Belmondo

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LÀ P.M.

l
SOMMAIRE
Couverture : Jean—Paul Belmondo. ®
Photo Toscani/Gamma.

H DOCUMENT
4 à 13 La P.M.E. Belmondo.

M 14 CAVAMIEUX Cette semaine, sortie du Marginal. Si vous n‘êtes pas au


EN LE DISANT courant, c‘est que votre abri anti—atomique est vraiment bien
H MUSIQUE
isolé. Dans 300 salles de France et de Navarre, Jean—Paul
18 Les japoniaiseries de Butterfly. Belmondo, flic de choc, court, cogne, sourit, fait le coup de feu,
Assez de bretteur en scène !
20 Disques. séduit, fronce les sourcils, gouaille, refait le coup de feu,
H CINEMA
conduit des voitures à toute allure, la routine, quoi. Comme
24 Des intouchables bien retou— f l‘année d‘avant et l‘année prochaine.
chées.
25 Avant—première : Le Bon plai— | Modeste si l‘on s‘intéresse au cinéma, l‘événement est
sir.
26 Maccione : ça marche. considérable si l‘on s‘intéresseaux médias. Sans grand risque
27 Le Bourreau des cœurs.
28 Les absents du cinéma tchè— f
d‘erreur, on peut prévoir que Le Marginal/ fera un tabac.
ue. E Pourquoi et comment, voilà la question.
29 Reprise : Le Voleur de bicy— fi
clette. ous aurions voulu, bien sûr, tretien, finalement, pourvu que nous
30 Un bruit qui court... interroger Belmondo lui— lui en soumettions le texte. D‘accord.
32 Films nouveaux : Chanel soli— * même. Mais d‘abord, il « Les messieurs de Télérama sont en
taire ; Rosi et la grande ville. tourne en Tunisie avec Henri bas » annonce la jeune femme qui
Reprise : Laura. Verneuil, ensuite il n‘accorde pas d‘in— nous a accueillis dans un bel hôtel
terviews, en tout cas pas à Télérama, articulier du XVI° arrondissement.
H TELEVISION auquel l‘oppose un contentieux larvé ous sommes venus à deux (c‘est plus
34 Le mémorial Zitrone. Scnt19ues trop souvent « négatives » sûr) et, du coup, nous nous sentons très
36 Argentine : la fin de la nuit ? epuis quelques années, plus l‘affaire tandem de flics venus asticoter un
38 Pierre Perret : couronné de déjà lointaine d‘Une chambre en ville). notable suspect. En plus, il pleut de—
vigne et de savoir—vivre. Qu‘importe : faute d‘Oreste, on verra hors, et nos impers dégoulinent.
40 Les somnanbules de Weimar. Pylade. Pylade, en l‘occurrence, s‘ap— Dans le bureau où se déroule l‘entre—
41 La retraite n‘est pas une dé— Ile René Chateau, c‘est l‘associé de tien, le sanctuaire de l‘entreprise Céri—
route. elmondo, son homme d‘affaires, son to—René Chateau, des posters de Bel—
43 Les boules de feu d‘Hälderlin. publiciste, son alter eÆo et le manager mondo, un peu partout, mais aussi de
44 Mon œil. de son succès, c‘est dire s‘il est fort. James Dean, de Bogart, de Bruce Lee,
45 Sélection TV. Travaux d‘approche. Premier coup tout le panthéon de Monsieur Holly—
46 à 107 Programmes et commen— de téléphone. « C‘est pour Télérama ? wood Boulevard (voir encadré page 6).
taires. Alors non. » répond un sous—fifre mal Bronzé, décontracté, affable aussi,
luné. Second coup de télé;)h0ne. le suspect joue franc jeu. Et nous fait
H RADIO « Avez—vous un bon avocat ? » de— vite ressentir l‘absurdité du débat.
110 Django Reinhardt : le rythme mande, mi—riant, mi—sérieux, René Imaginez, après tout : vous êtes le
à huit doigts. Chateau en personne. Il accepte l‘en— directeur, disons de Coca—Cola, à qui
112 à 133 Programmes et une obscure association de consomma—
commentaires. teurs, personnifiée par deux quidams
LE PAVE DE L‘OURS vindicatifs et détrempés, vient dire que
M LIVRES Apparemment, tout le monde aime Bel— son produit ne lui plaît pas. A moins
134 Le cri du loup.
mondo, sauf Télérama, qui émet des d‘être masochiste, vous répondez :
réserves nostalgiques (on le préférait « C‘est votre droit le plus strict de le
avant) et la presse soviétique, qui est penser, seulement, à part vous, tout le
H DEUXOU carrément contre. On se serait bien
monde se déclare satisfait et en rede—
é de cette alliance objective, mais
TROIS CHOSES ‘orce est d‘en prendre acte. La revue de mande. Alors si vous n‘aimez pas cela,
140 Lettre ouverte à Madeleine cinéma Ekran, donc, dénonce vigoureu— n‘en dégoûtez pas les autres. » René
Renaud,. Point à la ligne. sement l‘apologie que fait notre Bébel Chateau et Jean—Paul Belmondo ne
national du «superman musclé que sont pas masochistes, ils aiment ce
M 142 MOTS CROISES n‘embarrassent ni les problèmes de qu‘ils font, selon toute vraisemblance,
conscience ni la sensibilité ». Quoi d‘é— et c‘est exactement cela qu‘ils répon—
Publicité : 1 page en tirage alterné tonnant si ce héros « vulgaire, brutal et dent. C‘est imparable.
page 77. cruel» exercel un tel ascendant sur la
jeunesse occidentale « qui a perdu tout
D‘autant plus imparable qu‘à sa
idéal social et ne recherche que les sensa— manière (comme le Coca—Cola), le
H LE PÊETIT JOURNAL tions immédiates ? » La jeunesse soviéti— Froduit est bon. Il a fallu du temps pour
Supplément Paris et sa région : que, il est vrai, semble contaminée aus— e définir, mais ça y est, on s‘y tient.
pages I à XXXII entre les pages 72 si. Entre A bout de souffle et Le Marginal,
et 77.
4 TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983
il y a 25 ans d‘une carrière jalonnée de

