Depraz Eckhart-Henry
Depraz Eckhart-Henry
Depraz Eckhart-Henry
à Maître Eckhart »
N. Depraz
Introduction
Les questions qui se posent à présent à nous sont au nombre de trois : 1) dans
quelle mesure Eckhart et la mystique spéculative singulière qu'il ouvre est-il un support
décisif en vue de la libération d'une métaphysique phénoménologique ? 2) En quel sens
celle-ci est-elle irréductible tout à la fois à la phénoménologie classique, qu'elle soit
statique ou herméneutique, et à la métaphysique traditionnelle, qu'elle soit naïve ou
onto-théo-logique ? 3) Comment la phénoménologie henrienne permet-elle de donner
un sens aigu, via l'approfondissement du fil eckhartien, à une telle métaphysique
phénoménologique ?
Ces trois interrogations ne forment pas les trois étapes d'un parcours. Seul
l'examen détaillé de la dernière tentera d'éclairer en retour, et la première, et la seconde.
On voudrait, partant, faire apparaître comment l'avancée phénoménologique originale
de M. Henry, se soutenant de la percée elle-même insigne d'Eckhart en Occident ouvre
la voie à la possibilité inédite d'une « expérience métaphysiquexi » comme expérience
de la passivité non-duelle (I), laquelle suppose un mode de temporalisation spécifique
dont, on le verra, la forme est l'auto-antécédance (II), et un acte de connaître
originairement non-distinct de l'affect (III).
par une révélation interne de l'essence. Le pont en question réside dans l'analyse de
l'immanence, qui seule assure la compréhension interne de l'affectivité.
Aussi convient-il, par delà le renvoi expresse à Eckhart, qui ne concerne que
quelques paragraphes de cette troisième partie, de faire droit à l'ensemble de l'analyse
de l'immanence qui nous est ici prodiguée. Pour notre propos, il est manifeste que le §
37, ouvrant cette troisième partie et intitulé précisément « La structure interne de
l'immanence » forme le creuset d'une appréciation juste de l'importance d'Eckhart pour
M. Henry. Eckhart n'y est pas mentionné, mais il y va là d'une anticipation
annonciatrice du § 39, ce miroir du § 37 où apparaît alors en toute lumière la figure
restée dans l'ombre jusque là. Ombre féconde cependant, puisque c'est par l'Eckhart
non-manifesté que pourra un peu plus loin « apparaître » le Rhénan.
C'est sur le fond d'un geste non-nommé mais récurrent de réduction radicale,
approché de façon générale comme un « se détourner de » opposé à un « se diriger
vers »xx, renouant du reste avec des gestes tout aussi profonds chez Husserlxxi ,
Heideggerxxii ou Levinasxxiii , geste à l'oeuvre tout autant, on le verra, dans l'attitude
eckhartienne princeps du détachementxxiv , que le phénoménologue cerne à mesure la
structure interne de l'immanence. Or il le fait à l'aide de traits qui peuvent de prime
abord paraître surprenants.
Ces traits sont les suivants, selon l'ordre de leur apparition au § 37 : 1) la
pauvreté (dont on trouve des synonymes : indigence, dénuement, perte)xxv ; 2) le dés-
intéressement (ou l'abandon)xxvi ; 3) la solitudexxvii ; 4) la simplicité (spécifiée en
plénitude et unité concrète)xxviii ; 5) la non-libertéxxix . Ces cinq traits contribuent à la
libération de l'essence comme passivité. Chacun d'eux ressaisit tout à la fois une facette
essentielle de la disposition transcendantale à engager la réduction et s'enracine à
l'évidence dans la préparation eckhartienne de l'âme à accueillir la Déité. C'est ce
double ancrage tout à la fois phénoménologique et métaphysique de la méditation
henrienne de l'immanence que l'on va pour chacun de ces traits tenter d'expliciter.
