Cours3 19
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Espérance conditionnelle
Dans les leçons précédentes nous avons appris à calculer le prix de diverses options à l’instant t = 0.
Les options étant des actifs financiers négociables, qu’on veut pouvoir acheter et vendre aussi à des
instants ultérieurs, on voudrait également savoir décrire et calculer leurs prix à des instants t tels que
0 < t ≤ T . C’est ce que nous allons faire dans cette leçon grâce à la notion d’espérance conditionnelle
par rapport à une tribu. On découvrira au passage que cette espérance conditionnelle, qui généralise
l’espérance conditionnelle usuelle d’une variable aléatoire par rapport à un évènement, est en fait un
extraordinaire outil de calcul, un de ceux qui font que la théorie des probabilités s’appelle souvent le
calcul des probabilités.
∀ω ∈ Ω, P(ω) 6= 0.
P
Soit X une variable aléatoire sur Ω. L’espérance de X est le nombre E (X) = ω∈Ω X(ω)P(ω). Notons
que, pour tout évènement A ⊆ Ω appartenant P à la tribu T , on peut exprimer la probabilité de A comme
l’espérance d’une v.a., en posant P(A) = α∈A P(α) = E IA , où IA désigne la v.a. indicatrice de A, égale
à 1 sur A et 0 sinon.
Plus généralement, on appelle “espérance de X sachant A” ou “espérance de X conditionnellement à
A”, le nombre, notée E(X/A), donné par
1 X E (XIA )
E(X/A) = X(α)P(α) = .
P(A) E IA
α∈A
En d’autres termes E(X/A) est la moyenne des éléments de A, pondérée par leur probabilité rapportée à
la probabilité de A.
Nous insistons sur le fait que l’espérance conditionnelle d’une v.a. sachant un évènement est un
nombre. L’espérance conditionnelle par rapport à une tribu, que nous allons introduire à présent, n’est
pas un nombre, mais “un nombre qui dépend de l’état du monde”, c’est-à-dire une variable aléatoire.
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16 CHAPITRE 3. ESPÉRANCE CONDITIONNELLE
Proposition 3.1 La v.a. E(X|F ) est mesurable par rapport à la tribu F et de plus si Y = E(X|F )
désigne cette v.a., alors Y peut être définie comme l’unique v.a. F -mesurable telle que
∀Ωi ∈ Ω
| , E(Y /Ωi ) = E(X/Ωi ). (3.1)
Preuve : Le fait que E(X|F ) soit mesurable par rapport à la tribu F est clair par définition puisqu’elle
est constante sur les atomes de la partition Ω | associée à F .
Montrons qu’elle vérifie l’équation (3.1) : Soit ω est un élément quelconque de l’atome Ωi , et donc
ω = Ωi ; comme Y est constante sur les atomes on a Y (ω) = Y (α) pour tout α ∈ Ωi . Par définition de
Y = E(X|F ), on a
1 X 1 X P(Ωi )
E(Y /Ωi ) = Y (α)P(α) = Y (ω) P(α) = E(X|F )(ω) = E[X/ω] = E(X/Ωi ).
P(Ωi ) P(Ωi ) P(Ωi )
α∈Ωi α∈Ωi
Proposition 3.2 Soient X et Y des v.a. sur (Ω, T , P), F et G des sous-tribus de T, et x0 , a et b des
nombres réels. On a :
1. E(X|T ) = X, et E(X|{∅, Ω}) = E(X).
2. E(aX + bY |F ) = aE(X|F ) + bE(Y |F ).
3. Si X ≥ 0, on a E(X|F ) ≥ 0, avec égalité si et seulement si X = 0.
4. E(x0 |F ) = x0 .
5. Si Y est F -mesurable, on a E(XY |F ) = Y E(X|F )
6. Si G ⊆ F , on a E( E(X|F ) | G) = E(X|G). En particulier E(E(X|F )) = E(X).
Cette sixième propriété s’appelle la transitivité des espérances conditionnelles. Elle est d’un usage
fréquent en Finance.
On peut vérifier facilement que si F est une tribu alors l’ensemble des v.a. de L2 (Ω) F -mesurables
forment un sous espace vectoriel. En effet, si X et Y sont deux v.a. F -mesurables, donc constantes sur
les atomes de la partition associée à la tribu F , toute combinaison linéaires λX + µY , pour λ et µ réels
quelconques, est encore F -mesurable.
Proposition 3.3 Soient X une v.a. et F une tribu. L’espérance conditionnelle de X par rapport à la
tribu F est la projection orthogonale de X sur le sous espace G des v.a. F -mesurables.
/, Ω} = F0X ⊂ Fδt
{o X
⊂ . . . ⊂ FTX ⊆ P(Ω)
définie de la façon suivante : pour chaque t ∈ T,les atomes de la tribu FtX sont les classes d’équivalence
pour la relation :
t
ω ′ ∼ ω ′′ si et seulement si Xs (ω ′ ) = Xs (ω ′′ ) pour tout s ∈ [0..t].
L’exemple de filtration importante pour nous et la filtration associée à la marche CRR est détaillé au
chapitre 3.
On a vu ci-dessus comment associer à une v.a. X son espérance conditionnellement à une tribu,
E(X|F ) =: Y . Si l’on dispose non plus d’une seule tribu mais de toute une filtration (Ft )t∈T , on peut
associer alors, à toute v.a. X, une famille, indéxée par t ∈ T, de variables aléatoires Yt := E(X|Ft ),
c’est-à-dire une nouvelle marche aléatoire (Yt )t∈T .
