LEsprit-Saint
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LEsprit-Saint
Au début du troisième millénaire, nous sommes tous en une attente où se mêlent tant d'espoirs et
tant de craintes. Comment notre société, notre Eglise et chacun d'entre nous pourront-ils faire face
aux défis que posent les nouvelles situations ?
Des hommes et femmes, et en particulier des jeunes, sont en effet portés par un grand désir
d'intériorité et de communion fraternelle, pour conjurer la froide et parfois aveugle rationalité de la
recherche scientifique, de l'informatique, de l'économie, de la technique et de l'administration
modernes, non sans risque de tomber sur une expérience plus ou moins enivrante de l'indicible.
Quelle spiritualité pourra nous éclairer en toute vérité et nous animer en toute sérénité et générosité
?
Tous ceux qui, par leur responsabilité, sont soucieux de l'avenir de la société, ne ménagent pas leurs
efforts. Les conflits, les exclusions et les échecs aiguisent chez beaucoup de citoyens la grande soif de
liberté et de solidarité. On perfectionne sans cesse l'organisation temporelle pour mieux répondre à
la complexité des besoins, mais nous ressentons mieux qu'hier que ce progrès doit s'accompagner
d'un égal essor spirituel (cf. Gaudium et spes, ndeg. 4, 4). La technique de l'économie et de
l'organisation ne peut assurer le développement intégral des personnes en société que si elle va de
pair avec une vision partagée du sens de l'existence humaine et avec un engagement collectif pour
une société digne de l'humanité. Une société ne peut en effet se créer ou se rénover sans viser un
idéal commun. Mais où trouvons-nous ensemble la lumière et la force d'âme pour percevoir et
réaliser cet idéal ?
Les pasteurs et ceux qui collaborent avec eux se préoccupent de l'avenir de leur communauté: il faut,
disent-ils, un projet nouveau, un souffle nouveau pour l'Eglise de demain. Comment élaborer ce
projet en toute fidélité et toute lucidité et aviver ce souffle, sinon selon la logique de la foi, avec
l'ardeur de la charité et avec la persévérance de l'espérance ? C'est-à-dire: en ravivant en chacun,
selon la tâche que le Seigneur lui a confiée, les dons les meilleurs auxquels nous fait communier
l'Esprit de Dieu. Une autre attente de l'Eglise se situe dans la réalisation plénière de l'unité des
chrétiens "afin que le monde puisse croire en Jésus, Christ et Sauveur".
Tels sont les signes de notre temps : signes d'espoir au-delà des craintes, appels à un renouveau
spirituel, désir de l'unité des chrétiens.
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Nous sommes donc opportunément invités à mieux reconnaître l'Esprit-Saint agissant dans le monde,
au sein du Peuple de Dieu et en chaque personne, et à nous insérer ainsi davantage dans le projet de
Dieu pour toute l'humanité.
L'Esprit nous est donné. Personne ne le voit, mais il nous faut le reconnaître là où il se donne, là où il
est à l'œuvre : en Jésus-Christ, dans son Peuple en marche, dans le monde. C'est dans la foi en Jésus-
Christ, Rocher spirituel auquel s'abreuve le Peuple de Dieu qui pérégrine vers la plénitude du
Royaume (cf. 1 Co 10,4) que nous pouvons percevoir sa présence. Le Christ continue à agir par
l'Esprit qu'il nous a envoyé.
