Origine de L Homme
Origine de L Homme
Origine de L Homme
Résumé
À partir des découvertes les plus récentes, nous essaierons de répondre à quelques-unes des questions qui se
posent : quelle est l’origine de l’homme ? Quand notre histoire a-t-elle divergé de celle des grands singes ? Quels
étaient ces êtres qui ont précédé l’homme et à quoi ressemblaient-ils ? À partir de quel moment peut-on parler de
l’homme ? Qui étaient les premiers hommes et d’où venaient-ils ? Les découvertes récentes d’hominidés anciens
(des fossiles enfouis sous des couches de sédiments) vont nous permettre de plonger au cœur de cette
passionnante aventure.
l’origine de l’homme
Véronique Barriel
Pour les êtres humains que nous sommes, À partir des découvertes les plus
le thème de l’origine de l’homme et de son récentes, nous essaierons de répondre
évolution est l’un des plus passionnants, à quelques-unes des questions qui se
mais également l’un des plus controversés. posent : quelle est l’origine de l’homme ?
Il nous touche de près et se doit d’être quand notre histoire a-t-elle divergé de
compréhensible par chacun d’entre nous. celle des grands singes ? quels étaient ces
Il n’est que de voir les nombreux ouvrages êtres qui ont précédé l’homme et à quoi
scientifiques spécialisés ou de vulgarisation ressemblaient-ils ? à partir de quel moment
qui lui sont consacrés, les documentaires, les peut-on parler de l’homme ? qui étaient les
numéros spéciaux ou hors-série de revues, premiers hommes et d’où venaient-ils ? Les
les expositions, les jeux de société, les sites découvertes récentes d’hominidés anciens
Internet pour mesurer l’intérêt qu’il suscite. (des fossiles enfouis sous des couches de
Chaque nouvelle découverte paléon- sédiments) vont nous permettre de plonger
tologique fait l’objet d’une large couverture au cœur de cette passionnante aventure.
médiatique où les titres se font plus ou L’homme actuel, Homo sapiens, appar-
moins aguicheurs : « La découverte de notre tient à la classe des mammifères (les
ancêtre », « La découverte du plus ancien Mammalia), qui comporte aujourd’hui dix-
l’origine de l’homme
fossile » – il faut toujours remonter plus loin huit ordres. C’est un représentant de l’ordre
dans le temps ! –, « Le chaînon manquant des primates caractérisé par le doigt I (le
enfin retrouvé » – chaînon souvent représenté pouce) opposable au reste des doigts (au
comme un intermédiaire, une ébauche pied comme à la main), la présence d’ongles
avant la perfection que nous sommes –, etc. plats (en place de griffes) et des orbites
Qui n’a jamais entendu parler de Lucy, de qui migrent vers l’avant, autorisant une
Toumaï ou encore d’Orrorin (également vision binoculaire. Ces caractères propres
nommé Millenium) ? Chaque spécimen aux primates, et appelés pour cette raison
découvert ces quarante dernières années se caractères dérivés, ne sont cependant pas
voit attribuer un « petit nom » afin de nous toujours conservés chez les formes actuelles.
le rendre plus proche puisque chacun est Par exemple, notre gros orteil a perdu son
un membre de notre grande famille. Mais opposabilité au cours de l’évolution en
qui sait que Lucy est un Australopithecus raison de la locomotion terrestre bipède qui
afarensis ou que Toumaï a été nommé nous caractérise.
Sahelanthropus tchadiensis ?
393
L’homme est un primate ne connaît le célèbre « le rire est le propre de
Dès l’Antiquité et pendant très longtemps, l’homme », de Rabelais (Gargantua, 1534)
l’étude de l’homme a appartenu au domaine reprenant Aristote (Des parties des animaux).
des grands penseurs, des philosophes et des De sommet de la création, l’homme devient
hommes de lettres, et non au domaine des sommet de l’évolution !
sciences. Les mythes de la création sont Quelles sont les caractéristiques qui font
nombreux, mais souvent, l’homme est le propre de l’homme, sa spécificité ? On peut
vu comme l’œuvre de un ou de plusieurs citer la bipédie, l’usage et la création d’outils,
dieux. Il apparaît comme le terme ultime la communication et le langage articulé, la
de la création avec l’idée dominante d’une vie sociale, avec ses comportements altruistes
échelle ascendante des êtres de plus en plus mais également guerriers, l’art et les traditions
parfaits. Il est le seul être doté de raison (le culturelles, l’apprentissage et l’enseignement,
seul capable de connaître Dieu), ce qui la sexualité non reproductrice et les tabous,
justifie de le placer au-dessus des animaux la spiritualité et la religion… Cependant, la
– quand ce n’est pas clairement à côté ! plupart de ces caractéristiques « humaines »
Avec l’émergence des sciences naturelles sont actuellement remises en cause car elles
– ou plutôt de l’histoire naturelle –, l’homme se retrouvent sous certaines formes et à des
sort du seul champ des études théologiques degrés variables chez beaucoup d’autres
et philosophiques et devient un sujet d’étude espèces animales et ne constituent donc pas
scientifique. À l’époque, la quête concerne des critères absolus. De plus, nous disposons
surtout les caractéristiques qui distinguent de peu d’éléments pour évaluer les capacités
l’homme de l’animal et on en découvre de cognitives et l’aptitude au langage d’un Homo
nombreuses (l’intelligence, les sentiments, erectus ou d’un Homo neanderthalensis.
la raison, la sociabilité…) qui s’ajoutent aux La position systématique de l’homme au
critères utilisés dans les classifications sein du règne animal a été particulièrement
(bipédie et émission de sons articulées). Qui fluctuante depuis 1758, date de la dixième
394 L'Homme
Dans La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe (trad. coordonnée par Michel
Prum à partir de la 2e éd., 3e tirage, Paris, Institut Charles Darwin international-Syllepse,
1999), Darwin écrit :
« Les singes anthropomorphes, à savoir le gorille, le chimpanzé, l’orang et l’hylobates, sont
séparés par la plupart des naturalistes des singes de l’Ancien Monde, comme un sous-groupe
distinct. […] Si les singes anthropomorphes sont admis à former un sous-groupe naturel,
alors, puisque l’homme s’accorde avec eux, non seulement dans tous les caractères qu’il
possède en commun avec tout le groupe des Catarhiniens, mais dans d’autres caractères
particuliers, tels que l’absence de queue et de callosités, et dans l’apparence générale, nous
pouvons déduire que quelque ancien membre du sous-groupe anthropomorphe donna
naissance à l’homme » (p. 243) ;
« Il est par conséquent probable que l’Afrique était antérieurement habitée par des singes
aujourd’hui éteints, étroitement voisins du gorille et du chimpanzé ; et comme ces deux
espèces sont à présent les plus proches voisines de l’homme, il est, en quelque mesure,
plus probable que nos premiers ancêtres aient vécu sur le continent africain qu’ailleurs »
(p. 245) ;
« À moins de fermer volontairement nos yeux, nous pouvons, avec nos connaissances
présentes, reconnaître approximativement notre parenté – sans qu’il soit besoin de nous
en sentir honteux » (p. 255) ;
et, surtout :
« Si l’homme n’avait pas été son propre classificateur, il n’aurait jamais songé à fonder un
ordre séparé pour sa propre réception » (p. 239).
