, d'assurer une paix
durable autour de la réconciliation franco-allemande.1115 Dès 1950, et donc avant la création de
la CECA, l'idée d'une armée européenne a été avancée à travers le « plan Pleven » et la
Communauté européenne de défense (CED). Elle préconisait : « la création pour la défense
commune, d’une armée européenne rattachée à des institutions politiques de l’Europe unie,
placée sous l’autorité d’un ministre européen de la défense, sous le contrôle d’une assemblée
européenne, avec un budget militaire commun. Les contingents fournis par les pays
participants seraient incorporés dans l’armée européenne au niveau de l’unité la plus petite
possible »1116 . Si ce projet ambitieux ne voit pas le jour, d'autres initiatives vont être mises en
place avec la coopération politique européenne (CPE) en 1969. Celle-ci, issue de la volonté des
gouvernements des 6 membres fondateurs, vise l'harmonisation de leur politique étrangère.
Ainsi, avant même l'apparition officielle de l'UE en 1993, il existe l'impulsion pour créer une

1115 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis,Op. Cit.
p.93.
1116 Nigoul, Claude, ‘L’identité européenne de défense : illusions et réalités’, L’Europe en Formation, 2015,
p.122.

Page 327
défense européenne mais dans le cadre de l'OTAN : il s'agit de renforcer la zone européenne de
l'Alliance afin de lui d'assurer une meilleure efficacité. Initialement, ces projets n'ont donc pas
été concurrents de l'OTAN mais au contraire complémentaires. En tant que première puissance
militaire sur le continent, la France impulse ces projets tout en souhaitant, à travers cette défense
européenne, regagner en influence à la fois dans l'Alliance mais aussi dans les institutions
européennes. Paris a, en effet, toujours montré la volonté d'avoir une position privilégiée et
unique dans l'Organisation nord-atlantique, le retrait du commandement intégré étant la preuve
de cette prétention particulière. Les politiques de défense européennes peuvent alors s'analyser
comme un moyen d'assurer ce particularisme français.
De plus, à partir du traité d'Amsterdam, la défense européenne s'oriente peu à peu vers un projet
défensif de plus en plus intégré. La PESD s'avère désormais le cœur de ce projet. Issue d'une
initiative franco-britannique elle vise, selon les mots du président français Chirac et du premier
ministre Tony Blair, à assurer que « l'Union doit avoir une capacité autonome d'action,
appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à
le faire afin de répondre aux crises internationales ».1117 Il est clairement affirmé l'autonomie
de l'UE et sa capacité à agir par elle-même et aussi en dehors de l'OTAN : « Pour pouvoir
prendre des décisions et, lorsque l'Alliance en tant que telle n'est pas engagée, pour approuver
des actions militaires, l'Union européenne doit être dotée de structures appropriées ».1118 On
assiste à une prise de distance relative de l'Organisation nord-atlantique dans l'établissement de
la PESD. Ce mouvement politique ne passera d'ailleurs pas inaperçu à Washington car, c’est
après cette déclaration que, la secrétaire d’État américain Madelyn Albright mettra en place la
règle des « trois d ». Cette crainte d'un dédoublement de l'OTAN est renforcée par la mise en
place d'un véritable processus opérationnel au XXIème siècle.
L’idée d’une défense européenne indépendante des Etats-Unis reprend de l'importance suite
aux actions de la Russie en Ukraine et aux déclarations du président Trump sur l'OTAN et
l'Europe. Le couple franco-allemand, avec sa place primordiale dans la politique européenne
de défense, cherche à impulser la défense collective pour répondre au problème des coupes
budgétaires des pays européens : en 1990, les dépenses dans ce domaine représentaient 2,7 %
du PIB, 1,5% en 2008 et 1,35 % en 2013. 1119 Le développement d'une défense collective

1117 Chirac, Jacques, and Tony Blair, ‘Déclaration franco-britannique de Saint-Malo (4 décembre 1998)’ .
1118 Chirac, Jacques, and Tony Blair, ‘Déclaration franco-britannique de Saint-Malo (4 décembre 1998)’.
1119 Pertusot, Vivien, ‘Défense européenne : enfin du nouveau’, Politique étrangère, Printemps (2015), p.13.

Page 328
permettrait de mutualiser les ressources tout en permettant de compenser la réduction du
parapluie militaire américain. De plus, le souhait d'une défense collective avec une armée
européenne est lié à la recherche d'une meilleure capacité de l'UE et de ses pays membres sur
la scène internationale : les responsabilités nationales seraient diluées dans l'action européenne
permettant de contourner certains blocages internes. Ainsi les positions de la chancelière
Merkel en faveur d'une défense européenne s'expliquent en partie par la difficulté légale pour
l'Allemagne d'intervenir à l'étranger : une défense commune donnerait la possibilité aux forces
armées allemandes d'intervenir à travers une force supranationale. Toutefois, malgré ces
progrès et cette volonté d'une défense européenne autonome, des obstacles empêchent le projet
d’être réalisable

L'idée de défense européenne se heurte à un grand nombre de problèmes difficiles à surmonter.


Ils sont à la fois techniques et politiques. Tout d'abord, en matière organisationnelle, la défense
européenne souffre d'un problème de cohésion. La multiplication d'organes décisionnels
empêche la mise en place d'une stratégie à long terme et l'obtention d’objectifs fixés. Les deux
organes exécutifs de l'UE, la Commission européenne et le secrétariat du Conseil, ont des
approches et des identités institutionnelles différentes rendant la cohésion et la coopération
difficile.1120 Chacun des deux organes obéit à une logique différente : la Commission représente
l'approche communautaire tandis que le Conseil suit une méthode intergouvernementale. Le
problème étant qu'en matière de gestion de crise et de conflit, la coopération et la cohérence
sont essentielles sous peine de perdre en efficacité. La Commission est consciente de cette
faiblesse et reconnaît « Un manque de coordination entre les différents acteurs et politiques
signifie, pour l'UE, une perte d'influence tant politique qu'économique à l'échelle
internationale. »1121 Assurément, sur une scène internationale où l'UE est entourée par les deux
grandes puissances que sont les États-Unis et la Russie, l'Union ne peut pas se permettre de
manquer de crédibilité sous peine de perdre toute influence sur les grands dossiers
internationaux : une cacophonie institutionnelle a pour effet de rendre inaudible les institutions
européennes.

1120 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Op. Cit.
p.114.
1121 ‘Communication de la Commission au Conseil européen de juin 2006 - L’ Europe dans le monde -
Propositions concrètes visant à renforcer la cohérence, l’efficacité et la visibilité’.

Page 329
En plus du commandement politique, des défaillances apparaissent au niveau des capacités
opérationnelles de la défense de l'UE. Selon le professeur Thierry Tardy : « l'absence de
structure de planification opérationnelle pour des opérations militaires autonomes fait obstacle
à l'aspiration de jouer un rôle dans toute la gamme des activités de gestions de crise. »1122
L'Otan et les États-majors nationaux restent plus efficaces en matière de coordinations des
opérations que l’État-major européen. Le problème de la défense européenne est donc avant
tout politique car c’est une fonction régalienne de l’État. Elle lui permet d'assurer son existence
face aux menaces extérieures et est indicateur de puissance face aux autres acteurs
internationaux. En conséquence, le transfert de cette compétence des États membres à l'UE
s'avère difficile à faire accepter. Et à l'instar d'un grand nombre de domaines où l'Union
intervient, c'est un jeu d'influence entre les États qui s'opère. À cela, s'ajoute de la part de
certains d’États, (tout particulièrement les nouveaux entrants) la crainte d'une défense commune
verrouillée par la France et l'Allemagne. Les pays du groupe de Visegrad se montrent, en effet,
particulièrement attentifs à ce que les projets communautaires ne se résument pas à la défense
des intérêts nationaux du couple franco-allemand au détriment des leurs. L'écart de puissance
militaire en faveur de la France et de l'Allemagne et la volonté de ces pays quant à une défense
commune sont de nature à inquiéter les membres de l'UE ayant une capacité moindre. Même
entre les puissances militaires majeures, il existe cette peur d'une instrumentalisation de cette
politique au profil d'un seul membre : l'Allemagne a ainsi fait part de ses inquiétudes. Elle craint
que la PESD soit utilisée par la France pour servir ses intérêts en Afrique.1123 La persistance de
l'importance de l’État-nation dans la plupart de l'Europe est un obstacle majeur pour la
formation d'une armée européenne : le transfert de cette compétence à l'UE aboutirait à la
disparition des nations chez les États membres. A ce titre, le Brexit semble porter un coup
sévère au projet d'une armée commune. En effet, le Royaume-Uni, seconde puissance militaire
d'Europe après la France, était capable d'apporter une capacité importante. Pour s'adapter à ces
défis, il a été nécessaire d'impulser une défense européenne axée sur la coopération entre États
(2)

1122 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Op. Cit.
p.113.
1123 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Op. Cit.
p.112.

Page 330
2 La coopération structurée permanente et l'Initiative européenne d’intervention : une
défense européenne reposant sur les Etats plutôt que sur les institutions

Face à la difficulté d'harmoniser l'ensemble des pays européens sur un sujet régalien comme la
défense, des initiatives ont été prises pour développer une défense commune entre les différents
États. Plutôt que d'utiliser une approche venant des institutions, l'accent est mis sur la volonté
des États à coopérer entre eux. Le traité de Lisbonne en 2007 a prévu dans son article 42,
paragraphe 6, et article 46, une possibilité pour les « pays de l'UE de renforcer leur
collaboration dans le domaine militaire en créant une coopération structurée permanente (CSP
ou Pesco) »1124. Si cette possibilité est restée en sommeil pendant une décennie, elle est relancée
en décembre 2017 :1125 « La France, avec le soutien de l’Allemagne, l’Espagne et l’Italie, a
joué un rôle moteur dans ce processus qui fédère aujourd’hui 25 Etats membres. »1126 Le retour
de ce concept et son activation sont liés au contexte du Brexit : la défense est choisie comme
instrument pour ressouder les membres de l'UE autour d'un projet commun. Les activités russes
en Syrie et les discours du président américain souhaitant prendre des distances avec l'Europe
servent en outre de catalyseur pour fédérer la plupart des pays de l'UE autour de la CSP. Par
ailleurs, cette dernière est utilisée dans un rôle inverse de celui qui avait été initialement prévu
pour elle. A l'origine, en 2007, la CSP devait créer une Europe à deux vitesses avec un noyau
de pays qui assurerait la défense. En 2017, elle doit être « inclusive et modulaire »1127 afin
d'intégrer le maximum d’États membres et devient ainsi un facteur de cohésion pour la défense
européenne. Comme le rappelle le ministère de la défense français, la CSP est « un cadre
politique pour s’engager notamment à accroître les dépenses de défense et pour lancer des
projets d’équipements et opérationnels. Cela permet de tester l’intérêt des partenaires et de se
mettre d’accord ensemble pour aller plus loin, entre partenaires volontaires. »1128 Le point
principal consiste en une augmentation des dépenses de manière coopérative, afin d'assurer une
meilleure crédibilité des États européens dans le domaine militaire mais aussi, indirectement,
de répondre aux injonctions américaines demandant une plus grande participation à la défense
dans l'OTAN. La CSP a aussi permis de relancer l’intérêt pour une défense collective incitant

1124 Coopération structurée permanente - ‘Glossaire Des Synthèses - EUR-Lex’ .


1125 ‘La CSP’, ministère de la défense , 2018.
1126 Ibid.
1127 Maulny, Jean-Pierre, ‘L’Europe de la défense et la Coopération structurée permanente, un verre aux trois
quarts vides ?’, IRIS, 2017.
1128 ‘La CSP’, ministère de la défense , 2018.

Page 331
certains politiques à réintroduire l'idée d'une armée européenne : la haute représentante Federica
Mogherini fit un parallèle avec l'ancien projet Communauté européenne de défense (CED) de
1954 tandis que Bohuslav Sobotka et Viktor Orban, respectivement premiers ministres tchèque
et hongrois ont tous les deux souhaité la création d'un armée européenne.1129 Si cette dernière
n'est pas à l'ordre du jour, ces réactions politiques, venant de pays critiques envers les
institutions européennes, montrent le souhait des membres de l'UE de renforcer leur sécurité.
De fait, le succès de la CSP repose sur la capacité à rapprocher des États, avec des intérêts
différents, sur des questions pratiques mais aussi à recréer un sentiment européen .
Néanmoins, le poids militaire du Royaume-Uni ne peut pas être ignoré et a nécessité une
solution pour l'inclure dans la défense européenne malgré le Brexit. A cette fin, l'initiative
européenne d’intervention, IEI, est une réponse. Issue d'une proposition du président Macron
lors de son discours à la Sorbonne en septembre 2017, l'IEI vise à créer une : « culture
stratégique commune »1130. Le président français déclare : « Je propose ainsi à nos partenaires
d’accueillir dans nos armées nationales – et j’ouvre cette initiative dans les armées françaises
– des militaires venant de tous les pays européens volontaires pour participer, le plus en amont
possible, à nos travaux d’anticipation, de renseignement, de planification et de soutien aux
opérations. » 1131 Cette proposition se concrétise en juin 2018 autour de 9 Etats dont le
Danemark et le Royaume-Uni, deux pays absents de la CSP 1132 . L'IEI vient compléter le
dispositif de défense européen en assurant la création d'un groupe d'Etats qui collaborent pour
améliorer leurs capacités opérationnelles. Comme le précise le ministre des armées Florence
Parly : « Elle (l'IEI ndlr) n'ajoute pas de lourdeurs institutionnelles, elle arrive en complément
des dispositifs de l'Union européenne et servira également nos engagements résolus au sein de
l'OTAN. » De plus, elle insiste sur le côté volontaire et souple en précisant : « Une coopération
d'Etats capables militairement et volontaires politiquement. Une coopération qui doit avancer,
s'enrichir, être dynamique et ne doit pas être freinée par un cadre trop lourd. »1133 Face aux
échecs des solutions institutionnelles de l'UE, l'accent est clairement mis sur des solutions

1129 Haroche, Pierre, ‘Retour sur l’échec de l’« armée européenne » (1950-1954) : quelles leçons pour
demain ?’, Les Champs de Mars, N° 30 + Supplément.1 (2018), p.47.
1130 Macron, Emmanuel, ‘Initiative pour l’Europe - Discours d’Emmanuel Macron pour une Europe
souveraine, unie, démocratique.’, elysee.fr, 2017.
1131 Ibid.
1132 Nicolas, Clément, ‘Avec la Finlande, 10 pays rejoignent l’initiative européenne d’intervention militaire’,
euractiv.com, 2018.
1133 PARLY Florence, ‘Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur l’Initiative européenne
d’intervention, à Paris le 7 novembre 2018.’

Page 332
satisfaisant les intérêts nationaux des pays membres. La CSP et l'IEI permettent de contourner
les obstacles liés à la politique « communautaire » et d’apporter de la souplesse dans la
coopération militaire. Néanmoins, ces initiatives restent dans le cadre de l'OTAN qui conserve
sa primauté dans la défense du continent. (B)

B - Un développement de l'Europe dans l'OTAN

Si l'UE ne parvient pas à former une défense autonome, elle va renforcer sa présence dans
l'Alliance et mêler ses politiques européennes dans le cadre de l'OTAN. Au XXIème siècle,
cette dernière, alors en transformation, redevient l'outil privilégié de la protection des membres
de l'UE. (1) A cet effet, elle accompagne la mutation du centre de gravité de la défense
européenne (2)

1 L'OTAN, un outil renouvelé de la défense européenne

Le lien entre l'Alliance et les institutions européennes est ancien mais il va être réaffirmé au
XXIème siècle. De par l'échec d'une politique cohérente et efficace avec la PESD/PSDC, il se
fait désormais dans le cadre et en partenariat étroit avec l'Organisation nord-Atlantique. L'UE
a axé la majorité de son action étrangère dans la résolution de crises tandis que l'OTAN apporte
une véritable solution militaire.1134 La forte présence des États-Unis dans cette dernière a aussi
joué un rôle dans l'importance que les États membres lui accordent. Selon Yves Buchet de
Neuilly : « l’absence de guerre en Europe conjuguée à une pression américaine pour la guerre
mondiale contre le terrorisme ont poussé en faveur d’une allocation des ressources de sécurité
collective à l’OTAN plutôt qu’à l’UE. » 1135 Dès les années 1990, le Concept d'Identité
Européenne de Sécurité et de Défense (IESD) est avancé pour laisser plus d'importance aux
européens dans l'Alliance.1136 En 1996, lors du Conseil Atlantique nord de Berlin, les pays de
l'OTAN décident de mettre à disposition de l'UE les moyens et les capacités collectives de

1134 Neuilly, Yves Buchet de, ‘Chapitre 3 - L’Union européenne et la sécurité collective’, in L’union
européenne et la paix Op.Cit. , p.71.
1135 Ibid.
1136 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.,
298.

Page 333
l'Alliance.1137 L’absence de menace majeure sur le territoire de l’Europe pendant la première
décennie du XXIème siècle n’a pas encouragé le développement d'autres vecteurs de défense
militaire que l'OTAN. Cette dernière ayant l'avantage de fournir un parapluie américain
particulièrement apprécié pour les nouveaux entrants, et la menace terroriste, qui touche surtout
les États-Unis, incitent à une coopération avec elle. Les différences de points de vue des Etats
membres sur la politique américaine ont aussi favorisé la discussion au sein de l'Alliance
reposant sur une approche intergouvernementale, l'UE étant plus axée sur l'intégration
supranationale. Dans le même contexte, la préférence des nouveaux membres de l'UE de 2004
pour les États-Unis, et donc par extension pour l'OTAN, par rapport à l'Allemagne et la France
permet d'actualiser l’intérêt pour l'Alliance. Tous ces éléments incitent les pays européens à
diminuer leurs dépenses militaires en estimant que l'OTAN suffit à la protection européenne et
que toute duplication des institutions est inutile.1138
Cette persistance du lien OTAN-UE est à l'origine du retour de l'Europe dans le cœur de
l'Organisation à partir de 2014. Après une vocation plus globale avec des missions au Moyen-
Orient et au Darfour 1139 , l'Alliance réaffirme progressivement son intérêt pour le vieux
continent, craignant un retour agressif de la Russie. Dès 2010, à l'occasion du Sommet de
l'OTAN de Lisbonne qui intervient un an après l'entrée en vigueur du traité européen
homonyme, le partenariat entre l'UE et l'Alliance est mis en avant. Ainsi, le Concept stratégique
pour la défense et la sécurité des membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord de
2010 précise dans son article 32 : « Une Union européenne active et efficace contribue à la
sécurité globale de la zone euro-atlantique. C’est pourquoi l’UE est un partenaire unique et
essentiel pour l’OTAN. Les deux organisations sont composées, en grande partie, des mêmes
États, et tous leurs membres partagent les mêmes valeurs »1140. L'Alliance cherche à assurer
l’existence d'un pilier européen travaillant de concert avec elle. La complémentarité est mise
en avant : « nous coopérerons plus étroitement pour le développement des capacités, de
manière à réduire au minimum les doubles emplois et à maximiser le coût-efficacité. »1141 Cette
politique de coopération entre l'UE et l'OTAN s'effectue dans un contexte où les États-Unis

1137 La Documentation française, ‘Chronologie de l’Europe de la défense’ .


1138 Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités, défis, Op. Cit.
p.112.
1139 Michel, Leo G., ‘UE-Otan-États-Unis : vers un « ménage à trois » vertueux’, Politique américaine, 2006,
p.111.
1140 Concept stratégique pour la défense et la sécurité des membres de l’Organisation du Traité de l’Atlantique
Nord, 19 et 20 novembre 2010.
1141 Ibid.

Page 334
cherchent principalement à se désengager de l'Europe pour se concentrer sur l'Asie. Les
Américains souhaitent que l'Europe investisse davantage dans les affaires de la défense afin que
le fardeau budgétaire soit mieux réparti et ne repose plus uniquement sur la puissance
américaine. De plus, L'UE est trop axée sur la paix. Elle est parfois définie comme le produit
de la « paix éternelle » de Kant.1142 Ce faisant, elle couvre des domaines plus variés que l'OTAN
mais perd en spécialisation. À l'inverse, l'Alliance se montre entièrement consacrée aux
questions militaires et de défenses. Dans un contexte du retour de grandes puissances rivales
comme la Russie utilisant la force militaire, l'organisation militaire de l'OTAN reste dès lors la
plus adaptée, l'UE devenant plus un soutien. Cette dynamique est d'autant efficace que la France
a réintégré le commandement intégré et que l'OTAN s'est recentrée sur le continent européen
suite à l'annexion de la Crimée.
De même, les actions de la Russie en Ukraine combinées avec les propos du président Trump
et le Brexit incitent les européens à réinvestir dans la défense de l'Organisation. La sortie
annoncée du Royaume-Uni de l'UE pousse ses membres à utiliser l'OTAN pour coordonner
leurs actions afin de conserver la puissance militaire britannique.1143 Et depuis le retour au
pouvoir du parti « Droit et Justice » en Pologne et sa méfiance envers le triangle de Weimar,
l'OTAN reste un outil faisant consensus entre les États européens. Enfin, les critiques du
président Trump sur le budget de l'Alliance provoquent la réaction de la chancelière allemande
et incitent l'Allemagne à avoir un rôle accru dans l'organisation. Berlin qui possède un profond
lien avec cette dernière craint que la prise de distance des États-Unis ne mette en danger la
cohésion même de l'OTAN. Dès lors, il apparaît pertinent pour les dirigeants allemands de
renforcer l'Alliance au niveau européen et d'utiliser ses propres ressources nationales pour
rassurer l'Europe orientale : le partage des coûts et la coopération que l'organisation offrent,
restent préférables à un développement direct de la défense allemande sur le continent , coûteux
et mal vu par les autres membres de l'UE.1144 En conséquence, on assiste au sein de l'Europe à
un déplacement du centre de gravité de la défense en Europe (2)

2 Vers un déplacement du centre de gravité de la défense en Europe orientale

1142 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage, Op. Cit.
1143 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘Du « British Exit » à l’« American Brexit » : les perspectives incertaines
d’une défense européenne autonome’, Hérodote, 2017, p.186.
1144 Ackerman, Bruce, ‘Un New Deal pour l’OTAN ?’, Commentaire, Numéro 157 (2017), 180–81 .

Page 335
Selon l'ancien vice-ministre des affaires étrangères de la République tchèque Tomas Pojar1145,
les lignes de démarcations internes à l'UE bougent. La division entre la « vieille Europe » et la
« nouvelle Europe » se transforme peu à peu en une Europe centrale et une Europe périphérique.
Toutefois, il est nécessaire de se demander quels États font désormais partis du centre et de la
bordure de l'UE. Trois dynamiques ressortent. Tout d'abord, l'Allemagne conforte sa position
sur la scène européenne et développe son outil militaire afin d''assurer son rôle actif sur le
continent. Ensuite, le Brexit oblige l'UE à s'adapter et à intégrer l'absence des Britanniques dans
la défense de l'Union. Enfin, l'UE est réticente à s'occuper des affaires africaines voire du
Moyen-Orient malgré la pression française et préfère se concentrer sur l'est : cette dynamique
est toutefois guidée par l'Allemagne qui s'opposa à l'intervention en Libye en 2011.1146 Ainsi,
la défense européenne restant guidée par les politiques nationales en matière militaire, c'est
l'équilibre interne des Etats dans l'UE qui définit l'orientation de celle-ci.
Conséquemment à ces différentes dynamiques, le centre de gravité de la défense européenne se
déplace vers l'Est. L'Allemagne, en tant que pivot européen, se tourne politiquement vers les
États de l'Europe orientale qui constituent sa zone d'influence grâce au poids de l'économie. Si
le couple franco-allemand se maintient comme le montre les accords de Minsk 2, l'écart
économique et politique croissant entre les deux États en faveur de Berlin 1147 fait que l'Europe
centrale et orientale prend désormais une place plus importante dans les affaires européennes.
Les limites du couple franco-allemand amènent, en effet, Berlin à prendre son destin en main
et à déployer sa propre vision de la défense qui inclut les Etats d'Europe orientale. Malgré les
divergences sur des questions de politique interne comme la gestion des migrants, l'Allemagne
et le groupe de Visegrad s'accordent sur la gestion de la crise ukrainienne 1148 La peur ressentie
par les États baltes et la Pologne envers la Russie, les ont incités à se rapprocher des deux
puissances capables de les protéger : les États-Unis au niveau global et l'Allemagne au niveau

1145 Entretien avec M. Tomas Pojar ancien vice-ministre des affaires étrangères de la république tchèque le
17 juillet 2018.
1146 Deschaux-Dutard, Delphine, ‘Convergences et résistances vis-à-vis de la politique de sécurité et de
défense commune : une comparaison franco-allemande’, Revue française d’administration publique, 2014, p.558.
1147 Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘Du « British Exit » à l’« American Brexit » : les perspectives incertaines
d’une défense européenne autonome’, Hérodote, 2017, p.189.
1148 « Alors que la crise migratoire représente un thème qui « divise » l’Europe, les normes de l’UE et de
l’OTAN continuent toutefois – dans un contexte de gestion de la crise ukrainienne – à être considérées comme les
principales références dans les discours de politique étrangère »
Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale après la
crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 2017, Op. Cit. p.149.

Page 336
européen. Si Berlin a été secondaire pendant longtemps dans leur défense, le relatif retrait des
Américains au niveau politique en Europe lui permet de combler ce vide.
La nécessité de réassurance de la Pologne, des pays baltes, voire des États du nord comme la
Suède et la Finlande, qui bien que membres de l'UE n’aient pas adhéré à l'OTAN, révèle le côté
stratégique de cette région, après les événements post-Maidan de 2014. La mer baltique comme
la mer Noire deviennent des territoires clés de par le contrôle des accès maritimes majeurs pour
la Russie. En effet, le gouvernement de Poutine a renforcé les infrastructures de ces régions à
des fins commerciales. Afin de ne plus dépendre de l'Ukraine depuis la révolution orange de
2004, la Russie développe les avant ports de Saint-Pétersbourg, de Vyborg, Primorsk, Oust-
Louga qui « ouvert réellement en 2007, il dépassera les 100 millions de tonnes en 2017 et
devrait être le point de départ de Nord Stream 2 » et Bronka, afin d'en faire les principaux de
la mer baltique.1149 Dans la mer Noire, le port de Novorossiisk est « devenu le premier port
russe avec un trafic de 131 millions de tonnes en 2016 (contre environ 50-70 à la fin de l’époque
soviétique) ». 1150 Le contrôle des points d'accès maritimes russes est désormais une donnée
stratégique à prendre en compte.
Dès lors, les pays d'Europe orientale occupent une place majeure dans la défense commune à
travers l'OTAN. Comme le fait remarquer le chercheur Guillaume Lasconjarias: « Le Corps
multinational Nord-Est de Szczecin (Pologne) voit son rôle accru et ses missions élargies ;
devenu quartier général de réaction rapide, il est censé conduire d’éventuelles opérations sur
le flanc Est de l’Alliance (Pologne et pays baltes), et notamment commander la VJTF »1151.
Cette dernière est l’acronyme de la brigade d'intervention de l'OTAN créée en 2014 au sein de
la force d'action de l'Alliance pour faire face à la dégradation de l'environnement sécuritaire des
régions est et sud bordant l'organisation.1152 Le contexte politique et la situation géographique
font que l'Europe centrale et orientale s'avèrent le nouveau cœur de l'UE en matière de défense :
l'Allemagne est le pivot européen qui coordonne et les pays de l'Union européenne à l'est et au
nord forment la première ligne qui s'implique dans leur protection. Ce noyau européen est
renforcé par la situation économique. L'Allemagne conforte sa position de tête de file et les
pays baltes et de Visegrad connaissent une forte croissance, en grande partie grâce à l'économie

1149 Radvanyi, Jean, ‘Quand Vladimir Poutine se fait géographe...’, Hérodote, 2017, p.120.
1150 Ibid.
1151 Lasconjarias, Guillaume, ‘Les initiatives de l’Otan depuis le début de la crise ukrainienne’, Les Champs
de Mars, 2017, p.71.
1152 ‘SHAPE | NATO Response Force / Very High Readiness Joint Task Force’ <https://shape.nato.int/nato-
response-force--very-high-readiness-joint-task-force> [accessed 27 August 2018].

Page 337
allemande. Le nouveau noyau de l'Europe serait ainsi l'Allemagne et sa zone d'influence à l'est :
une situation qui n'est pas sans rappeler le saint empire romain germanique. Le décrochage
politique de la France et la prise de distance du Royaume-Uni vis-à-vis de l'Europe, font qu'il
n'existe plus de véritable contrepoids à la puissance allemande au sein de l'UE. Un nouvel
équilibre du continent se forge à travers cette configuration avec le rôle historique de
l'Allemagne et de sa « Mitteleuropa » réaffirmée. C'est avec un contexte sécuritaire européen
en mutation interne que l'UE et l'OTAN doivent s'adapter aux enjeux de la Russie. (§2)

§ 2 La nécessité de l'Europe de s'adapter aux nouveaux enjeux de défense avec la


Russie

Si le retour de la Russie sur la scène internationale préoccupe les États-Unis, c'est


principalement l'Europe qui est concernée du fait de sa proximité géographique. Avec le conflit
géorgien en 2008 et surtout avec le conflit dans l'est de l'Ukraine, la gestion de la force militaire
russe est redevenue d'actualité. Dès lors, pour l'UE et l'OTAN, la lutte contre les « conflits
hybrides » est devenue une priorité. (A) Néanmoins, l'escalade n'étant pas souhaitable, il est
nécessaire pour l'UE de trouver une réponse crédible face à Moscou. (B)

A La lutte contre résurgence des « conflits hybrides »

Certains analystes estiment que la stratégie russe est la suivante « Si un pays se dirige vers le
système politico-économique de l’Ouest, la Russie le rendra ingouvernable ; si l’Ouest ne
parvient pas à un accord avec la Russie sur les questions de sécurité européenne, la Russie
rendra l’Europe moins sûre »1153. Cette politique prend forme à travers les « conflits hybrides »
qui constituent une stratégie désormais maîtrisée par la Russie (1)face auxquels l'UE cherche
des moyens de réponse. (2)

1153 Lasconjarias, Guillaume, ‘Les initiatives de l’Otan depuis le début de la crise ukrainienne’, Les Champs
de Mars, 2017, p.66.

Page 338
1 Une maîtrise des « conflits hybrides » par la Russie

Les conflits hybrides ne datent pas du conflit en Ukraine post-Maidan. En 2005, les généraux
américains James Mattis, ancien membre du cabinet du président Trump, et Frank Hoffman
mentionnent le risque de l’émergence de guerres hybrides. 1154 Elles consistent en des
affrontements de forces irrégulières, n'appartenant officiellement à aucune armée d’État
reconnu, mais soutenues par des forces plus conventionnelles et utilisant les technologies,
principalement numériques, pour déstabiliser leur adversaire. Cette idée est reprise en 2013 par
ce qui est appelé « doctrine Gherassimov » du nom du chef de l’État-major russe. Ce dernier
estime que la limite entre l'état de paix et l’état de guerre est de plus en plus ténue et que les
moyens non militaires prennent de l'importance pour atteindre les objectifs stratégiques.1155
Selon Olivier Kempf : « Il évoquait également l’instrumentalisation des oppositions internes
afin de créer un front opérationnel sur l’ensemble du territoire ennemi. La guerre de
l’information, notait-il, ouvre des possibilités asymétriques utiles pour réduire le potentiel de
l’ennemi et influencer les structures étatiques et la population. En fait, tous les moyens peuvent
être bons pour éviter l’engagement direct des forces. »1156 Il s'avère que cette stratégie reflète
la perception russe de l'action des États-Unis et de l'UE en Ukraine et Géorgie lors des
printemps de couleurs : Moscou considère que l'occident a utilisé ces méthodes en premier
contre elle lors de ces révolutions et que par conséquent elle doit riposter en utilisant les même
stratégies, adaptées aux capacités russes.1157 Si l'idée d'une « doctrine Gherassimov » est parfois
contestée1158 en considérant que l'action du Kremlin est plus désorganisée, il n'en reste pas
moins que l’efficacité et la capacité de perturbation dont a fait preuve la Russie en Crimée et
dans le Donbass montrent une réelle stratégie. De facto, ces deux théâtres d'opérations ont suivi
pour la Russie le même schéma : « Elle inclurait l’usage de forces spéciales – « les petits

1154 Mattis, James, and Frank Hoffman, ‘Future Warfare: The Rise of Hybrid Wars’, Proceedings Magazine,
132 (2005).
1155 Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique étrangère, Op.
Cit., p.163.
1156 Ibid p.163-164.
1157 Tenenbaum, Élie, Le piège de la guerre hybride, IFRI (Paris: Institut Français des Relations
Internationales (IFRI), 2015) p. 23-24.
1158 Galeotti, Mark, ‘I’m Sorry for Creating the “Gerasimov Doctrine”’, Foreign Policy, 2018
<https://foreignpolicy.com/2018/03/05/im-sorry-for-creating-the-gerasimov-doctrine/> [accessed 28 August
2018].

Page 339
hommes verts » – et autres agents des services de renseignement – «les hommes polis» –, une
très grande maîtrise des opérations de communication, éventuellement l’utilisation du cyber,
une certaine gesticulation nucléaire, et enfin la pratique de la guerre économique ».1159
Cette stratégie est le résultat de l'expérience russe avec les conflits tchétchènes et géorgiens
mais aussi de l'analyse des opérations occidentales en Irak et en Afghanistan. De plus, l'héritage
des traditions militaires de l'URSS assure à Moscou une expérience dans le domaine des
combats indirects et irréguliers : l'utilisation des partisans pendant la seconde guerre mondiale
et le concept de « maskirovka », reposant sur le fait de déstabiliser l'adversaire, utilisé pendant
la guerre froide démontrent que la Russie n'est pas novice dans ce type d'opérations 1160. En
Ukraine, la Russie a axé ses tactiques sur l'effet de surprise afin d'éviter que l'adversaire
occidental ne puisse s'adapter et riposter. Pour cela, la Russie a fait preuve de compétence en
matière de mobilité stratégique au regard des standards européens 1161 : l'armée russe a su
déployer de nombreuses troupes à la frontière ukrainienne tout en conduisant des exercices de
grande ampleur régulièrement. L'annexion de la Crimée est l'aboutissement de cette stratégie
basée sur la surprise et la combinaison d'éléments de conflit irrégulier : utilisation des moyens
médiatiques combinés avec un déploiement stratégique de forces spéciales sans insigne sur les
points stratégiques.1162 La stratégie dans le s semble moins réussie compte tenu de l'enlisement
de la situation laissant le champ libre aux factions extrémistes locales des deux camps (pro-
russe et pro-ukrainien). À l'instar de la « guerre éclair », la stratégie russe fonctionne de manière
optimale quand elle est accomplie sur une durée courte. Néanmoins, la Russie capitalise son
action sur ses deux points forts militaires : son arsenal nucléaire et son utilisation de la
« capacité de déni d'accès » (A2/AD). Pour le premier, Moscou le met en avant en rappelant la
continuité des armements conventionnels et nucléaires dans sa doctrine. Une rhétorique
nucléaire est utilisée tout au long de la crise ukrainienne.1163 La menace de son utilisation en
cas d'escalade permet aux dirigeants russes de bloquer des réactions trop radicales de la part de
l'UE et de l'OTAN . De plus, la maîtrise des techniques A2/AD offre à la Russie une capacité
défensive efficace. Combinées avec des stratégies de « guerre hybride », cela a permis aux

1159
1159 Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique étrangère,
Op. Cit., p.163.
1160 Tenenbaum, Élie, Le piège de la guerre hybride, IFRI (Paris: Institut Français des Relations
Internationales (IFRI), 2015) p. 24.
1161 Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique étrangère, Op. Cit.,
p.164.
1162 Ibid p.162.
1163 Ibid p.166.

Page 340
insurgés du Donbass de dénier la supériorité aérienne à l'adversaire occidental. Cette situation
n'est pas négligeable compte tenu que la doctrine des pays occidentaux, et en premier lieu des
États-Unis, repose sur la nécessité de celle-ci. Toutefois, les frappes françaises, britanniques et
américaines en Syrie en avril 2018 montrent que l'utilisation des techniques A2/AD par la
Russie n'offre pas une protection absolue et reste conditionné à la volonté politique : en l'espèce
Moscou n'a pas voulu actionner son système de défense afin d'éviter une escalade.1164
Cette stratégie indirecte russe déployée en Ukraine s'explique par le rapport de force entre la
Russie et les membres de l'OTAN. Moscou n'a la puissance ni militaire, ni économique
suffisante pour concurrencer l'Alliance et ses principaux membres. De ce fait à l'instar de sa
stratégie d'influence, la Russie utilise des méthodes consistant à contourner la puissance de son
adversaire en profitant de ses failles. La Russie combine à la fois les atouts d'une grande
puissance qu'elle possède avec certaines des méthodes employées par les forces irrégulières que
combat l'Occident (et qui ont jadis affronté la Russie en Tchétchénie). Pour ce second point, en
retournant la technologie de l'information et en exploitant le domaine du cyberespace maîtrisés
classiquement par l'Europe de l'Ouest et les États-Unis contre eux, Moscou arrive à paralyser
son adversaire. La dépendance de l'appareil d’État et de l'armée au numérique crée, en effet,
des failles exploitables par l'adversaire. De même, l'utilisation des forces spéciales ou de
sociétés militaires privées permet d'atteindre les objectifs tout en évitant une escalade militaire
entre les Etats.
Cette stratégie est source d’inquiétude pour les États baltes qui craignent un scénario similaire
au s et à la Crimée du fait des populations russophones sur leurs territoires. Selon le chercheur
Guillaume Lasconjarias :« Le meilleur exemple concerne les pays baltes, membres de l ‘OTAN
mais qui ont une population russophone – 26 % de la population lettone et 28 % des Estoniens.
L‘angoisse des dirigeants de ces pays tient justement à cette combinaison létale d ‘actions
hybrides pour les aspects offensifs, et de parapluie A2/AD pour les aspects défensifs. »1165 De
ce fait, les actions russes en Ukraine ont fait renaître la peur d'une déstabilisation dans les pays
baltes qui permettrait à la Russie de regagner un certain contrôle sur ces territoires sans à avoir
à affronter directement l'OTAN. Cette crainte est d'autant plus forte que l'Estonie a connu en
2007, une série d'attaques informatiques de grande ampleur visant ses administrations et

1164 Makarian, Christian, ‘Les leçons des frappes en Syrie’, LExpress.fr, 2018 .
1165 Lasconjarias, Guillaume, ‘À l’Est du nouveau ? L’OTAN, la Russie et la guerre hybride’, Stratégique,
2016, Op. Cit.

Page 341
imputée à des nationalistes russes.1166 Dans ce contexte et pour assurer une crédibilité, l'UE doit
chercher à s’opposer à cette stratégie indirecte. (2)

2 Une UE en difficulté face à la stratégie militaire russe

Face à la résurgence des problèmes sécuritaires liés à la Russie et afin de limiter le potentiel
stratégique de Moscou, l'UE et ses membres réagissent. La politique de l'UE est déstabilisée
par son effet soudain et la surprise que les actions en Ukraine ont provoqué chez les dirigeants
occidentaux. En effet, la politique de l'Union s'est habituée à une gestion de la paix et non plus
aux conflits sur le continent européen au XXIème siècle. Le conflit yougoslave des années
1990, avait abouti à une intervention de l'OTAN sans adversaire militaire et politique
suffisamment conséquent pour mettre à mal l'action des deux organisations. La logique
politique de l'UE reste mal adaptée au nouveau contexte géopolitique qui émerge au XXIème
siècle. Comme le fait remarquer le politologue néoconservateur Robert Kagan, l'UE est dans la
logique de la paix éternelle de Kant tandis que les États-Unis conçoivent le monde à travers
l’État de nature de Hobbes.1167 Bruxelles et les membres de l'Union ont réduit leurs dépenses
militaires et ont rejeté l'idée du retour de conflits entre puissances à influence globale comme
la Russie. Cette situation change avec la crise ukrainienne après 2014. La réaction occidentale
est le produit d'un travail entre l'UE et l'OTAN permettant d'assurer une complémentarité des
compétences et d'intégrer la Suède et la Finlande, membres de l'Union européenne mais pas de
l'Alliance.
Les leçons, concernant la défense des membres de l'UE et tirées du conflit ukrainien, mettent
en lumière les faiblesses stratégiques accumulées par l'Europe. Tout d'abord, la coopération en
matière de défense reste difficile entre l'OTAN et l'UE mais aussi entre les membres de l'Union.
Le cas des pays Baltes, de la Suède et la Finlande qui occupent une position stratégique dans la
Baltique et qui sont voisins de la Russie est significatif. L'élargissement de l'OTAN aux pays
baltes a eu pour effet d’affaiblir la coopération régionale en matière de défense qui existait entre
les membres de l'UE bordant la mer baltique : les États baltes se tournant plutôt vers
Washington pour assurer leur défense.1168 Cette situation est aggravée par le retour de l'Alliance

1166 Kempf, Olivier, ‘Cyber et surprise stratégique’, Stratégique, 2014, p.120.


1167 Kagan, Robert, ‘Power and Weakness’, Policy Review, 2002.
1168 Kunz, Barbara, ‘La fragmentation de l’architecture de sécurité dans la Baltique’, Les Champs de Mars,
2017, p.92.

Page 342
dans la défense collective liée à l'article 5 du traité1169 qui induit une mise à l'écart des pays
neutres. Enfin, l'absence de position commune de ces pays vis-à-vis de la Russie réduit la portée
de la défense dans cette zone : la Finlande et la Suède tiennent à maintenir des relations
cordiales avec la Russie, là où l'Estonie se montre plus vindicative.1170 L'absence d'entente entre
les membres de l'UE bordant la Mer Baltique, zone désormais hautement stratégique, signale
que l'Union et ses membres ont des difficultés à s'adapter au retour de la Russie. Phénomène
qui est d'autant plus problématique que si Moscou devait pratiquer des méthodes de « guerre
hybride », elles auraient lieu dans cette région. De même, l'absence de cohésion au sein de l'UE
en matière de défense fait craindre que Moscou interprète ceci comme une absence d'opposition
militaire de la part de l'occident, lui laissant le champ libre pour ses opérations. Pour pallier ce
problème, l'OTAN apporte son soutien à la cohésion avec l’ « Host Nation Support Agreement »
lors du sommet de Newport en septembre 2014, sensé entrer en vigueur en 2016. « Cet accord
a pour objectif de créer un cadre juridique pour les opérations de forces étrangères sur le
territoire finlandais et suédois ».1171 Par conséquent, l'Alliance laisse à penser encore une fois,
qu'elle est le lieu privilégié de la discussion et l’organisation en matière de défense commune
au détriment de l'UE.
Au-delà du problème de cohésion, c'est la capacité de l'Union européenne et de l'OTAN à
contrer les opérations de type « guerre hybride » et de « guerre irrégulière » utilisées par la
Russie qui expose une faiblesse majeure. Ces stratégies ont été clairement utilisées pour
contourner l'article 5 du traité de Washington qui repose sur une conception traditionnelle de
« l'attaque armée ».1172 La Russie joue sur l'incapacité de l'Alliance à qualifier juridiquement
les actions en Ukraine et ainsi fait ressortir les blocages politiques au sein de l'OTAN.1173 Cette
dernière avait cependant cherché à s'adapter aux crises « hybrides » en incluant les missions de
gestion de crise avec l'UE dans son concept stratégique de 2010. Néanmoins, celles-ci ont été
perçues par les États membres comme étant opposées à la défense collective. 1174 L'action
militaire consiste dès lors en des missions de réassurance dans les pays frontaliers de la Russie
comme les pays baltes et la Pologne. Ces activités semblent toutefois être destinées à pallier

1169 Ibid p.94.


1170 Ibid.
1171 Ibid p.105.
1172 Tenenbaum, Élie, Le piège de la guerre hybride, IFRI (Paris: Institut Français des Relations
Internationales (IFRI), 2015) p. 36.
1173 Ibid.
1174 Ibid p.37.

Page 343
l'absence de stratégie globale au sein de l'UE et l'OTAN : le but est de dissuader la Russie en
assurant une présence de contingents prêts à intervenir en cas de déstabilisation. De plus, la
mise en pratique de ces missions de réassurance est le fait de certains États comme l'Allemagne,
à travers le concept de nations-cadres, ou des États-Unis. Elles sont donc plus issues des
initiatives de certains membres que d'une action coordonnée des institutions qui s'appliquerait
à tous ses membres.
Le rôle de l'UE peut apparaître au niveau du soutien de ces efforts militaires et tout
particulièrement avec le développement de la cyber-stratégie. Cette composante qui est
fortement utilisée par la Russie fait désormais l'objet d'un « cadre d'action en matière de
cyberdéfense » mis en place par la Commission en 2014.1175 Ce texte met en avant plusieurs
priorités dans le cadre de la PSDC visant à « développer des capacités de cyberdéfense solides
et résilientes », à « renforcer la protection des réseaux de communication de la PSDC utilisées
par les entités européennes ». Il recommande aussi « la coopération civilo-militaire en matière
de cybersécurité et de défense ». 1176 Cette initiative prouve une prise de conscience du
cyberespace dans la politique européenne qui cherche dès lors à harmoniser la défense dans ce
domaine pour parer aux actions russes. Toutefois, ce cadre d'action émettant avant tout des
recommandations, il faut se demander si celles-ci seront appliquées. L'OTAN adopte elle aussi
une doctrine similaire, lors du sommet du Pays de Galles en 2014, permettant de renforcer
l'importance de la cyberdéfense au sein des États membres1177 : « Cela supposera également de
développer la communication stratégique, d'élaborer des scénarios d'exercice tenant compte
des menaces hybrides, et de renforcer la coordination entre l'OTAN et d'autres organisations,
conformément aux décisions prises en la matière, le but étant d'améliorer le partage de
l'information, les consultations politiques et la coordination inter services. »1178 L'UE comme
l'OTAN dévoilent ainsi peu à peu une volonté de s'adapter aux enjeux de défenses liés au retour
de la Russie. Néanmoins, son application se montre pour l'instant modeste et rarement
coordonnée à l'échelle de l'Europe. Dès lors, la réponse de l'UE à ce problème sécuritaire doit
être politique.(B)

1175 Hoorickx, Estelle, ‘Une cyberstratégie euro-atlantique en matière de défense : mythe ou réalité ?’,
Stratégique, 2017, p.200.
1176 Ibid.
1177 Ibid p.198.
1178 ‘Déclaration du sommet du Pays de Galles publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant à
la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue au pays de Galles’, NATO .

Page 344
B La difficulté pour l'UE d'assurer une réponse politique crédible pour stabiliser la
situation

La situation sécuritaire entre l'UE et la Russie est désormais une impasse à cause du conflit
ukrainien. Elle ne peut toutefois pas tenir sur le long terme car les deux camps sont voisins et
la stabilité du continent est impactée. Dès lors, il est nécessaire pour l'UE de trouver une réponse
crédible pour stabiliser sa relation avec la Russie. Pour cela, il convient de retrouver une
solution politique (1) et de réintégrer la Russie dans le dialogue (2)

1 La nécessité d'une réponse politique plutôt que militaire

L'UE a une vocation plus politique que militaire, ce dernier rôle étant dévolu à l'OTAN. Il
apparaît que l'Union est plus à l'aise dans la gestion de la paix, constituant un complément de
l'Alliance sur ce point. Comme le note Clausewitz, la politique peut s'exprimer par la diplomatie
et par la guerre. Cette dernière voie n'étant souhaitable pour aucune partie et rendue très difficile
du fait de l'interconnexion économique, la diplomatie semble être la voie qui doit être
privilégiée. L'Union européenne, en tant que puissance normative, reste avant tout axée sur la
coopération. Elle a été créée, au départ, pour assurer la stabilité avec des moyens pacifiques
comme, en premier lieu, les échanges économiques, et se repose sur l'OTAN pour la défense.
La voie militaire apparaît être à la fois difficile à atteindre politiquement pour l'UE mais aussi
contre-productive. De par la volonté d'assurer la stabilité sur le continent européen, une hausse
des tensions avec son principal voisin n'est pas souhaitable. En outre, la logique de la paix
kantienne qui transparaît dans les politiques européennes est renforcée au XXIème par la
mondialisation dans laquelle l'UE joue une place prépondérante grâce à son marché commun.
À bien des égards, l'esprit du rôle international de l'Union n'est pas sans rappeler celui qui
primait aux États-Unis avant son tournant interventionniste : répandre son modèle par
l'exemple. La puissance générée par le modèle politique sur la scène internationale doit
convaincre les autres pays de le rejoindre. Les divisions internes au sein de l'UE ont empêché
cette dynamique de fonctionner et ont entraîné la crise sécuritaire. En effet, la Russie se voit
critiquée par une entité incapable de gérer ses propres problèmes. Cette différence de traitement,

Page 345
à l'origine de la prise de distance de la Russie vis-à-vis de l'Occident, montre que le problème
est politique avant d’être sécuritaire.
Selon le professeur Dominique David :« Si nous considérions Moscou comme un acteur
rationnel (capable, donc, de distinguer un mouvement local d’une agression contre l’Alliance),
si nous voyions ses provocations militaires (manœuvres frontalières, promenades de sous-
marins, viols à épisodes des espaces aériens…) pour ce qu’elles sont – des roulements
d’épaules –, nous pourrions peut-être nous rendre à la réalité stratégique : l’état de négociation
est la situation la moins dangereuse en Europe. »1179 En effet, le conflit ukrainien doit être
remis dans un contexte plus global en ce qui concerne la sécurité de l'UE et de ses membres.
Moscou n'a ni les moyens ni la volonté d'entrer dans un conflit majeur avec l'OTAN et l'UE.
Les opérations en Ukraine semblent être actuellement le maximum de la menace militaire que
peut générer la Russie. Plus qu'autre chose, il s'agit d'envoyer un message à l'OTAN et l'UE en
montrant qu'elle utilisera tous les moyens pour défendre ses intérêts immédiats. Par conséquent,
la stabilité européenne passe par la voie de la négociation et de la diplomatie et nécessite de
retrouver un dialogue stable avec la Russie. (2)

2 Retrouver un dialogue stable avec la Russie

Selon le professeur Dominique David : « La Russie nous ennuie, à promener son miroir devant
nos légèretés et nos illusions. Si elle nous fascine tant, c’est qu’elle exprime beaucoup de choses
de nous-mêmes, en même temps qu’elle en diffère obstinément. Renouer avec le réalisme, c’est
reconnaître que nombre des dérives que nous dénonçons chez elle rampent chez nous, et que
l’évolution du monde rend nécessaire d’inclure Moscou dans des processus internationaux
essentiels. Le Russie sait qu’elle a besoin de nous, de nos capitaux, de nos forums
internationaux, de nos idées même si elle affecte de les mépriser. Il nous reste à reconnaître
que nous avons besoin d’elle. »1180 Il s'avère, en effet, que la clé de la coopération entre la
Russie et le reste de l'Europe sont les échanges économiques et culturels. Moscou a rejeté
l'Occident principalement car il avait totalement ignoré ses intérêts. Pour autant, les positions
initiales prises par le président Poutine démontrent une véritable volonté d'ouverture envers

1179 David, Dominique, ‘Vivre avec la Russie’, Politique étrangère, Printemps (2017), Op. Cit., p.69.
1180 Ibid.

Page 346
l'Europe. Le président russe semble comprendre qu'il a besoin de l'UE et de ses membres pour
son marché commun et sa technologie. Le développement de la Russie passe, en effet, par une
nécessaire modernisation de son économie. De l'autre côté, l'UE a besoin de la Russie pour ses
marchés de matières premières et surtout pour surmonter les enjeux sécuritaires globaux. Cette
dernière situation passe par la stabilité de l'Europe et par le fait de ne pas laisser la Russie à
l'écart. La gestion de la démocratisation par l'UE (et les États-Unis) s'est avérée contre-
productive avec son instrumentalisation par l'Occident pour étendre ses propres intérêts.
Dès lors, le rapprochement ne peut se faire que dans le cadre d'une vision réaliste des relations
internationales à travers le renforcement d'un partenariat avec Moscou. À bien des égards,
l'hostilité croissante de la Russie à l'Occident est le pendant international de la montée des forces
antisystèmes et populistes à l'intérieur de l'UE : une réaction à un système politique qui semble
avoir des difficultés à établir une véritable stratégie. Le retour d'un lien stable entre la Russie et
l'UE nécessite une révision de la politique menée par l'Union : si l'idée de la paix kantienne
n'est pas absurde, elle doit prendre en compte le fait que la Russie n’adhérera pas aux normes
de l'UE si elle n'y trouve pas son compte. Par conséquent, il est nécessaire de mener une
approche plus près des intérêts de l'Europe.

Conclusion chapitre 2

La relation UE-Russie subit l'incapacité de l'Union à être un acteur politique crédible sur la
scène internationale. Les nombreuses hésitations internes font que Moscou préfère négocier
directement avec les membres et plus particulièrement ceux qui lui sont favorables. Le cœur
des liens repose sur l'aspect économique, véritable facteur de puissance pour les deux. La
dimension politique est, quant à elle, faible du fait des différences entre l'UE et la Russie et vont
s'accentuer avec la tournant autoritaire du régime du président Poutine. De plus, comme la
défense collective de l'Europe reste tributaire de l'OTAN et donc indirectement des États-Unis,
Moscou se méfie de l'UE et la considère comme liée à la politique américaine. A côté des deux
blocs internes, l'OTAN et l'UE, se trouvent un certain nombre d’États membres qui par leur
position en bordure de l'alliance obéissent à des dynamiques particulières vis-à-vis de la Russie.
(Titre 2)

Page 347
Page 348
Titre 2 Les États non-membres de l'UE :
des relations dictées par leur position de
frontière du monde occidental 

L'OTAN est constituée de deux cœurs géopolitiques : les États-Unis constituent le premier et
le plus fondamental tandis que l'UE et ses membres forment le second groupe plus mineur. Mais
l'Alliance ne se limite pas à ces deux formations politiques : d'autres États sont aussi membres
de l'OTAN et occupent des positions stratégiques. En effet, géographiquement, ils se situent en
bordure de l'Alliance et dans l'entourage de la Russie. La proximité de l'OTAN avec les
frontières russes étant la cause principale des tensions, le rôle de ces États et de leur politique
avec Moscou ne sont pas à négliger.
La nature géographique des États influe en large partie leur politique étrangère et il convient de
prendre en compte les positions frontalières des territoires obéissant à leurs propres
dynamiques. Selon le professeur Patrice Gourdin, les frontières peuvent être naturelles du fait
d'un élément géographique comme une étendue d'eau ou une montagne, ou « artificielle ».1181
Néanmoins, selon Michel Fourcher, toutes les frontières ont une part d'artificialité et s'avèrent
des constructions humaines obéissant à des intérêts stratégiques. 1182 Au XXIème, l'OTAN
possède comme « limes », les limites du continent européen en excluant la Russie. Elles forment
les frontières de ce qui est appelé le monde occidental (Chapitre 1). Mais l'OTAN possède aussi
dans son sein une nation tiraillée entre l'Occident et le Proche-Orient avec la Turquie, véritable
pivot stratégique pour l'Alliance en tant que « porte d'Orient » ( Chapitre 2).

1181 Gourdin, Patrice, and Yves Lacoste, Géopolitiques : Manuel pratique (Paris: Choiseul Editions, 2010).
1182 « En réalité, toutes les frontières comptent une part d’arbitraire ou d’artificialité ; elles n’ont pas à être
comparées à un tracé idéal – pour qui ? – mais à être considérées pour ce qu’elles sont : des constructions
géopolitiques datées. Les frontières sont du temps inscrit dans l’espace ou, mieux, des temps inscrits dans des
espaces »
Foucher, Michel, Fronts et frontières : Un tour du monde géopolitique, Nouvelle édition revue et
augmentée (Paris: Fayard, 1991) p.43.

Page 349
Page 350
Chapitre 1 Les États limitrophes de l'OTAN en
Occident face à la Russie

En occident et en dehors de l'UE, l'OTAN est en contact avec la Russie dans deux régions. La
première est un espace naturel avec l'océan Arctique (section 1), frontière naturelle mais qui
met en contact la Russie avec le Canada, les Etats-Unis et les États scandinaves comme l'Islande
et la Norvège membres de l'Alliance. La nature maritime de cette frontière crée une relation
spéciale. En plus de ce point de contact, se trouve la limite est de l'Alliance définit
géopolitiquement avec les partenariats dans l'étranger proche russe tel que l'Ukraine et la
Géorgie.

