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ENTREPRENDRE
Série Vital Roux
De L'idée au m a r c h é
Innovation et Lancement
..de p r o d u i t s
et DeLphine Manceau
Professeur Assistant à l'ESCP-EAP
Série Vital-Roux
ISBN 2 71 17 7967 X
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou
reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre
part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou
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A l'initiative de l'ESCP,
un groupe de chefs
d'entreprises a créé, en
1995, l'Institut Vital Roux,
une association qui s
a pour vocation d'être
un lieu de dialogue entre f o n d a t r i c e s
la communauté
économique et le monde
de la recherche. Arjo Wiggins,
Il constitue un réservoir Banque de Baecque Beau,
d'idées nouvelles
et s'affirme comme Deloitte Touche & Tohmatsu,
un lieu d'expérimentation
qui facilite l'émergence Electricité de France,
des connaissances et
des compétences Ernst & Young,
en gestion.
Gaz de France,
L'Institut est un point de
rencontre d'un type nouveau Gras Savoye,
entre dirigeants, enseignants-
chercheurs, étudiants. A ce Immobilière Phenix,
titre, il mène de nombreuses
actions - colloques, conférences, Point P,
concours, financement de projets
de recherche, création de réseaux Salustro Reydel,
internationaux, publications -
Shell France,
qui s'inscrivent dans une même
perspective : développer des Société Générale
passerelles entre le monde
académique
et le monde professionnel.
Edouard Salustro
Président de l'Institut
La Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris
V I T A L
R O U X
79 avenue de la République - 75543 Paris Cedex 11
Tél : (33-1) 49 23 22 88 - Fax : (33-1) 49 23 22 12
La série Vital Roux
INTRODUCTION 1
Bibliographie
LETEMPS,
FACTEURCLÉ
DANS LELANCEMENT
DENOUVEAUXPRODUITS
Si l'on interroge les responsables d'entreprises sur leurs préoccupations en
matière d'innovation, le temps apparaît systématiquement parmi les premières
problématiques citées. Il faut aller vite. Gagner du temps sur la conception du
produit pour le commercialiser le plus tôt possible et réaliser des économies.
Accélérer le lancement qui génère traditionnellement des dépenses très élevées.
Gagner du temps, enfin, sur le processus d'adoption du nouveau produit par les
consommateurs afin de favoriser le décollage des ventes et d'accélérer la rentabi-
lisation du produit. Ainsi, pour aider les entreprises, de nombreux chercheurs et
consultants réfléchissent depuis plusieurs années à la manière de réduire les délais
de conception, de lancement et d'adoption des nouveaux produits.
Le temps apparaît donc comme un enjeu concurrentiel majeur, au point que
l'on parle désormais de « chrono-concurrence ». Pourtant, les choix ne sont pas
toujours évidents et la rapidité exige souvent des arbitrages. Ce sentiment
d'urgence perpétuel des responsables d'entreprises est-il véritablement justifié ? Il
a semblé essentiel, dès la première partie de cet ouvrage, de se demander si le
temps constitue un avantage concurrentiel déterminant. Trois problématiques sont
étudiées.
Les entreprises cherchent souvent à accélérer la conception d'une innovation
afin d'être les premières à l'introduire sur le marché. Emmanuelle Le Nagard-
Assayag et Delphine Manceau dénoncent cette obsession en soulignant que la
portée et l'existence même d'un avantage pour le pionnier varient selon les objec-
tifs visés (part de marché, rentabilité ou survie de 1 entrepnse) et dépendent de
nombreux facteurs inhérents à la catégorie de produits (chapitre 7.
Dans le chapitre 2, une équipe pluri-disciplinaire de chercheurs de la Wharton
School montre que le gain de temps lors de la conception des nouveaux produits
n'est pas sans contrepartie, notamment quant à la performance technique des
produits conçus. Morris Cohen, Jehoshua Eliashberg et Teck Ho remettent en
c.ause l'objectif fréquemment admis de minimiser le délai de retour sur investisse-
ment et montrent que les entreprises devraient plutôt privilégier la performance,
même au prix d'un report du lancement.
Enfin, Delphine Manceau s'interroge sur le secret qui prévaut généralement en
matière d'innovation et établit la liste des avantages d'une annonce préalable au
lancement (chapitre 3). Si les conséquences d'une telle pratique sont ambiva-
lentes, à la fois sur le marché et l'environnement concurrentiel, un bon suivi des
annonces préalables permet de générer une forte notoriété susceptible d'accélérer
les ventes initiales du nouveau produit et de gêner les concurrents dans leurs
propres projets d'innovation.
