Le Monde Diplomatique Magazine - Drogues
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COM/WSNWS
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РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
Le Monde diplomatique
Manière de voir
Numéro 163. Bimestriel. Février - mars 2019
Akatre /////
Image créée pour
ASTRID542018
Drogues.
Changer la donne
Numéro coordonné
par Jean-Michel Dumay
Édition : Olivier Pironet
Conception graphique :
Boris Séméniako
Photogravure :
Patrick Puech-Wilhem
Cartographie : Cécile Marin
Correction : Astrid54
Sommaire Éditorial
4 Une dose d’hypocrisie ///// Jean-Michel Dumay
Les articles publiés dans ce numéro – à l’exception de cinq inédits – sont déjà parus dans
Bibliographie 12, 57, 79
Le Monde diplomatique. La plupart ont fait l’objet d’une actualisation, et leur titre a souvent été
modifié. La date de première publication ainsi que les titres originaux figurent en page 98. Sur la Toile 37, 47, 70
Le Monde diplomatique
Édité par la SA Le Monde diplomatique, société anonyme
avec directoire et conseil de surveillance. Actionnaires :
Société éditrice du Monde, Association Gunter Holzmann,
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Akatre ///// Image créée pour le magazine « Neon », 2015 Commission paritaire des journaux et publications :
1020 I 87574. ISSN : 1241-6290
1
Substances,
Akatre ///// Image créée par le collectif
Akatre à l’occasion de son
cinquième anniversaire, 2015
addictions
et ravages
6 //// MANIÈRE DE VOIR //// Substances, addictions et ravages
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РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
I
PAR MAXIME ROBIN *
rir, mais, à la morgue de Lorain County, services de premiers secours. « On a été pion-
un comté périurbain de l’Ohio, on en niers dans ce domaine », se souvient le shérif
répertorie cinq : « mort naturelle, homicide, adjoint Dennis Cavanaugh, qui estime à 350
suicide, accident, cause indéterminée ». Les le nombre de vies sauvées depuis la mise en
overdoses sont considérées comme des acci- place de ces kits, en 2013. Administré par voie
dents. Ici, elles ont triplé en quatre ans, pour nasale aux victimes en arrêt respiratoire, le
atteindre 132 morts en 2016. « Des cocktails produit est également distribué gratuitement
contenant des opiacés dans 95 % des cas », fait dans les supermarchés, pour que tout un cha-
savoir le médecin légiste Stephen Evans, qui cun puisse ranimer une victime. À l’échelle du
classe parfois une overdose en suicide, quand pays, l’épidémie d’overdoses a contribué à la
les doses relevées sont particuliè- baisse de l’espérance de vie en
Selon un shérif,
rement importantes. « Mais d’au- 2016, pour la deuxième année d’af-
tres comtés les classent en homi-
entre 80 et 90 % filée (2). Avec près de 65 000 décès
cides quand les dealers vendent des crimes de son en 2016, « soit davantage que la
une poudre coupée au fentanyl, un comté sont liés au totalité des GI morts au Vietnam »,
narcotique cent fois plus puissant trafic de drogue ou rappelle le docteur Evans, les déri-
que l’héroïne. Les toxicomanes à des délits commis vés de l’opium tuent davantage que
pensent qu’ils se piquent avec de les accidents de la route (37 000
pour s’en payer
l’héroïne, mais encaissent cent fois morts) ou que les armes à feu
la dose... » En 2017, la plus vieille victime du (38000). En comparaison, 243 personnes sont
comté était un homme de 75 ans, qui parta- mortes d’overdose en France en 2014, 2655 au
geait la seringue avec son petit-fils. Royaume-Uni la même année et 1226 en Alle-
L’entité administrative de Lorain County, magne en 2015 (3).
qui regroupe environ 300 000 habitants, se Le shérif adjoint Cavanaugh chapeaute la
situe dans l’aire d’influence de Cleveland. Déli- Drug Task Force, la brigade des stupéfiants,
mité au nord par les rives du lac Érié, le terri- qui compte quinze agents. Selon lui, entre 80
toire devient plus rural à mesure qu’il s’étend et 90 % des crimes du comté sont liés « au
vers le sud. Lors d’un premier pic d’overdoses, trafic de drogue ou à des délits commis pour
en 2012, la police avait d’abord pensé à un pro- s’en payer ». Sur le plan pénal, la situation est
blème de drogue frelatée, mais les analyses devenue assez critique pour qu’un magistrat
toxicologiques n’avaient rien révélé de surpre- local obtienne, en 2015, l’aval de la Cour
nant. Les consommateurs d’opioïdes par voie suprême de l’Ohio pour créer une cour spé-
intraveineuse étaient simplement devenus ciale, réservée aux toxicomanes. Ce mardi
plus nombreux dans le comté. Le problème matin de fin novembre, avant-veille de la ☛
n’était plus circonscrit aux quartiers pauvres
et aux ghettos noirs de Cleveland et de Cincin- (1) « Opioid overdose deaths by race/ethnicity », The Henry
nati, mais touchait désormais les petites loca- J. Kaiser Family Foundation, Menlo Park (Californie),
www.kff.org
lités de la classe moyenne blanche.
(2) Elle est passée de 78 ans et 9 mois en 2014 à 78 ans et
Avec plus de 4 000 morts par overdose en 7 mois en 2016. Cf. « Soaring overdose deaths cut US life
expectancy for a second consecutive year, CDC says », Los
2016 (contre 296 en 2003), l’Ohio occupe la Angeles Times, 20 décembre 2017.
(3) Selon les derniers chiffres officiels publiés par les observa-
* Journaliste. toires français et européen des drogues et des toxicomanies.
À
comment on a converti toute une population 62 ans, en cette année 2010, M. Jim Doherty est un retraité hors normes.
à l’héroïne. » Il réside à Parkhead, un quartier de l’est de Glasgow (Écosse) où l’espé-
rance de vie moyenne des hommes culmine à 53,9 ans. Rescapé d’un acci-
« C’est comme commander une pizza » dent du travail, il touche une indemnité de 560 livres (660 euros) par mois
Le basculement de la consommation de
et fume cigarette sur cigarette. « Regardez, dit-il en écartant les rideaux. Là,
médicaments vers l’héroïne s’est fait pro-
il y avait une usine métallurgique. Elle employait huit mille personnes. Juste
gressivement et furtivement. Les vendeurs
derrière, trois mille ouvriers travaillaient dans l’usine de pièces automobiles.
d’héroïne mexicaine – souvent originaires de
la région de Xalisco, spécialisée dans la cul- Derrière, encore une aciérie : sept mille ouvriers licenciés. Tout a foutu le camp
ture du pavot – ont investi cet immense mar- en Asie et en Europe de l’Est dans les années 1970-1980. » M. Doherty, lui, a tra-
ché rural, modernisé leurs techniques de vaillé toute sa vie comme ouvrier dans un domaine qui n’a pas connu la
vente et agi beaucoup plus discrètement que crise : la démolition. « J’ai détruit des quartiers entiers, des ghettos où vivaient
les trafiquants des grandes villes. Malgré une les ouvriers qui ont été retransformés en nouveaux ghettos pour leurs fils chô-
forte concurrence, qui explique le prix au meurs. J’ai détruit des lignes entières d’assemblage dans les usines qui fer-
détail si bas de l’héroïne, les dealers des cam- maient les unes après les autres. C’était ma vie. »
pagnes n’ont guère recours aux armes à feu
pour régler leurs comptes ou défendre leur Autour de sa maison s’élèvent les ruines du monde postindustriel, quar-
territoire. tiers où les rares boutiques sont bardées de grilles et d’interphones, où la
La poudre se commande par SMS et la drogue abonde, où les gangs pullulent. A Glasgow, la désindustrialisation
livraison est assurée en voiture par les ven- menée par le gouvernement de Margaret Thatcher (1979-1990) est un suc-
deurs, qui ont intégré le concept de « satis- cès. Il y a plusieurs années, M. Doherty a créé l’association Gallowgate Family
faction client » et distribuent des cartes de Support Group : une trentaine de militants aident financièrement et mora-
visite, des points de fidélité... « Au tout début, lement les familles de drogués. « Durant les dix dernières années, on a enterré
peut-être que tu dois te risquer à aller dans ici cinq mille de nos jeunes garçons. » Tous victimes d’overdose ou de mort
des endroits louches. Mais, une fois que les violente. « Aujourd’hui, entre l’industrie des soins médicaux et psychiatriques,
connexions sont faites, que tu es un bon client,
les frais de personnel carcéral, les programmes de méthadone ou de seringues,
c’est comme commander une pizza », expli-
les salaires des travailleurs sociaux et des travailleurs spécialisés dans la
que M. Barrett. Si le consommateur tente un
drogue, des employés des associations, des pharmacies, des prisons ou des
sevrage et n’appelle plus, le dealer le relance
asiles, sans compter le fric amassé par les dealers, l’industrie de la drogue est
par téléphone, ou sonne chez lui pour lui
sans conteste la plus prospère de Glasgow. »
offrir des doses.
Depuis la mise sur le marché de l’OxyCon- Jim sait mieux que quiconque ce que le chômage généralisé peut causer.
tin, les vagues de drogues se superposent « Mes deux fils ont été dépendants à l’héroïne pendant plus de vingt-cinq ans.
comme des sédiments sur les rives du lac
Je suis en train d’essayer de sauver mes petits-enfants », explique, les mains
Érié, sans que l’une chasse jamais complète-
dans le pot de tabac, cet homme qui a « ému » l’ancien chef des conserva-
ment l’autre. Aux pilules sur ordonnance
teurs, M. Iain Duncan Smith, et lui a inspiré un slogan politique, celui de la
comme l’OxyContin, puis à l’héroïne, s’ajou-
« société brisée ».
tent désormais d’autres substances synthé-
tiques à la puissance terrifiante. Les autorités En 2007, M. Smith est même venu, sans convoquer la presse, assister aux
sont confrontées à un monstre à plusieurs funérailles d’un jeune homme après avoir appelé le retraité. « Il m’a demandé
têtes, dont aucune n’a encore été coupée. comment faire revenir le vote conservateur dans des quartiers comme Park-
Maxime Robin
head, se souvient M. Doherty. Je lui ai répondu que, tant que Margaret That-
cher serait encore en vie, le Parti conservateur n’aurait pas une seule voix dans
(5) Sam Quinones, Dreamland : The True Tale of America’s
Opiate Epidemic, Bloomsbury Publishing, Londres - New ces quartiers. Toute cette situation est la conséquence de son action à la tête
York, 2015.
du gouvernement britannique. Sans délocalisations, sans fermetures d’usines
(6) « Opioids prescribed to Ohio patients decrease by
162 million doses since 2012 », Board of Pharmacy, État de et sans licenciements massifs, on n’en serait pas là aujourd’hui. »
l’Ohio, 25 janvier 2017.
(7) Harriet Ryan, Lisa Girion et Scott Glover, « More than Astrid54
1 million OxyContin pills ended up in the hands of crimi- Journaliste.
nals and addicts. What the drugmaker knew », Los Angeles
Times, 10 juillet 2016.
TOXICITÉ DE L’AUSTÉRITÉ
dis et ses collègues ont prélevé des échan-
Le programme de rigueur imposé, depuis 2010, par Bruxelles pour « redresser » tillons dans les stations d’épuration de la
la Grèce a entraîné le déchirement du tissu socio-économique du pays et fait bondir capitale grecque, qui collectent les eaux reje-
tées par 3 700 000 habitants, soit plus du
la pauvreté. Mais il a également provoqué une grave crise sanitaire, comme en
tiers de la population de la Grèce. Ils y ont
témoigne la forte augmentation de la consommation de stupéfiants, de psychotropes
recherché 148 médicaments, stupéfiants et
et d’antidépresseurs, vers lesquels beaucoup de Grecs se sont tournés. substances illicites, ainsi que leurs métabo-
lites – les produits de leur transformation
’austérité radicale imposée à la Grèce dans l’organisme.
L
PAR MOHAMED LARBI BOUGUERRA *
depuis 2010 n’a pas seulement aggravé Ces scientifiques notent que, si la présence
la situation de l’économie et l’endette- de ces substances dans les eaux usées est cou-
ment du pays, avec une chute de la produc- ramment vérifiée, seul un nombre limité
tion et une envolée du chômage. Chez les d’études ont été consacrées à la corrélation
habitants d’Athènes, elle aurait aussi provo- entre les concentrations trouvées et les phé-
qué une augmentation phénoménale de la nomènes sociaux. Ce travail met en lumière
consommation de psychotropes la réponse de la population au
L’usage
(multipliée par 35 entre 2010 stress généré par l’austérité qu’a
et 2014), d’anxiolytiques à base de de nombreuses imposée la « troïka » (Commission
benzodiazépines (multipliée par substances – légales européenne, Banque centrale euro-
19) et d’antidépresseurs (multi- et illégales – est péenne et Fonds monétaire inter-
pliée par 11). Ces données provien- monté en flèche national) – et singulièrement l’Alle-
nent d’une étude originale menée à la suite du plan magne. L’usage de nombreuses
dans les eaux usées de la ville (1). substances – légales et illégales –,
européen de 2010
Des chercheurs de l’Université en particulier les psychotropes et
nationale et capodistrienne d’Athènes ont les antidépresseurs, est monté en flèche à la
étudié méthodiquement les manifestations suite du plan européen de 2010. En juil-
de l’« angoisse quotidienne » décrite par le let 2018, selon Eurostat, le chômage atteignait
premier ministre Alexis Tsipras (2). Chaque 19 % de la population active (après un pic à
semaine, de 2010 à 2014, Nikolaos Thomai- 27,8%, en août 2013); les dépenses publiques
ont été réduites, les impôts augmentés. En
* Chimiste et physicien tunisien. 2019, les pensions de retraite seront dimi-
nuées (de 18%), pour la douzième fois (3).
(3) Helena Smith, «Greece will avoid default after bailout deal Akatre ///// Image créée pour le lieu
- but faces more austerity», The Guardian, Londres, 2 mai 2017. artistique pluridisciplinaire Mains
(1) Nikolaos S. Thomaidis et al., « Ref lection of socioeco-
nomic changes in wastewater : Licit and illicit drug use (4) Katherine Gammon, « Drug use in Athens rose drama- d’Œuvres, Saint-Ouen, 2009
patterns », Environmental Science and Technology, tically after economic crisis », Chemical & Engineering
News, vol. 94, n° 37, Washington, DC, 19 septembre 2016.
vol. 50, n° 18, Société américaine de chimie, Washington,
DC, 2016. (5) Cf. Christian G. Daughton, « Illicit drugs in municipal
sewage », « Pharmaceuticals and care products in the envi-
(2) Alexis Tsipras : « Donnons un nouvel élan à la croissance ronment », ACS Symposium Series, vol. 791, Société améri-
européenne », Le Monde, 15 juin 2017. caine de chimie, 2001.
AGENCE VU
Denis Darzacq ///// « La Chute no 3 », 2006
preuve que l’Est lyonnais est devenu un lieu visitent une fois par jour leurs lieux de vente
privilégié du trafic de drogue. Jusqu’en 1987- à bord d’une Mercedes, d’une Audi ou autre
1988, ces banlieues ne tiraient que sur une grosse voiture allemande et, tels des
substance : le shit. Acquise pour une centaine proxénètes, s’assurent que les revendeurs
de francs (15 euros) la barrette, elle se fumait sont à leur poste. Ces chefs n’habitent pas en
en bande, dans les caves des immeubles, à banlieue. Grâce à leurs hauts revenus, ils
l’abri des regards. Son commerce était achètent des appartements dans des quar-
davantage l’affaire de quelques individus tiers bourgeois. « Les dealers ne vivent jamais
que de réseaux savamment organisés. Les sur les lieux de leur commerce parce que c’est
drogues dures, tenues par des gangs mafieux, pas leur monde », souligne, railleur, un ani-
étaient commercialisées à Lyon. Les Ter- mateur du Mas-du-Taureau. Sur le terrain,
reaux, dans le premier arrondissement, ali- ils sont relayés par les jeunes gagnés à leur
mentaient la clientèle bourgeoise de la ville. cause. À la fois consommateurs et vendeurs,
La place du Pont, secteur populaire du troi- ces derniers préfèrent aux caves ou aux
sième arrondissement, était le point de allées d’immeubles d’autres lieux de rencon-
départ du second trafic. Lorsque la ville tre pour se livrer au trafic. « Les centres
décida de réhabiliter la place, les familles sociaux, les MJC [maisons des jeunes et de la
« lourdes » de ce lieu furent déplacées en culture], les maisons de quartier, tous les lieux
direction de trois communes de l’est du publics sont devenus leur point de deal. Para-
département : Vénissieux, Bron et Vaulx-en- doxalement, ce sont pour eux des espaces plus
Velin. Sollicité auparavant pour les accueillir, sûrs », témoigne un autre animateur.
l’opulent Ouest lyonnais les avait repoussées. Le produit des ventes est difficile à évaluer.
