HistorSpec38 - 2017-11 12
HistorSpec38 - 2017-11 12
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S
Numero
SPECIAL
Les mystères du
ÉGYPTE
royaume de Cléopâtre
M 08183 - 38 - F: 5,95 E - M
3’:HIKSLI=XUZ^ZV:?k@a@n@i@a";
ÉDITORIAL
L
’ÉGYPTE, S’EXTASIE HÉRODOTE, «renferme plus de merveilles que
nul autre pays, et il n’y a point de contrée où l’on voit tant d’ouvrages
admirables et au-dessus de toute expression ». À raison. Nul autre
endroit au monde ne dispose d’autant de splendeurs, tout en préser-
vant son voile mystérieux. Je me souviens, comme si c’était hier, de
mon premier voyage au pays des pharaons. J’avais 16 ans. L’égyptologie était
ma marotte, ma « came », mes fleurs de nénuphar macérées dans le vin – ainsi
que le faisaient les Égyptiens pour connaître un état « alternatif ».
Là-bas, sur le bord du Nil, au pied du temple d’Amon,
à Louxor, j’avais atteint un état de béatitude parfaite. Le
soleil couchant, rasséréné par le dieu Atoum, recouvrait
le site de son drap cuivré, tandis que l’appel du muezzin
faisait gronder les entrailles de la ville… et remuait les
miennes. Sur les parois du sanctuaire, à travers les hié-
roglyphes, les statues colossales et les bas-reliefs, s’ani- JEAN LUC BERTINI
3 - Novembre-décembre 2017
CONTRIBUTEURS Numero
SPECIAL
8, rue d’Aboukir, 75002 Paris.
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Professeur émérite à l’université de Caen et participe à de de chaque nom.
de Nantes, spécialiste nombreuses émissions, telles que Président-directeur général
et directeur de la publication : Claude Perdriel.
de la Renaissance italienne, Secrets d’Histoire (p. 66 et 72). Directeur général : Philippe Menat.
Directeur éditorial : Maurice Szafran.
il a édité et traduit, pour Les Belles Directeur éditorial adjoint : Guillaume Malaurie.
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Lettres, de nombreux textes latins Aude Gros de Beler Service abonnements :
Historia Spécial, service abonnements, 4, rue de Mouchy,
et renaissants. Il est également Son sujet de prédilection est la vie 60438 Noailles Cedex. Tél. France : 01 55 56 70 56 ;
l’auteur d’une Histoire de Rome quotidienne des Égyptiens étranger : 00 33 1 55 56 70 56.
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(2010) et des biographies de Galilée de l’Antiquité. Chargée de cours à 10 numéros + 1 numéro double : 88 €.
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L’ÉGYPTE DE CLÉOPÂTRE
54 LES PTOLÉMÉES :
PUISSANCE ET DÉCADENCE
par Catherine Salles
5 - Novembre-décembre 2017
INTRODUCTION
Cyrène, p. 100
Siwa, p. 92
Un royaume riche
comme un plateau de jeu
Le cœur battant de l’Égypte ! Les concepteurs
d’« Assassin’s Creed Origins » ont placé leur
intrigue sur une carte réunissant les plus beaux
sites antiques, de Memphis à Alexandrie…
UBISOFT
Pour les besoins du jeu, la carte ne respecte pas les distances ni la géographie.
Thônis-Héracleion, p. 96
Alexandrie, p. 80
Gîza (Gizeh), p. 36
Vallée du Natron, p. 89
Memphis, p. 86
Le Fayoum, p. 92
Crocodilopolis, p. 92
INTRODUCTION
ANGELO/LEEMAGE
LES PRÉCURSEURS
Dans le sillage de la campagne du général
n 1798, les savants de Bonaparte (1798-1801), l’Égypte revient
la campagne d’Égypte
débarquent à Alexan-
dans la lumière après des siècles de silence.
drie et découvrent les Le début d’une passion – et d’une révélation.
richesses insoupçon-
nées de la civilisation Par Aude Gros de Beler
pharaonique. Courant
de site en site, ils ne
cessent de copier les inscriptions
mystérieuses gravées ou peintes sur guistes et scientifiques les plus émi- toire égyptienne, soit d’environ 3150
les parois des tombes et des temples. nents se pressent pour obtenir les av. J.-C. au 24 août 394, date de la
Jubilatoire, mais une énig me meilleures copies, les documents les dernière inscription répertoriée sur
demeure, qui gâche le plaisir : que plus explicites, les papyrus les plus les parois du temple d’Isis à Philae.
signifient tous ces signes accolés les complets. Un être d’exception qui Elle est utilisée pour tous les textes,
uns aux autres en rangs serrés ? consacrera sa vie à cette tâche uni- quel que soit leur type, gravés ou
Chacun rêve d’être celui qui per- verselle y parviendra : Jean-François peints. Toutefois, à partir de l’époque
cera ce secret. Or, la concurrence est Champollion (1790-1832)… grecque (332 av. J.-C.), elle est réser-
rude. Avec les premiers documents Le hiéroglyphique est la seule écri- vée à la littérature sacrée des sanc-
qui déferlent en Occident, les lin- ture employée pendant toute l’his- tuaires et passe de 700 à quelque
DE L’ÉGYPTOMANIE
1 500 signes. Or, en 551, Justinien langues. Dès la création de l’École étudie à travers une copie de la pierre
ordonne la fermeture du sanctuaire spéciale des langues orientales de Rosette et de papyrus rapportés
de Philae. Avec lui dispa raissent les (1795), il obtient la chaire d’arabe, d’Égypte. S’il ne découvre pas la clé
derniers adeptes de la religion pha- puis il intègre le Collège de France, du mystère, il effectue toutefois des
raonique, donc les derniers prêtres où il enseigne le persan. remarques pertinentes, exposées à
susceptibles de dé chiffrer l’écriture Sa renommée dépasse les fron- Silvestre de Sacy le 3 octobre 1814 :
égyptienne. En quelques années, la tières : son enseignement, jugé le l’apprentissage du copte doit per-
clé des hiéroglyphes est perdue. À meilleur d’Europe, attire de nom- mettre de remonter à l’écriture égyp-
partir du XIXe siècle, motivés par breux étudiants, dont Jean-François tienne ; l’égyptien utilise conjointe-
l’orientalisme qui gagne l’Europe à Champollion. Ayant reçu une copie ment des signes alphabétiques et non
la suite de la campagne d’Égypte, de de la pierre de Rosette, Silvestre de alphabétiques ; sur la pierre de
nombreux scientifiques tentent de Sacy travaille sur le texte démotique Rosette, il reconnaît les cartouches
ressusciter les écrits pharaoniques. et parvient à lire trois noms propres, de Ptolémée et de Bérénice, mais
Or, avant la découverte de Jean- mais il butte sur le fonctionnement n’arrive pas à trouver les correspon-
François Champollion, seulement du système hiéro glyphique. dances entre les signes égyptiens et
trois d’entre eux parviennent à des les lettres grecques.
conclusions intéressantes… LE COPTE, LANGUE PASSERELLE Le diplomate et orientaliste sué-
Antoine Isaac Silvestre de Sacy Thomas Young (1773-1829), méde- dois Johan David Akerblad (1763-
(1758-1838), orientaliste français, cin et physicien britannique, se pas- 1819) commence à s’intéresser
développe très tôt un goût pour les sionne pour les hiéroglyphes, qu’il aux langues orientales lorsqu’il
9 - Novembre-décembre 2017
INTRODUCTION
IDÉOGRAMMES, PHONOGRAMMES ?
Personnage hors du commun, lin- De Sacy étudie le texte démotique de
la pierre de Rosette. Il met en relation des
guiste éminent, Jean-François Cham-
signes égyptiens avec des lettres grecques.
pollion, surnommé « l’Égyptien », est
encore tout jeune lorsqu’il scelle son
destin : à 11 ans seulement, il décide
de se pencher sur le mystère des hié-
roglyphes – pour le percer. Né à
Figeac le 23 décembre 1790, il se dis-
11 - Novembre-décembre 2017
INTRODUCTION
Le premier signe ne peut repré- nogrammes : il en déduit donc que objets de la collection Drovetti,
senter que le disque solaire, qui se dit l’écriture est à la fois idéographique récemment acquise par le roi de Sar-
Rê en copte. Quant au deuxième et phonétique. En 1824, la publica- daigne. Dès son retour, en 1826, il
signe, plus problématique, il semble tion de son Précis du système hiéro- est nommé conservateur du départe-
pouvoir être mis en relation avec le glyphique explique, de manière plus ment des Antiquités égyptiennes du
mot copte mes, « mettre au monde ». claire et plus complète, le résultat de musée du Louvre et, parallèlement,
Aussi Champollion obtient-il le mot ses travaux et finit de convaincre les il donne des cours d’archéologie
suivant : Rê-mes-s-s, ou Ramses, le derniers sceptiques. égyptienne.
nom d’un des plus grands pharaons Par la suite, il ne cesse d’approfon-
d’Égypte. Des trois signes représen- dir ses recherches et finit par se VOIR ALEXANDRIE ET MOURIR
tés, l’un (Rê) est un idéogramme, les rendre en mission officielle en Italie, Une idée le tracasse : il voudrait se
deux autres (mes et s) sont des pho- notamment à Turin, où il consulte les rendre sur place pour tester sa toute
récente découverte et voir si son sys-
tème de lecture est applicable à tous
les textes égyptiens, quelle que soit
LE MYSTÈRE DE LA NAISSANCE leur époque. Ainsi, le 31 juillet 1828,
Champollion et l’Italien Ippolito
DE L’ÉCRITURE Rossel l i n i s ’emba rquent pou r
l’Égypte à la tête d’une expédition
Dès l’unification du pays, vers 3150 av. J.-C., l’écriture égyptienne franco- toscane constituée d’une
se développe rapidement, sans doute parce qu’elle constitue l’outil vingtaine de personnes.
indispensable au bon fonctionnement de l’administration naissante. Le voyage dure quinze mois ;
Or, on ne parvient pas à expliquer comment le système d’écriture se d’Alexandrie à Assouan, les membres
met en place, d’autant que les archives sont muettes sur le sujet : pour de l’équipe visitent les vestiges,
les Égyptiens, les « paroles divines » – les hiéroglyphes – restent une copient les inscriptions, les bas-
invention de Thot, le maître de l’écriture ; certains affirment que les reliefs et les peintures, décrivent les
hommes ont tout hérité de lui et que cette somme de connaissances sites, observent les coutumes locales.
leur a été transmise par des écrits, volontairement abandonnés par Quant à Champollion, il décrypte
le dieu dans les sanctuaires. On constate toutefois que, dès le départ, tout ce qui lui tombe sous les yeux et
les bases de l’écriture sont fixées de manière presque définitive : sur constate que son alphabet « s’ap-
les 24 signes alphabétiques, 21 existent déjà, tandis que les autres plique avec un égal succès d’abord
catégories de signes (bilitères, trilitères et déterminatifs) sont bien aux monuments égyptiens du temps
attestées. Le constat est étonnant : quelle que soit son origine, l’écriture des Romains et des Lagides, et, ce qui
égyptienne semble être entrée en usage partiellement aboutie, prête à devient d’un bien plus grand intérêt,
l’emploi et capable d’exprimer tout ce que l’on attend d’elle. A. G. B. ensuite aux inscriptions de tous les
temples, palais et tombeaux des
époques pharaoniques ».
À son retour, on le couvre d’hon-
neurs. Il est d’abord élu à l’Académie
des inscriptions et belles-lettres, puis
on lui crée une chaire d’égyptologie
au Collège de France, poste dont il ne
WORLD HISTORY ARCHIVE / AURIMAGES
13 - Novembre-décembre 2017
UBISOFT
LE MONDE
DE L’AU-DELÀ
Dans ce pays de la lumière qu’est l’Égypte,
les ténèbres s’apparentent à la mort. Et les
Égyptiens sont passés maîtres dans l’art
d’embaumer les corps pour que l’être disparu
renaisse dans un nouvel univers.
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
OLAF TAUSCH
façon systématique, le Noun : un chaos désorganisé, un organiser sa création.
17 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
19 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À Triade Khnoum, le dieu-bélier,
entouré de la déesse Hathor et
de Maât (déesse de l’Équilibre
cosmique). XXIIIe dynastie (v. – 890).
Le potier
démiurge
d’Esna
Étrangement, la ville d’Esna abrite
deux divinités créatrices (Khnoum,
le dieu-bélier d’Éléphantine, et
Propitiation
Thoutmosis III
Thèbes : nom de domaine d’Amon
faisant une Cette cosmogonie combine (Medinet Habou). Il amorce corps de ces dieux reposent
offrande d’eau des emprunts et des apports le processus de création et, à Djêmé, lieu appelé dans
et d’encens originaux. À l’aube des une fois son temps révolu, il les textes la « Place sainte
à Amon-Rê. temps, le serpent Kematef, conçoit le serpent Irta, « Celui du début du temps ». Or, à
Temple funéraire de
« Celui qui accomplit son qui a fait la terre », puis se partir de la XIIe dynastie
Hatshepsout, Deir
temps », émerge du Noun retire dans un long sommeil. (1991-1780 av. J.-C.), le
el-Bahari, Thèbes,
XVIIIe dynastie.
sur la butte de Djêmé Irta entreprend alors de culte d’Amon se développe
créer l’univers. Il commence à Thèbes et le clergé lui
par engendrer la terre, ainsi constitue une théologie en
que les dieux primordiaux harmonie avec sa nouvelle
de l’Ogdoade. Ces derniers personnalité : celle de maître
se rendent à Hermopolis, incontesté du panthéon
à Memphis et à Héliopolis égyptien. Amon est alors
pour donner naissance à considéré comme le « grand
Ptah et à Atoum. Épuisés ba de Kematef » : en tant que
par leur œuvre colossale, dieu créateur, il se manifeste
ARALDO DE LUCA / AURIMAGES
collection particulière.
21 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
LES 12 DÉITÉS
DU PANTHÉON
Puissantes, bénéfiques ou malfaisantes, elles veillent
sur chaque bourgade et accompagnent chaque
moment de la vie – et de la mort – des Égyptiens.
AMON
Filiation : époux de la déesse
vautour Mout, père du dieu
lunaire Khonsou.
Rôle : dieu tutélaire de la ville de
Thèbes, créateur allié avec le dieu
solaire d’Héliopolis sous forme
d’Amon-Rê.
Attributs : croix ansée ankh,
sceptre ouas (symbole de force,
de puissance) – communs à tous
les dieux –, couronne à deux
hautes plumes et bélier.
ARTOTHEK - CHRISTIE'S / LA COLLECTION
ARTOTHEK - CHRISTIE'S / LA COLLECTION
OSIRIS
Filiation : fils de Geb
et de Nout, époux d’Isis,
SETH
père d’Horus.
Rôle : incarnation des
puissances végétantes de
Filiation : fils de Geb, dieu de la la nature. Il aurait enseigné
Terre, et de Nout, déesse du Ciel ; aux hommes l’agriculture
INTERFOTO / LA COLLECTION
ANUBIS
KHNOUM
HORUS
Filiation : époux de Satis et père
d’Anoukis. Rôle : potier divin.
