Le Devoir Et Le Bonheur III
Le Devoir Et Le Bonheur III
Le Devoir Et Le Bonheur III
Dans le programme de Terminale, la question de la morale est interprétée comme question du devoir;
et c'est bien ainsi qu'on se représente les choses aujourd'hui. Si je tente de me représenter mon devoir, et
tout simplement le fait d'avoir des devoirs, je vais penser à des devoirs que j'ai vis à vis d'autrui, comme
par exemple être honnête avec lui et ne pas lui mentir etc. Cela n'exclut naturellement pas que j'aie aussi
des devoirs vis à vis de moi-même. L'existence de devoirs est étroitement corrélée à la responsabilité, i.e.
au fait que la responsabilité d'une action puisse être attribuée à un sujet: c'est la raison même pour
laquelle on fait de la liberté, au sens métaphysique et moral du libre arbitre, la condition
transcendantale* de la morale, comme condition de l'imputabilité des actions. Par morale, on entendra
alors la norme du libre agir, étant entendu que pour un être rationnel, il y aura nécessairement une telle
norme du libre agir, quelle qu'elle soit.
De ce point de vue, la tâche de la philosophie est de fonder une telle norme*, i.e. un tel devoir. La
religion, en proposant un tel fondement sur la base de la Révélation, l'en a longtemps affranchie. C'est
pourquoi l'on trouve les tentatives philosophiques les plus radicales pour fonder la morale soit avant ou
en dehors de toute Révélation (comme les Commandements de Moïse), soit après ou en dehors d'une
société fondée rigoureusement sur la religion: donc, dans le monde païen grec, ou au siècle des Lumières.
La symétrie n'est toutefois pas parfaite, car le monde antique ne connaît le devoir que comme usage
(coutume légitimée par la Tradition), tandis que la modernité tente de sauver le devoir de la mise en
question de la foi (cf. Brochard p.546). Soucieuse de sauver dans l'héritage chrétien une morale qui nous
oblige vis à vis d'autrui, la modernité définira une morale du devoir altruiste* (II). La morale antique nous
frappe par la façon singulière dont elle combine la certitude du Bien universel et le souci de soi (I): le
bonheur, comme critère du Bien, en émerge, en un singulier contraste avec la morale du devoir pur.
Les morales philosophiques de l’antiquité gréco-latine ont, en dépit de leurs différences, des
caractéristiques communes. Celles-ci procèdent d’une métaphysique commune, qui n’est sans doute plus
la nôtre, ne serait-ce que pour des raisons historiques, mais elles constituent tout autant une référence et
un horizon de la pensée morale. Ces morales antiques échappent largement à un clivage qui s’est imposé
ultérieurement entre morale hétéronome et morale de l’autonomie* : on peut parler de morales du
nomos* ; en effet, la nature y est conçue comme l’horizon indépassable de l’existence humaine ; sa norme
est donc tout autant celle de celle-ci. Une vie morale est une vie en adéquation avec l’ordre cosmique,
dont d’ailleurs l’ordre politique de la cité a, lui-même, à être le reflet. La question est donc celle de la vie
bonne, de la vie rapportée au Bien, pensé comme absolu intemporel, tant immanent que transcendant,
c’est-à-dire ni l’un ni l’autre. La question canonique* est celle du Souverain Bien*. La morale
philosophique correspond d’abord à un souci de soi : comment trouver la voie de cette harmonie ? La
réponse unanime, non quant au moyen, mais quant au signe du succès, réside dans le bonheur
(eudemonia). Le vice ne réside donc ni dans le péché, au sens religieux, ni dans l’égoïsme, comme le dira
une morale moderne plus laïque, mais dans une erreur quant à l’interprétation du Bien ; c’est pourquoi le
destin du vice est de mener au malheur, ce de façon tout à fait naturelle ; au contraire, la vertu, elle,
connaissance adéquate de ce qu’il convient de faire, mène naturellement au bonheur. « Nul ne fait le mal
volontairement » dira Socrate.