Les sommes récoltées sont généralement
Un salaire à la clé blanchies, grâce à l’acquisition de commerces
Avec les individus, c’est tout un marché en tout genre (restaurants, bars, laveries, etc.).
qu’on déménageait. En quelques mois, les Une partie des fonds est parfois destinée aux
dealers recréaient leurs réseaux de vente en actions de bienfaisance en faveur des enfants
s’appuyant sur plusieurs quartiers de ce et des adolescents des quartiers. Et ces
sous-département : le Mas-du-Taureau, la bonnes actions, émanant de trafiquants, sont
Thibaude et Écoin-sous-Lacombe à Vaulx- relatées avec admiration par ces mineurs qui
en-Velin, la cité Tase et le Terraillon à Bron, les évoquent tels de nouveaux pères.
le Charréard et les Minguettes à Vénissieux. Face à ce fléau, les travailleurs sociaux
Autant de sites qui regroupaient des popula- apparaissent désorientés et démunis. « On en
tions percevant l’ensemble des prestations parle tous les jours, de la drogue. C’est même
familiales et où les gangs n’ont rencontré devenu un sujet inévitable. Mais que faire ? On
aucune difficulté pour se trouver des alliés ne lutte plus contre des
L’Est lyonnais s’est retrouvé quadrillé
parmi les jeunes. Le taux élevé de chômeurs jeunes qui fument du shit.
dans ces cités, jusqu’à 50 % parfois, a consti- L’adversaire est, cette fois, par des trafiquants qui ont réussi
tué leur premier atout. Sans diplôme ni qua- une fantastique machine à monter un formidable circuit
lification, les jeunes sont les premières vic- de guerre qui a ses pro- d’économie parallèle
times de l’irrésistible ascension du chômage. pres règles », déclare un
Beaucoup n’ont jamais travaillé. C’est pour- intervenant vaudais. Et de souligner que les
quoi, lorsque les chefs de gang leur ont pro- drogues « ont complètement transformé les
posé un « boulot » de revendeur avec un gros banlieues et les comportements des jeunes.
« salaire » à la clé, ils ont foncé. Avant, ils se cachaient pour fumer.
L’Est lyonnais s’est retrouvé quadrillé par Aujourd’hui, ils le font n’importe où, devant
ces trafiquants, qui ont réussi à monter un tout le monde.» Signe révélateur de cette crise,
formidable circuit d’« économie parallèle ». les éducateurs de prévention désertent le ter-
Au sommet de la pyramide, les gros bonnets, rain, se terrant dans des bureaux ou dans des
en général des clandestins. La trentaine, ils réunions au cours desquelles ils théorisent
une banlieue dont ils ne connaissent plus les
(1) Les personnes rencontrées au cours de cette enquête, à réalités. « Il n’y a plus d’éducateurs dans le
l’exception d’une seule d’entre elles, ont toutes désiré quartier du Mas-du-Taureau depuis bientôt
conserver l’anonymat. La drogue est un sujet qui, certes,
inquiète mais qui aussi effraie. trois ans », regrette alors un animateur. ☛
AGENCE VU
Hacène Belmessous
Partir en fumée avec le crack tester aussi. » J’ai suivi un peu le rythme.
Mais en fait, au début, c’était que de temps en
temps, tu vois. Après (...), c’était dès le matin.
En France, le crack, puissant dérivé fumable de la cocaïne, était consommé par 10 000 On commençait à prendre le petit déj et
à 20 000 personnes en 2010 (1). À l’origine baptisé « drogue du pauvre », il toucherait après, voilà, il y a des gens comme moi, mal-
heureusement, qui sont accros de ça, donc
toutes les couches sociales aujourd’hui. À Paris, régulièrement chassés mais toujours
là, les plus précaires errent place Stalingrad, où le reporter radio Dillah Teibi, du site
(1) Selon l’Observatoire français des drogues et des toxico-
Là-bas si j’y suis, a rencontré Sylvie, 44 ans, dépendante depuis huit ans. Extraits. manies (OFDT).
qui consomment ça pratiquement tous les à ça, quoi. » Mais pareil, tu sais, le truc tout
jours (...). Au début j’avais encore ma vie, je con : les gens qu’en ont marre d’aller travail-
sortais, je voyais mes vrais amis, ma famille, ler tous les jours, cette routine-là, eh bien moi,
tu vois, j’allais danser. j’aimerais bien l’avoir, pour te dire. Mais tu
Ta vie, aujourd’hui c’est quoi ? C’est tout tourné vois, je suis incapable aujourd’hui toute seule
sur la consommation du crack ? d’aller chercher un boulot, faire mon CV, tu
Ouais. J’essaye, enfin... mais alors là, vrai- vois, faudrait un petit truc par connexion, tu
ment, au ralenti. Je suis enlisée dans ça. Si j’ai vois. Ou un suivi. Qu’on m’accompagne, quoi.
pas ça, je suis déprimée aussi. Faut savoir que Parce que le temps, il n’est pas suffisant. Entre
le corps, il s’habitue à ça, tout ça. Même le temps, plus l’état dans
quand j’ai un truc à faire, des papiers, c’est lequel t’es : pour être pré- « Je suis incapable aujourd’hui toute
rare que j’aille le faire directement. Faut que sentable, faire les trucs seule d’aller chercher un boulot, faire
je gère ça, quoi. correctement, enfin être mon CV, tu vois. Faudrait un suivi,
Sylvie raconte alors qu’elle boit également, de concentrée sur ce que tu
qu’on m’accompagne, quoi. »
la sangria, de la bière « strong » à 8°, des dois faire, c’est pas évi-
flasques de rhum ou de vodka – deux ou trois dent, quoi. Donc avec ce produit, c’est un pro-
par jour – « pour avoir un équilibre, sinon duit fort, hein ! Les premières taffes, on les a
après tu pars en parano », car « le produit ne appréciées, on a toujours envie mais on n’a
te met pas bien ». Elle dit consommer quoti- jamais assez, tu vois. Et en fait, pourquoi ? Je
diennement plusieurs « galettes » de crack sais pas : il y a quelque chose qui se passe
pour un montant de 80 à 100 euros, qu’elle dans le cerveau quand même, je pense, non ?
finance en se prostituant, chaque jour, une ou Si, si, c’est sûr, parce que c’est pas un manque
plusieurs fois, pour 15 euros « minimum » – le physique, c’est pas physique du tout, c’est
prix d’une galette. psychologique, tu vois. Et donc, c’est que ça
Sylvie : On le fait toutes. Pas toutes ! Moi je le va pas là, déjà. La plupart, on a des problèmes
fais, c’est juste pour fumer mon crack. J’ai psychologiques. La plupart, ils sont schizo-
commencé avec des dealers, comme ça. Et phrènes, bipolaires, tout ce que tu veux. Il y a
après ils se passent le mot. Puis tu dis non, tout. Il y a nettement moins de gens normaux
non. Puis quand t’as plus rien, voilà. Donc au que de gens anormaux, on va dire. Moi y com-
début tu choisis les mignons, moi, je te le dis prise, hein ! Moi y comprise.
franchement. Ceux qui te plaisent, puis après
tu fais la tournée, excuse-moi de parler
comme cela, mais j’assume. Et après malheu- Le site Là-bas si j’y suis (http://la-bas.org), animé par Daniel Mermet, diffuse un
reusement ce n’est pas que les dealers, et là dossier (textes, radio, dessins et vidéo) en ligne sur les drogues. Outre le reportage
tu prends des risques (...). En gros, je dirais, radio en trois volets de Dillah Teibi place Stalingrad, où sont interrogés dealers,
99 % des filles, elles se prostituent. Et les consommateurs et responsables d’association, il propose des entretiens, avec le pro-
mecs, en gros, ils volent. Dans les magasins, fesseur João Goulão, addictologue, coordinateur des politiques antidrogues au Por-
ou pickpocket, ou des vélos, ou ceci cela. Tout tugal, où l’achat, la détention et l’usage des stupéfiants ont été décriminalisés en 2000 ;
le monde fait à sa sauce. En tout cas, il faut avec des policiers français qui militent pour la dépénalisation des drogues ; et les réac-
ramener l’argent. Tous les jours. Et ce qu’on tions politiques de la Mairie de Paris.
pense quand on se réveille, c’est quand
Ainsi, s’agissant du crack, on peut entendre le docteur en pharmacie Grégory Pfau
même gérer l’argent pour ça. Pour une
dire : « Les pistes qu’on a aujourd’hui [pour sortir du crack], c’est plutôt vers un accom-
femme, on a notre corps au moins. C’est
pagnement global : une dimension médicale, une dimension psychologique et une dimen-
rapide et tu vas pas voler quelqu’un au
sion sociale. Si on n’a pas ces trois pistes-là en même temps, on a du mal à obtenir des
moins. Tu prends d’autres risques (...). J’as-
résultats. Et aujourd’hui, c’est vrai qu’on est en déficit de moyens pour pouvoir mener les
sume mais je suis pas fière du tout. Mais
trois de front. On a un réseau de centres de soins en ville, de centres de réduction des risques,
aujourd’hui c’est ma vie (...).
Pourquoi tu fumes du crack ? mais au niveau accompagnement psychothérapeutique, ou même des thérapeutiques
Je ne sais même plus aujourd’hui. Parce que médicamenteuses, on n’a pas de réponses, spécifiques au crack. On traite juste les désagré-
quand je prends d’autres produits, quand je ments liés aux arrêts de consommation. On a peu de moyens médicaux. Et il en faut davan-
fume un joint, que je suis trop bien, je me dis : tage au plan social (...) pour permettre un accompagnement des stratégies de santé. Ce
« Ça coûte moins cher tout ça. Je suis trop n’est pas parce qu’ils consomment des drogues, dans des usages les plus durs qui soient,
conne à fumer du crack. » Ou même quand je que [les consommateurs] n’ont pas de préoccupation de leur santé, bien au contraire. »
bois, je me dis : « Mais pourquoi je m’arrête pas
À GAZA,
LE COMPRIMÉ
DU DÉSESPOIR
Soumis au blocus instauré par Israël
en 2007, les habitants de la bande
de Gaza sombrent chaque jour un peu
plus dans la misère et le désarroi. Pour
combler leurs angoisses ou agrémenter
le quotidien, beaucoup d’entre eux
se « défoncent » au tramadol, un opioïde
facilement accessible sur le marché noir.
Les autorités de l’enclave palestinienne
tentent, non sans mal, de contrer
le trafic de ce narcotique.
D
Astrid54
médicament détourné de son usage souvent rouge ou rose – des comprimés qui
initial et ingéré à des fins récréatives circulent sous le manteau, le tramadol, par
par une partie de la population de Gaza, sa consommation abusive, est devenu un
notamment les jeunes, inquiète les autorités problème de santé publique dans la bande
sanitaires du petit territoire palestinien. Sur- côtière dirigée par le Hamas, comme en
nommé faraoula (« fraise », en arabe), en rai- témoigne la campagne de sensibilisation
lancée il y a cinq ans par le gouvernement. siège militaire imposés à la bande côtière par
Une loi érigeant le narcotrafic au rang de Tel-Aviv, en représailles à la prise de contrôle
menace nationale, et ciblant essentiellement de Gaza par le Hamas, en juin 2007, aux
la vente illicite de tramadol, a même été édic- dépens de son rival du Fatah. Fin 2008, selon
tée en 2016. Les ravages causés par cette les estimations – parmi les rares disponi-
drogue qui affecte le système nerveux cen- bles – du professeur Mazen Al-Sakka, phar-
tral constituent un défi de plus pour une macologue à l’université Al-Azhar de Gaza,
population qui a déjà subi quatre 30 % des hommes de l’enclave
La consommation
guerres de la part d’Israël en l’es- palestinienne âgés de 14 à 30 ans
pace de huit ans (2006, 2008- de tramadol prenaient du tramadol de façon
2009, 2012 et 2014) et doit faire a explosé depuis régulière, tandis que des milliers
face à une situation humanitaire la mise en place d’entre eux y étaient dépendants (1),
catastrophique. du blocus total et sans compter les consommatrices,
Conçu par un chimiste alle- du siège militaire dont le nombre est difficile à éva-
mand en 1962, puis mis sur le mar- luer. On recensait à l’époque un mil-
israélien
ché en 1977 par le groupe phar- lion et demi d’habitants à Gaza,
maceutique Grünenthal, le tramadol est un contre deux millions aujourd’hui, parmi les-
puissant analgésique dérivé de l’opium, pres- quels 70 % ont moins de 30 ans.
crit généralement pour lutter contre les dou- De fait, la toxicomanie au tramadol semble
leurs articulaires et musculaires. Utilisé à s’être ancrée durablement dans la société,
forte dose, il possède des vertus euphori- comme le souligne un récent rapport du
santes et stimulantes. Mais ses effets secon- ministère de la santé palestinien, qui évoque
daires peuvent s’avérer très dangereux – trou- un « usage abusif et à grande échelle » de
bles du sommeil, dépression, problèmes l’opioïde dans la bande de Gaza (2). L’isole-
rénaux ou intestinaux, lésions neurolo- ment du territoire, les attaques récurrentes
giques, etc. – et provoquer une importante de l’armée israélienne, le chômage massif
addiction. – plus de la moitié des actifs et 65 % des
jeunes sont sans emploi –, l’absence de pers-
Très populaire parmi les jeunes pectives d’avenir sur les plans politique et
Il est apparu dans la bande de Gaza au milieu social sont autant de facteurs qui expliquent
des années 2000, sous l’appellation com- le recours à la drogue en guise d’échappatoire.
merciale Al-Tramal. Administré à l’origine D’après une enquête
Quasiment chaque foyer compte
dans un cadre postopératoire, pour soulager conduite en 2016 par le
en particulier les Gazaouis blessés lors d’at- journal en ligne Al-Moni- un consommateur fréquent de cette
taques ou de bombardements menés par tor, à l’appui de sources drogue, et les usagers se déclinent par
l’armée israélienne, cet opioïde a rapidement officieuses présentes sur centaines de milliers
été adopté par de nombreux jeunes, séduits le terrain, « quasiment
par ses propriétés narcotiques, pour « trom- chaque foyer compte un consommateur fré-
per le désespoir ». Sa version générique, quent de cette drogue », et les usagers se décli-
copiée en Chine et en Inde, qui abritent des nent par « centaines de milliers » (3)...
laboratoires spécialisés dans sa fabrication, Devant l’ampleur du phénomène, les auto-
contient un dosage de principe actif souvent rités de Gaza ont interdit dès 2008 la vente
cinq fois plus fort (225 milligrammes) que la sans ordonnance du tramadol. D’impor-
normale. Importée principalement depuis tants stocks clandestins ont été saisis et les
l’Égypte voisine, où elle s’est répandue au pharmacies réfractaires fermées. Cela n’a
point d’avoir supplanté le cannabis, elle est pas suffi, pour autant, à en endiguer la ☛
aisément accessible sur le marché noir
gazaoui, à un prix oscillant entre 15 et 50 she-
kels (entre 3,50 et 12 euros environ) l’unité (1) Cf. «Besieged and stressed Gazans fall victim to black mar-
ket painkiller», The Guardian, Londres, 15 décembre 2008.
– une somme importante, quand le salaire
(2) « Illicit drug use in Palestine : A qualitative investiga-
mensuel dans la bande de Gaza plafonne en tion », Palestinian National Institute of Public Health
(PNIPH), ministère palestinien de la santé, Ramallah,
moyenne à 400 dollars (environ 350 euros). novembre 2017.
La consommation de faraoula a explosé
(3) Shlomi Eldar, « Is Gaza facing an opioid epidemic ? »,
depuis la mise en place du blocus total et du Al-Monitor, 5 août 2016.