Il a créé l’œuf primordial, dont est
issu l’Univers (à Esna), et façonne Filiation : fils d’Osiris et
les hommes à partir du limon d’Isis. Rôle : dieu du Ciel,
du Nil. Dieu bélier, il est aussi celui ses yeux figurent le Soleil
UBISOFT/M. DESCHAMBAULT
protecteur de Pharaon,
Attributs : tour de potier, tête il incarne la royauté.
de bélier. Multiples représentations
et attributions. Attributs :
pschent (couronne), armes
(lance, harpon), faucon.
PTAH
Filiation : époux de Sekhmet,
père de Nefertoum.
Rôle : patron des orfèvres et des
artisans, il règne sur les génies et les
animaux des profondeurs de la terre.
Démiurge, il conçoit le monde en son
cœur puis le façonne par la parole.
Attributs : gaine momiforme, croix
et sceptre ouas insérés dans un pilier
djed (symbole de stabilité).
ISIS
conscience de sa propre
conscience. Rôle : démiurge,
créateur de l’Univers, dont
ARTOTHEK - CHRISTIE'S / LA COLLECTION
25 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
LA BARQUE SACRÉE
ET LA TRAVERSÉE
DES TÉNÈBRES
Dans les temples ou au pied des de prières devant accompagner le défunt dans
nécropoles, la présence de bateaux son voyage vers l’au-delà. Les théologiens de
l’Égypte ancienne imaginent que le monde est
révèle, dans un pays vénérant une sorte de plateforme en terre flottant sur un
l’astre du jour et le fleuve nourricier, immense océan intérieur d’où provenait le Nil et
les craintes qu’inspire la nuit. ainsi symbolisé par la déesse Noun soulevant la
barque solaire hors des eaux au moment de la
S.VANNINI/DEA/LEEMAGE
création. Les textes transcrivent le grand rituel
Par Claudine Le Tourneur d’Ison du culte funéraire royal de l’Ancien Empire, mais
démocratisés à destination du peuple.
Au Nouvel Empire (1580-1085 av. J.-C.), le
grand cycle diurne du Soleil est complété par
son périple nocturne. L’étoile est censée traverser
ans un pays où le fleuve est source de toute un espace imaginaire au cours duquel sa vigueur
vie, la navigation a influé sur l’imaginaire augmente pour aborder sa renaissance diurne.
des premiers théologiens. Ainsi la Cet espace, appelé la Douat, est un lieu de cir-
barque sacrée représentée dans les culation et de transformation que le Soleil par-
temples et sanctuaires joue un rôle pri- court dans une barque portée par les flots du Nil
mordial dans la religion égyptienne souterrain. Osiris, dieu qui figure le cycle de
ancienne. Elle est à l’origine du mythe l’éternel retour, est ainsi associé à l’astre rayon-
qui symbolise la vie, la mort et la résurrec- nant afin de lui assurer un plein succès dans ses
tion d’Osiris. Les âmes des défunts rejoignent la pérégrinations nocturnes.
barque solaire qui a pour mission de les trans-
porter dans le ciel sur les traces du dieu Soleil. UNE PROMESSE DE RENOUVELLEMENT
La barque de Chéops, mise au jour au pied de sa Il s’agit d’éviter les forces destructrices incarnées
pyramide, incarne par ses dimensions et sa par le serpent Apophis. Symbole du chaos, il
forme la barque du mythique voyage du soleil espère faire échouer la barque divine pour évi-
dans sa course céleste. ter le retour de la lumière et ainsi interrompre
Au départ destiné aux seuls pharaons, le culte le processus de création permanente. Seth, qui
funéraire s’étend aux morts « ordinaires » grâce assassina son frère Osiris, lui offrant ainsi sa rai-
au Livre de la sortie au jour, cet ensemble de son d’être et la possibilité de remplir sa mission,
textes et de formules dont les plus anciens figure souvent parmi les passagers de la barque
remontent à 2300 av. J.-C. Écrit sur papyrus et solaire, dont il est le principal défenseur. Par son
richement illustré, ce livre est un précieux recueil agressivité, Seth repousse chaque nuit les
27 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
UN PEUPLE
TOURNÉ VERS
LES ASTRES
Le calendrier de l’ancienne Égypte découle
de l’observation de la voûte céleste. Un royaume
éthéré et vénéré où des étoiles « impérissables »
côtoient des planètes « infatigables »…
Par Aude Gros de Beler
i l’on ignore l’étendue des connaissances fixé lorsque la crue du Nil déferle sur le pays –
astronomiques des habitants de la vallée coïncide avec un phénomène astronomique. Ce
du Nil, on peut toutefois penser qu’elles jour-là, Sothis (Sirius), l’étoile fixe la plus bril-
sont loin d’être négligeables. Comme lante du ciel, apparaît juste avant le lever du
toutes les sciences égyptiennes, l’astro- soleil, soit le 19 juillet : c’est le lever « héliaque »
nomie est pragmatique : on ne théorise de Sirius. Malgré la beauté du système, il reste
pas, on observe juste le ciel pour orien- que ce calendrier présente un inconvénient
ter correctement les monuments, calculer majeur : il est trop court d’un quart de jour. Avec
l’avancement des heures de nuit ou détermi- cette erreur cumulative, on perd une année com-
ner les dates des fêtes religieuses. plète tous les mille quatre cent soixante ans
Le calendrier comprend 365 jours, décompo- (période sothiaque). Étrangement, avant
sés en 12 mois de trente jours, auxquels l’époque grecque, aucun roi n’a cherché à recti-
s’ajoutent en fin d’année cinq jours dits « épago- fier l’erreur en rattrapant le retard par année
mènes ». Les mois comptent trois décades de dix intercalaire ou bissextile !
jours, chacun de vingt-quatre heures. L’année
est divisée en trois saisons de quatre mois, MARS, L’« HORUS ROUGE »
découpage répondant à d’évidentes nécessités Quant au décompte des heures, il répond à une
agricoles : akhet (l’inondation), peret (les logique assez étrange. Une période de vingt-
semailles), chemou (la récolte). Ce calendrier quatre heures est divisée en douze heures
présente donc deux avantages non négligeables : diurnes et douze heures nocturnes, quelle que
ses mois sont de longueur égale et sa division soit la saison. L’heure égyptienne est donc sujette
décadaire ne chevauche ni les mois ni les années. à d’importantes variations, puisqu’elle forme
En principe, le début de l’année égyptienne – toujours un douzième du jour dont elle fait par-
29 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
PASSEPORT
POUR UN
AUTRE MONDE
La mort ne signe pas la fin de l’être, mais
marque une étape périlleuse à l’issue de
laquelle le défunt, à l’image du dieu Osiris,
recouvre la vie. À cela, une condition : que
son corps soit conservé.
UBISOFT
Bocaux vitaux
Ces urnes, appelées
canopes [du nom
d’une ville antique
près d’Aboukir]
et représentant
les quatre fils
d’Horus, renferment
les viscères du
trépassé, qu’elles
accompagnent dans
DEAGOSTINI/LEEMAGE
sa sépulture.
Bois peint,
XXIIe dynastie, Louvre.
es Égyptiens sont dominés par une préoccupation aiguë de la vie dans l’au-
delà. Or, s’ils savent la vie terrestre éphémère, ils pensent la vie après la mort
éternelle. Il est donc naturel de passer sa vie à préparer les aménagements
nécessaires à la construction de sa demeure d’éternité et au bon déroulement
du passage de l’âme dans l’au-delà, confié à Osiris, le grand dieu funéraire.
Assassiné par son frère Seth, c’est un être qui a connu la trahison et la mort.
Mais, grâce à la sollicitude d’Isis, il a triomphé de cette épreuve en ressusci-
tant. C’est pourquoi chacun cherche à se rapprocher de lui car il est le seul être
qui apporte l’espoir d’une survie éternelle. Ainsi, tout comme Osi-
ris, le défunt doit subir les rites de la momification, première étape
vers son identification au dieu. Cette pratique s’explique par la com-
plexité de la perception de l’être humain dans la pensée égyptienne. Celui-ci
est composé de divers éléments, certains spirituels, d’autres matériels. Les
principes spirituels comprennent le sekhem et le sakh, l’énergie et le corps spi-
rituels, mais surtout l’akh, la puissance invisible, le ba, l’âme, et le ka, la mani-
festation des énergies vitales tant conservatrices que créatrices survivant à la
mort physique. Ces trois derniers termes, traduits approximativement faute
de notions semblables dans notre pensée, renvoient à la transformation qui
s’opère au moment de la mort. Quant aux éléments matériels, ils regroupent
le corps, khet, lié à son ombre, shout, mû par le cœur, ib, et muni d’un nom,
ren, qui existe comme une seconde création de l’individu. Lorsque survient la
mort, qui n’est pas une fin mais un passage vers une autre forme d’existence,
ces différents éléments se dispersent tout en conservant individuellement leur
intégrité. Si l’on parvient à tous les réunir à nouveau dans leur enveloppe, cette
seconde vie auprès d’Osiris devient possible. À la seule condition de préserver
l’élément le plus fragile : le corps. Le laisser se dégrader, c’est perdre tout espoir
de survie ; d’où la pratique de la momification.
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
« Tu revis, tu revis pour toujours, rate, le péritoine, les reins et autres organes
te voici de nouveau jeune, mous. Puis, après avoir cassé le diaphragme, on
sectionne la trachée et l’œsophage au niveau du
à jamais » : c’est sur ces paroles cou et on extrait les poumons. Les viscères sont
d’espérance que s’achève traités à part. Après dessiccation, ils sont enduits
E
à tête d’homme, veille sur le foie ; Hapi, le génie
MBAUMER LE CORPS. C’est sans du Nord à tête de babouin, veille sur les pou-
doute l’existence des momies sponta- mons ; Douamoutef, le génie de l’Est à tête de
nées qui a suggéré très tôt aux Égyp- chacal, veille sur l’estomac ; Khebeh-Senouf, le
tiens la possibilité de conserver le génie de l’Ouest à tête de faucon, veille sur les
corps. Mais la technique progresse intestins. Quant au cœur, siège de la vie affec-
lentement, au prix de tâtonnements et de résul- tive, intellectuelle et physique, il est remis en
tats inégaux ; elle atteint son apogée au Nouvel place après avoir été momifié.
Empire, soit deux mille ans après son invention.
Ces opérations, exécutées par des spécialistes, REDONNER AU CORPS SON VOLUME INITIAL
nous sont connues par les récits d’Hérodote et Une toilette minutieuse, effectuée à l’eau lustrale
par l’examen radiographique des momies. ou au vin de palme, précède la déshydratation
Après une première purification sous la tente du corps, plongé dans le natron pendant qua-
d’embaumement, on effectue l’ablation du cer- rante à soixante-dix jours. On enroule des cor-
veau, ôté par les voies nasales à l’aide d’un long dons autour des ongles afin d’éviter leur chute.
crochet en bronze. On retire ensuite les viscères, Une fois déshydraté, le corps subit un nouveau
en pratiquant une incision dans le flanc gauche, nettoyage, suivi d’un séchage méticuleux pour
d’où l’on extrait l’intestin, l’estomac, le foie, la éviter la prolifération de champignons ou de
moisissures. Reste à lui redonner son volume
initial en remplissant les cavités (boîte crâ-
Le survol et la survie La momie, sur son lit (sous lequel ont été posés les nienne, paroi thoracique et abdominale, organes
canopes), est protégée par un oiseau à tête humaine qui symbolise génitaux féminins) par des linges imprégnés de
le ba, l’âme. Principe incorruptible, il continue de planer, sans n’être plus résine, de sciure de bois ou de lichen aromatique.
rattaché à une enveloppe corporelle. Papyrus de Serimen, XXIe dynastie, Louvre.
DEAGOSTINI/LEEMAGE
33 - Novembre-décembre 2017
TÉTIERE
R
DE L’ÂME ITES FUNÉRAIRES. Une fois le
corps momifié et le trésor funéraire
rassemblé, le défunt est fin prêt à
gagner sa dernière demeure. Après
un épisode de deuil au domicile, où
famille, proches et pleureuses professionnelles
Pour accéder au royaume d’Osiris, l’homme doit sortir se lamentent sur ce décès, le cortège se dirige
victorieux du jugement des morts (ou « psychostasie »), vers la rive occidentale du Nil, là où se couche
détaillé au chapitre 125 du Livre de la sortie au jour. Ses le soleil et où disparaissent les défunts. Pour pas-
actions sont analysées par les divinités : Anubis, Thot, ser de l’est à l’ouest, le catafalque est chargé sur
Horus, Maât et Osiris. La scène se déroule devant le dieu une barque dans laquelle, de part et d’autre,
des morts et ses 42 assistants. Au centre de la pièce deux femmes jouant le rôle d’Isis et de Nephtys
se dresse une balance : sur l’un des plateaux repose le pleurent le départ du mort. Tout autour, de mul-
cœur du défunt, sur l’autre une plume, symbole de Maât. tiples embarcations transportent le mobilier, la
En cas de jugement défavorable, le défunt est livré en famille, les amis et les pleureuses. Parvenu sur
pâture à la Grande Dévoreuse et condamné à errer dans la rive, le cortège s’organise autour du défunt et
le Noun (le chaos originel). Dans le cas contraire, il est se dirige lentement vers la tombe. En route, des
conduit devant Osiris, qui l’invite à réciter sa « confession prêtres encensent le sarcophage tout en récitant
négative ». S’adressant tour à tour à chacun des dieux les versets rituels.
qui assistent le juge suprême, le défunt proclame son Devant la sépulture, chacun s’arrête en
innocence et énumère toutes les fautes qu’il n’a pas silence, laissant les prêtres effectuer les ultimes
commises : crimes, transgressions aux règles sociales, rites funéraires : dernier adieu et, surtout, rite
violation des interdits religieux… Le voici enfin prêt à de l’Ouverture de la bouche orchestré par le
entrer dans le royaume d’Osiris, où il vivra éternellement prêtre sem, le fils aîné du mort. Ce rite prévoit
« dans la suite » du dieu. A. G. B. une centaine de manipulations censées assurer
le passage entre les deux mondes. Couvert d’une
35 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
MYKÉRINOS
CONSTRUCTION :
IVe dynastie,
v. 2490-2470.
BASE : 105 m de côté.
HAUTEUR : 65,5 m.
VOLUME : 240 000 m3.
INCLINAISON :
51° 20’ 24”.
GÎZA, LE PLATEAU
DES MERVEILLES
Quarante siècles de contemplation et un sommet de l’art funéraire.
Les nécropoles se dressent en un ensemble monumental, formant une
ville à l’extérieur de la ville, et un lieu de passage vers une autre vie.