1) La pauvreté : « [...] l'essence ne renferme rien d'autre que la pensée qui se
tourne vers elle et se détourne nécessairement de tout ce qui est autre qu'elle [...] La
libération de l'essentiel se poursuit comme un retrait [qui n'est pas] renoncement
provisoire, mais pauvreté qui se fait et se veut essentiellexxx . » Cultiver l'indigence de
l'essence en tant qu'expérience radicale de soi, c'est mettre en exergue la nécessité d'un
appauvrissement de soi qui correspond exactement aux exigences tout à la fois
eckhartienne et husserlienne : le Maître fait l'éloge de la « pauvreté intérieure » dans
son sermon intitulé « La pauvreté en esprit »xxxi ; Husserl invoque ce nécessaire « voeu
de pauvreté en matière de connaissance » au début des Méditations cartésiennes,
lorsqu'il s'agit de se débarrasser des opinions et des préjugés pour se disposer en toute
transparence d'esprit à l'attitude transcendantale à venirxxxii . Métaphysique et
phénoménologie scellent ici, de façon inaugurale, une disposition constitutive de
l'attitude immanente interne dont est en quête M. Henry, et qui se définit ultimement, on
va le voir, comme une attitude transcendantale de passivité non-duelle.
Or, être pauvre en esprit, c'est chez Eckhart, conformément au vocabulaire
récurrent du dépouillement de soi que l'on retrouve également chez M. Henry, ne plus
même occuper une place qui soit encore un espace prometteur de différence c'est-à-dire
de discorde et d'opposition potentielles internes : « L'homme doit être si pauvre qu'il ne
soit pas lui-même ”un endroit où Dieu puisse agir” ni même qu'il ne l'ait en rien ! Aussi
longtemps que l'homme garde en lui de l'espace, il garde de la différencexxxiii . » Cette
exigence eckhartienne radicale d'anéantissement de toute spatialisation du soi quelle
qu'elle soit, et que M. Henry reprend à son compte, permet de comprendre la critique
que celui-ci adresse à Heidegger et à sa mise en exergue du séjour et de la Terre comme
lieu ontologique de ressourcement du soixxxiv . Il serait naïf, bien entendu, de
comprendre cette critique de l'espace, et de sa différenciation intrinsèque, comme une
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sentiment simple d'une plénitudexliv », qui s'éprouve dans la découverte même du soi,
distinct tout autant d'une unité polaire que d'une fluidité destructurée.
On a là une structure temporelle de l'accomplissement plénier qui, à titre de
visée de perfection et d'achèvement, interrompt tout schème de successivité linéaire
autant que de ponctualité instantanéiste : une temporalité de l'anticipation du futur dans
le passé, littéralement du futur antérieur qui fait écho, sur le plan formel, à la
temporalisation présente dans les Sermons eckhartiens « De l'accomplissement » et
« De la perfection de l'âme » ou encore « De la naissance éternelle »xlv, comme à la
temporalité de la rétrocession génétique husserlienne (Rückfrage), à l'oeuvre dans la
Krisis notamment.
5) La non-liberté : « La non-liberté appartient en général à l'essence comme ce
qui la constituexlvi ». La liberté implique en effet la possibilité de sortir de soi-même,
c'est-à-dire, également, d'être livré à l'extériorité, ce qui suppose une forme de
dépendance qui relativise immédiatement la liberté en question. L'expérience essentielle
de soi est une expérience assumée de non-pouvoir et, en ce sens, ce cinquième trait
amorce déjà une récapitulation synthétique de l'expérience de soi comme expérience
passive non-duelle. A travers l'affirmation de la non-liberté comme refus d'un pouvoir
qui soit imposition de soi aux autres (à l'extériorité), c'est l'affirmation d'une liberté plus
haute qui se dessine, celle de l'intériorisation d'une finitude liée à la résistance du réel,
celle-là même qui se donne dans l'assertion récurrente de la réduction « en toute
liberté » chez Husserl, celle-là même, enfin, qui résulte de l'affirmation eckhartienne
réitérée de l'impassibilité de l'essencexlvii .
Défaire l'être en soi après avoir relativisé tout agir compris comme activisme en soi,
c'est rompre avec l'omnipotence de l'ego comme du propre. Un tel exercice radicale de
dés-istement consonne très directement avec les autres perspectives phénoménologiques
contemporaineslviii, qu'il s'agisse de Levinas face au soit-disant ego husserlien ou face à
l'être heideggerien, qu'il s'agisse de Derrida face à la mienneté heideggerienne, ou
encore de J.-L. Marion face à l'idolâtrie lévinassienne résiduelle de l'autre. Par-delà les
recouvrements gnoséologiques, ontologiques, éthiques, voire déconstructivistes de cette
expérience première du dénuement comme expérience de la découverte du soi, c'est ce
noyau de passivité drastiquement dé-substantialisée, où s'annulent les oppositions
construites, qui demeure et fait sens, et qui confère à la perspective dessinée par M.