La relation inspirée des paroles et des actions de Jésus-Christ dans les quatre Evangiles nous fait
percevoir la manifestation de l'Esprit d'abord dans la personne et la vie de Jésus-Christ, le Fils de Dieu
(Mc 1,9-12; Mt 3,16; Lc 4,18-20; Jn 1,32; Ac 10,38; cf. Is 11,2; 61,1). La sagesse de son enseignement
et l'efficience de ses actions, notamment de l'envoi des Douze en mission, ont leur source dans
l'Esprit. Selon la prédication apostolique, c'est l'Esprit-Saint qui a ressuscité Jésus-Christ en
l'établissant dans la puissance divine pour rénover l'humanité; et c'est par l'Esprit-Saint que nous
sommes en Jésus-Christ une créature nouvelle (Ro 1,3; 8,9-11; 2 Co 5,16-21; Col 3,10). Jésus a parlé
de l'Esprit, en a annoncé le don à ceux qui croiraient en lui et, après Pâques, l'a effectivement
transmis aux apôtres et à toute la première communauté (Mt 10,20; Ac 1,5-8; 2,33; Lc 24,49; Jn
14,17; 20,19-23).
Saint Luc et saint Matthieu découvrent l'action créatrice de l'Esprit-Saint dans la naissance virginale
de Jésus. Fils d'Adam, il est déjà Fils de Dieu par l'Esprit jusqu'en la chair qu'il a assumée pour nous
(Lc 1,26-37; Mt 1,18-24). Marie accueille par la foi l'Esprit qui accomplit la sanctification de
l'humanité. Par la puissance de l'Esprit, elle engendre le Sauveur et l'humanité nouvelle (Irénée de
Lyon, IV, 33, 4.11).
Est-ce l'Esprit-Saint que Jésus nous transmet en mourant ? N'est-ce pas plutôt son âme qu'il remet à
son Père (Jn 19,30; Lc 23,46; cf. Ps 31,6)? Cependant, l'agapè de Dieu qui emplit l'humanité du Christ
mourant dans le don de sa vie (Jn 13,1; 15,13) rejaillit sur ceux qui communient avec lui par le
baptême et l'eucharistie (Jn 19,34-38; 1 Jn 5,5-20).
L'histoire de l'Eglise, dont nous vivons aujourd'hui une étape décisive pour son avenir, trouve son
essor dans la manifestation de l'Esprit au sein des premières communautés chrétiennes.
Par le tableau de l'Eglise à la Pentecôte, saint Luc évoque que la plénitude de l'Esprit, promis par les
prophètes au Peuple de Dieu et par Jésus à ses disciples, a fait surgir l'Israël nouveau, ouvert à ceux
qui sont proches et à ceux qui sont éloignés, jusqu'aux confins de la terre (Ac 1,8-14). L'enseignement
apostolique témoigne de la riche diversité et de l'efficience de l'Esprit agissant dans la communauté
de la nouvelle Alliance et demeurant dans le cœur des chrétiens. Ceux-ci voient, dans cette
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manifestation de la nouveauté, la réalisation des promesses que Dieu a faites par les prophètes (Jl
1,12.14= Ac 2,20; Ez 36,26-38: cf. Rm 5,5; 2 Co 1, 22; Is 11,2: cf. 1 P 4,14).
L'étude et la méditation de ces documents originels sont donc indispensables pour discerner
aujourd'hui la présence et le mode d'action de l'Esprit. Les images scripturaires gardent leur actualité
car elles évoquent les aspects pluriels de l'œuvre de l'Esprit, qui ne peut être exprimée par une seule
d'entre elles : l'eau, le feu et le souffle, la nuée mystérieuse, la colombe, le doigt de Dieu, le temple,
la demeure, l'onction, le consolateur ou l'avocat, les arrhes de la promesse.
Considérons maintenant comment l'Esprit qui demeure en plénitude sur Jésus, demeure sans cesse
dans le cœur des croyants et agit de manière toujours nouvelle dans l'Eglise.