Section 1 : Les relations entre Le Canada, la Scandinavie et la Russie


marquées par la spécificité du territoire arctique

Si le cœur des relations entre l'OTAN et la Russie s'effectue en Europe, malgré une forte
présence politique américaine, des relations se développent dans le cercle polaire arctique. Cet
océan glacé est, avant la récente fonte des glaces, un sujet d’intérêt pour les États riverains. Les
espaces maritimes sont, en effet, des territoires particuliers offrant des avantages comme l'accès
à de nouvelles ressources et à des voies commerciales mais aussi la possibilité de projection de
forces.1183 Toutefois, le corollaire de cette liberté de navigation, est la difficulté de contrôler les
mers et océans. Par conséquent, les espaces maritimes obéissent à des dynamiques spéciales :
l'existence de la convention sur le droit de la mer de Montego Bay le montre bien. Dans cette
dernière, les mers et océans sont perçus comme un espace d'échange et de coopération 1184
.Aussi avant d’être un enjeu pour les relations entre l'OTAN et la Russie, c'est un espace
international qui n'appartient, dans une large part, à aucun État. Les contacts que vont avoir les
États riverains entre eux sont donc d'un autre ordre que les relations sur les espaces terrestres.

1183 Gourdin, Patrice, and Yves Lacoste, Géopolitiques : Manuel pratique Op. Cit.
1184 « Considérant que la réalisation de ces objectifs contribuera à la mise en place d'un ordre économique
international juste et équitable dans lequel il serait tenu compte des intérêts et besoins de l'humanité tout entière
et, en particulier, des intérêts et besoins spécifiques des pays en développement, qu'ils soient côtiers ou sans littoral
»
Convention des Nations Unies sur le droit de la mer Montego Bay, 10 décembre 1982.

Page 351
L'océan arctique n'est pas un territoire maritime comme les autres avec une surface de 14
millions km², il est le plus petit océan de la planète et communique à la fois avec l'océan
atlantique et l'océan pacifique avec le détroit de Béring. Ce dernier est le lieu de rencontre
géographique entre la Russie, avec sa Sibérie orientale et les États-Unis avec l'Alaska, ce qui
en fait un point stratégique entre les deux États. La particularité de l'Arctique est le fait qu'il est
largement recouvert par une banquise d'une épaisseur comprise entre deux et cinq mètres.1185
Cette situation climatique rend la navigation et l'exploration sous-marine difficile et l'Arctique
a été considéré comme un intérêt mineur jusqu'à récemment. La fonte des glaces et de la
banquise change ce contexte et remet sur le devant de la scène géopolitique cet océan (§1) qui
sert peu à peu d'espace pour les relations entre les pays nordiques de l'OTAN et la Russie (§2)

§ 1 l’Arctique un océan stratégique en devenir

L'océan arctique est une région en évolution. Du fait de sa large côte nord qui est la plus longue
parmi les pays riverains, la Russie occupe une place majeure dans l'arctique. Historiquement,
Moscou est attiré par ce territoire (A). Mais c'est le gain d’intérêt à l'échelle internationale pour
l'arctique lié à la fonte des glaces qui est le déclencheur des nouveaux enjeux géopolitiques (B).

A Un intérêt historique russe en Arctique

Durant la période tsariste, l'arctique occupe une place mineure dans la politique russe mais la
prise du pouvoir par les bolcheviks change le contexte. Ces derniers mènent une politique
scientiste 1186 visant à industrialiser et aménager cet espace tout en lui donnant une importance
stratégique (1). De par cet héritage, cette région possède au XXIème siècle une valeur certaine
et constitue un atout aux yeux de Moscou (2)

1 l’héritage du « grand nord » soviétique

Pour les soviétiques, la région arctique russe est le « Grand Nord ». Selon leur classification, le
territoire terrestre inclut dans le cercle arctique correspond à 17 % de la Russie mais est aussi

1185 ‘Cartes de l’épaisseur de La Banquise Arctique et de La Calotte Glaciaire Antarctique - Notre-


Planete.Info’ <https://www.notre-planete.info/actualites/2906-cartes_arctique_antarctique> [accessed 13
September 2018].
1186 Marchand, Pascal, ‘La Russie et l’Arctique’, Le Courrier des pays de l’Est, 2008, p.6.

Page 352
peu peuplé de 1,74 millions d'habitants seulement à la fin de la période soviétique et en
diminution depuis.1187 Toutefois, le Grand Nord occupe une place importante dans l'économie
russe depuis cette période avec la présence de nombreuses matières premières. Les gisements
miniers de Vorkouta et de Norilsk ont été parmi les premières infrastructures économiques dans
la région durant la période stalinienne, mais c'est véritablement le développement de l'économie
d'hydrocarbure qui va donner sa valeur économique au Grand Nord. Avec la découverte de gaz
puis de pétrole dans cette région celle-ci devient le principal centre de production :
l’arrondissement autonome des Nénetses de Iamal situé dans les régions les plus froides
contient, en effet, 95 % des réserves de la Sibérie occidentale.1188
De même, l'Union soviétique veut développer sa force militaire dans la région. L'arctique
apparaît dès le début de la guerre froide comme un potentiel terrain de confrontation avec les
États-Unis. Comme la Mer Baltique et la Mer Noire sont verrouillées par l'OTAN avec le
Danemark et la Turquie, l'URSS va chercher à les contourner en déployant une flotte de guerre
à Mourmansk en Arctique. Si cette ville a vocation à servir de « plaque tournante des transports
liés à l'exploitation industrielle de la région »1189, elle doit son accroissement au développement
des infrastructures militaires. Elle possède l’avantage, dès la période soviétique, d’être située
dans une zone qui ne gèle pas en hiver tout en étant sur le cercle polaire1190. Cette situation
explique l’intérêt pour cette ville et l'Oblast l'entourant qui deviennent de facto stratégiques.
Par conséquent, la flotte nord est basée à Mourmansk et représente à la fin de la période
soviétique une part importante de la puissance maritime russe. Selon le professeur Pascal
Marchand, elle abrite : « la moitié des croiseurs (12 sur 27), le tiers des destroyers (18 sur 63)
et des frégates (17 sur 66), la moitié des sous-marins d’attaque (126 sur 267). »1191 De même
en matière de dissuasion nucléaire, les deux tiers de la force de dissuasion nucléaire navale s'y
trouve : 38 des 62 SNLE (sous-marins nucléaires lanceurs d'engins) sont amarrés à Mourmansk.
En complément, le reste de la côte arctique est équipé d’aéroports militaires et de bases
radars.1192

1187 Ibid.
1188 Ibid p.7.
1189 Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Geostrategique (Paris: Editions L’Harmattan,
2011), p.49.
1190 Ibid.
1191 Marchand, Pascal, ‘La Russie et l’Arctique’, Le Courrier des pays de l’Est, 2008, p.8.
1192 Ibid.

Page 353
Cette situation économique et militaire reflète la réelle volonté du pouvoir d’aménager une
région climatiquement hostile à l'activité humaine mais avec des potentiels considérables pour
la puissance soviétique. Néanmoins, cette mise en valeur de la zone arctique connaît des limites
importantes durant cette période et nuance les capacités économiques et militaires dans la
région. Tout d'abord, l'incapacité à gérer les températures extrêmes est à l'origine d'obstacles
techniques. L'utilisation du béton et de l'acier pour les infrastructures fait que celles-ci résistent
mal au froid polaire1193 et donne un désavantage à l'installation polaire de l'URSS dans l'arctique
comparé aux américains et canadiens qui ont préféré utiliser le bois et l'aluminium. De la même
manière, la gestion industrielle soviétique à limiter la viabilité et la durabilité de l'activité dans
cette région. Certaines zones minières, comme celle de Norislk, reposaient sur l'économie des
Goulags : les travailleurs viennent des camps et les villes minières fonctionnent comme des
entités autonomes. Ainsi pour Norislk, 400000 personnes sont passées par le Goulag Norillag
pendant la période soviétique et un quart y est décédé.1194 L'utilisation de cette main d’œuvre
concentrationnaire explique pourquoi ces zones minières ont perdu de l'importance après la
déstalinisation et vers la fin de l'URSS. De plus, la pollution issue de l'activité industrielle
associée au faible développement des villes minières font que l'espérance de vie y est inférieure
de 10 ans comparée au reste de la Russie.1195 Le développement de la côte arctique est ainsi
symptomatique du régime soviétique : une industrialisation et la mise en valeur de territoires à
l'aide d'infrastructures économiques et militaires combinées avec une gestion planificatrice et
totalitaire empêchant un développement fluide des impulsions données.
Au-delà de la côte et des régions terrestres du grand nord, l'océan et ses fonds sous-marins sont
des sujets d’intérêts pour l'URSS. Dès 1932, l'Union soviétique tend à explorer des voies
navales comme le montre le navire « A. Sibiriakov » qui accomplit une traversée directe sur
la route maritime du Nord sans hiverner.1196 Une compétition technologique se développe avec
les Etats-Unis pendant la guerre froide visant à s'assurer la supériorité dans le contrôle de l'océan
arctique. L'URSS lance, en outre, des missions d'exploration pour déterminer l'importance des
réserves d'hydrocarbures dans les sous-sols de l'arctique : en 1970, des prospections sismiques

1193 « l’acier ne résistait pas aux basses températures : à partir de - 15 C°, on observait des ruptures dans
les composants métalliques et à partir de - 30 C°, ce fait prenait un caractère massif. »
Ibid.
1194 Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Géostratégique Op. Cit., p.50.
1195 Ibid .
1196 Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, 2010, p.489.

Page 354
sont menées et sont complétées par des explorations dans les années 1980.1197 L’intérêt actuel
de la Russie pour l'arctique n'est donc pas nouveau. L'étendue russe sur l'océan arctique et son
passé de grande puissance lui confèrent une assise et un potentiel non négligeables sur l'océan
arctique. Pour autant, avec la chute de l'URSS, les coupes budgétaires et le désordre
institutionnel qui ont suivi, cette région est laissée à l'abandon pendant les années 1990.
L'arrivée au pouvoir du président Poutine initie un nouveau souffle et tend à refaire de la
Russie un acteur crédible dans l'océan arctique. (2)

2 une importance économique et stratégique actualisée

Dans le cadre de ses politiques visant à renforcer la Russie, le président Poutine mène une série
d'actions pour dynamiser la zone arctique. Le choix d'utiliser les matières premières, et plus
particulièrement les hydrocarbures en tant que levier de puissance économique fait que cette
région est remise à l'honneur. Dès le début des années 2000, la région de Mourmansk est
réactualisée en tant que plate-forme stratégique en matière économique pour l'exportation de
gaz, en matière militaire pour la remise à niveau de la flotte nord et au niveau scientifique pour
en faire un pôle de recherche.1198 A partir de la seconde moitié des années 2000, les efforts sont
accrus, le président Poutine faisant de cette région une priorité. Lors de sa visite à Mourmansk,
il propose un développement des infrastructures de la ville pour concrétiser l'exploitation et
l'exportation des hydrocarbures dans la mer de Barents. Dans ce contexte, l'entreprise étatique
Gazprom prévoit la création d'une usine de gaz naturel liquide dans la région ainsi qu'un
gazoduc sous-marin. Ces projets s'accompagnent d'un développement technologique en matière
d'extraction sous-marine.1199 De même, le Conseil de sécurité de la Russie estime en 2009 que
la région arctique terrestre et maritime doit avoir une place importante dans les « Principes de
politique d’État pour la Fédération russe jusqu’en 2020 et autres perspectives »1200 et doit en
matière économique représenter « 20 % du Pib et 22 % des exportations globales du pays »
ainsi qu'avoir un plateau continental délimité pour 2015.1201

1197 Ibid p.66.


1198 Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Géostratégique Op. Cit., p.52.
1199 Ibid.
1200 Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, Op. Cit., p.490.
1201 Ibid.

Page 355
Cette remise en valeur du Grand nord russe, et tout particulièrement la zone de la mer de
Barents, frontalière avec la Scandinavie, s'inscrit dans le contexte de développement de
l'économie russe dans des régions sinistrées suite à la fin de l'URSS et à la décennie de 1990.
Le grand potentiel géostratégique et économique de cette région, n'a jamais pu être utilisé à
cause de la mauvaise gestion sous la période soviétique et sous la présidence Eltsine. Le
développement des régions et côtes arctiques répond à un double objectif : assurer une
expansion économique dans les régions périphériques de la Russie mais aussi servir de socle
pour une future propagation de la puissance russe dans l'océan arctique afin de défendre ses
intérêts face aux autres États riverains. L'importance que prend peu à peu la Sibérie dans la
politique russe comme les régions arctiques plus reculées sont sujet d'attention pour Moscou.
La diversification de ses partenaires commerciaux et le renforcement des relations avec les pays
asiatiques font que le Grand Nord, en tant que réservoir de matières premières recherchées,
revêt un intérêt stratégique et nécessite une mise à niveau des infrastructures afin de pouvoir
augmenter les capacités d'extraction et de transport. C'est ainsi que le projet d'exploitation de
gaz de Chtokman situé dans la mer de Barents, l'une des plus grandes réserve de gaz au monde
connue, doit servir de vitrine technologique pour le Grand Nord russe et pour Moscou tout en
assurant des retombées positives locales comme le précise le gouverneur Marina Kovtun.1202
Toutefois, certains projets comme celui du gaz de Chtokman prennent un retard certain et sont
difficiles à mettre en œuvre montrant que les limites à l'industrialisation de l'arctique sont
toujours présentes. Le coût de l'exploitation de l'arctique estimé à 307 à 324 milliards de dollars
en 2009 1203 pousse le gouvernement russe à une plus grande prudence dans la mise en œuvre
de projets qui restent néanmoins d'actualité.
D'un point de vue politique, le gouvernement russe considère la question de l'arctique comme
prioritaire. Le Kremlin va prendre peu à peu le contrôle politique de la région de Mourmansk :
la nomination des gouverneurs à partir de 2005 se fait au profit de membres proches du
gouvernement fédéral et des entreprises du cercle des dirigeants russes. Si ce type de
gouvernance visant à s'assurer une mainmise sur les instances fédérées n'est pas spécifique à
cette région, un contrôle strict y sera effectué comme le montre le renvoi du gouverneur

1202 «Ce projet pourrait avoir un impact majeur sur le développement de l’industrie régionale et sur la
création des nouvelles industries de haute technologie, il pourrait également contribuer au développement des
PMI-PME et à la modernisation de l’économie régionale. »
Kovtun, Marina, and Eugène Berg, ‘Mourmansk, carrefour géostratégique’, Géoéconomie, 2013, p.77.
1203 Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, Op. Cit., p.491.

Page 356
Yevodkimov en 2009 suite à des critiques du gouvernement central.1204 Le souhait du Kremlin
de contrôler la région témoigne de l'importance stratégique de celle-ci. De plus, le
gouvernement mène une véritable campagne d'information et de sensibilisation dans la
population visant à assurer son soutien à la cause arctique. La Russie ne pouvant pas compter
sur les autres États riverains faisant partie de l'OTAN à l'exception de la Suède et de la Finlande,
il lui est nécessaire de renforcer son socle et sa cohésion nationale. L'utilisation d'une rhétorique
nationaliste est peu à peu déployée à travers l'idée de patrie. La montée de la vision eurasiste
dans une partie de la population russe est utilisée en faveur de l'idée que la politique de l'arctique
est importante pour la pays. Enfin, comme le précise la chercheuse Julia Snegur : « La
sensibilisation à la cause passe encore par l’établissement d’une réserve nationale « Arctique
russe : Nouvelle-Zemble-Terre François-Josephîle Victoria » en 2009, dotée d’une faune et
d’une flore très riches »1205 . Cet ensemble de mesures confirme que la Russie se dote d'une
véritable politique visant à donner toute son importance à l'arctique. Par cela, la Russie est
déterminée à défendre ses intérêts dans une zone suscitant de plus en plus les intérêts
internationaux (B)

B Le regain d’intérêt pour Arctique du fait de la fonte de la glace


Selon l'encyclopédie universalis : « En septembre 2005, repoussant le précédent record de
2002, la couverture de glaces arctiques est descendue à 5,1 millions de kilomètres carrés, alors
qu'entre 1979 et 2000 le minimum annuel se situait en moyenne à 7 millions de kilomètres
carrés. On observe aussi un amincissement significatif de la couche de glaces flottantes.
L'épaisseur de la partie immergée, le « draft », qui était de 2 à 4 mètres avant 1976, se réduit
à des valeurs comprises entre 1 et 2,30 mètres. »1206 Cette situation change la situation dans
l'océan arctique qui devient un territoire captant les intérêts économiques (1) qui deviennent
mondiaux (2)

1204 Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Géostratégique Op. Cit., p.53-54.
1205 Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, Op. Cit., p.491.
1206 U‘OCÉAN ARCTIQUE’, Encyclopædia Universalis <> [accessed 14 September 2018].
http://www.universalis.fr/encyclopedie/ocean-arctique/

Page 357
1 Des opportunités économiques

Le recul de la banquise et la fonte des glaces polaires apportent plusieurs changements


économiques. La moitié de la population mondiale vit à moins de 100 kilomètres des côtes,
mettant en lumière la dépendance des humains envers le monde maritime. 1207 20 % de la
nourriture consommée vient de la pèche et de l'aquaculture. Néanmoins, la hausse de la
consommation ces dernières décennies a fait craindre l'épuisement progressif de ces
ressources1208. En cela, la fonte des glaces arctiques crée un attrait économique car elle constitue
de nouvelles réserves. Si l'étendue de ces dernières n’est pas précisément connue car
l'exploration de cette région n'est pas complète, on estime que 119 espèces aquatiques y
vivent.1209 Cette situation offre un renouveau des stocks halieutiques pouvant être utilisés. De
plus, au-delà des limites des zones économiques exclusives et du plancher continental
appartenant aux États riverains, le reste de l'océan arctique est un espace international ouvert à
l'exploitation par les navires quelle que soit leur nationalité. Par conséquent, si la fonte des
glaces se poursuit, le problème de la lutte contre la pèche excessive va se poser. Toutefois,
malgré la réduction de la banquise, la glace reste suffisamment présente pour empêcher une
exploitation trop importante.
Au-delà des ressources organiques, le sous-sol de l’arctique dispose d'un potentiel important
d'hydrocarbures . L'United States Geological Survey estime que 30 % des réserves de gaz et
13 % des réserves pétrole non explorées se situent dans le cercle polaire arctique représentant
90 milliards de barils de pétrole et 44 milliards de m3 de gaz.1210 87 % de ces réserves se situent
dans les fonds sous-marins. Cette concentration d'hydrocarbures est d'une importance majeure
dans une économie mondiale encore très dépendante des produits pétroliers et gaziers. Même
si l'exploitation du gaz de schiste crée un nouveau secteur tendant à concurrencer les
hydrocarbures classiques et offrant une meilleur indépendance énergétique aux Etats-Unis, ces
ressources représentent une manne financière non négligeable. Par conséquent, les entreprises

1207 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
1re edn (Paris: Editions L’Harmattan, 2014).
1208 « Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (Food and Agriculture
Organization of the United Nations – FAO), 75 % des espèces marines étudiées sont surexploitées ou en passe de
l’être et la biodiversité décline. »
Ibid.
1209 Ibid.
1210 United States Geological Survey, USGS, ‘Circum-Arctic Resource Appraisal: Estimates of
Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle’, 2008 <https://pubs.usgs.gov/fs/2008/3049/> [accessed 17
September 2018].

Page 358
se sont progressivement implantées dans cette région. C'est ainsi que par exemple « le géant
pétrolier français Total, le numéro 2 du gaz russe Novatek, et la China National Petroleum
Corporation (CNPC) ont par exemple lancé le projet gazier onshore Yamal LNG dans
l’estuaire de l’Ob, au-delà du cercle polaire. »1211 Les considérations écologiques tendent là
aussi à nuancer la possibilité d'une ruée vers les hydrocarbures en Arctique. Les Etats comme
les sociétés pétrolières fixent des limites : c'est ainsi que « La marée noire provoquée en avril
2010 par la plate-forme Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique, a conduit
l’administration Obama à suspendre puis encadrer strictement les projets de Shell en mers de
Beaufort et des Tchouktches »1212 et que « Christophe de Margerie, alors PDG de Total, a créé
la surprise en annonçant que son groupe n’irait jamais chercher du pétrole sous la glace du
Pôle, en raison des risques pesant sur l’environnement naturel »1213
Au-delà des enjeux liés à l'exploitation des ressources, la fonte des glaces offre de nouvelles
voies navigables. Certains passages sont désormais accessibles : comme le rapporte l'Agence
spatiale européenne en 2007, le passage nord-ouest, au nord du Canada, est devenu accessible
l'été réduisant considérablement la distance et la durée pour les navires qui font du commerce
intercontinental. Ainsi « la distance pour aller de Londres à Tokyo s’est ainsi réduite d’environ
3000 milles marins (5000 km)40 ou de 5000 (8000 km) selon que le navire passe par le canal
de Suez ou celui de Panama. »1214 De même, la Russie souhaite développer le passage au nord
de la Sibérie avec la Northern Sea Route, afin de concurrencer la route passant par le canal de
Suez et de gagner 30% du temps de navigation.1215 Cette situation a l’avantage de réduire
les coûts liés à la consommation de carburant par les navires empruntant ces nouvelles routes.
Tout comme les canaux de Suez et de Panama ont permis de réduire les trajets qui passaient
auparavant par les caps de Magellan et de Bonne Espérance, ces routes du nord permettent à
terme de relier les océans atlantique et pacifique, deux cœurs commerciaux maritimes : outre
les Etats-Unis, entourés par ces deux océans, on trouve, en effet, les ports du nord de l'Europe
frontaliers avec l'atlantique, tandis que le pacifique capte de manière croissante le commerce
avec les pays d'Asie du sud-est. Par effet collatéral, l'augmentation du trafic maritime en

1211 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1212 Simonet, Loïc, ‘Les hydrocarbures de l’Arctique : Eldorado ou chimère ?’, Géoéconomie, 2016, p.71.
1213 Ibid p.73.
1214 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1215 GRADT, Jean Michel, ‘Le passage du Nord-Est n’a pas encore convaincu les armateurs’, Les Echos,
2018 .

Page 359
Arctique favorise la mise en place d'infrastructures pour la logistique de l'ouverture des voies
navigables comme la communication, la sécurité et le contrôle des flux.1216 La conséquence de
ces développements est un essor économique pour les pays riverains. Toutefois, la navigabilité
n'est pour l'instant pas absolue et reste dans l'ensemble limitée à l'été. Mais là encore, le progrès
technique offre un moyen de contourner cet obstacle : des brises glaces de plus en plus
performants sont mis en place pour assurer la navigation hors saison estivale. Sur ce point la
Russie semble être en avance grâce à la mise en place de brise-glaces à propulsion nucléaire.
Malgré les difficultés encore présentes, l'océan arctique possède un potentiel économique
majeur croissant du fait de l'accessibilité du territoire maritime. Ces opportunités sont d'autant
plus importantes pour les États riverains comme la Russie et la Norvège que ces deux pays
voient leur économie liée plus ou moins fortement à la rente pétrolière.1217 Toutefois, l'ampleur
des capacités économiques qu'offre l'arctique et la dimension internationale de l'océan font que
les enjeux sont mondiaux et attirent des puissances non frontalières avec l'arctique (2)

2 la mondialisation de la question arctique

Tout territoire possédant des ressources utiles à l'économie devient sujet d’intérêts pour les
différents acteurs qu'ils soient privés ou étatiques. Comme le rappelle le professeur Patrice
Gourdin : « la possession et le contrôle des ressources naturelles, ainsi que leur accès,
constituent toujours un des attributs de la puissance ; par conséquent, tous les empires, tous
les États dominants ont cherché, cherchent ou chercheront à s’en assurer, tandis que leurs
ennemis ont tenté, tentent ou tenteront de les en priver. »1218 Dans le cas de l'arctique, une large
part du territoire étant international et n’appartenant à aucun État, il est plus difficile à contrôler.
De plus, dans le monde post guerre froide, ce sont principalement des acteurs privés qui assurent
l'exploitation des ressources même si les états sont toujours présents. Les acteurs sont donc
nombreux. Des puissances n'ayant aucune frontière avec l'Océan arctique investissent cette
région. Le Japon, la Corée du Sud et surtout la Chine sont désormais présents afin de pouvoir

1216 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1217 Simon et, Loïc, ‘Les hydrocarbures de l’Arctique : Eldorado ou chimère ?’, Géoéconomie, Op. Cit., p.96.
1218 Gourdin, Patrice, and Yves Lacoste, Géopolitiques : Manuel pratique (Paris: Choiseul Editions, 2010).

Page 360
tirer profit des ressources et des routes commerciales plus court, 1219 et vont se rapprocher des
États riverains pour étendre leur réseau commercial. Dès 1993, le Japon, la Norvège et la Russie
ont lancé le Programme international pour la Route maritime du Nord destiné à évaluer les
coûts et profits liés au trafic maritime dans la zone.1220 Plus précisément, Pékin, qui souhaite
occuper une position dominante sur la scène internationale, apparaît particulièrement active. La
Chine, dépendante du commerce maritime et ayant besoin de matières premières étrangères,
manifeste un vif intérêt pour l'arctique dans laquelle elle a investi dès les années 1990. Le
domaine de la recherche est favorisé par Pékin qui développe sa diplomatie avec les différends
États frontaliers comme la Russie et le Canada.1221 Compte tenu des prétentions chinoises sur
la scène internationale, cet activisme entraîne une forte méfiance des États occidentaux qui
craignent que la Chine bouscule l'équilibre des forces déjà précaire dans la région. Malgré cette
perception, il convient de nuancer le rôle de la Chine : les officiels se montrent très prudents
dans leur approche mais aussi évasifs, rendant difficile la détermination de la position
chinoise. 1222 Pour autant, c'est une politique visant à éviter les remous politiques qui guide
Pékin et lui permet de devenir observateur permanent du Conseil de l’Arctique. La présence de
la Chine en arctique sera toutefois salutaire pour Moscou qui, suite à la dégradation des relations
avec l'Europe, intensifie son commerce avec elle. De plus, Pékin souhaite créer une route de la
soie maritime en arctique pour commercer plus rapidement avec l'Europe. Cette voie passant
au nord de la Russie (voire dans ces eaux territoriales) lui donnerait un rôle de contrôle de cet
axe économique et par conséquent offrirait à Moscou la possibilité de peser d’un poids plus
lourd sur les négociations avec Pékin.1223 Néanmoins, cette dernière se voit en compétition avec
les États-Unis et tout particulièrement pour l'Islande qui a été le premier pays occidental à signer
un traité de libre-échange avec la Chine en 2013.1224 A travers un contrôle économique de
l'Islande et du Groenland, territoire autonome du Danemark, la Chine aurait un poids important
sur les portes atlantiques de l'océan arctique et par extension renforcerait sa présence en Europe.

1219 Calmels, Christelle, ‘Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement’, Politique étrangère,
Été (2018), p.150.
1220 Lasserre, Frédéric, ‘Arctique : le passage du Nord-Ouest sous tension’, Politique étrangère, Printemps
(2017), p.150.
1221 Lasserre, Frédéric, Olga V. Alexeeva, and Linyan Huang, ‘La stratégie de la Chine en Arctique : agressive
ou opportuniste ?’, Norois, 2015, p.8.
1222 Ibid p.12.
1223 ‘La “Route de la Soie arctique” : les plans de la Chine et de la Russie pour dominer le pôle Nord’, Asialyst,
2017 <https://asialyst.com/fr/2017/12/12/route-de-la-soie-arctique-plans-chine-russie-pour-dominer-pole-nord/>
[accessed 18 September 2018].
1224 Degeorges, Damien, ‘L’Arctique : entre changement climatique, développements économiques et enjeux
sécuritaires’, Géoéconomie, 2016, p.87.

Page 361
Selon le chercheur Damien Degeorges « Si la Chine souhaitait provoquer les États-Unis dans
son arrière-cour, dans le cadre du second acte de confrontation entre les deux puissances
évoqué précédemment, il lui suffirait d’«  acquérir » le Groenland par le biais de quelques
investissements suffisamment conséquents pour contrôler de facto l’économie
groenlandaise. »1225 Il résulte du rapprochement entre la Chine et la Russie que les stratégies
de la premières peuvent impacter la seconde de manière positive à condition que Moscou arrive
à trouver sa place et ne se fasse pas absorber par la puissance chinoise.
Au-delà du jeu géopolitique de la Chine, se trouve l'UE, qui malgré la présence d'une frontière
avec l'arctique avec la Suède et la Finlande, n'arrive pas à peser sur la région de manière unie.1226
La cité État de Singapour a au sein du Conseil de l'Arctique une position d'observateur
permanent là où l'UE ne la possède pas encore. 1227 L'action de l'Europe, non riveraine de
l'arctique, repose principalement sur les nations maritimes que sont la France et le Royaume-
Uni qui ont la capacité de jouer un rôle dans la zone grâce à leurs flottes. Mais la nature glacée
de l'océan les soumet également aux contraintes de l'arctique, les zones d'influences française
et britanniques se situant plutôt dans les mers chaudes. Toutefois, des exercices ont eu lieus ces
dernières années comme le montre le déploiement de la frégate multi-missions
(FREMM) « Languedoc » en 2016 dans la zone. 1228 Des entreprises pétrolières comme le
groupe français Total participant aux activités économiques au pôle nord, la marine nationale
assure le soutien sécuritaire et de police en mer pour soutenir celles-ci.
L'arctique représente donc un véritable attrait pour les grandes puissances de l’hémisphère nord.
Si la région n'échappe pas au décalage du centre de gravité économique vers l'Asie du fait de
l'implication d’États comme la Chine, les Etats européens veillent à maintenir leur influence.
Face à l'afflux des grandes puissances sur des territoires maritimes convoités, les relations entre
les pays riverains s'inscrivent dans un contexte global les poussant à utiliser des stratégies à la
fois locales et globales faisant appel aux alliances (§2)

1225 Degeorges, Damien, ‘L’Arctique : entre changement climatique, développements économiques et enjeux
sécuritaires’, Géoéconomie, 2016, p,89.
1226 Ibid p.92.
1227 Ibid p.91.
1228 Marine nationale, ‘Languedoc : 104 Jours de Déploiement En Atlantique Nord et En Arctique’, Cols
bleus, 2017 <http://www.colsbleus.fr/articles/9214> [accessed 19 September 2018].

Page 362
§2 Un espace poussant à des relations particulières entre les membres de l'OTAN et
la Russie
S'il existe des positions diverses concernant l'arctique de la part des États circumpolaires
aboutissant à des contentieux juridiques, le jeu des alliances reprend vite le dessus.1229 Sur les
huit États, 5 sont membres de l'OTAN et la Suède et la Finlande sont des partenaires de
l'Alliance. De facto, la Russie se retrouve face à l'Organisation. Néanmoins, il apparaît que les
relations avec Moscou sont différentes avec les États nord-américains (A) et les États
scandinaves (B).

A Le Canada dans l'ombre des États-Unis face à la Russie

Le Canada et les États-Unis sont les deux États d’Amérique du Nord ayant une côte arctique.
Si le premier est plus fortement impliqué dans cette région du fait de la large part du pays située
dans le cercle polaire arctique (1), la puissance géopolitique de son voisin du sud et
l'interconnexion entre Ottawa et Washington font que les États-Unis tendent à prendre
l'ascendant sur la Canada sur ce dossier (2)

1 Une implication du Canada en arctique l'obligeant à coopérer avec la Russie

Le Canada est après la Russie, l’État qui possède la plus large côte arctique et possède la partie
terrestre arctique la plus importante avec 3 000 000 km², dépassant le Groenland 2 175 600
km², et la Sibérie arctique russe 2 105 000 km².1230 Par conséquent, l'arctique est pour le Canada
un enjeu national majeur : la géographie du pays, étant donné son territoire, est liée à cette
région regorgeant de ressources bien que quasiment inhabitée. Le Canada est, en effet, l'un des
états les plus actifs dans la revendication de l'arctique. C'est ainsi qu'en 2008, le premier ministre
canadien Stephen Harper déclare : « l’importance géopolitique de l’Arctique et l’intérêt que le

1229 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1230 ‘Pôle Nord, Pôle Sud, Arctique, Antarctique, Le Monde Polaire En Chiffres.’
<http://transpolair.free.fr/sciences/arctique_antarctique_chiffres/index.htm> [accessed 21 September 2018].

Page 363
Canada lui porte n’avaient jamais été aussi grands »1231 Cet intérêt national n'est pas nouveau
de même que les relations avec la Russie. Il existe cependant un passif issu de la guerre froide
entre ces deux pays. Le Canada a déployé le corps des « rangers canadiens », constitué
d'autochtones amérindiens dans les terres du nord pour assurer sa souveraineté afin de faire face
à la menace soviétique.1232 Dans la même période, le gouvernement canadien prend le contrôle
de l’extrême arctique de son territoire : le Nunavut et y installe des colonies à Grise Fiord et
Resolute.1233 Si la situation s'est apaisée depuis la fin de la guerre froide, elle aura permis au
Canada de réactiver son intérêt pour l'arctique et de prendre des mesures afin de renforcer sa
présence. La nature géographique du Nunavut et des territoires du nord-ouest constitués en
grande partie d'archipel font, par conséquent, l'objet de débats juridiques concernant les
passages maritimes existant dans ces territoires arctiques. Le Canada souhaite les intégrer dans
son territoire national malgré des contestations et craintes liées à un contrôle des détroits par
Ottawa.1234 De même, il aspire à contrôler les ressources de la mer de Beaufort au nord-ouest
du pays. En 2011, les manœuvres Nanook 11 dans les détroits de Lancaster et de Davis, dans
la baie de Baffin et sur l’île de Cornwallis, bien qu'avec un effectif réduit de 1100 soldats des
différentes armées canadiennes, témoignent de la volonté du pays de recourir à la force militaire
pour sanctuariser ces territoires.1235
Ce renforcement du contrôle canadien sur ses territoires arctiques n’exclut toutefois pas un
rapprochement avec la Russie. En effet, la plupart des contentieux internationaux du Canada
est avec les autres membres de l'OTAN comme le Danemark ou les États-Unis.1236 De plus,
bien que membre actif de l'Alliance, Ottawa préfère en matière de défense de l'arctique agir
seul pour ne pas se « voir contester sa capacité à exercer sa souveraineté dans le grand
nord » 1237 quitte à avoir des capacités d'actions plus réduites. Ce contexte lui permet de
coopérer avec Moscou : déjà en en 1982, les deux Etats ont travaillé de concert sur la
Convention de Montego Bay « notamment pour l’insertion de l’article 234 sur les zones
recouvertes par les glaces, article qui permet aux États côtiers arctiques de prendre des

1231 ‘Souveraineté Dans l’Arctique | l’Encyclopédie Canadienne’


<https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/souverainete-dans-larctique> [accessed 21 September 2018]
1232 Ibid.
1233 Ibid.
1234 Pancracio, Jean-Paul, ‘SUR LE PASSAGE DU NORD-OUEST’, Afri 2011.
1235 Simon et, Loïc, ‘Les hydrocarbures de l’Arctique : Eldorado ou chimère ?’, Géoéconomie, 2016, p.83.
1236 Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, 2010, p.487.
1237 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.

Page 364
mesures réglementaires pour encadrer la navigation dans leur zone économique
exclusive » 1238 . Les deux États ont des intérêts convergents sur les passages arctiques et
cherchent tous deux à réglementer ceux-ci. Au début des années 2000, Ottawa a conduit une
diplomatie active avec plusieurs voyages à Moscou d’officiels comme « le ministre canadien
des Affaires étrangères Bill Graham en 2002, du Premier ministre Paul Martin en 2004, et à
nouveau de Bill Graham en 2005 en qualité de ministre de la Défense. »1239 Les deux États ont
tous les deux une vision souverainiste de l'arctique, contrairement à d'autres pays riverains
comme les États-Unis plus favorables à une gestion ouverte.1240 Avec cette concordance, les
deux États cherchent à coopérer pour protéger leur intérêt commun et assurer le développement
de leur point de vue sur la scène internationale. Cette situation découle du fait qu’ils ont les plus
longues côtes sur l’arctique et par conséquent les territoires marins les plus importants, qui
contiennent potentiellement le plus de ressources. Selon le professeur Rémi Raher : « Le
Canada et la Russie travaillent en outre à l’établissement d’une présence constante pour
soutenir le développement et l’amélioration de la sécurité des voies maritimes. »1241 La logique
dominante chez les deux Etats consiste à assurer un contrôle maximum des mers arctiques et
par conséquent la coopération reste une solution préférable.
Pour autant, les tensions existent entre Moscou et Ottawa, notamment en matière de
délimitation des plateaux continentaux. Un contentieux juridique existe entre le Canada, la
Russie et le Danemark sur la dorsale de Lomonosov, chaîne de montagnes sous-marines entre
la Sibérie et le Groenland.1242 De même, certaines manœuvres russes, comme son « planté de
drapeau » au pôle nord en 2007, ou l’ambiance géopolitique générale entre l'occident et la
Russie après la crise ukrainienne en 2014, sont sources de discorde. La coopération se maintient
notamment grâce à l'absence de sources de conflits majeurs en arctique : les différents pouvant
se régler juridiquement et ne touchant pas les intérêts fondamentaux des États. Toutefois, il faut
prendre en compte que, malgré l'immensité de son territoire, le Canada reste moins puissant

1238 Lasserre, Frédéric, ‘Arctique : le passage du Nord-Ouest sous tension’, Politique étrangère, Printemps
(2017), p.145.
1239 Ibid.
1240 Calmels, Christelle, ‘Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement’, Politique étrangère,
Été (2018), p.152.
1241 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1242 Lasserre, Frédéric, ‘Géopolitiques arctiques : pétrole et routes maritimes au cœur des rivalités
régionales ?’, Critique internationale, 2010, p.152.

Page 365
que la Russie au niveau militaire et est dépendant des États-Unis qui, dès lors, influent dans la
relation entre le Canada et la Russie. (2)

2 Une relation influencée par la présence américaine

Si la plus large partie de la côte arctique nord-américaine est canadienne, les États-Unis sont
présents avec l'Alaska. De plus, en tant que première force militaire et navale du monde, ils
possèdent une capacité d'action sans équivalent. La défense canadienne est donc liée aux États-
Unis. Le cas du NORAD explique comment les deux États se coordonnent. Selon le professeur
Rémi Raher « Aujourd’hui, cette organisation américano-canadienne n’est plus seulement
chargée de suivre les engins militaires, elle doit également surveiller le trafic commercial
aérien, une tâche qui a pris une nouvelle dimension depuis les attentats du 11 Septembre
2001. »1243 En 2006, une mission d'alerte maritime a été ajoutée aux missions du NORAD vers
les eaux arctiques. Cette organisation voit alors ses compétences se développer en faveur d'une
meilleure cohésion en matière de sécurité militaire mais aussi économique. Si les missions
maritimes restent séparées entre le Canada et les États-Unis, il n'en reste pas moins que les deux
pays désirent assurer la réponse la plus commune possible. Ils ont des intérêts communs dans
l'arctique et partagent dans l'ensemble une vision assez similaire des politiques internationales
même avec des différents sur des points précis. Cette défense commune n'est pas toujours de
nature à tendre les relations avec la Russie. Au contraire, la mission de lutte contre le terrorisme
que le NORAD s'est fixée a permis d'intégrer la Russie au processus et d'assurer une meilleure
cohésion dans toute la région du nord arctique : « en 2010, ils ont testé ensemble leurs capacités
de réaction en cas de détournement de l’un des milles vols quotidiens transpolaires. »1244 La
logique de confrontation et la rivalité géopolitique entre Washington et Moscou semble
s'estomper dans cette partie du monde qui, de par sa nature à la fois inhospitalière et maritime,
oblige les deux géants à coopérer.
Toutefois, cette situation a quelque peu changé suite aux événements en Crimée de 2014. La
coopération militaire a cessé et les exercices communs avec le NORAD sont annulés. La Russie

1243 Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit des nations,
Op. Cit.
1244 Ibid.

Page 366
de son côté accomplit des exercices militaires de grande envergure en Sibérie en représailles.
Par conséquent, le poids des alliances qui persiste, s’immisce dans des affaires plus locales. La
situation en Ukraine obéit, dans l'absolu, à des logiques différentes de celles de l'Arctique, ce
qui n’empêche pas la politique des États nord-américains et de la Russie d’être affectées dans
leur ensemble par le conflit en Crimée et dans le s. Les crises géopolitiques majeures tendent à
ramener le jeu des alliances sur le devant de la scène. L'analyse géopolitique faite par les
différents acteurs souligne que les intérêts en Ukraine sont plus importants que la coopération
sécuritaire en arctique. Par conséquent, le Canada qui dépend de Washington pour sa défense,
suit les politiques de cette dernière et se montre plus hostile à Moscou.
La nécessaire coopération économique entre les deux États nord-américains et la Russie persiste
néanmoins. Si le lien entre les États-Unis et le Canada est majeur en matière militaire, il l'est
beaucoup moins au niveau économique où Ottawa se rapproche plus des positions russes. Le
fait que Washington n'ait pas signé la Convention sur le droit de la mer de Montego Bay,
contrairement au Canada et à la Russie, complique l'intégration des États-Unis dans le processus
décisionnel en Arctique, d'autant plus que ces derniers souhaitent assurer la sécurité des mers
sans avoir une instance régionale contraignante leur imposant une conduite.1245 Aussi, il leur
est plus difficile d'avoir l'accord des autres pays riverains de l'Arctique. La volonté des États-
Unis d'assurer un espace de libre circulation s'oppose aux conceptions plus souveraines du
Canada et de la Russie. S'il n'y a pas de véritable alliance entre ces deux derniers pays, la
similarité de vision présente les américains comme un adversaire commun sur certains points
précis de la gestion de l'arctique. De plus, l'arrivée au pouvoir du président Trump fait évoluer
la situation entre les trois pays. De par, les politiques protectionnistes de la nouvelle
administration américaine et l'incertitude sur le futur du libre-échange nord-américain
(ALENA), le lien économique entre Ottawa et Washington risque de devenir moins dense. De
plus, les deux pays avaient sous le mandat d'Obama accepté de limiter les exploitations
d'hydrocarbures dans l'arctique, mesure qui pourrait être compromise par le président
Trump.1246 Ces dissensions de plus en plus profondes pourraient permettre à la Russie d'en tirer
profit à travers un rapprochement avec le Canada. Les États-Unis deviendraient, dès lors, le

1245 Calmels, Christelle, ‘Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement’, Politique étrangère,
Op. Cit. p.146.
1246 ICI.Radio-Canada.ca, ‘Le Canada et les Etats-Unis interdisent les nouveaux forages dans l’Arctique’,
Radio-Canada.ca <https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1007089/canada-etats-unis-interdiction-exploitation-
petroliere-gaziere-arctique> [accessed 23 September 2018].

Page 367
contre-exemple si bien que que les autres États riverains resserreraient leurs liens sans
Washington. A cet effet, la partie européenne et scandinave de l'arctique prend de l'importance
(B)

B La Scandinavie face à la Russie

La Norvège et l'Islande sont membres de l'OTAN sans faire partie de l'UE, la Suède et la
Finlande sont dans la situation inverse et le Danemark, présent en arctique avec le Groenland,
est membre des deux organisations. Cette diversité crée des divisions internes entre les États
scandinaves (1). Cette situation conduit à une primauté de la dimension économique et
énergétique dans les relations (2)

1 une division interne des États scandinaves

Seuls la Norvège et le Danemark, via le Groenland, ont une partie de leur territoire dans l'océan
arctique. L'Islande située plus au sud constitue un point de passage stratégique en servant de
porte entre les zones glacées arctiques et l'océan atlantique. La Suède et la Finlande n'ont pas
de façades avec ce dernier, mais le fait qu'elles se situent en partie dans le cercle arctique en
font des acteurs non négligeables dans ce dossier et dans les relations entre les pays nordiques
et la Russie. Les cinq États scandinaves n'ont pas de position unique à l’égard de Moscou. Sur
la question arctique, il n'y a pas d'unité entre eux, ils tendent même à s'opposer. Un différend
juridique existe ainsi entre la Norvège et le Danemark à propos de la délimitation du plateau
continental au niveau de l’île de Jan Mayen.1247 Les revendications nationales priment sur une
cohésion entre les deux pays nordiques en matière de gestion économique de l'arctique. Si le
conseil de l'arctique, auquel ils sont membres, assure une certaine concertation et coopération,
les intérêts nationaux continuent de primer. La vision et la liberté d'action entre les différents
Etats sont d'ailleurs différentes en fonction de leurs engagements internationaux voire
communautaires. Ainsi, le Danemark en tant que membre de l'UE obéit à des normes plus

1247 Labévière, Richard, ‘Grand Nord : le réchauffement armé’, Revue internationale et stratégique, Op. Cit.,
p.120.

Page 368
contraignantes que la Norvège. Ce fut d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle Oslo a refusé
d’adhérer à l'Union : son souhait de défendre sa politique maritime de manière souveraine sans
certaines contraintes environnementales : les quotas de pêche imposés par le droit européen ont,
en effet, été de nature à faire échouer la procédure d'adhésion de la Norvège.1248 Cette attitude
signifie l'importance que porte ce pays à son environnement maritime et aux aspects
économiques.
Cette différence entre le Danemark et la Norvège se ressent jusqu'au rôle qu'ils souhaitent pour
l'OTAN dans l'arctique. Copenhague se montre prudent sur une implication de l'Alliance dans
cette zone et souhaite qu'elle occupe une mission défensive a minima. Le Danemark cherche à
préserver la paix en Arctique avec la Russie,1249 ce qui ne l’empêche pas d'accepter la présence
d'une base américaine au Groenland à Thulé afin de montrer sa loyauté envers l'Alliance.
Toutefois, c'est une approche plus bilatérale qu'une action accomplie dans le cadre de l'OTAN.
A contrario, la Norvège s'avère être le pays membre de l'Alliance le plus partisan de
l'implication de celle-ci en arctique. Oslo a joué un rôle majeur dans l'OTAN face à la présence
russe dans la région nordique dès la guerre froide et se montre attentive aux actions de Moscou
dans cette zone. Cette situation qui perdure au XXIème siècle s'explique par le fait qu'Oslo
possède à la fois une frontière terrestre avec la Russie mais est aussi l’État arctique qui partage
le plus de territoire maritime avec elle. 1250 De plus Mourmansk, le centre névralgique des
opérations économiques et militaires russes en arctique se situe à environ 200 km de la frontière
norvégienne. Une situation qui est donc plus critique pour la Norvège que pour le Groenland
danois ou l'Islande protégés par leur situation géographique. Ces deux derniers États sont
séparés de la Russie par la mer et sont éloignés des mers territoriales russes.
L'Islande ne possède pas d'armée et repose donc entièrement sur la défense de l'OTAN. 1251 Le
retrait américain de la base aérienne de Reykjavik a inquiété le pays qui compte sur la protection
des grandes nations militaires de l'Alliance et donc en premier lieu les États-Unis. La Norvège,
comme l'Islande, ont été de véritables points stratégiques pour Washington dans sa stratégie de

1248 ‘INA - Jalons - Le Second Refus de La Norvège à l’adhésion à l’Union Européenne - Ina.Fr’, INA - Jalons
<http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu05102/le-second-refus-de-la-norvege-a-l-adhesion-a-l-union-
europeenne.html> [accessed 25 September 2018].
1249 Olesen, Mikkel Runge, and Sophie Fabre, ‘Comprendre les rivalités arctiques’, Politique étrangère,
Automne (2017), p.19.
1250 Ibid p.20.
1251 «Elle envoie donc un représentant civil au comité militaire, de même qu’elle n’a pas d’officiers affectés
à la structure militaire intégrée. »Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation
d’un héritage , Op. Cit.

Page 369
lutte contre l'URSS. Le retrait américain de l'Islande atteste de la diminution de la priorité
militaire accordée à cette zone. De plus, cet État est singulier. Il est situé en plein océan et
éloigné des continents européen et américain tout en étant un passage vers l'océan arctique mais
sans mer territoriale dans ce dernier. L'Islande est membre du conseil de l'arctique et par
conséquent associée aux décisions des États riverains et de ce fait, liée à la géopolitique de cette
région. Reykjavik se montrera toutefois hostile devant la volonté de certaines nations riveraines
à conserver l'arctique pour elles : position qui sera utilisée par les États-Unis pour promouvoir
une gestion plus globale de l'arctique.1252
La diversité des positions entre les États membres est ainsi expliquée par leurs situations
géographiques et leurs politiques différentes. De manière logique, leurs intérêts sont le produit
de leur situation. Néanmoins, malgré l'absence de position commune, il existe des points de
convergence entre le Danemark, la Norvège et l'Islande. Les trois sont sceptiques vis-à-vis de
l'UE : Copenhague, certes membre de l'Union, ne participe pas à la PSDC. Le territoire du
Groenland, bien que danois, ne fait pas partie de l'UE. Les deux autres États, quant à eux,
refusent d’adhérer à l'Union. Ils ont une culture orientée vers l'OTAN mais aussi vers
l’ONU plus axée vers le multilatéralisme extra-européen. C'est ainsi une politique de défense
atlantiste qui est à l’œuvre dans ces pays (et tout particulièrement pour la Norvège et l'Islande) :
ils ne font pas partis de la défense européenne, et ne sont pas aussi dépendants des États-Unis
que le Canada. Par conséquent le vecteur guidant leur relation avec la Russie est économique
avec plus précisément l’énergie. (2)

2 l'importance de la dimension économique et énergétique

À l'instar du reste de l'Europe et plus particulièrement l'Europe centrale et orientale, la


Scandinavie est en partie dépendante énergétiquement de la Russie. Ainsi 54 % des besoins en
hydrocarbures suédois et quasiment 100 % de ceux de la Finlande sont importés. La
consommation finlandaise vient à 50 % de Russie1253 tandis que celle de Suède est à 37 % en

1252 Calmels, Christelle, ‘Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement’, Politique étrangère,
Op. Cit., p.152.

1253 « La Finlande en importe 100 % de son gaz naturel et c’est la Russie qui a couvert presque 100 % de ses
besoins en gaz naturel de même qu’elle a satisfait quelque 11 % de sa consommation totale d’énergie pendant les
dernières décennies ; 64 % du pétrole importé et beaucoup de charbon viennent en outre de Russie ; dans les

Page 370
2006.1254 Si ces deux États ne sont pas membres de l'OTAN, leur partenariat avec celle-ci et
leur appartenance à l'UE témoigne de leur volonté d'indépendance vis-à-vis de la Russie.
L'Islande, la Norvège et le Danemark, pour leur part, n'ont aucune dépendance énergétique
envers Moscou : Reykjavik repose à 76 % sur l’énergie renouvelable et le pétrole importé vient
des réserves norvégiennes. Oslo est un des grands producteurs pétroliers dans le monde et par
conséquent un rival de la Russie. Quant au Danemark, bien qu'ayant des réserves bien
inférieures à la Norvège, il est auto-suffisant depuis 1997.1255 Ces trois États scandinaves ne
dépendant pas de Moscou d'un point de vue énergétique, sont tous les trois membres de l'OTAN.
Ils n'ont pas besoin d'un lien fort avec la Russie pour assurer leurs intérêts vitaux. La Suède et
la Finlande, quant à elles, doivent éviter des tensions trop importantes avec Moscou car elles
ont besoin d'elle. Certes, les pays baltes et d'Europe orientale sont à la fois membres de l'OTAN
et dépendants de la Russie mais de par leur passé, ils se sentent plus menacés que la Finlande
et la Suède.
Ainsi le cœur de la question énergétique se situe dans la rivalité entre la Norvège et la Russie.
La première est envisagée comme une potentielle alternative à l'approvisionnement russe par
les pays européens : la Pologne veut développer son approvisionnement venant d'Oslo 1256 qui
est déjà loin d’être négligeable : « Polonais et Norvégiens ont ratifié en 2001 un accord de
livraison de grandes quantités– 74 milliards de m3 – de gaz norvégien à l’Europe centrale de
2008 à 2024 ».1257 Le fait que la Norvège soit le « troisième exportateur mondial de gaz et
cinquième exportateur mondial de pétrole »1258 en fait un concurrent sérieux pour Moscou,
d'autant que le développement d'autres sources d'énergie comme le nucléaire et les énergies
renouvelables font baisser la demande européenne et rendent la concurrence plus dure. On
assiste ainsi à un affrontement économique sur le continent. La Norvège étend ses marchés en
Europe centrale et orientale et la Russie renforce sa liaison énergétique en Allemagne avec
Nord Stream 1 et 2. Cette rivalité se poursuit désormais dans l'océan arctique, les deux États
cherchant à obtenir les ressources sous-marines estimées pour renforcer leurs réserves. La mer

termes d’un expert finlandais, la Finlande doit importer 70 % de l’énergie qu’elle consomme et 70 % de l’énergie
importée en Finlande viennent de Russie »
Godzimirski, M., ‘Russie-Scandinavie : les liaisons dangereuses ?’, Outre-Terre, 2011, p.61.
1254 Ibid.
1255 Godzimirski, M., ‘Russie-Scandinavie : les liaisons dangereuses ?’, Outre-Terre, 2011, p.61.
1256 Entretien avec M. Konrad Dębski et M. Miłosz Pieńkowski, hauts fonctionnaires du ministère des affaires
étrangères polonais 21 mai 2018.
1257 Godzimirski, M., ‘Russie-Scandinavie : les liaisons dangereuses ?’, Outre-Terre, 2011, p.66.
1258 Ibid.

Page 371
de Barents leur fournit un potentiel d'environ 12 milliards barils de pétrole et de gaz. 1259 Pour
autant, la coopération n'est pas absente dans ce domaine : le ministre norvégien des affaires
étrangères Jonas Gahr Store affirme en 2005 que la mer de Barents est « une mer de
coopération »1260, confirmé par le président Poutine. De plus, les deux États s'accordent sur des
prix pétroliers élevés afin d'éviter un sur-approvisionnement de l'Europe qui leur serait
néfaste1261.

Ainsi pour tous les acteurs de l'océan Arctique, la dimension économique prime. Si sur le
continent européen ce point est de nature à créer des tensions et des conflits, dans le grand nord
la coopération est la tendance dominante. L'aspect international d'une partie de l'océan Arctique
et la dureté des éléments obligent les différents États à trouver une solution commune. Le
Conseil de l'Arctique ne possède pas de réel pouvoir contraignant mais il permet de rassembler
les acteurs et de favoriser les relations bilatérales. Les différends, présents entre les acteurs, pas
forcément dans une logique OTAN contre la Russie, ne sont pas de natures à créer des conflits
suffisamment importants. Les relations entre les acteurs ne sont impactés négativement que par
la politique extra-arctique et tout particulièrement les problèmes en Europe de l'est. En effet, si
la limite nord de l'OTAN s'avère être le territoire le plus calme actuellement avec la Russie, la
frontière est de l'Alliance constitue son point chaud (section 2).

1259 Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Géostratégique Op. Cit. p.64.
1260 Ibid p.70.
1261 Ibid p.71.

Page 372
Section 2 Les partenariats de l'OTAN à l'est : l'épicentre de la discorde avec
la Russie

La chute de l'URSS et sa dislocation font perdre à la Russie une part non négligeable de son
territoire et de sa population. Un quart du territoire soviétique et la moitié de la population de
l'Union soviétique se trouvent désormais dans des États indépendants.1262 Mais la Russie perd
surtout sa géographie. Si on considère l'URSS comme la continuité de l'empire russe, avec sa
dissolution, ses frontières sont plus proches de la ville de Moscou qu'elles ne l'ont jamais été
dans son histoire. La Russie perd une barrière de protection territoriale géopolitique d'où un
sentiment de frustration et d'inquiétude. Les nouveaux États indépendants occupent dès lors une
place majeure dans la politique étrangère russe avec la CEI.
Néanmoins, un certain nombre d’États de la CEI désirent rejoindre les institutions occidentales
comme l'OTAN et l'UE en suivant le modèle des 3 pays baltes. Le GUAM formé par la Géorgie,
l'Ukraine, l'Azerbaïdjan et la Moldavie est le cœur de ce mouvement pro-occidental. Cette
divergence entre pro-russes et pro-occidentaux au sein de l'ancien espace d'influence russe crée
des tensions qui vont devenir globales avec le développement des liens du GUAM avec l'OTAN
et dans la moindre mesure l'UE. Les partenariats entre l'Alliance nord-atlantique et l'Ukraine et
la Géorgie en vue d'une adhésion future deviennent l'épicentre du conflit entre l'OTAN et la
Russie. Si l'Azerbaïdjan et la Moldavie cherchent aussi à se rapprocher de l'Alliance, c'est
l'Ukraine et la Géorgie qui vont capter les tensions. Ces deux États sont, en effet, des territoires
frontières (§1) qui vont passer de conflits gelés à conflits ouverts (§2).

