Le Surréalisme Et L'extraordinaire
Le Surréalisme Et L'extraordinaire
Le Surréalisme Et L'extraordinaire
Tout comme leurs prédécesseurs les dadaïstes, qui à l’inverse des surréalistes voulaient
supprimer le désir pour toute forme de beauté, pour tout raffinement intellectuel et pour
toute forme de goût, les surréalistes apparaissent comme des artistes vivant d’une
manière provocante et voulant à tout prix étonner par le recours à l’insolite ou par le
biais de la dépravation de l’esprit.
Cependant, ils ont pour objectif de libérer l’homme des contraintes d’une civilisation
trop utilitaire. C’est pourquoi il fallait, selon eux, secouer et perturber les individus
afin de leur révéler leurs richesses intérieures.
Dali disait « Parlez de moi en bien ou en mal, mais parlez de moi ». Qu’il soit négatif ou
positif, les oeuvres surréalistes provoquent toujours un sentiment chez le lecteur ou le
spectateur car elles mobilisent ses sensations profondes en lui donnant à voir une réalité
liée à l’inconscient.
En effet, le surréalisme doit faire oeuvre positive en ce monde, agir pratiquement sur les
faits tout en poursuivant ses investigations sur l’activité intéressante de l’esprit.
Le caractère premier des surréalistes est ancré dans l’étymologie du terme composée de
sur- et du nom réalisme. Le préfixe sur- du latin super (au-dessus de) indique un aspect
de supériorité au réel. Le suffixe -isme quant à lui insiste sur le caractère idéologique du
mouvement.
Le mot est attesté chez Apollinaire en 1918 et ses enjeux seront théorisés dès 1924
par André Breton dans son premier Manifeste du Surréalisme.
Placé sous le signe d’un merveilleux à chercher dans le quotidien, l’art surréaliste a
pour fonction de révéler l’imprévisible, le stupéfiant et la beauté bouleversante dans
la trame du quotidien.
Pour les surréalistes, l’imagination a le pouvoir extraordinaire de découvrir un sens à
n’importe quelle rencontre à condition que l’oeil soit conditionné.
André Breton dans son essai Le surréalisme et la peinture, publié en 1928, affirme que
« l’oeil existe à l’état sauvage ». Il explique alors la possibilité, sinon la nécessité, de
découvrir des éléments neufs et inédits dans notre monde quotidien.
Cette exploration du monde ne peut se faire que par l’intermédiaire de l’oeil, du regard.
LA VILLE
Les surréalistes, passionnés par la vie moderne, ont élu la ville comme lieu de la
magie quotidienne. Paris fut l’espace d’investigation privilégié des membres du
groupe. Fascinés par le Paris littéraire, hantés par les ombres de Nerval ou de
Lautréamont, ils ont aussi découvert un Paris nouveau, un Paris contemporain, celui de
l’entre-deux-guerres. Nouveau car, délaissant les endroits à la mode comme
Montparnasse ou Saint-Germain, les surréalistes ont élu la rive droite, les grands
boulevards, les passages et autres lieux considérés jusqu’alors comme ordinaires ou
trop « populaires ».
La ville invite à la flânerie et flânerie rime avec rêverie. L’errance, au hasard, dans le
dédale des rues parisiennes, reste l’activité préférée des surréalistes, une activité que l’on
peut même qualifier de consubstantielle au surréalisme. La déambulation, surtout
nocturne, permet le jaillissement de l’inconscient, le surgissement de l’imprévu, le
choc poétique, la rencontre extraordinaire.
Il est, aussi, en quête des pouvoirs perdus et, pour lui, explorer la ville revient à
explorer l’inconscient. Flâner au hasard, l’imagination flottante, en s’abandonnant,
ouvre des failles dans lesquelles s’engouffre ce que la raison refoulait jusqu’alors.
Les parcours sont ainsi jalonnés de signes qu’il faut savoir lire et décoder.
Desnos est particulièrement sensible aux effigies de la mythologie moderne placardées
sur les murs : le bébé Cadum ou encore le Bibendum du pneu Michelin.