Henry dès L'essence de la manifestation une éminence indéniable.
Remarquons, pour conclure sur cette première lecture de l'ouvrage de 1963 via
le fil eckhartien, que la pauvreté vient à nouveau parachever l'expérience de la passivité,
elle-même intégratrice des cinq traits mentionnés : une sorte de mouvement spiraloïde
intensificateur fait de la pauvreté à la fois le seuil initial et le seuil terminal de
l'expérience. Ces cinq traits fournissent des dimensions spécifiques de l'expérience en
question, que l'on peut ressaisir sous une forme synoptique :
Cinq seuils de l'expérience :
intensification
intégration :
passivité comme
puissance de
l'impuissance
Cristalliser, ce peut être soit rigidifier une expérience vivante, soit lui permettre
d'atteindre cette force adamantine où brille une maturité, image finie de la perfection.
C'est moi, la vérité, en faisant ressortir en toute lumière la teneur joannique de
l'expérience décrite dès 1963, produit inévitablement ce double effet, dont l'ambiguïté
est la mesure du risque pris. Or, c'est sans nul doute en s'exposant que l'on a une chance
de desceller des apories jugées insurmontables. L'ouvrage de 1996 se situe sur ce
chemin vertigineux : ses difficultés témoignent de la percée qui s'y opère.
Michel Henry et Maître Eckhart ont la pensée joannique en partage. C'est donc
sur ce fond commun qu'il convient de ressaisir le statut de la référence à Eckhart dans
C'est moi, la vérité, et ce, en la rapportant à la reprise déjà opérée dès 1963, et pour en
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pas une naissance biologique, strictement corporelle au sens d'organique. Ce point est
radicalisé par Eckhart dans la thématique de la « non-naissance », laquelle n'est pas,
comme chez le gnostique Marcion, une négation de la naissance, mais amorce au
contraire une temporalité inédite , du « toujours naître », du « naître incessant »lxxii , qui
se fonde précisément sur un rejet de la naissance biologique à titre d'événement unique
et irréitérable. Or, c'est très précisément cette référence à Eckhart que reprend à son
compte M. Henry à propos du Fils entendu comme Archi-Fils : « Il a retrouvé la
Puissance dont il est né et qui elle-même ne naît pas. Il est né une seconde fois. En cette
seconde naissance il a retrouvé la vie de telle sorte que désormais il ne naîtra plus, et
qu'il est vrai de dire en ce sens qu'il est ”non-né”. (Maître Eckhart, Traité et Sermons,
op. cit., p. 258) »lxxiii
Aussi la structure commune que libèrent phénoménologie et métaphysique en
convergeant l'une vers l'autre est-elle celle d'une temporalité réitérable car incessante de
l'engendrement à soi-même, dont le thème métaphysique bien compris de la seconde
naissance (à savoir non pas comme négation gnostique de la naissance) fournit
l'amorce, dont l'expérience phénoménologique de la naissance transcendantale offre la
structuration expérientielle méthodologique. La naissance transcendantale vient ainsi
proposer une teneur concrète à la temporalisation comme forme d'une auto- et d'une co-
génération intrinsèques : le naître incessant à soi-même fait de la forme générale de
l'auto-anticipation une expérience tangible de renouvellement de soi par l'accueil de
l'in-attendu toujours possible à chaque instant.
vrai dire, presque jamais rencontrée dans l'histoire, si ce n'est cependant chez un penseur d'exception qu'on appela
autrefois, à juste titre, un Maître : Eckhart. »
xv
Op. cit., IIIe Section, § 39, § 40 et § 49, respectivement p. 385-407 ; p. 407-419 ; p. 532-549.
xvi
Op. cit., p. 354 : « Ce qui est impliqué dans cette passivité comme la constituant, c'est une relation de l'essence
avec soi, relation telle qu'en elle l'essence jouit de soi, a l'expérience de soi, se révèle elle-même dans ce qu'elle a,
telle qu'elle est. Ce qui a l'expérience de soi, ce qui jouit de soi et n'est rien d'autre que cette pure jouissance de soi-
même, que cette pure expérience de soi, c'est la vie. »
xvii
C'est moi, la vérité, pour une philosophie du christianisme, Paris, Seuil, 1996.
xviii
Op. cit., chapitre 6 : « L'homme en tant que Fils de Dieu », p. 132-133 ; chapitre 9 : « La seconde naissance », p.
