Françafrique Opérations Secrètes Et Affaires Détat
Françafrique Opérations Secrètes Et Affaires Détat
Françafrique Opérations Secrètes Et Affaires Détat
EAN : 979-10-210-1875-4
*1
22 octobre 1956
*1. Le récit de cet acte de piraterie aérienne est fondé sur le recoupement des témoignages écrits et
oraux du colonel « Germain » du SDECE (Service de documentation extérieure et de contre-
espionnage, l’ancêtre de la DGSE), en charge de l’opération Hors-Jeu contre les chefs du FLN, et du
colonel Parisot, chef du service de renseignement opérationnel en Algérie. Cette enquête a été
complétée par des missions de terrain en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Voir aussi Sébastien
Laurent (dir.), Les espions français parlent. Archives et témoignages inédits des services secrets, Paris,
Nouveau Monde, 2011. Les Mémoires manuscrits de Parisot sur l’opération font l’objet d’une
édition de texte.
L’éclatement de la fédération
du Mali
*1
20 août 1960
La crise qui explose entre Dakar et Bamako à l’été 1960 clôt une
expérience qui aurait pu changer la face de l’Afrique de l’Ouest. L’échec
précipité de la fédération mort-née du Mali n’est pas uniquement
l’épilogue de quelques semaines de crise en août 1960. Avec elles
triomphent les conceptions de l’ordre régional de Houphouët-Boigny, le
meilleur allié de Foccart, le « Monsieur Afrique » de l’Élysée. L’histoire
commence au crépuscule de la IVe République, morte de ne pas avoir su
réformer le système colonial.
Le socialiste Gaston Defferre, célèbre maire de Marseille, est
convaincu que les colonies africaines sont prêtes à exploser lorsqu’il se
voit proposer le ministère de la France d’outre-mer en janvier 1956. Moins
d’un mois après sa nomination dans le gouvernement de Guy Mollet, il
dépose une procédure d’urgence sous la forme d’une loi-cadre, concoctée
avec son directeur de cabinet Pierre Messmer. « Trop de fois, au-delà des
mers, les Français ont donné l’impression qu’ils n’étaient pas capables
d’agir en temps utile ; trop souvent, nous avons été le jouet des
événements… Si nous savons les dominer, si nous savons les devancer,
alors nous pourrons rétablir [en Afrique noire] un climat de confiance et
de concorde… » plaide-t-il devant l’Assemblée. Sa loi pose, ni plus ni
moins, la question des conditions d’accès à l’indépendance.
Le Rassemblement démocratique africain (RDA) dirigé par
Houphouët-Boigny, lui-même ministre délégué à la présidence du Conseil
français, se divise autour de ce sujet : faut-il aller à l’indépendance en
demandant la création d’un État fédéral unique issu de l’Afrique
occidentale française (AOF) ou convient-il de préférer l’érection de chaque
colonie de l’AOF en État indépendant ? Deux positions émergent au sein
du RDA lors du congrès de septembre 1957 à Bamako. Houphouët-Boigny
milite pour l’application stricte de la loi-cadre pour préparer dans le temps
l’accession à l’indépendance et faire de chaque colonie une République.
Au contraire, le Guinéen Sékou Touré et le Soudanais (Malien) Modibo
Keïta optent pour une indépendance immédiate et la plus large possible.
Les événements de 1958 rebattent les cartes.
En février 1958, Félix Houphouët-Boigny cherche à rallier tous les
mouvements politiques de l’AOF sous la bannière du RDA. En réaction, le
28 mars 1958, le Parti du regroupement africain (PRA) est créé à Dakar. Il
se prononce pour l’indépendance et la constitution d’une grande
fédération d’Afrique de l’Ouest. Au printemps, les tensions s’accroissent
entre Houphouët-Boigny et Sékou Touré au sein du RDA. Le 13 mai 1958
et l’installation de la République gaulliste, qui fait de la décolonisation
une priorité, précipitent le calendrier politique africain.
La « querelle fédéraliste » se porte en juillet et en août au cœur de la
préparation du volet africain de la constitution de la Ve République. De
Gaulle a imaginé un outil de transfert d’« un âge historique à un autre » :
la Communauté. C’est-à-dire l’adhésion de chaque colonie d’Afrique à un
ensemble politique piloté depuis Paris. La tendance houphouëtiste du
RDA se rallie à cette option tandis que le PRA milite pour la thèse
fédéraliste. Mais Houphouët-Boigny a gagné un solide allié qui l’épaule
dans sa politique pragmatique contre les thèses fédérales : Foccart.
Le référendum constitutionnel du 28 septembre 1958 se joue en
Afrique sur l’acceptation ou le refus de la Communauté : voter « oui »
consiste à préparer son indépendance au sein de l’ensemble franco-
africain ; voter « non » consiste à prendre son indépendance immédiate –
et de facto rompre avec la France. Maurice Robert, chef de poste du
SDECE en Afrique de l’Ouest, suit de près la campagne et l’élection pour la
victoire du « oui ». Méticuleux, Foccart a envoyé au Niger un gouverneur
colonial corse à poigne, Don-Jean Colombani, pour empêcher que le
« non » prôné par Djibo Bakary et son parti, le Sawaba, ne triomphe.
Finalement, seule la Guinée de Sékou Touré opte pour le « non » 1.
Le PRA et ses alliés fédéralistes, au premier rang desquels le
Soudanais Modibo Keïta, votent « oui » et préparent la construction d’une
République fédérale : le projet prend le nom de « fédération du Mali », en
référence au mythique empire de l’Afrique médiévale. Fin décembre 1959,
quatre États annoncent former une fédération au sein de la
Communauté : le Sénégal, le Soudan (Mali), le Dahomey (Bénin) et la
Haute-Volta (Burkina Faso). Le 14 janvier 1960, l’Assemblée constituante
se réunit ; le 17 janvier, la constitution est adoptée ; les 21 et 22 janvier,
seuls le Sénégal et le Soudan ratifient la constitution ; le Dahomey et la
Haute-Volta se sont entre-temps rétractés.
L’ombre de Houphouët-Boigny plane. Déjà, à l’automne 1958, il a
obtenu que le Niger ne participe pas au projet grâce à la défaite de Djibo
Bakary et à la victoire de Hamani Diori, chef de la section RDA
nigérienne. En septembre 1958, Ouezzin Coulibaly, le leader du RDA
voltaïque, décède : quoiqu’il fût très proche de Houphouët-Boigny, il
n’était pas insensible aux thèses fédéralistes. Maurice Yaméogo est
désigné par Houphouët-Boigny pour lui succéder : son premier geste
politique consiste à se retirer de la fédération du Mali. Quant au
Dahomey, Houphouët-Boigny a pu compter sur Hubert Maga, chef de la
section RDA dahoméenne.
La fédération du Mali, devenue une peau de chagrin, poursuit sa route
et se dote d’un gouvernement en avril 1959 : Modibo Keïta est président
et est assisté d’un vice-président, le Sénégalais Mamadou Dia. Senghor est
nommé président de l’Assemblée : il reste au second rang. Au sein de la
Communauté, le Mali est en pointe pour réclamer l’indépendance. De
Gaulle, après avoir dû se résigner à accepter de reconnaître la fédération
le 15 mai 1959, se voit présenter en septembre 1959 la demande
d’indépendance. Le calendrier d’une décolonisation patiente imaginé par
Houphouët-Boigny est totalement bousculé par le Mali. Les négociations
franco-maliennes sont ouvertes en janvier 1960 et aboutissent le 4 avril
1960. La proclamation de l’indépendance est programmée pour le 20 juin
1960.
