La Vie D'ernest Psichari
La Vie D'ernest Psichari
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*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VIE D'ERNEST PSICHARI ***
Voici nos destinées et voici notre chef. Cette vie, soudain rompue dans sa course
rapide et dont la plénitude incomparable semble vouloir restreindre la brièveté
tragique, ce n'est point seulement la biographie d'un jeune homme qui chercha
ses modèles parmi les héros et les saints, c'est l'histoire exemplaire de notre âge,
c'est, fraternellement soufferte, partagée, vécue, la Passion de toute une jeunesse,
avec elle accomplie dans le sang de la plus belle mort.
De sa génération, Ernest Psichari connut toutes les fièvres, tous les troubles, puis
les espérances, le fier redressement, la mission. Il prit sa part de ce sombre
tourment et de cette volonté grandiose: il voulut tout éprouver en son coeur.
Mais ce coeur était si sérieux et si brûlé de flamme qu'il jetait sa lumière sur nos
destins: il nous éclairait en se consumant. C'est notre jeunesse qui s'exaltait en
lui. Toujours en avance sur ses compagnons, Psichari courait pour montrer la
voie: et certains ne comprirent qu'en mourant avec lui vers quel terme glorieux il
les voulait mener.
Sa vie ne fut qu'une lutte spirituelle, un combat d'âme, mais ce combat était
celui-là même qui se livrait dans l'âme de toute une race. Retracer son histoire
qui est la préfiguration de la nôtre, c'est prendre un exemplaire sublime parmi les
innombrables vies qui se sont sacrifiées pour la France et pour Dieu.
On se souvient quelle stupeur ce fut parmi nos aînés, quand on vit le petit-fils de
Renan, le fils de Jean Psichari1, abandonner ses cours de Sorbonne pour élire la
carrière des armes, mener une action française dans la brousse africaine, exalter
par ses livres et par ses gestes les vertus de la guerre. Dès l'abord, certains lettrés
ne trouvèrent dans cet enthousiasme qu'une manière de dilettantisme, le dégoût
d'une intelligence gorgée de paradoxes audacieux et qui jouissait de l'extrême
barbarie comme d'autres de l'extrême civilisation. Sous la prose fluide, chantante
et harmonieuse de Terres de Soleil et de Sommeil (1908) où ce «revenant
nouveau venu» célébrait la vie fruste et primitive du désert, ils ne voulurent
entendre qu'un écho de l'enchanteur: ils s'y plurent comme à un «mystérieux
recommencement».
Elle était pourtant bien opposante, la volonté de ce jeune soldat, et l'Appel des
Armes (1912) le signifia avec violence. Ce qu'il voulait de toute son énergie
tendue, c'était prendre contre son père le parti de ses pères,—formule saisissante
où se résume l'accablante obligation de notre jeunesse. Et déjà il pensait: «Une,
deux générations peuvent oublier la Loi, se rendre coupables de tous les
abandons, de toutes les ingratitudes. Mais il faut bien, à l'heure marquée, que la
chaîne soit reprise et que la petite lampe vacillante brille de nouveau dans la
maison2.»
Cette heure lui semblait être venue. Comme tous ceux de son âge, Psichari en
avait la certitude: «Notre génération, nous écrivait-il, notre génération—celle de
ceux qui ont commencé leur vie d'homme avec le siècle—est importante. C'est
en elle que sont venus tous les espoirs, et nous le savons. C'est d'elle que dépend
le salut de la France, donc celui du monde et de la civilisation. Tout se joue sur
nos têtes. Il me semble que les jeunes sentent obscurément qu'ils verront de
grandes choses, que de grandes choses se feront par eux. Ils ne seront pas des
amateurs ni des sceptiques. Ils ne seront pas des touristes à travers la vie. Ils
savent ce qu'on attend d'eux3.» Et parce qu'il prenait une conscience nette de
l'événement qui dominerait nos vies, nous trouvions à méditer sur l'aventure de
cet officier, fils d'intellectuels. Ne nous avait-il pas déjà donné sujet de l'envier,
ce soldat au grand coeur qui réalisait tout ce que nous souhaitions de posséder:
goût de l'action, désir du rêve... Et dans cette lente reprise de nous-mêmes que
nous accomplissions, nous exaltions cette vie déjà si pleine, si riche de
témoignages, qui nous faisait oublier la laideur et les misères où nous nous
agitions, pour nous découvrir les vertus qui seules donnent du prix à l'existence.
Lorsque Psichari nous revenait des continents perdus, les yeux lavés par les
horizons libres de l'Afrique, c'est à ce solitaire que nous demandions le mot de
nos destinées, c'est lui que nous interrogions sur nous-mêmes, c'est de cet exilé
que nous attendions les paroles qui élèvent et qui fortifient. C'est ainsi qu'il nous
avait restitué le sens des vertus et de la gloire des armes4. Nous devions à son
exemple une certaine tension de l'âme qui nous avait aidés à rejeter les piperies
d'un enseignement meurtrier. Mais, sous cette fièvre de l'action, nous sentions
que se débattait une plus grande misère, ce mal inconnu qui nous laissait
désemparés devant la vie, ce désir éperdu que la vérité et la pureté ne fussent
point que de vains mots.
N'était-il pas notre frère, celui-là qui se montre, à vingt ans,«sans défense contre
le mal, sans protection contre les sophismes, errant sans conviction dans les
jardins empoisonnés du vice, mais en malade et poursuivi par d'obscurs remords,
chargé de l'affreuse dérision d'une vie engagée dans le désordre des sentiments et
des pensées». Quelle mystérieuse préférence nous faisait lever les yeux sur ce
jeune homme qui suivait pourtant une route oblique? Celui qui avait une fois
rencontré son regard, «ce regard pur, allant droit devant soi, ce regard de toute
clarté», celui-là découvrait qu'Ernest Psichari avait une âme et qu'il «était né
pour croire et pour espérer, qu'il avait une âme qui n'était pas faite pour le doute,
ni pour le blasphème, ni pour la colère». Nous sentions qu'il ne se plaisait point
comme tant d'autres à son mal. Il ne disait point: «Je suis perverti, mais qu'y
faire?» Tout était en lui d'une telle ardeur, d'une telle violence droite, qu'un jour
viendrait où cette passion se porterait vers l'unique objet de toute recherche et
qu'elle voudrait la force, la noblesse et la candeur avec une pareille exigence,
avec un semblable emportement. Nous devinions dans quelles erreurs sa
jeunesse avait séjourné, mais tout nous avertissait qu'il n'était pas fait pour le
sacrilège: chaque étape était utile à son coeur.
Notre imagination, séduite par tant d'héroïsme juvénile et par cette grâce
belliqueuse, le suivait à travers les larges horizons de l'Adrar. Il nous écrivait:
«C'est un des derniers pays où l'on fasse encore oeuvre de soldat, où l'on vive
militairement.... C'est une terre toute chaude encore du sang français.» Et nous
apprenions qu'au sud de Tichitt, dans les dunes d'Aouker, il avait, avec ses
méharistes, glorieusement capturé une bande de dissidents maures6. Mais bien
peu eussent deviné que c'était poussé par un obscur désir de pardon, pour
remonter à sa source, pour se racheter de bien des misères, pour retrouver la
vérité non possédée, mais désirée, qu'il s'était enfoncé dans les solitudes
sahariennes et que la vie d'action intense de ce héros n'était qu'une manière de
«vie purgative» que Dieu imposait à une âme qu'il s'était réservée.
