Poeti 142 0239

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LA RÉCEPTION DE LA RECHERCHE : UNE QUESTION DE GENRE ?

Ioana Vultur

Le Seuil | « Poétique »

2005/2 n° 142 | pages 239 à 254


ISSN 1245-1274
ISBN 9782020687704
DOI 10.3917/poeti.142.0239
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/revue-poetique-2005-2-page-239.htm
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Ioana Vultur
La réception de la Recherche :
une question de genre ?

L’étude de la réception d’une œuvre a un intérêt à la fois historique et théorique.


Loin de se contenter de l’accumulation de données, une telle analyse vise à nous
apprendre quelque chose sur l’identité instable des œuvres, sur les dérives des
cadres génériques et interprétatifs. L’analyse d’un cas concret, celui de la Recherche,
me permettra ainsi de me demander dans quelle mesure la réception d’une œuvre
est une question de genre, c’est-à-dire de voir de quelle façon les textes critiques
mobilisent des cadres génériques pour catégoriser l’identité de l’œuvre. On peut
penser que, d’un côté, ces catégorisations traduisent le mode de lecture des cri-
tiques et, de l’autre, orientent l’acte de lecture du public, pour autant que son
accès à l’œuvre est médiatisé par les textes critiques. Je me bornerai à analyser la
réception de la Recherche dans son contexte d’origine, à savoir depuis la parution
du premier volume, Du côté de chez Swann, en 1913, et jusqu’en 1930 environ,
puisque Le Temps retrouvé paraît en 1927.
Je prends l’exemple de la Recherche parce que, depuis l’origine, cette œuvre a
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posé des problèmes du point de vue de son identification générique. Si l’on suit
Jean-Marie Schaeffer, qui propose de distinguer le genre, qui structure un certain
type de lecture, et la généricité, qui, par son aspect dynamique et sa dimension
temporelle, est un facteur productif de la constitution de la textualité1, on peut
dire que la Recherche est un très bon exemple d’une situation où généricité tex-
tuelle et classification générique entrent en conflit. Du fait de la nouveauté et de la
complexité de l’œuvre proustienne, les premiers critiques, et, on peut le supposer,
nombre d’entre les premiers lecteurs, avaient beaucoup de difficultés à l’insérer
dans l’horizon d’attente générique de l’époque. A cela s’est ajouté un deuxième
problème : les premiers lecteurs ne disposent que d’une partie de l’œuvre. De ce
fait, les identifications génériques de la Recherche auront tendance à se déplacer au
fil de la parution des volumes.

Dans un premier temps, j’essaierai de voir comment certaines catégories géné-


riques ont été utilisées comme catégories de classification, comme normes de lec-
ture : on verra ainsi que le roman proustien est souvent lu à travers le prisme du
roman classique (balzacien, anglais ou stendhalien). Je montrerai ensuite que
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même lorsque les critiques sont conscients de ce qui est une des innovations de
l’œuvre proustienne, à savoir l’analyse psychologique, ils ont souvent tendance à la
ramener à la tradition. Ce n’est que peu à peu qu’ils prennent conscience du fait
que les traits les plus prégnants de l’œuvre – ceux qui relèvent d’une psychologie
de la subjectivité – sont liés à la difficulté qu’il y a à ramener le roman dans un
genre et exigent plutôt qu’on le situe dans le cadre d’une vision de l’art qui trans-
cende les genres : le modernisme.
Dans un deuxième temps, je montrerai que les catégories génériques n’ont
cependant pas fonctionné uniquement comme des classifications par rapport aux-
quelles la singularité de l’œuvre proustienne ne pouvait apparaître que comme un
écart, mais qu’elles ont eu aussi une fonction positive, heuristique. Si les lecteurs
s’interrogent sur le genre de l’œuvre, c’est précisément parce qu’il s’écarte du modèle
du roman classique et du roman psychologique, donc justement parce qu’ils ont une
conscience de la différence entre sa généricité intrinsèque et l’horizon générique
constitué.

L’horizon d’attente réaliste

Conçu comme norme de lecture, on peut dire que le genre est un ensemble de
normes, de règles de jeu qui renseignent le lecteur sur la façon dont il devra com-
prendre un texte donné supposé relever du genre en question2. Cette norme de
lecture constitue en fait un horizon d’attente, un cadre donné d’avance, qui per-
met aux lecteurs de situer l’œuvre nouvelle qu’ils rencontrent dans un cadre plus
ou moins familier, susceptible d’orienter la lecture. Or, en réalité, le roman prous-
tien a marqué un tournant dans la littérature narrative. Sa nouveauté, sa structure
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romanesque complexe, pluridimensionnelle, ont donc provoqué la déroute des
premiers lecteurs.

Une première réaction a été tout simplement d’accuser l’œuvre d’être mal com-
posée. Selon Jacques Rivière, Du côté de chez Swann est « encore beaucoup plus
mal composé qu’aucun des livres de Larbaud »3, et il ajoute qu’« on voit tout ce
que le procédé implique d’abandon et de renoncement aux vertus classiques de
composition dont nous autres Français sommes en général si fiers »4.
Dans le Candide du 26 mai 1927, Louis Bertrand note qu’« un autre charme qui
éblouit les snobs, c’est l’amorphisme invraisemblable de [l]a composition », et que
la phrase de Proust est « très souvent un laborieux et volontaire galimatias, qui vise
à donner l’illusion de la profondeur, de l’extrême subtilité, ou de l’extrême délica-
tesse »5.
Au-delà de ce constat purement négatif, les critiques ont surtout tenté de rame-
ner l’œuvre à un horizon d’attente familier. L’horizon d’attente prévalent lors de la
parution du premier volume a été le cadre réaliste, cadre dominant à l’époque dans
le champ de la littérature narrative : le roman balzacien fonctionnait comme un
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modèle quant à la forme (c’est un roman qui a à la base une action, une intrigue)
et quant au contenu (le roman est surtout compris comme « peinture de la
société », comme roman de mœurs). Le public était donc prédisposé à ce mode de
réception, et a, dans un premier moment, tenté de ramener la Recherche au roman
balzacien.
Et en effet, dans les textes critiques de l’époque, la Recherche est souvent compa-
rée à la Comédie humaine de Balzac et sera appelée à son tour une « comédie
humaine ». Léon Daudet souligne que l’œuvre de Proust, tout comme celle de Bal-
zac, possède l’universalité6, la seule différence qu’il aperçoit étant que « la trame
romanesque » est « d’un grain moins serré que chez Balzac, par la constante pré-
sence et intervention de la personnalité de l’auteur »7.
Pour Benjamin Crémieux, l’œuvre de Proust n’est pas « un tableau de la société »,
mais – comme l’œuvre balzacienne serait-on tenté d’ajouter – « un essai sur la
transformation de cette société », « une somme de la vie française, des façons de
penser et de sentir françaises entre 1870 et 1914, et plus particulièrement
entre 1890 et 1902 »8. Au roman comme tableau de la société, comme peinture de
mœurs est opposé ainsi un roman qui explore des modes d’être, de penser, un ima-
ginaire social.
Le roman de Proust est donc lu selon le modèle balzacien. Mais en même temps
on se rend bien compte qu’il ne se conforme pas réellement à ce modèle. Il est révé-
lateur que, même pour rendre compte des écarts du roman proustien par rapport au
roman balzacien, on en reste souvent à un cadre réaliste. Ainsi, ceux qui soulignent le
manque de composition du roman le rapprochent de la tradition du roman anglais.
Partant de l’idée reçue selon laquelle, par opposition au roman français qui est syn-
thétique et bien composé, le roman anglais se caractérise par un goût du détail, un
sens de l’analyse et de l’observation, on prétend retrouver ces traits chez Proust. Paul
Souday par exemple critique les longueurs, les surcharges du roman, le « récit
touffu»9, les «phrases enchevêtrées»10, le «style surchargé»11, qu’il compare à celui de
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Saint-Simon, tout en reconnaissant que, malgré tout, il traduit « une imagination
luxuriante, une sensibilité très fine, l’amour des paysages et des arts, un sens aiguisé
de l’observation réaliste et volontiers caricaturale »12, autant de traits par lesquels le
roman de Proust ressemble plutôt aux romans anglais qu’aux romans français :