Le gouvernement fédéral malien ne s’annonce pas comme un
partenaire complice de la France en Afrique : en mai et juin 1960,
Mamadou Dia n’hésite pas à dénoncer les agissements des services secrets
français à la frontière sénégalo-guinéenne. Le service Action du SDECE y
entretient depuis 1959 une opération de déstabilisation de la Guinée à la
suite de son « non ». L’affaire éclate en mai 1960 avec la découverte par la
police sénégalaise d’un dépôt d’armes à Kédougou. G, officier français des
Affaires africaines affecté à Tambacounda au titre de la coopération
militaire, voit son double jeu dévoilé : Mamadou Dia l’idenfitie comme un
officier du SDECE et comme la cheville ouvrière de ce trafic d’armes. Est
ainsi mis au jour le plan secret du SDECE d’assistance aux opposants de
Sékou Touré, à travers la constitution de maquis dans le Fouta-Djalon, en
plein cœur de la Guinée. Mamadou Dia refuse d’être complice d’une
opération contre un de ses pairs africains : par deux fois, le 13 et le
24 mai 1960, il en informe par écrit le général de Gaulle. Le second
document se fait plus comminatoire : il donne les noms des officiers du
SDECE qui, sous couvert de coopération militaire, organisent depuis le
Sénégal l’assistance aux maquis du Fouta-Djalon. Trois hommes du
SDECE ainsi dénoncés sont des officiers célèbres du service Action qui
importent en Afrique subsaharienne des méthodes de guerre
révolutionnaire rôdées en Algérie. Pour plus de précision, les
immatriculations des véhicules de ces officiers sont écrites noir sur blanc à
l’adresse du général de Gaulle.
Foccart, pour sa part, est parfaitement au courant de l’opération de
déstabilisation de la Guinée depuis sa genèse. L’idée vient de Robert, chef
de poste SDECE à Dakar devenu le fondateur du secteur Afrique du
SDECE en 1960. Son exécution a commencé dès 1959 sous l’égide de B,
un officier du service Action qui a précédemment été chef du 11e Choc (le
bras armé du service Action) et qui tient Foccart informé des grandes
lignes. Le réseau s’avère finalement plus vaste que Tambacounda et
Kédougou, conservant des liens avec Abidjan et donc avec Houphouët-
Boigny. Mais ces connexions complémentaires, quoique fortement
soupçonnées, n’ont pu être prouvées par les responsables de la fédération
du Mali – qui n’oublient cependant rien de leur contentieux géopolitique
avec Houphouët-Boigny. Pas plus que n’a été éventé – ni même sans doute
par Mamadou Dia – l’ensemble de l’opération du SDECE, baptisée Persil.
Elle combine l’action des maquis et la constitution du réseau clandestin
régional à la déstabilisation de la monnaie : le franc guinéen, sorti de la
zone du franc CFA avec l’accession de la Guinée à l’indépendance.
En mai et juin 1960, le scandale soulevé par Mamadou Dia est étouffé,
l’opération du service Action doit être démontée, mais la tension est
sensible entre Paris et Dakar. Pourtant, ce ne sont ni la France ni la Côte
d’Ivoire, mais des tensions internes qui emportent finalement la fragile
fédération. Le 18 août 1960, une crise politique éclate entre Mamadou
Dia et Modibo Keïta : en vue des élections présidentielles, ce dernier
donne des consignes au chef des forces armées mais n’en informe pas les
Sénégalais qui, en retour, redoutent un coup de force des Soudanais.
L’équilibre entre Sénégalais et Soudanais se rompt. Les Sénégalais crient à
l’agression ; les Soudanais à la sécession. Après deux jours de tensions à
Dakar, l’escalade de la crise aboutit le 20 août 1960 à la réunion de
l’Assemblée nationale qui vote en pleine nuit l’indépendance du Sénégal
et l’état d’urgence. Senghor s’impose comme l’homme fort du Sénégal. Le
lendemain, 21 août, les ministres soudanais sont mis dans un train à
destination de Bamako.
Le 5 septembre 1960, Senghor est élu président de la République
sénégalaise : l’échec de la fédération, qu’il avait ralliée avec modération,
lui ouvre les voies du pouvoir. Mamadou Dia en sera écarté deux ans plus
tard, accusé de tentative de coup d’État à la faveur de la crise de
décembre 1962. Le 22 septembre 1960, le Soudan proclame son
indépendance sous le nom de République du Mali – ultime référence à
l’échec fédéral. En 1960, après deux années de débat, les thèses de
Houphouët-Boigny triomphent : elles s’appuieront pour de longues années
sur le réseau des régimes RDA fidèles et s’épanouiront dans sa stratégie
d’alliance avec Foccart.
*1. Cette recherche se base, d’une part, sur des documents du fonds Foccart conservés aux Archives
nationales et rendus librement communicables, et, d’autre part, sur plusieurs enquêtes de terrain
au Sénégal, en Guinée et en Côte d’Ivoire. Il convient de souligner que le « réveil » de la mémoire
et de la figure de Mamadou Dia, tombé dans l’oubli officiel à la suite de la crise de décembre 1962
qui l’a opposé à Senghor, a constitué un élément préalable indispensable. Voir aussi Ousmane
William Mbaye, Président Dia, film documentaire sénégalais (54 mn), 2012.
1. Maurice Robert, « Ministre » de l’Afrique, Paris, Seuil, 2004.
Félix Moumié empoisonné
par les services secrets
*1
3 novembre 1960
Liquider Félix Moumié. Dans les premiers mois de 1960, l’idée fait son
chemin à l’Élysée. Cette année est celle des indépendances simultanées de
toutes les colonies africaines de la France. Et aussi de la sécurisation des
régimes « amis de la France ». Paris soutient l’installation du président
Ahmadou Ahidjo en mai au Cameroun, tandis que la rébellion UPC
(Union des populations du Cameroun) d’un militant anticolonialiste, Félix
Moumié, se développe dans le Sud, essentiellement en pays Bassa et
Bamiléké 1. L’année 1960 est politiquement stratégique pour consolider le
« pré carré » français au Cameroun, pivot entre l’Afrique de l’Ouest et
l’Afrique centrale. Le calendrier prévoyant le retrait des troupes françaises
à la fin de l’année, une importante opération militaire est amorcée dès
janvier.
Finalement, pour porter un coup fatal à l’UPC, l’élimination de
Moumié est décidée et validée au plus haut sommet de la République,
sous l’égide notamment de Foccart. Les méthodes de la crise algérienne
s’exportent vers l’Afrique subsaharienne : doctrine de la guerre
révolutionnaire et assassinats ciblés. L’opération est confiée au SDECE, et
plus précisément au service Action du colonel Robert Roussillat. Depuis la
fin des années 1950, souvent sous la couverture d’un groupe baptisé « La
Main rouge », le SDECE est investi de ce type d’opérations autour des
conflits coloniaux. L’affaire est confiée à « Grand Bill », de son vrai nom
William Bechtel.
Ancien poilu de 1914-1918 devenu officier, vétéran des services
spéciaux de la France libre (BCRA), volontaire pour l’Indochine, plusieurs
fois médaillé et décoré de la Légion d’honneur, Bechtel est officiellement à
la retraite militaire en 1951. Mais on ne quitte jamais vraiment les
« services », surtout dans les réseaux issus de la Seconde Guerre mondiale.
Le SDECE découvre deux points faibles qui vont lui permettre d’approcher
Moumié.
D’abord, exilé depuis 1955, il dirige l’UPC de l’extérieur, en véritable
commis voyageur de la cause auprès des grandes capitales de la
Tricontinentale (Égypte, Ghana, Guinée, Congo lumumbiste). À ce titre, il
a besoin de la presse pour populariser son combat. Puis, il n’est pas
insensible aux charmes féminins lors de ses séjours. Sur cette double base,
« Grand Bill » échafaude un plan. Il a déjà rodé avec le FLN une technique
d’infiltration des milieux nationalistes dans les années 1950. Le temps
presse car, en cette année 1960, Moumié redouble d’efforts dans son
combat : il voyage entre Conakry, Accra et Léopoldville en quête d’alliés
africains, plaide sa cause à l’ONU, est en relation avec des diplomates
chinois, achète des armes pour les maquis et imprime des brochures
depuis la Suisse…
Bechtel approche une première fois Moumié à Accra, capitale de la
cause panafricaine, sous le faux nom de « Claude Bonnet » et sous
l’étiquette de journaliste à Allpress, agence de presse suisse réputée
relayer la cause anticoloniale. Un parent de Moumié fait les présentations
à l’hôtel Ringsway à Accra. Une seconde rencontre a lieu quelques mois
plus tard à Genève 2, au siège de l’agence, confirmant la crédibilité de
« Grand Bill » aux yeux de Moumié, cette fois en compagnie de Jean-
Martin Tchapchet, président de la section française de l’UPC. Le principe
d’un dîner est convenu pour le 15 octobre 1960 à Genève, au restaurant
chic Le Plat d’argent : y sont conviés Moumié, Tchapchet, Bechtel et
Liliane F. Cette belle brune est l’« amie » de Moumié ; elle l’accompagne
lors de ses séjours genevois. Le rôle de cette call-girl apparaît trouble dans
l’affaire : proche du chef de l’UPC, elle est présumée être une honorable
correspondante du SDECE.