À GAZA, LE COMPRIMÉ
DU DÉSESPOIR Les appâts de « Madame Courage »
circulation. Les tunnels de contrebande sou-
terrains qui ont fleuri entre Gaza et l’Égypte Un médicament destiné à traiter la maladie de Parkinson est
après l’instauration du blocus israélien, fréquemment utilisé comme euphorisant par la jeunesse algérienne.
pour approvisionner la bande côtière en
E
marchandises de tout type, ont également n mars 2015, la direction générale de la sûreté nationale algérienne
servi à acheminer des quantités importantes
organise à Alger un séminaire sur l’aggravation du trafic de drogue
d’opioïdes – au plus fort du trafic souterrain,
dans le pays. Les chiffres fournis témoignent de la gravité du problème. En
près d’un demi-million de comprimés
2014, les services de sécurité ont saisi 135 tonnes de résine de cannabis et
étaient revendus chaque jour sur le territoire
palestinien (4). 800 000 comprimés de psychotropes tout en procédant à l’arrestation de
plus de 12 000 personnes, la grande majorité d’entre elles étant de jeunes
Un seul centre de désintoxication adultes ou des adolescents (85 %). Un intervenant lance un cri d’alarme :
La plupart des tunnels ont été détruits « Madame Courage tue notre jeunesse. »
en 2014 et 2015 par l’armée égyptienne, qui
Madame Courage ? C’est à la fin des années 1990, alors que l’Algérie sort
contrôle le point de passage de Rafah, au sud
de la bande de Gaza. Mais certains sont tou- peu à peu de la guerre civile, que cette expression apparaît. Elle désigne
jours en activité, tandis que d’autres modes une substance prise par les forces spéciales de l’armée pour trouver la force
d’acheminement ont été élaborés. En jan- d’aller au combat contre les maquis islamistes. Il s’agit, le plus souvent, de
vier 2017, les autorités du Hamas annon- l’Artane, un trihexyphénidyle fréquemment utilisé pour lutter contre la
çaient ainsi avoir saisi en un mois autant de maladie de Parkinson, mais dont l’association avec l’alcool ou d’autres pro-
pilules de tramadol qu’au cours de toute l’an-
duits (amphétamines, cannabis ou benzodiazépines) génère un sentiment
née 2016, pour un montant évalué à 2 mil-
d’euphorie et favorise le passage à l’acte violent.
lions de dollars (1,7 million d’euros). Le
22 octobre dernier, ce sont encore près d’un Dans son livre-témoignage La Sale Guerre (La Découverte, 2001), l’ancien
million et demi de comprimés, interceptés sous-officier Habib Souaïdia raconte comment cette substance désinhi-
depuis le début de l’année 2018, qui ont été bante crée un sentiment d’invulnérabilité et de surpuissance chez celui qui
brûlés par la brigade antidrogue de Gaza. En
la prend. Plus important encore, elle provoque aussi l’amnésie – ce qui peut
mars 2017, par ailleurs, soucieux d’apporter
s’avérer bien utile quand on a commis des actes sanglants.
une réponse musclée au trafic de stupéfiants
sur son territoire, le Hamas a condamné à Depuis la fin de la « décennie noire » (1990-2000), l’usage de l’Artane,
mort deux dealers – une première –, les tra- appelé aussi « ecstasy du pauvre », s’est répandu dans toute la jeunesse
fiquants étant désormais passibles de la cour algérienne, dont une partie chante ses louanges dans les stades : « Nous ava-
martiale et non plus traduits devant des tri-
lerons Madame Courage et nous aurons la force de traverser la mer [pour
bunaux civils.
fuir l’Algérie]. » Aucune étude globale n’a été menée sur les conséquences
Malgré la « guerre totale à la drogue »
décrétée par le mouvement islamiste, le tra- de l’usage de cette drogue, notamment chez les militaires. Mais, de manière
madol continue de sévir parmi la population régulière, des psychiatres ainsi que la Fondation nationale pour la promo-
de la bande côtière, qui ne compte qu’un seul tion de la santé et le développement de la recherche (Forem) tirent la son-
centre public de désintoxication, pourvu nette d’alarme en mettant en cause des réseaux mafieux liés à des phar-
d’une douzaine de lits. « La consommation de maciens indélicats ou à des laboratoires étrangers peu regardants quant à
drogue est encore pire maintenant », affirmait l’identité de leurs clients.
même l’été dernier un usager « accro » à
l’opioïde, pour qui « l’aggravation du pro- Sorti en 2015, le film Madame Courage, du cinéaste Merzak Allouache,
blème de la toxicomanie est liée directement décrit avec justesse l’itinéraire d’un jeune drogué vivant dans l’Ouest
à la détérioration de la situation à Gaza » (5). algérien. Dans un polar du même nom publié en 2012, l’écrivain Serge
Olivier Pironet Quadruppani met en scène en France et au Maghreb une intrigue mêlant
le trafic de cette drogue, des réseaux islamistes et les services secrets
algériens.
(4) Ibid.
(5) Cité in « Gaza’s opioid crisis : Desesperate Palestinians Akram Belkaïd
under brutal siege turn to drugs », The National, Abu Dhabi,
25 juin 2018.
rique centrale, ont disparu sans que les auto- « Double mix no 4 »,
France, 2015
rités aient établi un fichier officiel.
L’architecture abjecte du pouvoir attire ses
victimes, les soumet par avance, les plonge gré les changements opérés récemment dans l’État de Guerrero ; et, en 2015, on a appris
dans ses anfractuosités, les efface totalement la police et la justice, des atrocités continuent l’existence de soixante cadavres en état de
sans qu’il reste, la plupart du temps, la moin- de se produire. L’impunité projette sa lumière décomposition dans un crématorium laissé à
dre trace. La collusion entre l’appareil insti- grise ou noire, et le non-respect des droits l’abandon dans la ville d’Acapulco. À nouveau,
tutionnel et le crime organisé extermine tout, humains est permanent (3). ces deux événements nous obligent à repenser
y compris la mémoire. La découverte de qua- La situation mexicaine ne relève pas d’un et à dénoncer énergiquement la transgression
rante-six corps dans un canal de drainage scénario qui opposerait les bons aux méchants, de toutes les limites de la part de l’État et du
pendant l’été 2014 établit une certitude : mal- les policiers aux voleurs. Tout l’État est impli- gouvernement mexicains : leur permissivité et
qué, et la gravité des faits a une portée généra- leurs négligences face au crime organisé, leur
tionnelle que les classes dirigeantes et même de tolérance devant l’extermination. Au Mexique,
nombreux intellectuels préfèrent ignorer. (...) depuis une dizaine d’années, une personne
(2) Lire Rafael Barajas et Pedro Miguel, «Au Mexique, le mas-
sacre de trop », Le Monde diplomatique, décembre 2014. En 2014, une centaine d’ossements ont été disparaît toutes les deux heures.
(3) Lire l’article page 82. découverts dans des fosses clandestines dans Sergio González Rodríguez
DANS LES ARCHIVES //// OCTOBRE 1989 //// PAR CHRISTIAN DE BRIE *
BRIDGEMAN IMAGES
stupéfiants de 1961 (5), vont imposer leur ordre à la com- directement intéressées à la disparition des secondes. En « Contrebandiers
d’opium », illustration de
munauté des nations. dépit du fait qu’elles font beaucoup plus de victimes. En couverture d’une bande
Parmi toutes les substances agissant sur le système France, le tabac est la cause directe de 60 000 décès dessinée, Rome, 1950
nerveux central, susceptibles de créer une dépendance annuels et l’alcool de 35 000, tandis que la consomma-
physique ou psychique et des dommages sanitaires et tion de médicaments psychotropes a été multipliée par
sociaux, une distinction est faite entre les drogues licites cinq depuis 1970 (6), quand les drogues illicites font
– essentiellement tabac, alcool et produits pharmaceu- moins de 200 victimes par an. Aux États-Unis, c’est l’al-
tiques, dont l’usage est accepté mais les abus combat- coolisme, et non le crack, qui est le problème majeur de
tus – et les drogues illicites – plus de cent cinquante santé publique des adolescents (7).
(6) « La santé en France.
substances naturelles et synthétiques dont l’héroïne, la Faits majeurs et
tendances »,
cocaïne, le LSD –, soumises à une prohibition générale Monnaie d’échange pour populations pauvres La Documentation
et absolue, leur usage étant censé dégénérer nécessaire- Les drogues illicites les plus consommées sont tirées de française, Paris, 1989.
NDLR : l’Observatoire
ment en abus, menaçant la santé et la sécurité publiques. substances naturelles – pavot, coca, cannabis – qui, sauf français des drogues
D’un côté, les « bonnes drogues », produites dans l’hémi- exception, sont cultivées dans des régions isolées, sur des et des toxicomanies a
réajusté à 49 000 le
sphère Nord par les grands pays industrialisés ; de l’au- terres déshéritées, par des populations faiblement inté- nombre de décès liés à
l’alcool (2009) et à
tre, les « mauvaises », produites dans le tiers-monde. Les grées, ressortissantes de pays parmi les plus pauvres du 73 000 celui des décès
premières sont contrôlées par les puissantes multinatio- tiers-monde. Quand elles s’en servent comme monnaie liés au tabac (2013).
nales du tabac, de l’alcool et de la pharmacie, qui très d’échange, elles ne tirent de leurs produits que de faibles (7) US News and World
Report, Washington, DC,
légalement inondent le marché du nord au sud et sont revenus. Au total, moins d’un pour mille du chiffre ☛ 11 septembre 1989.
Aux sources du trafic... la couronne d’Angleterre nelles, accélérés depuis le début des années 1980 par le
fardeau de la dette, les plans d’ajustement structurel du
d’affaires global du marché de l’héroïne et de la cocaïne. Fonds monétaire international (FMI), la politique des
Si faibles soient ces revenus, misère, chômage et sous- grands pays industriels dont l’attitude, sous couvert du
développement drainent vers la culture de nouveaux discours sur la lutte contre le trafic de stupéfiants, pro-
venus, paysans chassés de leurs terres et privés de toute voque le développement de la production.
ressource. Malgré le climat d’insécu- Tandis que le prix de la cocaïne f lambe (8), le cours
Seule la remise en cause rité et de violence qui les attend. Pris du café s’effondre. Un pays, la Colombie, exporte mas-
des termes de l’échange inégal dans l’étau, entre la répression poli- sivement l’un et l’autre, qui fournissent l’essentiel de
entre le Nord et le Sud peut cière et militaire, d’une part, les ses devises. Entre les deux, la main invisible du marché
arrêter et résorber la production exactions des trafiquants et des vient de faire son choix. En bonne logique capitaliste,
bandes armées, d’autre part, qui les planteurs sont encouragés à abandonner la culture
des drogues illicites
accaparent le butin ou taxent le prix de l’arabica pour celle de la coca. La simultanéité des
de leur protection. Pour survivre, ils sont des dizaines de deux événements illustre mieux qu’une caricature l’une
millions prêts à courir tous les risques si aucune autre des principales causes de l’extension de la production
perspective ne leur est ouverte. et du commerce de la drogue : la baisse continue du
L’extension des cultures de drogue est une consé- prix des matières premières, la détérioration des
quence directe de l’appauvrissement de vastes zones du termes de l’échange, l’absence de plan de développe-
tiers-monde et de la destruction des structures tradition- ment intégré ne laissent guère de choix à des millions
de paysans du tiers-monde
Couverture du no 221
abandonnés à leur sort.
de « Police Magazine »,
France, 1935 Elle met aussi en évidence la
duplicité des pays occidentaux,
à commencer par les États-Unis,
premiers importateurs de café
comme de cocaïne. Washington
n’a rien fait pour assurer le
renouvellement et la rénovation
de l’accord international sur le
café, devenu caduc en juil-
let 1989, qui, par un système de
quotas, empêchait tant bien que
mal la chute des cours. Au
contraire, il l’a délibérément
torpillé avec un objectif clair :
payer encore un peu moins
cher une denrée produite mas-
sivement par des pays latino-
américains exsangues et criblés
de dettes.
Seules la résolution des conflits
régionaux et la remise en cause
des termes de l’échange inégal
entre le Nord et le Sud peuvent
arrêter et résorber durablement
la production des drogues illi-
cites. Si la première a connu
quelques succès, la seconde est
rien moins qu’acquise. C’est
(8) Sous l’effet d’annonce
d’abord à l’aune des rapports
BRIDGEMAN IMAGES
L
PAR CHRISTOPHE LUCAND *
la fonction du vin durant la Grande jamais à court de vin. Produit de très gros
Guerre, sur les conditions de sa débit qui répond parfaitement aux standards
consommation, sur son influence dans les du ravitaillement à l’échelle industrielle, le
violences et leur acceptation. Ce dernier pinard s’impose comme le breuvage de la
thème, omniprésent dans l’historiographie, guerre de masse. Ainsi que l’écrit Henri Lave-
a animé de vifs débats entre historiens. Cer- dan dans L’Illustration (13 octobre 1917), « il
tains expliquent la violence individuelle et surpasse encore le café ; c’est le grand jus,
collective des soldats par l’existence d’une numéro un, le régime des régiments ».
« culture de guerre » latente parmi les Acheminé d’Algérie par les « cargos pinar-
populations ; d’autres cherchent à sonder les diers » qui alimentent quotidiennement le
multiples formes de contrainte pesant sur port de Sète ou issu des vignobles du Portugal,
eux. Pourtant, au-delà du de l’Espagne et surtout
débat sur l’articulation du Languedoc, le vin est
entre consentement et transporté en vrac par
contrainte, l’étude du vin convois ferroviaires jus-
permet de mieux com- qu’à la zone des armées.
prendre l’engagement Il s’agit d’un vin rouge de
durable des hommes au qualité très médiocre,
combat. Dans un con- tantôt âpre, rêche, ra-
texte de guerre totale, boteux, tantôt aigrelet,
mobilisant les corps et acerbe, piquant. Souvent
les esprits d’une nation dénigré par les soldats,
tout entière, où seule HISTORIAL DE PÉRONNE qui, faute de mieux, s’en
compte la victoire pour accommodent, le pinard
des autorités politiques mouillé, frelaté, bromu-
et militaires constam- ré, trafiqué, empesté est
ment hantées par la un gros vin rude, bour-
Carte postale éditée
pendant le conflit défection des troupes, ru, sans distinction, cou-
l’approvisionnement ramment coupé et « re-
massif des soldats français en « pinard » a monté » par adjonction de potions chimiques
revêtu une importance stratégique capitale. susceptibles de lui redonner certaines des
Dès les premières semaines de combats, en caractéristiques d’une boisson naturelle.
août 1914, le vin devient un produit indispen- Mais, purée saumâtre ou petit ginguet sans
sable, dont les hommes au front sont appro- consistance, il s’impose par ses effets, qui lui
visionnés dans des proportions réellement rallient les soldats du rang comme les plus
stupéfiantes. Acheté à l’arrière aux habitants hautes autorités politiques, militaires et
demeurés à proximité de la zone des com- même scientifiques. « Le vin convient particu-
bats, vendu par une foule de petits mar- lièrement à ceux qui ont à fournir un travail
puissant et rapide, et plus spécialement au sol-
* Historien, enseignant-chercheur à l’université de Bourgogne. dat qui se bat, observe, dès 1915, le docteur
Auteur de l’ouvrage Le Pinard des poilus. Une histoire du vin en Armand Gautier dans l’un de ses mémoires à
France durant la Grande Guerre (1914-1918), Éditions universi-
taires de Dijon, 2015. l’Académie des sciences. Donner du vin à ☛
sont tués. À la fin du mois, on litre fourni par l’administration militaire. Sur
dénombre déjà 84500 morts et le front, pourtant, les moyens laissés aux
plus de 150000 blessés du seul hommes pour s’approvisionner leur permet-
côté français. tent d’obtenir souvent sans difficulté un litre
• Origines et composition : éthanol obtenu par fermentation du sucre de fruits (raisin, L’image du breuvage patriotique, qui a porté
pomme, poire, betterave, canne à sucre) et/ou de céréales (orge, riz, pomme de terre). les poilus français durant les cinq années du
plus terrifiant conflit que le pays ait connu, a
• Aspects : boissons, avec divers taux d’alcool : 3 à 7 % (bière), 11 à 14 % (vin), environ 40 %
(vodka, whisky) et jusqu’à 80 % (rhum). d’ailleurs constamment été entretenue par
une production intense d’articles, de poésies,
• Modes de consommation : en boisson, parfois ajouté à des plats ou à des aliments.
de chansons et d’illustrations de toutes ori-
• Effets : excitation et désinhibition, sédation. À des doses plus élevées, ralentissement de
gines. Le regard porté alors sur le vin pro-
la capacité de réaction, surestimation de soi, loquacité, irritabilité et agressivité.
longe une mémoire culturelle nationale et
• Risques : après une consommation excessive : nausées, maux d’estomac et de tête; troubles
patriotique transcendée par les origines
de l’équilibre, de la vue et de la parole; accidents, par surestimation de ses capacités, notam-
ment de réaction. À très hautes doses : hypo ou hyperthermie, sommeil profond, thrombose, mythiques de la boisson. La Grande Guerre
dépression respiratoire, coma, mort. À long terme : possibilité de dépendance avec symp- achève donc la nationalisation du vin en lui
tômes psychiques et physiques; dommages aux organes, troubles du système nerveux et de ouvrant les portes de tous les foyers, désor-
la mémoire. Renforce l’action cancérigène d’autres substances (comme le tabac). mais conquis par l’extension continue de sa
• Prix au détail (France) : en moyenne, par litre, de 2,50 euros (bières, cidres) jusqu’à plus consommation durant le conflit.
d’une centaine d’euros (whiskies, eaux-de-vie). Christophe Lucand
• Usage (France) : quotidien pour 10 % des 18-75 ans, en 2015, dont 3,4 millions de per-
sonnes considérées à risque ; 500 000 hospitalisations directement liées à l’alcool (hors (4) Marie-Joëlle Vandrand, Il fait trop beau pour faire la
cancers) en 2011 ; 49 000 décès annuels attribuables en 2009. Astrid54 guerre. Correspondance de guerre d’Élie Vandrand, paysan
auvergnat (août 1914-octobre 1916), La Galipote, Vertaizon,
2013 (1re éd. : 2000).