A l'exemple des Saints, voici un homme qui fuit le tumulte des hommes pour
devenir attentif à son âme. La nature saharienne extrêmement épurée,
débarrassée de toute surcharge, vêtue de recueillement et de silence, va agir en
quelque sorte sur lui à la façon d'un cloître. Ici les facilités, les expédients, toutes
les complaisances du monde ne jouent plus, mais répugnent et déçoivent. Seul
dans le grand vent des plaines, au bout de la terre, au bout de la vie, «là où les
soucis sont hauts, là où l'on marche tout auprès de l'éternité», il va apprendre un
autre langage. C'est que là, suivant les paroles du Docteur, «on apprend à dire
non, à dire je ne puis plus, à payer le monde de négatives sèches et vigoureuses.
On ne veut plus plaire, on se déplaît à soi-même...» L'homme n'a plus que Dieu
pour s'affliger en sa présence, pour lui dire du fond de son coeur: «Seul et
invisible témoin de mes sanglots et de mes regrets, ah! écoutez la voix de mes
larmes.» De ce combat spirituel, «aussi brutal que la bataille d'hommes», et qui
se joua parmi ses risques sur un coin perdu de l'Afrique, Psichari nous a laissé le
récit dans ce Voyage du Centurion qu'on vient pieusement de nous découvrir7.
Ce livre, marqué de l'inspiration divine et dont la rédaction «n'aura été qu'une
longue prière» indéfiniment reprise, c'est lui qu'il nous faut interroger a pour
connaître les longues préparations de l'oeuvre de Dieu dans un coeur qu'il devait
bientôt habiter. De l'aveu d'Ernest Psichari lui-même, le Voyage du Centurion
prétend montrer comment la Grâce, dans la vie frugale et saine des brousses
sahariennes, prépare ses propres voies. «Le désert, écrivait-il à M. Trogan, le
désert est une terre bénie. Notre-Seigneur y est allé; des centaines de religieux y
ont conquis la sainteté. Je voudrais dire que les Thébaïdes existent encore et qu'il
ne manque que d'âmes attentives pour y recueillir la voix de Dieu.—Ces études,
écrites pour la plupart en Mauritanie, ont, à défaut d'autorité doctrinale, la
sincérité d'une confession. Ce sont simplement les pensées d'un homme qui,
pendant de longues années, a passionnément cherché la Vérité et qu'il a eu le
bonheur, pour quelques pauvres instants de bonne volonté, de la retrouver8».
Mais une chose, dès l'abord, nous frappe dans la confession de ce soldat qui,
«sous le double airain de la solitude et du silence», marche avec confiance vers
son but, c'est qu'avant de songer à son propre salut, avant de s'apitoyer sur sa
misère, avant de prier pour lui-même, c'est pour la France qu'il prie, pour la
France abandonnée et douloureuse. C'est pour elle que son âme débordante de
charité demande grâce, c'est pour la servir plus fidèlement qu'il appelle cette foi
dont elle est d'élection le royaume, c'est pour remplir plus exactement son
mandat qu'il veut l'ordre de l'Église, cette Église qu'on voit penchée sur la France
tout au long de son histoire.
—Tu vois, lui dit-il, en lui montrant l'immense moteur qui ronflait, les Maures
sont fous de vouloir résister à des gens aussi riches et aussi puissants que les
Français.
—Oui, vous autres Français, vous avez le Royaume de la Terre, mais nous,
Maures, nous avons le Royaume du Ciel9.»
«Voilà une idée que les Maures ne devraient pas avoir, écrivait alors Psichari à
Mgr Jalabert, et c'est un peu nous qui la leur avons donnée.» Et il ajoutait, en
envoyant son offrande pour la construction de la cathédrale de Dakar10:
«Depuis six ans que j'ai fait connaissance avec les Musulmans d'Afrique, je me
suis rendu compte de la folie de certains modernes qui veulent séparer la race
française et la religion qui l'a faite ce qu'elle est et d'où vient toute sa grandeur.
Auprès de gens aussi portés à la méditation métaphysique que les Musulmans du
Sahara, cette erreur peut avoir de funestes conséquences. J'en ai acquis la
conviction. Nous ne paraîtrons grands auprès d'eux qu'autant qu'ils connaîtront
la grandeur de notre religion. Nous ne nous imposerons à eux qu'autant que la
puissance de notre foi s'imposera à leur regard. Certes, nous n'avons plus des
âmes de croisés et ce n'est pas à la pensée d'aller combattre l'Infidèle qu'un
officier désigné pour le Tchad ou l'Adrar va se réjouir. Pourtant j'ai vu des
camarades qui, dans leurs conversations avec les Maures, souriaient des choses
divines et faisaient profession d'athéisme. Ils ne se rendaient pas compte de
combien ils faisaient reculer notre cause et combien, en abaissant leur religion,
ils abaissaient leur race même. Car, pour le Maure, France et Chrétienté ne font
qu'un. Ne nous appellent-ils pas «Nazaréens» plus volontiers que «Français»?
Et c'est une chose étrange que ce soit eux qui viennent sur ce point nous éclairer
nous-mêmes et nous donner une leçon.»
C'est qu'à ce vrai soldat, rien ne paraît beau que la fidélité. Et une pensée de très
loin vient à lui: «Pourquoi donc, s'il est un soldat de fidélité, pourquoi tant
d'abandons qu'il a consentis, tant de reniements dont il est coupable? Pourquoi,
s'il déteste le progrès infidèle, rejette-t-il Rome qui est la pierre de toute fidélité?
Et s'il regarde l'épée immuable avec amour, pourquoi donc détourne-t-il les yeux
de l'immuable Croix? Si absurde est cette infidélité, s'avouait-il à lui-même, que
«je n'ose même la confesser devant les Maures et je leur dis: «Nous croyons!...»
Ah! oui, ma lâcheté devant eux me fait comprendre combien, malgré moi et à
mon insu, Jésus me lie!»
Ainsi ce missionnaire n'entendait point n'apporter avec ses armes que les
bienfaits d'une race matériellement puissante. La France n'avait point que des
routes à frayer, des camps à bâtir, des villes à construire dans ces terres
mauritaniennes où elle essayait de s'installer par la force. Elle portait avec elle
une âme, un principe spirituel et cela même qui fait son éternité. Pour lui, il n'en
doutait point. Aussi bien «il avait la certitude de n'être pas le véritable héritier de
cette dignité française qu'il savait désormais être surtout une dignité chrétienne».
Il se rendait maintenant compte qu'«il ne pouvait en aucune façon parler pour la
France dont il portait le nom jusqu'aux extrémités de la terre». «Heureux, s'écrie-
t-il, ceux qui n'ont pas la charge d'être les envoyés de toute une nation! Heureux
ceux qui ne portent pas le poids d'une patrie sur leurs épaules! Lui, il ne
connaîtra pas de repos qu'il n'ait retrouvé le visage de la terre natale et la
signification de son nom béni.»
Ainsi peut-on dire que la France déposa dans cette âme le premier désir de Dieu.
La première prière qui monta sur la bouche de son serviteur, c'est elle qui l'a
suscitée. Ce n'est que plus tard que le problème du salut individuel se posa pour
cet homme d'action. La première fois que Psichari pense à Dieu, c'est en pensant
à l'armée. Pour l'instant il se dit: «Si je sers loyalement l'Eglise et sa fille aînée la
France, n'aurai-je pas fait tout mon devoir? Vis-à-vis de l'Église, l'indifférence
n'est pas possible. Celui qui n'est pas pour moi est contre moi. Et je prends parti
de toute mon âme 11.»