Il y a, dans ses copieuses narrations, du Ruskin et du Dickens. Il est souvent embar-


rassé par un excès de richesse. Cette surabondance de menus faits, cette insistance à
en proposer des explications se rencontrent fréquemment dans les romans anglais,
où la sensation de la vie est produite par une sorte de cohabitation assidue avec les
personnages. Français et Latins, nous préférons un procédé plus synthétique13.

Raphael Cor, dans un article des Nouvelles littéraires, intitulé « Marcel Proust et
la jeune littérature », fait lui aussi un rapprochement avec le roman anglais, notant
qu’« il est regrettable que, procédant à la manière anglaise, qui est si peu celle de
chez nous, il s’évertue à tout dire, à ne faire grâce d’aucun détail, comme s’il crai-
gnait de laisser fuir le trait essentiel, celui-là justement que retiendrait le grand
artiste »14.
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Si certains critiques rapprochent le roman proustien des intrigues touffues des


romans anglais, d’autres au contraire lui reprochent son manque d’intrigue. L’inno-
vation est pensée dans les cadres de la tradition, donc non pas comme quelque chose
qui change le canon littéraire, mais comme quelque chose qui le confirme. Dans
Le Temps du 10 décembre 1913, Paul Souday se demande ainsi : « Bonne enfance a
donc été remplie par une foule d’événements extraordinaires? En aucune façon: il ne
lui est arrivé rien de particulier15. » Tant que le manque d’action est vu par rapport
aux attentes du roman réaliste, il ne peut apparaître que comme un défaut. Il faut
que ce manque d’action soit rapporté à un autre genre – en l’occurrence celui du
roman psychologique – pour se transformer en trait positif: le manque d’action exté-
rieure est alors la contrepartie d’un déplacement vers l’intériorité.
On relève un signe de ce passage chez Henri de Régnier. S’il appelle la Recherche
un « roman de mœurs », une « peinture de la société » de type balzacien, il souligne
néanmoins qu’il ne peut trouver chez Proust que des parties de Balzac et qu’en fait
la Recherche se rapproche plutôt de la variante psychologique du roman classique
– Stendhal16 :

Où sont chez l’auteur de Du côté de chez Swann et de La Prisonnière, la faculté


constructive, l’invention dramatique, la vue objective des personnages, la philoso-
phie des sujets qui font de Balzac le prodigieux génie qu’il est ? Je trouve chez Bal-
zac la peinture générale d’une époque en ses idées, en ses mœurs, en ses diverses
classes sociales, une Comédie humaine complète dont un Marcel Proust ne nous
propose que quelques scènes traitées avec une minutie admirable, une merveilleuse
perspicacité, mais traitées à un point de vue subjectif et relevant d’un certain égo-
tisme que n’a pas connu Balzac, mais dont Stendhal a été l’exemple le plus glorieu-
sement curieux […]17.
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En fait la référence à Stendhal permet de prendre en compte le côté subjectif de
la vision proustienne. Ainsi, Daudet, déjà cité, notait que Proust s’éloignait de Bal-
zac à cause de la présence envahissante de sa personnalité : l’intrigue est remplacée
par un autre liant tout aussi important, à savoir la subjectivité, aspect sous lequel le
roman proustien, selon Daudet, se rapproche du roman de Stendhal.
Toutefois le roman stendhalien, malgré l’importance de la perspective subjec-
tive, reste un roman d’action, ce qu’on ne peut pas dire du roman proustien. Dans
L’Action française du 3 septembre 1925, Orion écrira ainsi qu’« il y a peu d’événe-
ments dans l’immense roman de Proust, peu d’événements importants, mais [que]
les petits événements de la vie personnelle y prennent une importance qui d’abord
paraît insolite et qui se justifie à la réflexion »18. A la réflexion, c’est-à-dire à condi-
tion, ajouterions-nous, qu’on cesse de situer le roman par rapport au cadre du
roman classique, fût-il stendhalien.
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L’horizon d’attente du roman psychologique

Peu à peu, on voit donc se constituer un horizon d’attente différent du réalisme


balzacien, celui du roman psychologique.
Dans Le Figaro du 27 novembre 1913, Lucien-Alphonse Daudet opposait ainsi
la sécheresse de l’analyse de George Meredith dans L’Egoïste ou Amazing Marriage
à l’analyse proustienne, qui décrit les choses « de l’intérieur » : « l’analyse de tous
les sentiments, de toutes les sensations, de tous les raisonnements même, de toutes
les heures du jour, de tous les aspects de la nature19. » L’œuvre de Proust était ainsi
opposée au roman anglais. On voit donc, soit dit en passant, que selon les traits
textuels qui sont sélectionnés on peut soit rapprocher, soit opposer la Recherche au
roman anglais, ce qui montre bien le caractère très sélectif de ces grilles génériques
fonctionnant comme des horizons d’attente : elles ne retiennent que certains
aspects de l’œuvre et sont incapables de saisir sa forme interne.
Dans un article intitulé « La psychologie de Marcel Proust », Benjamin Crémieux
souligne que « c’est par l’emploi de la méthode introspective, appliquée par lui à
l’étude des sentiments individuels, que Proust a réussi à renouveler la peinture des
mœurs mondaines et à faire paraître pauvres celles d’un Bourget ou même d’un
Balzac »20. Selon Jacques Rivière, Proust « renouvelle toutes les méthodes du roman
psychologique »21 : « la nouveauté de son œuvre, c’est qu’elle s’attache à la fibre
même du cœur22. » Dans Marcel Proust et la tradition classique, Rivière n’est pas en
reste et compare la Recherche, d’une part, avec Le Culte du Moi de Barrès et avec le
roman psychologique symboliste, roman subjectiviste, imprégné de lyrisme, qui
se caractérise par « une certaine manière de ne s’aborder soi-même qu’en songe »23,
et avec Flaubert et l’école réaliste, d’autre part. Au contraire de Flaubert qui n’a pas
su se saisir lui-même, Proust voit les choses extérieures sous le même angle où il se
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voit lui-même, il va chercher autrui en lui-même24.
Mais lorsqu’on situe Proust dans le cadre du roman psychologique, on doit bien
admettre que, là encore, il est rare qu’on reconnaisse la nouveauté de son œuvre.
On y voit bien un renouvellement du roman psychologique, mais ce renouvelle-
ment est en général interprété comme étant en même temps un retour à une vertu
transgénérique supposée de la littérature française comme telle, et surtout de la lit-
térature du Grand Siècle : la dissection des mœurs. Selon Jacques Rivière, Proust
« voit [le monde] avec l’œil à facettes et le rend avec le style de Saint-Simon », la dif-
férence étant que « le flot historique » est remplacé par un « flot psychologique »25.
La référence à Saint-Simon est récurrente et liée au désir de rattacher Proust au
modèle classique. Autrement dit, ce en quoi il innove par rapport à ses contempo-
rains est en même temps ce qui l’ancre dans la littérature classique. Paul Souday
écrit dans Le Temps du 12 mai 1922 que « sur toute cette menue psychologie et
casuistique mondaine, M. Proust est excellent, non moins qu’inépuisable, et [qu’]il
rappelle, avec presque autant d’agrément, Saint-Simon et Mme de Sévigné »26.
Plusieurs autres critiques, comme René Rousseau, qui considère Proust comme un
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« peintre de l’âme »27, le situent dans la tradition des « meilleurs moralistes et


