Ssoar-2007-Gomart-Paris Et Le Dialogue Ue

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Paris et le dialogue UE/ Russie: nouvel élan avec


Nicolas Sarkozy?
Gomart, Thomas

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Arbeitspapier / working paper

Zur Verfügung gestellt in Kooperation mit / provided in cooperation with:


SSG Sozialwissenschaften, USB Köln

Empfohlene Zitierung / Suggested Citation:


Gomart, T. (2007). Paris et le dialogue UE/ Russie: nouvel élan avec Nicolas Sarkozy? (DGAP-Analyse Frankreich,
3). Berlin: Forschungsinstitut der Deutschen Gesellschaft für Auswärtige Politik e.V.. https://nbn-resolving.org/
urn:nbn:de:0168-ssoar-131358

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DGAPanalyse
Frankreich
Forschungsinstitut der
Deutschen Gesellschaft für Auswärtige Politik

November 2007 N° 3

Paris et le dialogue UE / Russie :


nouvel élan avec Nicolas Sarkozy ?
Thomas Gomart
Die DGAPanalysen Frankreich erscheinen
mit freundlicher Unterstützung der

Redaktion:
Dr. Martin Koopmann und Ulla Brunkhorst

Herausgeber:
Forschungsinstitut der Deutschen Gesellschaft für Auswärtige Politik e. V. | Rauchstraße 17/18 | 10787 Berlin
Tel.: +49 (0)30 25 42 31-0 | Fax: +49 (0)30 25 42 31-16 | info@dgap.org | www.dgap.org | www.weltpolitik.net
© 2007 DGAP
November 2007 | DGAPanalyse Frankreich 03

Summary

Paris and the Dialogue EU-Russia:


New dynamics with Nicolas Sarkozy?

Thomas Gomart

Since the election of Nicolas Sarkozy as French president in May 2007, Franco-
Russian relations took some turns because of bilateral events (e. g. the Total-Gaz-
prom agreement of July 2007) and the new principles formulated by Sarkozy for
his future foreign policy. For the new government, Russia will not be a strategic
priority. At the same time, Russian reactions are reserved. Moscow seems to be
more patient concerning the new priorities of French foreign policy compared to
its reactions to recent EU or NATO behavior.
France should put more emphasis on coordination of its own Russian policy with
EU positions towards Russia in order to avoid a devaluation of EU-Russia rela-
tions compared with US-Russian relations. Paris will have to give up the some-
what unrealistic objective of a “special relationship” with Moscow, if it wants to
improve French influence on EU policy towards Russia. In doing so, France as
well as the EU as a whole should be aware that any dialogue with Russia should
follow the principle of equality and thus must not be marked by the logic of grant
aid programs.


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Contenu

Enjeux immédiats du dialogue UE / Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6


Vers un nouvel APC ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6

Dialogue ou monologues énergétiques ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

La tension intérêts/valeurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 8

Caractéristiques principales des positions de l’UE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9


Le poids du bilatéral . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

« Nouvelle Europe » et « Vieille Europe » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

L’arrière-plan transatlantique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Caractéristiques principales des positions de la Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12


Le manque d’attractivité de la Russie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12

Incertitude de la situation intérieure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Prédominance des enjeux de sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Recommendations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

Notes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15


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Paris et le dialogue UE / Russie :


nouvel élan avec Nicolas Sarkozy ?1
Thomas Gomart

Alors que les relations entre l’Union européenne A la veille de la présidence finlandaise (second
(UE) et la Russie ont changé, les relations franco- semestre 2006), bon nombre d’analyses s’accor-
russes sont en train de se modifier. Dans les années daient sur une stagnation des relations3. En dépit
à venir, la nature du dialogue UE / Russie va des ambitions affichées par Helsinki, la présidence
devenir une question cruciale, alors que la relation finlandaise s’est achevée sur un échec : le veto de
bilatérale est désormais un dossier de troisième la Pologne à un mandat de la Commission pour
ordre. Ce décalage oblige les décideurs français au négocier le nouvel Accord de Partenariat et de
pragmatisme et au réalisme pour mieux combiner Coopération (APC). Cet échec a d’emblée placé la
l’ordre du jour bilatéral à l’ordre du jour euro-russe. présidence allemande (premier semestre 2007) en
Ce dernier ne se limitant évidemment pas à l’UE. position de médiateur, en l’obligeant à consacrer
une part importante de ses ressources politiques au
Depuis le sommet de Samara (mai 2007), les rela- règlement du différend russo-polonais, plutôt qu’à
tions entre l’Union européenne (UE) et la Russie se la refonte du partenariat, pourtant annoncée. Sub-
caractérisent par une méfiance accrue. Annoncées siste de part et d’autre une impression de rendez-
depuis plusieurs mois, les négociations en vue d’un vous manqué : les relations UE / Russie ne traver-
nouvel accord ne sont toujours pas commencées, sent plus aujourd’hui une phase de stagnation, mais
alors que l’Accord de Partenariat et de Coopération une phase de dépression.
(APC) arrive à échéance en novembre 2007. Les
échanges connaissent une forte charge politique, en Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy (mai 2007),
raison du durcissement de la Russie et de la divi- les relations franco-russes ont connu plusieurs
sion des Etats-membres sur le type de partenariat inflexions résultant d’initiatives bilatérales, mais
à construire avec Moscou. En réalité, les relations surtout des premières orientations du nouveau
UE / Russie continuent à subir les contrecoups du président. Nicolas Sarkozy et Vladimir Poutine se
double élargissement (OTAN et UE) de 2004, ainsi sont rencontrés dans le cadre du G8 d’Heiligen-
que l’accentuation des tensions russo-américaines damm (juin 2007)4 ; Total et Gazprom ont signé un
et des incertitudes du projet européen. Le caractère accord très ambitieux sur le gisement de Chtokman
inévitable des échanges est fortement pondéré par en mer de Barents (juillet 2007) ; Nicolas Sarkozy a
le retour d’une rhétorique de guerre froide. A la évoqué « une certaine brutalité » de la Russie dans
veille du sommet, Peter Mandelson déclarait, par le domaine énergétique lors de la conférence des
exemple, que le niveau actuel d’incompréhension et Ambassadeurs (août 2007), Bernard Kouchner s’est
de défiance n’avait pas été atteint « depuis la fin de rendu à Moscou pour constater ses divergences
la guerre froide »2. sur le Kosovo avec Sergueï Lavrov (septembre
2007). Parallèlement, quatre évolutions doivent être
Cette dégradation de l’atmosphère s’est traduite soulignées : la relance institutionnelle de l’UE avec
par une nervosité des discours et une fébrilité le traité simplifié, le rapprochement avec les Etats-
des comportements laissant l’impression, de part Unis, un assouplissement sur le dossier turc par
et d’autre, de naviguer au doigt mouillé. Cette rapport aux engagements de campagne et un dur-
impression générale doit néanmoins résister à cissement sur le dossier iranien.
l’épreuve des faits, dans la mesure où les échanges
entre les deux parties ne cessent de s’intensifier. La Russie n’est pas une priorité stratégique pour
Cette tendance lourde ne devrait pas se retourner, la nouvelle équipe, ce qui conduit Moscou à pro-
en raison des besoins énergétiques de l’UE et du longer la phase d’observation. Les réactions russes
désir de consommation et d’ouverture de la société sont restées discrètes, comme si le Kremlin atten-
russe. dait que l’agitation médiatique inhérente à l’action


