Analyse Du Discours Et Didactique Des LE

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Can DENİZCİ, maître de conférences adjoint

CHAPITRE 4 : ÉNONCIATION
En tant que courant linguistique et pragmatique, l’ énonciation relève des travaux d’Émile Benveniste. Elle est définie
par Benveniste comme la mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation . Par l’acte
d’énonciation, on produit des énoncés qui renferment les marques/indices linguistiques mêmes de l’énonciation :
 marqueurs [belirtici] de personne  pronoms personnels, adjectifs/pronoms démonstratifs/possessifs
 marqueurs temporels  temps verbaux, adverbes de temps
 marqueurs spatiaux en tant qu’indications de lieu  adverbes de lieu
Ces marqueurs linguistiques servent d’identification de la situation de communication en répondant aux questions Qui
parle ? À qui parle-t-elle/il ? Où et quand elle/il parle ?, etc.
1. Appareil formel de l’énonciation
a) Une situation d’énonciation répond aux questions Qui ? À qui ? Quand ? Où ? Elle suppose donc essentiellement
un énonciateur (celui qui parle), un destinataire (celui à qui il s’adresse), un lieu et un moment.
b) Selon Benveniste, pour mettre en communication/embrayer la réalité extralinguistique/la situation de
communication avec la langue, les embrayeurs (ou déictiques  en turc gösterici) constituent l’appareil formel de
l’énonciation. Cet appareil recouvre aussi les modalisations (en turc kipselleştirme) où le locuteur prend en charge
ses énoncés qui témoignent d’une subjectivité.
1.1. Embrayeurs1 ou indices de l’énonciation
a) Tous les mots qui n’ont de sens que par rapport à l’énonciateur, au destinataire, au lieu, au temps sont
des embrayeurs. Le référent d’un embrayeur se trouve dans la situation de communication immédiate. Il s’agit donc
des mots qui appartiennent au discours (et non au récit), ceux dont le repère se situe au moment de
l’énonciation (aujourd’hui, maintenant, etc.) et non dans l’énoncé.
Exemples :
 Ce soir, j’irai au cinéma.  on ne peut pas savoir de qui ou de quel soir il s’agit  emploi des embrayeurs
 Paul est venu. Il est malade.  le pronom personnel il renvoie à Paul, alors le référent de il se situe dans le
texte. Il ne s’agit pas de l’usage d’un embrayeur  relation anaphorique
 Tu viens me chercher ici demain.  Elle ne peut être comprise qu’en référence à son émetteur et en
référence aussi aux temps et lieu de l’énonciation. Tu, ici, demain et le présent sont des embrayeurs, leur
sens varie en fonction de la situation et s’éclaire seulement si l’émetteur est connu.
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Le mot déictique est employé en général comme synonyme d'embrayeur. Cependant, au sens strict, le déictique est un embrayeur particulier,
réservé à l'usage oral, souvent accompagné d'un geste de monstration, et destiné par conséquent, à la seule localisation spatiale (les
démonstratifs sont souvent employés comme déictiques : « ici », « ça », « ce livre-là »…). On trouve également le mot déictique pour désigner
un embrayeur indifféremment spatial ou temporel.
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b) Ce sont donc des unités linguistiques inséparables du lieu, du temps et du sujet de l’énonciation (je, ici, maintenant).
Ces indices personnels et spatio-temporels, on les appelle encore embrayeurs. Leur valeur référentielle varie d’une
situation d’énonciation à une autre. Il s'agit des indices personnels, des indices spatio-temporels et des indices de la
monstration.
 Les indices personnels de la 1ère personne (je, me moi, nous, mon, ma, mes, notre, nos, etc.) et de la
2ème personne (tu, te, toi, vous, ton, ta, tes, votre, vos , etc.). On ne peut pas savoir à qui ils réfèrent sans
savoir au préalable qui est le locuteur et à qui ce dernier s’adresse.
 Les indices spatio-temporels comme les mots et groupes de mots qui situent le message dans le temps
(aujourd’hui, maintenant, demain, hier, avant, dans 2 jours , etc.) et l’espace (ici, à côté, etc.) par rapport à
l’énonciateur. On ne peut pas savoir à quoi ils réfèrent sans connaître la position spatio-temporelle de celui
qui parle.
 Les indices de la monstration comme ce, cet, cette, ces, voici, etc.
Dans l’exemple Jean est né au Canada en 2007, on sait à quoi réfèrent Canada ou 2007 ; pourtant dans la phrase Jean
est né ici il y a 2 ans, il n’est pas possible de savoir l’endroit ni la date de la naissance de Jean. La signification de ces
marqueurs spatio-temporels dépend du lieu et de la date (du contexte spatio-temporel) de l’acte de l’énonciation.
À retenir : Les différentes catégories d’embrayeurs
• Les pronoms personnels, les pronoms et adjectifs possessifs des 1ère et 2ème personnes : je, tu, nous, vous, on ; mon, nos, le nôtre, votre, tes,
etc. Ils sont les indices de la personne qui parle et de celle à qui l’on parle.
• Les pronoms et adjectifs démonstratifs : ceci, cela, ce, cet, cette, ces, etc.
• Les adverbes temporels qui renvoient au moment de l’énonciation : aujourd’hui, maintenant, hier, demain, l’année dernière, dans une heure, il
y a un an, la semaine prochaine.
• Les adverbes de lieu, compréhensibles par rapport à l’endroit où se trouve le locuteur : ici, là, là-bas, dans cette pièce, à ma gauche, en
haut, à droite, etc.
• Les temps verbaux comme le présent, le futur simple, le passé composé de l’indicatif. Ils jouent aussi le rôle d’embrayeurs car ils indiquent
l’antériorité ou la postériorité d’un événement par rapport au temps de l’énonciation.
• Le mode impératif témoigne de la double présence de l’énonciateur et de l’allocutaire : Entrez, asseyez-vous !
Exemples :
Demain, je gagnerai.
Prenez cette chaise et installez-vous.
Je suis là. Où es-tu ?
 Demain, je, le futur simple, l’impératif, cette, vous, je, le présent, là, tu sont des embrayeurs ou des indices de l’énonciation.