édition du Systema naturae de Carl von station verticale, bassin large et déprimé,
Linné, qui réunissait l’homme, les singes deux mains, dents également rapprochées
et les chauves-souris (chiroptères) dans un entre elles. Cette division fut acceptée
seul ordre, celui des primates, les « hauts par Georges Cuvier et par la plupart des
dignitaires du règne animal », au sein de la zoologistes qui lui succédèrent, jusqu’aux
classe Mammalia. La classification de Linné, travaux de Thomas Huxley en 1863 puis
l’origine de l’homme
qui fut considérée comme une atteinte à la de Charles Darwin, notamment dans son
dignité humaine, était issue d’une démarche ouvrage de 1871 La Filiation de l’homme.
scientifique objective visant à classer les
organismes selon leurs points communs et Les grands singes actuels
leur degré de similitude. Même si l’homme et la classification
est éloigné des autres singes, il partage avec Les grands singes actuels
eux un grand nombre de points communs. Les grands singes (apes en anglais par
Au contraire, Johann Friedrich opposition à monkeys, « les petits singes »)
Blumenbach (De l’unité du genre humain, se caractérisent par l’absence de queue
1804) fit de l’homme un ordre à part au (dont le vestige est notre coccyx, si fragile).
sein des dix ordres naturels de mammifères Ils comportent actuellement cinq grands
reconnus à l’époque, celui des « Bimanes », groupes :
qu’il opposait aux « Quadrumanes » (les – les gibbons et les siamangs, qui vivent
singes et les prosimiens). Les « Bimanes » dans les forêts d’Asie du Sud-Est ;
étaient définis à partir de quatre caractères : – l’orang-outan d’Indonésie, qui comprend
395
deux sous-espèces (Pongo pygmaeus que les chimpanzés, bonobos et hommes
pygmaeus, à Bornéo, et Pongo pygmaeus poursuivent leur histoire commune, dont les
abelii, à Sumatra) ; gorilles sont exclus. Dans la nature actuelle,
– le gorille, uniquement africain, pour lequel le plus proche parent de l’homme est bien le
on distingue classiquement trois sous- groupe des chimpanzés et bonobos.
espèces : le gorille des plaines de l’Ouest Si ce schéma des relations de parenté est
(Gorilla gorilla gorilla), le gorille des plaines clair, le débat va tendre à s’obscurcir lorsque
de l’Est (G. g. graueri) et le gorille des nous allons nommer les différents groupes
montagnes (G. g. beringei) ; il est possible issus de ces dichotomies. Il est en effet plus
qu’il y ait en réalité deux espèces (gorilles de facile de donner un nom à un ensemble
l’Ouest africain et gorilles de l’Est africain) d’êtres vivants que d’essayer de nommer tous
avec chacune deux sous-espèces, mais ceci les êtres vivants qui constituent ce groupe ; et
est une autre histoire… ; encore faut-il que ce nom soit consensuel…
– également africain, le chimpanzé Pan
troglodytes, pour lequel on distingue La hiérarchie taxinomique
quatre sous-espèces (P. t. troglodytes, P. t. La notion de niveau hiérarchique est particu-
schweinfurthii, P. t. verus et P. t. vellerosus) ; lièrement importante dans l’histoire des
– le bonobo, Pan paniscus, en République classifications. Ces différents niveaux furent
démocratique du Congo uniquement ; codifiés par Linné pour aboutir finalement
– et enfin, l’homme, Homo sapiens sapiens, qui en zoologie à sept niveaux principaux de
a su conquérir l’ensemble de la planète… classification (règne, embranchement,
En ce qui concerne les relations de parenté classe, ordre, famille, genre, espèce). Les
entre ces espèces, l’histoire est relativement catégories sont hiérarchisées de telle sorte
simple : une première séparation, ou encore que chacune appartient à la catégorie de
dichotomie, isole les gibbons et siamangs des rang supérieur et comprend toutes les
autres grands singes, suivie d’une seconde catégories de rang inférieur. Chacun de ces
dichotomie isolant les orangs-outans. Les niveaux peut être subdivisé en utilisant des
gorilles, chimpanzés, bonobos et hommes préfixes comme -infra, -super, -sous…, mais
partagent alors une histoire commune : ils en ce qui concerne les grands singes, seuls
ont un ancêtre commun qui leur est propre. les niveaux inférieurs à la superfamille sont
La dichotomie suivante (ci-dessous) indique impliqués (ci-contre) :
396 L'Homme
Superfamille Au xxe siècle, la classification tradition-
Famille nelle isole l’homme dans une famille à part,
Sous-famille les Hominidae (les hominidés), ce choix étant
Tribu justifié par son succès adaptatif. Tous les
Sous-tribu autres grands singes (chimpanzés, bonobos,
Genre gorilles, orangs-outans) sont regroupés
Sous-genre dans la famille des Pongidae (les pongidés),
Espèce considérée comme un « grade évolutif »,
Sous-espèce un niveau de (moindre) complexité que
Pour les catégories d’ordre supérieur au l’homme a su dépasser. Des considérations
genre, on utilise des suffixes conventionnels adaptatives et des critères de complexité sont
placés à la suite du nom des taxon s , ainsi introduits et prennent le pas sur la stricte
suffixes régis par le Code international de parenté. En effet, les pongidés ne forment pas
nomenclature zoologique, notamment par un clade, ou groupe monophylétique, ces
l’article 29.2 qui peut être synthétisé de la termes désignant un groupe qui comporte un
manière suivante : ancêtre commun et tous ses descendants. Le
clade est identifié par le partage de caractères
Rang Suffixe Suffixe dérivés propres (résultant d’un événement
hiérarchique latinisé francisé
évolutif), les synapomorphies. Les pongidés,
Superfamille -oidea -oïdes
comme groupe dont l’homme serait exclu,
Famille -idae -idés
forment alors un groupe paraphylétique,
Sous-famille -inae -inés
c’est-à-dire un groupe qui ne comporte
Tribu -ini
qu’une partie seulement des descendants
Sous-tribu -ina
d’un ancêtre commun. Les principes de cette
classification, qui repose sur l’identification
Le taxon est un groupe d’organismes des groupes monophylétiques et d’eux
reconnu en tant qu’unité dans chacun des seuls, ont été définis par l’entomologiste
l’origine de l’homme
niveaux de la classification. Ainsi, Pan allemand Willi Hennig dans les années 1950.