En France, Ernest Psichari avait laissé un ami qui, lui aussi, avait dès l'abord
cherché son âme dans la vanité de la pensée humaine, mais à qui la vérité, un
jour, s'était donnée par la Grâce. Et cette voix fraternelle venait le presser dans sa
solitude: «Nous avons prié pour toi du haut de la sainte montagne (la Salette). Il
me semble qu'elle pleure sur toi, cette Vierge si belle, et qu'elle te veut. Ne
l'écouteras-tu point?»
Pourtant son esprit ne restait pas inactif. La vérité, il la voulait avec violence.
Saisi par la noble ivresse de l'intelligence, il demandait, d'abord, «que Jésus-
Christ fût vraiment le Verbe incarné, que l'Église fût de toute certitude la
gardienne infaillible de la Vérité, que Marie fût en toute réalité la Reine du
Ciel». L'impatience de connaître grandissait en lui. Il apercevait bien le bel
équilibre de la raison chrétienne, mais le secret des choses essentielles demeurait
toujours étranger à son coeur. Et il confiait à l'ami qui le secourait de ses prières
l'incertitude où il se désolait. Dès l'abord, il s'empressait de reconnaître:
Tout essai de libération du catholicisme est une absurdité, puisque, bon gré, mal
gré, nous sommes chrétiens, et une méchanceté, puisque tout ce que nous avons
de beau et de grand en nos coeurs nous vient du catholicisme. Nous n'effacerons
pas vingt siècles d'histoire, précédés de toute une éternité; et comme la science a
été fondée par des croyants, notre morale, en ce qu'elle a de noble et d'élevé,
vient aussi de cette grande et unique source du christianisme, de l'abandon
duquel découle la fausse morale, comme aussi la fausse science.
Avec tout cela, je n'ai pas la foi. Je suis, si je puis dire cette chose absurde, un
catholique sans la foi. Je pensais à moi et assez tristement en lisant cette belle
page 14: «Il semble qu'en ce temps la vérité soit trop forte pour les âmes...» et je
me demandais si tu pouvais bien me tenir rigueur de mon impiété. Il me semble
pourtant que je déteste les gens que tu détestes et que j'aime ceux que tu aimes et
que je ne diffère guère de toi qu'en ce que la grâce ne m'a pas touché. La grâce!
Voilà le mystère des mystères. Tu vas me dire de ne pas tomber dans l'erreur
janséniste et que l'homme est libre et qu'il peut par ses oeuvres sinon forcer, du
moins provoquer la grâce (je ne sais pas si je dis bien). Mais non, je sens
qu'arrivé au tournant où je suis, il n'y a plus rien à faire qu'à, attendre.
«Abêtissez-Vous», me dit Pascal, mais c'est impossible: on ne peut pas plus
s'abêtir que se donner de l'intelligence. Vais-je lire, apprendre? Mais les
disciples d'Emmaüs n'ont pas cru après l'enseignement du Christ. «Deum quem
in Scripturae Sanctae expositione non cognoverant, in panis fractione
cognoscunt», dit saint Grégoire, dans une phrase qui me fait rêver infiniment. Et
nullement semblable à l'aveugle qui ne demande pas la guérison, j'appelle à
grands cris le Dieu qui ne veut pas venir 15...
Son âme déjà avait gagné de la confiance, de l'abandon. Plus tard, évoquant ce
passé, il dira 16: «Alors je ne croyais à rien, je vivais comme un païen et pourtant
je sentais l'irrésistible invasion de la Grâce. Je n'avais pas la foi, mais je savais
que je l'aurais.» Car Ernest Psichari avait, dès lors, entrevu la loi de son progrès
intérieur et les exigences de Dieu lui étaient claires. De toutes ses forces, il
aspirait à la perfection. A cette heure, il le savait: il y a une hiérarchie entre les
âmes. «Et d'abord il y a des pensées viles pour les coeurs mauvais. Et puis il y a
des pensées belles mais faciles, il y a de pauvres, de misérables satisfactions
spirituelles pour ces coeurs qui ignorent profondément le mal, mais ne se
nourrissent que de vertus ordinaires.» Et ce soldat, consumé dans le tourment de
Dieu, levant les yeux vers le ciel, s'écriait du fond de ses ténèbres: «Quels sont
ceux-ci qui s'avancent portant leurs coeurs au-devant d'eux comme des
flambeaux? Ce sont les héroïques, les affamés de la vertu, les assoiffés de la
justice! Certes ils se sont gardés des chutes grossières. Mais ils jugent que c'est
peu. Ils veulent cette pureté essentielle qui est l'entrée dans l'intelligence
supérieure. Car tout est lié dans le système intérieur de l'homme et la lumière
profonde de ce qui est vrai manquera toujours à qui ne se sera point fait un coeur
de cristal.»
Ne semble-t-il pas avoir pressenti la mission que Dieu lui réservait, celui qui
souffrant encore du «mal horrible de la terre», désirait de monter à Lui par les
voies les plus difficiles et qui ne voulait pour modèles de vie que les plus purs,
que les plus héroïques, comme élu, pressé, désigné mystérieusement pour les
suivre? Écoutez l'appel de ce coeur pressé par ses sanglots:
«Je sens, dit-il, je sens qu'il y a, par delà les dernières lumières de l'horizon,
toutes les âmes des apôtres, des vierges et des martyrs, avec l'innombrable armée
des Témoins et des Confesseurs. Tous me font violence, m'enlèvent par la force
vers le Ciel supérieur, et je veux de tout mon coeur leur pureté, je veux leur
humilité, je veux la chasteté qui les ceint et la piété qui les couronne, je veux leur
grâce et leur force. Je ne m'arrêterai pas...»
Pourtant les mots de la libération n'avaient pas encore retenti. A ce cri pathétique
dont le silence du désert avait été brisé: «O mon Dieu, daignez voir cette misère
et cette confidence. Ayez pitié de l'homme qui est malade depuis trente ans»,
nulle voix n'avait répondu. Et le séjour en Mauritanie s'achevait: Psichari allait
rentrer en France sans connaître le riche plaisir de la vérité et de sa possession.
C'est seulement sur la terre de ses ancêtres que les paroles de rémission devaient
être prononcées.
Nous avons vu, par ses méditations africaines, à quelle haute ferveur Ernest
Psichari avait déjà pu s'élever, et de quelle charité sa contemplation était
empreinte. Maintenant, il lui fallait s'établir dans les régions de la prière,
accomplir les actes qui engagent et qui libèrent.
Nous voici au point culminant de ce débat où l'enjeu est une âme. Moment
unique dont tout le passé ne fut que la préparation secrète et où va naître un
homme nouveau qui portera témoignage pour ses ancêtres et pour lui-même de
la fidélité reconquise. Dans la dureté du temps présent, parmi les oublis, les
reniements et les blasphèmes, dans la plus grande détresse des foyers, la voix du
Seigneur à nouveau se fait entendre: «Race incrédule et dépravée, amenez ici
votre fils!» Paroles d'indignation légitime dont cet enfant meurtri ne sait
comprendre que la tendresse incomparable ... Prodige de la charité qui
doucement le ramène vers la maison de son âme ...
Dès l'abord, ce fut pour Ernest Psichari une grande consolation d'apprendre qu'il
n'était pas exclu de l'Eglise depuis sa naissance et que le baptême de rite grec
qu'il avait reçu était valable.