214.
xix
M. Henry se réfère à l'édition parue chez Aubier en 1942, et intitulée Traités et Sermons, dans la traduction de
F.A et J.M (référence de L'essence de la manifestation, op. cit., p. VIII) ou de M. de Gandillac (référence de C'est
moi, la vérité, op. cit., p. 133) ; nous nous référons quant à nous à l'édition parue dans la traduction de Paul Petit chez
Gallimard, en 1942 elle aussi, mais qui n'est pas épuisée à ce jour (rééd. en 1987). Nous n'avons donc pas consulté les
sermons latins, et de, pour deux raisons corrélatives : 1) notre fil conducteur d'analyse est ici la lecture henrienne
d'Eckhart, non Eckhart pour lui-même ; 2) nous optons pour une lecture non-scolastique du Rhénan, à l'oeuvre dans
les textes allemands plus que dans le corpus latin. A cet égard, nous faisons nôtre cette formule de R. Schürmann :
« Si l'œuvre latine balise la route, l'œuvre allemande convie à la marche. » (ST, p. IV). Néanmoins, on peut se référer
à l'édition allemande complète, Die deutschen und lateinischen Werke, Stuttgart, Kohlhammer (depuis 1954), ainsi
qu'aux travaux du groupe du CNRS qui, sous la direction de F. Brunner, travaille à l'édition française complète.
xx
L'essence de la manifestation, op. cit., § 37, p. 350.
xxi
Se détourner de l'objet pour se retourner vers l'acte qui le vise (sich umkehren) est le paradigme même du geste
réductif husserlien.
xxii
Reconduire (Rückführen) de l'étant à l'être est le propre du geste réductif heideggerien.
xxiii
Défaire le Dit pour faire advenir le Dit, ou encore ruiner la représentation pour libérer l'épiphanie du visage est
une autre manière de pratiquer la réduction, selon des accents plus proches du démantèlement (Abbau) des idéalités
dans la Krisis ou de destruction (Destruktion) heideggerienne de la métaphysique.
xxiv
« Du détachement » (Von der Abgeschiedenheit), op. cit., p. 20 sq.
xxv
L'essence de la manifestation, op. cit., p. 350-351.
xxvi
Op. cit., p. 353.
xxvii
Op. cit., p. 354-355.
xxviii
Op. cit., p. 360.
xxix
Op. cit., p. 363.
xxx
Op. cit., p. 351.
xxxi
ST, p. 137. Comme « Du détachement », « De la pauvreté en esprit » est considéré par certains comme in-
authentique. Or il est remarquable que ces deux attitudes, détachée et pauvre, forment précisément pour M. Henry la
matrice de la disposition générale à accueillir l'expérience métaphysique en question : 1) le geste radical de réduction
est structurellement homogène au détachement eckhartien ; 2) l'attitude de pauvreté est énoncée de façon princeps : à
ce titre, elle est cardinale.
xxxii
Hua I, § 1 : « [...] quiconque veut vraiment devenir philosophe devra ”une fois dans sa vie” se replier sur soi-
même et, au-dedans de soi, tenter de renverser toutes les sciences admises jusqu'ici et tenter de les reconstruire. La
philosophie — la sagesse — est en quelque sorte une affaire personnelle du philosophe. Elle doit se contituer en tant
que sienne, être sa sagesse, son savoir qui, bien qu'il tende vers l'universel, soit acquis par lui et qu'il doit pouvoir
justifier dès l'origine et à chacune de ses étapes, en s'appuyant sur ses intuitions absolues. Du moment que j'ai pris la
décision de tendre vers cette fin, décision qui seule peut m'amener à la vie et au développement philosophique, j'ai
donc par là même fait le vœu de pauvreté en matière de connaissance. »
xxxiii
ST, p. 138.
xxxiv
L'essence de la manifestation, op. cit., p. 351.
xxxv
Op. cit., p. 353.
xxxvi
ST, « Du détachement », p. 21-23, où l'impassibilité est définie comme ce néant pur qui est, non pas vide, mais
plénitude.