Prenons l’exemple d’une option enropéenne standard (T, ϕ(ST )) souscrite sur une actif (St )t∈T . La
fonction de paiement X := ϕ(ST ) est une v.a. sur l’ensemble des états du monde Ω sur lesquel est définie
la m.a. (St ). On peut donc associer à l’option une nouvelle m.a. donnée par Yt := E(ϕ(ST )|Ft ). Que
représente Yt par rapport à X := ϕ(ST ) ? Pour chaque état du monde ω ∈ Ω, Yt (ω) est l’espérance
conditionnelle de X sachant ω, où ω désigne l’atome de la tribu Ft , c’est-à-dire l’ensemble des états du
monde correspondant à des trajectoires de la marche (St ) qui coı̈ncident jusqu’à l’instant t. En d’autres
termes, Yt (ω) est la moyenne des paiements attendus sur toutes les trajectoires qui coı̈ncident avec ω
jusqu’à l’instant t, ou la moyenne des paiements futurs sachant la trajectoire Ss jusqu’à l’instant t,
c’est-à-dire connaissant l’information jusqu’à t. Notons que l’on a E(ϕ(ST )|FTS ) = ϕ(ST ) (car ϕ(ST ) est
FTS -mesurable) et E(ϕ(ST )|F0S ) = E(ϕ(ST )) (car F0S = {∅, Ω}).
En fait, par le choix de p = R−d S
u−d et des lois des δJ = (δJi )i=1..n , le nombre E(ϕ(ST )|Ft )(ω) est
précisément le prix du portefeuille de couverture à l’instant t, lorsque l’action vaut St (ω). En d’autres
termes, en utilisant la notion d’espérance conditionnelle par rapport aux tribus de la filtration des prix
du sous-jacent, il est possible de calculer le prix d’une option, non seulement à l’instant t = 0 mais à tout
instant t ∈ T : c’est la formule fondamentale qui généralise celle donnée au chapitre ?? pour t = 0. La
seule hypothèse que nous faisons sur l’option est qu’elle soit européenne d’échéance T , c’est à dire qu’elle
paye sa valeur ΠT à la date T et que cette valeur ne dépendent que des valeurs de S jusqu’à cette date,
c’est-à-dire qu’elle soit FTS -mesurable ; par exemple ΠT = ϕ(ST ) pour une option vanille de fonction de
paiement ϕ.
18 CHAPITRE 3. ESPÉRANCE CONDITIONNELLE
Théorème 3.4 Considérons un marché financier (St , Bt )t∈T où l’actif risqué S suit un modèle CRR et
l’actif sans risque est donné par Bt := ert . Considérons une option européenne d’échéance T et de valeur
ΠT qui est FTS -mesurable. Pour tout t ∈ T = [0..T ] la valeur Πt du portefeuille de couverture est donnée
par
Πt = e−r(T −t) E(ΠT |FtS ) (3.3)
où (FtS )t∈T est la filtration associée à la m.a. S = (St )t∈T et où l’espérance conditionnelle est calculée
erδt −d
sous la probabilité de calcul définie par p = u−d . En particulier, la prime de l’option est egale à
Π0 = e−rT E(ΠT ).
Rappelons que le calcul du prix Πt (ω) du portefeuille de couverture s’effectue par récurrence rétrograde
à partir de sa valeur finale ΠT , supposée FTS -mesurable, c’est à dire que ΠT (ω) est fonction des valeur
sδt , s2δt , . . ., sT des St (ω) pour t ∈ T. De fait, plus généralement, Πt est FtS -mesurable, c’est à dire une
fonction (dépendant de t) des sδt , . . ., st ; en effet supposons que ce soit le cas pour t + δt :
et plaçons-nous à la date t, lorsque nous savons que St (ω) = sδt , . . ., St (ω) = st . Dans ce cas St+δt (ω) =
sδt u ou St+δt (ω) = sδt d et le calcul élémentaire vu au chapitre 2 nous montre que la valeur du por-
tefeuille de couverture à la date t se déduit des deux valeurs correspondantes π(t, sδt , . . . st , st u) et
π(t, sδt , . . . st , st d) à t + δt par la formule
1
Πt (ω) = (pπ(t + δt, sδt , . . . st , st u) + (1 − p)π(t + δt, sδt , . . . st , st d)) =: π(t, sδt , . . . st ) (3.4)
R
avec R := erδt et p := R−d u−d , et qui est bien une fonction des seules valeurs de Ss (ω) pour s ≤ t.
Reformulons ce résultat en termes d’espérance conditionelle :
Lemme 3.5
1
Πt = E(Πt+δt | FtS ). (3.5)
R
Preuve : Pour tout ω ∈ Ω, soient siδt := Siδt (ω), i = 1..n. Rappelons que ω t est l’atome de ω dans la
tribuFtS ,
ω t = {ω ′ ∈ Ω | Sδt (ω ′ ) = sδt , . . . , St (ω ′ ) = st }.
Par définition de l’espérance conditionnelle nous avons
✷
La preuve du théorème s’en déduit facilement par transitivité de l’espérance conditionelle : posons
t = iδt ; par n − i applications du lemme on obtient
1 1 1 1
Πt = E E . . . E(ΠT | FTS−δt ) . . . | Ft+δt
S
| FtS = n−i E(ΠT |FtS ) = e−r(T −t) E(ΠT |FtS ).
R R R R