Donum Veritatis

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CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI

INSTRUCTION
DONUM VERITATIS
SUR LA VOCATION ECCLÉSIALE DU THÉOLOGIEN

INTRODUCTION

1. La vérité qui libère est un don de Jésus-Christ (cf. Jn 8, 32). La recherche de la vérité est appelée par
la nature de l'homme, tandis que l'ignorance le maintient dans la servitude. L'homme en effet ne peut
être vraiment libre que s'il est éclairé sur les questions centrales de son existence, notamment sur celle
de savoir d'où il vient et où il va. Il devient libre lorsque Dieu se donne à lui comme un Ami, selon la
parole du Seigneur: « Je ne vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ignore ce que fait son maître.
Je vous appelle amis, car tout ce que j'ai appris de mon Père, je vous l'ai fait connaître » (Jn 15, 15). La
délivrance de l'aliénation du péché et de la mort advient à l'homme lorsque le Christ, qui est la Vérité,
devient pour lui le « chemin » (cf. Jn 14, 6).

Dans la foi chrétienne, connaissance et vie, vérité et existence, sont intrinsèquement liées.
Assurément, la vérité donnée dans la révélation de Dieu dépasse la propre capacité de connaissance
de l'homme, mais elle ne s'oppose pas à la raison de l'homme; elle la pénètre plutôt, l'élève et fait
appel à la responsabilité de chacun (cf. 1 P 3, 15). Ainsi, dès le commencement de l'Église, la « règle de
doctrine » (Rm 6, 17) a-t-elle été liée, avec le baptême, à l'entrée dans le mystère du Christ. Le service
de la doctrine, comportant la recherche croyante de l'intelligence de la foi qu'est la théologie, est donc
une exigence à laquelle l'Église ne peut renoncer.

À toute époque, la théologie est importante pour que l'Église puisse répondre au dessein de Dieu qui
veut « que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité » (1 Tm 2, 4).
Mais en des temps de bouleversements spirituels et culturels, elle est encore plus importante, même
si elle est exposée à des risques, car elle doit s'efforcer de « demeurer » dans la vérité (cf. Jn 8, 31) tout
en tenant compte des nouvelles questions posées par l'esprit humain. C'est ainsi qu'en notre siècle, en
particulier lors de la préparation du Concile Vatican II et de sa mise en œuvre, la théologie a beaucoup
contribué à une plus profonde « compréhension des réalités et des paroles transmises »1, mais a aussi
connu et connaît encore des moments de crise et de tension.

C'est pourquoi la Congrégation pour la Doctrine de la Foi estime opportun d'adresser aux évêques de
l'Église catholique, et par leur intermédiaire aux théologiens, la présente Instruction qui se propose
d'éclairer la mission de la théologie dans l'Église. Après avoir considéré la vérité comme don de Dieu à
son peuple (I), elle décrira la fonction des théologiens (II), puis s'arrêtera au mandat particulier des
Pasteurs (III), pour proposer enfin des indications sur le juste rapport des uns avec les autres (IV). Elle
entend ainsi servir le progrès dans la connaissance de la vérité (cf. Col 1, 10), qui nous introduit dans
la liberté en vue de laquelle le Christ est mort et ressuscité (cf. Ga 5, 1).

1
Const. dogm. Dei Verbum, n. 8.

1
La vocation ecclésiale du théologien

I. LA VÉRITÉ DON DE DIEU À SON PEUPLE

2. Mû par un amour sans mesure, Dieu a voulu s'approcher de l'homme en quête de sa propre identité
et faire route avec lui (cf. Le 24, 15). Il l'a aussi libéré des ruses du « père du mensonge » (cf. Jn 8, 44)
et lui a donné accès à son intimité pour qu'il y trouve, comme par surcroît, sa vérité définitive, et sa
liberté véritable. Ce dessein d'amour conçu par le « Père des lumières » (Jc 1, 17; cf. 1 P 2, 9; 1 Jn 1, 5),
réalisé par le Fils affranchi de la mort (cf. Jn 8, 36) est perpétué par l'Esprit qui conduit « vers la vérité
tout entière » (Jn 16, 13).

3. La vérité possède en soi une force unifiante: elle délivre les hommes de l'isolement et des
oppositions dans lesquelles les enferme l'ignorance de la vérité et, tandis qu'elle ouvre le chemin vers
Dieu, elle les unit les uns aux autres. Le Christ a détruit le mur de séparation qui les avait rendus
étrangers à la promesse de Dieu et à la communion de l'Alliance (cf. Ep 2, 12-14). Il envoie dans le cœur
des croyants son Esprit, par lequel tous en Lui, nous ne sommes plus qu'« un seul » (cf. Rm 5, 5; Ga 3,
28). Ainsi devenons-nous, grâce à la nouvelle naissance et à l'onction du Saint-Esprit (cf. Jn 3, 5; 1 Jn 2,
20. 27), le Peuple de Dieu unique et nouveau qui, par les diverses vocations et charismes, a la mission
de conserver et de transmettre le don de la vérité. En effet, l'Église tout entière doit, comme « sel de
la terre » et « lumière du monde » (cf. Mt 5, 13s), rendre témoignage à la vérité du Christ qui libère.

4. À cet appel, le Peuple de Dieu répond « avant tout par une vie de foi et de charité et en offrant à
Dieu un sacrifice de louange ». En ce qui a trait plus spécifiquement à la « vie de foi », le Concile Vatican
II précise que « l'ensemble des fidèles qui ont reçu l'onction du Saint (cf. 1 Jn 2, 20. 27) ne peut pas
errer dans la foi », et qu’« il manifeste cette prérogative au moyen du sens surnaturel de la foi commun
à tout le peuple, lorsque, “depuis les évêques jusqu'au dernier des fidèles laïcs”, il fait entendre son
accord universel dans les domaines de la foi et de la morale »2.

5. Afin d'exercer sa fonction prophétique dans le monde, le Peuple de Dieu doit constamment réveiller
ou « raviver » en lui sa vie de foi (cf. 2 Tm 1, 6), en particulier par une réflexion toujours plus
approfondie, guidée par l'Esprit Saint, sur le contenu de la foi elle-même, et par un effort pour la
justifier aux yeux de ceux qui lui en demandent raison (cf. 1 P 3, 15). Pour cette mission, l'Esprit de
vérité dispense, parmi les croyants de tout ordre, des grâces spéciales données « en vue du bien
commun » ( 1 Co 12, 7-11).

II. LA VOCATION DU THÉOLOGIEN

6. Parmi les vocations ainsi suscitées par l'Esprit dans l'Église se distingue celle du théologien qui, d'une
manière particulière, a pour fonction d'acquérir, en communion avec le Magistère, une intelligence
toujours plus profonde de la Parole de Dieu contenue dans l'Écriture inspirée et transmise par la
Tradition vivante de l'Église.