Croire à l'Esprit-Saint, c'est se laisser guider par lui pour répondre, avec lucidité et confiance, à la
vocation que le Père nous adresse pour réussir notre vie. Jésus nous a promis l'Esprit et l'Apôtre
témoigne: "l'Esprit habite en nous" (Rm 8,9-11). Au baptême, nous avons reçu l'huile sainte, symbole
de l'Esprit, et lorsque nous avons été signés et oints lors de la confirmation, l'évêque nous a dit: "Sois
marqué de l'Esprit-Saint, le don de Dieu". A nous de reconnaître jour après jour ce Don de Dieu, cette
vie que Dieu fait jaillir en nous pour la vie éternelle (Jn 4,14; 7,38-39). Dieu "nous donne la vie et la
mène à sa perfection par la puissance de l'Esprit" (Prière eucharistique III). Le don de Dieu, en un mot
la grâce, précède nos efforts et nous accompagne jusqu'à notre épanouissement. N'avons-nous pas à
le redécouvrir? La sainteté chrétienne n'est pas due à la brillance d'un génie ni à la performance d'un
héros, mais à l'accueil de la lumière et à la force de l'Esprit, que Dieu nous donne. Il nous faut
reconnaître tout ce que nous devons à l'Esprit, comme de petits enfants qui mettent leur confiance
dans leurs parents (cf. Mt 18,1-4).
Ainsi l'Ecriture et la Tradition désignent-elles par les termes sainteté, saint, la plénitude et
l'excellence inégalables de Dieu en sa vie, sa bonté et sa lumière, qui rayonne par son action
puissante dans l'univers et dans chaque personne (Is 6,3; Os 11,9; Ap 4,8) Cette action transfigurante
est attribuée à l'Esprit-Saint (Prières eucharistiques II, III, IV). L'homme devient saint en ayant part à la
vie communiquée par l'Esprit (2 Co 13,13). Le sens des fidèles discerne la sainteté dans la foi,
l'espérance et la charité des fidèles et dans leur intime communion avec Dieu, vécu déjà dans le
concret de leur existence terrestre (cf. Lumen Gentium, sur la vocation universelle à la sainteté, ndeg.
39-43).
Pour nous guider, l'Esprit fait tomber les écailles de nos yeux (cf. Ac 9,18) et nous délivre des
servitudes de notre cœur (Ga 5,1; Rm 8,15.21) pour que nous reconnaissions la voix de Dieu, son
oeuvre et notre vocation et que nous nous engagions nous-même librement à aimer comme il aime.
La foi, l'espérance et la charité, ces dons les meilleurs de l'Esprit (1 Co 13,13), ne sont pas des objets
que nous posséderions, ni des forces dont nous disposerions à notre gré: l'Esprit nous rend capables
de croire, d'aimer et d'espérer comme des enfants de Dieu (cf. Jn 1,13). C'est ma personne qui est
sanctifiée par Dieu lui-même, présent en moi. Il n'y a que Dieu qui puisse être si présent au plus
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intime de moi-même sans fausser mon intelligence et forcer ma volonté. L'Esprit en moi ne se
confond pas avec moi. Là où je suis sur le chemin, il m'ouvre à épouser les vues de Dieu, alors même
qu'elles me bouleversent ou m'interpellent, m'invitant à sortir de moi et accueillir le don de Dieu.
"Ceux qui se laissent mouvoir par l'Esprit de Dieu, sont fils de Dieu" (Rm 8,14).
"Demeurer, habiter, inhabiter", ces verbes évoquent l'intimité de la présence de l'Esprit et ils
soulignent que les meilleures manifestations de l'Esprit sont celles qui demeurent et non celles qui
sont passagères comme certains charismes, aussi étonnants qu'ils soient (cf. 1 Co 12,31; 13,13). Aussi
avons-nous à l'accueillir sans cesse pour nous laisser éclairer et animer par lui.
