Cipriano Vagaggini Et Salvatore Marsili

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SEMINARE

t. 36 * 2015, nr 1, s. 91-104

Manlio Sodi
Università Pontificia Salesiana, Roma

CIPRIANO VAGAGGINI ET SALVATORE MARSILI AU SIÈCLE


DES GRANDS LITURGISTES ENTRE LE IIE ET LE IIIE MILLÉNAIRE

Le passage du IIe au IIIe millénaire a constitué une occasion favorable pour


établir des bilans, repasser certains événements ou rappeler des figures marquantes
dans le domaine liturgique. Du point de vue de l’histoire de la liturgie, c’est l’époque
qui a vu: a) naître et s’épanouir le mouvement liturgique1; b) se développer une plus
grande maturité ecclésiale, en lien harmonieux avec le mouvement œcuménique,
biblique et ecclésiologique, sans oublier le réveil des éludes patristiques; c) conflu-
er le meilleur de ces acquis dans le grand bassin du Concile Vatican II dont nous
rappelons l’ouverture il y a 50 ans.
Mais Vatican II, à son tour, a été un point de départ pour l’approfondissement
et le développement de nouvelles perspectives à peine esquissées. C’est ainsi qu’est
1
Voir les nombreuses études qui ont approfondi cette réalité: G. Alberigo et Alii, Assisi 1956-1986: il
movimento liturgico tra riforma conciliare e attese del popolo di Dio, Cittadella Editrice, Assisi 1987; B. Bot-
te, Le mouvement liturgique, Desclée et Cie, Paris 1973; F. Brovelli, Storia del movimento liturgico nel nostro
secolo: date, attese e linee di approfondimento, Ephemerides Liturgicae 99(1985)3, p. 217-238; Ritorno alla
liturgia. Saggi di studio sul movimento liturgico, ed. Id., Ed. Liturgiche, Roma 1989; Liturgia: temi e autori.
Saggi di studio sul movimento liturgico, ed. Id., Ed. Liturgiche, Roma 1990; E. Cattaneo, Il culto cristiano in
Occidente. Note storiche, Ed. Liturgiche, Roma 19842; J. A. Da Silva, O movimento litúrgico no Brasil. Estudo
histórico, Vozes, Petrópolis 1983; L. Della Torre, Il vissuto liturgico. Preghiera, liturgia, nuove devozioni, in:
M. Guasco, E. Guerrero, L. Della Torre, La Chiesa del Vaticano II (1958-1978), parte II, San Paolo, B. Ci-
nisello 1994, p. 121-165; A. Favale, Abbozzo storico del movimento liturgico, in: La costituzione sulla sacra
Liturgia, ed. Id., LDC, Leumann 1967, p. 9-52; T. Federici, Date principali del Movimento Liturgico Italiano,
Rivista Liturgica 51(1964)3, p. 379-397; J.M. González Jiménez, Movimiento litúrgico en España, in: Nuevo
diccionario de liturgia, ed. D. Sartore, A.M. Triacca, J.M. Canals, Paulinas, Madrid 1987, p. 1383-1388;
P. Jounel, Dal Concilio di Trento al Concilio Vaticano II, in: La Chiesa in preghiera. Introduzione alla Litur-
gia, ed. A.G. Martimort, vol. I, Queriniana, Brescia 1987, p. 81-103; B. Neunheuser, Il movimento liturgico:
panorama storico e lineamenti teologici, in: Anàmnesis. 1.: La liturgia, momento nella storia della salvez-
za, ed. S. Marsili, Marietti, Casale 1974, p. 11-30; Id., Storia della liturgia attraverso le epoche culturali,
Ed. Liturgiche, Roma 19832, cap. XIII: L’epoca del movimento liturgico classico; Id. (A.M. Triacca), Mo-
vimento liturgico, in: Dizionario di Liturgia, B. Cinisello (Mi) 2001, p. 1279-1293 (con ampia documen-
tazione); O. Rousseau, Storia del movimento liturgico. Lineamenti storici dagli inizi del sec. XIX fino ad
oggi, Paoline, Roma 1961; M. Sodi, Pagine inedite del movimento liturgico in Italia, Salesianum 46(1984)4,
p. 661-711; A.M. Triacca, La “riscoperta” della liturgia, in: La Spiritualità come teologia = Spiritualità 18, ed.
C.B. Bernard, Paoline, B. Cinisello 1993, p. 105-130.
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apparue une période, encore brève pour le moment, qui a vu apparaître et s’affirmer
de nouvelles tendances. Les publications en liturgie de ces cinq décennies postconci-
liaires, si elles ont permis la mise en œuvre de la réforme liturgique et du renouveau2,
ont connu un développement qui n’a pas d’équivalent dans le temps de l’Église3.
Ce dont nous sommes les témoins aujourd’hui in re liturgica est le fruit du
travail, de la recherche, des intuitions de “grands” personnages, qui sont entrés
dans l’histoire en raison de l’empreinte qu’ils ont laissée du fait de leur assiduité
à sonder certains aspects déterminants de la science liturgique.
Pour cela nous avons pensé qu’il était de notre devoir de rappeler certaines
caractéristiques de quelques-unes de ces figures. Faire une sélection dans ce cas est
toujours frustrant, car on court le risque d’oublier des personnages importants4.
Conscient de ces limites, nous prendrons ici en considération deux person-
nalités significatives: le P. Cipriano Vagaggini, osb.cam et le P. Salvatore Marsili,
osb. Il ne s’agit pas d’une évocation In memoriam, mais nous voulons saisir cette
occasion pour revisiter quelques aspects de leur œuvre qui a marqué de façon in-
délébile la réforme liturgique et le renouveau postconciliaire.
Notre contribution est dédiée à ceux qui ont connu ces deux savants; à ceux
qui ont collaboré avec eux et, en particulier, à ceux qui ne les ont pas connus mais
qui se penchent sur leurs travaux en vue d’approfondissements ultérieurs. No-
tre souhait est que leur méthode de travail, les perspectives de leur recherche, le
sérieux de leur investigation – avec la cohérence de leur vie – puissent continuer
à “faire école” dans le domaine de la liturgie même au troisième millénaire. Pour
l’Église de Rite romain le deuxième millénaire a été caractérisé par deux réformes
décisives: celle du Concile de Trente5 et celle de Vatican II; nous ne savons pas ce
qui nous attend au troisième millénaire, mais une chose est certaine: lorsque dans
l’organisation des études théologiques on s’apercevra – et qu’on passera par con-
séquent à la mise en pratique – de la valeur de ce qui a été codifié dans Sacrosanc-
tum Concilium 16 et dans Optatam Totius 16, alors on se rendra compte encore
mieux que le labeur de ces grands chercheurs n’a pas été vain, malgré le temps qui
passe et l’inévitable dialectique des opinions!