LE DOPAGE
AU SERVICE
DE L’IDÉOLOGIE
DOMINANTE
PAR CHRISTIAN DE BRIE
omme les crimes de la Mafia, le dopage ses révélations, il meurt deux ans plus tard noncé. L’a-t-il été à la légère ? » Il est temps de
interactivité. La cyberdépendance se décline son écran pourrait se ranger dans une nou-
alors selon trois sous-dimensions : le jeu velle catégorie générique, celle des « troubles
vidéo, le cybersexe et la sociabilité. Mais, liés à une substance et addictifs (6) ». L’idée
avant d’être prise au sérieux, la pathologie fut suscite aussitôt la controverse : Allen Frances,
d’abord introduite comme une farce. C’est rédacteur de la précédente version du DSM,
pour critiquer la multiplication des troubles et Stanton Peele, théoricien des dépendances
répertoriés dans le DSM – de cent six en 1952 comportementales, dénoncent la biologisa-
à quatre cents en 1994 – que le psychiatre tion du concept d’addiction (7). En effet,
new-yorkais Ivan Goldberg imagine en 1996 remplacer le profil de « dépendant » par celui
un désordre qu’il désigne comme « ridicule », d’« addict » (léger, modéré ou sévère), et ajou-
celui de l’addiction à Internet (4). Il poste sur ter au tableau le symp-
un forum de thérapeutes une parodie de diag- tôme de « désir irrésisti- Selon cette approche controversée,
nostic clinique. ble», implique l’existence les individus diagnostiqués comme
d’un risque biologique cyberdépendants pourraient recevoir
Biologisation du concept d’addiction commun à l’addiction à un traitement pharmacologique antidésir
La même année, cette maladie entre dans le Internet, au jeu et à la
lexique médical par une voie plus orthodoxe : drogue. Le symptôme de « désir », causé
Kimberly S. Young, psychologue à Pittsburgh, théoriquement par un dérèglement dans la
applique le diagnostic reconnu du «jeu patho- production de dopamine, est diagnostiqué
logique » aux pratiques en ligne. Dorénavant, par une simple question posée au patient :
le mécanisme psychologique de l’«impulsion» « Avez-vous déjà eu tellement envie de prendre
– caractérisé par le contrôle malaisé, voire de la drogue que vous ne pouviez penser à
impossible, d’un comportement pourtant rien d’autre (8) ? »
identifié comme nocif – sera identifié comme L’enjeu est crucial : selon cette approche, les
la cause des problèmes psychologiques et individus diagnostiqués – à tort ou à raison –
sociaux liés à l’utilisation d’Internet : incapa- comme cyberdépendants pourraient recevoir
cité de résister au désir de connexion et sen- un traitement pharmacologique antidésir.
sation de manque, avec leurs conséquences Mais la difficulté à se déconnecter durant une
sociales négatives (divorce, difficultés profes- semaine est-elle le symptôme d’un besoin
sionnelles, scolaires et financières). physiologique, ou celui d’une société où les
En 2013, les rédacteurs du DSM-5 suppri- activités sociales, scolaires et professionnelles
ment le « jeu pathologique » de la catégorie passent toutes par l’intermédiaire de la Toile ?
des « troubles du contrôle de l’impulsion » (5). Au-delà de la controverse médicale, la
Selon eux, la disposition à ne pas décoller de caractérisation de l’addiction à Internet ☛
(5) Ting-Kai Li, Charles P. O’Brien et Nora Volkow, « What’s Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT)
in a word ? Addiction versus dependence in DSM-5 », Ame- L’OFDT diffuse des informations, des données chiffrées et des analyses sur le phénomène des drogues
rican Journal of Psychiatry, vol. 163, no 5, Arlington (Virgi- – licites comme illicites – et des addictions en France. Son site, très fourni, contient notamment une
nie), 2006. rubrique de statistiques et d’infographies, un portail documentaire et une section regroupant ses diverses
publications (« Tendances », « Notes », « Rapports », « Drogues, chiffres-clés », etc.).
(6) Nancy M. Petry et Charles P. O’Brien, « Internet gaming
www.ofdt.fr
disorder and the DSM-5 », Addiction, vol. 108, no 7, Hobo-
ken (New Jersey), 2013.
Santé publique France
(7) Allen Frances, Saving Normal : An Insider’s Revolt Against Le site de l’Agence nationale de santé publique, issue de la fusion, en 2016, de l’Institut national
Out-of-Control Psychiatric Diagnosis, DSM-5, Big Pharma,
de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes), de l’Institut de veille sanitaire (InVS) et
and the Medicalization of Ordinary Life, HarperCollins, New
York, 2013 ; Stanton Peele, « Politics in the diagnosis of
de l’Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus), propose de nombreuses
addiction », Huffington Post, 15 mai 2012. ressources sur l’alcool, le tabac, les drogues illicites et le jeu pathologique (accessibles depuis
la section « Espaces thématiques »).
(8) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 5th http://inpes.santepubliquefrance.fr
ed., Association américaine de psychiatrie, Arlington, 2013.
ACCRO À INTERNET ?
nourrit une critique plus politique. Les rédac-
Tabac ou « trèf le »
teurs du DSM-5 ont retenu le diagnostic du
• Noms : terme apparu au XVIe siècle, de tabago,
psychiatre chinois Tao Ran, lequel repère l’ad-
cornet de feuilles de maïs entourant le tabac
diction à partir de « six heures de connexion
fumé par les Indiens ; autrement appelé « perlot », « gros cul »...
quotidiennes durant plus de trois mois, hors
activités scolaires et professionnelles». Mais au • Origines et composition : plante de la famille des solana-
nom de quelles normes et de quelles valeurs cées, originaire d’Amérique, riche en nicotine, un alcaloïde
élabore-t-on un diagnostic scientifique qui addictif.
hiérarchise des pratiques sociales en fonction • Aspects : cigarettes, cigares, tabac à pipe, à priser, à chiquer.
de leur productivité économique ? Quand il • Modes de consommation : fumé, rarement reniflé ou
retranche de l’addiction à Internet le temps de mâché.
travail et d’apprentissage, le docteur Tao sou-
• Effets : stimulant ; à doses plus élevées, calmant et relaxant
ligne en creux l’impensé de cette notion. Dans
sur les muscles ; atténuation de la faim, de l’anxiété et de
un univers marqué par l’injonction profes-
l’agressivité.
sionnelle et éducative à la connexion perma-
• Risques : lors de la première prise, nausées, maux de tête,
nente, une frontière morale séparerait pra-
vertiges ; puis, limitation du sens de l’odorat et du goût ; utilisé
tiques saines et pratiques pathologiques en
régulièrement : augmentation de la pression artérielle et de
fonction d’un critère implicite d’utilité écono-
la fréquence cardiaque, forte dépendance ; à long terme, via
mique. Il serait normal de rester huit heures
les sous-produits de la fumée : ulcère gastrique, maladies car-
par jour au bureau les yeux rivés sur un tableur;
diaques et pulmonaires (asthme, bronchite chronique, crise
mais six heures quotidiennes devant un jeu
cardiaque, accident vasculaire cérébral, thrombose, cancer du
vidéo appelleraient un traitement médical...
poumon), mort.
Le seul prisme neuroscientifique réduit le
champ de recherche et les solutions possi- • Usage (France) : quotidien pour 33% des hommes de 18-75 ans
bles. À ce jour, la gestion des usages excessifs et 26% des femmes. Plus de deux millions de fumeurs ont
d’Internet demeure sociale, culturelle et poli- recours à des traitements d’aide à l’arrêt du tabac. Environ
tique. Et ne fait l’objet d’aucun consensus 73000 décès sont imputables chaque année au tabac, principa-
international. lement par cancer.
Virginie Bueno
En préface du livre du publicitaire austro-américain signal donné, elles les sortirent et les allumèrent devant des journa-
Edward Bernays « Propaganda », l’universitaire canadien listes et des photographes qui avaient été prévenus que des suffra-
Normand Baillargeon explique comment celui-ci amena gettes allaient faire un coup d’éclat. Dans les jours qui suivirent, l’évé-
les femmes américaines à fumer.
nement était dans tous les journaux et sur toutes les lèvres. Les
2
Commerce,
Denis Darzacq /////
« Hyper no 20 », 2007
AGENCE VU
trafics
et lois du marché
Commerce, trafics et lois du marché //// MANIÈRE DE VOIR //// 39
MDV163Chapitre2_Mise en page 1 08/01/2019 14:55 Page40
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
cieux de se débarrasser d’un concurrent ». Flic 80 à 120 euros par jour. Le vendeur, 100 à 140. (4) Christian Ben Lakhdar, « Le trafic de cannabis en France :
estimation des gains des dealers afin d’apprécier le potentiel
de terrain critique envers sa hiérarchie, Jules Le gérant, 150 à 200. Le conducteur de go-fast de blanchiment », Observatoire français des drogues et des
toxicomanies (OFDT), Saint-Denis, novembre 2007.
invite à « se méfier des saisies record » présen- – très risqué – 2 000 à 5 000 euros. Le boss
tées comme des succès : «Les plus importantes touche évidemment bien plus. Un four qu’on a (5) M. Gatignon a préfacé la bande dessinée écrite par l’au-
teur. Plusieurs maires de villes touchées par le trafic de can-
ont lieu comme par hasard en décembre. démantelé engrangeait 10 000 euros par nabis n’ont jamais donné suite à nos demandes d’entretien.
AGENCE VU
DES TEMPLIERS
valiers Templiers pour s’ancrer dans le sec-
teur minier. Par un cocktail efficace d’intimi-
dation, de diplomatie et de corruption, ils se
Sur la Toile
sont ensuite assuré le soutien de fonction- European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA)
naires en mesure de couvrir chacune de leurs L’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies a récemment publié un rapport, réalisé
conjointement avec l’agence Europol, consacré aux tendances et au marché des substances psychotropes
opérations, de l’extraction du minerai dans sur l’Internet caché : « Drugs and the darknet : perspectives for enforcement, research
les montagnes entourant Lázaro Cárdenas and policy », novembre 2017.
www.emcdda.europa.eu
jusqu’à son expédition par bateau, en passant
par le transport entre les mines et l’embarca-
Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS)
dère. Selon M. Salvador Jara Guerrero (Parti Cet organe d’experts des Nations unies a pour mission le suivi de la mise en œuvre des traités internationaux
révolutionnaire institutionnel, PRI), ancien de contrôle des drogues par les gouvernements. Son dernier rapport annuel revient entre autres sur
la crise des opioïdes. L’édition précédente s’intéressait quant à elle à la situation des femmes face
gouverneur du Michoacán, près de la moitié à la toxicomanie et invitait les pouvoirs publics à les prendre davantage en compte dans leurs programmes
des mines de cette région avaient basculé de lutte contre la drogue.
www.incb.org
dans le giron des Chevaliers Templiers au
moment de l’apogée de leur empire de l’acier, Arte
en 2013. Dans certains cas, les narcotrafi- La chaîne franco-allemande propose en ligne un dossier multimédia sur le rôle central joué par l’Afrique
occidentale, depuis plusieurs années, dans le trafic de cocaïne entre l’Amérique latine et l’Europe,
quants conduisaient eux-mêmes les opéra- à la faveur des nouvelles routes d’acheminement mises en place par les « narcos » et des complicités
tions d’extraction. Au cours d’un entretien politiques locales (« L’Afrique de l’Ouest, nouvelle plaque tournante du narcotrafic »).
https://info.arte.tv/fr
avec la chaîne d’information britannique
Channel 4, diffusé en 2014, M. Servando
Gómez Martínez, le dirigeant du cartel arrêté cartel avec des armes à feu, mais cela ne résol-
en février 2015, se vantait d’avoir compté de vait pas le problème à sa source », analyse
nombreux clients chinois, qui revendaient le Torres, suggérant que la multiplication des
minerai mexicain dans leur pays (en s’oc- bains de sang n’entamait pas le pouvoir des
troyant au passage d’amples profits). gangs, ni leur proximité avec le pouvoir poli-
Non content de s’être emparé des mines et tique. « Même la police n’était pas fiable »,
d’avoir mis en place des circuits de commer- nous confie M. Jara Guerrero. Selon lui, la cor-
cialisation réguliers, le cartel a infiltré tous ruption au sommet avait rendu les autorités
les étages de l’appareil d’État local, de façon locales parfaitement impuissantes : « Une
à obtenir les autorisations administratives opération militaire était la seule solution. »
nécessaires à son activité. Les tentacules de Elle est organisée le 4 novembre 2013. En
son réseau s’étendaient des douanes au l’espace de quelques jours, l’armée de terre,
bureau de l’ancien maire de Lázaro Cárde- la marine et la police fédérale évincent l’en-
nas, M. Arquimides Oseguera, lequel a été semble des autorités por-
arrêté pour son implication dans divers cas tuaires, suspendent tou- Non content de s’être emparé
d’enlèvement et de chantage en avril 2014. tes les activités minières des mines et d’avoir mis en place
« Le système des pots-de-vin fonctionnait de la région et placent le des circuits commerciaux réguliers,
d’autant mieux que chacun comprenait les port sous contrôle mili- le cartel a infiltré l’appareil d’État local
termes de la proposition : accepter l’argent et taire : « Nous avons sécu-
collaborer, ou mourir », nous explique un risé un environnement dans lequel le com-
fonctionnaire du port. La célèbre « offre merce légal peut reprendre sans subir les
qu’on ne peut pas refuser » du film Le Parrain menaces du crime organisé », se félicite alors
(Francis Ford Coppola, 1972). M. Jorge Luis Cruz Ballado, un ancien général
Les Chevaliers Templiers prospéraient sous à la tête des opérations.
les yeux des forces de l’ordre locales, qui ont M. Pedro Tapia tient un magasin de vélos
vu leurs efforts pour contenir le problème se depuis plus de cinquante ans. Selon lui, la
fracasser sur le granit de l’organisation du nouvelle « sécurité » de la ville ne serait qu’il-
cartel : « La police s’attaquait aux camions du lusoire : « Malheureusement, les cartels ne
disparaissent pas si facilement. Sécuriser le
port ne suffit pas à éradiquer la corruption. Si
(1) Lire Jean-François Boyer, « Mexico recule devant les
cartels », Le Monde diplomatique, juillet 2012. le gouvernement n’investit pas également ☛
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NARCOTRAFIC,
UNE HYDRE
À TROIS TÊTES
La réponse au défi des drogues ne peut
se réduire à un combat manichéen entre
le bien et le mal. Elle impose d’embrasser
toutes les composantes cachées
du commerce mondial des stupéfiants,
dont le crime organisé n’est
qu’un des partenaires. En 1990,
Christian de Brie en détaillait ainsi
l’éternel jeu à trois voix : entre
le milieu des trafiquants, celui
des affaires et le monde politique.
e commerce mondial des stupéfiants fait pays concernés se sont avisés d’engager une
L
PAR CHRISTIAN DE BRIE
partie intégrante de l’économie mon- action concertée. Pourquoi si tard ? Est-ce
diale depuis plus d’un siècle, et les bases parce qu’ils ont découvert, pour reprendre
de son organisation actuelle remontent aux l’expression du président François Mitterrand,
années 1960. Or il a fallu attendre le milieu que « la puissance meurtrière des trafiquants
des années 1980 pour que juges et policiers s’installe en pouvoir concurrent des États (1) » ?
comprennent la structure internationale des La réponse au défi ne peut se réduire à un
organisations, commencent à échanger des combat manichéen entre le bien et le mal. Car
informations par-delà les frontières et le commerce international des drogues illi-
conduisent des enquêtes parallèles. Et c’est cites est un trafic trilatéral. À trois titres. ☛
seulement à la charnière des années 1990 que
les responsables politiques des principaux (1) Le Monde, 29 août 1989.
