LEgo Est Lennemi (Ryan Holiday)
LEgo Est Lennemi (Ryan Holiday)
LEgo Est Lennemi (Ryan Holiday)
ses mots simples et calmes qui parfois vous apaisent, qu’il vit
lui-même sans difficulté. Sa vie n’est pas exempte de peines et
de tristesses qui le laissent bien en deçà d’elles. S’il en eût été
autrement, il n’aurait pas pu trouver ces mots-là.»
Ce livre ne parle pas de moi, mais puisqu’il parle d’ego, je vais répondre à
la question qu’il serait hypocrite de ma part de prétendre ne pas y avoir
pensé. Mais qui suis-je pour écrire ce livre?
Mon histoire n’est pas particulièrement importante pour les leçons qui vont
suivre, mais je voudrais vous la raconter succinctement pour donner le
contexte. Car l’ego, j’en ai fait l’expérience à chacun de ces stades de ma
vie: l’aspiration, la réussite et l’échec. Et encore, et encore.
Après avoir été le plus jeune cadre dans une agence de chasseurs de têtes à
Beverly Hills, j’ai participé à la signature de contrats et des sessions de
travail avec un certain nombre de grands groupes de rock. J’ai été conseiller
pour des ouvrages qui se sont vendus à des millions d’exemplaires et qui
ont créé leur propre genre littéraire.
Mais une histoire comme celle-ci n’est jamais vraiment honnête ni utile. En
vous la racontant, je viens de laisser beaucoup d’aspects de côté. Comme
par hasard, j’ai omis de mentionner le stress et les tentations; les chutes
vertigineuses et les erreurs – toutes les erreurs – n’ont pas été retenues pour
le montage de la bobine finale. Il y a des choses dont je me passerais bien
de parler: un lynchage en public de la part d’un individu que j’admirais et
qui m’a laissé si mal en point que j’ai fini aux urgences. Ou encore le jour
où j’ai manqué de courage et que j’ai dit à mon patron que je ne pouvais pas
m’occuper du montage, et que je reprenais mes études – je le pensais
vraiment. La nature éphémère de se retrouver au palmarès des meilleures
ventes (ça a duré une semaine). La séance de signature où un seul lecteur
m’a demandé une dédicace. La société que j’avais fondée qui a implosé et
que j’ai dû reconstruire. Deux fois. Voici des exemples de moments que j’ai
tout bonnement mis de côté.
Quoi qu’il en soit, cette image plus complète n’est qu’une fraction d’une
vie, mais elle a le mérite de toucher davantage les notes importantes – du
moins, celles qui le sont pour ce livre, à savoir l’ambition,
l’accomplissement et l’adversité.
Et pourtant, ils implosaient sous mes yeux, l’un après l’autre. Les rouages
se grippaient. Passer de l’envie de ressembler à quelqu’un toute sa vie à
refuser de devenir comme lui est une sorte de coup du lapin auquel on ne
peut pas s’attendre.
Je me souviens être rentré chez moi un jour après des semaines en tournée
et d’avoir ressenti une crise de panique intense parce que le wi-fi ne
marchait pas – si je n’envoie pas ces courriels… Si je n’envoie pas ces
courriels… Si je n’envoie pas ces courriels…
Quoi qu’il en soit, l’un des avantages de tout ça, c’est que ça m’a forcé à
accepter le fait que j’étais accro au boulot. Pas dans le sens «Oh, il travaille
beaucoup trop» ou «Détends-toi et lève le pied», mais plutôt «S’il ne se
pointe pas aux réunions et qu’il ne se désintoxique pas, il mourra
prématurément». Je me suis rendu compte qu’il y avait un prix à payer pour
la passion et le besoin qui m’avaient rendu prospère très tôt – comme chez
beaucoup d’autres. Ce n’était pas tant la quantité de travail le problème,
mais le rôle démesuré qu’il avait pris dans mon estime personnelle. J’étais
tellement enfermé dans mon esprit que j’étais prisonnier de mes pensées. Il
s’est ensuivi une sorte de routine d’ennui et de frustration, et je devais
comprendre pourquoi, à moins de vouloir finir d’une façon tragique.
J’ai écrit ce livre non pas parce que j’ai atteint une certaine sagesse qui me
ferait croire que je suis qualifié pour en parler, mais parce que c’est le livre
que j’aurais aimé trouver à des tournants critiques dans ma vie. Comme
chacun, j’ai dû répondre à la question la plus importante qu’on puisse se
poser dans la vie: Qui est-ce que je souhaite devenir? Et: Quel chemin vais-
je donc suivre? (Quod vitae sectabor iter?)
Alors que les livres d’histoire regorgent de récits sur des génies visionnaires
qui ont façonné le monde à leur image avec une force brute presque
irrationnelle, je pense qu’en cherchant bien, on découvre que l’Histoire est
aussi écrite par des individus qui ont combattu leur ego à chaque instant,
qui ont évité les feux de la rampe et placé les objectifs supérieurs au-dessus
de leur désir de reconnaissance.
C’est toujours agréable quand quelqu’un vous fait sentir spécial, capable ou
inspiré, mais ce n’est pas le but de ce livre. J’ai voulu classer ces pages de
façon que vous vous retrouviez au même stade que moi lorsque j’en ai
achevé l’écriture: vous penserez moins à vous. J’espère que vous serez
moins investi dans l’histoire que vous racontez sur votre propre spécificité
et, par conséquent, que vous serez libre d’accomplir la tâche que vous vous
êtes donnée et qui changera le monde.
INTRODUCTION
Vous êtes peut-être jeune et débordant d’ambition. Vous êtes peut-être jeune
et en difficulté. Vous avez peut-être déjà gagné vos deux premiers millions,
signé votre première grosse affaire, été choisi pour intégrer une élite, ou
peut-être avez-vous déjà accompli pas mal de choses. Vous êtes peut-être
étonné de voir combien c’est vide, là-haut. Peut-être que vous guidez
d’autres personnes qui traversent une crise. Peut-être que vous venez d’être
licencié. Peut-être que vous venez de toucher le fond…
Quelle que soit votre situation, quoi que vous fassiez, votre pire ennemi vit
déjà en vous: votre ego.
Mais attention, il ne s’agit pas d’un livre sur l’ego au sens freudien du
terme.
Freud aimait expliquer l’ego par une analogie – notre ego est le cavalier sur
le dos d’un cheval, avec nos motivations inconscientes représentant
l’animal tandis que l’ego tente de le diriger. Aujourd’hui, les psychologues
modernes emploient le mot «égotiste» en référence à une personne
dangereusement centrée sur elle-même et qui méprise les autres. Toutes ces
définitions sont correctes mais ont peu de valeur en dehors d’un cadre
médical.
L’ego que nous rencontrons le plus fréquemment a une autre définition: une
croyance malsaine en notre propre importance. L’arrogance. L’ambition
égocentrique. C’est la définition qui sera employée ici. Il s’agit de l’enfant
capricieux en chacun de nous, celui qui choisit d’arriver à ses fins, malgré
tout, malgré les autres. Le besoin d’être meilleur que, plus que, reconnu
pour, au-delà de toute utilité raisonnable – c’est ça, l’ego. C’est le sentiment
de supériorité et de certitude qui dépasse les limites de la confiance et du
talent.
Dans ce sens, l’ego est l’ennemi de ce que vous désirez et de ce que vous
possédez: la maîtrise d’un talent. Il vous empêche d’avoir une vision
d’artiste; de bien collaborer avec les autres; de fidéliser et avoir du soutien;
de pouvoir reconduire vos réussites et les conserver. L’ego repousse les
avantages et les occasions. C’est un aimant à ennemis et à erreurs. C’est
tomber de Charybde en Scylla.
Pour chaque ambition et objectif – petits ou grands – que nous avons, l’ego
est là pour nous saborder sur le chemin que nous nous efforçons de suivre.
Si l’ego est la voix qui nous dit que nous sommes meilleurs que nous le
sommes véritablement, alors on peut dire que l’ego inhibe la véritable
réussite en empêchant de créer un lien direct et honnête avec le monde qui
nous entoure. L’un des premiers membres des Alcooliques anonymes a
défini l’ego comme «une séparation consciente.» De quoi? De tout. Les
moyens par lesquels cette séparation se manifeste de façon négative sont
immenses: on ne peut pas travailler avec des gens si on bâtit une barricade
autour de soi. On ne peut pas rendre le monde meilleur si on ne le
comprend pas et qu’on ne se comprend pas soi-même. On ne peut pas
accepter une critique si on est incapable ou qu’on ne veut pas écouter les
autres. On ne sait pas reconnaître les possibilités – ou les créer – si au lieu
de voir ce qui est devant nous, on vit dans notre monde imaginaire. Si on ne
peut pas sincèrement estimer nos capacités par rapport aux autres, ce n’est
pas de l’assurance que nous avons, ce sont des illusions. Comment
pouvons-nous toucher, motiver ou guider d’autres personnes si nous
n’avons pas d’affinités avec leurs besoins – parce que nous aurons perdu le
contact avec les nôtres?
Plus que jamais, notre culture ravive les flammes des ego. Il n’a jamais été
aussi facile de s’exprimer, de se mettre en avant. On peut se vanter de ses
objectifs auprès de ses millions de fans et de partisans, des choses que
seules les stars du rock et les leaders emblématiques pouvaient faire
autrefois. On suit et on interagit avec ses idoles sur Twitter, on lit des livres,
on consulte des sites, on regarde des conférences TED (Technology,
Entertainment and Design), on étanche sa soif au robinet de l’inspiration et
de validation comme jamais (il existe des apps pour ça). On peut se
proclamer PDG d’une société qui n’existe que sur le papier. On peut
annoncer un scoop sur les réseaux sociaux et laisser affluer les félicitations.
On peut publier des articles sur soi dans des médias qui étaient autrefois des
sources vérifiées de journalisme objectif.
Certains le font plus que d’autres, mais tout est une question de degré.
Quel que soit le stade auquel vous vous trouvez, l’ego s’y trouve aussi.
À un moment donné dans la vie, les gens se retrouvent à l’un de ces trois
stades. On aspire à quelque chose – on essaie de laisser sa marque dans
l’univers. On a connu la réussite, peut-être un peu, peut-être souvent. Ou on
a échoué – récemment, continuellement.
La plupart d’entre nous sont à des stades où ils sont portés par un désir
profond jusqu’à ce qu’ils réussissent, ils réussissent jusqu’à ce qu’ils
échouent ou qu’ils aspirent à mieux, et après avoir échoué, ils peuvent
recommencer à aspirer ou réussir.
L’ego est l’ennemi à chaque étape de ce chemin. Dans un sens, l’ego est
l’ennemi de la construction, de la maintenance, et de la récupération. Quand
les choses arrivent vite et facilement, c’est peut-être fabuleux. Mais à un
moment charnière ou en cas de difficultés…
C’est pour cela que ce livre s’articule autour de trois parties: Aspiration.
Réussite. Échec.
Le but de cette structure est simple: vous aider à réprimer l’ego le plus tôt
possible, avant que les mauvaises habitudes ne se mettent en place, pour
remplacer les tentations de l’ego par l’humilité et la discipline quand le
succès est au rendez-vous, et pour trouver la force et le courage afin de ne
pas être anéanti par l’échec face à un mauvais coup du sort.
Cela ne veut pas dire que vous n’êtes pas unique et que vous n’avez pas une
contribution incroyable à apporter au cours de votre passage sur Terre. Cela
ne veut pas dire que c’est impossible d’aller au-delà des frontières de la
création, d’inventer, de se sentir inspiré, ou de viser à produire un
changement ou encore une innovation véritablement ambitieuse. Au
contraire, pour le faire correctement et prendre des risques, un équilibre est
nécessaire. «Les bâtiments exposés aux intempéries ont besoin d’une
fondation solide», comme le rappelle la sagesse populaire.
Et maintenant?
Le livre que vous avez entre les mains se fonde sur une supposition
optimiste: votre ego n’est pas un monstre que vous êtes obligé de rassasier
sans arrêt. Il peut se gérer. Il peut être guidé.
C’est pour cette raison que je parle également de personnes telles que
Howard Hughes, le roi perse Xerxès, John DeLorean, Alexandre le Grand,
et d’autres cas édifiants d’individus qui ont perdu le sens des réalités et qui
ont clairement illustré les risques de l’ego. Nous verrons le dur prix à payer
pour cette leçon: celui de la misère et de l’autodestruction.
Nous verrons que même ceux qui réussissent le mieux oscillent souvent
entre humilité et ego, avec les problèmes que cela engendre.
Lorsque l’ego est mis de côté, s’impose la réalité. Ce qui remplace l’ego est
l’humilité, certes, mais l’humilité est l’assurance béton. Considérant que
l’ego est artificiel, ce genre de confiance peut compter beaucoup. L’ego se
vole. La confiance se gagne. L’ego est auto-proclamé, son étalage n’est
qu’artifice. L’un vous prépare, l’autre vous perturbe. C’est la différence
entre puissant et nocif.
Comme vous le verrez dans les pages qui suivent, cette assurance a envahi
un général modeste et sous-estimé de l’armée américaine et l’a transformé
en guerrier et fin stratège durant la guerre de Sécession. L’ego a envahi un
autre général puissant et influent durant ce même conflit et l’a mené à la
misère et l’ignominie. De l’assurance et de l’ego, l’une a envahi une
scientifique allemande discrète et en a fait une nouvelle sorte de leader et
une véritable force de la paix. L’autre a pris deux esprits scientifiques du
XXe siècle, également brillants et téméraires, et les a emportés dans le
tourbillon de la gloire et de la célébrité avant de briser leurs espoirs contre
les rocs de l’échec, de la faillite, du scandale et de la folie. L’une a guidé
l’une des pires équipes de l’histoire de la NFL jusqu’au Super Bowl en
seulement trois saisons, devenant l’une des principales dynasties dominant
ce sport. Entre-temps, d’innombrables entraîneurs, des politiques, des
entrepreneurs et des écrivains ont surmonté les mêmes difficultés –
seulement pour succomber à l’inévitable probabilité de céder leur place à
quelqu’un d’autre.
L’ASPIRATION
«On dit que c’est un chirurgien téméraire, que sa main ne tremble pas
quand il s’opère lui-même; et qu’il est souvent également téméraire en
n’hésitant pas à soulever le voile mystérieux de l’aveuglement qui lui
masque les difformités de sa propre conduite.»
Adam Smith
Vers 374 av. J.-C., Isocrate, l’un des plus célèbres professeurs de rhétorique
d’Athènes, a écrit une lettre à un jeune homme dénommé Démonique.
Isocrate était l’ami du père récemment disparu du garçon et voulait lui
prodiguer des conseils sur la façon de suivre l’exemple paternel, des
conseils pratiques et moraux – communiqués sous forme de «maximes
nobles», selon Isocrate. Il s’agissait «de préceptes pour les années à venir»,
d’après ses termes. Comme beaucoup d’entre nous, Démonique était
ambitieux. C’est pour cette raison qu’Isocrate lui avait écrit, pour le mettre
en garde des dangers sur le chemin de l’ambition. Isocrate a commencé par
informer le jeune homme que «ce qui [lui] convient surtout, c’est la
décence, la modestie, la justice, la modération; car c’est en toutes ces
choses que paraît consister le mérite des jeunes gens».
Certains conseils vous disent sans doute quelque chose. Ils ont été repris
deux millénaires plus tard par William Shakespeare, qui a souvent prévenu
des délires de l’ego. En fait, dans Hamlet, en se servant de cette lettre
comme modèle, Shakespeare place les mots d’Isocrate dans la bouche de
son personnage Polonius lorsqu’il s’adresse à son fils, Laërte. Ce discours,
si vous l’avez déjà entendu, se conclut par ces lignes:
Ce qui est intéressant dans le cas de Sherman, c’est que, malgré les relations
de son père, personne n’aurait prédit qu’il dépasserait le niveau régional et
encore moins qu’il refuserait de prendre la présidence des États-Unis, un
geste sans précédent. Contrairement à Napoléon qui a surgi de nulle part et
qui a disparu tout aussi rapidement une fois défait, l’ascension de Sherman
a été lente et progressive. Il fit ses classes à West Point, puis s’engagea dans
l’armée. Au cours de ses premières années de régiment, Sherman traversa
quasiment l’intégralité de l’Amérique à dos de cheval, apprenant à chacun
de ses postes. Les rumeurs de guerre de Sécession grandissant, Sherman
partit vers l’est proposer ses services. Il fut brièvement appelé à la rescousse
à la bataille de Bull Run, une défaite plutôt cuisante pour l’armée de
l’Union. Profitant d’une pénurie de chefs, Sherman fut promu brigadier
général et convoqué pour rencontrer le président Lincoln et son premier
conseiller militaire. À plusieurs occasions, Sherman avait parlé librement de
stratégies et de plans d’action avec le président, mais au terme de cette
rencontre, il fit une demande étonnante: il acceptait la promotion à
condition qu’il n’ait pas à assumer de commandement supérieur. Est-ce que
Lincoln pouvait le lui promettre? Avec tous les autres généraux réclamant
plus de statut et de pouvoir, Lincoln s’empressa d’accepter. À ce moment de
l’histoire, Sherman se sentait plus à son aise en tant que numéro deux. Il
savait qu’il avait une estimation honnête de ses propres capacités et que le
rôle secondaire lui convenait mieux. Vous imaginez? Quelqu’un
d’ambitieux qui ne saisit pas la chance d’avoir plus de responsabilités parce
qu’il voulait se sentir prêt à les assumer? C’est vraiment si fou que ça?
«C’est vous le chef, lui rappela Sherman dans une note qui accompagnait
un ravitaillement. N’hésitez pas à faire appel à moi en cas de besoin.»
Ensemble, ils remportèrent l’une des premières victoires de l’Union dans la
guerre.
Son sens des réalités lui a permis d’entrevoir un passage à travers le Sud
que d’autres pensaient impossible. Toute sa théorie de manœuvres
guerrières reposait sur l’évitement de combats de front ou de démonstration
de force sous forme de batailles rangées, en ignorant les critiques visant à le
faire réagir. Lui, il suivait son plan.
L’ego. C’est pour cela qu’on est souvent témoin d’ascensions vertigineuses
suivies de chutes calamiteuses.
Tout cela est bien étrange. Alors que Shakespeare et Isocrate souhaitaient
que les individus se comportent avec retenue, soient motivés et pétris de
principes, la plupart d’entre nous ont reçu un enseignement contraire. Nos
valeurs culturelles nous poussent presque à nous rendre dépendants d’une
validation, dirigés que nous sommes par nos émotions. Pendant toute une
génération, parents et enseignants se sont attachés à renforcer l’estime de
soi de chacun. À partir de là, les thèmes abordés par nos gourous et
personnalités ont presque exclusivement visé à inspirer, encourager et
persuader qu’on peut faire ce qu’on a envie de faire.
En réalité, cela nous rend faibles. Oui, vous, avec tout votre talent et vos
belles promesses de petit garçon merveilleux ou de petite fille qui ira loin.
Je suis persuadé qu’on vous l’a promis. C’est pour ça que vous avez atterri
dans l’école prestigieuse que vous fréquentez, que vous avez trouvé le
financement de votre entreprise, que vous avez été embauché ou promu,
que l’occasion qui se présente à vous aujourd’hui est tombée du ciel.
Comme l’a dit Irving Berlin, «le talent n’est que le point de départ». Mais
serez-vous capable d’en profiter? Ou serez-vous votre pire ennemi? Allez-
vous éteindre la flamme qui vient de s’allumer? Sherman était un homme
profondément ancré dans la réalité. C’était un homme parti de rien et qui a
accompli de grandes choses sans jamais avoir l’impression qu’il méritait les
honneurs qu’il recevait. En fait, il s’en remettait systématiquement aux
autres et était plus que ravi de participer à une équipe gagnante, même si
cela signifiait moins de reconnaissance et de gloire individuelle. C’est
dommage qu’on ait raconté à des générations de petits garçons la glorieuse
charge de Pickett, un assaut de la cavalerie confédérée qui s’est soldée par
une défaite, mais que l’exemple de Sherman, un homme réaliste, discret,
soit passé sous silence ou, pire encore, diabolisé.