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de Nicolas Sarkozy retombe quelque peu pour, anecdotiques, moins politiques, que ses réactions
éventuellement, reprendre l’initiative. Cependant, à l’égard de l’UE ou de l’OTAN. Pour avoir une
les incertitudes liées à la succession de Vladimir vision d’ensemble des relations UE / Russie, il
Poutine (mars 2008) polarisent l’attention, reléguant convient d’examiner neuf points principaux organi-
les questions extérieures, a fortiori françaises, à sés en trois dossiers : état du dialogue UE / Russie,
l’après 2008, à l’exception notable des dossiers stra- attitude de l’UE vis-à-vis de la Russie et, inverse-
tégiques lourds, susceptibles d’être exploités politi- ment, de la Russie vis-à-vis de l’UE. Pour chaque
quement : systèmes anti-missiles et élargissement de point, on verra si la position française est mainte-
l’OTAN. Le dossier iranien ne présente pas à Mos- nue ou si elle connaît une évolution.
cou la même charge politique qu’à Paris et demeure
affaire de spécialistes.
Enjeux immédiats du dialogue
Il est possible de glaner un certain nombre de réac- UE / Russie
tions russes aux inflexions de Paris5. Les premières
concernent Nicolas Sarkozy et le choix de son
Vers un nouvel APC ?
équipe. La possibilité, mais surtout l’intérêt de rom-
pre avec l’héritage « gaullo-mitterrando-chiraquien » Signé par les deux parties en juin 1994, l’APC n’est
en politique étrangère, laisse un peu perplexe. On entré en vigueur qu’en décembre 1997 en raison de
reconnaît au nouveau président une incontestable la première guerre de Tchétchénie. Il visait à rap-
énergie, un style propre et une efficacité en matière procher la Russie de la législation et des standards
de communication politique. Les observateurs européens dans le domaine commercial. Dans l’es-
russes aiment à comparer sa plastique à celle de prit des signataires, l’octroi de la clause de la nation
Vladimir Poutine et l’exposition médiatique de leurs la plus favorisée à la Russie devait permettre de par-
épouses. Un partout, selon eux. Les PR (Public venir, à terme, à une zone de libre-échange, tout en
relations) du Kremlin présentent Nicolas Sarkozy envisageant les conditions d’une coopération politi-
comme un néophyte en matière internationale (et que. Rétrospectivement, les autorités russes ne man-
surtout militaire) pour mieux souligner l’expérience quent pas de rappeler que l’APC a été négocié par
de Vladimir Poutine. Ils se demandent si l’hésita- une Russie en situation de faiblesse et ne disposant
tion entre Hubert Védrine et Bernard Kouchner pas des compétences techniques suffisantes pour
pour le poste de ministre des Affaires étrangères percer les mystères des mécanismes communautai-
n’aurait pas en fait traduit une hésitation plus pro- res. Outre l’APC, deux autres instruments tissent
fonde entre une approche réaliste et une approche la toile de fond UE / Russie : le « dialogue énergé-
transformatrice du système international. Ils ne tique » lancé en octobre 2000 et les « quatre espa-
masquent ni leur scepticisme pour cette dernière, ces » conçus en mai 2003. Destinés à obtenir des
ni leur surprise à l’égard de la nomination de Hervé résultats concrets en suivant des « feuilles de route »,
Morin à la Défense. La personnalité ainsi que l’in- ces derniers couvrent le domaine économique, JAI
fluence de Jean-David Levitte suscitent des interro- (Justice et Affaires intérieures), de sécurité exté-
gations sur le fonctionnement de l’appareil diplo- rieure et, pour finir, de la recherche, de la culture
matique français. Compte tenu des déclarations de et de l’éducation. L’ensemble forme un dispositif
campagne, les observateurs russes s’attendaient à – sans équivalent pour les autres partenaires de
des efforts pour resserrer le lien transatlantique. l’UE – très dense d’organes mixtes et de groupes de
Cependant, ils s’expliquent mal pourquoi ce rap- travail, dont un Conseil de coopération permanent.
prochement s’accompagne de signes de soutien En dépit de cette densité et de sa forte politisation
personnel à George Bush, président en fin de man- (sommets semestriels), ce dispositif n’a pas permis
dat presque unanimement rejeté par les opinions d’absorber les contrecoups du double élargissement
publiques. de 2004 (OTAN et UE). Au premier trimestre
2004, l’UE a modifié sa position en raison des exi-
Force est également de constater que les réac- gences russes à l’égard des nouveaux membres et
tions de Moscou aux inflexions de Paris sont plus de son évolution interne. La Commission s’est alors


