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et le musée
Théodore-Monod
d’art africain
Président du musée du quai Branly – Jacques-Chirac depuis
mai 2020, Emmanuel Kasarhérou échange avec El Hadji Malick
Ndiaye, conservateur depuis 2016 du musée Théodore-Monod d’art
africain. Tous deux à la tête de collections très riches aux histoires
multiples et complexes, ils proposent une réflexion sur les objets
de leurs musées, sur leur statut, sur des enjeux de provenance
et de restitution, et sur la place de la création contemporaine.
INSTITUT NATIONAL DU PATRIMOINE plômé. Chacun peut les aborder avec sa propre
Le musée du quai Branly — Jacques-Chirac subjectivité. Certains objets, par leur matéria-
(MQB) fait dialoguer les cultures extra-euro- lité, leur présence, ont une force qui continue
péennes. Comment traite-t-on ces collections d’exister au-delà du temps. C’est une manière
dans une institution française, et quel discours de rendre le musée démocratique. Mais dans le
veut-on diffuser ? même temps, on se doit de délivrer à ceux qui
le souhaitent des informations sur l’histoire et
EMMANUEL KASARHÉROU Les collec- la signification de l’objet, sur celui qui l’a créé
tions africaines du musée du quai Branly repré- ou ceux qui l’ont utilisé. Nous utilisons pour cela
sentent environ 70 000 pièces en provenance la muséographie, la scénographie, mais aussi
d’Afrique subsaharienne, la première collection les nouvelles technologies. Nous avons aussi
en nombre étant l’Amérique. Ces collections fait le pari, peu imité, de rendre l’ensemble
sont un héritage de plusieurs siècles. Les plus de la collection accessible sur Internet : non
anciennes sont entrées dans les cabinets royaux seulement l’objet, son image, son information
au XVIe s. Elles sont disparates et correspondent liminaire, mais également les archives qui lui
à des strates historiques très différentes, fondues sont liées. Notre public s’est considérable-
dans des collections géographiques. Notre ment diversifié. Il faut offrir une réponse à ces
premier engagement est de redonner de la chair multiples attentes sans dénaturer l’expérience Une vitrine
de la zone
à ces objets, de leur rendre leur « biographie », de visite, qui doit rester unique. Dans ce siècle « Afrique »,
en quelque sorte. Le musée a un double objectif : Plateau des
numérique, la force de la mise en présence d’un collections
sur le plateau des collections, notre première humain avec un objet reste quelque chose qui du musée
du quai Branly –
exigence est de nous mettre au même niveau n’est pas transposable. Jacques-Chirac,
que le visiteur, sans qu’il ait besoin d’être surdi- février 2020.
l’Institut fondamental d’Afrique noire (Ifan). Ce une information forte donnée sur leurs usages et
laboratoire n’existe plus1. La consigne donnée aux la place qu’ils occupaient dans les communautés. Membres
de la Mission
chercheurs était de ne pas collecter un objet parce Actuellement, le musée balance entre esthétique Dakar-Djibouti
qu’il était beau, la valeur esthétique n’ayant aucune et fonctionnalité des objets. L’ethnographie peut avant leur
départ, au Musée
importance. Cette consigne s’inspire du fascicule exister dans d’autres musées ailleurs, qui voient d’ethnographie
Instructions sommaires pour les collecteurs d’objets l’Afrique comme un ensemble aux traditions du Trocadéro
(Paris), mai 1931.