2
Qu’on se souvienne de ce qui est arrivé après la publication du Motu proprio Summorum
Pontificum de Benoît XVI le 7 juillet 2007!
3
Qu’il nous soit permis de signaler, à titre d’exemple, le travail réalisé par la “Rivista Liturgica”,
d’abord avec le fascicule du “Bollettino bibliografico”; puis de 1997 à 2010 avec le fascicule annuel de
“Letteratura liturgica”.
4
Une aide importante a été offerte par la “Rivista Liturgica” qui avec ses In memoriam a tou-
jours cherché à faire mémoire… Mais il convient de rappeler aussi l’ouvrage de A. Ward, C. Johnson,
Orbis Liturgicus. Repertorium peritorum nostrae aetatis in re liturgica = BELS 81, Clv-Edizioni Litur-
giche, Roma 1995.
5
Cf P.S. Vanzan, Continuità della “traditio” nella liturgia romana. La ristampa anastatica delle
grandi opere liturgiche tridentine, La Civiltà Cattolica IV/3607 (7 ottobre 2000), p. 31-40. Il s’agit de
la collection “Monumenta Liturgica Concilii Tridentini” éditée par la Libreria Editrice Vaticana et
complétée par le VIe volume en 2005. À ne pas oublier non plus la collection “Monumenta Liturgica
Piana” publiée par la même maison d’édition entre 2007 et 2010.
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1. Cipriano Vagaggini: l’“intelligence” de la liturgie (1909-1999)

C’est une entreprise difficile de se mesurer avec la personnalité d’un moine


savant qui a passé toute son existence dans un climat “théologique” dans le sens
originel de ce mot, c’est-à-dire dans un contexte dans lequel le lógos au niveau
philosophique, théologique et monastique a toujours eu comme centre le Theós.
Il est ardu de prétendre condenser la pensée de ce chercheur, de ce philo-
sophe, et surtout de ce théologien, non seulement à cause de la masse d’études,
publiées et inédites, qu’il a laissées, mais aussi si l’on veut tenir compte du contexte
culturel et ecclésial dans lequel Vagaggini a exercé son ministère.
Il nous faut cependant retracer et aborder la figure d’une personne qui a eu
un impact déterminant – et toujours constructif même dans les moments de cri-
tique dialectique – dans la recherche, mettant à la disposition du magistère et en
particulier des Pères du Concile Vatican II tout ce que son intelligence aiguë ava-
it acquis moyennant l’investigation, la réflexion, la confrontation universitaire, la
prière, et le choix de vie, à savoir le choix de la vie monastique.
Il est nécessaire enfin de revisiter une figure et surtout une pensée, parce
que l’œuvre de Vagaggini nous parle encore, et continuera de le faire de façon
éloquente, à travers l’approfondissement de sa pensée (surtout quand nous di-
sposerons de son opera omnia qui nous permettra d’aborder ses nombreux in-
édits), et grâce à la “découverte” de sa puissante contribution à divers documents
du Concile Vatican II et à la mise en œuvre de la réforme liturgique.

1.1. Une vie entre la contemplation monastique et la chaire universitaire

Quelques pages d’une récente publication évoquent les moments essentiels de la


vie du P. Cipriano6. Une vie qui a parcouru les grandes étapes du XXe siècle, avec les
événements qui ont marqué le monde entier, au niveau sociopolitique et ecclésial7. À côté
des pages qui suivent, nous ne pouvons pas oublier ce qui a été exprimé à l’occasion de sa
mort. Ni l’In memoriam qui lui a été consacré l’année de sa mort et peu de temps après8.

6
Nous nous référons au texte de G. Remondi, Dom Cipriano Vagaggini, osb.cam, Rivista Liturgica
96(2009)3, p. 335-347. Tout le fascicule est dédié à l’illustre théologien à l’occasion du centenaire de sa
naissance, avec les contributions stivantes: A. Lameri, Un «perito» a servizio del concilio e della riforma li-
turgica promossa dal Vaticano II, p. 348-361; A. Grillo, Il pensiero di Cipriano Vagaggini, tra eredità tomista
e confronto con la modernità. Profilo e fortuna di un grande «liturgista», p. 362-384; G. Di Napoli, Dall’ipo-
tesi di revisione del Canone Romano all’elaborazione di nuove preghiere eucaristiche: l’apporto determinante
di Cipriano Vagaggini, p. 385-396; P. Sorci, Cipriano Vagaggini, maestro di intelligente polemica, p. 397-407;
M. Ferrari, Teologo «da monaco»: l’insegnamento spirituale di Cipriano Vagaggini, p. 409-417; G. Ventu-
ri, La pastorale liturgica nel pensiero di Cipriano Vagaggini, p. 418-436; E. Massimi, Cipriano Vagaggini.
Bio-bibliografia di un maestro del pensiero teologico, p. 437-448; C. Vagaggini (†), Il nuovo «Ordo Missae»
e l’ortodossia, p. 449-459; Bibliografia di Cipriano Vagaggini, ed. C. Profiro da Silva, M. Sodi, p. 461-471.
7
Qu’on pense aux guerres et aux systèmes idéologiques qui ont caractérisé le siècle, sans ou-
blier le chemin parcouru par l’Église durant la même période.
8
Cf A. Grillo, Rivista Liturgica 86(1999)4, p. 423-426; une première relecture de sa pensée
94 KS. MANLIO SODI SDB