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ouvertement inquiétée de la tension entre les inté- Dans ce contexte, on note une volonté russe « de
rêts et les valeurs qui traversait le partenariat6. ne pas dramatiser outre mesure » l’absence d’ac-
cord10. Sans nouvel accord, les relations peuvent
Ce rappel permet de repérer les mutations inter- continuer à se développer, dans la mesure où l’APC
venues depuis le double élargissement. Sur le plan sera reconduit automatiquement. Parallèlement, on
technique, Moscou entend ne plus subir les négo- observe aussi bien de la part de Moscou que de
ciations en vue du nouvel APC, mais au contraire capitales européennes de fortes attentes à l’égard
participer à toutes les phases de son élaboration de la présidence française (second semestre 2008).
grâce à une expertise mobilisée pour défendre les La présidence française interviendra après l’entrée
intérêts russes, expertise qui est loin désormais en fonction du nouveau président russe et devrait
de révérer les dogmes communautaires. Même si ainsi pouvoir bénéficier d’une nouvelle dynamique
elle est traversée par plusieurs écoles, cette exper- côté russe. A Paris, la préparation de la présidence
tise russe sur l’UE s’accorde sur le principe de de 2008 est déjà lancée et devrait mobiliser appareil
défense des intérêts russes et se trouve désormais d’Etat, milieux politiques, économiques et expertise
en mesure d’influencer le débat7. Sur le plan poli- dans les mois à venir. En termes méthodologiques,
tique, Vladimir Poutine fait preuve d’une grande l’expérience de la présidence allemande a montré
assurance vis-à-vis de l’UE. Cette dernière ne qu’en dépit d’un véritable investissement et d’une
représente plus la même valeur cardinale qu’au préparation minutieuse, la volonté politique de
début de son premier mandat, dans la mesure où le refondre le partenariat UE / Russie pouvait être
président russe a su globaliser la politique étrangère bloquée par des différends bilatéraux. Forte de
de son pays8. Dans le discours, le président russe cette expérience, la présidence française devrait affi-
ne manque jamais une occasion de rappeler que cher des objectifs plus modestes, mais atteignables,
son pays « est une partie intégrante de la civilisation tout en prenant soin d’associer étroitement les nou-
européenne » et partage « complètement les valeurs veaux membres.
et principes fondamentaux qui forment la vision
du monde de la majorité des Européens ». Il a fait
sienne la formule de Romano Prodi : « tout sauf les Dialogue ou monologues énergétiques ?
institutions »9. Depuis la rupture des approvisionnements gaziers à
l’Ukraine en janvier 2006 et ses conséquences sur le
L’objectif de la Commission était d’ouvrir les négo- marché européen, les relations UE / Russie se sont
ciations avant le sommet de Samara en cherchant concentrées sur le dossier énergétique, au risque
à intégrer les « quatre espaces » au nouvel accord et d’accentuer la double asymétrie de leurs échanges.
à inclure un large volet énergétique. Cet objectif L’UE représente plus de 57% des échanges exté-
n’a pas été atteint pour plusieurs raisons. En pre- rieurs de la Russie, alors que la Russie représente
mier lieu, le veto de Varsovie (qui s’explique par moins de 6% des exportations totales de l’UE.
l’embargo imposé par Moscou sur la viande polo- Les exportations russes sont très majoritairement
naise) illustre la profonde dégradation des relations composées des produits énergétiques, alors que
russo-polonaises. Depuis décembre 2006, toutes celles de l’Union sont majoritairement composées
les tentatives de médiation ont échoué. En second de produits manufacturés. Cette dernière asymétrie
lieu, les incidents en Estonie témoignent du degré est la plus préoccupante, dans la mesure où elle
de ressentiment qui prévaut toujours entre Moscou tend à circonscrire la Russie à un rôle de fournis-
et les pays baltes, à la recherche d’une meilleure seur d’énergie (pétrole et gaz) pour l’Europe, ce
solidarité européenne. En troisième lieu, le climat qui touche directement à son organisation politico-
d’incertitude qui règne de part et d’autre : succes- économique. La Russie fournit 50% du gaz naturel
sion de Vladimir Poutine et avenir institutionnel de et 20% du pétrole de l’UE, ce qui représente 78%
l’UE. A ces trois obstacles, s’ajoute un manque de du pétrole russe exporté et 90% du gaz russe. Dit
confiance, et sans doute de désir. Se connaissant autrement, 75% des recettes d’exportations de la
trop, ou pas assez, les deux parties ont perdu beau- Russie dépendent directement du seul marché euro-
coup de leur attraits l’une pour l’autre. péen de l’énergie. L’objectif de la Commission est


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d’intégrer la dimension énergétique au nouvel APC Parallèlement, les autorités françaises suivent de
et ne plus se contenter du « dialogue énergétique », près les projets d’investissements de groupes russes
coquille vide lancée en octobre 2000 qui n’a nulle- en Europe et, en particulier, ceux de Gazprom,
ment permis d’atténuer les différends. qui manœuvre pour avoir directement accès aux
consommateurs européens. Les autorités françaises
Cette difficulté à dialoguer s’explique par des accordent évidemment la plus grande importance
définitions contradictoires de la « sécurité énergéti- à l’évolution des groupes énergétiques français, en
que », des situations très dissemblables entre états- finalisant notamment la fusion entre Suez et Gaz de
membres en matière d’approvisionnement et une France. Pour Paris, l’énergie est, et doit demeurer,
incertitude croissante de la Russie, en particulier un secteur stratégique, c’est-à-dire un secteur sur
sur le marché du gaz. Pour l’Union européenne, la lequel les autorités publiques ont vocation à garder
« sécurité énergétique » signifie l’accès à des ressour- une prise. La politique énergétique européenne est
ces suffisantes à des prix raisonnables et se conçoit, une des priorités de la présidence française.
avec la Russie, en termes d’interdépendance. Pour
la Russie, la « sécurité énergétique » signifie l’accès
aux marchés solvables en limitant leurs contraintes La tension intérêts/valeurs
règlementaires et en obtenant des garanties d’in- Il est fréquent de souligner la profonde diffé-
vestissements de long-terme de la part des pays rence de nature entre l’UE et la Russie pour tenter
consommateurs. Dans le domaine gazier, la Rus- d’expliquer leurs comportements respectifs. La
sie entend maintenir le monopole de Gazprom, « spécificité russe » et « la démocratie souveraine »
en dépit des la menace européenne d’inclure une constituent le ciment idéologique du Kremlin.
« clause de réciprocité » sur les conditions d’accès La première indiquerait que la Russie aurait une
au marché. Un dernier élément contribue à expli- organisation du pouvoir et un rythme de dévelop-
quer l’incertitude actuelle : le fonctionnement de pement hérités de l’histoire, deux données avec
Gazprom (sa proximité avec le Kremlin, ainsi que lesquelles les dirigeants russes se devraient de
la lutte des groupes en son sein) et le volume de ses composer. La seconde exprime le rejet de toute
réserves disponibles, qui oblige à se demander dans forme d’influence extérieure sur son territoire et
quelle mesure le géant gazier russe sera en mesure d’imitation d’un modèle de développement. Plus
d’honorer ses volumes d’exportations, sans recourir profondément, la Russie semble vouloir participer
massivement au gaz en provenance d’Asie centrale11. à la démonstration que le modèle de relations Etat/
société défendu par l’Occident est moins universel
Paris accorde la plus grande attention à l’évolution que ce dernier ne le prétend. Pour le Kremlin, il
des groupes énergétiques russes sous deux angles. s’agit désormais de faire en sorte que les Européens
Tout d’abord, il s’agit de parvenir à établir de véri- cessent de croire que « la civilisation européenne est
tables partenariats industriels, et non pas seulement meilleure que la civilisation russe »12.
des accords commerciaux. Ces groupes qui contrô-
lent de vastes réserves pétrolières et gazières sont Echouant à apporter les clarifications nécessaires
tout simplement indispensables dans un contexte de sur son projet, ses frontières et la nature de son
forte demande. Dans cette optique, l’accord signé pouvoir international, l’UE brouille son image sans
par Total avec Gazprom sur Chtokman illustre parvenir à exister comme acteur de sécurité crédible
la capacité de rebond du lobbying énergétique de par rapport à l’OTAN. Cette dualité reste décisive
Paris après l’annonce russe d’écarter les opérateurs aux yeux de Moscou13. L’impression de fermeté,
étrangers (septembre 2006). On a aujourd’hui ten- d’assurance, voire d’arrogance, de Moscou doit
dance à considérer que la réorganisation du secteur aussi se mesurer à l’aune de la fébrilité et de l’in-
énergétique russe est achevée avec le renforcement constance européennes. L’UE cherche à déplacer
des compagnies nationales selon un modèle compa- le rapport de force géopolitique sur le terrain régle-
rable à celui des autres grands producteurs (Arabie mentaire. Cette position était tenable tant que la
Saoudite, Algérie, Venezuela ou Iran). Il convient Russie était en situation d’assistée. Aujourd’hui, les
de prendre acte de ce nouveau rapport de force. outils de l’UE–assistance technique et diplomatie