ethnographiques2 publié par le Musée d’ethnogra- étranges. Cependant plusieurs de ces institutions De gauche
phie en 1931. Il s’agissait donc de choisir un objet essaient d’abandonner cette vision3. Depuis que je à droite : André
Schaeffner,
pour sa valeur ethnographique, c’est-à-dire selon suis au musée Théodore-Monod, je me concentre Jean Mouchet,
une valeur d’usage. Aujourd’hui, nous considérons sur la connexion entre objets et archives. Pour Georges Henri
Rivière,
que nous n’avons pas d’objet « ethnographique » que les objets puissent non seulement rejeter l’his- Michel Leiris,
dans nos collections, pour la simple raison que toire qu’on leur avait imposée, mais en raconter de le prince
Oukhtomsky,
ces objets ont été ethnographiés à une certaine nouvelles. Nous avions élaboré un projet appelé Marcel Griaule,
Éric Lutten,
époque et que l’ethnographie est une construction « Vivants objets » dont l’objectif était de retourner Jean Moufle,
discursive teintée d’idéologie. Cette ethnographie sur les traces de la mission Dakar-Djbouti4. Gaston-Louis
Roux,
a accompagné toute une histoire coloniale, et c’est Nous devions présenter aux populations concer- Marcel Larget.
un discours qui a servi à construire une vision des nées par cette mission des objets afin de produire Cliché du studio
G. L. Manuel
sociétés africaines de l’époque. On les appréhen- avec elles des histoires alternatives, autres que frères, conservée
dait à partir des objets collectés dans les commu- l’histoire coloniale. au musée
du quai Branly –
nautés, et autour desquels toute une médiation Jacques-Chirac.
était conçue pour mettre l’autre à une distance E. K. Entre « objet d’art » et « objet ethnologique »,
bien précise. c’est le regard qui fait la différence. André Malraux
À partir de la fin des années 1950, quand on parlait d’« art par destination » pour désigner les
s’est acheminé vers les Indépendances, les poli- arts occidentaux et d’« art par métamorphose »
tiques d’acquisition ont changé. On a commencé pour désigner les objets souvent qualifiés d’ethno-
à collecter des objets moins pour leur valeur logiques, produits par des sociétés non occiden-
« ethnographique » que pour leur caractère tales dans des buts autres que la seule contem-
esthétique. Étaient désormais considérés comme plation esthétique, et devenus « œuvres d’art »
« objets d’art » des objets qui n’avaient certai- dans les musées. C’est justement ce processus
nement pas servi ou qui étaient vendus par des de métamorphose qu’il est intéressant de mettre
1
Créé dès 1936, l’Ifan (alors Institut français d’Afrique noire) ne commença à fonctionner réellement qu’à partir
de 1938. Le musée lui-même fut créé administrativement en 1961, même si sa collection existait depuis la
création de l’Ifan. C’est à partir de 1966 que le « F » de l’acronyme « Ifan » a cessé de signifier « français » pour
signifier « fondamental ».
2
Coéditée par le Musée d’ethnographie (Trocadéro, Paris) et la Mission Dakar-Djibouti, cette brochure d’une
trentaine de pages a été rédigée anonymement par Michel Leiris à partir de notes prises en 1926 par Marcel
Griaule durant les cours d’ethnographie descriptive donnés par Marcel Mauss à l’Institut d’ethnologie. Elle
était destinée aux chercheurs de l’institut, mais aussi aux fonctionnaires coloniaux et aux simples voyageurs.
La brochure est intégralement disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k65415773/f5.texteI-
mage [lien valide en mai 2021] [note de la rédaction].
3
Voir l’intervention de James Clifford (professeur émérite, History of Consciousness Department, University
of California, Santa Cruz) à propos du musée post-ethnologique lors du colloque « Le musée du quai Branly –
Jacques-Chirac dix ans après. Un musée à imaginer » (29-30 septembre 2016).
4
Expédition ethnographique menée en Afrique sous la direction de Marcel Griaule de 1931 à 1933, et à laquelle
participait notamment Michel Leiris, la mission Dakar-Djibouti a profondément marqué l’histoire de l’ethno-
graphie française mais aussi celle des sciences humaines, des musées et de l’histoire de l’art africain. À l’issue
de la mission, près de 3 500 objets collectés furent versés au musée de l’Homme (Paris). En 2003, la plus grande
part de ces collections furent transférées au musée du quai Branly [note de la rédaction].