analystes du cœur humain : un Saint-Evremond, un La Bruyère, un La Roche-
foucauld »28 :

Qu’en Proust cependant le portraitiste, le mémorialiste, le romancier, ne nous fasse


pas oublier le moraliste ! On réunira sans doute un jour en un volume les réflexions
psychologiques et morales qu’il a semées dans les pages de son œuvre, et l’on verra
à quel point il se relie à la pure tradition des grands moralistes français29.

Albert Thibaudet de son côté compare l’analyse « pure, technique et froide » de


la Recherche avec le « lyrisme intellectuel du troisième livre des Essais, le plus per-
sonnel, le plus indépendant, celui qui a capté le plus directement sur le griffon »30,
puisque « c’est de la vie directe, fraîche, qui jaillit de toutes parts sur le terrain »31.
Le sens de l’objectivité que Proust applique à la peinture de l’amour, qui est le
sentiment le plus subjectif, est tout le contraire du lyrisme et de l’effusion roman-
tique. La démarche de Proust est ainsi opposée par Rivière à celle du romantisme,
qui « consiste à montrer des personnages qui ne comprennent absolument rien à
eux-mêmes et qui se dépensent en gestes et en émotions et en sanglots qui leur
paraissent d’autant plus beaux qu’ils peuvent moins en rendre compte »32. Dans la
conception de Rivière, Proust renoue au contraire avec la peinture des sentiments
et des passions de Racine, le moi chez lui étant dépassé, transcendé comme chez
les classiques33. Ainsi, pour pouvoir faire l’éloge de l’œuvre proustienne, même
Jacques Rivière doit en réduire la nouveauté à quelque chose qui est connu.
L’œuvre proustienne est en quelque sorte retournée sur elle-même : elle est rappor-
tée aux classiques parce que la critique opposait une résistance marquée vis-à-vis de
la modernité, dont elle acceptait difficilement les critères.
L’insistance sur l’« objectivité » va amener un autre rapprochement, celui avec la
science. Benjamin Crémieux considère ainsi que « par son travail de romancier, de
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psychologue, de moraliste, il a jeté un pont entre la littérature d’expression et la lit-
térature de connaissance »34.
Jacques Rivière rappelle aussi que « son œuvre est le résultat d’un effort de
connaissance objective du monde sans cesse altéré par le souvenir »35. La « révolu-
tion classique » de Proust est comparable, selon lui, à la révolution scientifique de
Kepler, Claude Bernard et Auguste Comte, Proust ayant introduit l’esprit positif
dans la peinture des sentiments36. Proust est « savant et romancier » à la fois37,
savant et artiste38.
Son analyse psychologique est comparée par Jacques Rivière à celle d’un anato-
miste39. Proust est comparé également à un neurologue40, à « un microbiologiste
de l’âme »41, parce qu’il entreprend des « recherches presque scientifiques sur les
modifications et les causes de l’idée de l’amour »42, qu’il réalise un « important tra-
vail de biologie »43.
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Vers un Proust moderniste et transgénérique

A sa mort en 1922, Proust avait atteint le zénith de la gloire. La majorité des


articles qui font partie du numéro d’Hommage paru en 1923, à l’occasion de la
mort de Proust, sous la direction de Jacques Rivière, ne font que reprendre l’inter-
prétation classique et scientifique de l’œuvre. Dans ce recueil, il y a cependant
quelques articles qui renvoient à certains aspects novateurs de l’œuvre et en ce sens
on peut y voir l’indice d’un tournant.
Ce tournant est en l’occurrence un tournant de l’interprétation objectiviste vers
l’interprétation subjectiviste. Il marque un dépassement de l’horizon d’attente du
genre romanesque comme tel, élément déjà sensible lorsqu’on comparait Proust
aux moralistes du Grand Siècle. Mais cette vision restait, malgré tout, une vision
objectiviste. C’est sans doute la parution de La Prisonnière, fin 1923, qui joue le
rôle essentiel dans le passage d’une vision classique à une vision moderniste, ce qui
implique du même coup l’abandon de l’idée d’une appartenance obligée de
l’œuvre au genre romanesque44.
Albert Thibaudet affirme ainsi que si «Proust a reculé les limites à l’intérieur des-
quelles il est permis à un romancier d’exprimer la vie»45, c’est parce que les person-
nages, qui sont chez lui toujours des comptes ouverts, prennent toujours «des aspects
nouveaux, imprévus, jamais contenus dans leur figure antérieure»46. Mais il ajoute:

Je viens d’employer le mot de romancier, bien que l’œuvre de Proust puisse être
dite plutôt une évanescence et une dissolution qu’une progression et un enrichisse-
ment du roman47.