UBISOFT/IVAN TKORITAREV
algré la lèpre des immeubles nellement » : c’est ce que disent les Textes des
modernes qui prennent presque pyramides, ces textes funéraires très anciens qui
d’assaut le rebord du plateau sont gravés sur les parois des sépultures royales
libyque, et malgré le ring road à partir de la fin de la Ve dynastie.
qui finira par l’encercler com-
plètement, le site de Gîza* L’ÉVOLUTION DE LA BUTTE DE TERRE
garde son prestige et la pyra- Chacune des trois pyramides est la partie la plus
mide de Chéops semble pouvoir visible d’un ensemble monumental où l’on
* Pour cet
continuer à clamer « Je suis l’éternité », comme retrouve, transposées à une échelle digne des article
Hugo le faisait dire, dans La Légende des siècles, rois, les deux parties du mastaba type : la uniquement,
à la seule des Sept Merveilles du monde qui soit « demeure d’éternité » du mort (autrement dit, à la demande
de l’auteur,
parvenue jusqu’à nous. son caveau) et la chapelle où l’on venait déposer nous avons
Comme ses voisines et comme les mastabas des offrandes pour entretenir son culte. À Gîza, opté pour
qui les entourent, elle n’est rien d’autre qu’un on a donc affaire à trois complexes funéraires l’orthographe
« Gîza »
tombeau, une « demeure d’éternité » dont on sou- dont les éléments inégalement conservés se à la place
haite qu’elle soit « en parfait état et perdure éter- signalent diversement à l’attention. C’est celui de « Gizeh ».
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L E M O N D E D E L’A U - D E L À
DES THÉORIES
FARFELUES
39 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
dont le toit se trouverait à environ 3,5 mètres au rapport 5/4 ; ses 240 000 m3 représentent
de profondeur »… Voilà un « dernier mystère », moins du dixième du volume de Chéops. C’est
comme disent les médias, qu’il serait facile de son revêtement de granit rouge, encore en place
percer ! Aura-t-on la curiosité de le faire alors sur le quart inférieur de ses faces, qui fait l’ori-
que Chéops dort peut-être encore au cœur de ginalité de cette pyramide que les auteurs arabes
son éternité ? qualifiaient de « peinte » ou de « colorée ».
La pyramide de Chéphren, le second fils de
Chéops, a des dimensions très proches de celle DES QUESTIONS RESTENT SANS RÉPONSE
de son père ; avec une pente plus forte de Les Égyptiens n’ayant laissé aucune information
53° 7’ 48”, due cette fois au rapport 4/3 existant sur la façon dont les pyramides ont été
entre une hauteur de 143,50 m et la moitié d’une construites. On ne compte plus les « solutions »
demi-base de 215,30 m, ce qui lui donnait un qui ont été proposées depuis les « machines faites
volume de 2 217 000 m3 ; l’angle de sa pente et de courtes pièces de bois », évoquées par Héro-
le fait qu’elle ait gardé la partie supérieure de dote, mais qui concernaient plutôt la pose du
son revêtement donnent l’impression qu’elle est revêtement que celle des assises, aux divers
plus haute que la pyramide paternelle ; elle se types de rampes (frontale, enveloppante,
distingue de celle-ci par la disposition et l’empla- interne…), en passant par l’emploi de pierre
cement de l’appartement funéraire, qui, malgré « reconstituée » et, pourquoi pas, par l’inter-
sa double entrée, est beaucoup moins complexe vention des rescapés de l’Atlantide en 10500
et se trouve, pour l’essentiel, creusé dans le avant notre ère !
rocher, sous le niveau du sol : après l’accident D’autres questions restent sans réponse et
survenu chez Chéops, les Égyptiens n’ont plus entretiennent l’étrange fascination que la Grande
jamais aménagé d’appartement funéraire dans Pyramide – car c’est toujours d’elle qu’il s’agit –
le massif des pyramides. exerce sur l’esprit humain. Nombreux sont ceux
La pyramide de Mykérinos doit au voisinage qui, ne pouvant se résoudre à n’y voir qu’un tom-
des deux autres de compter au nombre des beau, se sont lancés dans de folles élucubrations :
« Grandes Pyramides » ; elle n’avait « que » 65,5 m on a parlé de bible de pierre, d’observatoire, de
de hauteur pour une base de 105 m de côté et lieu d’initiation, de chronographe historique…
une pente de 51° 20’ 24”, ce qui correspondait et ce n’est pas fini !
S
i le mot « pyramide » impose à tout pyramides s’étalent, dans le temps, de la IIIe à la
un chacun l’image des gigan- XIIIe dynastie et, dans l’espace, sur près d’une centaine
tesques tombeaux de Gizeh, rares de kilomètres du rebord du plateau libyque, d’Abou
sont ceux qui savent que, toutes Raouach à l’entrée du Fayoum.
tailles confondues, plus d’une Depuis le passage des savants de Bonaparte et les
centaine de monuments de ce travaux des pionniers de la première moitié du
type ont été édifiés en Égypte et XIXe siècle, tels que Howard Vyse et John Perring, d’in-
même dans le lointain Soudan à nombrables missions ont largement fait progresser nos
la XXVe dynastie (VIIIe-VIIe s. av. J.-C.) et à l’époque connaissances. Cependant, malgré l’emploi de tech-
méroïtique. En fait, c’est surtout la sépulture de Chéops niques sophistiquées auxquelles on recourt aujourd’hui,
– la mythique Grande Pyramide – qui résume et éclipse diverses questions sont et resteront sans réponses : quel
toutes les autres, sauf celle de son fils Chéphren, qui microgravimètre ou quel détecteur de muons pourra
n’avait que quelques mètres, ou quelques coudées si l’on nous dire, par exemple, pourquoi Snéfrou, le père de
UBISOFT/M. DESCHAMBAULT
préfère, de moins que celle de son père. Chéops, non content d’avoir transformé la pyramide à
Qu’elles soient en pierre (Ancien Empire), ou quel- degrés de son prédécesseur en pyramide parfaite, a fait
quefois en brique (Moyen Empire), la plupart de ces construire ensuite les deux pyramides de Dahchour ?
M. DESCHAMBAULT
41 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
DJÉSER
CONSTRUCTION :
Djéser (IIIe dynastie,
v. 2630-2610).
BASE : 121 x 109 m.
HAUTEUR : 60 m env.
MUR D’ENCEINTE :
Hauteur 10,5 m ; 544 m
du nord au sud ; 277 m
d’est en ouest.
UBISOFT
La pyramide à degrés
À
plus d’un titre, la pyramide étape, les « tâtonnements » du maître hauteur, le monument était de taille
de Djéser, à Saqqarah, d’œuvre, qui découvre peu à peu les relativement modeste, il occupait en
occupe une place possibilités que lui offre l’emploi de revanche le centre d’un immense
particulière parmi les la pierre, car la disparition presque complexe funéraire très différent
tombeaux royaux de l’Ancien Empire. totale du revêtement de calcaire de ceux qui entoureront toutes les
Édifiée pour le principal souverain de fin et celle d’une bonne partie du autres pyramides ; s’étendant sur une
la IIIe dynastie, vers la fin des années premier gradin, sur les faces sud et quinzaine d’hectares, il était délimité
2600 avant notre ère, elle est le est, permettent de constater que le par un magnifique mur d’enceinte à
plus ancien monument de pierre de projet initial se limitait à un grand bastions et à redans haut de 10,5 m
l’histoire de l’humanité. Transposant mastaba de plan carré agrandi deux (20 coudées) et mesurant 544 m du
pour la première fois en « matériau fois avant de devenir le cœur d’une nord au sud et 277 m d’est en ouest.
d’éternité » une architecture jusque-là pyramide à quatre degrés, elle-même Dans ce vaste espace, qui ne compte
réalisée en brique crue ou avec des transformée en une pyramide de qu’un seul accès, tout est simulacre :
éléments végétaux, son architecte, le base rectangulaire (121 x 109 m) les édifices (chapelles évoquant la fête
célèbre Imhotep, a atteint d’emblée comportant six gradins. C’est sous jubilaire du heb-sed, Maison du sud,
la perfection ; Manéthon (IIIe s. celle-ci, au bas d’un puits de 28 m Maison du nord…) sont constitués
av. J.-C.) lui a attribué l’invention de de profondeur, que le roi fut inhumé de massifs de calcaire grossier sur
l’art de construire en pierre taillée, et dans un caveau de granit entouré lesquels sont plaquées d’élégantes
c’est sans doute l’admiration qu’il a d’un réseau de chambres et de façades de calcaire fin. Au sud-est du
suscitée chez ses contemporains qui galeries dont certaines parois étaient site, Sekhemkhet, le successeur de
lui a valu d’être l’un des rares humains ornées de panneaux de faïence bleue Djéser, avait commencé à faire édifier
à avoir été divinisés en Égypte. On a imitant des clayonnages de roseaux. un complexe funéraire semblable qui
la chance de pouvoir suivre, étape par Si, avec sa soixantaine de mètres de est resté inachevé.
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La pyramide de Meïdoum
S
on allure massive de grosse de charge, dont le sol est au niveau inférieures était trop grande pour que
tour carrée dominant du rocher naturel et qui, évidemment, celles-ci ne soient pas déchargées alors
fièrement les sables qui a été considérée jusqu’ici comme qu’elles sont surmontées par la totalité
l’entourent, à deux pas de la chambre funéraire, pillée depuis de la masse du monument : en 1999,
la vallée, a valu à la pyramide de longtemps. ayant eu l’autorisation de faire les
Meïdoum d’être appelée en arabe Cette assertion a été remise en percements nécessaires au passage
« la fausse pyramide ». Après l’avoir question par une importante d’un endoscope, ils ont constaté qu’il
attribuée à Snéfrou, le fondateur de découverte qui n’a pas rencontré l’écho y avait bien une chambre de décharge
la IVe dynastie, comme semblaient qu’elle aurait dû avoir et qui, osons au-dessus de chacune des deux pièces
le suggérer des graffiti du Nouvel le dire, a été ignorée par certains inférieures, et même que le couloir
Empire, les égyptologues s’accordent spécialistes parce qu’elle a été faite ascendant était lui aussi déchargé
maintenant pour penser que c’est par des « amateurs ». Étudiant depuis par un triple encorbellement sur une
Houni, le dernier roi de la IIIe dynastie une trentaine d’années l’architecture quinzaine de mètres. Le fait que la
qui a construit une pyramide à sept, des pyramides de la IVe dynastie, chambre supérieure soit construite
puis huit degrés, avant que Snéfrou sur laquelle, c’est le moins qu’on avec beaucoup moins de soin que les
n’en fasse une pyramide parfaite, puisse dire, ils portent un regard neuf, pièces récemment découvertes invite
la première du genre, en comblant Gilles Dormion et Jean-Yves Verd’hurt à en reconsidérer la destination et à
l’espace entre les gradins et en ont pensé, une fois sur le terrain, que n’y voir peut-être qu’une antichambre,
couvrant le tout d’un revêtement de la portée des poutres constituant le la véritable chambre funéraire restant,
calcaire fin qui aurait en partie disparu plafond des deux petites chambres quant à elle, à découvrir…
dans l’Antiquité. Mur d’enceinte, petite
pyramide « satellite » au sud, temple
« haut » accolé à la face orientale du
monument, chaussée descendant
vers un temple « bas » au niveau de la
vallée : les fouilles ont mis en évidence
les éléments que l’on retrouvera
presque tous dans les complexes
funéraires des pyramides postérieures.
Une descenderie, dont l’accès se trouve
à 18,5 m du sol au milieu de la paroi MEÏDOUM
nord, s’enfonce sur 60 m au cœur CONSTRUCTION :
de la maçonnerie jusqu’au niveau du Houni (IIIe dynastie,
roc, dans lequel le couloir, devenant v. 2600-2575).
horizontal, a été creusé de façon à BASE : 144 m.
HAUTEUR : 93,5 m .
former deux réduits, alternativement
INCLINAISON :
à gauche, côté est, puis à droite, côté
51° 50’ 35”.
ouest, avant de s’arrêter brusquement
au bas d’un puits de près de sept
mètres de hauteur ; celui-ci dessert
UBISOFT
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L E M O N D E D E L’A U - D E L À
de Dahchour-Nord
l’ordre Meïdoum, Dahchour-Nord,
Dahchour-Sud, passant de quatre à dix
coudées ; enfin, que la sophistication
C
croissante des voûtes suit la même
’est à la disparition de son contemporaine, conservée au musée chronologie, de la première voûte
revêtement de calcaire fin du Caire, donnent une précieuse en encorbellement à deux pans, à
que cette pyramide doit indication sur l’ordre de construction Meïdoum, à celle à quatre pans, à
d’être qualifiée de « rouge », à de celles-ci, qui se trouve être l’inverse Dahchour-Sud.
cause de la couleur ocrée du calcaire de celui retenu par la tradition À l’origine haute de 105 m, la
qui constitue la masse du monument. égyptologique : si pour parler de la pyramide ne le cédait en taille qu’à
Et, au contraire, c’était à la présence de rhomboïdale, on précise qu’elle est celles de Chéops et de Chéphren,
ce revêtement éclatant qu’elle devait « méridionale », ce ne peut être qu’en la et, si ses faces avaient accusé une
le nom de « Snéfrou est rayonnant » situant par rapport à Dahchour-Nord, pente plus forte que 43°40’, elle
– que, curieusement, elle partageait qui, en ayant le même nom, lui était aurait même été plus grande que
dans l’Antiquité avec sa voisine de donc antérieure ; si la rhomboïdale cette dernière puisqu’elle a seulement
Dahchour-Sud. avait été construite la première, c’est dix mètres de côté de moins que
Bien que très différentes d’aspect, la rouge qui aurait été qualifiée de la Grande Pyramide. On a retrouvé
elles semblent avoir été considérées « septentrionale ». Cela va dans le sens suffisamment de morceaux de son
comme jumelles, le nom qui leur était de ce qu’écrivait G. Dormion en 2004, pyramidion pour le reconstituer au pied
commun étant déterminé, dans deux qui soulignait que la disposition des de la façade orientale du monument.
cas au moins, par l’idéogramme de appartements de Dahchour-Nord, où La pyramide de Dahchour-Nord a-t-elle
la pyramide répété deux fois. Cela deux chambres inférieures disposées été utilisée et pour qui ? Ahmed Fakhry,
confirme que Snéfrou les a bien en quinconce desservent une chambre le fouilleur de la rhomboïdale, estimait
construites, mais les inscriptions supérieure, est pratiquement identique quant à lui que Snéfrou avait été
d’une stèle fausse-porte, presque à celle de Meïdoum ; que la largeur inhumé dans cette dernière.
DAHCHOUR-
NORD
CONSTRUCTION :
Snéfrou (IVe dynastie,
v. 2575-2551).
BASE : 220 m environ.
HAUTEUR : 105 m.
INCLINAISON : 43° 40’.