§ 1 L'Ukraine et la Géorgie : des territoires frontières

L'Ukraine et la Géorgie ont toutes les deux une position particulière sur la scène internationale.
Elles ont géographiquement et politiquement un rôle de frontière entre l'Occident et la Russie.

1262 Mendras, Marie, ‘Pouvoir et territoire en Russie’, Cultures & conflits, 1996 .

Page 373
Comme la plupart des pays et régions se trouvant dans les périphéries de grands ensembles
politiques, leurs propres territoires sont sujets à la déstabilisation géopolitique au fil des siècles.
Par conséquent, les deux États sont le produit d'une Histoire marquée par des hésitations entre
l'Est et l'Ouest (A) qui explique que ces États vont être assujettis à des divisions politiques
internes après la chute de l'URSS. (B)

A Une Histoire marquée par des hésitations entre l'Occident et la Russie

Les représentations historiques dictant les politiques actuelles, il est nécessaire de mettre en
avant l'Histoire des deux États. L'Ukraine et la Géorgie se trouvent liées historiquement à la
fois à des puissances désormais membres de l'UE et à la Russie. L'Ukraine fut le cœur du monde
slave (1) tandis que la Géorgie voit son passé connecté aux puissances orthodoxes (2)

1 L'Ukraine : le cœur du monde slave

Historiquement, le territoire ukrainien a été aussi bien dans la Russie que dans la Pologne. Les
deux entités slaves dominantes ont, en effet, eu un impact sur l'histoire de ce pays expliquant
leurs liens actuels avec l'Ukraine. Du côté de la Russie, Kiev est considéré comme le berceau
de la « civilisation russe ». La Rous de Kiev ou Ruthénie reste dans l'imaginaire russe le point
de départ avec Novgorod de ce qui allait devenir la Russie. Cet Etat fondé en 882 par Oleg un
varègue1263 de Novgorod développe des relations avec l'empire byzantin à travers des traités
commerciaux.1264 La ville de Kiev est placée sur un axe commercial avantageux. Elle se situe
sur le Dniepr, un fleuve se jetant dans la mer Noire et donc en contact avec Constantinople.

1263 Tel est le nom donné aux Viking originaire du Suède qui sont considérés comme étant parmi les premiers
slaves.
1264 Laroussilhe, Olivier de, ‘Une histoire longtemps imposée par la géographie’, in Que sais-je ? (Presses
Universitaires de France, 2002), 2E ED., p.17.

Page 374
Cette situation économique a permis un développement de la Rous en faisant une puissance
majeure en Europe de l'Est. Selon le chercheur Olivier de Laroussilhe « Le territoire de la
Rous dépassait de loin l'Ukraine proprement dite, puisque au XIe siècle il s'étendait à
l'ouest jusqu'aux Carpates, au sud jusqu'aux abords de la mer Noire, au nord jusqu'à
la Baltique et aux actuels pays baltes, à l'est jusqu'à la Kama. »1265 C'est par conséquent
un territoire s'étendant jusque dans la Russie actuelle et au-delà de Moscou mais aussi en
Pologne qui formait l’ancêtre de l'Ukraine. C'est aussi sous l'influence byzantine que le pays se
convertit peu à peu à l'orthodoxie préfigurant déjà le pouvoir religieux qui se développera à
Moscou des siècles plus tard. Toutefois, ce puissant royaume se montre incapable de surmonter
des faiblesses qui conduiront à sa destruction. Les problèmes de succession royale poussèrent
à la division des territoires entre les héritiers du souverain : « l’unité de l’État était assurée
par la subordination des cadets à l'aîné, source récurrente d'instabilité ».1266 De plus,
il existe une pression des tribus des steppes venant d'Asie et principalement de la Horde d'Or
mongole. Ces deux éléments précipitent la fin de la Rous de Kiev et sont responsables à l'instar
des royaumes russes naissants, du retard en matière de développement économique et
politique : « L’occupation asiatique qui va suivre entraîna sa disparition. Elle
contribua à isoler l’Ukraine de l’Europe et des grands courants de culture qui
aboutiront à la Renaissance, et fit obstacle au développement d'un État national. » 1267
En outre, cette occupation mongole poussa une partie de la population à se réfugier dans l'ouest,
dans la principauté de Galicie-Volhynie située à la frontière actuelle entre la Pologne et
l'Ukraine. Cet exode a permis de maintenir l'héritage de la Rous après l'invasion asiatique.
A travers le premier royaume ukrainien, les liens avec les contrées russes et polonaises sont
déjà présents. Le développement de ces deux dernières entités avec la création d’États puissants
oblige l'Ukraine à se rallier à l'une ou l'autre. La Russie étant elle aussi marquée par un retard
dû à l'occupation mongole, c'est la Pologne-Lituanie qui prend le contrôle du territoire
ukrainien. Sous Casimir le Grand (1310-1370), la Galicie-Volhynie est annexée par la Pologne
d'où une polonisation des peuples ukrainien achevée avec la création de l'Union entre la
Pologne-Lituanie plusieurs siècles plus tard en 1569. Le territoire ukrainien se retrouve sous la

1265 Laroussilhe, Olivier de, ‘Une histoire longtemps imposée par la géographie’, in Que sais-je , Op. Cit.
p.17.
1266 Ibid p.20.
1267 Laroussilhe, Olivier de, ‘Une histoire longtemps imposée par la géographie’, in Que sais-je , Op. Cit.
p.20.

Page 375
coupe d'un vaste territoire s'étendant de la Baltique jusqu'à la mer Noire. Cette situation rappelle
le territoire de la Rous au maximum de sa puissance. Pour autant, cette période polonaise n'est
pas acceptée par les ukrainiens à cause de leur mise à l'écart de la société et particulièrement de
l'aristocratie. Le poids du catholicisme dans la société polonaise marginalise les Ukrainiens
orthodoxes. Une situation va ainsi se développer au sein du territoire ukrainien : l'Ukraine
occidentale et tout particulièrement ses élites sont assimilées à la culture polonaise et converties
au catholicisme. À l'inverse, à l'est et au sud du pays et du fleuve Dniepr se trouvent des
« républiques cosaques » qui mettent l'accent sur la paysannerie libre. Ces dernières seront à
l'origine de révoltes contre le royaume de Pologne avec l'appui des pays de l'Est de l'Ukraine.
En XVIIème siècle, les cosaques dirigés par Bogdan Khmelnitsky organisent des soulèvements
pour acquérir une certaine indépendance des territoires ukrainiens vis-à-vis de la Pologne. La
situation incertaine oblige Khmelnitsky à demander de l'aide à la Russie moscovite, ce qui
s'achève en 1654 avec le Traité de Pereislav par la mise sous protection de l'Ukraine par la
Russie. Cette période historique expose comment le pays naissant se retrouve dans une position
d'indécision entre l'ouest et l'est, du fait d’être entre deux nations puissantes. Après la fin de la
Rous, l'Ukraine a les plus grandes difficultés à être indépendante.
La disparition progressive de la Pologne morcelée par les empires russe, prussien et autrichien,
loin de favoriser les Ukrainiens crée un équilibre de puissance dans ce qui devient au XIXème
siècle la Sainte Alliance. À cette époque une large part de l'Ukraine est englobée dans l'empire
russe tout en laissant une part non négligeable à l'empire austro-hongrois.1268 On retrouve là
encore cette division entre les puissances occidentales et la Russie qui se partagent l'Ukraine.
C'est toutefois, avec l’avènement de l'URSS que l'Ukraine est englobée dans la Russie devenue
l'Union soviétique. Cette période va marquer profondément l'histoire ukrainienne et le
comportement de Kiev vis-à-vis de Moscou après la chute de l'URSS. D'un côté le territoire
ukrainien prend peu à peu la forme qu'il aura au début du XXIème siècle, grâce à l’autonomie
proclamé en 1917 par le gouvernement provisoire et bien qu'intégrée dans l'URSS en 1921, elle
constituera une division administrative. De plus, le secrétaire général Khrouchtchev, lui-même
ukrainien, donnera par décret le territoire de la Crimée, auparavant russe, à l'Ukraine en 1954.

1268 « la Galicie, soit 88 000 km2 et 4,7 millions d'Ukrainiens en 1900 (cédée ensuite à la Pologne
au Traité de Riga en 1921, puis annexée par l'URSS en 1939), la Ruthénie (Ukraine) subcarpatique,
petite région (14 900 km2) située à l'extrême est de la Slovaquie (avec la ville de Uzhgorod) peuplée de
500 000 Ukrainiens (intégrée ensuite à la Tchécoslovaquie entre 1918 et 1939, puis annexée par l'URSS
en 1945) et la Bukovine (17 400 km2) prise à l'Empire ottoman. »
Ibid p.32-33.

Page 376
Néanmoins, la période stalinienne marque négativement la mémoire du pays vis-à-vis de
Moscou. Le peuple ukrainien est traditionnellement tourné vers l'agriculture avec une
population avant tout paysanne. Staline commence dès 1928, une industrialisation forcée qui
prend la forme d'une collectivisation des terres entre 1929 et 1933. Selon Olivier de
Laroussilhe : « Elle réglait un vieux compte entre les Bolcheviques et la paysannerie,
considérée comme une classe « bourgeoise » ennemie du prolétariat et accusée
d'accaparer les vivres. »1269 Cette politique est à l'origine des famines et des déportations des
propriétaires terriens, les koulaks qui fit en Ukraine 4 millions de morts sur les 6 millions dans
l'URSS1270. Ce massacre est considéré par l'Ukraine et certains historiens comme un génocide :
l'Holodomor, littéralement génocide par la faim. Cette période reste vivace dans les esprits
ukrainiens d'autant que certains historiens comme Vera Moroz considère que Staline souhaitait
par cette action détruire l'identité ukrainienne. De plus, la géographie de l'Ukraine a été altérée
pour des raisons idéologiques : selon Vladimir Tchernega : « Les régions de Donetsk, Lougansk
et Kharkov, par exemple, furent rattachées à l’Ukraine comme « contrepoids prolétarien » à la
masse des paysans ukrainiens qui gardaient un « esprit petit-bourgeois ».1271 Si l'Ukraine a
toujours été prise en étau entre la Russie et les puissances occidentales, la période stalinienne
impacte les relations actuelles. Si l'histoire de l'Ukraine est mouvementé, celle de la Géorgie
l'est aussi du fait de sa connexion avec les puissances orthodoxes (2)

2 La Géorgie : un pays liés aux puissances orthodoxes

Située sur les rives de la mer Noire dans la région du Caucase, la Géorgie est un carrefour entre
l'Occident, la Russie et l'Asie. Si le pays n'a pas de frontière méditerranéenne, son histoire est
liée à la Méditerranée via la mer Noire. Dès l'antiquité, le territoire géorgien a été colonisé par
les pontiques, à savoir les Grecs et les populations hellénophones s'installant sur les bords de la
mer Noire.1272 La Colchide, région bordant la mer Noire et l'Ibérie, territoire plus à l'est, sont
les deux principales terres qui forment l'actuelle Géorgie. Elles vont être conquises par Rome

1269 Ibid p.63.


1270 Ibid.
1271 Tchernega, Vladimir, ‘Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine, Why Russia
and the EU Should Cooperate in Ukraine’, Politique étrangère, Eté (2014), p.99.
1272 Chiclet, Christophe, ‘Le conflit Russo-Georgien’, Confluences Méditerranée, 2008, p.111.

Page 377
en 65 avant J-C lors des campagnes de Pompée.1273 Cette région du Caucase possède, donc, dès
l'antiquité des racines occidentales du fait de ses relations avec les puissances méditerranéennes.
La conversion au christianisme dans les années 330 renforce cet ancrage dans le monde
européen. Toutefois, sa position frontalière située entre l'Europe et l'Asie favorise au moyen-
âge des affrontements entre l'empire romain d'orient et la perse iranienne. « Le pays de Lazique,
sur la mer Noire, qui comprenait aussi la Colchide antique, fut très étroitement rattaché à
Byzance »1274 tandis que l'Ibérie passe sous le contrôle iranien. Pour autant, une unification des
territoires s'opère avec la création du royaume de Géorgie et une reprise en main de l’Etat par
les chrétiens d'orient orthodoxes. La population reste certes multi confessionnelle mais le
pouvoir s'inscrit dans la continuité de Byzance.1275 La Géorgie représente un intérêt maritime
pour l'Empire romain d'orient en étant une porte commerciale entre l'occident contrôlant la mer
Noire et l'Asie. En effet, la mer Noire était à l'époque appelée par les Iraniens : « mer des
Géorgiens »1276, ce qui témoigne de l'importance de ce pays dans la région et son potentiel.
Pour autant, les différentes invasions vont considérablement affaiblir le royaume et contribuer
à la perte de son indépendance. Les invasions mongoles, sans remettre en cause l'indépendance
du pays, vont occasionner un retard de développement, à l'instar des régions slaves en Europe
de l'Est. De plus, la prise de Constantinople par les Ottomans isole la Géorgie du reste de la
chrétienté et lui fait perdre son principal partenaire. La Géorgie qui était une porte de l'Occident
sur l'Asie se retrouve séparée de l'Europe politiquement et à proximité d'un empire ottoman au
sommet de sa puissance. Cette situation incite les dirigeants géorgiens à se rapprocher peu à
peu d'une Russie en pleine expansion. Le roi de Géorgie Héraclius II, conclut en 1783 un traité
avec Catherine II de Russie garantissant l'intégrité et l’indépendance territoriale de la
Géorgie1277 et protégeant cette dernière des expansions turques et iraniennes. Le pays fut un
espace d'affrontement entre les Ottomans et les Russes et il en résulta un contrôle de plus en
plus fort de la part de Moscou. La Géorgie cherche donc la protection d'une puissance

1273 Lang, David Marshall, Kalistrat Salia, Christophe Chiclet, and Régis Gayraud, ‘Géorgie’, Encyclopædia
Universalis .
1274 Lang, David Marshall, Kalistrat Salia, Christophe Chiclet, and Régis Gayraud, ‘Géorgie’, Encyclopædia
Universalis .
1275 Hellot-Bellier, Florence, Irène Natchkebia, and Collectif, La Géorgie entre Perse et Europe (Paris:
Editions L’Harmattan, 2009) p.19.
1276 Ibid p.21.
1277 Lang, David Marshall, Kalistrat Salia, Christophe Chiclet, and Régis Gayraud, ‘Géorgie’, Encyclopædia
Universalis, Op. Cit.

Page 378
chrétienne face aux empires musulmans. La position frontalière et l'importance stratégique du
Caucase en tant que carrefour en font un territoire convoité par les différents voisins.
Il convient de noter que cette position du pays et son multiculturalisme sont à l'origine des
mouvements sécessionnistes. Selon le chercheur Michel Guénec cette situation est due : « la
dernière guerre russo-turque de 1877-1878, tout d’abord, qui débouche sur le massacre d’une
partie des populations abkhazes et plus généralement circassiennes, alliées des Turcs, l’exode
massif vers l’Asie Mineure d’une autre partie et le repeuplement de la région par des
populations russes (alentours de Sotchi) et géorgiennes ». 1278 La Géorgie étant un point de
friction entre les différentes cultures, des tensions ethniques ont émergé. Mais à l'instar de
l'Ukraine, l'un des facteurs déterminants est la politique soviétique. La Géorgie est annexée en
1921 par l'URSS et intégrée dans la République fédérative socialiste soviétique de
Transcaucasie, dissoute en 1936 et remplacée par la République socialiste soviétique de
Géorgie. Staline rattache en outre l'Abkhazie, auparavant russe, à la Géorgie en 1931 sous le
statut de république autonome, s'ajoutant ainsi à l'oblast indépendant d'Ossétie du sud. Sous
l'influence de Joseph Staline et du chef de la police politique NKVD Lavrenti Beria, tous deux
Géorgiens, ces régions autonomes vont connaître une forte « géorgianisation » de la population
rendant les abkhazes et les ossètes minoritaires sur leurs propres terres. Toutefois, la langue
1279
russe reste utilisée pour les relations entre les différentes ethnies. A l'inverse, la
« déstalinisation » sous Khrouchtchev est mal acceptée par les Géorgiens qui y voyant une
atteinte à la Géorgie. 1280 Les politiques des dirigeants soviétiques favorisant un groupe au
détriment d'un autre renforcent les tensions entre les différentes ethnies et régions internes de
la Géorgie. D'où un climat problématique lors de la dislocation de l'URSS : « Désormais, la
Géorgie va concentrer tous les maux d'une Union soviétique en dislocation : guerre civile,
affrontements interethniques, isolement politique et économique, montée des mafias... Les
premières élections législatives libres ont lieu en octobre dans un climat de division et de
violence. »1281 C'est donc avec ce passif chargé envers la Russie que l'Ukraine et la Géorgie
débutent leur indépendance et se trouvent par conséquent divisées (B)

1278 Guénec, Michel, ‘La Russie et les « sécessionnismes » géorgiens, Russia and Georgians
“Secessionisms”’, Hérodote, 2010, p.27-28.
1279 Ibid.
1280 Lang, David Marshall, Kalistrat Salia, Christophe Chiclet, and Régis Gayraud, ‘Géorgie’, Encyclopædia
Universalis, Op. Cit.
1281 Ibid.

Page 379
B : Des pays divisés politiquement après la fin de l'URSS

L'Histoire de ces pays expose les hésitations entre l'Est et l'Ouest. Celles-ci vont être à l'origine
d'instabilités internes et créer une véritable division entre les pro-russes dans les régions
frontalières (1) et le reste du pays plus europhile (2).

1 : Un lien russophile persistant dans les régions frontalières

Il existe dans les régions frontalières avec la Russie des populations russophones voire
russophiles. Ces deux qualitatifs ne se recoupent pas toujours, tout russophone n'est pas
automatiquement partisan d'un lien plus fort avec Moscou, mais il existe une certaine proximité
entre les deux notions. Le cas de l'Ukraine en est symptomatique. Après les Ukrainiens « de
souche », les russophones forment le second groupe avec 8,3 millions, soit 17,3 % des habitants
de l'Ukraine.1282 Ceux-ci se concentrent principalement dans les régions de l'est : en Crimée, à
Donetsk, à Zaporijjia, à Luhansk et dans une moindre mesure à Khartiv. La population parle en
majorité russe, parfois à plus de 70 %.1283 A l'inverse, dans ces mêmes régions la population
ukrainophone est faible. Même si une part importante de la population ukrainienne est bilingue,
la langue russe reste largement employée dans l'est. 1284 Cette position géographique est un
héritage du contrôle territorial historique russe depuis le 17ème siècle accentué par
l'industrialisation de ces régions par l'URSS. Les territoires russophones s'avèrent être les plus
développés de l'Ukraine et sont, par conséquent, parmi ceux ayant le niveau de vie le plus élevé
du pays : en 2013, l'est de l'Ukraine a en moyenne un PIB par habitant de 4000 dollars, là où
dans l'ouest il avoisine 2000 dollars.1285 De plus, ces régions produisent plus de 30 % du PIB
ukrainien.1286 Par conséquent, cette russophonie a un impact politique.

1282 ‘Ukraine: Données Démolinguistiques’, CEFAN Université de Laval


<http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/ukraine-1demo.htm> [accessed 5 October 2018].
1283 ‘Municipalités Ukrainophones et Russophones’, CEFAN Université de Laval
<http://www.axl.cefan.ulaval.ca/europe/ukraine-villes-langues.htm> [accessed 5 October 2018].
1284 ‘Ukraine: Données Démolinguistiques’, CEFAN Université de Laval, Op. Cit.
1285 State Statistics Service of Ukraine, ‘Produit Régional Brut d’Ukraine’
<http://www.ukrstat.gov.ua/operativ/operativ2008/vvp/vrp/vrp2008_u.htm> [accessed 5 October 2018].
1286 Tchernega, Vladimir, ‘Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine, Why Russia
and the EU Should Cooperate in Ukraine’, Politique étrangère, Op. Cit., p.98.

Page 380
Comme le fait remarquer Samuel Huntington dès le début des années 1990, la partie Est du
pays tend à voter pour le candidat favorable à un rapprochement avec Moscou. Ainsi en 1994,
le candidat, plutôt russophile, Leonid Koutchma gagne les élections avec des scores montant
jusqu'à 90 % (Crimée à 89,7 %, Luhansk 88 % et Donetsk à 79 %1287.) Cette dynamique se
poursuivra dans les élections ultérieures. Huntington, conscient de la division politique de
l'Ukraine, estime à l'époque que la dimension civilisationnelle permettrait d'éviter un conflit :
« Cependant, si le point de vue civilisationnel prévaut, un conflit entre Ukrainiens et Russes est
peu probable. Ce sont deux peuples slaves, avant tout orthodoxes, qui ont eu des relations
intimes pendant des siècles et au sein desquels les mariages mixtes sont chose commune. »1288
Si le poids des éléments civilisationnels a été surévalué chez Huntington, il n'en reste pas moins
qu'ils ont trouvé un écho favorable dans les milieux politiques russes. Ils ont réutilisé cette
rhétorique afin de justifier que l'Ukraine reste sous leur influence. Néanmoins, les tensions entre
les deux parties du pays ont fait ressortir la proximité des russophones envers la Russie. La
suppression de la langue russe comme langue officielle par le gouvernement issu du
soulèvement de Maidan en 2014, a été perçue comme une atteinte à la culture des régions
russophones. L'importance historique des liens économiques entre la Russie et l'est ukrainien
industrialisé ont contribué à ce rapprochement. La Russie utilise la protection des minorités à
son avantage.
L'utilisation des « sécessionnismes » par Moscou en Géorgie en est un autre exemple. La
manipulation géographique du territoire géorgien par Joseph Staline a créé des frictions entres
les Géorgiens d'une part et les minorités abkhazes et ossètes du sud. Pour ces derniers, l'Ossétie
est politiquement un territoire divisé : le nord est dans la Russie tandis que le sud est en Géorgie.
De plus l'Abkhazie et l'Ossétie du sud ayant joui d'une large autonomie sous la période
soviétique ont développé un sentiment indépendantiste vis-à-vis de la Géorgie. Le sentiment
national géorgien est donc inquiétant pour les minorités qui craignent d'être considérées comme
étrangères au pays. Dès l’effondrement de l'URSS, des conflits violents explosent : « Zviad
Gamsakhourdia se hisse à la tête du Soviet suprême géorgien grâce, pour l’essentiel, au soutien
qu’il apporte aux droits de ces populations géorgiennes. Z. Gamsakhourdia supprime le statut
d’autonomie de l’Ossétie-du-Sud et déclare l’état d’urgence, transformant les aspirations
ossètes à la réunification avec l’Ossétie-du-Nord en revendication violente. Dès lors, les

1287 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations Op. Cit.


1288 Ibid.

Page 381
accrochages armés se multiplient, menant à une véritable guerre au printemps 1991. » 1289
L'élection du pro-russe Edouard Chevardnadze à la tête de la Géorgie en 1992 calme
temporairement la situation mais souligne la fragilité de la situation. L'aspect multi-ethnique du
territoire géorgien s'oppose au souhait d'une cohésion nationale et conduit à l'affrontement. De
par le multiculturalisme de la Géorgie, les minorités souhaitent naturellement leur
indépendance. À l'instar de l'ex-Yougoslavie, l'affrontement entre la Géorgie et les minorités
abkhaze et géorgiennes, y compris entre elles, débouche sur des « nettoyages ethniques ».1290
Du fait de cette situation, la Russie apparaît pour ces minorités comme un médiateur. Mais
parallèlement cet activisme russe renforce la souhait des États de se rapprocher de l'occident
(2)

2 : Un souhait politique de rejoindre l'Occident en réaction à la période soviétique

Pour une partie de la population, les liens historiques de l'Ukraine et de la Géorgie avec le
monde occidental se mêlent aux mauvais souvenirs de la période soviétique. Ces deux États,
désormais indépendants, recherchent des garants. L'UE et les États-Unis sont les cibles
principales. Cette volonté prend forme à travers trois types d'actions : le rapprochement avec
l'UE, la formation du GUAM et le projet d'adhésion à l'OTAN. Une part non négligeable des
élites politiques d'Ukraine et de Géorgie craint l'influence de Moscou dans les affaires internes
du pays avec l’utilisation des régions russophiles mais aussi avec la dépendance économique
envers Moscou. Par conséquent, le rapprochement vis-à-vis de l'UE et de son marché commun
répond à ce souhait de diversifier les partenaires économiques. En Ukraine, le président
Koutchma bien que favorable au maintien de relations fortes avec Moscou a mis en place des
projets favorisant le rapprochement avec l'Occident : « L. Koutchma fixait même une date pour
être membre à part entière de l’Union (2010-2011), après être passé par les étapes de l’Accord
de partenariat et de coopération (signé en juin 1994 et entré en vigueur en mars 1998), celle
de la zone de libre-échange (prévue pour 2007) et celle du statut de membre associé. »1291 De
son côté, la Géorgie prend ses distances avec les institutions pilotées par la Russie comme le

1289 German, Tracey C., and Benjamin Bloch, ‘Le conflit en Ossétie-du-Sud : la Géorgie contre la Russie,
Politique étrangère, Printemps (2006), p.54.
1290 Dubuy, Mélanie, ‘Les conséquences de la dislocation des empires : le cas de l’Abkhazie et l’Ossétie du
Sud’, Civitas Europa, 2017, p.181.
1291 Radvanyi, Jean, Les États post-soviétiques: Identités en construction, transformations politiques,
trajectoires économiques, Op. Cit. p.84.

Page 382
traité de Sécurité collective en ne renouvelant pas son adhésion en 1999. 1292 L'arrivée à la
présidence géorgienne de Mikheil Saakachvili en 2004, marque un tournant plus libéral de
l'économie géorgienne. Celui-ci est toutefois orienté contre Moscou : « Les privatisations sont
relancées, le pouvoir géorgien s’efforçant cependant d’éviter des investissements russes tout
en attirant des acteurs, européens (viticulture, agro-industrie), kazakhs (dans le tourisme,
l’immobilier), azéris (terminal pétrolier de Koulevi), japonais et coréens (tourisme, centrales
électriques). »1293 Le rapprochement avec l'occident se fait donc dans le but de s'opposer à
Moscou. La création du GUAM en 1997, ne laisse que peu de doute quant aux intentions des
dirigeants : la présence américaine derrière ce forum international qui concurrence la CEI
indique le tournant « occidentaliste » des États. Ce ne sera pas, au départ, particulièrement perçu
comme une menace immédiate par la Russie, à l'époque occidentaliste, malgré un début de
changement avec le premier ministre Primakov, mais cette posture change avec les révolutions
de couleurs.
Si ces actions émanent des élites politiques, une partie de la population est elle aussi partisane
d'un rapprochement avec l'Occident. Les printemps de couleurs en sont les exemples : la
« révolution des roses » géorgienne en 2003 et la « révolution orange » ukrainienne en 2004
suivent un schéma similaire : les résultats d'élections nationales contestés car soupçonnés de
trucages en faveur d'un candidat pro-russe, provoquent des mouvements populaires et
entraînent de nouvelles élections qui débouchent sur une victoire du candidat occidentaliste.
Cette situation révèle l'existence d'un mouvement populaire en faveur du rapprochement avec
l'Europe et les États-Unis. Si la présence américaine à travers des ONG ne fait pas de doute, il
n'en reste pas moins qu'il existe un véritable terreau populaire à cet occidentalisme en Ukraine
et en Géorgie. Dans les deux cas, il faut prendre en compte le facteur économique. La Géorgie
connaît à partir de 1998, une crise financière qui ne lui permet pas de respecter ses engagements
vis-à-vis du FMI, qui suspend dès lors certains programmes d'aides.1294 Pour l'Ukraine, si la
situation est moins catastrophique, son économie possède d'importantes faiblesses : le poids des
oligarchies régionales et locales pèse sur le développement et la restructuration agricole et
industrielle prennent du retard. Dans les deux pays, l'élément déclencheur est la corruption
endémique des dirigeants. La mauvaise situation économique liée à ce problème commun aux

1292 Ibid p.175.


1293 Radvanyi, Jean, Les États post-soviétiques: Identités en construction, transformations politiques,
trajectoires économiques, Op. Cit. p.173.
1294 Ibid p.172.

Page 383
États de l'ex-URSS a été la cause des révolutions de couleurs. Le trucage des élections dans un
tel contexte provoque un rejet des dirigeants pro-russes accusés d'entretenir la situation et invite
à se tourner vers l'UE plus prospère économiquement. La dimension économique est d'autant
plus importante chez les occidentalistes que c'est le refus de signer par le président Viktor
Ianoukovitch l'accord d'association entre l'Ukraine et l'UE en 2014 qui est à l'origine du
mouvement « Euromaidan ». Enfin, la recherche d'un protecteur militaire anime aussi les
occidentalistes ukrainiens et géorgiens afin de faire face à la Russie. Les partenariats avec
l'OTAN suivent cette logique tout comme le souhait de plans d'actions pour l'adhésion qui ne
seront pas mis en place à cause du conflit en Géorgie en 2008.
Les occidentalistes ukrainiens et géorgiens suivent une logique similaire à celle des anciens
États satellites de l'URSS comme ceux du groupe de Visegrad. Le rejet d'une emprise de la
Russie et la recherche de la prospérité de l'Europe de l'ouest sont les vecteurs principaux de leur
action. De par cette même vision, les occidentalistes ukrainiens et les membres du groupe de
Visegrad ont des liens importants. Pour l'Ukraine, la relation est naturelle du fait de la proximité
géographique et de l'histoire commune avec un État comme la Pologne. Pour la Géorgie,
Varsovie se montre attentive aux problèmes que rencontre le pays caucasien comme le montre
sa réaction vive lors du conflit en 2008.1295 Le président polonais Lech Kaczyński est à l'époque
favorable à un soutien actif de l'UE et l'OTAN envers Tbilissi. Ces liens entre les occidentalistes
de la CEI et certains membres de la nouvelle Europe ne sont bien évidemment pas de nature à
améliorer les relations avec Moscou. Pour autant, la recherche de résultats concrets par les
Ukrainiens et les Géorgiens prouve qu'ils sont ouverts à une aide active et réelle de la part de
certains États occidentaux. Le fait d’être frontalier avec la Russie, rend ce souhait d'aide et de
rapprochement encore plus fort. Cette opposition entre occidentalistes et russophiles
déclenchent des affrontements ouverts (§2)

§2 Des conflits gelés aboutissant à des affrontements ouverts

La situation frontalière de l'Ukraine et la Géorgie combinée avec les divisions internes


transforme les conflits gelés en affrontements ouverts. Ces derniers sont le résultat de relations

1295 Truchlewski, Zbigniew, ‘La Pologne face à la guerre russo-géorgienne’, Nouvelle Europe, 2008
<http://www.nouvelle-europe.eu/node/507> [accessed 6 October 2018].

Page 384
difficiles avec la Russie (A). Au-delà des problèmes locaux, ces conflits ont une incidence
globale qui se matérialise principalement après le mouvement « euromaidan » en 2014. (B)

A Des relations difficiles avec la Russie

Les relations entre l'Ukraine et la Géorgie d'un côté et la Russie de l'autre sont tendues du fait
de la volonté des occidentalistes. Deux facteurs sont à l'origine des litiges entre la Russie et les
deux États : une dimension économique liée aux hydrocarbures (1) et une dimension politique
se manifestant par la volonté russe de garder un contrôle géopolitique sur les territoires voisins
(2)

1 Une dimension économique : le transit des hydrocarbures

L'Ukraine et la Géorgie occupent des positions clés en matière de transit d'hydrocarbures. La


première constitue la route terrestre naturelle et classique entre l'UE et la Russie, tandis que la
seconde, en tant qu’État du sud du Caucase, est un carrefour entre l'Asie, l'Europe et la Russie
et donc pour les échanges énergétiques entre ces différentes régions du monde. L'Ukraine et la
Géorgie sont les deux portes principales pour le transit des hydrocarbures russes vers l'étranger.
La Russie investissant économiquement surtout en Europe et en Asie centrale, Kiev et Tbilissi
sont des centres névralgiques dans la géopolitique énergétique russe et internationale. Compte
tenu de l'importance prioritaire accordée à ce domaine économique par la Russie de Poutine, il
est compréhensible que celle-ci ait un intérêt majeur dans ces pays : une large part de sa
stratégie d'exportation russe dépend, pour des années, de l'Ukraine et de la Géorgie. Les
infrastructures terrestres pétrolières et gazières reliant la Russie et ses partenaires passent dans
ces deux pays. La position géographique de pivot de ces derniers attire d'autres puissances dans
la région comme les États-Unis qui ont, eux aussi, compris l'importance stratégique du contrôle
des nœuds de transit d'hydrocarbures. Comme le fait remarquer l'ancien conseiller américain
Zbigniew Brzezinski, l'Ukraine et le Caucase doivent être sujet d'attention pour les autorités
américaines. 1296 Il définit la Géorgie et le Caucase comme les lieux où se situeront des
affrontements à l'échelle globale pour le contrôle des ressources. À l'échelle européenne,

1296 Brzezinski, Zbigniew, Le grand échiquier , Op. Cit., p.186 et 191.

Page 385
l'Ukraine occupe une position similaire. La diversification par la Russie de ses partenaires
économiques oblige Moscou à ne pas laisser l'un des pays aux mains de puissances rivales.
De ce fait, Moscou joue sur la dépendance économique des deux États. Selon Loic Simonet :
« La Russie fournit à l’Ukraine environ 60% du gaz que ce pays consomme, soit 30 à 35
milliards de mètres cubes par an sur un total de 55 milliards. Conséquence d’une telle
dépendance, la dette ukrainienne à l’égard de Gazprom a atteint des proportions
considérables. Selon Gazprom, l’Ukraine devait à l’opérateur russe, en février 2014, 3,29
milliards de dollars de factures impayées pour 2013 et janvier 2014 »1297 Pour la Géorgie, la
Russie est son premier partenaire économique1298 même si Tbilissi reste moins dépendante au
niveau des hydrocarbures grâce à ses barrages hydro-électriques et sa possibilité de
s'approvisionner auprès des États bordant la mer Caspienne comme l’Azerbaïdjan.1299 De fait,
la coopération dans le domaine des hydrocarbures reste globalement épargnée par les tensions
entre la Russie et la Géorgie. Les deux États continuent de coopérer après le conflit en 2008 via
des sociétés privées. 1300 La Russie sait que la Géorgie peut plus facilement sortir d'une
dépendance russe et préfère se montrer comme une puissance stabilisatrice dans la mesure du
possible avec sa position de partenaire clé.1301
Pour autant, les deux pays cherchent à gagner en indépendance vis-à-vis de l'économie russe.
L'Ukraine a signé en 2013 un accord avec la société américaine Chevron visant l’exploitation
du pétrole de schiste du gisement d’Olesky, dans l'ouest du pays. De même, Kiev négocie des
accords avec la compagnie allemande RWE et la Hongrie, la Pologne et la Roumanie afin
d'obtenir des approvisionnements venant de l'Europe centrale. Enfin, pour réduire sa
consommation de gaz, l'Ukraine transforme ses centrales pour qu'elles utilisent du charbon.1302
Paradoxalement, ces mesures se font sous le mandat du président ukrainien Ianoukovitch,
considéré comme pro-russe, et démit de son poste par l'Euromaidan. Il existe donc un véritable
consensus pour assurer une indépendance du pays dans les domaines vitaux. De plus, avec la

1297 Simonet, Loïc, ‘La crise du gaz de 2014 entre l’Ukraine et la Russie : beaucoup de bruit pour rien ?’,
Géoéconomie, 2014, p.96.
1298 Radvanyi, Jean, Les États post soviétiques: Identités en construction, transformations politiques,
trajectoires économiques, Op. Cit. p.174.
1299 Jervalidze, Liana, ‘La Géorgie et le transit énergétique après le conflit armé avec la Russie en août 2008’,
Outre-Terre, 2011, p.303.
1300 Ibid p.304.
1301 German, Tracey C., and Benjamin Bloch, ‘Le conflit en Ossétie-du-Sud : la Géorgie contre la Russie’,
Politique étrangère, Printemps (2006), p.62.
1302 Simonet, Loïc, ‘La crise du gaz de 2014 entre l’Ukraine et la Russie : beaucoup de bruit pour rien ?’,
Géoéconomie, 2014, p.100.

Page 386
Géorgie et la Roumanie, elle lance le projet White Stream en 20091303 destiné à construire un
gazoduc reliant la région Caspienne à l'Europe et ainsi être un contrepoids à la Russie. Ce projet
réalisé avec le soutien des institutions européennes vise, en effet, à assurer un
approvisionnement en gaz de l'Europe centrale et de l'Est et diminuer la dépendance vis-à-vis
de la Russie. À la différence du projet Nabucco, White Stream incorpore des pays de l'étranger
proche de la Russie et apparaît donc plus intéressant pour ces derniers, d’autant plus, que ce
projet ne dépend pas de la Turquie , instable dans ses relations avec l'UE.
Ces solutions sont rendues nécessaires car la Russie utilise les hydrocarbures comme un
véritable instrument d'influence politique. En jouant sur les prix et en utilisant les coupures du
gaz1304 pour perturber l'économie géorgienne et ukrainienne suite aux différends politiques, elle
crée un cercle vicieux poussant les États à prendre leur distance. De ce fait, la Russie veut, elle
aussi, contourner ces régions pour le transit des hydrocarbures en utilisant la mer Baltique avec
Nord Stream et la mer Noire avec South Stream puis Turkish stream. Etant donnée
l'interconnexion économique, en sanctionnant la Géorgie et l'Ukraine avec les hydrocarbures,
la Russie se punit elle-même en réduisant le débit vers les partenaires occidentaux, sans oublier
la perte de confiance de ces derniers vis-à-vis de Moscou. Dès lors, tous les acteurs cherchent
à mettre fin à cette dépendance en contournant géographiquement le problème grâce aux mers,
terrains neutres par excellence. Néanmoins, si la dimension économique tend à se résoudre dans
ce domaine, la question politique reste le cœur des conflits. (2)

2 Une dimension politique : Le souhait russe de garder le contrôle géopolitique

Tout le problème politique de l'Ukraine et de la Géorgie est dû à leur position frontalière avec
deux zones d'influences : celle de la Russie et son étranger proche et celle de l’Occident avec
leur souhait d'entrer dans l'OTAN et l'UE. Deux intérêts contraires se manifestent très vivement
et entraînent des affrontements armés. Si la Russie ne cache pas son désir de sécuriser sa zone
d'influence à travers l'Union eurasiatique, le tournant occidentaliste de la Géorgie et de
l'Ukraine ont toujours été des freins à ses projets. L'Ukraine, de par son importance stratégique

1303 Jervalidze, Liana, ‘La Géorgie et le transit énergétique après le conflit armé avec la Russie en août 2008’,
Outre-Terre, Op. Cit., p.308.
1304 Thom, Françoise, ‘La naissance de l’énergocratie russe’, Commentaire, Numéro 114 (2006), p.297.

Page 387
et culturelle pour la Russie, qui la considère comme liée historiquement à elle, pousse Moscou
à se montrer particulièrement active dans ce pays. Kiev apparaît donc comme une clé de
contrôles politique, régional et global : si la Russie contrôle le pays, sa zone d'influence est
restaurée. Au contraire, un passage de l'Ukraine dans l'UE et dans l'OTAN lui fait perdre toute
véritable influence territoriale en Europe. À moindre échelle, c'est la même dynamique qui
s'opère en Géorgie : la sécurisation du Caucase par la Russie est une priorité pour le
gouvernement russe, et ce d'autant plus que les principaux troubles internes viennent du nord
de cette région avec la Tchétchénie. Le problème de la Russie avec ses voisins résulte de la
perception de ses frontières.
Moscou a vu son territoire diminuer suite à la chute de l'URSS. Combiné avec la paranoïa
historique liée aux invasions, il en résulte que la Russie ne tolère pas la présence d’États hostiles
sur ses frontières. La CEI puis l'Union eurasiatique répondent à cette fonction : être une zone
d'influence de protection. La Géorgie, l'Ukraine et plus largement le GUAM, constituent des
faiblesses dans cette « forteresse ». Vladimir Poutine accorde une grande importance à la
géographie dans sa politique nationale et internationale : « « La géographie est une des bases
de la formation des valeurs patriotiques, de l’identité et de la conscience nationales et
culturelles. »1305 Le contrôle et la gestion de l'espace sont donc des préoccupations pour lui et
le développement économique du pays nécessite une coopération des territoires frontières. Et
ce d'autant plus que la Russie a toujours eu du mal à les définir. Le président Poutine, lors d'une
réunion à la société russe de géographie déclara même que : «Les frontières russes ne s'arrêtent
nulle part » avant de préciser qu'il plaisante. 1306 Bien qu'anecdotique, cet épisode est
symptomatique de la vision que la Russie porte sur son espace en mutation avec lequel elle a
du mal à gérer ses limites.
En tant qu'admirateur du tsar Pierre le Grand, Poutine s'inspire de son projet politique consistant
à avoir accès aux mers chaudes grâce au contrôle de la mer Noire et du Moyen-Orient. À cet
effet, l'Ukraine et la Géorgie sont, toutes deux, des États côtiers de la mer Noire. Cette dernière
occupe une place de plus en plus prépondérante dans la politique de Moscou. Pendant la guerre
froide, la Russie contrôlait la majorité de cette mer. Elle lui apportait des avantages
économiques avec les ressources du Caucase et militaires grâce au port de Sébastopol en

1305 Poutine, Vladimir, discours à la Société de géographie, 27 avril 2017.


1306 Sputnik, ‘Une blague de Poutine sème la panique dans les médias britanniques’ .

Page 388
Crimée. L'occidentalisation de la Géorgie et de l'Ukraine agite le spectre d'une perte de contrôle
d'un espace maritime lui permettant d’accéder facilement en méditerranée puis dans l'océan
indien. En conséquence des nombreux projets pétroliers mis en place par la Russie, et par les
autres pays qui la bordent, la mer Noire gagne un intérêt géo-économique. Plus précisément,
l'annexion de la Crimée répond au besoin de garder un point de contrôle stratégique dans une
mer qui échappe peu à peu à la Russie.
Du côté ukrainien et géorgien, l'interférence russe dans les affaires internes et la vision
géopolitique russe sont naturellement rejetées. Les actions militaires opérées directement en
Ossétie du sud et indirectement dans le Donbass et en Crimée inquiètent profondément les
autorités centrales des pays concernés : ils craignent que de telles actions ne réactivent d'autres
séparatismes et déclenchent la scission des deux États.1307 En effet, pour les élites ukrainiennes,
le président Poutine déclarant que les régions de l'est comme Kharkov, Donetsk, Lougansk,
Kherson, Nikolaev et Odessa appartenait à l'empire tsariste sous le nom de nouvelle Russie :
«Novorossiya »1308 sous-entend que Moscou veut se les accaparer.1309 Ce sont deux visions qui
s'opposent entre Moscou qui prône une approche géopolitique reposant sur l'histoire impériale
de la Russie et l'Ukraine et la Géorgie qui suivent une approche occidentaliste reposant sur des
valeurs. En cela, elles rentrent dans la zone d'influence de l'Occident et l’étendent aux frontières
russes. La recherche d'un parapluie protecteur de la part de l'UE et de l'OTAN avec les États-
Unis fait que les deux États frontaliers de la Russie considère celui-ci comme une solution face
à Moscou. Ces facteurs de litiges sont désormais source d'une impasse géopolitique (B)

B Une impasse géopolitique à l'échelle globale

Les guerres en Géorgie en 2008 et dans le Donbass à partir de 2014 sont, dans l'absolu, des
affrontements locaux dans des régions frontalières. Pour autant, les intérêts des grandes
puissances leur confèrent une dimension globale. À cette échelle, la situation est une impasse
pour la Russie et l'OTAN. Cette dernière voit son rôle originel réaffirmé réalisant ainsi la pire

1307 Iakimenko, Iouri, and Mikhaïl Pachkov, ‘Le conflit ukraino-russe vu de Kiev’, Politique étrangère, Eté
(2014), p.86.
1308 Poutine, Vladimir, ‘Transcript: Vladimir Putin’s April 17 Q&A’, Washington Post, 2014 .
1309 Iakimenko, Iouri, and Mikhaïl Pachkov, ‘Le conflit ukraino-russe vu de Kiev’, Politique étrangère, Op.
Cit., p.86.

Page 389
crainte de Moscou (1). De l'autre côté, un partenariat profitable entre l'Occident et la Russie est
menacé par la situation en Géorgie et surtout en Ukraine (2)

1 Une réactivation de l'OTAN en Europe de l'Est néfaste pour la Russie

L'OTAN a subi une crise existentielle après la fin de la guerre froide à cause de la disparition
de l'URSS, sa principale raison d'exister. Sa mission originelle, à savoir la défense contre
l'Union soviétique, est devenue caduque. Pendant les années 1990 et la première décennie du
XXIème siècle, l'Alliance doit s'adapter aux nouveaux enjeux et se transformer pour y répondre.
L'action militaire russe en Géorgie en 2008 et surtout en Ukraine à partir de 2014 lui permet de
revenir dans un domaine familier : la défense collective. Les sommets de l'OTAN au pays de
Galles en 2014 puis à Varsovie en 2016 mettent en évidence clairement un changement de ton
envers la Russie. Depuis la fin de la guerre froide jusqu'en 2014, l'OTAN considère Moscou
comme un partenaire, et ce y compris après le conflit géorgien en 2008 : le point 23 du compte
rendu du sommet de Lisbonne insiste sur le souhait de coopération : « Ayant avec elle des
intérêts de sécurité communs, nous sommes déterminés à construire de concert avec la Russie
une paix durable et inclusive dans la région euro-atlantique. »1310 En 2014, l'Alliance considère
lors du sommet de pays de Galles que la Russie viole de manière répétée le droit international
(point 18) et qu'elle est source d'insécurité dans la région d'Europe de l'Est (point 17).1311 Ces
éléments sont repris dans le rapport du sommet de Varsovie en 2016, dans lequel l'OTAN
considère qu'elle est une menace à la stabilité (point 10). 1312 Pour l'Alliance : « la crise en
Ukraine et alentour étant pour nous, dans les circonstances actuelles, le premier point à l'ordre
du jour. » (point 12)1313
Ces déclarations mettent en avant le changement de paradigme qui s'opère suite à la crise
ukrainienne entre l'OTAN et la Russie. L'annexion de la Crimée constitue l'épicentre de la
discorde entre les deux camps, car c'est une action qui n'a plus été vue depuis des années. Le

1310 NATO, ‘Déclaration du sommet de Lisbonne publiée par les chefs d’État et de gouvernement participant
à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Lisbonne le 20 novembre 2010’, NATO .
1311 NATO, ‘Déclaration du sommet du Pays de Galles publiée par les chefs d’État et de gouvernement
participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue au pays de Galles’, NATO .
1312 NATO, ‘Communiqué du Sommet de Varsovie - publié par les chefs d’État et de gouvernement
participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016’, NATO .
1313 Ibid.

Page 390
fait que les États baltes soient membres de l'OTAN joue beaucoup dans l’inquiétude de
l'Alliance envers les événements en Ukraine. La suspension des travaux du conseil OTAN-
Russie à partir de 2014, est significatif du nouveau contexte dans lequel les deux camps
agissent. L'OTAN lors du sommet de Varsovie souhaite renforcer la sécurité régionale en
Europe de l'Est en réponse aux événements ukrainiens et donc exercer une attention renforcée
dans ce que la Russie considère comme son étranger proche. Le cas de la mer Noire est
symptomatique : la Russie souhaite y assurer sa présence avec l'annexion de la Crimée, mais
paradoxalement attire l'OTAN. Cette dernière qui a été pour l'instant diplomate quant à la
gestion de la mer Noire en fait une zone de confrontation. Le sommet de Varsovie souligne une
politique de présence renforcée dans la zone orientale de l'Alliance (point 11), ce qui inclut la
mer Noire. En effet, la Roumanie, membre de l'OTAN, accepte de recevoir en 2016 le bouclier
antimissile américain AEGIS1314 et considère dans son livre blanc pour la défense de 2015 que
la Russie est « une menace pour les aspirations euro-atlantiques de pays comme l’Ukraine, la
Moldavie et la Géorgie ».1315 De plus, la coopération entre l'OTAN, l'Ukraine et la Géorgie
s'accentue : les livres blancs de la défense des deux pays (2014 pour la Géorgie et 2016 pour
l'Ukraine) mettent l'accent sur la mise aux normes de l'OTAN de leurs capacités militaires.1316
L'OTAN devient un élément plus que jamais présent dans les doctrines nationales des États
bordant la mer Noire.
La Russie se retrouve dans un cercle vicieux dans cette région et dans son étranger proche :
plus elle utilise son appareil militaire pour s'assurer le contrôle contre l'ingérence de l'OTAN
plus l'Alliance s'étend autour de ses frontières. En mer Noire, la situation se rapproche de celle
de la guerre froide mais avec un rapport de force inversé 1317: là où cette mer était un bastion
russe, elle devient peu à peu un territoire contrôlé par l'OTAN. La stratégie russe repose dans
son ensemble sur l'envie d’être une puissance respectée et considérée comme une égale des
États occidentaux dans les relations internationales. Le souhait de contrôler son étranger proche
répond à cette logique mais provoque une réaction de l'OTAN qui malmène ces ambitions. De
ce fait, la politique en Ukraine, sur le plan global, est une impasse malgré des gains stratégiques
au niveau local et interne à la Russie et notamment la hausse de popularité du président Poutine

1314 Pétiniaud, Louis, ‘Du « lac russe » au « lac OTAN » ? Enjeux géostratégiques en mer Noire post-Crimée’,
Hérodote, 2017, p.219.
1315 White paper on Defense, Romania¸ 2015, p. 11.
1316 Pétiniaud, Louis, ‘Du « lac russe » au « lac OTAN » ? Enjeux géostratégiques en mer Noire post-Crimée’,
Hérodote, Op. Cit., p.223-224.
1317 Ibid.

Page 391
suite à la prise de la Crimée. Pour autant, la situation n'est pas non plus favorable pour l'OTAN
privée d'un partenaire (2)

2 Un partenariat avec la Russie rompu

Même si l'OTAN a pu retrouver son rôle originel suite à une longue période d’incertitude quant
à son but, l'affrontement avec la Russie ne lui est pas totalement favorable. L'Alliance rappelle,
lors des sommets du pays de Galles et de Varsovie, son souhait d'un partenariat avec la Russie :
« Ainsi que nous l'avons également décidé au pays de Galles, nous continuons de croire qu'un
partenariat entre l'OTAN et la Russie, fondé sur le respect du droit international et des
engagements internationaux, y compris ceux qui sont énoncés dans l'Acte fondateur
OTAN-Russie et la Déclaration de Rome, aurait une valeur stratégique » (point 15) 1318
L'Alliance a pour but d'assurer la défense et la stabilité sur le continent et de fait le retour hostile
de la Russie menace ce projet. Certains officiels de l'Alliance ayant gardé une mentalité de la
guerre froide n'ont certes pas favorisé la situation : selon le chercheur Louis Pétiniaud, l'un des
officiels de l'OTAN aurait déclaré à propos de la Crimée : « La seule chose surprenante est à
quel point nous sommes surpris.» 1319 La Russie est paradoxalement vue par une partie de
l'Alliance comme un partenaire tandis qu'une autre partie la conçoit comme le vestige de l'URSS
avec une politique soviétique. Cette divergence de vue suscite une certaine fragilité politique
face à la Russie.
Pire, la crise ukrainienne de 2014, tout comme dans une moindre mesure le conflit géorgien
avant elle, fait ressurgir les divisions internes dans les Etats membres de l'Alliance. Si lors du
sommet de Varsovie les membres semblent unis, ce n'est qu'une façade car dans les faits, les
États restent divisés quant à la posture à adopter vis-à-vis de l'Ukraine et surtout de la Russie :
des vœux de levées de sanctions sont apparus dans plusieurs pays comme en France, en
Hongrie, en Italie et en Grèce.1320 De plus, le président tchèque Zeman estime que la Crimée
est de manière définitive en Russie1321, une position proche de celle de son prédécesseur Vaclav

1318 NATO, ‘Communiqué du Sommet de Varsovie - publié par les chefs d’État et de gouvernement
participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016’, NATO.
1319 Pétiniaud, Louis, ‘Du « lac russe » au « lac OTAN » ? Enjeux géostratégiques en mer Noire post-Crimée’,
Hérodote, Op. Cit., p.225.
1320 Zima, Amélie, ‘Sommet de l’OTAN à Varsovie : un bilan’, Politique étrangère, Hiver (2016), p.161.
1321 Ibid.

Page 392
Klaus.1322 La crise ukrainienne a donc été révélatrice des divisions au sein de l'OTAN dues à la
diversité des liens entretenus avec la Russie par les États. En cela, le conflit entre l'Ukraine et
Moscou ne profite pas à l'Alliance qui, bien que sa raison d'exister se soit raffermie, est affaiblie
en interne. L'UE habituée à une « paix kantienne »1323 et les Etats-Unis tentés de plus en plus
par l'isolationnisme ne sont pas prêts à s'engager dans un réel conflit avec la Russie pour aider
l’Ukraine ne représentant un intérêt stratégique que pour les États qui lui sont frontaliers.
L'utilisation des sanctions économiques permet de maintenir les représailles à un niveau
tolérable mais s'avèrent contre-productives pour les deux camps. Loin d’arranger la situation
géopolitique, elles font porter le fardeau aux populations en perturbant l'économie et
augmentent l'instabilité générale. La mise à mal du partenariat entre l'OTAN et la Russie est
donc problématique à cause d'un facteur d'instabilité aux frontières. L'Ukraine a été, avant les
événements de l'Euro-maidan, un territoire permettant de garder un espace avec la Russie et
d'assurer une relation convenable avec elle malgré les tensions au sein du pouvoir ukrainien.
Le conflit ukrainien fait progressivement disparaître cette zone tampon au profit d'un face à
face de plus en plus direct.
La violence de la réaction de la Russie et la témérité de l'Occident se retournent contre les deux
créant une impasse actuellement très difficile à démêler du fait des positions et des discours
publics de part et d'autre envenimant la situation. D'autant plus que la situation locale
ukrainienne reste dominée par des jeux de pouvoirs et la corruption qui touche toutes les
factions.1324

Conclusion chapitre 1

Les territoires frontières de l'OTAN occupent un rôle opposé dans les relations avec la Russie.
L'Arctique est un lieu de coopération privilégiée grâce au potentiel économique et aux
conditions climatiques favorable au partenariat scientifique. Dans ce territoire, les tensions
restent sous le seuil critique et sont principalement dus aux problèmes sur les autres points de

1322 ‘Let’s Start a Real Ukrainian Debate | Václav Klaus’ <https://www.klaus.cz/clanky/3553> [accessed 14
October 2018].

1323 Kagan, Robert, La Puissance et la Faiblesse (Paris: Plon - Omnibus, 2003).


1324 ‘L’Ukraine gangrenée par la corruption’, LExpress.fr, 2017 .