Cette dissolution ou évanescence du roman est liée d’abord à ce qu’on pense


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être le parti pris subjectiviste ou impressionniste de Proust qui dissout l’action
dans les personnages et les personnages dans leurs passions et impressions48. Dans
le numéro d’Hommage, Henri Ghéon insiste ainsi sur l’impressionnisme de Proust
quand il écrit que « tout ce qu’il nomme affection, passion, pensée demeure encore
sensation, ce qui est une grande nouveauté en psychologie romanesque »49. Trois
articles, « La dissolution de l’individu » de Paul Desjardins, « Sur la psychologie de
Marcel Proust » d’Edmond Jaloux et « La conception subjectiviste de l’amour »
d’Emma Cabire, mettent en évidence la subjectivité dans la peinture de l’amour et
la nouveauté des personnages proustiens, qui sont des « êtres vivants », qui ne res-
semblent ni aux « portraits » de Saint-Simon, ni aux caractères de La Bruyère, ni
aux types balzaciens. Le 15 octobre 1924, Benjamin Crémieux montre qu’à la dif-
férence de Balzac et de Stendhal qui projettent « des êtres vivants et agissants »50,
« Proust, lui, nous invite à nous installer au centre de sa création, en lui, pour y
regarder fourmiller l’âme multiple du héros »51.
Mais si Proust échappe au roman c’est aussi parce qu’il fait partie de la révolu-
tion moderniste qui n’a que faire des règles et des cadres établis ; Rivière trouve
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des points communs entre Proust et les cubistes52, entre Proust et Freud, car
« comme l’œuvre de Freud, celle de Proust ouvre une voie nouvelle, une direction
nouvelle à la psychologie romanesque et littéraire »53, par la découverte de l’in-
conscient. D’autres critiques comparent Proust à Bergson et à Einstein54. Son
œuvre est analysée ainsi dans le contexte plus large de l’époque et de ce qui fait sa
modernité.
René Rousseau appelle Proust un « artiste de l’inconscient » puisqu’« il s’attache,
non pas à la signification conventionnelle de nos actions, mais aux états d’âmes,
causes premières de ces actions »55, tout en soulignant, à la différence de Rivière,
que « l’art de Marcel Proust » est « un art non pas intellectuel, mais psychique »56,
qui se situe à la frontière du conscient et de l’inconscient, à la frontière de l’Art et
du Rêve.
A partir de 1923, les interprétations en termes modernistes, subjectivistes abon-
dent. Dans « Le roman et la peinture de la société », André Chaumeix souligne ainsi
que « c’est un changement considérable [du genre romanesque] que de tenir […]
pour essentielle la multitude des impressions à peine conscientes qui composent la
vie sensible », « de compter désormais pour valable et significatif, non pas ce que
nous pensons, mais ce que nous sentons »57. Paul Souday affirme que Proust est
« subjectiviste » et « purement impressionniste », et que, « comme les Goncourt, à
défaut du génie philosophique, il a d’autres dons »58. Pour Benjamin Crémieux,
« la grande, l’essentielle nouveauté qu’apporte Albertine disparue »59 c’est « que les
sentiments existent »60. Bien qu’il apprécie qu’« au terme de la psychologie subjec-
tive de Proust, on trouve une sorte de psychologie sociologique, d’universalisme
mental et sentimental »61, il souligne que chez Proust « les sentiments existent en
soi, mais d’une existence contradictoire et hétérogène toute différente de celle que
nous décrivait la psychologie classique »62. Contrairement à un roman psycho-
logique, le roman de Proust fait découvrir aux critiques qu’est en jeu le concept
même de personne, ce qui a entraîné un changement du statut du personnage
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littéraire.

Cette découverte du caractère moderniste de l’œuvre va de pair avec la célébra-


tion de la libre créativité proustienne à laquelle on ne demande plus qu’elle s’en
tienne à des règles préétablies. Jean de Pierrefeu, dans Les Nouvelles littéraires du
21 septembre 1928, souligne que si, avant, « l’art s’humiliait devant l’action et
reconnaissait sa suprématie »63, « maintenant l’esprit s’est délivré de cette servi-
tude »64, que la littérature n’est plus une imitation de règles, mais que « toute la
création est à nous, la création pleine de mystères, de séductions et d’inconnu,
comme au premier jour »65.
Les principales oppositions qui entrent en jeu dans cette valorisation de la
liberté créatrice sont : normativité extérieure au texte versus principe interne de
création, qui fonctionne comme une sorte de liant entre les différentes parties,
construction versus flou de la forme, œuvre-monument versus texte comme pro-
duction infinie, objectivité versus subjectivité, cette dernière étant considérée à son
tour comme un principe ordonnateur et unificateur, qu’elle soit attribuée au sujet
créateur ou au lecteur.
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Dans un article de 1923, René Boylesve avance ainsi l’idée que Proust « a donné
à son épopée l’aspect de mémoires afin d’éviter que l’on vînt le chicaner » sur le
manque de composition de son œuvre66. Ce qui donne cohésion à cette œuvre
c’est un principe interne de la subjectivité. A la composition classique est opposé
ainsi un autre type d’ordre, celui de la production spontanée de l’œuvre, ordre qui
est plus propre au genre de l’essai, Proust réussissant selon Boylesve à renouveler le
roman, en mélangeant deux genres, roman et essai, qui étaient séparés auparavant.
Selon André Gide ou Henri Ghéon, qui adoptent le point de vue du lecteur, son
livre « se lit page à page, à temps perdu, comme on lit les Essais »67.

La valeur heuristique du genre

Il ne faudrait cependant pas limiter le rôle des catégories génériques à cette seule
fonction de classification – battue en brèche dans le cas de Proust. Comme je l’ai
dit, le genre est aussi un outil heuristique, car il est une hypothèse sur le tout (sur
le sens d’ensemble du texte) qui est confronté aux parties, aux traits du texte ; il
sert à la découverte du sens et permet d’unifier l’interprétation68. Dans le cas
de Proust cet aspect heuristique est particulièrement important 1° du fait de la
complexité de l’œuvre et 2° du fait que les contemporains de Proust lisent les
volumes de la Recherche au fur et à mesure qu’ils paraissent, ils ne peuvent donc
pas avoir une vision d’ensemble de l’ouvrage avant la fin.

Partons du dernier point : la parution de ce livre s’étend sur plusieurs années69


et, chaque fois, les lecteurs sont amenés à se poser la question du genre, à corriger
leurs attentes. Gide note ainsi en 1921 « que même si les livres semblent ne pas
être composés », il « soupçonne déjà que tous les éléments s’en déploient selon une
ordonnance cachée »70.
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Albert Thibaudet, à son tour, note qu’« il fallait certainement attendre la fin de
l’ouvrage pour en apercevoir tout le panorama et pour en reconnaître toutes les
intentions »71, qu’« en effet, la nature propre du génie de Proust consiste à découvrir
toujours des tournants nouveaux, à faire de l’imprévu des éléments une des res-
sources continuelles de sa psychologie »72. Selon Edmond Jaloux, « pour porter un
jugement définitif, il faut attendre et voir la place que prendra La Prisonnière dans
l’énorme et magnifique monument de ALRTP »73. La conception de l’œuvre comme
monument s’oppose à une conception de l’œuvre comme création, comme poièsis.
Lors de la parution du Temps retrouvé, plusieurs critiques croient reconnaître dans la
Recherche une œuvre composée, au sens classique du terme, puisque le roman finit
comme il a commencé. L’unité de l’œuvre proustienne, comme celle d’un certain
nombre d’œuvres du XIXe siècle, est une unité « allégorique », qui se découvre après
coup74, unité qui n’exclut pas la complexité, la multiplicité.
On peut ainsi suivre les réorientations des catégorisations génériques au fil de la
parution des œuvres. Elles témoignent de la volonté des critiques d’adapter ces
catégories à la complexité de l’œuvre.
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248 Ioana Vultur