Pour que votre travail ait une part de vérité, il doit être sincère. Si vous
voulez être autre chose qu’un feu de paille, vous devez vous préparer à vous
concentrer sur le long terme.
Même si nous voyons grand, nous apprendrons que nous devons agir et
vivre modestement pour pouvoir réaliser nos ambitions. Puisque nous nous
concentrerons sur l’action et l’apprentissage, et renoncerons à la
reconnaissance et au statut, nos ambitions ne seront pas grandioses mais
itératives – un pas après l’autre, on apprend, on se développe, on prend le
temps.
Les faits sont mieux que les rêves, comme aurait dit Churchill. Même si
nous partageons avec tant d’autres des rêves de grandeur, nous comprenons
que notre chemin pour l’atteindre est tout autre. En suivant les préceptes
d’Isocrate et de Sherman, nous comprenons que l’ego est notre ennemi sur
ce chemin. Ainsi, lorsque nous réussirons, il ne nous plombera pas, et nous
serons plus forts.
PARLER, PARLER ET PARLER
ENCORE
«Celui qui sait ne parle pas. Celui qui parle ne sait pas.»
Lao Tseu
C’était une démarche originale dans une campagne qui l’était tout autant,
visant à profiter de la force de Sinclair – en tant qu’auteur, il savait
communiquer avec le public comme personne. Sinclair avait peu de chances
de gagner l’élection et sa campagne était mal partie lorsque son livre est
sorti. Mais les observateurs de l’époque ont immédiatement remarqué son
effet, non pas sur les électeurs, mais sur Sinclair en personne. Comme
Carey McWilliams a plus tard écrit sur la campagne électorale de son ami
qui a échoué: «Upton n’avait pas seulement compris qu’il perdrait mais il
semblait avoir perdu tout intérêt dans la campagne. Dans son imagination
débordante, il avait déjà tiré un trait sur le “Moi, Gouverneur de la
Californie”… Alors pourquoi se donnerait-il la peine de jouer le jeu?»
Le champ libre: «Qu’est-ce qui vous passe par la tête?» demande Facebook.
«Composez un nouveau tweet», incite Twitter. Tumblr. LinkedIn. Notre
boîte de messagerie, notre smartphone, la section «commentaires» en bas de
l’article que vous venez de lire.
Des espaces vides qui implorent d’être remplis par des pensées, des photos,
des récits. Par ce que l’on va faire, par comment les choses devraient ou
pourraient être, par ce que l’on espère qu’il arrivera. La technologie qui
vous pose des questions, vous aiguillonne, et vous sollicite. De façon
quasiment universelle, le genre de performance qu’on fait sur les réseaux
sociaux est positif. C’est davantage «Laissez-moi vous dire que les choses
vont très bien. Regardez à quel point je suis génial» que la vérité: «J’ai
peur. C’est difficile. Je ne sais pas.»
«En 2010, je n’ai rien fait d’autre que tumbler, tweeter, faire défiler. Ça ne
m’a rien rapporté, financièrement parlant, mais j’avais l’impression que
c’était du travail. Je me justifiais de cette habitude de diverses façons. Je
lançais ma marque. Bloguer était créatif – même la «curation de contenu»
en partageant la publication de quelqu’un d’autre était créative, si on plisse
les yeux. Je ne faisais rien d’autre de créatif.»
En d’autres termes, elle faisait ce qu’on est nombreux à faire lorsque nous
sommes effrayés ou dépassés par un projet: elle faisait tout sauf se
concentrer dessus. Le roman qu’elle devait écrire est resté un an au point
mort. C’était plus facile de parler de l’écriture, de faire des choses
intéressantes autour de l’art, de la créativité et de la littérature, que d’écrire
réellement. Elle n’est pas la seule dans ce cas. Quelqu’un a récemment
publié un livre intitulé Working On My Novel [En travaillant sur mon
roman], qui compile des publications d’écrivains qui clairement n’étaient
pas en train de travailler à leur livre.
Écrire, comme de nombreux actes créatifs, est une chose difficile. Rester
assis devant une table, les yeux dans le vague, en colère contre le sujet qui
ne vous semble pas assez bon, en colère contre vous-même parce que vous
ne vous considérez pas assez bon. En réalité, beaucoup de nos précieux
efforts sont pénibles, que ce soit coder une nouvelle activité ou maîtriser un
art. Mais parler, cela a toujours été facile.
Et c’est ce qui est si insidieux quand on parle. N’importe qui peut parler de
lui. Tous les enfants bavardent et colportent des rumeurs. La plupart des
gens savent faire du battage publicitaire et vendre quelque chose. Alors,
qu’est-ce qui est rare? Le silence. La capacité de ne pas se mêler
délibérément à la conversation et subsister sans sa validation. Le silence est
le répit des hommes forts et confiants.
Sherman avait une règle qu’il tentait de suivre. «Ne jamais justifier ce que
vous pensez ou faites avant que cela soit nécessaire. Peut-être qu’avec le
temps, une meilleure raison surgira dans votre esprit.»
Le grand joueur de baseball et de football Bo Jackson avait décidé qu’il y
avait deux choses qu’il voulait accomplir en tant que sportif à Auburn:
remporter le Trophée Heisman et être choisi en premier dans la sélection de
la NFL. À qui en a-t-il parlé? À personne, sauf à sa petite amie. Conserver
une souplesse stratégique n’est pas le seul avantage de garder le silence
pendant que d’autres jacassent. Il y a également un aspect psychologique.
Le poète Hésiode y pensait lorsqu’il a dit: «La langue parcimonieuse est
certes un trésor excellent parmi les hommes.»
Parler nous épuise. Parler et se battre pour les mêmes ressources. Les études
ont montré que si visualiser l’objectif est important, à un certain moment,
l’esprit commence à le confondre avec les véritables avancées. Il en va de
même pour la verbalisation.
Il a été prouvé que parler à haute voix pendant qu’on travaille à nos
problèmes diminue sérieusement notre sagacité et nos progrès. Après avoir
passé autant de temps à réfléchir, expliquer et discuter de la tâche, on a
l’impression qu’on se rapproche de la solution. Pire encore, quand les
choses se corsent vraiment, on se dit qu’on peut jeter l’éponge parce qu’on
a tout essayé, même si ce n’est pas vrai. Plus la tâche est difficile, plus le
résultat est incertain et plus les discussions nous coûteront, plus nous
fuirons nos responsabilités. Parler a sapé toute l’énergie dont nous avions
besoin pour conquérir ce que Steven Pressfield appelle la «résistance» –
l’obstacle qui se dresse entre nous et l’expression créative. La réussite
demande 100% de nos efforts, et parler dissipe une partie de ces efforts
avant que l’on puisse les utiliser.
Faire du bon travail est une lutte. C’est épuisant, démoralisant, effrayant –
enfin, pas toujours, mais c’est le ressenti que l’on peut avoir sur le coup. On
parle pour remplir le vide et l’incertitude. «Le vide, a dit un jour Marlon
Brando, un acteur très calme, est terrifiant pour la plupart des gens.»
C’est comme si nous étions assaillis par le silence ou que nous y étions
confrontés, notamment si nous avons laissé notre ego nous mentir au fil des
ans. Ce qui est préjudiciable pour une bonne raison: nous faisons du
meilleur travail en nous battant contre le vide, en l’affrontant, au lieu de
nous efforcer à le faire disparaître. Mais face au défi personnel, que ce soit
une recherche dans un nouveau domaine, monter une affaire, produire un
film, s’assurer les services d’un mentor, ou encore avancer dans une cause
importante, est-ce que vous cherchez le répit dans un discours ou foncez
tête baissée dans la mêlée?
Laissez les autres se féliciter pendant que vous suez dans votre labo ou salle
de sport, ou que vous battez le pavé. Fermez ce trou, celui au milieu de
votre visage, qui peut vous vider de votre force vitale. Et regardez ce qui se
passe. Regardez comment vous vous améliorez.
ÊTRE OU FAIRE?
D’un côté, ce n’est pas étonnant que le commun des mortels n’ait jamais
entendu parler de John Boyd. Il n’a jamais publié de livre, seulement un
rapport technique. Il n’y a que peu de vidéos de lui et les médias ne l’ont
jamais cité. Malgré trente années de service exemplaires, Boyd n’a jamais
dépassé le rang de colonel.
De l’autre côté, ses théories ont transformé les manœuvres de guerre dans
quasiment toutes les branches de l’armée, non seulement de son vivant mais
par la suite également. Les avions de chasse F-15 et F-16, des engins
révolutionnaires, étaient ses projets favoris. Il a principalement exercé son
influence en tant que conseiller. À travers des briefings légendaires, il a
enseigné à quasiment toute une génération de grands stratèges militaires.
En fait, Boyd vivait simplement la leçon qu’il tentait d’enseigner à tous les
jeunes prometteurs qu’il prenait sous son aile, qui avaient selon lui le
potentiel de devenir quelqu’un – d’être quelqu’un de différent. Les stars
montantes à qui il a enseigné ont sans doute beaucoup en commun avec
nous.
Comme tout bon élève, le soldat était peu sûr de lui et impressionnable. Il
cherchait la promotion et voulait réussir. Il était comme une feuille qui
pouvait être soufflée dans n’importe quelle direction. Boyd le savait. Il lui a
tenu un discours qu’il tiendrait de nombreuses fois jusqu’à devenir une
tradition et un rite initiatique pour toute une génération de nouveaux chefs
militaires.
Puis Boyd conclut avec des paroles qui allaient guider ce jeune homme et
tant d’autres pour le reste de leur vie. «Être ou faire? Quel choix vas-tu
faire?»
Quoi que l’on cherche à faire dans la vie, la réalité s’immisce dans
l’idéalisme de notre jeunesse. Cette réalité prend diverses formes et
plusieurs noms: primes, engagement, reconnaissance, politique.
Dans tous les cas, cela peut rapidement nous réorienter de «faire» à «être».
C’est passer de gagner à prétendre. Et l’ego participe continuellement à
cette déception. C’est pour ça que Boyd souhaitait que les jeunes gens
comprennent que si on ne fait pas attention, on peut facilement se retrouver
corrompu par le poste que l’on visait.
Les apparences sont trompeuses. Avoir l’autorité n’est pas pareil qu’être
une autorité. Avoir le droit et avoir raison sont aussi deux choses
différentes. Être promu ne signifie pas forcément que vous faites du bon
travail ni que vous méritez une promotion (on appelle ça «échouer vers le
haut» dans de telles bureaucraties). Impressionner des gens est très différent
qu’être réellement impressionnant.
Alors, avec qui êtes-vous? Quel côté allez-vous choisir? Tel est le
questionnement que la vie nous propose.
Boyd avait mis au point un autre exercice. En rendant visite ou en
s’adressant à des groupes d’officiers de l’Air Force, il écrivait sur le tableau
noir en gros caractères les mots: DEVOIR, HONNEUR, NATION. Puis il
les raturait et les remplaçait par: FIERTÉ, POUVOIR, AVIDITÉ. Il voulait
souligner que de nombreux systèmes et structures dans l’armée – ceux par
lesquels les soldats doivent passer pour obtenir des promotions – peuvent
corrompre les valeurs qu’ils veulent défendre. L’historien Will Durant a
déclaré qu’une nation naissait stoïque et mourait épicurienne. C’est la triste
vérité que Boyd illustrait en stigmatisant les vertus qui tournent mal.
Le choix que nous propose Boyd est une question d’objectif. Quel est le
vôtre? Que venez-vous faire ici? Un objectif vous aide à répondre à la
question «Être ou faire?».
Si ce qui vous importe est votre réputation, votre insertion, votre aisance
dans la vie, alors votre voie est claire: dites aux gens ce qu’ils ont envie
d’entendre. Recherchez l’attention par un travail discret mais important.
Acceptez les promotions et suivez la route que les personnes performantes
prennent dans votre domaine. Faites vos preuves, cochez les cases, prenez
le temps qu’il faut et laissez les choses telles qu’elles sont. Cherchez à
gonfler votre renommée, votre salaire, votre titre et profitez-en.
«Un homme est travaillé par ce sur quoi il travaille», a déclaré Frederick
Douglass. Il en savait quelque chose. Il avait été esclave et il avait constaté
ce que ça faisait à tout le monde, y compris aux esclavagistes. Une fois
libre, il a vu que les choix que les gens faisaient, à propos de leur carrière,
de leur vie, avaient les mêmes effets. Ce qu’on choisit de faire avec son
temps et ce qu’on choisit de faire pour l’argent nous travaille. Boyd savait
que le chemin de l’égocentrique exige de nombreux compromis, mais si
votre objectif vous dépasse – accomplir quelque chose, vous prouver
quelque chose – alors soudain tout devient à la fois plus facile et plus
compliqué. Plus facile dans le sens où vous savez désormais ce qu’il faut
faire et ce qui est important à vos yeux. Les autres «choix» s’effacent, car
ce ne sont pas vraiment des choix, plutôt des distractions. C’est une
question d’action, pas de reconnaissance. C’est plus facile dans le sens où
vous ne faites pas de compromis, mais plus compliqué parce que chaque
possibilité, même gratifiante, doit être évaluée selon des lignes directrices
strictes: est-ce que ça m’aide à réaliser mon objectif? Est-ce que ça me
permet de faire ce que je dois faire? Est-ce que je suis égoïste ou
désintéressé?
Évidemment, il ne s’agit pas de «Qui ai-je envie d’être dans la vie?» mais
de «Qu’est-ce que j’ai envie de faire dans la vie?» En mettant de côté
l’intérêt personnel, on se pose les questions: Quelle vocation est-ce que ça
sert? Quels principes gouvernent mes choix? Est-ce que je veux être comme
les autres ou faire quelque chose de différent? En d’autres termes, c’est plus
compliqué parce que tout ressemble à un compromis.
Il n’est jamais trop tard, mais plus on se pose ces questions tôt, mieux c’est.
Boyd a indéniablement changé et fait progresser son domaine comme nul
autre depuis les théoriciens militaires Sun Tzu ou von Clausewitz. Il était
surnommé Gengis John pour sa façon de ne jamais laisser un obstacle ou un
adversaire l’empêcher de faire ce qu’il devait faire. Il y avait un prix à payer
pour ses choix. On l’appelait le «ghetto colonel» à cause de son mode de
vie spartiate.
«Ne pas laisser les fantômes revenir et dire: mon entraînement n’était pas
suffisant.»
Inscription à l’école de formation des pompiers de New York
Au début des années 1980, en avril, une seule journée s’est transformée en
un cauchemar pour un guitariste et en un travail de rêve pour un autre. Les
membres du groupe de metal underground Metallica s’étaient réunis pour
une séance d’enregistrement dans un entrepôt décrépit de New York et ont
informé de but en blanc leur guitariste, Dave Mustaine, qu’il était renvoyé.
Ils lui ont donné un billet de bus pour qu’il rentre à San Francisco.
Ce même jour, Kirk Hammett, jeune guitariste d’à peine 20 ans, a hérité du
poste au sein du groupe. Catapulté dans une nouvelle vie, il a participé à
son premier concert avec Metallica quelques jours après. On pourrait croire
que c’était le moment que Hammett avait attendu toute sa vie. C’est vrai.
Même si Metallica n’était connu que dans un cercle relativement fermé,
c’était un groupe prometteur. Ils avaient déjà commencé à repousser les
limites du thrash metal et le culte de la célébrité était lancé. En quelques
années à peine, ils allaient devenir l’un des meilleurs groupes au monde,
vendant plus de 100 millions d’albums.
Personne n’aime penser que quelqu’un d’autre est meilleur que soi. Ou
qu’il nous reste beaucoup à apprendre. On veut en avoir fini, on veut être
prêt. On est occupé et surchargé. C’est pour ça que réévaluer ses talents à la
baisse est l’une des choses les plus difficiles à faire dans la vie, mais c’est
presque toujours un passage obligé de la maîtrise. Prétendre savoir est notre
vice le plus dangereux, car il nous empêche de nous améliorer. Une
autoévaluation rigoureuse est le remède.
Quels que soient vos goûts en matière de musique, le résultat a été que
Hammett est devenu l’un des meilleurs guitaristes metal au monde, menant
le thrash metal d’un mouvement underground à un genre universel
dynamique. Avec ces leçons, Satriani a peaufiné sa propre technique et a
lui-même fait beaucoup de progrès. L’élève et le professeur ont tous deux
rempli des stades et remanié le paysage musical.
De son côté, le champion d’arts martiaux mixtes plusieurs fois titré Frank
Shamrock a inventé un système pour entraîner les combattants qu’il appelle
«plus, moins, égal». Pour progresser, chaque combattant a besoin d’un
adversaire meilleur que lui pour apprendre de lui, d’un adversaire moins
bon que lui pour le former et d’un adversaire de force équivalente pour se
défier. L’objectif de la formule de Shamrock est simple: obtenir un retour
réel et constant de ce qu’ils savent et ignorent sous tous les angles. Cela
élimine tout ego qui s’emballe, la peur qui fait douter de nous, et toute
paresse qui nous donnerait envie de nous la couler douce. Comme l’a fait
remarquer Shamrock: «Les idées fausses qu’on a de soi nous détruisent.
Moi, je veux toujours rester apprenti. C’est la philosophie des arts martiaux.
Il faut utiliser cette humilité comme un outil. On se place sous l’autorité de
quelqu’un en qui on a confiance.» Cela commence par accepter le fait que
d’autres en sachent plus que vous et que vous pouvez bénéficier de leurs
connaissances, puis en recherchant et détruisant les illusions que vous avez
sur vous-même.
Un véritable élève est comme une éponge. Il absorbe ce qui se passe dans
son environnement, il filtre les informations et retient ce qu’il faut retenir.
Un élève sera autocritique et automotivé. Il essaiera toujours d’approfondir
ses connaissances afin de passer au sujet suivant, au prochain défi. Un
véritable apprenti sera aussi son propre maître et critique. Il n’y a pas de
place pour l’ego.
Reprenez l’exemple du combat. La conscience de soi y est particulièrement
cruciale, car les adversaires cherchent constamment à opposer leur force
contre une faiblesse. Si un combattant n’est pas capable d’apprendre et de
s’entraîner tous les jours, s’il ne cherche pas constamment ce qu’il pourrait
améliorer en évaluant ses faiblesses et en empruntant de nouvelles
techniques à ses pairs et adversaires, il sera cassé et démoli.
Pour nous autres, ce n’est pas très différent. Ne sommes-nous pas en train
de nous battre pour ou contre quelque chose? Croyez-vous être le seul à
espérer atteindre votre but? Vous ne croyez sûrement pas que vous êtes le
seul à vouloir décrocher la timbale.
Les gens sont surpris de découvrir les aspirations humbles qu’avaient les
grands hommes. Comment ça, ils n’étaient pas agressifs, en droit,
conscients de leur grandeur ou de leur destinée? En réalité, bien qu’ils
fussent confiants, l’acte d’être un éternel étudiant les a gardés humbles.
L’ego ne permet pas non plus une véritable incubation. Devenir ce que nous
espérons demande souvent une longue période obscure à rester sur – et à se
battre avec – un sujet ou un paradoxe. L’humilité est ce qui nous retient. On
s’inquiète du fait qu’on ne sait pas encore suffisamment de choses et qu’il
faut continuer à apprendre. L’ego accélère les choses, déclarant que la
patience est pour les perdants (et la considérant à tort comme une faiblesse).
L’ego prétend qu’on est assez bon pour présenter notre talent au reste du
monde.
Pendant qu’on est là, assis à relire notre travail, pendant qu’on fait notre
première présentation, qu’on s’apprête à ouvrir notre première boutique ou
qu’on s’habille pour la dernière répétition générale, l’ego est l’ennemi – il
nous donne un retour d’information faussé, déconnecté de la réalité. Il est
défensif au moment où on ne peut pas se permettre d’être sur la défensive.