Page 393
contacts entre l'OTAN et la Russie comme l'Ukraine et la Géorgie. C’est dans ces deux États
que les tensions sont à leur paroxysme. Le fait qu'ils soient, de facto, une zone de délimitation
entre la zone d'influence entre l'Occident et la Russie jusqu'au niveau local débouche sur une
résurgence de l'esprit de la guerre froide. Celui-ci irrigue toutes les relations entre l'OTAN et la
Russie. Mais en plus de ces frontières nord et est, il en existe une troisième qui est devenue
importante pour les deux camps. La Turquie du XXIème siècle, glissant vers une concentration
du pouvoir entre les mains de Recep Erdogan est devenue un enjeu majeur car menant un double
jeu (Chapitre 2)

Page 394
Chapitre 2 La Turquie sous Recep Erdogan : une
politique de puissance régionale jouant sur les
contradictions

La Turquie est membre de l'OTAN depuis 1952, en même temps que la Grèce. Elle représente
la seconde armée de l'Alliance après les Etats-Unis, avec en 2019, environ 750 000 soldats1325
et possède une population de 80 millions en 2017 soit le troisième Etat le plus peuplé de
l'Organisation après l'Allemagne et les Etats-Unis1326 mais avec un indice de fécondité de 2 %
soit plus élevé que tous les autres pays de l'OTAN.1327 Elle est aussi une frontière vers le proche
et moyen orient et a été l'une des principales rivales historiques de la Russie. De ce fait, la
Turquie est un élément à la fois unique et stratégique de l'OTAN. Mais la politique turque du
XXIème siècle est également liée à la personnification croissante du pouvoir qui génèrent des
changements internes se répercutant sur la politique internationale.
Le Parti de la justice et du développement (AKP1328), fondé par Recep Erdogan gagne en 2002
les élections législatives en Turquie. Ce parti et son dirigeant sont restés au pouvoir jusqu’à
aujourd’hui. D'inspiration conservateur démocrate,1329 ils vont remodeler peu à peu la politique
de l'État. Si les dernières années sont marquées par une islamisation du pays et un autoritarisme
de moins en moins voilé du président Erdogan, la politique de l'AKP est plus complexe qu'un
simple parti islamiste. Il va osciller entre réformisme occidentalisme et conservatisme
musulman au fil des époques, influant sur ses relations étrangères. Toutefois, Recep Erdogan
réaffirme de manière constante sa place de puissance régionale sur la scène internationale à
travers ce qui est parfois appelé une politique néo-ottomane. 1330 Cette dernière entre en
contradiction avec la politique de Mustapha Kemal dit Ataturk qui a remplacé l'empire ottoman
en 1924 par une république « progressiste, étatiste, laïque »1331 . Le parti kémaliste a été à

1325 ‘2019 Turkey Military Strength’ global firepower.


1326 ‘The World Factbook — Central Intelligence Agency’ <https://www.cia.gov/library/publications/the-
world-factbook/geos/tu.html> [accessed 16 October 2018].
1327 Ibid.
1328 « Adalet ve Kalkınma Partisi » en turc.
1329 L'AKP se considère comme étant « un parti de masse démocrate conservateur ayant une position centriste
sur le spectre politique ». AKP, ‘2023 Political Vision’ <http://www.akparti.org.tr/english/akparti/2023-political-
vision#bolum_> [accessed 16 October 2018].
1330 Petinos, Charalambos, Ou Va la Turquie Neo Ottomanisme et Islamo Conservatisme (Paris: Editions
L’Harmattan, 2013).
1331 Chenal, Alain, ‘L’AKP et le paysage politique turc’, Pouvoirs, 2005, p.45.

Page 395
l'origine du tournant initial vers l'ouest avec l’adhésion de la Turquie à l'OTAN. La nouvelle
donne politique créée par l'AKP souhaitant rompre avec l'ancien pouvoir modifie la place
internationale de la Turquie. Par conséquent, la politique d'Erdogan va être à l'origine d'une
politique contradictoire visant d'un côté à se rapprocher de la Russie (Section 1) tout en
s'assurant de l'autre la protection de l'OTAN (Section 2)

Section 1 : Un rapprochement progressif vis-à-vis de la Russie

Historiquement les deux pays ont été en guerre de multiples fois et sont des rivaux de longue
date dans le Caucase et sur la mer Noire. Ankara devient cependant de plus en plus proche de
la Russie, du fait de certains aspects de la politique d'Erdogan. La Turquie se revendique réaliste
et prend en compte sa position historique et géographique.1332 De même, elle se fixe comme
priorités des relations cordiales avec la Russie reposant sur « la coopération plutôt que sur la
compétition »1333. C'est donc avec un souhait d'ouverture envers Moscou que le parti d'Erdogan
gouverne. Comme le fait remarquer Raymond Aron, les systèmes politiques homogènes ont
tendance à se rapprocher et s'allier : « Les gouvernants n'ignorent pas les intérêts, dynastiques
ou idéologiques, qui les unissent, en dépit des intérêts nationaux qui les opposent. »1334 C'est
ce phénomène qui se passe entre la Turquie d'Erdogan et la Russie de Poutine, les systèmes
politiques tendent à avoir des éléments en commun dans le développement d'un axe
géopolitique. Le tournant russe de la Turquie est facilité par des facteurs internes. (§1). Mais
au-delà de ceux-ci, il existe un élément qui s'impose à la politique turque. La Russie a réussi à
faire son retour dans le Proche et Moyen-Orient et devient un acteur inévitable. La coopération
suit dès lors un certain réalisme visant à assurer un équilibre des puissances bénéficiant à l'un
et l'autre (§2).

1332 AKP, ‘Party Programme’ <http://www.akparti.org.tr/english/akparti/parti-programme#bolum_>


[accessed 17 October 2018].
1333 Ibid.
1334 Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations, Op. Cit., p.108.

Page 396
§1 Un rapprochement facilité par la politique de Recep Erdogan

La politique de l'AKP et d'Erdogan est importante pour comprendre le partenariat avec la


Russie. Afin de s'assurer une place de puissance régionale sur la scène internationale, le pouvoir
turc développe une approche conservatrice qui se rapproche de celle du gouvernement Poutine
(A). En plus de cette dimension politique, les intérêts économiques concordent avec ceux de
Moscou (B)

A Une vision du monde conservatrice commune

Certains aspects idéologiques des politiques des présidents Poutine et Erdogan vont se recouper
à travers le conservatisme. Bien que ce dernier diffère sur un certain nombre de valeurs en
Russie et en Turquie, il présente des points communs permettant aux deux dirigeants de se
comprendre et d'avoir les mêmes paradigmes géopolitiques : la nostalgie d'un passé impérial
(1) et la déception vis-à-vis de l'occident (2)

1 La nostalgie des empires eurasiens

La Turquie, à travers l'empire Ottoman, et la Russie, avec l'empire des tsars puis l'URSS, sont
toutes les deux héritières d'un passé de grande puissance mais aujourd'hui plus que l'ombre
d'elles-mêmes. L'empire ottoman à l'apogée de sa puissance au XVIIème siècle contrôle une
large portion du pourtour méditerranéen ainsi que les Balkans 1335 et la mer Noire dont la
Crimée. Si sa perte de territoire est plus progressive1336 que celle de l'empire soviétique, il n'en
demeure pas moins que ce passé reste présent dans les conceptions du pouvoir de l'AKP. La

1335 Georgeon, François, ‘L’Empire ottoman et l’Europe au XIXe siècle’, Confluences Méditerranée, 2005,
p.30.
1336 Au XIXème siècle, les ottomans perdent la quasi-totalité des Balkans avec les mouvements de libérations
nationaux et aboutissant l'empire à ne conserver en Europe que la Thrace orientale en 1914.
Ibid.

Page 397
république séculaire qu'Ataturk a créée après avoir mis fin à l'empire, a entraîné une situation
particulière pour la Turquie. Pivot géographique stratégique entre l'Europe, le Moyen-Orient et
la Russie, elle est réduite à un rôle d’État tampon1337 alors qu'elle contrôlait des parties non
négligeables de ces trois espaces dans le passé. La Turquie a été courtisée par les grandes
puissances pendant la seconde guerre mondiale1338 puis convoitée par les deux blocs au début
de la guerre froide avant son ralliement à l'OTAN. Le pouvoir turc conscient de cette situation
l'utilise pour renforcer sa place : « La situation géopolitique de la Turquie a le potentiel de créer
une zone d'attraction pour de nombreux projets de coopération. »1339 Si l'empire est un souvenir
plus lointain en Turquie qu'en Russie et est de facto moins un traumatisme pour Ankara, la
situation de plus en plus chaotique au Proche et Moyen-Orient engendre à la fois des risques
pour la stabilité du pays avec la question kurque mais aussi des opportunités de retrouver sa
puissance. Selon le politologue Antoine Sfeir : « Le président turc Recep Tayyip Erdoğan se
verrait bien à la tête d’un « califat islamique » qui traiterait d’égal à égal avec les grands de
ce monde ».1340 L'idée est d’être un État reconnu comme l’égal des autres puissances et ce qui
rejoint le fondement de la politique de Vladimir Poutine. On voit ainsi un premier point de
concordance entre les deux dirigeants : ils sont tous deux des réalistes souhaitant leur retour
dans les relations internationales. La politique menée par Ahmet Davutoglu, ministre des
affaires étrangères depuis 2009 confirme cette vision géopolitique : il reprend les idées de
grands théoriciens comme Mackinder ou Huntington pour les transposer à la politique
turque. 1341 La Russie comme la Turquie voient la fin de « l'instant unipolaire » américain
comme le retour des relations bilatérales et des grands espaces géographiques basés sur les
zones d'influences.
À cet effet, les deux États partagent un trait géographique commun : ils sont des pays de culture
eurasienne. La Turquie et la Russie sont à la frontière entre l'Asie et l'Europe. 1342 Une
dynamique unique se développe politiquement avec l'instrumentalisation de la dimension
civilisationnelle. Moscou utilise un discours eurasisme avec le particularisme slave et russe
pour justifier l'existence de l'étranger proche, tandis qu'Ankara utilise le sien pour promouvoir

1337 Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.66-67.
1338 Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.66-67.
1339 AKP, ‘Party Programme’.
1340 Sfeir, Antoine, ‘Le retour des empires’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.3.
1341 Özge, Artık, ‘La Turquie : retour au Moyen-Orient’, Hérodote, 2013, p.37-38.
1342 Pour la Turquie, le fait de contrôler les deux rivages des détroits du Bosphore et des Dardanelle fait qu'elle
est géographiquement à la fois en Europe et en Asie.

Page 398
son influence dans le monde musulman sunnite. Samuel Huntington dans le « Choc des
civilisations » considère que la Turquie se trouve entre les aires civilisationnelles occidentale
et islamiste sunnite depuis Ataturk et résume la politique turque comme étant un pont entre les
deux. Toutefois, il précise aussi que : « Cependant, un pont est une création artificielle qui relie
deux entités solides, mais ne fait partie d’aucune d’entre elles. Quand les dirigeants turcs
qualifient ainsi leur pays, c’est un euphémisme confirmant qu’il est bel et bien déchiré. »1343
Huntington, en tant que conservateur estime qu'une telle situation est artificielle et donc fragile.
Le pouvoir turc peut basculer dans l'un des deux espaces. La politique de l'AKP et d'Erdogan
semble faire basculer la Turquie dans la civilisation musulmane sunnite. Ce phénomène a un
autre point commun avec le régime russe de Poutine : l'utilisation de la religion. 1344
L'orthodoxie pour la Russie et le sunnisme pour la Turquie constituent des facteurs puissants
pour favoriser le retour d'un empire grâce à l'influence. Cet outil a d'autant plus de potentiel
pour Ankara que le monde sunnite n'a pas de chef religieux, ce qui est à la fois facteur de conflits
et d'opportunités pour les États voulant s'assurer la place d'influenceur religieux. De plus, la
population sunnite est plus dispersée et plus nombreuse que la population orthodoxe : 1,6
milliard de musulmans estimés à travers le monde dont 80 % sont sunnites1345. Elle possède, en
outre, une forte croissance démographique ce qui lui permettrait de devenir la religion ayant le
plus de croyants d'ici la fin du siècle selon le Pew research Center.1346 Ce potentiel d'influence
est un atout pour l'AKP qui depuis sa création possède une dimension islamique dans son
programme. Ce point est d'autant plus mis en avant à la suite des printemps arabes avec la
montée de forces « islamistes démocratiques » comme les frères musulmans Égyptiens et le
parti islamiste Ennahda en Tunisie.1347 La stratégie d'influence turque s'appuie ainsi sur les
partis frères et sur les mouvances islamiques. Si elle est en contradiction avec les intérêts russes
à certains moments, il n'en reste pas moins qu'elle obéit à une logique similaire de celle de la
Russie dans le monde orthodoxe. De plus, la politique de rapprochement avec le monde
musulman prônée par Moscou offre des opportunités pour se lier avec le gouvernement turc :

1343 Huntington, Samuel, Le choc des civilisations Op. Cit.


1344 Sfeir, Antoine, ‘Le retour des empires’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.4.
1345 ‘The Future of the Global Muslim Population - Pew Forum on Religion & Public Life’, Pew Research
Center, 2011.
1346 LIPKA, MICHAEL, ‘Muslims and Islam: Key Findings in the U.S. and around the World’, Pew Research
Center, 2017.
1347 Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.69-70.

Page 399
l'ouverture de la plus grande Mosquée d'Europe en 2015 à Moscou 1348 inaugurée par le
président Poutine avec la présence de son homologue turc Recep Erdogan manifeste cette
diplomatie religieuse entretenue par les deux dirigeants. 1349 Bien qu'ayant des intérêts
différents, la Russie et la Turquie ont la même lecture du monde quant à leur place. Néanmoins,
le facteur politique fédérateur de leurs relations est la déception vis-à-vis de l'occident (2)

2 Une déception vis-à-vis de l'occident

La politique conflictuelle entre la Russie et l'OTAN vient d'une déception de Moscou vis-à-vis
de l'Occident. Peu à peu le gouvernement russe prend ses distances avec l'Europe et surtout
avec les Etats-Unis et prône un développement autour de ses propres valeurs et son modèle de
gouvernement. Afin d'éviter l'isolement, Moscou cherche à se rapprocher d’États partageant
son sentiment. La politique russe vis-à-vis de l'Organisation de coopération islamique est l'une
de ces conséquences. Les liens avec la Turquie vont être particulièrement intenses au cours de
la seconde décennie du XXIème siècle du fait de l'éloignement des deux pays des valeurs
occidentales. La Turquie s'écarte progressivement de l'Europe dès lors que ses possibilités
d'adhésion à l'UE s'amenuisent : le refus persistant de certains pays membres bloque
l'avancement du projet. La France et les Pays-Bas sont considérés comme les principaux
opposants1350. De plus, la persistance de la question de Chypre ralentie les négociations entre
l'UE et la Turquie.1351 Les retards successifs concernant son adhésion font qu'Ankara se montre
moins volontariste quant aux réformes nécessaires pour être en adéquation avec les critères de
Copenhague. Selon le think tank américain Freedom House, la Turquie est l’État dans le monde

1348 Avec l'ouverture de la Grande Mosquée de Cologne en 2017, c'est cette dernière qui est désormais la plus
importante en Europe. Précisons que le président Erdogan a été aussi présent à l'inauguration de cette mosquée,
montrant ainsi le rôle de la religion dans la politique étrangère turque.
‘Erdogan à Cologne pour l’inauguration d’une des plus grandes mosquées d’Europe’, Le Monde, 29
Septembre 2018, section Société .
1349 ‘Russie : Vladimir Poutine inaugure la plus grande mosquée d’Europe à Moscou’, leparisien.fr, 2015 .
1350 « Many observers suggested that one of the factors contributing to the defeat of the Treaty in France and
the Netherlands was voter concern over continued EU enlargement and specifically over the potential admission
of Turkey ».
Morelli, Vincent, ‘European Union Enlargement: A Status Report on Turkey’s Accession Negotiations’,
European Union Enlargement, 18.
1351 Beunderman, Mark, ‘Cyprus Threatens to Block EU Deal on Turkey Talks’, euobserver 2006 .

Page 400
où la liberté a le plus reculé ces dix dernières années.1352 Ce rejet de l'occidentalisme suite à des
tensions avec l'UE est commun avec la Russie.
De plus, tout comme le gouvernement de Poutine apparaît comme un retour de l’État russe face
aux occidentalistes, l'AKP est une réaction face aux kémalistes. Ces derniers, alliés depuis le
début de la guerre froide à l'occident, entrent en opposition de plus en plus frontale avec le parti
d'Erdogan. En 2008, la cour constitutionnelle, contrôlée par les kémalistes, menace d'interdire
l'AKP ce qui aboutit, en représailles, à une « dékemalisation » progressive des institutions en
faveur du pouvoir du parti islamiste.1353 Ce bras de fer entre kémalistes et islamistes atteint son
apogée lors du coup d’État manqué de 2015 avec comme conséquence une purge des
institutions en faveur du pouvoir présidentiel. La Turquie comme la Russie suit une logique de
personnification du pouvoir à travers le président opposé aux forces politiques internes trop
occidentales dans leurs valeurs : sécularisme en Turquie, progressisme en Russie. Conséquence
des raisonnements géopolitiques impériaux des deux pays, les politiques qui s'ensuivent
s'affrontent idéologiquement avec l'Occident. Cette dernière et tout particulièrement l'UE
suivent une approche plus universaliste dans leurs discours avec un idéal kantien et la promotion
de la démocratie. Les politiques russes et turques suivant une logique de puissance Étatique et
d’intérêts nationaux avec le développement de zones d'influence rentrent en contradiction avec
les valeurs des États d'Europe de l'Ouest et d’Amérique du Nord.
À l'instar du tournant autoritaire sur la scène internationale en 2012 en Russie, l'autoritarisme
turc prend un virage dur à partir des printemps arabes en 2011. Ankara ne cache plus ses
ambitions islamistes. Si les révoltes dans le monde arabe offrent des opportunités à Erdogan, le
conflit syrien remet à jour la vulnérabilité interne au sein de la Turquie avec la question kurde.
Cette dernière est à Ankara ce que le problème de la Tchétchénie est à la Russie : un
indépendantisme se transformant en rébellion s'accompagnant d'une escalade débouchant sur
du terrorisme et des répressions. Néanmoins, contrairement aux tchétchènes, le question kurde
est internationale. La montée en puissance du PKK pendant le conflit syrien met dans
l’embarras Ankara1354 : les factions kurdes s'avèrent être, sur le terrain, les principaux alliés,
des occidentaux et plus particulièrement des États-Unis1355. Les actions de la Turquie contre

1352 Abramowitz, Michael, ‘Freedom in the World 2018’, Freedom House, 2018 .
1353 Valle, Alexandre del, ‘La Turquie dans l’UE : « rempart contre l’islamisme » ou mort programmée du
système kémaliste laïque ?’, Géoéconomie, 2009, p.100-102.
1354 Yégavian, Tigrane, ‘La Turquie embourbée dans la crise syrienne’, Les Cahiers de l’Orient, 2018, p.100.
1355 JDD, Le, ‘Syrie : la Turquie d’Erdogan frappe les Kurdes, alliés de Washington’, lejdd.fr .

Page 401
eux tendent les relations avec les autres membres de l'OTAN et la rendent plus distante de
l'Occident. Les choix politiques turcs et russes vont être des facteurs de frictions avec l'Europe
et les États-Unis, les incitant à développer leurs relations pour faire contrepoids. Cependant, au-
delà de la concordance des points de vue politique, ce sont les intérêts économiques qui sont
déterminants dans le rapprochement entre la Russie et la Turquie (B)

B Des intérêts économiques concordants

La Turquie et la Russie ont au début du XXIème siècle accompli un grand nombre de réformes
économiques pour se moderniser. Elles sont néanmoins en 2001 dans une situation
problématique. La Russie peine à se relever de la décennie Noire des années 1990. La Turquie
connaît un taux d'inflation de 50 %, une dette représentant 78 % du PIB et un système bancaire
insolvable se terminant par à une récession majeure avec une baisse du PNB de 9,5 %.1356 Dès
lors l'économie turque devient dépendante de celle de la Russie (1), conduisant à la mise en
place de projets communs entre les deux États (2)

1 Une économie liée à la Russie

Comme les autres États ayant des relations économiques avec la Russie, le lien principal est
l’énergie. Si jusqu'à la fin des années 1990, la Turquie souhaitait contourner la Russie pour son
approvisionnement en la matière, la visite du premier ministre russe Viktor Tchernomyrdine1357
en 1997 a permis la mise en place d'un partenariat gazier entre la Turquie et la Russie avec le
1358
lancement de la construction du gazoduc Blue stream . Dès lors, 65 % de
l'approvisionnement gazier de la Turquie est russe.1359 De plus, avec cet approvisionnement en
énergie, elle devient un véritable noyau stratégique en matière de transit de gaz et renforce son

1356 Petinos, Charalambos, Ou Va la Turquie Neo Ottomanisme et Islamo Conservatisme (Paris: Editions
L’Harmattan, 2013), p.113.
1357 Il faut préciser que Viktor Tchernomyrdine est familier à l'industrie gazière russe étant donné qu'il a été
ministre du gaz de 1985 à 1989. Période durant laquelle il a transformé ce ministère en la compagnie étatique
gazprom dont il sera le président du conseil d'administration jusqu'en 1992. En outre, Il prend la fonction de
président de Gazprom de 1999 à 2001.
‘Viktor Stepanovich Chernomyrdin | Prime Minister of Russia’, Encyclopedia Britannica .
1358 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit., p.299.
1359 Ibid.

Page 402
partenariat avec la Russie. Si Gazprom reste la principale compagnie russe en Turquie, d'autres
entreprises comme Tatneft et Bashneft ont développé des relations avec Tupras le plus grand
raffineur turc. 1360 Néanmoins, Ankara se retrouve dans une situation de dépendance. Sa
production interne ne couvrant que 7 % de ses besoins nationaux et bien que l'Iran et l'Irak
soient ses fournisseurs pour le pétrole, la Turquie reste tributaire de la Russie en matière de
gaz.1361 Ankara diversifie ses sources énergétiques avec le développement du nucléaire mais le
lien avec les entreprises russes se maintient. Sur les trois sites prévus (Akkuyu, Sinop et un
troisième à déterminer) pour l'installation de centrales, la première, Akkuyu, est construite,
dirigée et exploitée par Rosatom, la société étatique russe pour l’énergie nucléaire. 1362 Le rôle
de Moscou et de ses entreprises publiques reste majeur dans le développement de la Turquie.
Comme cette dernière connaît une forte croissance, elle se doit de renforcer son secteur
énergétique pour soutenir le reste de l'économie. Cette contrainte renforce sa dépendance envers
la Russie qui a bien su s'implanter. Enfin, ses principaux autres fournisseurs d’énergie sont des
alliés de Moscou : l'Iran, pour le pétrole, ou la Chine, pour la construction d'une troisième
centrale nucléaire 1363 . Les relations doivent donc rester cordiales entre Ankara et le
gouvernement russe.
Néanmoins, les liens entre les deux pays dépassent le secteur de l’énergie. Sous les mandats
d'Erdogan et de Poutine, les liens économiques entre les deux pays se sont accrus. En 2004 le
volume des échanges commerciaux était de 10 milliards de dollars, en 2005 de 15 milliards et
25 milliards en 2007 1364 ainsi qu'en 2018. 1365 La Turquie a pu tirer bénéfice de l'économie
touristique grâce à la Russie. En 2004, elle a été la destination préférée des russes avec environ
1,7 millions de touristes. Ce secteur a accru les échanges économiques des deux États avec
notamment le « commerce de navette »1366 estimé à environ 2-3 milliards. Le tourisme, domaine
facilement affecté par le terrorisme et les mouvements politiques, comme la tentative du coup

1360 Ibid.
1361 ‘Situation énergétique de la Turquie’, Connaissance des Énergies, 2017 .
1362 ‘Country Analysis Brief: Turkey’, U.S. Energy Information Administration, 2017, p.15.
1363 Ibid .
1364 Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au Caucase : se
rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Hors série (2007), p.155.
1365 Sahin, Tuba, ‘Turkish Trade Minister to Visit Russia on Wednesday’, Anadolu Agency, 2019 .
1366 « La Turquie a aussi été pendant longtemps la destination préférée des « touristes économiques » russes,
qui ont profité, depuis le milieu des années 1990, de vols charters pour faire de courts voyages à Istanbul, où ils
achetaient des articles turcs pour les revendre ensuite en Russie »
Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au Caucase : se
rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Hors série (2007), Op. Cit., p.155.

Page 403
d’État en 2016, ayant diminué cette année a fragilisé l'économie turque. Elle n'a pu se renforcer
qu'en 2017 avec le retour des russes. 1367 Cette situation explique à la fois la fragilité et la
dépendance de la Turquie envers l'économie russe et la capacité de cette dernière à y investir.
Il existe un déséquilibre entre les deux Etats : la Russie est une ex-puissance mondiale ayant
retrouvée un poids régional, là où la Turquie est une ex-puissance régionale cherchant à
retrouver cette place. La balance commerciale d’Ankara envers Moscou est révélatrice de cette
différence de poids : la Russie est le troisième partenaire de la Turquie en matière d'importation,
alors qu'elle n'est que huitième en matière d’exportation.1368 Ce déficit commercial turc affiche
la position dominante de la Russie dans la relation économique.
A cause de cette interconnexion profonde, les élites économiques des deux parties vont soutenir
un rapprochement de plus en plus fort. Les membres du parti de l'AKP en Turquie et les
politiciens liés à Gazprom en Russie vont devenir des lobbys pour une meilleure coopération
entre les deux États.1369 Cette coopération se finalise par la mise en place de projets stratégiques
communs en matière d'hydrocarbures (2)

2 Le développement stratégique de projets communs : South stream et Turkish stream

La Turquie, avec sa position géographique à cheval entre l'Europe et l'Asie et son contrôle de
l'accès entre la mer Noire et la Méditerranée, est un point de passage important pour tous les
grands acteurs pétroliers. Seul point de liaison terrestre, hors Russie, entre l'Asie productrice
d'hydrocarbure et l'Europe consommatrice, la Turquie est l'acteur clé pour le transit pétrolier et
gazier. La Russie, avec sa politique économique de rente gazière, prévoit avec la Turquie de
développer son transit. Grâce à sa stratégie de contournement de l'Ukraine, Moscou souhaite
développer des routes alternatives pour fournir l'Europe, son principal partenaire. Si l'Europe
du nord est approvisionnée grâce à Nord Stream et le partenariat avec l'Allemagne, la Turquie
constitue le point de contact pour le sud de l'Europe.
Dès le début du XXIème siècle, la Turquie et la Russie ont développé Blue Stream qui devant
prioritairement fournir Ankara en gaz, a permis d'approvisionner l'Europe par le Sud et les

1367 ‘Les Russes font redémarrer le tourisme en Turquie’, Orange Finance, 2018 .
1368 ‘Partenaires Économiques Commerciaux - Turquie’, Perspective Monde Université de Sherbrooke .
1369 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit., p.300.

Page 404
Balkans. Terminé en 2005, il peut assurer un débit de 13 milliards de mètres cube. 1370 C'est à
partir du projet South Stream que la Turquie prend une dimension stratégique pour le transit
d'hydrocarbure. Ce gazoduc en partie sous-marin dans la mer Noire et dans les eaux territoriales
de la Turquie qui rejoint la Roumanie et les Balkans doit concurrencer le projet européen
Nabucco passant lui sur le territoire terrestre turc.1371 Ankara devient le lieu de l'affrontement
économique entre les institutions européennes et la Russie. Si South Stream est avant tout un
projet russo-italien, le tracé le fait passer dans le territoire maritime turc. La Turquie donne son
autorisation en 20111372 en échange d'une baisse de prix du gaz russe vendu à Ankara et la
promesse d'intensifier l'investissement dans le pays.1373 Mais, le projet est annulé en 2014, du
fait de sa non-conformité avec la législation de l'UE. Pour contrer cela la Russie lance avec la
Turquie, le projet Turkish Stream, gazoduc reliant les territoires russes et turcs par la mer Noire.
Le concept vise à alimenter l'Europe sans être dépendant des régulations de l'UE : le gazoduc
prend fin en Turquie pendant que des entreprises d'hydrocarbures européennes prennent le
relais pour le transit en Europe. Ankara devient dès lors un médiateur entre l'Europe et la Russie
dans un contexte marqué par la crise ukrainienne et les sanctions. Le rôle de la Turquie dans le
projet TANAP/TAP,1374 partie du plan européen du « corridor sud » qui remplace Nabucco et
dans Turkish Stream lui apporte un pouvoir politique en matière d'énergie sur la Russie et
l'Europe.
Toutefois, la balance semble tourner en faveur de la Russie, suite au rapprochement politique
avec Ankara après le coup d’État manqué de 2016, que concrétise Turkish Stream rebaptisé
Turkstream 1375 .Celui-ci bien que moins ambitieux que South Stream par sa contenance, la
moitié de ce dernier, permet de contrer Blue Stream, l'autre projet de la mer Noire lancé
principalement par l'Ukraine et la Géorgie, moins viable économiquement1376. En conséquence,
le projet Turkstream apparaît pour la Russie comme un moyen de bloquer les tentatives pour la
contourner économiquement et garder la main mise sur l’approvisionnement gazier. Pour la

1370 Ibid p.299.


1371 Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond: States,
Markets, Institutions Op. Cit. p.125.
1372 Lavergne, Delphine, ‘Nabucco est mort ? Vive le corridor Sud !’, Revue internationale et stratégique,
2012, p.40.
1373 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op. Cit., p.304.
1374 Mazzucchi, Nicolas, ‘Les enjeux énergétiques de l’annexion de la Crimée’, Les Champs de Mars, 2017,
p.211.
1375 Ibid.
1376 Ibid.

Page 405
Turquie, ce rapprochement, bien que s'inscrivant dans la logique économique en vigueur depuis
le début du XXIème siècle, envoie aussi un message à l'Occident. L'avancement de Turkish
Stream/Turkstream est lié à l'opposition de Moscou et Ankara avec l'Europe. La création du
projet s'est faite en représailles aux réglementations européennes. La signature concrétisant
Turkstream intervient trois mois après le coup d’État manqué en Turquie qui provoque des
tensions entre Erdogan et les dirigeants de l'Ouest. Ce rapprochement économique est donc
aussi politique. A l'échelle internationale, ce lien entre la Russie et la Turquie est toutefois lié
au retour de Moscou dans les affaires du Moyen-Orient. (§2)

§ 2 Un rapprochement lié au rôle accru de la Russie au Moyen-Orient

Dans le cadre de la défense de ses intérêts économiques et politiques, la Russie intervient de


manière croissante au Proche et Moyen-Orient. Compte tenu du souhait turc de retrouver son
influence dans la même zone, les deux États vont être obligés de s'entendre pour régler les
conflits régionaux (A). Ces politiques s'inscrivent, pour cela, dans une logique du contrôle du
Rimland eurasiatique (B)

A L'entente russo-turque pour régler les conflits régionaux

Le Proche et Moyen-Orient sont des territoires animés par des tensions et conflits régionaux
menaçant la stabilité de la Turquie et de la Russie. Des actions communes ont lieux pour régler
ou du moins apaiser les points chauds que sont le Caucase (1) et la Syrie (2).

1 Dans le Caucase : assurer le statu quo

Le Caucase est une région perturbée par les mouvements séparatistes, suscitant des problèmes
aux deux États. La Tchétchénie pour la Russie et la question kurde pour la Turquie ont été des
facteurs de rapprochement alors qu'au début du XXIème siècle, ils étaient des points de

Page 406
discordes.1377 Toutefois, la montée de l'islamisme radical a inquiété Ankara qui craignait une
propagation incontrôlée de celui-ci et la radicalisation de la population turque. 1378 Bien
qu'islamiste, l'AKP est dans une logique de modernisation et de rapprochements avec
l'Occident, tout particulièrement pendant la première décennie du XXIème siècle. La montée
de groupe salafistes est une menace pour le gouvernement turc accentuée par un contexte de
lutte globalisé contre le terrorisme, avec en tête de file les États-Unis auquel s'est joint au début
la Russie. De plus, le conflit en Irak en 2003, a ramené sur le devant de la scène la question
kurde. Aussi, Vladimir Poutine et Recep Erdogan prennent en considération les problèmes du
Caucase et cherchent une solution commune. Lors de leur première rencontre à Sotchi, les deux
dirigeants ont décidé de se soutenir mutuellement sur les problèmes du Caucase.1379
En ce sens, la doctrine visant à éviter les problèmes avec ses voisins1380, formulée par le futur
ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu, un réaliste, prend tout son sens . La Turquie
a pour avantage d’être le principal partenaire commercial de la Géorgie, l’Arménie et
l’Azerbaïdjan.1381 Elle exerce une influence sur un territoire stratégique qui borde la mer Noire
et la mer Caspienne, zone d’intérêt pour la Russie. Dès lors, il est intéressant pour les deux pays
de s'accorder sur les problématiques afin de gagner en puissance mutuellement. En effet, cette
région est convoitée par l'UE et les États-Unis pour ses ressources énergétiques. Le règlement
des différends locaux par la Russie et la Turquie permettrait de minimiser le poids des
occidentaux dans cette région et de raffermir le leur. C'est ainsi que pour l'Arménie, la Russie
a joué la carte de l'apaisement entre Erevan et Ankara en incitant les dirigeants arméniens à se
rapprocher de leurs homologues turcs1382. Selon le chercheur Gaïdz Minassian :« Moscou veut
contenir le nationalisme arménien et examine directement avec Ankara la réouverture de la

1377 « les Tchétchènes et les autres diasporas d’origine nord-caucasienne installées en Turquie, y compris les
Abkhazes et les Tcherkesses, ont soutenu d’une manière active la cause tchétchène, sans provoquer de réponse
énergique de la part des autorités turques. Parallèlement, la Russie a fermé les yeux sur les activités des
associations kurdes liées au Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et basées à Moscou (la Russie et chaque
État du Caucase ont leur propre minorité kurde) »
Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au Caucase : se
rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Hors série (2007), p.159.
1378 Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au Caucase : se
rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Op. Cit., p.160.
1379 Ibid.
1380 Alex, Bastien, and Didier Billion, La Turquie d’aujourd’hui au miroir de l’histoire (Paris: Editions
L’Harmattan, 2012), p.63.
1381 Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au Caucase : se
rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Op. Cit. p.162.
1382 « En effet, c’est à partir de Moscou, lors de son premier voyage à l’étranger en juin 2008, que le Président
arménien a publiquement invité son homologue turc, Abdullah Gül, à se rendre à Erevan le 6 septembre 2008
pour assister au match de football Arménie-Turquie comptant pour les éliminatoires de la coupe du monde de
2010. » MINASSIAN, Gaïdz, ‘Caucase du Sud : l’heure des grandes manœuvres’, AFRI 2009, 2010 p.3.

Page 407
frontière arméno-turque dans l’espoir de sortir l’Arménie de son isolement ».1383 De même,
pour le problème du Haut-Karabagh qui oppose l’Arménie et l'Azerbaïdjan, la Russie souhaite
que le règlement de ce conflit ne se fasse plus uniquement avec l'OSCE qu'elle estime pilotée
par les États-Unis. Elle se montre ouverte à l'élargissement des négociations à la Turquie.1384
Son but est d’obtenir une gestion régionale des problèmes en l'absence d'acteurs plus globaux
comme en premier lieu les États-Unis. La logique réaliste turque favorise une logique
multipolaire conforme aux souhaits de la Russie. La création d'une plate-forme de coopération
et de stabilité dans le Caucase du Sud à l'initiative d'Ankara est d'ailleurs saluée par l'Arménie,
l'Azerbaïdjan et la Russie qui ont acquis la garanti que les États-Unis n'en seraient pas
membres.1385 La prise d’importance de la Turquie dans le Caucase est utile à Moscou dans le
sens où Washington tend à être moins présente si son allié turc prend le relais et gagne en
autonomie. Ce dernier phénomène s'inscrit dans la politique régionale d'Ankara qui vise à
devenir un véritable pivot au Proche et Moyen-Orient.
De plus, la mer Noire devient sujet de rapprochement entre la Turquie et la Russie.
Ankara contrôle grâce à ses détroits, avec les accords de Montreux en 1936, l'accès entre la Mer
Noire et la Méditerranée. La Turquie est ainsi un pivot permettant à la Russie l’accès aux mers
chaudes.1386 Le fait que la Turquie et la Russie ne participent pas aux initiatives bilatérales et
multilatérales du partenariat de l'Est de l'UE,1387 permet une distanciation des deux États avec
l'Europe. Ils règlent eux-mêmes leurs problèmes. Selon la chercheuse Lucie France Dagenais
« Moscou commence à voir Ankara comme un atout potentiel pouvant contribuer au contrôle
des républiques musulmanes dans la Fédération de Russie, telle que la Tchétchénie, tout comme
au Caucase et en Asie centrale ». 1388 Néanmoins, l'un des points les plus cruciaux de la
coopération entre Moscou et Ankara sera la gestion de la crise syrienne (2)

1383 Ibid.
1384 Ibid.
1385 Ibid p.4.
1386 Gauchon, Pascal, and Jean-Marc Huissoud, ‘Chapitre III. Les lieux dont le contrôle donne la puissance’,
Que sais-je?, 6e éd. (2018), 56.
1387 Dagenais, Lucie France, ‘Les relations Turquie-Russie (1992-2016) : une géopolitique de l’espace
Pontique à nouveau sous la loupe’, Observatoire de l’Eurasie, 2017, p.24.
1388 Ibid p.25.

Page 408
2 En Syrie : un triumvirat avec l'Iran

Ces dernières années, la crise syrienne a été le dossier difficile des relations entre la Turquie et
la Russie. Le régime alaoutite des Assad est un allié issu de la guerre froide pour la Russie et a
bénéficié d’un regain de soutien au XXIème siècle avec les interventions américaines au
Moyen-Orient. Le gouvernement AKP, quant à lui, n'a pas toujours été hostile au gouvernement
syrien : il existe une affinité personnelle entre Bachar Al Assad et Recep Erdogan qui a permis
aux deux dirigeants de se rapprocher jusqu'au début du conflit syrien de 2011.1389 De plus, au
début de ce dernier, la Turquie se montre prudente et le ministre turc des affaires étrangères
Ahmet Davutoğlu négocie avec le régime syrien pour trouver une sortie de crise. 1390 Il n'y a
donc pas de véritable opposition idéologique entre les deux pays. Il s'agit avant tout d’intérêts
divergents. Dès lors, la Russie apparaît comme l’État médiateur entre les deux États. La prise
de contrôle de fait du pouvoir syrien par Moscou avec son intervention militaire en 2015, et
l'activisme des milices chiite soutenu par l'Iran ont comme conséquence que les discussions en
Syrie passent désormais par un accord avec les dirigeants russes et iraniens.
Le coup d’État manqué pousse également le gouvernement turc à se rapprocher de Moscou et
de Téhéran pour gérer le dossier syrien. Les tensions entre Ankara et l'occident sur le dossier
kurde en Syrie et sur la montée de l'autoritarisme du président Erdogan sont à l'origine des
tensions internes dans l'OTAN entre la Turquie et les autres membres, en particulier les États-
Unis. Ces tensions incitent Ankara à se rapprocher des adversaires de Washington pour
défendre ses intérêts. La Turquie adopte peu à peu la position russe sur la question syrienne :
principalement préoccupé par la résurgence des forces armées kurdes avec le PKK, Parti des
travailleurs du Kurdistan, et le YPG, Unités de protection du peuple, le sort d'Assad est moins
important pour Erdogan. Le chaos syrien a bénéficié aux forces kurdes, considérées comme
terroristes par les autorités turques, désormais capables de combattre l'armée turque dans l'est
de la Turquie.1391 Le fait que le YPG se serve de la Syrie comme base arrière oblige Ankara à

1389 «Ainsi le commerce turco-syrien, qui était en 2000 de l’ordre Yégavian, Tigrane, ‘La Turquie embourbée
dans la crise syrienne’ de 720 millions de dollars, atteint-il sept ans plus tard une valeur d’1,174 milliards de
dollars. Dans la foulée, les produits turcs de consommation inondent le marché syrien et le Premier ministre
Erdoğan invite celui qu’il nomme « son petit frère » Bachar à passer des vacances en famille, l’occasion pour la
presse people de faire ses choux gras sur la proximité qui lie leurs épouses respectives. »
Josseran, Tancrède, ‘La Syrie dans la tête d’Ahmet Davutoğlu’, Les Cahiers de l’Orient, 2018, p.87-88
1390 Ibid p,89.
1391 Yégavian, Tigrane, ‘La Turquie embourbée dans la crise syrienne’, Les Cahiers de l’Orient, 2018, p.100-
101.

Page 409
s'investir dans le rétablissement de l'ordre dans ce pays. C'est ainsi que la Turquie a participé
au côté de la Russie et de l'Iran au processus d'Astana le 4 mai 2017 et à Sotchi le 22 novembre
de la même année.1392 Ces deux réunions1393 ont fixé des orientations pour la résolution du
conflit, dont notamment la lutte contre le terrorisme considéré comme la menace principale.
Les deux déclarations communes faites à l'issue de ces réunions mettent aussi l'accent sur
l'indépendance, la souveraineté et l'intégrité territoriale de la Syrie, message adressé aux
partisans d'une dislocation du pays sur le modèle yougoslave. La Turquie adopte désormais une
posture proche, pour ne pas dire identique sur certains points, à la Russie et l'Iran. Les récentes
tensions avec l'administration Trump à propos de la guerre commerciale et avec l'Europe sur
la question des réfugiés, risquent de faire durer cette tendance orientale. Des intérêts divergents
se ressentent sur le terrain comme le montre l'opération d'Afrin avec la progression des forces
turques qui se rapprochent des positions tenues par des groupes kurdes, ces derniers étant aidés
par des forces spéciales américaines .1394 Le retrait des Américains en 2018 du traité sur le
nucléaire iranien a aussi été critiqué par le gouvernement turc qui craint qu'une telle mesure
ouvre la voie à de nouveaux conflits dans la région.1395 Cette politique de plus en plus cordiale
avec la Russie et ses alliés démontre le souhait d'une gestion commune du Rimland eurasiatique
(B)

B Une gestion du Rimland eurasiatique pour sécuriser les intérêts russes

Aussi bien les dirigeants turcs avec Ahmet Davutoglu que russes partagent une vision
géopolitique des relations internationales. Les théories de MacKinder et de Spykman sont des
éléments devant être pris en compte dans la politique étrangère des deux pays. Le Proche et
Moyen-Orient font partis du Rimland eurasiatique, zone tampon vis-à-vis du Heartland

1392 Seni, Nora, ‘Turquie-Iran : une entente cordiale ?’, Hérodote, 2018, p.64.
1393 ‘Joint Statement by Iran, Russia and Turkey on the International Meeting on Syria in Astana, 14-15 May
2018’ .
‘Statement by the Presidents of Iran, Russia and Turkey /We Will Continue to Work Together until the
Final Defeat of the Terrorist Groups’ <http://www.president.ir/en/101671> [accessed 24 October 2018].

1394 Gall, Carlotta, and Anne Barnard, ‘Turkey Begins Operation Against U.S.-Backed Kurdish Militias in
Syria’, The New York Times, 10 October 2018, section World .
1395 Seni, Nora, ‘Turquie-Iran : une entente cordiale ?’, Hérodote, 2018, Op. Cit. p.64.

Page 410
russe.1396 Par conséquent, les relations actuelles entre la Russie et la Turquie peuvent s'expliquer
comme la volonté de sécuriser le Heartland (1) tout en assurant une place incontournable à la
Turquie dans la région (2)

1 La Turquie comme protectrice du Heartland russe

La Russie s'estime encerclée par les autres grandes puissances et tout particulièrement par les
États-Unis avec l'OTAN. Corollaire de sa peur historique d’être envahie, Moscou souhaite avoir
un espace de sécurité autour d'elle. La CEI puis l''Union Eurasiatique ont été conçues en partie
dans ce but après la chute de l'URSS mais le résultat plus que mitigé avec la situation en Ukraine
incite la Russie à chercher une autre approche stratégique. Le contrôle du Rimland peut lui
permettre de recréer cette zone tampon. En ce sens la position centrale de la Turquie offre à
Moscou un net avantage : sa position géographique entre l'Europe et l'Asie ainsi que sa forte
présence en mer Noire et en méditerranée occidentale en font un carrefour pouvant avoir une
influence sur la plupart des zones problématiques comme le Moyen-Orient mais aussi les
Balkans voire l'Ukraine et la Géorgie. Les États-Unis et l'OTAN en sont d'ailleurs bien
conscients 1397 : Ankara est une pièce maîtresse de l'endiguement de la Russie, visant à
l'empêcher de retrouver une influence au-delà de ses frontières. Le développement des relations
politiques entre Ankara et Moscou doit permettre à cette dernière de faire peu à peu sortir la
Turquie de l'influence occidentale. Si la crise syrienne a menacé de mettre fin à cette tendance,
le coup d’État manqué de 2015 et la hausse du ton des chancelleries occidentales face au
tournant autoritaire ont renforcé le lien entre les présidents Erdogan et Poutine. Ce dernier
souhaiterait pouvoir faire sauter le verrou stratégique que constitue une Turquie atlantiste
bloquant l'action politique russe dans la mer Noire et surtout au Proche et Moyen-Orient.
Dès lors, la Turquie devient une sorte de protectrice voire de relais des intérêts russes dans le
pourtour oriental de la mer Méditerranée et dans la mer Noire. Déjà en 2010, le vice premier
ministre russe Igor Setchine, déclare que la Turquie est « l'allié stratégique de la Russie dans

1396 Meinig, Donald W., ‘Heartland and Rimland in Eurasian History’, The Western Political Quarterly, 9
(1956), p.554.
1397 Chauprade, Aymeric, Chronique du choc des civilisations, 4e édition revue et augmentée (Paris:
CHRONIQUE, 2015), p.193.

Page 411
la région ». 1398 Le développement des intérêts économiques et politiques a permis de
contourner les tensions avec l'Europe et les Etats-Unis. En cela, le gouvernement de Poutine
reprend la politique de l'ancien premier ministre Primakov consistant à renforcer la
multipolarité pour contrer l'influence américaine 1399 : Moscou à travers son partenariat souhaite
qu'Ankara gagne de l'importance dans la région pour éviter un Moyen-Orient et une Asie
centrale où les Etats-Unis seraient trop présents. À une échelle plus globale, la Turquie s'inscrit
dans le tournant eurasiatique de la Russie. Selon Fyodor Lukyanov, éditeur de Russia in Global
Affairs, Moscou pourrait utiliser la Turquie comme la Chine pour développer la région
eurasiatique.1400 Ce phénomène semble de plus en plus vraisemblable avec le tournant asiatique
faisant suite aux sanctions européennes. Il s'agit clairement d'une utilisation, par la Russie, des
grandes puissances du Rimland asiatique pour bâtir un nouvel axe lui permettant de peser face
à l'Occident et de renforcer et sécuriser son Heartland. Le projet de la nouvelle route de la soie
lancé par la Chine pour créer une ligne commerciale terrestre à destination de l'Europe et celui
de l'Union Eurasiatique est consolidé par le rapprochement de la Turquie avec la Russie. La
position de carrefour d'Ankara est devenu incontournable (2)

2 Une Turquie devenue incontournable en Eurasie

Dans la politique étrangère de l'AKP, la place géopolitique de la Turquie est définie comme le
centre de l'Eurasie et comme le milieu de la ceinture du Rimland partant de l'Europe jusqu'en
Asie.1401 et le désir de retrouver une place prépondérante à l'échelle régionale se greffe sur cette
situation géographique. De plus, le ministre Ahmet Davutoglu considère que la chute de l'URSS
a offert l'opportunité à la Turquie d'étendre son influence en Asie centrale dans des Etats jadis
membres de l'URSS. 1402 Néanmoins, la persistance du poids politique russe dans ceux-ci,
l'oblige à avoir des relations apaisées avec Moscou. La politique consistant à éviter dans un
premier temps les problèmes avec les voisins aide à la consolidation de la position turque dans

1398 Igor Setchine cité dans Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors Op.
Cit., p.303.
1399 Ibid p.304.
1400 Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity, Op. Cit.
p.252.
1401 Tufekci, Ozgur, The Foreign Policy of Modern Turkey: Power and the Ideology of Eurasianism
(I.B.Tauris, 2017).
1402 Stein, Aaron, Turkey’s New Foreign Policy: Davutoglu, the AKP and the Pursuit of Regional Order
(Routledge, 2015), p.6.

Page 412
la région. Les nombreuses relations tissées permettent de connecter économiquement et
politiquement la Turquie au reste de la région. Le gouvernement russe va chercher à encadrer
mais aussi encourager cette politique étrangère. Toutefois, le tournant de plus en plus religieux
de la politique d'Ahmet Davutoglu, va entraver celle-ci avec la confrontation avec la Syrie et
par extension avec la Russie. Cette impasse se termine par son renvoi en 2016.1403 A cette même
période, Ankara se réconcilie avec ces voisins du proche et Moyen-Orient. Israël, avec laquelle
les relations ont été tendues après 2010 avec l'assaut d'un navire de pavillon turc à destination
de Gaza, s'est désormais rapprochée d'Ankara, même si cela reste précaire.1404 De plus, le rôle
de la Turquie dans l'Organisation de coopération islamique lui confère un vecteur diplomatique
auprès des autres pays musulmans : le sommet extraordinaire de l'Organisation à Istanbul en
décembre 2017 sur invitation de la Turquie est représentatrice de son influence sur le monde
musulman au détriment de l'Ouest. 1405 Ankara apparaît être le seul acteur membre de
l'organisation, en dehors de l'Iran et de l'Arabie saoudite, à être suffisamment influent de par
son régime autoritaire grandissant. Par conséquent, la Turquie retrouve, malgré ses faiblesses,
une place incontournable à la fois de carrefour entre l'occident et l'orient mais aussi en tant que
puissance régionale en Asie mineure et centrale. Ankara, à l'instar de Moscou, concentre de
plus en plus son attention sur l'orient où elle peut jouer un rôle prépondérant au détriment de
l'Occident. Comme le précisait l'ancien ministre Davutoglu : « « Généralement, notre région,
le Moyen-Orient – dont la dénomination même repose sur une vision orientaliste – a été
représentée comme synonyme de tensions, de conflits et de sous-développement. Mais en
réalité, notre région a pendant des siècles été un centre civilisationnel. Nous referons de notre
région un centre de gravité mondial ».1406 Toutefois, le lien avec l'Occident n'a pas disparu et
reste une composante importante dans la politique de la Turquie d'Erdogan et de l'AKP. (Section
2)

1403 Josseran, Tancrède, ‘La Syrie dans la tête d’Ahmet Davutoğlu’, Les Cahiers de l’Orient, 2018, p.114.
1404 Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, 2017, p.75.
1405 Jégo, Marie, ‘Turquie : Erdogan se pose en défenseur des musulmans opprimés’, Le Monde, 13 December
2017.
1406 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente (Paris: Cnrs,
2017), p.149.

Page 413
Section 2 : La méfiance de la Turquie envers la Russie justifiant la
protection de l'OTAN

Comme le précise en 2012 l'ancien ministre des affaires étrangères Davutoglu « Tout comme
l’OTAN est indispensable pour la Turquie, la Turquie est indispensable pour l’OTAN. […]
Grâce à sa proximité géographique et ses liens culturels et historiques avec les Balkans, le
Caucase, l’Asie centrale et le Moyen-Orient, la Turquie joue un rôle crucial dans la capacité
d’extension de l’Alliance dans ces régions. […] L’accès de la Turquie à tous les acteurs [de la
région], non seulement renforce les capacités opérationnelles de l’OTAN, mais lui donne aussi
une légitimité aux yeux de [ces] acteurs. La Turquie continuera d’être un atout pour l’OTAN
[quand celle-ci] doit intervenir au Moyen-Orient. »1407 Malgré l'importance accordée par l'AKP
au tournant oriental, l'Alliance nord-atlantique reste une alliée indispensable pour la Turquie.
Le ministre Davutoglu met l'accent sur la dimension sécuritaire de celle-ci en précisant que « la
sécurité est devenue non seulement diverse, mais multi-dimensionnelle impliquant des aspects
économiques, sociaux, humanitaires et environnementaux. » 1408 et que « dans de telles
circonstances L’OTAN s’est révélée être l'organisation la plus capable d'assurer la sécurité
créé par la complexité de ce nouvel environnement. »1409
Par conséquent, la politique euro-atlantique traditionnellement rattachée aux kémalistes et à
l'armée turque, connaît un véritable renouveau sous le gouvernement de l'AKP. Ankara devient
toutefois, un allié exigeant au sein de l'Alliance1410 cherchant de plus en plus à lier l'OTAN et
ses relations à l'ouest avec sa politique régionale. Les relations occidentales de la Turquie
deviennent un outil pour contrebalancer les liens croissants avec l'Orient. Dès lors, les relations

1407 Ahmet Davutoğlu cité dans Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie
émergente, Op. Cit. p.149.
1408 Davutoğlu, Ahmet, ‘Transformation of NATO and Turkey’s Position’, SAM Center for Strategic
Research, 2012, p.9.
1409 Ibid.
1410 Biad, Abdelwahab, ‘Turquie : un État pivôt à la recherche d’un statut régional’, Géoéconomie, 2014,
p.103.

Page 414
que la Turquie a avec les autres membres de l'Alliance lui permettent de tirer les bénéfices de
leur puissance (§1), tout en lui assurant une indépendance politique vis-à-vis de la Russie (§2)

§1 La politique occidentaliste de la Turquie : tirer les bénéfices de la puissance des


États-Unis et de l'UE

La Turquie, en tant que porte de l’Orient, représente un intérêt stratégique pour les autres
membres de l'OTAN. Dans le cadre de la politique de puissance régionale inspirée par Ahmet
Davutoğlu, elle va le faire valoir afin de tirer profit de la puissance des autres membres à son
avantage. De par son histoire et sa géographie, elle possède une assise en Europe qui l'incite à
vouloir rejoindre l'UE (A). De plus, la prédominance des Etats-Unis dans la défense de l'Europe
via l'OTAN pousse Ankara à rester liée à Washington. (B)

A le projet d’adhésion à l'UE : une volonté de participer à la politique européenne


néanmoins compromise

Considérée depuis la fin de l'empire ottoman comme l'enfant malade de l'Europe », elle
recherche avec son adhésion à l'UE à s'intégrer dans le monde occidental, à prendre une
revanche sur l'Histoire et à rétablir sa réputation.1411 la Turquie d'Erdogan souhaite être traitée
comme une égale des puissances européennes et l'AKP donne priorité à l’adhésion à l'UE.(1)
Dans le même temps, Ankara espère que cette adhésion la renforce sur un plan régional (2)

1 Une priorité politique pour le gouvernement AKP

La Turquie du XXIème siècle considère que sa place est en Europe et souhaite, par conséquent,
intégrer l'UE. En effet, le pays a été, au début du XXème siècle, influencé par l'Allemagne et
s'est rangé du côté de la triple entente lors de la première guerre mondiale contre la puissance
anglaise. 1412 Cet épisode historique souligne son passé commun récent avec le continent

1411 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.181.
1412 Chauprade, Aymeric, Géopolitique : Constantes et Changements dans l’Histoire, 3e édition revue et
augmentée (Ellipses Marketing, 2007), p.41.

Page 415
européen. Au début du gouvernement d'Erdogan, le Moyen-Orient n'est pas considéré comme
une alternative à l'Occident : le programme de l'AKP précise en 2001 que « La Turquie a des
liens géographiques et historiques avec l’Europe, et ses relations avec les États européens
1413
occuperont toujours une place prioritaire dans son agenda de politique étrangère ». Ce
point de vue reste toujours d'actualité avec la « vision politique 2023 » (Vizyon 2023) du parti
qui indique que : « Nous acceptons le projet de l'Union européenne comme une réussite. Après
des décennies de grandes guerres et de conflits, le projet a eu une grande vision pour
l'avenir. » 1414 et que « L’objectif stratégique de l’AKP Party est de devenir membre à part
entière de l’UE. Nous n'accepterons aucune option autre que l'adhésion à part entière. Malgré
les obstacles émanant de l’UE elle-même, notre volonté politique et notre détermination, que
nous avons manifestées en 2005 pour les négociations, restent fortes et ne changeront pas. »1415
C'est donc avec une forte détermination qu'Ankara souhaite rentrer dans le concert des nations
européennes. Par conséquent, dans la première décennie du XXIème siècle, Recep Tayyip
Erdogan et Abdullah Gül, les deux chefs de l'AKP renforcent leur ouverture politique vers
l'occident et mettent en avant des réformes économiques libérales et une apparente modernité.
Si la coopération économique a commencé avant l'arrivée au pouvoir de l'AKP, avec l'union
douanière avec l'UE en 1995, il existe une accélération des relations sous les mandats
d'Erdogan. Selon le chercheur Sinan Ülgen , l'UE représente en 2004 50 % du commerce
extérieur du pays et l'accès au marché commun a permis d'aider le développement et la
modernisation de l'industrie turque.1416 Ce sont les crises économiques en 1999 et 2001 du pays
qui sont à l'origine d'un changement de direction : la Turquie passe d'une économie administrée
avec un interventionnisme étatique très présent issu du kémalisme au libéralisme économique
promu par l'AKP.1417 Le Pib par habitant a ainsi triplé pendant la première décennie passant de
3000 dollars américains en 2000 à 10000 dollars américains en 2010.1418 S'il serait réducteur
d'attribuer tout le mérite de ce développement économique à l'AKP, force est de constater qu'il
a permis à la Turquie de se développer et l'accès facilité au crédit bancaire libéralisé permet aux

1413 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.181.
1414 AKP, ‘2023 Political Vision’.
1415 Ibid.
1416 Ülgen, Sinan, ‘La transformation économique de la Turquie : une nouvelle ère de gouvernance ?’,
Pouvoirs, 2005, p.94.
1417 Vérez, Jean-Claude, ‘La Turquie : une future puissance économique mondiale ?’, L’Europe en
Formation, 2013, p.93.
1418 Ibid p.99.