Au début, plusieurs critiques parlent de « souvenirs d’enfance », surtout lors de la


parution du premier volume, Du côté de chez Swann, bien que Proust ait protesté
dans une lettre à Robert de Montesquiou contre « un malentendu au sujet de [s]on
livre si composé et concentrique qu’on prendra pour des Mémoires ou des Souvenirs
d’enfance »75. Lucien-Alphonse Daudet, dans Le Figaro du 27 novembre 1913, défi-
nit Du côté de chez Swann comme une histoire d’amour encadrée par « deux récits
d’apparence autobiographique qui sont les plus beaux, les plus riches de tous les sou-
venirs d’enfance »76. « Un amour de Swann », quant à lui, est appelé par Edmond
Jaloux « l’un des plus beaux romans de passion et de jalousie », un « véritable roman
psychologique »77. Avec la parution du Côté de Guermantes, on insiste sur le « roman
de mœurs » à la Balzac. Paul Souday définit Le Côté de Guermantes comme des
« mémoires romanesques »78 et, après la parution de Sodome et Gomorrhe II, il voit
désormais en Proust « un des romanciers les plus captivants »79, tout comme Léon
Daudet80 ou Edmond Jaloux81. Lors de la parution de La Prisonnière, on découvre le
filon romanesque de la Recherche, l’attention se dirigeant de plus en plus vers le
roman psychologique.
Benjamin Crémieux note que les premiers admirateurs voyaient dans la
Recherche « une œuvre avant tout psychologique »82, mais que, depuis la publica-
tion du Temps retrouvé, la critique découvre « l’idée d’effort, l’idée de progrès, la
notion d’idéal » qui semblaient totalement absentes de l’œuvre proustienne. Du
coup, l’intérêt de la critique se déplace du psychologisme vers le roman philoso-
phique et le roman poétique, les lectures mystiques et poétiques de l’œuvre se mul-
tipliant après 193083.

L’autre point est que le fonctionnement heuristique des catégories génériques


permet aussi de rendre compte peu à peu de la complexité de l’œuvre en souli-
gnant sa multigénéricité et donc finalement son caractère irréductible à une ana-
lyse purement générique. Les difficultés de percevoir l’identité générique du texte
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sont ainsi mises en relation avec la structure complexe de l’œuvre, qui, comme
toute œuvre moderne, a tendance à transgresser les frontières entre les genres
(l’essai, le récit, le discours philosophique, etc.). La transgression des genres, la
multiplicité générique parlent de l’impossibilité de fixer l’œuvre dans un cadre
préexistant. Jacques-Emile Blanche se demande quelle est la place de l’œuvre
proustienne « entre la philosophie, la science, le poème épique, la satire, les
Mémoires et toutes formes cataloguées jusqu’ici de roman »84. Dans Le Figaro du
27 novembre 1913, Lucien-Alphonse Daudet parlait déjà d’une « complexité
invisible »85. Or, cette structure très complexe de l’œuvre a choqué les premiers
lecteurs.
Les critiques perçoivent dès le début la nouveauté de l’œuvre, mais ne sont pas
vraiment capables d’expliquer clairement en quoi consiste cette nouveauté. Selon
Edmond Jaloux, la nouveauté de la Recherche réside dans son « extraordinaire
diversité »86 qui est « variée d’une façon presque incompréhensible, car on y passe
presque sans transition de l’analyse psychologique la plus pénétrante à de véritables
fusées lyriques, de la scène comique à la parodie »87, et qui contient même des
scènes d’« un tragique presque shakespearien »88.
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La réception de la « Recherche » : une question de genre ? 249

Jean Cocteau définit la Recherche comme «une miniature géante, pleine de mirages,
de figures, de jardins superposés, de jeux entre l’espace et le temps, de larges
touches fraîches à la Manet »89.
Jean de Pierrefeu parle d’un « univers recréé à neuf, source d’émotions jamais
éprouvées, dont la fraîcheur, la diversité des nuances, la mouvante féerie nous
transporte au pays des Mille et Une Nuits »90, alors qu’Henry Bidou juge que « la
variété et la richesse de la pensée qui emplit ses volumes est inépuisable comme
celle de la vie »91. L’art est devenu création car il a la capacité de métamorphoser le
monde, de recréer la vie, ce qui est suggéré par des termes comme « féerie », « pays
des Mille et Une Nuits », « mirages », mais en même temps il est comme la vie, une
vie plus intense, plus réelle, plus complexe.
Les critiques utilisent des termes très généraux pour définir la Recherche, termes
qui mettent en évidence sa complexité, et qui ou bien ne renvoient à aucun genre,
ou bien renvoient à un genre romanesque qui combine tous les genres, ou sous-
genres. Jean-Marie Schaeffer remarque d’ailleurs que dès qu’un texte nouveau
transforme le genre, on le considère comme agénérique, alors qu’en fait « les grands
textes se qualifient non pas par une absence de traits génériques, mais au contraire
par leur multiplicité extrême »92.
Lorsque Henri Ghéon note que le livre de Proust « n’est pas un roman, ni un
récit, ni même une confession »93 mais « une somme de faits et d’observations, de
sensations ou de sentiments, la plus complexe que notre âge nous ait livrée »94, il
situe la Recherche en dehors des cadres d’un genre précis. Ce qui est suggéré de
cette façon est que, loin de changer seulement les codes d’un genre, la Recherche
a marqué le début d’un changement plus profond de la sensibilité.

Avec tous ses défauts, il nous apporte un vrai trésor de documents sur l’hypersensi-
bilité moderne. On y trouve de la poésie – et de la plus belle, de la psychologie – et
de la plus neuve, de l’ironie – et de la plus originale, une peinture du « monde »,
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que nul n’avait fait avant M. Proust, et enfin le spectacle d’une nature infiniment
douée, qui veut donner ses preuves avant d’avoir trouvé et sans même chercher sa
« forme »95.

François Mauriac, tout en soulignant que Marcel Proust a renouvelé un genre


littéraire, le roman, et le style, parle d’« une Somme de la sensibilité contempo-
raine »96, Benjamin Crémieux d’« une somme de la vie française »97, et René Boy-
lesve d’une « Comédie, le genre littéraire le plus universel, le plus sûr de gagner la
postérité, et le plus riche puisqu’il contient tout, même de la poésie »98. L’œuvre de
Proust sera considérée comme une synthèse de son temps, d’une nouvelle sensibi-
lité, donc comme un modèle de la modernité.