Simon—Gamma
merveilles : Classe tous risques, Le
Doulos, Pierrot le fou, Le Voleur, La
Sirène du Mississipi (où, en amoureux
fou transi et un peu dadais, il tient avec
génie un des plus beaux contre—emplois
qu‘on ait jamais offert à un acteur).
L‘Homme de Rio, en 1963, marque
une date. Au contact du cascadeur Gil
Delamare, Belmondo découvre ce que
la prouesse physigue peut apporter à
son personnage. Et, au fil des années,
un peu comme on tâtonne pour trou—
ver la composition d‘un cocktail, le
héros s‘est cherché pour s‘affirmer
enfin, définitif, inentamable, dans les
années 70. Les chefs d‘œuvre qui pré—
cédaient n‘étaient que des brouillons,
la recette est trouvée.
UNE RENCONTRE
HISTORIQUE
René Chateau : « J‘ai rencontré Belmon—
do en 1965, par Godard. Avant de faire
chaque film, Godard venait me voir parce
que j‘étais journaliste au magazine Lui,
responsable du cinéma mais aussi des
jolies femmes. Toutes les actrices qui
posaient dans Lui, c‘était moi qui les
persuadais. Dans les années 60, à chaque
film qu‘il faisait, Godard venait me voir
pour me demander ce que j‘avais comme
jJolies filles capables de tenir un rôle,
ce qu‘il en a toujours été très amateur.
ans Pierrot le fou, toutes les jolies filles
de la scène avec Samuel Fuller, c‘était
une réalisation René Chateau. C‘est là
que j‘ai connu Belmondo. Je l‘ai inter—
viewé pour le journal et l‘article a été
vendu dans le monde entier. Ensuite, j‘ai
lancé Bonnie and Clyde et nous nous
sommes retrouvés pour le tournage de
Ho. Depuis, nous ne nous sommes plus
quittés. »
A la base, il y a Belmondo,
comédien d‘un tempérament magnifi—
äu€ et cascadeur émérite, toujours
ans le même rôle de costaud gouail—
leur, flic ou voyou. Autour, il y a une
mise en scène anonyme, mais généra—
lement compétente (au mieux Deray
ou Lautner, au pire Verneuil), un
scénario primaire, mais rondement
mené, une actrice agréable à regarder
(ici, Carlos Sottomayor) et une musi—
que d‘Ennio Morricone. Le tout est
consommable. En tout cas consommé
à tour de bras.
« Avec Belmondo, explique René
Chateau, les gens savent qu‘ils vont en
‘avoir f0ur leur argent. Ils ont travaillé
toute la journée, ils sortent du boulot ;
.
ils veulent voir un film pour rêver,
oublier leurs soucis, échapper au quoti—
Belmondo prend l‘avis de C hateau. dien. Et si le « label Belmondo » existe,

TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983


Jean—Paul Bèlmondo, Carlos Sottomayor et Jacques Deray sur le plateau du Marginal.
c‘est parce qu‘ils savent qu‘avec lui il y a mieux que Duras Igarce que plus de vivent dans la mémoire collective et
toujours du spectacle, de l‘humour, du ens vont le voir. De même Guy des restent au programme des cinémathé—
sourire, de l‘action. Belmondo revendi— rs c‘est mieux qu‘Henri Michaux, ques. » (dossier de presse du Margi—
que totalement le plaisir de tourner du etc.). Argument numéro deux, plus nal).
cinéma de divertissement, il en est ravi, vicieux et servi en rallonge aux criti— n gros, Le Marginal c‘est Renoir et
moi aussi et c‘est pour ça qu‘on travaille ques qui font la fine bouche : vous vous Duras c‘est Lherbier. D‘ailleurs,
bien ensemble. Les chefs d‘œuvre d‘hier trompez toujours, vous vous excitez « Duras, c‘est duraille » (sic, même
et les classiques de demain ont toujours sur des vacuités alambiquées qui se source). Bon, on tire l‘échelle.
été et seront toujours du cinéma de donnent pour de l‘art et vous passez à Attaquons sur un autre front. Le
divertissement. » côté des chefs d‘œuvre populaires, produit est bon, c‘est entendu. Il passe—
Et de balayer du geste et du regard qu‘on redécouvrira demain. Couplet ra à la postérité, si vous y tenez. Maisne
l‘autel des grandes gloires populaires entonné par Belmondo lui—même avec manque—t—il pas un Beu d‘audace, de
rassemblées en effigies dans son bu— un bel allant : risque, de diversité ? Est—ce vraiment
reau. On admirera la finesse du raison— « Dans les années 30, Marcel Lher— aimer le cinéma, quand on est un
nement en deux temps. Argument bier faisait de l‘art, Renoir et Gabin comédien aussi doué que Belmondo,
numéro un : ça marche, donc c‘est bon tournaient des films pour le public. de se figer une fois pour toutes dans un
(sous—entendu : Belmondo, c‘est Aujourd‘hui, c‘est Renoir et Gabin qui emploi, même plébiscité ?
hateau sourit avec commisération,
RENÉ CHATEAU,
SA VIE, SON ŒUVRE il est habitué à la question.
— Beaucoup de journalistes repro—
L‘irrésistible ascension de René Chateau prouve au moins deux choses : d‘abord qu‘on chent à Belmondo /e cinéma qu’if fait
ne fait bien que ce qu‘on aime, ensuite que cet homme a un sens inné de ce qui plaît au aujourd‘hui au nom du cinéma qu‘il a
ublic. Parce que cela lui plaît à lui. Flash—back : «A 18 ans, je travaillais dans le
fait hier, notamment au nom d‘À bout
gaünæ‘
iment pour 600 F par mois. Je tapais tout le monde pour éditer ma revue de cinéma qui
s‘appelait La Méthode, en hommage à Elia Kazan et à l‘Actor‘s Studio. Qui était en de souffle et de Pierrot le fou, qui sont
couverture ? James Dean. Et mon premier article, je l‘ai écrit sur A bout de souffle, pour comme par hasard les deux meilleurs
dire que Belmondo était le plus grand acteur de demain ». Godard...
James Dean, Bruce Lee, Belmondo, voilà son tiercé. Journaliste à Lui, Chateau Question provoc: Les deux meil—
organise en 1965 le 10° anniversaire de la mort de James Dean. Ça marche. Le patron leurs Belmondo aussi, non ?
de Warner—France, impressionné, lui offre de promouvoir un film de son choix. Contre
tous les avis (le film a été un bide aux USA), Chateau prend Bonnie and Clyde. Ça
Réponse tolérante: « Deux très
marche encore mieux. I! rencontre Belmondo, devient son attaché de presse, son bons Belmondo, disons deux parmi les
ublicitaire, enfin son associé pour la distribution (l‘entreprise s‘appelle Cerito—René dix meilleurs. D‘accord. On lui re—
hateau). Entre les deux hommes, unis par le même mépris de l‘armée et des proche aussi de ne plus faire les films de
intellectuels, par la même foi dans le grand spectacle populaire, c‘est aussitôt à la vie à Melville, mais Melville est mort, il n‘a
la mort, Montais et La Boétie. pas été remplacé (1). Et aujourd‘hui,
Entretemps, Chateau a racheté pour une bouchée de pain les droits de 4 des 5 films guand on voit des films français de
de Bruce Lee, commencé à programmer les trois salles parisiennes du Hollywood onne qualité, il y en a très peu que
Boulevard, où l‘on célèbre le culte de ses héros favoris. Il dirige aussi une maison
d‘édition et une société de production—distribution de cassettes vidéo (au catalogue,
Belmondo aurait pu jouer. Citez—moi
Massacre à la tronçonneuse). On ne peut pas l‘accuser de voler au secours du succès, il des films récents qu‘il aurait ratés. Par
le flaire à la source. En d‘autres temps, il aurait pu être un nabab hollywoodien. drt eee SUITE PAGE 11
Aujourd‘hui, il est ce qui s‘en rapproche le plus en France, un hybride triomphant de (1) Signalons la reprise du Doulos à Paris la
Darryl Zanuck et de Jacques Séguéla... semaine prochaine.

TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983


à e u. m p N T
SUITE DE LA PAGE 6
sa personnalité, Belmondo est limité à BOX OFFICE 1970—1983 INobibtY de sbéctateus à
un certain genre de rôles, c‘est vrai et
c‘estnormal. Louis de Funès, qui étaitle Exclusivité Paris—Périphéries
plus grand acteur comique français ne
ouvait jouer les jeunes premiers ou les
1970 BORSALINO JACQUES DERAV 350 096
€lous0ns noirs. C‘est une idée qui ne 1971 LES MARIÉS DE L‘AN II _ J—P RAPPENEAU 605 934
tient pas debout qu‘un bon acteur doit
savoir tout faire. Belmondo a une sensi— 1971 IE CASSE HENRAI VERNEUIL 807 123
bilité artistique très développée, il sait
très bien ce qui lui convient... » 1972 DOCTEUR POPAUL CLAUDE CHABROL 506 401
D‘accord, d‘accord, miais un
écart de temps à autre ? Voyez Clint
petit 1972 IA SCOUMOUNE JOSÉ GIOVANNI 465 242
Eastwood qui, entre deux polars à gros 1973 L‘HÉRITIER PHILIPPE LABRO 576 632
calibre, s‘offre la balade lyrique de
Honkytonk man. Ou même Alain 1973 IE MAGNMIFIQUE PHILIPPE DE BROCA 726 665
Delon qui semble vouloir sortir de son
prêt—à—porter crispé en enchaînant, 1974 STAVISKY ALAIN RESNAGS 326 175
après À la recherche du temps perdu, 1975 PEUR SUR LA VILLE HENRAI VERNEUIL 836 426
sur un Bertrand Blier et un Téchiné.
Ça ne le tente pas, Belmondo ?
En tout cas, ça ne tente pas Chateau,
1975 L‘INCORRIGIBLE PHILIPPE DE BROCA 766 857
3ui semble sincèrement épouvanté par 1976 L‘ALPAGUEUR PHILIPPE LABRO 445 281
es telles fantaisies. D‘autant qu‘il y a
un précédent fâcheux, le Stavisky de 1976 _ LE CORPS DE MON ENNEMI HENRI VERNEUIL 528 345
Resnais.
1977 L‘ANIMAL CLAUDE ZDI 730 000
H BELMONDO—MESRINE—GODARD
DE L‘ESCROQUERIE ! 1979 FLIC OU vorou — GEORGES LAUTNER 1 024 695
— Jean—Paul aime beaucoup le film 1980 IE GUIGNOLO GEORGES LAUTNER 753 000
d‘Alain Resnais, il l‘a fait et produit,
mais le public ne s‘est pas précipité. 1981 IE PROFESSIONNEL GEORGES LAUTNER 1 200 000
325 entrés — tout de même ! — à
aris). Si Belmondo avait continué à ne 1982 L‘AS DES AS GÉRARD OURY .— 1250 000
tourner que des Stavisky, peut—être que
vous ne seriez pas là aujourd‘hui à me
1983 IE MARGINAL JACQUES DERAY
questionner sur la star Belmondo, (Moyenne par film : 729 345 entrées)
parce qu‘il n‘y aurait peut—être plus de
star Belmondo.
Nous avalons notre salive, épou— vous, il n‘a aucune chance. (salles, affichages, _ films—annonce...)
vantés par une telle perspective. Maintenant, ce n‘est pas tout d‘avoir appartiennent aux distributeurs. On se
Bref, si nous avons bien compris, un un bon produit, même si on croit dur onne du mal pour faire un film,
produit c‘est fait pour être reproduit, et comme fer qu‘en plus c‘est un futur trouver un bon scénario, un titre, une
Èas tripatouillé par des fumistes. classique. Il faut encore savoir le lan— ÿfiche, et ensuite on donne tout cela à