Eli Lotar, photographe d’origine roumaine, visite les abattoirs de la Villette. Sur ce
cliché, les pieds de veau sont alignés au garde-à-vous contre un mur noir.
Image mystérieuse, inquiétante. On pourrait imaginer des pieds de soldats couverts
de guêtres et coupés au jarret. Le thème de l’abattoir est un thème cher aux
surréalistes. Sur cette photo, particulièrement, il renvoie à la boucherie de la Grande
Guerre. D’autre part, on voit sur le mur des traces de graffiti et des lettres. Signes, là
encore, infiniment surréalistes. Les poètes aimaient, au cour de leurs flâneries nocturnes,
avoir l’œil arrêté par ces inscriptions toujours chargées de sens.
La ville favorise ainsi les « pétrifiantes coïncidences ».
Pour les surréalistes la ville -lieu privilégié de la magie quotidienne- est bien, comme
l’affirme Benjamin Péret, « chair et sang de la poésie ».
L’INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ
Un des procédés les plus sûrs pour susciter ce sentiment est de douter si la personne
que l’on a devant soi est un être vivant ou un automate (thème très présent chez les
surréalistes).
Ce sentiment, qui serait peu répandu dans la vie courante, trouverait dans l’art ses plus
importantes manifestations. L’écriture, comme aussi la peinture, la sculpture ou la
photographie surréaliste véhiculent au plus haut point ce sentiment.
L’OBJET SURRÉALISTE
Dès 1924, André Breton, dans son Introduction au discours sur le peu de réalité,
propose de fabriquer « certains objets qu’on n’approche qu’en rêve ». Les surréalistes,
artistes et écrivains, vont s’adonner passionnément à cette pratique.
L’auteur de l’objet surréaliste associe les éléments les plus hétéroclites de manière
insolite et provocante afin de déclencher le choc de la surprise et transporter le
spectateur dans un univers de rêve.
Que les objets soient détournés de leur fonction ordinaire, par un titre ou une
signature, trouvés et interprétés, assemblés ou reconstruits de toute pièce à partir
d’éléments épars, leur destin surréaliste est de servir la perturbation et la déviation
par une volontaire « mutation de rôle ».
La mise en circulation de ces objets, qu’ils soient rêvés, trouvés ou fabriqués, est bien
« l’une des plus remarquables lignes de force du surréalisme » ainsi que l’a affirmé Breton.
Le collage, inventé d’abord en littérature par Lautréamont dans sa phrase phare « Beau
(...) comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre
et d’un parapluie ! », allait devenir une des pratiques courantes chez les surréalistes qui
l’introduiront dans leurs oeuvres.
Contrairement au collage cubiste (1911) où l’enjeu était essentiellement plastique, le
collage surréaliste est un procédé poétique car il cherche le merveilleux,
l’extraordinaire, l’insolite.
Max Ernst, figure dominante du surréalisme, a été l’artiste qui a amené cette technique
au plus haut degré d’élaboration comme l’illustre son roman collage de 1934 intitulé
Une semaine de bonté.
L’artiste puise son inspiration dans des gravures sur bois issues de romans populaires
illustrés, de journaux de sciences naturelles ou encore de catalogues de vente du
XIXe siècle.
Chaque collage forme un engrenage donnant naissance à des êtres extraordinaires
évoluant dans des décors fascinants, des mondes visionnaires défiant l'entendement
et le sens de la réalité.
Le trouble, que ces oeuvres suscitent, attire et repousse à la fois. Ces sentiments sont
pourtant volontairement suscités par les procédés surréalistes.
Les surréalistes alors désireux d’exprimer leur inconscient ou de provoquer
l’inconscient du spectateur-lecteur.