Dieu, qui est «la nourriture des grands», n'allait plus longtemps se refuser à ce
coeur affamé. La grâce allait achever sur la terre de France l'oeuvre qu'elle avait
commencée et menée si loin dans le désert, ne faisant intervenir qu'au dernier
moment,—une fois la préparation du coeur terminée par Dieu seul,—des
instruments humains. Psichari n'avait plus qu'à demander à être reçu dans
l'Eglise. Sur ces heures décisives, nous possédons un document unique, le
journal où une amie fraternelle prit soin de noter les principaux moments de la
conversion d'Ernest Psichari. C'est ici le témoignage le plus direct: penchons-
nous sur ces feuillets débordants de piété et d'amour.
21.—J... a vu Ernest qui lui a dit qu'il demanderait peut-être bientôt à voir un
prêtre.
3 février.—J... arrive avec Ernest vers 11 heures. Le Père Clérissac vers midi.
Nous sentons qu'ils se plaisent et se conviennent. Ernest est si simple, si franc,
devant le Père... Déjeuner plein d'émotion. Après le déjeuner, le Père emmène
Ernest au parc. Leur absence dure deux heures pendant lesquelles nous ne
cessons de prier. Tout va se décider. Enfin ils reviennent; et le Père nous expose
le programme arrêté qui nous remplit de joie: demain confession, puis
confirmation, le plus tôt possible, et dimanche première communion; puis
pèlerinage d'action de grâces à Chartres.
Ernest a absolument conquis le Père qui n'a trouvé en lui aucune résistance,
«une âme sans un pli, toute pleine de foi.»
Mardi 4 février.—Le Père et Ernest arrivent vers 4 heures. Notre petite chapelle
est toute parée; les cierges sont allumés, deux beaux cierges intacts, bénis
dimanche. Agenouillé devant la statue de Notre-Dame de la Salette, d'une voix
forte—quoique très ému—Ernest Psichari lit la profession de foi de Pie IV et
celle de Pie X. Le Père est debout, comme un témoin devant Dieu. J ... et moi
écoutons à genoux, tremblants d'émotion. Après cette lecture, nous sortons et la
confession commence. Pendant qu'elle dure, nous ne cessons de prier.
Enfin, on nous appelle. Nous trouvons Ernest tout transformé, rayonnant de joie.
C'est une heure de béatitude pour tous.—«Vous voyez, nous dit le Père, un
homme tout à Dieu»... Et qui est heureux, disons-nous. «Oh! oui, je suis
heureux,» s'écrie Ernest, et il n'est pas difficile de le croire.—On sent déjà entre
le Père et Ernest une amitié tendre et profonde, sur laquelle Ernest s'appuie avec
joie.
Après le départ d'Ernest, le Père nous dit son admiration pour la bonté de Dieu,
sa joie de la réparation qui lui est faite, son amour pour cette âme qui n'a pas
résisté à Dieu qui est toute loyale et simple.
Jeudi 6 février.—Nous voyons Ernest avec le Père. Ernest sent déjà qu'on le dira
subjugué, suggestionné par quelqu'un. Cela lui paraît bien vil. «Je sentais
toujours, dit-il, que si je venais à la foi, ce serait par une action surnaturelle; et
comment une influence quelconque pourrait-elle vous faire croire les dogmes
catholiques et procurer cette illumination?»
Le samedi 8 février, Ernest Psichari fut confirmé par Mgr Gibier, dans la
chapelle du petit séminaire de Grandchamp. D'une voix tremblante d'ardeur
contenue, il récita le Credo, dont il scanda une à une les syllabes latines. Après la
confirmation, l'évêque de Versailles lui demanda son âge. «Vingt-neuf ans!
Beaucoup de temps perdu», répondit notre ami. Et s'inclinant filialement sous la
bénédiction du prélat, il lui dit pour exprimer le drame qui venait de se jouer
entre Dieu et lui: «Monseigneur, il me semble que j'ai une autre âme 21». Le
lendemain, Ernest Psichari fit sa première communion à la Chapelle des Soeurs
de la Sainte Enfance: puis il partit pour Chartres en pèlerinage. A son retour, il
confiait au P. Clérissac: «Je sens que je donnerai à Dieu tout ce qu'il me
demandera.»
Tous ceux qui furent alors les témoins de ces événements admirables, tous ont
été frappés de la joie qui soudain l'habita. Désormais, E. Psichari vécut en joie:
joie libre, fruit de l'amour, de l'amour qui connaît et épouse son objet, et qui
trahit tout ce qu'il y a de véritable charité dans une âme. Tout de suite, il posséda
cette gaieté du coeur qu'apporte le salut. Dans les yeux, notre frère avait quelque
chose de lumineux, de confiant, de tendre, qui décelait l'état de grande liberté
intérieure et, comme on l'a noté déjà, d'«innocence enfantine» où il vivait et qui
faisait pressentir les grands desseins à quoi Dieu le prédestinait.
Une chose aussi nous causait de l'étonnement: il semblait qu'Ernest Psichari fût
entré dans la vie chrétienne de plain-pied, sans préparation, sans apprentissage,
sans transition, comme s'il eût été catholique depuis toujours. Cette âme, hier
encore ignorante des communications de la sagesse divine, semblait en être
soudain remplie et sans intermédiaires. Il savait tout sans avoir rien appris: il
inventait ses prières et elles se trouvaient être celles-là même que l'Eglise avait
répandues sur les âges. Et dans l'ivresse des retrouvailles, il s'écriait: «Mais quoi,
Seigneur, est-ce donc si simple de vous aimer!»
Ce qui frappe, en effet, c'est la plénitude de vie surnaturelle qui surgit en lui.
Tout de suite, il s'était tourné vers le Christ et c'est de lui qu'il attendait la vérité
et le bonheur. Chaque jour, il communiait et tendait vers la Croix toutes ses
puissances 22.
C'est une découverte adorable, écrivait-il au P. Clérissac 23, que celle que je fais
en ce moment, c'est une douce et cruelle reconnaissance et il n'est point d'office
où je ne verse d'abondantes larmes devant le Maître que j'ai si longtemps
crucifié, que la France elle-même crucifie à toute heure. Et encore: J'ai pu
m'approcher tous les matins de la Sainte Table et je l'ai fait avec courage,
comptant sur la miséricorde de Notre-Seigneur, pour me pardonner les faiblesses
qui me rendent si indigne de recevoir son corps et m'en remettant entièrement à
elle en toute chose... Je crois bien que c'est lorsqu'on est le plus abattu que l'on
doit désirer avec le plus d'amour l'Eucharistie et, quant à moi, c'est à ces heures-
là que je me tourne avec le plus de confiance vers le Maître à qui je suis
désormais 24.
Nul ne fut plus que Psichari un homme de prière; nul n'en eut davantage le don.
Ses travaux d'écrivain, son métier de soldat, tout lui était prétexte d'élévation
vers Dieu. Il faut l'avoir vu prier, avoir suivi avec lui le mouvement de la liturgie
pour savoir quels étaient l'amour et la force de ses oraisons. Chaque jour, il disait
l'office de la Vierge jusqu'au dernier capitule; pas une rubrique qu'il n'ait
longuement méditée: il avait même composé pour le Rosaire une suite de proses.
Ces élévations, il les commençait dans les larmes, tant la douleur le poignait de
ses fautes passées, tant il sentait en lui-même de ruines et de ténèbres, de
révoltes et de luttes. Et de chacune d'elles montait cette pensée: «Que puis-je
faire pour l'Église qui m'a accueilli au plus fort de ma détresse? Jésus, Marie, je
vous supplie de m'éclairer, de me donner la force d'être sans partage au pied de
la Croix, uniquement attentif à vos ordres 25.» Et l'oraison s'achevait dans la joie,
sous le désir enflammé qu'y répandait l'espérance éternelle. Ainsi, la prière
semblait à Psichari le devoir premier, bien plus, «la position normale de la
créature qui veut se tenir à sa place sous son Créateur». Être à sa place, se tenir à
sa place, voilà le grand souci de ce soldat chrétien.