De par sa nature, la foi tend à l'intelligence, car elle ouvre à l'homme la vérité concernant sa destinée
et la voie pour l'atteindre. Même si la vérité révélée surpasse notre discours, et si nos concepts sont
imparfaits face à sa grandeur à la fin du compte insondable (cf. Ep 3, 19), elle invite pourtant notre
raison - don de Dieu pour percevoir la Vérité - à entrer en sa lumière et à devenir ainsi capable de

2
Const. dogm. Lumen gentium, n. 12.

2
La vocation ecclésiale du théologien

comprendre dans une certaine mesure ce qu'elle croit. La science théologique, qui recherche
l'intelligence de la foi en réponse à la voix de la Vérité qui appelle, aide le Peuple de Dieu, selon le
commandement apostolique (cf. 1 P 3, 15), à rendre compte de son espérance à ceux qui le
demandent.

7. Le travail du théologien répond ainsi au dynamisme présent dans la foi elle-même: de par sa nature,
la vérité veut se communiquer, car l'homme a été créé pour percevoir la Vérité, et désire au plus
profond de lui-même la connaître pour se trouver en elle et y trouver son salut (cf. 1 Tm 2, 4). C'est
pourquoi le Seigneur a envoyé ses Apôtres pour qu'ils fassent de toutes les nations des « disciples » et
les enseignent (cf. Mt 28, 19 s.). La théologie, qui recherche la « raison de la foi » et offre cette raison
comme une réponse à ceux qui cherchent, fait intégralement partie de l'obéissance à ce
commandement, car les hommes ne peuvent devenir disciples si la Vérité contenue dans la parole de
foi ne leur est pas présentée (cf. Rm 10, 14 s.).

La théologie offre donc sa contribution pour que la foi devienne communicable, pour que l'intelligence
de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ puisse rechercher et trouver la foi. Obéissant ainsi à
l'impulsion de la Vérité qui tend à se communiquer, la théologie naît aussi de l'amour et de son
dynamisme: dans l'acte de foi, l'homme connaît la bonté de Dieu et commence à l'aimer, mais l'amour
désire connaître toujours mieux celui qu'il aime3. De cette double origine de la théologie, qui s'inscrit
dans la vie interne du Peuple de Dieu et dans sa vocation missionnaire, découle la manière dont elle
doit être élaborée pour satisfaire aux exigences de sa propre nature.

8. Puisque l'objet de la théologie est la Vérité, le Dieu vivant et son dessein de salut révélé en Jésus-
Christ, le théologien est appelé à intensifier sa vie de foi et à unir toujours recherche scientifique et
prière4. Il sera ainsi plus ouvert au « sens surnaturel de la foi » dont il dépend et qui lui apparaîtra
comme une règle sûre pour guider sa réflexion et mesurer la justesse de ses conclusions.

9. Au cours des siècles, la théologie s'est progressivement constituée en un véritable savoir


scientifique. Il est donc nécessaire que le théologien soit attentif aux exigences épistémologiques de
sa discipline, aux exigences de rigueur critique, c'est-à-dire au contrôle rationnel de chaque étape de
sa démarche. Mais l'exigence critique ne doit pas être identifiée avec l'esprit critique, qui naît plutôt
de motifs affectifs ou de préjugés. Le théologien doit discerner en lui-même l'origine et les motivations
de son attitude critique et laisser purifier son regard par la foi. L'exercice de la théologie requiert un
effort spirituel de rectitude et de sanctification.

10. Bien qu'elle transcende la raison humaine, la vérité révélée est en profonde harmonie avec elle.
Cela suppose que la raison soit par sa nature ordonnée à la Vérité de sorte que, illuminée par la foi,
elle puisse pénétrer la signification de la Révélation. En dépit des affirmations de plusieurs courants
philosophiques, mais conformément à une saine philosophie confirmée par l'Écriture, il faut
reconnaître la capacité que possède la raison humaine d'atteindre la vérité, ainsi que sa capacité
métaphysique de connaître Dieu à partir du créé5.

3
Cf. Saint Bonaventure, Prooem. in I Sent., q. 2, ad 6: « Quando fides non assentit propter rationem, sed
propter amorem eius cui assentit, desiderat habere rationes ».
4
Cf. Jean-Paul II, Discours à l’occasion de la remise du prix international Paul VI à Hans Urs von Balthasar, 23
juin 1984: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VII, 1 (1984) 1911-1917.
5
Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. De fide catholica, De revelatione, can. 1: DS 3026.

3
La vocation ecclésiale du théologien

C'est pourquoi la tâche, propre à la théologie, de comprendre le sens de la Révélation exige l'utilisation
d'acquisitions philosophiques qui fournissent « une connaissance solide et correcte de l'homme, du
monde et de Dieu »6, dont les affirmations puissent être assumées dans la réflexion sur la doctrine
révélée. Les sciences historiques sont également nécessaires aux études du théologien, en premier lieu
à cause du caractère historique de la Révélation, qui nous a été livrée dans une « histoire du salut ».
On doit enfin avoir aussi recours aux « sciences humaines », pour mieux saisir la vérité révélée sur
l'homme et sur les normes morales de son agir, en mettant en rapport avec elle les résultats valables
de ces sciences.

Dans cette perspective, il est de la tâche du théologien d'emprunter à la culture qui est la sienne des
éléments lui permettant de mettre mieux en lumière tel ou tel aspect des mystères de la foi. Une telle
tâche est certes ardue et comporte des risques, mais elle est en soi légitime et doit être encouragée.

Il importe à ce propos de souligner que l'utilisation par la théologie d'éléments et instruments


conceptuels provenant de la philosophie ou d'autres disciplines exige un discernement qui trouve son
principe normatif ultime dans la doctrine révélée. C'est elle qui doit fournir les critères pour le
discernement de ces éléments et instruments conceptuels, et non l'inverse.

11. N'oubliant jamais qu'il est lui aussi membre du Peuple de Dieu, le théologien doit le respecter et
s'attacher à lui dispenser un enseignement qui n'altère en rien la doctrine de la foi.

La liberté propre à la recherche théologique s'exerce à l'intérieur de la foi de l'Église. C'est pourquoi
l'audace qui s'impose souvent à la conscience du théologien ne peut porter de fruits et « édifier » que
si elle s'accompagne de la patience du mûrissement. Les propositions nouvelles avancées par
l'intelligence de la foi « ne sont qu'une offre faite à toute l'Église. Il faut beaucoup de corrections et
d'élargissements dans un dialogue fraternel jusqu'à ce que toute l'Église puisse les accepter ». En
conséquence, « le service très désintéressé à la communauté des croyants » qu'est la théologie «
comporte essentiellement un débat objectif, un dialogue fraternel, une ouverture et une disponibilité
à modifier ses propres opinions »7.

