Stéreotype Manuel Scolaire
Stéreotype Manuel Scolaire
Stéreotype Manuel Scolaire
Amal OUSSIKOUM
Mounir OUSSIKOUM
Université Sultan Moulay Slimane
Beni Mellal (Maroc)
INTRODUCTION
Le manuel scolaire est un élément qui permet l'amélioration de la qualité
de l'enseignement ; c’est un outil qui accompagne l’apprenant surtout
pendant une période d’apprentissage où les connaissances et les
expériences des élèves sont réduites. Il n’est pas uniquement un moyen
d’apprentissage et d’évaluation des connaissances acquises mais aussi un
moyen permettant à l’apprenant de développer son imagination et de
forger sa propre personnalité.
1 Brugeilles C., Cromer S., Locoh T., (coord)), Analyser les représentations sexuées dans les manuels
scolaires. Application d’une méthode commune dans six pays : Cameroun, Madagascar, Mexique,
Sénégal, Togo et Tunisie, CEPED, Coll. les Numériques du CEPED,2008.
I. Présentation du corpus
Les manuels scolaires adoptent différentes stratégies pour véhiculer un
certain savoir voir même un art de vivre ; ce sont des méthodes employées
pour faciliter l’apprentissage que ce soit des textes ou des illustrations sous
différentes formes : photographies, dessins ou images2. Ces illustrations
servent à évoquer un objet ou un évènement dans la classe. Elles
contribuent à la compréhension certes mais leurs rôles est beaucoup plus
important dans la mesure où elles assoient une organisation mentale du
monde et peuvent être de ce fait source de stéréotypes et de préjugés. Nous
nous demandons alors jusqu’à quel point une illustration est bonne,
motivante et surtout efficace. Autrement dit, Ces illustrations ont –elles
une pertinence pédagogique et une fonction culturelle ?
Notre étude s’est arrêtée sur les manuels de français dans le fondamental
parce que c’est la base de l’apprentissage des enfants. Cette étude
exploratrice s’est basée essentiellement sur un corpus constitué de
manuels de français de l’enseignement fondamental répartis sur les cinq
années du primaire. L’objectif de l’apprentissage de la langue étant de
permettre le bon fonctionnement de la compétence de l’élève et ce dans
des situations multiculturelles communicatives différentes. L’idée est que
l’élève a la possibilité de perfectionner sa connaissance, sa compréhension
et son appréciation de la langue et de la culture tout en maintenant son
identité c’est-à-dire son appartenance à une collectivité, à un groupe ou à
une nation.
2 Sept catégories d’illustration peuvent être distinguées : photographies, dessins, cartes ou statistiques
(diagrammes, figures et représentations graphiques).
Nous essayons donc d’analyser le contenu culturel de quelques
illustrations jointes aux textes à savoir les coutumes, les arts, les gens,
l’alimentation etc. et d’identifier les valeurs véhiculées par ces derniers au
moyen des images : l’égalité, la paix, les droits de l’Homme, la
citoyenneté...
Si l’objectif de l’école marocaine est celui d’être « une école ouverte sur
son environnement », susceptible de tisser des liens avec la réalité sociale
économique et culturelle du pays avec toute sa diversité, les manuels
scolaires du moins ceux que nous avons soumis à l’étude ne reflètent pas
exactement le vécu des élèves.
Faire passer des valeurs, inculquer des conduites tel est l’objectif de
n’importe quelle système. La « Charte nationale d’éducation et de
formation » adoptée par le Maroc depuis 1999 vise à faire de l’école un
établissement vivant, ouvert sur son environnement et dont les bases sont
« l’apprentissage actif, la coopération, la discussion et l’effort collectif ».
Cette école offrirait, selon la charte nationale (art 7a) aux enfants et aux
jeunes « l'occasion d'acquérir les valeurs, les connaissances et les
habiletés qui les préparent à s'intégrer dans la vie active et leur offre
l'occasion de poursuivre leur apprentissage, chaque fois qu'ils répondent
aux conditions et détiennent les compétences requises, ainsi que
l'opportunité d'exceller et de se distinguer chaque fois que leurs aptitudes
et leurs efforts les y habilitent »
L’image jouit d'un statut particulier du fait qu’elle est aussi bien un moyen
d’apprentissage qu’un support de convictions et de désignations.