Mais il savait aussi que la place où la Providence l'avait mis sur la terre était un
poste où il devait être un exemple, où les privilèges reçus imposent de lourdes
obligations, et il sentait jusqu'au fond de lui-même combien l'engageaient les
dons magnifiques qu'elle lui avait réservés. D'où l'impatience que nous lui vîmes
de rendre grâces pour tout ce que Dieu lui avait offert. Au reste, nul être n'aimait
autant à se donner: car, plus encore que la foi de Pierre, c'était l'amour de Jean
qui habitait son coeur.
Dès qu'il connut par lui-même les joies de la Lumière, Ernest Psichari n'eut
qu'une pensée: donner sa vie pour réparer l'offense que son grand-père avait faite
à Dieu. Pour cette oeuvre de réparation, il s'était promis de se consacrer au
Seigneur. Il voulait dire la messe, cette messe jadis abandonnée, il voulait se
courber devant ce tabernacle délaissé pour les parvis humains, avoir part à ce
Calice, être prêtre à tout jamais, reprendre la place, le précepte et le mandat
qu'un des siens avait déserté... Et peut-être, et surtout soulager les peines sous
lesquelles ce père de sa chair s'affligeait, hâter sa délivrance, lui sacrifier son
coeur filial, pour qu'il vît enfin ce Dieu qui avait été le Dieu de leurs pères.
Parmi les hommes, Ernest Psichari rejeta ouvertement les doctrines, les erreurs
de Renan; il détesta son oeuvre et sa vie enseignante. Cela n'est un scandale que
pour des esprits sans piété véritable. Qu'un fils se désole à l'idée que l'âme de son
père soit perdue pour une autre vie, qu'il connaîtra des délices qui lui sont
refusées; et, que ce fils mette toute son ardeur à réparer ses torts jusqu'au don
absolu de soi, jusqu'à l'holocauste de son âme, et qu'il place son espoir dans la
miséricorde de la Bonté Infinie, quoi de plus touchant? Nous atteignons ici le
point le plus haut de l'amour. C'est le sang de son coeur que ce jeune homme
offre pour réconcilier à Dieu celui qui l'engendra. Quel aïeul fut jamais pleuré de
telles larmes! Jamais l'affection filiale ne porta un plus parfait témoignage,
jamais la charité ne fut plus magnanime qu'en cette âme de fils; jamais
l'espérance ne s'y maintint d'une plus fervente tendresse.
Il faut avoir vu la joie d'E. Psichari lorsqu'un religieux lui assura, un jour, que
l'âme de Renan, au moment de paraître devant Dieu, avait peut-être été allégée
de ses fautes par la prière de quelque carmélite, par les larmes de quelque
contemplatif très humble...
Et l'on avait ajouté: «Qui vous dit que votre grand-père n'est pas sauvé? Dieu
seul est capable de juger les consciences. Nul d'entre nous n'a le droit de mettre
des limites à la miséricorde du Père céleste. Qui sait si, mystérieusement, en
vertu d'une grâce cachée, Renan ne s'est pas réconcilié avec le Maître de ses
premières années? Qui sait même, si ce n'est pas lui qui vous suscite aujourd'hui
pour réparer les dommages qu'il a pu faire aux âmes 26?»
Dès l'abord, Ernest Psichari ne douta point qu'il ne dût être quelque jour le
serviteur de cet ordre de Saint-Dominique, auquel il appartenait déjà de toute son
âme et dont la «règle joyeuse» lui convenait si bien 28. Il y avait, en effet, chez
ce militaire, une volonté d'apostolat qui l'empêchait d'être purement
contemplatif. Dans le premier moment de sa conversion, il avait commencé par
réciter l'office bénédictin. «Non, je ne puis continuer, nous avouait-il, je sens que
je suis dominicain.» Enfin, c'était un fils de saint Dominique qui l'avait confessé,
puis qui l'avait reçu dans le Tiers-Ordre, en septembre 1913, au couvent de
Rijckholt, en Hollande. De toute certitude, il pensait qu'il devait à l'intercession
de saint Dominique «ce renouvellement de son âme 29».
Aussi bien, quand il voulut entreprendre le récit des choses admirables que le
Saint-Esprit avait accomplies dans son coeur, c'est saint Dominique qu'il invoque
pour obtenir le véritable esprit de l'Ordre:
Oui, mon ambition est haute, écrivait-il le 30 janvier 1914 à propos du Voyage
du Centurion, bien haute pour un ouvrier de la onzième heure qui sans doute
devrait se borner à l'humble étude des maîtres. Mais je ne sais quelle force me
pousse: il me semble qu'il reste à faire, dans le domaine de la pure littérature, un
livre vraiment dominicain, autant que ce livre peut être écrit par un laïc et un
écrivain. Pourquoi n'écrirais-je pas ce livre? Le dernier, le plus infime des
serviteurs de saint Dominique ne peut-il pas, par une prière continue, obtenir cet
esprit de foi et de vérité, et surtout ce véritable esprit d'apostolat qui fait
considérer, à chaque phrase que l'on écrit, l'utilité spirituelle plutôt que la vaine
beauté de l'art? 30
Mais d'autres soucis allaient traverser cette vie et la détourner pour un instant des
hautes préoccupations qui l'agitaient. Son congé achevé, Ernest Psichari avait dû
rejoindre son régiment à Cherbourg. Nul ne mettait à son métier plus de ferveur.
Entre tous les devoirs du chrétien, c'est le devoir d'état que ce soldat était porté
d'instinct à placer le plus haut. Il sentait avec exactitude les lourdes
responsabilités qui pèsent sur le plus humble des chefs: il s'y consacrait avec
amour. C'est plein d'allégresse qu'il reprit, en juin 1913, le chemin du quartier et
qu'il revit ses hommes, ses chevaux, ses canons. Mais, pouvait-il l'oublier, c'était
un être nouveau qui revenait parmi les siens. Il ne devait pas s'y sentir étranger.
Les régiments, à leur manière, ne sont-ils pas «des couvents d'hommes»?
«Même habitude de se donner corps et âme, remarque Vigny qui le premier nota
la ressemblance, même besoin de se dévouer; pareils usages de gravité, de
retenue et de silence.» Ernest Psichari allait pouvoir y vivre sa double vie de
militaire et de chrétien.
Pourtant son zèle ne restait pas inactif. Dès son arrivée à Cherbourg, Ernest
Psichari avait rendu visite au curé de cette paroisse qui porte le nom très doux de
Notre-Dame-du-Voeu et lui avait demandé de faire partie de la Conférence de
Saint-Vincent-de-Paul. Pour lui, levé dès l'aube, il montait à cheval, se rendait au
quartier, faisait l'instruction des brigadiers sur le tir du 75; puis le soir, dans sa
chambre, devant l'Annonciation de Memling, près de la bibliothèque où il avait
réuni les Méditations et les Élévations de Bossuet, les Confessions, les oeuvres
de saint Jean de la Croix, de sainte Catherine de Sienne et de sainte Mechtilde, il
travaillait et il priait. L'écrivain notait, pour nous autres, les mouvements de son
coeur sous le doux envahissement de la Lumière; et, à travers les antiennes et les
répons de son office, le tertiaire de saint Dominique appelait sur la France et sur
son armée quelques-unes des faveurs dont il se sentait indigne.