UBISOFT
La pyramide rhomboïdale
de Dahchour-Sud
L
a pyramide bâtie par Snéfrou à dans la maçonnerie, ce qui ne peut entrecoupé de deux herses, qui conduit
Dahchour-Sud se distingue des avoir été fait – exploit impressionnant – à une chambre haute de 13,90 m,
autres monuments similaires que par les constructeurs eux-mêmes, en partie comblée, dont le plafond
par sa silhouette atypique et sûrement à des fins de vérification en encorbellement est très dégradé
ses aménagements intérieurs qui après le sinistre. Situé sur l’axe nord- et dans laquelle un jeu savant de
sont sans aucun parallèle. La double sud, l’appartement inférieur a été montants et de traverses en cèdre
pente si caractéristique, qui justifie presque entièrement construit en semble avoir été destiné à supporter
son nom de « rhomboïdale », est due dessous de la base de la pyramide ; des planchers à différents niveaux.
au fait que, suite à un grave sinistre débouchant au milieu de la face nord L’étude minutieuse des appartements
intervenu à une étape déjà avancée à une douzaine de mètres du sol, il a convaincu G. Dormion et J.-Y.
de la construction, les bâtisseurs ont comprend un couloir descendant qui Verd’hurt qu’aucun des deux
pris le parti, pour limiter la masse à devient horizontal au bout de près de n’abritait la chambre funéraire
accumuler, de réduire sensiblement la 80 m et permet d’accéder, à un niveau encore à découvrir. Le recours à la
pente des faces ; on est alors passé de plus élevé, à une chambre voûtée en microgravimètrie, en 19 points du
54° 27’ 44” (ce qui aurait abouti à un encorbellement d’environ 17 m de boyau d’inspection, a révélé, à l’est
monument haut de près de 130 m) haut, derrière laquelle se trouve une de celui-ci, « une anomalie résiduelle
à un angle beaucoup moins marqué de sorte de puits étroit presque aussi haut […] qui ne peut s’expliquer que
43°22’, qui a ramené la hauteur finale qu’on appelle la « cheminée ». par la présence de vides inconnus »
de la pyramide à 105 m, comme celle Orienté est-ouest, l’appartement et qui est corrigée en prenant en
de Dahchour-Nord. supérieur, qui est cette fois aménagé compte la modélisation d’un volume
La pyramide présente la singulière en entier dans le massif de la comparable à celui de la chambre
particularité d’avoir deux appartements pyramide, est nettement désaxé vers inférieure… On souhaite, évidemment,
distincts qui, à des niveaux différents, le sud ; sa descenderie, dont l’accès que de nouvelles mesures, combinant
étaient indépendants à l’origine, mais situé très haut sur la face ouest géoradar et micogravimètrie,
qui furent ensuite reliés par un boyau (33,3 m) n’a été ouvert qu’en permettent de faire les vérifications
de presque 20 m de longueur creusé 1951, dessert un couloir horizontal, nécessaires !
45 - Novembre-décembre 2017
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
UBISOFT
pénétré dans une tombe inviolée… Même tion est grande pour qui cherche à arrondir ses fins
Howard Carter – si près du Graal – ne cache de mois. Il suffit d’un peu d’audace et d’un matériel
pas sa déception lorsqu’il constate que le somme toute rudimentaire : des milliers d’années
tombeau du jeune Toutânkhamon a été pro- plus tard, maillets en bois, balais, cordages et torches
fané (au moins) à deux reprises dans l’Anti- sont généralement retrouvés sur les scènes de crime.
quité (lire p. 51). En effet, si on parle souvent des sac- De même, on a tendance à imaginer derrière un
cages modernes – ceux qui ont immédiatement suivi pillage une bande de truands se dissimulant à la tom-
la découverte de la civilisation égyptienne par l’Occi- bée de la nuit dans les profondeurs d’un caveau pour
dent après la campagne d’Égypte de Bonaparte (1798- y dérober le trésor funéraire du défunt et dépouiller
1801) –, les plus grands pillages sont contemporains la momie de ses bijoux. Or, dans la pénombre des
des personnes ensevelies : ils se déroulent quelques cryptes ou dans le « saint des saints » soustrait aux
mois, quelques jours ou quelques heures après l’en- regards indiscrets, les temples regorgent d’objets pré-
terrement ! Parfois, plusieurs intrusions se succèdent cieux dédiés au culte des dieux : statues, encensoirs,
dans une même sépulture. situles [seau ou vase de cuivre], vases à libation, en
Il faut reconnaître que toutes ces richesses perdues or ou en argent, rehaussés de pierres précieuses ou
à jamais pour assurer au mort une survie incertaine parés de tissus rares. On oublie souvent aussi que
ne pouvaient qu’attirer la convoitise des vivants, dans les sanctuaires de nombreux éléments architec-
qu’ils soient spécialement rusés, vaillants et cupides, turaux, aujourd’hui en pierre brute, sont plaqués des
ou simplement démunis. Vu le nombre de nécropoles métaux les plus précieux : or, argent, électrum,
L E M O N D E D E L’A U - D E L À
bronze, cuivre… Les archives nous ont d’ail- personnes ayant assisté à l’inhumation – des
leurs livré les méfaits de ces habiles pilleurs qui, proches, donc –, soit des experts suffisamment
en quelques visites nocturnes, ont réussi à déro- entraînés pour connaître l’organisation classique
ber 243 kilos de revêtements précieux, arrachés d’une tombe. Par la suite, on constate que, dans
au Ramesseum et à Medinet-Habou (temples bien des cas, ceux qui profanent les tombeaux
funéraires de Ramses II et de Ramses III, sur la sont ceux-là mêmes qui les ont aménagés. Aussi,
rive ouest de Thèbes). dès la construction des premières pyramides
Force est de constater que les pillages com- royales, à la IIIe dynastie, cherche-t-on à compli-
mencent avec la civilisation elle-même… L’égyp- quer la tâche des pilleurs : on imagine des puits,
tologue Béatrix Midant-Reynes estime ainsi que des bouchons de granit et des herses dans les
la plupart des sépultures de la nécropole prédy- couloirs d’accès, on aménage des caveaux creu-
nastique d’Adaïma (IVe millénaire av. J.-C.) ont sés à très grande profondeur, des labyrinthes,
été visitées moins de trente ans après l’inhuma- des systèmes de déversement de sable…
tion ! Pis : au vu des techniques utilisées et de la
précision des recherches, les voleurs sont soit des LES RÉSEAUX DE LA VALLÉE DES ROIS
Rien n’y fait. Les voleurs parviennent toujours à
déjouer les pièges ou à éviter les obstacles : à titre
d’exemple, dans la pyramide de Chéops, ils n’hé-
sitent pas à creuser un tunnel quelques mètres
LE MANUEL au-dessous de l’entrée (la fameuse « brèche d’Al-
AG
DE
Minutes de procès et textes des compétences inesti-
divers, particulièrement prolixes, mables : les travailleurs manuels,
nous éclairent sur ces agissements. De qui savent parfaitement manier les
ces documents, il ressort que le viol de sépulture outils ou arracher les matériaux précieux (car-
demande une organisation minutieuse où inter- riers, charpentiers, cultivateurs, tailleurs de
viennent des compétences diverses : il faut repé- pierre, mesureurs ou chaudronniers), auxquels
rer les coups intéressants, piller, partager le tout un petit personnel vient prêter main-forte
butin et, surtout, l’écouler. Les voleurs se (bergers, brasseurs, jardiniers, etc.). Ils agissent
regroupent donc en bandes d’une dizaine de per- selon les indications fournies par leurs proches.
sonnes, le noyau étant composé de membres Notamment, on constate que les ouvriers de
d’une même famille ou d’une même institution. Deir el-Medineh – qui restent les gens les mieux
informés sur la disposition des hypogées
UN CLERGÉ PAS TRÈS CLAIR puisqu’ils sont chargés de les aménager – ne sont
Parmi les contrevenants, peu de hauts respon- pas étrangers à ces activités nocturnes : ils
sables des services de l’État : ce sont surtout des jouent le rôle d’indicateurs, sont des complices
membres du moyen et du bas clergé (prêtres, actifs, ou restent neutres ou muets par peur
pères divins, scribes, administrateurs), des d’être assassinés par les pillards. Mais pas uni-
« étrangers » intégrés à la société égyptienne ou quement… On connaît le tristement célèbre
des employés qui travaillent à Thèbes dans les Paneb, qui devient chef d’équipe de Deir el-
grandes administrations (domaine d’Amon, Ins- Medineh – dans des circonstances assez dou-
titution de la Tombe royale, temple funéraire de teuses – sous le règne de Sethy II. Entre autres
Ramses III). Issus des classes moyennes ou infé- délits, dont la liste est impressionnante,
il n’hésite pas à profaner les tombeaux de ses falaise de Deir el-Bahari (40 momies). Or, l’his-
collègues, mais aussi les sépultures royales. On toire ne s’achève pas là. En 1876, le Service des
apprend ainsi, que non content de dérober des antiquités, mis sur pied en 1858 par l’égypto-
jarres à huile dans la tombe de Sethy II (à peine logue Auguste Mariette, conservateur adjoint au
décédé), il pousse l’offense jusqu’à s’emparer des musée du Louvre, remarque que des objets
jarres à vin, les consommant tranquillement ins- estampillés de cartouches royaux apparaissent
tallé sur l’auguste sarcophage du souverain ! sur le marché des antiquités, ce qui l’amène à
Dès la fin de la XXe dynastie, notamment sous supposer l’existence d’une source d’approvision-
les règnes de Ramses IX et de Ramses XI, des nement aussi importante qu’inconnue.
vagues d’arrestations et de procès accompagnent
les délits. Si les punitions promises sont sévères ALIMENTER LE LOUVRE ET LE BRITISH MUSEUM
(mutilation voire peine de mort), elles ne par- Quelques années plus tard, Gaston Maspero, suc-
viennent pas à régler la situation, d’autant que cesseur de Mariette, finit par démasquer les cou-
des rivalités politiques opposent Paourâa et pables : une famille de Gournah, ayant découvert
Paser, les gouverneurs de Thèbes-Ouest et de la cache de Deir el-Bahari dans les années 1870,
Thèbes-Est. Si bien qu’à la XXIe dynastie le grand écoule ces richesses chez les antiquaires. Aussi
prêtre d’Amon Pinedjem décide de sauver les est-il décidé de mettre fin à ce commerce : les
royales momies. Pour ce faire, on les restaure, momies et leurs maigres trésors quittent Louxor
on les couvre de linceuls et on les place dans des pour intégrer le musée du Caire – on dit que « de
sarcophages en bois inscrits à leur nom. Enfin, Louxor à Qouft, les femmes fellahs échevelées
on les transporte dans deux cachettes : pour par- suivirent le bateau en poussant des hurlements
tie, dans la tombe d’Amenophis II (16 momies) ; et les hommes tirèrent des coups de fusil, comme
pour partie, dans une grotte creusée dans la ils le font aux funérailles ».
Si le pillage des antiquités pharaoniques se
fait plus discret pendant l’Antiquité tardive et le
Moyen Âge, il reprend de plus belle au XIXe siècle,
à la suite de la retentissante campagne d’Égypte
et à la naissance de l’égyptologie : des fouilles,
orchestrées par des consuls occidentaux en
place au Caire, permettent de rassembler des
collections vendues aux grands musées euro-
péens – elles constituent notamment les fonds
du musée du Louvre et du British Museum.
La rive occidentale de Thèbes est alors litté-
ralement mise à sac entre 1815 et 1821, grâce
au plus célèbre de ces « apprentis archéo logues» :
Giambattista Belzoni, un aventurier à la solde
du consul général britannique Henry Salt. Or,
malgré les efforts louables déployés par Auguste
Mariette et le Service des antiquités de l’Égypte
pour mettre fin à ces agissements et sauvegar-
der le patrimoine égyptien, les pillages n’ont
jamais cessé sur la terre des pharaons…
UBISOFT/IVAN TKORITAREV
SITY OF OXFORD
millé naire
(qui régna huit ans au milieu du XIV
e
51 - Novembre-décembre 2017
L’ÉGYPTE DE
CLÉOPÂTRE
Après la mort d’Alexandre, la terre des pharaons
revient à l’un de ses généraux, Ptolémée. S’ensuivent
trois siècles d’une civilisation brillante, celle des
Lagides, marquée par des luttes fratricides.
Point d’orgue – et point final – de cette dynastie :
le règne de Cléopâtre, qui fit tourner la tête à deux
empereurs romains.
UBISOFT
UBISOFT
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
LES PTOLÉMÉES :
PUISSANCE
ET DÉCADENCE
Arrivés en conquérants, les dynastes grecs se font adopter
des Égyptiens en se coulant dans leur histoire et leurs
traditions. Leur royaume, le plus vaste de la Méditerranée,
voit bientôt se dresser un puissant voisin : Rome.
Par Catherine Salles
C’est sous son règne qu’est instituée la fameuse honneur, un temple grandiose est bien sûr édi-
bibliothèque d’Alexandrie. Vincenzo Camuccini (1771- fié à Alexandrie…
1844), musée de Capodimonte, Naples.
55 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
Le père de Cléopâtre,
détesté par ses sujets
et méprisé par les
Romains, achète à grand
renfort de largesses
l’appui du triumvirat
Les Lagides prennent l’habitude d’épouser
leurs sœurs, comme le faisaient les pharaons –
une des difficultés de l’étude de cette période de
57 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
LES GUERRES
FRATRICIDES
DES LAGIDES
Le torchon brûle dans la fratrie de Cléopâtre. En jeu :
le trône de l’Égypte. Qui va se jouer, lors d’une partie
de billard à trois bandes, entre César et Pompée,
les deux hommes forts de la Ville éternelle.
Par Catherine Salles
orsque Ptolémée XII meurt, en 51 av. J.-C., sans difficulté sur son petit frère, encore un
l’Égypte est loin d’être aussi florissante qu’un enfant. Mais elle irrite les Alexandrins par son
siècle auparavant. Les crues du Nil sont insuffi- orgueil et ses prétentions. Le petit Ptolémée XIII,
santes pour subvenir à la nourriture des popu- quant à lui, est entouré d’un groupe d’ambitieux
lations et, depuis plusieurs années, les famines qui le manipulent à leur gré. Parmi eux : l’eu-
se multiplient dans le royaume. Dans nuque Pothin, un homme grassouillet et cruel,
son testament, Ptolémée XII se donne le maître de rhétorique Théodote de Chios et
pour successeur l’aîné de ses deux fils, l’Égyptien Achillas. Tous hommes de peu d’en-
Ptolémée XIII, alors âgé de 10 ans, qui doit épou- vergure et motivés par leurs seuls intérêts. Ce
ser sa sœur Cléopâtre, de huit ans son aînée. Cet « conseil » royal parvient à convaincre les Alexan-
acte est envoyé au peuple romain, et une copie drins que Cléopâtre complote contre son petit
déposée à Alexandrie, ce qui est tout à fait frère. La jeune femme est expulsée avec ses ser-
conforme à la tradition lagide. Le frère et la sœur vantes et ses gardes. Ils se réfugient en plein
sont intronisés solennellement, sans doute à désert à la frontière de l’Égypte et de la Syrie.