P
PAR THIBAULT HENNETON
les nouveaux produits de synthèse angles morts des raccourcis médiatiques :
(NPS) inonderaient le marché des « J’ai l’impression d’entendre “cancer gay” à
stupéfiants. Dans son dernier rapport annuel, nouveau. Là où je suis tout à fait d’accord, c’est
l’Observatoire français des drogues et des sur l’apparition de nouvelles drogues. Mais
toxicomanies (OFDT) relativise, tant « il encore une fois, quelle révolution a été l’appa-
demeure impossible d’évaluer l’étendue de ce rition de l’ecstasy ? »
phénomène en l’absence de campagne d’ana-
lyse d’envergure ». Il souligne cependant que Des copies mille fois plus puissantes
« le large écho accordé par les médias à l’inter- Dans les années 1990, le principe actif de
diction de la méphédrone en 2010 a participé l’ecstasy, la MDMA, était déjà bien répandu
à alimenter un intérêt croissant pour ces pro- dans les campus. C’est aussi à ce moment-là,
duits». La bascule dans l’illégalité de la méphé- note la sociologue Anne Coppel, que « le “tox”
drone, appelée aussi 4-MMC, a paradoxale- est devenu un “usager de drogue”, aussi res-
ment popularisé la famille des cathinones ponsable de ses actes que tout un cha-
de synthèse, double chimique de la cathi- cun (1) ». Depuis, les technologies numé-
none, un stimulant dérivé du qat (un riques ont facilité son information, mais
arbuste de la Corne de l’Afrique et de la aussi l’approvisionnement et les échanges,
péninsule arabique). Les effets de ces pro- au point qu’aux États-Unis le développement
duits qui coûtent, sur Internet, cinq fois du trafic de drogue n’est plus toujours cor-
moins cher que la cocaïne ou la MDMA rélé à la hausse de la criminalité (2). Internet
empruntent à l’une et à l’autre, favorisant l’ex- a aussi rapproché l’« usager de drogue » du
citation, l’envie de toucher et d’être touché. « designer » féru de chimie. Au tournant des
Cette notoriété, les cathinones la doivent années 2000 apparaissent ainsi de nouvelles
également au développement du chemsex substances psychoactives... ou NPS.
(contraction de chemical Les NPS sont des drogues dont les structures
Cette notoriété, les cathinones la doivent sex), des marathons moléculaires imitent celles des substances tra-
au développement du « chemsex », sexuels pratiqués surtout ditionnelles – qu’elles soient d’origine natu-
des marathons sexuels pratiqués surtout dans la communauté gay. relle, comme le cannabis ou la cocaïne, ou syn-
dans la communauté gay Étiquette commode pour thétiques, comme les amphétamines, le LSD
journalistes en quête de ou la MDMA. Des copies parfois mille fois plus
modes ? « Cette idée de pratique nouvelle puissantes que l’original, comme dans le cas
m’embête », confie M. Tommy Chouque, des opiacés de synthèse, qui ravagent les États-
adepte occasionnel de chemsex. « J’ai des Unis (lire l’article page 7). Concevoir des NPS
images des communes de San Francisco dans s’apparente à de la recherche – on parle alors
les années 1970, où clairement l’idée c’était de research chemicals – et les vendeurs se
“défonce” et “baise”. Est-ce qu’on en a fait un défaussent en indiquant : « impropre à la
mouvement circonscrit sur lui-même ? Non, consommation humaine» sur les emballages.
on a parlé de contre-culture. » En consommer permet de conserver un temps
Addictologue au sein de l’association d’avance sur la loi – on parle alors de legal
Aides, M. Fred Bladou refuse d’être alarmiste, high, euphorisants légaux, un euphémisme
mais insiste : « Ce qui est nouveau, ce sont ces pour indiquer que ces substances ne sont pas
rapports sexuels très ritualisés, liés à l’usage encore interdites.
PSYCHÉDÉLIQUE
Akatre ///// « Djeff », 2018
ces produits qui les caractérise. Au plus fort temps si difficiles à cerner pour les autorités (5) Chimères, n° 91, Toulouse, janvier 2017.
MÉDICAMENTS PSYCHOTROPES
C treprise d’imagerie médicale CereScan
prétend diagnostiquer les troubles men-
taux à partir d’images du cerveau. Diffusé sur
la chaîne Public Broadcasting Service (PBS) (1),
un documentaire montre le mode opératoire.
PAR OLIVIER APPAIX *
Assis entre ses parents, un garçon de 11 ans
attend, silencieux, le résultat de son IRM (2) du
cerveau. L’assistante sociale lui demande s’il
est nerveux. « Non », répond-il. Elle montre
alors les images à la famille : «Vous voyez, là
c’est rouge, ici orangé. Or, ça aurait dû être vert
et bleu. » Telle couleur signale la dépression,
telle autre les troubles bipolaires ou les formes Laborit sur le paludisme, la tuberculose et la Passés maîtres dans l’art de communiquer,
pathologiques de l’angoisse. maladie du sommeil. Le médecin français les laboratoires ne révèlent souvent pas tout
CereScan satisfait aux demandes croissan- constate la « quiétude euphorique » provo- ce qu’ils savent des effets des médicaments.
tes d’une société américaine qui semble de plus quée par la prométhazine. En 1951, il parle de Le message adressé aux parents, aux enfants
en plus mal supporter les signes de déviance. « lobotomie médicinale », en référence à l’in- ou aux jeunes adultes affectés par un épisode
L’entreprise affirme qu’un Américain sur sept tervention chirurgicale qui détruit les de « trouble mental » se résume à ceci : «Vous
âgé de 18 à 54 ans souffre d’un « “désordre” ou connexions du cortex préfrontal (5) inventée avez besoin de médicaments, comme le dia-
“trouble” pathologique lié à l’angoisse », soit par le neurologue portugais Egas Moniz, Prix bétique a besoin de l’insuline. »
plus de vingt millions de personnes (3). Nobel de médecine-physiologie en 1949.
L’usage du premier neuroleptique (nommé Engrenage infernal
« Lobotomie médicinale » plus tard Thorazine) se répand bientôt dans Ayant bénéficié pendant des années des lar-
Les normes qui définissent le comportement les asiles psychiatriques, puis franchit l’Atlan- gesses de l’industrie pharmaceutique, dont il
attendu ne sont pas clairement établies, mais tique, de même que la lobotomie. On introduit a été l’un des plus fidèles promoteurs, le doc-
les critères de diagnostic des déviances ou alors l’idée que les troubles mentaux résul- teur Daniel Carlat dénonce à présent son
des troubles considérés comme patholo- tent d’un déséquilibre chimique du cerveau. emprise (6) : « On dit aux patients qu’ils ont un
giques, tel le « déficit d’attention », sont, eux, Dès lors, les effets « miraculeux» du lithium et déséquilibre chimique dans le cerveau, parce
très précisément énoncés et classés par le des formulations qui lui succèdent, du Prozac qu’il faut bien accréditer médicalement à
Manuel diagnostique et statistique des trou- (mis sur le marché en 1988) au Zoloft en pas- leurs yeux le fait qu’ils sont malades. Mais on
bles mentaux (Diagnostic and Sta- sant par le Zyprexa, sont chantés sait que ce n’est pas prouvé (7). »
Passés maîtres dans
tistical Manual of Mental Disor- par l’ensemble des médias. Toutes les études longitudinales (qui ne
ders, DSM). Référence absolue des l’art de communiquer, L’apparition des neuroleptiques sont pas menées par les laboratoires) ☛
praticiens aux États-Unis – et de les laboratoires ne donne aux psychiatres, puis aux
plus en plus ailleurs dans le révèlent souvent personnels d’infirmerie et d’assis- (1) The Medicated Child, documentaire de l’émission
monde –, ce manuel leur permet tance sociale, un statut de prescrip- « Frontline », janvier 2008.
pas tout ce qu’ils
d’identifier les « troubles patholo- teurs de médicaments dont ils (2) Imagerie par résonance magnétique. Aux États-Unis, une
savent des effets IRM du cerveau coûte de 1500 dollars à plus de 3000 dollars
giques » à des âges de plus en plus étaient encore largement dépour- pour une procédure qui dure de quarante à soixante minutes.
des médicaments
précoces. Aux États-Unis, depuis le vus, marginalisant la réponse psy- (3) « Anxiety disorder », CereScan Imaging, 2009.
(4) La dyskinésie se caractérise par des mouvements incon-
début des années 2000, des « troubles bipo- chothérapeutique et les nombreuses autres trôlables du visage.
laires » ont été diagnostiqués chez plus d’un solutions possibles : exercice, meilleure nutri- (5) La lobotomie visait à soigner les patients souffrant de
million d’enfants. D’un peu moins de 16 000 tion, socialisation, etc. Depuis, c’est l’escalade certaines maladies mentales, comme la schizophrénie. Elle
est désormais interdite dans la plupart des pays.
en 1992, le nombre d’autistes chez les 6-22 ans pharmacologique. On étend et on densifie le (6) Daniel J. Carlat, Unhinged. The Trouble with Psychiatry.
est passé, lui, à 293 000 une quinzaine d’an- champ de la pathologie avec le DSM, et on A Doctor’s Revelations about a Profession in Crisis, Free
Press, New York, 2010.
nées plus tard, et même à 338000 si on ajoute intensifie la réponse pharmaceutique, avec la
(7) Interview de Daniel Carlat dans « Fresh air », National
les enfants de 3 à 6 ans – une catégorie d’âge bénédiction des autorités sanitaires. Public Radio, 13 juillet 2010.
apparue en 2000 dans les statistiques.
Dans la population générale, chaque jour
plus d’un millier de personnes (dont un quart Bibliographie
d’enfants) s’ajoutent à la liste des bénéficiaires MOISÉS NAÍM, Illicit : How Smugglers, Traffickers, ROBERT N. PROCTOR, Golden Holocaust.
de l’aide financière fédérale pour cause de and Copycats Are Hijacking the Global Economy, La conspiration des industriels du tabac,
Cornerstone Digital, New York (États-Unis), Équateurs, Sainte-Marguerite-sur-Mer, 2014.
trouble mental sévère. Les mailles du filet se 2010 (rééd.).
S’appuyant sur les millions de pages saisies
resserrent sans cesse. Pourtant, les essais cli- Comment, à la faveur de la mondialisation, lors des procès intentés entre 1980 et 2010
d’Internet et de la corruption, les « réseaux contre les géants américains du tabac,
niques réalisés chez les adultes se révèlent de trafiquants apatrides », spécialisés en l’historien Robert Proctor dévoile
assez peu concluants quant aux bénéfices à particulier dans la drogue, « sont en train de
les stratégies cyniques développées par
changer le monde autant que les terroristes
long terme de la réponse pharmacothérapeu- les cigarettiers pour créer une addiction
et probablement davantage ».
tique aux affections mentales. Si, pendant généralisée à leurs produits.
IOAN GRILLO, El Narco. La montée sanglante des
quelques semaines, des réactions positives cartels mexicains, Buchet-Chastel, Paris, 2012. JOHN VIRAPEN, Médicaments effets secondaires :
la mort, Cherche Midi, Paris, 2014.
peuvent apparaître (généralement équiva- Fruit de dix années d’enquête, cet ouvrage
raconte « la transformation radicale [des] L’ex-patron pour la Suède d’Eli Lilly,
lentes, toutefois, à celles provoquées par des l’un des plus grands laboratoires
trafiquants de drogue en escadrons de la
placebos), les effets sur une plus longue mort paramilitaires » au Mexique. Selon pharmaceutiques américains, qui
période incluent des altérations irréversibles l’auteur, « les échecs de la guerre contre la commercialise notamment le Prozac,
drogue menée par les États-Unis, ainsi que dénonce dans ce livre-témoignage l’usage
du cerveau et des dyskinésies tardives (4). les remous de la politique et de l’économie injustifié d’antidépresseurs encouragé par
La réponse pharmacothérapeutique aux mexicaines », expliquent cette évolution. « Big Pharma », notamment pour les enfants.
affections mentales est apparue dans les
années 1950, à partir des travaux d’Henri
DANS LES ARCHIVES //// MAI 1997 //// PAR HAL KANE *
Les cigarettiers américains à la conquête du monde de sa production (qui s’est effondrée en même temps
que l’Union soviétique, en 1991) afin de répondre à un
les législations sur le sujet, lancé dans la presse écrite une appétit intérieur de cigarettes aussi insatiable que
gigantesque opération publicitaire de défense des « liber- celui des fumeurs d’Europe centrale et orientale. En Rus-
tés individuelles » des « 97 millions de fumeurs euro- sie, les exportateurs américains ont enregistré en 1990 la
péens ». Cette société, qui a également prétendu que le plus grosse vente groupée de leur histoire (34 milliards
tabac était moins nuisible à la santé des non-fumeurs de cigarettes), puis ils ont vendu 7 milliards de cigarettes
que le pain ou le lait, n’a pas oublié d’organiser... un en 1994 (contre moins de 2 milliards cinq ans plus tôt).
« concours d’écriture afin de sti- Les budgets publicitaires des fabricants de tabac étran-
Les campagnes pour le tabac
muler le débat parmi les journa- gers alimentent largement le budget des télévisions et
sont tellement omniprésentes listes et d’autres personnes sur des radios russes, celui des métros de Saint-Pétersbourg
à Kiev qu’on assimile cette ville l’avenir de l’Europe ». et Sofia (Bulgarie), celui des ampoules des feux de circu-
à « une version ukrainienne L’agressivité commerciale des lation de Bucarest (Roumanie)... Les pays d’Europe de
de Marlboro Country » producteurs américains n’a pas l’Est sont pourtant déjà champions du monde du cancer
épargné le Proche-Orient. Mais, du poumon.
depuis trois ans, la progression des importations y a été
enrayée, celles-ci se stabilisant autour de 31 milliards de Margaret Thatcher en VRP
cigarettes. Un niveau compris entre celui de la fin des Lorsque, en 1995, le Parlement ukrainien a voté une loi
années 1980 (24 milliards d’unités) et celui, record, de antitabac, Philip Morris a déployé toutes les techniques
1993 (36 milliards). Le Liban, l’Arabie saoudite et Israël de lobbying dont cette société est experte aux États-Unis.
sont, dans cet ordre, les principaux marchés américains Avec succès : la loi fut « revue » en juillet 1996. Depuis,
de la région. les publicités en faveur du tabac sont devenues tellement
Asie du Sud-Est, Union européenne, Proche-Orient : omniprésentes à Kiev qu’on assimile cette ville à « une
c’est donc vers ces trois ensembles géographiques que se version ukrainienne de Marlboro Country (6) ». Au
dirigent, en cette fin d’années 1990, l’essentiel des ventes Kazakhstan, c’est l’ex-première ministre britannique
de cigarettes américaines à l’étranger. Il ne s’agit pas Margaret Thatcher en personne qui, par attachement au
pour autant d’abandonner les perspectives d’expansion libre-échange – et moyennant la rétribution de 2 millions
en Europe de l’Est et dans les anciennes Républiques de dollars pour l’ensemble de ses services à l’entreprise –,
soviétiques. Moscou cherche encore à rétablir le niveau a accepté de convaincre les dirigeants kazakhs de faire le
meilleur accueil à Philip Morris, déjà devenu le premier
« Défense pour le pays,
tabac pour la société »,
investisseur américain en Pologne.
affiche publicitaire pour En 1997, principaux exportateurs de cigarettes du
L’Union des vendeurs
de tabac du sud de Kyoto, monde (235 milliards d’unités en 1996), les États-Unis ne
Japon, 1937
sont plus les seuls. L’Allemagne a vendu près de 85 mil-
liards de cigarettes à l’étranger, suivie par les Pays-Bas
(82 milliards), le Royaume-Uni (73 milliards), la Chine
(66 milliards), le Brésil (65 milliards), Hongkong, Singa-
pour et la Bulgarie (50 milliards chacun). Seuls les États-
Unis consacrent cependant une partie appréciable de
leur production de cigarettes (environ le tiers) aux ventes
dans les pays étrangers. Les autres États exportateurs
ne font que commencer à convoiter les marchés exté-
rieurs, notamment ceux des économies qui, volontaire-
ment ou non, s’ouvrent au commerce international. Et, si
une politique de délocalisation se met en place, le plus
gros de la production de tabac reste encore consommé là
où il est récolté.