a) La morale hédoniste
Résumons-nous : pour la philosophie au sens antique, la question de la morale rejoint celle de la
sagesse. Il s’agit pour chacun de trouver la façon convenable de vivre. Epicure définit la philosophie
comme « la méthode rationnelle pour parvenir au bonheur ». En effet, la sagesse consiste à vivre selon les
lois de la nature, celles dont la raison nous donne la connaissance. Mais la raison n’y parvient pas seule,
mais uniquement par l’interprétation de ce qui constitue notre rapport fondamental à la réalité : la
sensibilité. C’est par celle-ci que la nature, tant la nôtre que celle qui nous entoure, se donne à connaître.
Par la douleur, la sensibilité et la nature nous disent ce qui nous nuit ; a contrario, le plaisir nous dit ce qui
nous profite. Le bonheur n’a pas d’autre langage que celui de notre sensibilité, organisée selon cette
polarité. L’hédonisme définit la philosophie qui place dans le plaisir le critère du bonheur. Sa version
vulgaire, attribuée à Aristippe de Cyrène, fixe comme seul but à la vie l’accumulation des plaisirs. Platon
s’en moquera à travers l’image du tonneau des Danaïdes, ainsi que celle de la gale, que nul ne songerait à
contracter dans le but d’avoir le plaisir de se gratter (Le Philèbe) ; mais dans La lettre à Ménécée, Epicure
s’en démarque déjà nettement. Tout plaisir n’est pas bon à poursuivre, et une douleur utile, par exemple
au rétablissement de la santé, doit être acceptée : c’est la raison, c’est-à-dire le discernement ou sagesse
pratique (la prudence*, phrônesis), qui nous guide dans nos choix éclairés, et définit la vertu. Mais le cœur
de l’hédonisme demeure, en ce sens que le plaisir demeure le critère ultime, de même que dans la
philosophie théorique ce sont les témoignages des sens. Si Epicure, en revanche, et contrairement à
Platon, refuse de jeter le bébé avec l’eau du bain, c’est-à-dire le plaisir comme critère du bonheur, il
distingue entre plaisir immobile et plaisir en mouvement, et place le premier au dessus du second. Le
second est toujours associé à un stimulus, un déséquilibre au cœur de tout désir. Le premier, seul, est lié à
l’absence de trouble : l’on l’appelle aponie lorsqu’il s’agit d’une absence de trouble dans le corps,
ataraxie* lorsqu’il s’agit d’une absence de trouble de l’âme.
Dans le Philèbe, Platon se livre à une critique féroce de l’hédonisme : n’y revenons pas, ou seulement à
travers sa reprise par Aristote, d’accord avec Platon sur l’idée que fixer dans le plaisir la fin de l’existence
humaine revient à fixer l’existence de l’huître comme idéal de l’existence humaine. Dans L’Ethique à
Nicomaque, Aristote fonde, à l’instar de Platon, sa réflexion sur la vie bonne sur une philosophie de la
nature qui est indistinctement aussi une philosophie de l’âme. Chaque être a en lui-même comme son
entéléchie* l’image de sa propre perfection. C’est elle qui détermine ce qui constitue son propre bien, la
médiation propre au Bien universel qu’établit sa propre nature. Mais les Grecs, qui étaient plus proches
de l’idée d’évolution des espèces et d’arbre philogénétique* subséquente que la science médiévale,
marquée par le créationnisme biblique, ne concevaient pas les espèces comme simplement séparées ;
elles sont comme des hypostases de rang différent du Tout, c’est-à-dire du bien universel, de sorte que
chaque règne comprend le précédent en lui-même, ainsi la faune la flore. L’âme humaine comprend donc
en elle-même une âme végétative, ainsi qu’une âme animale, correspondant réciproquement aux
fonctions végétatives et sensibles. Celles-ci ne l’épuisent pour autant pas, et c’est dans l’âme intellective
– ou partie rationnelle de l’âme – qu’elle atteint sa perfection. Qu’elle est sa fonction propre, sinon
l’appréhension de la vérité ? C’est donc la contemplation de la vérité par le biais de l’intellect qui
représente le sommet de l’existence humaine et la perfection par rapport à laquelle se déterminent
vertus et vices. (texte p. 559) Plus généralement, les philosophies de Platon et d’Aristote conçoivent la
morale d’un point de vue qu’on peut caractériser comme intellectualiste*, c’est-à-dire que la vertu y est
toujours conçue comme une question d’intelligence, ou que, comme chez Socrate, la faute n’y est pas
distinguée de l’erreur. C’est pourquoi la vertu est chez Aristote toujours conçue comme milieu juste, i.e.