paniscus est un taxon de rang spécifique Cette démarche de recherche des relations
(espèce) tandis que Pan est un taxon de de parenté est appelée « systématique
rang générique (genre) et que Primates est phylogénétique » ou « cladistique » (voir
un taxon de rang ordinal (ordre). « La classification du vivant », par Guillaume
Lecointre, dans Graines de sciences 4). Elle a su
La classification des grands singes s’imposer auprès de nombreux scientifiques
Les cinq groupes actuels de grands singes mais a rencontré de fortes résistances dans
« sans queue » sont tous regroupés dans la communauté des primatologues et des
la superfamille des Hominoidea (ou paléoanthropologues, réticents à considérer
hominoïdes). Les scientifiques s’accordent l’homme comme un grand singe.
dans l’ensemble pour ce niveau hiérarchique Dans les années 1960, le primatologue
mais en ce qui concerne les niveaux américain Morris Goodman a montré, à partir
inférieurs (famille, sous-famille…), la de données moléculaires (protéines du sérum
question est loin d’être résolue. sanguin), que les grands singes africains sont
397
plus étroitement apparentés à l’homme et, plus celui du gorille) ? Conséquemment,
surtout, que le chimpanzé apparaît comme le comment nommer les représentants de la
groupe frère de l’homme, c’est-à-dire que le lignée humaine depuis la séparation avec
chimpanzé est plus proche de l’homme qu’il ne les chimpanzés et les bonobos ? Hominidés ?
l’est du gorille : Homo et Pan partagent donc un Homininés ? Qui est qui ? Quels sont les
ancêtre commun qui n’est pas celui de Gorilla. taxons inclus sous chacun de ces termes ?
Pour rendre compte de ces relations, Goodman, Que choisir ? Autant de questions auxquelles
en 1963, inclut l’homme, les chimpanzés et le il est difficile de répondre. Et si l’on consulte
gorille dans la famille Hominidae, réservant des ouvrages scientifiques spécialisés ou de
le terme de Pongidae au seul orang-outan vulgarisation, les nombreux sites Internet
(genre Pongo). Voici résumées ces deux qui se sont développés ces dernières années
classifications, qui comptent trois familles au ou des pages personnelles quelconques,
sein de la superfamille (assez consensuelle) l’affaire tend à s’embrouiller un peu plus. En
des Hominoidea : réalité, il n’existe aucun critère scientifique
pour affirmer : « Ce clade
Classification traditionnelle Classification de Goodman
est une famille » ou : « Ce
Superfamille des Hominoidea Superfamille Hominoidea
Famille Hylobatidae Famille Hylobatidae clade est une tribu. » Ce
Hylobates Hylobates sont les spécialistes qui
Symphalangus Symphalangus décident de l’attribution à
Famille Pongidae Famille Pongidae
un niveau hiérarchique de
Pongo Pongo
Pan Famille Hominidae la classification, souvent
Gorilla Pan sans qu’ils parviennent
Famille Hominidae Gorilla à se mettre d’accord. Les
Homo Homo
catégories supraspécifiques
Cette classification, où l’homme n’est ne relèvent que du choix du classificateur
plus isolé dans une famille qui lui est et, dans le cas de la lignée humaine, il est
propre, a du mal à s’imposer
dans la communauté Superfamille Hominoidea
scientifique des primato- Famille Hylobatidae
logues et des anthropologues Hylobates
mais également dans les Symphalangus
programmes d’enseignement Famille Hominidae
ou dans les ouvrages et revues Sous-famille Ponginae
de vulgarisation. De plus, Pongo
si l’on considère la famille Sous-famille Homininae
Hominidae pour les trois Tribu Gorillini
genres Pan, Homo, Gorilla Gorilla
(groupe monophylétique), Tribu Homini
comment nommer le clade Sous-tribu Panina
suivant, Homo-Pan, qui Pan
partage un ancêtre commun Sous-tribu Hominina
qui lui est propre (et qui n’est Homo
398 L'Homme
clair que les arguments philosophiques, voire de ces dernières années est Lucy, découverte
ésotériques, peuvent prendre le pas sur les en 1974 et qui doit son succès à un squelette
arguments scientifiques. complet à 40 % (cinquante-deux fragments
Il y a quelques années, Morris Goodman, osseux), ce qui est extrêmement rare.
encore lui, a proposé une classification (que
beaucoup jugèrent provocatrice) où l’homme Comment établir
et les chimpanzés appartenaient au même la carte d’identité d’un fossile ?
genre Homo. L’impact de cette classification Pour un spécialiste, il est possible d’obtenir de
sur les taxons fossiles est énorme : si l’homme très nombreuses et précieuses informations
et les chimpanzés appartiennent au même à partir de l’étude très précise des restes
genre, que deviennent les nombreux genres et osseux, même lorsqu’ils sont fragmentaires.
espèces de la lignée humaine ? Mais n’ayons Les différentes caractéristiques du squelette
aucune inquiétude, cette classification ne peuvent nous renseigner sur la taille et le
sera certainement jamais suivie… poids de l’individu, sur son développement
Si l’on veut respecter une classification cérébral, sur son mode de locomotion, sur
hiérarchique binaire stricte où chaque son régime alimentaire, sur son âge au
niveau est nommé par rapport à son groupe moment de la mort, sur ses pathologies, etc.
frère, la classification des hominoïdes devrait En ce qui concerne le mode de locomo-
être celle représentée page précédente. Cette tion, il peut être directement appréhendé
classification comporte donc une sous-tribu par les éléments du squelette dit « post-
Hominina incluant tous les genres de la crânien », c’est-à-dire… ce qui n’est pas
lignée humaine… le crâne. Les proportions des membres
permettent une estimation de la taille et du
poids tandis que certaines caractéristiques
Enquête sur nos origines : morphologiques des os longs des membres
que s’est-il passé après inférieurs et supérieurs vont fournir des
la séparation d’avec informations sur le type de locomotion
les chimpanzés ?
l’origine de l’homme
pratiqué (déplacement au sol, déplacement
D’un point de vue historique, les premières dans les arbres, adaptation au saut, au
découvertes de fossiles rapportés à l’homme grimper…). Évidemment, pour les fossiles
datent de 1891, avec la découverte par de la lignée humaine, la question centrale
Eugène Dubois de l’homme de Java, nommé est celle de l’acquisition de la bipédie et il
Homo erectus. En Afrique, c’est en 1924 que faut donc savoir si un individu est bipède ou
Raymond Dart décrit un crâne, celui du quadrupède. À la base du crâne, il existe un
célèbre enfant de Taung (Afrique du Sud), orifice de grande taille, le trou occipital, ou
qu’il a découvert dans une carrière de calcaire foramen magnum, qui permet l’articulation
et qu’il nomme Australopithecus (« singe du avec la colonne vertébrale. Cet orifice se
Sud ») africanus. Quelques années plus tard, trouve en position avancée (axe du corps
en 1938, Robert Broom découvre des restes plutôt vertical) chez les bipèdes tandis qu’il
osseux de Paranthropus robustus dans la est plus reculé chez les quadrupèdes (voir
grotte de Kromdraai, également en Afrique la figure page suivante). La forme du bassin
du Sud. Un autre spécimen emblématique (court et évasé chez l’homme, long et vertical
399
Crânes d’homme (à gauche, en haut et en
bas) et de gorille (à droite, en haut et en bas)
illustrant la position du trou occipital et la forme
de l’arcade dentaire.