Memphis. Très vite, un désaccord surgit entre C’est l’époque où l’avenir de Rome, et partant
les époux. Cléopâtre est bien décidée à satisfaire du monde entier, se joue entre les deux grands
ses ambitions de règne. Elle pense l’emporter généraux Pompée et Jules César. Chacun est à
la tête de la moitié du peuple romain. L’affron- dote de Chios et Achillas, pèsent le pour et le
tement décisif de cette guerre civile a lieu à Phar- contre : « Voici le tribunal, dont Pompée, dans
sale, en Thessalie, le 6 juin 48 avant notre ère. son navire à l’ancre loin de la côte, attendait le
verdict, alors qu’il jugeait indigne de lui de
« UN MORT NE MORD PAS ! » devoir son salut à César ! » (Plutarque, « Vie de
Les armées césariennes l’emportent. Pompée Pompée », LXXVII). Théodote de Chios tranche :
doit fuir avec son épouse et sa flotte. Mais où ? « Le mieux est d’aller chercher Pompée et de le
Il hésite un moment sur la route à prendre, fait tuer, car nous ferons plaisir à l’un et n’aurons pas
escale à Chypre et envoie un courrier au jeune à craindre l’autre ! Un mort ne mord pas ! »
roi Ptolémée XIII pour lui demander asile. Il Achillas est chargé de l’exécution. En com-
pense que, en protégeant autrefois le père du pagnie d’un certain Septimius, qui a jadis servi
souverain actuel, il s’est acquis sa reconnais- comme officier sous les ordres de Pompée, d’un
sance. Le conseil royal égyptien hésite : doit-on centurion nommé Salvius et de trois ou quatre
accueillir Pompée, qui depuis longtemps a des matelots, il se rend en barque jusqu’à la trière de
liens privilégiés avec l’Égypte ? Ou au contraire Pompée. Septimius, saluant le général du titre
craindre la toute-puissance de César ? Les trois d’imperator, l’invite à monter dans la barque. Du
âmes damnées de Ptolémée XIII, Pothin, Théo- haut de la trière, Cornelia, l’épouse de Pom-
59 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
« Tandis que
la face vit encore,
on plante
au bout d’une pique
cette tête
qui commandait à
la guerre » (Vulcain)
61 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
La bataille du Nil
L
es luttes dans Alexandrie Alexandrins occupent le reste de conflit : combats de rue ou en rase
entre habitants de la ville la cité avec des forces beaucoup campagne, batailles navales, sièges
et troupes de César plus considérables que celles de de demeures. Jules César n’est pas
s’étendent d’octobre 48 à leurs ennemis. Ils sont commandés à bout d’expédients. Il fait venir de
mars 47. La Guerre d’Alexandrie, par le général Achillas. Il est mis Rhodes, de Syrie et de Cilicie toute
faussement attribuée à Jules César, à mort sur l’ordre d’Arsinoé, sœur sa flotte. Il rassemble de partout des
relate ces épisodes. Se présentant cadette de Cléopâtre, qui a rejoint machines de guerre et des provisions
comme la suite de la Guerre civile les Alexandrins. Elle remplace de blé. Des légionnaires défoncent à
du général romain, elle a sans doute Achillas par l’eunuque Ganymède. coups de bélier les murs des maisons
été composée par un lieutenant Les Alexandrins bloquent l’accès mitoyennes du palais pour permettre
de l’imperator. du quartier où se retranche César des passages. César fait incendier
Le conflit a concerné tout le delta et ont fait construire un triple la flotte royale et les chantiers
du Nil. Les belligérants se sont retranchement de pierres de taille
répartis dans l’ensemble de la ville. haut de 12 mètres et muni de tours
César et ses légionnaires sont basés de dix étages. Ganymède a fait Marigot Avec l’appui de Mithridate,
dans le quartier longeant le port, couper tous les canaux d’eau pour le roi du Bosphore, et de son général
Antipater, César parvient à redresser
dans le palais, le théâtre et les rues priver les Romains d’eau potable.
la situation. Son adversaire,
avoisinantes. L’île du Phare est reliée César réplique en faisant creuser des
Ptolémée XIII, finit noyé dans le Nil.
à la terre par un môle, l’Heptastadion puits pour assurer l’alimentation de
(long d’environ sept stades, 1 400 m), ses hommes.
qui divise le port en deux. Dans La guerre d’Alexandrie, qui se déroule
ce port d’Alexandrie se trouve la dans l’espace restreint du Delta,
flotte romaine (22 trirèmes). Les présente toutes les phases d’un
UBISOFT/M. DESCHAMBAULT
UBISOFT/RAPHAEL LACOSTE
63 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
Hallebarde de bronze
en forme d’epsilon
La hache de combat fenêtrée proviendrait de
Palestine. Son usage en Égypte remonte au
IIe millénaire avant notre ère. Le manche de bois,
inséré dans la moulure de cuivre, donnait un bon
appui pour des coups de tranchant, mais rendait
son utilisation caduque contre des armures.
Masse de cuivre
Cet instrument de mort constitue l’une des armes de l’Égypte
ancienne. Si les têtes de masse étaient plutôt rondes
dans les temps prédynastiques, ses formes par la suite
se diversifieront, comme le montre cette arme, visible au
Metropolitan Museum de New York.
Falcata carthaginoise
Cette arme ibérique serait d’origine celte. Autrefois qualifiée de faucille, on la
désigne aujourd’hui sous le terme de « falcata ». Attesté au moins dès le IVe siècle
av. J.-C., ce glaive fera son chemin au sein de la légion romaine et s’illustrera
notamment lors des combats avec Carthage.
Lame
météorique
Cette épée très
répandue est inspirée
des modèles de
dagues retrouvés
parmi d’autres objets
funéraires dans les
tombes, dont celle
Arc à l’effigie
d’ouadjet
de Toutankhamon. L’arc de bois, cornes et
Au Moyen Empire, tendons est intrinsèquement
le fer, rare, doit être lié à l’histoire égyptienne.
importé. Le matériau On le retrouve dans
de certaines épées est l’iconographie ou encore
néanmoins d’origine sur les célèbres modèles
météorique, comme la mortuaires qui soulignent
dague de Tout. la puissance des archers
de Nubie, que les Égyptiens
appelaient Ta-Seti (le « pays
de l’arc »). Les archers
utilisaient des anneaux
de doigt faits de pierre
ou des prothèses de poignet,
ainsi que des têtes de flèche
en pierre.
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
CLÉOPÂTRE,
« REINE DES ROIS »
OU COURTISANE ?
Elle fut la maîtresse de César, avant de
se jeter dans les bras de son successeur,
Marc Antoine… De quoi alimenter
la légende noire d’une reine déterminée
à assurer la grandeur de son pays.
Par Virginie Girod
Cléopâtre et César,
de Jean Léon Gérôme
(1824-1904).
romains, on s’arrache une lampe l’a intronisée sur la scène politique médi-
la représentant nue, chevauchant un terranéenne. Mais cette ascension vio-
crocodile et offerte sexuellement.
lente à la tête de son propre royaume a un
67 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
L’ÉNIGME
CÉSARION
prix. L’Égypte est devenue le protectorat de
Rome. D’aucuns diront qu’elle a prostitué son
corps et sa patrie à César pour satisfaire ses
ambitions personnelles. Que lui importent les
« Il ne peut y avoir deux Césars. » Tel est le conseil d’Aréus médisances ! César est plus qu’un amant pour
à Octave, le fils adoptif de Jules César, désormais seul elle. Il est un mentor, un stratège éperdu de pou-
maître de Rome. Cléopâtre étant morte, Octave doit voir duquel elle se nourrit. Quant à lui, il trouve
décider du sort qu’il réserve à ses enfants. Le fils aîné pour la première fois sur son chemin une femme
de « l’Étrangère », Ptolémée XV, est surnommé « Césarion » qui lui ressemble – et pourtant, des femmes, il
à travers toute la Méditerranée. Il serait le fils de Jules en a connu, mais Cléopâtre, si jeune, si brillante,
César ou, plus exactement, son bâtard. On ne sait pas si déterminée, est presque son alter ego féminin.
grand-chose de lui. Est-il né à Rome ou ailleurs ? En Alors que le printemps revient, César quitte
47 ou en 44 av. J.-C. ? César est-il vraiment son père ? Alexandrie. Deux ans passent sans qu’il oublie la
Qu’importe la génétique puisque Cléopâtre, experte charmante reine, qu’il surnomme « Bouche d’or »
en communication, vantait sa célèbre ascendance partout pour ses talents autres qu’oratoires… De retour
où elle passait. Sentant qu’elle ne pourrait pas conclure à Rome, le général victorieux s’apprête à célébrer
d’alliance avec Octave, qui venait de mettre la main sur son triomphe. Cette grande parade militaire met-
l’Égypte, Cléopâtre envoya son fils se réfugier en Éthiopie, tra en scène ses victoires sur ses ennemis, y com-
avant de se suicider. Cette mesure de protection se pris l’Égypte. Parmi les captifs défilera Arsinoé,
révélera insuffisante. Octave ne veut pas prendre le risque une des sœurs aînées de Cléopâtre, qui avait
de voir un jour arriver Césarion à Rome pour réclamer voulu prendre le trône à leur père et que Rome
sa part d’héritage. Il est assassiné en pleine fleur de l’âge, avait aidé à soumettre. César veut que Cléopâtre
avant qu’il ait pu atteindre sa terre d’asile. V. G. soit présente lors de son triomphe. Sa venue sym-
bolisera le fait que son royaume est devenu un
vant réduire à néant la République. Au matin position sur le trône et dans le champ diploma-
des ides de mars 44, Cléopâtre est toujours à tique. Elle devra choisir judicieusement entre
Rome. C’est là qu’elle apprend qu’elle a perdu deux hommes : Octave ou Marc Antoine ?
69 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
CÉSAR ASSASSINÉ
La veille de sa mort, le maître de Rome recevait la dictature
à vie, et les sénateurs lui juraient fidélité. Un état de grâce
propre à dissiper un faisceau de prémonitions funestes…
LUISA RICCIARINI/LEEMAGE
e matin du 15 mars 44 av. J.-C., César suppliant (c’est une question de vie ou de mort !)
est perplexe : son épouse, Calpurnia, de le lire immédiatement, mais les solliciteurs
a rêvé que le toit de leur maison s’ef- l’assaillent tout au long du chemin et l’empêchent
fondrait sur eux et qu’elle recueillait de déplier ledit billet. Et en descendant de la
entre ses bras son cadavre ensan- litière, devant la curie, il aperçoit au milieu de
glanté. Et lui-même s’est vu, juste la foule un devin célèbre, Spurinna, qui lui a
avant l’aube, flotter dans les nues et récemment annoncé un danger qui « ne dépas-
serrer la main de Jupiter, rêve mégalo- serait pas les ides [le 15] de mars ». César croit
maniaque mais inquiétant. Pis : on lui rapporte pouvoir plaisanter : « Les ides sont là : il n’est rien
que les sacrifices de ce début de matinée sont arrivé ! » « Elles ne sont pas encore passées », lui
tous défavorables. Éminemment laïque, César lance, placide, l’haruspice…
n’a pourtant jamais pu se défaire d’une vague
défiance qui l’empêche de mépriser la supersti- « COURAGE D’HOMMES, CERVELLE D’ENFANTS »
tion ambiante : mieux vaut annuler la séance du Autour de lui s’empressent des sénateurs célèbres
sénat prévue dans la curie, naguère édifiée par – tous des amis : Brutus, son fils adoptif ; l’autre
son vieil ennemi, feu Pompée, sur le Champ de Brutus, ce bon Decimus qui l’a persuadé de venir,
Mars. Survient alors un personnage au-dessus Cassius, Casca… On entre dans la salle, César
de tout soupçon, Decimus Brutus : quelle tête prend place. Tillius Cimber se jette à ses pieds
feront les sénateurs, se récrie-t-il, si on leur dit pour lui remettre une supplique et, tirant sur sa
que la séance est annulée en raison des cauche- toge à deux mains, l’écarte de son cou : c’est le
mars de Calpurnia ? L’argument est de poids et signal. Casca le frappe le premier, puis 22 séna-
César finit par grimper dans la litière tradition- teurs se jettent sur lui, stylet au poing. César
nelle. Un rhéteur grec, Artémidore de Cnide, se reconnaît parmi eux Brutus et lui adresse, en
précipite alors vers lui et lui remet un billet, le grec, ces seuls mots : « Toi aussi, mon fils ! », révé-
lant ainsi la réalité de leur filiation, avant de se il avait consacré à Vénus, prodigieuse ancêtre
draper dans sa toge et de s’effondrer… officiellement revendiquée par sa famille, la gens
Dans la salle, c’est la panique : le corps de Julia ! Et que dire aussi de l’expédition qu’il avait
César, percé de 23 coups, roule jusqu’au pied de l’audace de préparer contre les irréductibles
la statue de Pompée, qu’il éclabousse de son Parthes, alors qu’une célèbre prophétie voulait
sang ! Les sénateurs conjurés, incapables de rete- que seul un roi pût les vaincre ! Pis encore,
nir leurs collègues qui s’enfuient en tous sens, quelques semaines plus tôt, son homme de
abandonnent le cadavre sur place au lieu de le confiance, Antoine, n’avait rien trouvé de mieux
jeter dans le Tibre, comme ils en avaient fait le que de poser sur son front, au vu de tous, un dia-
projet. Fatale erreur : les « césariens » se ressai- dème : devant les murmures de la foule, il avait
sissent en organisant la nuit suivante de pathé- certes écarté la couronne en question, mais l’im-
tiques funérailles pour le dictateur assassiné, et pression – détestable – était restée.
le peuple unanime se retourne contre les meur- Les « libérateurs » s’étaient donc persuadés que
triers, qui doivent quitter Rome dans l’urgence. l’on pouvait, en tuant le dictateur, inverser le
Mais qui étaient donc ces assassins, dotés, cours de l’Histoire : César mort, tout serait de
selon Cicéron, d’« un courage d’hommes et d’une nouveau « comme avant ». Ils avaient tort, et leur
cervelle d’enfants » ? Ces « libérateurs » autopro- acte déchaîna une série de terribles guerres
clamés étaient en fait des conservateurs, atta- civiles qui débouchèrent sur l’avènement du pre-
chés aux libertés… des sénateurs, et qui crai- mier « empereur » romain, Octave-Auguste, qui,
gnaient de voir César se laisser proclamer roi, au prix des libertés publiques, concentra tous les
mettant fin au régime républicain (la libera civi- pouvoirs entre ses mains. Ils avaient échoué,
tas), garant de leurs privilèges : ils n’avaient pas mais durant des siècles l’Occident, à chaque
aimé que, se prenant pour un dieu vivant, il les moment de tyrannie, ne cesserait de se poser la
reçoive dans le temple qu’à deux pas du Forum question essentielle : faut-il tuer le césar ?
71 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
LA DERNIÈRE CARTE
DE L’ÉTRANGÈRE
Après la mort de César, sa maîtresse, craignant des représailles,
retourne en Égypte se mettre à l’abri. En attendant de composer
avec le prochain homme fort de Rome…
Eau de rose
En 40 av. J.-C.,
Antoine, Octave
et Lépide se
partagent le
pouvoir. Au premier
revient l’Orient,
dont l’Égypte est
la pierre angulaire.