Chapitre
1
Introduction
La préoccupation majeure des responsables d ' e n t r e p r i s e s en matière d'innova-
tion consiste bien souvent à réduire les temps de conception et de lancement des
p r o d u i t s afin d ' ê t r e p r é s e n t sur le m a r c h é le plus tôt possible et, idéalement,
avant les concurrents. On assiste ainsi à une véritable course à l'innovation afin
d'arriver en tête.
Les cabinets de conseil c o m m e les grandes entreprises placent ainsi la réduc-
tion du temps pour parvenir sur le marché (time-to-market) parmi leurs priorités.
Une é t u d e réalisée par Mac Kinsey m e n t i o n n e que six mois de r e t a r d d a n s le
lancement d'un produit ont pour c o n s é q u e n c e une diminution d'un tiers du profit
réalisé (Smith et Reinertsen, 1994). Cette p r é o c c u p a t i o n existe d a n s les indus-
tries de haute technologie, comme l'électronique grand public ou la téléphonie,
mais aussi dans les secteurs de grande consommation tels que l'alimentaire ou
les détergents. Elle repose sur l'idée que le premier arrivé sur le marché, désigné
comme le pionnier, bénéficie d'avantages concurrentiels durables sur les autres
entreprises, qui sont des suiveurs.
La situation concurrentielle de certains s e c t e u r s s e m b l e confirmer c e t t e
croyance en l'avantage du pionnier, alors que d'autres activités l'infirment. Dans
la téléphonie mobile, par exemple, le pionnier France Télécom continue de domi-
ner le marché alors que les suiveurs, Cégétel et Bouygues Télécom, ont une part
de m a r c h é inférieure. Il en est de même dans les b o u q u e t s de télévision numé-
rique, au bénéfice du pionnier CanalSat - même si le suiveur TPS progresse rapi-
dement -, ainsi que dans les boissons gazeuses à base de thé et dans les colas où
les pionniers Liptonic et Coca-Cola r e s t e n t leaders. À l'inverse, d a n s de
n o m b r e u x secteurs, le pionnier a été devancé par une m a r q u e commercialisée
ultérieurement, comme BA le fut par Bio sur le m a r c h é français des yaourts au
bifidus, Granula par Kellogg p o u r les céréales alimentaires aux États-Unis, ou
Netscape par Explorer d a n s les navigateurs sur Internet. Plus encore, qui se
souvient q u e le premier four à micro-ondes fut commercialisé par Armana en
1966, le premier jeu vidéo par Magnovox Odyssey en 1973 ou le premier ordina-
teur personnel par MITS en 1975 (Golder et Tellis, 1993) ?
Face à cette situation hétérogène, les chercheurs ont tenté d'analyser de
manière scientifique dans quelle mesure le fait d'être pionnier se traduit par une
meilleure performance sur le marché, cette performance pouvant se traduire par
une plus forte part de marché ou par une meilleure rentabilité. Là non plus les
résultats ne sont pas unanimes. C'est pourquoi, nous souhaitons, dans ce
chapitre, faire le point sur les connaissances actuelles concernant l'existence
éventuelle d'un avantage pour le pionnier et comprendre les facteurs sous-jacents
à ce phénomène. Plus précisément, nous commençons par confronter les travaux
empiriques réalisés sur le sujet pour déterminer dans quelle mesure arriver le
premier sur le marché se traduit par un avantage concurrentiel durable. Dans un
second temps, nous analysons les facteurs techniques, économiques et compor-
tementaux susceptibles de favoriser le pionnier et les suiveurs. Divers phéno-
mènes, liés aux processus de production et de recherche ainsi qu'aux comporte-
ments de consommation, se traduisent en effet par une asymétrie dans la concur-
rence que se livrent les marques selon leur ordre d'entrée sur le marché.
1 . Les é t u d e s e m p i r i q u e s v i s a n t à d é t e r m i n e r
l ' e x i s t e n c e éventuelle d ' u n a v a n t a g e du pionnier
Les premières études analysant de manière scientifique et systématique dans
quelle mesure le pionnier bénéficie d'un avantage durable sur les suiveurs
datent de la fin des années 1970 (Biggadike, 1976). À cette époque a été rassem-
blée la base de données PIMS (Profit Impact of Marketing Strategies) contenant de
nombreuses informations sur les entreprises de divers secteurs et permettant
d'analyser de manière quantifiée l'impact des stratégies marketing sur les parts
de marché et les niveaux de rentabilité. Les études se multiplient progressive-
ment, concluant à l'existence d'un avantage durable pour le pionnier en terme
de part de marché (Lambkin, 1988 ; Miller, Gartner et Wilson, 1989 ; Parry et
Bass, 1990 ; Moore, Boulding et Goodstein, 1991). Ainsi, dans la grande consom-
mation, les pionniers détiennent une part de marché moyenne de 29 % contre
17 % pour les premiers suiveurs et 12 % pour les suiveurs tardifs ; l'avantage du
pionnier s'applique également aux produits industriels mais dans une moindre
mesure, puisque ces moyennes s'élèvent respectivement à 29 %, 21 % et 15 %
(Robinson et Fornell, 1985 ; Robinson, 1988). L'impact de l'ordre d'entrée sur la
rentabilité est plus ambigu puisque certaines études observent que les suiveurs
rapides réalisent des profits supérieurs aux pionniers grâce à leurs moindres
investissements en recherche et développement et en marketing (Srinivasan,
1988).