12. La liberté de recherche, à laquelle la communauté des scientifiques tient justement comme à l'un
de ses biens les plus précieux, signifie la disponibilité à accueillir la vérité telle qu'elle se présente au
terme d'une recherche dans laquelle n'est intervenu aucun élément étranger aux exigences d'une
méthode correspondant à l'objet étudié.

En théologie, cette liberté de recherche s'inscrit à l'intérieur d'un savoir rationnel dont l'objet est
donné par la Révélation, transmise et interprétée dans l'Église sous l'autorité du Magistère, et reçu par
la foi. Omettre ces données, qui ont valeur de principe, serait comme cesser de faire de la théologie.
Afin de bien préciser les modalités de ce rapport avec le Magistère, il convient de réfléchir maintenant
sur le rôle de celui-ci dans l'Église.

III. LE MAGISTÈRE DES PASTEURS

6
Décret Optatam totius, n. 15.
7
Jean-Paul II, Discours aux théologiens à Altöting, 18 novembre 1980: AAS 73 (1981) 104; cf. aussi Paul VI,
Allocution aux membres de la Commission théologique internationale, 11 octobre 1972: AAS 64 (1972) 682-
683; Jean-Paul II, Allocution aux membres de la Commission théologique internationale, 26 octobre 1979: AAS
71 (1979) 1428-1433.

4
La vocation ecclésiale du théologien

13. « Avec une grande bienveillance, Dieu a pris des dispositions pour que la Révélation donnée pour
le salut de toutes les nations demeurât toujours en son intégrité et fût transmise à toutes les
générations »8. Il a conféré à son Église par le don de l'Esprit Saint une participation à sa propre
infaillibilité9. Par le « sens surnaturel de la foi », le Peuple de Dieu jouit de cette prérogative, sous la
conduite du Magistère vivant de l'Église qui, en vertu de l'autorité exercée au nom du Christ, est le seul
interprète authentique de la Parole de Dieu, écrite ou transmise10.

14. Comme successeurs des apôtres, les Pasteurs de l'Église « reçoivent du Seigneur [...] la mission
d'enseigner toutes les nations et de prêcher l'Évangile à toute créature, afin que les hommes [...]
obtiennent le salut »11. La tâche leur est donc confiée de conserver, d'exposer et d'annoncer la Parole
de Dieu, dont ils sont les serviteurs12.

La mission du Magistère est d'affirmer, d'une manière cohérente avec la nature « eschatologique »
propre à l'événement de Jésus-Christ, le caractère définitif de l'Alliance instaurée par Dieu dans le
Christ avec son Peuple; il doit le protéger des déviations et des défaillances, et lui garantir la possibilité
objective de professer sans erreurs la foi authentique, en tout temps et dans les diverses situations. Il
en découle que la signification du Magistère et sa valeur ne sont compréhensibles que par rapport à la
vérité de la doctrine chrétienne et à la prédication de la Parole véritable. La fonction du Magistère
n'est donc pas quelque chose d'extrinsèque à la vérité chrétienne ni de superposé à la foi; elle émerge
directement de l'économie de la foi elle-même parce que le Magistère est, au service de la Parole de
Dieu, une institution voulue positivement par le Christ comme élément constitutif de l'Église. Le service
rendu à la vérité chrétienne par le Magistère s'exerce donc en faveur de tout le Peuple de Dieu, appelé
à être introduit dans la liberté de la vérité que Dieu a révélée dans le Christ.

15 Afin qu'ils puissent accomplir pleinement la tâche qui leur est confiée d'enseigner l'Évangile et
d'interpréter authentiquement la Révélation, Jésus-Christ a promis aux Pasteurs de l'Église l'assistance
de l'Esprit Saint. Il les a en particulier dotés du charisme d'infaillibilité en matière de foi et de mœurs.
L'exercice de ce charisme peut revêtir plusieurs modalités. Il s'exerce en particulier quand les évêques
en union avec leur chef visible, par un acte collégial, comme dans le cas de conciles œcuméniques,
proclament une doctrine, ou quand le Pontife romain, exerçant sa mission de Pasteur et de Docteur
suprême de tous les chrétiens, proclame une doctrine « ex cathedra »13.

16 Le devoir de conserver saintement et d'exposer fidèlement le dépôt de la divine Révélation


implique, de par sa nature, que le Magistère puisse proposer « d'une manière définitive »14 des
énoncés qui, même s'ils ne sont pas contenus dans les vérités de foi, leur sont cependant intimement

8
Const. dogm. Dei Verbum, n. 7.
9
Cf. Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, n. 2: AAS 65 (1973) 398 s.
10
Const. dogm. Dei Verbum, n. 10
11
Const. dogm. Lumen gentium, n. 24.
12
Cf. Const. dogm. Dei Verbum, n. 10.
13
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 25; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae, n.
3: AAS 65 (1973) 400 s
14
Cf. Professio Fidei et Iusiurandum fidelitatis: AAS 81 (1989) 104s: «omnia et singula quae circa doctrinam de
fide vel moribus ab eadem definitive proponuntur».

5
La vocation ecclésiale du théologien

connexes, de sorte que le caractère définitif de telles affirmations dérive, en dernier ressort, de la
Révélation elle-même15.

Ce qui concerne la morale peut être l'objet du magistère authentique, car l'Évangile, qui est Parole de
vie, inspire et dirige tout le domaine de l'agir humain. Le Magistère a donc la tâche de discerner, par
des jugements normatifs pour la conscience des fidèles, les actes qui sont en eux-mêmes conformes
aux exigences de la foi et en promeuvent l'expression dans la vie, et ceux qui au contraire, de par leur
malice intrinsèque, sont incompatibles avec ces exigences. En raison du lien qui existe entre l'ordre de
la création et l'ordre de la rédemption, et en raison de la nécessité de connaître et observer toute la
loi morale en vue du salut, la compétence du Magistère s'étend aussi à ce qui regarde la loi naturelle16.

D'ailleurs, la Révélation elle-même contient des enseignements moraux qui de soi pourraient être
connus par la raison naturelle, mais auxquels la condition pécheresse de l'homme rend l'accès difficile.
C'est une doctrine de foi que ces règles morales peuvent être infailliblement enseignées par le
Magistère17.

17. L'assistance divine est encore donnée aux successeurs des apôtres, enseignant en communion avec
le successeur de Pierre, et, d'une manière particulière, au Pontife romain, Pasteur de toute l'Église,
lorsque, sans arriver à une définition infaillible et sans se prononcer d'une « manière définitive », ils
proposent dans l'exercice du magistère ordinaire un enseignement qui conduit à une meilleure
intelligence de la Révélation en matière de foi et de mœurs, et des directives morales découlant de cet
enseignement.