chez les grands singes) ou l’orientation des (trente-deux dents avec deux incisives, une
fémurs (vers l’intérieur chez l’homme) sont canine, deux prémolaires et trois molaires par
évidemment des éléments de tout premier mâchoire) mais le degré de développement de
choix pour discuter du mode de locomotion certaines dents (comme la canine) ainsi que
et de l’acquisition de la bipédie. la forme peuvent varier. Le type d’aliments
Des informations sur le régime alimen- ingérés entraîne des modifications de la
taire peuvent être apportées par l’étude des forme des dents, de l’épaisseur de l’émail
dents. Chez les grands singes, les arcades ou des stries d’usure dentaire (visibles
dentaires sont en forme de U (bords parallèles) par exemple au microscope électronique
tandis qu’elles sont de forme parabolique chez à balayage). Si l’individu consomme plus
l’homme actuel. La formule dentaire de tous fréquemment des fruits, l’émail sera fin
les grands singes et de l’homme est la même (comme chez les chimpanzés) tandis que
400 L'Homme
s’il ingère des aliments plus coriaces, l’émail découverts respectivement en 2001 et 2000,
sera plus épais (homme). L’information se sont vu attribuer le titre de « plus ancien
phylogénétique portée par ce caractère est représentant de la lignée humaine ». Qui
faible mais il nous renseigne grandement sur sont-ils ?
le type d’alimentation de l’individu considéré. Toumaï (« espoir de vie ») fut découvert
Celui-ci est évidemment à mettre en relation en 2001 dans le désert du Djourab (Tchad)
avec l’environnement et les changements par une équipe franco-tchadienne dirigée
climatiques et donc avec le type de ressources par Michel Brunet (professeur à l’université
disponibles. de Poitiers). Il daterait de – 7 Ma, époque
Les nombreux caractères décrits sont où le Sahara était une plaine verdoyante
comparés entre spécimens fossiles mais et arborée. C’est un crâne déformé, mais
également avec les espèces actuelles. Ces quasi complet, qui montre une face plutôt
comparaisons permettent de mettre en plate, peu allongée vers l’avant (dite « peu
évidence des caractères dits « primitifs », prognathe » par les spécialistes) avec un fort
souvent hérités d’un ancêtre commun bourrelet continu au-dessus des yeux appelé
éloigné, et des caractères dérivés, propres « bourrelet supra-orbitaire ». Le crâne est
à un taxon et qui sont hérités d’un ancêtre de forme allongée et le volume cérébral, ou
plus récent. Il apparaît ainsi souvent des capacité crânienne, n’est pas très important
combinaisons nouvelles de caractères. (350-380 cm3). Chez les chimpanzés, le
Une question particulièrement impor- volume crânien est de 380-400 cm3 tandis
tante dans le contexte qui nous intéresse qu’il est en moyenne de 1 400 cm3 chez
est celui de la datation des spécimens. Il est l’homme actuel (1 000-2 000 cm3). Ces valeurs
d’usage de distinguer les méthodes de datation permettent d’estimer le développement
absolue (ce spécimen est daté de – 3 millions cérébral mais non les capacités cognitives ;
d’années, ou Ma) et celles de datation relative il faudrait pour cela tenir compte du
(par rapport aux couches géologiques, les plissement de l’encéphale (sa surface totale)
« strates », où il fut découvert ou par rapport et de la quantité de neurones. La base du
l’origine de l’homme
à la faune et flore qui l’accompagnaient). crâne est longue et horizontale, avec une
La plupart des méthodes de datation crête nucale (montrant une importante
absolue utilisées en anthropologie et en musculature de la nuque) inclinée vers
préhistoire sont fondées sur la radioactivité l’arrière et un trou occipital plus avancé que
naturelle de certains éléments chimiques chez les grands singes. C’est cette dernière
et couvrent des échelles de temps variées. caractéristique qui permet d’avancer que
D’autres méthodes utilisent des données Toumaï était certainement bipède ou, tout
« biologiques » (dendrochronologie), physico- du moins, qu’il se tenait en position plutôt
chimiques (thermoluminescence) ou encore verticale. Il mesurait probablement 1,05
magnétiques (paléomagnétisme). à 1,20 m, soit une taille semblable à celle
du chimpanzé commun. La mandibule en
Les premiers représentants forme de U est assez robuste, avec des dents
de la lignée humaine (– 7 à – 6 Ma) plutôt petites. Les canines sont courtes et
Deux spécimens, Sahelanthropus tchadensis l’émail des dents est plus épais que chez les
(Toumaï) et Orrorin tugenensis (Millenium), chimpanzés, suggérant une alimentation
401
Peut-on espérer trouver l’ancêtre de l’homme ou le chaînon manquant entre le singe
et l’homme ?
La phylogénie exprime des relations de parenté entre taxons actuels et/ou éteints. Les
ancêtres ne sont pas identifiés en tant qu’individus (il y a d’ailleurs peu de chances
de découvrir l’individu qui aurait été à l’origine, au sens génétique, du phénomène de
spéciation !) mais ils peuvent être reconstruits : ce sont des « ancêtres hypothétiques ».
L’ancêtre commun à l’homme et aux chimpanzés peut être inféré mais non identifié :
ce n’est ni un homme actuel ni un chimpanzé mais une combinaison particulière de
caractères léguée à ses descendants. De la même manière, la notion d’intermédiaire ou
de « chaînon manquant », souvent véhiculée, prête à confusion et conforte l’idée d’une
linéarité de l’évolution.
Ni Toumaï ni Orrorin ne sont les ancêtres de l’homme moderne : ils sont proches de la date
de la séparation d’avec les chimpanzés (estimée à – 7 millions d’années) mais ils possèdent
déjà des distributions de caractères, une mosaïque de caractères qui leur sont propres. Ainsi,
Toumaï possède à la fois des caractères ancestraux de grands singes (arcade en U, capacité
crânienne) et des caractères plus dérivés (bipédie), mais ce n’est pas un intermédiaire
entre les chimpanzés et les australopithèques. Les australopithèques possèdent, à leur tour,
d’autres combinaisons de caractères (dont certains apparaissent ancestraux tandis que
d’autres seront qualifiés de « plus dérivés »).
plus variée que celle des grands singes. était certainement celle d’un omnivore
L’émail est moins épais cependant que chez (fruits, amandes, graines, baies, insectes et
les australopithèques dont nous reparlerons occasionnellement viande). Daté de – 6 Ma
plus loin puisqu’ils n’apparaissent que vers environ, il occupait un milieu de forêts
– 5 Ma. Cependant, les comparaisons se font entrecoupées de savanes.