Page 416
PME et donc au reste du secteur économique de croître.1419 Le lien est donc important pour la
Turquie qui se retrouve dans une situation d'interconnexion intense avec l'UE.
Néanmoins, le rapprochement opéré par l'AKP avec l'Europe obéit également à des objectifs
politiques. Au début de la première décennie du XXIème siècle, il s'agit de tirer profit de la
puissance européenne pour accompagner son développement interne en essayant de se
rapprocher des valeurs européennes et en adoptant un discours pluraliste 1420. À cet effet, l’AKP
veut montrer qu'il est le pendant musulman, au départ, des chrétiens démocrates européens, ce
qui explique son partenariat de 2005 à 2013 avec le Parti populaire européen (PPE), puis du fait
de la hausse de tensions avec ce dernier, son rapprochement avec les Conservateurs et
réformistes européens (CRE) 1421 . Cette politique de jumelage avec les partis européens lui
permet de s'assurer un contact permanent et d'avoir un lien privilégié au sein des institutions de
l'UE. Cependant, le rapprochement européen est corrélé aux ambitions internes de l'AKP. Il
vise à contrer le poids des kémalistes dans les institutions et tout particulièrement l'armée. Les
exigences démocratiques de l'UE ont permis d'affaiblir les forces khémalistes ce qui a contribué
à l'échec du coup d’État en 20161422. Selon le chercheur Alexandre del Valle : « la mise en
conformité avec les critères de Copenhague, qui déterminent la nature démocratique des états-
candidats, impose à la Turquie de réduire de façon drastique les pouvoirs du Conseil national
de sécurité de l’État (Milli Güvenlik Konseyi ou MGK), contrôlé par l’armée, ainsi que d’autres
institutions de la République jugées anti-démocratiques bien que constitutionnelles : conseils
supérieurs de l’audiovisuel, de l’éducation, des juges et YÖK (cour militaire). » 1423 La
réduction des pouvoirs de MGK en 2004 est une victoire pour Erdogan. Le MGK l'a emprisonné
en 1997 pour « incitation à la haine » et a interdit la même année le Refah Partisi (parti du bien-
être), dont Erdogan a été membre.1424 Ce dernier se sert des valeurs européennes sur la liberté
de culte pour renforcer son poids politique interne et se protéger du contre-pouvoir
bureaucratique et militaire laïque. L'UE est un multiplicateur de puissance politique pour l'AKP
elle lui permet de tirer bénéfice économiquement et politiquement du poids de l'Union sur le

1419 Ibid p.100.


1420 Valle, Alexandre del, ‘La Turquie dans l’UE : « rempart contre l’islamisme » ou mort programmée du
système kémaliste laïque ?’, Géoéconomie, Op. Cit., 2009, p.98.
1421 Vif, Le, ‘Turquie: L’AKP Quitte Le PPE Pour Rejoindre Le Groupe Conservateur et Réformiste’, 2013
1422 Valle, Alexandre del, ‘La Turquie dans l’UE : « rempart contre l’islamisme » ou mort programmée du
système kémaliste laïque ?’, Géoéconomie, Op. Cit., 2009, p.98.
1423 Ibid.
1424 Ibid.

Page 417
continent européen. Toutefois, en plus des affaires internes, les relations avec l'UE servent aussi
la politique régionale de la Turquie (2)

2 Une adhésion à l'UE liée à sa politique régionale

Les ambitions européennes de la Turquie sont étroitement connectées à sa politique orientale et


à son projet de redevenir une puissance régionale. En développant ses liens avec l'UE voire en
adhérant à celle-ci, Ankara gagne en crédibilité auprès des États du Moyen-Orient.1425 L'Union
est, en effet, considérée par la Turquie comme étant « l'une des organisations politique et
économique les plus avancées au monde ». 1426 Le fait pour Ankara d’être invitée aux
négociations pour l'adhésion à l'UE la rend plus attractive auprès des États du Moyen-Orient,
pour qui c’est un exemple de développement. Qu'un pays majoritairement musulman arrive à
un degré de croissance économique et politique suffisant pour prétendre à l'adhésion
européenne suscite l'admiration des autres pays musulmans. 1427 De même, la Turquie se
présente comme un pont entre le marché commun européen, la première force économique
mondiale, et le reste du Moyen-Orient. À l'instar des projets russes, la Turquie constitue un
intérêt énergétique stratégique pour l'UE avec le projet Nabucco reliant la zone Caspienne à
l'Europe centrale. Si ce projet a été abandonné, il souligne l'importance d'Ankara dans
l'approvisionnement de l'UE en hydrocarbure. L'existence d'un autre projet de gazoduc inauguré
en 2018 1428 , « Trans-Anatolie » reliant l’Azerbaïdjan à l'Europe du Sud et passant par la
Turquie 1429 et dirigé principalement par les entreprises turques BOTAS, azéri SOCAR et
britannique BP, indique que cet intérêt est toujours d'actualité. Ce pont économique entre l'Asie
et l'Europe justifie que la Turquie soit considérée comme une partenaire prioritaire voire
indispensable. Ce rôle privilégié lui permet de renforcer sa puissance dans la région, et ce aussi
bien en Europe qu'au Moyen-Orient.

1425 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.181.
1426 Turan, Ilter, ‘The Rise and Fall of Turkey’s Middle East Policy’, The German Marshall Fund of the
United States, 2012 p.2.
1427 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.181.
1428 Azvision, ‘Le projet TANAP a été mis en service – Mise à Jour’, https://azvision.az .
1429 Dugot, Philippe, Jean-Michel Henriet, Gérard Loison, Georges Mutin, VINCENT THEBAULT, and
Roland Pourtier, Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, 4e édition revue et augmentée (Nathan, 2014),
p.418.

Page 418
Selon le ministre turc Davutoğlu :« Plus nous tirons fort au Moyen-Orient, et plus loin nous
atterrissons en Europe »1430 Par cela, il exprime l'idée que l'adhésion à l'UE est liée à la force
et l'influence que la Turquie possède au Moyen-Orient. Selon la vision géostratégique des
dirigeants turques de l'AKP, plus leur pays devient une puissance régionale plus il acquiert de
la valeur pour l'UE. Le ministre Davutoglu précise que : « En tant que pôle de stabilité dans sa
région, la Turquie pourrait en intégrant l’UE contribuer à consolider la puissance politique et
économique de l’Union, mais aussi à réaliser la paix et la stabilité à l’échelle régionale et
mondiale et à diffuser les valeurs de l’Europe dans une géographie large [le Moyen-
Orient]. » 1431 La Turquie met en avant ses atouts pour adhérer à l'UE. Son projet est de
redevenir la porte de l'Orient du continent européen : elle apparaît comme un avantage
stratégique capable de renforcer l'UE. La Turquie applique la logique reposant sur le
renforcement des gains des deux partenaires : le renforcement du poids de la Turquie lié à celui
de l'UE. Conscient des obstacles pour son adhésion, le gouvernement Turque va jouer sur sa
position de carrefour stratégique et se placer en tant que médiateur dans les affaires concernant
l'Europe et l'Orient. Selon le ministre Davutoglu : « L'accès unique de la Turquie au nord et au
sud du globe en fait un médiateur approprié sur une vaste étendue géographique. Les
antécédents culturels et civilisationnels de la Turquie et sa longue expérience des structures
politiques et de sécurité occidentales constituent un avantage sur le terrain. »1432 Appliquant
dans un premier temps le concept de « zéro problème avec le voisinage », il a souhaité le
rapprochement entre différents États, comme la Syrie et Israël sur la question du plateau de
Golan entre 2006 et 2008.1433 Cette politique doit servir de substitut à la diplomatie des grandes
puissances avec le maximum d'interlocuteurs. Dans la première décennie du XXIème siècle, la
Turquie désire se présenter comme un « fournisseur de paix ». Le ministre Davutoglu précise
bien que le lien turc avec les structures occidentales lui offre un avantage stratégique pour
assurer ce rôle. L'Europe, plus précisément, lui assurerait une crédibilité plus importante en lui
permettant de faire le lien entre les deux continents et entre le monde chrétien et musulman.
Même si l’État turc laisse une place de plus en plus forte à la dimension islamiste depuis la
seconde décennie du XXIème siècle, cette conception persiste afin de servir ses intérêts de

1430 Davutoglu, Ahmet, Stratejik Derinlik, 32 edition (Kure Yayinlari, 2001), p.627.
1431 Davutoglu, Ahmet cité dans Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une
diplomatie émergente, Op. Cit. p.183.
1432 Davutoglu, Ahmet, ‘Turkey’s Mediation: Critical Reflections From the Field’, Republic of Turkey
Ministry of Foreign Affairs , 2013.
1433 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.185.

Page 419
puissance : devenir un acteur international indispensable. Pour reprendre la vision de Samuel
Huntington, dont s'est inspiré Ahmet Davutoglu, le pays s'inscrit de plus en plus dans le monde
musulman et y renforce sa position : la puissance islamique alliée à l'UE lui assure une
meilleure visibilité dans les régions qu'elle convoite. La fortification de l'économie grâce aux
relations avec le marché commun lui permet d’être l’État du monde musulman au Moyen-
Orient et au Maghreb, le plus riche en tant que 17ème pays avec le PIB le plus élevé. En plus
de ses relations avec l'UE, la Turquie a entretenu un lien étroit avec les États-Unis (B)

B Les États-Unis comme caution de la puissance turque

En tant que pilier oriental de l'Alliance, la Turquie est importante dans la stratégie américaine.
Elle lui permet d'avoir, en plus d’Israël, une base politique avancée au Proche-Orient. Jouant
un rôle privilégié pendant la guerre froide, la Turquie voit son partenariat avec les États-Unis
renouvelé au XXIème siècle (1), lui donnant l'occasion de se renforcer politiquement dans la
région (2).

1 un partenariat renouvelé mais connaissant des difficultés

Traditionnellement et par la nature kémaliste du pays la Turquie a été un allié particulier. Il


existe, dès la guerre froide, un fort sentiment anti-américain partagé par la gauche kurde qui
accuse Washington d'impérialisme. Le pouvoir d'inspiration kémaliste n'a jamais considéré les
États-Unis comme un modèle, préférant celui de l'Europe. 1434 Cette tendance change avec
l'arrivée au pouvoir de l'AKP et d'Erdogan. Ces derniers s’appuient, en effet, sur les élites
anglophones et se retrouvent dans la liberté religieuse des États-Unis.1435 La Turquie de l'AKP
souhaite se rapprocher des Etats-Unis pour consolider son pouvoir interne. En incarnant, un
« islam modéré » face aux fondamentalistes, elle offre une position d'alliée attrayante pour
Washington après le 11 septembre.

1434 Schmid, Dorothée, ‘La Turquie, alliée de toujours des États-Unis et nouveau challenger’, Politique
étrangère, Automne (2011), p.589.
1435 Ibid p.590.

Page 420
En effet, dès les années 1990, avec la disparition de l'ennemi soviétique, la Turquie a acquis la
possibilité de jouer d'autres rôles que celui de forteresse contre la Russie : « la Turquie devient
un partenaire multifonctions, pouvant contribuer à la résolution de bon nombre des difficultés
1436
diffuses posées par un système international instable. » Selon l'ancien conseiller à la
défense nationale américain Zbigniew Brzeziński, la Turquie est un pivot géopolitique offrant
des avantages aux États-Unis :1437 « La Turquie, facteur de stabilité dans la région de la mer
Noire, verrou de l'accès à la Méditerranée, sert de contrepoids à la Russie dans le Caucase,
d'antidote au fondamentalisme islamique et de point d'ancrage au sud pour l'OTAN. Des
remous en Turquie favoriseraient la violence dans le Sud »1438 Le rôle de pivot que les États-
Unis accordent à Ankara en fait un partenaire précieux et l'objet d'une attention particulière. La
Turquie devient une zone tampon dans toutes les régions où les américains peuvent être partie
prenante comme l'Europe, le Moyen-Orient, la Méditerranée et l'ex-URSS. De plus, Zbigniew
Brzeziński précise que : « L'aggravation des tensions internes en Turquie réduira à peu de
chose son rôle stabilisateur. Ces développements ne faciliteront pas l'intégration des nouveaux
États d’Asie centrale dans la communauté internationale. »1439 L’intérêt américain n’est donc
pas uniquement lié à la politique internationale de la Turquie mais aussi à sa stabilité interne.
En cela, ce partenariat était utile pour les dirigeants turcs afin que Washington les aide contre
le séparatisme kurde, point qui est de moins en moins le cas. À cet effet, les néoconservateurs
américains1440, dans l'entourage du président W. Bush, ont, après le 11 septembre, avancé les
intérêts sécuritaires régionaux que leur procure l'alliance avec la Turquie. Ils se montrent
partisans de l'entrée du pays dans l'UE allant ainsi dans le sens de l'AKP et de Recep Erdogan.
Les raisons des néoconservateurs sont principalement l'accélération de l'occidentalisation du
pays et la réduction de l’antiaméricanisme croissant interne. 1441 En outre, la Turquie devait
servir à renforcer la « nouvelle Europe » afin à la fois d’être dans le camp des européens

1436 Schmid, Dorothée, ‘La Turquie, alliée de toujours des États-Unis et nouveau challenger’, Politique
étrangère, Automne (2011), p.591.
1437 Brzezinski, Zbigniew, Le grand échiquier, Op. Cit., p.69.
1438 Ibid p.76.
1439 Ibid p.82.
1440 Il existe un intérêt ancien des néoconservateurs pour la Turquie : « Albert Wohlstetter a toujours souligné
le caractère crucial de la Turquie, proche de l’Union Soviétique et du Moyen-Orient, et entretenant une relation
particulière avec Israël. [,,,] Le tropisme turc d’Albert Wohlstetter adonc certainement orienté la politique
américaine menée à l’égard de la Turquie depuis la guerre froide et influencé la conception néoconservatrice de
l’adhésion de la Turquie à l’UE »
Marzouki, Nadia, ‘Le discours des néoconservateurs sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne
(2000-2005)’, Raisons politiques, no 21 (2006), p.141-142.
1441 Ibid p.142.

Page 421
américanophiles mais aussi afin de marginaliser la « vieille Europe ».1442 Les États-Unis et plus
fortement les néoconservateurs ont toujours été méfiants vis-à-vis d'une Europe trop unie
politiquement pouvant devenir une rivale. L'adhésion de la Turquie à l'UE permettrait de
maintenir un équilibre entre les deux Europe et d'éviter un risque de mise à l'écart des États-
Unis, tout en assurant la prépondérance de l'OTAN sur les questions de défense.
Néanmoins, l'ensemble de la classe politique américaine craint, du fait de l'aspect islamiste de
plus en plus présent dans la vie politique turc, un agenda caché de la part de l'AKP.1443 Le
tournant oriental du pays accroît cette inquiétude. Toutefois, le partenariat reste présent et ne
connaît pas d’affaiblissement significatif : il est moins stable mais conserve sa force stratégique
et son intérêt global. La Turquie reste un partenaire indispensable pour les Etats-Unis dans la
Moyen-Orient et l'Asie centrale, comme le montrent le ralliement d'Ankara au bouclier anti-
missile en 2010 lors du sommet de Lisbonne et le déploiement d'un radar lié à celui-ci en
2012. 1444 Du côté de la Turquie, Washington reste un allié essentiel car les forces armées
turques restent dépendantes de leurs homologues américaines et de l'industrie de l'armement
américaine. Cette situation semble toutefois changer : le tournant de plus en plus autoritaire du
régime turc et la politique plus isolationniste de l'administration Trump est en train de
compromettre ce partenariat. Les menaces américaines de guerre économique contre la
Turquie1445 et la prise de position d'Erdogan en faveur de Maduro lors de la crise au Venezuela,
ennemi des États-Unis1446 sont révélateur de la discorde.

2 un rôle régional assuré par la stratégie américaine

La Turquie profite, quant à elle de son lien, avec les États-Unis pour étendre son influence
régionale aussi bien en Europe qu'en Orient. Son inscription dans les projets américains lui a
permis de se rapprocher des alliés de Washington. Du côté européen, Ankara se rapproche des
pays du groupe de Visegrad mais aussi de l'Ukraine pour contrebalancer le poids de la

1442 Ibid p.144.


1443 Schmid, Dorothée, ‘La Turquie, alliée de toujours des États-Unis et nouveau challenger’, Politique
étrangère, Op. Cit. , p.594.
1444 Guibert, Nathalie, ‘La saga du bouclier antimissile de l’OTAN’, 1 Juillet 2016, Le Monde.
1445 ‘Donald Trump menace de «dévaster» l’économie turque’, FIGARO, 14 janvier 2019 .
1446 Jégo, Marie, ‘En Turquie, le soutien unanime au président vénézuélien Maduro vaut de l’or’, Le Monde,
1 Fevrier 2019 .

Page 422
Russie. 1447 La rhétorique d'une nouvelle Europe, barrage au retour agressif des Russes est
présente dans la politique d'Ankara. En 1992, soit avant l'arrivée de l'AKP, la Turquie crée la
Zone de Coopération Économique de la mer Noire (ZCEM), nommée désormais Organisation
de coopération économique de la mer Noire (OCEMN), ayant pour vocation de permettre à
Ankara le développement des liens bilatéraux avec des États dans l'ancienne orbite soviétique.
Dans le même d'ordre d'idée, une ébauche d'alliance turco-ukrainienne est avancée dès 1994
pour assurer un axe énergétique indépendant de Moscou1448. Si de tels projets ont peu abouti du
fait d'un axe privilégié avec la Russie qui a intégré l'OCEMN, la tendance n'a pas totalement
disparu. La Turquie est associée à l'Initiative des trois mers : à la fin du mois d’août 2016, le
président de la Diète polonaise a convié les présidents des parlements des pays d'Europe de
l'Est et de la Turquie pour promouvoir ce projet.1449 Ce dernier, bien que clairement orienté
contre la Russie révèle qu'Ankara souhaite conserver des relations non négligeables avec les
pays d'Europe centrale et de l'est. Leur point commun est de se considérer comme allié principal
des États-Unis avant l'UE. Washington est donc indirectement le dénominateur commun des
relations entre l'Europe orientale et la Turquie. Comme ces différents États se trouvent hors de
l'UE ou dans une relation difficile avec la vieille Europe, comme le groupe de Visegrad, ils sont
amenés à dépendre plus fortement du parapluie défensif américain et donc à concevoir les
enjeux politiques de manière similaire. Le ralliement de l'AKP au groupe pro-atlantiste des
conservateurs et réformateurs européens ECR s'explique en partie par ce phénomène : Ankara
profite de son lien avec Washington pour renforcer ses relations et son influence avec des autres
alliés fidèles des États-Unis.
Au Proche et Moyen-Orient, le lien américain avec la Turquie, membre de l'Alliance, facilite
les relations avec Israël. Déjà pendant la guerre froide, la Turquie adopte une attitude neutre
dans le conflit israélo-palestinien tout en tissant des relations avec Tel Aviv1450 L'arrivée au
pouvoir de l'AKP, d'obédience islamiste, a fait craindre un changement profond dans la relation
mais le parti d'Erdogan adopte une posture originale : « le gouvernement AKP dénonce Israël
sur le plan rhétorique tout en maintenant des relations étroites avec celui-ci. »1451 Le principe

1447 Chauprade, Aymeric, and François Thual, Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts, auteurs
(Ellipses Marketing, 1998), p.398-398.
1448 Ibid.
1449 Richard, Dorota, ‘L’Initiative de « Trois mers » - la coopération Nord-Sud au centre de l’Europe, le
nouvel axe de la politique étrangère polonaise’, IRIS, 2016.
1450 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.172.
1451 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.172.

Page 423
est de préserver la triple alliance entre les États-Unis, la Turquie et Israël comme en témoigne
la nomination « d'Yasar Büyükanıt, connu pour ses sympathies envers les États-Unis et Israël,
et ses relations étroites avec le Mossad et Tsahal .» 1452 La Turquie souhaite retrouver son
influence dans le monde oriental. Toutefois, cette stratégie ne peut pleinement fonctionner que
si Israël n'est pas laissé de côté. De ce fait, Ankara doit faire le grand écart en critiquant
officiellement la position de l’État hébreu afin de s'attirer la sympathie de nombreux États
musulmans tout en maintenant des relations de proximité avec celui-ci. En ce sens, la présence
des États-Unis derrière ces deux pays est un avantage et un catalyseur permettant d'assurer la
pérennité des contacts entre Tel Aviv et Ankara. Ce grand écart lui permet d'établir une
dialectique entre puissance régionale et puissance mondiale. 1453 Par conséquent, la Turquie
arrive à lier sa politique avec la force de l'OTAN. Cette dernière s'avère, en effet, une assurance
de l'indépendance politique de la Turquie vis-à-vis de la Russie (§2)

§2 L'OTAN : Une assurance pour l’indépendance politique de la Turquie

Si la Turquie d'Erdogan s'est rapprochée de la Russie, cette dernière est toujours source de
méfiance pour Ankara (A) qui utilise dès lors l'OTAN pour dissuader Moscou de poursuivre
des politiques qui lui seraient néfastes (B)

A La persistance d'une méfiance envers la Russie

La méfiance envers la Russie est historique et liée à des constantes géopolitiques (1). De plus
la politique russe du XXIème siècle ramène sur le devant de la scène des divergences d’intérêts
entre les deux pays créant ainsi des tensions (2)

1452 Ibid p.177.


1453 Ibid p.179.

Page 424
1 Un contexte historique et géopolitique source de méfiance

Historiquement la Russie et la Turquie, sous sa forme d'empire ottoman, ont été des rivaux
géopolitiques. Le contrôle de la mer Noire et des territoires riverains, en particulier l'Ukraine1454
ainsi que des territoires méridionaux1455 a été à l'origine d'affrontement entre les deux empires
depuis le 16ème siècle. Au total, ce sont 11 guerres russo-ottomanes qui ont marqué les relations
entre les deux pays jusqu'au début de la première guerre mondiale. Cette rivalité est issue du
fait que la Turquie est un verrou stratégique empêchant la Russie impériale de s'étendre au sud
et d’accéder aux mers chaudes, aussi bien de la mer méditerranée que l'Océan indien qui
constituent des objectifs pour Moscou afin de contrôler les voies commerciales maritimes. De
plus, l'empire ottoman devient le protecteur des khanats de la Horde d'or entrant en
contradiction avec le souhait de la Russie d'émancipation des mongols.1456 L'empire ottoman
utilise le khanat de Crimée pour contester la présence russe sur les bordures de la mer Noire
avec des raids réguliers contre les provinces russes afin de déstabiliser leur sécurité
intérieure.1457
Cette confrontation entre les deux empires a été utilisée par les puissances européennes pour
calmer les ardeurs de la Russie : le roi de France Louis XV et l'impératrice des Habsbourg
Marie-Thérèse d'Autriche utilisent l'empire ottoman suite aux actions de Catherine II de Russie
en Pologne.1458 Comme le fait remarquer à l'époque le chef du gouvernement français Étienne-
François de Choiseul : « Le nord de l'Europe se soumet toujours plus à l'impératrice de
Russie… Il s'y prépare une situation inquiétante pour la France. Le meilleur moyen de
contrecarrer ses projets […] est de provoquer une guerre contre elle. Seuls les Turcs peuvent
nous rendre ce service ».1459 Cette instrumentalisation de la puissance ottomane par les pays
occidentaux contre la Russie préfigure le rôle que la Turquie aura avec l'OTAN à partir de la
seconde moitié du XXème siècle. Pour autant, les guerres entre la Russie et l'empire ottoman
ont joué en faveur de la première en lui permettant d'étendre son contrôle sur la mer Noire et le
Caucase tout en contribuant à l’affaiblissement de la Turquie ottomane. En effet, ces guerres

1454 d’Encausse, Helene Carrere, L’Empire d’Eurasie : Une histoire de l’Empire russe de 1552 à nos jours
(Paris: Le Livre de Poche, 2008).
1455 Ibid.
1456 Ibid.
1457 Ibid.
1458 Ibid.
1459 Ibid.

Page 425
gagnées par la Russie lui ont permis de repousser la frontière russo-ottomane et de contester le
pouvoir des Nations européennes à ses frontières. À la fin du règne de Catherine II, la mer Noire
est désormais sous contrôle russe du fait de l'impossibilité de la flotte turque de rivaliser avec
la marine russe. L'équilibre des puissances entre les deux empires laisse place à une supériorité
russe qui alimente le sentiment de faiblesse de la Turquie. Par conséquent, c'est une rivalité
existant dès l'époque des empires qui persiste jusqu'au XXème siècle. Si la nostalgie des
empires permet une vision commune entre les présidents Poutine et Erdogan au XXIème, le
passif des deux États dans le passé laisse un sentiment de méfiance. Le déséquilibre de
puissance entre la Turquie et la Russie fait qu'Ankara craint un retour en force du poids militaire
de la Russie. Après la période troublée de la guerre civile russe, l'URSS et son développement
au cours de la seconde guerre mondiale apparaissent comme un adversaire de taille pour
Ankara. Ces tensions culminent avec le différend sur les détroits turcs en 1946. Le contrôle des
détroits des Dardanelles et du Bosphore par la Turquie est, en effet, source de différends sérieux
pendant la guerre froide : ces passages étant les seuls points de contacts maritimes entre la mer
Noire et la Méditerranée, Moscou souhaite en avoir le contrôle durant la période stalinienne, le
but affiché étant que la mer Noire reste une « mer russe ». Staline reproche à la Turquie et à la
convention de Montreux d'avoir permis aux navires de l'axe de passer pendant la seconde guerre
mondiale.1460 L’adhésion à l'OTAN s'explique par ce contexte historique.
Cette action est considérée par Moscou de manière négative. « Comme le précise la Pravda en
1960 : «Le territoire turc a été transformé en une base militaire. . . Jusqu'à récemment, les
militaristes américains s'en servaient pour des provocations et des actes d'agression contre
notre pays. " »1461 La guerre froide maintient ainsi la confrontation entre les deux États. Le rôle
de la Turquie, en tant que pays bloquant la progression de la Russie, est réaffirmé par son
appartenance à l'OTAN. En tant que pièce maîtresse de l'endiguement prôné par les Américains
contre l'Union soviétique, Ankara se heurte à Moscou. Si la fin de la guerre froide permet de
réchauffer les relations, plusieurs dossiers au XXIème siècle maintiennent la méfiance de la
Turquie envers la Russie (2)

1460 HASANLI, Jamil, ‘The “Turkish Crisis” of the Cold War Period and the South Caucasian Republics’,
Institute for Central Asian and Caucasian Studies.
1461 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors (Los Angeles: CQ Press,
2013), p.298.

Page 426
2 Des intérêts opposés persistants, sources de tensions

Au XXI ème siècle, la Turquie et la Russie ont plusieurs causes de différend issus de points de
vue et d'intérêts différents. Leurs positions privilégiées en Eurasie en font autant des partenaires
que des rivaux. Si la forme de cette opposition est moins forte que sous les empires russes et
ottoman avec la mondialisation, différents points chauds persistent. La Turquie de par sa
politique néo-ottomane peut rentrer en contradiction avec les politiques russes. La Tchétchénie
a par conséquent été un point de tension. 1462 Un certain nombre de citoyens turcs est allé
combattre avec les rebelles djihadistes pendant les deux guerres de Tchétchénie. 1463 Cette
région, étant au cœur des soucis sécuritaires du président Poutine pendant son premier mandat,
il semble évident que la nature islamiste de l'AKP arrivant au pouvoir en 2002 créa la méfiance.
La peur, d'avoir un État instrumentalisant les islamistes, la rend méfiante envers la politique
d'influence turque. Si le cas tchétchène n'a pas abouti à des tensions significatives, la guerre
civile syrienne met en exergue ce phénomène développé du fait du chaos au Proche et Moyen-
Orient. Une véritable divergence d’intérêts a conduit Moscou et Ankara à soutenir des forces
opposées : la rébellion, y compris certaines franges les plus islamistes,1464 pour la Turquie et le
régime d’Al-Assad pour La Russie. Selon le géopoliticien Aymeric Chauprade, les pays touchés
par les printemps arabes sont soit des Etats-nations comme l’Égypte et la Tunisie soit des États
dont l'unité est liée au régime politique1465 comme en Syrie. Les premiers ont plus de facilité à
réussir leur transition sans un chaos absolu, tandis que la seconde catégorie est sujette à la
logique de clans. La guerre civile syrienne met en avant ce problème de clan avec un régime
issu des alaouites, des chiites dissidents et minoritaires, qui gouverne une majorité de sunnite.
Aussi, la Turquie et la Russie choisissent des factions qui sur le terrain se vouent une inimité
profonde. Aucun des deux belligérants n'a intérêt à l'installation du chaos qui sert de terrain
fertile à des groupes indésirables : le PKK kurde pour la Turquie et les djihadistes pour la Russie
qui craint toujours une résurgence des tensions en Tchétchénie. Néanmoins, la complexité et la
diversité des acteurs internes, souvent soutenus par des puissances étrangères font que Moscou
et Ankara n'arrivent plus à contrôler totalement la situation. L'intervention russe en Syrie vise
justement à faire cesser ce contexte d'incertitude mais inquiète la Turquie par la même occasion.

1462 Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors, Op. Cit. , p.298.
1463 Ibid.
1464 Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, Op. Cit., p.71.
1465 Chauprade, Aymeric, Chronique du choc des civilisations, 4e édition revue et augmentée, Op. Cit., p.194.

Page 427
La présence russe aux frontières du territoire turc est préoccupante : le contrôle de facto de la
Syrie par Moscou réduit les possibilités d'actions d'Ankara sur le territoire syrien alors que la
question kurde soulève un problème de sécurité nationale pour la Turquie. En même temps,
l'incapacité des différents acteurs à résoudre le chaos syrien a un impact sur Ankara qui doit
gérer un flux migratoire important : quatre millions de réfugiés se trouvent en Turquie en 2018,
faisant de cette dernière le pays en abritant le plus au monde.1466 Enfin, le gouvernement turc
doit gérer ces défis alors que le pouvoir politique de l'AKP a été menacé par un coup d’État en
2016 et que le président Erdogan accomplit un virage de plus en plus autoritaire. Le
gouvernement turc adopte donc un comportement plus agressif sur le dossier syrien, quitte à
affronter Moscou, avec le pilonnage du territoire syrien et la destruction d'un avion de chasse
russe par l'armée turque.1467 De ce fait, la Syrie apparaît être pour la Turquie l'équivalent de
l'étranger proche pour la Russie : un territoire frontalier étroitement lié aux intérêts internes de
l’État qui le convoite. La nature particulière de la Syrie dans la stratégie néo-ottomane de l'AKP
explique pourquoi Ankara a rompu avec sa politique de « zéro problèmes avec les voisins ». Le
fait que la Syrie soit aussi considérée comme l'un des principaux points d'attache stratégique de
la Russie au Proche et Moyen-Orient amplifie les tensions liées aux divergences d’intérêts. Le
rôle des mouvances islamistes dans la politique d'influence de la Turquie se heurte à la politique
russe qui souhaite les endiguer. Par conséquent, la Turquie s'enlisant sur le terrain, utilise le
poids politique et militaire de l'OTAN pour faire pencher la balance en sa faveur. (B)

B L'utilisation de l'Alliance contre les ambitions russes

L'OTAN est utilisée par la Turquie pour sécuriser sa politique étrangère face à des adversaires
qu'elle ne peut gérer seule. La Russie s'avérant plus forte qu'Ankara, cette dernière compte sur
la puissance politique (1) et militaire (2) de l'Alliance.

1466 Protection Civile et Operations d’Aide Humanitaire Européennes, ‘Turquie’ (Commission Européenne),
2018.
1467 Vidal, Dominique, Bertrand BADIE, and Philippe REKACEWICZ, Qui Gouverne Le Monde ?, La
Découverte, 2016, p.296.

Page 428
1 Un forum politique pour contrer l'influence grandissante de Moscou

L'aspect politique est majeur pour la Turquie. Selon le général Denis Mercier, « commandant
allié Transformation » à l'OTAN, l'Alliance sert de forum de discussion politique entre tous ses
membres.1468 Outre son rôle de médiateur dans les tensions entre la Grèce et la Turquie, elle
met en place une stratégie commune pour répondre aux problèmes de sécurité globale. Pendant,
la première décennie du XXIème siècle, l'Alliance adopte une politique de globalisation de son
rôle. Si la question irakienne préoccupe la Turquie, du fait de la présence kurde sur ce
territoire 1469 , les partenariats de l'OTAN représentent un atout. Dans le contexte du grand
Moyen-Orient prôné par les États-Unis sous la présidence W. Bush, émerge l'initiative de
coopération d'Istanbul (ICI) en 2004 visant un partenariat entre l'OTAN et les pays du monde
arabe.1470 En effet, la conception du grand Moyen-Orient exclut l'Iran, allié de la Russie, et se
révèle un moyen de « penser » la région. Bien que piloté par Washington et accompli par
l'Organisation nord-Atlantique, ce partenariat offre l'opportunité à la Turquie de renforcer son
poids dans la région et donc de contrer politiquement la Russie, désirant y retrouver sa place.
À l'instar de l'utilisation de sa relation avec l'UE, Ankara utilise des initiatives comme l'ICI pour
être une passerelle entre l'Alliance et le monde arabo-musulman : la puissance politique que lui
assure sa qualité de membre de l'OTAN lui confère une crédibilité afin de discuter avec les pays
de la région et tisser des liens. La dimension globale que l'Alliance veut développer constitue
un vecteur de sécurité commun avec des retombés positives pour la politique étrangère turque :
« Cette initiative est proposée par l’OTAN aux pays de la région qui sont intéressés, à
commencer par les pays du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), en vue de promouvoir des
relations bilatérales mutuellement bénéfiques et d’accroître ainsi la sécurité et la stabilité. Elle
privilégie la coopération pratique dans les domaines où l’OTAN peut apporter une valeur
ajoutée, notamment la défense et la sécurité ».1471 Si l'ICI n'a eu que peu de résultats concrets
au niveau sécuritaire, elle a néanmoins permis une meilleure connaissance mutuelle entre les
pays de la région. Par conséquent, dans le cadre du développement de la politique néo-ottomane

1468 Conférence du général Denis Mercier à Science po Bordeaux le 30 mai 2018.


1469 Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un héritage , Op.
Cit., p.137.
1470 Ibid p.308-309.
1471 Ibid.

Page 429
de la Turquie et de son opposition croissante aux prétentions russes, les relations renforcées
entre l'OTAN et le Moyen-Orient ne sont pas superflues.
À la suite du sommet de Varsovie de 2016, l'Alliance se recentre sur une approche plus
régionale basée sur la défense des États membres et de ses frontières, du fait des actions russes
en Ukraine et en Crimée.1472 Ce tournant dans la stratégie de l'Alliance profite à la Turquie qui
s'enlise en Syrie et qui se trouve confrontée à la Russie à ses frontières avec la prise de contrôle
russe sur le gouvernement syrien. Le sommet de Varsovie expose les problèmes de la crise
syrienne dans ses points 25, 27 et 28 : « Nous adaptons notre posture de défense et de
dissuasion de manière à répondre aux menaces et aux défis, y compris ceux qui émanent du
sud. Dans le même temps, nous continuons de nous appuyer sur notre réseau de sécurité
coopérative pour renforcer le dialogue politique, pour favoriser des relations constructives
dans la région et pour accroître notre soutien aux partenaires par la coopération pratique ainsi
que par le renforcement des capacités de défense et la gestion de crise »1473 La défense mêlée
à la coopération est donc réaffirmée et la Turquie est mise en avant dans cette stratégie : « En
outre, des mesures d'assurance adaptées pour la Turquie, visant à répondre aux défis de
sécurité croissants qui émanent du sud, contribuent à la sécurité de l'Alliance dans son
ensemble, et elles seront pleinement mises en œuvre. »1474 Cette politique faisant de la Turquie
un pivot stratégique de l'Alliance passe dès lors par des mesures militaires. (2)

2 Une défense commune garante de la protection turque face au déploiement militaire russe

Plus que de soutien politique, la Turquie a besoin de la puissance militaire de l’Alliance. À cet
effet, Ankara soigne ses relations avec l'Organisation comme le prouve l'évolution de sa
position pour l'opération libyenne Unified Protector en 2011 : au départ opposée à toute
intervention contre Kadhafi, elle se rallie à l'opération de l'OTAN suite au vote de la résolution
1973 du Conseil de sécurité de l'ONU.1475 Cette politique s'explique par son souhait de ne pas

1472 Conférence du général Denis Mercier à Sciencepo Bordeaux le 30 mai 2018.


1473 NATO, ‘Communiqué du Sommet de Varsovie - publié par les chefs d’État et de gouvernement
participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Varsovie les 8 et 9 juillet 2016’, NATO point 27
1474 Ibid point 36.
1475 « La Turquie a contribué à l'opération avec des frégates, un sous-marin, deux avions ravitailleurs et
quatre chasseurs F-16. »‘ Turkey’s International Security Initiatives and Contributions to NATO and EU
Operations’, Republic of Turkey Ministry of Foreign Affairs .

Page 430
s’aliéner ses alliés occidentaux1476 malgré une politique régionale néo-ottomane de plus en plus
visible. Cette stratégie de promotion de la sécurité commune s'avère efficace avec le chaos
s'installant aux frontières de la Turquie avec la crise syrienne. En effet, en 2012, un avion de
reconnaissance turc est abattu par le gouvernement syrien soutenu par la Russie, poussant
Ankara à demander à l'Alliance l'installation de missiles Patriot sur son territoire pour se
protéger.1477. Ce soutien militaire de l'OTAN permet de rassurer la Turquie quand la Russie
renforce sa présence dans la mer Noire avec l'annexion de la Crimée en 2014 et déploie ses
forces en Syrie en 2015. Pour ce dernier événement, la Turquie fait appel à l'OTAN pour mettre
en garde la Russie contre toute violation de l'espace aérien turc. 1478 A cette époque, la
divergence d’intérêt en Syrie entre Ankara et Moscou fait que les tensions sont à leur maximum
et la destruction d'un avion de chasse russe par l'armée turque le 24 novembre 2015 fait basculer
la situation en crise. La protection aérienne de la zone méditerranéenne étant assurée par
l'Alliance à travers le Centre d’opérations aériennes combinées (CAOC) de Torrejón en
Espagne, la Turquie se retrouve associée à un système de protection plus vaste.1479 Si cet acte
semble ne pas avoir eu l'accord de ce centre d'opération1480, il n'en reste pas moins qu'Ankara
compte sur le soutien de l'appareil militaire de l'Alliance. Ceci aboutit à une crise au niveau
politique de par la crainte d'une escalade entre Moscou et Ankara qui entraînerait le reste de
l'Alliance. Néanmoins, cet épisode permet de renforcer la défense de la Turquie en poussant les
alliés à la soutenir militairement : « Les États-Unis ont déplacé des avions de combat spéciaux
conçus pour intercepter des bombardiers et des avions de reconnaissance vers la base aérienne
turque de l'OTAN, Incirlik, tandis que la Grande-Bretagne a annoncé qu'elle enverrait
également des avions à réaction dans la région dès que la décision de l'OTAN sera officialisée.
L'Allemagne et le Danemark envoient des navires à la flotte de l'OTAN en Méditerranée
orientale »1481 La stratégie militaire turque joue sur son souhait de protéger ses intérêts dans
les régions frontalières rendu possible avec l'aide des alliés. Ankara n'a pas, à elle seule, la force
nécessaire pour affronter la Russie. Seul un soutien concret de l'Alliance lui permet de remplir

1476 Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente, Op. Cit. p.246.
1477 Ibid p.262.
1478 ‘La Turquie et l’OTAN haussent le ton contre la Russie’, Le Matin, 10 June 2015 .
1479 Cembrero, Ignacio ‘¿Quién tomó la decisión de derribar al SU-24, Ünal o García?’, El Español, 2015 .
1480 Ibid.
1481 NATO Allies Act to Strengthen Turkey’s Air Defences, Reuters, 1 December 2015 .

Page 431
ses objectifs. Aussi, en offrant une base avancée à l'OTAN en Orient, la Turquie est arrivée à
se rendre indispensable et profite ainsi de son rôle.

Conclusion du Chapitre 2 :

Le rôle central de la Turquie dans le Rimland eurasiatique qui n'est ignoré ni par les Russes ni
par les Américains fait qu'Ankara joue un double jeu visant à avoir des soutiens des deux camps
afin de développer son projet de puissance régionale du Proche et Moyen-Orient. Ankara, du
fait de sa nature politique de plus en plus autoritaire et de sa position d’État régional, a tout
autant besoin de l'OTAN que de la Russie, afin d'éviter d’être totalement dépendant
politiquement d'un des deux camps. C'est ce jeu de balancier qui confère la puissance de la
Turquie en étant plus que jamais un carrefour politique, économique et civilisationnel.

Conclusion de la Partie 2 :

En dehors des États-Unis, l'Allemagne occupe la place phare au sein de l'Alliance. Si Berlin ne
rivalise pas militairement avec Washington, sa puissance économique et politique fait qu'elle
est le cœur de l'Europe et est, de facto, la puissance indispensable sur le continent. Qu'il s'agisse
des autres membres de l'UE ou des institutions européennes, les changements politiques du
XXIème siècle, tels que la construction européenne et son élargissement, se font autour de
l'Allemagne. Sa relation privilégiée avec Moscou fait que les chanceliers allemands sont les
principaux interlocuteurs du président Poutine. Les États européens agissent finalement dans la
périphérie des relations germano-russes, elles-mêmes dans l'ombre des relations américano-
russes. Les relations apparaissent être un complexe de relations bilatérales. La présence de
Washington dans les affaires européennes reste un facteur non négligeable et souvent plus le
produit d'une volonté européenne qu’américaine.
Les frontières de l'OTAN, quant à elles, obéissent à des dynamiques différentes et sont soumises
à des tensions variables. Si les partenaires de l'est de l'OTAN constituent le cœur de la
confrontation entre l'OTAN et la Russie, la Turquie est un État ayant une politique ambiguë.

Page 432
Finalement, ce sont des complexes de relations bilatérales qui prédominent dans les relations
entre la Russie et les membres de l'OTAN, autre que les États-Unis. Les pays Européens, la
Turquie et le Canada n'ont pas la puissance nécessaire pour lutter seuls contre la Russie et ils
adaptent leurs relations bilatérales avec Moscou en renforçant les liens entre eux ou en se
rangeant derrière un allié puissant comme les États-Unis.

Page 433
Conclusion générale

Les relations entre la Russie et l'OTAN s’organisent autour d'un certain nombre de relations
bilatérales, créatrices de dynamiques plus globales, mettant en lumière les grandes tendances
dans les relations internationales. Les deux premières décennies du XXIème siècle s’avèrent
une période d'adaptation et de transformation. Si les années 1990 sont marquées par l'unipolarité
des Etats-Unis, le XXIème siècle se caractérise par le retour de puissances contestatrices comme
la Russie et la Chine, favorisant l’avènement d'un monde plus multipolaire et instable. Le
régionalisme occupe une place croissante dans les relations internationales et recrée des
équilibres de puissances locales.
Par conséquent, les relations entre la Russie et l'OTAN s’articulent autour de trois centres
d'impulsions : les États-Unis et la Russie qui continuent chacun de mener le jeu géopolitique,
et l'Union Européenne qui constitue une force régionale particulière, située au milieu de ces
deux géants.

Les États-Unis : une hyperpuissance en maintien marginalisant la place de


l'OTAN dans sa stratégie

Les attentats du 11 septembre 2001 et la crise économique de 2008, ont pu être perçus comme
une remise en question de la position dominant des États-Unis sur la scène internationale. Force
est de constater en 2019, que Washington est toujours au cœur des décisions internationales.
Les États-Unis continuent d’être une puissance militaire inégalée : en 2017, avec 610 milliards
de dollars, ils ont dépensé plus que les sept autres pays les plus dépensiers.1482 De plus, fin
2017, le Congrès des États-Unis a approuvé un budget de 700 milliards pour 2018,1483 marquant
la fin de la réduction des dépenses ayant fait suite à la crise économique. Économiquement, le
pays a retrouvé sa vigueur d'avant la crise : depuis 2018, le pays a retrouvé sa place de 2008 en
redevenant le pays le plus compétitif au monde selon le forum économique mondial1484 ; le

1482 Blenckner, Stephanie, ‘Le niveau des dépenses militaires mondiales se maintient à 1 700 milliards de
dollars’, 2018, p.3.
1483 Institut international de recherche sur la paix, Sipri yearbook 2018: armaments, disarmament and
international security : résumé en français (Bruxelles: GRIP, 2018), p.6.
1484 ‘The Global Competitiveness Report 2018’, World Economic Forum, 2018 .

Page 434
chômage a chuté à 3,7 %, le taux le plus bas depuis 1969.1485 Les États-Unis, devenus une
hyperpuissance après la chute de l'URSS, ont réussi à s'adapter aux crises de la première
décennie du XXIème siècle afin de conserver leur position. Si la tendance vers l'isolationnisme,
évoquée dans les discours du Président Trump, n'est pas nouvelle, elle doit être nuancée car les
États-Unis et son président souhaitent rester au cœur de la scène internationale. Du fait de
l'enchevêtrement des liens économiques, Washington doit conserver un contrôle sur les
échanges commerciaux : les guerres commerciales accomplies par l'administration Trump
remplissent cette fonction et peu d’États arrivent à lutter avec elle.
Les États-Unis se concentrent surtout sur la Chine, désormais leur seule vraie rivale en devenir.
Pékin, pour l’instant puissance régionale, ne cache pas sa prétention hégémonique. Néanmoins,
malgré sa rapide montée en puissance, elle ne possède pas les mêmes atouts que les États-Unis,
plus influents dans les affaires internationales.
Par conséquent et du fait du désintérêt relatif vis-à-vis de l'Europe et du tournant asiatique de
Washington, l'OTAN est marginalisée et l’Alliance perd en utilité dans sa stratégie. Les alliés
asiatiques des États-Unis gagnent en importance, la première rencontre internationale du
président Trump ayant été avec Shinzo Abe, le premier ministre du Japon. 1486 La Russie
devient, pour Washington, un acteur politique, certes non négligeable mais désormais de plus
en plus secondaire face à la question chinoise.

La Russie approfondissant son tournant vers l'Asie

Si Vladimir Poutine était à l'origine pro-occidental, les tensions qui ont suivies les crises
syrienne et ukrainienne, ont fortement affecté les relations de Moscou avec l'Europe et les Etats-
Unis. De plus, une ambiance de méfiance tournant à la paranoïa s'est installée et empêche un
apaisement de la situation. L'affaire du « RussiaGate » en est l'exemple le plus marquant :
partant d'éléments concrets comme l'utilisation de propagande et de piratage électronique par
la Russie, une théorie du complot s'est créée prônant le fait que le président Trump serait de

1485 Morath, Eric, and Harriet Torry, ‘U.S. Unemployment Rate Falls to Lowest Level Since 1969’, Wall
Street Journal, 5 October 2018.
1486 ‘Dvinina, Ekaterina, ‘Abe-Trump : première rencontre pour établir la confiance’, Le Monde, 18
November 2016 .

Page 435
connivence avec le gouvernement russe. Si ce dernier point est désormais réfuté par le rapport
Mueller, cette paranoïa a empêché un rapprochement entre les présidents Poutine et Trump.
Outre ces problèmes politiques, s'ajoute la dimension économique, cœur de la stratégie russe.
Si les pays de l'UE, avec en tête l'Allemagne, restent les principaux partenaires de Moscou, la
Chine devient un partenaire commercial de taille représentant 11 % des exportations et 20 %
des importations russes en 2017.1487 Accentué par les sanctions européennes suite à l'annexion
de la Crimée, le tournant asiatique de la Russie se poursuit. Le 6 juin 2019, absent aux
commémorations du débarquement, le président Poutine recevait le président chinois Xi Jinping
au Kremlin. Le forum économique international de Saint-Pétersbourg, qui s'est tenu du 5 au 8
juin 2019, a aussi permis de rappeler la proximité de vision stratégique entre la Russie et la
Chine : les présidents des deux pays ont tous deux réaffirmé leur rejet d'un monde économique
dirigé par une seule puissance et ont prôné un système basé sur la compétition et le respect des
souverainetés.1488 Le rejet de l'universalisme apparaît être un point de rapprochement entre les
deux États, mais le président russe ne rejette pas pour autant les relations avec l'Europe et fait
remarquer à propos de l'UE que : « Charles de Gaulle a déjà parlé d'un espace uni du Portugal
à l'Oural. J'ai ensuite ajouté « à Vladivostok». Il n'y a pas de tensions graves. Il y a des choses
concrètes à prendre en compte lors de ces processus d'intégration ».1489 Moscou profite ainsi
de sa position de pivot entre deux continents pour diversifier ses partenaires et éviter de
dépendre d'un seul acteur. Néanmoins, compte tenu de l’écart de puissance entre la Chine et la
Russie et les blocages en Europe, il est à craindre que Pékin soit la gagnante dans ce jeu
géopolitique.

L'Europe cherchant sa place sur la scène internationale mondiale

Si la Chine est en train de devenir la rivale des États-Unis et un acteur clé pour la Russie, elle
n'est qu'un partenaire économique pour les pays de l'UE. Cette dernière reste indécise face à la
direction stratégique à prendre et de l'attitude à avoir avec les grandes puissances voisines.

1487 The Observatory of Economic Complexity, ‘OEC - Russia (RUS) Exports, Imports, and Trade Partners’,
The Observatory of Economic Complexity <https://atlas.media.mit.edu/en/profile/country/rus/> [accessed 16 June
2019].
1488 Poutine, Vladimir, ‘Plenary Session of St Petersburg International Economic Forum’, President of Russia
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/60707> [accessed 16 June 2019].
1489 Ibid.

Page 436
Alliée des Etats-Unis avec l'OTAN et de ce que Kissinger appelle l'alliance des démocraties,
l'Europe voit le partenariat transatlantique remis en question par les choix politiques américains.
De plus, la Russie, en tant que puissance historique européenne, divise les pays européens quant
à sa place dans la géopolitique du continent.
Actuellement, trois visions s'opposent au sein de l'UE. La première est de maintenir le lien
transatlantique et de prendre les mesures nécessaires pour conserver le parapluie militaire
américain, et c’est principalement la vision des pays s'alignant sur la politique anglo-saxonne à
savoir la Pologne et le Royaume-Uni. La seconde position est une normalisation et un
rapprochement envers la Russie : cette politique, devenue marginale du fait des tensions, reste
populaire chez les partisans d'une Europe des nations comme l'Italie de Matteo Salvini. La
troisième est celle d'une Europe puissance capable de faire face et de rivaliser les États-Unis et
la Russie : cette approche est soutenue avant tout par la France, le ministre de l'économie Bruno
Le Maire évoquant même, en 2019, l'idée d'Empire européen.1490 Dans les faits, l'UE est trop
divisée pour choisir une de ces trois doctrines et c'est une approche pragmatique visant à assurer
le statu quo et le fonctionnement de l'Union qui domine, les initiatives renforçant l'Identité
Européenne de Sécurité et de Défense visant avant tout à pallier les incertitudes américaines.
Le lancement de l'Initiative Européenne d'Intervention pour maintenir un partenariat militaire
avec le Royaume-Uni, même en cas de Brexit, met en évidence que les projets sécuritaires
dépassent l'UE, en se concentrant plus sur une dynamique régionale.

Le régionalisme comme source d'équilibre et de stabilité

Ainsi, les deux premières décennies du XXIème siècle ont vu l’émergence d'un monde
multipolaire avec le retour en force de certains Etats comme la Russie et la Chine mais aussi
dans une moindre mesure la Turquie. En Europe, l'Allemagne conforte sa position dominante
sur le continent accentuée par le décrochage politique du Royaume-Uni et de la France pendant
la seconde décennie du XXIème siècle. Si aucun de ces pays ne rivalise avec les Etats-Unis,
force est de constater que ces puissances régionales développent de manière plus ou moins
volontaire des zones d'influences autour d'elles. Les concepts géopolitiques des grands espaces

1490 LE MAIRE Bruno, ‘Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des finances, sur la
construction européenne, à Paris le 10 avril 2019.’, https://www.economie.gouv.fr, le 18 avril 2019, 2019
<http://discours.vie-publique.fr/notices/193000818.html> [accessed 17 June 2019].

Page 437
redeviennent d'actualité avec un partage de la scène internationale autour de quelques grandes
puissances. Le système Westphalien n'a pas disparu et retrouve une nouvelle vigueur à l'échelle
mondiale : là où ce modèle était jadis européen, il s'est désormais répandu à l'échelle mondial.
La realpolitik guide naturellement la politique des grandes puissances à l'heure actuelle. La
persistance de la logique de l'équilibre des puissances est également due au rejet d’une
gouvernance mondiale 1491: les États préfèrent une approche prudente et traditionnelle plutôt
que « inconnue ». L’inquiétude au sujet de la forme de la gouvernance mondiale se traduit
ainsi : l'institutionnalisation d'un arbitre supérieur indépendant des Etats fait ironiquement
courir le risque d’être instrumentalisé par l’État le plus puissant, en l'espèce les États-Unis. Ces
derniers, craignant eux-mêmes de perdre le contrôle et leur place dans un tel scénario, se
satisfont de la persistance de dynamiques d'équilibres dans les relations internationales.
Du fait de la mondialisation, l'économie joue un rôle majeur et constitue un point nouveau. Si
les relations commerciales entre les États existent depuis la naissance de l'ordre Westphalien,
le développement du capitalisme après l'effondrement du bloc soviétique rend massive
l'interconnexion économique entre les pays. Il n'est dès lors guère surprenant que les grandes
puissances comme l'Allemagne, la Russie, la Chine et les États-Unis utilisent l'économie
comme l'outil privilégié des relations internationales. Si cette pratique tend à renouer avec
certains aspects du mercantilisme, les États sont, avant tout, des acteurs d'un ordre spontané à
l’origine de l’équilibre des puissances. L’importance de la dimension économique dans les
relations internationales rappelle les idées des penseurs libéraux : comme la « main invisible »
d'Adams Smith ou l'ordre spontané économique de Friedrich Hayek. Les relations
internationales sont ainsi passées d'un réalisme de survie issu des idées de Hobbes et Schmitt à
un réalisme libéral reposant sur les échanges économiques.

1491 Blin, Arnaud, 1648, La Paix de Westphalie : Ou la naissance de l’Europe politique moderne (Bruxelles:
Editions Complexe, 2006), p.9.