Il nous empêche de nous améliorer en nous disant qu’on n’en a pas besoin.
Aujourd’hui, les livres n’ont jamais été aussi bon marché. Les cours sont
gratuits. Il n’existe plus de barrière entre les enseignants et nous. Merci la
technologie! Aujourd’hui, on n’a plus d’excuses pour ne pas avoir accès à
l’éducation, et parce que l’information à notre disposition est infinie, on n’a
pas d’excuses pour arrêter notre apprentissage. Nos professeurs dans la vie
ne sont pas seulement ceux qu’on paie, comme Hammett a payé Satriani. Ils
ne font pas non plus partie d’une sorte de dojo, comme dans le cas de
Shamrock. Beaucoup des meilleurs enseignants sont bénévoles parce que,
comme vous, ils ont été jeunes et qu’ils ont eu les mêmes objectifs que les
vôtres. Nombreux sont ceux qui n’ont pas conscience de fournir un
enseignement – ce sont simplement des modèles, voire des figures
historiques dont les leçons survivent dans les livres et les essais.
Mais l’ego nous rend si entêtés et hostiles à la critique qu’il nous éloigne
des professeurs de vie ou les place hors de notre portée. Pourtant, comme le
dit l’ancien proverbe: «Lorsque l’étudiant est prêt, le professeur apparaît.»
ÉVITER DE S’EMBALLER
«Vous paraissez manquer de ce vivida vis animi, qui anime, qui excite la
plupart des jeunes gens à plaire, à briller, à effacer les autres. Si ce noble
désir vous manque, et si vous craignez les peines nécessaires pour vous
rendre considérable, comptez que vous ne le deviendrez jamais.»
Lord Chesterfield
Voici ce que ces gens ne vous disent pas: votre passion peut être le truc qui
vous empêche d’atteindre le pouvoir, d’avoir de l’influence ou même
d’accomplir des choses. C’est parce que souvent, nous échouons avec
passion – et non pas à cause d’elle.
En tant que femme douce, accomplie et patiente, née à une époque où les
braises des vertus discrètes de l’ère victorienne étaient encore chaudes,
Eleanor Roosevelt était au-delà de la passion. Elle avait un objectif. Elle
était déterminée. Ce n’était pas la passion qui la guidait, mais la raison.
Le conseil: bon, voilà ce que tu dois faire étape par étape pour y arriver.
Avec le recul, le gâchis est souvent affligeant. On a grillé nos plus belles
années comme des pneus qui patinent sur l’asphalte.
Dans notre ascension, nous autres êtres humains avons besoin d’objectifs et
de réalisme.
On pourrait dire qu’un but est comme une passion sans frontières. Le
réalisme est le détachement et les perspectives.
Quand on est jeune, ou que notre cause est jeune, on ressent les choses si
intensément – comme les hormones, la passion est forte pendant la jeunesse
– qu’on a l’impression que c’est mal de prendre son temps. Mais ce n’est
que de l’impatience. C’est notre incapacité à voir que s’épuiser ou exploser
ne va pas faire avancer la cause.
La passion est «par» (Je suis passionné par ______.) L’objectif est «de» et
«pour» (Je dois faire ______. Je suis là pour accomplir ______. Je suis prêt
à supporter ______ pour ça.) En réalité, l’objectif diminue l’importance du
Je. L’objectif, c’est poursuivre quelque chose en dehors de soi, par
opposition à se faire plaisir.
«Les grandes passions sont des maladies sans espérance», comme l’a dit
Goethe. C’est pour cette raison que les personnes réfléchies et déterminées
agissent à un autre niveau, au-delà de l’influence et de la maladie. Ils
embauchent des experts, posent des questions, demandent ce qui pourrait
aller de travers, demandent des exemples. Ils planifient les imprévus. Puis
ils partent pour le champ de courses. Généralement, leur départ est lent,
ponctué de petites étapes qu’ils complètent les unes après les autres: ils
cherchent à avoir des avis sur la façon d’améliorer l’étape suivante. Ils
engrangent des gains, puis s’améliorent au fur et à mesure, tirant souvent
parti de ces gains pour une croissance exponentielle plutôt qu’arithmétique.
Est-ce qu’une approche itérative est moins excitante qu’un manifeste, une
révélation, traverser tout le pays pour surprendre un proche ou envoyer un
courriel de 4 000 mots à cœur ouvert en plein milieu de la nuit?
Évidemment. Est-ce moins glamour et téméraire que de foncer tête baissée
et d’utiliser votre carte de crédit jusqu’à son plafond parce que vous croyez
en vous? Absolument. Il en va de même pour les feuilles de calcul, les
réunions, les déplacements, les coups de fil, les logiciels, les outils et les
systèmes internes – et tous les articles pédagogiques écrits à ce sujet, et les
habitudes des célébrités.
«Les grands hommes se sont presque toujours montrés aussi prêts à obéir
qu’ils l’ont été à commander par la suite.»
Lord Mahon
Il existait dans le système romain des arts et des sciences un concept pour
lequel nous n’avons qu’un analogue partiel. À l’époque, les commerçants,
les politiciens ou les play-boys aisés parrainaient des écrivains, des
penseurs, des artistes, et des orateurs. Outre le fait d’être payés pour
produire des œuvres, ces artistes effectuaient aussi des tâches en échange
d’une protection, de nourriture et de cadeaux. Ils avaient un rôle
d’anteambulo - qui signifie littéralement «celui qui ouvre la voie».
L’anteambulo marchait devant son patron à Rome, frayant le passage,
communiquant des messages, et généralement en rendant la vie de leur
protecteur plus agréable.
Le célèbre poète Martial a tenu ce rôle pendant des années auprès de Mela,
un riche commerçant et frère de Sénèque, grand philosophe stoïcien et
conseiller politique. Issu d’une famille modeste, Martial a aussi servi un
autre commerçant appelé Petilius. Jeune écrivain, il passait ses journées à se
déplacer entre ses différents clients, leur offrant ses services, les saluant et
recevant en retour des petites faveurs et dédommagements.
Mais voici le problème: comme la plupart d’entre nous avec nos stages et
nos postes de début de carrière (ou par la suite, éditeurs, patrons ou clients),
Martial détestait son rôle. Il pensait que ce système le rendait esclave.
Aspirant à vivre comme un propriétaire terrien comme ses patrons, Martial
voulait posséder des richesses et un domaine en propre. Il rêvait que de
cette façon, il pourrait enfin travailler en paix et en totale indépendance.
Résultat, ses épigrammes sont entachées de haine et d’amertume envers
l’aristocratie romaine dont il se sentait cruellement mis à l’écart.
C’est une attitude courante qui transcende les générations et les sociétés. Le
génie furieux que l’on mésestime est forcé de faire des choses qu’il
n’apprécie pas, pour des gens qu’il ne respecte pas, tout en se faisant une
place dans le monde. Comment ose-t-on me forcer à ramper ainsi? Quelle
injustice! Quel gâchis!
Évidemment, ce n’est pas ce que le jeune qui a été choisi parmi ses pairs a
envie d’entendre. Ce n’est pas ce à quoi un diplômé de Harvard s’attend –
après tout, il a obtenu un diplôme d’une grande université pour justement
éviter cette prétendue humiliation.
Mais retournons le problème pour qu’il n’ait pas l’air aussi avilissant. Il ne
s’agit pas de lécher des bottes. Il ne s’agit pas de valoriser quelqu’un. Il
s’agit de fournir un soutien pour que les autres puissent performer. Une
meilleure façon de dire les choses serait: trouvez une toile vierge pour que
les autres peignent dessus. Soyez l’anteambulo. Dégagez le passage pour
vos supérieurs et vous finirez par ouvrir votre propre voie.
On connaît tous les fameuses lettres que Benjamin Franklin a écrites sous
divers pseudonymes comme Silence Dogood. À l’époque, on criait au
prodige, mais les gens rataient le plus impressionnant: Franklin a écrit ces
lettres, les a soumises à des imprimeurs en les glissant sous leur porte et
n’en a tiré aucune reconnaissance jusqu’à bien plus tard dans sa vie. C’était
son frère, le propriétaire de l’imprimerie, qui a profité de leur popularité. Il
les éditait régulièrement en première page de ses journaux. Franklin jouait
le jeu, apprenant comment fonctionne l’opinion publique, créant une prise
de conscience en ce qu’il croyait, peaufinant son style, son ton et son esprit.
C’est une stratégie qu’il a appliquée à plusieurs reprises au cours de sa
carrière, allant même un jour jusqu’à se faire éditer dans le journal d’un
concurrent pour éliminer un troisième adversaire. Franklin percevait
l’avantage de valoriser les autres et de les laisser s’attribuer le mérite de vos
idées.
Avant cela, au lycée, c’était un joueur si compétent dans ce sport qu’il était
considéré comme assistant de l’entraîneur pendant les matchs. Le père de
Belichick, lui-même assistant de football américain à la Navy, lui avait
enseigné la base de la politique du sport: s’il voulait faire un rapport à son
entraîneur ou contester une décision, il devait le faire en privé, en
s’effaçant, pour ne pas offenser son supérieur. Il a appris à devenir une
étoile montante sans menacer ou aliéner quiconque. En d’autres termes, il
maîtrisait la stratégie de la toile vierge.
Vous pouvez voir à quel point le sentiment de supériorité (les pièges de
l’ego) et la sensation que tout nous est dû auraient pu rendre impossible
l’accomplissement de ces hommes. Franklin n’aurait jamais été édité s’il
avait privilégié le mérite plutôt que l’expression créative – et quand son
frère l’a découvert, il l’a littéralement tabassé par jalousie et rage. Belichick
aurait agacé son entraîneur et sans doute fini sur le banc des remplaçants
s’il lui avait damé le pion en public. Il n’aurait pas travaillé sans salaire et
n’aurait pas visionné des milliers d’heures de vidéos s’il se préoccupait de
son statut. La grandeur naît de débuts modestes, en faisant des corvées sans
rechigner. Vous êtes la personne la plus insignifiante de la pièce – jusqu’à
ce que vous changiez cela avec des résultats.
C’est la partie stratégique qui est la plus difficile. Il est facile de s’aigrir,
comme Martial, de haïr l’idée même de la servilité, de mépriser ceux qui
ont davantage de moyens, d’expérience ou de statut, de se dire que chaque
seconde passée à autre chose que soi ou son travail est un gâchis de son
talent. Je ne veux pas être rabaissé ainsi!
Une fois que l’on a combattu cette impulsion émotionnelle et égoïste, la
stratégie de la toile vierge est facile. Les itérations sont infinies.
• Ou présenter des personnes, des penseurs, des jeunes talents les uns aux
autres. On croise les fils pour déclencher des nouvelles étincelles.
• Ou produire plus que tous les autres et céder vos idées. En d’autres
termes, trouver des occasions de promouvoir leur créativité, trouver des
débouchés et des collaborateurs, et éliminer les distractions qui vous
empêchent de progresser et de vous concentrer.
La stratégie de la toile vous servira à tout moment. Elle n’a pas de date de
péremption. C’est l’une des seules choses que l’âge ne limite pas, que l’on
soit jeune ou âgé. On peut l’appliquer à n’importe quel stade, avant d’entrer
dans la vie active, avant d’être embauché, pendant qu’on fait autre chose,
ou quand on se lance ou qu’on se retrouve dans une organisation sans
soutien ni alliés solides. Il se peut que vous n’arrêtiez jamais de l’appliquer,
même après l’obtention de votre diplôme et que vous concrétisiez vos
propres projets. Que cela devienne naturel et permanent; laissez les autres
l’appliquer sur vous pendant que vous l’appliquez sur vos supérieurs.
Si vous soulevez cette cape, vous verrez ce que l’ego empêche d’apprécier
chez la majorité des gens: la personne qui ouvre la voie est finalement celle
qui en contrôle la direction, tout comme une toile donne la forme d’un
tableau.
SE RETENIR
«J’ai remarqué que ceux qui avaient obtenu les meilleurs résultats étaient
ceux qui “se cachent sous leur corps”; ceux qui ne s’emballent jamais ni ne
perdent leur sang-froid, mais qui restent calmes, retenus, patients, et polis.»
Booker T. Washington
Ceux qui ont connu Jackie Robinson jeune homme n’auraient sans doute
jamais prédit qu’un jour il deviendrait le premier joueur noir de la Major
League de baseball. Ce n’est pas qu’il manquait de talent ou que l’idée
d’intégrer le baseball des Blancs était inconcevable. Il n’était pas connu
pour être quelqu’un de retenu et de posé.
Adolescent, Robinson était membre d’un petit gang et avec ses amis il avait
régulièrement des problèmes avec les forces de l’ordre locales. Lors d’un
pique-nique à la fac, il s’est battu avec un camarade qui l’avait insulté. Lors
d’un match de basketball, il a subrepticement frappé avec la balle un
adversaire blanc qui s’est mis à saigner abondamment. Il a été arrêté plus
d’une fois pour outrage par la police qui, selon lui, le traitait injustement.
On peut comprendre pourquoi il a fait ça. C’est humain et c’était sans doute
la chose à faire. Pourquoi aurait-il laissé quelqu’un le traiter de la sorte?
Personne ne devrait avoir à le tolérer.
Sauf que parfois, les gens le tolèrent. N’a-t-on pas des objectifs autrement
importants pour tolérer n’importe quoi afin de les atteindre?
En débutant chez les amateurs, puis chez les pros, Robinson a dû faire face
à plus que des affronts de la part du personnel de service et des joueurs
réticents. Il y a eu une campagne agressive et coordonnée pour le diffamer,
le huer, le provoquer, l’exclure, l’attaquer, le mutiler, et même des tentatives
de meurtre. Au cours de sa carrière, il a été frappé par 72 lancers vicieux, a
failli se faire sectionner le tendon d’Achille par des joueurs qui projetaient
leurs pointes vers ses pieds, sans parler des décisions qui le lésaient et les
phases de match en son désavantage. Et pourtant, Jackie Robinson a tenu le
pacte oral qu’il avait passé avec Rickey, sans jamais exploser de colère,
pourtant bien méritée. En neuf ans dans la ligue, il n’a jamais frappé un
autre joueur de ses poings.
Quelles que soient nos aspirations, notre propre chemin sera, par certains
aspects, défini par la quantité d’absurdités que nous sommes prêts à gérer.
Nos humiliations paraîtront légères par rapport à celles de Robinson, mais
seront quand même difficiles à supporter, et nous aurons du mal à garder
notre sang-froid.
Bas Rutten, combattant d’arts martiaux mixtes, inscrit parfois la lettre R sur
ses mains avant un combat – l’initiale du mot néerlandais «rustig» qui se
traduit par «relax». S’emporter, se laisser gagner par ses émotions, perdre sa
contenance est la recette de l’échec sur un ring. Comme John Steinbeck l’a
un jour écrit à son éditeur, on ne peut pas «[perdre] son sang-froid comme
refuge contre le désespoir». Votre ego ne vous fera pas de cadeaux dans ce
cas, que vous soyez en prise avec un éditeur, des critiques, des ennemis ou
un patron capricieux. Peu importe s’ils ne comprennent pas ou que vous
savez de quoi vous parlez. C’est encore trop tôt.
Ah, vous avez un diplôme? Cela ne veut pas dire que le monde vous
appartient de droit. Un diplôme de l’Ivy League? Eh bien, les gens vont
quand même vous faire des misères et ils vous crieront quand même dessus.
Vous avez un million de dollars ou une vitrine remplie de récompenses?
Cela ne signifie rien dans le domaine que vous tentez d’aborder. Peu
importent vos qualités, la longueur de votre bras ou l’épaisseur de votre
portefeuille. Quand vous voudrez faire quelque chose – quelque chose de
grand, d’important, de constructif –, vous serez soumis aussi bien à
l’indifférence qu’à un sabotage pur et simple. Vous n’y couperez pas.
Dans ce scénario, l’ego est le contraire de ce qui est nécessaire. Qui peut se
permettre d’être ballotté par des impulsions ou croire qu’il est un cadeau
divin pour l’humanité, qu’il est trop important pour faire ce qu’il n’aime
pas?
Ceux qui maîtrisent leur ego comprennent que ce n’est pas dégradant quand
les autres vous maltraitent. Au contraire, ils s’avilissent eux-mêmes.
Mais non, il ne faut rien faire. Il faut accepter. Ravaler jusqu’à la nausée.
Endurer. Hausser les épaules et travailler encore plus dur. Jouer le jeu.
Ignorer le vacarme. Pour l’amour de Dieu, ne le laissez pas vous distraire!
La retenue est une qualité complexe mais essentielle.
Vous serez souvent tenté, vous serez sans doute accablé. Personne n’est
parfait, mais nous devons essayer de nous améliorer.
C’est une réalité intemporelle de la vie que les petits nouveaux doivent
endurer les mauvais traitements des vieux routards. Robinson avait 28 ans
lorsqu’il a été intégré aux Dodgers, et il avait déjà bien payé dans la vie en
tant qu’homme noir et soldat. Mais il était obligé de recommencer. C’est
une triste réalité: on rate souvent les jeunes talents et même quand on les
décèle, ils sont souvent sous-estimés. Les raisons sont très variables, mais
ça fait partie du cheminement de chacun.
On ne peut pas changer le système avant d’avoir tiré son épingle du jeu.
Entre-temps, il faut trouver un moyen pour qu’il s’adapte à votre objectif –
même si celui-ci n’est qu’obtenir plus de temps pour vous développer
correctement, apprendre des autres à leurs frais, renforcer vos fondations et
vous établir.
Après avoir reçu le titre de Rookie of the Year et MVP, et que sa place chez
les Dodgers était assurée, Robinson a commencé à s’affirmer en tant que
joueur et en tant qu’homme. Après avoir gagné sa place, il sentait qu’il
pouvait discuter les décisions des arbitres et bomber le torse pour faire
reculer un adversaire ou faire passer un message. Même en prenant de
l’assurance et en devenant célèbre, Robinson n’a jamais craché sur des
partisans. Il n’a jamais rien fait qui puisse ternir son héritage. La grande
classe du début à la fin, et pourtant, Jackie Robinson ne manquait pas de
passion. Il avait du caractère et connaissait des frustrations comme chacun
de nous, mais il avait appris très tôt que la corde raide sur laquelle il
marchait ne pouvait tolérer que la retenue et ne pardonnerait pas les excès
d’ego.
«La personne qui pense tout le temps ne pense à rien d’autre qu’à ses
pensées. Il perd alors le sens des réalités et vit dans un monde d’illusions.»
Alan Watts
Lorsqu’on regarde la vie de ces auteurs, les faits sont clairs: J. D. Salinger
souffrait réellement d’une sorte d’égocentrisme obsessionnel et
d’immaturité qui lui rendaient le monde insupportable, l’éloignant de tout
contact humain et paralysant son génie.
Durant la majeure partie de sa carrière, John Fante a lutté pour réconcilier
son énorme ego et son sens de l’insécurité de façon assez obscure. Il a fini
par abandonner ses romans au profit des terrains de golf et des bars de
Hollywood. Ce n’est que peu avant sa mort, rendu aveugle par le diabète,
qu’il est redevenu sérieux. Le Cinéphile, son premier roman, a été écrit une
fois que Walker Percy a maîtrisé son indolence presque adolescente et
surmonté une crise existentielle qui a duré de façon alarmante jusqu’à la
quarantaine.
Est-ce que ces écrivains auraient été meilleurs s’ils avaient pu gérer leurs
troubles? Est-ce que leur vie aurait été plus simple? C’est une question
qu’ils soumettent à leurs lecteurs à travers les leçons de leurs personnages.