À tout ceci il faut ajouter l’In memoriam dû à A.M. Triacca, publié dans Ephe-
merides Liturgicae9. Mettant à profit sa longue fréquentation de Vagaggini pendant
près de quinze ans, le spécialiste bien connu a pu mettre en lumière d’abord sa
vie et ses œuvres (I), et surtout son activité significative de chercheur (II) à partir
de ses manuscrits comme de ses publications, pour conclure sur la richesse poly-
édrique de sa personnalité (III). Les pages de Triacca, avec les nombreuses notes
qui les illustrent, et en y ajoutant ce qui a été signalé plus haut et ce que le lecteur
trouvera dans le fascicule monographique de la Rivista Liturgica indiqué ci-dessus,
constituent une base sûre pour connaître ou pour revisiter le rôle de cette pensée.
Avec l’aide de ces indications et grâce surtout à la confrontation directe avec
ce qui vient d’être signalé et toutes les références que chacune des études con-
tiennent, il nous semble possible de garantir une approche digne d’un homme de
science qui mérite mieux que ce que nous pouvons offrir ici.

1.2. Un héritage complexe

Face à des personnages de grand renom, qui ont marqué l’histoire par la force
de leur pensée et la complexité des argumentations en faveur d’une ligne théolo-
gique donnée, on reste un peu incertain au bout de quelque temps sur la manière
d’aborder la dialectique et l’ampleur des sources auxquelles ils se réfèrent; sous un
autre aspect on reste comme fasciné par un horizon qui a toutes les caractéristiqu-
es de la plénitude et surtout de l’harmonie propre à la synthèse.
Pour une “lecture” globale, nous pourrions peut-être prendre comme point
de départ un texte adopté par Vatican II et dont nous savons qu’il a bénéficié de
l’apport de Vagaggini en tant qu’expert au Concile: le paragraphe 16 du décret Opta-
tam totius. Bien accueilli dans son ensemble, ce texte contient plusieurs aspects
qui n’ont pas encore été reçus dans le domaine de la recherche théologique10, et
par voie de conséquence dans les ratio studiorum des Institutions académiques
ecclésiastiques; il peut servir de point de référence pour aborder les nombreuses
études qui sont apparues au service de la culture philosophique et théologique.
Il n’est pas possible ici de faire le tour de tous les thèmes abordés dans ces
diverses contributions; pour cela nous avons à notre disposition l’Index thémati-

faite par le même auteur A. Grillo, Rivista Liturgica 87(2000)3, p. 505-512: «Il legittimo e tormentoso
assillo del pensiero moderno». C. Vagaggini tra (e oltre) la teologia monastica e la teologia scolastica;
une autre relecture a été faite dans la suite par C. Profiro Da Silva, Rivista Liturgica 88(2001)1-2,
p. 246-261: Il pensiero teologico-liturgico di dom Cipriano Vagaggini, osb.cam (1909-1999), avec Ap-
pendice bibliografica (132 titres jusqu’en 1995) et Indice tematico.
9
Cf Ephemerides Liturgicae 113(1999), p. 449-465.
10
Voir là-dessus ce qui a été dit dans un récent volume intitulé Il metodo teologico. Tradizione,
innovazione, comunione in Cristo = Itineraria 1, Lev, Città del Vaticano 2008, en particulier p. 224-
227, et dans Path 11(2012)1 sous le titre: «… vividior cum mysterio Christi contactus». La riflessione in
“cristologia” da Optatam Totius alla perenne dialettica tra fides e ratio (ces études sont le fruit du VIe
Forum international organisé par l’Académie Pontificale de Théologie en janvier 2012).
CIPRIANO VAGAGGINI ET SALVATORE MARSILI 95

que cité ci-dessus11, qui nous permet d’entrevoir les principaux sujets traités dans
les divers ouvrages. Pour le spécialiste de liturgie, de théologie, de pastorale, de
spiritualité et de mystique, le point de référence essentiel reste l’ouvrage classique
bien connu: Le sens théologique de la liturgie. Essai de liturgie théologique générale,
que les Éditions Saint-Paul continuent de réimprimer en suivant la IVe édition de
1965, considérablement revue et mise à jour par l’Auteur12. Voilà un signe éloquent
de la valeur permanente de l’ouvrage, signe qui, peut-être, apparaîtra encore plus
évident à mesure que nous approcherons du 50e anniversaire de la Constitution
Sacrosanctum Concilium avec le désir d’en approfondir l’étiologie.
De cet héritage impressionnant pouvons-nous tracer les lignes de fond, ne
serait-ce que par allusions? Nous nous proposons de signaler ici quelques-uns
des traits qui, même provisoirement, peuvent constituer une incitation pour d’ul-
térieurs approfondissements, en souhaitant que les nombreuses œuvres inédites
renfermées encore dans les archives puissent bientôt être mises à la disposition du
public. C’est là un devoir de “justice” historique envers l’Auteur, qui permettra à sa
pensée de se dégager dans toute sa netteté, surtout en un temps où la recherche sur
l’herméneutique de la tradition semble devenir plus urgente.
Les lignes de fond de la pensée de Vagaggini peuvent être résumées dans les
affirmations suivantes, que nous laissons dans toute leur brièveté synthétique:
• la matrice théologique de fond est constituée par le thomisme, revisité en
nombre de ses aspects à la lumière d’une vision d’ensemble qui a privilégié l’histo-
ire du salut comme paradigme central;
• la perspective centrée sur l’histoire du salut comme horizon théologique fait
que l’attention se concentre sur la liturgie comme moment central et, par certains
aspects, ultime de l’histoire du salut;
• c’est à partir de cet horizon que l’on comprend la vision liturgique de la théo-
logie appelée à servir la compréhension de cette histoire du salut qui se déroule en
trois grandes étapes: l’éternité, le temps, et de nouveau l’éternité;
• l’actuation du plan divin dans le temps comporte essentiellement deux pha-
ses: celle qui a débuté en Adam, où prennent place toutes les réalités qui vont de
la création à la promesse du Rédempteur; et celle qui se réalise en Christ nouvel
Adam;
• l’attention au temps “en Christ” comporte une phase de préparation, et une
phase de réalisation en Christ et dans l’Église; c’est ici que chaque fidèle accomplit
in nuce sa propre divinisation, en vue de la réalisation individuelle et cosmique
constituée par l’anakephalaíosis de toutes les réalités en Christ;
• la dimension anthropologique est l’horizon qui permet à la caro de devenir
le cardo salutis; c’est à partir du corps physique du Christ qu’on comprend la réali-