(6) « American Tobacco’s Dans l’affrontement qui se dessine, la publicité jouera son
seizure of Ukraine », rôle. Les effets sur la santé publique ne devraient pas tarder.
http://tobacco.stanford.edu/
International
Herald Tribune, En 1997, la consommation de cigarettes tuerait déjà quelque
20 novembre 1996.
trois millions de personnes par an. L’OMS prévoit que les
(7) NDLR. En 2017,
selon l’OMS, le tabac victimes seront dix millions dans les années 2020 (7). Dont
a tué sept millions 70 % dans les pays en développement...
de personnes, dont
73 000 en France. HAL KANE
ou réguler ?
Interdire
3
Interdire ou réguler ? //// MANIÈRE DE VOIR //// 63
MDV163Chapitre3_Mise en page 1 09/01/2019 14:21 Page64
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
«L
PAR PATRICK FOUILLAND *
pour la santé. » Tout le monde rendu service aux intéressés. Ceux-là avaient
le sait... et personne n’y croit. davantage besoin d’aide et de soutien que de
Répété à l’envi sur chaque bouteille, ce slo- stigmatisation. Mais ce glissement séman-
gan a-t-il encore un sens ? L’abus, c’est pour tique a eu d’autres conséquences, entre autres
les autres, quelques autres, les « alcooliques ». celle de médicaliser un problème et d’ouvrir
Et pourtant... À l’aube des années 2000, on la voie à plusieurs malentendus persistants.
dénombrait quelque quarante mille morts En parlant de maladie, on pense traitement.
chaque année en France, conséquence On recherche alors des solutions extérieures
directe ou indirecte de l’alcool. De cinq à six au sujet et l’on considère tous les comporte-
millions de personnes étaient concernées ments problématiques en relation avec l’al-
par le problème, de deux à trois millions cool comme pathologiques. Or ils ne le sont
étaient dépendantes, près de 30 % des per- pas tous, pas toujours, tant s’en faut. L’ivresse
sonnes hospitalisées ayant un problème d’al- occasionnelle d’un jeune ou la conduite sous
cool important (1). L’alcool est une drogue l’empire d’un état alcoolique, par exemple, si
dure, les spécialistes le disent (2) et semblent elles sont problématiques, ne sont pas néces-
enfin entendus : en dépit de la levée de bou- sairement pathologiques.
cliers du lobby des alcooliers, le gouverne-
ment a en effet, en 1998, étendu à l’alcool le Stratégies timides et inefficaces
champ de la Mission interministérielle de Quand les conduites d’alcoolisation sont pro-
lutte contre la drogue et la toxicomanie gressivement entrées dans le champ de la
(MILDT) [NDLR : devenue depuis Mission de médecine, il y a une centaine d’années, deux
lutte contre les drogues écoles ont vu le jour, irrémédiablement anta-
En 2000, l’alcool représentait plus et les conduites addictives gonistes, sauf pour quelques utopistes : une
de la moitié des dépenses sociales (Mildeca)] – une vérita- clinique du produit et une clinique du sujet.
liées à l’usage de l’ensemble ble petite révolution. Non La clinique du produit rend l’alcool respon-
des drogues licites et illicites seulement l’alcool est une sable des désordres sur la santé des indivi-
drogue dure, mais elle est dus, sur leurs comportements et sur les
celle qui pèse le plus lourd sur la société fran- conséquences sociales que cela entraîne.
çaise : en 2000, plus de la moitié des dépen- Cette approche n’est pas sans argument. Elle
ses sociales annuelles, privées et publiques, a inspiré bien des politiques visant à contrô-
liées à l’usage de l’ensemble des drogues licites ler, à restreindre la production, la vente, la
et illicites (perte de revenus, frais médicaux consommation, la promotion de boissons
non remboursables, dommage à des tiers, alcooliques, mais n’a pas abouti à de grands
absentéisme, dépenses de Sécurité sociale, changements (3). Cette clinique recherche en
perte d’impôts et de cotisations sociales, etc.). priorité des solutions médicales, médica-
Si la dramatisation n’a jamais changé la menteuses ou comportementales. La cli-
donne dans une situation problématique, le nique du sujet considère l’individu davan-
silence et le déni ne font pas mieux. Pour espé- tage que ses comportements. Quand l’alcool
rer résoudre cette question, peut-être fau- devient source de problèmes pour un indi-
vidu, celui-ci, pour s’en sortir, ne peut qu’en
prendre la mesure et rechercher en lui les
* Médecin, formateur, ancien directeur du centre d’alcoologie du
Havre et ancien président de la Fédération française d’addictologie. moyens d’y faire face. La clinique du sujet se
S
PAR JOHANN HARI *
Watch, 200 000 Mexicains ont perdu tion des Nations unies (ONU) prohibant l’usage
la vie dans la « guerre contre la du cannabis (lire la chronologie page 90).
drogue » lancée en 2006 par l’ancien prési- « Cela fait plus de cent ans que, d’une façon
dent Felipe Calderón. Ce bain de sang s’ali- ou d’une autre, nous menons des politiques
mente à deux sources croisées : d’une part, répressives sur la question des drogues, nous
les États-Unis charrient de l’argent et des expliquait M. Mujica peu après l’adoption de
armes de l’autre côté du Rio Grande pour la réforme. Et, après cent ans, nous avons
réprimer le trafic de stupéfiants ; de l’autre, conclu qu’elles se sont soldées par un incontes-
table échec. » Son ministre de la défense de
*Journaliste, auteur de La Brimade des stups, Slatkine&Cie, Paris, 2016. l’époque (il est décédé en 2016), Eleutorio ☛
AGENCE VU
Écouter le toxicomane
Présentée comme une solution de rechange pour soigner loi de 1838 (en vigueur jusqu’en 1992 en France) se sont
construits des systèmes carcéraux soignants dont le plus
les toxicomanes, la prescription de produits de substitution,
bel exemple est l’asile.
comme la méthadone, masque une crue réalité : elle répond Au nom de la raison, qui cache mal la peur, on a ainsi
avant tout à un impératif sécuritaire et permet créé, avec la meilleure bonne volonté possible, les hôpi-
de « domestiquer » le drogué en le plaçant sous camisole taux-prisons dont nous avons hérité. Tout cela était car-
tésien, logique, un élément renvoyant à un autre. La
chimique. Un autre modèle thérapeutique est pourtant possible.
plus belle démonstration de cette raison délirante est le
plan de l’hôpital psychiatrique dû à Jean-Baptiste-Maxi-
sons l’affirmer : la création apparemment spon- mien Parchappe, psychiatre français de la fin du
AGENCE VU
mélangent avec d’autres produits mais, plus encore, se De façon naïve ou cynique, certains ont vite compris Denis Darzacq /////
« La Chute no 13 », 2006
l’injectent, démentant la justification de sa diffusion par quel parti on pouvait tirer de la substitution. Elle devient
la réduction des risques. la pièce maîtresse d’un système peu onéreux, qui permet
Ce modèle ancien de traitement par substitution, pro- le contrôle des toxicomanes avec une prise en charge qui
posé comme une nouveauté extraordinaire, a toujours eu n’en est plus une, et dont la seule finalité est une appa-
une visée sécuritaire ; avec lui on ne s’interroge plus, ni rente normalisation.
sur les motivations de la toxicomanie, ni sur les pro- Bien sûr, les moyens précédemment attribués au sec-
blèmes familiaux, ni sur les problèmes culturels. Peu à teur sanitaire de la prise en charge des toxicomanes
peu, les programmes d’échange de seringues sont relé- sont restés ridiculement bas. Mais c’était encore trop,
gués au second plan, voire abandonnés, alors qu’ils et l’augmentation des toxicomanies sauvages et de
constituent la meilleure protection, avec les préservatifs, misère ne permettait plus de contrôler efficacement la
contre le sida, tant il est vrai que l’échange anonyme des situation. D’où l’apparition sur le marché d’une série
seringues ne participe pas du contrôle social. d’institutions refuges, boutiques (2), communautés ☛
Interdire ou réguler ? //// MANIÈRE DE VOIR //// 75
MDV163Chapitre3_Mise en page 1 09/01/2019 14:41 Page76
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LA COCA :
UNE MISE AU
BAN DISCUTÉE
PAR JOHANNA LEVY *
ous connaissez beaucoup de production de coca sa principale source de appelle de nouveau « la Bolivie et le Pérou à
L
PAR BENJAMIN SÈZE *
aériennes de glyphosate sur les champs cent au gré de la répression.
de coca n’aura duré que trois ans. Le
9 mai 2015, deux mois après quel’Organisa- Prise de conscience gouvernementale
tion mondiale de la santé eut classé l’herbi- Responsable du contrôle des cultures illicites
cide comme « cancérogène probable », le pré- au sein de l’ONUDC, M. Leonardo Correa est
sident colombien Juan Manuel Santos moins catégorique sur l’inefficacité des épan-
(2010-2018) ordonnait de suspendre défini- dages, mais convient que l’évolution du nom-
tivement les épandages aériens contre les bre d’hectares cultivés obéit à des dynamiques
cultures illicites. Les États-Unis, fournisseurs diverses. L’extension actuelle pourrait s’expli-
des avions et des pilotes pour les fumiga- quer par l’augmentation du prix de la feuille
tions, et principaux financeurs de la lutte de coca, par la nécessité de compenser la
contre la drogue menée par Bogotá, ont tou- hausse des saisies de drogue par les autorités
jours désapprouvé cette décision. colombiennes, par l’investissement par des
La pression de Washington, particulière- groupes de narcotrafiquants des territoires
ment forte depuis l’arrivée de M. Donald laissés libres par les Forces armées révolu-
Trump au pouvoir, a finalement eu raison tionnaires de Colombie (FARC) à la suite de
des préoccupations environnementales et l’accord de paix de novembre 2016...
sanitaires des autorités colombiennes. Le Face à une telle complexité, nombre d’ob-
26 juin 2018, au lendemain de la publication servateurs regrettent la stratégie répressi-
de chiffres par l’administration américaine vedes autorités colombiennes, dont pâtissent
montrant que la culture de la coca en principalement les cultivateurs, maillon fai-
Colombie atteignait un niveau historique ble de la chaîne, sans que cela affecte réelle-
Affiche du film « Cocaïne, – 209 000 hectares en 2017 (1) –, M. Santos, ment les narcotrafiquants.
le frisson qui tue » qui arrivait en fin de mandat, a annoncé la Il y a quatre ans, après l’annonce par
États-Unis, années 1940
reprise des pulvérisations aériennes d’herbi- l’ONUDC d’une hausse de la surface de coca
cide à l’aide de drones. Il a aussi garanti que cultivée (de 44 % entre 2013 et 2014), le gou-
ces fumigations respecteraient les conditions vernement de M. Santos avait compris la
sanitaires et environnementales nécessaires nécessité de changer de politique. Cette prise
à leur utilisation. Début septembre, son suc- de conscience s’est traduite en 2016 par la
cesseur, Iván Duque, a confirmé cette déci- création, dans le cadre de l’accord de paix
sion. Grâce à cette méthode, le nouveau pré- négocié avec les FARC, d’un Programme natio-
sident colombien envisage une réduction de nal intégral de substitution des cultures d’usage
140 000 à 150 000 hectares de la culture de illicite (PNIS). Le principe : accompagner les
la coca d’ici quatre ans. cultivateurs de coca afin qu’ils se reconver-
Pourtant, l’efficacité des aspersions aérien- tissent dans une culture licite. Une solution
nes est remise en cause depuis plusieurs soutenue depuis des années par des acteurs
années. « Chères et dangereuses pour la santé, de la société civile, pour qui la culture de la
elles n’ont un résultat probant que sur 3 % des coca est le symptôme de problèmes structu-
surfaces traitées », soulignait en 2015 rels de pauvreté et de gouvernance. Les plan-
BRIDGEMAN IMAGES
Q
PAR JEAN-FRANÇOIS BOYER *
policiers pénètrent dans la prison armement lourd capable de tenir en échec
d’Acapulco, la grande station bal- blindés et mitrailleuses et de systèmes de
néaire du Pacifique, ils n’en croient pas leurs communications ultramodernes lui permet-
yeux : une vingtaine de prostituées dorment tant de s’informer des mouvements de l’ad-
dans les cellules aux côtés des détenus. La versaire. Comment les obtient-il ? Le plus
fouille qui suit réserve d’autres surprises : ils légalement du monde dans les armureries
saisissent une centaine de kilos de marijuana, du voisin du Nord ou, plus discrètement,
des téléviseurs, des lecteurs de CD, des coqs auprès des marchands d’armes américains.
de combat et même deux paons royaux, ani-
maux de compagnie favoris (avec le jaguar) Trente-deux maires assassinés
de narcotrafiquants célèbres. Le bureau de la procureure générale de la
L’anecdote est révélatrice. Lentement mais République, Mme Marisela Morales, a dressé
sûrement grignoté par le crime organisé, le le bilan des pertes enregistrées par les forces
Mexique ne contrôle plus ses prisons, ni de de l’ordre de décembre 2006 à juin 2011 :
larges parties de son territoire. Les narcos (tra- 2 888 soldats, marins, policiers et agents des
fiquants de drogue) ne se contentent plus d’ali- services de renseignement. Quarante-cinq
menter le marché américain en cocaïne (1), pour cent d’entre eux étaient des policiers
méthamphétamine et marijuana, de cor- municipaux, un chiffre qui suggère que les
rompre pour protéger leur communes, cellules de base de l’organisation
La violence des affrontements démontre
négoce et de se massacrer politique du pays, supportent l’essentiel du
que le crime organisé dispose entre eux. Au terme de six poids de la guerre. Car les mafias entendent
d’un armement lourd capable de tenir ans d’une « guerre » contre également imposer leur loi aux pouvoirs
en échec blindés et mitrailleuses le trafic de drogue lancée locaux – dans le sang, si nécessaire. Pour cela,
par le président Felipe Cal- elles influencent chaque jour un peu plus le
derón (2006-2012) – soucieux de redorer jeu démocratique et les processus électoraux.
son blason terni par les accusations de fraude Trente-deux maires ont été assassinés
électorale lors du scrutin de 2006 –, qui mobi- depuis 2006, la plupart par le crime organisé.
lise plus de 400 000 policiers et 50 000 sol- Dans les régions qu’elle considère comme
dats, ils menacent l’État et ses institutions du stratégiques, la mafia pèse aussi sur les élec-
nord au sud de la République. tions des gouverneurs. Mme Morales a con-
Les premières victimes des mafieux sont firmé en juin 2011 que le candidat à ce poste
les polices municipales, régionales (dépen- dans l’État de Tamaulipas, Rodolfo Torre
dant des gouvernements des trente et un Cantú, abattu en pleine campagne électorale
États fédérés) ou fédérale, car elles les pour- en 2010, avait bien été exécuté par le cartel
chassent ou collaborent avec l’un ou l’autre des Zetas, auquel il aurait refusé sa protection.