Psichari goûtait alors une quiétude sans mélange: le bonheur rayonnait dans son
être. Parfois, il se demandait: «Que dois-je faire et qu'est-ce que le Bon Dieu
veut au juste de moi 33?» Et tranquille, il se répondait à lui-même: «Je l'ignore,
mais c'est dans une grande paix et un vrai calme que j'attends la manifestation de
sa volonté. L'exact discernement et la vraie force ne seront pas refusés, j'en ai
une ferme confiance, pour mon humble prière.»
Une chose surtout l'avait fortifié parmi celles qu'il avait vues: la piété de nos
prêtres:
Il faudra, écrit-il, il faudra que je dise, si Dieu m'en donne la force, que notre
clergé est admirable, qu'il est pénétré des plus mâles vertus chrétiennes, qu'il est
plus grand peut-être qu'il n'a jamais été. Au village comme à la ville, le
presbytère est le seul endroit où se réfugie l'intelligence,—car je n'appelle pas de
ce nom la pauvre intelligence dépravée des intellectuels,—le seul où il y ait
vraiment de la vie, le seul où l'on soit assuré de trouver toujours non seulement
des hommes de coeur, mais des hommes ayant la plus fine compréhension de
toutes choses, le sens le plus droit, la raison la plus déliée. On dit qu'il n'y a plus
de saints aujourd'hui. Ah! si l'Eglise le permettait, je dirais bien qu'il y en a et où
ils sont.
C'est ainsi qu'au printemps de 1914, Ernest Psichari fit visite au supérieur du
grand séminaire d'Issy. Le parc et la chapelle étaient intacts et tels que Renan les
décrit en ses Souvenirs d'enfance et de jeunesse. Il retrouva la froide charmille
janséniste du dix-septième, les longues allées solitaires, et c'est avec une grande
émotion qu'il vit ces endroits mêmes où son «malheureux grand-père» avait prié.
Le P. Clérissac, à qui Psichari faisait cet aveu, finit, après avoir longuement
hésité, par acquérir la certitude que la vocation de ce jeune homme était bien
dominicaine. Pour ne rien hâter cependant, il fut convenu qu'Ernest Psichari ne
s'engagerait pas immédiatement et qu'il irait d'abord prendre ses grades en
théologie à Rome, au Collège Angélique, et comme auditeur libre.
Mais Dieu, lui, savait déjà la mission qu'il destinait à son enfant et le sacrifice
pour lequel, dans sa pitié pour la France, il réserverait ce soldat, fils de
Dominique. Bientôt tous les voeux d'Ernest Psichari allaient être exaucés: Dieu
lui donnerait sujet de prétendre, de réaliser la double vocation qui partageait son
coeur, de s'immoler à la terre de ses pères, de réparer en sauvant. Car le don
qu'Ernest Psichari allait offrir pour le service de la Patrie est en même temps un
témoignage rendu à Dieu, un holocauste véritable, «librement consenti et
consommé en union avec le sacrifice de l'autel 37». Ernest Psichari partit le
second jour de la guerre avec le 2^e régiment d'artillerie coloniale. En quittant
Cherbourg, il dit à l'abbé Bailleul: «Je vais à cette guerre comme à une croisade,
parce que je sens qu'il s'agit de défendre les deux grandes causes à quoi j'ai voué
ma vie.»
À trente ans, ayant tout accompli, Dieu l'appelait à la vie et à la gloire. Ernest
Psichari y est entré, suivi d'une héroïque milice de jeunes martyrs qui lui ont fait
au Ciel la plus belle cohorte qu'il ait jamais conduite.
NOTES ET DOCUMENTS
Note 1: (retour) Grec par son père et tout ensemble «français, latin, breton», par
sa mère en qui sont unis le sang catholique des Renan et le sang protestant des
Scheffer, Ernest Psichari fut, par ses origines et la gloire de sa famille dans le
siècle, profondément mêlé aux événements spirituels de notre propre histoire.
Restituer l'atmosphère morale où grandit l'héritier de toutes ces cultures, ce serait
du même coup évoquer tout un âge qui se reconnut en Renan comme en celui
qui l'avait engendré. Il ne nous appartient point de le faire et nous nous
bornerons ici, pour fixer l'imagination, à noter les moments essentiels de la
jeunesse d'Ernest Psichari.
Ernest Psichari naquit le 27 septembre 1883. Il fit ses études aux lycées Henri IV
et Condorcet. À dix-huit ans, il publiait des vers subtils, à la manière de Verlaine
et de Mallarmé qui fut aussi celle d'Ary Renan, son oncle. Par ailleurs, épris de
métaphysique, il annotait Spinoza et Bergson.
L'armée lui apparut comme la seule activité où demeure cet idéalisme qu'une
culture toute sceptique avait failli corrompre. Dès son arrivée à la caserne, il
sentit avec une vivacité extraordinaire qu'il était fait pour vivre là, que c'était là
sa vocation. Désormais il eut quelque chose où se prendre, un motif d'agir. Il
signe, en 1904, son réengagement au 51e de ligne, à Beauvais. Mais, impatient
d'action, le sergent Psichari change d'arme et passe dans l'artillerie coloniale
comme simple canonnier. Bien vite, il reçoit les galons de maréchal des logis.
Auprès d'un chef qu'il aime à la façon d'un père, Psichari va, pendant de longs
mois, marcher sous des cieux nouveaux. Ensemble, ils pénètrent la Sangha,
parmi les monts sauvages du Yadé, vers cette claire Penndé que nul autre, avant
eux, n'avait franchie. Il convoie des troupeaux de boeufs, le long des fleuves; il
combat, marche des journées, des nuits entières, s'enivre de solitude et d'action. c
À propos de ce livre, Psichari nous écrivait: «Il me semble que tous les traits que
vous notez doivent nous mener, un jour, à de la gloire guerrière et, pour tout dire,
à une revanche dont nous ne devons jamais détourner nos regards.»
Et, dans la réponse que nous citons, relevons encore ces propos: «Ce serait
singulièrement rabaisser la foi patriotique que de la croire fonction de la barbarie
et de l'inculture; ce serait aussi vouloir nous ramener au point de l'Allemagne
actuelle où tout est sacrifié aux entreprises de la vie pratique.—Quoi que nous
fassions, nous mettrons toujours l'intelligence au-dessus de tout... Cela est
nécessaire, quand on songe à la haute mission de la race française, à la grande
élection qui domine toute son histoire...»
Note 4: (retour) En voici le témoignage. Dès 1912, nous avions noté ce réveil de
l'héroïsme et, invoquant déjà l'exemple d'un Psichari, nous écrivions:
«Et, ô miracle, c'est de ce milieu de l'Affaire que nous vient aujourd'hui la parole
la plus hardie qu'ait prononcée jeune homme de notre âge. C'est d'une famille où
l'intelligence semblait devoir s'épuiser après avoir donné ses fleurs les plus rares
que part le conseil de vertu et de renouvellement. La lampe d'héroïsme qu'on
croyait vacillante, c'est le petit-fils de Renan, Ernest Psichari, sous-lieutenant
d'artillerie coloniale à Moudjeria (Mauritanie), qui la passe à notre génération.