"Qui donc connaît la pensée du Seigneur?" L'apôtre rassure chaque baptisé, chaque enfant de Dieu:
nous avons la pensée du Christ (1 Co 2,16; cf. Is 40,13). Nous voyons à présent, bien que dans un
miroir et en énigme (1 Co 13,9-12; Rm 2,3; Ep 4,17). Sans la foi qui est un don de l'Esprit, nous ne
pouvons comprendre la sagesse et la puissance de Dieu (1 Co 1,19-2; cf. Mc 6,2) dans les paroles, les
actions, la vie, la croix de Jésus, les signes du Ressuscité et l'œuvre de Dieu dans l'Eglise et dans le
monde. Sans l'Esprit, nous ne pouvons confesser que Jésus est Seigneur (1 Co 12,3), ni non plus
"discerner les événements, les exigences et les requêtes de notre temps, ainsi que les signes
véritables de la présence ou du dessein de Dieu" (cf. Gaudium et Spes, ndeg. 1 et 4). L'Evangile de
Jean nous rappelle que l'on ne comprend les promesses que grâce à l'Esprit que nous a donné le
Ressuscité (Jn 7,39; 2,22; cf. 18,38). Ce Maître intérieur ravive en nous le souvenir du Christ et nous
guide sur le chemin pour connaître avec de plus en plus de clarté et de profondeur la Vérité entière
(Jn 14,26; 16,13; 18,38; 1 Jn 4,6; cf. Lumen Gentium, ndeg.12,1).
N'avons-nous pas aujourd'hui à nous ouvrir davantage à cette lumière de Dieu lorsque nous lisons les
Ecritures? Nous n'abandonnerons pas la rigueur de l'exégèse et les requêtes de l'intelligence
humaine, mais nous savons que seule l'assistance de l'Esprit nous permet de comprendre Jésus-
Christ et le mystère de l'action de Dieu (cf. Instruction de la Commission biblique, L 'interprétation de
la Bible dans l'Eglise, 15.4.1993). L'étude sérieuse de la Bible va de pair avec la méditation des
réalités spirituelles vécues intérieurement et avec l'écoute de la prédication des pasteurs et des
docteurs de l'Eglise (Dei Verbum, ndeg. 8 - 10).
La science et la technique avancées, ainsi que la domination d'une certaine opinion aveugle, posent à
l'homme d'aujourd'hui des défis pour son épanouissement intégral. Ces défis ne peuvent être relevés
que si l'on écoute le témoignage de la conscience, qui est le "sanctuaire de l'homme, le lieu où
l'homme est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre" (Gaudium et Spes, ndeg. 16; cf. Splendor
veritatis, ndeg.54-64). Se laisser guider par l'Esprit, c'est se mettre sous le jugement de Dieu et
discerner la voie à prendre, en écoutant avec lui la Parole vivante de Dieu, qui résonne dans l'esprit
de l'homme. Ne risque-t-on pas sinon de confondre nos envies avec la conscience droite?
L'éclosion actuelle des mouvements spirituels au sein de nos communautés est un signe de l'action
novatrice de l'Esprit. Ces groupes doivent être encouragés et accompagnés. Mais il faut également
aider au discernement des esprits. Jésus-Christ entendu et compris à la lumière de l'Esprit en est le
critère incontournable (cf. Instruction de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Quelques aspects
de la méditation chrétienne, 15.10.1989).
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Enfin, l'Esprit nous fait comprendre la portée de la prière de Jésus pour l'unité de ceux qui croiront en
lui (Jn 17,21-23). L'Esprit inspire les Eglises qui marchent ensemble pour découvrir de mieux en mieux
la Vérité entière (Unitatis redintegratio, ndeg. 2; 4; 11).
"L'amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous est donné" (Rm 5,5). C'est
là le plus grand des dons les meilleurs, des dons qui demeurent (1 Co 13,13). L'Esprit nous permet
d'aimer comme Dieu lui-même, qui est amour (1 Jn 4,16), et de vivre de sa vie. Les divers fruits de
l'Esprit consistent principalement dans la charité (Ga 5,22-23).
Mais l'amour n'est-il pas ce qu'il y a de plus humain? L'amour est le désir qui suscite les espoirs et les
craintes, la générosité qui engage, la source de la joie qui comble notre désir d'épanouissement:
vivre avec l'autre et pour l'autre, et s'enrichir par la réciprocité.