11
Cf Rivista Liturgica 88(2001)1-2, p. 259-261.
12
C. Vagaggini, Il senso teologico della liturgia. Saggio di liturgia teologica generale = Theologica
17, Paoline, Roma 19654; signalons le précieux index analytique mis au point par T. Federici (cf p. 855-
919).
96 KS. MANLIO SODI SDB

sation de la vraie nature de la liturgie dans la personne qui participe à l’événement


mémorial de l’opus salutis;
• ici on comprend aussi la soif œcuménique qui imprègne l’œuvre de Vagag-
gini, dans la conviction que la liturgie est un des points centraux où adviennent le
rapprochement et le signe de la rencontre entre chrétiens séparés;
• dans un tel parcours la compréhension et l’approfondissement sont carac-
térisés par le choix de la “méthodologie théologique” qui va au-delà des limites
des loci theologici et emprunte un parcours théologique dans une ligne de pensée
gnostico-sapientielle;
• la modernité de ce modèle gnostico-sapientiel se dégage de la tradition
biblico-patristique, de celle qui jaillit des grandes sources liturgiques du premier
millénaire, du modèle scholastique pour en surmonter les limites, pour pouvoir
ainsi affronter toutes les théories religieuses en dialogue avec toutes les sciences,
mais toujours dans un climat de contemplation et de louange;
• la “légitime et obsédante préoccupation de la pensée moderne” a conduit et
conduit le théologien à relire la tradition dans un climat dialectique et dynamique,
valorisant ce qui peut enrichir au mieux le dialogue entre auditus fidei et auditus
culturae, vécu cependant dans le corpus Ecclesiae, et toujours orienté vers “ce juste
équilibre entre métaphysique et vie, entre abstrait et concret…”;
• l’humus monastico-liturgique où naît et se déroule la pensée vagagginienne
transparaît dans divers ouvrages, mais on le respire sous une forme plus étendue
dans l’ensemble de sa production qui a été écrite sur la table de travail mais pensée,
à genoux, dans la conviction que l’adoration, la louange et la contemplation sont le
couronnement de l’élan de la personne vers Dieu, de l’itinerarium mentis in Deum.
C’est dans cette perspective qu’on peut comprendre le choix de vie des dernières
années de Vagaggini, quand la limite de l’éméritat a fait en sorte que ses journées
n’étaient plus au service d’une chaire universitaire, mais dans la continuation d’une
activité silencieuse et contemplative comme celle du monastère de Camaldoli.

1.3. L’“intelligence” de la liturgie

Le titre donné à cette évocation-mémoire de Vagaggini voudrait être, à la


lumière de ce qui vient d’être dit, une invitation à l’intelligence de la liturgie. Intelli-
gence dans le sens de intus-legere. En tant qu’expérience mystérique de la rencontre
entre le divin et l’humain, la liturgie n’est pas seulement ce qui apparaît. Ce qui est
perçu est seulement un symbole, un signe tangible d’une rencontre entre la Trinité
et la personne, à travers la médiation de l’Église qui célèbre.
Entrer dans ce dynamisme pour en saisir la valeur théologique a été le parco-
urs de la pensée “thomiste” de Vagaggini. Un tel parcours nous a offert une contri-
bution essentielle dans la temperies ecclésiale dans laquelle il a vécu et réfléchi. Il
suffit de citer à titre de témoins les documents conciliaires qui sont débiteurs aussi
de sa pensée, ainsi que les nombreuses études qui ont paru dans la suite.
CIPRIANO VAGAGGINI ET SALVATORE MARSILI 97

Mais l’intelligence de la liturgie a été un stimulant, au cours des années qui


ont suivi, pour développer certaines positions vagagginiennes, pour aller vers d’au-
tres fronts – toujours selon une vision qui lui était chère – déterminés par une
méthode théologique qui part de l’analyse des éléments de la lex orandi pour en
saisir les dimensions et les implications par rapport aux autres disciplines théolo-
giques et par rapport à la vie du fidèle en Christ. C’est de là, en effet, qu’est partie la
réflexion de la théologie liturgique qui développe de tant de manière, à travers des
perspectives diversifiées et complémentaires, le long travail de recherche dont les
fruits traversent en continuité les deux millénaires, mais dont le parcours a connu
des étapes essentielles dans le mouvement liturgique du XXe siècle et dans les déve-
loppements de Vatican II.
Le thème de l’“intelligence de la liturgie” semble donc un appel à faire mémo-
ire, certes, de l’illustre théologien, mais une mémoire dialectique qui regarde vers
l’avant en tenant compte des requêtes que le mouvement ecclésiologique, biblique,
liturgique et œcuménique du XXe siècle a su focaliser pour mieux comprendre et
faire comprendre, dans un langage mieux adapté, le message chrétien au troisième
millénaire.
Reste le défi pour chacun de l’intus legere: qui ne consiste pas à s’arrêter à ce
qui apparaît en échafaudant des réflexions mais, à entrer dans le mystère dans une
attitude de participation, grâce à une méthode théologique adéquate, qui se réalise
en vérité et en plénitude dans la pleine participation aux saints mystères.

