0 Fraternite Impression
0 Fraternite Impression
0 Fraternite Impression
Nous étions habitués à des parcours bibliques centrés sur l’étude de livres
bibliques. Or voici que, cette année, l’équipe présidée par Paul Bony (qu’il faut
vraiment remercier pour ce précieux travail), nous propose d’étudier un thème
à partir de ce qu’en propose le message biblique. Ce thème est central pour
notre être et notre vie chrétienne : « La fraternité ».
La fraternité est bien une réalité de notre humanité. Elle est un fait, un idéal,
un choix : un fait quand elle parle de son origine biologique, un idéal quand elle
aspire à qualifier ainsi les relations entre humains, un choix quand elle s’attarde
aux modes de vie. Pour notre peuple, elle fait partie de la devise républicaine
inscrite sur les frontons de nos mairies. Elle fait donc partie de notre idéal
national. Lorsqu’on regarde les choses de plus près on perçoit qu’il s’agit d’un
chantier inachevé, relancé sans cesse par les évolutions du monde. Le français
pur-sang n’existe pas et le français totalement fraternel est en gestation
permanente.
Dans nos vies de chrétiens aujourd’hui, nous sentons bien que se situe là une
réalité essentielle de notre vie, tant pour ce qui concerne la vie de nos
communautés chrétiennes afin qu’on puisse dire d’elles : « Voyez comme ils
s’aiment », que pour notre vie personnelle et nos engagements dans la vie
sociale et politique : « Qui est mon prochain ? Qui est mon Frère ? ».
Puisse ce parcours biblique nous guider dans l’accueil du projet de Dieu pour
les hommes révélé dans l’histoire sainte et le moment du Christ particulière-
ment. Puisse-t-il encore élargir nos cœurs aux dimensions de celui de Dieu.
+ Georges PONTIER
1
PARCOURS BIBLIQUE 2019-2020
Ben oî t BLI N
A n ni e GU I NA RD
Céci l e H AYOT
A n n e-Mari e LA MBE RT
Béat ri ce MA U R RAS
Versi on i n tern et :
http://marseille.catholique.fr/Parcours-Biblique
Ch an t s :
S ervi ce past oral de mu si qu e l i tu rgi qu e du di ocèse de Marseil l e
Dessi n s :
Frère YV ES , La Pi erre qui Vi re
Tran scri pt eu r :
Jan et t e G OUE L
2
Frère Yves, moine-artiste
« Frère Yves, Pierre Vitry, est né à Valenciennes en 1923. Dès son plus jeune
âge il se passionne pour le dessin. La traversée d’épreuves et la découverte de
Dieu dans la Création le conduisent de l’Académie des Beaux-Arts à la vie reli-
gieuse : il entre à l’abbaye de la Pierre-qui-Vire en 1946. Le père Angelico Sur-
champ, élève de Gleizes, l’initie à l’art roman avec lequel il se découvre une
profonde affinité. Ce sera la source d’une œuvre originale. Cobalt, vermillon et
jaune d’or accompagnent désormais sa lecture de la Parole de Dieu. Il puise
son inspiration dans le silence, la solitude, la liturgie et ses longues méditations
bibliques où se révèle sa vraie place de contemplatif. Limpidité des formes,
éblouissement des couleurs, tout son travail de peintre est une louange au
Créateur et Père qui nous accompagne sur le chemin de la Vie." (Dans : Frère
Yves, une œuvre en prière, présenté par Marie-Laure Mourot - Préface de Fran-
çois Boespflug, Editions de l’Emmanuel.)
3
SOMMAIRE
Contacts p. 5
Bibliographie p. 6
Introduction p. 10
1re rencontre p. 17
CAÏN ET ABEL
(Gn 4, 1-16)
2e rencontre p. 35
JOSEPH – CHEM INS DE FRATERNITÉ
(Gn 37-50)
3e rencontre p. 55
PEUPLE SAINT – PEUPLE FR ATERNEL
(Lv 19)
4e rencontre p. 71
JÉSUS et s es FR ÈRES
5e rencontre p. 85
« PREMIER-NÉ »
(Romains 8 ; Hébreux 2)
6e rencontre p. 99
LETTRE de PAUL à PHILÉMO N
7e rencontre p. 113
ÉGLISE–FR ATERNITÉ « TOUS FRÈRES »
(Mt 18)
4
CONTACTS
http://marseille.catholique.fr/Parcours-Biblique
A l’écoute des prophètes 2012 – 2013
La Pâque de Jésus 2013 – 2014
Chemins d’humanité 2014 – 2015
Au souffle de l’Esprit 2015 – 2016
L’Exode 2016 – 2017
Résurrection 2017 – 2018
Évangile de Jean 2018 – 2019
La Fraternité 2019 – 2020
http://diocesemarseille.com/archive/-Parcours-bibliques%2c949-.html
5
BIBLIOGRAPHIE
- Les références dans le texte du livret seront données en abrégé par le nom
de l'auteur et les premiers mots du titre.
* Philippe ABADIE, Le frère (Ce que dit la Bible sur…), Nouvelle Cité 2015,
bonne initiation sous forme d'interview.
*** Marie-Jo THIEL, Marc FEIX (éd.) Le défi de la fraternité, Zürich 2018
(collectif français, anglais, allemand), éclairages philosophique, sociologique,
politique, biblique, théologique …) 632 pp.
** Cahiers ÉVANGILE 161 Genèse 1-11, Les pas de l'humanité sur la terre,
2012 (Jean L'HOUR).
6
** Cahiers ÉVANGILE 116, Le Lévitique, la loi de sainteté, 2001 (P. Buis).
*** Alfred MARX, Lévitique 17-27, Labor et Fides, Genève 2011 (analyse
minutieuse de Lv 19).
7
DÉROULEMENT D'UNE RENCONTRE
Nous connaissons des groupes bibliques, des groupes de parole, des groupes
de prière…
1. Le texte :
Analyse du texte selon une méthode qui allie une recherche personnelle et des
apports "pour aller plus loin" accessibles à tous. (Un Lexique regroupe dans
chaque fiche les mots qui nécessitent une explication particulière).
(Il sera peut être utile pour cela de choisir les questions qui correspondent le
mieux au groupe, ce ne sont que des propositions ! ou de traiter vos propres
questions !)
8
PLAN DE CHAQUE FICHE
LE TEXTE
I - POUR LIRE
II - ET MAINTENANT AU TEX TE
- un cantique
- le Notre Père
- une oraison
- en annexe pour les groupes qui désirent prier avec les psaumes, une sélection.
IV - CLÉS D E LECTUR E
Toutes ces pistes sont indicatives. Pour chacune de ces parties, l'animateur
choisira avec le groupe ce qui lui sera le mieux adapté. Il est important de
privilégier les questions du groupe.
9
INTRODUCTION
Pourquoi faire le choix d'un parcours biblique sur la fraternité ? Le sujet revient
à l'ordre du jour dans la vie sociale. On parle volontiers du « vivre-ensemble »,
devenu plus problématique dans le contexte du mixage mondial des
populations, des cultures, des religions. Pour cela on fait souvent appel à la
solidarité, terme qui peut paraître plus neutre que celui de la fraternité ; les
deux vont de pair, mais elles ne sont pas purement et simplement équivalentes.
Malgré son attrait, la fraternité ne va pas de soi. Elle se cherche au milieu des
conflits ou des déformations. Elle est en travail dans les souffrances d'un
accouchement. Elle écope des refus avec telle ou telle catégorie d'humanité, en
telle ou telle situation conflictuelle. Elle peut se déformer en des identités
fermées qui tournent à l'exclusion. On peut la rêver de manière illusoire, se
fermer les yeux sur les difficultés, au lieu de chercher à la construire avec
patience, lucidité et réalisme. On peut aussi en désespérer comme une utopie
sans consistance. Elle trouvera toujours des sceptiques. Mais elle peut devenir
une espérance1. Elle engendre un combat chez ceux qui se laissent gagner par
la vigueur de la Parole créatrice, elle n’appelle ses hommes à l’existence qu’en
appelant des frères.
1- Langage de fraternité
1 - La fraternité biologique qui fait de nous des frères parce que nous prenons
place dans une même famille. La fraternité se confond alors avec la fratrie, la
condition fraternelle ;
2 - La fraternité élective ou d'alliance, qui se noue entre des personnes qui n'ont
justement pas de liens familiaux entre elles. C'est elle qui, le plus souvent, est
visée dans les discours. On la confond la plupart du temps avec sa petite sœur ;
Il faut noter dès maintenant que la fraternité élective et la vertu de fraternité sont
des extensions du terme fraternité qui, en toute rigueur, désigne la condition de
ceux qui sont issus d'un même couple. La fraternité élective est une métaphore qui
promeut la proximité de personnes pourtant éloignées par la parenté mais dont on
postule qu'ils sont proches d'un autre point de vue : le lignage, la tribu, l'ethnie, le
peuple, la nation, la religion, l'humanité, voire même la nature ».
1 Osée 2 2 Les fils de Juda et les fils d’Israël se réuniront, ils se donneront un seul chef et ils
sortiront du pays ; oui, il est grand, le jour de Yizréel ! 3 Dites à vos frères : « Mon-Peuple », et à
vos sœurs : « Tendrement-Aimée ».
2 Jean-Pierre ROSA, « La dynamique de la fraternité » dans : Marie-Jo THIEL, Marc FEIX (éd.),
Le défi de la fraternité, Zürich 2018, p. 47.
3 À la différence du français, le grec a deux mots pour désigner ces deux dernières acceptions :
adelphotès, la fraternité, et philadelphia, l`amour fraternel.
10
2 – Fraternité et solidarité
La proximité des deux termes ne doit pas les faire prendre l'un pour l'autre. La
solidarité résulte d’un arrangement collectif pour que tous les membres de la
société y trouvent le plus possible leur compte. Elle résulte d'une négociation
tacite ou explicite ; elle ne s'appuie sur aucune transcendance, si ce n'est cette
volonté collective ; elle se codifie dans des institutions qui permettent
d'échapper à l'arbitraire des individus ; elle se limite à un certain nombre de
biens économiques et culturels identifiables comme tels et accessibles à une
société donnée, et son amplitude évolue avec elle. La fraternité appelle, certes,
la mise en œuvre de la solidarité. Elle la promeut même toujours davantage.
Mais elle a un fondement, un horizon et un sens qui la dépassent. Dans la
tradition judéo-chrétienne, la fraternité implique une relation plus originaire et
plus radicale que la solidarité. L'humanité est une seule et immense famille
engagée dans une même histoire depuis sa genèse dans l'acte créateur jusqu'à
son achèvement final (Jean-Paul II à Assise).
11
4 – Fraternité humaine et fraternité chrétienne.
Dans notre culture européenne le langage de fraternité eut d'abord une forte
coloration religieuse, d'inspiration biblique. Les fils d'Israël ne sont-ils pas des
frères au titre de leur appartenance à l'Alliance divine du Sinaï ? Le N.T. ne
parle-t-il pas constamment des croyants comme des frères et sœurs en Jésus-
Christ ? Les humains sont frères parce que tous créés par Dieu selon la même
dignité ; plus étroitement encore les humains appelés par Dieu à entrer en
communion fraternelle avec son Fils. Frères les uns des autres parce que frères
de Jésus-Christ. La fraternité ainsi conçue s'est approfondie, mais elle risque
d'être exclusive en fermant le cercle autour de ceux-là seuls qui font profession
de croire au Christ. Fraternité communautaire qui peut glisser vers le
communautarisme. Ce risque sera évité si l'on prend conscience que l'on ne
peut pas être frères du Christ dans l'Esprit en oubliant qu'il est le Frère universel
et que tous les humains sont déjà réellement ou du moins potentiellement ses
frères dans l'Esprit ; et même, dira l'évangile de Mathieu (Mt 25), le Fils de
l’Homme se déclare le frère de tous les démunis pour cette simple raison qu'il
a voulu s'identifier à eux au seul titre de leur détresse.
5 - Lecture biblique
12
- du point de vue éthique : la Bible se présente comme une école de fraternité
faisant appel au décentrement de soi, au partage de la parole, à la victoire sur
la jalousie et la rivalité. Elle est vraiment une école de la fraternité d’alliance.
L'histoire de Joseph et de ses frères, à la fin de la Genèse, répond au drame du
fratricide du commencement de l'humanité pour lui apprendre les chemins de
la fraternité. L'amour du frère comme soi-même sera au cœur de la Loi du
peuple saint choisi par le Dieu saint ; mais ce qui pourrait se dégrader en
communautarisme s'en trouve protégé par l'appel à aimer aussi l'étranger
comme soi-même et comme son compatriote. Avec le N.T. l'amour du frère ne
va cesser de s'élargir au-delà des cercles de proximité immédiate vers
l'universel. De ce dépassement Jésus sera la figure éminente dans les récits des
évangiles.
Dès lors l’Église qui se réclame de Lui devra vivre à la lumière de ce dessein
eschatologique, dont elle veut être l'anticipation :
– soit en elle-même, dans les formes de sa vie communautaire : elle sera une
« fraternité » ; voilà un nouveau sens du mot « fraternité », qui n'apparaissait
pas précédemment ni dans la littérature grecque ni dans la littérature biblique,
mais qui fera fortune à partir de la 1re Épître de Pierre : si l'on y vit l'amour
fraternel (philadelphia), c'est que les membres font partie d'une communauté
qui se désigne comme « fraternité » (adelphotès) ;
– soit dans un dialogue et une recherche de sens avec toutes les figures
d'humanité qu'elle rencontrera pour initier déjà cette fraternité eschatologique
qui est l'horizon du dessein de Dieu.
« Lévinas rappelle que l’autre est toujours déjà là, qu’il m’interpelle de son
“visage” pour un face-à-face : « D’emblée l’un et l’autre, c’est l’un en face de
l’autre. C’est moi pour l’autre. » Le visage est à la fois une réalité sensible, mais
aussi une métaphore de cette présence immédiate, irréductible de l’autre, qui
ouvre sur l’infini. Comme l’autre est toujours déjà là, toujours déjà présent,
toujours me sollicitant à « l’envisager », je ne peux pas échapper au pouvoir
de cette présence, à ce lien insécable. Être « responsable de mon frère », c’est
13
répondre à la promesse de l’impératif humain d’avoir à constituer l’autre comme
frère à l’intérieur de moi ».
Être frère, c'est inéluctablement se trouver appelé à répondre devant l'autre :
« Me voici » (Catherine CHALIER).
1 Dans notre vie familiale, sociale, ecclésiale actuelle, quelle expérience avons-
nous de la fraternité : de ses difficultés, de ses points d’appuis, de ses
réussites?
2 Quels échos y trouvons- nous dans les média, dans la culture contemporaine
(roman, film, conte, dessin animé etc.)? Convergence ou divergence par
rapport à la Bible ?
IT INÉ RA IRE
Sous le thème « soyez saints parce que moi votre Dieu je suis saint », le
Lévitique formule un « décalogue » à sa manière, d'où émergent deux
préceptes-clés :
- aimer ton prochain comme toi-même (19, 18)
- aimer l’étranger, comme ton compatriote // comme toi-même (19, 34)
« Le code de sainteté » opère ainsi une double jonction : entre « peuple saint »
et « fraternité »; entre « ton frère » et « l'étranger ».
Les réactions de Jésus, quand on lui parle de ses frères, ou que lui-même en
parle, montrent qu'il dépasse le sens étroit de la famille pour mettre en valeur
le lien spirituel des disciples, et il va encore plus loin en révélant qu'il considère
les humains les plus démunis comme ses frères (Mt 25, 40-45). On parcourra ce
chemin d'ouverture universelle :
14
- sa liberté par rapport à la famille (Mc 3, 20-21),
- sa famille spirituelle, les disciples (Mc 3, 31-35 et // Mt - Lc ; Jn 20, 17-18),
- le Fils de l'Homme, le frère des pauvres (Mt 25).
8 – Ouverture
Notre parcours nous a conduits des origines de l'humanité à son accomplis-
sement comme fraternité universelle en Christ Jésus. Si nous avons terminé
par une attention à la fraternité ecclésiale, ce n'est pas pour perdre de vue
l'universel, mais pour en venir à notre responsabilité et à notre mission : porter
en communauté le signe de la fraternité ouverte à tous. La mission ne
s'accomplit qu'en en donnant le signe dans la manière même de l'exercer. Nous
proposons un témoignage du N.T. à ce sujet.
15
16
(Gn 4, 1-16)
1re rencontre
17
18
CAÏN ET ABEL : L'HOMME ET SON FRÈRE (Gn 4, 1-16)
8 Caïn dit à Abel son frère… Et il arriva, quand ils furent dans la
campagne, que Caïn se leva contre Abel son frère et le tua.
13 Alors Caïn dit au SEIGNEUR : « Mon châtiment est trop lourd à porter !
14 Voici qu’aujourd’hui tu m’as chassé de la face du sol (adamah) et de
devant ta face je me cacherai, je serai un errant, un vagabond sur la terre,
et le premier venu qui me trouvera me tuera. » 15 LE SEIGNEUR lui répondit :
« Si quelqu’un tue Caïn, Caïn sera vengé sept fois. » Et LE SEIGNEUR mit un
signe sur Caïn pour le préserver d’être tué par le premier venu qui le
trouverait. 16 Caïn sortit de devant la face du Seigneur et s’en vint habiter
au pays de Nod, à l’est d’Éden.