Cependant, si l’image est appréciée par beaucoup de pédagogues de par
son rôle explicatif et persuasif, elle reste aussi un objet de méfiance car en
plus de l'imaginaire vers lequel elle oriente et la fascination qu’elle suscite,
elle peut être à l’origine de beaucoup de stéréotypes que ce soit à propos
de Soi ou de l’Autre. L’image permet à certaines représentations inscrites
dans le système cognitif de l’individu de prendre forme. Si certaines
images stéréotypées passent inaperçues, d’autres cependant ne pourront
l’être. En fait, le caractère stéréotypé d’une image est déterminé par la
construction de l’image elle-même 3, sa hiérarchisation et sa
répétition 4.
3 Lignon, F., Études des stéréotypes de genres dans les manuels scolaires – 2013
http://www.academia.edu/5023460/FL_VP_HR_-in,
Etudes_des_st%C3%A9r%C3%A9otypes_de_genres_dans_les_manuels_scolaires_-_2013.
4 Lignon, F. op.cit. p : 8 « La construction de l’image elle-même, le positionnement des
personnages, les objets y figurant qui impliquent un usage sexué, les valeurs portées
par l’image, les codes sociaux qui s’y incarnent sont autant d’indices de la prégnance du
stéréotype. On doit y ajouter les discours qui se rapportent à l’image et qui peuvent participer à ancrer
le stéréotype par la banalisation d’une scène. Enfin, la hiérarchisation d’une image, sa répétition
jouent également un rôle dans la détermination du stéréotype de sexe au sein des
manuels. Une image peut ainsi devenir nettement discriminatoire (et non plus seulement
Ceci a un effet direct sur l’apprentissage5 puisque les apprenants pourront
créer des modèles internes susceptibles d’assimiler tous les thèmes
étudiés. Les illustrations permettent de donner beaucoup d’informations
mais aussi de concrétiser de nombreuses choses qui se trouvent dans le
texte ou qui expliquent des faits du réel. En effet, une image est une
représentation visuelle parfois mentale d’un objet, d’une personne ou d’un
concept ; son interprétation lorsqu’elle sert d’illustration et surtout
lorsqu’elle est sans légende, peut être faite différemment selon les
lecteurs. Dans ce cas, elle est sans pertinence et sans rapport avec le
contenu6.
porteuse de préjugés) quand un garçon ou une fille sont clairement exclu-e-s de la situation
présentée ».
5 De quel apprentissage s’agit-il ? Beaucoup de définitions ont été données à l’apprentissage selon les
théories adoptées. Les conceptions les plus importantes sont les conceptions behavioriste, cognitive,
humaniste et constructive.
6 Les images peuvent être supplémentaires, complémentaires ou incluses. Les premières apportent des
informations ou des explications supplémentaires au texte, les deuxièmes le complètent alors que l’on
parle du troisième type si le texte y fait référence.
7 Koukoutsaki Monnier, A., « Enjeux de mémoires et identités nationales : Autour d’un manuel grec
d’histoire Memory Issues and National Identities. On a Greek History Textbook », in Question de
Communication, Presses universitaires de Nancy, Éditions Universitaires de Lorraine, 2008.
d’un passé commun, d’une culture partagée entre les habitants d’un
territoire donné8 constituant ainsi l’âme de la nation. Si les manuels de
langue française étudiés exploitent de façon directe et indirecte la carte
géographique du pays, ils n’en profitent pas pour permettre à l’élève de se
faire une idée sur la position du pays par rapport à l’ensemble des pays où
le français est d’usage c’est-à-dire les endroits dans lesquels s’étale la
francophonie. L’ancrage de l’identité nationale apparaît à travers
l’utilisation de termes appréciatifs fortement ancrés dans notre réalité
culturelle mais aussi à travers la référence aux lieux rappelant la spatialité
géographique nationale mais ce sont aussi des images stéréotypées qui ne
s’éloignent pas beaucoup du grand Casablanca.