Pour éliminer Moumié, il est prévu de verser du thallium dans son
Ricard, son apéritif habituel. Aussi simple que redoutable. Inodore et sans
saveur, le poison bien dosé ne doit pas agir avant quarante-huit heures,
c’est-à-dire ne pas tuer Moumié avant son retour à Conakry. Un
subterfuge est monté pour permettre à « Grand Bill » de verser le thallium
dans le verre du leader camerounais : un complice doit appeler au
téléphone le chef de l’UPC tandis que Bechtel présente une série de photos
à Tchapchet pour détourner son attention. Mais, de retour à table,
Moumié se lance dans de grandes diatribes et oublie de boire son Ricard.
Le repas défile et le verre empoisonné reste ignoré. Bechtel parvient à
verser une seconde dose de thallium dans le vin de Moumié, qu’il finit par
boire. Manifestement assoiffé, le chef de l’UPC avale aussi d’un trait le
Ricard resté sur la table, ingurgitant une double dose mortelle de poison.
Étourderie professionnelle ou précipitation des événements : Bechtel
aurait dû, une fois bu le verre de vin empoisonné, renverser
« maladroitement » le verre de Ricard pour éviter les complications et ne
laisser aucune trace sur table. Dans des entretiens confidentiels, le général
Paul Grossin, patron du SDECE, confiait : « La dose était trop forte […].
Bref, il aurait dû mourir en arrivant à Conakry le lendemain. Mais il est
mort à Genève, d’où le scandale. »
Dans la nuit qui suit, Moumié sent les premières attaques du poison.
Au petit matin, dans une clinique genevoise, il gémit : « J’ai été
empoisonné par mon pastis ! » Il décède le 3 novembre 1960 après une
agonie de plusieurs jours. Son corps est transporté à Conakry, à bord d’un
avion spécialement affrété par Sékou Touré.
Très rapidement, le nom de Bechtel est livré à la police suisse, mais
l’agent du SDECE a déjà disparu. Liliane F aussi. Le domicile de l’espion à
Chêne-Bourg est perquisitionné : des traces de thallium sont trouvées
dans une des poches de ses vestons et des archives sont découvertes. Elles
comportent des documents intéressant la surveillance ou des opérations
relatives à des cadres du FLN et à des militants anticolonialistes, ainsi que
le plan élaboré contre Moumié. Le lien de Bechtel avec « La Main rouge »,
ainsi que sa connexion avec Charles Knecht, le chef de la police genevoise,
sont mis au jour.
Le voile ayant été levé sur la véritable identité de « Grand Bill », un
mandat d’arrêt international est délivré contre lui. Mais le SDECE fait
rayer son nom des listes de personnes recherchées en France. Arrêté en
Belgique en 1974 et extradé en Suisse, il est finalement libéré sous
caution. En 1980, le tribunal de Genève rend un non-lieu. Entre-temps,
l’amicale des anciens des services spéciaux de la France libre était prête à
se mobiliser pour le sauver par tous les moyens.
*1. Cette enquête s’appuie en premier sur la récente évolution de l’historiographie de la guerre du
Cameroun, c’est-à-dire du conflit colonial, puis postcolonial, qui se joue au Cameroun entre 1955
et 1971. Cette guerre est désormais inscrite dans le cadre des conflits de la décolonisation de
l’Afrique. Des entretiens avec des acteurs africains et français de ce conflit ont constitué un
deuxième réseau de sources. Enfin, viennent les archives : dans ce domaine, il convient de
souligner la place des papiers saisis par la police suisse chez William Bechtel, et qui sont conservés
au Bundesarchiv de Berne. Ces archives ont été mises au jour par Karine Ramondy dans le cadre de
sa thèse de doctorat.
1. Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, Kamerun ! Une guerre cachée aux origines
de la Françafrique (1948-1971), Paris, La Découverte, 2011.
2. Frank Garbely, Mort à Genève (Félix Moumié), film documentaire français (52 mn), 2006.
L’agent secret 001 de la France
libre est appelé au chevet
de Hamani Diori
*1
21 juillet 1965
*1. Cette recherche est fondée sur des documents du fonds Foccart rendus librement
communicables au 1er janvier 2016, au terme des cinquante ans de réserve, et conservés aux
Archives nationales. Ils permettent de revenir sur le secours français porté au régime de Hamani
Diori au Niger pour le sécuriser et contrer les menaces « subersives ». Car l’histoire du Niger n’a pas
été à la décolonisation le long fleuve tranquille de l’histoire officielle. Voir aussi Klaas van
Walraven, The Yearning for Relief. A History of the Sawaba Movement in Niger, Leyde, Brill, 2013.
Omar Bongo accède au pouvoir
sous l’œil de Foccart Jacques
Foccart
*1
27 novembre 1967
*1. Cette enquête trouve comme origine les déclarations de Foccart lui-même dans le premier tome
de ses Mémoires : Foccart parle (Paris, Jeune Afrique/Fayard, 1995) au sujet de l’accession au
pouvoir d’Omar Bongo. La recherche a été menée à travers une enquête de terrain au Gabon et des
entretiens avec les collaborateurs et correspondants de Foccart qui ont été les principaux acteurs
de cette histoire.
1. Jean-Pierre Bat, Le Syndrome Foccart. La politique française en Afrique depuis 1959, op. cit.
Opération Mar Verde à Conakry
*1
22 novembre 1970
*1. Cette recherche s’appuie, d’une part, sur les archives du commandant guinéen Thierno Diallo
conservées par sa famille et, d’autre part, les archives coloniales portugaises conservées à l’institut
des Archives nationales – Torre do Tombo (parmi lesquelles celles de la PIDE, la police politique
salazariste). Elles constituent deux ensembles de sources inédites. Ce chapitre s’appuie également
sur des enquêtes de terrain en Guinée, où le régime de Sékou Touré a trouvé dans ce 22 novembre
1970 un moment fondateur pour sa mise en scène politique et mémorielle. Voir Bilguissa Diallo,
Guinée, 22 novembre 1970. Opération Mar Verde, Paris, L’Harmattan, 2014 ; et António Luís
Marinho, Operação Mar Verde – um documento para a história, Lisboa, Temas e Debates, 2006.
1. Manuscrit, Moi tirailleur sénégalais, homme de devoir et non de droit.
2. L’Agression portugaise contre la République de Guinée.
Coup d’État dans les cieux contre
Hassan II
*1
16 août 1972
*1. Ce récit se fonde principalement sur le témoignage inédit d’insider de Raymond Sasia, garde du
corps du général de Gaulle, devenu chef de la sécurité personnelle de Hassan II. Le 16 août 1972, il
est à bord du Boeing royal lors de l’attentat. Voir Raymond Sasia, Mousquetaire du général, Paris,
Éditions Guéna, 2010. Ce récit est complété par des missions de terrain au Maroc.
1. Stephen Smith, Oufkir. Un destin marocain, Paris, Calmann-Lévy, 1999. Cette enquête est le
premier travail d’histoire immédiate réalisée sur le règne de Hassan II. Il offre une vision plus large
de la situation marocaine à la veille du putsch de 1972.
L’assassinat du docteur Outel Bono
à Paris
*1
26 août 1973
La scène, sinistre, est digne d’un film noir. Elle se déroule dans le
quartier de la Bastille vers 9 h 30, ce dimanche matin 26 août 1973. Les
rues sont quasiment désertes à cette heure. Le docteur Outel Bono,
personnalité politique tchadienne, vient de quitter son appartement de la
rue Sedaine, tourne à pied par la rue du commandant-Lamy (l’histoire est
ironique, il s’agit d’un des officiers de la colonne partie à la conquête du
lac Tchad en 1900 et dont le nom a été donné à la capitale tchadienne)
pour rejoindre sa voiture, une DS 21, qu’il a garée la veille rue de la
Roquette. Bono s’empare de ses clés, ouvre sa portière et s’installe au
volant. Il a à peine le temps de s’asseoir que surgit un homme qui braque
sur lui un 9 mm et lui tire deux balles quasiment à bout portant : l’une
dans la joue, l’autre dans la nuque. Le docteur s’effondre dans sa voiture,
tué net ; son assassin court rejoindre son véhicule, une 2 CV garée
derrière la DS 21, et s’enfuit en faisant demi-tour rue de la Roquette pour
s’engouffrer à contresens rue Popincourt et disparaître. L’attentat a été
réalisé avec une telle rapidité que les rares témoins de la scène n’ont pas
pu identifier l’immatriculation de la 2 CV.