des cartels. Les embuscades se sont multi- Les cartels assoient leur domination par la
pliées ces dernières années. Les cartels n’hé- terreur. Dans les États du Nord et de l’Ouest,
sitent plus à affronter les convois de l’armée les sicaires ont institué un macabre rituel : la
de terre ou de la marine dans les régions décapitation. En 2011, le quotidien Reforma
a recensé 453 cas. Entre peur et résignation,
le pays se lasse de compter ses morts : 55 671
* Journaliste (Mexico), auteur de La Guerre perdue contre la
drogue, La Découverte, Paris, 2001. depuis 2006, selon le quotidien La Jornada ;
É
de l’armée, ils adoptent « une stratégie plus lu avant tout sur un programme de lutte contre l’insécurité et la corrup-
mafieuse que narcotrafiquante », nous expli- tion, le président des Philippines Rodrigo Duterte s’est lancé dans une
que Luis Astorga, l’un des meilleurs spécia- guerre antidrogue d’une intensité inédite. Baptisée « Double Barrel » (« double
listes du sujet. Éprouvant des difficultés à canon »), cette campagne s’est traduite en six mois, entre juillet 2016 et jan-
s’implanter dans le commerce de la drogue, vier 2017, par la mort de plus de 7 000 personnes (dont 35 policiers). Près de
ils se lancent dans d’autres activités (racket, 3 000 d’entre elles, selon la police nationale, auraient été impliquées dans des
enlèvements, trafic de migrants et de prosti- affaires de drogue et tuées lors d’opérations policières. Les autres, soit
tué[e]s, jeux clandestins, contrebande, 4 049 personnes, auraient été victimes d’exécutions sommaires menées par
contrefaçon...). Leur objectif est simple : éten- des groupes de « vigilants » formés d’anciens policiers et militaires, voire d’an-
dre leur mainmise à l’ensemble du pays pour ciens rebelles communistes et musulmans. Durant cette période, les forces
maximiser leur chiffre d’affaires. Pour cela, de l’ordre ont arrêté 44 070 personnes et visité plus de 6 millions de foyers.
ils n’hésitent pas à attaquer les places fortes Enfin, 1,6 million de personnes se sont rendues « volontairement » aux auto-
des cartels traditionnels. Après la guerre pour rités locales, dont 940 000 consommateurs et 75 000 dealers.
les « places », la bataille pour les « territoires ». Est-ce à dire que le pays est gangrené par la drogue ? Cette question est
La généralisation de la violence n’est donc extrêmement épineuse. Se comparant à Adolf Hitler – avant de s’excuser –,
pas directement imputable à la décision du M. Duterte a parlé de « trois millions de toxicomanes » qu’il serait « ravi d’abat-
président Calderón, prise en 2006, de lancer tre » (1). Cependant, selon la dernière étude de l’agence gouvernementale Dan-
massivement l’armée dans la répression du gerous Drugs Board, 4,8 millions de Philippins de 10 à 69 ans auraient
crime organisé. Elle est la conséquence d’une consommé de la drogue au moins une fois dans leur vie, dont 1,8 million régu-
lièrement, soit 2,3 % de cette tranche de la population (2). Le cannabis figure
restructuration rendue inévitable par l’alter-
au premier rang des substances consommées, suivi par la méthamphéta-
nance politique, et de l’émergence d’une
mine, appelée localement shabu.
nouvelle forme de criminalité. En revanche,
la responsabilité de l’actuel président est évi- M. Duterte dénonce aussi le risque d’installation d’une narcopolitique aux
dente sur d’autres points. Philippines. Peu de temps après son investiture, il lisait publiquement des
listes de noms de politiciens locaux, juges, policiers, militaires, hommes d’af-
faires, etc., soupçonnés de protéger le trafic de drogue et d’en tirer profit.
Pour l’essentiel, rien n’a changé
Cependant, à l’exception de Rolando Espinosa, maire de la ville d’Albuera
Son gouvernement a opté pour une stratégie
(province de Leyte), qui a été arrêté puis assassiné par des policiers dans sa
erronée. La « guerre » n’a pas réduit le trafic
cellule, aucune personnalité n’a jusqu’ici fait l’objet de poursuites pénales.
proprement dit : 22 des 37 chefs narcos identi-
fiés par les autorités, arrêtés ou abattus durant Près de six mois après le début de cette violente campagne, 85 % des per-
sonnes interrogées par l’organisme de sondage Social Weather Stations
le sexennat de M. Calderón, ont été aussitôt rem-
(SWS) se disaient satisfaites des résultats des opérations et 88 % pensaient
placés. Mais, pour l’essentiel, rien n’a changé :
même que la drogue était en recul dans leurs communautés. Cependant,
en 2011, la quasi-totalité de la cocaïne con-
elles étaient 94 % à penser qu’il était très important d’arrêter les suspects
sommée aux Etats-Unis passait toujours par le
vivants. De plus, 78 % des répondants exprimaient la crainte qu’eux-mêmes
Mexique. Par ailleurs, M. Calderón ne s’est pas
ou une de leurs connaissances soient victimes d’exécutions extrajudiciaires
attaqué à la corruption. Or là réside le pro-
par des milices (3). L’ambivalence de la population rejoint les accusations de
blème de fond. Les confidences d’Ismael « El
violations des droits humains de la part de l’Organisation des Nations unies
Mayo» Zambada au directeur de l’hebdomadai- (ONU), de l’Union européenne, des États-Unis et d’organisations non gouver-
re Proceso le confirment. À la question « Pour- nementales (ONG). De son côté, l’Église catholique dénonce les méthodes
quoi la guerre contre le trafic de drogue est-elle violentes de l’administration et sa volonté de rétablir la peine de mort pour
perdue ? », le plus ancien des meneurs de Sina- les trafiquants ; celle-ci a été votée par le Parlement en mars 2017, mais pas
loa, sarcastique, répondait au journaliste, le encore par le Sénat.
3 avril 2010 : « Il est incrusté dans la société de François-Xavier Bonnet
la même façon que la corruption. » ☛ Géographe.
(2) Lire Renaud Lambert, « Un chevalier pas si blanc », Le (1) Boying Pimentel, « Duterte, Hitler and the zeal to kill », Inquirer.net, 4 octobre 2016.
Monde diplomatique, janvier 2012. (2) Cf. Jodesz Gavilan, « DDB : Philippines has 1.8 million current drug users », Rappler.com,
19 septembre 2016.
(3) Cf. La Guerre perdue contre la drogue, La Découverte,
Paris, 2001. (3) Helen Flores, Evelyn Macairan et Paolo Romero, « 8 of 10 Pinoys fear dying in drug war », The
Philippine Star, Manille, 20 décembre 2016.
(4) « El narco ha feudalizado 60 % de los municipios, alerta
ONU », La Jornada, Mexico, 26 juin 2008.
C
PAR ANNE VIGNA *
quelques crimes dont les victimes Les condamnés pour meurtre ont toujours
appartenaient à la classe dominante (1) formé une minorité – 12 % de la population
ont fait beaucoup de bruit dans la presse bré- carcérale –, car le taux d’élucidation des
silienne, laquelle a plaidé pour un durcisse- homicides demeure très bas : entre 6 et 8 %.
ment de la législation du pays. En 1990, sous La plupart des détenus ont été condamnés
Denis Darzacq ///// pour vol (43,4 %) ou trafic de drogue (25,5 %).
« La Chute no 19 », 2006 * Journaliste. « Les prisons sont remplies d’individus arrêtés
en flagrant délit par la police militaire, celle
qui, au Brésil, n’enquête pas mais patrouille.
Ceux qui se retrouvent en prison ne sont donc
ni des criminels dangereux ni de grands tra-
fiquants, mais des pauvres : des auteurs de
petits délits ou des toxicomanes qui vendent
de la drogue pour assurer leur consomma-
tion », explique la sociologue Jacqueline Sin-
horetto, spécialiste des prisons au Forum de
la sécurité publique, un institut de recherche
de São Paulo.
AGENCE VU
4 000
Voix de faits Nombre de substances
chimiques dégagées par
la fumée de cigarette, dont
beaucoup sont toxiques
et 64 cancérigènes. Avant
« Ah ! Quel dîner je viens de faire ! Zombretto combustion, le tabac
contient 2 500 composés.
Et quel vin extraordinaire ! En Algérie, de l’alcool médical (ou, à défaut, de l’eau de Cologne)
Agence nationale de santé
J’en ai tant bu... mais tant et tant, et de la limonade blanche ou du Selecto (célèbre soda local)
publique, « Anatomie
composent la recette du zombretto, boisson qui connut son heure d’une cigarette : que contient
Que je crois bien que maintenant de gloire dans les années 1970 et 1980 quand elle fut célébrée la fumée ? », 2014.
Je suis un peu grise... Mais chut ! par quelques chanteurs de raï transgressifs.
L’origine du nom de ce breuvage, longtemps
Faut pas qu’on le dise ! Chut ! attribuée aux clochards et sans-abri vivant Ivresse fréquente
Si ma parole est un peu vague, aux abords de la grande gare centrale d’Alger, Part de personnes ayant été ivres au moins
n’est pas clairement connue. Dans un pays une fois par mois au cours des douze derniers mois,
Si tout en marchant je zigzague, musulman où la vente d’alcool a toujours été en pourcentage Hommes Femmes
Et si mon œil est égrillard, sévèrement encadrée, sans être interdite, le 40 Lituanie
terme « zombretto » désigne aussi des Islande
Il ne faut s’en étonner, car... spiritueux de mauvaise qualité, voire frelatés, 35 Norvège
Royaume-Uni
Je suis un peu grise, produits ou importés de manière clandestine. 30
Pologne
Finlande
Mais chut ! Autriche
Espagne
25
Faut pas Consommation d’alcool
Bulgarie
Suède
20
qu’on le dise ! en Europe
Danemark
Croatie
Chut ! » 15 Hongrie
Estonie
Extrait du livret 10 Portugal
Grèce
La Périchole (1868), opéra Roumanie
5 Italie
bouffe de Jacques Offenbach. France
0
Source : « Standardised European Survey on Alcohol » (SEAS), 2015.
Consommation d’alcool
depuis 1960 en France 4,7 millions
Quantité d’alcool consommé
en litres équivalents d’alcool pur
de litres
par habitant de 15 ans et plus et par an Quantité moyenne
1961 : 26 litres de bière vendue en France
1980 : lors de chaque match
24 20,1 disputé par
20 2000 : l’équipe
14 2010 : nationale
16 12,3 2017 :
11,7 pendant la
12 Autres alcools Coupe du monde
de football
8 600 km
2018,
Vin
4 Quantité d’alcool consommé en 2016, en litres équivalents d’alcool pur organisée
par habitant de 15 ans et plus et par an en Russie.
0
1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 6à8 8,1 à 10 10,1 à 12 12,1 à 14 14,1 à 16 Le Point,
Source : Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 2018. Source : Organisation mondiale de la santé, « Global status report on alcohol and health 2018 ». 20-27 décembre
2018.
Chronologie
La première conférence internationale La première guerre La convention vise
Le Pure Food and Drug sur les drogues, la Commission sur mondiale cause une La Société des nations à limiter les quantités
Act marque le premier l’opium, se réunit à Shanghaï, à l’initiative augmentation rapide (SDN) devient le dépositaire produites à celles requises
coup d’arrêt à la cocaïne de Washington : naissance de l’idéologie des taux de toxicomanie de la convention à des fins médicales
aux États-Unis. de la prohibition des drogues. dans plusieurs pays. internationale de l’opium. et scientifiques.
1907 1919
1906 1909 1912 1914 1920 1925 1931
1908 1920
Montant dépensé moins une fois dans leur vie aux jeux de hasard et d’argent Usage quotidien de tabac parmi les 15 ans et plus, en 2017
(JHA) et plus de 56 % au moins une fois dans l’année. Les JHA en pourcentage
par l’industrie 5 15 à 22
les plus prisés sont les jeux de loterie – de tirage ou 23 à 30 31 à 36
pharmaceutique de grattage (plus de 60 % des cas) –, suivis par les paris Source : Commission européenne, « Special Eurobarometer », no 458, mai 2017.
américaine en hippiques et sportifs, les jeux de casino et le poker (souvent
publicité pour
les médicaments
pratiqué en ligne). Parmi les joueurs, plus de 2 % (environ
1 million) présentent des risques modérés de développer Fléau
des problèmes liés à leur pratique, et 0,5 % (environ «L’usage non médical de médicaments
sur ordonnance sur ordonnance est en train de devenir
200 000 personnes) sont considérés comme « joueurs
au cours excessifs ». La plupart des centres d’addictologie prennent
une menace majeure pour la santé
publique et pour les forces de l’ordre
de l’année 2016. en charge la dépendance aux jeux – ou « jeu pathologique ». dans le monde entier, les opioïdes
Harper’s Index, janvier 2018. OFDT, Observatoire des jeux (ODJ), hôpital Marmottan. causant les dommages
les plus importants et
représentant 76 %
Frelaté
des décès impliquant
« La chaleur et la tabagie des drogues. »
En décembre 2016, à Irkoutsk (Sibérie), épaisse nous donnaient ONUDC, communiqué
de presse, 26 juin 2018.
74 personnes sont mortes après avoir bu une soif inétanchable.
de l’huile de bain vendue comme de l’alcool
« de substitution » au marché noir. Il fallait sans arrêt Consommation de tabac en France
Les bouteilles de contrebande contenaient se relayer pour aller Usage occasionnel ou régulier de tabac
du méthanol, une substance toxique utilisée parmi les 18-75 ans, en pourcentage
d’ordinaire comme antigel ou battre les costauds, qui 60
solvant. En Russie, maintenant apportaient
la consommation de lotions et 50
d’eau de Cologne est en des bonbonnes,
recrudescence depuis la hausse 40
du prix de la vodka et des
des tonnelets, des jarres,
spiritueux, ces dernières années. des seaux, tout cela plein 30
France Création Création de la Commission Signature du protocole Convention unique sur les stupéfiants adoptée par
du service central des stupéfiants, principal de l’opium, limitant l’ONU. Elle dresse une liste de 108 substances
des stupéfiants, qui organe de l’Organisation Les experts de l’OMS la production et naturelles ou synthétiques contrôlées. Et déclare
remplace le service des Nations unies en ce condamnent la coca la marchandisation de l’opium universellement illégales le cannabis, le pavot
des stupéfiants et de qui concerne les questions pour son caractère aux besoins médicaux et la coca (sauf pour l’industrie pharmaceutique
la traite des blanches. liées aux drogues. « addictif ». et scientifiques. dans ces deux derniers cas).
1952
1933 1936 1946 1948 1953 1961
1953
La convention pour Adoption du « protocole France Création de l’Office (suite) La production de coca destinée
la répression du trafic illicite de 1948 », qui place central pour la répression du trafic à la consommation « traditionnelle » de la Bolivie et
des drogues nuisibles est de nouvelles substances sous illicite des stupéfiants (OCRTIS) du Pérou bénéficie d’un sursis de vingt-cinq ans.
déclarée. Il s’agit du premier contrôle international. en France, issu du service central Création de l’Organe international de contrôle
texte international Création de l’Organisation des stupéfiants de 1933. des stupéfiants (OICS).
à criminaliser certaines mondiale de la santé (OMS).
infractions liées à la drogue.
☛
Voix de faits //// MANIÈRE DE VOIR //// 91
MDV163Voixdefaits_Mise en page 1 09/01/2019 15:33 Page92
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Convention de l’OICS sur France Création de la Mission Adoption de la convention Le GAFI émet 40 recommandations
les substances psychotropes interministérielle de lutte contre des Nations unies contre le trafic pour lutter contre le blanchiment.
(hallucinogènes, la toxicomanie (MILT) en France, illicite des stupéfiants et France Création de l’Office central
barbituriques, amphétamines, aujourd’hui appelée Mission des substances psychotropes, aussi pour la répression de la grande
tranquillisants). interministérielle de lutte contre les drogues appelée « convention de Vienne délinquance financière (OCRGDF).
et les conduites addictives (Mildeca). de 1988 ». Elle rend contraignante
l’adoption de mesures pénales.