1.2. Modalisation
Parmi les énoncés adressés à un destinataire, on peut distinguer ceux dans lesquels le locuteur est objectif et ceux
dans lesquels il est subjectif. La modalisation est le fait d’introduire une part de subjectivité dans un énoncé, c’est-
à-dire de marquer la présence du locuteur par un commentaire, une appréciation, un jugement, un doute, etc. La
modalisation révèle nettement les sentiments du locuteur.

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Exemple : Je pense que, comme d’habitude, il ne sera pas à l’heure.


Vous ici, à cette heure ? Mais c’est un véritable miracle !
Parmi les procédés de modalisation, on trouve ;
• la ponctuation, la typographie à l’écrit, l’intonation à l’oral.  Il est encore en retard !
• les temps et modes verbaux comme futur, futur antérieur de l’indicatif, présent du conditionnel pour exprimer
l’incertitude ou émettre une hypothèse.  On dirait qu’il a été retardé !
• le vocabulaire
 le lexique mélioratif ou péjoratif : charmant, hideux, intéressant, etc.
 les adverbes de modalisation : sans doute, peut-être, certainement, trop, évidemment, sûrement, etc.
 les verbes de jugement : penser, estimer, juger, croire, supposer, affirmer, etc.
 les verbes exprimant la nécessité, la possibilité, la volonté, la permission, l’interdiction : devoir, pouvoir,
interdire, il faut, permettre, etc.
 des expressions toutes faites : quant à moi, selon moi, me semble-t-il, il est certain, etc.
 des adjectifs de jugement/d’évaluation : probable, possible, certain, évident, faux, etc.
des figures de style : des antithèses, des comparaisons, des métaphores, l’antiphrase, la périphrase 
J’apprécie votre ponctualité comme antiphrase).
2. Distinction entre deux plans d’énonciation : discours-récit
Pour ce qui est du rôle du fait d’énonciation dans la perspective textuelle, Benveniste recourt à la distinction entre deux
plans d’énonciation complémentaires : discours et récit (ou histoire).
a) Tout texte comportant des embrayeurs [shifters], c’est-à-dire des éléments de mise en relation avec
l’instance d’énonciation s’appelle discours.
b) Tout texte sans embrayeurs s’appelle histoire.
c) Le discours privilégie l’emploi du présent, de la première et de la deuxième personne, tandis que l’ histoire met
en relief l’emploi du passé simple et de la troisième personne.
Remarque : Pour remédier aux lacunes qui proviendraient de certaines combinaisons des formes verbale et personnelle dans n’importe quel
texte (comme par exemple, la combinaison de la première personne avec le passé simple), Simonin-Grumbach (1975) procède à une nouvelle
formulation : Il faudrait donc, sans doute, reformuler l’hypothèse de Benveniste en des termes un peu différents, et je proposerai d’appeler
‘discours’ les textes où il y a repérage par rapport à la situation d’énonciation (= Sit Ɛ), et ‘histoire’ les textes où le repérage n’est pas effectué
par rapport à Sit Ɛ mais par rapport au texte lui-même. Dans ce dernier cas, je parlerai de ‘situation d’énoncé’ (= Sit E). Il ne s’agit donc plus
de la présence ou de l’absence des shifters en surface, mais du fait que les déterminations renvoient à la situation d’énonciation
(extralinguistique) dans un cas, alors que, dans l’autre, elles renvoient au texte lui-même.