souvent avec les spécimens Australopithecus
car ils furent pendant longtemps les seuls Les représentants de la lignée
représentants de l’histoire de l’homme humaine entre – 5 et – 2 Ma
(avant l’apparition du genre Homo) et qu’ils Jusque dans les années 1980, seuls quelques
sont très bien représentés, avec de nombreux fossiles jalonnaient cette période. Ils avaient
spécimens assez complets (comme Lucy). été découverts principalement en Afrique de
Orrorin (Millenium) fut découvert en l’Est et en Afrique du Sud et étaient regroupés
2000 au Kenya, dans les collines de Tungen sous l’appellation d’« australopithèques », la
(formation de Lukeino). Il a livré des restes plus célèbre étant certainement Lucy. Le
dentaires et osseux dont un fémur (avec en genre Australopithecus (apparu avant le
particulier un long col fémoral) qui montre genre Homo) comportait plusieurs espèces en
qu’il était bipède et avait une certaine facilité fonction des différences morphologiques entre
pour le grimper (caractères visibles sur les spécimens, du degré de développement de
les membres supérieurs, notamment des certains caractères et du lieu géographique de
phalanges des mains courbes). Il pouvait leur découverte. Puis, dans les années 1990,
mesurer 1,25 m pour un poids de 40 kg. les fouilles se multiplièrent et le nombre des
Si le crâne est inconnu, les molaires sont genres décrits augmenta avec le nombre de
petites avec un émail épais. Son alimentation découvertes. Voici les plus célèbres.
402 L'Homme
Ardipithecus ramidus fut découvert en daté de – 3,5 à – 3 Ma. Ses relations avec
1992 en Éthiopie dans un habitat arboré d’autres spécimens ne sont pas encore
de forêts humides et daté de – 5 à – 4,5 Ma. claires, car il possède à la fois des caractères
D’abord nommé Australopithecus ramidus, il ancestraux, primitifs, le rapprochant des
fut rebaptisé en 1995 et un nouveau genre australopithèques (volume crânien de 450-
fut créé. Les fragments osseux retrouvés 500 cm3) et un certain nombre de caractères
(base du crâne, mandibule, dents, os du plutôt « modernes » (une face très plate, peu
bras…) laissent penser qu’il était bipède et prognathe, un émail dentaire épais et de
se déplaçait avec aisance dans les arbres. Un petites dents).
autre représentant de ce genre fut identifié
en 2001, toujours en Éthiopie, Ardipithecus Les australopithèques
kadabba (fragments de mâchoires, dents, os Pendant de nombreuses années, les
des membres, phalanges…). Ces spécimens deux spécimens emblématiques du
montrent une mosaïque de caractères simiens groupe des australopithèques furent
(taille d’un peu plus de 1 m, émail mince) et deux fossiles identifiés comme féminins :
de caractères plus « humains » (position du Mrs Ples (Australopithecus africanus,
trou occipital, usure des dents). 1947, Sterkfontein, Afrique du Sud) et
Un nouveau genre, Kenyanthropus Lucy (A. afarensis, 1974, Hafar, Éthiopie).
platyops, fut proposé à partir d’un crâne Par la suite, de nombreuses découvertes
déformé découvert en 1999 sur la rive élargirent considérablement ce groupe,
occidentale du lac Turkana, au Kenya, et avec plusieurs espèces différentes comme
HADAR-LAETOLI • 1978
A. afarensis
l’origine de l’homme
ARAMIS • 1994
KORO TORO • 1995 A. ramidus
A. bahrelghazali HADAR
OMO • 1968
A. æthiopithecus MAKA, BELOHDÉLIE
ALLIA BAY
TURKANA
KOOBI FORA,ILERET
LOTHAGAM CHEMERON
BARINGO
KANAPOI • 1995 CHESOWANJA
LUKEINO PENINJ
A. anamensis
LAETOLI
OLDUVAI • 1959
A. boisei
SWARTKRANS
STERKFONTEIN
403
A. anamensis (1965 puis surtout 1994, Les paranthropes
Kenya), A. bahrelghazali (dit Abel, 1995, Les australopithèques dits « robustes » de
Tchad), A. garhi (1997, Éthiopie). nos anciennes classifications appartiennent
Parmi tous ces spécimens, A. anamensis désormais au groupe des paranthropes, les
(« du sud du lac ») semble être le plus ancien « presque hommes » : ce sont Paranthropus
australopithèque connu (plus de 4 Ma). Il boisei (ci-dessous) et P. robustus, auxquels il
présente pourtant des caractères de bipède faut ajouter P. aethiopithecus. Ils possèdent un
très dérivés qui en faisaient certainement un crâne avec un front très étroit orné d’un léger
marcheur hors pair. Quant à A. bahrelghazali bourrelet supra-orbitaire et une forte crête
(un morceau de mandibule datant de sagittale (partie saillante sur le dessus du
– 3,5 à – 3 Ma), il fut découvert au Tchad, crâne) chez les spécimens mâles. Cette crête
très loin donc de l’Est africain et de la Rift sagittale développée soutenait les muscles
Valley. A. garhi semble être l’un des derniers de la mandibule (muscles masticateurs) qui
australopithèques puisqu’il est daté d’environ étaient très puissants. Le volume cérébral
– 2,5 Ma (habitat de savane arborée) ; des varie de 400 à 600 cm3. Les mâchoires sont
ossements d’animaux avec des traces de énormes, avec des incisives et des canines
découpes furent trouvés à proximité (serait- réduites tandis que les molaires sont très
ce la première trace d’outils ?). larges avec un émail très épais qui indique un
En Éthiopie, de nombreux fossiles ont régime alimentaire constitué principalement
été exhumés, dont le squelette de Lucy de végétaux coriaces (racines). Ils étaient
(A. afarensis). Elle mesurait environ de bipèdes et certainement arboricoles à
1 à 1,20 m, possédait un volume cérébral l’occasion. Les paranthropes ont été retrouvés
d’environ 400 cm3 et vivait dans des régions en Afrique du Sud (P. robustus, – 1 à 2,2 Ma)
boisées et plutôt humides. Son bassin et en Afrique de l’Est (P. aethiopithecus, – 2,3
court et large et l’orientation oblique de ses à – 2,7 Ma, et P. boisei, – 1,2 à – 2,4 Ma) et
fémurs indiquent qu’elle marchait debout furent contemporains des premiers hommes.
mais de manière assez « chaloupée ». Les Il semble qu’ils aient utilisé des outils, voire
caractéristiques de ses membres supérieurs fabriqué un outillage rudimentaire.
montrent un fort potentiel pour le grimper.