xxxvii
Cf. Philosophie première II de Husserl et la Sixième Méditation cartésienne de Fink.
xxxviii
Cf. à propos du fonctionnement du paradoxe chez Eckhart et, plus généralement, dans la pensée mystique,
Zapf J., Die Funktion der Paradoxie im Denken und sprachlichen Ausdruck bei Meister Eckhart, Cologne, 1966, et
Sells, M. A., Mystical Languages of unsaying, Chicago and London, Chicago University Press, 1994. Cf. aussi le
rôle homologue de l'oxymore chez Grégoire de Nysse, avec les commentaires de J. Daniélou in Platonisme et
théologie mystique, Paris, Aubier, 1944. On peut penser que l'expérience de la non-dualité s'exprime en effet au plus
juste dans les figures du paradoxe et de l'oxymore.
xxxix
Op. cit., p. 354.
13
xl
Hua VI, § 54, b), où Husserl affronte la solitude comme ressourcement de la pluralité en en thématisant la
structure positivement paradoxale : « L'épochè crée une solitude philosophique d'un genre unique, qui est l'exigence
méthodologique fondamentale pour une philosophie effectivement radicale. Dans cette solitude, je ne suis pas un
isolé, qui par suite de son entêtement personnel fût-il justifié théoriquement, ou par un hasard (comme un naufragé),
se sépare de la communauté des humains, à laquelle cependant il sait que, même alors, il appartient encore. Je ne suis
pas un ego, qui possède encore et toujours dans leur validité naturelle son ”tu” et son ”nous”, et toute la communauté
de ses co-sujets. Toute l'humanité, et toute distinction comme toute ordonnance des pronoms personnels, sont
devenus dans mon épochè des phénomènes, y compris la préséance du ”je” homme parmi les autres hommes. »
xli
ST, « De la naissance éternelle », II ; « De la perfection de l'âme », p. 68-72 et p. 73-79, et « Des deux chemins »,
où le rapport des puissances et de l'essence comme rapport d'une pluralité interne motrice de l'essence est analysé de
façon récurrente. Cf. sur ce rapport V. Lossky, Théologie négative et connaissance de Dieu chez Maître Eckhart,
Paris, Vrin, 1973.
xlii
L'essence de la manifestation, op. cit., p. 360.
xliii
Op. cit., p. 356-359.
xliv
Op. cit., p. 360.
xlv
ST, p. 13 sq., p. 36 sq., p. 68 sq.
xlvi
Op. cit., p. 363.
xlvii
Op. cit., p. 187 : « [...] Apprendre comment on peut, avec efficacité, maintenir libre son intérieur ».
xlviii
A propos de cette structure paradoxale de l'expérience phénoménologique où le pouvoir s'éprouve comme
passivité impassible, cf. notre « Phenomenological reduction and the political », Husserl Studies, Vol. 12, n°1, 1995.
xlix
Op. cit., p. 365-371.
l
Op. cit., p. 365-366 : « Ici, dans la structure interne de l'essence originaire de la révélation, à l'intérieur du rapport
originaire de l'être à soi, cesse toute maîtrise, toute faculté d'agir ou d'opérer, tout ce qui se donne habituellement
comme le fondement d'une responsabilité ou d'une imputabilité, comme une origine ou comme une cause, toute
possibilité d'assumer ou de prendre attitude. »
li
Op. cit., p. 366 : « La passivité ne saurait désigner tout d'abord, comme le voulait Descartes, l'action d'une réalité
étrangère. [...] Ainsi se trouve écartée une compréhension radicalement impropre, encore que traditionnelle,
conformément à laquelle la passivité s'entend nécessairement à l'intérieur de sa relation à quelque chose d'autre qui
lui est en quelque sorte imposé, par exemple donné, et vis-à-vis de quoi elle se détermine dès lors, dans le fait d'être
ainsi affecté par autre chose, à être ce qu'elle est, passive. »
lii
Sans doute cette ligne de force n'est-elle pas absolument propre à Eckhart, dans la mesure où elle forme le relief
privilégié de nombre de traditions spirituelles. Pourtant, elle se trouve donnée ici avec une intensité inaccoutumée.