L’affaire dépasse aussitôt la dimension criminelle pour recouvrir une
dimension politique : le bruit court dans Paris comme en Afrique d’une
nouvelle « affaire Ben Barka » avec, cette fois, le régime tchadien comme
commanditaire.
Le président François Tombalbaye a beau nier toute implication, le
calendrier politique n’a échappé à personne. Alors que le Tchad est en
proie à une guerre sans fin contre la rébellion du Frolinat (sous le nom
d’opération Limousin, la France a mené entre 1969 et 1972 une guerre
pour sauver Tombalbaye), Bono a annoncé la création de son parti le :
Mouvement démocratique de rénovation tchadienne (MDRT). Son
manifeste, un document d’une trentaine de pages, a été diffusé à la presse
le 24 août 1973. Une conférence de presse est prévue à Paris pour le
28 août 1973.
Tombalbaye ne veut à aucun prix de ce MDRT qui fait figure de
« troisième voie » entre son régime et la rébellion. D’autant qu’il s’efforce
péniblement de reprendre l’initiative en restructurant son parti unique.
L’historique Parti du peuple tchadien (PPT, affilié au RDA de Houphouët-
Boigny), qui a présidé à l’indépendance, est dissous pour laisser place à
une nouvelle formation teintée par la politique d’« authenticité » : le
Mouvement national pour la révolution culturelle et sociale (MNRCS). Le
congrès fondateur du MNRCS s’ouvre… le lundi 27 août 1973 à
N’Djamena (nouveau nom de Fort-Lamy avec la politique
« d’authenticité »).
La police parisienne peine dans son enquête. À défaut de trouver la
piste de l’assassin, elle retrace la biographie du docteur Bono. Arrivé en
France en 1946, il effectue ses études secondaires à Bordeaux, puis
s’inscrit à la faculté de médecine à Toulouse en 1953. Marqué par le
crépuscule de l’empire colonial, il fait très tôt figure de militant
nationaliste, inspiré par les thèses marxistes et communistes. Il rejoint les
rangs de la célèbre Fédération des étudiants d’Afrique noire en France
(FEANF). Il effectue sa première tournée politique au Tchad en 1957. En
1958, dans la perspective de l’indépendance, il rejoint le Parti africain de
l’indépendance (PAI) tandis qu’il devient président-secrétaire général de
l’Association des étudiants tchadiens de France (AET). En 1959-1961, il
effectue son internat à Sousse en Tunisie d’où il suit avec passion la
révolution algérienne en faveur des indépendantistes. En 1962, ses études
achevées, il rentre au Tchad et devient médecin-chef à l’hôpital de Fort-
Lamy. Quoiqu’il fût membre du PPT-RDA, il considère dès le congrès de
janvier 1963 que Tombalbaye construit un pouvoir autoritaire et il ne
cache pas son opposition à l’intérieur du PPT-RDA ; en mars 1963, il est
arrêté pour « complot ». Condamné à mort, il est l’objet d’une campagne
d’opinion en France et voit sa peine commuée en détention en vie… Après
un rude emprisonnement, il est libéré en 1965. Pour le garder sous
contrôle mais ne désespérant pas de le réintégrer dans son jeu,
Tombalbaye le nomme directeur de la Santé publique à Fort-Lamy.
Apparemment en retrait de la vie politique (il ignore le grand congrès
PPT-RDA de 1967), Bono cache cependant de moins en moins ses
opinions sur la dérive du régime. En mai 1969, il est de nouveau arrêté
pour « diffamation, propos excitant à la sédition, atteinte à la sûreté
intérieure et extérieure de l’État ». Bien qu’il fût condamné à cinq ans de
prison, il est relâché dès le mois d’août suivant. Bono conserve
soigneusement ses distances avec le Frolinat. Mais la situation se
complique pour lui à N’Djamena. En 1972, il profite de congés pour venir
en France… et s’y exiler. À N’Djamena, la rumeur – efficacement distillée
par le régime – court que Bono fraye désormais avec le Frolinat. C’est
entre l’été 1972 et l’été 1973 que Bono donne corps à ses projets
politiques : ils aboutissent, en août 1973, à la création de son parti le
MDRT… et à sa mort.
La police judiciaire se penche plus en détail sur cette dernière année :
Georges Djiguimbaye, compatriote tchadien et directeur de la Banque
africaine de développement (BAD), présente à Outel Bono un certain
Henri Bayonne, son frère en maçonnerie à la Grande loge nationale de
France (GLNF, lointaine héritière de la loge des Colonies). La relation
entre Bayonne et Bono avance suffisamment pour qu’ils abordent
clairement le projet du MDRT et que Bayonne parraine Bono à la GLNF
(une demande préalable a été déposée auprès du Grand Maître le 24 août
1973). Montée à Paris sitôt informée de la mort de son mari, Nadine Bono
est prise en charge par le couple Bayonne durant son séjour d’une
semaine. Un peu trop prise en charge. Elle réalise qu’ils l’isolent pour
qu’elle ne prenne pas de contact extérieur. Le rôle de Bayonne reste
difficile à éclaircir, mais un élément jette une lumière inédite sur sa
personnalité : vétéran du Bureau central de renseignement et d’action
(BCRA), le service secret de la France libre, il est resté très proche des
services secrets français. Dans cette période si critique au Tchad, il ne
rencontre pas par hasard Bono. Est-il un intermédiaire (indirect) entre
Paris et N’Djamena pour contrôler ou circonvenir Bono ? Croit-il
sincèrement au projet du MDRT ou approche-t-il Bono pour mieux le
surveiller ? Et surtout avec qui est-il en contact côté français pour appuyer
son action dans un sens ou dans un autre ? Ces questions restent sans
réponse. Toujours est-il que son rôle constitue le principal écran de fumée
de l’enquête – d’autant que Tombalbaye le dénonce comme le « cerveau »
de l’assassinat de la rue de la Roquette dans sa déclaration du 9 mars
1975.
L’enquête rebondit fin 1977-début 1978, lorsque l’identité du tueur est
enfin levée : sur les traces d’un certain « Léonardi » ou « Léon Hardy », la
police judiciaire identifie et auditionne (enfin) un certain Claude Bocquel,
retrouvé dans le Vaucluse. Il est vrai que le contexte politique au Tchad a
changé avec le coup d’État du 13 avril 1975 qui coûte la vie à
Tombalbaye. Côté français, Foccart, l’influent « Monsieur Afrique », a
quitté l’Élysée en mai 1974 et la France giscardienne a été obligée
d’entamer des négociations secrètes avec le Frolinat à la suite de l’affaire
Claustre.
Qui donc est Claude Bocquel ? Gardien de la paix et CRS français, il
est affecté en 1967 au Service de coopération technique international de
la police (SCTIP) et rejoint l’équipe de gardes du corps du président
Bongo au Gabon, qui s’en sépare au bout de quelques mois. En 1968, il
gagne Bangui, toujours pour le compte du SCTIP, et devient instructeur
de tir à l’école de police centrafricaine. En 1969, profitant de tensions
entre la coopération française et le président Jean-Bedel Bokassa et jouant
une carte contre la France, il devient le garde du corps du général
Bokassa. Exclu de la police française, il devient l’homme lige de Bokassa
qui le nomme chef du service de la sécurité présidentielle.
Doté d’un uniforme bleu marine de commandant et décoré de l’ordre
du Mérite centrafricain, Bocquel est au sommet de sa gloire au second
semestre 1969. Il remplit pour son maître, dont il partage l’intimité et les
secrets, des missions de basse police et de sécurité personnelle. En
novembre 1969 sont découverts en Centrafrique deux camps
d’entraînement du Frolinat, installés par Bocquel sur instruction de
Bokassa. Face au scandale, ce dernier interdit les camps ; mais Bocquel –
de sa propre initiative ou sur ordre duplice de l’extravagant Bokassa ? –
cherche à poursuivre l’opération. Repéré par les services français (et
tchadiens), multipliant les faux pas, il entre en disgrâce entre la fin 1969
et le début 1970. Aux griefs professionnels, s’ajoutent des considérations
d’ordre privé : le chef de la sécurité présidentielle est devenu un
partenaire encombrant pour Bokassa ; en effet, il est au courant des
intrigues policières, des affaires galantes et des trafics de diamants du
président.