position intermédiaire entre deux excès, par exemple le courage comme médiété* entre la lâcheté et la
témérité, la générosité comme médiété entre l’avarice et la prodigalité.
c) La morale stoïcienne
Même si Aristote a eu à souffrir de son statut de métèque* à Athènes et la méfiance qu’inspirait la parti
macédonien, sa morale à l’instar de celle de Platon, est profondément aristocratique ; elle ignore
profondément le tragique de l’existence, et, partant, l’irréductibilité du problème et de l’action moraux à
une question intellectuelle. C’est pourquoi la justice est pensée dans l’Ethique aristotélicienne comme
indistinctement morale et politique ; il n’y a pas place encore pour ce hiatus entre l’ordre objectif et
l’ordre subjectif pour nous si caractéristiques du problème moral, et dont les stoïciens ont eu l’intuition,
sans toutefois utiliser ce vocabulaire moderne. La philosophie stoïcienne est grecque dans son origine et
Zénon de Citium en est le fondateur ; c’est toutefois à Rome, cette civilisation de juristes à laquelle nous
devons la distinction du public et du privé, que le stoïcisme parvient au statut de philosophie quasi-
officielle. Si le Manuel d’Epictète demeure le bréviaire de la morale stoïcienne, avec sa célèbre et
fondatrice distinction entre ce qui dépend de nous et ce qui n’en dépend pas, Sénèque et Marc Aurèle
demeurent les auteurs principaux du stoïcisme romain. C’est véritablement avec le stoïcisme que le
problème moral est placé au cœur de la philosophie comme il l’est au cœur de l’existence. Le stoïcisme
est donc à plusieurs titres la philosophie qui articule sur le plan moral la conception antique de l’existence,
centrée sur le cosmos et la conception moderne, centrée sur l’individu. Sur un plan métaphysique, le
stoïcisme se donne pour tâche de combiner les contraires : l’affirmation d’un Destin implacable,
expression de la rationalité du Cosmos, et l’affirmation non moins absolue de la liberté de l’individu. Mais
cette liberté – et c’est là la synthèse – ne réside plus dans un agir extérieur, mais dans l’action de l’âme
sur elle-même : « Change ton désir plutôt qu’un destin hors de ton emprise » clame la sagesse stoïcienne.
Si rien n’est plus étranger au stoïcisme que l’hédonisme – « quiconque sera vaincu par le plaisir le sera par
la douleur » clame Sénèque (texte p. 563), l’intellectualisme n’échappe pas non plus à la critique
stoïcienne, qui place dans la volonté et non dans l’intellect la faculté cardinale qui préside à la vertu et à la
sagesse. Le bien suprême ne réside, en effet, pas dans l’intellect, qui, au demeurant, n’en est souvent,
quant au vrai, réduit qu’à des conjectures, mais dans l’indépendance. On pourrait penser qu’il s’agit
d’une rupture avec l’eudémonisme antique, mais il n’en est rien, car l’indépendance est conçue comme la
félicité suprême. Même si, comme pour Caton défait par César, elle implique de retourner le glaive contre
soi, ou pour Sénèque trahi par Néron, de s’ouvrir les veines. Inspirant bien des moralistes modernes, de
Montaigne à Nietzsche avec sa « joie tragique », la morale stoïcienne demeure un eudémonisme, mais un
eudémonisme plaçant la joie suprême dans la souveraineté sur soi-même.