Enfin, l’œuvre proustienne ne transgresse pas seulement les frontières des genres,
elle est aussi vue comme déstabilisant en quelque sorte les frontières entre fiction
et non-fiction. Cette question est essentiellement problématisée à travers les dis-
cussions récurrentes concernant la question de savoir si l’œuvre proustienne relève
des Mémoires ou de l’autobiographie. Les premiers critiques de Proust ne lisent
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250 Ioana Vultur

pas vraiment l’œuvre comme une autobiographie pure, même s’ils confondent
assez souvent l’homme et l’œuvre99.
Henri de Régnier rattache Marcel Proust à « l’autobiographie du Journal et de
la Vie de Henri Brulard, au psychologue et à l’observateur moraliste qui unit tou-
jours à la curiosité qu’il avait d’autrui le culte qu’il avait de soi-même »100. René
Rousseau juge que « cette acuité dans la sensation, cette soif de sentir, enfin ce don
de décomposer les mouvements les plus ténus du cœur » rapprochent l’art de
Proust de « l’art impressionnable et féminin de Jean-Jacques, le Jean-Jacques des
Confessions et des Rêveries »101, donc du genre autobiographique. Edmond Jaloux
considère que la composition de la Recherche « est spéciale à un type d’ouvrage
unique qui tient à la fois du roman des mœurs, de l’autobiographie et des
mémoires »102. La Recherche est située donc quelque part entre le roman et l’auto-
biographie.
Ce statut ambigu entre fictif et factuel est souligné par Louis Bertrand qui parle
de « roman à clé »103, parce que les personnages ont des modèles dans la réalité. Il
faut noter que si Bertrand rapporte l’œuvre à la réalité, cela est contredit par la
conception de Proust, qui écrit dans une lettre à J. de Lacretelle que son œuvre
n’est pas la copie d’un modèle de la réalité, mais une synthèse imaginaire d’un réel
qui se décompose en une multiplicité d’images :

Cher ami, il n’y a pas de clefs pour les personnages de ce livre ; ou bien il y en a
huit ou dix pour un seul ; de même pour l’église de Combray, ma mémoire m’a
prêté comme « modèles » (a fait poser) beaucoup d’églises. […] Je vous le répète, les
personnages sont entièrement inventés, et il n’y a aucune clef104.

Selon François Fosca, l’œuvre proustienne diffère des Mémoires dans la mesure
où elle ne reproduit pas textuellement la vie réelle de Proust et ne contient pas les
portraits authentiques des individus que Proust fréquenta ou rencontra ; par ailleurs,
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même si on la considère comme des Mémoires, elle constitue un genre de Mémoires
assez particulier car, en comparaison avec les mémorialistes (Saint-Simon, Casanova,
Léon Daudet), Proust nous relate des événements passés mais tous ses efforts vont à
ce qu’ils redeviennent présents105. Ce statut ambigu est souligné aussi par Albert Thi-
baudet, qui affirme que Proust parle plutôt des autres que de lui-même et c’est pour-
quoi il définit la Recherche comme « Mémoires des autres »106.
Ce qui entre en discussion en dernier lieu c’est donc le statut pragmatique de
l’œuvre proustienne.

On pourrait dire que cette transgression du genre, cette multiplicité de traits


génériques n’est finalement qu’une confirmation du genre romanesque lui-même,
un genre caméléon, dont la forme change, qui se soustrait à toute définition. La
notion de roman comprise au sens classique n’est plus opérante : le genre roma-
nesque a été complètement renouvelé, grâce à la création d’un nouveau paradigme
que les critiques appelleront « roman proustien ».
L’horizon des contemporains de Proust est souvent limité, mais dans leurs cri-
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La réception de la « Recherche » : une question de genre ? 251

tiques transparaissent parfois les traits de l’œuvre moderne : le non-fini, « la perte


de sens, peu séparable au demeurant du refus de l’unité et de la totalité orga-
niques », sa complexité, le fragmentaire, la peinture de détails107. La complexité
devient le critère moderne qui remplace le critère romantique de l’unité organique
de l’œuvre. En 1926, l’œuvre proustienne devient à son tour un modèle pour la
littérature de son temps : Proust représente désormais la modernité108.
Mais en même temps, l’œuvre de Proust ne change pas seulement les conven-
tions du genre, c’est l’être même de la littérature qui se voit redéfini. L’originalité
de l’œuvre de Proust – écrit Jean de Pierrefeu en 1926, dans un article sur le livre
de G. Gabory Essai sur Marcel Proust – consiste en « une vaste entreprise de révi-
viscence du réel plutôt qu’une construction et une reproduction de la vie »109.
La discussion sur le genre nous mène finalement vers une discussion sur les
modes de représentation, sur les formes de sensibilité artistique (le changement
d’une sensibilité classique avec une sensibilité moderne) et non seulement sur le
changement des codes de la littérature classique avec ceux de la littérature
moderne. En partant du genre, j’ai été ainsi amenée à prendre en compte d’autres
aspects, comme le rapport de l’œuvre avec ce qui lui est extérieur (d’autres types de
discours que le discours littéraire à rôle modélisateur)110, le rapport de l’œuvre avec
la série littéraire ou bien le rapport réel/fictif, aspects qui font partie, à côté de
celui-ci, de la réception d’une œuvre. Ainsi, on pourrait se demander si le genre,
qui est, par définition, une catégorie à l’intérieur du champ littéraire, n’est pas éga-
lement une norme sociale.
L’apport d’une sociologie de la lecture serait nécessaire afin de voir quel était le
statut du discours critique à l’époque (conditions de production et réception et
pratiques de discours). Il s’agit de déterminer quelle audience avaient les critiques,
lesquels avaient une notoriété, à quel public ils s’adressaient et dans quelle mesure
leur discours critique influençait la perception des lecteurs de Proust.
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES © Le Seuil | Téléchargé le 19/01/2023 sur www.cairn.info (IP: 92.88.170.169)

GENETTE, Gérard, et al. (1986), Théorie des genres, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Points ».
COMPAGNON, Antoine (1990), Les Cinq Paradoxes de la modernité, Paris, Ed. du Seuil.
—, Théorie de la littérature : la notion de genre, cours sur Fabula.
COHN, Dorrit (2001), Le Propre de la fiction, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Poétique ».
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TODOROV, Tzvetan (1970), Introduction à la littérature fantastique, Paris, Ed. du Seuil, coll. «Points».
— (1978), Les Genres du discours, Paris, Ed. du Seuil.
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252 Ioana Vultur