25 Adam s’unit encore à sa femme, et elle mit au monde un fils. Elle lui
donna le nom de Seth (ce qui veut dire : accordé), car elle dit : « Dieu m’a
accordé une nouvelle descendance à la place d’Abel, tué par Caïn. » 26
Seth, lui aussi, eut un fils. Il l’appela du nom d’Énosh. Alors on commença
à invoquer le nom du Seigneur.
19
FIL ROUGE
Cepen dan t , deven u consci en t de sa fau te, Caï n rest e en core sou s
u n e cert ain e prot ect i on di vin e et l es verset s su i vant s évoqu eron t
avec l a descen dan ce de Caïn l e dével oppemen t soci al et cu lt u rel
des h ommes mal gré l e péch é.
20
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
1 - L'enjeu
Nous abordons notre lecture de la Bible sur la fraternité par ce qu'il en est dit
dans l'histoire des origines (Gn 1-11). Nous savons bien qu'il ne s'agit pas de
« récits historiques » à la manière d'une chronique, mais de récits
« mythiques », c'est-à-dire de créations littéraires qui se proposent de dire les
fondamentaux de la condition humaine en reportant aux origines le drame et
les enjeux qui la caractérisent depuis toujours et encore aujourd’hui. Dès les
origines les humains sont les créatures d'un Dieu d'amour qui leur propose le
bonheur en vivant en accord avec lui (Gn 2) ; mais ils se laissent séduire par
leur convoitise et leur désir de toute-puissance au détriment de la confiance en
sa Parole. Ils en viennent alors à détruire leur propre relation mutuelle :
l'homme et la femme, qui ne peuvent se passer l'un de l'autre, corrompent leur
attirance mutuelle en domination (Gn 3, 16). Heureusement le Dieu qui les a
créés et qui se trouve « obligé » de les mettre « hors paradis » ne les
abandonnera pas, il leur donne des signes de son attention bienveillante, et par
eux continue de donner la vie.
Or il importe que dans cette évocation des origines il n'y ait pas seulement
l'homme et la femme (Adam et Ève), mais aussi, et aussitôt, l'homme et son
frère (Caïn et Abel). S'il n'est pas bon que l'homme soit seul, et si pour cela, le
Seigneur lui a donné en vis-à-vis une personne capable d'échanger avec lui
(Gn 2, 18-24), il se trouve que le premier couple, à son tour, ne peut pas
enfanter un individu isolé, mais un homme et son frère. « L’homme (ha-adam)
connut Ève, sa femme : elle devint enceinte, et, avec l'aide de YHWH, elle mit
au monde Caïn… Et elle continua d'enfanter (d'un même mouvement – on dirait
presque son jumeau !) son frère Abel (4, 1-2). La relation de fraternité est donc
inscrite dans les gènes de l'humanité créée par Dieu à l'instar de la relation de
l'amour mari et femme. Mais l'humain saura-t-il être le gardien de son frère ou
cédera-t-il à la tentation de l'éliminer ? Le fratricide transformerait la terre
fertile en désert et l'histoire de l'humanité en jeu de massacre ; l'échec de la
fraternité serait de ce fait-même l'échec de la création, à moins que le Seigneur
ne vienne en interrompre la fatalité… ce que laisse heureusement entrevoir la
suite du récit.
Le récit des origines en Genèse 1-11 mêle les eaux de deux courants théolo-
giques et littéraires – on peut les distinguer clairement en comparant le récit
sobre et grandiose de la création du monde en six jours (Gn 1, de tradition
sacerdotale = P) et le récit de la création des humains à partir de la boue du
sol dans le jardin d'Eden, suivie de leur péché et de leur expulsion du paradis
(Gn 2–3). La tradition sacerdotale (P) peut être datée du VIe-Ve siècle. Elle est
21
optimiste et souligne la maîtrise de Dieu sur la création et l'histoire, lieu de
révélation de sa gloire. L'autre tradition (non-P) est sans doute plus récente et
s'apparente aux écrits de sagesse qui réfléchissent à la condition humaine avec
réalisme : mise en garde contre la prétention de tout dominer ; et malheurs
d'une humanité précaire, exposée aux sollicitations du mal personnifié ; et
pourtant espérance possible si l'on sait tenir compte de la présence aimante de
YHWH à cette humanité. C'est à ce deuxième courant qu’appartient le récit de
Caïn et Abel.
Ève enfante Caïn « avec YHWH », en continuant d'enfanter Abel son frère ».
Que va devenir cet « ajout » ? Et que va devenir Caïn, s'il lui faut tenir compte
de la présence de ce frère ? Chacun des deux vit d'abord dans son monde
propre : Abel berger, Caïn cultivateur ; ce n'est pas cela qui fera le drame…
22
2 Nouement (3-7)
Le drame se noue à partir de l'acte cultuel des deux frères, qui va les situer l'un
par rapport à l'autre dans ce qui constitue un trait majeur de l'existence
humaine : être ou ne pas être considéré, et cela par Celui qui est la dernière
instance de toute considération et de toute bénédiction, Dieu. Caïn est abattu.
YHWH l'invite à dominer le péché tapi comme une bête à sa porte (6-7).
Tout se passe en silence : dire (quoi?) à son frère Abel – aller aux champs (lieu
agricole de Caïn) – se lever contre son frère Abel – tuer.
4 Dénouement (9-12)
DIFFICULTES DE TRADUCTION
Le récit est extrêmement sobre, laconique, à tel point que les différentes
versions de l'hébreu et les commentaires qui ont accompagné la traduction se
sont cru obligés de « boucher les trous ». Ainsi au v. 8 : Caïn « dit à Abel son
frère… » Que lui dit-il ? On ne le saura jamais ; les versions grecque, latine…
ont ajouté : « sortons », « allons aux champs ». Il y a donc des vides, qui ne
sont pas nécessairement accidentels.
23
Lexique
* Abel : son nom est le même mot qui signifie « buée », souffle inconsistant ;
c'est par ce mot que débute le livre de Qohélet, le sage de Jérusalem qui
réfléchit sur l'inconsistance de la vie humaine : « Vanité des vanités/futilité des
futilités, tout est futile ». Mais n'est-ce pas le tort de sa mère, puis de son frère,
de donner si peu de poids à ce fils et à ce frère ?
* Dieu/Yahvé : les récits bibliques ont des noms différents pour nommer
Dieu. Le nom courant est Elohim (qui est un pluriel de majesté ; sg.El), il est
commun aux langues sémitiques (cf. Allah en arabe). YHWH (couramment
vocalisé Yahweh, Yahvé) est le nom révélé par Dieu à Moïse ; il est interprété
par « Je suis qui je suis/qui je serai » (Ex 3, 14) ; nom de présence, de liberté
et de fidélité : c'est ce nom qu’emploient dans le Pentateuque les récits d'une
tradition théologique (Yahviste) qui, sans méconnaître la transcendance de
Dieu, exprime en même temps sa bonté, sa patience, sa miséricorde et
n'hésite pas à parler de lui, de son action, en utilisant des anthropomorphismes
(il pétrit la glaise, il plante un jardin, il se promène, il questionne - comme s'il
ne savait pas, il échoue et recommence…). Le récit de Caïn et Abel appartient
à cette tradition.
24
II – ET MAINTENANT, AU TEXTE
A – Étude du texte
Ève devient mère d’un homme. Comment comprendre « J’ai acquis un homme
avec le SEIGNEUR » ? Quelle place pour Adam ? Importance de ce début pour la
suite de l’histoire ? (voir lexique Caïn)
2. Nouement v. 3-7
3. Action transformatrice v. 8
4. Dénouement v. 9-12
Que devient Caïn après cet acte de violence contre son frère ?
- Est-il sans avenir ?
- Quelle image de Dieu ressort de ce récit ?
- Cet échec initial met-il fin à son œuvre de salut ? Comparer v. 25-26 au v. 1.
B – Actualisation
2 – v. 7 le péché :
Dans toute situation nous sommes devant un choix : « si tu agis bien » « si tu
n’agis pas bien ». Qu’est-ce que le péché dans cette perspective assez
différente de ce dont nous avons l’habitude ?
25
3 – Spirale de la violence :
S’humaniser dans la douceur, ou s’animaliser dans la violence ?
1 Jn 2, 9 Celui qui prétend être dans la lumière tout en haïssant son frère est
encore dans les ténèbres. 10 Celui qui aime son frère demeure dans la lumière
et il n'y a en lui aucune occasion de chute. 11 Mais celui qui hait son frère est
dans les ténèbres, il marche dans les ténèbres, il ne sait où il va, parce que les
ténèbres ont aveuglé ses yeux.
26
III – PISTES POUR LA PRIÈRE
Oraison
27
FICHE POUR LES ANIMATEURS
IV – CLÉS DE LECTURE
Devenus adultes, Abel fut pasteur de petit bétail, Caïn agriculteur ; ils
représentent ainsi l'humanité de ce temps en ses deux composantes majeures :
nomade et sédentaire. Ils sont des personnages typiques. A supposer qu'à la
source du récit de la Genèse, il y ait eu des récits de conflits sociaux, cela
n'interviendra pas dans le drame qui va se jouer : il est existentiel et universel.
Dans tout ce récit, Abel ne dit rien et n'est le destinataire d'aucune parole. Son
rôle est uniquement d'être là comme « le frère » (le mot revient sept fois,
chiffre de la perfection), par rapport auquel se joue l'authentique relation à
l'autre et, de ce fait, à Dieu. « Toute l'intrigue tourne autour de la reconnais-
sance ou non par Caïn de ce lien de fraternité. L'histoire n'est pas celle de deux
frères ennemis ou de deux civilisations rivales. Elle n'est pas non plus celle d'un
conflit entre le bon et le méchant dont Dieu serait l'arbitre. Elle est celle de
Caïn, c'est-à-dire de tout homme face au défi de la fraternité inscrite en lui »8.
28
2 – Le drame se noue : Dieu donne de l'importance au frère (3-7)
- soit dans le domaine moral : selon la tradition juive que reprend le N.T. :
Abel était « juste » (Mt 23, 35) ; « juste » et « croyant » (He 11, 4) ; Caïn
était « du Mauvais » (cf. une tradition juive : Ève l'a conçu de Sammael,
l'ange déchu, cf. Cahiers ÉVANGILE Supplément n°105, p. 21) et « ses
œuvres étaient mauvaises » (1 Jn 3, 12).
29
(b) un appel à se révéler devant le frère (6-7)
Caïn n’a pas répondu à la question de Dieu, mais il sort avec son frère et il est
censé « dire à Abel » (quelque chose). Mais le récit ne dit pas ce qu'il lui a dit ;
c'est comme s'il ouvrait la bouche pour ne rien dire ; « ouvrez les guillemets »,
mais il n'y a rien après. Les versions ont cherché à tout prix à lui faire dire
quelque chose, soit en traduisant « parler à/parler avec » au lieu du simple
« dire » ; soit en inventant une banalité : il lui dit : « allons aux champs »
(version grecque LXX) ; soit en inventant une controverse théologique (voir ci-
dessous le Targum de Gn 4, 8 ; « RELECTURES ») Il nous faut prendre là encore
le récit comme il est : pas d'autre parole que de se lever, d'agresser et de tuer.
Abel non plus ne dit rien ; c'est son sang qui criera (v. 11). Le meurtre est la
négation de la parole.
Comme dans le récit du Jardin, YHWH interroge après la faute. Ce n'est plus
« Où es-tu ? » (Gn 3, 9), mais « Où est Abel ton frère ? (4, 9)». Remarquer la
récurrence du mot « frère ». L’humain ne peut se trouver lui-même que s'il
accepte aussi d'être avec son frère, d'en être même « le gardien ». La réponse
insolente de Caïn n'est pas seulement une fin de non-recevoir, elle rejette
implicitement la faute sur Dieu : à lui de garder ses enfants !
YHWH insiste alors sur le mal commis pour rendre Caïn conscient de la gravité
de son acte : Qu'as-tu fait ? (3, 10). Dieu est le juste juge qui ne peut laisser
30
impuni celui qui attente à la vie du faible et du pauvre ; il est classique dans
les Psaumes de faire entendre le cri des opprimés vers YHWH. Ici le cri n'est
plus seulement verbal, c'est le cri du sang absorbé par la terre, bouche grande
ouverte, mais cette bouche crie pour la victime9.
« Maintenant donc » (11) : YHWH montre les conséquences de l'acte : Caïn est
maudit et cette malédiction se manifestera à partir du sol qu'il cultivait ; comme
un ouvrier récalcitrant, le sol ne lui donnera plus « sa force ». Il ne lui sera plus
fraternel. Le « cultivateur » sera « nod wanad », errant et vagabond « sur la
terre » (éréts), c'est-à-dire en tout lieu. Le meurtre du frère stérilise le travail
humain et renvoie au désert sans vie, sans personne. En niant le frère, Caïn
s'est nié lui-même.
9 He 11, 4 : ce n’est plus le sang d'Abel qui crie, mais Abel lui-même, parce que, quoique mort, il
parle encore, en raison de sa foi.
31
pas un « acquis ». Ni Caïn ni Abel n’avaient reçu ce statut de « fils », ce qui
rendait plus difficile de se reconnaître le statut de « frères ». D’autre part,
l’inconsistance d’Abel prend fin, puisqu’il est enfin nommé, reconnu par ses
parents. La tragédie familiale n’est pas masquée, passée sous silence. Elle vient
à la parole et par là elle permet à un nouveau frère de trouver sa place. La
famille se construit enfin sur des relations plus ajustées. La vie peut se
poursuivre (de Seth naît Enosh « être humain ») mais cette fois avec
l'invocation de Dieu sous le nom de YHWH, c'est-à-dire avec la foi dans le Dieu
qui sera révélé à Moïse pour le salut. « La descendance » d’Ève commence
d’écraser la tête du Serpent auquel Caïn avait ouvert à nouveau la porte
(André WENIN, p. 164).
L'issue positive qui se profile ainsi nous fait saisir la différence de la tradition
biblique avec la culture héritée du monde grec, où un destin implacable s'abat
de génération en génération sur les victimes d'une malédiction. Même Caïn est
protégé, et dans la descendance de Lamech viendra Noé ! (Gn 5, 28-29)
Ce qui se passe dans ce drame fraternel est la suite et, peut-on penser, la
conséquence du drame précédent entre l'homme et sa femme. Le parallélisme
que met au jour le tableau ci-dessous10 montre que l'échec de la relation
provient, de part et d'autre, du refus d'écouter la Parole de Dieu qui met en
garde contre une volonté d'affirmation de soi sans limite. Il montre aussi les
racines intergénérationnelles du défaut de fraternité.
32
Gn 3 - en Eden Gn 4 - Caïn
Dialogue sur la limite (1-5) Parole d'Adonaï sur la limite
le serpent parle d’Elohim à la femme Adonaï parle du péché (serpent) à Caïn
pour l'amener à transgresser pour l'inviter à faire bien
Récit : transgression (6-7) Récit : assassinat (8)
Dialogue avec Adonaï-El sur la faute (8-13) Dialogue avec Adonaï sur la faute (9-10)
X Voix d'Adonaï Elohim dans le jardin Y' Où est ton frère ?
Y Où es-tu ? Refus de responsabilité
refus de responsabilité « qu'as-tu fait là ? »
« qu'as-tu fait là ? » X' Voix des sangs de ton frère vers moi
Sentence pour l'humain (17-19) Sentence pour Caïn (11-12)
« maudit l'humus à cause de toi » « maudit, toi, loin de l'humus »
>> travail pénible, peu productif >>travail stérile et errance
Protestation de l'humain et réponse (21-23) Protestation de Caïn et réponse (11-15)
la vie continue : femme mère peur de la mort : « tu me chasses »
Adonaï El protège les humains (tuniques) Adonaï protège Caïn (signe)
Exécution du châtiment (21-24) Exécution du châtiment (16)
Adonaï El « chassa » l'humain du jardin Caïn s'éloigne d'Adonaï et du jardin en
pour travailler l'humus terre d'errance (Nôd)
à l'orient (miqqédém) d'Eden à l'est (qidmat) d'Eden)
RELECTURES
Le récit de Caïn et Abel a été souvent relu et interprété dans la tradition juive
et chrétienne, comme aussi dans la littérature extrabiblique. On pourra
consulter le très documenté Supplément des Cahiers ÉVANGILE n° 105, Caïn et
Abel, Genèse 4 Editions du Cerf, Paris 1998. Voici à titre d'exemple une relecture
de la tradition juive, contemporaine du N.T.
LE TARGUM NEOFITI11
Il fait de Caïn et Abel les représentants de deux visions de la vie humaine, selon
que l'on reconnaît ou non la présence d'un Dieu qui aime et qui juge en fonction
du bien ou du mal. C'est ainsi que le Tg invente la parole que (ne) se disent
(pas) les deux frères selon 4, 8 :
11 Targum (Tg) signifie en araméen « traduction » : la langue liturgique en hébreu n'étant plus
comprise, elle était traduite en araméen et commentée au cours de la liturgie. Le Tg Néofiti (ou
Targum des néophytes), oublié et perdu depuis le XVIe s. et redécouvert en 1949 dans les archives
du Vatican, est l'un des plus anciens Tg de l'ensemble du Pentateuque ; il est contemporain de
l'époque apostolique.