L’eudémonisme pose par principe que, quoiqu’on fasse, on le fait pour être heureux, et donc que le
vicieux et le vertueux ne se distinguent que par la compréhension, inadéquate dans un cas, adéquate dans
l’autre, des moyens pour y parvenir. Historiquement, ce type de philosophie morale a été mis en cause
par les morales religieuses, qui ont placé le salut bien au-delà du bonheur immanent comme finalité de
l’existence. C’est pourquoi, au cas particulier de l’utilitarisme près, l’eudémonisme ne demeure une
référence que pour les libres penseurs, qui, de Montaigne à Onfray, aiment à se réclamer de la morale
antique. Au-delà, on peut reprocher à l’eudémonisme une erreur psychologique : il est rare qu’on se dise
qu’on fait quelque chose pour être heureux. Mais on fait ce qu’on juge avoir à faire, et, quand on atteint
son objectif, on ressent un contentement qui est donc davantage une conséquence qu’une fin. Au
demeurant, aux modernes, l’idée d’un état de contentement permanent paraît une conception de la
sagesse ayant fait long feu. Ce n’est pas uniquement que l’homme moderne, tourné vers l’action, soit
affairé : on trouve chez Pascal une célèbre critique de l’homme affairé. Mais celle-ci même se fait au nom
d’une conscience vécue comme sourde inquiétude, bien loin de l’idée du bonheur, qu’on se résout à
placer en dehors du champ du maîtrisable et du conceptualisable. Fait écho à Pascal la célèbre formule de
Kant : « Deux choses remplissent le cœur d’une admiration et d’une vénération toujours nouvelles et
toujours croissantes, à mesure que la réflexion s’y attache et s’y applique : le ciel étoilé au dessus de moi,
et la loi morale en moi. » (Critique de la raison pratique, 1788) Cette déclaration, sans nier le lien entre
devoir et bonheur, les inverse par rapport à l’approche eudémoniste. Elle témoigne d’une morale du
devoir pur.
a) La morale du devoir
A l’époque moderne et surtout au siècle des Lumières, les traités de morale fleurissent : trois genres
peuvent être distingués. Les traités de morale normatifs* ; on y trouve des listes de prescriptions et de
proscriptions. Les maximes des moralistes*, qui donnent dans l’esprit, et agrémentent les préceptes
d’observations de nature psychologique et sociale (on citera La Rochefoucault et Chamfort). Et les
ouvrages philosophiques tentant de « déduire » en raison les normes morales. Cet engouement pour les
questions morales doit, bien entendu, être reporté au recul de l’autorité religieuse ; philosophiquement, il
s’agit de fonder une norme, la norme morale, en raison. La Critique de la raison pratique, doublée du
Fondement de la métaphysique des mœurs, semble bien être l’entreprise la plus aboutie de ce point de
vue, d’autant que si certains philosophes placent le fondement de la moralité dans la sensibilité, comme J-
J Rousseau, Kant le place clairement dans la raison. (dossier p. 552)
Bien sûr, aux yeux du philosophe de Königsberg, la plupart de nos devoirs sont conditionnés* ; ils le
sont car rapportés à une fin qu’on pourrait ne pas choisir : travaille régulièrement si tu veux réussir ;
entretiens ton corps si tu veux rester longtemps en bonne santé ! Ces devoirs relèvent de l’impératif
hypothétique, dont toute la conceptualisation laisse une grande place à la liberté, puisque le sous-
entendu principal, qui est moderne, est que le sujet est libre de ses fins. On connaît la torturante et
torturée question de Dostoïevski : « si Dieu est mort, tout est-il permis ? » Kant, qui place Dieu en dehors
du champ de toute connaissance possible, y répond par avance : 1) Tout n’est pas permis ; 2) Même si l’on
ne peut établir son existence, il est, en effet, plus commode à la raison pratique, i.e. morale, de faire le
postulat de son existence (ne serait-ce que pour nous prémunir du nihilisme* du « tout est vain »). On en
arrive donc à l’impératif catégorique, qui revient à poser que tout n’est pas permis ou, pour le dire