Page 438
Page 439
Bibliographie

Ouvrages

Adadag, Özgür, Les multiples facettes de l’Etat en Turquie (Paris: Editions Le Harmattan,
2016)

Adams, Paul C., Atlantic Reverberations: French Representations of an American


Presidential Election (Aldershot, England ; Burlington, VT: Ashgate Pub Co, 2007)

Alex, Bastien, and Didier Billion, La Turquie d’aujourd’hui au miroir de l’histoire (Paris:
Editions L’Harmattan, 2012)

Anderson, R. Reed, Patrick J. Ellis, Antonio M. Paz, Kyle A. Reed, Lendy ‘Alamo’ Renegar,
and John T. Vaughan, Strategic Landpower and a Resurgent Russia: An Operational
Approach to Deterrence (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2016)

Armandon, Emmanuelle, Géopolitique de l’Ukraine (PRESSES UNIVERSITAIRES DE


FRANCE - PUF, 2016)

Augé, Etienne, Petit traité de propagande : A l’usage de ceux qui la subissent (Bruxelles: De
Boeck, 2007)

Bassin, Mark, Sergey Glebov, and Marlene Laruelle, eds., Between Europe and Asia: The
Origins, Theories, and Legacies of Russian Eurasianism (University of Pittsburgh
Press, 2015)

———, eds., Between Europe and Asia: The Origins, Theories, and Legacies of Russian
Eurasianism (University of Pittsburgh Press, 2015)

Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, 3e édition (Paris: Les Presses de
Sciences Po, 2009)

Bazin, Anna, and Charles Tenenbaum, L’union européenne et la paix, 2017


<http://www.cairn.info/l-union-europeenne-et-la-paix--9782724619652.htm>
[accessed 31 July 2018]

Blin, Arnaud, 1648, La Paix de Westphalie : Ou la naissance de l’Europe politique moderne


(Bruxelles: Editions Complexe, 2006)

Breault, Yann, Jacques Lévesque, and Pierre Jolicoeur, La Russie et son ex-empire :
Reconfiguration géopolitique de l’ancien espace soviétique (Paris: Presses de Sciences
Po, 2003)

Brzezinski, Zbigniew, Strategic Vision: America and the Crisis of Global Power (Basic
Books, 1674)

Page 440
Brzezinski, Zbigniew, The Choice: Global Domination or Global Leadership (New York:
Basic Books, 2004)

Buckley, Mary, and Robert Singh, The Bush Doctrine and the War on Terrorism: Global
Reactions, Global Consequences, 1 edition (New York, NY: Routledge, 2006)

Buruma, Ian, and Avishai Margalit, Occidentalism: The West in the Eyes of Its Enemies
(Penguin, 2005)

Carrere d’Encausse, Helene, La Russie Entre Deux Mondes (Pluriel, 2011)

Chaudet, Didier, Florent Parmentier, and Benoit Pelopidas, L’empire au miroir : Stratégies de
puissance aux Etats-Unis et en Russie (Librairie Droz, 2007)

Chomsky, Noam, Making the Future: Occupations, Interventions, Empire and Resistance
(Penguin UK, 2012)

Chomsky, Noam, Edward Herman, Benoît Eugène, Frédéric Cotton, and Dominique Arias, La
fabrication du consentement : De la propagande médiatique en démocratie, édition
revue et corrigée (Marseille: Agone, 2008)

Clausewitz, Carl von, De la guerre (Paris: Editions de Minuit, 1959)

Clinton, Hillary Rodham, and Kathleen Chalfant, Hard Choices, Abridged edition (New
York, N.Y.: Simon & Schuster Audio, 2014)

Clouet, Louis-Marie, Andreas Marchetti, Collectif, Thierry de Montbrial, and Ludger


Kühnhardt, L’Europe et le monde en 2020 : Essai de prospective franco-allemande
(Villeneuve d’Ascq: Presses Universitaires du Septentrion, 2011)

Clowes, Edith W., Russia on the Edge: Imagined Geographies and Post-Soviet Identity
(Ithaca, N.Y: Cornell University Press, 2011)

CONESA, Pierre, Dr. Saoud et Mr. Djihad (Paris: Robert Laffont, 2016)

Costadau, Fabienne, Mer de Barents un Nouvel Enjeu Geostrategique (Paris: Editions


L’Harmattan, 2011)

Council on Foreign Relations, ‘United States Army: The NATO-Russia Partnership: A


Marriage of Convenience or a Troubled Relationship?’, Council on Foreign Relations,
2016

Coutau-Bégarie, Hervé, L’Amérique solitaire ? : Les alliances militaires dans la stratégie des
Etats-Unis (Paris: Economica, 2009)

Dallago, Bruno, and Steven Rosefielde, Transformation and Crisis in Central and Eastern
Europe: Challenges and prospects (London ; New York: Routledge, 2016)

David, Charles-Philippe, Justin Vaïsse, and Louis Balthazar, La politique étrangère des Etats-
Unis : Fondements, acteurs, formulation (Paris: Les Presses de Sciences Po, 2008)

Page 441
Davutoglu, Ahmet, Stratejik Derinlik, 32 edition (Kure Yayinlari, 2001)

Dehousse, Renaud, Politiques européennes, 2009 <http://www.cairn.info/politiques-


europeennes--9782724611328.htm> [accessed 21 August 2018]

Diesen, Glenn, EU and NATO Relations with Russia: After the Collapse of the Soviet Union
(Farnham, Surrey, England ; Burlington, VT, USA: Routledge, 2015)

Donaldson, Robert H., and Joseph L. Nogee, The Foreign Policy of Russia: Changing
Systems, Enduring Interests, 2014, 5 edition (Armonk, New York: Routledge, 2014)

Dugot, Philippe, Jean-Michel Henriet, Gérard Loison, Georges Mutin, VINCENT


THEBAULT, and Roland Pourtier, Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, 4e
édition revue et augmentée (Nathan, 2014)

Dugot, Philippe, VINCENT THEBAULT, Claire Rocafort, Dominique Hamon, Gérard


Loison, Daniel Pierre-Elien, and others, Géopolitique de l’Europe, 4e édition revue et
augmentée (Nathan, 2014)

Dunn, David H., and Marcin Zaborowski, eds., Poland: A New Power in Transatlantic
Security, 1 edition (Routledge, 2004)

Edström, H., J. Matlary, and M. Petersson, eds., NATO: The Power of Partnerships, 1st ed.
2011 edition (S.l.: Palgrave Macmillan, 2011)

d’Encausse, Helene Carrere, L’Empire d’Eurasie : Une histoire de l’Empire russe de 1552 à
nos jours (Paris: Le Livre de Poche, 2008)

d’Encausse, Hélène Carrère, Victorieuse Russie, FAYARD. (Paris: Fayard, 1992)

Fedorovski, Vladimir, Poutine, l’itineraire secret (Monaco: Editions du Rocher, 2014)

Follebouckt, Xavier, Les conflits gelés de l’espace postsoviétique: Genèse et enjeux (Presses
universitaires de Louvain, 2013)

Foucher, Michel, Fronts et frontières : Un tour du monde géopolitique, Nouvelle édition


revue et augmentée (Paris: Fayard, 1991)

Fr.-B, Huyghe, maÎtres du faire croire: De la propagande à l’influence (Paris : Bry-sur-


Marne: vuibert, 2008)

Fröhlich, Stefan, The New Geopolitics of Transatlantic Relations: Coordinated Responses to


Common Dangers (Washington, D.C.: Woodrow Wilson Center Press, 2012)

Fukuyama, Francis, La fin de l’histoire et le dernier homme (Flammarion, 2009)

Gauchon, Pascal, Géopolitique de la France - Plaidoyer pour la puissance, 1st edn (Paris:
PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE - PUF, 2012)

Page 442
Gourdin, Patrice, and Yves Lacoste, Géopolitiques : Manuel pratique (Paris: Choiseul
Editions, 2010)

Gvosdev, Nikolas K., Russian Foreign Policy: Interests, Vectors, and Sectors (Los Angeles:
CQ Press, 2013)

Halper, Stefan, and Jonathan Clarke, America Alone: The Neo-Conservatives and the Global
Order, 1 edition (Cambridge University Press, 2004)

Hassner, Pierre, and Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance
(Paris: Editions Autrement, 2003)

Hast, Susanna, Spheres of Influence in International Relations: History, Theory and Politics
(Surrey, England ; Burlington, VT: Routledge, 2014)

Hayek, Friedrich A., Friedrich Hayek, and Georges Blumberg, La route de la servitude, 6e
edn (Paris: Presses Universitaires de France - PUF, 2013)

Hedenskog, Jakob, Vilhelm Konnander, Bertil Nygren, Ingmar Oldberg, and Christer
Pursiainen, eds., Russia as a Great Power: Dimensions of Security Under Putin, 1
edition (London; New York: Routledge, 2013)

Hellot-Bellier, Florence, Irène Natchkebia, and Collectif, La Géorgie entre Perse et Europe
(Paris: Editions L’Harmattan, 2009)

HECHT, Emmanuel, La Russie des Tsars : d’Ivan le Terrible à Vladimir Poutine (Perrin,
2016)

Hunter, Robert E., European Security and Defense Policy: NATO’s Companion or
Competitor? (RAND, 1999)

Huntington, Samuel, Le choc des civilisations (Paris: ODILEJACOB, 2009)

Ikenberry, G. John, After Victory – Institutions, Strategic Restraint, and the Rebuilding of
Order after Major Wars (Princeton: Princeton University Press, 2000)

Jabbour, Jana, and Bertrand Badie, La Turquie - L’invention d’une diplomatie émergente
(Paris: Cnrs, 2017)

Jowett, Garth, and Victoria O’Donnell, Propaganda & Persuasion, 6 edition (Thousand Oaks,
Calif: Sage Publications, 2014)

Jr, Joseph S. Nye, Soft Power: The Means To Success In World Politics, 1 edition (New York:
PublicAffairs, 2005)

Kagan, Robert, La Puissance et la Faiblesse (Paris: Plon - Omnibus, 2003)

Kant, Emmanuel, Michaël Foessel, and Laurence Hansen-Love, Vers la paix perpétuelle
(Paris: Hatier, 2013)

Page 443
Kaspi, André, and Jean-Baptiste Duroselle, Histoire des relations internationales : Tome 2,
De 1945 à nos jours, 15e édition revue et augmentée (Armand Colin, 2009)

Kastoueva-Jean, Tatiana, La Russie de Poutine en 100 questions (Paris: TALLANDIER,


2018)

Kempf, Olivier, and Pascal Vinchon, L’OTAN au XXIe siècle : La transformation d’un
héritage (Perpignan: Artège Editions, 2010)

Kerrey, Robert, and Robert A. Manning, The United States and Southeast Asia: A Policy
Agenda for a New Administration: Report of an Independent Task Force Sponsored by
the Council on Foreign Relations (Council on Foreign Relations Press, 2001)

Kindleberger, Charles, The World in Depression, 1929–1939, 40th Anniversary ed. (Berkeley,
Calif.: University of California Press, 2013)

Kissinger, Henry, Diplomacy, REPR edition (New York, NY: Simon & Schuster, 1995)

Kissinger, Henry, Does America Need a Foreign Policy? : Toward a Diplomacy for the 21st
Century, 1st edition (New York: Simon & Schuster, 2002)

Kissinger, Henry, World Order (Penguin Press, 2014)

Kissinger, Henry, Charles Kupchan, and Council on Foreign Relations, Renewing the Atlantic
Partnership: Report of an Independent Task Force Sponsored by the Council on
Foreign Relations (Council on Foreign Relations Press, 2004)

Klaus, Vaclav, Europe: The Shattering of Illusions (London ; New York: Bloomsbury
Continuum, 2012)

Klinkforth, Kristina, NATO in US Policymaking and Debate - an Analysis: ‘drawing the Map’
of the US Think Tank Debate on NATO Since 9/11 (Osteuropa-Inst., 2006)
<http://www.oei.fu-berlin.de/politik/publikationen/AP59.pdf>

Korybko, Andrew, Poland’s Place in Multipolarity, 2018

KOZIN, Vladimir, ‘Who Is Doing the Saber-Rattling in Eastern Europe?’, Oriental Review,
2016

Krabbendam, Hans, and Giles Scott-Smith, The Cultural Cold War in Western Europe, 1945-
60 (Routledge, 2004)

Machiavel, Nicolas, Paul Veyne, and Jacques Gohory, Le Prince (Folio, 2007)

Magnette, Paul, Le régime politique de l’Union Européenne. Quatrieme edition, 4e édition


revue et corrigée (PRESSES DE SCIENCES PO, 2017)

Page 444
Marchenko, Nataly, Russian Arctic Seas: Navigational Conditions and Accidents (Springer
Science & Business Media, 2012)

Marchi, Ludovica, Richard Whitman, and Geoffrey Edwards, Italy’s Foreign Policy in the
Twenty-first Century: A Contested Nature? (Routledge, 2017)

Mead, Walter Russell, Special Providence: American Foreign Policy and How it Changed the
World (ROUTLEDGE, 2002)

Miller, Robert J., Native America, Discovered and Conquered: Thomas Jefferson, Lewis &
Clark, and Manifest Destiny (Greenwood Publishing Group, 2006)

Miller, Robert J., and Elizabeth Furse, Native America, Discovered and Conquered: Thomas
Jefferson, Lewis and Clark, and Manifest Destiny (Lincoln: Bison Books, 2008)

Moniz-Bandeira, Luiz Alberto, The Second Cold War: Geopolitics and the Strategic
Dimensions of the USA (Springer, 2017)

Montbrial, Thierry de, and Thomas Gomart, Notre intérêt national: Quelle politique
étrangère pour la France (Paris: Odile Jacob, 2017)

Montbrial, Thierry, and Georges-Henri Soutou, La défense de l’Europe: Entre Alliance


atlantique et Europe de la défense (Paris: Hermann, 2015)

Nagle, Angela, Kill All Normies: Online Culture Wars From 4Chan And Tumblr To Trump
And The Alt-Right (Winchester, UK Washington, USA: Zero Books, 2017)

Nordlinger, Eric, Isolationism Reconfigured: American Foreign Policy for a New Century,
Revised ed. edition (Princeton, N.J: Princeton University Press, 1996)

Oswald, Franz, Europe and the United States: The Emerging Security Partnership
(Greenwood Publishing Group, 2006)

OZGUR, ADADAG, Les multiples facettes de l’Etat en Turquie (Paris: Editions


L’Harmattan, 2016)

Pannier, Alice, Chapitre 1. La relation bilatérale dans Manuel de diplomatie (Presses de


Sciences Po, 2018)

Patterson, Eric, Christianity and Power Politics Today: Christian Realism and Contemporary
Political Dilemmas (Springer, 2008)

Petersson, Magnus, The US NATO Debate: From Libya to Ukraine (Bloomsbury Academic
USA, 2015)

Petinos, Charalambos, Ou Va la Turquie Neo Ottomanisme et Islamo Conservatisme (Paris:


Editions L’Harmattan, 2013)

Pons, Frédéric, Poutine (Calmann-Lévy, 2014)

Page 445
Pouliot, Vincent, International Security in Practice: The Politics of NATO-Russia Diplomacy,
1 edition (Cambridge University Press, 2010)

Prontera, Andrea, The New Politics of Energy Security in the European Union and Beyond:
States, Markets, Institutions (Abingdon, Oxon ; New York, NY: Routledge, 2017)

Quermonne, Jean-Louis, and Jacques Delors, L’Union européenne dans le temps long (Paris:
Les Presses de Sciences Po, 2008)

Radvanyi, Jean, Les États postsoviétiques: Identités en construction, transformations


politiques, trajectoires économiques, 3e édition (Paris: Armand Colin, 2011)

Radvanyi, Jean, and Marlène Laruelle, La Russie - Entre peurs et défis (Armand Colin, 2016)

Raher, Rémi, and Cyril Maré, Géopolitique de l’Arctique : La terre des ours face à l’appétit
des nations, 1re edn (Paris: Editions L’Harmattan, 2014)

Rangsimaporn, P., Russia as an Aspiring Great Power in East Asia: Perceptions and Policies
from Yeltsin to Putin (Springer, 2009)

Rey, Marie-Pierre, La Russie face à l’Europe : D’Ivan le Terrible à Vladimir Poutine (Paris:
Flammarion, 2016)

Riasanovsky, Nicholas V., Françoise THOM, and André Berelowitch, Histoire de la Russie
(Paris: Bouquins, 2014)

Royal, Benoit, La guerre pour l’opinion publique (Paris: Economica, 2012)

Rowan, Roy, Intuition et management (Paris: Rivages, 1987)

Rupnik, Jacques, Géopolitique de la démocratisation : L’Europe et ses voisinages (Paris: Les


Presses de Sciences Po, 2014)

Schmitt, Carl, Le nomos de la Terre, 2nd edn (Paris: Presses Universitaires De France - PUF,
2012)

Serfaty, Simon, Visions of the Atlantic Alliance: The United States, the European Union, and
NATO (Washington, D.C.: CSIS Press, 2005)

Sherr, James, Hard Diplomacy and Soft Coercion: Russia’s Influence Abroad (London: Royal
Institute of International Affairs, 2013)

Sidani, Soraya, Integration et déviance au sein du système international (Presses de Sciences


Po, 2014)

Sloan, Stanley R, Permanent Alliance?: NATO and the Transatlantic Bargain from Truman to
Obama (New York: Continuum, 2010)

Sokoloff, Georges, Le Retard russe (Fayard, 2014)

Sorman, Guy, La révolution conservatrice américaine, Fayard (Paris: Fayard, 1983)

Page 446
Stein, Aaron, Turkey’s New Foreign Policy: Davutoglu, the AKP and the Pursuit of Regional
Order (Routledge, 2015)

Stent, Angela, The Limits of Partnership - U.S.-Russian Relations in the Twenty-First Century
(Princeton University Press, 2014)

Stent, Angela, The Limits of Partnership - U.S.-Russian Relations in the Twenty-First Century
(Princeton, New Jersey: Princeton University Press, 2014)

Stone, Oliver, Qarie Marshall, Pete Cross, Lesa Lockford, and Chris Lutkin, The Putin
Interviews: Oliver Stone Interviews Vladimir Putin, Unabridged (Dreamscape Media
Llc, 2017)

Szabo, Stephen F., Germany, Russia, and the Rise of Geo-Economics (London: Bloomsbury
Academic, 2015)

Tardy, Thierry, Gestion de crise, maintien et consolidation de la paix : Acteurs, activités,


défis, Première édition (Bruxelles: De Boeck universite, 2009)

Thatcher, Margaret, The Downing Street Years (London: HarperPress, 2012)

Tinguy, Anne De, Moscou Et Le Monde : L’ambition De La Grandeur Une Illusion (Paris:
Autrement, 2008)

Tocqueville, Alexis de, De la démocratie en Amérique ... Orné d’une carte d’Amérique.
Seconde édition, 1850

Trump, Donald J., and Tony Schwartz, Trump: The Art of the Deal, Reprint edition
(Ballantine Books, 2009)

Tsygankov, Whose World Order: Russia’s Perception of American Ideas after the Cold War,
1 edition (Notre Dame, Ind: University of Notre Dame Press, 2004)

Tsygankov, Andrei, Vladimir Putin’s Vision of Russia as a Normal Great Power, 2005, XXI
<https://doi.org/10.2747/1060-586X.21.2.132>

Tsygankov, Andrei P., Russia’s Foreign Policy: Change and Continuity in National Identity,
2nd Revised edition (Lanham, Md: Rowman & Littlefield Publishers, 2010)

Tufekci, Ozgur, The Foreign Policy of Modern Turkey: Power and the Ideology of
Eurasianism (I.B.Tauris, 2017)

US Government, US Military, Department of Defense, and U. S. Air Force, The Future of


NATO - Russian Relations - or How to Dance with a Bear and Not Get Mauled,
Vladimir Putin, Former Soviet Union and Warsaw Pact States, OSCE, Response and
Perspectives, Road to Rome (Progressive Management, 2016)

Valantin, Jean-Michel, Hollywood, le Pentagone et le monde : Les trois acteurs d’une


stratégie globale (Paris: Editions Autrement, 2010)

Page 447
Vandal, Gilles, La doctrine Obama : Fondements et aboutissements (Québec: Presses de
l’Université du Québec, 2012)

Vandal, Gilles, Obama face à Poutine Deux visions réalistes du monde (Athéna, 2015)

Vidal, Dominique, Bertrand BADIE, and Philippe REKACEWICZ, Qui Gouverne Le


Monde ?, La Découverte, 2016

VIVIANE, DU CASTEL, Choix énergétiques : quels enjeux? (Paris: Editions L’Harmattan,


2015)

Ouvrages sur l'école réaliste

Aron, Raymond, Paix et guerre entre nations (Paris: CALMANNLEV, 2004)

Aron, Raymond, Penser la guerre , Clausewitz, tome 2 (Paris: Gallimard, 2009)

Aron, Raymond, Penser la guerre, Clausewitz, tome 1, Bibliothèque dees sciences humaines
(Paris: Gallimard, 1976)

Brzezinski, Zbigniew, Le grand échiquier (Fayard/Pluriel, 2011)

Chauprade, Aymeric, Chronique du choc des civilisations, 4e édition revue et augmentée


(Paris: CHRONIQUE, 2015)

Donnelly, Jack, Realism and International Relations (Cambridge University Press, 2000)

Havel, Vaclav, Lech Walesa, and Josef Antall, ‘The Visegrad Group: The Czech Republic,
Hungary, Poland and Slovakia | Visegrad Declaration 1991’, 2006
<http://www.visegradgroup.eu/documents/visegrad-declarations/visegrad-declaration-
110412> [accessed 6 May 2019]

Hobbes, Thomas, Leviathan (CreateSpace Independent Publishing Platform, 2017)

Kissinger, Henry A., Le Chemin de La Paix, Denoël edition (Denoel, 1972)

Machiavel, Nicolas, Discours sur la première décade de Tite-Live (CreateSpace Independent


Publishing Platform, 2015)

Machiavel, Nicolas, Le Prince (Paris: Le Livre de Poche, 2000)

Mackinder, Halford John, Democratic Ideals and Reality: A Study in the Politics of
Reconstruction (Forgotten Books, 2017)

Mackinder, Sir Halford J., The Geographical Pivot of History, ed. by B. McCahill
(Independently published, 2017)

Page 448
Mitzen, Jennifer, Power in Concert: The Nineteenth-Century Origins of Global Governance
(University of Chicago Press, 2013)

Morgenthau, Hans J., Kenneth W. Thompson, and David Clinton, Politics Among Nations, 7
edition (Boston: McGraw-Hill Education, 2005)

Niebuhr, Reinhold, Christian Realism and Political Problems, First Edition edition (Scribner,
1953)

Niebuhr, Reinhold, and Cornel West, Moral Man and Immoral Society: A Study in Ethics and
Politics, 2 edition (Louisville, KY: Westminster John Knox Press, 2013)

Patterson, Richard North, Balance of Power (New York: Random House Large Print, 2003)
<http://www.tandfebooks.com/isbn/9780203344613> [accessed 20 November 2017]

Sheehan, Michael, The Balance Of Power: History & Theory (Routledge, 2004)

Spykman, Nicholas John, The Geography of the Peace (Harcourt, Brace and Company, 1944)

Weber, Dominique, Hobbes et le désir des fous: rationalité, prévision et politique (Presses
Paris Sorbonne, 2007)

Zajec, Olivier, and Olivier Forcade, Nicholas John Spykman, l’invention de la géopolitique
américaine : Un itinéraire intellectuel aux origines paradoxales de la théorie réaliste
des relations internationales (PU Paris-Sorbonne, 2016)

Manuels

Amilhat-Szary, Anne-Laure, Jacques Chevalier, Martine Guibert, Marie-Gabrielle Lachmann,


Elodie Salin, Frédéric Leriche, and others, Géopolitique des Amériques (Nathan, 2014)

Anquetil, Nicole, Gilles BOQUERAT, VINCENT THEBAULT, Gabriel Weissberg, and


Philippe Pelletier, Géopolitique de l’Asie, 4e édition revue et augmentée (Nathan,
2014)

Battistella, Dario, Théorie des relations internationales, 4e édition revue et augmentée


(PRESSES DE SCIENCES PO, 2012)

Baylis, John, Steve Smith, Patricia Owens, Afef Benessaieh, and Serge Paquin, La
globalisation de la politique mondiale : Une introduction aux relations internationales
(Montréal: Editions Modulo, 2011)

Boniface, Pascal, L’Année stratégique 2014: Analyse des enjeux internationaux (Armand
Colin, 2013)

Boniface, Pascal, L’Année stratégique 2015. Analyse des enjeux internationaux (Paris:
Armand Colin, 2014)

Page 449
Boniface, Pascal, L’année stratégique 2017 - Analyse des enjeux internationaux, édition 2017
(Armand Colin, 2016)

Boniface, Pascal, and Hubert Védrine, Atlas des crises et des conflits - 3e éd., 3e édition
(Armand Colin, 2016)

Boniface, Pascal, and Hubert Védrine, Atlas du monde global - 3e éd. - 100 cartes pour
comprendre un monde chaotique, 3e édition (Armand Colin, 2015)

Chauprade, Aymeric, Chronique du choc des civilisations, 4e édition revue et augmentée


(CHRONIQUE, 2015)

Chauprade, Aymeric, Géopolitique : Constantes et Changements dans l’Histoire, 3e édition


revue et augmentée (Ellipses Marketing, 2007)

Chauprade, Aymeric, and François Thual, Dictionnaire de géopolitique : Etats, concepts,


auteurs (Ellipses Marketing, 1998)

Collectif, Atlas socio-économique des pays du monde 2015, édition 2015 (Larousse, 2014)

Delcour, Laure, Arnaud Dubien, and Philippe Migault, ‘L’onde de Choc Ukrainienne’, Année
Stratégique 2015, 2014, pp. 485–91

Drain, Michel, Relations internationales, 20e édition (Larcier, 2015)

Drain, Michel, Relations internationales, 19e édition (Bruxelles: Larcier, 2017)

Dugot, Philippe, Jean-Michel Henriet, Gérard Loison, Georges Mutin, VINCENT


THEBAULT, and Roland Pourtier, Géopolitique de l’Afrique et du Moyen-Orient, 4e
édition revue et augmentée (Nathan, 2014)

Dugot, Philippe, VINCENT THEBAULT, Claire Rocafort, Dominique Hamon, Gérard


Loison, Daniel Pierre-Elien, and others, Géopolitique de l’Europe, 4e édition revue et
augmentée (Nathan, 2014)

Gounelle, Max, and Marie-Pierre Lanfranchi, Relations internationales - 11e éd., 11e édition
(Dalloz, 2015)

Gourdin, Patrice, and Yves Lacoste, Géopolitiques : Manuel pratique (Choiseul Editions,
2010)

Guilhaudis, Jean-François, Relations internationales contemporaines, 2e édition (Lexis Nexis,


2005)

Guilhaudis, Jean-François, Relations internationales contemporaines, 3e edition (Lexis Nexis,


2010)

Hervé, Coutau-Bégarie, and Motte Martin, Approches de la Géopolitique - De l’Antiquité au


XXIe siècle (Economica, 2013)

Page 450
I.F.R.I, Thierry Montbrial, and Philippe Moreau Defarges, Ramses 2011: Un monde post-
américain ?, édition 2011 (Dunod, 2010)

Lacoste, Yves, Atlas géopolitique (Larousse, 2013)

Lacoste, Yves, Géopolitique (Larousse, 2012)

Lacoste, Yves, Géopolitique de la Méditerranée (Armand Colin, 2006)

Lagane, Guillaume, Théorie des Relations Internationales des Idées aux États (Paris: Ellipses
Marketing, 2016)

O’Meara, Dan, and Alex Macleod, Théories des relations internationales : Contestations et
résistances (Montréal: Athéna éditions, 2007)

Roche, Jean-Jacques, Théories des relations internationales, 8e édition (Montchrestien, 2010)

Senarclens, Pierre, and Yohan Ariffin, La politique internationale - Théories et enjeux


contemporains, 6e édition (Armand Colin, 2010)

Textes officiels
Bush, George W., The National Security Strategy of the United States of America (executive
office of the president washington dc, executive office of the president washington dc,
September 2002) <http://www.dtic.mil/docs/citations/ADA406411> [accessed 2 October
2017]

Chirac, Jacques, and Tony Blair, ‘Déclaration franco-britannique de Saint-Malo (4 décembre


1998)’, 2015
<https://www.cvce.eu/obj/declaration_franco_britannique_de_saint_malo_4_decembr
e_1998-fr-f3cd16fb-fc37-4d52-936f-c8e9bc80f24f.html> [accessed 22 August 2018]

Clinton, William, ‘A NATIONAL SECURITY STRATEGY’, 1994


<http://www.dtic.mil/docs/citations/ADA533544> [accessed 13 October 2017]

Clinton, William, ‘The Clinton Presidency: A Foreign Policy for the Global Age’
<https://clintonwhitehouse5.archives.gov/WH/Accomplishments/eightyears-10.html>
[accessed 27 November 2017]

Commission au Conseil européen, ‘Communication de la Commission au Conseil européen


de juin 2006 - L’ Europe dans le monde - Propositions concrètes visant à renforcer la
cohérence, l’efficacité et la visibilité’, 11

Conseil de sécurité de l’ONU, ‘Le Conseil de Sécurité Impose Des Sanctions Contre Le
Régime de Qadhafi à La Suite de La Répression Meurtrière En Libye | Couverture Des

Page 451
Réunions & Communiqués de Presse’
<https://www.un.org/press/fr/2011/CS10187.doc.htm> [accessed 20 August 2017]

———, ‘Libye: Le Conseil de Sécurité Décide d’instaurer Un Régime d’exclusion Aérienne


Afin de Protéger Les Civils Contre Des Attaques Systématiques et Généralisées |
Couverture Des Réunions & Communiqués de Presse’
<https://www.un.org/press/fr/2011/CS10200.doc.htm> [accessed 20 August 2017]

Conseil européen, ‘Helsinki Conseil Européen 10-11.12.1999: Conclusions de La Présidence


- Conseil Européen Helsinki 10-11.12.1999: Conclusions de La Présidence’
<http://www.europarl.europa.eu/summits/hel1_fr.htm> [accessed 22 August 2018]

‘EUR-Lex - R17002 - EN - EUR-Lex’, Eur-Lex (European Union Law) <https://eur-


lex.europa.eu/legal-content/FR/ALL/?uri=URISERV:r17002> [accessed 18 August
2018]

CHIRAC Jacques, ‘Déclaration commune des chefs d’Etat et de gouvernement d’Allemagne,


de France, du Luxembourg et de Belgique, sur l’intégration de la défense européenne
dans les institutions communautaires, la mise en place d’une Union européenne de
sécurité et de défense (UESD) et le renforcement des moyens de la défense
européenne en coopération avec l’OTAN, Bruxelles le 29 avril 2003.’, 2003
<http://discours.vie-publique.fr/notices/032000095.html> [accessed 22 August 2018]

LE MAIRE Bruno, ‘Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l’économie et des


finances, sur la construction européenne, à Paris le 10 avril 2019.’,
<http://discours.vie-publique.fr/notices/193000818.html> [accessed 17 June 2019]

Macron, Emmanuel, ‘Initiative pour l’Europe - Discours d’Emmanuel Macron pour une
Europe souveraine, unie, démocratique.’, elysee.fr

Medvedev, Dmitry, ‘THE FOREIGN POLICY CONCEPT OF THE RUSSIAN


FEDERATION’
<http://www.russianmission.eu/userfiles/file/foreign_policy_concept_english.pdf>
[accessed 10 April 2017]

Merkel, Angela, ‘Bundeskanzlerin | Government Statement Delivered by Chancellor Angela


Merkel on the EU’s Eastern Partnership Summit to Be Held on 28/29 November 2013
in Vilnius’, The Federal Chancellor
<https://www.bundeskanzlerin.de/ContentArchiv/EN/Archiv17/Regierungsrerkl%C3
%A4rung/2013-11-18-merkel-oestl-partnerschaften.html> [accessed 26 June 2018]

Merkel, Angela, and Ursula Von der Leyen, ‘White Paper on German Security Policy and the
Future of the Bundeswehr’, The German Marshall Fund of the United States, 2016
<http://www.gmfus.org/publications/white-paper-german-security-policy-and-future-
bundeswehr> [accessed 26 June 2018]

Ministère des affaires étrangères russes, ‘Doctrine of Information Security of the Russian
Federation’ <http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/2563163> [accessed 10 February 2017]

Page 452
———, ‘Foreign Policy Concept of the Russian Federation (Approved by President of the
Russian Federation Vladimir Putin on November 30, 2016)’
<http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/2542248> [accessed 10 February 2017]

———, ‘Joint Statement by Iran, Russia and Turkey on the International Meeting on Syria in
Astana, 14-15 May 2018’ <http://www.mid.ru/foreign_policy/news/-
/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/3224470> [accessed 24 October 2018]

———, ‘NATIONAL SECURITY CONCEPT OF THE RUSSIAN FEDERATION’


<http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/589768> [accessed 10 February 2017]

———, ‘Декларация Российской Федерации и Китайской Народной Республики о


Повышении Роли Международного Права (Déclaration de La Fédération de Russie
et La République Populaire de Chine Sur Le Renforcement Du Rôle Du Droit
International)’ <http://www.mid.ru/foreign_policy/position_word_order/-
/asset_publisher/6S4RuXfeYlKr/content/id/2331698> [accessed 10 February 2017]

———, ‘План Деятельности Министерства Иностранных Дел Российской Федерации


На Период До 2018 Года. (Plan Du Ministère Des Affaires Étrangères de La
Fédération de Russie Pour La Période Allant Jusqu’en 2018)’
<http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/102086> [accessed 10 February 2017]

———, ‘Стратегия Национальной Безопасности Российской Федерации До 2020 Года


(La Stratégie de Sécurité Nationale de La Fédération de Russie Jusqu’en 2020)’
<http://www.mid.ru/foreign_policy/official_documents/-
/asset_publisher/CptICkB6BZ29/content/id/294430> [accessed 10 February 2017]

Nations Unies, ‘La Charte Des Nations Unies | Nations Unies’


<https://www.un.org/fr/charter-united-nations/index.html> [accessed 20 August 2017]

———, ‘United Nations Treaty Collection’


<https://treaties.un.org/pages/ViewDetailsIII.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=XXI-
6&chapter=21&Temp=mtdsg3&clang=_fr> [accessed 13 September 2018]

Obama, Barack, National Security Strategy of the United States (2010) (Diane Publishing,
2010)
<http://books.google.com/books?hl=en&lr=&id=cczpd0q7Z4sC&oi=fnd&pg=PA35&
dq=%22stitched+the+fate+of+nations+together%3B+and+more+individuals+can+det
ermine+their+own+destiny.+Yet%22+%22a+war+against+al-
Qa%E2%80%99ida+and+its+affiliates,+decided+to+fight+a+war+in+Iraq,+and+conf
ronted+a%22+&ots=ioE-FXXdqR&sig=V39fIq2zam_6UKZiMumykl1kYjI>
[accessed 2 October 2017]

———, ‘U.S.-Russia Relations: “Reset” Fact Sheet’, Whitehouse.Gov, 2010


<https://obamawhitehouse.archives.gov/the-press-office/us-russia-relations-reset-fact-
sheet> [accessed 23 April 2018]

Page 453
OTAN, ‘A Short History of NATO’, NATO
<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_85928.htm> [accessed 15 February 2016]

OTAN, ‘Comité militaire’, NATO <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49633.htm>


[accessed 20 February 2019]

OTAN ‘Communiqué Du Sommet de Varsovie - Publié Par Les Chefs d’État et de


Gouvernement Participant à La Réunion Du Conseil de l’Atlantique Nord Tenue à
Varsovie Les 8 et 9 Juillet 2016’, NATO
<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_133169.htm> [accessed 10 April
2017]

OTAN, ‘Communiqué du Sommet de Varsovie - publié par les chefs d’État et de


gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à
Varsovie les 8 et 9 juillet 2016’, NATO
<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_133169.htm> [accessed 13 October
2018]

OTAN, ‘Conseil de l’Atlantique Nord’, NATO


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49763.htm> [accessed 18 February 2019]

OTAN, ‘Conseil OTAN-Russie’, OTAN


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_50091.htm> [accessed 23 February 2019]

OTAN, ‘Déclaration du sommet de Lisbonne publiée par les chefs d’État et de gouvernement
participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue à Lisbonne le 20
novembre 2010’, NATO <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_68828.htm>
[accessed 13 October 2018]

OTAN, ‘Déclaration du sommet du Pays de Galles publiée par les chefs d’État et de
gouvernement participant à la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord tenue au pays
de Galles’, NATO <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_112964.htm>
[accessed 13 October 2018]

OTAN, ‘Élargissement’, NATO <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_49212.htm>


[accessed 22 February 2019]

OTAN, ‘Founding Act on Mutual Relations, Cooperation and Security between NATO and
the Russian Federation Signed in Paris, France’, NATO
<http://www.nato.int/cps/en/natohq/official_texts_25468.htm> [accessed 10 April
2017]

OTAN, ‘Le Traité de l’Atlantique Nord’, NATO, 1949


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_17120.htm> [accessed 22 June
2018]

OTAN, ‘Les relations OTAN-Russie : une qualité nouvelle - Déclaration des Chefs d’Etat et
de gouvernement des Etats membres de l’OTAN et de la Fédération de Russie’,
NATO, 2002 <http://www.nato.int/cps/fr/natohq/official_texts_19572.htm> [accessed
23 February 2019]

Page 454
OTAN, ‘L’OTAN et Le Pacte de Varsovie. Comparaison Des Forces En Présence. Dossier de
Presse - Archives de l’OTAN En Ligne’ <http://archives.nato.int/lotan-et-le-pacte-de-
varsovie-comparaison-des-forces-en-presence-dossier-de-presse;isad?sf_culture=fr>
[accessed 18 February 2019]

OTAN, ‘NATO - Topic: Commandement Allié Transformation (ACT)’


<https://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_52092.htm#> [accessed 23 February
2019]

OTAN, ‘NATO 2020: Assured Security; Dynamic Engagement’, NATO


<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_85961.htm> [accessed 15 February 2016]

OTAN, ‘NATO Member and Partner Countries’, NATO


<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_81136.htm> [accessed 15 February 2016]

OTAN, ‘North Atlantic Treaty’, NATO


<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_89597.htm> [accessed 15 February 2016]

OTAN, ‘OTAN Communiqué de Presse (2006)0150 - 29 November 2006’


<https://www.nato.int/docu/pr/2006/p06-150f.htm> [accessed 5 February 2018]

OTAN, ‘OTAN: Revue de l’OTAN - No 6 - 1991’


<https://www.nato.int/docu/revue/1991/9106-01.htm> [accessed 22 February 2019]

OTAN, ‘Comment Poutine Utilise La Défense Antimissile En Europe Pour Détourner


l’attention Des Électeurs Russes’, Revue de l’OTAN
<http://www.nato.int/docu/review/2015/Russia/Ballistic-Missile-Defence-
Putin/FR/index.htm> [accessed 31 March 2016]

Paul, Rand, ‘Foreign Policy and Defense’, Rand Paul Kentucky US Senator
<https://www.randpaul.comforeign-policy-and-defense> [accessed 8 October 2017]

Paul, Ron, ‘Foreign Policy’ <https://www.ronpaul.com/national-defense/> [accessed 8


October 2017]
Poutine, Vladimir, ‘Address to the Federal Assembly’, 2011
<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/14088> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir, ‘Address to the Federal Assembly’, 2012


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/17118> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir ‘Address to the Federal Assembly of the Russian Federation’, 2008
<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/1968> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir ‘Interview to Bloomberg’, President of Russia, 2016


<http://en.kremlin.ru/events/president/news/52830> [accessed 22 May 2017]

Page 455
Poutine, Vladimir ‘Meeting of the Valdai International Discussion Club’, President of Russia
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/55882> [accessed 23 April 2018]

Poutine, Vladimir, ‘Meeting Today with the Heads of the Government and State Duma,
Regional Governors and Leaders of Major Public Organisations President of Russia
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/29026> [accessed 23 April 2018]

Poutine, Vladimir ‘Plenary Session of St Petersburg International Economic Forum’,


President of Russia <http://en.kremlin.ru/events/president/news/60707> [accessed 16
June 2019]

Poutine, Vladimir, ‘Presidential Address to the Federal Assembly’, 2013


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/19825> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir, ‘Presidential Address to the Federal Assembly’, 2014


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/47173> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir, ‘Presidential Address to the Federal Assembly’, 2015


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/50864> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir ‘Presidential Address to the Federal Assembly’, 2016


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/53379> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir ‘Presidential Address to the Federal Assembly of the Russian Federation’,
2009 <http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/5979> [accessed 15
February 2017]

Poutine, Vladimir, ‘Presidential Address to the Federal Assembly of the Russian Federation’,
2010 <http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/9637> [accessed 15
February 2017]

Poutine, Vladimir, ‘Vladimir Putin’s Annual News Conference’, 2016


<http://en.kremlin.ru/events/president/transcripts/copy/53573> [accessed 15 February
2017]

Poutine, Vladimir, ‘Address by President of the Russian Federation’, President of Russia


<http://en.kremlin.ru/events/president/news/20603> [accessed 15 August 2017]

Poutine, Vladimir, ‘Discours de Vladimir Poutine Prononcé Le 10 Février à La Conférence de


Munich Sur La Sécurité (Texte Intégral)’, Alterinfonet.Org Agence de Presse
Associative <http://www.alterinfo.net/Discours-de-Vladimir-Poutine-prononce-le-
10-fevrier-a-la- Conference-de-Munich-sur-la-securite-texte-
integral_a6513.html> [accessed 14 August 2017]

Page 456
Poutine, Vladimir, ‘Meeting of the Valdai International Discussion Club’, President of Russia
<http://en.kremlin.ru/events/president/news/55882> [accessed 23 April 2018]

Poutine, Vladimir, ‘Plenary Session of St Petersburg International Economic Forum’,


President of Russia <http://en.kremlin.ru/events/president/news/60707>
[accessed 16 June 2019]
Poutine, Vladimir, ‘Poutine : La Division de l’Europe Subsiste, Le Mur s’est Simplement
Déplacé Vers l’Est’, RT En Français <https://francais.rt.com/international/13667-
poutine--division-l europe-subsiste> [accessed 14 August 2017]
Poutine, Vladimir, ‘To Change the Situation for the Better We Must Make Russia Stronger –
Putin to FSB’, RT International <https://www.rt.com/politics/244269-putin-fsb-
stronger- russia/> [accessed 14 August 2017]
Poutine, Vladimir, ‘Vladimir Putin Gave an Interview to Qatar’s Al-Jazeera TV Channel’,
President of Russia <http://en.kremlin.ru/events/president/news/29568>
[accessed 15 August 2017]
Poutine, Vladimir, ‘Vladimir Putin’s Interview with Le Figaro • President of Russia’,
President of Russia <http://en.kremlin.ru/events/president/news/54638> [accessed 7
June 2017]

Rasmussen, Anders Fogh, ‘Rapport Du Secrétaire Général 2011’, NATO


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_83731.htm> [accessed 31 March 2016]

Rasmussen, Anders Fogh, ‘Rapport Du Secrétaire Général 2012’, NATO


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_94279.htm> [accessed 31 March 2016]

Rasmussen, Anders Fogh, ‘Rapport Du Secrétaire Général 2013’, NATO


<http://www.nato.int/cps/fr/natohq/topics_106378.htm> [accessed 31 March 2016]

Rasmussen, Anders Fogh, ‘Secretary General’s Annual Report 2014’, NATO


<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_116957.htm> [accessed 15 February 2016]

Stoltenberg, Jen ‘Secretary General’s Annual Report 2015’, NATO


<http://www.nato.int/cps/en/natohq/topics_127529.htm> [accessed 15 February 2016]

State Statistics Service of Ukraine, ‘Produit Régional Brut d’ukraine’


<http://www.ukrstat.gov.ua/operativ/operativ2008/vvp/vrp/vrp2008_u.htm> [accessed
5 October 2018]

Trump, Donald J., ‘Read Donald Trump’s Remarks at the Three Seas Initiative Summit in
Poland’, Time <http://time.com/4846780/read-donald-trump-speech-warsaw-poland-
transcript/> [accessed 28 November 2018]

Page 457
Trump, Donald J., ‘Remarks by President Trump to the People of Poland’, The White House
<https://www.whitehouse.gov/briefings-statements/remarks-president-trump-people-
poland/> [accessed 28 November 2018]

Articles
Sur le réalisme

Aron, Raymond, ‘Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ?’, Revue française de
science politique, 17.5 (1967), 837–61

Châton, Gwendal, ‘Pour un « machiavélisme postkantien »: Raymond Aron, théoricien


réaliste hétérodoxe’, Études internationales, 43.3 (2012), 389

Haine, Jean-Yves, ‘Diplomacy : la cliopolitique selon Henry Kissinger. Partie 1’, Cultures &
Conflits, 19–20, 1995

Heath, Edward, ‘Realism in British Foreign Policy’, Foreign Affairs, 1 October 1969

Hoffmann, Stanley, ‘Raymond Aron et la théorie des relations internationales’, Politique


étrangère, Hiver.4 (2006), 723–34

Kervégan, Jean-François, ‘Carl Schmitt et « l’unité du monde »’, Les Études philosophiques,


68, 2004, 3–23

Lacoste, Yves, ‘« Le pivot géographique de l’histoire » : une lecture critique, « The
geographical pivot of history », a critical reading’, Hérodote, 146–147, 2012, 139–58

Leung, Janice, ‘Machiavelli and International Relations Theory’, Glendon Journal of


International Studies / Revue d’études Internationales de Glendon, 1.0 (2000)

Meinig, Donald W., ‘Heartland and Rimland in Eurasian History’, The Western Political
Quarterly, 9.3 (1956), 553–69

‘Spykman’, VOULOIR <http://www.archiveseroe.eu/spykman-a126023748> [accessed 21


December 2017]

Page 458
Storme, Tristan, ‘Carl Schmitt et le débat français sur la construction européenne. Examen
d’une actualité, de droite à gauche’, in La constitution de Weimar et la pensée
juridique française (Editions Kimé, 2011), pp. 169–96

Sur, Serge, ‘Relations Internationales : Le Monde Selon Raymond Aron’, Diploweb

Vandal, Gilles, ‘L’ironie Chez Barack Obama’, Perspective Monde

Wyatt-Walter, Andrew, ‘Adam Smith and the Liberal Tradition in International Relations’,
Review of International Studies, 22.1 (1996), 5–28

Zajec, Olivier, ‘« Je ne crois pas que l’on puisse diviser le monde en bons et en méchants » :
Nicholas Spykman et l’influence réelle du codage géopolitique sur la stratégie
américaine de containment’, Relations internationales, 162, 2015, 95–110

Sur l'introduction

Agliastro, Giuseppe, ‘Global warming is transforming Russia in an agricultural superpower’,


LaStampa.it

Aron, Raymond, ‘Qu’est-ce qu’une théorie des relations internationales ?’, Revue française de
science politique, 17.5 (1967), 837–61

Berg, Eugène, and Jean-François Daguzan, ‘Situation et perspectives de l’économie russe’,


Geoeconomie, N° 78.1 (2016), 75–89

Besson, Oscar, ‘Russie : les services secrets retournent à la machine à écrire’, Le Point, 2013

CCI France International, ‘La Russie en bref’, CCI France International

Dumont, Gérard-François, ‘LA POPULATION DE LA FRANCE EN 1993’, 9

ECHINARD, Yann, and Laetitia GUILHOT, ‘Le « nouveau régionalisme ». De quoi parlons-
nous ?’, AFRI 2007, 2008

Encyclopedia Britannica, ‘International Relations | Politics’, Encyclopedia Britannica

Gouline, Konstantin, and Vladimir Iline, ‘Le niveau de vie en Russie 1991-2004’, Le
Courrier des pays de l’Est, n° 1051.5 (2005), 42–56

Hubert-rodier, Jacques, ‘Nucléaire : Trump et Poutine sur le sentier d’une nouvelle guerre
froide’, Les Echos, 2019

Human Development Reports, ‘Russian Federation Human Development Indicators’, Human


Development Reports

Inkina, Svetlana, ‘Bureaucratic Reform and Russian Transition: The Puzzles of Policy-
Making Process’, Palgrave Communications, 5.1 (2019), 30

Page 459
Kempf, Olivier, ‘De La Différence Entre Géopolitique et RI - Egeablog’

Kinyakin, Andrey A., ‘Les oligarques dans la Russie contemporaine : de la « capture » de


l’État à leur mise sous tutelle’, Revue internationale de politique comparee, Vol. 20.3
(2013), 115–31

OTAN, ‘Dix-neuf pays - membres de l’OTAN et partenaires - concluent l’exercice Saber


Strike 2018’, NATO

Nelson, Eshe, ‘Secret Papers Reveal Margaret Thatcher Feared Germany’s Power and Looked
to Russia as an Ally’, Quartz

ONU, ‘Table 3 - Population by Sex, Annual Rate of Population Increase, Surface Area and
Density’, Demographic Yearbook, UNSD — Demographic and Social Statistics, 2017

Paillard, Christophe-Alexandre, ‘La question des minerais stratégiques, enjeu majeur de la


géoéconomie mondiale’, Geoeconomie, n° 59.4 (2011), 17–32

Perspectives economiques de l’OCDE, ‘Chapitre 3. Évolutions dans certaines économies non


membres’, Perspectives economiques de l’OCDE, N° 94.2 (2013), 225–46

Poncet, Guerric, ‘La Russie lance le plus grand exercice militaire de son histoire’, Le Point,
2018

Richard, Hélène, ‘La nouvelle guerre froide’, Le Monde diplomatique, 2018

Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale, ‘Protéger Le Secret de La Défense


et de La Sécurité Nationale’

Védrine, Hubert, ‘Les États-Unis : hyperpuissance ou empire ?’, Cites, n° 20.4 (2004), 139–51

VERCUEIL, Julien, and Laurent CHAMONTIN, ‘Géopolitique. La Russie : Réalités et


Perspectives Économiques’, Diploweb

Washington post, ‘Putin Says “Why Not?” to Russia Joining NATO’, Washington Post, 6
March 2000

Sur les visions politiques américaines et russes

Armstrong, Hamilton Fish, ‘Datum Point’, Foreign Affairs, 1 October 1943

Battistella, Dario, ‘La notion d’empire en théorie des relations internationales’, Questions
internationales, 26.Les empires (2007), 27–32

Page 460
Benjamin, Medea, ‘America Dropped 26,171 Bombs in 2016. What a Bloody End to
Obama’s Reign | Medea Benjamin’, The Guardian, 9 January 2017, section Opinion

Bertr, Gar, and eau, ‘La Géographie Sacrée de Douguine : La Russie Au Coeur de La
Tradition’, PHILITT

Blyth, Mark, ‘Global Trumpism’, Foreign Affairs, 15 November 2016

Boco, Francesco, ‘Alexandre Douguine et Le Néo-Eurasisme Russe, Unissent Thiriart et


Evola’

Brustlein, Corentin, ‘Clausewitz et l’équilibre de l’offensive et de la défensive’, Stratégique,


97–98, 2009, 95–122

Bühler, Pierre, ‘Les États-Unis et le droit international’, Commentaire, Numéro 103.3 (2003),
549–62

Chillaud, Matthieu, ‘Les pays baltes : un modèle pour l’intégration ?’, Politique étrangère,
Automne.3 (2009), 517–27

Clover, Charles, ‘The Unlikely Origins of Russia’s Manifest Destiny’, Foreign Policy

Cook, Samuel J., ‘The Crimean Crisis and International Law: A Realist Perspective’, , 2015

Daugherty, Lauren, ‘What the Libertarian Party Wants on Foreign Policy’, The National
Interest

De Backer, Bernard, ‘Eurasisme, Revanche et Répétition de l’histoire - La Revue Nouvelle’

Doyle, Michael, ‘“Liberalism and World Politics.”’, American Political Science Review,
December 1986, pp. 1151–69

Dumbrell, J., ‘Was There a Clinton Doctrine? President Clinton’s Foreign Policy
Reconsidered’, Diplomacy & Statecraft, 13.2 (2002), 43–56

Fukuyama, Francis, ‘After Neoconservatism’, The New York Times, 19 February 2006,
section Magazine

Garandeau, Bertrand, ‘Carl Schmitt, 5 Leçons Pour La Russie. Par Alexandre Douguine -’,
Breizh-Info.Com, Actualité, Bretagne, Information, Politique, 2016

Golovanow, Vladimir, ‘Les Différentes Religions de Russie’, Parlons d’orthodoxie

Guénec, Michel, ‘La Russie et les « sécessionnismes » géorgiens, Russia and Georgians
“Secessionisms”’, Hérodote, 138, 2010, 27–57

Haass, Richard N., and Robert Litan, ‘Globalization and Its Discontents: Navigating the
Dangers of a Tangled World’, Foreign Affairs, 1 May 1998

Hanrieder, Tine, ‘The Reform Reformation’, Foreign Affairs, 8 April 2016

Page 461
Hansen, Alvin H., and C. P. Kindleberger, ‘The Economic Tasks of the Postwar World
[Excerpt]’, Foreign Affairs, 27 February 2017

Heilbrunn, Jacob, ‘Opinion | The Neocons vs. Donald Trump’, The New York Times, 10
March 2016, section Opinion

Holder, R. Ward, and Peter B. Josephson, ‘Obama’s Niebuhr Problem’, Church History, 82.3
(2013), 678–87

Holehouse, Matthew, ‘Obama Tells “complacent” Europe to Hike Military Spending’, The
Telegraph, 25 April 2016

Howard, Michael, ‘NATO at Fifty: An Unhappy Successful Marriage: Security Means


Knowing What to Expect’, Foreign Affairs, 1 May 1999

Ikenberry, G. John, ‘Getting Hegemony Right’, The National Interest, 63, 2001, 17–24

Ikenberry, G. John, ‘The Illusion of Geopolitics’, Foreign Affairs, 17 April 2014

Ikenberry, G. John, ‘The Myth of Post–Cold War Chaos [Excerpt]’, Foreign Affairs, 31
October 2016

Ikenberry, G. John, and Daniel Deudney, ‘Realism, Liberalism and the Iraq War’, Institute for
Strategic Studies

Kaplan, Robert D., ‘Kissinger, Metternich, and Realism’, The Atlantic, June 1999

Kovalevsky, Pierre, ‘Messianisme et Millénarisme russes ?’, Archives de Sciences Sociales


des Religions, 5.1 (1958), 47–70

Krauthammer, Charles, ‘The Unipolar Moment’, Foreign Affairs, 1 January 1990

Larousse, Éditions, ‘Encyclopédie Larousse En Ligne - Russie : Population’

Laruelle, Marlene, ‘Aleksandr Dugin: A Russian Version of the European Radical Right’,
Occasional Paper, 294 (2006), 1–25

Laruelle, Marlène, ‘Alexandre Dugin : esquisse d’un eurasisme d’extrême-droite en Russie


post-soviétique’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 32.3 (2001), 85–103
<https://doi.org/10.3406/receo.2001.3103>

Laruelle, Marlène, ‘Le néo-eurasisme russe. L’empire après l’empire ?’, Cahiers du monde
russe. Russie - Empire russe - Union soviétique et États indépendants, 42.42/1 (2001),
71–94

Laruelle, Marlène, ‘Les idéologies de la « troisième voie » dans les années 1920 : le
mouvement eurasiste russe’, Vingtième Siècle, revue d’histoire, 70.1 (2001), 31–46

Lévesque, Jacques, ‘La Russie Retrouve Ses Racines Musulmanes’, Le Monde Diplomatique,
2008

Page 462
Lewis, Jeffrey, ‘What a Real Liberal Foreign Policy Would Look Like’, Foreign Policy

Liao, Rebecca, ‘The End of the G-20’, Foreign Affairs, 14 September 2016

Litera, Bohuslav, ‘He Kozyrev Doctrine - a Russian Variation on the Monroe Doctrine’,
Perspectives, 4, 1994, 44–52

Mazarr, Michael J., ‘The Once and Future Order’, Foreign Affairs, 12 December 2016

McCoy, Terrence, ‘How Joseph Stalin Invented “American Exceptionalism”’, The Atlantic,
15 March 2012

Mead, Walter Russell, ‘Opinion | The Tea Party and U.S. Foreign Policy’, The New York
Times, 21 February 2011, section Opinion

Mead, Walter Russell, ‘The Return of Geopolitics’, Foreign Affairs, 17 April 2014

Momtaz, Djamchid, ‘« L’intervention d’humanité » de l’OTAN au Kosovo et la règle du non-


recours à la force - CICR’, Revue internationale de la Croix-Rouge,

Morgenthau, Henry, ‘Bretton Woods and International Cooperation [Excerpt]’, Foreign


Affairs, 23 February 2017

Naftali, Timothy, ‘The Reluctant Realism of George H. W. Bush’, AEI, 2008

Niblett, Robin, ‘Liberalism in Retreat’, Foreign Affairs, 12 December 2016

Niebuhr, Reinhold, ‘The Illusion of World Government [Excerpt]’, Foreign Affairs, 31


October 2016

Nikomov, Vyacheslav, ‘“Russian Gaullism: Putin’s Foreign Policy Doctrine’, Russia Watch,
March 2001, p. 18

Nye, Joseph S., ‘Will the Liberal Order Survive?’, Foreign Affairs, 12 December 2016

Pajon, Céline, and Patrice Sawicki, ‘Etats-Unis : Politique Étrangère, Histoire, Politique
Extérieure Des USA, Relations Internationales, Histoire de La Politique Étrangère
Américaine’

Patrick, Stewart, ‘The Unruled World’, Foreign Affairs, 6 December 2013

Patrick, Stewart M., ‘Trump and World Order’, Foreign Affairs, 13 February 2017

Pfaff, William, ‘Vladimir Putin and the Neoconservatives’, Chicagotribune.Com

Rockefeller, Nelson A., ‘Widening Boundaries of National Interest [Excerpt]’, Foreign