8Les membres d’une société, liés à un territoire déterminé, partagent une religion, des traditions, des
coutumes, etc. et constituent ainsi ce qu’on appelle l’âme de la nation. Koukoutsaki-Monnier précise
que ces termes sont assez ambigus et généralement problématiques à définir.
II. Vers la construction d’un profil identitaire national : un
stéréotype d’inclusion ou d’exclusion
Le manuel scolaire contribue, par le discours et les illustrations, au
façonnement des images et des sentiments que l’enfant devrait se
construire de son espace et de son identité nationale. Mais de quelle
identité pourrons-nous parler ?
Les images relatant les mœurs et les traditions permettent aux apprenants
de retrouver ou de reconnaître quelques points communs, mais la vision
d’ensemble reste assez floue car elle demeure peu explicite. L’art culinaire
9 Veut dire en amazighe Soleil.
et musical sont réduits à des exemples qui ne reflètent pas exactement le
fond artistique marocain : nas elghiwan10, Tamsamani11 et une cérémonie
de mariage dont l’appartenance est difficilement repérable.
Les textes, les images et les messages véhiculés ont certes une visée
linguistique qui consiste en un apprentissage de la langue mais ils ont aussi
des buts politiques, idéologiques, moraux qui sont souvent transmis de
manière sous-jacente. Pour pouvoir communiquer dans une langue, il faut
prendre en compte sa dimension culturelle car, selon Thévenin12, la
réflexion sur la langue entraîne, presque immanquablement, une réflexion
sur la culture correspondante et vice-versa. Ainsi, dans l’article 61 de la
Charte Nationale d’Éducation et de Formation, il est recommandé aux
pédagogues, aux enseignants et aux parents d’élèves d’assurer un
enseignement de qualité pour favoriser « L’appropriation des valeurs
religieuses, éthiques, civiques et humaines essentielles pour devenir des
citoyens fiers de leurs identité et de leur patrimoine, conscients de leur
histoire et socialement intégrés et actifs »13.
10 Nas elghiwan est un groupe musical marocain, né à Casablanca dans les années 1970.
11 Mohamed Ben Larbi Temsamani est un musicien et directeur d'orchestre marocain de musique arabo-
andalouse, né à Tanger en 1920 et décédé à Tétouan en 2001.
12 Thévenin, André., Enseigner les différences : la pédagogie des cultures étrangères, Paris, éd, Études
14Lelièvre, Françoise, Lelièvre, Claude, L'histoire des femmes publiques contée aux enfants, Paris,
Presses Universitaires de France, « Coll. Sciences Sociales et Sociétés », 2001, p. 198.
Le paysage social se transforme et tend vers une amélioration de la
situation actuelle. Il faudrait donc que tous les acteurs sociaux notamment
l’école échappent aux confrontations d’enjeux idéologiques et au
déterminisme rigide des rôles. El Malki déclare en 2005 alors qu’il était
ministre de l’éducation et de l’enseignement supérieure « Notre
responsabilité, au ministère, est de faire de l’élève un citoyen, qui respecte
entre autres valeurs, l’égalité entre les sexes »15.
Nous estimons, nonobstant, que les stéréotypes sexués par rapport aux
assignations des rôles et des tâches portent aussi bien sur les garçons que
sur les filles. Autrement dit, les manuels scolaires perpétuent l’idée selon
laquelle un ensemble d’attitudes et de compétences sont assignés aux uns
sans les autres, ce qui forgent notre vison de la société qui lie les femmes
aux activités casanières et les hommes à celles qui s’exercent à l’extérieur.
Or, et comme le signalent Lelièvre « nier la réalité sociale et historique
dans sa complexité et sa diversité aboutit à une représentation
caricaturale et unilatérale des images et des rôles masculins et
féminins »16. Les assignations sont les mêmes mais les conséquences sont
différentes. Ces stéréotypes jouent un rôle important dans la construction
15 Il s’agit de l’une des premières synthèses déclarées par El Malki suite à l’étude menée par la Ligue
de l’éducation aux droits de l’homme (Human Rights Education Associates) avec la Commission
centrale des droits humains et de la citoyenneté (CCDHC), consistant en une lecture des manuels
scolaires marocains.