33
Ce qui est en gras correspond au texte hébreu; le reste relève du commentaire
targoumique.
« Caïn dit à son frère Abel: Viens, sortons tous deux aux champs. Et il
advint que lorsque tous deux furent aux champs Caïn répondit et dit à Abel :
Je vois que le monde n’a pas été créé par amour, qu’il n’est pas régi selon les
fruits de bonnes œuvres et qu’il y a, dans le jugement, acception des personnes.
Pourquoi ton offrande a-t-elle été accueillie avec faveur? Abel répondit à Caïn,
en disant : Je vois que le monde a été créé par amour, qu’il est régi selon les
fruits des bonnes œuvres. Parce que mes œuvres étaient meilleures que les
tiennes mon offrande à moi a été accueillie avec faveur tandis que ta propre
offrande n’a pas été accueillie avec faveur. Caïn répondit et dit à Abel: Il n’y a
ni jugement ni juge ni un autre monde. Point de remise de récompense pour
les justes ni de châtiment pour les méchants! Abel répliqua à Caïn, en disant:
Il y a jugement et il y a juge et il y a un autre monde ! Il y a remise de
récompense pour les justes et un châtiment pour les méchants dans le monde
à venir ! Sur cette question tous deux se querellaient en pleine campagne. Alors
Caïn se dressa contre son frère Abel et le tua » (C-E p. 17).
.
34
(Gn 37-50)
2e rencontre
35
36
JOSEPH ET SES FRÈRES : CHEMINS DE FRATERNITÉ
(Gn 37-50)
1er acte - Jalousie et haine : Joseph vendu par ses frères (37, 2-11)
Joseph est le fils préféré de Jacob, qu'il a eu très tard de Rachel, son
premier amour mais longtemps différé. Pour cette préférence ostensible
ses frères le haïssent et le jalousent. Profitant d'une occasion, ils
complotent sa mort. Jeté dans une citerne, il est finalement vendu comme
esclave et acheté par Potiphar, en Égypte. Mis au courant de la disparition
de son fils, Jacob refuse de s'en consoler.
37
le, et jetons-le dans une de ces citernes. Nous dirons qu’une bête féroce l’a
dévoré, et on verra ce que voulaient dire ses songes ! »…
21-30 Ils ne le tuent pas mais le vendent à des Ismaëlites.
31 Ils prirent la tunique de Joseph et, ayant égorgé un bouc, ils la
trempèrent dans le sang. 32 Ils envoyèrent porter la tunique princière à
leur père et lui dirent : « Nous avons trouvé cela. Reconnais si c'est la
tunique de ton fils ou non ».
38
42, 21 Et ils se disaient l’un à l’autre : « Hélas ! Nous sommes coupables
envers Joseph notre frère : nous avons vu dans quelle détresse il se
trouvait quand il nous suppliait, et nous ne l’avons pas écouté. C’est
pourquoi nous sommes maintenant dans une telle détresse. » 22 Ruben*,
alors, prit la parole : « Je vous l’avais bien dit : “ Ne commettez pas ce crime
contre notre jeune frère ! ” Mais vous ne m’avez pas écouté, et maintenant
il faut répondre de son sang. » 23 Comme il y avait un interprète, ils ne se
rendaient pas compte que Joseph les comprenait. 24 Alors Joseph se retira
pour pleurer. Ensuite il revint près d’eux et leur parla. Parmi eux, il choisit
Siméon* et le fit enchaîner sous leurs yeux.
4e acte – Seconde descente en Égypte, avec Benjamin : la fraternité à
l'épreuve de la générosité (43, 1 – 45, 13)
De retour en Canaan Juda et ses frères racontent à Jacob ce qui s'est
passé, ils essaient de persuader leur père de les laisser repartir en Égypte
avec Benjamin. Devant la famine qui dure, Jacob s'y résout malgré la
crainte mortelle qu'il en éprouve : après avoir perdu un fils chéri, il va en
perdre un autre ! Ici Juda va s'afficher en leader et faire preuve d'une
responsabilité qui ébranlera Joseph. En effet, une fois chez Joseph, tout
se passe bien et même mieux qu'ils ne s'y attendaient ; Siméon (l'otage)
leur est rendu ; les frères croient à un dénouement heureux. Mais, au
lendemain d'un repas convivial, une manœuvre de Joseph fait accuser
(faussement) Benjamin de vol. Benjamin va-t-il rester comme esclave ?
Alors Juda s'interpose et, dans un discours pathétique adressé à Joseph
(sans qu'il le sache!) s'offre à sa place pour ne pas faire souffrir son père.
39
disparu. Sûrement, une bête féroce l’aura mis en pièces, et je ne l’ai jamais
revu. 29 Si vous emmenez encore celui-ci loin de moi et qu’il lui arrive
malheur, vous ferez descendre misérablement mes cheveux blancs au
séjour des morts.” 30 Maintenant, si je retourne, sans le garçon, chez mon
père, ton serviteur, ils sont tellement attachés l’un à l’autre 31 que mon
père mourra quand il s’apercevra de son absence ; et c’est dans la douleur
que tes serviteurs auront fait descendre les cheveux blancs de leur père
au séjour des morts. 32 Or, ton serviteur s’est porté garant du garçon
auprès de son père, en disant : “ Si je ne le ramène pas auprès de toi,
j’aurai commis une faute envers toi, mon père, pour toujours ! ” 33
Maintenant donc, que ton serviteur reste à la place du garçon comme
esclave de mon seigneur et que le garçon retourne avec ses frères ! 34
Comment retournerai-je vers mon père sans que le garçon soit avec moi ?
Je ne veux pas voir le malheur atteindre mon père ! »
Joseph ayant invité les siens à s'établir en Égypte, Jacob y descendra avec
sa famille, s'y établira et y mourra (46, 1 – 50, 14).
50, 15 Voyant que leur père était mort, les frères de Joseph se dirent : « Si
jamais Joseph nous prenait en haine, s’il allait nous rendre tout le mal
que nous lui avons fait… » 16 Ils firent dire à Joseph : « Avant de mourir,
ton père a exprimé cette volonté : 17 “ Vous demanderez ceci à Joseph : De
grâce, pardonne à tes frères leur crime et leur péché. Oui, ils t’ont fait du
mal, mais toi, maintenant, pardonne donc le crime des serviteurs du Dieu
de ton père ! ” » En entendant ce message, Joseph pleura. 18 Puis ses frères
vinrent eux-mêmes se jeter à ses pieds et lui dire : « Voici que nous
sommes tes esclaves. » 19 Mais Joseph leur répondit : « Soyez sans crainte !
Vais-je prendre la place de Dieu ? 20 Vous aviez voulu me faire du mal,
Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise
40
aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux. 21 Soyez donc sans
crainte : moi, je prendrai soin de vous et de vos jeunes enfants ». Il les
réconforta et leur parla cœur à cœur.
Fil rouge
Ch aqu e person n age y jou e son rôl e dan s u n l aci s rel ati on n el :
Joseph , l e fi l s ch éri de son père, l e coll ect i f de Ju da et ses frères,
en vahi s de h ai n e et de jal ou si e, Jacob l e père éprou vé par s a
propre h i st oi re et enfi n Di eu .
41
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
« Étant donnée l'ampleur du récit, par comparaison avec les brèves séquences
rythmant les cycles patriarcaux, l'histoire de Joseph présente une épaisseur
psychologique inégalée dans le reste de la Torah »13. C'est ce qui la
recommande particulièrement à notre recherche biblique sur la fraternité. En
effet, ce que montre bien ce récit, c'est que la fraternité ne se résume pas à
l'existence d'une fratrie. Celle-ci peut aussi bien être le théâtre d'une antipathie
violente entre ses membres, surtout si elle se complique de relations intergéné-
rationnelles avec des parents qui ont eux-mêmes vécu des rivalités fraternelles
et des privations conjugales. C'est bien le cas ici où Jacob a eu maille à partir
avec son aîné Esaü et son oncle Laban, et à jouer entre une épouse imposée
(Léa) et une femme aimée (Rachel). Un lourd héritage retombe sur cette fratrie
composée de personnes nées de l'une et de l'autre et de leurs servantes. Pour
que la fratrie devienne une fraternité, il faudra vaincre bien des obstacles au
cours d'une longue histoire (le roman de Joseph s'étale sur vingt ans). Le
chemin de la fraternité sera un chemin de réconciliation ; les uns et les autres
devront faire une part du chemin, en faisant l'expérience de la privation, voire
de la détresse, pour comprendre celle des autres ; ils devront apprendre à
dépasser leur fixation affective et leur convoitise pour s'engager dans la
reconnaissance de l'autre ; la parole, une parole de vérité, pourra seule mettre
un terme au non-dit qui grève la relation depuis longtemps. Tel sera notre point
d'attention.
12 Christoph UEHLINGER, « Genèse 37-50 », dans : Thomas RÖMER, etc. (éd) Introduction à
l'Ancien Testament, Genève 2009, p. 240.
13 Loc.cit.
42
réflexion il peut être considéré comme un intermède où l'un des principaux
protagonistes du récit – Juda – passe par une expérience qui le qualifie pour la
suite (expérience d'une paternité éprouvée, qui l'amènera à comprendre
Jacob ; expérience d'une dénégation meurtrière dans sa relation avec Tamar
qui sera un appel à faire la vérité avec Joseph). De ce point de vue Juda en
Canaan et Joseph en Égypte se qualifient et se préparent, sans le savoir, au rôle
qu'ils auront à jouer dans la réconciliation future.
2 – Au milieu du monde
Écrit très tardivement, quand il y avait déjà une nombreuse diaspora juive en
Égypte, le roman de Joseph reflète une ambiance de bonnes relations entre les
Juifs et les gens des Nations. Joseph occupe une place de premier plan dans le
gouvernement de l'Égypte ; il épouse sans problème la fille d'un prêtre
égyptien. Le roman dépeint un autre style de rapports entre Israël et les
Nations, que celui de l'oppression des Hébreux dans la maison d'esclavage. En
cette anecdote familiale, le récit projette une vie d'Israël au milieu du monde,
fraternelle et ouverte. La probité de Joseph permet à la bénédiction de couvrir
la maison de son maître (39, 5) et sa sagesse permet de faire advenir cette
bénédiction sur Pharaon et toute l’Égypte (41, 55). La fraternité que promeut le
roman de Joseph se réalise en terre d'exil, non en refermant une fratrie sur
elle-même, mais en facilitant une relation extra-familiale14. Ceux qui se
jalousaient et se haïssaient parce que, tout en étant d'un même père et d'un
même Dieu, ils n'étaient pas d'une même mère, entrent en relation de paix et
de communication avec des gens qui ne sont pour eux ni d'un même père, ni
d'une même mère, ni d'un même Dieu.
14 Voir TEXTES : Enzo BIANCHI, « Oh ! Heureuse faute », dans BIBLIA, n°19, mai 2003, p. 35.
43
gens qui avaient le sens de Dieu (39, 9 – 50, 19). Il excelle à faire advenir le
bien là où les hommes ont déclenché les agressions du mal (45, 7-8 – 50, 20).
Au-delà de la réconciliation d'une famille, il y allait de l'avenir d'un peuple, et
même du salut de l’Égypte, peuple étranger voire hostile à Israël. « Là où le
péché a abondé, la grâce a surabondé », dira Paul (Rm 5, 20). Nous sommes bien
loin de la vision pessimiste et déterministe qui habite des récits grecs de
filiations et de fraternités rongées par le destin.
Lexique
A – Étude du texte
B – Actualisation
1 – De la séparation à la réconciliation :
- Suffit-il que l’un des deux soit prêt pour que la réconciliation se fasse ?
2 – Importance de la parole :
- Quel bien Dieu peut-il faire surgir de ces situations ? (v. 45, 8 ; 50, 20)
45
III – PISTES POUR LA PRIÈRE
Notre Père
Oraison
46
FICHE POUR LES ANIMATEURS
IV – CLÉS DE LECTURE
JOSEPH
1 – Un fils chéri qui ne se trouve que dans ses rêves (37, 2-11).
Joseph n'est pas innocent dans l'histoire qui lui arrive. Il vit mal la situation de
fils préféré ; il la vit mal, pas seulement en ce sens qu'il est coincé entre l'amour
de son père et la haine de ses frères, mais en ce sens aussi et surtout qu'il
s'enfonce lui-même dans la mise à part. Relégué à tenir compagnie aux
épouses-servantes, donc à une place d'abaissement, il se rattrape en colportant
à son père des racontars malveillants sur ses frères (37, 2). Il se joue à lui-
même un processus de compensation dans ses rêves qu'il a la naïveté ou
l'impudence de raconter à ses frères et à son père (37, 3-10). Ne rêve-t-il pas
de renverser sa condition présente dans la domination de toute la famille ?
Rêves ambigus qui se réaliseront autrement et dans un autre but.
Son père ne sait pas trop qu'en penser. Il l'envoie trouver ses frères partis paître
le troupeau au loin, dans l'espérance d'établir une meilleure relation et de lui
rapporter des nouvelles de paix (37, 12-14). Égaré, il rencontre « un homme »
qui l'amène à dire ce qu'il cherche : ses frères (37, 15). Il cherche « des frères »,
mais ce n'est pas sans drame qu'il va les trouver, et en tout cas pas tout de
suite comme frères, mais comme d’éventuels fratricides. « L'homme des
songes » se trouve exposé à leur intention meurtrière, à laquelle il n'échappe
qu'en étant vendu comme esclave. Pendant cet épisode Joseph, éloigné de son
père, nu et dépouillé de sa tunique princière, est absolument passif et
dépendant. Il se tait (37, 17-36).
Cette phase du récit (39, 1 à 41, 36) représente un moment capital dans
la transformation humaine et spirituelle de Joseph, sans laquelle il n'aurait
pas été capable de se comporter comme il le fera plus tard avec ses
frères : importance d'échapper au mensonge, apprendre à ne pas rendre
le mal pour le mal, faire confiance à Dieu qui conduit l'histoire.
47
une seconde fois son vêtement lui est arraché (39, 12, cf. 37, 23) ; là non plus il ne
parle pas, mais il a la sagesse de ne pas chercher à se défendre, ce qui, dans
le contexte serait peine perdue. Ne pas rendre le mal pour le mal, mais, comme
il dira plus tard, « moi je crains Dieu » (42, 7), attendre un avenir plus
favorable ; ce qui arrive par la suite en raison des rencontres de personnages
haut placés jetés dans cette même prison. Un concours de circonstances lui
vaudra d'être élevé au rang de second personnage de l’Égypte, aussitôt après
le Pharaon, qui a reconnu en lui un homme « rempli de l'Esprit de Dieu » (41, 38).
Le troisième temps se vit vingt ans15 après le rapt de ses frères : il reçoit leur
visite d'Hébreux affamés par la famine à laquelle sa sagesse d'administrateur
fait face. Il les a reconnus, mais pas eux. Ils se prosternent devant lui ( 42, 6)
comme dans ses rêves (37, 5. 9). Va-t-il profiter de la situation pour se venger ?
Le récit ne donne pas la moindre impression qu'il y penserait. S'il leur parle
durement, s'il les traite d'espions, s'il met en doute leur bonne foi, c'est dans
le but de les soumettre à une épreuve qui pourrait les amener à prendre
conscience de leur faute passée. Il les amène à dire qui ils sont, à parler de leur
père, de leur dernier jeune frère Benjamin (son alter ego), qui était resté avec
leur père (42, 14a), et de l'un d’eux « qui n'est plus » (42, 13b) – et qui est
pourtant là, devant eux ! En les mettant trois jours en prison, en gardant un
otage (Siméon) et en leur demandant de revenir avec Benjamin, il les amène à
entrer en eux-mêmes et à exprimer devant lui la conscience de leur faute
passée envers lui (42, 21-22), sans se douter que, sans interprète, il les
comprend ; il se retire pour pleurer, puis revient en leur parlant (42, 24). Malgré
sa promotion égyptienne cette famille est toujours la sienne, ses larmes le
révèlent. Il leur parle.
Par cet accueil, où la froideur extérieure masque l'émotion intérieure, il les
amène à commencer de faire la vérité sur leur histoire qui seule peut fonder la
fraternité. Il les renvoie avec leurs sacs pleins de blé, mais aussi avec l'argent
qu'ils croyaient avoir payé (42, 25-28) ; de cette manière il veut leur signifier
que la véritable dette demeure tant qu'ils ne l'ont pas reconnu. Il y tient.
4 – Frère de ceux qui l'ont vendu ! Pouvoir se le dire en face (44, 18 – 45, 5)
15 Joseph avait 17 ans au début du récit (37, 2), 30 ans quand il comparaît devant Pharaon (41, 46), et
c'est à la fin des sept années des vaches grasses (41, 53) que ses frères viennent en Égypte.