Affairs, 23 February 2017

Rose, Gideon, ‘Introduction’, Foreign Affairs, 6 March 2017

Page 463
SKUPIEWSKI, J.J., ‘La Doctrine Panslaviste (Résumé de La Russie et l’Europe de
Danilevski)’, Bibliothèque Russe et Slave

Slaughter, Anne-Marie, ‘The Real New World Order’, Foreign Affairs, 1 September 1997

Stratfor, ‘The United States: Between Isolation And Empire’, Forbes

Sur, Serge, ‘Impérialisme et Droit International En Europe et En Amérique’, Serge Sur

Tsygankov, Andrei P., and Pavel Tsygankov, ‘Russian Theory of International Relations’,
International Studies Encyclopedia, X (2010), 6375–87

Sur l'influence et la propagande

Avioutskii, Viatcheslav, ‘La Révolution orange en tant que phénomène géopolitique’,


Hérodote, 129, 2008, 69–99

BATTISS, Samir, ‘Us National Guard State Partnership Program: Un Outil Des Etats-Unis
Dans Le Domaine De L’influence Militaire En Ukraine’, AFRI 2016, 2015

Bauvois, Jean-Léon, ‘La propagande dans les démocraties libérales’, Le Journal des
psychologues, 247, 2007, 39–43

Belin, Célia, ‘Chapitre 11 / La société civile organisée’, in La politique étrangère des Etats-
Unis (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2015), 3E ED., 507–44

Boniface, Pascal, ‘Guerre et opinion publique : communiquer, informer, désinformer’,


Hermès, La Revue, 70, 2014, 68–73

Bronner, Gérald, ‘Pourquoi les théories du complot se portent-elles si bien ? L’exemple de


Charlie Hebdo’, Diogène, n° 249-250.1 (2015), 9–20

Chaubet, François, ‘Rôle et enjeux de l’influence culturelle dans les relations internationales’,
Revue internationale et stratégique, 89, 2013, 93–101

Conesa, Pierre, ‘Sociologie de la production stratégique’, Revue internationale et stratégique,


82, 2011, 87–96

FOXALL, Andrew, and Oren Kessler, ‘Yes, There Are Bad Guys in the Ukrainian
Government’, Foreign Policy

François, Stéphane, and Olivier Schmitt, ‘Le conspirationnisme dans la Russie


contemporaine’, Diogène, n° 249-250.1 (2015), 120–29

Genté, Régis, ‘Des révolutions médiatiques, Mediatical revolutions’, Hérodote, n° 129.2


(2008), 37–68

Page 464
Giry, Julien, ‘Le conspirationnisme. Archéologie et morphologie d’un mythe politique’,
Diogène, n° 249-250.1 (2015), 40–50

GLOBAL, ‘Global Christianity’, Pew Research Center, 2011

Gomart, Thomas, ‘Quelle influence russe dans l’espace post-soviétique ?’, Le Courrier des
pays de l’Est, n° 1055.3 (2006), 4–13

Gross, Neil, ‘Opinion | Why Is Hollywood So Liberal?’, The New York Times, section
Opinion

Huseynov, Vasif, ‘Soft Power Geopolitics: How Does the Diminishing Utility of Military
Power Affect the Russia - West Confrontation over the “Common Neighbourhood”’,
Eastern Journal of European Studies, 7.2 (2016), 71–90

Karatnycky, Adrian, ‘Ukraine’s Orange Revolution’, Foreign Affairs, 1 March 2005

Kondratov, Alexander, ‘La couverture des événements ukrainiens de l’hiver-printemps 2014


dans les réseaux sociaux russes’, Cahiers Sens public, 17–18, 2014, 169–91

Laruelle, Marlène, ‘L’idéologie comme instrument du soft power russe. Succès, échecs et
incertitudes’, Hérodote, 166–167, 2017, 23–35

Limonier, Kevin, and Maxime Audinet, ‘La stratégie d’influence informationnelle et


numérique de la Russie en Europe’, Hérodote, 164, 2017, 123–44

Marková, Ivana, ‘Persuasion et propagande’, Diogène, 217, 2007, 39–57

Mazzucchi, Nicolas, ‘La Russie Peut-Elle Étrangler l’Europe En Nous Coupant Le Gaz ?’,
IRIS

Michelot, Martin, ‘Les modes d’influence des think tanks dans le jeu politique américain, The
influence of Think Tanks in American Politics’, Politique américaine, 22, 2013, 97–
116

Moniak-Azzopardi, Agnieszka, ‘Les religions et l’Etat en Russie’, Le Courrier des pays de


l’Est, 1045, 2004, 28–38

Nivet, Bastien, ‘La puissance ou l’influence ? Un détour par l’expérience européenne’, Revue
internationale et stratégique, n° 89.1 (2013), 83–92

Nye, Joseph S., ‘Le soft et le sharp power de la Chine | by Joseph S. Nye’, Project Syndicate,
2018

OCDE, ‘Chapitre 5. Organisation et gestion’, Revue de l’OCDE sur le développement, 7,


2006, 153–66

Perspective monde Université de Sherbrooke, ‘Partenaires Économiques Commerciaux -


États-Unis’, Perspective Monde Université de Sherbrooke

Page 465
Petric, Boris, ‘À propos des révolutions de couleur et du soft power américain’, Hérodote, n°
129.2 (2008), 7–20

Rabino, Thomas, ‘Jeux vidéo et Histoire’, Le Débat, 177, 2013, 110–16

Suslov, Mikhail, ‘“Russian World”: Russia Policy’s toward Its Diaspora’, Russie.Nei.Visions,
July 2017

Thom, Françoise, ‘Le parti russe en France’, Commentaire, Numéro 154.2 (2016), 432a–4436

Umland, Andreas, ‘A Typical Variety of European Right-Wing Radicalism?’, Russian


Politics and Law, 51.5 (2013), 86–95

USAID, ‘Budget | U.S. Agency for International Development’, USAID

Sur l'utilisation des organisations internationales par les Etats-Unis et la Russie

Alexeeva, Olga, ‘Moscou:Cap Sur l’Asie’, Grands Dossiers Diplomatie, 40, 2017, 62–66

Aron, Leon, ‘The Putin Doctrine’, Foreign Affairs, 8 March 2013

Bayou, Céline, ‘Les nouveaux États membres : facilitateurs ou entraves à la relation UE-
Russie ?, Abstract’, Géoéconomie, 43, 2007, 54–68

BRET, Cyrille, ‘Russie-Chine: Plus Qu’un Partenariat, Mais Moins q’une Alliance?’,
Diplomatie, June 2017, pp. 43–46

Chaudet, Didier, ‘La Russie En Asie Centrale: Demain, La Perte de l’"étranger Proche"?’,
Diplomatie, 86, 2017, 47–50

Clinton, Hillary, ‘America’s Pacific Century’, Foreign Policy

Clover, Charles, ‘Dreams of the Eurasian Heartland: The Reemergence of Geopolitics’,


Foreign Affairs, 1 March 1999

Daalder, Ivo H., and James Goldgeier, ‘Global NATO’, Foreign Affairs, 1 September 2006

Defraigne, Jean-Christophe, ‘L’Union eurasienne : un projet d’intégration régionale


contrepoids à la Chine et à l’UE Un dessein géopolitique sans dynamique
économique’, Outre-Terre, 48, 2016, 217–35

Delanoë, Igor, ‘La puissance par la coercition. Le hard power russe à l’épreuve du Moyen-
Orient’, Hérodote, 166–167, 2017, 243–60 <https://doi.org/10.3917/her.166.0243>

Page 466
Duclos, Michel, ‘Les puissances émergentes et la politique mondiale’, Commentaire, Numéro
149.1 (2015), 23–32

Eisenbaum, Boris, ‘Négociation, coopération régionale et jeu d’influences en Asie centrale :


l’Organisation de coopération de Shanghai’, Politique étrangère, Printemps.1 (2010),
151–64

Facon, Isabelle, ‘La Coopération Militaro-Technique Entre La Russie et La Chine : Bilan et


Perspectives’, Fondation Pour La Recherche Stratégique, 2006

Facon, Isabelle, ‘L’Organisation de coopération de Shanghai’, Le Courrier des pays de l’Est,


1055, 2006, 26–37

Facon, Isabelle, ‘Russie, Inde, Coopération Militaro-Technique’, Fondation Pour La


Recherche Stratégique, 2008

Ferguson, Niall, and Isabelle Hausser, ‘Henry Kissinger, Theodore Roosevelt et l’ordre
mondial selon Trump’, Commentaire, Numéro 158.2 (2017), 301–12

Giblin, Béatrice, ‘L’est de l’Union européenne’, Hérodote, 128, 2008, 3–8

Gomart, Thomas, ‘Quelle influence russe dans l’espace post-soviétique ?’, Le Courrier des
pays de l’Est, 1055, 2006, 4–13

Groll, Elias, and Colum Lynch, ‘As U.S. Retreats From World Organizations, China Steps in
to Fill the Void’, Foreign Policy

Gros, Philippe, ‘« Leading from behind » : contour et importance de l’engagement américain


en Libye, “Leading From Behind”: The Main Features of the U.S. Intervention in
Libya’, Politique américaine, 19, 2012, 49–68

Grossman, Marc, ‘Nouvelles Capacités, Nouveaux Membres, Nouvelles Relations’, Revue de


l’OTAN, t 2002 <http://www.nato.int/docu/review/pdf/i2_fr_review.pdf>

Guay, Fanny, Le Canada Et Les États-Unis Au Sein De L’otan Depuis La Fin De La Guerre
Froide (UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL, May 2006)

HATTO, Ronald, ‘Stratégies et Intérêts : Les Relations Des Etats-Unis Avec Les Pays
d’Europe Centrale et Orientale’, Diploweb

Hofmann, Stephanie C., ‘OTAN : vers un nouveau concept stratégique ?’, Politique


étrangère, Printemps.1 (2008), 105–18

Irondelle, Bastien, and Niels Lachmann, ‘L’OTAN est-elle encore l’OTAN ?, Is NATO Still
NATO ?’, Critique internationale, 53, 2011, 67–81

Labévière, Richard, ‘Printemps, été et automne arabes’, Revue internationale et stratégique,


83, 2011, 75–83

Laïdi, Zaki, ‘Les BRICS : un cartel d’ambitions souverainistes’, Le Débat, 167, 2011, 50–59

Page 467
Lasconjarias, Guillaume, ‘Les initiatives de l’Otan depuis le début de la crise ukrainienne’,
Les Champs de Mars, 29, 2017, 59–81

Light, Margot, ‘La galaxie CEI 1991-2006, The CIS Constellation 1991-2006’, Le Courrier
des pays de l’Est, 1055, 2006, 14–25

Matelly, Sylvie, ‘À quoi servent les BRICS ?’, Revue internationale et stratégique, 103, 2016,
77–87

Mathey, Raphaëlle, ‘La stratégie politique américaine en Azerbaïdjan’, Hérodote, 129, 2008,
123–43

Michel, Leo G., ‘UE-Otan-États-Unis : vers un « ménage à trois » vertueux, U.S.-NATO-EU:


toward a virtuous “ménage à trois”’, Politique américaine, 4, 2006, 105–16

Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘La nouvelle OTAN : des rivages nord-atlantiques aux confins
eurasiatiques’, Hérodote, no 118.3 (2005), 27–47

———, ‘Les relations pétrogazières UE-Russie et le débouché chinois. La géopolitique avant


le commerce, European Union-Russia oil and gas relationship and the Chinese
prospect. Geopolitics before trade’, Hérodote, 155, 2014, 43–57

———, ‘L’OTAN comme phénomène géopolitique, NATO as a geopolitical phenomenon’,


Hérodote, 146–147, 2012, 217–36

———, ‘Poutine et la mer. Forteresse « Eurasie » et stratégie océanique mondiale’, Hérodote,


163, 2016, 61–85

Mongrenier, Jean-Sylvestre, and Françoise Thom, ‘Chapitre III. Un tournant de la Russie vers
l’Orient ?’, in Que sais-je ? (Presses Universitaires de France, 2018), 2E ED., 81–116

MOREAU, Noémie, ‘L’Union Economique Eurasiatique (UEE) : Le Nouvel Empire Russe ?’,


Les Yeux Du Monde

Parmentier, Guillaume, ‘Les Etats-Unis et l’OTAN’, De l’alliance ŕ La Coalition. Annuaire


Francais de Relations Internationales, 6 (2005), 665–681

Pasquier, Emmanuel, ‘Carl Schmitt et la circonscription de la guerre: Le problème de la


mesure dans la doctrine des « grands espaces »’, Études internationales, 40.1 (2009),
55

Pons, Frédéric, ‘Crimée : le discours de Poutine à la Douma’, Valeurs actuelles

Posen, Barry R., ‘Ukraine: Part of America’s “Vital Interests”?’, The National Interest

Racine, Jean-Luc, ‘La géopolitique indienne de l’énergie, The geopolitics of Indian energy’,
Hérodote, 155, 2014, 114–34 <https://doi.org/10.3917/her.155.0114>

Page 468
Ramel, Frédéric, and Charles-Philippe David, ‘« Oui mais... » L’image de l’Europe selon
l’administration Bush : de l’ambivalence à la rigidité’, Études internationales, 33.1
(2002), 31

Roblin, Sebastien, ‘China Stole This Fighter From Russia—and It’s Coming to the South
China Sea’, The National Interest

Roche, Yann, ‘Le Pivot Asiatique Americain: Vers Une Collaboration Ou Vers Une
Confrontation Avec La Chine?’, Grands Dossiers Diplomatie, November 2016, pp.
40–44

Roehrig, Benjamin, ‘L’OTAN et l’ONU : une relation complexe et ambiguë’, Sécurité


globale, 17, 2011, 81–89

Rumer, Eugene, and Eugene Rumer, ‘Moldova Between Russia and the West: A Delicate
Balance’, Carnegie Endowment for International Peace

Schenkkan, Nate, ‘Eurasian Disunion’, Foreign Affairs, 26 December 2014

Serfaty, Simon, ‘Globaliser l’Alliance ?’, Politique étrangère, Printemps.1 (2008), 79–90

SLASKI, Bertrand, and Emmanuel DREYFUS, ‘L’Union Douanière Russie, Biélorussie,


Kazakhstan’, Diploweb

The Moscow times, ‘Putin Slams Lenin for Laying “Atomic Bomb” Under Russia’

Therme, Clément, ‘L’axe Irano-Russe Au Moyen-Orient’, Diplomatie, April 2016, pp. 60–63

Tinguy, Anne de, ‘2. L’ex-empire : un enjeu stratégique majeur’, in Moscou et le monde
(Autrement, 2008), pp. 55–85

Tinguy, Anne de, and Isabelle Facon, ‘6. L’ouverture sur l’Asie et le monde arabo-
musulman : la Russie « quitte-t-elle l’Occident » ?’, in Moscou et le monde
(Autrement, 2008), pp. 167–201

Torrivellec, Xavier Le, ‘1917-2017 : où va la Russie ? Une puissance eurasienne dans un


Nouveau Monde’, Hérodote, 166–167, 2017, 81–96

TRAMEAU, Valérie, ‘OTAN/UE : Hongrie, Quel Bilan ?’ , Diploweb

Trépant, Inès, ‘L’évolution récente des relations transatlantiques’, Courrier hebdomadaire du


CRISP, 1845–1846, 2004, 1–70

VARJABEDIAN, Joris, ‘Géopolitique de l’Arménie. Pourquoi Adhérer à l’UEE ?’, Diploweb

Zarifian, Julien, ‘La politique étrangère américaine, en dehors des sentiers battus : Les États-
Unis au Sud Caucase (Arménie, Azerbaïdjan, Géorgie), de Bill Clinton à Barack
Obama,, Politique américaine, 19, 2012, 69–92

Page 469
Sur le rapprochement entre les administrations russe et américaine

Appleby, R. Scott, and Martin E. Marty, ‘Le fondamentalisme’, Le Débat, 120, 2002, 144–51

Courmont, Barthélemy, ‘La relation sino-américaine d’Obama à Trump’, L’Europe en


Formation, 382, 2017, 83–95

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 5 / Une présidence toujours impériale’, in La politique


étrangère des États-Unis (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2008), 2E ED., 193–239

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 6 / Les acteurs du jeu bureaucratique’, in La politique


étrangère des États-Unis (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2008), 2E ED., 241–85

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 7 / L’influence du Conseil de sécurité nationale’, in La


politique étrangère des États-Unis (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2008), 2E ED.,
287–334

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 13 . La politique étrangère calculatrice (2009-2014)’, in


Au sein de la Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de
la politique étrangère des États-Unis, 2015, p. 82

Douzet, Frédérick, and Justin Vaïsse, ‘Obama, le président du pivot’, Hérodote, 149, 2013, 7–
21

Dubien, Arnaud, ‘États-Unis – Russie : un partenariat est-il possible ?’, Revue internationale


et stratégique, 76, 2009, 193–96

François-Poncet, Jean, ‘Un tournant de l’histoire ?’, Commentaire, Numéro 96.4 (2001), 759–
68

Gloaguen, Cyrille, ‘Forces armées et politique : une longue passion russe’, Hérodote, no
116.1 (2005), 111–37

Inc, Gallup, ‘Americans Say Reagan Is the Greatest U.S. President’, Gallup.Com

Jackson, Brooks, ‘Clinton and the Popular Vote’, FactCheck.Org, 2008

Lachèvre, Cyrille, ‘Les chinois détiennent le quart de la dette américaine’, L’éco décodée

‘Le nouveau monde d’Obama’, Sécurité et stratégie, 1.1 (2009), 55–58

Lévesque, Jacques, ‘Chapitre 13. La Russie et les États-Unis après le 11 septembre 2001 :
l’« énigme » Poutine’, in Entre Kant et Kosovo (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.),
2003), pp. 177–94

Medvedev, Dmitri, ‘La Russie, la crise mondiale et la sécurité européenne’, Politique


étrangère, Hiver.4 (2008), 733–43

MELANDRI, Pierre, ‘La politique étrangère de George W. Bush’, AFRI 2002, 2003

Page 470
Mendras, Marie, and Jean-Charles Lallemand, ‘Poutine III. Comment les Russes ont dû voter
Medvedev pour conserver Poutine’, Esprit, Août/septembre.8 (2008), 86–101

Nardon, Laurence, ‘Les États-Unis vers l’indépendance énergétique ?, Laurence Nardon, The
United States toward Energy Independence?’, Politique étrangère, Eté.2 (2013), 27–
39

Raviot, Jean-Robert, ‘Le prétorianisme russe : l’exercice du pouvoir selon Vladimir Poutine’,
Hérodote, 166–167, 2017, 9–22

Rucker, Laurent, ‘La politique étrangère russe’, Le Courrier des pays de l’Est, 1038, 2003,
24–41

Szurek, Sandra, ‘La responsabilité de protéger : du prospectif au prescriptif… et retour. la


situation de la Libye devant le conseil de sécurité’, Droits, 56, 2012, 59–96

University, Quinnipiac, ‘QU Poll Release Detail’, QU Poll

Vaïsse, Justin, ‘Chapitre 8 / Le Congrès’, in La politique étrangère des États-Unis (Presses de


Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2008), 2E ED., 339–93

ZARIFIAN, Julien, ‘Les relations entre les Etats-Unis et la Russie depuis la chute de l’URSS.
La recherche perpétuelle d’un “rythme de croisière”’, AFRI 2012, 2014

Sur les tensions entre les administrations américaines et russes

Baulon, Jean-Philippe, ‘Les logiques d’une passion stratégique : les États-Unis et la défense
antimissile, The reasons of a strategic passion: United States and missile defense’,
Hérodote, 140, 2011, 123–38

Bayou, Céline, ‘Etats baltes −− Russie’, Le Courrier des pays de l’Est, 1048, 2005, 15–29

Boniface, Pascal, and Pierre Hassner, ‘Réflexions critiques sur la scène internationale’, Revue
internationale et stratégique, 46, 2002, 11–20

Bush, George W., ‘Text of Bush’s Speech at West Point’, The New York Times, 1 June 2002,
section World

CNN, ‘CNN.Com - Senate Approves Iraq War Resolution - Oct. 11, 2002’

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 12 . La politique étrangère inféodée (2001-2008)’, in Au


sein de la Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la
politique étrangère des États-Unis, 2015, p. 112

Govtrack, ‘H.J.Res. 114 (107th): Authorization for Use of Military Force Against ... -- House
Vote #455 -- Oct 10, 2002’, GovTrack.Us

Page 471
Govtrack, ‘H.J.Res. 114 (107th): Authorization for Use of Military Force Against ... -- Senate
Vote #237 -- Oct 11, 2002’, GovTrack.Us

Guelte, Georges Le, ‘Le monde de George W. Bush et l’Europe’, Le Débat, 125, 2003, 17–27

Guerlain, Pierre, ‘Les théories américaines en politique étrangère et leur réception en Europe’,
in États-Unis / Europe : Des modèles en miroir, ed. by Jean-Marie Ruiz and Mokhtar
Ben Barka, Espaces Politiques (Villeneuve d’Ascq: Presses universitaires du
Septentrion, 2017), pp. 231–48

Illarionov, Andrei, ‘The Rise of the Corporate State in Russia’, Cato Institute, 2012

Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique


étrangère, Hiver.4 (2015), 157–69

L’obs, ‘Les réactions au conflit entre la Géorgie et l’Ossétie’, L’Obs

Mélandri, Pierre, ‘L’« empire américain » après le 11 septembre 2001’, Hérodote, 109, 2003,
17–35

Nardon, Laurence, ‘La diplomatie américaine face au drame syrien’, Esprit, Mars-Avril.3
(2016), 16–18

Nies, Susanne, ‘Quelle sécurité pour la région baltique ?’, Le Courrier des pays de l’Est,
1035, 2003, 58–70

Obama, Barack, ‘Remarks by the President at the United States Military Academy
Commencement Ceremony’, Whitehouse.Gov, 2014

‘Oct. 2002 Congressional Votes Authorizing the President to Use Military Force Against Iraq
- US - Iraq War - ProCon.Org’

Paszewski, Tomasz, ‘Us Missile Defense Plans: Central And Eastern Europe’, Revue d’études
Comparatives Est-Ouest, 44, 2013, 35–60

Poutine, Vladimir, ‘Russia and the Changing World’, RT International

Rucker, Laurent, and Gilles Walter, ‘Russie 2004’, Le Courrier des pays de l’Est, 1047, 2005,
6–36

Serrano, Silvia, ‘La Géorgie post-soviétique : lost in transition ?, Post Soviet Georgia : Lost in
Transition ?, Georgia post-soviética : Lost in Transition ?’, Revue Tiers Monde, 193,
2008, 67–90

SIONNEAU, Bernard, ‘Réseaux conservateurs et nouvelle doctrine américaine de sécurité’,


AFRI, 2005

Tsygankov, Andreï P., ‘La Russie et le Moyen-Orient : entre islamisme et occidentalisme,


Abstract’, Politique étrangère, Printemps.1 (2013), 79–91

Page 472
Vernet, Daniel, ‘De Roosevelt à Obama : isolationnisme ou interventionnisme ?, From
Roosevelt to Obama: Isolationism or Interventionism?’, Pouvoirs, 150, 2014, 103–13

Vernet, Daniel, ‘De Roosevelt à Obama : isolationnisme ou interventionnisme ?, From


Roosevelt to Obama: Isolationism or Interventionism?’, Pouvoirs, 150, 2014, 103–13

Wallerstein, Immanuel, ‘L’atterrissage forcé de l’aigle américain’, Revue internationale et


stratégique, 48, 2002, 43–52

Sur les relations sous le second mandat du président Obama

Bahout, Joseph, ‘Obama en Syrie : la stratégie de l’évitement’, Esprit, Novembre.11 (2016),


85–99

Djalili, Mohammad-Reza, and Thierry Kellner, ‘L’Iran dans son contexte régional, Iran in Its
Regional Context’, Politique étrangère, Automne.3 (2012), 519–31

Dyner, Anna Maria, ‘The Role of Private Military Contractors in Russian Foreign Policy’,
The Polish Institute of International Affairs

Facon, Isabelle, ‘La menace militaire russe : une évaluation’, Les Champs de Mars, 29, 2017,
31–57

Fallas, Thibault, ‘Vladimir Poutine et la crise ukrainienne : excellent tacticien, piètre


stratège ?’, Stratégique, 112, 2016, 201–8

Gagnon, Frédérick, ‘Chapitre 9 / Le congrès’, in La politique étrangère des Etats-Unis


(Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2015), 3E ED., 413–62

Hude, Henri, ‘Comprendre le Tea Party’, in Innovation politique 2012 (Presses Universitaires
de France, 2012), pp. 561–85

Huret, Romain, ‘Le mouvement Tea Party, une illusion ?, Is the Tea Party movement an
illusion?’, Hérodote, 149, 2013, 105–14

Kandel, Maya, ‘Politique étrangère et soutien populaire : la fin du consensus et du siècle


américain ?’, Revue française d’études américaines, spécial 145, 2015, 44–54

Kempf, Olivier, ‘L’indirection de la guerre ou le retour de la guerre limitée’, Politique


étrangère, Hiver.4 (2015), 157–69

Lasconjarias, Guillaume, ‘À l’Est du nouveau ? L’OTAN, la Russie et la guerre hybride’,


Stratégique, 111, 2016, 107–17

Leclerc, Jacques, ‘Syrie’ CEFAN

Page 473
Lefèvre, Raphaël, ‘Révolution et violence en Syrie : l’héritage des Frères musulmans,
Revolution and violence in Syria : the Muslim Brotherhood’s legacy’, Maghreb -
Machrek, 213, 2012, 65–81

Moussa, Flora, ‘Gros plan sur le délit de haute trahison’, 2015

Nocetti, Julien, ‘La diplomatie d’Obama à l’épreuve du Web 2.0, Julien Nocetti, Obama’s
Diplomacy as Showcased by the Web 2.0’, Politique étrangère, Printemps.1 (2011),
157–69

Peters, Gerhard, ‘Presidential Job Approval F. Roosevelt (1941) - Trump’, American


Presidency Project (APP)

Pétiniaud, Louis, ‘Du « lac russe » au « lac OTAN » ? Enjeux géostratégiques en mer Noire
post-Crimée’, Hérodote, 166–167, 2017, 217–28

Pichon, Frédéric, ‘La Syrie, quel enjeu pour la Russie ?, Abstract’, Politique étrangère,
Printemps.1 (2013), 107–18

Pravda, ‘Доклад Немцова: Путин. Война’, Украинская Правда

Rae, Nicol C., and Aurélie de Porteere 89615, ‘Le renouveau du conservatisme populiste : la
montée de la Tea Party et son impact, The Return of Conservative Populism: The Rise
of the Tea Party and Its Impact on American Politics’, Politique américaine, 19, 2012,
111–30

‘RealClearPolitics - Election 2016 - General Election: Trump vs. Clinton’

‘RealClearPolitics - Election 2016 - General Election: Trump vs. Sanders’

Richomme, Olivier, ‘Une majorité républicaine permanente ?, A permanent republican


majority? Consequences of the 2011 gerrymandering’, Hérodote, 149, 2013, 129–48

‘Selon Moscou, une coopération entre la Russie et les États-Unis contre le Front al-Nosra a
été évoquée’, Zone Militaire

Sputnik, ‘Reuters s’assure des actions coordonnées entre Russes et Américains en Syrie’

Taylor, Adam, ‘Why Being Chechen Is a Badge of Honor for Islamist Militants’, Washington
Post, 3 July 2014, section WorldViews

Tiberghien, Yves, ‘La Chine face au grand jeu du G20 et de la gouvernance mondiale,
Abstract’, Revue internationale de politique comparée, 18.3 (2011), 95–121

Vandal, Gilles, ‘L’avenir Du Pivot Américain En Asie Orientale | Perspective Monde’,


Perspective Monde Université de Sherbrooke

Sur les relations pendant la présidence Trump

Page 474
Abrams, Elliott, ‘Trump the Traditionalist’, Foreign Affairs, 13 June 2017

AFP news agency, Thatcher Was a ‘Brilliant Political Figure’: Putin

Baechler, Laurent, ‘Les États-Unis et l’Accord de Paris sur le climat’, L’Europe en


Formation, 382, 2017, 111–18

Bélanger, Yves, and Aude Fleurant, ‘Les Dépenses Militaires : La Fin Des Cycles ?’

Belin, Célia, and Paul Zajac, ‘Le parti de Donald Trump’, Le Débat, 198, 2018, 11–21

Caselli, Gian Paolo, and Esther Feingold, ‘Une nouvelle relation entre les États-Unis de
Trump et la Fédération de Russie poutinienne est-elle possible ?’, Outre-Terre, 50,
2017, 231–41

CNN, ‘Trump Officially Joins Reform Party - October 25, 1999’

Corn, Tony, ‘Donald Trump et le retour de l’Histoire’, Le Débat, 198, 2018, 51–67

Courmont, Barthélemy, ‘La relation sino-américaine d’Obama à Trump’, L’Europe en


Formation, 382, 2017, 83–95

David, Charles-Philippe, ‘Chapitre 6 . La politique étrangère impériale (1969-1974)’, in Au


sein de la Maison-Blanche De Truman à Obama : la formulation (imprévisible) de la
politique étrangère des États-Unis, 2015, p. 74

Dimitrova, Anna, ‘Introduction’, L’Europe en Formation, 382, 2017, 3–8


<https://doi.org/10.3917/eufor.382.0003>

Dimitrova, Anna, ‘Trump’s “America First” Foreign Policy: The Resurgence of the
Jacksonian Tradition?’, L’Europe en Formation, 382, 2017, 33–46

English, Robert David, ‘Russia, Trump, and a New Détente’, Foreign Affairs, 10 March 2017

Feifer, Gregory, ‘Trump and Putin’s Meeting of the Minds’, Foreign Affairs, 11 July 2017

Ferguson, Niall, and Isabelle Hausser, ‘Henry Kissinger, Theodore Roosevelt et l’ordre
mondial selon Trump’, Commentaire, Numéro 158.2 (2017), 301–12

Fougier, Eddy, ‘La surprise Trump : les raisons d’une improbable victoire’, L’Europe en
Formation, 382, 2017, 9–31

Gardner, Hall, ‘Point de vue. Ukraine : un nouveau plan’, Politique américaine, 30, 2017,
167–85

Garfinkle, Adam, and Isabelle Hausser, ‘Les options stratégiques de Trump : continuité,
solitude ou réalisme’, Commentaire, Numéro 158.2 (2017), 313–22

Page 475
Garfinkle, Adam, and Isabelle Hausser, ‘Les options stratégiques de Trump : continuité,
solitude ou réalisme’, Commentaire, Numéro 158.2 (2017), 313–22

Gass, Nick, ‘Trump Has Spent Years Courting Hillary and Other Dems’, POLITICO

Goldsmith, Jack, ‘Trump et les médias’, Commentaire, Numéro 160.4 (2017), 885–87

Heer, Jeet, Jason Silverstein, Matt Ford, Sarah Jones, Alex Shephard, Rachel Syme, and
others, ‘Scarier Than a Neoconserative’, The New Republic, 23 March 2018

Heilbrunn, Jacob, ‘Realism Is Back’, POLITICO Magazine

Hoerber, Thomas, ‘Transatlantic Relations under Trump: Chances and Challenges’, L’Europe
en Formation, 382, 2017, 119–22

Kaufman, Robert, ‘The First Principles of Ronald Reagan’s Foreign Policy’, The Heritage
Foundation

Kempf, Olivier, ‘La crise des relations germano-américaines vue de France’, Outre-Terre, 51,
2017, 278–87

Kissinger, Henry, ‘Jared Kushner: The World’s 100 Most Influential People’, Time

Landler, Mark, ‘Acting on Instinct, Trump Upends His Own Foreign Policy - The New York
Times’

London, Sophie McNeill in, ‘“An Attack on One Is an Attack on All”: Pence Reassures Baltic
Allies’, ABC News, 2017

Macguire, Eoghan, ‘U.S. Stands by NATO against “Specter of Aggression” from Russia,
Says Pence’, NBC News

Mead, Walter Russell, ‘Andrew Jackson, Revenant’, The American Interest, 2016

Mead, Walter Russell, ‘The Jacksonian Revolt’, Foreign Affairs, 20 January 2017

Mead, Walter Russell, ‘Trump’s Realist Syria Strategy’, Hudson.Org, 2018

Mort, Sébastien, ‘Le phénomène Trump’, Études, Novembre.11 (2016), 7–18

Nielsen, Kristian L., ‘Beware the Folly of Pride: Europe, Trump and the Enduring Need for
the Transatlantic Alliance’, L’Europe en Formation, 382, 2017, 63–81

Olson, Bradley, ‘Rex Tillerson, a Candidate for Secretary of State, Has Ties to Vladimir
Putin’, Wall Street Journal, 6 December 2016, section Politics

Piskunova, Ekaterina, ‘Lune de Miel En Eaux Troubles: Les Relations Russo-Américaines


Sous Donald Trump’, Grands Dossiers Diplomatie, September 2017, pp. 50–54

Prémont, Karine, ‘Un « modèle Biden » ? L’influence du vice-président au sein de


l’administration Obama’, Politique américaine, 30, 2017, 105–36

Page 476
Rae, Nicol C., and Aurélie de Porteere 89615, ‘Le renouveau du conservatisme populiste : la
montée de la Tea Party et son impact, The Return of Conservative Populism: The Rise
of the Tea Party and Its Impact on American Politics’, Politique américaine, 19, 2012,
111–30

Richard, Dorota, ‘Europe centrale : l’Initiative des Trois mers’, Politique étrangère, Été.2
(2018), 103–15

Rochet, Claude, Olivier Keramidas, and Lugdivine Bout, ‘La crise comme stratégie de
changement dans les organisations publiques, Abstract’, Revue Internationale des
Sciences Administratives, 74.1 (2008), 71–85

Rowan, Roy, Intuition et management (Paris: Rivages, 1987)

Schwarz, Hunter, ‘The Many Ways in Which Donald Trump Was Once a Liberal’s Liberal’,
Washington Post, 9 July 2015, section The Fix

Scott, Eugene, ‘Donald Trump in 2008: Hillary Clinton Would “make a Good President” -’,
CNN

Sputnik, ‘Poutine est «un libéral absolu par nature» selon son porte-parole’
<https://fr.sputniknews.com/russie/201612211029291478-poutine-liberal-peskov/>
[accessed 7 June 2018]

Sputnik, ‘Quel est le rôle de Kissinger dans la rencontre Poutine-Trump? Le Kremlin lève le
voile’, 2017

de Swielande, Tanguy Struye, ‘Les Débuts de La Présidence Trump Ou La Victoire Du


Jacksonisme’, Diplomatie, June 2017, p. 19

‘Thatcher, à La Fois Fossoyeur de l’URSS et Modèle de Poutine’, 7s7, 2013

Thompson, Loren, ‘A Reagan Moment Arrives For America’s Military’, Forbes, 2017

Tzogopoulos, George N., ‘The Evolution of Sino-American Relations under Trump’,


L’Europe en Formation, 382, 2017, 97–109 <https://doi.org/10.3917/eufor.382.0097>

Vandal, Gilles, ‘La Stratégie Du Chaos Sous Donald Trump | Perspective Monde’,
Perspective Monde Université de Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘L’échec Du Leadership Présidentiel de Donald Trump | Perspective Monde’,


Perspective Monde Université de Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘L’effacement Du Secrétariat d’État Sous Trump’, Perspective Monde


Université de Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘L’influence de James Comey Sur Les Élections de 2016’, Perspective Monde
Université de Sherbrooke

Page 477
Vandal, Gilles, ‘Pence n’est Pas Une Alternative à Trump’, Perspective Monde Université de
Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘Rivalités Au Sein de l’administration Américaine | Perspective Monde’,


Perspective Monde Université de Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘Tous Est En Place Pour Un «Russiagate» | Perspective Monde’, Perspective
Monde Université de Sherbrooke

Vandal, Gilles, ‘Vers La Fin Du Leadership Mondial Américain ?’, Perspective Monde


Université de Sherbrooke

Velut, Jean-Baptiste, ‘La Politique Commerciale de Donald Trump’, RAMSES 2018, 2017, p.
193

Vérez, Jean-Claude, ‘Enjeux et défis du Partenariat Transatlantique de Commerce et


d’Investissement’, L’Europe en Formation, 382, 2017, 47–61

Visegrád Post, ‘Initiative des Trois Mers : Trump soutient le projet à Varsovie’, Visegrád
Post, 2017

Zakheim, Dov S., ‘Is Donald Trump a Realist?’, The National Interest

Sur l'Allemagne

Bros, Aurélie, and Yann Richard, ‘La relation énergétique Russie-Union européenne La
libéralisation du marché de l’énergie en Europe : chance ou défi pour Gazprom ?,
Abstract :’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 42, 2011, 151–87

Bürbaumer, Benjamin, ‘La puissance des entreprises allemandes, la faiblesse des sanctions
économiques contre la Russie’, Allemagne d’aujourd’hui, 214, 2015, 6–18

Collen, Vincent, ‘Gaz Russe : L’horizon s’éclaircit Pour Le Gazoduc Nord Stream 2 - Les
Echos’

Corn, Tony, ‘Pax germanica’, Le Débat, 179, 2014, 102–15

Corn, Tony, ‘Vers un nouveau concert atlantique’, Le Débat, 194, 2017, 92–106

Demesmay, Claire, ‘France-Allemagne-Russie : Retour Sur Une Alliance Atypique’,


Fondation Robert Schuman, 2003

Doliger, Philippe, ‘Le Triangle de Weimar à l’épreuve de la crise ukrainienne’, Allemagne


d’aujourd’hui, 209, 2014, 3–16

Doliger, Philippe, ‘Le Triangle de Weimar à l’épreuve de la crise ukrainienne’, Allemagne


d’aujourd’hui, 209, 2014, 3–16

Page 478
FEITZ, Anne, ‘Nord Stream 2 : les acteurs craignent les sanctions américaines’, lesechos.fr,
2017

Glatz, Rainer, and Martin Zapfe, ‘NATO’s Framework Nation Concept’, Center for Security
Studies ETH Zurich, 2017

Gougeon, Jean-Pierre, ‘L’Allemagne puissance’, Revue internationale et stratégique, 74,


2009, 33–47

Hureaux, Roland, ‘Les États-Unis, l’Allemagne et l’Europe’, Commentaire, Numéro 95.3


(2001), 623–25

Lambertz, Ruth, ‘Les relations germano-américaines après les élections allemandes, German-
U.S. relationships after Merkel’s election’, Politique américaine, 4, 2006, 93–103

magazine, Le Point, ‘La France veut consacrer près de 300 milliards d’euros à sa défense en
sept ans’, Le Point, 2018

Major, Claudia, and Christian Mölling, ‘Le concept allemand de nation- cadre pour une
coopération de défense en Europe’, ’Institut allemand des affaires internationales et
de sécurité (SWP, 6

Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne : entre attentisme et pragmatisme’,


Revue internationale et stratégique, 74, 2009, 60–73

Martens, Stephan, ‘La politique russe de l’Allemagne. Vers un pragmatisme opportuniste’,


AFRI 2017, 2017

Masson, Francis, ‘Quelles perspectives pour une relance durable du Triangle de Weimar ?’,
Allemagne d’aujourd’hui, 217, 2016, 16–32

Maulny, Jean-Pierre, ‘La politique de défense de l’Allemagne : le post-traumatique est encore


loin’, Revue internationale et stratégique, 74, 2009, 108–13

Ménudier, Henri, ‘L’Allemagne d’Angela Merkel en 2018’, Commentaire, Numéro 162.2


(2018), 349–58

Merkel, Angela, ‘Entretien Avec Angela Merkel’, Le Monde, 15 January 2007

Merkel, Angela, and Nicolas Sarkozy, ‘“La sécurité, notre mission commune” (3 février
2009)’, Frankrijk in Nederland/ La France aux Pays-Bas

Richard, Dorota, ‘Pologne/Allemagne : quelle coopération dans une Europe « à deux
vitesses » ?’, Politique étrangère, Printemps.1 (2018), 157–68

Stark, Hans, ‘La politique étrangère de l’Allemagne,’ Politique étrangère, Hiver.4 (2007),
789–801

Toute l’Europe.eu, ‘Budget européen : pays contributeurs et pays bénéficiaires’, Toute


l’Europe.eu

Page 479
Toute l’Europe.eu, ‘La contribution des Etats européens à l’OTAN’, Toute l’Europe.eu

Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale
après la crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 29, 2017, 139–73

Sur la vieille Europe et la nouvelle Europe

Cadier, David, ‘Après le retour à l’Europe : les politiques étrangères des pays d’Europe
centrale, After Europe’s Return: The Foreign Policies of Central European Countries’,
Politique étrangère, Automne.3 (2012), 573–84

Dakowska, Dorota, ‘Les relations germano-polonaises’, Pouvoirs, 118, 2006, 125–36

Daou, Marc, ‘Intervention en Syrie : Hollande propulsé seul allié européen d’Obama’, France
24, 2013

Drweski, Bruno, ‘Du nouveau à l’Est : défection d’un allié’, Outre-Terre, 49, 2016, 302–19

Dumoulin, André, ‘La France et l’OTAN : vers la normalisation ?’, Courrier hebdomadaire


du CRISP, 2005, 2008, 5–47

Eshet, André, ‘Aspects stratégiques de la politique étrangère gaullienne’, in La Politique


étrangère du général de Gaulle (Presses Universitaires de France, 1985), pp. 75–84

FACON, Isabelle, ‘La relation France-Russie à l’épreuve’, 2015

Fillon, François, and Pascal Boniface, ‘« La grandeur est un combat inlassable, pas un cadeau
de l’Histoire »’, Revue internationale et stratégique, 100, 2015, 15–21

Galietti, Francesco, and Pierangela Desideri, ‘L’Italie et le Khanat 2.0 : histoire d’un flirt’,
Outre-Terre, 47, 2016, 103–10

Harsgor, Mikhaël, ‘Idéologie et praxis dans la politique étrangère du Général de Gaulle’, in


La Politique étrangère du général de Gaulle (Presses Universitaires de France, 1985),
pp. 43–60

Kratochvíl, Petr, and Elsa Tulmets, ‘La politique orientale de la République tchèque et la
Politique européenne de voisinage’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 40, 2009,
71–98

Laruelle, Marlene, Lóránt Győri, Péter Krekó, Dóra Haller, and Rudy Reichstadt, ‘The
Kremlin Connections of the French Far-Right’, 41

Le figaro, ‘Ukraine-Géorgie/OTAN: Fillon contre’, FIGARO, 2008

Lewis, Mark, ‘Poland’s Stark Electoral Divide’, GeoCurrents

Page 480
Liberti, Fabio, ‘La nouvelle politique étrangère italienne’, Revue internationale et stratégique,
56, 2004, 37–46

Liberti, Fabio, ‘Les fondements de la politique étrangère italienne’, Revue internationale et


stratégique, 61, 2006, 121–28

Marcou, Jean, ‘Les deux Europe Bruxelles à l’épreuve de la candidature de la Turquie à


l’UE : opinions et stratégies, The Two Europes and Brussels As Seen Through
Turkey’s EU Candidacy : Opinions and Strategies’, Politique européenne, 29, 2009,
25–46

Meletti, Giorgio, ‘Moscou-Rome-Ankara’, Outre-Terre, 27, 2011, 91–100

Michel, Bernard, ‘Chapitre 27. Problématiques de l’Europe centrale’, in Pour l’histoire des
relations internationales (Presses Universitaires de France, 2012), pp. 611–28

Ministry of foreign affairs Republic of Poland, Polish Foreign Policy Strategy 2017-2021

Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘Fenêtre Sur l’Europe’, Fenetre Sur l’Europe

Perchoc, Philippe, ‘Les États Baltes, Entre Défense Territoriale Et Élargissement Des
Concepts De Sécurité’, Revue d’études comparatives Est-Ouest, 44, 2013, 61–88

Potel, Jean-Yves, ‘La politique orientale polonaise’, Pouvoirs, 118, 2006, 113–23

Racz, Andras, ‘The Visegrad Cooperation: Central Europe divided over Russia’, L’Europe en
Formation, 374, 2014, 61–76

Richard, Dorota, ‘Europe centrale : l’Initiative des Trois mers’, Politique étrangère, Été.2
(2018), 103–15

Roziers, Étienne Burin des, ‘Le non-alignement’, in La Politique étrangère du général de


Gaulle (Presses Universitaires de France, 1985), pp. 61–74

Sarkozy, Nicolas, ‘Le discours d’investiture de Nicolas Sarkozy’, Le Monde.fr, 15 January


2007, section Société

The Observatory of Economic Complexity, ‘Czech Republic (CZE) Exports, Imports, and
Trade Partners’, The Observatory of Economic Complexity

The Observatory of Economic Complexity, ‘Hongrie (HUN) Export, Importer, et Trade


Partners’, The Observatory of Economic Complexity

The Observatory of Economic Complexity, ‘Pologne (POL) Export, Importer, et Trade


Partners’, The Observatory of Economic Complexity

The Observatory of Economic Complexity, ‘Slovaquie (SVK) Export, Importer, et Trade


Partners’, The Observatory of Economic Complexity

Toute l’Europe.eu, ‘La croissance en Europe’, Toute l’Europe.eu

Page 481
Tulmets, Elsa, ‘Les inflexions de la politique étrangère des pays d’Europe centrale et orientale
après la crise en Ukraine’, Les Champs de Mars, 29, 2017, 139–73

Vargovčíková, Jana, ‘Le Groupe de Visegrad, 20 ans après, The Visegrad Group, 20 Years
Later’, Politique étrangère, Printemps.1 (2012), 147–59

Védrine, Hubert, ‘La juste place de la France dans le monde’, Études, Tome 408.1 (2008), 9–
18

Wilga, Maciej, and Ireneusz Pawel Karolewski, ‘La Pologne et le traité de Lisbonne :
Préhistoire, négociation et application, Abstract’, L’Europe en Formation, 365, 2012,
195–215

Sur les relations entre l'UE et la Russie

Arcq, Étienne, Vincent de Coorebyter, and Cédric Istasse, ‘Fédéralisme et confédéralisme’,


Dossiers du CRISP, 79, 2012, 11–125

Autret, Florence, ‘La politique énergétique sous la présidence allemande de l’UE’, Regards
sur l’économie allemande. Bulletin économique du CIRAC, 82, 2007, 13–18

Barthalay, Bernard, ‘Une souveraineté fédérale pour la zone euro’, L’Europe en Formation,
368, 2013, 167–88

Bayou, Céline, ‘Les nouveaux États membres : facilitateurs ou entraves à la relation UE-
Russie ?, Abstract’, Géoéconomie, 43, 2007, 54–68

Beaud, Olivier, ‘Penser le fédéralisme’, Commentaire, Numéro 120.4 (2007), 953–62

Bocquet, Dominique, ‘Paris, Bonn, Delors : l’Europe en quête de centre’, Le Débat, 83, 1995,
15–24

BÖHM, WOLFGANG, ‘Umbauplan für einen EU-Staat’, Die Presse, 2012

Bolzen, Stefanie, ‘Zukunftsgruppe: Europas Außenminister Wollen Mehr Macht Für EU’,
DIE WELT, 20 June 2012

Bordachev, Timofei V., ‘Les relations UE-Russie à l’ère du jeu à somme nulle, Abstract’,
Politique étrangère, Printemps.1 (2013), 161–73

Borella, François, ‘Chapitre 8. Les mises en cause du cadre étatique’, in Éléments de droit
constitutionnel, 2008, p. 52

Bouillaud, Christophe, ‘La genèse de la CEE’, Politique européenne, 41, 2013, 164–76

Clerget, Jérôme, ‘De l’accord de partenariat et de coopération aux « quatre espaces


communs »’, Les cahiers Irice, 12, 2014, 45–58

Page 482
Constantinesco, Vlad, ‘La souveraineté est-elle soluble dans l’Union européenne ?’, L’Europe
en Formation, 368, 2013, 119–35

Diop, Pathé, ‘La souveraineté, pierre d’achoppement pour une fédération politique
européenne, Abstract’, L’Europe en Formation, 363, 2012, 63–71

La Documentation française, ‘Le partenariat énergétique : un succès’

Gaulle, Charles de, and François Mitterrand, ‘« Debout l’Europe ! » / « Première étape de la
Fédération européenne » / « L’unité prendrait d’abord la forme d’une Confédération »
/ « La base d’une Europe » / « La victoire de l’Europe sur elle-même »’, Commentaire,
Numéro 71.3 (1995), 629–39

Giuliani, Jean-Dominique, ‘Union européenne-Russie : je t’aime moi non plus’,


Géoéconomie, 43, 2007, 3–18

Godino, Roger, and Fabien Verdier, ‘VERS LA FÉDÉRATION EUROPÉENNE’, 20

Gowan, Peter, ‘Friedrich von Hayek et la construction de l’Europe néolibérale’, Contretemps,


4 (2009), 10

Guichard, Jean-Paul, ‘La politique russe, la Sibérie et l’Europe’, Géoéconomie, 73, 2015, 81–
100

La Documentation française, ‘Les quatre espaces communs : un projet’

Locatelli, Catherine, ‘Interdépendances et conflictualités russo-européennes en matière de gaz


naturel’, Revue internationale et stratégique, 84, 2011, 95–103

Locatelli, Catherine, ‘Les enjeux de sécurité dans la relation gazière UE-Russie’, Revue
d’économie industrielle, 143, 2013, 35–69

Madelin, Thibaut, ‘Avant ses discussions avec Merkel, Schulz propose des «Etats-Unis
d’Europe»’, lesechos.fr

Ordzhonikidze, Maria, ‘La Russie et l’Occident, une enquête d’opinion, Abstract’,


Géoéconomie, 43, 2007, 83–90

Richard, Hélène, ‘La coopération communautaire par le marché’, Terrains & travaux, 8,
2005, 74–89

Simonet, Loïc, ‘La crise du gaz de 2014 entre l’Ukraine et la Russie : beaucoup de bruit pour
rien ?’, Géoéconomie, 71, 2014, 95–118

Tinguy, Anne de, ‘5. La Russie et l’Union européenne, partenariat ou coexistence ?’, in


Moscou et le monde (Autrement, 2008), pp. 135–66

Tordjman, Simon, ‘Chapitre 4 - La paix par la démocratie’, in L’union européenne et la paix


(Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2017), pp. 87–112

Page 483
Verofstadt, Guy, ‘Les Etats-Unis d’Europe’, Institut Jacques Delors

Yastrzhembsky, Sergey, ‘La Russie et l’Europe, enjeux et perspectives’, Géoéconomie, 43,


2007, 19–29

Sur la défense européenne

Ackerman, Bruce, ‘Un New Deal pour l’OTAN ?’, Commentaire, Numéro 157.1 (2017), 180–
81

Barbin, Jéronimo, ‘La guerre hybride : un concept stratégique flou aux conséquences
politiques réelles, Abstract’, Les Champs de Mars, 30 + Supplément, 2018, 109–16

BOYER, Yves, ‘Les Etats-Unis après l’ivresse d’une politique de défense néo-impériale et
hyper “technologisée”. Quels enjeux pour l’Europe ?’, AFRI 2013, 2015

Bruton, John, and Aurélie de Poortère, ‘L’Europe est-elle crédible par rapport aux États-
Unis ?, How to Make Europe a Credible Partner for the US?’, Politique américaine,
16, 2010, 53–66

Chaliand, Gérard, and Joseph Henrotin, ‘Les mutations de la guerre irrégulière’, Stratégique,
111, 2016, 141–47

David, Dominique, ‘Vivre avec la Russie’, Politique étrangère, Printemps.1 (2017), 61–70

Deschaux-Dutard, Delphine, ‘Convergences et résistances vis-à-vis de la politique de sécurité


et de défense commune : une comparaison franco-allemande’, Revue française
d’administration publique, 150, 2014, 543–58

Eudeline, Hugues, ‘L’évolution du savoir-faire des groupes irréguliers’, Stratégique, 111,


2016, 119–40

Galeotti, Mark, ‘I’m Sorry for Creating the “Gerasimov Doctrine”’, Foreign Policy, 2018

Hanson, Philip, ‘On Europe’s Fringes: Russia, Turkey and the European Union’, Turkey and
the European Union, 16

Haroche, Pierre, ‘Retour sur l’échec de l’« armée européenne » (1950-1954) : quelles leçons
pour demain ?’, Les Champs de Mars, N° 30 + Supplément.1 (2018), 47–72

Henrotin, Joseph, ‘Hervé Coutau-Bégarie, la techno-guérilla et la prospective militaire’,


Prospective et stratégie, Numéro 8.1 (2017), 37–46

Henrotin, Joseph, ‘Introduction générale - La guerre hybride comme avertissement


stratégique’, Stratégique, 111, 2016, 11–31

Hoorickx, Estelle, ‘Une cyberstratégie euro-atlantique en matière de défense : mythe ou


réalité ?’, Stratégique, 117, 2017, 187–202

Page 484
Irondelle, Bastien, ‘Chapitre 15. De la PESC à la PESD’, in Politiques européennes (Presses
de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2009), pp. 303–30

Kagan, Robert, ‘Power and Weakness’, Policy Review, 113, 2002, 18

Kalibataitė, Živilė, ‘Le spectre des menaces russes dans les Pays baltes, Abstract’, Les
Champs de Mars, 30 + Supplément, 2018, 139–46

Kempf, Olivier, ‘Cyber et surprise stratégique’, Stratégique, 106, 2014, 111–23

Kempin, Ronja, and Ronja Scheler, ‘L’intégration différenciée peut-elle débloquer la


PSDC ?’, Politique étrangère, Printemps.1 (2015), 25–35

Klaus, Vaclav, ‘Interview of the President of the Czech Republic for The Sunday Telegraph
with Bruno Waterfield | Václav Klaus’

Kunz, Barbara, ‘La fragmentation de l’architecture de sécurité dans la Baltique’, Les Champs
de Mars, 29, 2017, 83–107

La Documentation française, ‘Chronologie de l’Europe de la défense’

Lasconjarias, Guillaume, ‘À l’Est du nouveau ? L’OTAN, la Russie et la guerre hybride’,


Stratégique, 111, 2016, 107–17

Lasconjarias, Guillaume, ‘Les initiatives de l’Otan depuis le début de la crise ukrainienne’,


Les Champs de Mars, 29, 2017, 59–81

Lavallée, Chantal, ‘La Politique européenne de voisinage à l’épreuve de la guerre en


Ukraine’, Les Champs de Mars, 29, 2017, 109–37

Makarian, Christian, ‘Les leçons des frappes en Syrie’, LExpress.fr, 2018

Marangé, Céline, ‘Radioscopie du conflit dans le Donbass’, Les Champs de Mars, 29, 2017,
13–29

Mattis, James, and Frank Hoffman, ‘Future Warfare: The Rise of Hybrid Wars’, Proceedings
Magazine, 132 (2005), 2

Maulny, Jean-Pierre, ‘Europe de la défense : où va l’Union européenne ?’, IRIS

IRIS, ‘L’Europe de la défense et la Coopération structurée permanente, un verre aux trois


quarts vides ?’, IRIS

Michel, Leo G., ‘UE-Otan-États-Unis : vers un « ménage à trois » vertueux’, Politique


américaine, 4, 2006, 105–16

Ministère de la défense, ‘La CSP’, ministère de la défense

Ministère de la défense, ‘L’Initiative européenne d’intervention’, ministère de la défense

Page 485
Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘Du « British Exit » à l’« American Brexit » : les perspectives
incertaines d’une défense européenne autonome’, Hérodote, 164, 2017, 179–98

Neuilly, Yves Buchet de, ‘Chapitre 3 - L’Union européenne et la sécurité collective’, in


L’union européenne et la paix (Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), 2017), pp. 63–86

Nicolas, Clément, ‘Avec la Finlande, 10 pays rejoignent l’initiative européenne d’intervention


militaire’, euractiv.com, 2018

Nigoul, Claude, ‘L’identité européenne de défense : illusions et réalités’, L’Europe en


Formation, 376, 2015, 117–35

PARLY Florence, ‘Déclaration de Mme Florence Parly, ministre des armées, sur l’Initiative
européenne d’intervention, à Paris le 7 novembre 2018.’, https://www.defense.gouv.fr,
le 12 novembre 2018, 2018

Pertusot, Vivien, ‘Défense européenne : enfin du nouveau’, Politique étrangère, Printemps.1


(2015), 11–23

Radvanyi, Jean, ‘Quand Vladimir Poutine se fait géographe...’, Hérodote, 166–167, 2017,
113–32

Roca, Mónica Sanjosé, ‘L’identité Européenne De Sécurité Et De Défense’, 135

SHAPE, ‘SHAPE | NATO Response Force / Very High Readiness Joint Task Force’

Sur, Serge, ‘Danser avec les États’, Politique étrangère, Printemps.1 (2018), 11–23

Tenenbaum, Élie, Le piège de la guerre hybride, IFRI 2015

Sur l’Arctique

Bayou, Céline, and Eric Le Bourhis, ‘Norilsk et Mourmansk’, Le Courrier des pays de l’Est,
1066, 2008, 35–47

Calmels, Christelle, ‘Les États-Unis et l’Arctique : de l’hibernation à l’engagement’, Politique


étrangère, Été.2 (2018), 145–57

‘Cartes de l’épaisseur de La Banquise Arctique et de La Calotte Glaciaire Antarctique -


Notre-Planete.Info’

Cols bleu, ‘Océan Arctique | Colsbleus.Fr : Le Magazine de La Marine Nationale’

Degeorges, Damien, ‘L’Arctique : entre changement climatique, développements


économiques et enjeux sécuritaires’, Géoéconomie, 80, 2016, 85–96

Page 486
Godzimirski, M., ‘Russie-Scandinavie : les liaisons dangereuses ?’, Outre-Terre, 27, 2011,
57–74

GRADT, Jean Michel, ‘Le passage du Nord-Est n’a pas encore convaincu les armateurs’, Les
Echos, 2018

Guilhou, Xavier, ‘Ouragan sur l’Atlantique Nord’, Sécurité globale, 6, 2008, 97–108

ICI.Radio-Canada.ca, Zone Environnement-, ‘Le Canada et les Etats-Unis interdisent les


nouveaux forages dans l’Arctique’, Radio-Canada.ca

INA, ‘INA - Jalons - Le Second Refus de La Norvège à l’adhésion à l’Union Européenne -


Ina.Fr’, INA - Jalons

Jørgensen-Dahl, Arnfinn, ‘ARCTIS | Arctic Oil and Gas’

Kaufmann, Sven G., ‘L’océan Arctique et la coopération intergouvernementale non


contraignante’, Revue juridique de l’environnement, me 35.4 (2010), 627–41

Kovtun, Marina, and Eugène Berg, ‘Mourmansk, carrefour géostratégique’, Géoéconomie, 65,
2013, 67–84

Kunz, Barbara, ‘Les dynamiques géopolitiques de l’Arctique’, Politique étrangère,


Automne.3 (2017), 10–13

Labévière, Richard, ‘Grand Nord : le réchauffement armé’, Revue internationale et


stratégique, 84, 2011, 115–23

Lasserre, Frédéric, ‘Arctique : le passage du Nord-Ouest sous tension’, Politique étrangère,


Printemps.1 (2017), 141–53

Lasserre, Frédéric, ‘Géopolitiques arctiques : pétrole et routes maritimes au cœur des rivalités
régionales ?’, Critique internationale, 49, 2010, 131–56

Lasserre, Frédéric, Olga V. Alexeeva, and Linyan Huang, ‘La stratégie de la Chine en
Arctique : agressive ou opportuniste ?’, Norois, 236, 2015, 7–24

Lasserre, Frédéric, and Linyan Huang, ‘La Chine regarde-t-elle vraiment vers l’Arctique ?’,
Monde chinois, 44, 2015, 85–91

l’Encyclopédie Canadienne, ‘Souveraineté Dans l’Arctique’

Marchand, Pascal, ‘La Russie et l’Arctique’, Le Courrier des pays de l’Est, 1066, 2008, 6–19

Marine nationale, ‘Languedoc : 104 Jours de Déploiement En Atlantique Nord et En


Arctique’, Colsbleus, 2017

Olesen, Mikkel Runge, and Sophie Fabre, ‘Comprendre les rivalités arctiques’, Politique
étrangère, Automne.3 (2017), 15–25

Pancracio, Jean-Paul, ‘Sur Le Passage Du Nord-Ouest’, Afri 2011, 2012, 11

Page 487
PEYNICHOU, CÉLINE, ‘La “Route de la Soie arctique” : les plans de la Chine et de la
Russie pour dominer le pôle Nord’, Asialyst, 2017

Pic, Pauline, ‘La recomposition des enjeux stratégiques en Arctique, Abstract’, Les Champs
de Mars, 30 + Supplément, 2018, 157–65

‘Pôle Nord, Pôle Sud, Arctique, Antarctique, Le Monde Polaire En Chiffres.’