On s'intéresse ensuite aux causes précises de l'avantage du pionnier. En effet,
les produits pionniers comportent des spécificités, en particulier une meilleure
qualité vendue à un prix équivalent et des lignes de produits plus larges
(Robinson et Fornell, 1985 ; Robinson, 1988 ; Miller, Gartner et Wilson, 1989). Leur
part de marché supérieure peut donc s'expliquer par ces phénomènes plutôt que
par l'ordre d'entrée sur le marché (Van Honacker et Day, 1987). À partir d'une
base de données fondée sur les marchés-tests simulés et la méthode ASSESSOR,
plusieurs auteurs montrent toutefois que l'ordre d'entrée a un impact direct sur
la part de marché, même si ce facteur a moins d'influence que le niveau d'inves-
tissements publicitaires et la qualité du positionnement (Urban, Carter, Gaskin et
Mucha, 1986). L'avantage du pionnier rassemble en réalité deux composantes :
un effet d'ordre d'entrée du produit positif et constant sur le long terme et un
effet lié à l'ancienneté de la marque, qui diminue au fur et à mesure que le marché
gagne en maturité (Brown et Lattin, 1994).
Pourtant, le consensus autour de l'avantage du pionnier s'effrite largement au
cours des années 1990 lorsqu'on analyse le risque d'échec du premier entrant et
la rapidité de sa diffusion sur le marché. La probabilité de succès des produits
paraît plus élevée pour les suiveurs précoces (entrés troisième et quatrième sur
le marché) que pour le pionnier ou les suiveurs tardifs (Lilien et Yoon, 1990). Les
pionniers conservent une part de marché supérieure aux suiveurs sur le long
terme ; leurs produits sont davantage essayés, mais souffrent d'une diffusion plus
lente (Kalyanaram et Urban, 1992 ; Kerin, Kalyanaram et Howard, 1996).
En 1993, deux auteurs publient un article au titre explicite : « L'avantage du
pionnier : logique marketing ou légende marketing ? » (Golder et Tellis, 1993). À
partir de l'étude longitudinale de 50 catégories de produits sur de nombreuses
années, ils montrent que le pionnier a disparu du marché dans près de la moitié
des catégories, ce taux atteignant 70 X pour les produits durables. Le leader du
marché fut le pionnier dans 11 % des cas seulement. Il s'agit en revanche du
leader historique - c'est-à-dire de la marque qui dominait le marché au début de
sa phase de croissance - dans plus de la moitié des cas.
Les travaux récents affinent l'analyse en étudiant en quoi l'ordre d'entrée sur
le marché modifie l'efficacité des actions marketing mises en œuvre par la suite.
Ainsi apparaît l'idée que l'avantage du pionnier est indirect : c'est parce que
l'ordre d'entrée sur le marché affecte l'élasticité-prix des produits, la sensibilité
du marché à la qualité et aux promotions que les suiveurs doivent investir beau-
coup plus massivement dans des opérations marketing pour obtenir une part de
marché comparable à celle du pionnier (Bowman et Gatignon, 1996).
On distingue également différents types de suiveurs : les suiveurs non inno-
vants qui sont pénalisés par des taux de réachat plus faibles que le pionnier, une
moindre efficacité des dépenses marketing, un marché potentiel plus étroit et
une diffusion ralentie des produits, et les suiveurs innovants qui modifient radi-
calement la catégorie de produits et changent les règles du jeu (Shankar,
Carpenter et Krishnamurthi, 1998). Ces derniers bénéficient d'un avantage sur le
pionnier qui se traduit par une diffusion plus rapide du produit, un marché poten-
tiel plus large et un taux de réachat supérieur. Leur arrivée sur le marché ralentit
la croissance du pionnier et réduit l'efficacité de ses dépenses marketing. L'avan-
tage du pionnier n'existe donc pas de manière uniforme : il dépend des produits,
des conditions du marché et des stratégies mises en œuvre par le pionnier lui-
même et par ses concurrents.
2. P o u r q u o i ces r é s u l t a t s h é t é r o g è n e s ?
Quelques considérations méthodologiques
Les travaux réalisés pendant trois décennies ont donc permis de
comprendre de manière plus fine dans quelle mesure le pionnier bénéficie d'un
avantage sur le marché. Ils ont mis en évidence l'importance des stratégies
marketing mises en œuvre par les différentes marques et leur caractère inno-
vant. Cependant les études aboutissent à des résultats différents, parfois même
directement contradictoires. Cette diversité s'explique par des choix méthodo-
logiques distincts.