48
déterminera Juda à se présenter en otage à sa place, montrant ainsi une
conversion complète : pour sauver son père de la mort, s'il revenait sans
Benjamin, il accepte maintenant le sort auquel il avait livré Joseph. Alors Joseph
ne retient plus ses larmes (45, 1-3) comme la première fois (42, 24)16 et il peut
déclarer : « Je suis Joseph votre frère que vous avez vendu en Égypte » (45, 4).
La fraternité repose maintenant à ses yeux sur des bases de vérité et de
dépassement de soi ; il n'est pas question de faire des reproches, de demander
des réparations ; il y a seulement la joie des retrouvailles. « Aucune accusation,
aucune récrimination ; aucune exigence de demande de pardon, aucune
culpabilité : il suffit de se reconnaître frères »17. « Ne vous affligez pas
maintenant et ne soyez pas tourmentés de m'avoir vendu en Égypte » (45, 5).
Joseph ne veut voir que l'issue positive à laquelle Dieu a conduit les événements
(45, 5-8).
1 – La fratrie
Ce personnage collectif des dix frères joue le second rôle : au groupe comme
tel sont attribués les sentiments et les comportements qui sont la dénégation
de la fraternité : jalousie, haine, absence de parole, projet meurtrier. Puis, lors
de la première rencontre avec Joseph, la conscience de la culpabilité, le manque
d'écoute de la détresse de Joseph qui les appelait depuis la citerne ( 42, 21)
– à la fin c'est le groupe qui se prosterne devant Joseph, s'offre en esclavage
et demande le pardon (50, 18).
49
2 – Juda
Mais dans la figure collective du groupe sont mentionnés des individus : Ruben,
Siméon, Benjamin (figures plutôt « faibles »), et surtout Juda qui se comporte
comme le chef de la fratrie : « Juda et ses frères » (44, 14). Il joue un rôle
majeur :
– d'abord dans l'épisode du rapt : vendre Joseph plutôt que de le faire mourir :
« Quel profit y aurait-il à tuer notre frère et à cacher son sang ? Allons le vendre
aux Ismaélites et ne portons pas la main sur lui, car notre frère, c'est notre
chair. Ses frères l'écoutèrent » (37, 26-27)
– ensuite dans la persuasion qu'il exerce auprès de Jacob pour qu'il laisse partir
Benjamin (43, 1-14)
– enfin et surtout dans le plaidoyer ardent auprès de Joseph pour laisser revenir
Benjamin auprès de son père (44, 18-34), il fait sienne la souffrance de son père
Jacob ; il serait inconsolable et il en mourrait s'il venait à être privé de
Benjamin. Là c'est le père qui parle, le père éprouvé comme il l'a été lui-même
au cours de son histoire tourmentée avec Tamar (38). De même que Joseph
avait mûri dans la maison et la prison de Potiphar, Juda de son côté a vécu,
après le rapt de Joseph et la dispersion des frères, une phase très éprouvante
de sa vie avec Tamar, qui l'a transformé (38). Ce n'est plus le même Juda qui a
vendu Joseph et qui offre sa personne à la place de Benjamin. Il a expérimenté
ce qu'il en coûte à un père de perdre deux fils, – c'est ce qui risque d'arriver à
Jacob – et ce qu'il a risqué lui-même avec le mensonge par lequel il a failli vouer
à la mort Tamar et les deux jumeaux qu'il avait engendrés en elle.
Il est poignant par son caractère allusif et parce qu'il se place au point de vue
de son père en prenant en compte son attachement intense au petit dernier ;
on a complètement éliminé toute trace de jalousie. Cet attachement est
expliqué et justifié du fait que Benjamin est le fils de sa vieillesse, bien plus le
seul enfant qui lui reste de sa mère, il avait de cette femme un premier frère,
mais il est mort ; c'est pourquoi « notre père l'aime » ; Juda ne dit pas « son
père l’aime », mais « notre père l'aime ». Une communion se rétablit (vs) 37, 32 :
la tunique de ton fils.
Dans cette situation, la demande de l’Égyptien (Joseph), prétendant « s'occuper
de lui » (44, 21), était impossible à satisfaire : si Benjamin quittait son père,
celui-ci mourrait. Mais alors le vice-pharaon a mis les frères en garde : sans
Benjamin il ne les recevrait plus. Devant la nécessité de revenir en Égypte pour
survivre, Juda s'est d'abord heurté à la résistance de son père, et ce fut
l'occasion pour lui d'entendre le prix qu'attache son père aux deux fils qui lui
sont nés de Rachel ; elle n'avait pas été nommée jusqu'à maintenant ; elle l'est
ici dans la bouche de Jacob lui-même (« vous savez bien que ma femme
Rachel… ») pour dire la raison profonde de cet attachement. Enfin c'est dans la
réponse que Juda prête à Jacob qu'il ose enfin dire à mots couverts le mensonge
qui a fait croire à son père que Joseph avait été dévoré par une bête sauvage
(« il a été mis en pièces et je ne l'ai jamais revu » 44, 28-29). Tout est dit sans
50
le dire devant les frères qui ne sont pas innocents et qui le savent, et devant
Joseph qui apprend ce que ses frères ont dit à son père pour expliquer sa
disparition.
Dans l'impasse, il ne restait plus alors qu'une solution : Juda s'était porté garant
du retour de Benjamin, et puisque c'est devenu impossible, il se livre en
esclavage à sa place, prêt à subir le mal qu'il avait fait subir à Joseph. Devant
un tel désintéressement et une telle générosité, Joseph ne pouvait plus se
contenir, la preuve était faite que Juda et ses frères étaient prêts pour la
réconciliation. Malgré la crainte qui s'empare d'eux à la révélation de son
identité, il les fait s'approcher et leur parle : « Je suis Joseph votre frère »
( 45, 4 ).
JACOB
Dans la suite des épisodes, c'est toujours l'attachement fusionnel sur le dernier
– Benjamin, « le benjamin » – à la place de Joseph, qui risque d'empêcher
l'issue positive du second voyage égyptien. Il ne veut pas le laisser partir ; c'est
pour lui un risque de vie ou de mort. Il l'accepte enfin en désespoir de cause :
« Que le Dieu Tout – Puissant émeuve cet homme (le vice-Pharaon, qu'il ne
peut encore identifier à Joseph) en votre faveur, qu'il laisse aller votre autre
frère (Siméon retenu en otage), et Benjamin ! Moi, je vais rester privé d'enfant
comme si je n'en n'avais jamais eu » (43, 14).
Après sa mort, les frères lui attribuent le souci du pardon (50, 16-17) qui prenait
appui sur leur fraternité dans le service commun du même Dieu, celui de leur
père.
51
DIEU
– soit que l'on parle de « Dieu » selon un langage courant, égyptien aussi bien
qu'israélite (39, 9 : garant de la morale, 40, 8 ; 41, 16. 28. 32, à l'origine des
rêves et de leur interprétation ; 41, 33. 38 à l’origine de la sagesse de
gouvernement ; 41, 51 à l'origine de vies nouvelles, signe de sa providence
après les épreuves) ;
– soit que l'on reconnaisse la présence du Dieu d'Israël, YHWH, pour favoriser
la réussite de Joseph (39, 2), et pour bénir avec lui l’Égyptien et toute sa maison
(39, 3. 5) ; pour assister Joseph dans sa prison : « YHWH fut avec lui, il se
pencha amicalement vers lui et lui accorda la faveur du commandant de la
forteresse ; YHWH était avec lui et le fait réussir » (39, 23).
a/ les obstacles à des relations fraternelles : ils ne sont pas tous du côté des
victimes :
52
b/ ce qui met en route vers la fraternité
3. l'oubli de soi :
- prendre en compte la souffrance d'autrui (Juda et son père : 44, 18-34) ;
- dépasser la convoitise (les frères : ne pas abandonner Siméon comme otage ;
Jacob : renoncer à l'attachement possessif de Benjamin ; Juda : se proposer
comme esclave à la place de son frère Benjamin ;
- transformer le rêve de domination en rêve de service (Joseph du début à la fin).
4. la parole : celle des frères entre eux devant Joseph sans savoir que c’est
lui. Puis avec Joseph parole de vérité qui élimine peu à peu le mensonge.
5. reconnaissance de l'action de Dieu à travers leur histoire (45, 7-8 ; 50, 19-20) ;
le pardon : puisque Dieu a pardonné, Joseph pardonne aussi (50, 15-21).
53
54
(Lv 19, 18)
3e rencontre
55
56
PEUPLE SAINT, PEUPLE FRATERNEL (Lv 19)
Prologue (1-4) : les fondamentaux d’Israël peuple saint
57
des poids justes, un épha* juste et un hîn* juste. C'est moi, le SEIGNEUR,
votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d'Égypte.
Conclusion
37 « Gardez toutes mes lois et toutes mes coutumes et mettez-les en
pratique.
C'est moi, le SEIGNEUR »
Fil rouge
58
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
1 - Le Dieu saint
Soyez saints parce que moi, le SEIGNEUR votre Dieu je suis saint. Il importe de
bien comprendre cette notion biblique fondamentale de sainteté, qui n'est pas
l'apanage du Lévitique, mais de toute la Bible (A.T. et N.T.). Il ne s'agit pas
d'abord ni seulement d'une qualification rituelle ou morale ; il s'agit de Dieu lui-
même, qui est « saint », en raison de sa différence / de sa transcendance / par
rapport à toute créature, par rapport à tout comportement éthique, même le
plus humain, le plus parfait ; par rapport encore à toute représentation
religieuse. Paradoxalement le Dieu saint – absolument différent et transcendant
– se manifeste tel dans sa capacité d'entrer en relation de proximité et d'amour
avec l'homme ; bien plus, il donne à l'homme la faculté de s'approcher de Lui
et de participer à sa propre sainteté20. La « transcendance de Dieu », sa
« différence » par rapport à tout le créé, se manifeste dans sa capacité d'aimer
sans condition et sans mesure. Le prophète Osée fait dire à Dieu : « mon cœur
est bouleversé en moi… je ne donnerai pas cours à l'ardeur de ma colère, car
je suis Dieu et non pas homme, au milieu de toi je suis saint » (Os 11, 8-9).
2 - Un peuple saint
La Loi de sainteté ne fait que tirer les conséquences de la situation d'Israël dans
l'histoire du salut. Il est un peuple saint, parce que le Dieu saint se l'est choisi
et consacré pour se révéler, par lui, au milieu des nations. Il devra donc
chercher à devenir sans cesse dans tout son comportement l'expression de la
sainteté divine, telle qu'elle s'est révélée à lui, dans son histoire. Pour vivre
59
cette consécration, le peuple de l'alliance a reçu une loi, dont le cœur est le
Décalogue, qui se trouve en deux formulations en Ex 20, 1-17 et en Dt 5, 6-21.
Ces « Dix paroles » mettent l'accent sur l'attachement à Dieu seul qui a libéré
son peuple de la servitude et sur la juste relation au prochain. L'auteur du
Lévitique a repris, lui aussi, cette formule d'un décalogue, mais en énonçant
d'abord son fondement : « Soyez saints, car je suis saint, moi, le SEIGNEUR,
votre Dieu (19, 2). Et en ponctuant les dix préceptes ou interdits qu'il retient
par la répétition : « c'est moi le SEIGNEUR » ou « c'est moi, le SEIGNEUR votre
Dieu ». On ne peut mieux souligner que les injonctions de ce décalogue n'ont
de raisons d’être et de sens que par l'appartenance et la consécration de ce
peuple au Dieu saint, qui est le Dieu de l'Exode : « C'est moi, le SEIGNEUR, votre
Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d'Égypte ».
3 - Un peuple de frères
Lexique
* compatriote : notre texte n'envisage pas ici les Juifs en diaspora, mais les
fils d'Israël habitant la Terre promise comme son chez soi.
60
II – ET MAINTENANT, AU TEXTE
A – Etude du texte
– remarquer que la priorité est donnée à ceux qui sont en situation de précarité.
– v. 33 l’étranger bénéficie des mêmes prérogatives que le frère : est-ce
naturel ?
3. Comparer avec ce que vous vous rappelez de ce qui est dit de la relation
au prochain dans les Dix Paroles (Ex 20 ; Dt 5) :
B – Actualisation
Rapprocher :
« soyez saints comme Je suis Saint »
« soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » Mt 5, 48
« soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » Lc 6, 36
Qu’en dites-vous ?
Comment l’appliquer dans notre quotidien ?
61
Relecture N.T.
Tu es notre Dieu
Et nous sommes ton peuple.
Ouvre-nous le chemin de la vie.
En Jésus le Seigneur
Tu nous dis ta Parole ;
Que l'Esprit dans nos cœurs
Démasque nos idoles.
Notre Père
Oraison
62
FICHE POUR LES ANIMATEURS
IV – CLÉS DE LECTURE
3. le renoncement absolu à toute forme d’idolâtrie (les autres dieux sont des
faux dieux, des néants).
21 Reprise d'éléments de la 1re partie du Décalogue d’Ex 20 en ordre inverse : parents, idolâtrie, en
raison de l’importance du noyau familial pour la société.
63
lendemain (cf. Dt 24, 14-15), le manque d’égards envers un sourd ou un
aveugle. Il y va de « la crainte de Dieu », c’est-à-dire du sens de Dieu.
« De même que le vieillard (Lv 19, 32), le sourd et l'aveugle sont
spécifiquement mis sous la protection de Dieu : seule la crainte de Dieu
garantit leur respect ; la formule « et ainsi tu craindras ton Dieu » qui
vient à l’appui de cette injonction n'est d'ailleurs utilisée dans le Lévitique
qu'en relation avec la protection des catégories les plus fragiles, les
handicapés (19, 34), les vieillards (19, 32), ceux qui sont contraints de
vendre leurs champs (25, 17), d'emprunter (25, 36) ou de se vendre
comme esclaves (25, 43) » (A. MARX, op cit p. 87).
Le troisième interdit (15-16) concerne l’exercice de la justice : n’avantager ni le
faible (cf. Ex 23, 3), ni le grand (cf. Dt 1, 17); ne pas user de calomnie qui
conduirait à verser le sang (cf. Ex 23, 1. 2-7) ; positivement : « juger avec
justice ». Tous les Israélites sont égaux en droit, quelle que soit leur place dans
la société.
64
sacerdotal de Lv 19 (P) reprend ici l’injonction prophétique faite à Ézéchiel
d’avertir « le méchant » de la mort qu’il encourt s’il ne se convertit pas ; s’il ne
l’avertit pas, c’est au prophète que le Seigneur en demandera compte (Ez 3, 18-21).
Nous touchons ici un aspect de la responsabilité de chacun à l’égard du frère.
C’est aussi dans la tradition des sages de jouer avec honneur et bonheur ce rôle
éducatif23 .
« Aimer » dans le langage biblique ne se limite pas aux sentiments, cet amour
s’exprime en actes, en services. On notera cependant ici l’insistance sur
l’engagement intérieur de cet amour : c’est après avoir invité à dépasser toute
rancune, toute haine, toute vengeance, mais au contraire à avertir l’autre de
manière responsable, que le texte poursuit : c’est ainsi que tu aimeras…
L’appel à aimer son prochain comme soi-même marque à la fois identification
et différence. Il reste l’autre auquel pourtant je m’identifie. La relation est la
plus étroite qu’elle puisse être, mais elle ne tourne pas à une confusion
accaparante.
4. – le frère et le prochain –
23 Proverbes (TOB) « 19, 25 Tape sur le moqueur, le niais en deviendra prudent ; reprends l'homme
intelligent, il comprendra ce qu'est le savoir. 24, 25 : Pour ceux qui le reprennent il y aura du
bonheur et sur eux viendront bénédiction et félicité. 25, 12 Un anneau d'or et un collier d'or rouge,
telle la réprimande d'un sage pour une oreille qui écoute ».
65
de parenté, de famille ; plus loin dans le deuxième diptyque il y aura une
ouverture de cet amour en direction de l’étranger (19, 34). Par ailleurs « frère »
n’est ici que l’un des cinq termes employés de manière parallèle pour désigner
autrui : ton compatriote, ta parenté, ton prochain, ton frère, les fils de ton
peuple. Cela nous invite à ne pas limiter la figure du « frère » au sens étroit de
la fratrie familiale ; elle étend son manteau beaucoup plus largement sur tout
prochain qui se présente. Le quatrième interdit (17-18) est encadré par
l’expression initiale négative : « n’aie aucune pensée de haine contre ton frère
(17) et l’expression finale positive (18) : « aime ton prochain comme toi-
même ». « Frère » et « prochain » s’interprètent mutuellement. Trouve ton
frère chez le prochain ; regarde le prochain comme un frère.
Ce second volet est nettement encadré par la formule « gardez mes lois »
(19a), « gardez toutes mes lois » (37), cette dernière couvrant aussi tout
le ch. 19. Le prélude (19b-25) met en garde contre les mélanges et la
mixité inappropriée, ce qui prépare les trois premiers interdits ( V-VI-VII :
26-31) de ce second volet (magie, pratiques de deuil qui mélangent morts
et vivants, prostitution). – Les trois derniers interdits et préceptes (VIII-
IX-X : 32-36a) rappellent de près les injonctions du premier volet (respect
des faibles, amour d’autrui, pratique de la justice). C'est à ces trois
derniers que nous nous intéressons maintenant.