liii
ST, « Du détachement », p. 22 : « qu'est donc le détachement pour qu'il cache en lui une pareille puissance ? Le
vrai détachement signifie que l'esprit se tient impassible dans tout ce qui lui arrive, que ce soit agréable ou
douloureux, un honneur ou une honte, comme une large montagne se tient impassible sous un vent léger. » ; « De la
naissance éternelle », p. 51 : « Ta ”souffrance” [est] ton plus haut agir. » ; « De la perfection de l'âme », p. 77 : « son
impuissance est précisément sa plus grande puissance » ; « De la sortie de l'esprit et de son retour chez lui », p. 118 :
« Seul Dieu fait quelque chose ; la divinité ne fait rien, elle n'a rien à faire : en elle il n'y a rien à faire, et elle n'a
jamais non plus regardé autour de soi. Dieu et la divinité sont distincts comme l'agir et le non-agir. » ; p. 194 enfin :
« être actif dans l'inaction ».
liv
Il suffira ici à notre propos de mentionner le caractère décisif de l'attribut de la toute-puissance dans la
compréhénsion cartésienne de Dieu. Cf. à ce propos J.-L. Marion, Sur la théologie blanche de Descartes, Paris,
P.U.F., 1981.
lv
L'essence de la manifestation, op. cit., p. 370.
lvi
ST, « Comme une étoile du matin », p. 124-125 ; « Du dés-istement de soi-même », p. 193-196 ; à cet égard,
l'analyse lévinassienne de la passivité du visage d'autrui exposé à et otage de moi-même correspond également à une
telle tentative de dés-ontologisation, mais elle prend appui, contrairement à M. Henry, sur une éthique première ;
Heidegger lui-même a sans nul doute ouvert la voie en ce sens, avec toutes les difficultés liées à la complicité
rémanente du thème onto-théo-logique avec l'ontologie fondamentale elle-même. Les travaux d'A. de Libera,
notamment, ont déjà largement montré le caractère non-onto-théo-logique de la métaphysique eckhartienne. (cf.
Maître Eckhart à Paris, une critique médiévale de l'onto-théo-logie, coll. CNRS, Paris, PUF, 1984.)
lvii
ST, p. 196.
lviii
Comme avec les traditions orientales. Cf. l'ouvrage de Rudolf Otto sur Eckhart et Shankara, intituléWest-östliche
Mystik, Vergleich und Unterscheidung zur Wesensdeutung, Gotha, Leopold Klotz Verlag, 1929, ainsi que celui de
Ueda Shizuteru, Die Gottesgeburt in dem Durchbruch zur Gottheit. Die mystische Anthropologie Meister Eckharts
und ihre Konfrontation mit der Mystik des Zen-Buddhismus, Gütersloh, Mohn, 1965. Cf. enfin notre article, « Le
spectateur phénoménologisant : au seuil du non-être et du non-agir », in Actes du Colloque Eugen Fink de Cerisy-la-
salle (23-30 juillet 1994) (N. Depraz et M. Richir éds.), Amsterdam, Rodopi, 1997.
lix
C'est moi, la vérité, op. cit., chapitre 5, p. 98-99 : « ”Avant qu'Abraham fût, Moi je suis” (Jean, 8, 58) », p. 98 ;
« La raison de l'”Avant” radical, de l'”Avant” non-temporel du Christ, c'est le Christ lui-même qui la donne dans le
langage de l'apodicticité phénoménologique : ” [...] Parce que tu m'as aimé avant la Création du monde [...] (Jean, 17,
14
24)” ; ” [...] en me donnant cette gloire que j'avais auprès de toi avant que le monde fût. (Jean, 17, 5)” » (nous
soulignons), p. 99.
lx
Certes, dès 1963, la structure de la révélation interne est déjà appréhendée comme engendrement du Fils par le
Père, mais, il est vrai, sur un mode encore statique (Op. cit., § 40, p. 415-418).
lxi
Op. cit., p. 133 : « Introduisons alors un concept décisif et qui, à vrai dire, aurait dû l'être pus tôt, pour autant qu'il
gouverne l'intelligence philosophique de l'essence de la vie, le concept de l'auto-affection. » Cf. notre troisième
temps.
lxii
Op. cit., p. 132.
lxiii
Op. cit., p. 132-133.
lxiv
Op. cit., p. 133.