On doit donc tenir compte du caractère propre de chacune des interventions du Magistère et de la
mesure dans laquelle son autorité est engagée, mais aussi du fait qu'elles découlent toutes de la même
source, c'est-à-dire du Christ qui veut que son peuple marche dans la vérité tout entière. Pour la même
raison, les décisions magistérielles en matière de discipline, même si elles ne sont pas garanties par le
charisme de l'infaillibilité, ne sont pas dépourvues de l'assistance divine, et requièrent l'adhésion des
fidèles.

18. Le Pontife romain s'acquitte de sa mission universelle à l'aide des organismes de la Curie romaine
et en particulier, pour ce qui regarde la doctrine sur la foi et sur la morale, de la Congrégation pour la
Doctrine de la Foi. Il découle de là que les documents de cette Congrégation approuvés expressément
par le Pape participent au magistère ordinaire du successeur de Pierre18.

19. Dans les Églises particulières, il revient à l'évêque de garder et d'interpréter la Parole de Dieu et de
juger avec autorité de ce qui lui est conforme ou non. L'enseignement de chaque évêque, pris
singulièrement, s'exerce en communion avec celui du Pontife romain, Pasteur de l'Église universelle,
et avec les autres évêques dispersés à travers le monde ou réunis en Concile œcuménique. Cette
communion est condition de son authenticité.

15
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 25; Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Décl. Mysterium Ecclesiae,
nn. 3-5: AAS 65 (1973) 400-404; Professio fidei et Iusiurandum fidelitatis: AAS 81 (1989) 104 s.
16
Cf. Paul VI, Encycl. Humanae vitae, n. 4: AAS 60 (1968) 483.
17
Cf. Conc. Vatican I, Const. dogm. Dei Filius, chap. 2: DS 3005.
18
Cf. C.I.C., can. 360-361; Paul VI, Const. apost. Regimini Ecclesiae universae, 15 août 1967, nn. 29-40: AAS 59
(1967) 897-899; Jean-Paul II, Const. apost. Pastor bonus, 28 juin 1988, art. 48-55: AAS 80 (1988) 873-874.

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La vocation ecclésiale du théologien

Membre du collège épiscopal par son ordination sacramentelle et par la communion hiérarchique,
l'évêque représente son Église, comme tous les évêques en union avec le Pape représentent l'Église
universelle dans le lien de la paix, de l'amour, de l'unité et de la vérité. Convergeant dans l'unité avec
leur propre patrimoine, les Églises locales manifestent la catholicité de l'Église. Pour leur part, les
Conférences épiscopales contribuent à la réalisation concrète du sentiment (« affectus ») collégial19.

20 Ordonnée à veiller à ce que le Peuple de Dieu demeure dans la vérité qui libère, la charge pastorale
du Magistère est donc une réalité complexe et diversifiée. Dans son engagement au service de la vérité,
le théologien aura, pour rester fidèle à sa fonction, à tenir compte de la mission propre au Magistère
et à collaborer avec lui. Comment faut-il concevoir cette collaboration? Comment se réalise-t-elle
concrètement et quels obstacles peut-elle rencontrer? C'est ce qu'il faut maintenant examiner de plus
près.

IV. MAGISTÈRE ET THÉOLOGIE

A. Les rapports de collaboration

21. Tout en ayant des charismes et des fonctions différentes, le Magistère vivant de l'Église et la
théologie ont en définitive un même but: garder le Peuple de Dieu dans la vérité qui libère et en faire
ainsi la « lumière des nations ». Ce service de la communauté ecclésiale met en relations réciproques
le théologien et le Magistère. Ce dernier enseigne authentiquement la doctrine des apôtres et, tirant
profit du travail théologique, réfute les objections et les déformations de la foi, proposant en outre,
avec l'autorité reçue de Jésus-Christ, des approfondissements, des explicitations et des applications
nouvelles de la doctrine révélée. La théologie au contraire acquiert, par la réflexion, une intelligence
toujours plus profonde de la Parole de Dieu contenue dans l'Écriture et fidèlement transmise par la
Tradition vivante de l'Église sous la conduite du Magistère; elle cherche à éclairer l'enseignement de
la Révélation face aux instances de la raison, et lui donne enfin une forme organique et systématique20.

22. La collaboration entre le théologien et le Magistère se réalise d'une manière spéciale quand le
théologien reçoit la mission canonique ou le mandat d'enseigner. Elle devient alors, dans un certain
sens, une participation à l'œuvre du Magistère auquel la rattache un lien juridique. Les règles de
déontologie qui découlent par elles-mêmes et avec évidence du service de la Parole de Dieu se
trouvent renforcées par l'engagement que le théologien a pris en acceptant sa tâche ainsi qu'en
émettant la profession de foi et le serment de fidélité21.

À partir de ce moment, il est investi officiellement de la charge de présenter et d'illustrer dans toute
son exactitude et son intégralité la doctrine de la foi.

23. Lorsque le Magistère de l'Église se prononce infailliblement pour déclarer solennellement qu'une
doctrine est contenue dans la Révélation, l'adhésion requise est celle de la foi théologale. Une telle

19
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, nn. 22-23. Comme on le sait, à la suite de la seconde Assemblée générale
extraordinaire du Synode des Évêques, le Saint-Père a confié à la Congrégation pour les Évêques la tâche
d'approfondir le « Statut théologico-juridique des Conférences épiscopales ».
20
Cf. Paul VI, Discours aux participants au Congrès international sur la théologie du Concile Vatican II, 1 octobre
1966: AAS 58 (1966) 892 s.
21
Cf. C.I.C. can. 833; Professio fidei et Iusiurandum fidelitatis: AAS 81 (1989) 104 s.

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La vocation ecclésiale du théologien

adhésion s'étend à l'enseignement du Magistère ordinaire et universel quand il propose à croire une
doctrine de foi comme divinement révélée.

Lorsque celui-ci propose « d'une manière définitive » des vérités concernant la foi et les mœurs qui,
même si elles ne sont pas divinement révélées, sont toutefois étroitement et intimement connexes
avec la Révélation, celles-ci doivent être fermement acceptées et tenues22.

Lorsque le Magistère, même sans l'intention de poser un acte « définitif », enseigne une doctrine pour
aider à l'intelligence plus profonde de la Révélation ou de ce qui en explicite le contenu, ou encore
pour rappeler la conformité d'une doctrine avec les vérités de foi, ou enfin pour mettre en garde contre
des conceptions incompatibles avec ces mêmes vérités, un assentiment religieux de la volonté et de
l'intelligence est requis23. Celui-ci ne peut pas être purement extérieur et disciplinaire, mais doit se
situer dans la logique et sous la mouvance de l'obéissance de la foi.