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publique principalement–sont inadaptés à l’eupho- Caractéristiques principales des


rique croissance russe et à son comportement de positions de l’UE
puissance globale. La crise ukrainienne constitue
un point de rupture. Côté européen, elle a princi- Le poids du bilatéral
palement été lue comme une tentative d’immixtion
russe dans les affaires intérieures ukrainiennes, alors Les relations UE / Russie ne peuvent se compren-
que, côté russe, elle a été lue comme une tentative dre sans un suivi constant des relations bilatérales,
occidentale de contrecarrer l’influence de Moscou avec pour question sous-jacente : ces relations
dans l’espace post-soviétique. Cette dernière lecture renforcent-elles (comme les principales capitales le
a renforcé l’idée selon laquelle le véritable acteur déclarent officiellement) ou, au contraire fragilisent-
géopolitique sur le continent européen demeurait elles (comme les observateurs extérieurs ne man-
l’OTAN, vecteur principal de l’influence américaine quent pas de le noter) le dialogue UE / Russie ? Au
– et non pas l’Union européenne. cours de la séquence 2003–2007, un net clivage est
apparu à la faveur de l’élargissement, de la guerre
Ne parvenant pas à forger une identité géopolitique, d’Irak, de la « Révolution orange » et des crises
cette dernière a fait de la PEV (Politique euro- énergétiques entre Etats-membres. D’un côté, les
péenne de voisinage) le cœur de son action exté- tenants d’une ligne très critique à l’égard de Mos-
rieure14. Or, la Russie a toujours refusé d’être incluse cou, au premier rang desquels figuraient la Pologne
dans ce cadre pour mieux signifier sa volonté de et les pays baltes, voudraient que l’UE muscle son
maintenir une relation « d’égal à égal ». La difficulté discours et son action. De l’autre, les partisans
pour l’UE consiste à concilier PEV, « partenariat d’une relation d’interdépendance étroite avec Mos-
stratégique » avec la Russie, action de l’OTAN mais cou, au premier rang desquels figuraient Berlin,
aussi de l’OSCE et du Conseil de l’Europe et, last Paris et, selon les dossiers, Londres ou Rome, sou-
but not least, les relations bilatérales entretenues par haiteraient que la Russie accepte des compromis
les capitales européennes avec Moscou. durables. Outre son rôle clé de partenaire énergé-
tique, Moscou s’avère un acteur indispensable sur
Sur ces questions, les positions de Nicolas Sarkozy des dossiers dépassant le cadre UE / Russie (Iran,
marquent une inflexion. Selon lui, la multipola- Kosovo et conflit israélo-palestinien).
rité n’est pas un objectif en soi, mais traduit plu-
tôt l’amorce d’un nouveau concert des grandes Un des enjeux actuels est de savoir si ce clivage va
puissances qui pourrait dériver « vers le choc des perdurer ou si l’UE, sous l’impulsion de dirigeants
politiques de puissance » . Le comportement de la a priori moins enclins à valoriser leur « relation
Russie participe indiscutablement de cette analyse. personnelle » avec le président russe, va parvenir
Pour l’heure, les autorités françaises ne répondent à retrouver une unité sur la question russe. Dit
pas à la question de savoir si la PEV est adaptée à autrement, succédant à Tony Blair, Jacques Chirac,
ce retour des logiques de puissances. Elles se pré- Gerhard Schröder et Silvio Berlusconi, Gordon
parent davantage au débat à venir sur les grandes Brown, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et Romano
orientations géopolitiques de la PEV. Parmi les Prodi doivent redéfinir, en étroite relation avec
bénéficiaires de cette dernière, il faudra probable- leurs partenaires, la relation politique à nouer avec
ment faire un certain nombre d’arbitrages entre le successeur de Poutine. A six mois des échéances
les pays du sud ou les pays de l’est pour éviter une présidentielles russes, cette incertitude sur le per-
trop forte dissolution de l’action extérieure de l’UE. sonnel politique russe est le meilleur exemple du
Le projet d’Union de la Méditerranée peut aussi se décalage des systèmes politiques russe et européen.
lire comme un moyen de privilégier les premiers au
détriment des seconds. Cependant, les équilibres entre capitales et leurs
champs d’action devraient perdurer. Au risque de
schématiser, on peut les cartographier de la manière
suivante. Berlin demeure, et demeurera, le parte-
naire prioritaire de Moscou au sein de l’UE. Encou-