2. Salvatore Marsili: actualité d’une mystagogie (1910-1983)

La pensée de Marsili a déjà fait l’objet d’une ample exposition aussi bien dans
le volume de Mélanges Mysterion à l’occasion de son 70e anniversaire en 198013, que
dans les Mélanges Paschale Mysterium préparés en sa mémoire par les professeurs
de S. Anselme en 198614. Il faut y ajouter le fascicule de la Rivista Liturgica 80/3
(1993) dédié au thème: La théologie liturgique, à dix ans de la mort de Marsili15.

13
Cf Aa. Vv., Mysterion. Nella celebrazione del Mistero di Cristo la vita della Chiesa. Miscellanea
liturgica in occasione dei 70 anni dell’Abate Salvatore Marsili = Quaderni di Rivista Liturgica, NS 5,
Elle Di Ci, Leumann 1981. Voir en particulier les pages 115-152 qui présentent une synthèse de la
pensée du P. Marsili, synthèse revue et approuvée par lui-même!
14
Cf G. Farnedi, Paschale Mysterium. Studi in memoria dell’Abate prof. Salvatore Marsili (1910-
1983) = Studia Anselmiana 91, Analecta Liturgica 10, Ed. Abbazia S. Paolo, Roma 1986. Voir en
particulier les pages 15-24 qui dépendent quelquefois ad litteram de l’étude signalée dans la note
précédente.
15
Cf Rivista Liturgica 80(1993)3, avec les études de: G. Sobrero, P. Salvatore Marsili e la «Rivista
Liturgica» [Editoriale], p. 259-262; A.M. Triacca, Teologia della liturgia o teologia liturgica? Contri-
buto di P. Salvatore Marsili per una chiarificazione, p. 267-289; M. Sodi, Quando l’Editoriale fa storia.
A proposito degli “Editoriali” dell’Ab. Marsili in “Rivista Liturgica” (1967-1983), p. 290-340; S. Maggia-
ni, La teologia liturgica di S. Marsili come “opera aperta”, p. 341-357; G. Piccinno, La spiritualità nel
magistero di Salvatore Marsili, p. 358-372; M. Ballatori, M. Alberta, Bibliografia dell’Abate Salvatore
Marsili, p. 373-388.
98 KS. MANLIO SODI SDB

À l’occasion du XXVe anniversaire de sa mort (2008), la Rivista Liturgica a de-


mandé à l’ancien Directeur de la revue de nous offrir, non pas une de ses études
ou un Éditorial plus développé que d’ordinaire, mais de lui donner une occasion
idéale de “parler” à travers tout un fascicule, en évitant des interprétations superfi-
cielles ou d’inutiles paraphrases.
D’où le projet de publier les leçons – encore inédites – que Marsili a faites
à la Radio Vaticana peu avant sa mort, en 1982 et en 1983. À ces textes s’ajoute le
premier qui ouvre la série dans la rubrique Studi: il s’agit d’une Conférence donnée
le 13 février 1965.
La figure d’un maître a besoin d’être replacée dans son contexte. Pour beau-
coup Marsili n’est peut-être qu’un nom parmi tant d’autres; mais pour qui opère
in re liturgica et connaît l’histoire du mouvement liturgique16, de la réforme et du
renouveau opérés par Vatican II, Marsili est une de ces voix – criant parfois in de-
serto, expression qu’il utilisa une fois en guise de signature17 – qui après des années
invitent encore à la réflexion, surtout quand il faut se mesurer avec certaines am-
nésies historiques, ou quand on se trouve face à des tentatives de réduire la liturgie
à ce qu’elle ne devrait pas être. C’est dans cette perspective que nous avons pensé
qu’il était opportun de souligner l’«actualité d’une mystagogie». C’est pour nous un
devoir, mais c’est surtout un défi pour quiconque veut aborder la liturgie pour ce
qu’elle est réellement.

2.1. Une mémoire tournée vers l’avenir

Elle est bien pauvre, la mémoire qui ne fonctionne qu’en direction du passé!
La mémoire est fondamentalement l’espace et l’acte de se souvenir; mais tout acte
de ce type n’est vraiment tel que lorsqu’il ne se ferme pas sur lui-même, mais se
laisse vivifier par le passé pour interpréter l’aujourd’hui et tracer des perspectives
pour l’avenir.
Quand on entreprend un travail, une méthodologie correcte veut que l’on
vérifie ce qui a déjà été écrit ou fait dans ce domaine. Ceci vaut pour tous les do-
maines; et vaut également pour cette réalité à travers laquelle l’Église vit et opère,
devenant ainsi toujours plus elle-même: la liturgie.
Pour celui qui entend se mouvoir dans la pensée de Marsili, le point de départ
obligé est sa Bibliographie. Parcourir les titres de ses écrits est comme parcourir
la route d’un homme qui – à travers des circonstances toujours uniques – a vécu
une phase historique du mouvement liturgique, depuis les timides ouvertures de

16
Il faut se rappeler que Marsili a traduit et mis à jour pour l’Italie le volume classique de O. Rous-
seau (cf note 1). À ce travail de traduction Marsili a ajouté un long Appendice sur l’histoire du mouve-
ment liturgique en Italie des origines à l’Encyclique Mediator Dei (o.c., p. 263-369). Cette contribution
doit être complétée par les travaux ultérieurs de A. Catella, Movimento liturgico in Italia, in Dizionario
di liturgia, o.c., p. 1293-1300.
17
Cf Vox in deserto, Riforma liturgica e contemplazione, Rivista Liturgica 53(1966)3, p. 409-417.
CIPRIANO VAGAGGINI ET SALVATORE MARSILI 99

la part du Magistère18, jusqu’à sa reconnaissance pleine et entière par le Concile