xemple—type du fumiste: Jean—Luc cer, et ça, c‘est le travail de Chateau. Si es gens pour qui c‘est un produitparmi
Godard, dont le spectre a dû hanter les Belmondo est non seulement la pre— 18 ou même 45 autres fifins dans l‘an—
nuits de Chateau quand il a été ques— mière star française (au box—office née. On devient le 18 ou le 45° pour
tion qu‘il dirige Belmondo dans le rôle comme à la cote des sondages), mais leurs société, et cela, c‘est mortel. Alors
de Jacques Mesrine. (C‘est Belmondo encore l‘un des rares acteurs— ue pour nous, c‘esttout, on s‘est donné
ui a acheté les droits du livre de producteurs—distributeurs du monde, à ce film à 100 %, c‘est notre année de
l‘ex—ennemi public n° 1). c‘est à une longue conquête du pouvoir travail, notre vie.
— L‘affaire Mesrine, telle que voulait qu‘il le doit. C‘est pourquoi, il y a cinq ans, j‘ai
la mettre en scène Godard, n‘a aucun —Attaché de presse, puis publicitaire, proposé à Jean—Paul de faire avec lui la
intérêt, même pour la veuve ou la fille de de Jean—Paul, explique René Chateau, distribution de ses films et sa cote n‘a
Mesrine. Et moi, si j‘annonce Belmon— je butais contre un mur. Toutes les cessé des‘affirmer depuis ce moment où
do dans Mesrine réalisé par Godard, décisions concernant la sortie d‘un film nous avons pris le contrôle de la distri—
étant donné que Godard voulait le bution, depuis Flic ou voyou. Mainte—
tourner comme Le Camion de Duras, LE LANCEMENT DU nant, dès qu‘un projet est sûr, dès que
avec Jean—Paul derrière une table qui MARGINAL Jean—Paul a dit: « Je vais tourner Le
raconte comment on « aurait pzäfl:ire » Décision de faire le film : 3 juillet 1982. Marginal avec Jacques Deray », moi, je
le film, j‘escroque 5 millions de per— Début du tournage : Avril 1983. calcule tout de suite le jour de la sortie du
sonnes en France et 10 à l‘étranger, 15 Fin du tournage : Juillet 1983. film et je commence à travailler sur
millions de spectateurs qui paieraient Premier article de presse : 27 avril 1983 l’afLfiche.
our voir Belmondo dans le rôle de (couverture VSD). a sortie de la plupart des films, en
>
ennemi public numéro un et qui ver— Diffusion du pré—film annonce : 15 juil— France, c‘est un massacre. Sur 220 films
raient autre chose. let 1983. qui sortent dans l‘année, 200 se ramas—
C‘est l‘honnéêteté même. Que dirait Diffusion du film—annonce: 15 sep—
tembre 1983.
sentet deux font plus de 800 000 entrées,
en effet le consommateur de Coca— Début de la campagne d‘affichage : 15 dont toujours un Belmondo. Si c‘était
Cola si, décapsulant sa bouteille, il y octobre 1983. aussi facile de faire ce que fait Jean—
trouvait «autre chose » ? _ « Autre Sortie française : 26 octobre 1983, dans Paul, tout le monde le ferait. Il n‘y a pas
chose», voilà l‘ennemi. Rassurez— 300 salles. de producteurs maso.

TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983 11


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Savoir lancer un film, c‘est un métier. titre, faire le plan du film—annonce etune ïnarginal, mais un marginal qui fait la
Il devrait exister des « managers de esquisse de la future affiche. Pour réali— Oi.
SUCCÈS ». ser une bonne affiche, il faut un bon Notons ensuite avec inquiétude que
C‘est exactement ce qu‘est René titre. Avec l‘accord du metteur en scène, . le film de Verneuil qu‘il tourne actuel—
Chateau, cheville ouvrière de la PME je change le titre s‘il ne convient pas. lement en Tunisie s‘appelle Les Morfa—
Belmondo. Un film par an, un homme Exemples, « Le piège à loup » est deve— lous: un bien bon titre, assure Cha—
à la barre, et ça marche. « Ma nu Docteur Popaul. « La mort de la teau, mais que signifie ce pluriel dans
méthode ? Chaque film est différent et bèête à la peau fragile » : Le Profession— un véhicule voué à la célébration d‘une
doit être traité de façon différente, avec nel. «Le Pigeon de la place Saint star qui ne partage la vedette avec
un maximum _ d‘imagination Marc » : Le Guignolo. « L‘Inspecteur personne ? Comprenons enfin pour—
(Exemple : sur l‘affiche du Profession— de la mer » : Flic ou voyou. Par contre, uoi les audaces d‘un Delon effarou—
nel, Belmondo a le flingue à la main ; nous avons gardé L‘Às des as ou Le chent tant la PME Chateau—
sur celle du Marginal, il le porte à la Marginal, qui sont de bons titres. » Belmondo: A la recherche du temps
ceinture). Quand j‘étais gosse, je choi— (Parenthèse. Notons, première— perdu, ou Du côté de chez Swann, quels
sissais d‘aller voir un film d‘après l‘af— ment, combien ces titres définissent, titres impossibles ! Il faudrait appeler
fiche, le film—annonce et les photos Ëar petites touches, le personnage de ça Le Baratineur ou Le Shnobinard —
devant le cinéma. Je ne l‘ai pas oublié. elmondo : guignolo et professionnel nous disons cela au hasard, Chateau
Dès la lecture du scénario, (sur le— à coup sûr, as des as certainement, il est trouverait certainement mieux...).
uel, d‘ailleurs, Belmondo intervient aussi, dans le système de production et Continuons la visite guidée. Le titre,
irectement), je dois pouvoir trouver le de distribution français, une sorte de l‘affiche, les films—annonce (refaits jus—