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ragée par les appareils d’Etat, la relation plonge ses systématique des « intérêts nationaux polonais »
racines dans les deux sociétés. Sur le fond, elle s’ali- conduisant à un nationalisme ombrageux. Cette
mente aux sources de la coopération énergétique. ligne aboutit à une attitude peu conciliante vis-à-vis
Habile médiatiquement, Angela Merkel a changé le de l’UE et défiante vis-à-vis de l’Allemagne. En rai-
style des échanges sans en altérer la substance (les son de l’étroitesse des relations russo-allemandes et
grands projets comme le NEGP ne sont pas remis du caractère historiquement sensible des relations
en cause)16. russo-polonaises, Moscou sert de repoussoir à la
politique étrangère de Varsovie : la Russie cherche-
Les relations russo-britanniques ont connu une rait « la désintégration de l’UE »18. D’autres pays, à
lente dégradation depuis 2003 qui s’explique par l’inverse, cherchent à resserrer leurs relations avec
une accumulation de facteurs secondaires : asile Moscou, en particulier dans le domaine énergéti-
politique accordé à des personnalités comme Boris que. Outre l’Italie (ENI et Gazprom ont signé un
Berezovsky, réaction à l’affaire Ioukos et incidents accord de long terme en novembre 2006), on peut
liés aux activités des services de renseignement citer la Hongrie, la Grèce et la Bulgarie.
des deux pays17. L’affaire Litvienko, l’expulsion
de diplomates russes en poste à Londres (juillet Pour Paris, il s’agit de sortir du bilatéral et du
2007) illustrent cette dégradation, mais ne doi- discours usé sur la « relation privilégiée » avec la
vent pas masquer le poids financier grandissant Russie, qui a ajouté à l’inconfort des positions
de la communauté russe en Grande-Bretagne. En françaises au sein de l’UE après mai 2005, sans
profondeur, l’évolution de la relation est subor- pour autant obtenir de concession tangible de la
donnée à deux facteurs : la nature du partenariat part de Moscou. Par petites touches, l’Elysée et le
OTAN / Russie et la situation énergétique de la Quai d’Orsay cherchent à refuser la confrontation
Grande-Bretagne. Au début du premier mandat de verbale, comme celle à laquelle se livrent Moscou
Vladimir Poutine, le rapprochement entre l’OTAN et Washington, tout en évitant de verser dans la
et la Russie (qui a abouti au Conseil Otan-Russie en « complaisance ». Ce dernier terme est le plus sou-
2002) a été activement encouragé par Tony Blair. vent utilisé pour caractériser la politique russe de
Le regain de tensions entre l’Alliance et la Russie à Jacques Chirac. L’objectif affiché est de parvenir à
cause des projets d’élargissement, de l’installation une meilleure articulation entre la relation franco-
de systèmes américains anti-missile en Pologne et russe et le dialogue UE / Russie, sans jamais céder à
en République tchèque, ainsi que les tensions dans un dénigrement systématique de la Russie.
les pays baltes, se ressent dans le cadre bilatéral.
Dans le domaine énergétique, la Grande-Bretagne
est devenue importatrice de gaz. Des compagnies « Nouvelle Europe » et « Vieille Europe »
comme BP et Shell ont réalisé de lourds investis- Les séquelles de la guerre d’Irak continuent à se
sements en Russie, investissements qui restent tou- ressentir dans le cadre UE / Russie. Moscou utilise
jours en partie tributaires de décisions politiques. ce clivage pour accentuer les divisions entre Etats-
membres et essayer de retrouver de l’influence en
Indiscutablement, la victoire du PIS (Droit et Jus- Europe centrale par le biais énergétique19. A cet
tice) aux élections législatives de septembre 2005, héritage s’ajoutent les conséquences psychologiques
puis l’élection à la présidence du pays de Lech du non français et néerlandais au projet de consti-
Kaczyński, ont accentué les tensions russo-polo- tution européenne. Pour Moscou, ces résultats sont
naises. Au sein de l’UE, la Pologne est le pays le le signe le plus visible de la perte d’attractivité de
plus critique à l’endroit de Moscou. Ces critiques l’UE et la faiblesse du projet européen.
traduisent les inquiétudes face au durcissement
intérieur en Russie et dénoncent un nouvel impéria- Les déclarations et décisions de Moscou créent une
lisme russe, de nature énergétique. Le PIS prône un incertitude sur ses intentions véritables ; elles ne pro-
renforcement du rôle de l’Etat dans la vie politique, voquent nullement les mêmes effets à Berlin, Paris,
économique et sociale du pays, tout en préconi- Londres, Varsovie, Rome, Helsinki ou Budapest. Or,
sant en politique étrangère basée sur une défense cette palette de réactions est parfaitement connue et

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utilisée par le Kremlin. Elles s’inscrivent dans une annoncé un moratoire sur le traité FCE (forces
volonté de repenser les relations avec l’Occident en conventionnelles en Europe), pierre angulaire de
général et avec l’Union européenne en particulier. la sécurité européenne depuis la chute de l’URSS,
tout en fustigeant l’unilatéralisme américain. A cela
Dans ce contexte, la relation russo-polonaise revêt s’ajoute l’annonce d’un veto sur le Kosovo, qui peut
une importance particulière. La dégradation des se lire comme une volonté du Kremlin de ne plus
relations ne s’explique pas seulement par le veto subir, mais, au contraire, de se repositionner comme
polonais. Moscou a parfaitement compris que les acteur central de la sécurité européenne face à une
outrances de Varsovie, la nature du régime actuel et UE peinant à prouver sa crédibilité dans ce champ21.
le degré de proximité avec les Etats-Unis margina-
lisaient la Pologne au sein de l’UE20. Varsovie sou- Les rapports russo-américains tissent une toile de
haiterait placer la relation avec Moscou sur le ter- fond indispensable à la compréhension des rela-
rain des valeurs, alors même que son gouvernement tions UE / Russie22. Après l’Ukraine, Washington
prend des décisions qui embarrassent fortement ses a progressivement durci sa politique à l’égard de
partenaires européens. Moscou exploite ces contra- Moscou, à travers notamment le discours de Dick
dictions en cherchant à stigmatiser la Pologne dans Cheney à Vilnius (mai 2006), ressenti comme
le rôle d’un pays anti-russe favorable à un retour de une provocation délibérée à Moscou, ou celui
la guerre froide. Il est certain que le vif débat qui de George Bush à Prague (juin 2007). Depuis
s’annonce sur les systèmes anti-missile ne manquera lors, la diplomatie russe rend coup pour coup, en
pas de créer de nouvelles tensions. exploitant l’anti-américanisme provoqué par le
comportement de l’administration Bush. La part
Sur ce point, la volonté de rupture de Nicolas de réaction à la politique américaine est une des
Sarkozy est explicite. Il s’agit de restaurer le parte- clés de son comportement et se retrouve dans
nariat transatlantique, en tournant définitivement des discours comme celui prononcé par Vladimir
la page de l’opposition à la guerre d’Irak et en ces- Poutine à Munich (février 2007). Dans l’espace
sant de faire de l’anti-américanisme un des piliers post-soviétique, Moscou constate que la marche de
invisibles de la politique étrangère française. Pour l’Ukraine vers les structures euro-atlantiques s’est
ce faire, Bernard Kouchner s’est rendu à Bagdad, sérieusement compliquée depuis le retour de Viktor
Nicolas Sarkozy a été reçu par la famille Bush (août Ianoukovitch et la crise politique permanente. Vis-
2007). Signe de sa bonne volonté, il a décidé « d’ac- à-vis de régimes autoritaires comme l’Ouzbékistan,
centuer » les efforts de la France en Afghanistan et Moscou apporte des garanties de sécurité, en se
de mieux intégrer le dispositif français à celui de gardant bien, à la différence de Washington ou de
l’OTAN. La véritable inconnue de ce mouvement Bruxelles, d’évoquer la « promotion de la démocra-
réside dans l’attitude que Paris va adopter vis-à-vis tie » ou le respect des « droits de l’homme ». Moscou
des structures militaires de l’Alliance dans les mois alloue, en outre, des ressources politiques et diplo-
à venir. Ce point précis fait actuellement l’objet matiques significatives à des structures multilatéra-
d’interrogations plus ou moins informelles de la les visant à exercer un contrepoids aux structures
part d’experts et de diplomates russes. euro-atlantiques sur la plaque eurasiatique (Organi-
sation de coopération de Shangaï ou Organisation
du Traité de sécurité collective)23.
L’arrière-plan transatlantique
Dans le domaine stratégique, l’horizon de la Rus- Ce regain d’influence ne suffit pourtant pas à des-
sie demeure les Etats-Unis. En effet, l’équilibre siner les contours d’une véritable politique euro-
nucléaire renforce son statut de puissance globale péenne, c’est-à-dire d’une attitude permettant à la
par rapport aux pays européens. Il ne fait guère de Russie de sortir d’une logique d’adaptations aux
doute que la diplomatie russe va durcir sa position décisions européennes. En maintenant son actuelle
à mesure que les projets d’installations de bases organisation du pouvoir basée sur une sur-repré-
américaines en Pologne ou en République tchèque sentation des services de sécurité au sommet de
se préciseront. En avril 2007, Vladimir Poutine a l’Etat, elle court le risque de n’exercer sa puissance