Pour asseoir son
autorité sur cette
région, il s’allie
avec la reine
lagide. Un calcul
politique doublé
d’une passion.
La Rencontre
d’Antoine
et de Cléopâtre,
SOTHEBY'S/AKG-IMAGES
de Lawrence
Alma-Tadema
(1836-1912).
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
75 - Novembre-décembre 2017
L’ É GY P T E D E C L É O PÂT R E
BNF, PARIS
Monnaie représentant
Le destin des rejetons Cléopâtre Séléné, la fille
C
’est en orphelins qu’ils arrivent enfants de Cléopâtre. Il tant que fille, est moins
à Rome. Hier, ils étaient choisit néanmoins de les dangereuse, mais Octave,
princes et princesses d’Égypte, garder à vue chez sa sœur. Dans devenu l’empereur Auguste, sait
rois et reine de royaumes annexés la maison d’Octavie, les trois enfants qu’il ne faut pas sous-estimer le
par leur père ; aujourd’hui, ils ne côtoient leurs demi-sœurs, les deux potentiel séditieux des femmes.
sont que des captifs fallacieusement Antonia, et leur demi-frère, Iullus Il préfère en faire un instrument
traités en hôtes de marque, soumis Antonius, le fils de Fulvie. politique. Il l’offre en mariage à
au bon vouloir d’Octave. Alexandre À leurs côtés, ils bénéficient d’une Juba II, alors roi de Mauritanie,
Hélios, Cléopâtre Séléné et leur petit éducation soignée dont le but est l’éloignant ainsi de Rome et prouvant
frère, Ptolémée Philadelphe, n’ont de leur faire oublier leur trône. On sa magnanimité en lui proposant
que 10 et 6 ans lorsqu’ils s’installent ignore ce qu’il advient d’Alexandre une union digne de son rang. Femme
chez Octavie, divorcée de Marc Hélios et de Ptolémée Philadelphe à sage et déterminée, Cléopâtre
Antoine, qui aura désormais pour l’âge adulte. Ils ont sans doute vécu Séléné a une grande influence à la
mission de les élever. Octave, le rival discrètement en simples particuliers. cour et reste, aujourd’hui encore,
de leur père, a voulu se montrer Toute velléité politique aurait pu leur une grande dame dans l’imaginaire
clément en ne tuant pas tous les coûter la vie. Cléopâtre Séléné, en marocain. V. G.
77 - Novembre-décembre 2017
À LA
RECHERCHE
D’UN PAYS
OUBLIÉ
Nourris par les recherches des historiens,
inspirés par les artefacts exhumés des siècles
passés, Ubisoft redonne vie aux cités phares
de l’Égypte ancienne. Le travail de ses artistes
nous invite à remonter le temps sur la barque
de leur palette graphique.
UBISOFT
Soleil levant sur
n 334 av. J.-C., Alexandre le Grand prend capitale culturelle de l’Empire. À son apogée,
symboliquement possession de l’Asie, en elle comptait environ 500 000 habitants, d’ori-
plantant sa lance dans le sol. Commence gines diverses (Syrie, Cyrénaïque, Rome,
alors une ère de conquêtes territoriales pour Espagne ; Juifs, Égyptiens, etc.). C’est une cité
le Macédonien et son armée. S’il semble lais- cosmopolite, ouverte sur le monde grâce au com-
ser l’autonomie à la plupart des cités dont il merce, à l’art et aux différents savoirs dévelop-
s’empare, il a aussi à cœur de créer plusieurs pés et enseignés au musée et à la grande biblio-
villes. Diodore de Sicile (Ier s. av. J.-C.) en thèque. Il s’y déroule plusieurs fois par an des
mentionne près de 70. Plus d’une quinzaine panégyries en l’honneur de divinités égyp-
portent le nom de leur conquérant : Alexandrie. tiennes, grecques, mais aussi en faveur du culte
Celle d’Égypte, la première d’entre elles, fondée royal et du culte dynastique, comme les Ptole-
en – 331, reste la plus célèbre. maia, qui ont lieu au gymnase. Les célébrations
Alexandrie devient, sous l’égide des premiers sont si nombreuses qu’au Ve siècle Alexandrie est
Lagides, la capitale économique et culturelle du considérée comme la capitale du monde païen.
monde hellénistique et demeure, sous Rome, la Hélas, si beaucoup d’auteurs anciens ont écrit à
son propos, peu de leurs récits nous sont parve- , 50). Le lendemain, Alexandre se rend sur
XLVIII
nus. Un détail, toutefois, attire l’attention : tous place, à Rhakotis, simple bourgade dotée d’une
les auteurs vivaient à la fin du Ier siècle av. J.-C., petite garnison. Pour les ingénieurs, l’endroit est
voire plus tardivement encore. De ce fait, le impropre à la construction d’une cité en raison
mythe prend généralement le pas sur les événe- de sa côte hérissée de récifs et dépourvue de cap
ments historiques. et de promontoires, et de son port, qui offre peu
Avant d’aller consulter l’oracle d’Amon à Siwa, de protection. Il y a peu d’accès à l’eau potable,
Alexandre s’entretient avec ses ingénieurs et la zone est marécageuse et donc propice aux
exprime son désir de fonder une nouvelle cité. maladies. Malgré ces avis défavorables,
Ces derniers lui proposent plusieurs lieux. Pen- Alexandre décrète que c’est là l’endroit de sa
dant la nuit, Alexandre voit en rêve un homme future cité. Pour en tracer les contours, man-
âgé – qu’il associe à Homère – qui lui rappelle quant de craie, il utilise de la farine. C’est alors
l’existence de l’île de Pharos : « Et puis il est une qu’une multitude d’oiseaux de différentes
île en la mer agitée, en avant de l’Égypte : on la espèces déferle et mange la farine. Inquiet de ce
nomme Pharos » (Plutarque, « Vie d’Alexandre », présage, Alexandre consulte les oracles. Ils le
81 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
UBISOFT
STEPHANE COMPOINT
parmi les plus était visible
denses du monde jusqu’à 50 km
UBISOFT
hellénistique. au large.
UBISOFT/M. DESHAMBAULT
83 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
Le Paneion
Selon Strabon,
ce sanctuaire dédié
au dieu Pan « s’élève
comme un monticule
[…] en forme de
toupie ou de pomme
de pin ». L’endroit
offrait une vue
UBISOFT
splendide sur la cité.
(manteau porté par les Macédoniens), éten- Le réseau viaire de la cité impressionna les
due selon un plan en damier sur 5 km de lon- Anciens, en particulier les deux grandes artères
gueur et 1,5 km de largeur, entre la Méditerra- principales qui se croisaient et donnaient accès
née et le lac Maréotis (cette division de l’urba- aux portes de la cité. Notamment la Voie cano-
nisme est inspirée d’Hippodamos de Milet, qui pique, réputée mesurer jusqu’à 14 m de largeur.
a été le premier à diviser l’espace avec des ali- Selon Mahmud bey al-Falaki – qui, aux alentours
gnements réguliers). Cette organisation en de 1865, mit au jour près de 11 rues pavées, dont
damier était conçue pour améliorer la mobilité sept se croisaient perpendiculairement –, une
des armées. Pour pallier le manque d’eau potable, autre rue avait la même largeur que la Voie cano-
un vaste système de citernes (et plus tard d’aque- pique : elle reliait le cap Lochias, près des palais
ducs) fut mis en place par les ingénieurs. royaux, à la muraille antique.
Autre élément architectural fascinant, que l’on
« AGGLOMÉRATION DE PALAIS ET DE TEMPLES » retrouve sur des fresques illustrant la nouvelle
L’architecte divisa la ville en cinq quartiers, nom- capitale égyptienne : l’Heptastadion. Il s’agit d’un
més d’après les cinq premières lettres de l’alpha- pont ou d’une chaussée construite pour relier
bet grec (d’alpha à epsilon). Les Juifs se regrou- l’île de Pharos à la cité. Son nom lui vient de sa
paient aux extrémités est et ouest de la cité, les longueur : sept (hepta, en grec) stades (un stade
Égyptiens au sud-ouest, les Hellènes le long du équivaut à environ 157 m). Il séparait les deux
quartier grec, près du gymnase, du théâtre et de ports principaux d’Alexandrie : Eunostos à l’ouest
l’agora, et près aussi du quartier des palais et Grand Port à l’est (une ouverture pontée
royaux, où se trouvait l’administration. Selon construite à chaque extrémité permettait aux
Strabon, Alexandrie est « une agglomération de navires de passer d’un port à l’autre). L’Hepta-
palais et de temples ». En effet, les palais royaux, stadion semble avoir été victime d’ensablement.
agrandis de règne en règne, sont emboîtés les C’est sous le règne de Ptolémée Ier Sôter qu’a
uns dans les autres et occupent près d’un tiers commencé la construction de certains des plus
de l’espace (Cléopâtre devra construire son quar- célèbres monuments de la capitale hellénistique,
tier palatial sur l’île d’Antirrodos). comme le Phare, le Musée ou la Grande Biblio-
LA CONFECTION DU PAPYRUS :
TOUT UN ART !
N
thèque. Cependant, il semble que ce soit sous ous ne savons pas comment les Égyptiens en sont venus
son successeur, Ptolémée II Philadelphe, que à utiliser le papyrus. Probablement que le besoin d’un
s’achève leur construction. Situés pour la plupart support est apparu simultanément au besoin d’écrire
dans le quartier du palais royal (Bruchion), sauf et d’enregistrer les informations. La plus ancienne attestation
le phare, qui se trouve sur l’île de Pharos, la de son utilisation comme support de l’écriture date de la
Bibliothèque, le Paneion, le Sêma (ou Soma) ne IVe dynastie, sous le règne de Chéops (2549-2526 av. J.-C). Le
sont qu’une partie des majestueux monuments papyrus pousse en eau basse, sur les bords du Nil, dans les
de la cité. Le Serapeum, où se trouve le temple marais et le Delta – dont il est l’emblème. À partir de cette
du dieu tutélaire de la ville, Sérapis, ou encore plante (Cyperus papyrus), les Égyptiens construisaient de petites
la « colonne de Pompée » (bâtie sous Dioclétien !) embarcations, des sandales, des paniers, etc. Ils en mangeaient
et l’hippodrome se trouvent proches du lac le bas de la tige crue ou la racine, qu’ils faisaient bouillir. Les
Maréotis, près du quartier égyptien de Rhakotis.
85 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
Sur la route de
Des ruines éparses perdues le long du Nil : c’est tout ce qui reste
de l’ancienne cité encensée par Hérodote au Ve siècle av. J.-C.
Elle retrouve aujourd’hui ses couleurs, grâce à Ubisoft.
Par Évelyne Ferron
algré son nom grec, Memphis est En longeant le Nil, au sud du Caire, nous aper-
une cité typique de la culture cevons une palmeraie et le village de Mit Rahina.
égyptienne antique. Elle fut asso- Tout près de ces palmiers se cachent les vestiges
ciée à des pharaons importants, de Memphis. Des ruines mises au jour depuis le
comme Djoser (ou Djéser) et XIX e siècle nous permettent de mieux com-
Chéops. Jusqu’au Moyen Empire, prendre son histoire ensevelie, celle de l’un des
cette ville immense et sacrée, plus grands centres urbains de la Méditerranée.
dont les explorateurs du Sahara Bien qu’une grande partie de la population de
entendaient encore parler au XVIIe siècle, a été l’Égypte ancienne vive à la campagne, les villes
le cœur de la vie politique, administrative et reli- sont importantes car elles offrent des arrêts pour
gieuse de l’Égypte. le transport fluvial (sur le Nil) ou sur les routes
87 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
Gisant
Statue colossale
de Ramses II
(photographiée
vers 1885, l’œuvre
mesure 10,30 m
de hauteur).
Le principal dieu
plus il fallait la protéger. Son premier nom, les comme des monarques de droit divin choisis par
« murs blancs » (Mennefer), fait peut-être référence les dieux pour régner sur l’Égypte.
à une fortification élevée le long du fleuve pour Sous des souve rains comme Djoser, Snéfrou,
se prémunir de la montée des eaux et que celles-ci Chéops, Chéphren, Mikérinos et les Pépy, les
ne refluent pas dans la ville. chantiers de construction en l’honneur des divi-
C’est sous Djoser (2630-2611 av. J.-C.), un nités principales, puis ceux de vastes complexes
pharaon connu pour avoir bâti la première pyra- funéraires pour leur assurer de retourner parmi
mide, dite à degrés, que Memphis prend de l’am- les dieux après leur mort, se succèdent en per-
pleur. Djoser en fait le siège officiel de l’adminis- manence. À ces monuments se greffent les cam-
tration et le lieu de la résidence royale. S’il ne pements, et même les petites maisons des
reste aucun vestige des premiers bâtiments ouvriers qui œuvraient tous les jours sur ces
administratifs, nous voyons toutefois d’impor- vastes et onéreux chantiers, savourant une bière
tants blocs de pierre et des statues qui nous rap- le soir après le travail et partageant des petits
pellent qu’à partir de cette époque Memphis est gâteaux aromatisés au miel.
devenue une grande cité, rapidement associée à Nous possédons d’importants vestiges du
l’univers sacré. N’oublions pas que les grands temple central de la ville, celui du dieu créateur
pharaons de l’Ancien Empire étaient considérés Ptah. Représenté en momie et portant un bon-
net, il est considéré comme le créateur du monde.
Divinité des artisans, des orfèvres et des archi-
tectes, il restera le dieu principal de Memphis
le travail du métal
cultes royaux et les célébrations de jubilés de
pharaons. Ces temples sont éclipsés par des ves-
L
e processus de momification de l’Égypte ancienne est
assez long et complexe, surtout si vous êtes une personne
de haut rang, comme un pharaon ou un membre de l’élite
administrative. Plus vous êtes fortuné, plus vous avez les moyens
de payer pour une belle momie qui durera… pour l’éternité ! En
plus de retirer les organes, afin d’éviter leur décomposition dans
le corps, les Égyptiens s’emploient aussi à dessécher la peau et
les muscles avant l’étape du bandelettage. Un procédé qui est
la clé de la réussite d’une belle momie. Pour ce faire, ils utilisent
du natron, un produit naturel qu’on retrouve dans le désert sous
forme de cristaux, puisqu’il provient de l’évaporation de l’eau
de lacs et de sources dans les zones très arides. Le natron est
un mélange de carbonate, de chlorure et de sulfate de sodium,
essentiellement ce que nous appelons du bicarbonate et du sel.
BNF, PARIS
une grande métropole, malgré la perte de son divers mélanges de produits de beauté, notamment
minérale dessèche
statut de capitale au profit de Thèbes au Moyen avec des poudres d’oxyde de plomb. Le natron la dépouille et
Empire (v. 2060-1785 av. J.-C.) et au profit recèle aussi le secret d’une belle apparence ! É. F. neutralise les odeurs
d’Alexandrie sous les Ptolémées. Par ailleurs, de putréfaction.
c’est à Memphis que le corps d’Alexandre le
Grand a été apporté pour y être, selon toute vrai-
semblance, momifié ! Au Ier siècle av. J.-C., la cité
reste un centre démographique, religieux et
commercial de tout premier ordre – il faut ima-
giner les nombreux étals bruyants des mar-
chands de cuir, d’outils de cuivre, de vêtements
de lin, de poterie, de produits maraîchers… Il
faut aussi imaginer son multiculturalisme à
l’aube de la domination romaine, accentué par
des siècles de conquêtes, d’échanges commer-
ciaux et de métissage. En ce sens, elle est un
reflet de l’évolution de l’histoire égyptienne.