autrement, qu’il y a des devoirs inconditionnés*. La subtilité réside dans le projet de concilier norme
morale et liberté du sujet. Celui-ci, en effet, choisit constamment ce qu’il fait, et, partant, les maximes*
selon lesquelles il agit. La morale kantienne se veut en effet une morale pour l’homme des Lumières,
l’homme libre auquel sied l’autonomie* et qu’une morale hétéronome* humilierait. Mais, quoique libre,
il trouve en sa raison une méta-norme à l’aune de laquelle il peut mesurer ses maximes. La principale
formulation de l’impératif catégorique mobilise le critère de l’universalité : pour « passer le test », c’est-à-
dire être compatible avec l’impératif catégorique, la maxime doit pouvoir, sans contradiction, être
universalisée, c’est-à-dire être envisagée comme une loi générale. A titre d’exemple, la maxime autorisant
le vol ne le peut pas, non parce que le vol serait mauvais en soi – ce que dirait une morale hétéronome –
mais parce qu’à l’évidence le voleur ne souhaite pas lui-même être volé. D’une façon générale c’est toute
morale du « double standard *» que prohibe l’impératif catégorique. Là où le Christ dit : « Ne juge pas si
tu ne veux pas être jugé ! » (Matthieu, 7 :1), la morale kantienne dit : « Juge-toi toi-même avant de juger
les autres » ; c’est pourquoi on peut dire que c’est une morale de l’intériorité, elle aurait été difficilement
concevable sans le rapport intime à Dieu posé par le protestantisme et le piétisme* dans l’atmosphère
desquels a baigné Kant. N’a de valeur morale que l’action commise par pur respect pour la loi morale, et
non celle qui est commise en vue d’une fin et selon un calcul. Au demeurant, c’est impossible à vérifier et
à établir, non seulement pour les autres, mais même eu égard à soi-même. Nul ne peut être certain que
des motifs impurs ne se sont pas mêlés au pur respect de la loi morale dans sa façon d’agir : la pure bonne
intention* est en dehors du champ du connaissable. C’est pourquoi, à propos du rigorisme* kantien, C.
Péguy déclarera : « le kantisme a les mains purs, mais il n’a pas de main. » En dépit de la critique portant
sur le caractère jugé excessivement idéaliste de la morale kantienne, elle représente un sommet dans la
tentative de fonder philosophiquement la morale en raison, et nous en sommes tous héritiers si nous
consentons à considérer la condamnation de l’esclavage (traduite dans la loi en 1794 puis en 1848 en
France) comme la traduction de la troisième formulation de l’impératif catégorique invitant à « ne jamais
considérer autrui uniquement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin ». A ce titre, la
morale moderne, rapportée à celle des Anciens, apparaît non seulement comme étant une morale du
devoir, mais comme une morale du devoir vis-à-vis d’autrui, c’est-à-dire nécessairement comme une
morale altruiste, ce qui est aujourd’hui un lieu commun qui en ferait presque – à tort – oublier les devoirs
que l’on a vis-à-vis de soi-même.
b) La critique utilitariste
Conclusion. L’utilitarisme, qui correspond certainement à la philosophie morale qui sous-tend la société
occidentale contemporaine, fait songer à plus d’un titre aux morales antiques ; il semble renouveler un
eudémonisme oublié dans le contexte d’une société de consommation censée être au service du bonheur
individuel. Les apparences sont trompeuses, et rien n’était plus étranger aux anciens que de réduire le
bonheur à un intérêt calculable. Le bonheur, « cette idée neuve en Europe » (Saint Just) , comme on a pu
dire au XVIIIème siècle, nourrit depuis Rousseau l’imaginaire des sociétés contemporaines, mais sans
doute selon le « mode sentimental » de F. Schiller, à savoir comme ce qui fait défaut. Le mérite des
morales du devoir n’est-il pas de rappeler qu’on est jamais plus heureux que son devoir accompli là où
une Madame Bovary prête à sacrifier son devoir à son bonheur se condamne à tout perdre ?