Par ailleurs, les célèbres traces de pas
découvertes par Mary Leakey à Laetoli
(Tanzanie) en 1979 et datées de – 3,7 à
– 3,6 Ma constituent le plus ancien témoi-
gnage de bipédie. Ces empreintes de pas,
préservées dans la cendre volcanique,
appartiennent à trois individus dont l’un
marchait dans les traces d’un autre. Elles
sont généralement attribuées à l’espèce
A. afarensis et présentent des caractéristiques Moulage
particulières (absence de voûte plantaire et d’un crâne de
Paranthropus
axe du gros orteil écarté de l’axe du pied). boisei (Olduvai,
Tanzanie)
404 L'Homme
Les relations entre les différents par la suite, il n’existe aucun consensus
genres (Ardipithecus, Australopithecus, concernant la taxinomie et le nombre de
Kenyanthropus, Paranthropus) que nous spécimens attribués à Homo habilis.
venons de voir brièvement – et plus encore L’espèce Homo habilis, de la taille d’un
les relations entre les différentes espèces – ne australopithèque (1,15 à 1,30 m), fut définie
sont pas éclaircies aujourd’hui. Cette phase en 1964 par Louis Leakey à partir des restes
de l’évolution humaine comprise entre – 5 et fragmentaires (crâne, mandibule, pied et
– 2 Ma apparaît extrêmement buissonnante. mains) découverts en 1959-1961 dans la gorge
Elle conduit généralement à un schéma d’Olduvaï, au nord de la Tanzanie. Ces restes
hypothétique de relations par auteur, par étaient accompagnés d’outils primitifs en pierre
découvreur, ce qui n’est pas pour faciliter (début de l’« industrie lithique » – du grec lithos,
le discours mais rend compte des lacunes « pierre », qui désigne l’ensemble des objets
qui persistent encore. Ce qui est sûr, c’est en pierre transformés intentionnellement par
qu’aucun spécimen fossile découvert n’est un l’homme), d’où son nom d’« homme habile »,
ancêtre de l’homme au sens généalogique. même si l’on ne peut pas lui attribuer ces
outils avec certitude. Les techniques utilisées
Les représentants du genre Homo demeurent simples (détachement d’éclats par
Pendant longtemps, le schéma classique faisait chocs, c’est-à-dire par percussion directe) et
intervenir après le groupe (certainement cette industrie, qualifiée d’« oldowayenne », est
paraphylétique !) des australopithèques, constituée essentiellement de galets taillés sur
Homo habilis, inventeur de l’outil, puis Homo une ou deux faces, d’éclats aux bords vifs ou
erectus, sorti d’Afrique pour faire la conquête retouchés.
de l’Eurasie, et enfin Homo sapiens, c’est- Les caractéristiques morphologiques
à-dire nous ! Ce schéma, avec ses stades d’Homo habilis montrent un crâne arrondi
successifs, donnait le sentiment que les (de 500 à 700 cm3) avec un front étroit et un
espèces se remplaçaient les unes les autres léger bourrelet supra-orbitaire. La mâchoire
au cours du temps et suggérait l’idée d’un est forte, avec des canines assez réduites et
l’origine de l’homme
aboutissement et d’un perfectionnement. Mais, de fortes molaires. Le régime alimentaire
en raison des nombreuses découvertes de ces était de type omnivore, plutôt charognard
dernières années, il s’est considérablement (dépeçage de charognes à l’aide d’outils
compliqué. rudimentaires) que chasseur.
Quant à Homo rudolfensis, découvert en
Les deux plus anciens ? 1972 à Koobi Fora (à l’est du lac Tukana, au
Les plus anciens représentants du genre Kenya), il fut d’abord classé comme Homo
Homo sont Homo habilis (– 1,6 à – 2,4 habilis mais sa morphologie générale plus
Ma, Afrique orientale et australe) et Homo massive conduisit à créer une nouvelle
rudolfensis (– 1,7 à – 2,4 Ma, Afrique espèce. Le crâne est fuyant, sans bourrelet
orientale). Mais, depuis la première supra-orbitaire, les orbites sont hautes
découverte en 1959 des restes crâniens des et la mâchoire est plus robuste que celle
premiers représentants du genre Homo en d’H. habilis. Les rares restes post-crâniens
Afrique orientale, et malgré les nombreux semblent indiquer une bipédie peut-être
restes squelettiques et dentaires récoltés plus « évoluée » que celle d’H. habilis.
405
Pour certains scientifiques, les restes mais le terme erectus est dorénavant réservé
attribués à certains spécimens d’Homo aux spécimens exclusivement asiatiques au
habilis et à Homo rudolfensis pourraient ne vu des différences morphologiques existant
pas appartenir au genre Homo mais plutôt entre les fossiles africains et européens et les
au genre Australopithecus (ou même, pour fossiles de Java et de Chine.
certains spécimens, à des paranthropes). Avant que nous partions vers l’Asie
proprement dite, il faut signaler la découverte
Homo ergaster, Homo erectus en 1999 à Dmanisi (Géorgie, Caucase)
et les « presque modernes »… d’une trentaine de restes crâniens attribués
Il y a deux millions d’années, l’Afrique à une nouvelle espèce, Homo georgicus
connaît des modifications de son climat (à considérer donc comme le premier
(refroidissement et assèchement) qui Européen ?), datée de – 1,8 Ma (datation
conduisent à l’extension de la savane (et donc précise par une méthode isotopique des
à la raréfaction des arbres). Ces conditions cendres qui l’enveloppaient). Il montre de
particulières coïncident avec l’apparition grandes ressemblances avec H. erectus mais
d’un « nouveau venu », Homo ergaster, une taille proche de celle d’H. habilis.
qui montre une grande ressemblance Notre voyage nous conduit donc en Asie
morphologique avec l’homme moderne. (même si l’histoire se poursuit également
Il était grand (1,60-1,80 m) mais avait une en Afrique…) avec Homo erectus. Lorsque
capacité crânienne d’environ 800 cm3, ce Eugène Dubois découvre un fémur en 1891
qui est faible par rapport à sa taille. La face à Trinil, sur l’île de Java, en Indonésie,
était encore forte, prognathe, avec un front c’est une petite révolution. Seuls des restes
fuyant et un fort bourrelet supra-orbitaire de néandertaliens découverts auparavant
formant deux arches. Les arcades dentaires avait été considérés comme des fossiles
avaient une forme en parabole (plutôt humains. Le célèbre Pithecanthropus
qu’en U) proche de la nôtre. Son squelette erectus indonésien fait son apparition ! Les
montre qu’il était exclusivement bipède spécimens découverts par la suite en Chine
avec de grandes jambes et même qu’il était (« homme de Pékin ») furent décrits sous
un excellent marcheur en savane et en l’appellation de « sinanthropes », aujourd’hui
steppe. Il a fabriqué de nombreux outils, abandonnée. Il existe des différences entre
de la pierre taillée simple à des bifaces plus les crânes de Java et ceux de Chine : à Java,
perfectionnés, et construisait probablement le front est plat et fuyant alors qu’il est
des cabanes pour s’abriter. Il semble avoir bombé en Chine. Cette différence permet
consommé régulièrement de la viande (il même pour certains d’identifier deux sous-
était certainement chasseur). espèces : Homo erectus erectus à Java et
Homo ergaster a donc occupé l’Afrique Homo erectus pekinensis en Chine.
de l’Est (Kenya) entre – 2 et – 1 Ma mais Les représentants d’Homo erectus
également l’Algérie, le Proche-Orient, occupèrent l’Asie entre – 1,7 et – 0,5 Ma.
l’Europe et l’Asie. Ce fut donc le premier Ils maîtrisaient parfaitement le feu et la
Homo sorti d’Afrique ! Pendant longtemps, taille de la pierre (bifaces symétriques et
les fossiles attribués aujourd’hui à H. ergaster hachereaux), pratiquaient la chasse et la
étaient identifiés comme des Homo erectus, cueillette et utilisaient des campements.