NOTES

1. Jean-Marie Schaeffer, « Du texte au genre », in Théorie des genres, Paris, Ed. du Seuil, coll. « Points », 1986, p. 199.
2. Wolf Dieter Stempel, « Aspects génériques de la réception », in Théorie des genres, op. cit., p. 170.
3. Jacques Rivière, « Extrait de “L’évolution du roman après le symbolisme” », 1918, Quelques progrès dans l’étude du
cœur humain, Cahiers Marcel Proust no 13, Paris, Gallimard, coll. « NRF », 1985, p. 38.
4. Ibid.
5. Louis Bertrand, « Marcel Proust », Candide, 26 mai 1927.
6. Voir Léon Daudet, « L’universalité et le roman », NRF, 23 novembre 1922.
7. Ibid.
8. Benjamin Crémieux, « La psychologie de Marcel Proust », Les Nouvelles littéraires, 15 octobre 1924, p. 854.
9. Paul Souday, « Les livres : Le Côté de Guermantes », Le Temps, 4 novembre 1920.
10. Ibid.
11. Ibid. ; voir aussi Jacques Rivière, « Extrait de “L’évolution du roman après le symbolisme” », loc. cit., p. 38 : « Le style
d’autre part est lourd et surchargé. »
12. Paul Souday, « Les livres : Du côté de chez Swann », Le Temps, 10 décembre 1913.
13. Ibid.
14. Raphael Cor, « Marcel Proust et la jeune littérature », Les Nouvelles littéraires, 15 mai 1926, p. 50.
15. Paul Souday, « Les livres : Du côté de chez Swann », loc. cit.
16. Henri de Régnier, « La Prisonnière », Le Figaro, 1er avril 1924.
17. Ibid.
18. Orion, « Sur Marcel Proust », L’Action française, 3 septembre 1925.
19. Lucien-Alphonse Daudet, « Du côté de chez Swann », Le Figaro, 27 novembre 1913.
20. Benjamin Crémieux, « La psychologie de Marcel Proust », loc. cit., p. 860.
21. Voir Jacques Rivière, « Le prix Goncourt », 1er janvier 1920, Quelques progrès dans l’étude du cœur humain, op. cit.,
p. 55. « […] il renouvelle toutes les méthodes du roman psychologique, il réorganise sur un nouveau plan cette étude du
cœur humain, où excella notre génie, mais que le Romantisme avait, même chez nous, affaiblie, relâchée, obscurcie. »
22. Jacques Rivière, « Le roman de Marcel Proust », 1919-1920, in ibid., p. 49.
23. Jacques Rivière, « Marcel Proust et la tradition classique », 1er février 1920, in ibid., p. 62.
24. Ibid.
25. Jacques Rivière, « Marcel Proust et la tradition française », in NRF, Hommage à Marcel Proust, 1871-1922, Paris,
Gallimard, coll. « NRF », 1923, p. 135-136.
26. Paul Souday, « Les livres : Sodome et Gomorrhe II », Le Temps, 12 mai 1922.
27. Voir René Rousseau, « Marcel Proust et l’esthétique de l’inconscient », Mercure de France, 15 janvier 1922, p. 362-
368.
28. Léon Daudet, « Un nouveau et puissant romancier », L’Action française, 12 décembre 1919. Voir aussi Léon Dau-
det, « A propos d’un nouveau livre de Marcel Proust », L’Action française, 8 octobre 1920 : « Œuvre singulière et cependant
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rattachée à toute la lignée de nos meilleurs moralistes, depuis Montaigne jusqu’à La Bruyère et Saint-Evremond. »
29. Jacques Rivière, « Marcel Proust et la tradition française », loc. cit., p. 137.
30. Albert Thibaudet, « La Prisonnière », L’Europe nouvelle, 9 février 1924, p. 178.
31. Ibid.
32. Jacques Rivière, « Marcel Proust. L’inconscient dans son œuvre », 17 janvier 1923, in Quelques progrès dans l’étude
du cœur humain, op. cit., p. 183.
33. Jacques Rivière, « Le Moi chez les classiques », Une heure avec M. Jacques Rivière, directeur de la Nouvelle Revue
française, par Frédéric Lefèvre, in ibid., p. 201.
34. Benjamin Crémieux, « Note sur l’esthétique de Proust », NRF, 1er août 1928, p. 274.
35. Jacques Rivière, « Marcel Proust. L’inconscient dans son œuvre », loc. cit., p. 115.
36. Jacques Rivière, « Marcel Proust et l’esprit positif : ses idées sur l’amour », in Quelques progrès dans l’étude du cœur
humain, op. cit., p. 142 : « Je reste persuadé que nous sommes en face d’un esprit de même trempe que ces grands savants
et qui est venu accomplir dans la psychologie des sentiments une révolution du même ordre et de la même ampleur que
celles qu’ils ont accomplies en astronomie, en biologie ou en méthodologie. »
37. Jacques Rivière, « Le roman de Marcel Proust », loc. cit., p. 43 : « Rapprochement de l’attitude du romancier et de
celle du savant ».
38. Camille Vettard, « Proust et le temps », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 205.
39. Jacques Rivière, « Marcel Proust », 11 décembre 1919, in ibid., p. 52 : « M. Marcel Proust n’est soucieux de nous
montrer que le détail du sentiment ; il le poursuit avec une patience et avec un scrupule infini. Il entre dans ses caractères
sans brusquerie, mais tout de suite avec profondeur ; il les dessine par l’intérieur, s’attachant à en reproduire chaque fibre.
C’est un anatomiste. Il y a en lui un manque de paresse digne d’un savant. »
40. Gérard d’Houville, « Lectures pour moi (Marcel Proust : Albertine disparue, Robert Dreyfus : M. Proust à dix-
sept ans) », Candide, 18 février 1926 : « La beauté de cette œuvre (que l’on dit inachevée, et qualifiée de brouillon) me
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La réception de la « Recherche » : une question de genre ? 253