En mars 1970, Bocquel est arrêté et sa maison perquisitionnée en
présence de Bokassa qui espérait sans doute retrouver des documents
compromettants, puis il est jeté en prison. Il est ensuite expulsé de Bangui
pour Paris. Mais l’avion d’Air Afrique effectue une escale technique
traditionnelle à Fort-Lamy. Camille Gourvennec, chef du Centre de
coordination et d’exploitation du renseignement (CCER) – les services
spéciaux du président Tombalbaye –, en profite alors pour appréhender
Bocquel dont il connaît en détail le rôle et les activités à Bangui. Interrogé
sans ménagement par Gourvennec et ses hommes, Bocquel avoue tout – et
même plus. Au bout de quelques jours, l’ambassade de France obtient le
renvoi de l’ancien CRS en France.
Bizarrement, Bocquel revient dès le mois de mai suivant au Tchad, où
il est pris en charge par Gourvennec en personne dans le cadre d’une
enquête sur le Frolinat pour être confronté à des rebelles. En réalité, sans
doute lors des interrogatoires secrets de mars 1970, le chef du CCER a-t-il
« retourné » Bocquel dont il a fait son agent ? C’est ce que confirme
l’enquête de police judiciaire, lorsque Bocquel est retrouvé dans le
Vaucluse et auditionné : il confesse avoir été recruté par Gourvennec qui
lui dit travailler pour la France, lui laissant miroiter une collaboration
avec le SDECE. Sans conteste, le chef du CCER s’avance beaucoup par
cette allégation ; il n’en reste pas moins que, dans les méandres des
services secrets en Françafrique, l’argument fait mouche dans l’esprit de
Bocquel, familier des frontières troubles. Pour ses missions CCER, il reçoit
le pseudonyme de Léon Hardy – improprement identifié au début de
l’enquête en « Léonardi », d’où certaines confusions. La police retrouve à
son domicile des billets de vols UTA et des correspondances de
Gourvennec qui sont autant de preuves de ses missions d’agent du CCER.
Que savait la France de cette intrigue entre 1970 (date de l’affaire
Bocquel) et 1973 (date de l’affaire Bono) ? Dans le monde opaque du
renseignement, la réponse reste délicate à formuler. Camille Gourvennec
est un officier français ; mais s’il a servi au Tchad dans le renseignement
depuis 1963 au titre de la Coopération militaire, il est passé en 1968 sous
contrat tchadien et ne doit plus répondre de ses faits et gestes que devant
Tombalbaye. Il n’en reste pas moins le pivot de la sécurité au Tchad aux
yeux des autorités officielles françaises (de Foccart à l’ambassade) qui
doivent composer avec lui. Il est un interlocuteur complexe, mais
incontournable du colonel Robert, historique « Monsieur Afrique » du
SDECE. Depuis 1969, au titre de la Coopération militaire, le numéro 2 du
CCER est un protégé de Robert : le commandant Galopin. Ce dernier était
présent lors de l’interrogatoire de Bocquel en mars 1970 ; lors de
l’entretien qu’il accorde au journaliste Pierre Desjardins du Figaro, peu
avant son exécution par le Frolinat en 1975, il confesse la responsabilité
du CCER dans l’assassinat du docteur Outel Bono.
Le mode opératoire, deux balles dans la tête, ressemble à un message
politique. Car il existe mille et une façons d’éliminer un opposant gênant :
avec le Camerounais Moumié en 1960, le SDECE avait eu recours à des
solutions qui se voulaient plus discrètes. Et pour ne rien simplifier, depuis
l’affaire Ben Barka (1965) plane toujours l’idée que dans ce genre
d’affaires « Foccart est au parfum », selon la célèbre expression qui a fait
couler tant d’encre.
Une certitude demeure pour le crime du docteur Bono : son assassinat
est bel et bien une initiative du pouvoir tchadien, exécutée par son bras
armé, le CCER. Reste cependant la part d’ombre, pour laquelle ne peuvent
être avancées que des hypothèses. Parmi elles, celle que le pouvoir
politique français aurait été mis devant le fait accompli le 26 août 1973.
Or, pour Foccart, au lendemain de l’opération militaire française au
Tchad, dans le contexte de crise sécuritaire profonde que traverse le
Tchad, et malgré la campagne de dénigrement dont il fait l’objet sous les
traits d’un charognard (le « Dopele au cou pelé » dénoncé dans Le Canard
déchaîné au Tchad), la priorité des priorités reste la sauvegarde coûte que
coûte de l’État tchadien face au Frolinat et à la Libye. En 1973, cet État
tchadien se nomme toujours Tombalbaye. La dimension spectaculaire de
l’assassinat d’Outel Bono fonctionnerait alors comme un message à double
détente envoyé par le pouvoir tchadien : d’une part, est physiquement
éliminé l’opposant de la « troisième voie », et, d’autre part, « dans le
doute », la France est rendue responsable de l’événement aux yeux de
l’opinion publique. Foccart aurait-il pensé un moment, ainsi que certains
l’ont suggéré autour de Jeune Afrique, pouvoir jouer la carte Bono (dans
cette hypothèse, le rôle de Bayonne serait à réévaluer) ? Rien n’est
prouvé, ni dans un sens ni dans l’autre. Toujours est-il qu’avec l’assassinat
de Bono il n’existe plus aucune alternative entre Tombalbaye et le
Frolinat.
Dans les jours, les semaines et les mois suivants, Gourvennec pourra
continuer à aller et venir entre la France et le Tchad sans que l’enquête
policière ne parvienne à le toucher. Foccart n’a sans doute eu d’autre
solution a posteriori que « d’étouffer » l’affaire, au nom de la politique
française au Tchad – dont les voies s’avèrent bien tortueuses dans les
dédales du monde du renseignement. En effet, il subsiste une question
sans réponse : Galopin savait-il pour l’assassinat et, le cas échéant, en a-t-
il informé ses contacts français au SDECE ?
Quant à la procédure judiciaire en France, après avoir traîné en
longueur et malgré les efforts de sa veuve Nadine et de son avocat, le
célèbre Me Kaldor – grand ténor communiste du barreau –, elle se
conclura par un non-lieu prononcé en 1982.
*1. Cette recherche s’appuie sur le dossier d’enquête menée par la police judiciaire de la préfecture
de police de Paris. Il a été complété par le dossier des Renseignements généraux et des documents
du 2e bureau et du Service de coopération technique international de la police. Cette recherche a
ensuite été recoupée par des entretiens auprès d’anciens proches du service de sécurité tchadien du
commandant Gourvennec et auprès d’anciens opposants tchadiens à Tombalbaye. Une mission de
terrain au Tchad a complété l’enquête. Cette recherche a été menée avec Cyprien Boganda,
journaliste, lors de l’anniversaire de l’assassinat d’Outel Bono.
L’exécution du commandant
Pierre Galopin au Tchad
*1
4 avril 1975
Au début des années 1970, les leaders des rebelles du Frolinat sont à
couteaux tirés. Ces tensions aboutissent à l’émancipation d’une branche
de l’organisation dans la zone septentrionale, où Hissène Habré et
Goukouni Weddeye procèdent à la création du Conseil de commandement
des forces armées du Nord (CCFAN), tout en restant dans le Frolinat 1.
Faute de matériel et de moyens, ils sont néanmoins contraints d’accepter
l’aide libyenne : Kadhafi occupe dès 1973 la bande d’Aouzou. Dans ce
contexte tendu, Hissène Habré et Goukouni Weddeye effectuent un
« coup » alors sans précédent. Ils prennent en otage dans le Tibesti, le
21 avril 1974, trois Occidentaux : Françoise Claustre, archéologue au
CNRS, Marc Combe, coopérant français, et le docteur Christophe
Staewen, de nationalité ouest-allemande. L’idée est, d’une part,
d’internationaliser et médiatiser la cause du CCFAN, et, d’autre part, de
négocier des moyens matériels pour équiper leur rébellion.
L’Allemagne fédérale cède immédiatement aux demandes des
ravisseurs pour récupérer le docteur Staewen. La position de la France est
plus épineuse : quelle voie trouver entre le soutien officiel au régime du
président Tombalbaye, la nécessité de libérer les otages et l’établissement
de contacts directs avec les rebelles du Nord ? Sitôt élu, en mai 1974,
Giscard d’Estaing entame des négociations secrètes avec le Tchad. Avec la
bénédiction du président Tombalbaye, un vétéran d’Indochine et
d’Algérie, Galopin, est envoyé en juin 1974 comme négociateur pour
l’affaire des otages français.