Le nombre d’occasions qu’il a ratées serait risible si elles n’avaient pas fait
des milliers de victimes. Ce qui était encore pire dans cette situation, c’est
que deux confédérés pieux et discrets – Lee et Stonewall Jackson –, qui
savaient prendre des initiatives, le mettaient dans l’embarras avec un
nombre d’hommes et un niveau de ressources inférieurs.
C’est ce qui arrive quand des meneurs restent coincés dans leur esprit. Mais
ça peut nous arriver aussi.
La romancière Anne Lamott décrit bien cette histoire d’ego. Elle met en
garde les jeunes auteurs: «Si vous ne faites pas attention, vous aurez la
station de radio KFKD (K-Fucked) branchée dans la tête 24 heures sur 24, 7
jours sur 7, et en stéréo.»
Votre haut-parleur interne de droite vous délivrera un flot continu
d’autoglorification, vous récitera la liste de vos spécificités, combien vous
êtes plus doué, plus intelligent, plus érudit, plus humble, plus incompris. Du
haut-parleur gauche sortiront les raps du dégoût de soi, la liste des choses
que vous ne faites pas bien, des erreurs d’hier et d’aujourd’hui, de vos
doutes, ou encore l’affirmation que tout ce que vous touchez tourne au
vinaigre, que vous ne savez pas nouer de bonnes relations, que vous êtes un
imposteur incapable d’altruisme, que vous n’avez aucune qualité ni
perspicacité, etc.
C’est le générique du début. C’est une scène d’un roman. C’est agréable,
bien plus plaisant que ces sentiments de doute, de peur et de normalité. Et
on reste ainsi coincés dans notre tête au lieu de participer au monde qui
nous entoure.
Les gens qui réussissent ne font que freiner de telles envolées de fantaisie.
Ils ignorent les tentations qui pourraient leur donner le sentiment d’être
importants ou qui déforment leur point de vue. Le général George C.
Marshall – l’opposé de McClellan, même si les deux hommes ont tenu la
même position à quelques générations d’écart – refusait de tenir un journal
pendant la Seconde Guerre mondiale malgré les demandes d’historiens et
d’amis. Il ne voulait pas transformer ses temps calmes et de réflexion en
une sorte de performance et d’aveuglement personnel. En se souciant de
satisfaire ses futurs lecteurs et cherchant à préserver sa réputation, il aurait
douté de ses décisions complexes et déformé ses pensées.
Nous sommes tous sensibles à ces obsessions de l’esprit, que l’on gère une
start-up dans les nouvelles technologies, que l’on gravisse les échelons dans
une multinationale, ou qu’on tombe follement amoureux. Plus nous sommes
créatifs, plus il est facile de perdre notre fil d’Ariane.
Bien qu’elle soit à bien des égards un atout, notre imagination devient
dangereuse lorsqu’on lui laisse libre cours. Nous devons mettre un frein à
nos perceptions, sinon, perdus dans l’excitation du moment, comment
pourrions-nous justement prédire l’avenir ou interpréter les événements?
Comment pourrions-nous rester conscients, insatiables? Comment
pourrions-nous apprécier l’instant présent? Comment pourrions-nous être
créatifs tout en restant pragmatiques?
Il faut du courage pour vivre de façon claire aujourd’hui. Ne vivez pas dans
le brouillard de l’abstrait, vivez avec le tangible, le réel, et même si –
surtout si – ce n’est pas confortable. Prenez part à ce qui se passe dans votre
entourage. Régalez-vous, ajustez-vous. Il n’y a personne pour applaudir
votre performance d’artiste. Il y a seulement un travail à effectuer, des
leçons à apprendre dans tout ce qui nous entoure.
LE DANGER DE L’ORGUEIL
PRÉCOCE
Lors d’une rencontre avec Cotton Mather, l’une des figures les plus
respectées de la ville et ancien rival, Franklin a vite montré à quel point son
jeune ego était devenu ridiculement gonflé. Il discutait avec Mather en
marchant dans un couloir lorsque ce dernier a soudain crié: «Baisse la tête,
baisse la tête!» Trop absorbé par sa performance, Franklin s’est cogné dans
une poutre. La réponse de Mather était parfaite: «Que ça te serve
d’avertissement: ne garde pas toujours la tête aussi haute, lui a-t-il dit d’un
ton moqueur. Baisse la tête, jeune homme, en cheminant dans ce monde et
tu éviteras bien des coups.»
Pour les chrétiens, l’orgueil est un péché parce que c’est un mensonge – il
convainc les individus qu’ils sont meilleurs que dans la réalité, qu’ils sont
meilleurs que ce que Dieu les a faits. L’orgueil conduit à l’arrogance et les
éloigne de l’humilité et de leurs pairs. Il ne faut pas forcément être un
chrétien pour y voir de la sagesse. Il suffit de s’intéresser à sa carrière pour
comprendre que l’orgueil – même dans le cas d’accomplissements bien
réels – est une distraction, un leurre.
Comme l’a dit Cyril Connolly, «celui que les dieux veulent détruire, ils
l’appellent d’abord prometteur». Quelque deux mille cinq cents ans plus tôt,
le poète élégiaque Théognis de Mégare a écrit à un ami: «La première
chose, Kurnos, que les dieux nous ont accordée et qu’ils annihileraient est
l’orgueil.» Et pourtant, on le revêt exprès!
L’orgueil émousse l’outil dont nous avons besoin pour réussir: notre esprit.
Notre capacité d’apprendre, de nous adapter, d’être souples, de nouer des
relations, tout cela est terni par la fierté. Ce qui est encore plus dangereux,
c’est que cela a tendance à se produire précocement dans la vie ou au cours
du processus – lorsque nous sommes rongés par la vanité des débutants. Ce
n’est que plus tard qu’on se rend compte que la bosse sur la tête était le
moindre des risques. Il suffit d’un accomplissement mineur pour que la
fierté s’installe et donne l’impression qu’il est majeur. Il sourit à notre
intelligence et notre génie, comme si nous n’avions laissé voir qu’un aperçu
de la suite. D’emblée, il creuse un fossé entre le possesseur et la réalité,
modifiant subtilement ou non sa perception de ce qui est et ce qui n’est pas.
Ce sont ces opinions bien arrêtées, vaguement fondées sur des faits ou des
accomplissements, qui nous précipitent vers l’illusion ou pire encore.
Appelons un chat un chat: cette attitude est une imposture. Si vous faites
bien le boulot et que vous y mettez des efforts, vous n’aurez pas à tricher,
vous n’aurez pas à compenser.
Sa carrière était bien partie. Il avait décroché un bon poste, il mettait un peu
d’argent de côté, il faisait quelques placements. Puisque son père avait été
un escroc ivrogne, c’était déjà une prouesse en soi. Rockefeller était en
bonne voie. On comprend aisément qu’avec ses accomplissements et la
trajectoire qu’il prenait, une sorte d’autosatisfaction puisse s’installer. Dans
un moment de frustration, il a crié sur un banquier qui lui refusait un prêt:
«Un jour, je serai l’homme le plus riche du monde!»
Rockefeller était peut-être le seul sur Terre à dire une telle chose et à
effectivement devenir l’homme le plus riche du monde. S’il était unique, il
y a des dizaines d’imbéciles délirants qui ont tenu le même discours, en
étaient persuadés et ont lamentablement échoué, notamment parce que leur
orgueil jouait contre eux et les rendait détestables aux yeux des autres.
C’est pour ça que Rockefeller savait qu’il devait se contrôler et gérer son
ego en privé. Tous les soirs, il se demandait: «Tu vas faire le crétin? Tu vas
laisser ton argent te monter à la tête?» (et cependant il n’en avait pas
beaucoup à l’époque.)
Plus tard, il a déclaré: «J’étais horrifié par les dangers de l’arrogance. C’est
pitoyable quand un homme laisse un petit succès éphémère le gâcher,
pervertir son jugement et lui fait oublier qui il est!» Cela crée une sorte de
myopie obsessionnelle, qui déforme les perspectives, la réalité, la vérité et
le monde qui nous entoure. Le Petit Prince de Saint-Exupéry en arrive à la
même conclusion en se lamentant: «les vaniteux n’entendent jamais que les
louanges.» L’orgueil est un très mauvais traducteur. Recevez des
commentaires, gardez de l’appétit, dessinez une bonne trajectoire dans la
vie. L’orgueil amoindrit les sens. Ou alors, dans d’autres cas, il exacerbe
des aspects négatifs en nous: une trop grande sensibilité, un complexe de
persécution, l’idée pernicieuse et obsessionnelle que tout a un rapport avec
nous.
En enseignant à ses fils et à des généraux pour qu’ils lui succèdent plus
tard, le célèbre guerrier et conquérant Gengis Khan leur répétait souvent:
«Si vous ne pouvez pas ravaler votre fierté, vous ne pourrez pas devenir un
meneur.» Il leur expliquait que l’orgueil serait plus difficile à mater qu’un
lion. Il utilisait l’analogie d’une montagne pour dire: «Même la plus haute
des montagnes a des animaux qui, quand ils se tiennent dessus, sont plus
grands que la montagne.»
On a tendance à être sur nos gardes face au négativisme, face à ceux qui
nous découragent de poursuivre notre vocation ou qui doutent de la vision
que nous avons de nous-mêmes. Il faut se méfier de cet obstacle, mais il est
simple à gérer. Ce à quoi l’on prête moins attention, c’est de nous protéger
contre la validation et la satisfaction qui apparaîtront rapidement si nous
sommes prometteurs. Ce dont on ne se méfie pas, ce sont des gens et des
choses qui nous font du bien, ou plutôt «trop du bien». Nous devons nous
préparer à l’excès d’orgueil et l’éliminer précocement, au risque de le voir
tuer ce à quoi on aspire. On doit se méfier de notre assurance à toute
épreuve et à l’égocentrisme. «Le premier produit de la connaissance de soi
est l’humilité», a déclaré Flannery O’Connor. C’est en se connaissant bien
qu’on combat l’ego.
Nous faisons des efforts et ce sont ceux qui en font qui devraient être nos
pairs – pas les fiers et les accomplis. Si on ne le comprend pas, l’orgueil
transforme la conception que nous avons de nous-mêmes et la met en porte-
à-faux avec notre situation réelle, qui montre le chemin encore à parcourir
et les choses nombreuses à accomplir.
Après s’être cogné la tête et entendu Mather, Franklin s’est battu pendant le
restant de sa vie avec son orgueil, parce qu’il voulait accomplir de grandes
choses et qu’il avait compris que la fierté les rendrait plus difficiles. C’est
pour cette raison, malgré ses futurs accomplissements dans tous les
domaines – richesse, notoriété, pouvoir –, que Franklin n’a pas connu la
plupart des «malheurs que rencontrent les vaniteux.»
En fin de compte, il ne s’agit pas de repousser à plus tard la fierté parce que
vous ne la méritez pas encore. Il ne s’agit pas de se «vanter de ce qui n’est
pas encore arrivé», mais tout simplement de «ne pas se vanter». Vous n’en
tirerez aucun avantage.
TRAVAILLER, TRAVAILLER ET
TRAVAILLER ENCORE
Notre ego souhaite se satisfaire des actions que nous entreprenons par
rapport à nos idées. Il veut que les heures que l’on passe à planifier, assister
à des conférences ou à discuter avec des amis impressionnés comptent
dans… le compte que la réussite semble exiger. Il veut être bien payé pour
son temps et il veut faire les trucs sympas – les choses qui attirent
l’attention, le mérite, la gloire.
C’est la réalité. L’endroit où nous décidons de dépenser de l’énergie définit
ce que nous finirons par accomplir.
Alors, est-ce qu’on reste là, assis seuls à nous débattre avec notre travail?
Un travail qui pourrait mener nulle part, qui peut être décourageant ou
douloureux? Est-ce qu’on aime travailler, est-ce qu’on gagne sa vie pour
travailler et pas l’inverse? Est-ce qu’on aime s’entraîner comme les grands
sportifs? Ou bien, est-ce qu’on cherche à attirer l’attention et la
reconnaissance à court terme – que ce soit en se livrant à une quête
perpétuelle d’idées ou simplement au bavardage?
Ce ne serait pas fabuleux si le travail était comme s’ouvrir les veines et que
le génie coule à flots? Ou si on pouvait entrer dans une salle de réunion et
déverser du génie sur les têtes? On se place devant une toile vierge, on jette
de la peinture et hop, c’est une œuvre d’art moderne, non? C’est un
fantasme, ou plus précisément, un mensonge.
Chaque fois que vous vous installez à votre bureau, répétez ceci: je retarde
ma satisfaction en faisant ça. Je passe le test de la guimauve. Je gagne ce à
quoi mon ambition aspire. J’investis dans moi-même et pas dans mon ego.
Accordez-vous un peu de mérite pour ce choix, mais pas trop, parce qu’il
faut vous y remettre: vous entraîner, travailler, vous améliorer.
Le travail, c’est comme se retrouver tout seul sur la piste d’athlétisme
quand tous les autres sont restés au chaud à cause du mauvais temps. Le
travail, c’est dépasser la douleur, les premiers jets et les prototypes nuls.
C’est ignorer les applaudissements destinés aux autres et surtout ignorer les
applaudissements qui s’adressent à vous. Car il y a du travail qui attend. Le
travail n’a pas envie d’être sympa. C’est comme ça, malgré le vent
contraire.
Cette pensée crée un pacte faustien qui transforme une ambition sincère en
dépendance éhontée. Au début, l’ego peut s’adapter, temporairement. La
folie peut passer pour de l’audace, les illusions pour de l’assurance,
l’ignorance pour du courage. Mais ça ne fait qu’augmenter les frais à long
terme. Personne n’a jamais dit, en revenant sur la vie de quelqu’un: «Ça
valait la peine d’avoir un ego aussi démesuré!»
Pour Sherman, c’est son choix qui l’a préparé au moment où son pays et
l’Histoire avaient le plus besoin de lui et lui a permis de gérer les énormes
responsabilités auxquelles il devrait rapidement faire face. Dans ce creuset
tranquille, il s’est forgé une personnalité ambitieuse mais patiente,
innovante sans être impétueuse, courageuse sans être dangereuse. En bref,
un vrai leader.
Vous avez l’occasion de choisir à votre tour, jouer à un autre jeu pour avoir
des objectifs complètement audacieux. Parce que la suite va vous mettre à
l’épreuve d’une façon inimaginable, car l’ego est le méchant frère du
succès.
LA RÉUSSITE
«Deux caractères différents sont présentés à notre émulation: l’un est fait
d’ambition orgueilleuse et d’avidité ostentatoire; l’autre d’humble modestie
et d’équitable justice. Deux modèles différents, deux portraits nous sont
présentés, selon lesquels nous pouvons façonner notre caractère et notre
comportement: l’un plus criard et clinquant dans ses couleurs; l’autre plus
correct et plus exquisément beau dans son trait.»
Adam Smith
On ne peut pas nier que Hughes était doué, visionnaire et brillant. C’est un
fait. C’était un génie mécanique, l’un des pionniers les plus courageux de
l’histoire de l’aviation. En tant qu’homme d’affaires et réalisateur, il avait
un don pour prédire les changements profonds qui allaient non seulement
transformer les industries qui le concernaient, mais l’Amérique tout entière.
Un rapide aperçu de ses exploits – si on peut les appeler ainsi – est édifiant:
La production de son film le plus célèbre, Hell’s Angels, a duré trois ans.
Finalement, il a perdu 1,5 million de dollars sur un budget total de 4,2
millions et a failli causer la faillite de l’entreprise de forage.
«On a fait de Howard Hughes un héros, a écrit Joan Didion, ce qui en dit
long sur nous-mêmes.» Elle a parfaitement raison. Car malgré sa réputation,
Howard Hughes était l’un des plus mauvais hommes d’affaires du XXe
siècle. Généralement, quand ils échouent, ces dirigeants disparaissent du
monde des entreprises, ce qui rend difficile la manifestation de la cause
exacte de leur échec. Mais grâce aux bénéfices réguliers de la société
paternelle qu’il trouvait trop ennuyeuse pour s’en occuper, Hughes a pu
maintenir la tête hors de l’eau, nous permettant ainsi de voir les dégâts que
son ego a produits à maintes reprises sur son entourage, sur lui, et ce qu’il
voulait accomplir.
Il y a une scène de la longue descente d’Howard vers la folie qui mérite
d’être illustrée. Ses biographes l’ont vu nu dans son fauteuil blanc préféré,
sale, pas rasé, travaillant 24 heures sur 24 à lutter contre des avocats, des
enquêtes, des inspecteurs pour sauver son empire et cacher ses secrets
honteux. D’un instant à l’autre, il dictait un mémo de plusieurs pages sur
des mouchoirs en papier, des préparations culinaires, ou rappelait que ses
employés ne devaient pas s’adresser à lui directement, puis il se retournait
et trouvait une stratégie maligne pour échapper à ses créditeurs et ennemis.
Les biographes ont remarqué que son esprit et ses affaires étaient comme
coupés en deux. C’était comme si «IBM avait délibérément créé deux
filiales, l’une pour produire des ordinateurs et des bénéfices, l’autre pour
produire des Edsel et des pertes.»
Parfois, l’ego s’efface durant l’ascension. Parfois, une idée est si puissante
ou le timing si parfait qu’ils peuvent temporairement supporter, voire
compenser un gros ego. Quand le succès sonne à la porte, comme pour une
équipe qui vient de remporter un championnat, l’ego commence à jouer
avec notre esprit et affaiblir la volonté qui nous avait conduits jusqu’à la
réussite. Nous savons que les empires peuvent s’effondrer, alors nous
devons chercher à savoir pourquoi.
«La pire maladie qui puisse toucher des dirigeants dans leur activité n’est
pas l’alcoolisme, comme on pourrait le penser; c’est l’égoïsme», a déclaré
Geneen. À l’époque des Mad Men dans les grandes sociétés américaines, la
consommation d’alcool était un problème important, mais l’ego a les
mêmes racines: le sentiment d’insécurité, la peur, une aversion pour
l’objectivité brutale. «Que ce soit chez les cadres moyens ou supérieurs,
l’égoïsme effréné fait oublier à l’homme la réalité qui l’entoure. Il vit de
plus en plus dans son monde imaginaire. Puisqu’il est persuadé qu’il ne
peut rien faire de mal, il devient une menace pour ceux qui travaillent sous
ses ordres», a-t-il écrit dans ses mémoires.
Voilà que nous avons accompli quelque chose. Après nous être octroyé un
certain mérite, notre ego voudrait que nous pensions: je suis spécial, je suis
meilleur, les règles ne s’appliquent pas à moi.
«L’homme est poussé par des pulsions, a observé Viktor Frankl, mais il est
tiré par les valeurs.» Esclave des unes ou acteur des autres: lequel êtes-
vous?
Sans les bonnes valeurs, la réussite ne dure pas. Pour être autre chose qu’un
flash, pour durer, il faut comprendre comment lutter contre cette nouvelle
forme d’ego et quelles valeurs et quels principes sont nécessaires pour le
battre.
Le verdict du cas Hughes est tombé: c’est l’ego qui l’a détruit. Une
sentence similaire nous attend tous au tournant. Au cours d’une carrière,
chacun sera confronté aux choix que Hughes a dû faire. Que vous bâtissiez
un empire à partir de rien ou que vous en héritiez, que votre richesse soit
pécuniaire ou un talent que vous avez développé, votre ego cherche à
saborder votre réussite pendant que vous lisez ces lignes.
Sous Gengis Khan, les Mongols étaient aussi impitoyables pour voler et
absorber le meilleur dans chaque culture rencontrée qu’ils l’étaient pour la
conquête elle-même. À défaut d’inventions technologiques, de jolies
constructions ou des œuvres d’art, les Mongoles s’enrichissaient d’un
apport, d’une nouveauté, après chaque bataille, qu’ils empruntaient à la
culture de l’ennemi.
Gengis Khan n’est pas né génial. Comme l’a écrit un biographe, c’était
plutôt le résultat «d’un cycle continu d’apprentissages pragmatiques,
d’adaptations expérimentales et de modifications constantes, motivé par sa
volonté disciplinée et déterminée».