Vatican II et par la vitalité actuelle des Églises locales.
Nous pouvons affirmer, nous semble-t-il, que pour ce qui regarde la liturgie,
une herméneutique de la continuité ne peut qu’inviter à établir un dialogue avec
cette “page” constitutive de la pensée de Marsili. De fait, il n’y a que la confronta-
tion sereine et objective qui permette de définir un parcours de réflexion et de stra-
tégies qui sache répondre aux attentes et surtout qui soit en mesure d’interpréter
des réalités qui réclament toute notre attention.
À cet égard, la pensée de Marsili ne répond pas à toutes les éventuelles qu-
estions qui peuvent surgir. Lui aussi a été un “fils de son temps”, tout en ayant la
capacité d’interpréter des perspectives qui, fondées sur la recherche historique et
soutenues par une réflexion théologique attentive, peuvent de fait être considérées
encore aujourd’hui comme un point de référence moyennant une évaluation et
une confrontation.
C’est dans cette optique que nous nous situons à l’intérieur d’une «mémoire
tournée vers le futur», certains de pouvoir affirmer que la pensée de Marsili ne dit
pas tout. Mais sur les points qu’il a traités, nous trouvons la sève qui permet de
saisir avant tout le “sens théologique” de la liturgie. Sans vouloir aligner Marsili sur
Vagaggini, nous entendons souligner qu’il est impossible d’entrer dans le vif de la
pensée de Marsili sans entrer dans une vision “théologique” qui imprègne ses con-
tributions en théologie liturgique. La plupart de ses ouvrages continuent à “parler”
ce langage; et c’est ce qui reste aujourd’hui d’une grande actualité, pour ne pas dire
d’une grande urgence.

2.2. À l’enseigne d’une dimension «mystagogique»

Marsili ne s’est pas occupé de tout ce qu’il était possible de savoir en matière
de liturgie. En parcourant la liste de ses titres, on peut déjà avoir une connaissance
assez claire des sujets qu’il a abordés. Reste cependant une marge d’éléments qu’il
n’a pas étudiés, mais dont il a eu l’intuition. Et en cela il avait conscience de se tro-
uver, surtout vers la fin des années soixante-dix, à la veille de nouveaux tournants
dans l’étude de la liturgie. Avec sa proverbiale spontanéité, mais toujours lucide,
il affermait que sur “tel sujet” il ne se sentait pas compétent, tout en entrevoyant
son importance, et pour cette raison il encourageait les autres à aller de l’avant et
à aller au-delà dans la recherche. N’est-ce pas là la véritable étoffe d’un maître, qui
pousse à aller au-delà? Cela fait penser à l’actualité d’une affirmation de Léonard
de Vinci quand il lançait cet apophtegme: «Triste est le disciple qui ne dépasse pas
son maître».

18
On pense à l’Encyclique de Pie XII, Mediator Dei (20 novembre 1947), et au projet de ré-
forme liturgique: cf La riforma liturgica di Pio XII. Documenti. I. La «Memoria sulla riforma liturgica»
= BELS 128, ed. C. Braga, Clv-Edizioni Liturgiche, Roma 2003; Id., La «Commissione Piana» per la
riforma della liturgia, Rivista Liturgica 91(2004)1, p. 142-160.
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Voilà un comportement qu’il a été possible de percevoir parce qu’il était en-
raciné dans la dimension “mystagogique” de la liturgie.
Au mois de mai 1973, un petit groupe se retrouva à Finalpia pour rappeler les
60 ans de la Rivista Liturgica et les 10 ans de la nouvelle serie19. C’est dans cette cir-
constance que Marsili concluait son intervention en cherchant à orienter le regard
vers l’avenir, tandis qu’il passait idéalement le relais de la Rivista Liturgica dans
d’autres mains (ce qui devait arriver dix ans plus tard). Il s’exprima en ces termes:

«La liturgie est une chose vivante, mais fragile; elle meurt dans les mains de celui qui ne sait pas
la manier. La liturgie est une chose vivante, mais à condition d’être dynamique, tournée vers l’avenir,
sachant que son dynamisme est entre deux pôles: celui du mystère du salut réalisé par le Christ et
celui de ce même mystère du salut à réaliser en nous. C’est cela qu’il faut faire… chaque jour, en com-
mençant par aujourd’hui: c’est cela qu’il faut faire dans la “Rivista Liturgica”, mais pour les hommes
d’aujourd’hui et de demain»20.

La perspective pour mettre en acte ces paroles demande que l’on se place dans
une dimension “mystagogique”. C’est seulement en connaissant à fond les contenus
de la liturgie dans ses aspects les plus variés qu’on peut saisir tout ce que le mystère
célébré renferme et réalise de fait au niveau vital et au niveau de la réflexion théo-
rique.
C’est par une sérieuse mystagogie qu’il devient possible de comprendre les
nombreux aspects que l’action liturgique déploie, et que Vatican II a réussi à faire
émerger et à cerner dans des expressions, qui attendent encore une herméneutique
capable de s’ouvrir à une praxis qui sache surmonter cette incommunicabilité des
savoirs, qui caractérise encore aujourd’hui le monde de la théologie (et par voie de
conséquence celui de la pratique!).