Cet officier méhariste passe pour un « Saharien confirmé » qui s’est
initié au renseignement en Mauritanie. Après une formation au SDECE, il
retourne en Afrique : fin 1967, il est affecté au Tchad au titre de
l’assistance militaire technique. Maurice Robert, l’influent chef Afrique du
SDECE, a veillé à cette nomination : Galopin devient le numéro 2 du
service de renseignement tchadien, le CCER.
À compter de 1968, la rébellion se développe de plus en plus dans le
Nord (préfecture du Borkou-Ennedi-Tibesti, BET). En 1969, Galopin
réussit le tour de force de diviser politiquement les éléments de la
rébellion dans le BET et de rallier une importante partie des rebelles
toubous à la cause gouvernementale. En 1971, il parvient aux mêmes
résultats dans le Guera (Centre). Après six années de service, il quitte en
janvier 1974 le CCER. Il apparaît comme un des rares hommes en qui
Tombalbaye place sa confiance. C’est la raison pour laquelle Galopin est
rappelé au Tchad, six mois plus tard, pour dénouer l’affaire Claustre, une
mission aussi délicate que sensible.
Dès le 6 juillet 1974, Habré fixe ses conditions : libération de détenus
politiques, diffusion dans la presse française d’un manifeste politique du
Frolinat et « indemnisation » (en argent et en matériel de guerre).
L’affaire Claustre devient une affaire d’État. Le sort de la politique
tchadienne de la France est lié à son issue favorable.
Des contacts indirects et directs avec les rebelles sont établis dans le
Nord entre juin et août 1974. Mais, à l’issue de la rencontre du 4 août
1974, Habré décide de retenir Galopin prisonnier. Coup de force du
rebelle ou manœuvre consentie de l’officier français ? Ce dernier semble
vouloir s’engager dans un jeu dangereux : pour mieux négocier avec
Habré et garder son contact direct, il accepterait de devenir une sorte de
prisonnier volontaire. Cette hypothèse est confirmée par le fait que
Galopin participe à la rencontre du 31 août 1974 entre l’émissaire de
l’ambassade de France et Habré, aux côtés de ce dernier. La liste des
demandes de matériel militaire présentée par Habré a été en réalité
rédigée par Galopin.
L’affaire traîne cependant en longueur. Fin septembre 1974, le CCFAN
envoie un premier avertissement en faisant comparaître devant un
tribunal révolutionnaire Marc Combe et le commandant Pierre Galopin.
Mais, entre octobre 1974 et mars 1975, aucun accord n’est trouvé avec
Habré. Parallèlement, les rebelles commencent à soupçonner Galopin de
double jeu, l’accusant d’être plus un agent de renseignement de
Tombalbaye qu’un négociateur du gouvernement français. Cherche-t-il à
mener une opération d’infiltration dont il a le secret, comme en 1969,
pour diviser de l’intérieur le CCFAN ? Galopin, en se livrant à Habré,
avait-il pour objectif secret et prioritaire de le détourner de l’encombrant
parrain libyen ?
Le CCFAN utilise désormais l’otage Galopin comme un moyen de
pression direct envers Paris qui ne se presse pas de finaliser les
négociations. Il est transféré à Zoui pour être déféré devant un tribunal
révolutionnaire présidé par Habré, le 2 avril 1975. Le lendemain, la
sentence tombe : il est condamné à mort. Le verdict fait l’unanimité parmi
les cadres du CCFAN. L’exécution par balles lui est refusée : il sera pendu.
Le même jour, Habré lance un ultimatum au gouvernement français : si
Paris ne livre pas les armes avant le 4 avril 1975 à 10 heures, Galopin sera
exécuté.
Dans la nuit du 3 au 4 avril, l’officier français est soumis à la torture.
Au cours de son interrogatoire, il confesse plusieurs opérations
compromettantes du CCER. Le 4 avril à 10 heures, à 7 km de Zoui, sur la
route d’Ossouni, il est amené au pied d’un grand arbre. Il est vêtu d’un
uniforme composé d’une chemise et d’un pantalon kaki, sans galons. Sous
le regard de Habré, la sentence est exécutée. La légende dit que Galopin
est mort au garde-à-vous. Le coup de grâce lui est porté d’une balle de
pistolet au niveau de l’oreille gauche. Ordre est donné de l’enterrer au
fond de l’Ennedi.
L’affaire Claustre s’est transformée en affaire Galopin et elle est
devenue une affaire d’État entre la France, le Tchad et le Frolinat. Avec
cette affaire, le CCFAN s’est imposé comme le principal élément militaro-
politique de la rébellion au Tchad. Le 13 avril 1975, un coup d’État
militaire dépose le président Tombalbaye qui est tué au cours de cet
événement. Françoise Claustre est toujours captive (elle ne sera libérée
qu’en 1977) et la rébellion de Habré et de Weddeye ne fait que
commencer. Les cartes géopolitiques au Tchad sont profondément
rebattues.
*1. Cette enquête se fonde sur une mission de terrain au Tchad, sur des entretiens avec des
membres et des cadres du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat), sur les conclusions
des interrogatoires de rebelles du Frolinat arrêtés par les services de renseignement tchadiens,
ainsi que sur le dossier de carrière du commandant Galopin conservé par le service historique de la
Défense (Centre d’Archives du personnel militaire).
1. Goukouni Weddeye, « Témoignage pour l’histoire du Tchad », entretiens avec Laurent Correau,
Paris-Alger, RFI, 2008. Il s’agit des Mémoires en cours de préparation de Goukouni Weddeye.
La première opération
de Bob Denard aux Comores
*1
20 septembre 1975
Le 3 août 1975, Ali Soilih procède à un coup d’État sur l’île de Grande
Comore. Il dépose Ahmed Abdallah, le leader politique qui a conduit
l’archipel des Comores à l’indépendance seulement quelques semaines
plus tôt. Car, jusqu’en 1975, les Comores restent sous le statut des
territoires d’outre-mer : ce statut de TOM est porté, de la réforme de
l’Union française en 1946 jusqu’à la Communauté en 1958, par toutes les
colonies françaises pour les distinguer des départements d’outre-mer
(DOM). En d’autres termes, la décolonisation de l’archipel comorien de
l’océan Indien a été différée des grandes vagues d’indépendances qui ont
eu lieu en 1960 à travers l’Afrique. Cependant, conscient de l’enjeu,
Foccart a fait évoluer le statut des Comores : en 1961 est proclamée
l’autonomie interne.
Dès cette date, Abdallah siège au Sénat français et travaille à
l’accession des Comores à l’indépendance, à la suite de l’Afrique
subsaharienne. Paris traîne des pieds, mais il obtient finalement la
signature des accords de Paris, le 15 juin 1973, qui programment
l’indépendance. Les derniers mois de Foccart à la tête du secrétariat
général des Affaires africaines et malgaches de l’Élysée ont été consacrés –
fait trop souvent oublié – à l’évolution juridique et institutionnelle des
territoires d’outre-mer de l’océan Indien, notamment après la révolution
malgache de 1972.
Installé à l’Élysée en mai 1974, Valéry Giscard d’Estaing poursuit le
processus amorcé depuis 1973 ; un référendum est organisé pour
décembre 1974. L’objectif est de savoir si les Comoriens souhaitent rester
Français ou prendre leur indépendance. Les trois îles de Grande Comore,
Anjouan et Mohéli se prononcent pour l’indépendance, tandis que
Mayotte souhaite rester dans le giron français. C’est donc vers une
division politique de l’archipel que s’oriente cette indépendance, ce
qu’Abdallah dénonce : il accuse le gouvernement français de Jacques
Chirac de violer les règles du droit international en séparant Mayotte de
l’archipel indépendant. La France entérine le maintien de Mayotte au sein
de la République le 3 juillet 1975. En réaction, Abdallah prononce
unilatéralement l’indépendance des Comores (Grande Comore, Anjouan
et Mohéli) le 6 juillet 1975.
C’est dans ce contexte tendu entre Paris et Moroni que Soilih renverse
Abdallah, qui fuit la capitale Moroni (sur l’île de Grande Comore) pour
regagner son fief sur l’île d’Anjouan. Nul doute que, à cette date, Abdallah
n’est pas dans les petits papiers de Paris. Aussi, Soilih comprend qu’il doit
en profiter pour réduire sans attendre toute capacité de résistance de son
adversaire reclus à Anjouan.