Pour soi
La France compterait, selon les estimations, 10 % SURDOSES
entre 80 000 et 200 000 pratiquants de
l’autoculture de cannabis, principalement
pour leur usage personnel. Elle se fait
Part de la population,
en Égypte (98 millions
MORTELLES
d’habitants) souffrant Hécatombe aux États-Unis
le plus souvent en indoor (dans une serre
à domicile dont la taille varie en fonction d’addiction aux Décès par surdose de stupéfiants
du nombre de plants), mais aussi en outdoor stupéfiants, et de médicaments opiacés
Ensemble
(en extérieur), dans un endroit selon le des drogues
situé à l’abri des regards ministère de Soit une prévalence de 21,7 70 237
(jardin, champ, pour 100 000 habitants
la solidarité sociale égyptien.
clairière,
etc.).
Le tramadol, un puissant
60 000
opioïde, est le produit le plus
OFDT, 2017,
Le consommé (plus de 50 %
Monde, des cas), suivi par l’héroïne 50 000
17 juin 2015,
et Drogues Info (26 %) et le cannabis (23 %).
Service. « Egypt fights a losing battle against drugs »,
40 000
Arab News, 26 février 2018.
Médicaments
44,3 milliards
opiacés1
RICHESSE NATIONALE Soit une prévalence de 8,8
pour 100 000 habitants
28 466
Coke Investissement
1985 1990 2000 2010 2017
1. Dont fentanyl et tramadol.
Source : « Drug overdose deaths in the United States, 1999-2017 »,
Jusqu’à la première loi américaine sur Après les cigarettes US Department of Health and Human Services, « NCHS Data Brief », no 329,
novembre 2018.
les drogues et les aliments (Pure Food and Drug électroniques, les géants
Act) de 1906, Coca-Cola incluait de petites
du tabac se lancent dans Stabilité en France
quantités de cocaïne dans sa boisson. Ensuite,
celle-ci a été remplacée le cannabis. Altria, numéro 451
Décès par surdose de stupéfiants
et de médicaments opiacés
par de la caféine, mais un mondial, détenteur 392
tous les autres 373
de la marque Marlboro, 400
alcaloïdes de la coca
ont été conservés.
a ouvert le bal fin 2018 en 300
prenant une participation
Cité par Johanna Lévy, 264
« Une petite de 45 % dans le groupe Cronos, 200
184
feuille verte producteur de cannabis Soit une prévalence de 0,6 100
nommée établi à Toronto, moyennant pour 100 000 habitants
coca », 1,8 milliard de dollars 0
Le Monde
diplomatique,
(1,6 milliard d’euros). 1985 1990 1995 2000 2005
Source : Observatoire français des drogues
2010 2015
mai 2008. Les Échos, 10 décembre 2018. et des toxicomanies, d’après données CépiDc/Inserm.
Lors de la 48e Assemblée mondiale de la santé, sous la menace de lui retirer leur
financement, les États-Unis obtiennent de l’OMS qu’elle enterre une étude sur la coca. Le département Abus
Après quatre années d’enquête, quarante-cinq chercheurs internationaux associés, Au Pérou, de substances psychoactives
Création, à Vienne, ayant étudié dix-neuf pays sur les cinq continents, soulignaient les bienfaits pour la le gouvernement de l’OMS rejoint le
du Programme des Nations santé humaine de l’usage traditionnel de la feuille de coca et préconisaient la réalisation de M. Alberto Fujimori département Santé mentale
unies pour le contrôle de nouvelles recherches sur ses propriétés thérapeutiques. réinstaure afin de mieux prendre en
international des drogues En Europe, l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies l’éradication forcée compte les liens entre
(Pnucid). est inauguré à Lisbonne. de la coca. les deux problématiques.
Lors de l’Exposition universelle Aux États-Unis, fondation du Centre international pour Lancement de l’Initiative pour un monde
de Séville, le pavillon bolivien se voit les politiques en matière d’alcool (ICAP), groupe de réflexion sans tabac par l’OMS. Lors d’une session
interdire d’exposer toute l’industrie soutenu par plusieurs marques d’alcool (Heineken, Coors, extraordinaire, l’Assemblée générale
dérivée de la feuille de coca. Le président Martini, Pernod Ricard...), qui associe les pouvoirs publics des Nations unies décide de renforcer les
Jaime Paz Zamora, qui refuse et l’industrie sur des questions liées à la consommation efforts des États membres en vue de réduire
de pénaliser la coca – avec pour slogan et à l’abus d’alcool. la demande et l’offre de drogues. En Bolivie,
« Coca n’est pas cocaïne » –, est accusé France Création de la Mission de lutte anti-drogue (Milad). le général Hugo Banzer lance le plan Dignité
de narcotrafic par les États-Unis. avec pour mot d’ordre « Coca zéro ».
☛
Voix de faits //// MANIÈRE DE VOIR //// 93
MDV163Voixdefaits_Mise en page 1 09/01/2019 15:35 Page94
РЕЛИЗ ПОДГОТОВИЛА ГРУППА "What's News" VK.COM/WSNWS
« Et au milieu de l’après-midi,
je me retrouve dans une cabine
CARICATURE Opération
téléphonique à un coin de rue,
« Le junkie ne sait plus parler que drogue,
moyen de s’en procurer, réactions du corps, « Poisson lion »
vétilles telles une injection douloureuse ou Une vaste opération menée par
quelque part dans le centre, je ne sais un réapprovisionnement héroïque. Tout ramène Interpol à travers 93 pays, entre
pas où, en sueur, avec une migraine à cet inépuisable sujet. N’est-ce pas la manière le 17 septembre et le 8 octobre 2018,
de caricaturer les
lancinante qui bat sourdement dans conversations des gens a permis de saisir plus
ma tête, saisi d’une crise d’angoisse sains, qui roulent aussi de 55 tonnes de stupéfiants et
toutes sur des misères : d’arrêter 1300 trafiquants présumés.
de première catégorie, fouillant mes L’organisation internationale a
l’argent, le travail, la fesse,
poches à la recherche d’un Valium, les médias ? » annoncé avoir intercepté 35 tonnes
d’un Xanax, d’un Halcion qui Anonyme, Les Rêveries de cocaïne, 15 tonnes de cannabis,
du toxicomane solitaire, 5 tonnes d’héroïne,
traînerait là, n’importe quoi, ne Allia, Paris, 1997. 430 000 tablettes de Captagon
trouvant que trois Nuprin que je me (une puissante amphétamine),
fourre dans la bouche et que je fais Lianes 18 millions de cachets de yaba
(une drogue de synthèse très
glisser avec un Diet Pepsi, et dont, ma L’ayahuasca est un breuvage à base de lianes populaire en Asie du Sud-
vie en dépendrait- consommé traditionnellement par les chamanes Est) et démantelé un
des tribus indiennes d’Amazonie. Purgatif et important laboratoire
elle, je ne pourrais hallucinogène, il entraîne une sorte d’ébriété, avec de fabrication
dire ce qu’ils font là, des nausées et vomissements. Dans ses conseils aux d’ecstasy.
ni d’où ils viennent. voyageurs, l’ambassade de France au Pérou (où il est
Agence France-Presse,
inscrit au registre des stupéfiants depuis 2005) met
Oublié que j’ai 17 octobre 2018.
en garde contre l’usage de cette plante utilisée « par
déjeuné et, plus grave des individus peu formés ». « L’usage de l’ayahuasca
encore, où. » peut avoir des conséquences médicales graves, voire
Bret Easton Ellis, mortelles, notamment pour les personnes présentant
American Psycho, des symptômes cardiaques ou sous antidépresseurs. »
Seuil, Paris, 1993. www.diplomatie.gouv.fr
En Bolivie, le décret
suprême 26415 rend L’ONUDC lance la première En mai, à la 58e Assemblée mondiale de la santé, le président de Adoption par l’ONUDC de la « déclaration
illégale la vente de feuilles phase de l’initiative du l’OICS fait état de l’augmentation des risques de cancer par la politique et [du] plan d’action sur la
de coca. L’Office pacte de Paris contre consommation de narcotiques – ce qui la rend très inéquitable selon coopération internationale en vue d’une
des Nations unies contre l’héroïne afghane. Au Pérou, les régions du monde. En juillet, au Conseil économique et social stratégie intégrée et équilibrée de lutte contre
la drogue et le crime manifestations de masse des Nations unies, le président souligne la situation alarmante de le problème mondial de la drogue » pour
(ONUDC) adopte des cocaleros, les cultivateurs l’Afghanistan face aux drogues. Adoption de la convention-cadre donner une nouvelle impulsion à la lutte
son nom actuel. de feuilles de coca. de l’OMS pour la lutte antitabac (CCLAT), approuvée par 40 États. internationale contre le trafic de stupéfiants.
Directive sur La convention des Nations Unies contre France Mise en place nationale Établissement par l’OMS du programme de lutte
la réglementation la criminalité transnationale organisée entre en de Tracfin, la cellule française antitabac, MPOWER, pour aider les pays à respecter
des produits de tabac vigueur. Elle renforce la capacité internationale contre le blanchiment la convention-cadre de 2005. En mars, l’OICS enjoint
à la Commission de lutte contre le crime organisé, y compris de capitaux et le financement aux gouvernements bolivien et péruvien d’interdire
européenne. le trafic de drogue. Révisions du terrorisme, sous l’égide ou de supprimer la coca. L’Afghan Opiate Trade Project
des 40 recommandations du GAFI afin de faire du ministre de l’action est mis en place par l’ONUDC pour mieux comprendre
face à l’évolution technique du blanchiment. et des comptes publics. l’impact mondial des opiacés afghans.
Canada
Consommation et production Législation sur le cannabis
légale depuis octobre 2018
États-Unis Europe
Grande diversité Grande diversité
de législations de législations
d’un État d’un pays à l’autre
à l’autre
Australie
Trois États ou territoires
sur huit ont dépénalisé
Consommation privée l’usage du cannabis en 2017
de cannabis récréatif
Légale
ou partiellement légale
Illégale mais dépénalisée
Uruguay
Illégale mais avec sanctions Premier pays à avoir
peu appliquées légalisé le cannabis,
Illégale en 2013
Approbation par l’OMS de la « stratégie mondiale visant à réduire Modifications importantes apportées Mise en place par l’OICS d’un projet de partenariats
l’usage nocif de l’alcool », lors de la 63e Assemblée mondiale à la directive pour la réglementation opérationnels mondiaux visant à interdire la distribution
de la santé. Celle-ci reconnaît que l’usage nocif de l’alcool et des produits de tabac de 2001, qui et la vente illicites d’opioïdes, qui associent
le développement socio-économique sont étroitement liés. visent à réglementer, notamment, des gouvernements, des agences internationales
la vente à distance transfrontalière, et le secteur privé afin de partager des informations
France Création de la direction de la coopération les ingrédients et émissions des produits et des renseignements dans le but d’identifier et
internationale (DCI) de la police nationale française afin et la présentation du paquet, qui d’interdire les fabricants, distributeurs et vendeurs illicites
de mieux contrer le trafic de drogue. ne doit pas inciter à la consommation. d’opioïdes synthétiques, tels le fentanyl.
Nouvelle stratégie antidrogue Mise en place par l’OICS du système d’autorisation d’importation et Visite de l’OICS en Bolivie à l’issue
de l’Union européenne avec d’exportation internationale, une plate-forme en ligne consacrée aux de laquelle un accord est trouvé sur
l’adoption d’un plan pour demandes d’autorisation d’importation et d’exportation de drogues la coca : en mâcher et en consommer
les années 2013-2020 : réduction narcotiques et de substances psychotropes. Aux États-Unis, fondation dans son état naturel à des fins
de la demande, réduction de l’offre, de l’Alliance internationale pour une consommation (d’alcool) médicinales est autorisé dans le pays.
coordination, coopération responsable, organisation à but non lucratif, soutenue par les
internationale, information, principaux producteurs mondiaux de bière, de vin et de spiritueux.
recherche et évaluation.
Guyana
Vers Amérique
du Nord
Japon
Mongolie Philippines
Chine
Laos
Russie Birmanie
Népal Indonésie
Thaïlande
Asie Bangladesh
EUROPE centrale
Afghanistan Inde
Caucase
Balkans Pakistan
Turquie
Iran
Irak Pays de production Routes de la drogue
Syrie
Liban Cannabis (résine, herbe) Grandes zones de consommation
Maldives Coca (cocaïne) Principales routes terrestres,
maritimes et aériennes utilisées
Maroc
Égypte Opium (héroïne
PAYS DU GOLFE et autres opiacés) « Plaques tournantes » du trafic
Algérie Libye
Soudan Principaux laboratoires de drogues de synthèse
Éthiopie
Cap- Mali
Soudan
Vert Sénégal
Guinée- Bénin
du Sud
Kenya
Blog
Bissau Ghana Ancienne lieutenante de police, Mme Bénédicte Desforges a raconté son
Nigeria quotidien d’officière dans un livre et tient désormais un blog : « L’usage
Tanzanie
de stupéfiant est un délit mineur, sans victime, sans plaignant, sans
Guinée- danger pour autrui, sans incidence sur la résolution des enquêtes de trafic,
Équat. explique-t-elle. Sa répression n’est pas dissuasive, mais elle constitue
Vers Asie
Mozambique néanmoins une proportion déraisonnable de l’activité policière. » Elle
poursuit : « La politique du chiffre est le moteur de l’activité de la police
(…). Au lieu de fabriquer de la sécurité, la police fabrique des infractions
et des délinquants » afin de revigorer les statistiques et de toucher
Zwaziland des primes d’intéressement. L’ex-policière a fondé, en novembre 2018,
Sources : Office des Nations unies
contre la drogue et le crime, « World drug le collectif Police contre prohibition (PCP), rassemblant des policiers
report 2018 » ; Organe international
de contrôle des stupéfiants des Nations unies, et des gendarmes (actifs ou retraités) favorables à une légalisation.
« Rapport 2017 » ; ministère des affaires Bénédicte Desforges, Flic. Chroniques de la police ordinaire, Michalon, 2007.
étrangères des États-Unis, « International
narcotics control strategy report », mars 2018. AFRIQUE DU SUD Et « Politique du chiffre et délit d’usage de stupéfiants », 6 octobre 2018,
http://police.etc.over-blog.net
NARCORRIDOS Record
En France, les saisies de cocaïne
Chants traditionnels d’Amérique centrale vantant les exploits des héros se sont élevées à 17,5 tonnes en
de la culture populaire, les corridos célèbrent aussi les seigneurs de la 2017, un niveau record. La
drogue : on parle alors de narcorridos. En 2011, pureté moyenne de
le gouverneur de l’État du Sinaloa, au Mexique, berceau la cocaïne atteint 59 %
de l’un des cartels les plus puissants du monde, dans les saisies de rue,
plus du double de celle
a interdit leur diffusion dans les discothèques et de 2011, et les points
les bars. Entre 1992 et 2011, une dizaine de chanteurs de vente se multiplient.
de corridos ont été tués, rapporte le journaliste « Substances
Raphaël Morán, citant une source gouvernementale : psychoactives, usagers et
« Le crime organisé ne se combat pas seulement par marchés : les tendances
la force. C’est également une lutte culturelle... » récentes (2017-2018) »,
Blog « Au cœur du Mexique », Médiapart.fr, 20 mai 2011. Tendances, n° 129, OFDT,
décembre 2018.
220 PAGES
12 €
UN ATLAS EXHAUSTIF Pour chacun des 198 pays du monde, les PLANÈTE Alors que la fréquence et les coûts des catastrophes
chiffres-clés (population, PIB, part du commerce avec la Chine et les naturelles ont battu des records en 2018, les Etats ne sont pas parvenus
Etats-Unis...), une carte et une analyse politique et économique de à s’accorder, à la COP24, sur les mesures à prendre.
l’année par les correspondants du Monde.
FRANCE Emmanuel Macron, tout à ses réformes, n’a pas pris la mesure
UN PORTFOLIO 16 pages des meilleures photos d’actualité de l’année, de l’écart entre « les premiers de cordée » et « les invisibles » : la révolte
sélectionnées par le service photo du Monde. des « gilets jaunes » signe le retour de la question sociale.
INTERNATIONAL Le recul des démocraties face aux régimes IDÉES Catherine Deneuve, Roberto Saviano, Tony Blair, Yann Arthus-
autoritaires et à la montée de l’extrême droite dans le monde ; les Bertrand, Laurent Gaudé.., les textes publiés dans Le Monde qui
guerres commerciales de Trump ; Mohammed Ben Salman en échec ont marqué l’année 2018 .Astrid54
face à l’Iran ; le jeu de dupes du Brexit.
V
MANIÈRE DE OIR