12 TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983


DOCUMENT

Ce quil faut
qu‘à ce qu‘ils satisfassent l‘exigeant
Chateau). La date de sortie, mainte—
nant: « C‘est simple, j‘essaie de prendre
la meilleure. Les gens vont davantage
au cinéma en hiver qu‘en été. Etje pense

Îire...
aussi aux films qui vont sortir. Pour Le
Marginal, je laisse Jpasser James Bond,
je laisse passer le Jedi et je commence
après. Il ne faut pas se concurrencer ».
René Chateau est modeste: il a
même réussi à faire changer la date de
sortie du Jedi pour ne pas être géné par
lui. « Pour le choix des salFes, c‘est
pareil. Toutes les salles demandent Bel—
mondo et certains bien intentionnés
nous ont accusés d‘en occuper trop.
Mais quand les salles sont pleines, il n‘y
en a jamais trop, par contre les salles
vides, c‘est la mort du cinéma. Et puis,
aujourd‘hui, quand un spectateur veut
voir un film, il veut le voir immédiate—
ment et, un mois plus tard, il a envie d‘en
voir un autre. C‘est triste, mais c‘est
comme ça. Personnellement, je préfère—
rais faire de plus petits circuits et de la
continuation, mais cela ne correspond
plus au besoins des spectateurs ».
Résumé : « Toute ma publicité est
basée sur la façon dont je m‘adresse au
public directement ».
Directement, cela veut dire aussi :
en évitant le filtre de la presse (en clair :
sans organiser de projection, à son
intention, comme il est d‘usage). C‘est
pourquoi vous ne lirez pas de critique
du Marginal dans ce numéro de Téléra—
ma. Crainte, diront de mauvaises lan—
gues, qu‘elle soit défavorable et ne
perturbe l’eulphorie d‘une première
semaine où la publicité seule a la
1£_)Êerle ? Pas du tout, c‘est pour ne pas
strer les journalistes d‘un plaisir
pourtant bien mérité, après toutes les
durasseries qu‘ils ingurgitent à lon—
gueur d‘année.
— Nous ne sommes pas contre la
presse. Je veux bien inviter les journa—
listes, mais le jour de la sortie, avec le
public. Ils voient alors le film dans une
grande salle, avec des gens qui sont
contents d‘être là, qui ont payé leur 2 1 4
d‘, F hn 7 /’m
place, dans les conditions réelles du 06 Sdup n ”— Er—1 Copte
spectacle qu‘ils n‘auraient pas dans une de Ze
toS0,. ce
"l/, V h.
vaEr Ir
salle privée pour 50 personnes.
Tout se tient, comme on voit, et tout
le monde est content. Avant de finir,
rappelons gentiment à Belmondo
— qui aime, citant Malraux, assurer
que le cinéma est un art, mais aussi une
industrie — que le cinéma n‘est pas
seulement une industrie, si florissante
soit—elle, mais aussi, parfois, un art. Achim von Arnim : Isabÿe_llÿeÿd‘{EgyÊ.eüet autres récits | Jean Racine : Théâtre completII
Voilà. Le sermon culturel est fini, vous Jean Freuçtie : L‘héritage du vent | Claude Roy : La traversée du Pont des Arts
Panaït Istrati : Damnilza:de SDÂgQ‘{ William Saroyan : Maman, je t‘adore
pouvez sortir en bon ordre et vous Herman Melville : Mardi 1 Henri Thomas : La vie ensemble
ranger, toujours en bon ordre, dans la
ueue du cinéma. Le Marginal se joue
äan_s 300 salles en France, vous avez le
choix. Emmanuel Carrère enfolio Ù
e ciiretieeet et Alain Rémond
® Lundi 31 octobre, TF1 diffuse Un singe
en hiver d‘Henri Verneuil avec Belmondä.
il y a toujours du nouveau
TELERAMA N° 1763 — 26 OCTOBRE 1983 13

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