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3. Polyphonie
a) Terme emprunté à la musique, la polyphonie réfère dans la littérature au fait que les textes véhiculent, dans la
plupart des cas, plusieurs points de vue différents ; autrement dit, l’auteur peut faire parler plusieurs voix à travers
son texte : l’auteur, le narrateur et les personnages qui se différencient ou qui s’imbriquent parfois. C’est Mikhaïl
Bakhtine qui a élabore cette notion pendant les années 1920.
b) En linguistique, suivant le point de vue adopté, les acceptions divergent sur la définition de la notion de polyphonie. À
cet égard, il convient de mentionner quelques-unes :
 La polyphonie est associée au niveau de l’énoncé. Que l’énoncé renferme des traces linguistiques issues de
l’énonciation est bien connue. Cela se réalise de multiples façons : pronoms personnels, adjectifs subjectifs,
aux modalités, etc. L’implication du locuteur dans son propre discours est un phénomène profondément
intégrée dans les langues naturelles, si bien que l’acte d’énonciation est sui-référentielle. Cette faculté
inhérente au langage peut être appréhendée et étudiée à partir de l’activité des locuteurs. L’acte
d’énonciation parle d’abord de lui-même, avant de dire quelque chose du monde, révélant ainsi le sujet qui le
pose, comme l’affirme Benveniste : « Le langage n’est possible que parce que chaque locuteur se pose comme
sujet, en renvoyant à lui-même comme je dans son discours ».
 Comme extension des travaux de Bakhtine, Oswald Ducrot (1984) développe une théorie polyphonique de
l’énonciation en partant également du principe mentionné ci-dessus. Il essaie de montrer comment l’énoncé
signale dans son énonciation la superposition de plusieurs voix. Inspiré des travaux de Gérard Genette sur la
focalisation ou les points de vue narratifs (Genette discerne celui qui voit de celui qui parle dans un ouvrage
littéraire), Ducrot procède à certaines distinctions opératoires entre ;
i. le sujet parlant en tant qu’un être humain réel qui constitue l’être empirique de chair et d’os et qui
n’intéresse pas Ducrot dans ses analyses.
ii. le locuteur qui est responsable de l’énonciation. Il laisse des traces linguistiques dans son énoncé
comme l’emploi du pronom personnel de la 1ère personne.
iii. Mais en même temps, le locuteur peut mettre en scène des énonciateurs qui présentent différents
points de vue. Le locuteur peut s’associer à certains entre eux ou se dissocier d’autres. C’est par le
recours à certaines procédures linguistiques comme la négation, les modalités, les connecteurs, le
discours rapporté, etc.

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Exemples de phénomènes de polyphonie


 Supposons qu’un locuteur produit l’énoncé suivant : Ce mur n’est pas blanc. On a nettement l’impression que
deux points de vue ou deux énonciateurs cohabitent.  1er point de vue : locuteur=énonciateur qui pense que
le mur n’est pas blanc. 2ème point de vue : énonciateur imaginaire/implicite qui pourrait penser que le mur est
blanc.
 Il en va de même dans le discours rapporté (traditionnellement appelé style indirect) où le locuteur rapporte
les propos d’un deuxième locuteur/énonciateur.
 Ou par exemple dans le jargon journalistique, quand on rapporte les événements, on rencontre des énoncés
comme Un court-circuit aurait causé l’incendie de Notre-Dame, où le journaliste qui écrit cette phrase dans
un journal s’est renseigné probablement auprès des autorités publiques qui menaient l’enquête sur l’incendie.
En l’occurrence, même si le 2ème énonciateur (autorités publiques) ne se représente pas explicitement dans la
phrase, c’est grâce à l’emploi du conditionnel passé qu’on se rend compte de sa présence.
 Lors de l’utilisation de l’impératif à la 2ème personne, on a affaire automatiquement à un 2ème énonciateur :
Sortez dehors !
4. Pertinence de l’énonciation en didactique du FLE
Comment envisager les relations entre l’analyse du discours et la didactique des langues étrangères dans le cadre de
l’enseignement/apprentissage des langues étrangères ? L’articulation entre l’analyse du discours et la didactique des
langues étrangères conduit ainsi à observer et à décrire des textes oraux/écrits ou des corpus (conversations
informelles, extraits des romans, articles dans les journaux, séries télévisées, etc.) sous des angles singuliers. Qu’elles
soient pensées en amont ou en aval des descriptions, les options méthodologiques, permettant de satisfaire à des
exigences didactiques, doivent être chaque fois proposées. Enfin, sur un plan théorique, on doit interroger la place de la
diffusion des notions et des concepts opératoires à deux niveaux : auprès des futurs enseignants de langues
étrangères et auprès des apprenants, donc en situation de classe.
Dans la perspective didactique, on peut pratiquer donc en classe de FLE certaines activités liées aux phénomènes
énonciatifs suivants :
 repérages énonciatifs
 embrayeurs
 modalisation
 distinction discours-histoire

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