89 - Novembre-décembre 2017
Le magazine d’histoire
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✃
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
Des bienfaits du
e territoire de l’Égypte des pharaons et, donc, tout d’abord se pencher sur leur environnement
des Ptolémées, s’étend bien au-delà de la vallée particulier. À partir du Caire, nous nous enfon-
du Nil, dans les zones désertiques et arides des çons dans le Sahara pour atteindre le Fayoum.
rives est et ouest. Dispersées dans le désert occi- La végétation laisse peu à peu la place au sable
dental, des populations cultivent la terre dans aux reflets blonds, dorés et parfois blancs. C’est
les oasis, et leurs implantations servent le désert libyque, une des parties les plus arides
à l’époque de points d’arrêt aux cara- du Sahara, avec moins de 50 millimètres de pluie
vanes qui assurent le commerce entre par année par endroits.
l’Afrique, l’Égypte et le monde méditerranéen. Comment des gens, avec les techniques de
Deux de ces secteurs ont été particulièrement l’Antiquité de surcroît, ont-ils fait fructifier la
importants au Ier siècle avant notre ère : le terre dans de telles conditions ? Le Sahara a jadis
Fayoum et la mythique oasis de Siwa. été une vaste mer, qui a laissé des lacs et des
Voyons ce que le désert a à nous raconter car réserves d’eau souterraines au cours de son long
pour comprendre l’histoire de ces régions, il faut processus de désertification. Les oasis et semi-
Long cours
Cette oasis
oasis étant des dépressions se trouvant sous le assez salée que les Grecs de l’Antiquité ont bap- nichée dans une
niveau de la mer, il est possible d’avoir accès à tisé le lac Moéris. dépression est
cette eau par le biais de sources naturelles jail- Site agricole dès le Moyen Empire, le Fayoum alimentée
lissantes ou de puits et de canalisations. a aussi été un lieu d’inhumation des pharaons, par un bras du Nil
comme Sésostris II, qui y ont construit des pyra- (le Bahr Youssef,
UNE RETRAITE DORÉE mides dont nous pouvons apercevoir des ves- transcription
Ces conditions, différentes de celles de la vallée tiges, notamment à Hawara et El-Lahoun. C’est arabe du copte
« fleuve
du Nil – qui dépend, pour l’agriculture, des crues par arrosage que les cultures y sont réalisées, et
de Joseph »).
annuelles du fleuve –, ont suscité l’intérêt des il est ainsi plus facile de contrôler la quantité
souverains lagides pour une semi-oasis située à d’eau nécessaire selon les plantes et les céréales.
environ 100 kilomètres de la vallée du Nil. Appe- Les Gréco-Macédoniens y ayant reçu des terres
lée en arabe le Fayoum, ce qui veut dire « lac », après leur service militaire auprès des souverains
elle est alimentée en eau par une petite branche ptolémaïques espéraient s’approvisionner plus
déviante du Nil et par la présence d’un lac d’eau facilement en produits qu’ils affectionnaient,
93 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
UBISOFT
Accro
Le crocodile, qui
prospérait dans ses
eaux troubles, était
même déifié sous
le nom de Sobek (le
Soukhos des Grecs)
Filets garnis Le lac au cœur de cet îlot était entouré d’une zone et adoré comme le
marécageuse. Il était riche en poissons. Après salaison, le produit de
démiurge.
la pêche était vendu dans toute l’Égypte.
DEAGOSTINI/LEEMAGE
comme le vin et les olives, des cultures qui ne portent les fruits de leurs récoltes à dos d’âne
réagissent pas très bien aux terres inondées le pour les vendre dans les marchés ou les envoyer
long du Nil. vers la vallée du Nil. En approchant du lac, on
Voilà comment la dynastie des Ptolémées remarque les pêcheurs sur leurs petites embar-
(305-30 av. J.-C.) a fait du Fayoum un immense cations, qui espèrent de bonnes prises. En nous
site d’essais hydrauliques et agricoles, qui est enfonçant encore davantage dans le désert, alors
devenu le verger de l’Égypte à l’époque de Cléo- que l’air devient de plus en plus chaud et sec,
pâtre ! De grandes villes s’y implantent, comme nous faisons route vers le nord de l’Égypte, vers
Karanis, Philadelphie, Crocodilopolis ou Tebtu- l’un de ses lieux les plus mythiques et sacrés,
nis. Le culte du dieu crocodile Sobek (illustr. ci- l’oasis de Siwa.
dessus, à dr.) est y est particulièrement impor-
tant, et les temples du Fayoum possèdent des SIWA, L’OASIS DU ROI DES DIEUX
caches pour faire reposer des momies de croco- Dernière des cinq oasis habitables en partant du
dile dans le natron. sud du pays – les autres étant respectivement
Sur les routes entourant le lac et liant ces villes Kharga, Dakhleh, Farafra et Bahriya –, Siwa est
et leurs villages entre eux, les paysans trans- la plus éloignée du Nil. Après des kilomètres de
désert avec très peu de végétation, le visiteur
découvre là un paysage presque paradisiaque.
devenu le verger de
sieurs jours de marche dans un désert inhospi-
talier, Siwa est le lieu tout indiqué pour commu-
l’Égypte sous Cléopâtre niquer avec le dieu soleil Amon, roi des dieux de
l’Égypte ancienne.
LA PANOPLIE COMPLÈTE
DES POTIERS
Q
ue ce soit pour préserver les grains des récoltes et
empêcher la vermine de les grignoter, conserver la bière,
les dattes ou le miel, ou bien encore mélanger des fards
pour se faire une beauté, les récipients de poterie ont été les
objets les plus courants mais aussi les plus diversifiés en Égypte
ancienne. Si nous retrouvons peu de vestiges de maisons ayant
conservé intacts leur mobilier et leur vaisselle, les tombeaux
nous ont quant à eux offert une belle panoplie de vases, pots,
FLORILEGIUS/LEEMAGE
DE AGOSTINI PICTURE LIBRARY / A. JEMOLO / BRIDGEMAN IMAGES jarres, bols et tasses, qui nous font comprendre l’importance de
la poterie dans le quotidien égyptien. La poterie servait à produire
à peu près tous les récipients utiles au quotidien – par exemple,
Pointu Selon Hérodote (II, 149), le roi Moéris fit creuser le la vaisselle, des paysans comme des plus nantis, même si ces
lac et plaça sur ses rives deux pyramides de sa création. Mais derniers utilisaient davantage de la vaisselle faite d’argent, d’or,
sans doute l’historien a-t-il visité l’endroit alors que, à la faveur de faïence ou d’albâtre.
d’une crue, le lac s’étendait jusqu’aux monuments. Plusieurs statuettes de bois et des scènes peintes dans les
tombeaux illustrent le travail de ces potiers. Ils se procuraient
de l’argile séchée le long du Nil et la mélangeaient tout d’abord
Au Ier siècle av. J.-C., deux temples lui avec de l’eau. D’après les œuvres montrant leur travail, les
sont dédiés, mais le plus important se artisans la foulaient ensuite avec leurs pieds pour obtenir
trouve dans l’ancien village d’Aghourmi, une pâte humide de bonne consistance. Les potiers
près d’une magnifique source jaillissante. modelaient les pots de différentes façons : à la main puis
Les prédictions d’Amon, transmises à un en les laissant sécher, au moyen de moules ou avec un
prêtre ou à des sibylles du temple qu’on tour en bois, pour les jarres et les pots. Cet outil
appelle « oracles », sont si popu- est assez bas, ce qui fait que l’artisan travaille
laires qu’elles ont jadis attiré assis et tourne le pot avec une main sur le
le roi perse Cambyse (VIe s. av. socle grâce à une poignée et le façonne avec
J.-C.), qui a échoué dans sa l’autre main (au Ier siècle av. J.-C., les potiers
tentative d’atteindre Siwa, et utiliseront aussi le tour dit « rapide », actionné par
surtout Alexandre le Grand, qui les pieds. Ils laissaient ensuite sécher leur œuvre,
s’enquit auprès de l’oracle la cuisaient, pour finalement la peindre. Les
d’Amon s’il était bel et bien divin jarres de stockage étaient peu peintes
– ce qu’il lui aurait alors confirmé. puisqu’elles n’avaient pas un usage
Les mystères de l’oracle quotidien et visible. Mais les
d’Amon font de Siwa un lieu récipients pour les huiles, parfums,
d’intérêt mystique et reli- produits cosmétiques, les cruches
gieux encore à l’époque de pour le vin et la bière, et même les
Cléopâtre. Les Égyptiens de bols, étaient souvent ornés de motifs
la vallée du Nil considèrent géométriques très beaux et variés
par ailleurs que, en raison de (animaux, paysages, etc.), et, surtout, dans
leur proximité avec la Libye et une grande variété de coloris… E. F.
de leur mode de vie plus campa-
gnard, les habitants de Siwa ne sont Potier de l’Ancien Empire (Ve dynastie),
pas réellement des Égyptiens. Une trouvé à Saqqarah. Musée égyptien du Caire.
preuve que les débats ethniques
existaient bel et bien dans
l’Antiquité !
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
L’éclat retrouvé de
Avant Alexandrie, c’est par cette cité sise à l’embouchure du Nil
que transite l’essentiel du commerce égyptien en Méditerranée.
Engloutie au VIIe siècle, elle sera sauvée des eaux en l’an 2000.
a Basse-Égypte, celle du Nord, triangle de ver- descend à l’ouest vers l’embouchure de Rosette ;
dure délimité par la mer Méditerranée et les bras l’autre, à l’est, vers celle de Damiette. La route
du Nil, « défilés du fleuve et ses abîmes dont nul vers Rosette sillonne à travers d’immenses oasis
regard n’a pu pénétrer la profondeur », décrit de dattiers, rejoint la mer et se dirige vers l’ouest
Tacite, cette Égypte, « terre des papyrus », est et la baie d’Aboukir. Terres de marais, glacis pro-
tout aussi imprégnée de mythes que celle tecteur où il est difficile d’accoster avant qu’une
du Sud, plus spectaculaire, avec ses cité et ses ports ne soient construits autour de
pyramides et ses temples. À l’intérieur 800 av. J.-C., bien avant Alexandrie. Ville por-
de ce triangle s’en dessine un autre, équilatéral, tuaire érigée par nécessité, elle se développe
formé par les deux branches du Nil : celle qui pendant près d’un millénaire. Localisée à pré-
sent à sept kilomètres de la côte actuelle, la Thô- de grands blocs calcaires protégeant des cha-
nis des Égyptiens, devenue l’Héracleion des pelles, des esplanades, des temples annexes et
Grecs, est édifiée sur des îlots séparés par des le grand temple de style pharaonique consacré
voies d’eau et des ports. Autour de leur maison à Amon Gereb… Ce temenos forme le plus vaste
d’habitation, les Égyptiens aménagent de petites sanc tuaire égyptien retrouvé dans la région. L’ef-
cités lacustres plantées de palmiers et de papy- figie principale de ce serapeum de Canope est
rus, minuscules oasis de verdure sur le bleu de une immense statue en marbre de quatre mètres
la mer. Parmi un ensemble de bâtiments et de de hauteur représentant le dieu Sérapis. Ses pou-
maisons se trouve, au sud, le temenos – espace voirs de guérisseur attirent dans la ville des mil-
sacré délimité par une longue enceinte construite liers de pèlerins.
97 - Novembre-décembre 2017
CHRISTOPH GERIGK ©FRANCK GODDIO/HILTI FOUNDATION
HERMA SILVER/AURIMAGES
Au nord et à l’est s’étendent les Tutélaire La ville est aussi placée sous le
bassins d’un vaste port. À l’ouest, un lac patronage de Hapy, avatar du Nil en crue et figure
intérieur est comme prisonnier de la ville. À de fécondité, qui porte ici une table d’offrande.
l’est, enfin, les quais et un avant-port Granit rose, IVe s. av. J.-C., musée Maritime d’Alexandrie.
débouchent sur le Nil par une passe étroite.
L’ensemble de Thônis est protégé par un cor-
don de dunes, enceinte friable que le vent la Méditerranée et contrôle tout le com-
délite au fil des bourrasques – bien que la ville merce du royaume avec le monde grec.
soit abritée des vents dominants de nord- Les fouilles sous-marines dirigées par
ouest et des tempêtes de nord-est. L’emporion, l’archéologue Franck Goddio ont mis au jour
port de commerce, offre un emplacement par- une spectaculaire stèle gravée – plus
faitement adapté pour accueillir les bateaux ancienne que la pierre de Rosette ! Comman-
débarquant de pays étrangers. Du VIIe au dée par le pharaon Nectanebo Ier en 378
IVe siècle av. J.-C., la cité commande l’accès de av. J.-C., elle évoque les taxes sur les exporta-
la branche canopique, commerce avec les régions tions et importations perçues et administrées
de l’Hellade et surveille les navires en transit à partir du temple principal d’Amon Gereb.
pour le comptoir grec de Naucratis. Thônis est Une stèle identique a été trouvée à Naucratis,
alors le plus prospère emporion de l’Égypte sur plus grand poste commercial, l’un des sites les
plus importants d’Égypte fondé par des négo-
ciants grecs en 650 av. J.-C. Les stèles montrent
le monde grec
le révèlent les 64 épaves découvertes sous les
eaux et, fait rarissime, toutes au même
L
tifiés par les textes et les archéologues. Hérodote a conviction que personne ne revient de l’au-delà conduit
appelait « baris » les embarcations en acacia des- les Égyptiens, dès les temps les plus anciens, à jouir
tinées au transport de mar chandises. Et puis il de la vie avant que ne survienne la mort. Aux multiples
y a ceux qui servent à acheminer la cargaison de cérémonies religieuses s’additionnent les fêtes privées, où l’on
plus gros bateaux jusqu’au rivage et ceux qui écoute de la musique et des chanteurs en buvant vin et bière
s’engagent sur le fleuve vers le Delta pour trans- jusqu’à l’enivrement. Fêtes religieuses et ivresse vont de soi.
porter les marchandises vers l’intérieur du pays. Ce mariage ne génère aucune mauvaise conscience jusqu’à la
Parmi ces épaves, un splendide bateau en syco- XVIIIe dynastie (v. 1580-1085). Des censeurs n’ont alors plus
more coulé vers la fin du IVe siècle av. J.-C., aucune indulgence pour la vie légère et joyeuse, en particulier
entouré d’objets sacrés. C’est la seule barque celle qui s’ébat dans les maisons de bière, véritables lupanars
sacrée jamais découverte… offerts au plaisir. À toutes les époques, les Égyptiens ont été des
grands buveurs d’alcool. Le vin est davantage une boisson de
DES LIEUX DE RÉSISTANCE luxe pour la haute société et la cour. La bière est consommée
Cité stratégique, Thônis-Héracleion est aussi un aussi bien par Pharaon lui-même que par ses plus modestes
centre religieux vital. Des dépôts rituels et des sujets. Il existe des grands crus de bière, répertoriés en fonction
instruments de culte mis au jour dans le canal des ingrédients, froment ou orge mêlée de dattes. Si chacun peut
reliant les bassins portuaires au lac de l’Ouest fabriquer sa propre bière, les Égyptiens ont un goût prononcé pour
en traversant Héracleion jusqu’à Canope celles préparées chez des brasseurs de renom. Sur le Nil circulent
montrent le caractère sacré de cette grande voie
d’eau. Elle est utilisée lors des mystères d’Osiris,
cérémonies célébrées entre les deux sanctuaires
en l’honneur du dieu mort et ressuscité (lire His-
toria no 825, sept. 2015). « La marginalité des
espaces lacustres et palustres en faisait des lieux
de résistance où le pouvoir royal pouvait se régé-
nérer à l’abri des agressions extérieures », écrit
Katherine Blouin, de l’université de Toronto.