Simonet, Loïc, ‘Les hydrocarbures de l’Arctique : Eldorado ou chimère ?’, Géoéconomie, 82,


2016, 73–98

Snegur, Julia, ‘Le pôle Nord des Russes’, Outre-Terre, 25–26, 2010, 487–501

United States Geological Survey, USGS, ‘Circum-Arctic Resource Appraisal: Estimates of


Undiscovered Oil and Gas North of the Arctic Circle’, 2008

Sur l'Ukraine et la Géorgie


CEFAN université de Laval, ‘Municipalités Ukrainophones et Russophones’, CEFAN
Université de Laval

CEFAN université de Laval, ‘Ukraine: Données Démolinguistiques’, CEFAN Université de


Laval

Chiclet, Christophe, ‘Le conflit Russo-Georgien’, Confluences Méditerranée, 67, 2008, 111–
15

Dubuy, Mélanie, ‘Les conséquences de la dislocation des empires : le cas de l’Abkhazie et


l’Ossétie du Sud’, Civitas Europa, 38, 2017, 179–200

German, Tracey C., and Benjamin Bloch, ‘Le conflit en Ossétie-du-Sud : la Géorgie contre la
Russie’, Politique étrangère, Printemps.1 (2006), 51–64

Gloaguen, Cyrille, ‘L’Ukraine entre Est et Ouest’, Hérodote, no 118.3 (2005), 107–46

Gouyon, François, ‘L’Ukraine aux limites de l’Europe ?’, Hérodote, no 118.3 (2005), 147–55

Guénec, Michel, ‘La Russie et les « sécessionnismes » géorgiens, Russia and Georgians
“Secessionisms”’, Hérodote, 138, 2010, 27–57

Haquet, Charles, ‘L’Ukraine gangrénée par la corruption’, LExpress.fr, 2017

Iakimenko, Iouri, and Mikhaïl Pachkov, ‘Le conflit ukraino-russe vu de Kiev’, Politique
étrangère, Eté.2 (2014), 81–93

Jervalidze, Liana, ‘La Géorgie et le transit énergétique après le conflit armé avec la Russie en
août 2008’, Outre-Terre, 27, 2011, 303–12

Klaus, Vaclav, ‘Let’s Start a Real Ukrainian Debate’

Page 488
LANG, David Marshall, Kalistrat SALIA, E.U, Christophe CHICLET, and Régis
GAYRAUD, ‘Géorgie’, Encyclopædia Universalis (Encyclopædia Universalis)

Laroussilhe, Olivier de, ‘Une histoire longtemps imposée par la géographie’, in Que sais-je ?
(Presses Universitaires de France, 2002), 2E ED., 14–78

Löwis, Sabine von, and Valentine Meunier, ‘Frontières fantômes et ambivalence des espaces
d’identification en Ukraine’, L’Espace géographique, Tome 46.2 (2017), 126–42

Mendras, Marie, ‘Pouvoir et territoire en Russie’, Cultures & conflits, 21–22, 1996

Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘La nouvelle OTAN : des rivages nord-atlantiques aux confins
eurasiatiques’, Hérodote, no 118.3 (2005), 27–47

Paczkowski, Andrzej, ‘9 : Pologne et Ukraine. Questions délicates, réponses difficiles’, in


L’Europe et ses passés douloureux (La Découverte, 2007), pp. 143–55

Pétiniaud, Louis, ‘Du « lac russe » au « lac OTAN » ? Enjeux géostratégiques en mer Noire
post-Crimée’, Hérodote, 166–167, 2017, 217–28

Radvanyi, Jean, ‘Quand Vladimir Poutine se fait géographe...’, Hérodote, 166–167, 2017,
113–32

SAKWA, Richard, ‘Vladimir Poutine et l’Ukraine’, AFRI, 2015

Simonet, Loïc, ‘La crise du gaz de 2014 entre l’Ukraine et la Russie : beaucoup de bruit pour
rien ?’, Géoéconomie, 71, 2014, 95–118

Sputnik, ‘Une blague de Poutine sème la panique dans les médias britanniques’

State Statistics Service of Ukraine, ‘Produit Régional Brut d’ukraine’

Tchernega, Vladimir, ‘Pourquoi Russie et Union européenne doivent coopérer en Ukraine,


Why Russia and the EU Should Cooperate in Ukraine’, Politique étrangère, Eté.2
(2014), 95–108

Thom, Françoise, ‘La naissance de l’énergocratie russe’, Commentaire, Numéro 114.2 (2006),
295–300

Thorez, Julien, ‘Géorgie-Ossétie-Russie. Une guerre à toutes les échelles’, EchoGéo, 2009

Truchlewski, Zbigniew, ‘La Pologne face à la guerre russo-géorgienne’, Nouvelle Europe,


2008

Zarifian, Julien, ‘Chapitre 7 - Les conflits du Caucase’, in Les conflits dans le monde
(Armand Colin, 2011), pp. 99–110

Zima, Amélie, ‘Sommet de l’OTAN à Varsovie : un bilan’, Politique étrangère, Hiver.4


(2016), 153–65

Page 489
Sur la Turquie

Abramowitz, Michael, ‘Freedom in the World 2018’, Freedom House, 2018

Amsellem, David, ‘Le gaz comme élément de réorientation des alliances géopolitiques en
Méditerranée orientale’, Hérodote, 148, 2013, 117–21

Azvision, ‘Le projet TANAP a été mis en service – Mise à Jour’, https://azvision.az

BEUNDERMAN, Mark, ‘Cyprus Threatens to Block EU Deal on Turkey Talks’, 2006

Biad, Abdelwahab, ‘Turquie : un État pivôt à la recherche d’un statut régional’, Géoéconomie,
72, 2014, 101–16 >

Cembrero, Ignacio, ‘¿Quién tomó la decisión de derribar al SU-24, Ünal o García?’, El


Español, 2015

Chauprade, Aymeric, ‘Perspectives Géopolitiques de La Turquie à l’orée Du XXIe Siècle’,


2010

Chenal, Alain, ‘L’AKP et le paysage politique turc’, Pouvoirs, 115, 2005, 41–54

CIA, ‘The World Factbook — Central Intelligence Agency’

Dagenais, Lucie France, ‘Les relations Turquie-Russie (1992-2016) : une géopolitique de


l’espace Pontique à nouveau sous la loupe’, Observatoire de l’Eurasie, 2017, 40

DAVUTOĞLU, Ahmet, ‘Transformation of NATO and Turkey’s Position’, SAM Center for
Strategic Research

Davutoglu, Ahmet, ‘Turkey’s Mediation: Critical Reflections From the Field’, Republic of
Turkey Ministry of Foreign Affairs, 2013

Demiryol, Tolga, ‘The Geopolitics of Energy Cooperation between Turkey and the European
Union’, L’Europe En Formation, 367, 2013, 109–34

Encyclopedia Britannica, ‘Viktor Stepanovich Chernomyrdin | Prime Minister of Russia’,


Encyclopedia Britannica

Gall, Carlotta, and Anne Barnard, ‘Turkey Begins Operation Against U.S.-Backed Kurdish
Militias in Syria’, The New York Times, 10 October 2018,

Gauchon, Pascal, and Jean-Marc Huissoud, ‘Chapitre III. Les lieux dont le contrôle donne la
puissance’, Que sais-je?, 6e éd. (2018), 50–65

Georgeon, François, ‘L’Empire ottoman et l’Europe au XIXe siècle’, Confluences


Méditerranée, 52, 2005, 29–39

Page 490
Giblin, Béatrice, ‘Éditorial : la Turquie, puissance régionale émergente ?’, Hérodote, 148,
2013, 3–7

Guibert, Nathalie, ‘La saga du bouclier antimissile de l’OTAN’, Le Monde, 1 July 2016

Hafizoglu, Rufiz, ‘Turkey Using NATO to Scare Russia?’, Trend.Az, 2015

HASANLI, Jamil, ‘The “Turkish Crisis” of the Cold War Period and the South Caucasian
Republics’, Institute for Central Asian and Caucasian Studies

Hill, Fiona, Omer Taspinar, and Tatiana Kastouéva-Jean, ‘La Russie et la Turquie au
Caucase : se rapprocher pour préserver le statu quo ?’, Politique étrangère, Hors
série.5 (2007), 153–66

Hürriyet Daily News, ‘Our “Solidarity Makes Someone Jealous,” Erdoğan Tells Putin -
Turkey News’, Hürriyet Daily News

Jabbour, Jana, and Noémie Rebière, ‘La Turquie au coeur des enjeux géopolitiques et
énergétiques régionaux’, Confluences Méditerranée, 91, 2014, 33–51

JDD, Le, ‘Syrie : la Turquie d’Erdogan frappe les Kurdes, alliés de Washington’, lejdd.fr

Jégo, Marie, ‘En Turquie, le soutien unanime au président vénézuélien Maduro vaut de l’or’,
Le Monde, 1 February 2019

Jégo, Marie, ‘Turquie : Erdogan se pose en défenseur des musulmans opprimés’, Le Monde,
13 December 2017, section International

Josseran, Tancrède, ‘La Syrie dans la tête d’Ahmet Davutoğlu’, Les Cahiers de l’Orient, 131,
2018, 105–14

Lavergne, Delphine, ‘Nabucco est mort ? Vive le corridor Sud !’, Revue internationale et
stratégique, 86, 2012, 38–48

LÁZARO, FERNANDO, ‘Turkey Is Now a Huge Liability for NATO — and America’, 2015

Le figaro, ‘Donald Trump menace de «dévaster» l’économie turque’, FIGARO, 2019

Le matin, ‘La Turquie et l’OTAN haussent le ton contre la Russie’, Le Matin, 10 June 2015

Le Monde, ‘Erdogan à Cologne pour l’inauguration d’une des plus grandes mosquées
d’Europe’, Le Monde, 29 September 2018, section Société

Le parisien, ‘Russie : Vladimir Poutine inaugure la plus grande mosquée d’Europe à Moscou’,
leparisien.fr, 2015

LIPKA, MICHAEL, ‘Muslims and Islam: Key Findings in the U.S. and around the World’,
Pew Research Center

Marzouki, Nadia, ‘Le discours des néoconservateurs sur l’adhésion de la Turquie à l’Union
européenne (2000-2005)’, Raisons politiques, no 21.1 (2006), 137–57

Page 491
Mazzucchi, Nicolas, ‘Les enjeux énergétiques de l’annexion de la Crimée’, Les Champs de
Mars, 29, 2017, 205–13

MINASSIAN, Gaïdz, ‘Caucase du Sud : l’heure des grandes manœuvres’, AFRI, 2010

Mongrenier, Jean-Sylvestre, ‘L’État turc, son armée et l’Otan : ami, allié, non aligné ?’,
Hérodote, 148, 2013, 47–67

Morelli, Vincent, ‘European Union Enlargement: A Status Report on Turkey’s Accession


Negotiations’, European Union Enlargement, 18

Orange informations, ‘Les Russes font redémarrer le tourisme en Turquie’, Orange Finance,
2018

Özge, Artık, ‘La Turquie : retour au Moyen-Orient’, Hérodote, 148, 2013, 33–46

Perspective monde, ‘Partenaires Économiques Commerciaux - Turquie’, Perspective Monde


Université de Sherbrooke

Pew research center, ‘The Future of the Global Muslim Population - Pew Forum on Religion
& Public Life’, Pew Research Center, 2011

Protection Civile et Operations d’Aide Humanitaire Européennes, ‘Turquie’ (Commission


Européenne, 2018)

Rebière, Noémie, ‘Les relations russo-turques au prisme des enjeux énergétiques’,


Confluences Méditerranée, 104, 2018, 113–23

Republic of Turkey Ministry of Foreign Affairs, ‘IV. Turkey’s International Security


Initiatives and Contributions to NATO and EU Operations’, Republic of Turkey
Ministry of Foreign Affairs

Reuters, ‘UPDATE 2-NATO Allies Act to Strengthen Turkey’s Air Defences’, Reuters, 1
December 2015

Richard, Dorota, ‘L’Initiative de « Trois mers » - la coopération Nord-Sud au centre de


l’Europe, le nouvel axe de la politique étrangère polonaise’, IRIS

Sahin, Tuba, ‘Turkish Trade Minister to Visit Russia on Wednesday’, Anadolu Agency, 2019

Schmid, Dorothée, ‘La Turquie, alliée de toujours des États-Unis et nouveau challenger’,
Politique étrangère, Automne.3 (2011), 587–99
<https://doi.org/10.3917/pe.113.0587>

Schmid, Dorothée, ‘La Turquie et l’Union pour la Méditerranée : un partenariat calculé’,


Politique étrangère, Printemps.1 (2008), 65–76

Schmid, Dorothée, ‘L’AKP et les défis de la puissance’, Les Cahiers de l’Orient, 127, 2017,
65–76 <https://doi.org/10.3917/lcdlo.127.0065>

Page 492
Seni, Nora, ‘Turquie-Iran : une entente cordiale ?’, Hérodote, 169, 2018, 55–65

Sfeir, Antoine, ‘Le retour des empires’, Les Cahiers de l’Orient, 127, 2017, 3–4

‘Situation énergétique de la Turquie’, Connaissance des Énergies, 2017

‘Statistiques: Le Nombre de Musulmans Dans Le Monde, Par Ralph Stehly’

TRT, ‘Turquie-Russie : Echanges commerciaux en hausse de 46,2% les 5 premiers mois de


2018 | TRT Français’

Turan, Ilter, ‘The Rise and Fall of Turkey’s Middle East Policy’, The German Marshall Fund
of the United States, 2012

Turunç, Garip, ‘La Turquie et l’Europe : Une relation embrouillée’, Mondes en


développement, no 128.4 (2004), 89–113

Ülgen, Sinan, ‘La transformation économique de la Turquie : une nouvelle ère de


gouvernance ?’, Pouvoirs, 115, 2005, 87–99

UNSALDI, Levent, ‘La défense en Turquie. Entre continuité, singularité et unanimité’, AFRI
, 2006

U.S. Energy Information Administration, ‘Country Analysis Brief: Turkey’, U.S. Energy
Information Administration, 2017, 17

Valle, Alexandre del, ‘La Turquie dans l’UE : « rempart contre l’islamisme » ou mort
programmée du système kémaliste laïque ?’, Géoéconomie, 48, 2009, 89–108

Vérez, Jean-Claude, ‘La Turquie : une future puissance économique mondiale ?’, L’Europe en
Formation, 367, 2013, 93–107

Vif, Le, ‘Turquie: L’AKP Quitte Le PPE Pour Rejoindre Le Groupe Conservateur et
Réformiste’, 2013

Yégavian, Tigrane, ‘La Turquie embourbée dans la crise syrienne’, Les Cahiers de l’Orient,
131, 2018, 83–103

Sur la Conclusion

Blenckner, Stephanie, ‘Le niveau des dépenses militaires mondiales se maintient à 1 700
milliards de dollars’, 2018, 4

Dvinina, Ekaterina, ‘Abe-Trump : première rencontre pour établir la confiance’, Le Monde, 18


November 2016

Institut international de recherche sur la paix, Sipri yearbook 2018: armaments, disarmament
and international security : résumé en français (Bruxelles: GRIP, 2018)

Page 493
Kortunov, Andrey, and Boris Samkov, ‘Moscou et le G7 : un drame en trois actes, prologue,
et épilogue’, Politique etrangere, Été.2 (2019), 75–89

Morath, Eric, and Harriet Torry, ‘U.S. Unemployment Rate Falls to Lowest Level Since
1969’, Wall Street Journal, 5 October 2018, section Economy

The Observatory of Economic Complexity, ‘OEC - Russia (RUS) Exports, Imports, and
Trade Partners’, The Observatory of Economic Complexity

World Economic Forum, ‘The Global Competitiveness Report 2018’, World Economic
Forum, 2018

Page 494
Table des matières

Partenaires ou adversaires : évolution des relations entre les membres de l'OTAN et


la Russie au XXIème siècle ................................................................................................... 1
Table des sigles et des abréviations................................................................................ 5

Sommaire ....................................................................................................................... 7

Introduction ...................................................................................................................... 9
1 L'OTAN et la Russie : deux acteurs en mutations ............................................ 12
A : l'OTAN une organisation de défense cherchant son rôle ........................... 13
1 Une organisation de défense intergouvernementale prenant ses décisions à
l'unanimité .................................................................................................... 13
1.1 Une organisation répondant initialement au contexte de la guerre
froide ........................................................................................................ 13
1.2 Le fonctionnement de l'Alliance : une liberté pour les Etats membres
.................................................................................................................. 15
2 Une Alliance cherchant à s'adapter aux enjeux post-guerre froide ........... 16
2.1 L'OTAN à la recherche d'une nouvelle mission ................................. 17
2.2 Une adaptation de la structure de l'OTAN ......................................... 18
B la Russie un géant géopolitique affaibli ....................................................... 20
1 La Russie un pays à fort potentiel difficile à maîtriser ............................. 20
2 La Russie du XXIème siècle contrôlée par Vladimir Poutine .................. 22
2 Méthode de la recherche : une analyse inductive des relations internationales
.............................................................................................................................. 23
A - Une analyse inductive se greffant sur le réalisme ...................................... 24
B : Des relations visant la poursuite des intérêts des Etats .............................. 27
C - Des relations déterminées par l'espace où elles s’exercent ........................ 29
3 – Problématique, structure de la thèse et plan ................................................... 31
Partie I La volonté de perpétuer le duopole entre les Etats-Unis et la Russie .......... 33
Titre 1 : Une confrontation bipolaire dans un monde mondialisé : .............................. 35

Chapitre 1 : Une volonté d'affirmer leur place dans le monde au travers de visions
différentes servant les intérêts des États : ................................................................. 35
Section 1 : Les États-Unis entre interventionnisme et isolationnisme face à la
Russie entre Occident et Eurasie .......................................................................... 36
§1 Une politique américaine marquée par l'exceptionnalisme ......................... 37

Page 495
A Les contradictions entre isolationnisme et interventionnisme : des
conceptions différentes de la place des États-Unis dans le monde .............. 39
1 L’isolationniste : une tradition tenace ................................................... 39
2 La prédominance d'un interventionnisme variable................................ 42
B le réalisme des présidents américains : entre recherche du statu quo et
impérialisme ................................................................................................. 45
1 Des épisodes impérialistes .................................................................... 46
2 La prédominance d'une stratégie du maintien du statu quo .................. 48
§2 une politique russe entre occidentalisme et eurasisme ................................ 51
B le dualisme entre l'occident et l'orient : des positions motivées par la
vision de l'occident ....................................................................................... 53
1 Le statu quo inspiré du libéralisme occidental ...................................... 54
2 Le « civilisationnisme » eurasiatique : un impérialisme reposant sur le
rejet de l'occident ...................................................................................... 56
C Le réalisme Étatique du président Vladimir Poutine .............................. 58
1 : Une stratégie défensive visant à la stabilisation et à la reconstruction
de la Russie............................................................................................... 58
2/ une stratégie offensive afin de permettre à la Russie de redevenir une
puissance globale...................................................................................... 62
Section 2 L'utilisation offensive de l'influence et de la propagande .................... 66
§1 La promotion des modèles : l'universalisme occidental américain contre le
particularisme culturel russe............................................................................. 67
A - la promotion diffuse de l'universalisme occidental par les États-Unis : 68
1 Un ensemble complexe d'ONGs américaines participant à la diffusion
des valeurs ................................................................................................ 68
2 - les think tanks et les organisations d'échange politique, des outils
participants à la formation des décideurs occidentaux ............................. 70
B - la promotion culturelle et politique de la Russie : un système en
reconstruction ............................................................................................... 73
1 L'influence culturelle ............................................................................. 73
2 - Les intérêts partagés entre le président Poutine et les dirigeants
d'inspiration gaulliste ............................................................................... 75
C - la constitution d'un mythe national au travers d'une propagande
médiatique .................................................................................................... 76
1 - la mythologie nationale, la manipulation de la réalité à des fins
idéologiques ............................................................................................. 77
2 - Le secteur du divertissement américain : un vecteur de la construction
et de la diffusion des valeurs américaines ................................................ 78
3 - Un roman national russe mis en avant par l’État ................................ 79

Page 496
§2 Diviser et affaiblir l'adversaire en utilisant les crises politiques internes ... 81
A - l'utilisation de forces de contestation dans le cadre de crises politiques 81
1- l'influence occidentale des États-Unis dans l'étranger proche russe  ... 82
2 : L'utilisation des anti-libéraux par la Russie : ...................................... 83
B - Discréditer l'action et la politique adverse : la réactualisation d'ancienne
stratégies par les nouvelles technologies ...................................................... 85
1 l’application des méthodes classiques de propagandes ......................... 86
2 - L'utilisation des réseaux sociaux à des fins de déstabilisation ............ 88
Conclusion du chapitre 1 ...................................................................................... 91
Chapitre 2 : l'instrumentalisation des alliances et des organisations de coopération 92
Section 1 : l'OTAN et ses partenariats : entre outil de contrôle régional et
d''influence globale : ............................................................................................. 93
§1 : L'OTAN en Europe : un moyen pour les États-Unis de conserver un
contrôle régional : ............................................................................................. 94
A/Un intérêt américain en Europe motivé par des valeurs communes : la
dimension culturelle de l'OTAN : ................................................................ 94
1 Un contexte favorisant le maintien d'alliance culturelle transatlantique 94
2 : La tentation d'une « doctrine Monroe » américaine en Europe : ........ 97
B/ la recherche d'une Europe stable aux fins de renforcer la puissance
américaine : ................................................................................................ 100
1 L'influence américaine dans les projets d'intégration européenne ...... 100
2 : la « nouvelle Europe » le cœur de la politique européenne américaine :
................................................................................................................ 103
3 Des priorités américaines amenant des choix vis-à-vis de l'Europe.... 106
§2 : L'OTAN en tant qu'instrument d'une stratégie globale américaine dans le
Heartland : ...................................................................................................... 108
A : Une globalisation de l'alliance trahissant des prétentions extra-
européennes : .............................................................................................. 108
1 Un outil pour gérer les enjeux globaux ............................................... 109
2 Un outil pour concurrencer l'ONU ...................................................... 112
B : La pénétration de l'OTAN dans le Heartland au service des États-Unis :
.................................................................................................................... 113
1 Le Caucase du Sud, un pivot énergétique en Eurasie ......................... 114
2 : l'Ukraine : une stratégie de stabilisation aux portes de la Russie : .... 116
Section 2 L'utilisation par la Russie du monde multipolaire pour contourner la
puissance américaine .......................................................................................... 119
§1 De la CEI à l'UEE/OTSC : une consolidation de la puissance russe dans
l'Heartland ...................................................................................................... 121

Page 497
A La prétention russe de créer un contrepoids à l'OTAN et l'UE .............. 122
1 Une stabilisation de l'étranger proche ................................................. 123
2 L'UEE et l'OTSC : les vecteurs économiques et militaires comme outils
d’intégration de l'espace soviétique : ..................................................... 126
B - Un résultat limité par les handicaps du potentiel russe ........................ 130
1 L'incapacité de la Russie à fournir un contre-modèle à l'UE et l'OTAN
................................................................................................................ 130
2 : Le recours à la Chine à travers l'OCS ............................................... 132
§2 Le « Rimland » asiatique comme contrepoids à l'occident ....................... 134
A L 'OCS et les BRICS : l'utilisation des puissances émergentes et
réémergentes par Moscou afin de favoriser un ordre mondial multipolaire
.................................................................................................................... 135
1 L'utilisation des BRICS : De la défense des intérêts russes à travers
l'impulsion d'une nouvelle dynamique mondiale : ................................. 135
2 : Le triangle Russie-Chine-Inde : une dynamique régionale interne
source de puissance : .............................................................................. 138
B La participation à l'OCI : limiter la pénétration occidentale au Proche et
Moyen-Orient ............................................................................................. 141
1 : la situation chaotique au Moyen-Orient entre enjeux et opportunités
pour la Russie : ....................................................................................... 142
2 La Russie, médiatrice au Proche-Orient .............................................. 146
Conclusion du chapitre 2 .................................................................................... 148
Titre 2 Une relation tributaire de la pratique politique des administrations russes et

américaines ................................................................................................................. 150

Chapitre 1 L’Administration des États-Unis face à une Russie en


reconstruction (2000 -2012) ................................................................................... 152
Section 1 Les débuts des mandats des présidents Bush Jr et Obama : des
rapprochements motivés par des intérêts communs ........................................... 152
§1 le rapprochement entre les présidents Bush Jr et Poutine : une main tendue
intéressée de la part de la Russie .................................................................... 153
A Une coopération idéologique sur fond sécuritaire .................................. 153
1 Un conservatisme dans les relations internationales partagé par les
présidents ................................................................................................ 153
2 Une « guerre contre le terrorisme » reposant sur des valeurs communes
................................................................................................................ 155
B Un rapprochement satisfaisant les intérêts propres à chaque État  ......... 157
1 Une stratégie au profit de la consolidation de l’État russe .................. 157
2 L'intérêt pour les États-Unis d'avoir un allié global : .......................... 160

Page 498
§2 Le rapprochement entre les présidents Obama et Medvedev : le souhait
d'une réinitialisation des relations réciproques............................................... 161
A Des dirigeants animés par une volonté d'ouverture ................................ 162
1 Des présidents aux caractères différents de leurs prédécesseurs : ...... 162
2 : Entre pragmatisme et reconnaissance de la multipolarité : ............... 165
B Un « reset » des relations : surmonter ensemble les enjeux du XXIème
siècle ........................................................................................................... 166
1 Le reset : un avatar de la « puissance intelligente « ............................ 167
2 Un reset lié à la montée en puissance de la Chine .............................. 169
§3 Des dynamiques générales amenant à la coopération ............................... 170
A L'importance du rôle des dirigeants dans le rapprochement .................. 171
B L'influence du contexte international ..................................................... 172
Section 2 : Des prises de positions ramenant les tensions diplomatiques .......... 174
§1 une pression des interventionnistes américains dans les administrations
présidentielles conduisant à une politique offensive : .................................... 175
A les néoconservateurs sous la présidence Bush : une volonté de renforcer la
crédibilité des États-Unis ........................................................................... 175
1 la réactualisation de la doctrine de « la paix par la force » dans
l'administration Bush .............................................................................. 176
2 Une politique impériale visant à retrouver une crédibilité interne et
externe .................................................................................................... 178
B la persistance d'un interventionnisme contrôlé sous la présidence Obama
.................................................................................................................... 180
1 Le retour des « wilsoniens » de la présidence Clinton dans
l'administration d'Obama ........................................................................ 180
2 l'utilisation du « leadership from behind » comme doctrine
interventionniste ..................................................................................... 182
§2 Un interventionnisme rentrant en conflit avec les intérêts russes : ........... 184
A La critique de l'action russe dans l'ex-URSS : source du durcissement du
régime ......................................................................................................... 185
1 Une critique du système russe par l'administration américaine .......... 185
2 Les conflits gelés de l'étranger proche comme vecteur de discorde entre
les administrations russes et américaines ............................................... 188
B La difficulté russe à faire valoir sa politique hors de sa zone d'influence
.................................................................................................................... 191
1 Une rivalité renaissante entre les États-Unis et la Russie sur le continent
européen ................................................................................................. 191
2 L'échec de la Russie à protéger ses alliés au Moyen-Orient ............... 194
Conclusion du Chapitre 1 : ................................................................................. 197

Page 499
Chapitre 2 : Les présidents des États-Unis face au tournant autoritaire du
président Poutine (2012) : des tensions malgré des coopérations ponctuelles ....... 198
Section 1 Le second mandat du président Obama : un partenariat officieux avec
la Russie ............................................................................................................. 199
§1 des phénomènes politiques internes influant sur la marge de manœuvres des
présidents ........................................................................................................ 200
A Une paralysie progressive de l'administration Obama ........................... 200
1 Un blocage institutionnel : le basculement du Congrès entre les mains
du parti républicain................................................................................. 201
2 La montée en puissance de mouvances antisystèmes : source de
contestation civile de la politique d'Obama............................................ 202
B La consolidation du pouvoir du président Poutine ................................. 204
1 Un contrôle accru de la société russe .................................................. 204
2 L'utilisation du conservatisme et du nationalisme comme outils de
cohésion interne...................................................................................... 206
§2 Un contexte conflictuel et instable profitant à la Russie ........................... 207
A Des crises dégénérant du fait de l'instabilité .......................................... 208
1 L'Ukraine et la Syrie : des États divisés et fragilisés........................... 208
2 Des États essentiels pour la stratégie russe de la reconquête de puissance
................................................................................................................ 210
B Une confrontation favorable à la Russie................................................. 211
1 Un interventionnisme russe militaire maîtrisé .................................... 211
2 L'impossible riposte américaine .......................................................... 213
§3 Une coopération afin de gérer les crises .................................................... 214
A La prédominance de la diplomatie comme outil de coopération ............ 215
1 La volonté d'une permanence de la discussion entre les administrations
Poutine et Obama ................................................................................... 215
2 La lutte contre le terrorisme, un vecteur réactualisé de coopération ... 217
B Un souhait de rétablir un ordre international .......................................... 218
1 L'utilisation d'acteurs régionaux comme médiateurs .......................... 218
2 Le choix de la multipolarité ................................................................ 219
Section 2 La présidence Trump : une relation américano-russe marquée par
l'incertitude ......................................................................................................... 222
§1 Une doctrine Trump s'inscrivant dans les traditions américaines ............. 223
A Une politique basée sur la rupture de l'ordre établi ................................ 224
1 L'utilisation du chaos en tant qu'instrument politique ......................... 224
2 L'America first : l'importance de la politique interne dans les décisions
du président ............................................................................................ 226

Page 500
B Une pratique de la politique internationale s'inscrivant dans la continuité
du parti républicain..................................................................................... 228
1 Le rôle du vice-président Pence et du cabinet : le poids du parti
républicain .............................................................................................. 229
2 Une politique pouvant déboucher sur le réalisme ............................... 231
§ 2 L'application à la Russie de la doctrine Trump lors de sa première année de
mandat présidentiel : une relation ambiguë.................................................... 234
A - Le souhait d'un rapprochement limité .................................................. 234
1 Une approche conservatrice et réactionnaire ...................................... 235
2 La présence d’intérêts économiques et politiques ............................... 236
B Une relation gangrenée par des dossiers conflictuels ............................. 239
1 une situation politique interne aux États-Unis bloquant le
rapprochement ........................................................................................ 239
2 Le retour en force des États-Unis en Syrie et en Europe : une persistance
des tensions ............................................................................................ 241
§3 Le futur proche de la relation américano-russe : une reconfiguration de
l'équilibre des puissances ............................................................................... 244
A - le scénario de l'isolement américain : des opportunités pour la Russie 244
B le scénario d'un tournant réaliste du président Trump : une nouvelle
coopération ................................................................................................. 245
Conclusion du chapitre 2 : .................................................................................. 246
Conclusion de la partie 1 : ...................................................................................... 248
Partie II : Les partenaires des États-Unis dans l'OTAN et la Russie : une mosaïque
de positions gravitant autour de la relation États-Unis/Russie ................................ 250
Titre 1 Les États membres de l'Union Européenne : l'absence de consensus vis-à-vis de

la Russie ..................................................................................................................... 254

Chapitre 1 Une relation influencée par des États membres clés de l'UE ............... 256
Section 1 Une relation dominée par le lien germano-russe ................................ 256
§1 Un rapprochement guidé par la politique économique ............................. 257
A L’Ostpolitik et le Russlandpolitik: un pragmatisme stratégique ............ 258
1 Une attention particulière portée par les dirigeants allemands à la Russie
................................................................................................................ 258
2 Une politique visant à intégrer la Russie dans l'Europe ...................... 262
B Un partenariat étroit dicté par une interdépendance économique .......... 263
1 Une imbrication des deux économies.................................................. 263
2 Le poids du commerce des hydrocarbures .......................................... 266
§2 l'Allemagne en tant que stabilisateur européen ......................................... 268

Page 501
A - Un membre européen majeur de l'OTAN ............................................ 269
1 : la persistance du lien entre les États-Unis et l'Allemagne................. 269
2 : une réaffirmation de la puissance allemande en Europe ................... 271
1 Une politique visant à rassurer les alliés occidentaux ......................... 274
2 Le maintien du lien avec la Russie pour maintenir la stabilité en Europe
................................................................................................................ 276
Section 2 « Vieille Europe » contre « nouvelle Europe » : une opposition entre
États européens en matière de relations avec la Russie ..................................... 279
§1 La vieille Europe : une posture favorable à la coopération avec la Russie280
A Une coopération dictée par le rôle particulier de l'Italie et la France en
Europe ........................................................................................................ 280
1 L'intérêt économique de l'Italie envers la Russie : une nécessité pour
trouver sa place sur le continent ............................................................. 280
2 l’héritage gaulliste dans la politique étrangère française : une posture
réaliste vis-à-vis de la Russie ................................................................. 284
B Un lien transatlantique restant présent.................................................... 287
1 Une relation privilégiée de l'Italie envers les États-Unis .................... 287
2 La « Patrie des droits de l'Homme » français et les Etats-Unis: un
rapprochement réaliste autour des valeurs communes ........................... 289
§ 2 La « nouvelle Europe » : une relation difficile avec la Russie ................. 292
A L'absence de position commune en Europe orientale ............................ 292
1 Une région charnière hésitant entre l’atlantisme et l'européanisme .... 292
2 Une politique de voisinage dépendant des intérêts nationaux : le cas du
groupe de Visegrad................................................................................. 295
B La Pologne : une puissance en devenir ................................................... 297
1 Un pivot stratégique entre l'Allemagne et la Russie ........................... 298
2 Le souhait de créer un nouvel « Intermarium » intégré à l'Union
européenne ............................................................................................. 300
Conclusion du chapitre 1 ................................................................................ 302
Chapitre 2 Un rôle peu abouti de l'UE dans les relations avec la Russie ............... 304
Section 1 : Une politique de l'Union européenne en proie à des divergences
internes ............................................................................................................... 305
§1 Une opposition sur les perspectives du projet européen influant les relations
avec la Russie ................................................................................................. 306
A « Fédération européenne » ou « Confédération des États-nations
européens » : deux modes d'organisation du continent .............................. 306
1 La fédération européenne : un idéal de puissance difficile à atteindre 306
2 Une confédération autour des Etats-nations : une alternative poussé par
certains eurosceptiques ........................................................................... 309

Page 502
B La crainte de la Russie d'une Europe puissance ..................................... 311
1 Une coopération russe méfiante envers le renforcement de l'intégration
européenne ............................................................................................. 312
2 La volonté russe de maintenir une UE stabilisatrice ........................... 313
§ 2 Des liens limités entre la Russie et l'UE ................................................... 315
A le facteur économique : une relation stratégique problématique ............ 316
2 Des politiques économiques problématiques ...................................... 318
B le facteur politique : une stabilité difficile entre l'UE et la Russie ......... 320
1 Une relation politique visant à ancrer la Russie dans l'Occident ........ 321
2 Une relation politique dans l'impasse du fait de la spécificité de la
politique russe ........................................................................................ 323
Section 2 Une défense européenne commune face à la Russie et indépendante des
États-Unis difficile à développer ....................................................................... 326
§ 1 Une défense européenne restant dépendante de l'OTAN ......................... 326
A L'émergence d'une défense européenne reposant sur la coopération entre
États ............................................................................................................ 327
1 L'échec de la création d'une armée européenne dans le cadre de l'UE 327
2 La coopération structurée permanente et l'Initiative européenne
d’intervention : une défense européenne reposant sur les Etats plutôt que
sur les institutions ................................................................................... 331
B - Un développement de l'Europe dans l'OTAN ...................................... 333
1 L'OTAN, un outil renouvelé de la défense européenne ...................... 333
2 Vers un déplacement du centre de gravité de la défense en Europe
orientale .................................................................................................. 335
§ 2 La nécessité de l'Europe de s'adapter aux nouveaux enjeux de défense avec
la Russie ......................................................................................................... 338
A La lutte contre résurgence des « conflits hybrides » .............................. 338
1 Une maîtrise des « conflits hybrides » par la Russie........................... 339
2 Une UE en difficulté face à la stratégie militaire russe ....................... 342
B La difficulté pour l'UE d'assurer une réponse politique crédible pour
stabiliser la situation ................................................................................... 345
1 La nécessité d'une réponse politique plutôt que militaire ................... 345
2 Retrouver un dialogue stable avec la Russie ....................................... 346
Conclusion chapitre 2 ......................................................................................... 347
Titre 2 Les États non-membres de l'UE : des relations dictées par leur position de

frontière du monde occidental  ................................................................................... 349

Chapitre 1 Les États limitrophes de l'OTAN en Occident face à la Russie ........... 351

Page 503
Section 1 : Les relations entre Le Canada, la Scandinavie et la Russie marquées
par la spécificité du territoire arctique................................................................ 351
§ 1 l’Arctique un océan stratégique en devenir .............................................. 352
A Un intérêt historique russe en Arctique .................................................. 352
1 l’héritage du « grand nord » soviétique ............................................... 352
2 une importance économique et stratégique actualisée ........................ 355
B Le regain d’intérêt pour Arctique du fait de la fonte de la glace ............ 357
1 Des opportunités économiques............................................................ 358
2 la mondialisation de la question arctique ............................................ 360
§2 Un espace poussant à des relations particulières entre les membres de
l'OTAN et la Russie ....................................................................................... 363
A Le Canada dans l'ombre des États-Unis face à la Russie ....................... 363
1 Une implication du Canada en arctique l'obligeant à coopérer avec la
Russie ..................................................................................................... 363
2 Une relation influencée par la présence américaine ............................ 366
B La Scandinavie face à la Russie ............................................................. 368
1 une division interne des États scandinaves ......................................... 368
2 l'importance de la dimension économique et énergétique ................... 370
Section 2 Les partenariats de l'OTAN à l'est : l'épicentre de la discorde avec la
Russie ................................................................................................................. 373
§ 1 L'Ukraine et la Géorgie : des territoires frontières ................................... 373
A Une Histoire marquée par des hésitations entre l'Occident et la Russie 374
1 L'Ukraine : le cœur du monde slave .................................................... 374
B : Des pays divisés politiquement après la fin de l'URSS ........................ 380
1 : Un lien russophile persistant dans les régions frontalières ............... 380
2 : Un souhait politique de rejoindre l'Occident en réaction à la période
soviétique ............................................................................................... 382
§2 Des conflits gelés aboutissant à des affrontements ouverts ...................... 384
A Des relations difficiles avec la Russie .................................................... 385
1 Une dimension économique : le transit des hydrocarbures ................. 385
2 Une dimension politique : Le souhait russe de garder le contrôle
géopolitique ............................................................................................ 387
B Une impasse géopolitique à l'échelle globale ......................................... 389
1 Une réactivation de l'OTAN en Europe de l'Est néfaste pour la Russie
................................................................................................................ 390
2 Un partenariat avec la Russie rompu................................................... 392
Conclusion chapitre 1 ......................................................................................... 393

Page 504
Chapitre 2 La Turquie sous Recep Erdogan : une politique de puissance régionale
jouant sur les contradictions ................................................................................... 395
Section 1 : Un rapprochement progressif vis-à-vis de la Russie ........................ 396
§1 Un rapprochement facilité par la politique de Recep Erdogan ................. 397
A Une vision du monde conservatrice commune....................................... 397
1 La nostalgie des empires eurasiens ..................................................... 397
2 Une déception vis-à-vis de l'occident .................................................. 400
B Des intérêts économiques concordants ................................................... 402
1 Une économie liée à la Russie............................................................. 402
2 Le développement stratégique de projets communs : South stream et
Turkish stream ........................................................................................ 404
§ 2 Un rapprochement lié au rôle accru de la Russie au Moyen-Orient ........ 406
A L'entente russo-turque pour régler les conflits régionaux ...................... 406
1 Dans le Caucase : assurer le statu quo................................................. 406
2 En Syrie : un triumvirat avec l'Iran ..................................................... 409
B Une gestion du Rimland eurasiatique pour sécuriser les intérêts russes 410
1 La Turquie comme protectrice du Heartland russe ............................. 411
2 Une Turquie devenue incontournable en Eurasie ............................... 412
Section 2 : La méfiance de la Turquie envers la Russie justifiant la protection de
l'OTAN ............................................................................................................... 414
§1 La politique occidentaliste de la Turquie : tirer les bénéfices de la puissance
des États-Unis et de l'UE ................................................................................ 415
A le projet d’adhésion à l'UE : une volonté de participer à la politique
européenne néanmoins compromise .......................................................... 415
1 Une priorité politique pour le gouvernement AKP ............................. 415
2 Une adhésion à l'UE liée à sa politique régionale ............................... 418
B Les États-Unis comme caution de la puissance turque........................... 420
1 un partenariat renouvelé mais connaissant des difficultés .................. 420
2 un rôle régional assuré par la stratégie américaine ............................. 422
§2 L'OTAN : Une assurance pour l’indépendance politique de la Turquie ... 424
A La persistance d'une méfiance envers la Russie ..................................... 424
1 Un contexte historique et géopolitique source de méfiance ................ 425
2 Des intérêts opposés persistants, sources de tensions ......................... 427
B L'utilisation de l'Alliance contre les ambitions russes ............................ 428
1 Un forum politique pour contrer l'influence grandissante de Moscou 429
2 Une défense commune garante de la protection turque face au
déploiement militaire russe .................................................................... 430

Page 505
Conclusion de la Partie 2 :...................................................................................... 432
Conclusion générale ..................................................................................................... 434
Les États-Unis : une hyperpuissance en maintien marginalisant la place de
l'OTAN dans sa stratégie .................................................................................... 434
La Russie approfondissant son tournant vers l'Asie ........................................... 435
L'Europe cherchant sa place sur la scène internationale mondiale .................... 436
Le régionalisme comme source d'équilibre et de stabilité.................................. 437
Bibliographie .............................................................................................................. 440

Table des matières ...................................................................................................... 495

Index Thématique ....................................................................................................... 507

Page 506
Index Thématique

Berlusconi, 77, 287, 293, 329 gaulliste, 74, 76, 107, 285, 289, 315, 505,
Bill Clinton, 18, 48, 49, 59, 70, 103, 116, 511
156, 157, 185, 241, 477 Hillary Clinton, 88, 109, 169, 183, 185,
Bush Jr, 47, 101, 105, 111, 154, 155, 205, 207, 226, 227, 233, 239, 244, 485
221, 244, 276, 299, 507 Hollande, 295, 488
Caucase, 53, 65, 116, 117, 143, 146, 160, hyperpuissance, 9, 17, 99, 101, 160, 256,
188, 194, 324, 383, 385, 391, 394, 395, 294, 442, 468, 515
402, 410, 413, 414, 415, 421, 428, 433, interventionnisme, 36, 39, 40, 42, 43, 44,
477, 498, 499, 500, 506, 514 45, 48, 115, 119, 155, 166, 178, 179,
Chine, 5, 9, 10, 18, 30, 50, 68, 72, 74, 91, 183, 184, 185, 186, 187, 188, 194, 207,
115, 120, 121, 126, 127, 129, 133, 134, 211, 216, 218, 220, 236, 239, 268, 275,
135, 136, 137, 138, 139, 140, 141, 142, 423, 481, 504, 505, 508, 509
151, 162, 168, 171, 172, 187, 203, 212, isolationnisme, 36, 39, 40, 41, 42, 45, 48,
224, 225, 234, 242, 243, 250, 254, 270, 49, 50, 77, 95, 140, 151, 156, 158, 168,
307, 319, 331, 366, 367, 368, 409, 419, 186, 206, 207, 231, 232, 235, 249, 250,
441, 442, 443, 444, 445, 446, 461, 473, 251, 399, 442, 481, 504
474, 475, 477, 483, 496, 507, 508 Lavrov, 127, 145, 153
conservateur, 76, 86, 156, 180, 191, 202, libéral, 39, 54, 55, 85, 91, 113, 164, 165,
208, 211, 238, 240, 247, 251, 288, 304, 185, 208, 238, 240, 294, 304, 312, 389,
401, 405 446, 485
conservatisme, 58, 63, 155, 156, 206, 208, libéralisme, 38, 44, 48, 54, 55, 77, 96, 97,
210, 233, 238, 240, 402, 403, 482, 485 156, 165, 211, 240, 313, 423, 505
équilibre des puissances, 28, 29, 36, 44, Macron, 73, 109, 278, 296, 337, 460
50, 76, 224, 225, 249, 250, 256, 273, Medvedev, 126, 153, 154, 163, 164, 165,
284, 290, 291, 296, 297, 314, 317, 403, 167, 168, 174, 175, 188, 193, 194, 199,
433, 445, 446, 510 201, 202, 266, 272, 322, 460, 479
Erdogan, 223, 400, 401, 402, 403, 405, Merkel, 73, 76, 109, 228, 261, 262, 265,
406, 407, 408, 409, 412, 413, 415, 416, 266, 267, 268, 269, 271, 273, 275, 276,
418, 420, 422, 423, 424, 428, 429, 430, 278, 280, 312, 334, 460, 487, 488, 492
431, 432, 433, 435, 500 mondialisation, 10, 28, 35, 64, 66, 67, 69,
étranger proche, 59, 60, 61, 62, 65, 66, 82, 78, 110, 161, 168, 202, 203, 212, 225,
83, 92, 94, 104, 115, 116, 118, 124, 125, 235, 253, 269, 286, 351, 366, 434, 446,
126, 127, 130, 132, 134, 135, 136, 137, 513
150, 151, 173, 188, 191, 193, 194, 202, Moyen-Orient, 30, 47, 58, 64, 65, 86, 113,
210, 215, 253, 290, 317, 329, 332, 357, 117, 123, 137, 142, 143, 144, 146, 162,
393, 397, 405, 436, 506, 507, 508 182, 194, 197, 198, 199, 213, 218, 223,
eurasisme, 51, 54, 56, 57, 58, 65, 85, 329, 234, 243, 247, 248, 249, 278, 339, 341,
405, 470 394, 403, 404, 405, 412, 413, 415, 417,
eurasistes, 53, 57, 157, 197, 326 418, 420, 421, 423, 425, 426, 428, 429,
gaullisme, 288, 291, 314

Page 507
431, 435, 436, 437, 439, 450, 458, 474, 242, 250, 251, 285, 289, 290, 294, 314,
477, 481, 501, 507, 509, 514 316, 318, 319, 352, 402, 414, 456, 457,
multilatéralisme, 18, 44, 82, 224, 237, 249, 466, 510, 511
252, 376 révolutions de couleurs, 82, 84, 128, 131,
néoconservateurs, 47, 83, 95, 101, 158, 192, 193, 389, 390
178, 179, 180, 182, 188, 190, 196, 198, Sarkozy, 77, 268, 295, 488, 490
235, 428, 429, 500 South Stream, 196, 287, 324, 393, 411,
Nord Stream, 272, 273, 287, 307, 324, 325, 412
342, 377, 393, 411, 487 Thatcher, 157, 241, 314, 315, 318, 455,
Obama, 46, 47, 48, 49, 59, 65, 91, 108, 468, 483, 486
109, 111, 116, 119, 126, 144, 145, 147, Trump, 9, 41, 47, 49, 80, 109, 140, 148,
148, 154, 157, 158, 163, 165, 166, 167, 149, 150, 168, 172, 203, 204, 207, 208,
168, 169, 170, 171, 172, 174, 175, 177, 225, 226, 227, 228, 229, 230, 231, 232,
178, 181, 183, 184, 185, 186, 187, 190, 233, 234, 235, 236, 237, 238, 239, 240,
194, 197, 200, 202, 203, 204, 205, 206, 241, 242, 243, 244, 245, 246, 247, 248,
207, 208, 209, 210, 211, 213, 217, 218, 249, 250, 251, 252, 276, 277, 296, 304,
219, 220, 221, 223, 224, 225, 226, 227, 306, 307, 333, 340, 344, 373, 417, 429,
230, 231, 233, 234, 237, 240, 241, 242, 442, 443, 453, 455, 465, 466, 467, 470,
243, 244, 246, 252, 275, 296, 299, 300, 471, 475, 478, 482, 483, 484, 485, 486,
365, 373, 454, 456, 461, 467, 469, 470, 500, 502, 509, 510
477, 478, 480, 481, 482, 483, 485, 488, Turquie, 12, 14, 30, 117, 142, 144, 158,
507, 508, 509 212, 221, 223, 355, 359, 393, 400, 401,
Orban, 86, 302, 329, 337 402, 403, 404, 405, 406, 407, 408, 409,
printemps arabe, 185, 199, 203 410, 411, 412, 413, 414, 415, 416, 417,
progressisme, 86, 211, 240, 241, 407 418, 419, 420, 421, 422, 423, 424, 425,
progressiste, 38, 166, 211, 402 426, 427, 428, 429, 430, 431, 432, 433,
Reagan, 9, 46, 101, 156, 157, 163, 179, 434, 435, 436, 437, 438, 439, 440, 445,
180, 183, 195, 227, 235, 237, 238, 240, 448, 451, 453, 489, 498, 499, 500, 501,
244, 251, 263, 275, 478, 484, 486 502
réalisme, 11, 24, 26, 27, 39, 45, 58, 62, unilatéralisme, 42, 43, 114, 126, 166, 168,
111, 123, 150, 156, 179, 180, 183, 185, 170, 173, 174, 179, 195, 198, 249, 252
232, 233, 235, 236, 238, 249, 250, 251, universalisme, 55, 57, 68, 69, 91, 92, 98,
265, 266, 270, 295, 299, 311, 351, 403, 139, 174, 236, 240, 295, 444, 505
446, 466, 484, 504, 505, 510 Visegrad, 22, 105, 281, 297, 298, 299, 300,
réaliste, 26, 28, 31, 37, 49, 50, 59, 63, 65, 301, 302, 303, 308, 327, 335, 342, 343,
76, 77, 86, 119, 155, 156, 166, 169, 174, 390, 430, 456, 490
184, 185, 202, 215, 218, 224, 235, 237,

Page 508
Alexandre MASSAUX
CDPC UMR DICE, Université de Toulon

Partenaires ou adversaires : évolution des relations entre


les membres de l'OTAN et la Russie au XXIème siècle

Résumé en français
L'arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine marque un tournant politique pour la Russie. Ce pays, qui a connu une
perte de puissance sur la scène internationale pendant la décennie 1990, affiche désormais une volonté de
retrouver sa place historique de grande nation. Face à elle se trouve l'OTAN, créée jadis pour s'opposer à l'URSS.
Après la guerre froide, cette organisation de défense s'est étendue dans l'ancien espace soviétique avec l’adhésion
des États d'Europe centrale et orientale. Une telle situation, combinée à la stratégie russe de retrouver sa
puissance, notamment dans son étranger proche, fait que les tensions reviennent. Toutefois, il semble erroné de
considérer l'OTAN comme un bloc unique. En effet, en partant du fait que les décisions de l'Alliance sont prises
à l'unanimité, il apparait pertinent d'analyser la politique entre l'OTAN et la Russie à travers les relations
bilatérales des membres de l’organisation. La combinaison de celles-ci sur la scène internationale amène soit un
rapprochement basé sur des intérêts communs soit une confrontation reposant sur des divergences. Cette analyse
permet de mettre en avant les dynamiques politiques, économiques et sécuritaires aboutissant à un équilibre des
puissances à la fois européen et global.

Mot clés : OTAN, Russie, Etats-Unis, Europe, Défense internationale

Partners or opponents: evolution of the relations between NATO's members and Russia
on the 21st century

Résumé en anglais

Vladimir Putin's rise to power marks a political turning point for Russia. This country, which experienced a loss
of control on the international scene during the 1990s, now displays a desire to regain its historic place as a great
nation. Faced with it is NATO, formerly created to oppose the USSR. After the Cold War, this defense
organization expanded into the former Soviet space with the accession of the Central and Eastern European
states. Such a situation combined with the Russian strategy of regaining power, especially in its neighbor, is
causing tensions to return. However, it seems wrong to consider NATO as a single bloc. Indeed, the alliance take
its decisions unanimously, so it seems relevant to analyze the policy between NATO and Russia through the
bilateral relations of the members of the organization. The combination of these elements on the international
scene brings either a rapprochement based on shared interests or a confrontation based on differences. This
analysis makes it possible to highlight the political, economic, and security dynamics leading to a balance of
powers, both European and global.

Keywords : NATO, Russia, United-States of America, Europe, International defence

Page 509

Vous aimerez peut-être aussi