Entre le souci des faibles (32 : honneur dû aux cheveux blancs) et la pratique
de la justice (35 : spécialement dans les transactions commerciales) intervient
au centre l’injonction très développée d’accueillir l’étranger : « quand un
étranger viendra s’installer chez toi, dans votre pays (33). Ce n’est pas lui qui
souillerait le pays ou constituerait un mixte contraire à la création (faite de
différences) ; au contraire il faut le considérer comme un autre soi-même.
La protection de l’étranger est une tradition bien ancrée dans les codes d’Israël ;
elle est motivée par la mémoire de la situation des origines en Égypte :
66
L’attention à l’étranger est plus qu’une attitude éthique, elle est un mémorial
qui actualise l’œuvre libératrice de Dieu et l’étend, par son peuple, au-delà de
son peuple, en le faisant communier activement à son amour, car Dieu, lui le
premier, « aime l'étranger » ; « il l'aime », donc « vous l'aimerez » :
car vous avez été des car vous-mêmes avez été des car au pays d'Égypte
étrangers au pays d'Égypte étrangers dans le pays vous étiez des étrangers
d'Égypte (34b)
67
V – POUR ALLER PLUS LOIN
Dans les anciens codes d’Israël de l’époque royale (Code de l’Alliance, Ex 21-23 ;
Code deutéronomique, Dt 12-26), la dimension sociale de la fraternité
s’exprimait dans des lois de solidarité, telles que :
– l’année de jachère (Ex 23, 10-11), pratique motivée par le souci des pauvres
(et des bêtes sauvages). Elle est mise en parallèle avec le repos du sabbat
(23, 12) avec la même motivation humanitaire : « afin que ton âne et ton bœuf
se reposent, que puissent respirer le fils de ton esclave et l’étranger ». Ainsi
s’affirme le souci d’assurer la protection des faibles en obligeant les puissants
à ne pas aller jusqu’au bout de leur puissance ;
68
La loi du jubilé propose un idéal de justice et d’égalité sociale qui n’a jamais
été réalisé (il y a mention de l’année sabbatique, mais non du Jubilé, en
Neh 10, 32 et 1 Mac 6, 53). Tous les 50 ans « on remet les compteurs à zéro ;
chacun rentre chez soi, retrouve son champ, sa liberté. Le Jubilé se fonde
sur la relation de fraternité (25, 23. 39 : « Si ton frère tombe dans la
pauvreté »), et la commune appartenance de la terre et de chaque israélite
à Dieu seul :
25, 23 « La terre ne sera pas vendue sans retour, car la terre est à moi –
dit LE SEIGNEUR – et vous n’êtes pour moi que des étrangers, des hôtes. 24
Pour toute terre dont vous avez la propriété, vous laisserez un droit de
rachat sur cette terre.
25, 39 Si ton frère tombe dans la pauvreté et s’il se vend à toi, tu ne lui
imposeras pas un travail d’esclave ; 40 il sera pour toi comme un
travailleur salarié et travaillera avec toi jusqu’à l’année jubilaire. 41 Alors
il te quittera, lui et ses enfants, et il retournera dans son clan ; il
réintégrera la propriété de ses pères. 42 En effet, ceux que j’ai fait sortir
du pays d’Égypte sont mes serviteurs ; ils ne seront pas vendus comme
on vend des esclaves. 43 Tu ne domineras pas avec dureté sur ton frère :
tu craindras ton Dieu.
Le Jubilé biblique est devenu la figure de l’Évangile que Jésus annonce, comme
figure de la grâce de Dieu accueillant et réintégrant toute personne dans la
communauté du salut (Lc 4, 16-21). Dans la pratique de l'Église catholique, le
Jubilé, à date choisie, est une pratique religieuse de conversion et de grâce.
Comme toute utopie le Jubilé biblique pourrait inspirer aussi des pratiques
sociales toujours plus conformes à la fraternité et à la dignité de l’homme.
69
70
4e rencontre
71
72
JÉSUS et ses FRÈRES : VERS UNE FRATERNITÉ UNIVERSELLE
Mc 3, 20-21. 31-35
foule était assise autour de lui. On lui dit : « Voici que ta mère et tes frères
sont dehors ; ils te cherchent. » 33 Il leur répond : « Qui sont ma mère et
mes frères ? » 34 Et, parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle
autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. 35 Quiconque fait la
volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur, ma mère. »
Mc 6, 1-6
Lc 14, 12-14
Mc 10, 29-30
73
Mt 25, 31-46
35 Car j’ai eu faim et vous m’avez 42 Car j’ai eu faim et vous ne m’avez pas
donné à manger ; j’ai eu soif et vous donné à manger ; j’ai eu soif et vous ne
m’avez donné à boire ; j’étais un m’avez pas donné à boire ; 43 j’étais un
étranger et vous m’avez recueilli ; 6 étranger et vous ne m’avez pas recueilli ;
nu, et vous m’avez vêtu ; malade, et nu, et vous ne m’avez pas vêtu ; malade
vous m’avez visité ; en prison, et et en prison, et vous ne m’avez pas
vous êtes venus à moi. » visité. »
46Et ils s’en iront, ceux-ci au châtiment éternel, et les justes à la vie
éternelle.
74
Fil rouge
Ces ext rai t s d ’É van gil e, comme cel ui de Mat t h i eu appell ent à
passer d ’u n e frat erni t é de san g à u n e frat ern i t é spi ri tu ell e. « Ma
mère et mes frères, ce son t ceu x qui écou t ent l a parol e de Di eu et
qu i l a met ten t en prati qu e ».
I l faut appren dre à converti r son regard su r l ’aut re pou r l e voi r
comme u n frère, comme u n e sœu r. Ce n ’est pas u n e frat ern it é
ch oi si e : el l e est reçu e, comme u n don , u n e promesse.
Deven i r frère et sœu r dans l a foi au Ch rist , c'est au ssi part ager l a
sol i dari t é qu 'il veut vi vre avec l es pl u s dému n i s de l 'hu man i t é :
« ces plu s pet it s qu i son t mes frères » (Mt 2 5 ). S on t décl arés
frères du Ch ri st l es affamés, l es assoi ffés, l es ét ran gers, l es
pri son n i ers et l es mal ades. La véri t abl e frat ern it é qu e Jésu s
i n au gu re est un iversell e, et passe par l e t ru ch emen t des plu s
pet i t s. De n ot re comport ement à l ’égard de ces frères du Ch ri st ,
se jou e n ot re vi e ou n ot re mort .
75
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
Le premier extrait de l’Évangile selon Marc (Mc 3) est central pour notre
parcours. Après son baptême dans le Jourdain, Jésus a appelé ses premiers
disciples (notons au passage que ce sont des frères qu’il appelle en premier :
Simon et son frère André ; Jacques et son frère Jean), et a commencé son
ministère en Galilée.
Ce n’est pas la seule fois où l’évangéliste présente les liens familiaux de Jésus
comme une entrave, une limite, à la disponibilité nécessaire pour recevoir, vivre
et annoncer l’Évangile. En effet, quelques chapitres plus loin (Mc 6), on nous
relate une visite de Jésus dans son village natal. Même si la mère, les frères et
les sœurs de Jésus ne s’opposent pas directement à lui, ils sont des obstacles
pour les auditeurs, les empêchant indirectement de devenir des disciples de
Jésus.
Chez Luc, un autre texte (Lc 14) se fait aussi l’écho de cette idée qu’il faut
réussir à ne pas rester prisonnier du clan familial, d’une préférence tribale, pour
s’ouvrir à l’Évangile.
Bien entendu, Jésus ne vient pas détruire les relations entre parents et enfants
ou entre frères et sœurs, mais il invite à convertir ces relations pour les vivre
de manière évangélique : faire déborder l’amour au-delà des frontières
familiales, sociales, nationales, religieuses !
76
2 - Passer d’une fraternité de sang à une fraternité spirituelle
« Qui sont ma mère et mes frères ? » Jésus ne vient pas affirmer que sa mère
et ses frères ne doivent pas être considérés comme tels, mais il vient faire
exploser les barrières que peuvent poser ces catégories, sans aucune restriction
de statut, de tribu, de compétence, de richesse, d’appartenance. « Quiconque »
(Mc 3, 35) est concerné par ce nouvel ordre de relations.
Mais encore faut-il entrer dans ce nouvel ordre, spirituel. Pour cela, deux
critères sont proposés :
Dans le même épisode raconté par Luc (Lc 8, 21), on retrouve ces deux
dimensions : « Ma mère et mes frères, ce sont ceux qui écoutent la parole de
Dieu et qui la mettent en pratique ».
L’élément décisif se situe dans le fait que le donateur agit sans souci de servir
le Christ. Cette relation n’est découverte qu’a posteriori, avec étonnement. Elle
rejoint ainsi tous les hommes, quelles que soient leurs croyances.
77
Lexique
* ses frères : Assez tôt (dès le milieu du Ier s. dans un évangile apocryphe :
le Protévangile de Jacques) une tradition a pris forme dans l’Église
pour considérer que les frères de Jésus mentionnés à plusieurs reprises dans
les évangiles étaient des demi-frères, nés d'un premier mariage de Joseph.
Au 4ème s. st Jérôme s'appuie sur le sens large du mot «frère» dans le langage
hébreu et araméen (frère de sang, mais aussi un cousin, un neveu ou un
proche) pour identifier les frères de Jésus à des cousins. Aujourd’hui la question
est discutée de savoir si l'on peut admettre ce sens large dans le grec du N.T.
(en particulier quand Paul parle de « Jacques, le frère du Seigneur », Ga 1, 19).
Cependant l’exégèse n’est pas seule juge en la matière. Et cela ne met pas en
cause la foi dans la conception virginale de Jésus. De toute façon, le sens
profond de la virginité de Marie, désignée dans la tradition catholique et
orthodoxe comme «la toujours-vierge», c'est le don total de sa personne au
service du Seigneur. Le texte que nous étudions est indépendant de la réponse
à cette question : ce qu’il souligne, c’est une prise de distance vigoureuse de
Jésus par rapport aux prérogatives des liens du sang.
* trône de gloire : ces éléments littéraires nous indiquent que nous basculons dans
le genre apocalyptique (Dn 7, 9 ; Ap 3, 21). C’est un style littéraire qui se
développe beaucoup au début du IIe siècle av. J.-C. qui durera encore jusqu’au
début du IIe s. ap. J.-C. « Apocalypse » signifie « Révélation » : y est
manifestée la vérité du dessein de Dieu sur notre monde, qu’on a du mal à
percevoir à travers le tragique et la contingence de l’histoire humaine.
* feu éternel : cette image du feu éternel mis dans la bouche de Jésus peut
nous choquer. Le Jésus de Matthieu n’invente pas ce langage : c’est un terme
qui faisait partie de l’imagerie contemporaine, et que l’évangéliste a repris, pour
parler de la situation négative du Jugement final à laquelle s'exposent ceux qui
refuseraient obstinément de servir les pauvres. L'image dit la perdition comme
antithèse du Royaume.
78
II – ET MAINTENANT, AUX TEXTES
1. Replacer chaque fragment dans son contexte (qu’y a-t-il juste avant, juste
après ?)
3. Mt 25 relever les verbes ; ce sont tous des verbes d’action. Strict parallèle
entre les deux groupes, même surprise : « quand » « chaque fois que »
– v. 37-39 ; 44-45 remarquer le nombre de pronom « te » ; n’est-ce pas plus
que voir le frère ? Qui s’agit-il de voir ?
B – Actualisation
79
III – PISTES POUR LA PRIÈRE
Notre Père
Oraison
Les chrétiens sont nombreux dans tous les pays à chercher la paix.
Ils voient dans la mondialisation
une chance de réaliser une fraternité universelle,
avec eux nous marchons à ta suite, Seigneur.
Seigneur, nous te rendons grâce de nous donner de vivre à petite échelle une
fraternité universelle, une communion entre les peuples.
Gloire soit au Père, au Fils, à l’Esprit Saint. Amen
80
FICHE POUR LES ANIMATEURS
IV – CLÉS DE LECTURE
81
déconcertant, est un non-sens et une honte pour la famille dans cette société
traditionnelle de la Galilée du Ier siècle. Les versets 22 à 30, coupés dans notre
lecture, reprennent une accusation similaire de la part des scribes en présentant
Jésus comme un possédé.
La visée de Jésus est de former une famille spirituelle basée sur la communion
au dessein de Dieu, sur l'écoute de la Parole. Il définit en effet les frères comme
ceux qui font la volonté d’un même père. Et il nous est bien redit que la volonté
de Dieu c’est quelque chose qui est à faire, contrairement à l’idée d’une
prédestination à laquelle il faudrait se soumettre. Ainsi les chrétiens
prient : « Que ta volonté soit faite ». Ce n’est pas une fatalité subie, mais un
appel à conformer son agir au dessein de Dieu. Le dessein de Dieu amène donc
les hommes à vivre une fraternité effective en unissant leur propre volonté à
celle de Dieu. On peut alors dire que la volonté de Dieu est d’amener les
hommes à vivre une fraternité universelle, sans frontière. Et pour cela, une
attitude nous est proposée : revêtir la condition de disciple, en s’asseyant en
cercle autour du Christ. Cette famille spirituelle peut se trouver parmi les
authentiques communautés chrétiennes (Mc 10, 28-31). Mais il est impossible
de suivre Jésus comme disciple, si l’on n’est pas, comme lui, attentif à toutes
les détresses humaines. La fraternité spirituelle ouvre sur une fraternité plus
large sous peine de perdre son identité. Tu n’es plus disciple si tu ne suis pas le
Christ jusque-là…
Dans des textes antérieurs de Mt, « les petits » désignent des disciples à
l'intérieur de la communauté (10, 42 : « l'un de ces petits auquel on donnera
un verre d'eau fraîche en sa qualité de disciple » ; 18, 10 : ces petits, ces
faibles, qu'il ne faut pas mépriser dans la communauté). Dans Mt 25 le terme
de « petit » est employé au superlatif - les plus petits - pour désigner des
personnes qui ne sont pas caractérisées comme des chrétiens, mais qui sont
particulièrement dans la détresse (manque de choses essentielles à la vie,
manque de relations sociales, manque de liberté). Et ce sont ces plus petits que
le Fils de l'Homme/le Roi, au jugement final, désigne comme « ses frères ».
Transfert inattendu dans le langage ecclésial, qui parlait de « frères » pour les
membres de la communauté religieuse entre eux. Ici il désigne tout simplement
les plus démunis de l'humanité, et ils sont reconnus comme les frères du Roi !
Bien plus il s'identifie à eux (remarquer six fois l'emploi de pronom « toi » dans
82
le dialogue : quand est-ce que c'est à « toi » que nous l'avons fait ou pas fait
(37-39 ; 44). S'il était courant dans le langage ecclésial de reconnaître le Christ
dans ses envoyés (Mt 10, 40), maintenant c'est en ces plus démunis qu'il
s'agissait de l'accueillir.
TEXTES EXTRA-BIBLIQUES
24 Daniel MARGUERAT, Le jugement dans l'Évangile de Matthieu, Labor et Fides, Genève 1981,
p. 518.
83
relation au Christ. La différence signifiante n’est pas entre ceux qui croient et
ceux qui ne croient pas, mais entre ceux qui, croyants ou non-croyants,
pratiquent la bonté envers les pauvres et ceux qui ne la pratiquent pas. […] Et
si nous voulons encore mieux prendre en compte la mesure du bouleversement
apporté par le Christ dans nos représentations religieuses, il nous reste à
constater que le critère d’accès à la vie n’est en aucune façon d’ordre cultuel. Ni
prière, ni pèlerinage, ni liturgie, ni parler en langues, ni guérison, ni offrande,
ni « sacrement », rien de tout cela n’a le pouvoir de décider de notre vie ou de
notre mort. Tout se passe au contraire comme si la valeur de tels actes était
mise radicalement en dépendance du comportement que nous avons en dehors
d’eux, de notre comportement à l’égard des êtres démunis ».
Alain DURAND, La cause des pauvres. Société, éthique et foi, Cerf, 1992, p. 64-65.
84
(Romains 8 ; Hébreux 2)
5e rencontre
85
86
LE CHRIST « PREMIER-NÉ » D’UNE MULTITUDE DE FRÈRES
(Romains 8 ; Hébreux 2).
8,18 J’estime, en effet, qu’il n’y a pas de commune mesure entre les
souffrances du temps présent et la gloire qui va être révélée pour nous. 19
En effet, la création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu.
20 Car la création a été soumise au pouvoir du néant, non pas de son plein
gré, mais à cause de celui qui l’a livrée à ce pouvoir. Pourtant, elle a gardé
l’espérance 21 d’être, elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation,
pour connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu. 22 Nous
le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs
d’un enfantement qui dure encore. 23 Et elle n’est pas seule. Nous aussi,
en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir
l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de
notre corps. 24 Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance ; voir
ce qu’on espère, ce n’est plus espérer : ce que l’on voit, comment peut-on
l’espérer encore ? 25 Mais nous, qui espérons ce que nous ne voyons pas,
nous l’attendons avec persévérance.26 Bien plus, l’Esprit Saint vient au
secours de notre faiblesse, car nous ne savons pas prier comme il faut.