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qu’à travers les approvisionnements énergétiques croissance économique. Pour autant, elle n’est pas
et l’usage de son pouvoir de nuisance en matière officiellement dans une logique d’intégration, même
de sécurité. Ce n’est pas rien, mais ne suffira pas à progressive, avec l’Union ; elle défend le principe
relever les défis auxquels elle est confrontée. d’une interaction ne reposant pas sur un système de
contraintes et de valeurs communes. Une des carac-
Ces défis concernent le modèle de développement téristiques principales de la politique étrangère russe
à suivre. Or, sur ce plan, commence à poindre réside précisément dans cette incapacité à élaborer,
un débat aux Etats-Unis qui pourrait modifier les proposer et conduire un projet positif d’intégra-
interprétations de la Russie en les liant à celles tion, fondé sur un système de co-décision, quel que
de la Chine. En effet, dans son discours de Pra- soit le partenaire. Cette incapacité ruine toute les
gue, George Bush a associé directement Pékin et tentatives d’intégration politique au sein de la CEI.
Moscou, en indiquant que Washington entendait
continuer à exercer une pression démocratique à Le concept de « démocratie souveraine » a des
leur encontre. Cette classification politique annonce répercussions en politique étrangère et pèse sur la
une évolution tendant à faire de la promotion de nature du dialogue entretenu avec l’UE. La Russie
la démocratie un contre-feu au retour des logiques adopte fondamentalement une posture défensive
de puissances dénoncées par l’Administration en voyant règles et normes européennes comme
Bush. Délaissant la menace islamiste, le débat qui autant d’atteintes à sa souveraineté. Dans le même
s’amorce revient sur l’opposition historique entre temps, sa volonté politique d’intégration à l’écono-
libéralisme et autoritarisme, opposition qui annon- mie-monde par le biais d’une adhésion à l’OMC
cerait les tensions à venir entre pays démocratiques implique d’accepter un système de règles26. L’enjeu
et pays autoritaires au premier rang desquels figu- pour Moscou devrait consister à s’y adapter, tout en
rent la Chine et la Russie24. En termes de dévelop- cherchant à utiliser son regain d’influence politique
pement, ces deux pays ne cachent plus leur scep- afin précisément de trouver prise sur l’élaboration
ticisme à l’égard du modèle libéral occidental ; ils des règles communes. De même, les ressources
estiment que leur développement s’est faite en rom- financières du pays devraient être orientées de
pant avec les dogmes économiques occidentaux, manière plus significatives vers les principaux défis
tout en jouant le jeu de la globalisation25. Par les (intégration technologique, organisation de l’immi-
canaux transatlantiques, ce débat ne va pas manquer gration et formation de sa population) auxquels la
d’apparaître en France et pourrait modifier l’appro- Russie est confrontée (déclin démographique, crise
che de la Russie en privilégiant une lecture eurasiste sanitaire et organisation de l’émigration).
de son évolution plutôt qu’une lecture occiden-
taliste. Nicolas Sarkozy, on l’a vu, souscrit à cette Les inflexions eurasistes de Vladimir Poutine n’ont
analyse d’un retour des logiques de puissances sur pas échappé à Paris. Non sans succès, Vladimir
la scène internationale. En revanche, il n’est pas dit Poutine s’est employé à véhiculer une image de
que l’appareil diplomatique français souscrive à une modernisation et d’ouverture de son pays, désor-
lecture commune de la montée en puissance respec- mais inscrit dans la globalisation. Evolution relative-
tive de la Russie et de la Chine, et en particulier de ment récente : il se réfère régulièrement aux BRIC
leurs conséquences sur le leadership occidental. (Brésil, Russie, Inde, Chine), afin de présenter la
Russie comme une puissance de demain. Le PIB
cumulé des BRIC est désormais supérieur à celui de
Caractéristiques principales des l’UE et le potentiel économique de ces nouveaux
positions de la Russie centres de la croissance mondiale doit, selon lui, se
traduire en « influence politique »27. A ce propos, il
faut remarquer l’ellipse de Nicolas Sarkozy lors de
Le manque d’attractivité de la Russie
son discours aux ambassadeurs. En effet, le prési-
La Russie ne cherche probablement pas à tendre dent français ne cite que la Chine, l’Inde et le Brésil
inutilement ses relations avec l’UE, en raison de comme « les géants émergents » et les « moteurs de
l’importance cardinale du marché européen pour sa la croissance mondiale ». Cette ellipse est signifi-