Yves Lebret, directeur de la compagnie Air Comores et proche d’Ali
Soilih, prend en charge l’opération de recrutement d’une équipe de
spécialistes capables de réduire la menace Abdallah. Il se rend à Genève
pour s’ouvrir de son projet à des intermédiaires de confiance. En fin de
chaîne, Georges Starkman, homme d’affaires et marchands d’armes,
propose le nom de Bob Denard. C’est ainsi que le célèbre mercenaire
débarque à Moroni et aux Comores pour la première fois, en
septembre 1975. Selon Starkman, l’opération est montée à peu de frais.
« Chien de guerre » au Katanga et au Congo entre 1961 et 1967, il
conserve de cette époque ses contacts établis avec le SDECE à la faveur de
la crise du Congo-Kinshasa. Depuis cette date, il collabore étroitement
avec Robert, fondateur du secteur Afrique du SDECE, et Mauricheau-
Beaupré, conseiller de Houphouët-Boigny et missus dominicus de Foccart
en Afrique. Il incarne une voie/voix française du mercenariat dans un
univers dominé par les grandes compagnies sud-africaines ou
rhodésiennes. Dans ces conditions, Denard et ses hommes s’avèrent
précieux pour le SDECE qui dispose ainsi d’une porte d’entrée dans
différentes crises militaires à travers le continent, ainsi que d’un « outil »
fort commode pour mener des actions dans lesquels le service Action ne
peut se compromettre. De fait, après 1967 et son retrait du Congo-
Kinshasa, le SDECE lui fournit de faux papiers au nom de Gilbert
Bourgeaud pour poursuivre plus discrètement ses activités. Ainsi, dans les
années 1970, Denard s’est défait de son battle dress de « chien de guerre »
pour devenir un « expert » que se prêtent des chefs d’État africains « amis
de la France » (Hassan II, Houphouët-Boigny, Bongo, etc.) au vu et au su
des services secrets français avec lesquels il continue plus que jamais de
collaborer, par-delà la démission de Robert du SDECE en 1973. De sorte
que l’appel de Soilih à Denard ne peut pas passer inaperçu aux yeux de
Paris, dans le contexte de 1975.
Sur le tarmac de l’aéroport de Moroni, Denard débarque les quelque
trois cent fusils qu’il a amenés avec lui, sous les yeux des gendarmes
français qui font mine d’ignorer son manège. Avec sept de ses hommes
pour l’épauler dans son projet, il entraîne pendant quelques jours près de
deux cents Comoriens partisans de Soilih, baptisés mapinduzi (militaires
militants).
L’opération est déclenchée le 20 septembre 1975. Les avions de Lebret
transportent les troupes de Grande Comore à Anjouan. Il ne faut pas plus
de quelques heures à Denard pour s’emparer de l’île et de faire d’Abdallah
son prisonnier. Ce dernier est contraint à l’exil en France. Le mercenaire,
quant à lui, découvre Anjouan qui lui apparaît comme un véritable
paradis. Il rêve depuis longtemps d’un coin d’Afrique où installer sa base
arrière : en 1975, il prend conscience de ce que pourraient représenter les
Comores pour son projet.
Cependant, l’histoire n’est pas aussi simple. Certes, Abdallah est puni ;
mais Paris a-t-il clairement compris le programme de Soilih ? Ce dernier
s’affiche farouche révolutionnaire aux accents ouvertement marxistes. Il
lance notamment une réforme agraire de vaste ampleur. Bref, les Comores
indépendantes basculent sous un régime révolutionnaire : l’opération de
Denard en 1975 accouche donc d’un régime « contraire à [ses] convictions
de toujours ». Un euphémisme pour ce farouche nationaliste
anticommuniste ; un contresens pour Paris qui, trop réjoui de voir
Abdallah puni pour son geste de 1975, n’a pas compris que lui a succédé
un authentique révolutionnaire aux antipodes de la politique africaine de
la France, trois ans seulement après la Révolution malgache. Denard, dans
ces conditions, quitte les Comores en promettant à Soilih de revenir.
Dès le mois de février 1977, Abdallah, toujours en exil à Paris, reprend
contact avec Denard pour lui demander d’organiser son retour au pouvoir.
De l’aveu du mercenaire, l’affaire est pilotée par la cellule Afrique de
l’Élysée, dirigée par René Journiac, l’ancien bras droit de Jacques Foccart
au secrétariat général des Affaires africaines et malgaches. Après le fiasco
du coup d’État raté de Denard au Bénin en 1977 (compromettant
Journiac, Hassan II, Bongo et Eyadéma par les documents qui sont oubliés
dans la précipitation du rembarquement sur le tarmac), il se recentre donc
sur les Comores. En mars 1978, l’opération Atlantide est lancée. Denard a
acquis avec l’aide du célèbre « Crabe-Tambour » le bateau Antinéa. Son
équipe se compose d’une cinquantaine de mercenaires : après avoir quitté
Lorient et être passé par les Canaries, l’Antinéa double le cap de Bonne-
Espérance, à destination (tenue secrète) de Moroni. Pour couverture, le
mercenaire a créé une société offshore de recherche sismique et
géophysique supposée se rendre en Terre de Feu. Le 13 mai 1978, au petit
matin, l’Antinéa aborde la plage d’Itsandra, sur la côte de Grande Comore.
En quatre heures, Moroni passe sous le contrôle des mercenaires et Soilih
est fait prisonnier.
Soilih sera tué quelques jours plus tard : officiellement au cours d’une
tentative d’évasion. Dans les faits, les circonstances de sa mort restent
obscures et certains y voient la main des mercenaires. Abdallah devient le
maître du pays, mais doit faire face à un double enjeu : redresser une
situation économique rendue exsangue et manœuvrer face au pouvoir que
représentent les mercenaires qui ont fondé la Garde présidentielle (GP),
véritable État dans l’État reconnaissable à ses uniformes noirs 1.
Après avoir découvert les Comores en 1975, Denard en fait sa base
arrière à partir de 1978. Les services spéciaux militaires sud-africains se
feront les principaux bailleurs de fonds de la Garde présidentielle et
Denard devient un précieux allié du régime de l’apartheid dans l’océan
Indien. L’histoire des Comores du 13 mai 1978 au 26 novembre 1989,
date de la mort par balles d’Abdallah dans des conditions troubles et en
présence du mercenaire, est dès lors indissociable de l’histoire de Bob
Denard et de la Garde présidentielle aux Comores.
*1. Cette enquête est fondée sur le recoupement des Mémoires de Denard (rédigés à la veille de
chacun de ses deux procès, l’un après son départ des Comores en 1989, l’autre après son échec aux
Comores en 1995) avec les témoignages d’acteurs et témoins comoriens et français. Cette
recherche est également basée sur le renouveau de l’histoire des mercenaires qui a mis au jour de
nouveaux fonds d’archives, à commencer par celles de Denard conservées par l’association de ses
anciens compagnons : ORBS Patria Nostra. Elle s’appuie, enfin, sur une mission de terrain dans
l’océan Indien. Voir aussi Pierre Lunel, Bob Denard, le roi de fortune, Paris, Éditions N° 1, 1991 ;
Bob Denard, Georges Fleury, Corsaire de la République, Paris, Robert Laffont, 1998 ; Walter
Bruyère-Ostell, Dans l’ombre de Bob Denard. Les mercenaires français de 1960 à 1989, Paris,
Nouveau Monde, 2014.
1. Laurent Boullard, Bob Denard, sultan blanc… des Comores, film documentaire français (52 mn),
2012.
Jonas Savimbi est reçu
discrètement au SDECE
*1
30 novembre 1977
*1. Ce récit est principalement fondé sur le témoignage inédit de Michel Roussin, directeur de
cabinet du directeur général du SDECE, Alexandre de Marenches. Il a été recoupé avec des
témoignages d’anciens responsables du service Action et d’agents du SDECE investis dans la lutte
anticommuniste en Afrique.
1. Ryszard Kapus´ciński, D’une guerre l’autre. Angola, 1975, Paris, Flammarion, 2011.
2. Alexandre de Marenches, Christine Ockrent, Dans le secret des princes, Paris, Stock, 1986.
3. Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets français, Paris, La
Découverte, 2012.