semble être cette étonnante, cette affreuse histoire, où l’amour, la vie et la mort finissent par se confondre après s’être
empruntés leurs prestiges au-delà des lois naturelles ; et où les affres du patient sont examinées avec la sagacité magique de
quelque savant qui tiendrait sous sa loupe le microbe amour. Surprenantes, effrayantes recherches d’un neurologue, sur
lui-même et sa propre neurasthénie et les extrêmes limites des vibrations de sa sensibilité, des effets de l’imagination et de
l’intuition combinés en poisons. »
41. Jean de Pierrefeu, « Quelques aspects de Proust », Les Nouvelles littéraires, 6 octobre 1928.
42. Edmond Jaloux, « Sur la psychologie de Marcel Proust », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 156.
43. Ibid., p. 157.
44. Alden W. Douglas, Marcel Proust and his French Critics, Los Angeles, Lymanhouse, 1940, p. 90.
45. Albert Thibaudet, « La Prisonnière », loc. cit., p. 179.
46. Ibid.
47. Ibid.
48. Voir Jacques Rivière, « Conclusions. Une nouvelle orientation de la psychologie », 31 janvier 1923, in Quelques
progrès dans l’étude du cœur humain, op. cit., p. 181 : « Le résultat est un évanouissement de l’être volontaire dans l’être
percevant et pensant. »
49. Henri Ghéon, « Quelques mots », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 235.
50. Benjamin Crémieux, « La psychologie de Marcel Proust », loc. cit., p. 857.
51. Ibid.
52. Jacques Rivière, «Conclusions. Une nouvelle orientation de la psychologie», loc. cit., p. 180: Le cubisme «[…] a donc
voulu peindre l’objet tel que le démembre la conscience affective ; il a peint l’objet dans la conscience, mais non plus seu-
lement tel qu’il s’y trouve au moment où il tombe (comme le peignait l’impressionnisme), il l’a peint tel qu’il devient
après y avoir séjourné, au moment où on se le rappelle, c’est-à-dire avec tous les prolongements, tous les vantaux, tous les
pavillons affectifs qui se sont greffés sur lui et ont dissocié sa forme. Oui, c’est bien quelque chose d’analogue que nous
trouvons chez Proust ; […] ».
53. Ibid., p. 182.
54. Voir, par exemple, Camille Vettard, « Proust et Einstein », NRF, juillet 1922.
55. René Rousseau, « Marcel Proust et l’esthétique de l’inconscient », loc. cit.
56. Ibid., p. 384.
57. André Chaumeix, « Le roman et la peinture de la société », La Revue des Deux Mondes, 1er avril 1928, p. 693.
58. Paul Souday, « Les livres : Albertine disparue », Le Temps, 28 janvier 1926.
59. Benjamin Crémieux, « Nouveauté d’Albertine disparue », NRF, 1er février 1926, p. 219.
60. Ibid.
61. Ibid.
62. Ibid.
63. Jean de Pierrefeu, « La leçon de Proust », Les Nouvelles littéraires, 21 septembre 1928.
64. Ibid.
65. Ibid.
66. René Boylesve, « Premières réflexions sur l’œuvre de Marcel Proust », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 111.
67. Henri Ghéon, « Du côté de chez Swann », NRF, 1er janvier 1914, p. 142.
68. Antoine Compagnon, « Onzième leçon : Genre et réception », Théorie de la littérature : la notion de genre, cours sur
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Fabula, p. 1.
69. Du côté de chez Swann paraît en novembre 1913, A l’ombre des jeunes filles en fleurs en juin 1919, Le Côté de Guer-
mantes, fin août 1920, en mai 1921 paraît Le Côté de Guermantes II. 1922 est l’année de publication de Sodome
et Gomorrhe II. Après la mort de Proust, le 18 novembre 1922, paraît La Prisonnière (1924), Albertine disparue (1926) et
Le Temps retrouvé (1927).
70. André Gide, « Billet à Angèle », NRF, 1er mai 1921, p. 589.
71. Albert Thibaudet, « Albertine disparue », L’Europe nouvelle, 13 février 1926.
72. Ibid.
73. Edmond Jaloux, « La Prisonnière », Les Nouvelles littéraires, 1er février 1924.
74. Voir Marcel Proust, La Prisonnière, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1988, p. 150 : « […] je songeais combien tout
de même ces œuvres participent à ce caractère d’être – bien que merveilleusement – toujours incomplètes, qui est le
caractère de toutes les grandes œuvres du XIXe siècle ; du XIXe siècle dont les plus grands écrivains ont manqué leurs livres,
mais, se regardant travailler comme s’ils étaient à la fois l’ouvrier et le juge, ont tiré de cette auto-contemplation une
beauté nouvelle, extérieure et supérieure à l’œuvre, lui imposant rétroactivement une unité, une grandeur qu’elle n’a
pas. »
75. Lettre d’avril 1912 à Robert de Montesquiou, Correspondance, t. XI, p. 90.
76. Lucien-Alphonse Daudet, Le Figaro, 27 novembre 1913.
77. Benjamin Crémieux, « La psychologie de Marcel Proust », loc. cit., p. 852.
78. Paul Souday, « Les livres : Le Côté de Guermantes », loc. cit.
79. Ibid.
80. Voir Léon Daudet, « L’universalité et le roman », loc. cit., et « Un nouveau et puissant romancier », loc. cit.
81. Edmond Jaloux, « L’œuvre de Marcel Proust », Les Nouvelles littéraires, 25 novembre 1922.
82. Benjamin Crémieux, « Où en est Marcel Proust ? », Candide, 28 août 1930.
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83. Voir, par exemple, L’Esthétique de Marcel Proust d’Emeric Fiser ou Etude sur Marcel Proust d’Edmond Kind, parus
en 1933.
84. Jacques-Emile Blanche, « III. Marcel Proust », Les Nouvelles littéraires, 21 juillet 1928.
85. Lucien-Alphonse Daudet, « Du côté de chez Swann », loc. cit.
86. Edmond Jaloux, « Le Temps retrouvé », Les Nouvelles littéraires, 3 décembre 1927.
87. Ibid.
88. Ibid.
89. Jean Cocteau, « Marcel Proust », Excelsior, 23 novembre 1913.
90. Jean de Pierrefeu, « La leçon de Proust », loc. cit.
91. Henry Bidou, « Le Temps retrouvé », Revue de Paris, 25 octobre 1927.
92. Jean-Marie Schaeffer, « Du texte au genre », in Théorie des genres, op. cit., p. 204.
93. Henri Ghéon, « Du côté de chez Swann », loc. cit., p. 142.
94. Ibid.
95. Ibid.
96. François Mauriac, « L’Art de Marcel Proust », Revue hebdomadaire, février 1921, p. 373-375.
97. Benjamin Crémieux, « La psychologie de Marcel Proust », loc. cit., p. 854.
98. René Boylesve, « Premières réflexions sur Marcel Proust », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 114.
99. Lorsque Paul Souday écrit, dans un article publié dans Le Temps du 10 décembre 1913, que Proust est « un
impressionniste, un nerveux, un sensuel, un rêveur », ou lorsque, dans Le Temps du 4 novembre 1920, il appelle Proust
« un esthète nerveux, un peu morbide, presque féminin », il ne définit pas pour autant son œuvre comme une autobio-
graphie, mais comme des « mémoires romanesques ». Lors de la parution du Côté de Guermantes en octobre 1920, Paul
Souday tout comme Boulenger accusent le narrateur proustien de snobisme, tout en admettant qu’il ne faut pas
confondre le narrateur et l’auteur. Dans un article intitulé « La psychologie de Marcel Proust » de la NRF du 15 octobre
1924, Benjamin Crémieux affirme que « le meilleur sujet (au double sens du mot) que Proust pouvait prendre pour une
étude positive des rapports entre la conscience et l’inconscient, c’était assurément lui-même : oisif, hypersensible, malade,
impulsif et observateur à la fois, “polymorphe”, comme le qualifie Rivière, sacrifiant tout pour recevoir “l’empreinte
exacte de la vie” » (p. 850). Le fait que dans La Prisonnière, Albertine appelle le narrateur « mon pauvre Marcel » lui per-
met d’identifier Proust et le narrateur, mais en même temps il souligne que la biographie que s’attribue Proust est
inexacte. Cette affirmation ne l’empêche pas de qualifier par la suite « Un amour de Swann » de « véritable roman psy-
chologique » (p. 852) et de définir la Recherche comme « le roman de la crise la plus caractéristique de la fin du XIXe et du
début du XXe siècle » (p. 854).
100. Henri de Régnier, « La Prisonnière », loc. cit.
101. Voir René Rousseau, « Marcel Proust et l’esthétique de l’inconscient », loc. cit.
102. Edmond Jaloux, « Le Temps retrouvé », loc. cit.
103. Louis Bertrand, « Marcel Proust », loc. cit.
104. J. de Lacretelle, « Les clefs de l’œuvre de Proust », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 201-202.
105. François Fosca, « La couleur temporelle chez Marcel Proust », in Hommage à Marcel Proust, op. cit., p. 240.
106. Albert Thibaudet, « La Prisonnière », loc. cit., p. 179.
107. Voir Antoine Compagnon, Les Cinq Paradoxes de la modernité, Paris, Ed. du Seuil, 1990, p. 34-36.
108. Alden W. Douglas, Marcel Proust and his French Critics, op. cit., p. 130.
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109. Jean de Pierrefeu, « L’œuvre de M. P. marque le début d’une révolution littéraire », Le Quotidien, 12 juillet 1926.
110. Entre le roman réaliste et le discours historique il y a des homologies, surtout que la poétique réaliste se fonde sur
ce que Barthes appelle « effet de réel » ou illusion de réalité. Le discours historique de l’époque privilégiait également
l’événement, s’intéressait aux personnalités, aux drames de l’histoire et négligeait la vie quotidienne, les faits prétendu-
ment insignifiants.

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