Cet amour humain n'est-il pas tellement impliqué dans la condition charnelle qu'il ne peut se
comparer ni se mêler à l'amour qui est en Dieu? N'est-ce pas également confondre l'agapè, qui serait
don gratuit de soi, avec l'erôs, qui serait recherche de possession?
La foi nous éclaire pour surmonter les ambiguïtés du mot amour dans notre langage, mais elle nous
fait redécouvrir la totalité unifiée de l'homme, corps animé par l'esprit, esprit incarné, créé à l'image
de Dieu; l'Apôtre désigne en effet l'amour conjugal, corps et âme, par le terme propre à l'amour de
Dieu (Ep 5,25-32). L'amour véritable est à la fois don de soi à l'autre et accomplissement de soi par
l'autre, grâce à une réciprocité où chacun donne et reçoit.
L'amour de Dieu est bien versé dans notre cœur; il est à la source même de notre affectivité et de
nos libres engagements. Il ne se surajoute pas à l'amour mis dans notre cœur lorsque Dieu nous créa
à son image: il le purifie, l'informe et le transfigure à l'image de l'amour que son Fils nous a
manifesté.
L'Esprit que nous recevons de Jésus-Christ transfigure l'amour humain en amour divin, notamment
dans l'amour conjugal et parental, l'engagement dans la société, la consécration de vie et le ministère
pastoral.
Aimer comme Dieu, c'est aimer comme Jésus-Christ, s'engager de tout son être dans l'œuvre de
sanctification du Père et de salut de l'humanité; c'est indissociablement aimer le Père et aimer ses
frères. Comme son Père, dont la bonté nous précède dans l'histoire de l'humanité et dans notre
existence, le Christ nous a aimés le premier (1 Jn 4,19) et son amour s'est manifesté de manière
suprême dans sa miséricorde efficiente et dans le don de soi lors de sa passion et de sa mort sur la
croix (Jn 13,1).
Par cet amour, Dieu rend l'homme proche de lui, aussi éloigné qu'il se trouve. A l'imitation du Christ,
le bon Samaritain, nous devenons, par l'amour, le prochain de tout homme, en particulier du plus
isolé et du plus exclu, de celui qui a le moins part - de sa faute ou non - à la richesse de vie, à la
convivialité humaine et à la communion avec Dieu. A l'invitation du Christ, nous sommes appelés à
faire le premier pas vers les autres dans la réconciliation et la rencontre (Mt 5,7-9.14.48; 18,31-35).
La charité est la source de toute justice mais elle nous mène à la dépasser dans la miséricorde.
L'amour de Dieu créateur suscite des personnes qui vivent, écoutent et répondent librement à la
vocation qu'il leur adresse au long de leur existence. Pour Dieu, l'amour est toujours promotion de
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l'autre. Il en va de même chez Jésus; il appelle, il est sensible à la réponse de l'homme, à l'amour
reconnaissant de ses amis et même au refus ou à l'obstination de ceux qu'il invite à le suivre (cf. Mc
10,21;14,34). Le don et l'accueil se conjuguent parfaitement dans le cœur du Fils de Dieu, devenu l'un
d'entre nous.
Jésus s'émeut aussi bien devant la faim de la foule que devant la maladie, le handicap de l'aveugle,
du sourd et du paralytique, le deuil de la veuve, la douleur et le repentir du pécheur, l'abandon ou
l'exaction du peuple par ses pasteurs. Comme son Père, il s'engage à libérer et à promouvoir
l'homme intégral, corps, âme et esprit. En nous, comme en Jésus, la charité rend notre cœur sensible
à toute misère de nos frères.