C’est là que les nouveaux pharaons reçoivent du
99 - Novembre-décembre 2017
À L A R E C H E R C H E D ’ U N PAYS O U B L I É
yrène, ce joyau de l’Antiquité, sombre mer Égée, les habitants de Théra affrontent plu-
dans l’oubli, jusqu’à ce que, au XIXe siè- sieurs années de violentes sécheresses. Totale-
cle, la découverte de ses imposantes ment démunis, ils ne trouvent d’autre solution
ruines lui redonne un nouveau souf- que celle de se tourner vers l’oracle d’Apollon à
fle. Depuis, des travaux d’envergure Delphes, censé les guider et les sauver dans ce
ont progressivement révélé ce patri- moment de détresse. Si l’on en croit les écrits
moine unique ; désormais on parvient d’Hérodote et de Pindare, les réponses répétées
à mesurer à sa juste valeur l’importance de la Pythie les enjoignent de se rendre en
de cette cité, située dans l’actuelle Libye, et Afrique – plus précisément, en Libye. On dit que,
longtemps restée mythique. dirigés par Aristotélès, les colons s’installent
Au milieu du VIIe siècle av. J.-C., après deux d’abord sur une île proche du continent africain,
siècles de présence sur l’île de Santorin, dans la puis sur le continent lui-même, sans parvenir
toutefois à s’y établir en permanence. Le contact leur tête Aristotélès, lequel va diriger la cité pen-
avec les tribus berbères locales les incite à se dant une quarantaine d’années sous le nom de
rendre à l’intérieur des terres, vers un lieu riche « roi Battos ». La richesse agraire des lieux per-
en eau, qui deviendra le site de Cyrène. met une croissance constante de la ville, réputée
pour l’élevage hippique et la culture du silphium,
LA CAPITALE DU PENTAPOLIS une plante médicinale – probablement une
Installée au bord de la mer Méditerranée, Cyrène ombellifère – particulièrement prisée à l’époque
culmine à 622 mètres d’altitude, sur le deuxième gréco-romaine. La ville, qui accueille jusqu’à
degré du djebel Akhdar (« vert », en arabe, en 100 000 colons, atteint son apogée au Ve siècle
référence à son exceptionnelle verdure). C’est av. J.-C. Son pouvoir lui permet de dominer pen-
là, près d’une source naturelle, que les réfugiés dant plusieurs siècles le réseau du Pentapolis
de Théra s’installent en 631 av. J.-C., avec à – les cinq villes composant la Cyrénaïque. Une
UBISOFT
Cultes Dès le VIe siècle av. J.-C., Cyrène se dote de Gigantisme Modélisation du temple dorique de Zeus. Construit en 440 av.
monuments magnifiques : des temples précédés d’autels J.-C., c’était le plus vaste édifice grec d’Afrique. Consacré au roi de l’Olympe, il
(d’Apollon, mais aussi d’Artémis, déesse de la Nature et de la possédait le même nombre de colonnes que le Parthénon d’Athènes (huit en
Chasse) ainsi que des sanctuaires (notamment à Déméter). façade, 17 sur les côtés), mais le dépassait par ses dimensions.
vingtaine de kilomètres plus au nord, Apol- Construit vers 440 av. J.-C., le temple consacré
lonia sert de port pour ses exportations. au roi de l’Olympe est le plus grand sanctuaire
Grâce aux fouilles archéologiques menées grec construit en Afrique ; aujourd’hui, une par-
depuis 1821, Cyrène dévoile petit à petit les mer- tie de la colonnade a été redressée, ce qui per-
veilles de son architecture et la magnificence de met de se rendre compte du gigantisme de l’édi-
son site, entre montagnes et rivières. La ville fice. Par ses dimensions monumentales
croît à partir d’une petite acropole fortifiée, au (70 x 32 mètres), il dépasse son homologue à
pied de laquelle les Cyrénéens consacrent un Olympie et le Parthénon d’Athènes, sans toute-
sanctuaire à Apollon. Au cœur de ce complexe, fois entrer dans la classification des Merveilles
d’environ 200 mètres de longueur, se dresse un du monde citée par Antipater de Sidon au
temple dorique qui, malgré ses réaménagements IIe siècle av. J.-C. Même si le cœur du sanctuaire
ultérieurs, est le plus ancien monument de la abritait alors une statue de culte exceptionnelle,
cité. Protégé par une figure de Gorgone, cette dont il ne subsiste que la base : une copie, en
créature malfaisante qui pétrifie les personnes taille plus modeste, de la fameuse statue chrysé-
affrontant son regard, ce sanctuaire abrite éga- léphantine de Zeus réalisée par Phidias pour le
lement une sublime statue d’Apollon citharède temple d’Olympie, qui compte, elle, parmi les
(le « joueur de cithare »), désormais exposée au Sept Merveilles du monde antique. À quelques
British Museum, à Londres. dizaines de mètres, à la limite nord-est de la
Outre son culte à Apollon, Cyrène accueille ville, on devine un cirque très délabré, dont les
de nombreuses autres divinités, notamment délimitations apparaissent sur les vues aériennes,
Déméter, la déesse des Moissons, et Zeus. tandis qu’à l’extrémité occidentale du site les
S
agora et un gymnase monumental, dont les i Cyrène jouit d’une aussi florissante croissance, c’est
restes sont incroyablement préservés. D’impor- bien grâce au monopole de l’exploitation du silphion
tantes personnalités grecques émergent alors – plus connu sous le nom de silphium. Cette plante,
des décombres, en particulier Ératosthène, propre à la région, fit sa gloire – et est à l’origine de
mathématicien, géographe, poète et astronome sa déchéance. On dit que c’est d’Aristée, fils d’Apollon et de
né en 276 av. J.-C. à Cyrène. Dans l’agora, les la nymphe Cyrène, que l’homme aurait appris les propriétés
archéologues ont mis au jour des échoppes, jadis de cette plante, utilisée comme fourrage naturel brouté par le
couvertes, où devait se presser une foule se bétail et les chevaux thériens amenés de Santorin. Son goût
livrant à l’échange de multitudes de produits ; à particulier, aromatisant la viande, aurait
proxi mité, sous l’œil attentif d’une statue navale aiguisé la curiosité des monarques
de la Victoire – similaire à celle de Samothrace, battides et de la population
qui fait la fierté du musée du Louvre –, on locale, qui se mettent alors
conserve les livres de lois et les archives. à la cueillir et à l’exporter
comme une ressource
INTÉGRÉE À LA RÉPUBLIQUE DE ROME de grande valeur pour
Au cœur de l’ago ra se trouve égale- l’alimentation et pour
ment un monument clé de l’histoire la médecine.
de Cyrène : le mausolée du fon- Bien que
dateur des Battides – le roi ses fleurs et
Battos –, dynastie qui règne ses feuilles
pendant environ deux siècles, jaunâtres
avant d’être renversée par de soient très prisées,
grands propriétaires terriens. Malgré ce sont surtout les
la prise de la ville par Alexandre le racines qui attisent
Grand en 331 av. J.-C. – qui échoit les convoitises. Du fait
ensuite à Ptolémée Ier lors du partage de de l’importance inégalée
l’immense empire du Macédonien –, ceux-ci de ce produit pendant un
se maintiennent au pouvoir. millénaire, plusieurs chroniqueurs
BNF, PARIS
L’INVITÉ DU SPÉCIAL
JEAN GUESDON
Quatre ans de travail, des centaines de personnes à l’œuvre
à travers le monde : le dernier opus d’Ubisoft est un bijou
d’innovation et d’émerveillement. Retour sur la genèse
d’« Assassin’s Creed Origins » avec le directeur créatif du jeu.
HISTORIA – POURQUOI AVOIR CHOISI H. – PAR QUELS MOYENS ÊTES-VOUS l’accession au pouvoir de Cléopâtre.
L’ÉGYPTE ANTIQUE ? PARVENU À RECONSTITUER LA Mais pour des raisons narratives et
JEAN GUESDON – L’histoire est notre DIMENSION SURNATURELLE DE CETTE techniques, nous avons fait abstrac-
terrain de jeu. Après Assassin’s CIVILISATION DANS LE JEU ? tion du destin d’Arsinoé, la demi-
Creed 4 Black Flag, consacré aux J. G. – C’est un aspect attendu par les sœur de Cléôpatre, qui a intrigué
pirates du XVIIIe siècle, Assassin’s joueurs. Il était impensable de passer pour le trône, et avons dû renoncer
Creed Unity (2014), sur la Révolution à côté. Nous avons travaillé sur le à Thèbes et à la Vallée des Rois.
française, et Assassin’s Creed Syndi- polythéisme et l’importance de son
cate (2015), sur le Londres victorien, rôle à l’arrivée des Grecs, période au H. – QUELLES TECHNIQUES AVEZ-
nous avons voulu explorer l’Égypte cours de laquelle de nouveaux dieux VOUS UTILISÉES POUR RECONSTI-
antique, l’une des plus extraordi- ont été ajoutés pour pacifier la situa- TUER UN MONDE AUSSI VASTE
naires civilisations du passé – elle tion. Je pense à Sérapis, par exemple, QUE L’ÉGYPTE ANTIQUE
couvre plusieurs millénaires. Mais au créé par Ptolémée Ier, devenu l’une ET RESPECTER LES PROPORTIONS ?
lieu de nous attacher à la construc- des divinités les plus aimées du pan- J. G. – Nous avons d’abord établi une
tion des pyramides, nous avons pré- théon égyptien. Mais nous avons carte sur laquelle nous relevons les
féré aborder la période de Cléo- aussi restitué des moments fantas- éléments iconiques incontournables :
pâtre VII, reine d’Égypte de 51 à 30 tiques pour répondre au fantasme le delta du Nil, le plateau de Gizeh,
av. J.-C. Cela nous a permis d’inté- des joueurs, comme l’affrontement Alexandrie, l’oasis de Siwa, dans le
grer des villes modernes, comme avec le dieu serpent Apep, qui, toutes désert libyen – où Alexandre le
Alexandrie, ou de plus anciennes, les nuits, tente d’empêcher la renais- Grand rencontre l’oracle qui le
comme Memphis, et d’exploiter une sance du dieu solaire Rê. confirme comme descendant direct
période trouble de l’Histoire, celle de du dieu Amon –, Memphis, la pre-
l’accession au trône de Cléopâtre, H. – COMMENT DOSE-T-ON LA PART mière capitale, etc. S’ensuit le posi-
riche en complots et conspirations. DE RÉALITÉ ET DE FICTION ? tionnement de ces informations dans
J. G. – Il n’y a pas de recette, mais notre monde virtuel, en respectant
H. – COMMENT EXPLIQUER nous avons des limites, comme la au mieux la géographie. Nos recons-
LA FASCINATION DU PUBLIC règle « des trente secondes ». Si nous titutions doivent être le plus fidèles
POUR L’ÉGYPTE ? mentionnons un personnage, un lieu possible, même si parfois nous
J. G. – Il s’agit d’une civilisation dis- ou un événement qui a existé, le sommes contraints de tordre le cou
parue, mystérieuse, mais dont il reste joueur doit, en trente secondes sur à la réalité – c’est le cas des distances.
beaucoup d’artefacts. Regardez les Internet, trouver le résultat appro-
pyramides, inchangées depuis quatre prié. Le jeu ne doit pas transiger avec H. – COMMENT VOUS ÊTES-VOUS
mille cinq cents ans et qui suscitent la vérité. Pour toutes les autres infor- DOCUMENTÉ ?
l’éternelle question : comment les mations demandant des recherches J. G. – Nous nous sommes plongés
Ég y ptiens ont-ils fait pour les approfondies, des lectures multiples dans tout ce qui existe – documen-
construire ? Il y a les peintures, les ou croisées, nous nous autorisons taires, films, encyclopédies ou même
papyrus, les hiéroglyphes – et surtout plus de liberté. L’ensemble du jeu est produits de divertissement – afin de
la momification, très répandue à fidèle à la plupart des événements mettre à jour nos connaissances et
l’époque de Cléôpatre. historiques, surtout ce qui concerne d’être au diapason du grand public.
À la sortie
du tombeau
Périodes
de chaleurs
Tranche
d’histoire Dieu
égyptien
Cercueils de la
de pierre Végétation
égyptiens
Entrée dans Ça dope !
Aurore
Héliopolis Déesse
en Grèce
Frontière égyptienne
Préposition
naturelle de la Justice
Nom porté
par onze
pharaons
Divinité
Collation Déesse
Divinité, égyptienne
fils d’Isis et de la Joie
d’Osiris et de l’Amour
Il fut Introduction
l’architecte aux
Lettre Extrait
du complexe hiéroglyphes
grecque de lotus
funéraire
de Saqqarah Décharge
Il peut
avoir la forme
d’une
pyramide
Lettre
Colle grecque
Roi Taureau
de Juda sacré des
Égyptiens
Rangea Matière
Garde du masque
Se voit en tête funéraire de
à l’œuvre Toutânkhamon
Attribut
du pharaon
Site
archéologique
d’Égypte
Un minimum Note Ville des
U
Marches
Ville
de Sicile
P
Ouvert
Retenue
A
à la banque Missives
Stoppe la
P S
Planches
Mot qui
en lettres
Peintre du Lettres convient
à tous les progression
Le « roi des
quattrocento de Naples
courants
grecques dieux »
FR
Peintre
AA N G E L IC O
Volcan égyptien
de l’école Donc pris
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vénitienne
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naie italienne
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au piège
Pas plus loin
Famille
princière
L I RE O R
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d’Empire
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Fondateur Indicateur Peintre
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de l’Oratoire Un quintal
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d’Italie
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d’Italie
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Renaissance
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romains
d’audace dans
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Rejetée À la frontière
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de l’alphabet Ville des
R E N I E E I E
de l’Italie
l’existence
grec Pouilles Attention,
danger !
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de Sicile
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du Trentin
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naissance
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Note
biblique
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Solution du numéro 37