C’était le plus grand des conquérants de tous les temps, car il était plus
ouvert à l’apprentissage que tous les autres.
Ensuite, dans chaque nation ou cité conquises, Khan faisait appel à des
astrologues, des scribes, des médecins, des penseurs et conseillers – à tous
ceux qui pouvaient aider son armée. Les soldats voyageaient avec des
enquêteurs et interprètes dans ce but. Cette habitude perdura après sa mort.
Alors que les Mongols semblaient se dévouer presque uniquement à l’art de
la guerre, ils surent utiliser le talent des artisans, marchands, enseignants,
comédiens, cuisiniers et ouvriers qualifiés qu’ils croisaient. L’empire
mongol était remarquable en ce qui concernait les libertés de culte et surtout
pour son ingéniosité et la convergence des cultures. Ce sont les Mongols
qui ont fait découvrir le citron à la Chine et les nouilles chinoises à
l’Occident. Ils ont répandu les tapis persans, la technologie de forage
allemande, la ferronnerie française, et la religion islamique. On dit que le
canon, qui a révolutionné la guerre, est né de la fusion des savoirs, mêlant la
poudre des Chinois, les lance-flammes des dynasties musulmanes et les
forges des peuples européens. C’est leur envie d’apprendre et d’avoir de
nouvelles idées qui a rassemblé les Mongols.
À notre première réussite, nous nous retrouvons dans des situations
inédites, face à de nouveaux problèmes. Le soldat récemment promu doit
apprendre l’art de la politique, le commercial doit apprendre à manager, le
fondateur à déléguer, l’écrivain à éditer d’autres textes, l’humoriste à jouer
la comédie, et le chef devenu restaurateur à gérer la salle.
Il faut avoir une certaine humilité pour comprendre qu’on en sait moins,
même si on en sait et on en comprend toujours davantage. Il faut se
souvenir que la sagesse de Socrate se fondait sur le fait qu’il savait
pratiquement ne rien savoir.
Quoi que vous ayez fait jusqu’à présent, mieux vaut rester un éternel
étudiant. Si vous n’avez plus envie d’apprendre, vous êtes déjà en train de
mourir. Il ne suffit pas d’apprendre au début. Il faut continuer toute la vie.
Apprendre de tous, apprendre de tout. Des gens que vous avez battus et de
ceux qui vous battent; des gens que vous n’aimez pas et même de vos soi-
disant ennemis. À chaque étape de la vie, à chaque instant, on a l’occasion
d’apprendre – et même si la leçon n’est qu’un cours de rattrapage, on ne
doit pas laisser notre ego nous empêcher de l’écouter à nouveau.
Trop souvent, forts de notre propre intelligence, nous restons dans notre
zone de confort. Là, nous ne nous sentons jamais bêtes (et où on n’est
jamais mis au défi d’apprendre ou de revoir ce que l’on sait déjà). Elle
masque diverses faiblesses dans nos connaissances jusqu’à ce qu’il soit trop
tard pour changer de cap. C’est là que le silence fait son œuvre. Chacun de
nous fait face à une menace alors que nous poursuivons notre activité. Telle
une sirène sur son rocher, l’ego nous chante une mélodie apaisante,
approuvée – qui peut conduire au naufrage. Dès l’instant où nous laissons
notre ego nous déclarer que nous sommes diplômés, l’apprentissage se met
au point mort. C’est pour ça que Frank Shamrock a dit: «Restez toujours
étudiant!» À vie.
La solution est aussi simple que désagréable de prime abord: lisez un livre
sur un sujet que vous ignorez. Mettez-vous dans une pièce où vous serez la
personne la moins bien informée.
«Le mythe ne devient pas un mythe dans le vivant mais dans le récit.»
David Maraniss
On a tellement envie de croire que ceux qui possèdent des empires ont tout
mis en œuvre pour y parvenir. Mais pourquoi? Simplement pour pouvoir
nous faire plaisir à planifier le nôtre. Pour pouvoir nous attribuer tout le
mérite pour les bonnes choses, la fortune et le respect qui viennent à nous.
Se la raconter, c’est quand on regarde rétrospectivement son chemin
improbable vers la réussite et qu’on se dit «je le savais depuis toujours» au
lieu de dire «je l’espérais, j’ai travaillé, j’ai eu de la chance». Ou même: «Je
pensais que ça pouvait arriver.» Évidemment, vous l’ignoriez à ce moment-
là, car si vous l’aviez su, ça aurait davantage été une question de foi que de
savoir. Mais qui a envie de se souvenir de toutes les fois où on a douté de
soi?
Inventer des histoires d’événements passés est très humain. Mais c’est aussi
très dangereux et inexact. Écrire notre propre histoire mène à l’arrogance.
Ça transforme notre vie en histoire – et nous transforme en caricatures –
alors que nous devons encore la vivre.
Comme l’a écrit l’auteur Tobias Wolff dans son roman Old School [La
Vieille École], ces explications et récits finissent par «être bricolés de façon
plus ou moins sincère, et une fois les histoires répétées, elles deviennent des
souvenirs et bloquent toute autre possibilité d’exploration».
Bill Walsh avait compris que c’était vraiment les «normes de performance»
– ces petites choses presque insignifiantes – qui étaient responsables de la
transformation de l’équipe et de sa victoire. Pas très accrocheur pour les
gros titres des journaux! C’est pour ça qu’il les a ignorés quand les
journalistes l’ont appelé «le génie». Accepter le titre et cette version de
l’histoire ne serait pas une gratification personnelle inoffensive. Un récit ne
change pas le passé, mais il a le pouvoir d’influencer négativement l’avenir.
Les joueurs de Walsh ont vite compris le danger à laisser une histoire leur
monter à la tête. Comme la plupart d’entre nous, ils voulaient croire que
leur victoire improbable était due au fait qu’ils étaient spéciaux. Au cours
des deux saisons suivant sa première victoire au Super Bowl, l’équipe a
connu des échecs cuisants – en partie à cause de l’excès de confiance
dangereux qui accompagne ce genre de victoires – en perdant 12 matchs sur
22. C’est ce qui se produit lorsqu’on s’octroie prématurément des pouvoirs
que l’on ne contrôle pas encore. C’est ce qui arrive quand on commence à
penser à ce que ses accomplissements rapides disent de soi, et qu’on relâche
ses efforts, qu’on laisse de côté les normes de performance qui les
alimentaient initialement.
Ce n’est que quand l’équipe est revenue sans réserve aux «normes de
performance» qu’elle a renoué avec la victoire (3 Super Bowls
supplémentaires et 9 championnats en une décennie). Ce n’est qu’en
arrêtant les histoires et en se concentrant sur leur tâche qu’ils ont
recommencé à gagner.
Mais voici l’autre facette: quand vous gagnez, tout le monde en a après
vous. C’est lorsqu’on est au sommet qu’on peut le moins se permettre de
laisser son ego prendre le dessus, car les risques sont si importants que les
marges d’erreur sont réduites. Ce qui compte encore plus maintenant, c’est
votre capacité à écouter, à accepter les critiques, à vous améliorer et à vous
développer.
Les faits valent mieux que les belles histoires ou images. Le financier
Bernard Baruch avait une jolie phrase: «N’essayez pas d’acheter au prix le
plus bas et de vendre au prix le plus haut. Ça n’arrive jamais – sauf aux
menteurs.» On ne peut pas avoir confiance dans ce que les gens déclarent
faire en Bourse. Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, a parlé de cette
tentation. Il se rappelle qu’il n’y a pas eu de «moment Ah!» dans sa
multinationale qui pèse des milliards, malgré tout ce qu’il peut lire dans sa
collection personnelle de coupures de presse. Fonder une société, gagner de
l’argent en Bourse ou mettre en œuvre une idée est un processus
désordonné. Réduire ce processus à une histoire crée une vision qui n’a
jamais été vraie, et qui ne le sera jamais.
Napoléon avait fait graver «Au destin!» dans la bague de mariage qu’il a
offerte à son épouse. Il a toujours cru au destin, c’était ainsi qu’il justifiait
ses idées les plus audacieuses, les plus ambitieuses. C’est aussi pour cela
qu’il en faisait trop, encore et encore, jusqu’à ce que son destin se traduise
en divorce, en exil, en défaite et déshonneur. Sénèque nous rappelle qu’un
grand destin est un grand esclavage.
Et le danger est bien réel quand les gens emploient le terme de «génie» – et
encore plus lorsque nous laissons notre orgueil nous faire croire que nous en
sommes un. Il en va de même pour toute étiquette qui accompagne une
carrière: est-ce qu’on se retrouve soudain «cinéaste», «écrivain»,
«entrepreneur» ou «directeur» parce qu’on aura accompli quelque chose?
Ces étiquettes nous déconnectent de la réalité, mais aussi de la véritable
stratégie qui nous a fait réussir en premier lieu. À partir de là, on peut
penser que toute réussite future est la suite logique de l’histoire – alors
qu’elle est ancrée dans le travail, la créativité, la persévérance et la chance.
Il en va de même pour soi, quoi qu’on fasse. Au lieu de prétendre qu’on vit
une histoire extraordinaire, il faut rester concentré sur l’exécution, et
exécuter avec excellence. Rejeter la couronne de lauriers et continuer à
travailler sur ce qui nous a fait réussir; c’est la seule chose qui nous assurera
une continuité dans la réussite.
QU’EST-CE QUI EST IMPORTANT
À VOS YEUX?
Forts de cette liberté, Sherman et Grant ont pris deux chemins différents.
Comme nous l’avons déjà évoqué, Sherman détestait la politique et a refusé
à plusieurs reprises de se présenter aux élections présidentielles. «J’ai le
rang que je veux», a-t-il déclaré aux personnes qui tentaient de le
convaincre. Ayant apparemment maîtrisé son ego, il a pris sa retraite et s’est
installé à New York où il a vécu visiblement heureux et satisfait.
De son côté, Grant, qui n’avait pas exprimé jusque-là d’intérêt pour la
politique et qui avait réussi en tant que général parce que justement il ne
faisait pas de politique, choisit le plus haut poste de la nation: devenir
président. Élu à une écrasante majorité, il a présidé l’une des
administrations les plus corrompues, controversées et inefficaces de
l’histoire de l’Amérique. Sincèrement bon et loyal, il n’avait pas la carrure
pour faire face au sale univers de Washington qui n’en a fait qu’une
bouchée. Il a quitté le Bureau ovale calomnié et controversé après deux
mandats épuisants, presque étonné qu’ils se soient si mal passés. Ensuite,
Grant a investi toutes ses économies dans la création d’une société de
courtage avec un investisseur controversé du nom de Ferdinand Ward. Ce
Bernie Madoff de l’époque a transformé la société en chaîne de Ponzi et a
officiellement ruiné Grant. Comme Sherman, avec beaucoup d’amitié et de
compréhension l’a écrit au sujet de son ami, Grant avait «visé à rivaliser
avec les millionnaires qui auraient tout donné pour remporter n’importe
laquelle de ses victoires». Grant avait accompli tant de choses, mais à ses
yeux, cela ne suffisait pas. Il n’arrivait pas à décider ce qui était important à
ses yeux, ce qui comptait pour lui.
C’est toujours comme ça: nous ne sommes pas satisfaits de ce que nous
avons, il nous faut aussi ce que les autres possèdent. On veut en avoir plus
que tout le monde. On part en sachant ce qui est important pour soi, mais
une fois qu’on l’a accompli, on perd ses priorités de vue. Notre ego nous
influence et peut nous mener à notre perte.
L’esprit, l’âme et le corps brisés, il s’est battu les dernières années de sa vie
contre un cancer de la gorge et s’est empressé de terminer ses mémoires
pour que sa famille ait de quoi vivre. Il y est parvenu, mais de justesse.
On frémit à l’idée des forces vitales qui ont quitté ce héros, mort à l’âge de
63 ans dans la souffrance et la défaite, cet homme droit et honnête qui n’a
pas pu se protéger, se concentrer et qui s’est retrouvé à l’opposé de ce que
son génie laissait envisager. Qu’aurait-il pu faire à la place, toutes ces
années? À quoi aurait pu ressembler l’Amérique autrement? Qu’aurait-il pu
accomplir de plus?
Il n’est pas unique à cet égard. Régulièrement, nous disons tous «oui» à
quelque chose sans réfléchir, par vague attrait ou par cupidité, vanité. Tout
ça parce qu’on ne peut pas refuser – par crainte de rater quelque chose. On
se dit qu’un «oui» nous permettra d’en faire plus alors qu’en réalité, ça nous
empêche d’atteindre notre objectif. On gâche des moments précieux de sa
vie en faisant des choses qu’on n’aime pas faire, pour faire ses preuves aux
yeux de gens qu’on ne respecte pas, et obtenir des choses que l’on ne veut
pas.
Mais alors, pourquoi faisons-nous cela? Eh bien, c’est évident, non? L’ego
mène à la jalousie et pourrit les gens, petits et grands. L’ego sape la
grandeur en trompant son détenteur.
La plupart d’entre nous partons avec une bonne idée de ce que nous voulons
dans la vie. Nous savons ce qui est important pour nous. La réussite que
nous obtenons, notamment si elle arrive précocement ou en abondance,
nous met dans une position inhabituelle. Soudain, nous nous retrouvons
dans une nouvelle situation et avons du mal à nous repérer. Plus on
s’aventure dans la voie de l’accomplissement, quel qu’il soit, plus on
rencontre fréquemment d’autres personnes qui ont réussi et qui nous font
nous sentir insignifiants. Et cela, même si vous vous débrouillez très bien.
Votre ego et leurs accomplissements vous donnent l’impression que vous
n’êtes rien – comme d’autres leur font sentir la même chose. C’est un cycle
qui dure ad infinitum… alors que notre bref passage sur la Terre – ou la
petite fenêtre d’opportunité que nous avons – n’est pas infini. Alors
inconsciemment, nous allons accélérer le pas pour rester à la hauteur des
autres. Mais si les différentes personnes courent pour différentes raisons? Et
s’il y avait plusieurs courses?
C’est ce que Sherman disait à propos de Grant. Il y a une certaine ironie «au
don des Mages» dans le fait qu’on a du mal à poursuivre ce qui ne sera pas
réellement agréable.
Du moins, ça ne dure pas. Si seulement nous pouvions tous nous arrêter une
minute.
Soyons clairs: la compétitivité est une force importante dans la vie. C’est ce
qui alimente le marché et qui est la cause de certains accomplissements les
plus impressionnants de l’homme. Toutefois, d’un point de vue individuel,
c’est essentiel de savoir avec qui vous êtes en concurrence et pourquoi,
d’avoir une vision claire de votre espace. Vous êtes le seul à savoir à quelle
course vous participez, enfin, à moins que votre ego ne décide que le seul
moyen pour vous d’avoir de la valeur est d’être meilleur et avoir davantage
que tous les autres. Chacun a un potentiel et un objectif unique; cela signifie
que nous sommes les seuls à pouvoir évaluer et fixer les conditions de notre
vie. Trop souvent, nous regardons les autres et prenons leur approbation
comme une norme à respecter. Résultat, nous gaspillons notre potentiel et
notre objectif.
Cela est particulièrement vrai pour l’argent. Si vous ne savez pas combien il
vous en faut, la réponse sera par défaut: davantage. Et ainsi, sans réfléchir,
votre énergie critique passe de votre vocation au remplissage de votre
compte en banque. Quand «on allie insécurité et ambition, a déclaré le
journaliste plagiaire Jonah Lehrer en repensant à sa disgrâce, on devient
incapable de dire non à des choses.»
L’ego refuse les compromis. D’ailleurs, pourquoi en faire? L’ego veut tout.
Votre ego vous dit de tromper votre épouse, même si vous l’aimez. Parce
que vous voulez ce que vous possédez et ce que vous ne possédez pas.
Votre ego vous dit que même si vous commencez à avoir goût à quelque
chose, pourquoi ne pas tenter autre chose? Vous finissez par dire oui à trop
de choses, des choses qui dépassent les bornes. Nous sommes comme le
capitaine Achab qui poursuivait Moby Dick, pour des raisons que nous ne
comprenons même plus.
«L’un des symptômes d’une proche dépression nerveuse est de croire que le
travail qu’on fait est terriblement important.»
Bertrand Russell
Mais une fois encore, c’était un trait de son caractère. Peu de temps avant,
Xerxès avait rédigé une lettre adressée à une montagne qu’il devait éventrer
pour creuser un canal. «Tu es haute et fière, écrivit-il, mais n’ose pas me
créer des ennuis, sinon, je te ferai basculer dans la mer.»
D’après le poète William Blake, «le poison le plus puissant est celui issu de
la couronne de lauriers de Jules César». Le succès nous ensorcelle. Le
problème est le chemin qui nous a conduits à cette réussite. Ce qu’on a
accompli a exigé des prouesses de force brute et de volonté.
L’entreprenariat et l’art demandent de créer quelque chose là où il n’y avait
rien auparavant. La richesse implique de battre les concurrents et la chance.
Les champions sportifs ont prouvé leur supériorité physique à leurs
adversaires.
Nous avons réussi parce que nous avons été plus grands, plus forts, plus
malins. Notre réalité, nous l’habitons.
L’ego est son propre pire ennemi. Il blesse aussi ceux qu’on aime. Notre
famille, nos amis en souffrent. Nos clients, nos fans aussi. Un critique de
Napoléon a fait remarquer: «Il méprise la nation dont il cherche les
louanges.»
Croire que tout nous est dû suppose que nous pensons mériter ce que nous
avons. Mais pas seulement: notre attitude a une incidence dans la vie des
autres. Nous nous livrons à de grandes tirades et déclarations qui épuisent
nos employés et collaborateurs, qui n’ont d’autre choix que de nous suivre.
Nous surestimons nos capacités, nous portons un jugement généreux sur
nos perspectives et nous créons des attentes ridicules.
Avoir le contrôle signifie: tout doit être fait à ma façon – même les choses
insignifiantes et inconséquentes. Cela peut vite devenir du perfectionnisme
paralysant ou des milliers de batailles inutiles livrées simplement pour avoir
son mot à dire. Cela épuise également les gens à qui on demande de l’aide
et particulièrement les discrets qui n’objecteront pas tant qu’on ne les
poussera pas à bout. On va se battre avec l’hôtesse de l’aéroport, le service
client par téléphone, l’agent qui va examiner notre réclamation. Dans quel
but? En réalité, on ne contrôle pas la météo, la Bourse, les autres. Tous nos
efforts et l’énergie déployés dans ce but sont gâchés.
Est-ce vraiment là la liberté que vous imaginiez quand vous rêviez de votre
réussite? Sans doute pas. Alors, arrêtez.
SE GÉRER
Quel snob, n’est-ce pas? Sa fonction lui était déjà montée à la tête?
Comme l’a rapporté plus tard son chef de cabinet: «Le président s’occupe
des choses les plus importantes. Moi, je m’occupe des choses un peu moins
importantes.»
Sans surprise, les voitures étaient nulles. Elles ne marchaient pas! Les coûts
de production dépassaient largement le budget. Il n’y avait pas
suffisamment de concessionnaires et les rares d’entre eux attendaient
longtemps les véhicules. Le lancement a été une catastrophe. La société
DeLorean Motor Company ne s’en est jamais remise.
Il s’avère que devenir un grand leader est une tâche difficile. Qui l’eût cru!
DeLorean avait déjà du mal à se gérer tout seul, alors les autres… Lui et ses
rêves ont été un échec.
On dit qu’un poisson se noie par la tête. Eh bien, la tête, c’est vous
désormais.
GARE À LA MALADIE DU MOI
«Si je ne suis pas moi-même, qui le sera pour moi? Et si je ne vis pas pour
moi-même, qui vivra pour moi?»
Hillel
Ce qui est encore plus impressionnant, c’est que Marshall les a tous
tranquillement surpassés par l’ampleur de ses accomplissements. Quel était
son secret?