L’Esprit lui-même intercède pour nous par des gémissements
inexprimables. 27 Et Dieu, qui scrute les cœurs, connaît les intentions de
l’Esprit puisque c’est selon Dieu que l’Esprit intercède pour les fidèles.
28 Nous le savons, quand les hommes aiment Dieu, lui-même fait tout
contribuer à leur bien, puisqu'ils sont appelés selon le dessein de son
amour. 29 Ceux que, d’avance, il connaissait, il les a aussi destinés
d’avance* à être configurés à l’Image de son Fils, pour que ce Fils soit le
premier-né* d’une multitude de frères. 30 Ceux qu’il avait destinés
d’avance, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il en a fait des justes ;
et ceux qu’il a rendus justes, il leur a donné sa gloire.
2, 10 Celui pour qui et par qui tout existe voulait conduire une multitude
de fils jusqu’à la gloire ; c’est pourquoi il convenait qu’il mène à sa
perfection, par des souffrances, celui qui est à l’origine de leur salut. 11
Car celui qui sanctifie, et ceux qui sont sanctifiés, sont tous d'un seul* ;
pour cette raison, Jésus n’a pas honte de les appeler ses frères, 12 quand
il dit : Je proclamerai ton nom devant mes frères, je te chanterai en pleine
assemblée, 13 et encore : Moi, je mettrai ma confiance en lui, et encore : Me
voici, moi et les enfants que Dieu m’a donnés*.
14 Puisque les enfants ont en commun le sang et la chair, Jésus a partagé,
lui aussi, pareille condition : ainsi, par sa mort, il a pu réduire à
l’impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort, c’est-à-dire le
diable, 15 et il a rendu libres tous ceux qui, par crainte de la mort,
87
passaient toute leur vie dans une situation d’esclaves.16 Car ceux qu’il
prend en charge, ce ne sont pas les anges, c’est la descendance d’Abraham*.
17 Il lui fallait donc se rendre en tout semblable à ses frères, pour devenir
un grand prêtre miséricordieux et digne de foi pour les relations avec Dieu,
afin d’enlever les péchés du peuple.18 Et parce qu’il a souffert jusqu’au
bout l’épreuve de sa Passion, il est capable de porter secours à ceux qui
subissent une épreuve.
Fil rouge
Pau l présen t e, dan s ce passage de l ’épître au x Romai n s, l ’object i f
u l ti me du dessei n de Di eu su r l a créati on et su r l 'hi st oi re h u mai n e :
réal i ser u n e « frat ri e » au x di mensi on s un i versel l es don t l e Ch ri st ,
son Fi l s, sera l 'aî n é, parce qu 'il en sera la sou rce, l e prin ci pe et l e
modèl e. De t ou t e ét ern it é Di eu avai t un Fil s, main t en ant l e Fil s
au ra des frères qu i part ageron t son h érit age de gl oi re. La
frat ern it é fera son en t rée en Di eu .
Ce dessei n , formé en Lui de t ou t e étern i t é comme expressi on
absol u men t gratu i t e de son amou r, ét ai t de ren dre l es h ommes
con formes à l 'I mage de Lu i -même qu 'est son Fi l s, de t el l e sort e
qu e ce Fil s soi t l e premi er -n é d'u n e mu lti t u de de frères.
C'est l ors de l a gl ori fi cat i on pascal e du Cru ci fi é qu e s'est révél ée
l 'i den ti t é de Jésu s comme l e Fil s de Dieu . C'est à Lu i , à sa vi e
di vi n e de Fi l s qu e l es croyan ts son t u nis ; i l s son t vraiment ses
frères, en vi e fil i al e dan s l 'E sprit par rapport à Di eu .
Pau l veut an crer l es croyant s dan s l 'espéran ce ; l es épreuves sont
l es sou ffran ces d'u n en fant ement dan s l 'at t ent e de l a révél at i on
de l a gl oi re des en fant s de Di eu .
L'E spri t l es con dui t et l eu r cert ifi e, avec u n e en ti ère assu ran ce, l e
t erme au qu el Di eu fera abou ti r l eu r ch emi n de vi e
Pou r l 'au t eu r de l a l et t re au x H ébreu x, c'est l e mouvement
i nverse : si l es h ommes peu ven t deveni r, par l a foi , l es frères du
Fi l s, c'est qu e l e Fil s a bi en voul u se fai re l e frère des h ommes. Le
ch emin du sal ut passe par l a fra t erni sat ion h u mai n e du Fil s.
Di eu n ’a pas voul u sau ver l es h umai n s de l ’ext éri eu r, mai s par
qu el qu ’un qu i con n aît rai t véri t abl ement l eu r con di ti on , dan s l a
précari t é, l es l armes et l es affres de l a mort ; qu i l eu r mon t rerait
qu e l ’on peut y vi vre l a con fi an ce, y vain cre l a peu r de cet t e mort
dan s l aqu el l e il s ét ai en t t enu s en esclavage et recevoi r de l u i l a
capaci t é de réali ser l eu r accompli ssemen t h u mai n à parti r de son
propre accompl i ssement à lu i .
C’est en cett e frat erni sat i on par l es sou ffran ces ju squ ’à l a mort
qu ’i l a ét é l ui -même « ren du parfait »/« accompl i » et sal u é par
Di eu comme G ran d -Prêt re … parfait emen t Fil s et parfai t ement
frère.
88
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
Dans la fiche précédente nous avons interrogé les récits et les paroles des
évangiles en nous demandant en qui Jésus a reconnu ses frères : ses frères et
sœurs de naissance, sa famille spirituelle (les disciples) , les pauvres et tous les
démunis qu'Il a désignés comme les plus petits d'entre ses frères et auxquels
Il a voulu s'identifier, en allant jusqu'à faire de notre relation à eux le critère
décisif de notre relation à Lui. Ces dépassements ont fait de Lui « le frère
universel ».
Rappelons le contexte de pensée dans lequel Paul est amené à cette affirmation
unique en son genre : Dieu, de toute éternité, a voulu faire de son Fils « le
Premier-né d'une multitude de frères ». En ce chapitre 8 de l'épître aux
Romains, Paul veut ancrer les croyants dans l'espérance ; maintenant qu’ils ont
été justifiés par la foi, l'Esprit les conduit et leur certifie avec une entière
assurance le terme auquel Dieu fera aboutir leur chemin de vie. Les épreuves
et les souffrances, que leur adhésion au Christ n'a pas supprimées mais a plutôt
suscitées ou augmentées, ne doivent pas les décourager. Elles sont le lieu de
leur configuration au Christ. Elles sont les souffrances d'un enfantement.
L'Esprit leur donne de gémir avec toute la création dans l'attente de la révélation
de la gloire des enfants de Dieu. L'Esprit prie en eux d'une prière qui ne peut
être qu'exaucée parce qu'elle est conforme au dessein de Dieu. Et ce dessein,
formé en Lui de toute éternité comme expression absolument gratuite de son
amour, était de les rendre conformes à l'Image de Lui-même qu'est son Fils,
89
« de telle sorte que ce Fils soit le premier-né d'une multitude de frères ». Voilà
donc formulé ici le sens ultime de la création et de l'histoire humaine : réaliser
une « fratrie » aux dimensions universelles dont le Christ, son Fils, sera l'aîné,
parce qu'Il en sera la source, le principe et le modèle. De toute éternité Dieu
avait un Fils, maintenant le Fils aura des frères qui partageront son héritage de
gloire. La fraternité fera son entrée en Dieu.
Si Paul, dans l'épître aux Romains, exprimait l'objectif ultime du dessein de Dieu
sur les humains : les configurer comme des frères à son Fils, l'auteur de la
lettre aux Hébreux, veut, quant à lui, montrer que le Fils s'est configuré aux
humains comme leur frère. C'est le mouvement inverse, ou plutôt comme
l'envers et l'endroit de la même monnaie. D'un côté, pour l'épître aux Romains :
les humains sont appelés à devenir pleinement les frères du Fils en sa gloire.
De l'autre côté, pour l'auteur de la lettre aux Hébreux : celui qu'il confesse
comme « le Fils » en Dieu, « resplendissement de sa gloire, expression parfaite
de son être », « ce Fils qui porte l'univers par sa parole puissante » (He 1, 1-
4) a été amené à partager totalement la condition de ses frères en humanité,
dans leur faiblesse. Qu'est-ce qui a conduit ce théologien à ce genre de propos ?
C'est qu'il s'agissait pour lui de réconforter des judéo-chrétiens déstabilisés
dans leur foi traditionnelle en Dieu ; ils étaient troublés par les abaissements,
les souffrances et la mort infamante de celui qui leur était pourtant annoncé
comme le Christ. Alors il réfléchit sur ce que l'on pourrait appeler « des raisons
de convenance » concernant ces abaissements de Jésus : Dieu qui voulait
conduire des fils à la gloire ne voulait pas le faire de l'extérieur, mais de
l'intérieur, en destinant son Fils, Jésus, le pionnier de leur salut, à partager leur
condition en toutes choses comme un frère, sauf le péché. Frères du Fils en vie
divine (Rm 8), quel honneur, quelle dignité ! Mais le Fils notre frère en vie
humaine (He 2), nous sommes confondus !
Lexique
90
Jésus et lui confère non seulement le sens d'un privilège unique, mais aussi le
sens d'un rôle d'origine et de conformation à sa propre dignité de Fils pour tous
les autres humains. Nous sommes tous des premiers-nés ! (He 12, 23).
* Hébreux (l'épître aux) n'est pas une lettre, mais une homélie, un discours
d’exhortation, que l'auteur envoie sous forme de lettre à des judéo-chrétiens
(d'où leur désignation par la tradition chrétienne comme « Hébreux ») ; peut-
être appartiennent-ils à la classe sacerdotale, en tous cas ils sont un peu
inquiets du manque de prestige religieux et cultuel de l'existence chrétienne en
comparaison du culte du Temple auquel ils participaient. L'auteur leur explique
qu'ils ont en la personne du Christ le Prêtre par excellence, parce qu'Il est à la
fois le Fils de Dieu et le frère des hommes. C'est en cette fraternisation de chair
et de sang avec les enfants d'Abraham (et à travers eux avec tous les humains)
qu'Il est devenu apte à exercer une médiation sacerdotale à la fois fidèle et
compatissante.
* He 2, 13 « les enfants que Dieu m'a donnés » : C'est une citation d'Isaïe
(8, 18), où le prophète parle de ses enfants et de ses disciples : Dieu les lui a
donnés comme des signes qui attestent de sa fidélité et de la confiance qu'on
peut lui faire : « pour moi j'aurai confiance en Lui » (Is 8, 17). C'est à ces enfants
de Dieu qui lui sont donnés par Dieu que le Fils vient en aide. Nous sommes en
contexte judéo-chrétien où il est naturel de voir dans les Israélites les enfants
de Dieu.
91
II – ET MAINTENANT, AU TEXTE
A – Etude du texte
– « Celui » v. 10 ; 11a : désigne qui ? À partir de 11b quel est le sujet des verbes ?
Comment l’auteur exprime-t-il la fraternisation du Fils avec les humains.
– Relisez en accentuant ce que fait Jésus.
B - Actualisation
1 - Pour ceux qui se demandent quel est le sens de la vie, ces textes
répondent-ils à la question du sens de la création ? de l’histoire ?
2 - Commençons par devenir frères de Jésus (c’est son désir, son souci, sa
volonté). Est-ce notre priorité ?
92
III – PISTES POUR LA PRIÈRE
Notre Père
Oraison
Esprit d’Amour,
donne-nous de devenir un être unique et nouveau dans le Christ Jésus
brise les limites de notre individualisme
pour entrer pleinement dans l’unité du corps du Christ et celle de la fraternité.
93
TEXTES
« L'Apôtre dit que le Christ n'a pas honte de nous appeler frères et de dire :
J'annoncerai ton nom à mes frères. En effet en revêtant la chair, le Christ a
revêtu la fraternité. Et en même temps la fraternité aussi s'est introduite dans
la chair ».
(J. Chrysostome, cité par M. DUJARIER, ibidem p. 288).
« Pour exorciser toutes ces tendances qu’il y a en nous à choisir notre camp,
à dresser les uns contre les autres, à donner des prix de qualité ou des prix
d’horreur, nous avons eu cet instinct, en communauté, instinct que je trouve
après tout sauveur – mais cela nous est venu comme cela –, nous désignons
les montagnards, ceux que l’on appelle les terroristes, les “frères de la
montagne”, et les forces armées, nous les appelons les “frères de la plaine”.
C’est très commode pour parler au téléphone. C’est une manière de rester en
fraternité. »
« L’Église, c’est l’incarnation continuée », récollection de carême, Alger, 8 mars 1996.
94
FICHE POUR LES ANIMATEURS
IV – CLÉS DE LECTURE
Cette fraternité de tous les croyants en Christ n'est pas un surplus de l’œuvre
de Dieu, une sorte de résultat supplémentaire ; elle fait partie de l'objectif : elle
est un trait essentiel du dessein de Dieu. Un enchaînement de verbes veut
exprimer un dessein incoercible, que rien ne saurait entraver, depuis les
décisions éternelles en Dieu (connaître, prédestiner) jusqu’à leurs manifestations
dans l’histoire humaine (appeler, justifier) et leur achèvement eschatologique
(glorifier). C’est chose faite dans sa décision, même la glorification. Ce qui est
frappant dans cette cascade de verbes (« connaître »–« prédestiner »)
exprimant l’intention divine qui va donner lieu à ses actes dans l’histoire, la
cascade s’arrête – arrêt sur image – pour formuler l’objectif de ce dessein divin
formé de toute éternité : « conformer les croyants à l’Image de son fils pour
qu’il soit le premier-né d’une multitude de frères » (8, 29). Là est le cœur du
dessein divin sur la création et l’histoire. Il s’agit de constituer dans le christ
cette innombrable fraternité, divine et humaine, initiée dans l’histoire, achevée
dans l’éternité. C’est en cela que consiste, ce que la révélation biblique appelle :
« le salut ».
– l'espérance de la création.
95
- L' Image qu'est son Fils
« Être configuré à l'Image de son Fils » signifie «être configuré à l'Image de
Dieu qu'est son Fils ». Le premier Adam n'avait pas réussi à maintenir en lui la
ressemblance de l'Image » ; le Christ pascal, second Adam, en est la parfaite
réalisation. C'est en la glorification pascale du Crucifié que s'est révélée
l'identité de Jésus comme le Fils de Dieu. Il en est devenu la parfaite Icône (Col
1, 15 : l'Image du Dieu invisible), expression de son amour, de la sainteté, de
la liberté et du rayonnement de son Esprit. Il ne l'est devenu que pour
communiquer et en communiquant à tous les hommes ce même Esprit qui les
rend fils avec Lui et en Lui. Quant à nous, « le visage dévoilé (par la foi), nous
reflétons la gloire du Seigneur et nous sommes transfigurés en cette même
Image avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur qui est Esprit »
(comprenez : qui est totalement investi par l'Esprit et qui rayonne l'Esprit)
(2 Co 3, 18). Configuration (progressive) des croyants à cette Image de Dieu,
qui commence par le baptême, se poursuit dans leur vie selon l'Esprit et qui
s'accomplira dans leur résurrection : « Et de même que nous avons été à
l'image de l'homme terrestre, nous le serons aussi à l'image de l'homme céleste
(le Christ ressuscité) » (1 Co 15, 49). Or il est impossible que cette image ne
soit pas celle d’une communion fraternelle telle qu’elle se réalise dans ce que
Paul appelle « le corps du Christ » (diversité, communion, interdépendance,
1 Co 12).
Si les croyants deviennent ses frères, ils deviennent aussi ses cohéritiers ;
ayant part à ses souffrances, (ils) auron(t) part aussi à sa gloire » (Rm 8, 17 ;
cf. Ga 4, 7) ». L'Esprit atteste en eux qu'ils sont enfants de Dieu, « enfants, et
donc héritiers, héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ » (8, 17). Il était
classique en judaïsme de dire qu'Israël est l'héritage de Dieu parmi les nations
et Dieu, l'héritage d'Israël. Ici, naturellement, c'est « le Fils » qui est l'héritier,
mais avec Lui tous ses frères qui deviennent ses cohéritiers. En communiant
aux souffrances du Christ ils communieront à sa gloire.
96
2 – Le chemin du salut : la fraternisation humaine du Fils (He 2, 10-18)
C'est ainsi qu'il pouvait et devait devenir « le pionnier » des hommes vers le
salut. Le pionnier ne marche pas en dehors de la caravane, même à sa tête il
en fait partie. Bien plus, c'est en cette fraternisation par les souffrances jusqu'à
la mort qu'Il a été lui-même « rendu parfait »/« accompli » (2, 10) et salué par
Dieu comme Grand-Prêtre (5, 10). C'est ainsi qu'il est prêtre, « le Prêtre »
97
authentique et définitif, dans sa manière d'assumer la condition humaine,
parfaitement Fils et parfaitement frère ; bien au-delà du sacerdoce cultuel du
Temple qui semble manquer à ces anciens pratiquants d'Israël.