24. Enfin le Magistère, dans le but de servir le mieux possible le Peuple de Dieu, et en particulier pour
le mettre en garde contre des opinions dangereuses pouvant conduire à l’erreur, peut intervenir sur
des questions débattues dans lesquelles sont impliqués, à côté de principes fermes, des éléments
conjecturaux et contingents. Et ce n'est souvent qu'avec le recul du temps qu'il devient possible de
faire le partage entre le nécessaire et le contingent.

La volonté d'acquiescement loyal à cet enseignement du Magistère en matière de soi non-irréformable


doit être la règle. Il peut cependant arriver que le théologien se pose des questions portant, selon les
cas, sur l'opportunité, sur la forme ou même le contenu d'une intervention. Cela le conduira avant tout
à vérifier soigneusement quelle est l'autorité de cette intervention, telle qu'elle résulte de la nature
des documents, de l'insistance à proposer une doctrine et de la manière même de s'exprimer24.

Dans ce domaine des interventions d'ordre prudentiel, il est arrivé que des documents magistériels ne
soient pas exempts de déficiences. Les Pasteurs n'ont pas toujours perçu aussitôt tous les aspects ou
toute la complexité d'une question. Mais il serait contraire à la vérité de conclure, à partir de certains
cas déterminés, que le Magistère de l'Église puisse se tromper habituellement dans ses jugements
prudentiels, ou qu'il ne jouisse pas de l'assistance divine dans l'exercice intégral de sa mission. En effet,
le théologien, qui ne peut bien exercer sa discipline sans une certaine compétence historique, est
conscient de la décantation qui s'opère avec le temps. Ceci ne doit pas être entendu dans le sens d'une
relativisation des énoncés de la foi. Il sait que certains jugements du Magistère ont pu être justifiés à
l'époque où ils furent prononcés, parce que les affirmations visées mêlaient inextricablement des
assertions vraies et d'autres qui n'étaient pas sûres. Seul le temps a permis d'opérer le discernement
et, à la suite d'études approfondies, d'aboutir à un vrai progrès doctrinal.

25. Même lorsque la collaboration se déroule dans les meilleures conditions, il n'est pas exclu que
naissent des tensions entre le théologien et le Magistère. La signification qu'on leur confère et l'esprit
avec lequel on les affronte ne sont pas choses indifférentes: si elles ne procèdent pas d'un sentiment

22
Le texte de la nouvelle Profession de foi (cf. n. 15) précise l'adhésion à ces enseignements en ces termes: «
Firmiter etiam amplector et retineo »
23
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 25 ; C.I.C. can. 752.
24
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 25 § 1.

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La vocation ecclésiale du théologien

d'hostilité et d'opposition, elles peuvent représenter un facteur de dynamisme et un stimulant qui


incite le Magistère et les théologiens à remplir leurs fonctions respectives en pratiquant le dialogue.

26. Une double règle s'impose dans le dialogue: là où la communion de foi est en cause, vaut le principe
de l'« unitas veritatis »; là où demeurent des divergences qui ne mettent pas en cause cette
communion, on sauvegardera l'« unitas caritatis ».

27. Même si la doctrine de foi ne lui apparaît pas être en cause, le théologien ne présentera pas ses
opinions ou ses hypothèses divergentes comme s'il s'agissait de conclusions indiscutables. Cette
discrétion est commandée par le respect de la vérité ainsi que par le respect du Peuple de Dieu (cf. Rm
14, 1-15; 1 Co 8; 10, 23-33). Pour les mêmes raisons, il renoncera à leur expression publique
intempestive.

28. Ce qui précède trouve une application particulière dans le cas du théologien qui aurait de sérieuses
difficultés à accueillir, pour des raisons qui lui paraissent fondées, un enseignement magistériel non-
irréformable.

Un tel désaccord ne pourrait être justifié s'il se fondait seulement sur le fait que la validité de
l'enseignement donné n'est pas évidente, ou sur la persuasion que la position contraire est plus
probable. De même, le jugement de la conscience subjective du théologien ne saurait suffire, car celle-
ci ne constitue pas une instance autonome et exclusive pour juger de la vérité d'une doctrine.

29. Jamais en tout cas ne pourra manquer une attitude fondamentale de disponibilité à accueillir
loyalement l'enseignement du Magistère, comme il convient à tout croyant au nom de l'obéissance de
la foi. C'est pourquoi le théologien s'efforcera de comprendre cet enseignement dans son contenu,
dans ses raisons et dans ses motifs. À cela il consacrera une réflexion approfondie et patiente, prompt
à revoir ses propres opinions et à examiner les objections qui lui seraient faites par ses pairs.

30. Si, en dépit d'efforts loyaux, les difficultés persistent, c'est un devoir pour le théologien de faire
connaître aux autorités magistérielles les problèmes que soulève un enseignement en lui-même, dans
les justifications qui en sont proposées ou encore dans la manière selon laquelle il est présenté. Il le
fera dans un esprit évangélique, avec le désir profond de résoudre les difficultés. Ses objections
pourront alors contribuer à un réel progrès, en stimulant le Magistère à proposer l'enseignement de
l'Église d'une manière plus approfondie et mieux argumentée.

Dans ces cas, le théologien évitera de recourir aux mass-media plutôt que de s'adresser à l'autorité
responsable, car ce n'est pas en exerçant ainsi une pression sur l'opinion publique que l'on peut
contribuer à la clarification des problèmes doctrinaux et servir la vérité.

31. Il peut aussi arriver qu'au terme d'un examen de l'enseignement du Magistère, sérieux et mené
dans une volonté d'écoute sans réticences, la difficulté demeure, car les arguments en sens opposé
semblent au théologien l'emporter. Devant une affirmation à laquelle il ne pense pas pouvoir donner
son adhésion intellectuelle, son devoir est de rester disponible pour un examen plus approfondi de la
question.

Pour un esprit loyal et animé par l'amour de l'Église, une telle situation peut assurément représenter
une épreuve difficile. Ce peut être un appel à souffrir dans le silence et la prière, avec la certitude que
si la vérité est vraiment en cause, elle finira nécessairement par s'imposer.

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La vocation ecclésiale du théologien

B. Le problème du dissentiment

32. À plusieurs reprises, le Magistère a attiré l'attention sur les graves inconvénients causés à la
communion de l'Église par les attitudes d'opposition systématique, qui en viennent même à se
constituer en groupes organisés25. Dans l'Exhortation apostolique Paterna cum benevolentia, Paul VI a
proposé un diagnostic qui conserve toute sa pertinence. On veut ici parler en particulier de cette
attitude publique d'opposition au magistère de l'Église, appelé encore « dissentiment », et qu'il
convient de bien distinguer de la situation de difficulté personnelle dont on a parlé plus haut. Le
phénomène du dissentiment peut avoir diverses formes, et ses causes lointaines ou proches sont
multiples.