2.3. Actualité d’un message

La production littéraire de Marsili s’est concentrée continuellement sur l’ap-


profondissement de ce que la liturgie est, et sur ce que cela comporte. Théologie,
spiritualité, pastorale… tels sont les points d’attention qui en émergent à partir
d’un noyau constitué par le fait que dans l’action liturgique se réalise la rencontre
avec les contenus de la foi en vue d’une expérience de vie, progressivement insérée
dans le mystère trinitaire.
Si l’on peut (et l’on doit) parler d’actualité, il s’agit ici d’un point déterminant. En un
temps où on est toujours plus loin des nouveautés liturgiques – accomplies par la réfor-
me de Vatican II – il est naturel que s’affaiblissent des perspectives de réflexion qui ont
19
Pour une documentation historique concernant la “Rivista Liturgica” voir Indice di «Rivista
Liturgica» 1914-1983 = Quaderni di Rivista Liturgica NS 1, ed. M. Ballatori, F. Dell’Oro, Ldc, Leumann
(Torino) 1996, p. 397. En outre Rivista Liturgica 80(1993)6 sous le titre: 80 anni! Indici decennali
1984-1993; et Rivista Liturgica 90(2003)6 sous le titre: Nel 40° della «Sacrosanctum Concilium». Indici
(l’Index couvre les quarante ans qui vont de 1964 à 2003).
20
Rivista Liturgica 61(1974)1, p. 34.
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cherché à mieux faire connaître l’acte de la célébration. Une situation de ce genre, privée
de la référence cohérente à ce que Fides et ratio définit comme l’«horizon sacramentel
de la foi» (n. 13), génère un sentiment de retour cyclique qui oublie les résultats acquis
récemment, pour se tourner vers d’autres périodes où l’Église a désiré vivre la liturgie en
plénitude sans en avoir la possibilité, parce que les temps n’étaient pas arrivés à maturité.
Il ne s’agit pas ici d’un langage “chiffré”. C’est seulement une façon de rappeler le
souci de Marsili, quand il suivait le travail de réforme liturgique et le renouveau qui
a suivi, tout en gardant toujours la préoccupation de la formation des formateurs.
C’est là une des raisons pour lesquelles il ne dédaignait pas de consacrer plus de
temps à la prédication qu’aux études, surtout durant les dernières années de sa vie.
Reste l’actualité de son message que nous pouvons synthétiser autour de ces
quelques perspectives; et nous le faisons presque sur la pointe des pieds et seule-
ment comme une invitation à relire les écrits du maître, nous aidant d’une grille
qui donne les principales coordonnées:
• on ne comprend la liturgie qu’à partir de l’expérience de sa célébration, vue
comme moment ultime de l’histoire du salut;
• la compréhension de l’actio liturgica passe à travers la connaissance des con-
tenus véhiculés par les textes bibliques et euchologiques, là où l’on trouve les coor-
données de cette histoire du salut en acte;
• la réflexion sur les éléments de la célébration permet d’élaborer une ligne
théologique qui a tout pour être appelée théologie liturgique, en tant que réflexion
de type spéculatif et vital sur le donné de foi qui est célébré;
• entrer dans l’horizon de la théologie liturgique, c’est réaliser non seulement une
réflexion noétique spéculative sur le donné biblique, mais aussi faire émerger une ligne
théologique qui accompagne le fidèle, chaque fidèle, au moment où il “célèbre” en vérité;
• sur la base sacramentelle de la vie en Christ se greffe un chemin de confor-
mation progressive au Christ Maître, garantie par la pédagogie de la théologie des
sacrements et de l’année liturgique;
• les sacrements – réalisations dans le temps du sacrement primordial qu’est
le Christ – sont des moments dans lesquels l’Église grandit et s’édifie, tandis que
s’accomplit l’union du fidèle avec la Trinité;
• l’année liturgique, prolongement du mémorial du mystère du Christ, est
programmation ecclésiale de mystagogie, lieu premier de l’éducation à la foi, lieu
privilégié de la pastorale et de la catéchèse;
• la perspective “spirituelle” qui en découle n’a d’autre but que de soutenir
l’homme pneumatikós dans les choix de la vie quotidienne;
• un tel parcours non seulement éduque, mais il permet en même temps au
fidèle de se sentir davantage Église, de prendre conscience de son sacerdoce bapti-
smal, et de vivre ainsi l’expérience des saints mystères en vrai “concélébrant”;
• entrer dans une telle perspective signifie aborder le culte dans son acception
la plus profonde, dans une optique théologique; c’est partir d’une conception qui
permette de retrouver en une vision de synthèse le sens de la vie chrétienne;
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• il ressort de tout cela que le chemin ouvert par Marsili, comme fait un ma-
ître, devra consister à: explorer d’autres aspects du langage liturgique – comme par
exemple la dimension anthropologique, le sens de la ritualité, le défi de l’adaptation
des langages, le rôle de l’inculturation, l’intervention de l’art et de la musique… – de
manière à faire comprendre que la liturgie est pour l’homme, pour tout l’homme;
• travailler dans une optique caractérisée par une grande confiance dans les
temps de l’Esprit (qui ne correspondent pas d’ordinaire à ceux des Institutions), en
se rappelant que l’immersion dans une réalité divine et humaine comme la liturgie
implique des parcours qui doivent se confronter avec des sensibilités diverses, avec
le niveau de formation, avec la façon d’accueillir la Parole de Dieu, surtout quand
celle-ci est proclamée dans les saints mystères.
Fragilité et dynamisme – comme le rappelait Marsili en 1973 – peuvent para-
ître antithétiques. De fait, ce sont deux termes qui photographient inexorablement
le monde de la liturgie. Fragilité renvoie tantôt à l’attitude intérieure de celui qui
s’approche des saints mystères, tantôt aux capacités humaines de celui qui exerce
la fonction de président ou d’autres formes de ministérialité en vue de favoriser la
rencontre avec la Très Sainte Trinité. Dynamisme rappelle l’action de l’Esprit, qui
opère dans l’intime des cœurs, mais agit de manière décisive dans les sacrements.
Leur compréhension requiert un effort constant du fait qu’ils recèlent un dynami-
sme dont on peut saisir et approfondir la logique, moyennant un travail qui met en cause
des disciplines variées d’ordre théologique, spirituel, de communication, artistique, lit-
téraire… C’est dans le dialogue positif entre fragilité et dynamisme que se réalise – et nous
en percevons les effets – la rencontre du fidèle dans le Christ qui avance jusqu’à la fin des
temps dans la dialectique salvifique, entre l’ephapax et le quotidie des saints mystères.