D’après Pat Riley, le célèbre entraîneur et manager qui a conduit les Lakers
de Los Angeles et les Heat de Miami à de multiples victoires en
championnat, les grandes équipes ont tendance à suivre une trajectoire. Au
début, avant la victoire, l’équipe est innocente. Si les conditions sont
rassemblées, les gars se rapprochent, ils font attention les uns aux autres, ils
travaillent ensemble vers un objectif commun. C’est l’étape que Riley
appelle «l’ascension innocente». Une fois que l’équipe commence à gagner
et attire l’attention des médias, les liens qui unissaient les individus
commencent à s’effilocher. Les joueurs calculent leur importance. Les
torses se bombent. Les frustrations apparaissent. Les egos enflent.
«L’ascension innocente» est presque toujours suivie par «la maladie du
moi», comme dirait Pat Riley. Elle peut «contaminer n’importe quelle
équipe victorieuse à tout moment», et cela se produit avec une régularité
alarmante.
Pour nous, c’est commencer à croire que nous sommes meilleurs, que nous
sommes spéciaux, que nos problèmes et expériences sont si radicalement
différents de ceux des autres que personne ne peut comprendre. Ce genre
d’attitude a causé la perte de bien des personnes, d’équipes et nuit à des
causes bien plus importantes que les nôtres.
Cela a débuté par sa relation équilibrée avec le grade, une obsession chez la
plupart des militaires. Ce n’était pas un homme qui fuyait toute
démonstration publique de rang ou de statut. Il insistait, par exemple, pour
que le président l’appelle Général Marshall et non George. (Il l’avait mérité,
non?») Tandis que d’autres généraux exerçaient des pressions pour être
promus – le général MacArthur avait devancé d’autres officiers avant la
guerre en grande partie grâce aux efforts soutenus de sa maman – Marshall
les décourageait activement. Quand d’autres ont insisté pour que Marshall
devienne chef d’état-major, il leur a demandé d’arrêter: «[Cela] me met en
évidence dans l’armée. Trop en évidence.» Plus tard, il a découragé tous les
efforts de la Chambre des représentants pour faire adopter un projet de loi
qui le propulserait au rang de maréchal, non seulement parce qu’il trouvait
que maréchal Marshall faisait ridicule, mais aussi parce qu’il ne voulait pas
dépasser ou blesser son mentor, le général Pershing, qui était à l’article de la
mort et qui était une source constante de conseils. Vous imaginez? Dans
toutes ces situations, son sens de l’honneur lui dictait de décliner les
honneurs, souvent au profit d’autres personnes. Comme tout être humain
normalement constitué, il voulait en recevoir, mais seulement de la bonne
manière. Il savait, même si cela lui avait été agréable, qu’il pouvait s’en
passer, contrairement à d’autres. L’ego a besoin d’honneurs pour être
validé, mais l’assurance peut attendre et se concentrer sur la tâche à
accomplir sans attendre de reconnaissance extérieure.
Il s’est avéré que le général Eisenhower était le mieux taillé pour le poste. Il
a parfaitement réussi et a participé à la victoire des Alliés. Quoi d’autre
aurait mérité ce compromis?
Comme l’épouse de Marshall l’a fait remarquer plus tard, les personnes qui
ne voyaient en lui que l’homme modeste ou discret rataient ce qu’il avait de
si spécial. Il avait les mêmes traits de caractère que tout le monde – un ego,
un intérêt personnel, de la fierté, de la dignité, de l’ambition – mais ils
étaient «tempérés par son humilité et abnégation».
Que vous ayez envie qu’on se souvienne de vous ne fait pas de vous une
mauvaise personne. Ni d’avoir envie de réussir ou de faire vivre votre
famille. Après tout, ça fait partie de l’attrait. Il y a un équilibre. L’entraîneur
de foot Tony Adams l’exprime parfaitement: «Jouez pour le nom inscrit sur
le devant du maillot et on se souviendra du nom inscrit dans le dos.»
«Un moine est un homme séparé de tout et qui est en harmonie avec tout.»
Évagre le Pontique
Ne pas avoir de connexion avec quelque chose de plus vaste, c’est comme
une partie de notre âme qui s’en va. Comme si nous nous étions détachés
des traditions dont nous sommes originaires, quelles qu’elles soient (un art,
un sport, une fraternité, une famille). Notre ego nous empêche de voir la
beauté et l’histoire du monde. Il est gênant. Ce n’est pas étonnant qu’on
trouve que la réussite est creuse. Pas étonnant que nous soyons épuisés. Pas
étonnant que nous ayons l’impression d’être sur un tapis roulant. Pas
étonnant que nous perdions l’énergie qui nous alimentait autrefois.
Pourquoi croyez-vous que des grands leaders et penseurs sont de tout temps
«partis explorer la nature sauvage» et en sont revenus avec un regain
d’inspiration, un projet, une expérience qui les a placés sur une trajectoire
visant à changer le monde? C’est parce qu’en faisant cela, ils ont découvert
un nouveau point de vue, ils ont compris l’ensemble, alors que ce n’était
pas possible dans leur quotidien trop affairé. En réduisant au silence le bruit
environnant, ils ont pu entendre la petite voix qui leur était nécessaire
d’écouter. La créativité est une question de réceptivité et de reconnaissance.
Elle ne peut se faire si nous sommes convaincus que le monde tourne autour
de nous. En supprimant notre ego, même de façon temporaire, nous
accédons à ce qui reste en relief. En ouvrant nos perspectives, nous voyons
davantage de choses.
Il y a aussi une vidéo disponible sur YouTube dans laquelle on peut voir un
homme participer au jeu télévisé de CBS, «I’ve Got a Secret» en 1956, où il
y avait également la célèbre actrice Lucille Ball. Quel était son secret? Il
était présent au théâtre Ford lors de l’assassinat de Lincoln en 1865. Le
gouvernement britannique a récemment payé des dettes contractées en 1720
lors d’événements tels que la débâcle boursière de la bulle des Mers du Sud
(South Sea Bubble), les guerres napoléoniennes, l’abolition de l’esclavage
dans l’Empire britannique et la Grande Famine en Irlande, ce qui prouve
que le XXIe siècle a toujours une connexion directe et quotidienne aux
XVIIIe et XIXe siècles.
La chancelière Angela Merkel est sérieuse alors que tant d’autres leaders
sont mégalos, assoiffés de pouvoir, de grandeur. Cette rigueur est
précisément ce qui l’a rendue extrêmement populaire tout au long de ses
trois mandats et, paradoxalement, elle est devenue une force puissante,
radicale, en faveur de la liberté et de la paix en Europe aujourd’hui.
On raconte une histoire à propos d’Angela Merkel quand elle était jeune
fille. Lors d’un cours de natation, elle est montée sur le plongeoir et s’est
arrêtée pour réfléchir au fait de plonger ou non. Les minutes défilaient. Et
quand la cloche marquant la fin du cours a retenti, elle a plongé. Avait-elle
peur ou était-elle simplement prudente? De nombreuses années plus tard,
elle allait rappeler aux leaders européens en pleine crise que «la peur est
mauvaise conseillère». Comme la jeune fille sur le plongeoir, elle voulait
profiter de chaque seconde disponible pour prendre la bonne décision, sans
être motivée par l’imprudence ou la crainte.
Dans la plupart des cas, on pense que les gens commencent à avoir du
succès grâce à leur énergie et l’enthousiasme. On excuse presque l’ego
parce qu’on croit que ça fait partie intégrante du caractère nécessaire pour
«réussir». C’est peut-être un peu grâce à ça que vous avez réussi, mais
posons-nous la question suivante: est-ce que c’est durable à l’aune des
décennies à venir? Est-ce que vous pourrez vraiment travailler mieux que
les autres, les dépasser pour toujours?
La réponse est non. Notre ego nous dit que nous sommes invincibles, qu’on
dispose d’une force illimitée qui ne se dissipera jamais. Mais cela ne peut
pas être ce que demande la grandeur: une énergie infinie?
Pourtant, nous autres voulons accéder au sommet aussi vite qu’il est
humainement possible. On n’a pas la patience d’attendre. On veut gravir les
échelons rapidement. Une fois qu’on a réussi, on a tendance à penser que
l’ego et l’énergie sont les seuls moyens de rester au top. C’est faux.
C’est aussi pour cette raison que le philosophe zen Zuigan se serait dit tous
les jours:
«Maître.
— Oui, monsieur?
— Oui, monsieur.
Il concluait en disant:
L’historien Shelby Foote a fait remarquer que «le pouvoir ne corrompt pas
tant que ça; ce serait trop simple. Il fragmente, il ferme des portes, il
hypnotise». C’est ce que fait l’ego. Il embrume l’esprit au moment précis
où il a besoin d’être clair. La sobriété est un contrepoids, un remède contre
la gueule de bois – ou mieux encore, une méthode préventive.
La générosité, une qualité que nous admirons tous, doit se situer entre
l’excès et la parcimonie pour être d’une quelconque utilité. Placer le curseur
sur le juste milieu est difficile, mais si nous ne le trouvons pas, nous
risquons de tomber dans les extrêmes. C’est pour cela qu’il est si difficile
d’être excellent, selon Aristote. «Dans tous les cas, il est difficile de trouver
l’intermédiaire; par exemple, seul celui qui sait peut trouver le milieu d’un
cercle; les autres ne peuvent pas.»
On peut utiliser le juste milieu pour piloter notre ego et notre désir
d’accomplissement. Avoir une ambition infinie est facile; n’importe qui
peut appuyer sur l’accélérateur. La complaisance est aussi facile; il suffit de
lever le pied. Ce qu’il faut éviter, c’est ce que le stratège en affaires Jim
Collins appelle «la poursuite indisciplinée du toujours plus», ainsi que la
complaisance qui accompagne les louanges.
Pour paraphraser encore une fois Aristote, la difficulté est d’appuyer sur
l’accélérateur dans la juste mesure, au bon moment, de la bonne manière,
pendant la bonne durée, dans le bon véhicule qui va dans la bonne direction.
Si nous ne le faisons pas, les conséquences peuvent être désastreuses.
Napoléon qui, comme Alexandre le Grand est mort dans la misère, a dit:
«Les ambitieux ont cherché le bonheur… et ont trouvé la célébrité.» Ce
qu’il entendait par là est que derrière chaque objectif se cache la motivation
d’être heureux et épanoui – mais quand l’égoïsme apparaît, on perd
l’objectif de vue et on atterrit là où on n’a jamais voulu. Dans son célèbre
essai sur Napoléon, Emerson s’efforce de montrer que, quelques années
après sa mort, l’Europe en était au même stade qu’avant l’ascension
précipitée de l’empereur. Tous ces morts, tous ces efforts, toute cette
avidité, tous ces honneurs – dans quel but?
En gros, pour rien. Pour Emerson, Napoléon s’est évaporé aussi vite que la
fumée de son artillerie.
Qui sait? Peut-être qu’un revers de médaille est ce qui nous attend au
tournant. Pire encore, c’est peut-être vous qui l’avez provoqué. Ce n’est pas
parce que vous avez réussi à faire quelque chose une fois que vous pourrez
le refaire indéfiniment. Les revirements de situation et les régressions font
autant partie du cycle de la vie que tout le reste.
L’ÉCHEC
Ce destin semble écrit pour nous comme il a été écrit il y a cinq mille ans
pour le jeune roi de Gilgamesh:
Cela fait une liste de problèmes épuisante à lire, sans parler de la vivre.
Mais grâce à la persévérance de Katharine Graham, le résultat s’est révélé
mieux que prévu.
Les rapports secrets qu’elle avait publiés sont désormais connus sous le
nom de «Pentagon Papers» et ont fait l’objet d’une des plus importantes
histoires médiatisées aux États-Unis. Les articles du journal sur le scandale
du Watergate, qui ont tant outré la Maison-Blanche, ont changé le cours de
l’histoire de l’Amérique et fait tomber toute l’administration Nixon.
Le Post a été récompensé par un prix Pulitzer. Quant à l’investisseur que les
autres avaient craint, il s’agissait du jeune Warren Buffett. Il est devenu le
mentor de Katharine et un défenseur du groupe. (Son petit investissement
dans l’affaire familiale allait valoir des centaines de millions.) Katharine
réussit à négocier avec les syndicats et la grève prit fin. Le Star, son
principal concurrent à Washington qui avait refusé de l’aider, fit subitement
faillite et fut repris par le Post. Le rachat de ses propres actions, considéré
comme contraire au bon sens aussi bien dans le métier que dans la finance,
rapporta des milliards de dollars au groupe.
Le dur labeur qu’elle a enduré, les erreurs qu’elle a commises, les échecs à
répétition, les crises et les attaques, tout cela menait quelque part. Si vous
aviez investi 1$ dans le Post en 1971, vous auriez touché 89$ au moment où
Katharine Graham s’est retirée de l’affaire en 1993. À titre de comparaison,
la moyenne dans ce secteur d’activité est de 14$, et 5$ d’après l’indice
boursier S&P 500. Cela fait d’elle l’une des meilleures femmes PDG de sa
génération et la première à gérer une société du Fortune 500. C’est sans
conteste l’un des meilleurs PDG de tous les temps.
Pour quelqu’un qui est né avec une cuillère d’argent dans la bouche, les
quinze premières années ont été ce qu’on appelle son baptême du feu.
Katharine a enchaîné les difficultés, des problèmes qu’elle n’était pas
vraiment préparée à gérer. Du moins en apparence. À certains moments, on
se dit qu’elle aurait mieux fait de revendre l’affaire et de profiter de sa
fortune. Katharine n’est pas la cause du suicide de son époux, mais elle a dû
continuer sans lui. Elle n’a pas réclamé le Watergate ou les Pentagon
Papers, mais ils lui sont tombés dessus. À elle de faire avec ces matières
explosives. Des concurrents ont été touchés par la mode des fusions et
acquisitions dans les années 1980, pas elle. Elle a redoublé d’efforts malgré
le fait que le Post jouissait d’une piètre considération à Wall Street. Cent
fois, elle aurait pu opter pour la facilité, mais elle ne l’a pas fait.
Les échecs et les revers peuvent arriver n’importe quand. Comme le dit Bill
Walsh, «presque toujours, le chemin vers la victoire passe par une case
appelée “échec”». Pour renouer avec la réussite, on doit comprendre ce qui
nous a conduits à ce moment difficile (ou ces années), ce qui a cloché et
pourquoi. On doit gérer la situation pour pouvoir avancer. On doit
l’accepter et progresser.
On se dit que l’échec ne concerne que les égocentriques qui l’ont cherché.
Nixon méritait son échec. Mais Graham? La réalité, c’est que, souvent, les
gens se préparent à l’échec, mais des gens bien échouent (ou d’autres
personnes les lâchent) tout le temps. Ceux qui ont déjà traversé des
épreuves se retrouvent encore dans d’autres difficultés. La vie est injuste.
L’ego adore cette notion, l’idée que quelque chose est «juste» ou «injuste».
Pour les psychologues, il s’agit d’une blessure narcissique quand on prend
pour soi des événements complètement sans intérêt et objectifs. Ça nous
arrive quand l’estime de soi est fragile et dépendante de la façon dont on
souhaiterait qu’aillent tout le temps les choses. Peu importe que vos
difficultés soient votre faute ou votre problème, car vous devez les gérer
maintenant. Ce n’est pas son ego qui a fait échouer Graham, mais si elle en
avait eu un, ça l’aurait empêché de renouer avec la réussite. On peut dire
que l’échec arrive toujours sans prévenir, mais à cause de notre ego, nous
sommes trop nombreux à le laisser s’installer.
De quoi Katharine Graham avait besoin pour traverser ces épreuves? Pas
d’arrogance. Pas de fanfaronnades. Il fallait qu’elle soit forte. Il fallait
qu’elle ait confiance et volonté. Le sens du bien et du mal, de la mission. Il
ne s’agissait pas d’elle; il s’agissait de préserver l’héritage familial, le
journal, de faire son travail.
Et vous? Est-ce que votre ego vous trahira quand les choses deviendront
difficiles? Ou est-ce que vous continuerez sans lui? Face à une difficulté,
particulièrement un problème d’ordre public (des sceptiques, un scandale,
des pertes), notre ami l’ego montre son vrai visage.
En absorbant les critiques négatives, l’ego dira: «Je savais bien que tu n’y
arriverais pas. Pourquoi as-tu même essayé?» L’ego déclarera: «Ça n’en
vaut pas la peine. Ce n’est pas juste. Ce n’est pas ton problème. Pourquoi ne
te trouves-tu pas une bonne excuse et ne t’en laves-tu pas les mains?»
Notre ego nous dit qu’on n’a pas à subir tout ça. Que ce n’est pas nous, le
problème. Il ne fait qu’ajouter des blessures à celles qu’on subit déjà.
Pour paraphraser Épicure, le narcissique vit dans une «cité sans murs
d’enceinte». Une estime de soi fragile est constamment menacée. Les
illusions et les accomplissements ne sont pas des défenses, pas quand on a
des antennes spéciales ultrasensibles qui détectent (et créent) des signaux
qui menacent son équilibre précaire. C’est triste de vivre comme ça.
L’année avant que Walsh reprenne les 49ers, le bilan était de 2-14. Idem
pour sa première année en tant qu’entraîneur et directeur général. Vous
imaginez sa déception? Tous les changements opérés, tout le travail fourni
cette première année pour terminer à la même place que le coach qui vous a
précédé? C’est ce que se diraient la plupart des gens. Puis ils accuseraient
les autres.
Walsh a compris qu’il devait «chercher des preuves ailleurs» que les choses
changeaient. Pour lui, c’était la manière dont les matchs étaient joués, les
bonnes décisions et les changements opérés dans l’organisation. Deux
saisons plus tard, les 49ers ont remporté le Super Bowl, puis plusieurs
éditions par la suite.
Trop souvent, les PDG malhonnêtes ou égoïstes rachètent des actions parce
qu’ils sont déconnectés de la réalité. Ou pour gonfler artificiellement le prix
de l’action. À l’inverse, un PDG faible ou timide n’imaginerait même pas
parier le moindre sou sur lui. Dans le cas du Post, Katharine Graham a
porté un jugement de valeur; avec l’aide de Buffett, elle pouvait voir avec
toute objectivité que le marché n’appréciait pas la valeur réelle des actifs de
l’entreprise. Elle le savait, les atteintes à la réputation du Post, sa courbe
d’apprentissage, tout cela avait contribué à baisser la valeur de l’action, ce
qui, même en réduisant sa fortune personnelle, créait une énorme occasion
pour le groupe.
En peu de temps, elle a racheté près de 40% des actions pour une fraction
du prix qu’elles atteindraient par la suite: 20$ l’action en moyenne qui en
vaudrait plus de 300 à peine dix ans plus tard. Graham et Walsh se basaient
sur un ensemble de mesures internes qui leur permettait d’évaluer leur
progression, tandis que les gens extérieurs étaient distraits par les prétendus
signes d’échecs ou de faiblesses. C’est ça qui nous guide à travers les
difficultés.
Peut-être que vous ne serez pas admis dans l’université que vous aviez
sélectionnée comme premier choix. Peut-être que vous ne serez pas retenu
pour participer à ce projet. Peut-être qu’on va vous coiffer au poteau pour
cette promotion. Ou le poste, la maison de vos rêves, l’occasion en or que
vous pensez être celle qui fera la différence. Cela pourrait arriver demain ou
dans vingt-cinq ans. Cela pourrait durer deux minutes ou dix années. On
sait que tout le monde fait face à l’échec ou à l’adversité, que tout le monde
est soumis aux lois de la gravité et des statistiques. Donc forcément, nous
aussi, nous y serons confrontés.