Parmi les facteurs qui peuvent exercer leur influence d'une façon lointaine ou indirecte, il convient de
rappeler l'idéologie du libéralisme philosophique qui imprègne aussi la mentalité de notre époque. De
là provient la tendance à considérer qu'un jugement a d'autant plus de valeur qu'il procède de
l'individu s'appuyant sur ses propres forces. Ainsi on oppose la liberté de pensée à l'autorité de la
tradition, considérée comme source de servitude. Une doctrine transmise et reçue est d'emblée
frappée de suspicion et sa valeur de vérité contestée. À la limite, la liberté de jugement ainsi entendue
importe plus que la vérité elle-même. Il s'agit donc de tout autre chose que de l'exigence légitime de
la liberté, au sens d'absence de contrainte, comme condition requise pour la recherche loyale de la
vérité, exigence en vertu de laquelle l'Église a toujours tenu que « personne ne doit être contraint à
embrasser la foi malgré lui »26.

Le poids d'une opinion publique intentionnellement dirigée et de ses conformismes exerce aussi son
influence. Souvent les modèles sociaux répandus par les mass-media tendent à devenir une valeur
normative, et l'opinion se répand en particulier que l'Église ne devrait se prononcer que sur des
problèmes que l'opinion publique tient pour importants et dans le sens qui plaît à celle-ci. Par exemple,
le Magistère pourrait intervenir dans les questions économiques et sociales, mais devrait laisser au
jugement individuel celles qui regardent la morale conjugale et familiale.

Enfin la pluralité des cultures et des langues, qui est en soi une richesse, peut indirectement conduire
à des malentendus ouvrant la voie à des désaccords.

Dans ce contexte, un discernement critique et avisé et une réelle maîtrise des problèmes sont requis
du théologien, s'il veut remplir sa mission ecclésiale et ne pas perdre, en se modelant sur le monde
présent (cf. Rm 12, 2; Ep 4, 23), l'indépendance de jugement qui doit être celle des disciples du Christ.

33. Le dissentiment peut revêtir divers aspects. Sous sa forme la plus radicale, il vise à changer l'Église
suivant un modèle de contestation inspiré par ce qui se fait dans la société politique. Plus
fréquemment, on estime que le théologien ne serait tenu d'adhérer qu'à l'enseignement infaillible du
Magistère, tandis que, dans la perspective d'une sorte de positivisme théologique, les doctrines
proposées sans qu'intervienne le charisme d'infaillibilité n'auraient nullement un caractère obligatoire,
de sorte que l'esprit serait libre d'y adhérer ou non. Ainsi le théologien aurait toute liberté pour mettre
en doute ou refuser l'enseignement non-infaillible du Magistère, notamment en matière de normes

25
Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum benevolentia, 8 décembre 1974; AAS 67 (1975) 5-23. Voir aussi
Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Déclar. Mysterium Ecclesiae : AAS 65 (1973) 396-408
26
Déclar. Dignitatis humanae, n. 10.

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La vocation ecclésiale du théologien

morales particulières, et par cette opposition critique, il pourrait même contribuer au progrès de la
doctrine.

34. La justification du dissentiment s'appuie généralement sur différents arguments, dont deux ont un
caractère plus fondamental. Le premier est d'ordre herméneutique: les documents du Magistère ne
seraient rien d'autre que le reflet d'une théologie discutable. Le second invoque le pluralisme
théologique, poussé parfois jusqu'à un relativisme qui met en cause l'intégrité de la foi: les
interventions magistérielles émaneraient d'une théologie parmi d'autres, alors qu'aucune théologie
particulière ne peut prétendre s'imposer universellement. En opposition au magistère authentique et
en concurrence avec lui prend ainsi naissance une sorte de « magistère parallèle » des théologiens27.

C'est assurément une des tâches du théologien que d'interpréter correctement les textes du
Magistère, et il dispose pour cela de règles herméneutiques, où figure le principe selon lequel, grâce à
l'assistance divine, l'enseignement du Magistère vaut par-delà l'argumentation, parfois empruntée à
une théologie particulière, qu'il utilise. Quant au pluralisme théologique, il n'est légitime que dans la
mesure où est sauvegardée l'unité de la foi dans sa signification objective28. Des liens essentiels relient
en effet entre eux les niveaux distincts que sont l'unité de la foi, l'unité-pluralité des expressions de la
foi, et la pluralité des théologies. La raison d'être de la pluralité est l'insondable mystère du Christ qui
transcende toute systématisation objective. Cela ne peut signifier que soient acceptables des
conclusions qui lui sont contraires, et cela ne met nullement en cause la vérité d'assertions par
lesquelles le Magistère s'est prononcé29. Quant au « magistère parallèle », il peut causer de grands
maux spirituels en s’opposant à celui des Pasteurs. Lorsqu'en effet le dissentiment réussit à étendre
son influence jusqu'à inspirer une opinion commune, il tend à devenir règle d'action, ce qui ne peut
que troubler gravement le Peuple de Dieu et conduire au mépris de l'autorité véritable30.

35. Le dissentiment fait parfois appel aussi à une argumentation sociologique, selon laquelle l'opinion
d'un grand nombre de chrétiens serait une expression directe et adéquate du « sens surnaturel de la
foi ».

En réalité, les opinions des fidèles ne peuvent pas être purement et simplement identifiées au « sensus
fidei »31. Celui-ci est une propriété de la foi théologale qui, parce qu'elle est un don de Dieu faisant
adhérer personnellement à la Vérité, ne peut se tromper. Cette foi personnelle est aussi foi de l'Église,
puisque Dieu a confié à l'Église la garde de la Parole et qu'en conséquence, ce que le fidèle croit, c'est