3. Au service de la théologie liturgique

Dans une optique de synthèse, comment évaluer les perspectives qui déco-
ulent de ce que nous venons d’exposer? Cinquante ans environ après la constitution
Sacrosanctum Concilium, pouvons-nous tirer quelques conclusions pour vérifier le
“mouvement” imprimé par les deux maîtres aux assises conciliaires et à ce qui
a suivi? Bien qu’il soit difficile de quantifier les résultats au moyen de statistiques,
on peut constater que le chemin parcouru par l’Église de Rite romain a consisté
d’abord dans la révision des rites; il s’est agi d’un travail de traduction, pour pa-
rvenir à une première connaissance et vérification officielles. L’effort suivant a été
celui de l’adaptation, selon les nombreuses orientations offertes par Sacrosanctum
Concilium, et plus encore par les livres liturgiques rénovés.
À côté de cet effort d’adaptation de la ritualité de la foi au contexte culturel, on
a mis l’accent sur le chemin de formation du peuple de Dieu à travers le développement
des divers secteurs mis en cause par la réflexion théologique, la célébration et la pasto-
rale liturgique: approfondissement biblique, compétence théologique, connaissance de
la tradition, méthodologie en catéchèse, communication correcte et adéquate...
CIPRIANO VAGAGGINI ET SALVATORE MARSILI 103

Dans un contexte d’herméneutiques liturgiques postconciliaires apparais-


sent des lignes de réflexion comme celles de Vagaggini et de Marsili, qui donnent:
a) comme acquis le fait du caractère scientifique de la science liturgique; b) comme
problème ouvert la constatation de la complexité de l’acte liturgique dans lequel
interagissent la théologie, la célébration, l’anthropologie, la psychologie, le droit,
etc.; c) comme parcours à approfondir celui de l’herméneutique du mystère tel qu’il
s’actue dans l’actio liturgica à partir du rôle de la présence du Christ dans la Parole
proclamée et célébrée; d) comme problématique à affronter avec l’aide de diverses
compétences comme celle de la confrontation entre théologie fondamentale et li-
turgie, pour faire en sorte que la science liturgique ait la possibilité de repenser
ses propres principes de base et devenir un point de rencontre avec les autres di-
sciplines (comme cela avait été entrevu par le paragraphe 16 du décret conciliaire
Optatam Totius); e) comme idéal encore à atteindre celui du rôle de la liturgie dans
la dialectique complexe des langages dans lesquels on rencontre les sciences huma-
ines et la science de Dieu21.
À la lumière des contributions de Vagaggini et de Marsili, il est souhaita-
ble que se poursuive le renouvellement de la mens qui doit “gérer” le moment de
la célébration, avec l’attention due aux diverses compétences propres de la mini-
stérialité, ainsi qu’aux divers langages (langage verbal et non verbal) qui structu-
rent le code complexe de la communication entre Dieu et son peuple, qui advient
au maximum à travers la symbolique cultuelle.
Tout cela sera possible si les solutions envisagées pour rendre la liturgie “action du
Christ et du peuple de Dieu” sont sous-tendues, à l’avenir, par une théologie liturgique
correspondante. La leçon de Vagaggini et de Marsili reste d’une vibrante actualité!

CYPRIAN VAGAGGINI AND SALVATORE MARSILI IN THE AGE OF THE GREAT


LITURGISTS AT THE TURN OF THE SECOND AND THIRD MILLENNIUM

Summary

The turn of the second and the third millennium was an invaluable period to serve for an
evaluation of the life and vitality of the liturgy. It is, therefore, important to remember those people
who made a significant contribution to the enactment of the Second Vatican Council and subsequent
development of the liturgical renewal movement within the Church. Hence, the idea to present the
thought and works of Cyprian Vagaggini and Salvatore Marsili, two Benedictine monks who played
a crucial role in the restoration of the liturgy to people, and in making it more understandable. The
remembrance of their work is a call for increased efforts, now and in the future, in accordance with
those perspectives which contribute to the development of liturgical theology.

Keywords: history of the liturgy; liturgical movement; liturgical renewal; liturgical theology;
mystagogue of the liturgy

21
Cf Liturgia opus Trinitatis. Epistemologia liturgica = Studia Anselmiana 133 – Analalecta
Liturgica 24, ed. E. Carr, Pontificia Ateneo Sant’Anselmo, Roma 2002 (en particulier les conclusions
élaborées par M. Augé).
104 KS. MANLIO SODI SDB

CYPRIAN VAGAGGINI ORAZ SALVATORE MARSILI W WIEKU WIELKICH


LITURGISTÓW NA PRZEŁOMIE DRUGIEGO I TRZECIEGO TYSIĄCLECIA

Abstrakt

Przełom drugiego i trzeciego tysiąclecia był okresem bezcennym z punktu widzenia oceny
życia i żywotności liturgii, dlatego warto pamiętać o pewnych osobach, które przyczyniły się znacz-
nie do faktu, że Sobór Watykański II został wcielony w życie i następnie rozwinął ruch liturgicznej
odnowy w Kościele. Stąd pomysł przedstawienia myśli i dzieła Cypriana Vagaggini i Salvatore Mar-
sili, dwóch mnichów benedyktyńskich, którzy przyczynili się w sposób decydujący do przywrócenia
liturgii ludowi i uczynienia jej bardziej zrozumiałą. Wspomnienie tej pracy jest zaproszeniem do
zwiększonego wysiłku teraz i w przyszłości zgodnie z perspektywami, które przyczyniają się do roz-
woju teologii liturgii.

Nota o Autorze: ks. prof. Manlio Sodi jest emerytowanym profesorem Università Pontificia
Salesiana oraz członkiem zwyczajnym kolegium naukowego Pontificia Academia Latinitatis (od
2012), należy też do komitetów naukowych wielu znanych czasopism teologicznych. W jego dorobku
naukowym znaleźć można publikacje z zakresu liturgiki oraz jej tekstów źródłowych.

Słowa kluczowe: historia liturgii, ruch liturgiczny, odnowa liturgii, teologia liturgii, mistago-
gia liturgii

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