Jésus-Christ s'engage envers son Père et envers les hommes de tout son être, de tout son cœur, de
toute son âme, de toute sa pensée et de toute sa force (cf. Mc 12,30-33). L'amour que l'Esprit de
Jésus nous donne de vivre, est à la fois sentiment, sagesse, engagement et labeur. Aujourd'hui, le
chrétien mettra, à la suite du bon Samaritain (Lc 10,30-32), les ressources de l'intelligence et du
savoir-faire, de la science et de la technique actuelles au service du développement de la personne et
de la communauté humaine. Il n'oubliera pas qu'un simple verre d'eau fraîche ou une visite
fraternelle ont autant de poids devant le juge du Royaume de Dieu (Mt 25, 31-46) que les
dévouements les plus épuisants et les performances les plus brillantes. Rien ne vaut devant Dieu, si le
geste simple ou l'action la plus complexe se font sans l'agapè, sans agir à l'image de celle de Dieu qui
fait totalement confiance, espère sans cesse, supporte tout et porte tout (1 Co 13,1-7).
"L'homme est le vivant qui espère" (Philon d'Alexandrie). Il est tendu vers la réussite intégrale de son
existence à travers les âges de sa vie, les nouveautés des situations, les difficultés et même l'épreuve.
Il espère ainsi trouver la joie qui comble son désir le plus profond. Il ne peut s'engager ni persévérer
dans cette poursuite sans confiance en son avenir. Où trouve-t-il cette espérance en lui-même, mais
aussi dans les autres avec qui il vit, pour qui il se dévoue et chez qui il compte trouver conseil et aide?
Pour le croyant, cette espérance se fonde sur la fidélité de Dieu à son égard et sur les dons
impérissables dont le créateur a doté chaque homme. Elle porte sur la réalisation de sa vocation,
c'est-à-dire sur l'accomplissement de la destinée à laquelle Dieu l'appelle (cf. Rm 8,28-30; Ep 1,11-
12). Le chrétien la ressent dans son désir de communion avec Dieu et avec ses frères les hommes. Ce
désir n'anime-t-il pas confusément le désir le plus profond de tout homme?
Dans les jours de sa chair, Jésus, le Fils de Dieu devenu l'un des nôtres, apprit, à travers ce qu'il a subi,
l'obéissance, c'est-à-dire l'engagement sans réserve et confiant de tout son être dans le projet du
Père. Il est ainsi devenu l'homme parfait, car il s'est offert "dans l'Esprit-Saint" (He 5,7-9; 9,14) et sa
résurrection nous assure dans la foi de sa venue et de notre accomplissement (Ac 17,31). Notre
fidélité et notre assurance s'appuient ainsi sur le "oui" que Dieu a prononcé et réalisé une fois pour
toutes en Jésus-Christ (2 Co 1,17-22). Devenu le Rocher spirituel auquel nous pouvons nous abreuver
sur la route, il nous donne l'Esprit pour marcher avec fidélité et confiance vers la plénitude à laquelle
le Père nous appelle.
Dieu nous a oints au début de notre existence chrétienne et il nous fortifie continuellement à travers
nos faiblesses et insuffisances, ainsi que dans les épreuves qui nous assaillent du dedans et du
dehors; il nous a marqués pour toujours, nous donnant les prémices de l'Esprit (2 Co 1,18-22).
L'espérance, don de l'Esprit, nous donne l'assurance, la patience et l'endurance (1 Th 1,3; Ro 2,7; Lc
8,13; 21,19) pour que nous puissions répondre fidèlement à notre vocation (Ep 1,17-23). Mais elle
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fait également espérer en l'avenir de ceux avec qui nous vivons, en particulier de ceux qui nous sont
confiés. Sans cette espérance il n'est pas possible de s'engager sereinement, de persévérer dans un
projet de vie, de se faire mutuellement confiance dans la vie conjugale, d'assumer la responsabilité
dans l'éducation des enfants et des jeunes, dans l'accompagnement des adultes dans leur métier de
vie, enfin de collaborer avec confiance dans une entreprise commune. En croyant en Dieu, le chrétien
croit en l'Esprit-Saint qui inspire et anime l'univers, en particulier l'humanité entière, et qui demeure
dans le cœur des croyants. Espérer, ce n'est pas désespérer de soi ni de l'homme, mais précisément
s'appuyer en Dieu présent en l'homme, en soi-même et dans les autres.