16 Lelièvre, Françoise, Lelièvre, Claude, L'histoire des femmes publiques contée aux enfants, Paris,
L’élève à ce stade est plus sensible aux images, aux symboles mais aussi
aux contenus des textes qu’on lui présente. Ceci pourrait influencer ses
choix d’orientation mais aussi ses relations avec l’Autre notamment avec
les membres de sa famille. Les modèles d’identification permettent
d’accepter un certain contrat social et d’adhérer à ses normes et à ses
processus de socialisation notamment en ce qui concerne les relations
familiales.
17 Chaïbia Talal est une peintre autodidacte marocaine représentante de l’art naïf.
III. Les stéréotypes sexistes : un curriculum caché dans les manuels
scolaire
La construction d’un modèle sociale n’est guère le reflet de la réalité qui
est beaucoup plus complexe et variée. Quel modèle de société devrait-on
véhiculer et quel modèle souhaiterions-nous avoir aujourd’hui et demain ?
Une société où les rôles sont prédéfinis, les goûts sont établis, les
compétences et les qualités attendues ou une société qui permette à chacun
d’effectuer des choix de vie suivant ce qu’il est et non ce qu’il est censé
être.
18 « Sur le plan social, au-delà des réformes qu'il introduit, en adoptant une formulation moderne et en
se souciant de mieux préciser les droits et devoirs des composantes de la Famille, ce Code, en veillant
à garantir l'équilibre dans les rapports entre l'homme et la femme, met en place les préalables de la
consolidation de la cellule familiale, de sa cohésion et de sa pérennité. Ce faisant, il contribue à la
consolidation des bases de la société marocaine démocratique et moderne, ouverte sur son époque et
fidèle à son identité islamique et à ses traditions de solidarité familiale et de cohésion sociale. » Préface
de : DAHIR N°1-04-22 DU 12 HIJJA 1424 (3 FEVRIER 2004)) PORTANT PROMULGATION DE
LA LOI N°70-03 PORTANT CODE DE LA FAMILLE
(Bulletin Officiel n° 5358 du 2 ramadan 1426 (6 octobre 2005), p. 667)* in
http://www.lavieeco.com/documents_officiels/Moudawana.pdf
Beaucoup d’élèves ne se retrouvent pas dans les manuels, ils sont face à
des images dissonantes au niveau de leurs réalités familiales (ils sont
orphelins, handicapés, n’ont pas de chambre ni même pas de lit. Ils ont
beaucoup de frères et sœurs, leurs parents sont des personnes illettrées,
asociales ou même alcooliques). Ceci crée, comme l’atteste Perrenoud
Philippe 19, un décalage entre le discours didactique et la réalité sociale, en
même temps qu’un écart entre le curriculum formel et le curriculum réel.
Pour lutter contre les discriminations et les préjugés qui sont une atteinte
aux droits de l’Homme et dans le cadre de promouvoir ceux-ci et de créer
des modèles de représentation qui favorisent l’égalité entre les êtres
humains, les politiques éducatives se sont orientées à développer dans le
manuel scolaire d’autres modèles de comportements sociaux où tous les
élèves filles et garçons ont accès à l’éducation, au savoir et aux différentes
technologies. Ces modèles présentés en illustrations / images/ dessins/
photographies enferment, encore, malheureusement, les personnes dans
des rôles prédéterminés qui limitent le potentiel de l’élève. La technologie
est alors utilisée par la femme pour lui faciliter les tâches ménagères. Le
téléphone est une affaire de femme alors que les voitures relèvent toujours
du monde masculin. L'apport des femmes aux connaissances et aux idées
n’est pas mis en valeur essentiellement dans le domaine scientifique ; les
femmes illustrées sont essentiellement des institutrices, des infirmières,
des femmes de service ou des secrétaires.
Bibliographie