La seule issue est de passer au travers. Les individus humbles et forts gèrent
mieux ces problèmes que les égoïstes. Ils se plaignent moins, ils s’auto-
immolent beaucoup moins. Ils font preuve d’une résilience stoïque, voire
enjouée. S’apitoyer ne sert à rien. Leur identité n’est pas menacée. Ils
peuvent s’en sortir sans chercher constamment la validation. C’est ce à quoi
on aspire – bien plus qu’à la simple réussite. Ce qui compte, c’est pouvoir
réagir à ce que la vie nous inflige. Et comment on s’en sort.
TEMPS TEMPS VIF OU MORT?
Il a finalement été arrêté alors qu’il tentait de receler une montre de luxe
qu’il avait volée. Il portait une arme, mais il n’a pas opposé de résistance
aux policiers qui l’avaient piégé. Chez lui, on a retrouvé des bijoux, des
fourrures, tout un arsenal d’armes et tous ses outils de cambrioleur. Il a
écopé de dix ans. C’était en février 1946. Il avait à peine 21 ans.
On sait tous ce que Malcolm X a fait après être sorti de prison, mais peu de
gens savent ou comprennent comment son emprisonnement a rendu toute la
suite possible, comment un mélange d’acceptation, d’humilité et de force a
alimenté sa transformation. Ils n’ont pas conscience que nombre de
personnages célèbres de l’Histoire, et c’est assez courant, ont renversé, par
leur attitude et leur approche, des situations terribles – une peine de prison,
un exil, un marché baissier ou une dépression économique, une conscription
militaire ou même un passage dans un camp de concentration.
Francis Scott Key a écrit un poème lorsqu’il était retenu sur un bateau lors
d’un échange de prisonniers durant la guerre anglo-américaine de 1812. Son
poème est devenu l’hymne national américain. Viktor Frankl a peaufiné sa
psychologie du sens de la vie et de la souffrance pendant sa détention dans
trois camps de concentration nazis. Certes, ces occasions n’arrivent pas
toujours dans ces situations terribles. L’écrivain Ian Fleming était alité et,
par ordre des médecins, il ne devait pas utiliser de machine à écrire. Ils
craignaient qu’il ne s’épuise en écrivant un nouveau roman de James Bond.
Alors à la place, il a écrit l’histoire pour enfant Chitty Chitty Bang Bang, à
la main. Walt Disney a décidé de devenir auteur de dessins animés pendant
qu’il était alité après avoir marché sur un clou rouillé. Il serait beaucoup
plus courant de ressentir sur le moment de la colère, de la contrariété, de la
déprime ou d’avoir le cœur brisé. Lorsque l’injustice ou les caprices du
destin frappent quelqu’un, la réaction normale serait de hurler, de riposter,
de résister. Vous connaissez ce sentiment: Je ne veux pas ça. Je veux… Je
veux que les choses se fassent à ma façon. C’est un manque de vision.
Pensez à ce que vous avez remis à plus tard, aux choses auxquelles vous
n’avez pas envie de vous attaquer, aux problèmes systémiques qui
paraissent trop accablants pour les régler. Un temps mort ressuscite quand
nous en profitons pour nous atteler à ce que nous devons faire depuis
longtemps. Comme on dit, ce moment n’est pas votre vie, mais simplement
une parenthèse dans votre vie. Alors, comment allez-vous en profiter?
Le temps mort, c’était quand notre ego nous contrôlait. Maintenant, nous
pouvons vivre.
Qui sait dans quelle situation vous vous retrouvez actuellement. Espérons
que vous n’êtes pas en prison, même si parfois vous en avez l’impression.
Peut-être avez-vous repris vos études, peut-être êtes-vous en disponibilité,
vous venez de vous séparer ou bien vous fabriquez des smoothies en
attendant d’avoir suffisamment d’économies, peut-être attendez-vous un
contrat ou votre tour de garde. Peut-être que vous avez voulu cette situation,
ou peut-être que c’est la malchance qui l’a provoquée.
Dans la vie, nous connaissons tous des temps morts. Leur fréquence est
hors de notre contrôle. En revanche, leur utilisation l’est.
Comme l’a dit Booker T. Washington: «Jetez votre seau là où vous êtes.»
Profitez des ressources qui vous entourent. Ne laissez pas votre entêtement
envenimer la situation.
L’EFFORT EST SUFFISANT
«Ce qui compte pour un homme actif, c’est de faire ce qui est juste; si ce
qui est juste se produit, cela ne doit pas le déranger.»
Goethe
Bélisaire est l’un des grands généraux oubliés de l’Histoire. Son nom est si
peu familier qu’à côté, le général Marshall semble une célébrité. Au moins
ce dernier a donné son nom au Programme de rétablissement européen,
appelé Plan Marshall. En tant que plus haut gradé sous l’empereur byzantin
Justinien, Bélisaire a sauvé la civilisation occidentale à trois reprises. À la
chute de Rome et au déménagement du siège de l’Empire à Constantinople,
Bélisaire était la seule lueur d’espoir dans ces temps sombres pour la
chrétienté. Il remporta des batailles à Dara, Carthage, Naples, en Sicile et à
Constantinople. Avec une poignée de gardes contre une foule dense,
Bélisaire sauva le trône alors que le soulèvement populaire tournait tant à
l’émeute que l’empereur pensait abdiquer. Malgré un petit nombre de
soldats et privé de ressources, il réclama des territoires lointains perdus
depuis des années. Il reprit et défendit Rome pour la première fois depuis
l’invasion barbare qui avait pillé la ville. Et il n’avait même pas 40 ans à
l’époque.
Dans la vie, nous faisons parfois bien les choses, même parfaitement, et
pourtant, les résultats sont négatifs: échec, manque de respect, jalousie ou
même une profonde indifférence de la part du reste du monde. En fonction
de ce qui nous motive, cette réponse peut être accablante. Si l’ego domine,
on ne cherchera rien de moins que la pleine reconnaissance. C’est une
attitude dangereuse, car quand on travaille sur un projet – que ce soit un
livre, une affaire ou autre chose – à un moment donné, il finit par nous
quitter et entrer dans le monde réel. Il sera jugé, accueilli, repris par
d’autres. Ce n’est plus quelque chose que l’on contrôle et qui dépend de
nous.
Bélisaire pouvait gagner des batailles, mener ses soldats, choisir son éthique
personnelle, mais il ne pouvait pas contrôler l’appréciation de son travail
par les autres ni même s’il éveillait des soupçons. Il n’avait pas le pouvoir
de contrôler la façon dont le traitait un dictateur puissant.
Cette réalité est généralement vraie pour tout un chacun. Ce qui différencie
Bélisaire est qu’il acceptait ce marché. Faire ce qui était juste était suffisant:
servir son pays, son dieu, faire loyalement son devoir, c’était tout ce qui
comptait. N’importe quelle adversité pouvait être endurée et toute
reconnaissance était considérée comme un plus. Et non seulement il a reçu
peu de reconnaissance pour son travail, mais il a été puni pour ça. C’est
exaspérant, au premier abord. On serait indignés si cela nous arrivait, à nous
ou à une de nos connaissances. Mais quel choix avait-il? Aurait-il dû mal
agir à la place?
Nous faisons tous face à ce même défi quand nous poursuivons notre
objectif. Est-ce qu’on va travailler dur pour quelque chose qu’on peut nous
prendre? Est-ce qu’on va investir du temps et de l’énergie si le résultat n’est
pas garanti? Avec les bons motifs, on est prêts à essayer. Avec l’ego, on ne
l’est pas. Nous n’avons qu’un petit contrôle sur les récompenses que nous
recevons pour notre travail et nos efforts – la validation, la reconnaissance
des autres. Alors, qu’allons-nous faire? Ne pas être gentil, ne pas travailler
dur, ne rien produire parce que nous risquons de ne rien recevoir en retour?
Allons!
Pensez aux militants qui constatent qu’ils ne peuvent plus faire avancer leur
cause plus loin, aux leaders assassinés avant que leur travail ne soit achevé,
aux inventeurs dont les idées sont «trop en avance sur leur temps». D’après
les grands critères de la société, ces gens n’ont pas été récompensés pour
leur travail. N’auraient-ils pas dû le faire pour autant?
Par amour-propre, nous avons tous envisagé d’adopter cette attitude. Mais
alors, comment comptez-vous endurer les difficultés? Et si vous étiez en
avance sur votre époque? Et si le marché du travail favorisait une tendance
bidon? Et si votre patron ou vos clients ne le comprenaient pas? Nous nous
sentons beaucoup mieux lorsqu’un travail bien fait est considéré comme
étant suffisant. En d’autres termes, moins on s’attache aux résultats, mieux
c’est.
En fait, satisfaire nos propres normes est ce qui doit nous remplir de fierté
et d’amour-propre. Ce qui compte, c’est l’effort – pas le résultat, positif ou
négatif. Lorsque l’ego prend le dessus, tout cela n’est pas suffisant. Nous
voulons de la reconnaissance, une compensation! Ce qui est problématique,
c’est qu’on l’obtient souvent. Nous sommes félicités, payés, et nous
commençons à croire que cela va toujours de pair. N’empêche qu’il s’ensuit
inévitablement «la gueule de bois des attentes».
Eh bien, tenez-vous prêt, car cela arrivera tôt ou tard. Peut-être que ce sont
vos parents qui ne seront jamais impressionnés. Peut-être que c’est votre
petite amie qui s’en fichera. Ou un investisseur qui ne verra pas les chiffres.
Peut-être que c’est le public qui n’applaudira pas. Quoi qu’il en soit, il faut
passer outre. Cela ne peut pas être notre unique motivation.
Sauf que non, la vie n’est pas un conte de fées. Il a encore une fois été
soupçonné à tort de comploter contre l’empereur. Dans le célèbre poème de
Longfellow, ce pauvre général se retrouve à la fin de sa vie démuni et
handicapé. Pourtant, le poème se termine avec force: «Cela aussi, je peux le
supporter; je suis encore Bélisaire!»
Qu’est-ce qui a changé entre ces deux propositions aux éditeurs? Rien. Le
manuscrit était exactement le même. Il était tout aussi génial quand Toole
l’avait présenté aux éditeurs que lorsqu’il a été publié, vendu à des millions
d’exemplaires, et qu’il a remporté des prix littéraires. Si seulement il l’avait
compris, ça ne lui aurait pas autant brisé le cœur. Mais il en était incapable.
Son exemple terrible nous montre à quel point les aléas de la vie sont
arbitraires.
C’est pour cette raison qu’on ne peut pas laisser des éléments extérieurs
décider si quelque chose en vaut la peine ou non. Cela nous appartient.
Après tout, le monde est indifférent de ce que nous, les humains, «voulons».
Si nous persistons à vouloir, à avoir besoin de choses, il faut nous attendre à
ressentir de la rancœur, voire pire.
«Quand on enferme la vérité sous terre, elle s’y amasse, elle y prend une
force telle d’explosion, que, le jour où elle éclate, elle fait tout sauter avec
elle.»
Émile Zola
Il serait impossible de citer toutes les personnes qui ont connu le creux de la
vague avant de finir par réussir. L’idée que tout le monde vit des moments
bouleversants, qui modifient le point de vue, est presque un cliché. Mais ce
n’est pas faux pour autant.
Prenez une tranche de votre vie (ou peut-être le moment que vous vivez
actuellement): un patron qui vous critique méchamment devant tout le
personnel, la dispute avec la personne que vous aimiez, l’alerte Google qui
livre l’article que vous espériez ne jamais lire, le coup de téléphone de la
banque, la nouvelle qui vous laisse sans voix, sidéré.
C’est dans ces moments-là – quand la cassure expose quelque chose jamais
vu auparavant – que l’on regarde dans les yeux cette chose appelée Vérité.
Vous ne pouvez plus vous cacher ou faire semblant.
2. Ils impliquent souvent des choses qu’on savait déjà sur soi mais qu’on
craignait d’admettre.
Mais est-ce que tout le monde profite de cette chance? Évidemment que
non. L’ego cause souvent la chute et nous empêche de remonter.
Dans tous les groupes Douze Étapes, quasiment toutes les étapes concernent
la suppression de l’ego et incitent à se débarrasser des dus, casseroles et
débris qu’on a accumulés – afin de voir ce qui demeure quand on retire tout
et qu’il ne reste que le vrai vous.
C’est toujours tentant de se tourner vers notre bon vieux copain le déni (qui
n’est autre que l’ego qui refuse de croire que ce qui vous déplaît pourrait
pourtant être vrai).
Les psychologues disent souvent qu’un égotisme menacé est l’une des
forces les plus dangereuses du monde. Le membre du gang dont
«l’honneur» est attaqué. Le narcissique qui est rejeté. Le tyran qui ressent la
honte. L’imposteur qui est démasqué. Le plagiaire ou l’enjoliveur dont
l’histoire arrête de s’embellir. On n’a pas vraiment envie d’être dans le coin
quand ces gens-là seront acculés, et ce n’est pas vraiment non plus une
position dans laquelle nous aimerions nous retrouver personnellement.
C’est à ce moment qu’on se dit: mais comment osent-ils me parler comme
ça? Ils se prennent pour qui? Je vais leur faire payer.
Parfois, parce qu’on ne peut pas accepter ce qui est dit ou fait, on réagit
avec l’impensable: c’est l’escalade. C’est l’ego dans sa forme la plus pure et
toxique qui s’exprime.
Affronter les symptômes et soigner la maladie n’est pas chose facile à cause
de l’ego. C’est tellement plus simple de remettre ça à plus tard, de redoubler
d’efforts, d’éviter de voir les changements qu’il faut entreprendre dans sa
vie. Quoi qu’il en soit, le changement commence par l’écoute des critiques
et des opinions de vos proches, même si ces mots sont empreints de
mesquinerie, de colère ou de méchanceté. Il faut les peser, éliminer ceux qui
ne comptent pas et réfléchir au reste.
Dans le roman Fight Club, le personnage doit détruire son domicile pour
pouvoir avancer. Nos attentes, nos exagérations et notre manque de retenue
rendent ces moments inévitables et assurément douloureux. Maintenant que
c’est arrivé, qu’est-ce que vous allez faire? Changer ou nier.
Vince Lombardi a dit un jour: «Une équipe… doit être mise à genoux avant
de pouvoir se redresser.» Alors oui, toucher le fond est réellement brutal,
mais, après, le sentiment qu’on ressent, c’est que de grandes perspectives
s’offrent à nous. Le président Obama l’a très bien décrit à l’approche de la
fin de son second mandat tumultueux et éprouvant. «J’étais enfermé dans
un tonneau dévalant les chutes du Niagara et j’ai émergé, j’ai survécu. Quel
sentiment libérateur!»
En fin de compte, le seul moyen d’apprécier vos progrès est de vous mettre
devant le trou que vous vous êtes creusé, d’en contempler le fond et de
sourire fièrement aux traces de griffes ensanglantées que vous avez laissées
sur les parois en remontant.
FIXER LES LIMITES
Prenez Steve Jobs, par exemple. Il était 100% responsable de son départ
d’Apple. À la lumière de sa réussite future, la décision d’Apple de se
séparer de lui semble un bon exemple d’une mauvaise gestion, mais c’était
lui, à l’époque, qui était ingérable. Son ego était complètement hors de
contrôle. Si vous étiez John Sculley et PDG d’Apple, vous aussi auriez
renvoyé cette version de Steve Jobs – et vous auriez eu tort de ne pas le
faire.
Il a lancé une autre société après cela, une entreprise appelée Pixar. Steve
Jobs, le célèbre égocentrique qui se garait sur une place pour personnes
handicapées simplement parce que personne ne dirait rien, a répondu de
manière surprenante à ce moment critique. Une bonne leçon d’humilité
pour les PDG convaincus de leur génie.
Steve Jobs a travaillé jusqu’à ce qu’il ait à nouveau fait ses preuves, mais
aussi jusqu’à ce qu’il ait intégré une bonne fois pour toutes les défauts qui
avaient causé sa chute. Ce n’est pas fréquent que les puissants puissent y
parvenir. En tout cas, pas quand ils ont connu un échec cuisant.
L’ego tue ce que nous aimons. Parfois, il menace même de nous tuer.
Un point final? Ce n’est pas que ces gens auraient dû tout abandonner. Mais
un lutteur qui ne peut pas cogner ou un boxeur qui n’admet pas qu’il est
temps de raccrocher les gants peut se blesser sérieusement. Il faut être
capable d’avoir une vue d’ensemble, mais quand l’ego domine, qui en est
capable?
Admettons que vous ayez échoué et disons carrément que c’est votre faute.
Ce sont des choses qui arrivent et parfois, elles arrivent même en public. Ce
n’est pas drôle, mais restent les questions suivantes: Allez-vous compliquer
la situation? Allez-vous en sortir avec votre dignité et votre personnalité
intactes? Allez-vous continuer à vivre pour lutter encore un jour?
Il n’y a que pour l’ego que la gêne ou l’échec prennent une importance
disproportionnée. L’Histoire regorge d’individus qui ont subi d’abjectes
humiliations et qui ont fini par avoir de longues carrières impressionnantes.
Comme les politiques qui ont perdu des élections ou leur poste à cause
d’indiscrétions, mais qui sont revenus après que l’eau a coulé sous les
ponts. Ou comme les acteurs dont le dernier film a fait un flop; ou les
écrivains qui bloquent devant la page blanche, les célébrités qui font des
gaffes, des parents qui font des erreurs, des entrepreneurs dont la société
s’essouffle, des dirigeants remerciés, des sportifs non qualifiés, des gens qui
avaient la trop belle vie. Toutes ces personnes ont ressenti le tranchant de
l’échec, tout comme nous. Quand on perd, un choix s’offre à nous: allons-
nous en faire une situation perdant-perdant pour nous-mêmes et toutes les
personnes concernées? Ou bien, cela sera-t-il une défaite… pour une
victoire prochaine?
L’entraîneur John Wooden était aussi très clair à ce sujet. Le tableau des
résultats n’était pas le seul à pouvoir juger si lui ou son équipe avaient
réussi: ce n’était pas ça qui constituait la «victoire».
C’est ainsi que pensent les gens qui accomplissent de grandes choses. Ils ne
vont pas trouver un échec dans chaque réussite. Ils se plient simplement à
des normes qui dépassent ce que la société considère comme une réussite
objective. Ainsi, ils ne prêtent pas beaucoup attention à ce que les autres
pensent. Ce qui les intéresse, c’est de répondre à leurs normes, qui sont bien
plus élevées que celles des autres.
Pour les Patriots, la sélection de Brady tenait plus à un coup de chance qu’à
un coup de génie. Certaines personnes reconnaissent les coups de chance,
mais pas eux. Personne ne peut dire que les Patriots, ni aucune autre équipe
de la NFL, n’ont pas d’ego, mais dans ce cas précis, au lieu de se féliciter,
ils ont baissé la tête et ont cherché à s’améliorer davantage. C’est ce qui fait
de l’humilité une force puissante, sur le plan organisationnel, personnel et
professionnel. Certes, ce n’est pas toujours amusant, ça peut parfois
ressembler à de la torture auto-infligée, mais ça vous force à poursuivre, à
vous améliorer.
L’ego ne peut pas voir les deux côtés du problème. Il ne peut s’améliorer
car il ne cherche que la validation. Souvenez-vous, «les hommes vains
n’entendent que les louanges». L’ego ne peut voir que ce qui va bien. C’est
pour cette raison qu’il y a des égocentriques qui réussissent
temporairement, mais leur réussite ne dure jamais longtemps.
Pour nous, le tableau des résultats ne peut pas être le seul. Warren Buffett
fait la distinction entre les tableaux de scores internes et externes: votre
potentiel, le meilleur dont vous êtes capable, est le niveau auquel vous
devez vous mesurer. Gagner ne suffit pas: on peut avoir un coup de chance
et gagner. On peut être un imbécile et gagner. N’importe qui peut gagner,
mais tout le monde n’est pas la meilleure version possible de lui-même.
C’est dur. Le revers de la médaille, c’est qu’il faut se montrer fier et fort
lors d’une éventuelle défaite. Quand on retire l’ego de l’équation, l’opinion
des gens et les indicateurs externes n’ont plus autant d’importance. Certes,
c’est plus difficile, mais c’est la formule ultime de la résilience.