98
6e rencontre
99
100
LETTRE DE PAUL À PHILÉMON
L'impact ecclésial et social de l’Évangile
101
Epître aux Galates (antérieure de peu à la lettre à Philémon)
3, 26-28 « Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi.
En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le
Christ ; il n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre,
il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un
dans le Christ Jésus.
Fil rouge
102
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
La foi chrétienne va plus loin que la doctrine stoïcienne. Non seulement elle
assume la commune dignité humaine – issue à ses yeux de la création à l'image
de Dieu – mais elle proclame le dépassement instauré par l’Évangile par rapport
à toutes les hiérarchies humaines. Les divisions courantes de l'humanité
(homme/femme, homme libre/esclave, juif/grec) ne sont pas supprimées, mais
transcendées par la commune appartenance au Christ, dont la dignité est sans
25 Ludovic NOBEL, Paul, Onésime et Philémon maîtres et esclaves libres. Approche exégétique,
historique et socioculturelle de l'esclavage à l'époque de Saint Paul. Editions universitaires
européennes, Saarbrücken, 2012.
26 Camille FOCANT, Les lettres aux Philippiens et à Philémon, Cerf, 2015, p. 234.
27 Lettres à Lucilius, 5, 47.
103
commune mesure avec toutes les qualifications humaines. « Les grandes
catégories qui divisent l’humanité continuent d'exister, mais, à l'intérieur de la
communauté chrétienne, leur sens a changé. Chacun doit reconnaître en Christ
une grandeur égale à son frère, à sa sœur »28. Dans la lettre aux Galates Paul
exalte cette identité commune :
« Car tous, dans le Christ Jésus, vous êtes fils de Dieu par la foi. En effet,
vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il
n’y a plus ni juif ni grec, il n’y a plus ni esclave ni homme libre, il n’y a
plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le
Christ Jésus. » (3, 26-28)
104
4 – Le cas d'Onésime, esclave fugitif de Philémon
Il y eut cependant un cas, traité comme exemplaire et retenu comme tel dans
le recueil des lettres de Paul, où l'Apôtre a, sinon postulé, du moins vivement
souhaité, l'affranchissement29. Il a voulu, dans ce cas, donner à la fraternité
issue de la foi en Christ toute sa puissance de transformation, non seulement
sur le plan des relations religieuses, mais aussi sur le plan des relations sociales
ordinaires. Il y a un impact social de la fraternité en Christ, quelles que soient
les formes que cela peut prendre selon les circonstances.
C'est ce que montre bien cette lettre de Paul, alors prisonnier30, à Philémon, un
ami croyant qu'il a engendré lui-même à la foi ; c'est un notable de la ville de
Colosses, à l'est d’Éphèse, qui reçoit la communauté ecclésiale dans sa maison.
Paul lui écrit au sujet de l'un de ses esclaves, Onésime, qui est venu le trouver
dans sa prison et qu'il a converti, lui aussi, à la foi chrétienne. Paul s'exprime
avec beaucoup de délicatesse, mais sans être trop précis sur des circonstances
que Philémon est censé connaître. Que ressort-il de la lettre ? Qu'est-ce qui
reste flou ?
– Dans des circonstances et pour des motifs qui ne sont pas indiqués, Onésime
avait quitté son maître pendant quelque temps (s'agissait-il d'une fuite en
raison d'un méfait, d'un vol ? ou seulement de la recherche d'un appui à propos
d'un conflit ?) et il était venu trouver Paul prisonnier31 .
– Engendré par Paul dans la foi au Christ, il lui a été très utile et Paul aimerait
bien le garder auprès de lui ; il se dit disposé à réparer personnellement le tort
qu'Onésime aurait pu faire à son maître.
– Paul le renvoie à son maître, comme la loi romaine l'obligeait à le faire32, mais
il exprime le souhait qu'il soit reçu « non plus comme un esclave, mais comme
mieux qu'un esclave : un frère bien-aimé. et dans la chair et dans le Seigneur »
29 Celui-ci pouvait résulter soit de l'initiative du maître, soit de l'initiative de l'esclave avec l'assen-
timent du maître, soit de l'initiative d'un tiers, comme dans le cas d'Onésime, à la demande (implicite)
de l'Apôtre.
30 Selon toute vraisemblance pendant son séjour à Ephèse (54-56) ; cf. Ph 1, 13-26).
31 « Il nous semble pouvoir conclure qu'Onésime a fui la maison de Philémon parce qu'il aspirait
à une vie meilleure et qu'il rêvait peut-être de liberté. Après avoir vagabondé un certain temps et
avoir constaté que sa nouvelle vie n'était pas meilleure que celle qu'il menait chez Philémon, il s'est
alors décidé à retourner dans la maison de son maître. Mais, conscient des peines qu`il encourait, il
fit alors appel à Paul afin qu'il intercède en sa faveur. » (Ludovic NOBEL, op. cit. p. 72).
32 À la différence de ce que prescrivait la loi juive qui interdit de renvoyer l'esclave fugitif à son
maître (Dt 23, 16-17).
105
5 – L'enjeu communautaire de cette lettre
C'est sans aucun doute en raison de ces difficultés que Paul ne veut pas trancher
tout seul et qu'il reste assez évasif sur la solution concrète à trouver, si ce n'est
en souhaitant qu'Onésime lui soit laissé comme collaborateur ; dans ce cas, le
statut social d'Onésime (encore esclave ou affranchi) serait relativisé. Il laisse
à Philémon la responsabilité de trouver l'issue la meilleure par rapport à cette
nouvelle relation de fraternité qu'inaugure la communion dans la foi ; désormais
Onésime ne peut plus être un esclave comme auparavant. Cette lettre de Paul
n'est pas une solution générale au problème de l'esclavage, elle ne traite
cependant pas du cas d'Onésime et Philémon comme d'un pur cas personnel,
c'est pourquoi elle est adressée à la communauté locale en même temps qu'à
Philémon, car il y va de l'image qu'elle donnera d'elle-même en cette affaire ;
il s'agit de « tout le bien qui est en nous, pour le Christ » (v. 6).
«Votre affranchi, contre qui vous m'aviez dit que vous étiez en colère, m'est
venu trouver ; et, prosterné à mes pieds, il y est demeuré collé comme si c'eût
été sur les vôtres. Il a beaucoup pleuré, beaucoup prié; il s'est tu longtemps;
en un mot, il m'a persuadé de son repentir. Je le crois véritablement corrigé,
parce qu'il reconnaît sa faute. Je sais que vous êtes irrité, je sais que vous l'êtes
avec raison ; mais jamais la modération n'est plus louable que quand l'indi-
gnation est plus juste. Vous avez aimé cet homme, et j'espère que vous lui
rendrez un jour votre bienveillance ; en attendant, il me suffit que vous
m'accordiez son pardon. Vous pourrez, s'il y retourne, reprendre votre colère.
Après s'être laissé désarmer une fois, elle sera bien plus excusable. Donnez
quelque chose à sa jeunesse, à ses larmes, à votre douceur naturelle. Ne le
tourmentez pas davantage, ne vous tourmentez plus vous-même ; car, doux
et humain comme vous êtes, c'est vous tourmenter que de vous fâcher. Je
crains que je ne paraisse pas supplier, mais exiger, si je joins mes supplications
106
aux siennes. Je les joindrai pourtant, avec d'autant plus d'instance que les
réprimandes qu'il a reçues de moi, ont été plus sévères. Je l'ai menacé
affirmativement de ne me plus jamais mêler de lui ; mais cela, je ne l'ai dit que
pour cet homme qu'il fallait intimider, et non pas pour vous. Car peut-être serai-
je encore une autre fois obligé de vous demander grâce et vous de me
l'accorder, si la faute est telle que nous puissions honnêtement, moi intercéder,
et vous pardonner. Adieu. » (Lettres 9. 2l)
Lexique
* fidèles (v. 7), litt. « les saints » : les membres de la communauté chrétienne
reprennent à leur compte le qualificatif qui définit les membres de peuple choisi
par Dieu, Israël, dont l'élection est ouverte désormais dans le Christ à tous les
croyants, y compris ceux des nations. La traduction française (fidèles) est plus
compréhensible au lecteur moderne, mais elle laisse tomber une qualification
théologique de premier plan : celle de communier au Dieu saint.
* Onésime (v. 10), mot grec, signifie « utile », nom fréquent d'esclave. Paul
fait un jeu de mots sur son nom, mais en le reprenant avec un autre adjectif :
chrèstos, avantageux ; dans le passé, il ne l'a pas été pour Philémon, désormais
il le sera et pour Philémon et pour Paul.
* vieil homme, senior (v. 9), en grec « presbytès », Paul se dit « âgé » comme
on pouvait l'être en son temps, c'est-à-dire déjà dès 50/60 ans ; avec
« prisonnier pour le Christ », c'est un trait d'autorité spirituelle et d'appel à
l'humanité.
107
II – ET MAINTENANT, AU TEXTE
A – Etude du texte
2. Objet de la lettre v. 4 à 22 ?
- cas Onésime : qu’est-ce que son baptême a changé dans ses relations avec
Paul ? Avec Philémon ?
- v. 21 Philémon doit-il « obéir » à Paul ou donner son accord v. 14 ?
Préciser les relations entre Onésime et Philémon.
B – Actualisation
108
III – PISTES POUR LA PRIÈRE
Notre Père
Oraison
Seigneur Jésus, baptisés en toi nous avons été libérés de l’esclavage du péché
et de tout esclavage. Nous sommes devenus des hommes et des femmes libres.
Dieu notre Père, rends-nous capable d'accueillir tous nos frères humains
comme tes fils. Amen
109
FICHE PO UR LE S AN IMAT E URS
IV – CLÉS DE LECTURE
B - La demande (8-20)
Suivons par paliers sa formulation, en prenant acte de ce qui est dit clairement et
de ce qui est laissé dans le flou pour ne pas trancher à la place de Philémon.
(8-9) Librement
Précisément Paul commence par cela : ne pas prescrire, bien qu'il en ait toute
l'autorité, mais faire appel au seul choix de l'amour, à commencer par celui que
Philémon manifesterait envers un Paul « senior » et prisonnier à cause du
Christ.
110
(10-14) un Onésime enfin conforme à son nom !
Il nomme enfin celui dont il veut parler : avant d'être nommé, Onésime est
désigné d'emblée comme « mon enfant », engendré à la foi par l'apôtre en
prison ; puis avec un jeu de mots sur son nom = « utile » (nom courant
d'esclave) ; il ne l'a guère été, il pourrait l'être maintenant pour toi, Philémon,
et pour moi, Paul, qui en ai fait l'expérience durant le temps qu'il a passé auprès
de moi prisonnier… il le garderait volontiers si son maître veut bien le lui laisser,
- ce qui serait une manière pour Philémon de servir Paul par son intermédiaire
(13) - mais en attendant il le lui renvoie, « lui qui est comme mon cœur » (12),
car il ne veut rien imposer : « pour que tu accomplisses ce bien non par
contrainte, mais volontiers » (14). « Ce bien », en un tel contexte, ne peut
guère être autre chose que de permettre à Onésime de revenir au service de
Paul pour l'Évangile, sans qu'il lui demande expressément de l'affranchir.
111
été enfanté en Christ tout comme Onésime. « Donne-moi du repos en Christ »
(20) rappelle la même expression du début (7). Que Philémon fasse pour Paul
ce qu'il a su faire pour la communauté.
Paul annonce son passage, il espère bien sortir de prison. Il parle de nouveau
au pluriel : « vous être rendu ». Les salutations sont plurielles de la part des
collaborateurs de Paul comme étaient pluriels les destinataires de l'adresse.
112
(Mt 18)
7e rencontre
113
114
ÉGLISE–FRATERNITÉ « TOUS FRÈRES » (Mt 18)
115
lui devait dix mille talents*. 25 Comme cet homme n’avait pas de quoi
rembourser, le maître ordonna de le vendre, avec sa femme, ses enfants et
tous ses biens, en remboursement de sa dette. 26 Alors, tombant à ses
pieds, le serviteur demeurait prosterné et disait : “Prends patience envers
moi, et je te rembourserai tout.” 27 Saisi de compassion, le maître de ce
serviteur le laissa partir et lui remit sa dette. 28 Mais, en sortant, ce
serviteur trouva un de ses compagnons qui lui devait cent deniers*. Il se
jeta sur lui pour l’étrangler, en disant : “Rembourse ta dette !” 29 Alors,
tombant à ses pieds, son compagnon le suppliait : “Prends patience envers
moi, et je te rembourserai.” 30 Mais l’autre refusa et le fit jeter en prison
jusqu’à ce qu’il ait remboursé ce qu’il devait. 31 Ses compagnons, voyant
cela, furent profondément attristés et allèrent raconter à leur maître tout
ce qui s’était passé. 32 Alors celui-ci le fit appeler et lui dit : “Serviteur
mauvais ! je t’avais remis toute cette dette parce que tu m’avais supplié.
33 Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon, comme moi-
même j’avais eu pitié de toi ?” 34 Dans sa colère, son maître le livra aux
bourreaux jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout ce qu’il devait. 35 C’est ainsi
que mon Père du ciel vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à
son frère du fond du cœur. »
116
Fil rouge
117
FICHE POUR LES PARTICIPANTS
I – POUR LIRE
Nous abordons encore une fois la fraternité dans le cadre de la vie ecclésiale.
Après la lettre de Paul à Philémon qui illustre à quel point la fraternité dans le
Christ peut relativiser et faire exploser les barrières sociales, nous nous
tournons vers l'évangile de Matthieu qui rend attentif aux plus petits des frères
qui font partie de nos communautés. Nous pouvons avoir l'impression de
revenir en arrière, depuis les grandes fresques de la fraternité universelle de
saint Paul et de l'évangile de Matthieu lui-même (en Mt 25). Mais le
comportement interne de nos communautés est un test et un témoignage
qu'elles doivent à leur environnement, lieu de leur mission.
A - Les « petits »
118
B - Les pécheurs
Les deux enseignements sur les « petits » et les « pécheurs » sont ponctués
chacun par une parabole. Le mot « frère » est employé au sujet du chrétien
pécheur (4 fois : v. 15 v. 21 v. 35), Les « petits sont les membres faibles de la
communauté, exposés à la déconsidération et à l'égarement (v. 6. 10. 14).
Eux aussi, bien sûr, font partie des « frères » ; à en croire l'Introduction du
discours (1-4) il faut même les mettre au premier rang de la communauté.
Quant aux « pécheurs », ils n’en sont jamais exclus automatiquement ; il faut
même tout faire pour qu'ils en restent membres ou le redeviennent. Le pardon
mutuel est le test du pardon reçu de Dieu.
Lexique
119
* scandaliser : être occasion de chute sur le plan de la foi aussi bien que sur
le plan moral ; dans le contexte de Mt 18, l'accent est sur la foi (« ces petits qui
croient en moi » 18, 5).
II – ET MAINTENANT, AU TEXTE
A – Etude du texte
1. les petits (v. 1-14)
Comparer la question posée v. 1 (qui est le plus grand ?) et la réponse v. 3
(qui entrera ?).
Quelle est « la » condition pour entrer dans le royaume des Cieux ? (observez
les verbes).
Comment Jésus exprime-t-il le souci des petits ? (v. 6-9) en négatif et en po-
sitif.
B - Actualisation
1. Qui sont « les petits » ? Où sont-ils aujourd’hui ? Y a-t-il une évolution de-
puis
Diaconia (2013) dans leur place dans nos communautés ?
Parmi les « petits » il y a aussi l’accueil des enfants, est-ce notre préoccupa-
tion ?
Nous sentons-nous tous responsables les uns des autres dans nos commu-
nautés ?
Quel rapport entre la correction fraternelle, la nécessité de purification de
l’Église et le témoignage à rendre à l’Évangile au sein de la société ?
120
4. Nos communautés (ekklesia) sont-elles des fraternités (adelphotès) ? Où
se vit le pardon et l’amour fraternel ? Donnons des contre-exemples et des
exemples…
Notre Père
Oraison
121
«La foi est toujours vivante dans le cœur des hommes »,
se dit le curé en voyant l’église bondée. C’étaient des ouvriers du quartier le plus
pauvre de Rio de Janeiro, réunis cette nuit-là avec un seul objectif en commun : la
messe de Noël.
Il prit le gamin par la main et le conduisit à l’autel. Puis il se tourna vers les fidèles.
– Ce soir, avant la messe, nous allons réciter une prière spéciale. Nous allons laisser Dieu
écrire ce qu’Il veut entendre. Chaque lettre correspondra à un moment de l’année où nous
réussirons à faire une bonne action, à lutter avec courage pour un rêve ou à dire une prière
sans mots. Nous allons Lui demander de mettre en ordre les lettres de notre vie. Nous allons
former des vœux afin que ces lettres Lui permettent de créer les mots et les phrases qui Lui
plaisent.
Les yeux fermés, il se mit à réciter l’alphabet.