406 L'Homme
En ce qui concerne leur morphologie, la faune de mammifères qui l’accompagnait
si le squelette post-crânien montre des (datation relative biochronologique). Depuis,
caractéristiques dérivées, le crâne est quant plusieurs autres fossiles ont été mis au jour
à lui assez « simiesque », très épais, allongé, dans plusieurs régions du monde (Grèce,
avec une « bosse » à l’arrière appelée Éthiopie, Zambie, Grande-Bretagne). Leurs
« chignon occipital », tandis que le front caractéristiques les plus notables sont les
est fuyant et qu’il existe un fort bourrelet suivantes : un volume cérébral d’environ
supra-orbitaire. Les dents sont massives 1 200 cm3 (1 000-1 300 cm3), un front fuyant,
dans une mâchoire très proéminente. Le avec un bourrelet supra-orbitaire puissant
volume cérébral est compris entre 850 et en deux parties (formant une « arche »),
1 100 cm3. un prognathisme faible, une mandibule
longue, renforcée de bourrelets, et des
molaires de taille moyenne. Les plus vieux
fossiles humains connus en France ont été
découverts à Tautavel, dans la grotte, ou
Moulage d’un crâne caune, de l’Arago. Ces fossiles sont datés
d’Homo erectus d’environ – 450 000 ans.
(le « sinanthrope »,
Pékin, Chine) Suivant les auteurs, d’autres fossiles
européens sont à incorporer dans l’espèce
Homo heidelbergensis : la calotte crânienne
de Ceprano (Italie) et les fossiles de la
Gran Dolina (Espagne). Ces fossiles sont
cependant considérés par leurs découvreurs
Dans les années 1980, un débat agita comme faisant partie de deux espèces
la communauté scientifique et aboutit distinctes : Homo cepranensis et Homo
à l’appellation Homo erectus pour les antecessor, tandis que certains scientifiques
seuls spécimens asiatiques tandis que estiment au contraire que les fossiles
l’origine de l’homme
les spécimens africains prirent le nom européens constituent simplement une
d’Homo ergaster et qu’une nouvelle espèce sous-espèce Homo erectus heidelbergensis.
fut créée pour les spécimens européens Si ces controverses peuvent sembler futiles
qui précédaient les néandertaliens : il – après tout, ce n’est qu’une question de
s’agit d’Homo heidelbergensis. Homo taxonomie (genre, espèce, sous-espèce ?)
heidelbergensis occupait les régions –, les conséquences sont importantes et
tempérées et chaudes de l’Europe et du les relations entre les différents taxons
Proche-Orient (mais également d’Afrique) ou spécimens deviennent de plus en
entre – 800 000 et – 300 000 ans. Le spécimen plus difficiles à établir. Si tous ces fossiles
type d’Homo heidelbergensis, qui servit à la sont considérés comme appartenant à
description de l’espèce, fut découvert près une même espèce, Homo erectus, Homo
d’Heidelberg, en Allemagne : il s’agit de la erectus est alors le groupe frère d’Homo
célèbre mandibule de Mauer, trouvée dans sapiens, ce qui signifierait qu’ils partagent
une sablière en 1907, décrite en 1908 et un ancêtre commun qui leur est propre.
datée de – 700 000 à – 500 000 ans à partir de Par contre, si ces fossiles appartiennent à
407
des espèces distinctes, seule l’une d’entre Homo sapiens, l’« homme qui sait »
elles (et laquelle ?) est le groupe frère Les premiers représentants d’Homo sapiens
de l’homme moderne, Homo sapiens. sont apparus en Afrique entre – 200 000 et
Pour embrouiller encore un peu plus le – 100 000 ans avec des restes fossiles datés
débat, certains scientifiques proposent de – 160 000 à – 120 000 ans en Afrique
Homo heidelbergensis, coincé dans l’ouest (– 130 000 et – 100 000 ans en Afrique du Sud)
de l’Europe par les glaciations, comme et au Proche-Orient (Israël à – 115 000 ans
l’« ancêtre » d’Homo neanderthalensis. avec Skhul et Qafzeh) lorsque ces territoires
Il faut également signaler un spécimen étaient occupés par des Homo erectus, des
(un crâne) découvert en 1921 dans une mine néandertaliens et d’autres dont nous avons
de zinc à Broken Hill, dans le nord-ouest de parlé précédemment (H. heidelbergensis, H.
la Rhodésie (l’actuel Kabwe, en Zambie) : antecessor…). Ce résultat a été conforté par
l’homme de Rhodésie. Ce crâne, qui aurait des analyses génétiques des populations
entre 100 000 et 300 000 ans, est attribué à humaines actuelles et par des travaux
une nouvelle espèce, Homo rhodesiensis, par linguistiques.
un certain nombre de scientifiques, tandis Les caractères morphologiques qui
que pour d’autres, il s’agit d’un représentant permettent de reconnaître un homme
d’Homo sapiens rhodesiensis (un « sapiens moderne sont assez nets concernant
archaïque ») ou d’Homo erectus rhodesiensis le crâne : globuleux avec un cerveau
(un « erectus évolué »). volumineux (1 000 à 2 000 cm3 ; rappelons
que notre capacité est en moyenne de 1 450
cm3), un front vertical avec un très faible
bourrelet, un nez mince, des pommettes
saillantes, une mâchoire fine avec de
Moulage d’un crâne petites dents et la présence d’un menton. Le
d’Homo rhodesiensis
(l’homme de Broken squelette post-crânien est quant à lui plus
Hill, Kwabe, Zambie). difficile à caractériser.