Jean-Bedel Bokassa couronné
empereur avec l’aide de la France
*1
4 décembre 1977
*1. Cette enquête est fondée sur les entretiens d’acteurs de la coulisse, côté français (à l’image de
Jean-Paul Benoît) et centrafricain. L’un d’entre eux, conseiller de Bokassa et proche du
renseignement français, a accepté de nous ouvrir ses archives qui couvrent toute l’histoire de cette
sulfureuse cérémonie. Cette recherche a trouvé comme précédent nécessaire le documentaire
historique d’Emmanuel Blanchard, qui a pour base principale l’enregistrement déclassifié par
l’ECPAD de la cérémonie du couronnement : ce film avait été, après un montage relativement
kitsch, offert à l’empereur Bokassa en cadeau officiel. Voir aussi Emmanuel Blanchard, Bokassa,
Ier empereur de Françafrique, film documentaire français (52 mn), 2011.
1. Géraldine Faes, Stephen Smith, Bokassa Ier, un empereur français, Paris, Calmann-Lévy, 2000.
Mythes et réalités autour de la mort
du « Monsieur Afrique » de Valéry
Giscard d’Estaing au Cameroun
*1
6 février 1980
*1. Cette enquête est fondée sur des missions de terrain au Tchad et au Gabon, sur les travaux de
classement d’archives de Journiac par les Archives nationales, sur des entretiens avec les plus
proches collaborateurs de Journiac et de Foccart, ainsi que sur des éléments d’enquêtes du crash de
l’avion de Journiac. Ce chantier, mené par Pascal Geneste, conservateur du patrimoine, met au jour
le rôle pivot de René Journiac dans la continuité des affaires africaines au plus haut sommet de
l’État. Voir Pascal Geneste, Archives de la présidence de la République. Valéry Giscard d’Estaing
(1974-1981), Paris, Archives nationales/Somogy, 2007.
La France échoue à éliminer
Mouammar Kadhafi
*1
5 août 1980
*1. Cette enquête est menée sur la base d’entretiens avec d’anciens responsables du SDECE et sur
le renouveau de l’histoire du renseignement et de l’État secret. La chute de Kadhafi, en 2011, a
constitué un élément mémoriel non négligeable pour justifier le « réveil » de la mémoire de cette
opération. Voir Roger Faligot, Jean Guisnel, Rémi Kauffer, Histoire politique des services secrets
français, Paris, La Découverte, 2012.
Début d’une cohabitation inédite
avec les Africains
*1
13 décembre 1986
*1. Cette recherche est menée à travers des entretiens avec les différentes acteurs et témoins des
délégations françaises et africaines du XIIe sommet franco-africain de Lomé.
1. Antoine Glaser, Stephen Smith, Ces messieurs Afrique. Le Paris-Village du continent noir, Paris,
Calmann-Lévy, 1992.
2. Éric Deroo, Eyadéma, président, tirailleur, général, film documentaire français (52 mn), 1998.
Voir également Ahmadou Kourouma, En attendant le vote des bêtes sauvages, Paris, Seuil, 1998 :
l’auteur met en scène sous les traits du président-dictateur Koyaga la trajectoire politique
d’Eyadéma.
3. Christophe Cupelin, Capitaine Thomas Sankara. Il a osé inventer l’avenir, film documentaire
suisse (90 mn), 2014.
Dans l’ombre de l’élection
présidentielle au Niger, l’opération
de « facilitation » de la DGSE
*1
27 mars 1993
*1
12 janvier 1994
*1. Cette recherche a pour sources d’anciens hauts fonctionnaires de l’Élysée, du ministère de la
Coopération et de la Banque mondiale en charge du franc CFA et présents à Dakar lors de
l’annonce de la dévaluation.
1. François Soudan, « Histoire secrète d’une dévaluation », Jeune Afrique, no 1724, 20-26 janvier
1994.
2. Kako Nubukpo, L’Improvisation économique en Afrique de l’Ouest. Du coton au franc CFA, Paris,
Karthala, 2011.
3. Rémy Godeau, Le Franc CFA. Pourquoi la dévaluation a tout changé, Paris, Sépia, 1995.
L’histoire secrète d’un téléphone
rouge en plein génocide rwandais
*1
4 juillet 1994
*1. Cette recherche est essentiellement fondée sur le témoignage inédit de Jean-Christophe Rufin
qui a été confidentiellement mandaté par le ministère de la Défense pour établir le contact avec
Paul Kagame, chef rebelle du Front patriotique rwandais (FPR).
1. Gérard Prunier, The Rwanda Crisis. History of a Genocide, New York, Columbia University Press,
1995.
Fin de parcours pour Bob Denard
*1
5 octobre 1995
*1. Cette recherche est menée à partir des éléments officiels du procès de l’affaire des Comores, de
la défense organisée par Denard et ses hommes – témoignages sous différentes formes – et
d’entretiens avec des acteurs de la politique africaine de la France au moment de l’élection de
Jacques Chirac.
1. Jean-Claude Sanchez, La Dernière Épopée de Bob Denard, Paris, Pygmalion, 2010.
Laurent-Désiré Kabila devient
le maître de Kinshasa
*1
20 mai 1997
*1
19 mars 2000
*1. Ce récit est fondé en premier lieu sur le témoignage du général Lamine Cissé, ancien chef de
l’armée sénégalaise et ministre de l’Intérieur. Cette enquête a été complétée et recoupée par des
sources diplomatiques, ainsi que par des missions de terrain au Sénégal. Voir Lamine Cissé
(général), Carnets secrets d’une alternance : un soldat au cœur de la démocratie, Paris, Gideppe,
2001.
1. Abdou Diouf, Mémoires, Paris, Seuil, 2014.
« Noël à Abidjan »
*1
27 décembre 2007
*1. Cette enquête est fondée sur le témoignage de Jean-François Cazé. Elle a été recoupée par des
entretiens avec des diplomates et les principaux protagonistes de l’affaire. Elle a enfin été
complétée par des enquêtes de terrain en Côte d’Ivoire.
1. Jean-Paul Billault, Emmanuel Ravazi, Manipulations sous haute tension, film documentaire
français (109 mn), 2009.
Ben Ali est poussé à l’exil
*1
14 janvier 2011
*1. Ce récit est fondé sur un entretien avec l’avocat du chef de l’État déchu, des témoignages oraux
d’un haut responsable du ministère de la Défense tunisien et d’un journaliste du pays qui a retracé
tous les événements. Des « câbles WikiLeaks », qui jouent ici un rôle dans la situation politique, ont
offert un cadrage archivistique complémentaire. Cette recherche a été complétée par des enquêtes
en Tunisie.
1. Abdelaziz Ben Hassouna, « Tunisie : la véritable histoire du 14 janvier 2011 », Jeune Afrique,
25 janvier 2012.
2. Pierre Puchot, La Révolution confisquée. Enquête sur la transition démocratique en Tunisie, Paris-
Tunis, Actes Sud/Sindbad, 2012.
3. Lénaïg Bredoux, Mathieu Magnaudeix, Tunis Connection. Enquête sur les réseaux franco-tunisiens
sous Ben Ali, Paris, Seuil, 2012.
4. Pierre Ménat, Un ambassadeur dans la révolution tunisienne, Paris, L’Harmattan/Pepper, 2015.
La chute de Laurent Gbagbo
*1
11 avril 2011
*1. Ce récit a été établi à partir de nombreux témoignages de diplomates français, onusiens, de
responsables militaires et de partisans des présidents Gbagbo et Ouattara. Cette recherche a été
complétée par des enquêtes en Côte d’Ivoire, avant, pendant et après la crise dite « post-
électorale ».
1. Jean-Christophe Notin, Le Crocodile et le Scorpion, Paris, Éditions du Rocher, 2013.
2. Jean-Marc Simon, Secrets d’Afrique, Paris, Le Cherche Midi, 2016.
3. Laurent Gbagbo, François Mattei, Pour la vérité et la justice, Paris, Éditions du Moment, 2013.
Fin du calvaire pour les derniers
otages d’Areva
*1
29 octobre 2013
*1
31 octobre 2014
*1. Cette recherche a été menée à partir de témoignages oraux de personnes ayant participé au
sauvetage du président déchu, de diplomates français et africains.
1. Benjamin Roger, Rémi Carayol, « Burkina : le récit de la chute de Compaoré », Jeune Afrique,
18 novembre 2014.
Conclusion
Françafrique : la faim
des « mystères »