27
L'idée d'un « magistère parallèle » des théologiens en opposition et en concurrence avec le magistère des
Pasteurs se prévaut parfois de certains textes où saint Thomas d'Aquin distingue entre « magisterium
cathedrae pastoralis » et « magisterium cathedrae magisterialis » (Contra impugnantes, c. 2; Quodlib. III, q. 4,
a. 1 (9); In IV Sent. 19, 2, 2, q. 3 sol. 2 ad 4). En réalité, ces textes n'offrent aucun fondement à cette position,
parce que saint Thomas est absolument certain que le droit de juger en matière de doctrine revient seulement
à l'« officium praelationis ».
28
Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum benevolentia, n. 4: AAS 67 (1975) 14-15
29
Cf. Paul VI, Allocution aux membres de la Commission théologique internationale, 11 octobre 1973: AAS 65
(1973) 555-559
30
Cf. Jean-Paul II, Encycl. Redemptor hominis, n. 19: AAS 71 (1979) 308; Allocution aux fidèles à Managua, 4
mars 1983, n. 7: AAS 75 (1983) 723; Allocution aux religieux à Guatemala, 8 mars 1983, n. 3: AAS 75 (1983) 746;
Allocution aux évêques à Lima, 2 février 1985, n. 5: AAS 77 (1985) 874; Allocution à la Conférence des évêques
belges à Malines, 18 mai 1985, n. 5: Insegnamenti di Giovanni Paolo II, VIII, 1 (1985) 1481; Allocution à des
évêques américains en visite ad limina, 15 octobre 1988, n. 6: L’Osservatore Romano, 16 octobre 1988, p. 4.
31
Cf. Jean-Paul II, Exhort. Apost. Familiaris consortio, n. 5: AAS 74 (1982) 85-86

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La vocation ecclésiale du théologien

ce que croit l'Église. C'est pourquoi le « sensus fidei » implique, de par sa nature, l'accord profond de
l'esprit et du cœur avec l'Église, le « sentire cum Ecclesia ».

Si donc la foi théologale en tant que telle ne peut se tromper, le croyant peut par contre avoir des
opinions erronées, car toutes ses pensées ne procèdent pas de la foi32. Les idées qui circulent dans le
Peuple de Dieu ne sont pas toutes en cohérence avec la foi, d'autant qu'elles peuvent facilement subir
l'influence d'une opinion publique véhiculée par des moyens modernes de communication. Ce n'est
pas sans raison que le Concile Vatican II souligne le rapport indissoluble entre « sensus fidei » et
conduite du Peuple de Dieu par le magistère des Pasteurs: les deux réalités ne peuvent être séparées
l'une de l'autre33. Les interventions du Magistère servent à garantir l'unité de l'Église dans la vérité du
Seigneur. Elles aident à « demeurer dans la vérité » face au caractère arbitraire des opinions
changeantes, et sont l'expression de l'obéissance à la Parole de Dieu34. Même lorsqu'il peut sembler
qu'elles entravent la liberté des théologiens, elles instaurent, par la fidélité à la foi transmise, une
liberté plus profonde qui ne peut venir que de l'unité dans la vérité.

36. La liberté de l'acte de foi ne saurait justifier le droit au dissentiment. En effet, elle ne signifie
nullement la liberté à l'égard de la vérité, mais la libre détermination de la personne conformément à
son obligation morale d'accueillir la vérité. L'acte de foi est un acte volontaire, puisque l'homme,
racheté par le Christ Rédempteur et appelé par lui à l'adoption filiale (cf. Rm 8, 15; Ga 4, 5; Ep 1, 5 ; Jn
1, 12), ne peut adhérer à Dieu que si, « attiré par le Père » (Jn 6, 44), il lui fait l'hommage raisonnable
de sa foi (cf. Rm 12, 1). Comme l'a rappelé la Déclaration Dignitatis humanae35, aucune autorité
humaine n'a le droit d'intervenir, par contrainte ou pression, dans ce choix qui dépasse les limites de
ses compétences. Le respect du droit à la liberté religieuse est le fondement du respect de l'ensemble
des droits de l'homme.

On ne peut pourtant faire appel à ces droits de l'homme pour s'opposer aux interventions du
Magistère. Un tel comportement méconnaît la nature et la mission de l'Église, qui a reçu de son
Seigneur le mandat d'annoncer à tous les hommes la vérité du salut, et le réalise en marchant sur les
traces du Christ, sachant que « la vérité ne s'impose que par la force de la vérité elle-même, qui pénètre
l'esprit avec autant de douceur que de puissance »36.

37. En vertu du mandat divin qui lui a été donné dans l'Église, le Magistère a pour mission de proposer
l'enseignement de l'Évangile, de veiller à son intégrité et par là de protéger la foi du Peuple de Dieu.
Ce faisant, il peut être parfois amené à prendre des mesures onéreuses, comme par exemple lorsqu'il
retire à un théologien qui s'écarte de la doctrine de la foi la mission canonique ou le mandat
d'enseigner qu'il lui avait confié, ou encore déclare des écrits non-conformes à cette doctrine. En
agissant ainsi, il entend être fidèle à sa mission, car il défend les droits du Peuple de Dieu à recevoir le
message de l'Église dans sa pureté et son intégralité, et donc à n'être pas troublé par une opinion
particulière dangereuse.

32
Cf. la formule du Concile de Trente, sess. VI, chap. 9: fides «cui non potest subesse falsum »: DS 1534; cf.
Saint Thomas d'Aquin, Summa theologiae, II-II, q. 1, a. 3, ad 3: « Possibile est enim hominem fidelem ex
coniectura humana falsum aliquid aestimare. Sed quod ex fide falsum aestimet, hoc est impossibile ».
33
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 12.
34
Cf. Const. dogm. Dei Verbum, n. 10.
35
Cf. Déclar. Dignitatis humanae, nn. 9-10.
36
Ibid., n. 1.

12
La vocation ecclésiale du théologien

Le jugement porté en de telles circonstances par le Magistère, au terme d'un examen approfondi fixé
par des procédures déterminées et après que l'intéressé ait pu dissiper les possibles malentendus sur
sa pensée, ne porte pas sur la personne du théologien, mais sur ses positions intellectuelles
publiquement exposées. Que ces procédures puissent être perfectionnées ne signifie pas qu'elles
soient contraires à la justice et au droit. Parler en l'occurrence d'atteinte aux droits de l'homme est
hors de propos, car on méconnaît alors l'exacte hiérarchie de ces droits tout autant que la nature de
la communauté ecclésiale et de son bien commun. Du reste, le théologien qui n'est pas en accord avec
le « sentire cum Ecclesia » se met en contradiction avec l'engagement qu'il a pris librement et
consciemment d'enseigner au nom de l'Église37.

38. Enfin le recours au devoir de suivre la conscience ne peut légitimer le dissentiment. Tout d'abord
parce que ce devoir s'exerce lorsque la conscience éclaire le jugement pratique en vue d'une décision
à prendre, alors qu'il s'agit ici de la vérité d'un énoncé doctrinal. Ensuite parce que si le théologien doit,
comme chaque croyant, suivre sa conscience, il est aussi tenu de la former. La conscience n'est pas
une faculté indépendante et infaillible, elle est un acte de jugement moral porté sur un choix
responsable. La conscience droite est une conscience dûment éclairée par la foi et la loi morale
objective, et suppose aussi la rectitude de la volonté dans la poursuite du vrai bien.