«Je voudrais que l'on méditât sur l'aventure de ce garçon de vingt-cinq ans qui,
abandonnant ses études de Sorbonne, partit à deux reprises pour mener une
action française dans la brousse africaine, pour donner à la France un empire
dont M. de Mun a dit «que nulle abdication n'empêchera jamais qu'il n'ait été par
elle, et par elle seule, arraché à la barbarie». Mais je me contenterai de citer
quelques pages que le brigadier Psichari rédigeait en 1908, au retour de la
mission qu'il fit au sud du Tchad, sous les ordres du commandant Lenfant. Ce
sont là des paroles qu'il faut que l'on connaisse. Puissent-elles déterminer des
vocations héroïques! Ecoutez, dès l'abord, ce qu'il dit de l'Afrique:
«Nous y venons pour faire un peu de bien à ces terres maudites. Mais nous y
venons aussi pour nous faire du bien à nous-mêmes. L'Afrique est un des
derniers refuges de l'énergie nationale, un des derniers endroits où nos meilleurs
sentiments peuvent encore s'affirmer, où les dernières consciences fortes ont
l'espoir de trouver un champ à leur activité tendue.» Ce noble pays révéla à ce
soldat français les vertus de la guerre: «Nous reviendrons, dit-il, à l'opinion du
peuple qui est la guerre. De l'extrême barbarie, nous sommes passés à l'extrême
civilisation... Mais qui sait si, par un retour fréquent dans l'histoire humaine,
nous ne reviendrons pas au point d'où nous sommes partis? ... Il vient une heure
où la violence n'est plus de l'injustice, mais le jeu naturel d'une âme forte et
trempée comme un acier. Il vient une heure où la bonté même cesse d'être
féconde et devient amollissante et lâche. Alors la guerre n'est plus qu'un
indicible poème de sang et de beauté.» e
Note e: (retour) Psichari avait rectifié l'excès d'un tel «bellicisme». Mais
que ces paroles furent exaltantes pour ceux qui avaient, comme nous,
grandi dans l'enseignement pacifiste et humanitaire!.
«Cette foi, ce goût français de l'héroïsme, cet élan qui traverse les pages
africaines de Psichari, je l'ai retrouvé, cet été, dans l'âme de maints jeunes
hommes; j'ai vu dans leurs yeux briller un secret désir...»
Nous devions, deux années encore, attendre l'événement qui emploierait cette
passion ...
Note 5: (retour) Charles Péguy, dans l'épître votive qui termine son Victor
Marie, comte Hugo, nous montre Psichari dans une teriba de cent mètres carrés,
au milieu du désert, avec ses livres. Sa bibliothèque de campagne, à ce qu'il nous
assure, ne comprenait que: les Pensées de Pascal, les Sermons de Bossuet, le
Règlement d'artillerie de montagne, la Table de logarithmes de Dupuy, et un
exemplaire de Servitude et grandeur militaires auquel Psichari tenait, «parce
qu'il composait l'unique bagage littéraire du sous-lieutenant de cavalerie Violet
qui sut si bien mourir à Ksar-Teuchane, en Adrar»; plus, cinq petits livres qui
n'étaient autres que des cahiers de Péguy lui-même.
Et, dans ce même morceau, Péguy cite cette belle lettre de Psichari, datée de
Moudjeria:
«Voici une terre qui est parfaitement romantique et triplement romantique: par sa
nature, son aspect physique, par le caractère de ses habitants et par l'action que
nous y exerçons encore. Histoire de brigands, assassinats, combats épiques,
pillages, sombres intrigues, tout cela fleurit ici comme dans son terrain naturel.
Et tout conspire à cette impression. Les aspects du pays, qui ne sont guère jolis,
ont cependant une beauté qui leur vient d'un tragique puissant, une beauté sans
grâce, mais bizarre et monstrueuse comme un décor du second Faust. «Des
plaines sans eau de l'Agan, écrasées de soleil, du montueux Tagant et de ses
cirques de rochers noirs, des dunes sans fin de l'Aouker, du noir Assaba, toute
vie s'est retirée aujourd'hui et il reste un rude squelette minéral où errent de
pauvres tentes en poil de chameau et des troupeaux nomades. Les Maures de ces
contrées désolées sont parmi les plus rudes guerriers qui soient au monde. Ils
nous l'ont fait sentir plus d'une fois, et nous le feront encore sentir,
vraisemblablement. Cette noble et antique race qui se rattache à l'Orient
mystique (il y a ici des «Chiites» que les guerres du premier siècle de l'Islam
avaient pourtant rejetés et confinés en Perse sur les bords de l'Euphrate) et qui se
ramifie vers l'est jusqu'au delà de Tombouctou (les Kounta du Tagant
s'échelonnent ainsi jusqu'au nord de la boucle du Niger), présente un échantillon
d'humanité extrêmement évolué et où pourtant la simplicité des moeurs est restée
grande, où l'ardeur du sang primitif est restée vierge. Ces gens d'esprit très
cultivé généralement, retors en politique, habiles dans la discussion, et qui, en
religion, vont jusqu'au mysticisme le plus ardent (Cheickh el Ghaswâni dévore
en ce moment un traité de mystique arabe sur la «prédestination» que lui a prêté
le capitaine commandant le Cercle), ces gens, tout en même temps sont des
gueux, vivent de guerres et de rapines, sont fiers comme des mendiants, ardents
à l'action, braves et rusés. Jeunesse de coeur et vieillesse d'esprit, voilà la
caractéristique générale. «C'est dans ce rude pays que nous avons essayé de nous
installer par la force de nos armes, et c'est un des derniers où l'on fasse encore
oeuvre de soldat, où l'on vive militairement. Enfin c'est une terre héroïque,
pleine pour nous de nobles souvenirs, encore d'hier, toute chaude encore du sang
français.»
Note 6: (retour) C'est à propos de ces affaires de Tichitt, qu'Ernest Psichari nous
écrivait d'Amijenjer, le 21 février 1912:
«Notre mois de janvier a été occupé par des opérations intéressantes qui se sont
déroulées avec une grande rapidité. Il s'agissait d'aller nous montrer à Tichitt,
ksar important situé à 200 kilomètres Est de Fort-Coppolani, et dans lequel nous
n'avions pas encore mis les pieds. L'intérêt de cette manifestation était d'occuper
un des derniers repaires des dissidents de Mauritanie, et leur hôtellerie ordinaire.
«Le 2 janvier, nous étions sur la route de Tichitt, marchant d'ailleurs à toute
allure, comme le permettait la légèreté de la troupe: rien que des troupes
méharistes et cent hommes à pied.
«Le 10, une partie de la reconnaissance (méharistes de l'Adrar, sous les ordres du
capitaine Beugnot), part en avant-garde, fait une marche forcée jusqu'à Tichitt, et
y tombe le 13 au matin, sur un paquet de dissidents. Sept, parmi lesquels des
chefs importants, sont tués. L'ancien sultan de l'Adrar, Sid Ahmed ould Ahmed
Aïda, blessé, est fait prisonnier. Gros succès, grand effet moral sur les Maures.
«Ces mouvements dans les dunes d'Aouker allaient prendre fin quand j'eus le
bonheur de tomber sur une bande de dissidents. Je les atteignais, le 21, dans un
chaos de rocs très pittoresques, mais rendant le contact très dur. Deux tués et un
blessé chez l'ennemi, un tué chez moi, après une journée éreintante, mais
honorable.»
C'est, en effet, après cette journée que le lieutenant Ernest Psichari fut cité à
l'ordre du jour de l'armée. On trouve un beau récit de ce combat dans l'Appel des
Armes, pages 309 et suivantes.
Note 7: (retour) Voir l'Illustration, numéro de Noël 1915. Le Voyage du
Centurion vient de paraître en volume à la librairie Conard, avec une préface de
Paul Bourget.