Des moyens inédits et extraordinaires sont inventés afin de faire surgir l’inconscient,
la parole hors de contrôle : rêve à l’état de sommeil ou de veille, parole sous hypnose,
écriture automatique, collages, frottage, paranoïa critique, procédés hallucinatoires
divers, recherches optiques, choix de thématiques teintées d’extraordinaire…
L’AUTOMATISME
Les champs magnétiques, écrits en deux mois par Breton et Soupault en 1919
constituent la première expérimentation d’écriture automatique.
Soupault a rapporté ce que fut la genèse de cet ouvrage en commun « où nous nous
interdisions de corriger, ni même de raturer… ce que nous nommions… des dictées ».
Celles de l’inconscient. Breton expliquera plus tard qu’il s’agissait de pouvoir varier d’un
chapitre à l’autre « la vitesse de la plume, de manière à obtenir des étincelles
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différentes ». Les deux poètes noircirent du papier au café La Source huit à dix heures
par jour, la fatigue devant jouer son rôle et les plonger dans un état second.
Les images font, dans ce texte, une entrée fulgurante comme cette « fenêtre creusée
dans la chair ».
Breton est resté lucide, explorer l’inconscient, plonger pour remonter un trésor englouti
n’est pas sans risque. Au milieu de l’émerveillement peuvent faire surface la
désespérance, la nostalgie de l’enfance, la solitude de la ville, ou encore apparaître
des êtres menaçants.
Breton dénoncera ces dangers et met en avant le risque de dépersonnalisation, qui
peut aller jusqu’au vertige de la mort. Perte de soi et hallucinations ont en effet affecté
plusieurs peintres et écrivains du groupe.
Breton revendique cependant que le surréalisme est parvenu à mettre la main sur la
matière première du langage et que le message automatique, qu’il soit verbal ou
visuel constitue bien « l’idée génératrice du surréalisme ».
Le procédé du frottage, découvert par Max Ernst en 1925, fait apparaître des formes
réalistes à partir de matières du quotidien.
Appliquant ce procédé, Ernst fait apparaître oiseaux enchanteurs, rhinocéros,
pupilles éblouies, végétation inconnue ou astres mystérieux.
L’invention et la pratique du « cadavre exquis », aussi bien écrit que dessiné ou peint,
se rattache à l’automatisme. Le hasard, l’abandon, y jouent en effet un rôle essentiel.
« Le cadavre-exquis-boira-le-vin-nouveau » : le terme naît de cette première phrase
obtenue au jeu du papier plié.
Ce jeu est fondé sur l’inspiration, sur la dictée automatique, mais aussi sur une
construction réglée qui oblige les participants à « jouer le jeu ». C’est la construction
grammaticale, la syntaxe.
Ces « cadavres exquis » provoquent impression de dépaysement et de jamais vu. Ils
ont, pour Breton, une « valeur secouante ».
L’atmosphère onirique caractérise tous ces artistes qui allient le monde intérieur à
des messages invitant à la réflexion. Cette retranscription de rêves extraordinaires
caractérise des artistes comme Dali, le plus fantasque et excentrique ou encore Max
Ernst qui peuple ses toiles de personnages oniriques…
L’articulation littérature arts plastiques n’a jamais été aussi serrée que pendant la grande
aventure surréaliste.
L’ancien adage d’Horace « ut pictura poesis », autrement dit « peinture et poésie
doivent procéder du même principe », n’a jamais été aussi suivi. Comme la poésie, la
peinture surréaliste doit suggérer, agir sur l’imagination, troubler.
Très tôt les surréalistes se sont intéressés aux mythes, ces récits extraordinaires.
Cet engouement pour la mythologie a une double origine : l’une est liée à l’essence
même du surréalisme où le merveilleux, le fabuleux, l’imaginaire sont des éléments
moteurs, l’autre se rattache à leur passion pour la psychanalyse et son interprétation
des mythes.
CONCLUSION
Par ailleurs, ces oeuvres pourraient ne créer aucune stupéfaction compte tenu du
nombre d’étrangetés et d’horreurs auxquelles nous assistons par le biais des médias
comme en témoigne la récurrente utilisation du terme surréaliste en tant
qu’expression dans le quotidien…
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