L'Esprit nous donne en effet un esprit filial, la liberté des fils de Dieu, une assurance (Rm 8,14-17; Ga
4,6-7) qui nous fait espérer réussir notre vie et la mission qui nous est confiée, à travers notre
faiblesse et les épreuves. La joie est ainsi le fruit de l'Esprit (Rm 14,17; 2 Co 6, 10; cf. Mt 25,21).
L'Esprit nous tend ainsi en avant vers la plénitude du Royaume de Dieu (cf. Ph 3, 13). Grâce à lui, la
vie intérieure de la communauté chrétienne et l'accomplissement de sa mission sont tendus vers
l'avènement du Royaume dans lequel chaque homme et l'humanité entière atteindront leur
destinée, leur définitive perfection, dans le Christ (Lumen gentium, ndeg. 48-51).
L'espérance du Royaume n'est pas un opium du peuple. Elle ne désarme pas l'homme, elle
l'encourage à s'engager dans le renversement des situations inhumaines et pour le développement
social et culturel. "L'attente de la nouvelle terre, loin d'affaiblir en nous le souci de cultiver cette
terre, doit plutôt le réveiller: le corps de la famille humaine y grandit et offre déjà quelque ébauche
du siècle à venir" (Gaudium et spes, ndeg. 39; cf. ndeg. 33-45).
La mémoire et la prospective inspirées par l'Esprit rejettent l'utopie de la société parfaite sur cette
terre. Le chrétien relativise certes le présent et, en même temps, il ne renonce devant aucune fatalité
et ne se contente d'aucun statu quo pour lui-même, pour l'Eglise et pour le monde (avec une
certaine réserve eschatologique); son espérance imprime donc une dynamique au moment présent
vécu et agi et lui donne toute sa valeur: un simple verre d'eau à l'assoiffé ou une action très
structurée sont chargés d'éternité.
L'espérance nous fait aujourd'hui plus qu'autrefois désirer l'union de tous les chrétiens afin
qu'ensemble ils montrent au monde ce en quoi ils espèrent: l'union des hommes entre eux et avec
Dieu... Mais, dans la prédication et la catéchèse, n'a-t-on pas étouffé ce désir de l'avènement du
Royaume, ce désir mis dans le cœur de l'homme par l'Esprit? Nous laissons-nous mouvoir par ce désir
que l'Esprit suscite dans son Eglise (Ap 22,20)?
3.5. Le recueillement
Avant les grandes décisions à prendre pour l'accomplissement de sa mission (Mc 1,35-39; Lc 6,12-16)
et avant d'affronter les épreuves, en particulier l'heure suprême de la passion (Mc 14,32-42), le Christ
se retire à l'écart pour prier. Ceux qui poursuivront son oeuvre à travers les tribulations sont eux
aussi invités à prier, comme l'a fait la première communauté se préparant avec Marie à la venue de
l'Esprit (Ac 1,12-14). L'Eglise trouve en Marie le modèle de la méditation constante pour l'intelligence
spirituelle des merveilles de Dieu (Lc1,46-56; 2,19.51).
L'Esprit se joint à notre esprit et fortifie notre cœur; faisons silence en nous pour l'écouter et
laissons-nous guider par lui. Le recueillement est un haut moment pour discerner la volonté de Dieu;
il est le chemin à prendre, pour trouver la paix du cœur et la confiance dans la miséricorde efficiente
et fidèle du Père. Quel temps donnons-nous, journellement ou périodiquement, à ce recueillement
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qui nous met sous le jugement de Dieu, nous libère, purifie nos désirs, nous laisse entendre les
appels de Dieu et nous fait nous appuyer sur la force de Dieu en nous (cf. Rm 8,26-38) ?