Note 9: (retour) Lettre inédite à Mgr Jalabert (1911).—-Cet épisode est rapporté
dans le Voyage du Centurion.
Note 10: (retour) C'est à propos de cette démarche, qu'Ernest Psichari écrivait,
en 1914, à M. Charles Maurras qui lui avait envoyé son livre l'Action française
et la religion catholique:
«En 1911, n'ayant pas la foi que donnent seuls les sacrements, j'écrivais à Mgr
Jalabert, évêque de Sénégambie, en véritable enfant de l'Église. Feinte, artifice
ou hypocrisie? Nul de ceux qui ont aimé l'Église avant d'y croire ne le dira.»
Note 13: (retour) Lettres à Mgr Gibier, publiées par l'évêque de Versailles dans
l'article qu'il a consacré à la mémoire d'Ernest Psichari (Le Correspondant, 25
novembre 1914).
Ernest Psichari, à propos de son Appel des Armes, dit de ce «pauvre livre» qu'il
date «du temps où il attendait sans rien faire pour s'en rendre digne la lumière
qui guérit et qui sauve».
La conversion de Psichari ayant eu lieu pendant que son roman paraissait dans
l'Opinion, notre ami eut le dessein d'arrêter la publication en volume. Après
beaucoup d'hésitation et sur le conseil du P. Clérissac, il consentit à le publier,
par un humble souci de vérité et pour «montrer les préparations éloignées de
l'oeuvre divine dans une âme encore fermée».
Note 20: (retour) Le P. Clérissac, des Frères prêcheurs, mort en novembre 1914,
quelques jours après avoir appris la fin d'Ernest Psichari.
Note 22: (retour) Cf. Le Voyage du Centurion: «Maxence n'a d'autre raison pour
aller à Dieu que Jésus, ni d'autre raison, ni d'autre moyen. Il ne peut avoir aucune
certitude en dehors de Jésus. Et il ne peut avoir d'autre accès à Dieu que Jésus,
Dieu lui-même et Homme en même temps.»
Note 23: (retour) Lettre inédite au P. Clérissac, mercredi des Cendres, 1913.
Note 24: (retour) Ernest Psichari ne cessait, dans ses lettres au P. Clérissac, de
s'émerveiller des joies de la vie chrétienne: «Que sont, écrit-il le jour de la
Sainte-Trinité (1913), que sont les petites misères du corps à côté de ce
rayonnement d'espérance qui nous force de tomber à genoux, dès qu'un peu de
solitude nous est laissée? Si tout le monde savait ce qu'est la vie d'un chrétien,
nous ne verrions plus de ces malheureux qui refusent obstinément le Paradis qui
leur est offert. Que ne puis-je leur faire entrevoir et leur montrer mes larmes de
joie à chaque fois que je m'approche de mon Dieu!» Et il ajoutait: «Vous m'avez
appris, mon bien-aimé Père, qu'il n'y a, comme disait sainte Angèle, qu'un livre à
lire: la Croix. Puissé-je maintenant l'écrire, ce même livre, mais au dedans de
moi-même, pour réparer tant d'années d'ignorance et mériter les grâces qu'il a plu
à Notre Seigneur de m'envoyer.»
Note 25: (retour) Ses lettres de ce temps-là sont pleines de pareils scrupules:
«Dites-moi, écrit-il au P. Clérissac, dites-moi ce qu'il faut que je fasse pour
remercier le Bon Dieu; dites-moi comment je peux lui rendre une partie de ce
qu'il me donne, car je reçois beaucoup et ne rends rien, de sorte que je ne suis
pas loin d'être accablé par le poids de sa miséricorde.»
Note 27: (retour) S'il fallait juger non plus l'oeuvre, mais la personne de Renan,
Ernest Psichari n'admettait point qu'on parlât devant lui de son grand-père sans
le respect convenable. Et il pensait aussi que sa culpabilité a été sans doute
atténuée, dans une mesure que seul Dieu peut connaître, par le fait que, pendant
sa jeunesse, aucune forte nourriture cléricale, aucune formation philosophique et
théologique vraiment sérieuse ne lui fut donnée.
Ainsi ses maîtres cartésiens, loin de lui montrer combien la raison est nécessaire
à la foi, s'efforcèrent, au contraire, de le convaincre de ce qu'a «d'antichrétien la
confiance en la raison». Le jeune clerc était passionné de recherche
intellectuelle, et ils lui répondaient: «Tout ce qu'il y a d'essentiel est trouvé»,
l'empêchant de mettre dans sa foi les légitimes besoins de son intelligence. Cette
dangereuse opposition entre la science et la religion, où devait se désespérer tout
le siècle, c'est chez eux que Renan, dès l'abord, la rencontre. «Ce n'est pas la
science qui sauve les âmes.» Propos juste sans doute, mais mal entendu et qu'il
allait retourner contre ceux-là mêmes qui le formulaient.
Note 28: (retour) À Paris, le R.P. Janvier avait inscrit Ernest Psichari parmi les
membres de la fraternité du Saint-Sacrement.
Et enfin: «Je prie pour l'Ordre dont je désirerais tant être un jour le bien humble
et bien indigne serviteur.»
Note 38: (retour) Dans cette même lettre à sa mère, Ernest Psichari écrivait:
«Mon commandement, si modeste qu'il soit, me donne les plus grandes
satisfactions; j'ai autour de moi une bande de gaillards très fiers de marcher à
l'ennemi et très décidés à se conduire en braves gens.»
Note 39: (retour) Quelques mois auparavant, Psichari écrivait, en effet: «Il faut
que la France fasse la guerre, si elle veut reprendre complètement sa place dans
le monde.»
Note 41: (retour) Nous possédons sur la mort d'Ernest Psichari plusieurs
versions différentes, entre lesquelles il ne nous appartient pas de choisir. Le
médecin-major B... la rapporte de manière assez différente:
«Le soir du 22 août, écrit-il, vers six heures, j'étais en train de panser des blessés
au poste de secours établi dans la première maison du village de Rossignol. Cette
maison, isolée des autres, était au centre même des batteries.
«À cet instant précis le poste de secours prenait feu; je dus mettre mes blessés à
l'abri dans la cave: mais si je n'ai pu assister Psichari à ses derniers moments, je
puis cependant vous donner la certitude qu'il n'a pas souffert et est mort dans la
sérénité absolue de sa foi chrétienne.»
Dans une autre lettre, M. le médecin-major B... revient sur la sérénité du jeune
héros à cette minute suprême:
«Mort le soir d'une défaite, Ernest Psichari n'a pas une minute désespéré de la
victoire finale, la seule qui compte. Je n'ai pu recueillir de ses propres lèvres
l'aveu de cet espoir certain: mais cette foi dans le succès final avec laquelle nous
étions tous partis, je l'ai retrouvée le lendemain, intacte, chez tous nos blessés et,
certes, ce n'est pas Psichari, chez qui la confiance avait des assises beaucoup
plus fermes que chez beaucoup d'autres, qui eût douté, alors que personne ne
doutait. Rien n'est donc venu assombrir sa fin de soldat. Ceux qui l'ont vu plus
tard ont été frappés du calme de ses traits; autour de ses mains était enroulé un
chapelet» f
«Le lieutenant Psichari est mort à mes côtés, ainsi que son capitaine. Nous avons
passé un après-midi côte à côte. C'est lui qui commandait la pièce où je me
trouvais. Le soir, à cinq heures, en voulant sauver la pièce, il a été fauché par les
mitrailleuses.»
Mais Dieu...
Notes et Documents
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