C'est pourquoi la conscience droite du théologien catholique suppose la foi dans la Parole de Dieu dont
il doit pénétrer les richesses, mais aussi l'amour de l'Église dont il tient sa mission et le respect du
Magistère divinement assisté. Opposer au magistère de l'Église un magistère suprême de la
conscience, c'est admettre le principe du libre examen, incompatible avec l'économie de la Révélation
et de sa transmission dans l'Église, comme avec une conception correcte de la théologie et de la
fonction du théologien. Car les énoncés de la foi ne résultent pas d'une recherche purement
individuelle et d'une libre critique de la Parole de Dieu, mais constituent un héritage ecclésial. Si on se
sépare des Pasteurs qui veillent à maintenir vivante la tradition apostolique, c'est le lien avec le Christ
qui se trouve irréparablement compromis38.

39. Tirant son origine de l'unité du Père, du Fils et de l'Esprit Saint39, l'Église est un mystère de
communion organisée, selon la volonté de son Fondateur, autour d'une hiérarchie établie pour le
service de l'Evangile et du Peuple de Dieu qui en vit. À l'image des membres de la première
communauté, tous les baptisés, avec les charismes qui leur sont propres, doivent tendre d'un cœur
sincère vers l'unité harmonieuse de doctrine, de vie et de culte (cf. Ac 2, 42). C'est là une règle qui
découle de l'être même de l'Église. C'est pourquoi on ne saurait appliquer à celle-ci purement et
simplement des critères de conduite qui ont leur raison d'être dans la société civile ou dans les règles
de fonctionnement d'une démocratie. Encore moins peut-on, dans les rapports à l'intérieur de l'Église,
s'inspirer de la mentalité du monde ambiant (cf. Rm 12, 2). Demander à l'opinion majoritaire ce qu'il
convient de penser et de faire, recourir contre le Magistère à des pressions exercées par l'opinion
publique, se prévaloir d'un « consensus » des théologiens, prétendre que le théologien est le porte-
parole prophétique d'une « base » ou communauté autonome qui serait ainsi l'unique source de la
vérité, tout cela dénote une grave perte du sens de la vérité et du sens de l'Église.

37
Cf. Jean-Paul II, Const. apost. Sapientia christiana, 15 avril 1979, n. 27, 1: AAS 71 (1979) 483; C.I.C. can. 812
38
Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum benevolentia, n. 4: AAS 67 (1975) 15
39
Cf. Const. dogm. Lumen gentium, n. 4.

13
La vocation ecclésiale du théologien

40. L'Église est « comme le sacrement ou le signe et l'instrument de l'intime union avec Dieu et de
l'unité de tout le genre humain »40. En conséquence, rechercher la concorde et la communion, c'est
augmenter la force de son témoignage et sa crédibilité; céder au contraire à la tentation du
dissentiment, c'est laisser se développer des « ferments d'infidélité à l'Esprit Saint »41.

Si la théologie et le magistère sont de nature différente et ont des missions diverses qui ne peuvent
être confondues, il s'agit pourtant de deux fonctions vitales dans l'Église, qui doivent se compénétrer
et s'enrichir mutuellement pour le service du Peuple de Dieu.

En vertu d'une autorité qu'ils tiennent du Christ lui-même, il revient aux Pasteurs de veiller à cette
unité et d'empêcher que les tensions liées à la vie ne dégénèrent en divisions. Transcendant les
positions particulières ou les oppositions, leur autorité doit les unifier toutes dans l'intégrité de
l'Évangile, qui est « la parole de la réconciliation » (cf. 2 Co 5, 18-20).

Quant aux théologiens, en vertu de leur charisme propre, il leur revient de participer eux aussi à
l'édification du Corps du Christ dans l'unité et la vérité, et leur contribution est plus que jamais requise
par une évangélisation à l'échelle du monde, qui appelle les efforts du Peuple de Dieu tout entier42. S'il
leur arrive de se heurter à des difficultés en raison du caractère de leur recherche, ils doivent en
chercher la solution grâce au dialogue confiant avec les Pasteurs, dans l'esprit de vérité et de charité
qui est celui de la communion de l'Église.

41. Tous se souviendront que le Christ est la Parole définitive du Père (cf. He 1, 2) en qui, comme le
note saint Jean de la Croix, « Dieu nous a tout dit ensemble et en une seule fois »43, et que, comme tel,
il est la Vérité qui libère (cf. Jn 8, 36; 14, 6). Les actes d'adhésion et d'assentiment à la Parole confiée à
l'Église sous la garde du Magistère remontent en définitive vers Lui et introduisent dans l'espace de la
vraie liberté.

CONCLUSION

42. Mère et parfaite Icône de l'Église, la Vierge Marie a été dès le seuil du Nouveau Testament
proclamée bienheureuse, à cause de son adhésion de foi immédiate et sans défaillance à la Parole de
Dieu (cf. Lc 1, 38.45), qu'elle conservait et méditait continuellement dans son cœur (cf. Lc 2, 19.51).
Aussi est-elle devenue pour tout le Peuple de Dieu confié à sa sollicitude maternelle un modèle et un
soutien. Elle lui indique la voie de l'accueil et du service de la Parole, en même temps que le but ultime
à ne jamais perdre de vue: l'annonce à tous les hommes et la réalisation du salut apporté au monde
par son Fils Jésus-Christ.

En concluant cette Instruction, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi invite instamment les
Évêques à maintenir et développer des liens confiants avec les théologiens, dans le partage d'un esprit
d'accueil et de service de la Parole, et dans une communion de charité où seront plus facilement
surmontés certains obstacles inhérents à la condition humaine ici-bas. Ainsi tous seront toujours
davantage serviteurs de la Parole et serviteurs du Peuple de Dieu, pour que celui-ci, demeurant dans

40
Cf. ibid., n. 1.
41
Cf. Paul VI, Exhort. apost. Paterna cum benevolentia, n. 2-3: AAS 67 (1975) 10-11
42
Cf. Jean-Paul II, Exhort. apost. post-synodale Christifideles laici, n. 32-35: AAS 81 (1989) 451-459
43
Saint Jean de la Croix, La montée au Carmel, II, 22, 3.

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La vocation ecclésiale du théologien

la doctrine de vérité et de liberté entendue dès le début, demeure aussi dans le Fils et dans le Père, et
obtienne la vie éternelle, réalisation de la Promesse (cf. 1 Jn 2, 24-25).

Au cours d'une audience accordée au Préfet soussigné, Sa Sainteté le Pape Jean-Paul II a approuvé la
présente Instruction élaborée en réunion plénière de la Congrégation, et en a ordonné la publication.

À Rome, au siège de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, le 24 mai 1990, en la solennité de


l'Ascension du Seigneur.

Joseph Card. Ratzinger


Préfet

+ Alberto Bovone
Secrétaire

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