Une découverte récente (1997) fait état
du « plus ancien homme moderne », Homo
sapiens idaltu, découvert dans l’est de
l’Éthiopie, près du village d’Herto : il s’agit de
trois crânes (deux adultes et un enfant) très
L’origine de l’homme moderne est un bien conservés, aux caractéristiques quasi
phénomène tout aussi complexe à saisir que modernes et datés de – 160 000 ans (datation
l’apparition du genre Homo. Il est très difficile isotopique) : front proéminent, visage aplati,
de définir une limite entre les derniers nez long et étroit, arcade sourcilière réduite.
hommes de type erectus et les premiers Ces restes ont été retrouvés entourés d’outils
sapiens et donc d’identifier le « plus ancien » (lames et pierres tranchantes) parmi des
homme moderne car les caractéristiques os d’antilopes et d’hippopotames. Ces
morphologiques et culturelles apparaissent découvertes ont conforté les défenseurs
organisées en mosaïque. de la théorie Out of Africa, pour lesquels
notre espèce est apparue en Afrique et non
408 L'Homme
indépendamment dans plusieurs régions le sujet quasi complet de La Chapelle-aux-
du globe, comme le soutient l’hypothèse Saints, décrit en 1911 par Marcellin Boule, qui
multirégionale. Cependant, certains est à l’origine de la paléontologie humaine
scientifiques contestent à Homo sapiens moderne. Les restes de néandertaliens sont
idaltu le statut de sous-espèce d’Homo nombreux en France (outre La Chapelle-
sapiens, surtout depuis que l’homme de aux-Saints, Le Moustier, La Ferrasie, La
Neandertal lui-même a été placé dans une Quina, Saint-Cézaire, La Chaise…).
espèce à part… L’homme de Neandertal a longtemps
À partir de ce moment, Homo sapiens pâti d’un jugement négatif par rapport à
part à la conquête du monde : le Proche- Homo sapiens. Considéré comme un être
Orient (– 100 000 ans), puis l’Asie (la Chine simiesque, fruste et attardé, il est en réalité
vers – 70 000 ans), l’Australie (– 50 000 plus robuste qu’Homo sapiens, avec un
ans), l’Europe (– 40 000 ans), occupée par cerveau légèrement plus volumineux en
l’homme de Neandertal, et l’Amérique via moyenne (1 500 à 1 750 cm3). Son crâne
le détroit de Béring il y a quinze mille ans est plutôt allongé, avec un front fuyant,
environ. C’est aux alentours de – 40 000 un bourrelet marqué au-dessus des yeux,
ans que l’outillage se perfectionne (outils un « chignon » à l’arrière du crâne, une
en os, pointes de silex, aiguilles, racloirs, face plate sans pommettes. L’étude de sa
harpons…) et que les diverses techniques dentition et de ses mâchoires montre un
culturelles se mettent en place (couture, régime alimentaire à base de viande. Les
peinture, sculpture…). membres sont courts et robustes.
Quant à l’homme de Neandertal, Il est à l’origine d’une riche culture
Homo neanderthalensis, considéré par matérielle, le moustérien, ainsi que des
certains comme un descendant d’Homo premières préoccupations esthétiques et
heidelbergensis, il est présent en Europe et spirituelles, notamment des sépultures. De
en Asie occidentale de – 300 000/– 250 000 nombreux points restent encore à élucider
ans à – 30 000 ans dans des régions à son propos, comme celui des causes de
l’origine de l’homme
tempérées et froides. Les premiers restes son extinction.
ont été découverts en 1856 dans la vallée de Contemporain d’Homo sapiens,
Neander, en Allemagne, mais c’est surtout Neandertal n’est ni son ancêtre ni son des-
cendant ; ce sont deux espèces distinctes
(ou deux sous-espèces, selon
certains scientifiques). En effet,
depuis la découverte de 1856, la
place des néandertaliens au sein
de l’évolution humaine reste une
énigme : constituent-ils une sous-
espèce d’Homo sapiens (Homo
409
sapiens neanderthalensis) ou une espèce à résultats : les hommes de Neandertal n’ont
part (Homo neanderthalensis) ? Autrement pas contribué au patrimoine génétique des
dit, quelle est la place de l’homme de hommes modernes et représentent une
Neandertal au sein de la lignée menant espèce à part. Cependant, comparée à celle
à l’homme moderne ? Les Européens qui existe entre les quatre sous-espèces de
modernes sont-ils leurs descendants chimpanzés communs (Pan troglodytes) et
directs ? Ont-ils contribué au patrimoine entre le chimpanzé commun et le bonobo
génétique des hommes modernes ? Leurs (Pan paniscus), la variabilité génétique
gènes survivent-ils en nous ? Autant de mise en évidence entre l’homme actuel
questions qui semblaient devoir trouver et Neandertal est comparable à celle qui
une réponse avec la publication d’une existe entre les sous-espèces de chimpanzés
séquence d’ADN de néandertalien en communs. Ce résultat irait donc plutôt dans
1997 : pour la première fois, une équipe le sens d’un statut de sous-espèce Homo
germano-américaine réussit à extraire, sapiens neanderthalensis pour l’homme
amplifier et séquencer un fragment d’ADN de Neandertal. Le 12 février 2009, Svante
mitochondrial long de 379 nucléotides à Pääbo (Institut Max Planck, Leipzig,
partir de l’humérus droit du spécimen type Allemagne) a annoncé, lors du congrès
de 1856, vieux d’au moins 30 000 ans. La de l’AAAS (Association américaine pour
portion de séquence obtenue a été comparée l’avancement des sciences), le séquençage
à celle d’hommes actuels des cinq continents de 63 % du génome nucléaire d’un spécimen
et de chimpanzés communs. Les auteurs néandertalien ! La comparaison de ce
concluent que les néandertaliens se sont génome avec celui de l’homme et celui du
éteints sans contribution au patrimoine chimpanzé nous permettra peut-être
génétique des hommes modernes, renforçant d’identifier les gènes qui font que l’homme
l’idée d’une espèce à part et l’hypothèse est homme...
que l’ancêtre commun se situerait à au
moins – 500 000 ans. À partir de 1997, une
véritable frénésie s’empare alors de la Bibliographie
communauté scientifique de cette discipline Aux origines de l’humanité. Tome 1 : De
encore jeune qu’est la paléogénétique l’apparition de la vie à l’homme moderne,
et cela même si les chances de réussite tome 2 : Le propre de l’homme, Yves coppens
restent encore relativement faibles et les et Pascal picq, Fayard, 2001.
difficultés pour authentifier une séquence La longue marche d’Homo sapiens, la
« humaine » ancienne toujours aussi fabuleuse histoire du bipède, Gilles macagno,
importantes. Dans les années qui suivirent, Ellipses, 2005
de nouvelles séquences furent publiées Qu’est-ce que l’humain ?, Michel serres,
à partir de spécimens néandertaliens Pascal picq et Jean-Didier vincent, Le
d’âges variés (29 000 à 100 000 ans) et de Pommier, « Le collège de la cité », 2003.
provenances diverses (Allemagne, Russie, Qu’est-il arrivé à l’homme de Neandertal ?,
Croatie, Belgique, Espagne, Italie, France). Bruno maureille, « Les Petites Pommes du
Toutes ces analyses confortent les premiers savoir n°108 », Le Pommier, 2008.
410 L'Homme
Cette ressource est issue de l’ouvrage 29 notions clés pour savourer et faire savourer la
science, paru aux Éditions Le Pommier.
Site : www.fondation-lamap.org