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cative de la réticence de certains milieux français ment de la politique étrangère n’empêchent pas de
à envisager la Russie comme une puissance éco- penser qu’il est toujours indispensable de dialoguer
nomique de demain en raison du poids de la rente avec Moscou. Partenaire rude mais inévitable, la
énergétique dans ses revenus. Cependant, d’autres Russie reste un pays difficile à pénétrer : à six mois
milieux ne cessent d’attirer l’attention des autorités des échéances, il est toujours impossible d’avancer
sur les capacités d’investissements de la Russie, qui avec certitude le nom du successeur de Poutine. En
dispose aujourd’hui des troisièmes réserves mon- ce qui concerne ce dernier, l’idée qui a longtemps
diales de change (derrière la Chine et le Japon) et prévalu dans les milieux politico-diplomatiques et
s’apprête à constituer des fonds souverains, destinés qui consistait à en faire une sorte de « De Gaulle »
précisément à mener des raids boursiers sur les russe est aujourd’hui abandonnée, en raison notam-
marchés européen, asiatique et nord-américain. ment du degré de corruption de son entourage
immédiat28.

Incertitude de la situation intérieure


Les incertitudes sur la succession de Vladimir Prédominance des enjeux de sécurité
Poutine pèsent sur le dialogue UE / Russie, dans la Dans la conduite de sa politique européenne, on
mesure où Vladimir Poutine avait fait de l’UE son l’oublie trop souvent, Moscou continue à accorder
objectif prioritaire en 2000. Même si elle ne devrait une place prédominante aux questions de sécurité
pas être un des enjeux des prochaines élections en et à concevoir ses relations avec ses voisins en ter-
Russie (législatives en décembre 2007 et présiden- mes d’intégrité territoriale et d’équilibre des forces.
tielles en mars 2008), la relation de la Russie à l’Eu- Dit autrement, Moscou demeure dans une logique
rope demeure structurante pour le Kremlin, mais de puissance classique face à une UE qui tente d’in-
rien ne dit aujourd’hui que le successeur de Poutine venter un nouveau modèle d’acteur international.
accorde la même importance à ce partenaire. Cette logique conduit Moscou à ne jamais négliger
les facteurs militaires. La relance de la dépense mili-
Plus profondément, les Européens s’inquiètent du taire ne s’explique plus seulement par un souci de
regain d’autoritarisme en Russie, et de son éven- rattrapage des années Eltsine, mais une volonté de
tuelle traduction en politique étrangère. Ce regain forger un nouvel outil militaire, capable d’une pré-
s’accompagnerait sans aucun doute d’une résur- sence globale (par le biais notamment de l’arsenali-
gence de nationalisme dont les effets commencent sation de l’espace) et de projections régionales. En
à se faire sentir dans l’attitude adoptée vis-à-vis des bonne logique, les contours de ce dernier devraient
pays baltes. Disposant de nouveaux moyens, il est répondre à une nouvelle analyse des menaces
fort probable que Moscou va continuer à accorder pesant sur le pays.
la plus grande attention aux minorités russes. Paral-
lèlement, le prochain président russe poursuivra un Le Kremlin entretient un système de menaces inter-
des objectifs de Vladimir Poutine : permettre aux nes et externes, nécessaire à la justification d’une
ressortissants russes de ne pas subir le système de organisation du pouvoir laissant une large place aux
visa de l’UE. Symbolique, ce dossier des visas tou- structures de force et à un appareil militaire massi-
che au prestige et à l’image que la Russie se fait de fié. Cette souveraineté exacerbée conduit la Russie
sa puissance en Europe. Avec les conditions d’accès à une politique d’indépendance visant à défendre,
au marché, l’UE tient avec ce dossier un de ses sans fausse honte, ses intérêts nationaux, en tous
principaux atouts. Sur ce point, les deux parties ont temps et en tous lieux. Les Européens peinent à
progressé lors du sommet de Samara avec la signa- comprendre que les « conflits gelés », comme le
ture d’un accord de réadmission. Kosovo, s’inscrivent dans cette logique de défense
des intérêts nationaux et de volonté de marquer
Paris partage avec ses partenaires européens et, en un coup d’arrêt définitif à la perte d’influence
particulier, avec Berlin et Londres, une interpréta- des années Eltsine dans l’espace post-soviétique,
tion similaire des évolutions intérieures russes. Le en particulier dans sa composante européenne. A
rétrécissement des libertés politiques et le durcisse- cela s’ajoute une volonté de savourer une forme

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de revanche vis-à-vis d’Occidentaux, trop sûrs de 1-Reconnecter la politique française à l’égard de


leur force et de leur bon droit au cours des années la Russie à celle des partenaires européens, en
de transition. Rien n’indique que le successeur de recherchant une articulation quasi systémati-
Poutine n’infléchira cette tendance lourde, dans la que entre la relation franco-russe et le dialogue
mesure où les forces politiques qui préconisent une UE / Russie.
intégration, même progressive, avec l’Occident sont 2-Eviter la « provincialisation » de la relation
aujourd’hui très marginalisées. UE / Russie. Washington demeure l’horizon
stratégique de Moscou, ce qui conduit la Rus-
Dans les mois à venir, Nicolas Sarkozy va devoir se sie à faire du dialogue UE / Russie une sorte
prononcer sur deux dossiers stratégiques : le projet de filiale de sa relation à l’Occident. L’enjeu
américain de systèmes anti-missile en Pologne et consiste à rappeler qu’en raison de leur inten-
en République tchèque, ainsi que l’élargissement de sification et de leur volume, les relations euro-
l’OTAN. Une partie de l’argumentaire de la Russie russes ont vocation à être la base du triangle
sur le premier dossier semble en partie recevable à UE / Russie / Etats-Unis.
Paris, comme à Berlin : ce déploiement, même s’il 3-Engager un effort intellectuel pour repenser les
se faisait dans un cadre bilatéral, ne correspondrait moyens d’action extérieure de l’UE à l’égard de
pas aux engagements pris par Washington et par la Russie, en quittant la logique des programmes
l’OTAN vis-à-vis de Moscou au cours des années d’assistance. Privilégier des financements croisés
quatre-vingt-dix29. En revanche, Paris ne prend de projets.
pas l’argument selon lequel le bouclier américain 4-Refuser de restreindre le dialogue UE / Russie aux
est destiné à limiter les capacités balistiques de la questions énergétiques. Replacer ces dernières
Russie, qui pourrait facilement saturer tout système dans un cadre politique élargi permettant d’abor-
de défense. En ce qui concerne l’élargissement der le mode de développement politico-économi-
de l’OTAN, les réserves de Paris sont connues et que des deux parties, ainsi que les modalités de
s’expliquent par le besoin de « digérer » les élargisse- leurs investissements croisés.
ments précédents. Par ailleurs, on a tendance à Paris 5-Préparer une position européenne commune face
à distinguer de plus en plus les dossiers ukrainien au lobbying américain en faveur du trans-caspien,
et géorgien. Pour le premier, l’évolution politique et aux probables réactions de la Russie.
du pays demeure indécise et l’adhésion à l’OTAN 6-Scénariser les possibilités d’une réaction com-
n’est pas, semble-t-il, soutenue par l’opinion. Pour mune de l’UE à un processus électoral en Russie
le second, on considère qu’une éventuelle adhésion qui serait entaché de fortes manipulations. Orga-
ne règlerait pas automatiquement les velléités séces- niser collectivement les premiers contacts avec le
sionnistes de l’Abkhasie et de l’Ossétie, mais au nouveau président russe.
contraire pourrait les encourager. 7-Apprendre à penser la Russie au-delà de l’Oural,
c’est-à-dire ne plus faire l’économie d’une fine
analyse de l’influence de Moscou sur la plaque
Recommendations eurasiatique, et de sa position de pivot. Relier cet
effort à la stratégie de l’UE pour l’Asie centrale.
Présentées à grands traits, les positions françai-
ses sur les neuf principaux points du dialogue
UE / Russie, compris au sens large, et non pas
seulement à travers les échanges entre la Commis-
sion et le Kremlin, mériteraient d’être nuancées. Thomas Gomart (gomart@ifri.org) dirige le cen-
A la veille du premier voyage de Nicolas Sarkozy tre Russie/Nei de l’Ifri et la collection numérique
en Russie prévu pour la mi-octobre 2007, on Russie.Nei.Visions (disponible en trois langues sur
peut ouvrir plusieurs pistes de réflexion en vue www.ifri.org). Il enseigne à l’Ecole spéciale mili-
d’actions : taire de Saint-Cyr.