Mesurer son ego par rapport à une norme (interne, indifférente ou comme
bon vous semble de l’appeler) diminue vos chances de tolérer les excès ou
les mauvaises actions. Il ne s’agit pas des mauvaises passes dont vous
pourriez vous sortir, mais de ce que vous devriez faire ou éviter. Ce chemin
n’est pas aisé, mais il nous rend moins égoïstes, moins nombrilistes.
Une personne qui se juge selon ses propres normes ne cherche pas les feux
de la rampe de la même façon que quelqu’un qui laisse les louanges dicter
sa réussite. Celui qui pense à long terme ne s’apitoie pas sur son sort
pendant un échec passager. Celui qui valorise l’équipe peut partager son
mérite et y englober ses propres intérêts, contrairement à la plupart des
autres.
Repenser à ce qui s’est bien passé ou se dire qu’on est incroyable ne va pas
nous mener loin, sauf peut-être à l’endroit où l’on se trouve actuellement.
Mais on veut aller plus loin, on en veut davantage, on veut continuer à
s’améliorer. L’ego nous en empêche, donc on le subsume et on lui impose
des normes de plus en plus élevées. Nous ne sommes pas dans une quête
continue, comme si notre avidité nous démangeait; nous avançons
millimètre par millimètre vers une réelle amélioration, par discipline plutôt
que par disposition.
AIMER TOUJOURS
Voici ce qu’il faut retenir de cette histoire. Tout d’abord, Hearst n’a sans
doute jamais vu le film, donc il ignorait ce qu’il racontait. Ensuite, ce
n’était pas l’intention de ce film de parler de lui, ou du moins de parler de
lui exclusivement. (Pour autant qu’on en sache, le personnage de Charles
Foster Kane était une compilation de plusieurs grandes figures historiques,
dont Samuel Insull et Robert McCormick; le film s’inspirait de deux
personnages puissants, de Charlie Chaplin et Aldous Huxley; et il n’y avait
aucune intention de diffamer mais plutôt d’humaniser la chose.)
Troisièmement, Hearst avait 79 ans, il approchait le crépuscule de sa vie et
c’était à l’époque l’un des hommes les plus riches du monde. Alors,
pourquoi a-t-il passé autant de temps à démolir quelque chose d’aussi
inconséquent qu’une fiction réalisée par un petit jeune dont c’était le
premier film? Et enfin, c’est sa campagne contre ce film qui l’a ancré dans
la légende populaire et a clairement montré jusqu’où il était prêt à aller dans
le contrôle et la manipulation. Sans le vouloir, c’est lui qui s’est forgé une
image de personnage détestable. D’où le paradoxe de la haine et de la
rancœur; elles accomplissent exactement l’inverse de ce qu’on espère. À
l’ère d’Internet, on l’appelle l’effet Streisand (d’après la chanteuse et actrice
Barbra Streisand, qui a voulu retirer du Web une photo de sa maison. Son
acte s’est retourné contre elle et bien plus de gens ont vu cette photo que si
elle n’en avait rien fait). Chercher à détruire quelque chose lorsque nous
sommes sous l’emprise de la haine ou de l’ego est l’assurance que cette
chose sera conservée et diffusée ad vitam œternam.
Car, comme le dit la chanson, «la haine vous saisira à chaque fois».
Je l’admets, peut-être qu’aimer est trop vous demander pour ce qu’on vous
a fait, mais vous pourriez au moins essayer de tourner la page. Vous
pourriez essayer d’en rire. Autrement, le monde sera témoin d’un autre
exemple du triste schéma intemporel: le riche et puissant qui devient si isolé
et déconnecté de la réalité que chaque fois que quelque chose est contraire à
ses désirs, réagit mal. La même flamme qui l’a rendu si grand devient
soudain sa principale faiblesse. Chaque petit inconvénient devient une plaie
qui suppure, s’infecte et peut finir par le tuer. C’est ce qui a propulsé Nixon
vers le sommet puis, hélas, vers le précipice. En repensant à son exil, il a
reconnu que l’image de combattant teigneux contre un monde hostile qu’il
avait de lui-même a été sa perte. Il s’était entouré d’autres «durs à cuire».
On oublie pourtant que Nixon a été réélu par une écrasante majorité après le
scandale du Watergate. C’était plus fort que lui: il continuait à se battre, il
persécutait les journalistes, il s’en prenait à tous ceux qui l’avaient offensé
ou douté de lui. C’est ce qui a alimenté l’histoire et a fini par le couler.
Comme beaucoup de gens du même acabit, c’est lui et personne d’autre qui
s’est fait le plus de tort à lui-même. Tout est parti de sa haine, de sa colère
et même en devenant l’homme le plus puissant du monde libre, cela n’a rien
changé. Il aurait pourtant pu en être autrement. Booker T. Washington
rapporte une anecdote que lui a racontée Frederick Douglass un jour où on
lui a demandé de s’installer dans le compartiment des bagages à cause de sa
couleur de peau. Un homme blanc s’est indigné: «Je suis navré, M.
Douglass, qu’on vous ait rabaissé de cette façon.» Mais Douglass n’était
pas dans le même état d’esprit. Il n’était pas fâché ni même blessé. Il a
répondu avec ferveur: «Ils ne peuvent pas rabaisser Frederick Douglass.
Personne ne peut dégrader l’âme qui est en moi. Ce n’est pas moi qui suis
rabaissé en étant traité de cette façon, mais ceux qui me l’infligent.»
Certes, cela devait être une attitude extrêmement difficile à conserver. Il est
bien plus facile de détester. C’est naturel de riposter. Pourtant, ce qui
caractérise les grands leaders comme Douglass, c’est qu’ils ressentent une
sorte d’empathie, de pitié, au lieu de ressentir de la haine pour leurs
ennemis.
Faites l’inventaire. Qu’est-ce qui vous déplaît. Quel nom vous révulse et
vous enrage? Maintenant, demandez-vous si ces sentiments forts vous ont
aidé à accomplir quoi que ce soit. Allez encore plus loin: est-ce que la haine
et la rage ont jamais avantagé quelqu’un? Surtout parce qu’ils sont
quasiment universels, les traits de caractère ou comportements qui nous
énervent tant chez les autres – leur malhonnêteté, leur égoïsme, leur paresse
– ne leur font jamais du bien, en fin de compte. Leur ego et leur vue
étriquée sont déjà leur punition.
Alors, nous devons nous poser cette question: allons-nous être malheureux
parce que d’autres personnes le sont?
D’un autre côté, l’amour est juste là, dépourvu d’ego, ouvert, positif,
vulnérable, serein et productif.
POUR TOUTE LA SUITE, L’EGO
EST L’ENNEMI…
«Je n’aime pas le travail, nul ne l’aime, mais j’aime ce qui est dans le
travail l’occasion de se découvrir soi-même.»
Joseph Conrad
Il a fini par triompher à nouveau. Et faire face une fois de plus à l’adversité
avant d’être entendu. Katharine Graham s’est battue seule lorsqu’elle a
repris l’empire familial dans la presse. Son fils, Donald Graham, a dû subir
la même pression lorsqu’il a voulu préserver le groupe lors du déclin
vertigineux de la presse au milieu des années 2000. Les deux s’en sont
sortis. Vous aussi, vous le pouvez.
Quoi que la vie nous réserve par la suite, il y a une chose qu’on tentera
d’éviter: l’ego.
L’ego rend toutes les étapes plus difficiles, mais l’échec est une étape qu’il
rendra permanente. À moins d’apprendre, sur-le-champ, de nos erreurs. À
moins d’utiliser ce moment comme occasion de mieux nous comprendre,
nous et notre esprit. Autrement, l’ego sera comme aimanté par l’échec.
Tous les grands hommes et les grandes femmes ont traversé des épreuves
pour arriver là où ils sont, et tous ont commis des erreurs. Pourtant, ils y ont
trouvé des avantages – ne serait-ce que comprendre qu’ils ne sont pas
infaillibles et que les choses ne vont pas toujours comme on le souhaite. Ils
ont découvert que la conscience de soi était le moyen de s’en sortir – sinon,
ils ne se seraient pas améliorés et ils n’auraient pas pu se relever. Leur
devise nous guide pour survivre et prospérer à toutes les étapes de notre
voyage. Elle est simple (mais comme toujours, pas facile):
Si vous lisez ces lignes maintenant, c’est que vous avez parcouru
l’ensemble des pages de ce livre. J’avais peur que certains n’y arrivent pas.
Pour être tout à fait honnête, je ne croyais pas y arriver moi-même.
Ce n’est pas facile de dialoguer avec son ego, accepter en premier lieu la
présence de l’ego, puis le soumettre à l’examen critique. La plupart des
gens n’arrivent pas à gérer cette introspection désagréable. C’est bien plus
facile de faire n’importe quoi d’autre – en fait, certains des
accomplissements les plus incroyables au monde résultent du désir
d’échapper à la confrontation avec cet obscur ego.
En tout cas, pour être arrivé jusqu’ici, vous lui en avez mis un sacré coup, à
votre ego! Ce n’est pas suffisant, mais c’est déjà un bon début.
Mon ami philosophe et artiste martial Daniele Bolelli m’a un jour offert une
métaphore utile. Il m’a expliqué que l’entraînement était comme balayer le
sol. Ce n’est pas parce que vous l’avez balayé une fois que le sol sera
propre à tout jamais. Chaque jour, la poussière y retombe. Chaque jour,
nous devons balayer.
C’est également vrai pour l’ego. Vous serez surpris par les dégâts causés par
la saleté et la poussière avec le temps. La rapidité de leur accumulation est
ingérable.
Quelques jours après avoir été renvoyé par le conseil d’administration
d’American Apparel, Dov Charney m’a appelé à 3 heures du matin. Il était
tour à tour découragé et en colère, croyant sincèrement qu’il n’y était pour
rien dans la situation. Je lui ai demandé: «Dov, qu’est-ce que tu vas faire?
Un coup à la Steve Jobs et monter une nouvelle boîte? Tu vas faire un
come-back?» Il s’est tu et m’a dit avec un sérieux que j’ai ressenti jusqu’au
fond de moi: «Ryan, Steve Jobs est mort.» Pour lui, dans cet état de
confusion totale, cet échec, ce coup était comme la mort. C’est l’une des
dernières fois que nous avons discuté ensemble. Dans les mois qui ont
suivi, j’ai vu avec horreur qu’il détruisait la société qu’il s’était donné tant
de mal à construire. C’était triste et ce moment m’a marqué. Cela aurait tout
aussi bien pu m’arriver. Ou à n’importe qui.
Évidemment, ce n’est pas vrai. Certes, nous avons tous du potentiel. Nous
avons des objectifs que nous savons pouvoir atteindre, que ce soit créer une
société, terminer un travail créatif, participer à une course de championnat,
ou atteindre le sommet de notre domaine respectif. Ce sont des objectifs
louables qu’une personne brisée n’atteindra pas.
C’est ainsi que l’ego se manifeste. Et n’est-ce pas ce que nous redoutons
tous de devenir?
Au cours des années qui ont suivi, je me suis retrouvé dans une situation
presque identique à celle des personnages du roman. Non seulement j’ai été
appelé dans une belle demeure pour assister à l’effondrement prévisible et
inévitable d’une personne que j’admirais, mais je me suis retrouvé moi-
même proche de cette situation peu de temps après. Je sais que ce passage
m’a marqué, car quand je l’ai retranscrit pour l’épilogue de mon livre, j’ai
retrouvé dans mon exemplaire des pages écrites de ma main des années
auparavant détaillant ma réaction, juste avant que je me lance dans le
monde. Intellectuellement, j’avais clairement compris les mots de
Schulberg – et même émotionnellement –, mais j’avais déjà fait les mauvais
choix. J’avais balayé le sol une fois et pensais que ça suffisait. Dix ans
après ma première lecture du roman et en couchant sur le papier mes
pensées, j’étais à nouveau prêt. Ces leçons m’ont touché précisément
comme j’en avais besoin. On attribue une citation à Bismarck qui dit qu’en
effet, n’importe quel crétin peut apprendre par l’expérience. Ce qui est
difficile, c’est d’apprendre de l’expérience des autres. Le livre débute avec
la seconde notion, mais, à ma grande surprise, se finit avec une grande
partie de la première idée. Je me suis mis à étudier l’ego et je me suis
confronté au mien – et à celui de personnes que j’admirais depuis
longtemps.
En tout cas, je voudrais conclure ce livre avec la notion qui a soutenu tout
ce que vous venez de lire: c’est admirable de vouloir devenir un meilleur
homme d’affaires, un meilleur sportif ou un conquérant. On aimerait tous
être mieux informés, plus à l’aise financièrement… On devrait, comme je
l’ai répété dans ce livre, vouloir accomplir de grandes choses. Je sais que
c’est mon cas. Mais il y a un accomplissement tout aussi impressionnant:
être un individu meilleur, plus heureux, plus équilibré, plus satisfait, plus
humble, plus généreux. Ou mieux encore, tout cela en même temps. Ce qui
est plus évident, mais plus souvent ignoré, c’est que le perfectionnement
personnel mène régulièrement à la réussite professionnelle, mais c’est
rarement le cas dans l’autre sens. Travailler pour affiner nos pensées
habituelles, pour réprimer nos impulsions destructrices. Il ne s’agit pas
simplement des exigences morales de tout individu correct, mais elles nous
aident à mieux réussir. Elles nous aident à garder le cap dans les eaux
traîtresses de l’ambition. Et elles sont aussi leur propre récompense.
Que ferez-vous de toutes ces informations, pas dans l’immédiat mais par la
suite?
À chaque jour de votre vie, vous vous retrouverez à l’une de ces trois
phases: aspiration, réussite, échec. Vous combattrez l’ego et vous
commettrez des erreurs à chaque étape.
La plupart des gens trouvent les bibliographies ennuyantes, mais pour les
lecteurs assidus, elles peuvent être le point d’orgue de tout livre.
En tant que grand amateur de livres, je vous ai concocté, mes lecteurs qui
adorent lire, un guide complet de chaque ouvrage et ressource que j’ai
employés pour cette étude sur l’ego. Je voulais vous montrer quels livres
méritaient d’être mentionnés, mais aussi ce que j’en ai retiré et ceux que je
vous recommande de lire. Mais je me suis laissé emporter et mon éditeur
m’a déclaré que cet énorme travail ne pouvait pas être intégré au livre.
Donc, si vous le souhaitez, je m’engage à vous envoyer directement une
version avec des liens actifs et un outil de recherche. Il suffit d’envoyer un
courriel à l’adresse suivante: EgoIsTheEnemy@gmail.com ou de consulter
le site www.EgoIsTheEnemy/books. Je vous enverrai également une
compilation de mes citations et observations préférées sur l’ego – que je
n’ai pas pu caser dans le livre par manque de place.
Barlett, Donald L., et James B. Steele. Howard Hughes: His Life and
Madness. Londres: Andre Deutsch, 2003.
Bly, Robert. Iron John: A Book About Men (L’Homme sauvage et l’enfant.
Le Seuil, 1992). Cambridge, MA: Da Capo, 2004.
Brown, Peter H., et Pat H. Broeske. Howard Hughes: The Untold Story
(Howard Hugues, le milliardaire excentrique. Pocket, 2005). Da Capo,
2004.
C., Chuck. A New Pair of Glasses. Irvine, CA: New-Look Publishing, 1984.
Chernow, Ron. Titan: The Life of John D. Rockefeller, Sr. New York:
Vintage, 2004.
Cook, Blanche Wiesen. Eleanor Roosevelt: The Defining Years. New York:
Penguin, 2000.
Coram, Robert. Boyd: The Fighter Pilot Who Changed the Art of War.
Boston: Little, Brown, 2002.
Cray, Ed. General of the Army: George C. Marshall, Soldier and
Statesman. New York: Cooper Square, 2000.
Lamott, Anne. Bird by Bird: Some Instructions on Writing and Life. New
York: Anchor, 1995.
Marc Aurèle, trad. Gregory Hays. Meditations. New York: Modern Library,
2002.
Mosley, Leonard. Marshall: Hero for Our Times. New York: Hearst, 1982.
Packer, George. «The Quiet German.» New Yorker, 1er décembre 2014.
Plutarque, trad. Ian Scott-Kilvert. The Rise and Fall of Athens: Nine Greek
Lives. Harmondsworth, U.K: Penguin, 1960.
Pressfield, Steven. Tides of War: A Novel of Alcibiades and the
Peloponnesian War. New York: Bantam, 2001.
Riley, Pat. The Winner Within: A Life Plan for Team Players. New York:
Putnam, 1993.
Roberts, Russ. How Adam Smith Can Change Your Life. New York:
Portfolio / Penguin, 2015.
Schulberg, Budd. What Makes Sammy Run? (Qu’est-ce qui fait courir
Sammy? Éd. 10-18, 2005) New York: Vintage, 1993.
Sénèque, Lucius Annaeus, trad. C.D.N. Costa. On the Shortness of Life (De
la brièveté de la vie. Pef université). New York: Penguin, 2005.
Sheridan, Sam. The Fighter’s Mind: Inside the Mental Game. New York:
Atlantic Monthly, 2010.
Smith, Jean Edward. Eisenhower: In War and Peace. New York: Random
House, 2012.
Stevenson, Robert Louis. An Apology for Idlers (Une apologie des oisifs.
Éd. Allia, 2005). Londres: Penguin, 2009.
Weatherford, J. Genghis Khan and the Making of the Modern World. New
York: Three Rivers, 2005.
Dans mes livres précédents, j’avais voulu remercier toutes les personnes et
mentors qui m’avaient aidé à écrire, mais aussi préciser à quel point je suis
redevable aux nombreux auteurs et penseurs sur lesquels je me suis appuyé
au fil des ans. Non seulement ce livre n’aurait jamais vu le jour sans eux,
mais je me sens profondément coupable que mes lecteurs m’attribuent des
points de vue d’autres écrivains plus malins que moi. Tout ce qui a une
certaine valeur dans ce livre vient d’eux, pas de moi.
Ce livre n’aurait pas été ce qu’il est sans les précieux conseils de mes
éditeurs Nils Parker et Niki Papadopoulos. Je suis très reconnaissant envers
Steven Pressfield, Tom Bilyeu, et Joey Roth pour leurs premières critiques.
Je voudrais aussi remercier mon épouse qui m’a personnellement aidé
pendant l’écriture de ce livre et a été ma lectrice la plus dévouée. Je
remercie mon agent, Steve Hanselman, qui me représente depuis toujours.
Merci à Michael Tunney et Kevin Currie pour leur aide, et à Hristo Vassilev
pour son excellent travail de recherche et d’assistanat. Merci à Mike
Lombardi des Patriots pour son soutien et son point de vue. J’ai aussi une
dette de reconnaissance envers Tim Ferriss qui, grâce au soutien de mon
livre précédent, a rendu celui-ci possible. Pareil pour Robert Greene, qui
m’a aidé à devenir un écrivain et au docteur Drew qui m’a initié à la
philosophie. Je voudrais remercier John Luttrell et Tobias Keller pour leurs
conseils et nos discussions pendant la tourmente d’American Apparel. Je ne
suis pas sûr que j’y serais arrivé sans Workaholics Anonymous grâce à leurs
réunions à Los Angeles et coups de fil hebdomadaires.
01-20
Imprimé au Canada
Traduction française:
© 2019 Alisio,
une marque des éditions Leduc.s
Pour le Québec:
© 2020, Les Éditions de l’Homme,
division du Groupe Sogides inc.,
filiale de Québecor Média inc.
(Montréal, Québec)
L’ouvrage original a été publié par Portfolio, une marque de Penguin Publishing Group, une filiale de
Penguin Random House LLC sour le titre Ego is the enemy.
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L’Éditeur bénéficie du soutien de la Société de développement des entreprises culturelles du Québec
pour son programme d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de l’aide accordée à notre programme de publication.
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