lxv
ST, p. 39-40 (à propos de la deuxième naissance comme naissance incessante de l'âme en Dieu). Cf. P. Gire,
« Métaphysique, théologie et mystique chez Maître Eckhart », in Penser la religion (J. Greisch éd.), Paris,
Beauschêne, 1991, p. 94, n. 34.
lxvi
C'est moi, la vérité, op. cit., chapitre 6, p. 133.
lxvii
Expression husserlienne à l'origine. Cf. sur ce point, « Naître à soi-même », Alter n°1, 1993.
lxviii
C'est moi, la vérité, op. cit., p. 191.
lxix
Cf. N. Depraz, Transendance et incarnation, le statut de l'intersubjectivité comme altérité à soi, Paris, Vrin,
1995, chapitre V.
lxx
Hua XIV, n°1 (semestre d'été 1921), p. 6 : « Chaque chair étrangère doit ainsi, en tant qu'elle est donnée dans
l'extériorité et en cela donnée selon une première naissance comme chose extérieure, être avant tout traduite, c'est-à-
dire faire l'expérience d'une seconde naissance dans la conception comme chair, chair constituée dans l'intériorité et
amenant avec soi toute une intériorité de conscience et un moi, chair se complétant par là même en advenant comme
être animal et humain. »
lxxi
C'est moi, la vérité, op. cit., p. 191.
lxxii
ST, « De la naissance éternelle », p. 36 et p. 39 ; « Le livre de la consolation », p. 202 : « Le non-né donnant
naissance ».
lxxiii
C'est moi, la vérité, op. cit., p. 214.
lxxiv
L'essence de la manifestation, op. cit., §39, §40, et §49.
lxxv
A propos de la noétique divine chez Eckhart, cf. P. Gire, art. cit., p. 88 sq.
lxxvi
A deux reprises, M. Henry emploie le terme « mystique » à propos d'Eckhart, et en un sens tout à la fois positif
et non-naïf puisqu'il le dote de guillemets. C'est dire que notre auteur prend le terme de mystique en un sens non-
strictement religieux, mais proprement métaphysique : « Le dépouillement radical de l'homme compris comme la
condition de la présence en lui de Dieu, n'est-ce point là le thème fondamental et en même temps le sens dernier de la
”mystique” d'Eckhart ? » (L'essence de la manifestation, op. cit., § 39, p. 389) ; « A ceux qui le condamnèrent
comme si, dupe de son enthousiame, peut-être aussi de son amour, Eckhart avait, dans l'identification prétendue de la
créature avec Dieu, comme exagéré les sentiments et les idées que lui suggérait son âme ”mystique”, il ne manqua
qu'une chose, la compréhension de sa pensée. » (Op. cit., p. 398) A propos du rapport entre mystique et
métaphysique, cf. S. Breton, « Métaphysique et mystique chez Maître Eckhart », in Recherches de sciences
religieuses, T. 64, 1976, ainsi que P. Gire, art. cit.
lxxvii
L'essence de la manifestation, op. cit., § 39, p. 399-402.
lxxviii
Op. cit., p. 400.
lxxix
Op. cit., § 41.
lxxx
Grégoire de Nysse, Traité de la virginité, Paris, Cerf, 1966, et J. Daniélou, Platonisme et théologie mystique,
Doctrine spirituelle de Grégoire de Nysse, Paris, Aubier,1944.
lxxxi
Eckhart (T, 131) cit. par M. Henry, L'essence de la manifestation, op. cit., p. 409.
lxxxii
Eckhart (T, 131) cit. par M. Henry, op. cit., p. 410.
lxxxiii
Op. cit., p. 411.
lxxxiv
Op. cit., p. 421-413.
lxxxv
Op. cit., p. 413-414.
lxxxvi
Op. cit., § 49.
lxxxvii
Cf. le Sermon intitulé « Paul se releva de terre (Surrexit Saulus de Terra) » : « Paul se releva de terre et, les
yeux ouverts, il vit le néant : je ne puis voir ce qui est un. Il vit le néant et ce fut Dieu. » Cf. aussi, à ce propos, R.
Schürman, Maître Eckhart ou la joie errante, Paris, Denoël, 1972, et M. A. Sells, Mystical Language of Unsaying,
Chicago and London, Chicago University Press, 1994, qui débute précisément son analyse par la phrase
apparemment paradoxale d'Eckhart citée ci-dessus.
lxxxviii
L'essence de la manifestation, op. cit., p. 574.