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Notes
1 L’auteur a publié une partie du texte en langue française 15 Discours aux Ambassadeurs, 27 août 2007.
dans l’article suivant : « Union européenne/Russie : de 16 Alexander Rahr, « Russie-Allemagne : la relation spéciale et
la stagnation à la dépression », Revue du Marché com- la présidence de l’Union européenne », Politique étrangère,
mun et de l’Union européenne, n° 510, juillet-août 2007, n° 1, 2007.
pp. 423–429.
17 Andrew Monaghan (ed.), The UK & Russia – A Troubled
2 Discours de Peter Mandelson, Bologne, 20/04/2007.
Relationship, Swindon, Defence Academy of the UK,
3 Voir par exemple, Sergei Medvedev, EU-Russian Relations, CSRC, Russian Series, 07/17, May 2007.
Alternative futures, Helsinki, FIIA, 2006.
18 Entretien avec un diplomate polonais, Moscou, décembre
4 La conférence de presse du président français, au cours de 2006.
laquelle il qualifie son homologue russe d’homme « très au
fait de ses dossiers, très calme et très intelligent » donnant 19 Keith Smith, « Russian Energy Pressure Fails to Unite
lieu, via internet, à une exploitation médiatique inattendue. Europe », Washington, CSIS, Euro-Focus, January 2007.
5 Entretiens à Moscou, juillet et septembre 2007. 20 Andrey Makarychev, « Neighbours, Exceptions and the
Political: A Vocabulary of EU-Russian Inter-Subjective
6 Communication from the Commission to the Council
and the European Parliament on relations with Russia, (Dis)Connections », Michael Emerson (ed.), The Elephant
COM(2004), 9 février 2004. and the Bear Try Again, Brussels, CEPS, 2006, pp. 23–24.
7 Nadejda Arbatova, « Russie-UE après 2007 : le débat 21 Oksana Antonenko, « Indépendance du Kosovo : pour-
russe », Russie.Nei.Visions, n° 20, juin 2007. quoi la Russie s’y oppose-t-elle ? », Russie.Nei.Visions,
n° 21, juillet 2007.
8 Thomas Gomart, « Politique étrangère russe : l’étrange
inconstance », Politique étrangère, n° 1, 2006. 22 Michael McFaul, « Russia and the West : A Dangerous
9 Vladimir Poutine, « Vive le dialogue Europe-Russie ! », Le Drift », Current History, October 2005.
Figaro, 27/03/2007. 23 Oksana Antonenko, « The EU should not ignore the
10 Entretien avec un membre de l’Administration présiden- Shanghai Co-operation Organisation », London, CER,
tielle russe, juillet 2007. May 2007.
11 Sur ce débat, voir Christophe-Alexandre Paillard, « Gaz- 24 Robert Kagan, « The world divides…and democracy is at
prom : mode d’emploi pour un suicide énergétique », Rus- bay », The Sunday Times, 02/09/2007. Pour un dévelop-
sie.Nei.Visions, n° 17, mars 2007 ; Jérôme Guillet, « Gaz- pement, voir, Kagan, « End of Dreams, Return of His-
prom, partenaire prévisible : relire les crises énergétiques tory », Policy Review, August-September 2007.
Russie-Ukraine et Russie-Bélarus », Russie.Nei.Visions, 25 Peter Ferdinand, « Russia and China: converging responses
n° 18, mars 2007. to globalization », International Affairs, n° 4, 2007.
12 Entretien avec un parlementaire russe (Edinaâ Rossiâ), 26 Julien Vercueil, « La Russie et l’OMC : dernière ligne
Moscou, décembre 2006. droite », Russie.Nei.Visions, n° 16, février 2007.
13 Roy Allison, « Russian security engagement with the
27 Pour une analyse de cette évolution, Gomart, « Espace-
European Union » and « Russian security engagement
temps perdu, espace-temps retrouvé », Politique étrangère,
with NATO », in Roy Allison, Margot Light and Stephen
hors série « La Russie, Enjeux internationaux et intéri-
White, Putin’s Russia and the Enlarged Europe (Chatham
eurs », septembre 2007, p. 7–22.
House Papers, RIIA), Oxford 2006, pp. 72–93 et
pp. 94–129. 28 Gomart, « La politique russe de la France : fin de cycle ? »,
14 Gomart, « UE et Russie : un équilibre à trouver entre géo- Politique étrangère, n° 1, 2007, p. 125–127.
politique et régionalisme », Russie.Nei.Visions, n° 10(b), 29 Entretien avec un responsable allemand de ces négocia-
mai 2006. tions, Berlin, juin 2007.

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