Et à son tour, toute l’église répéta :
– A, b, c, d…
122
FICHE PO UR LE S AN IMAT E URS
IV – CLÉS DE LECTURE
La réponse de Jésus est un geste commenté par la parole. Le geste est d'aller
prendre un petit enfant et de le placer au centre du groupe des disciples. La
parole est de le présenter comme la figure à laquelle ils doivent se conformer,
s'ils veulent tout simplement « entrer dans le royaume des Cieux », a fortiori si
quelqu'un veut y être « le plus grand ». L'enfant n'est pas valorisé en raison
d'une prétendue innocence, pureté, simplicité ou naïveté ; mais en raison de sa
place en la société de ce temps : il ne peut faire l’important, il n'est pas
« l'enfant-roi » ; il n'a pas la parole, il écoute ; il est dépendant, il reçoit. Telle
est la situation des véritables disciples par rapport au Royaume de Dieu ; ils ne
peuvent que le recevoir dans l'humilité et la confiance, sans pouvoir y prétendre
plus que personne. « Se convertir » consiste à « devenir comme ces enfants » ;
ce n'est pas se convertir » « et » devenir ensuite, mais « se convertir en
devenant… » ; c'est là le «tête-à-queue » de la conversion évangélique.
Il n'y a pas plus grand dommage dans ces communautés que d'exposer les
faibles à perdre la foi dans le Christ. Ils peuvent y être exposés par la négligence
des élites à leur égard (liberté de parole, de comportement). Le jugement de
Jésus est très sévère : mieux vaudrait être irrémédiablement jeté au fond de la
mer que de se prêter à un tel scandale. L'image est claire. Ce qui l'est moins,
c'est la logique du texte qui passe du dommage causé à l'autre (le petit, le
faible) au dommage causé à soi-même par « ta main/ton pied » ou « ton œil »,
123
qui te scandalise et dont il vaut mieux se séparer33. Cet enchaînement lie
l'inattention à soi-même à la négligence à l'égard des « petits ». Dans la
communauté un « scandale » ne se limite jamais à soi-même, il a toujours une
répercussion communautaire. Fais attention aux petits et pour cela / en cela /
fais attention à toi-même.
Chez Mt, il s'agit d'éviter qu' « un de ces petits » qui « s'égare » de la commu-
nauté des croyants ne vienne à « périr »; il faut donc le retrouver, car – ajoute
Mt - « on ne veut pas auprès de votre Père qu’un seul de ces petits ne périsse »
(18, 14) et cette conclusion renvoie à l'introduction de la parabole (18,
10) : « Gardez-vous de tenir pour négligeable un seul de ces petits, car, je vous
le dis, leurs anges dans les cieux voient sans cesse la face de mon Père qui est
aux cieux ». Ne pas négliger donc ceux qui sont si précieux aux yeux du Père
céleste, puisqu'ils ont pour intercesseurs, parmi les anges, ceux qui en sont les
plus proches, admis constamment à voir sa Face, en ambassadeurs efficaces.
- la règle (15-18)
Déjà la Loi de sainteté (Lv 19, 17-18), en accord avec Ezéchiel (3, 16-19), faisait
à l'Israélite le devoir de la correction fraternelle, en excluant tout sentiment de
haine. Au souci du frère se joignait le zèle pour la pureté communautaire. Une
discipline s'était instaurée, dont les premiers éléments se trouvent dans le
Deutéronome34 ; le judaïsme contemporain du N.T. à Qumran en particulier35,
en livre une pratique : pas de dénonciation aux instances communautaires,
sans être intervenu auparavant seul à seul, puis avec au moins deux témoins.
La communauté doit sauvegarder son identité et, s'il n'y a pas de meilleure
issue, exclure le membre dont le comportement contredit sa foi et sa pratique.
124
Mais elle le fait de manière graduelle et justifiée.
La parole sur l'exaucement de la prière des v. 19-20 ne doit pas être entendue
comme une promesse générale en dehors de tout contexte ; il s'agit ici de ce
contexte précis où la communauté doit juger ou plutôt, si possible, sauver, le
frère pécheur alors même qu'il a résisté jusqu'à présent. A cette communauté
priante mais unie - même si réduite à un nombre infime (deux ou trois) – le
Seigneur Jésus glorifié (nous sommes après Pâques) assure sa présence. Il en
est parlé comme de la présence de la Shekinah (habitation divine), quand des
rabbis méditaient ensemble la Parole. Maintenant c'est Jésus qui est en
personne cette Présence divine à la communauté réunie en son Nom, par la foi
en lui. C'est cette même présence qui est assurée à l’Église à la fin de Mt 28
dans l'annonce de l'Évangile. Ici elle signifie que le Seigneur Jésus est
pleinement engagé dans sa communauté , une communauté « mixte », sainte
et pécheresse, pour trouver une issue à « toute affaire », en accord avec
l’Évangile, tel qu'il l'a vécu et enseigné au cours de son ministère, lui qui était
proche des « publicains et des pécheurs » : appel exigeant à la conversion,
mais dans la douceur et la patience... et dans l'espérance. C'est une prière de
discernement pour la communauté et une prière d'intercession pour le pécheur
en vue de sa conversion et de son salut.
5 – Le pardon fraternel (21-35)
125
Combien de fois ?
36 Jean ZUMSTEIN, « L'amour du frère », dans : La condition du croyant dans l'évangile selon
Matthieu », Fribourg / Göttingen, 1977, p. 415.
126
V – POUR ALLER PLUS LOIN
Fraternité locale
Fraternité mondiale
127
PROPOSITION POUR UNE RELECTURE
DU PARCOURS DE L'ANNEE
1 - Vie d'équipe
- Qu'est-ce qui nous a réjouis ?
- Ce qui nous a aidés ?
- Ce qui a été plus difficile ?
- Ce qui a marqué notre équipe ?
OUVER TURE
« Il est clair qu'en dépit de la place qui a été réservée à la Fraternité dans la
devise républicaine, son rôle au sein de la triade consacrée est véritablement
essentiel. Si d'autres mots, comme « Communauté » ou « Solidarité » n'ont pu
la supplanter, c'est parce que leur champ est assez strictement circonscrit,
128
tandis qu'elle est appel à un incessant dépassement. En veut-on une preuve ?
Il n'est pas un tenant de ces idéologies d'extrême-droite, dont le fonds de
commerce tient à l`exclusion de l'étranger, qui ne s'accorderait sur
l'indispensable solidarité qui doit s’exercer au sein de la communauté française.
C'est même là tout ce qui fonde le discours sur la « préférence nationale ». La
Fraternité, elle, commande de regarder aussi au-delà des frontières... Et, au
sein de l'Hexagone, de considérer également comme des frères tous ceux qui
y vivent.
Benoît Lambert Irremplaçable fraternité.
dans : GARRIGUES, 64 (1998)
« Notre Pape François vient de donner, sans guère de paroles, une réponse
magistrale, en deux temps, à tous ceux qui s'interrogeaient sur la politique à
suivre, alors, vis-à-vis de l'Islam dans nos pays :
Il s'est adressé, d'abord, à Abu Dhabi, le 5 février2019, à la plus haute autorité,
intellectuelle et morale, de l'Islam sunnite : le grand imam Ahmed al-Tayeb,
recteur de l'Université égyptienne d’al-Azhar, avec la signature commune d'un
Document sur la Fraternité humaine, pour la paix mondiale et la coexistence
commune (texte ci-joint), la signature a été suivie par un baiser de paix.
Deuxième temps, le 30 Mars 2019, reçu à Rabat, par le Roi du Maroc, Mohamed
VI qui est, non seulement, un cherif (c'est-à-dire un descendant du Prophète,
d'où l'appellation de "monarchie chérifienne") mais aussi reconnu, en Islam,
comme le Commandeur des Croyants, ils ont assisté, côte à côte, à un
extraordinaire concert prônant la fraternité entre les trois religions
monothéistes. »
Pierre Rastoin, communication e-mail.
129
vivable partout, par tout chrétien, dans toutes les conditions, dans tous les pays
du monde. Aurions-nous les mains liées, la bouche bouclée, que cela reste la
fine pointe de toute vocation évangélique. D'ailleurs combien d'anonymes l'ont
vécu et le vivent encore sans faire parler d'eux ? »
Mgr Claude RAULT, évêque émérite du diocèse de Laghouat-Ghardaia,
Désert, ma cathédrale, Desclée de Brouwer, 2008.
Questions :
2 - FRATERNITÉ ET MISSION
130
A l’issue de ce parcours sur la fraternité, il semble important de mettre en
perspective la vocation des chrétiens à la fraternité – qui s’est dessiné au fil des
textes – et la mission de l’Église. Car, si l’Église peut se définir – à la suite de
1 P 5, 9 – comme une communauté de frères, sa mission se comprend alors
comme un appel à essayer de vivre cette fraternité universelle. La construction
de la fraternité est la nature de l’Église en même temps que sa mission.
Les Actes des Apôtres nous racontent l’Église naissante qui se constitue dans la
découverte d’une fraternité universelle, une fraternité qui ne s’arrête pas aux
limites du peuple juif. L’Église se constitue comme « catholique », dans son
ouverture progressive aux Samaritains (Ac 8), aux « craignants Dieu » (Ac 10),
et finalement aux païens (Ac 15), tel que l’événement de la Pentecôte l’avait
déjà préfiguré (Ac 2).
Cette ouverture ne s’est pas faite sans obstacle. Le monde juif était imprégné
d’une crispation identitaire forte. En effet, face à l’invasion étrangère, à la
pression culturelle grecque, l’identité et les coutumes d’Israël étaient
menacées. Dès lors, certains courants (notamment les pharisiens) ont fait du
respect strict de la Loi un marqueur culturel fort, pour préserver l’identité et la
foi juive. Jésus a fait un autre pari : celui de la fraternité, en prenant Ses
distances avec cette crispation sur la Loi. Il faudra le souffle de l’Esprit du
ressuscité pour que l’Église naissante ose faire ce même pari.
« Le lendemain, […] Pierre était monté sur la terrasse de la maison pour prier ;
il était à peu près midi. Mais la faim le prit, et il voulut manger. On lui préparait
un repas quand une extase le surprit. Il contemple le ciel ouvert : il en
descendait un objet indéfinissable, une sorte de toile immense, qui, par quatre
points, venait se poser sur la terre. Et, à l’intérieur, il y avait tous les animaux
quadrupèdes, et ceux qui rampent sur la terre, et ceux qui volent dans le ciel.
Une voix s’adressa à lui : « Allez, Pierre ! Tue et mange. »
– « Jamais, Seigneur, répondit Pierre. Car de ma vie je n’ai rien mangé
d’immonde ni d’impur. »
Et de nouveau une voix s’adressa à lui, pour la seconde fois : « Ce que Dieu a
rendu pur, tu ne vas pas, toi, le déclarer immonde ! » Cela se produisit trois
fois, et l’objet fut aussitôt enlevé dans le ciel.
Pierre essayait en vain de s’expliquer à lui-même ce que pouvait bien signifier
la vision qu’il venait d’avoir, quand justement les envoyés de Corneille, qui
avaient demandé çà et là la maison de Simon, se présentèrent au portail. Ils se
mirent à crier pour s’assurer que Simon surnommé Pierre était bien l’hôte de
cette maison. Pierre était toujours préoccupé de sa vision, mais l’Esprit lui dit :
131
« Voici deux hommes qui te cherchent. Descends donc tout de suite et prends
la route avec eux sans te faire aucun scrupule : car c’est moi qui les envoie. »
Pierre descendit rejoindre ces gens. « Me voici, leur dit-il. Je suis celui que vous
cherchez. Quelle est la raison de votre visite ? »
Ils répondirent : « C’est le centurion Corneille, un homme juste, qui craint Dieu,
et dont la réputation est bonne parmi la population juive tout entière. Un ange
saint lui a révélé qu’il devait te faire venir dans sa maison pour t’écouter exposer
des événements. » Pierre les fit alors entrer et leur offrit l’hospitalité.
Le lendemain même, il partit avec eux accompagné par quelques frères de
Joppé. Et le surlendemain, il arrivait à Césarée. Corneille, de son côté, qui les
attendait, avait convoqué sa parenté et ses amis intimes. Au moment où Pierre
arriva, Corneille vint à sa rencontre et il tomba à ses pieds pour lui rendre
hommage. « Lève-toi ! » lui dit Pierre, et il l’aida à se relever. « Moi aussi, je
ne suis qu’un homme. » Et, tout en conversant avec lui, il entra. Découvrant
alors une nombreuse assistance, il déclara : « Comme vous le savez, c’est un
crime pour un Juif que d’avoir des relations suivies ou même quelque contact
avec un étranger. Mais, à moi, Dieu vient de me faire comprendre qu’il ne fallait
déclarer immonde ou impur aucun homme. Voilà pourquoi c’est sans aucune
réticence que je suis venu quand tu m’as fait demander. Mais maintenant
j’aimerais savoir pour quelle raison vous m’avez fait venir. » Et Corneille de
répondre : « Il y a trois jours juste en ce moment, à trois heures de l’après-
midi, j’étais en prière dans ma maison. Soudain un personnage aux vêtements
splendides se présente devant moi et me déclare : “Ta prière a trouvé audience,
Corneille, et de tes largesses la mémoire est présente devant Dieu. Envoie donc
quelqu’un à Joppé pour inviter Simon qu’on surnomme Pierre à venir ici. Il est
l’hôte de la maison de Simon le corroyeur, au bord de la mer.” Sur l’heure, je
t’ai donc envoyé chercher, et tu as été assez aimable pour nous rejoindre.
Maintenant nous voici tous devant toi pour écouter tout ce que le Seigneur t’a
chargé de nous dire. » Alors Pierre ouvrit la bouche et dit : « Je me rends
compte en vérité que Dieu est impartial, et qu’en toute nation, quiconque le
craint et pratique la justice trouve accueil auprès de lui.
[…]
Pierre parlait encore quand l’Esprit Saint tomba sur tous ceux qui étaient en
train d’écouter la Parole. Ce fut de la stupeur parmi les croyants circoncis qui
avaient accompagné Pierre : ainsi, jusque sur les nations païennes, le don de
l’Esprit Saint était maintenant répandu !
Questions
Comme celui de Jésus, le pari des apôtres est un pari risqué : Jésus en est mort
sur une croix. Mais c’est sur la croix qu’il reçoit sa véritable identité, que la vie
éclate et s’offre à tous.
Et nous, aujourd’hui, osons-nous faire ce même pari ?
Ce pari de la fraternité face à la tentation du repli sur soi, de la crispation
identitaire ?
En société comme en Église ?
132
PISTE POUR LA PRIÈRE
Notre Père
133
ANNEXE
Prier avec les psaumes
Ps 10
Ps 39, 12-14
Oraison
134
Fiche 2 - Joseph-chemins de fraternité
« Soyez sans crainte ! Vais-je prendre la place de Dieu ? Vous aviez voulu me
faire du mal, Dieu a voulu le changer en bien, afin d’accomplir ce qui se réalise
aujourd’hui : préserver la vie d’un peuple nombreux ». Apprendre à lire dans
l'action de grâces les chemins de traverse de notre histoire.
Oraison :
Dieu, fidèle à tes promesses, il est bon de relire notre histoire pour y découvrir
comment tu sais convertir nos errances en chemins de vie. Nous te rendons
grâces pour l'aveu des uns et le pardon des autres. Fais-nous grandir dans le
partage de ta grâce. Par JCNS
135
Fiche 3 - peuple saint/peuple de frères (Lv 19, 18)
« Soyez saints comme Je suis Saint ... Aime ton prochain ...aime l'étranger
comme toi-même » (Lv 19). « Aime ton prochain... aimez vos
ennemis... soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (Mt 5). Loi
d'amour que chante le Ps 119.
Psaume 119(118)
Oraison
Seigneur, garde-moi d'oublier que ta loi est une loi d'amour. Par JCNS
136
Fiche 4 - Jésus et ses frères
Psaume 86
Oraison
137
Fiche 5 - Premier-né d'une multitude de frères
C'est dans le cri de détresse et la prière de louange que Jésus s'est fait en
vérité le frère des hommes ! « Il ne rougit pas de les appeler « frères ».
Psaume 22 (21)
Tu m'as répondu ! +
23 Et je proclame ton nom devant mes frères,
je te loue en pleine assemblée.
25 Car il n'a pas rejeté, il n'a pas réprouvé le malheureux dans sa misère ;
il ne s'est pas voilé la face devant lui, mais il entend sa plainte.
26 Tu seras ma louange dans la grande assemblée ;
devant ceux qui te craignent, je tiendrai mes promesses.
Oraison
138
Fiche 6 – Lettre de Paul à Philémon
Oraison :
Seigneur, que ton Esprit fasse surgir aujourd’hui comme à la Pentecôte des
fraternités à l'image des premières communautés où la multitude des
croyants n'avaient qu'un cœur et qu'une âme, et qu'ainsi elles rendent
témoignage à ta résurrection. Toi qui vis et règnes…
139
Fiche 7 - Tous frères (attention aux petits, aux pécheurs)
« Qui donc se fera petit comme ce petit enfant-là, celui-là est le plus grand
dans le Royaume de Cieux »
Oraison
Où donc se reconnaît ton Eglise, Seigneur, si ce n'est quand elle accueille avec
humilité les plus petits et les plus fragiles ? Tu es présent à tes disciples, quand
nous sommes unis en ton Nom pour cet accueil et cette fraternité du Royaume.
Nous te rendons grâces.
Toi qui vis et règnes
140
Ouverture - Conclusion générale
141