Des approches différentes
Ainsi, certaines analyses sont fondées sur une approche transversale (en
coupe) consistant à observer, à un moment donné, les positions concurrentielles
et à expliquer ces positions par différentes variables. Les études fondées sur les
données du PIMS, par exemple, reposent sur cette approche. L'autre manière
d'étudier empiriquement l'avantage du pionnier consiste à réaliser une étude
longitudinale : on suit la part de marché de plusieurs entreprises sur une longue
période et on tente de l'expliquer par différents paramètres dont l'ordre d'entrée
sur le marché.
Le temps écoulé depuis la création de la catégorie de produits (c'est-à-dire
depuis le lancement du produit pionnier) peut également expliquer les diffé-
rences de résultats observées. Tous les chercheurs s'étant intéressés au sujet
s'accordent en effet à considérer que l'existence et la portée de l'avantage du
pionnier varient à court et à long termes.
De plus, le type de variable désignant le pionnier change selon les études. On
utilise parfois une variable dichotomique opposant simplement le pionnier aux
autres firmes, parfois une variable discrète de type ordinal désignant l'ordre
d'entrée sur le marché, parfois une variable continue correspondant au moment
de lancement de chaque produit et prenant la valeur 0 pour le pionnier.
Au-delà de ces approches variées et en réalité complémentaires, certaines
études ne sont pas exemptes de défauts et de biais méthodologiques suscep-
tibles d'expliquer la diversité des résultats obtenus.
La définition du pionnier
Certains travaux considèrent comme pionnier la première marque commer-
cialisée sur le marché, alors que d'autres raisonnent en fonction du premier
produit fabriqué ou de la première entreprise à maîtriser la technologie (Golder
et Tellis, 1993). De même parle-t-on du pionnier dans la catégorie de produits,
c'est-à-dire pour la fonction même du produit, ou dans sa forme (Kerin,
Kalyanaram et Howard, 1996) ? Par exemple, peut-on considérer comme pion-
nière la première marque à introduire la lessive en tablets ou s'agit-il simplement
d'une nouvelle variante en concurrence directe avec les lessives en poudre et
liquides ?
En outre, certaines études distinguent une seule firme pionnière alors que
d'autres assimilent au pionnier les firmes ayant été « parmi les premières à entrer
sur le marché » (Robinson, 1988).
L'identification du pionnier
Les recherches sont en général réalisées a posteriori et n'ont pas toujours à
leur disposition des informations précises sur l'ordre et la date d'entrée sur le
marché. C'est notamment le cas des études transversales réalisées à un moment
souvent éloigné de l'apparition du premier produit de la catégorie. Dans ces cas-
là, l'identification du pionnier repose souvent sur le souvenir des managers inter-
rogés et sur l'auto-évaluation (Robinson, 1988 ; Golder et Tellis, 1993). Or le
leader historique est souvent perçu comme le pionnier, surtout s'il est entré tôt
sur le marché. Ainsi, de nombreux managers désigneront Rank Xerox comme le
pionnier en matière de photocopieurs alors qu'il s'agit en réalité du leader histo-
rique de la catégorie, le pionnier étant 3M Thermofax.
Un biais d'échantillon en f a v e u r d e s s u r v i v a n t s
3 . Les a v a n t a g e s d u p i o n n i e r
Les a v a n t a g e s d e t y p e s t r a t é g i q u e
Le fait d'être pionnier donne à une entreprise une « longueur d'avance » dans
la mesure où elle se trouve en situation de monopole pendant un certain laps de
temps. Elle peut profiter de cette période pour construire un avantage concur-
rentiel durable lui permettant de faire face à l'arrivée ultérieure de concurrents.
Plusieurs moyens sont alors à sa disposition, en particulier l'exploitation des
brevets et licences, la courbe d'expérience et la préemption des actifs rares.
Les rendements des brevets et licences
3. Les exemples s u r le s e c t e u r des jus de fruits réfrigérés sont issus d'un entretien avec un
Area Marketing Manager chez Danone.
u n e m o t i v a t i o n d ' a c h a t p a r t i c u l i è r e m e n t f o r t e p o u r l e s c o n s o m m a t e u r s , le
c i b l a g e s u r u n s e g m e n t d e la p o p u l a t i o n p e u s e n s i b l e a u p r i x o u f a c i l e m e n t a c c e s -
s i b l e p o u r les c i r c u i t s d e d i s t r i b u t i o n d é j à e n p l a c e c o n s t i t u e n t d e s a t o u t s
m a j e u r s p o u r la c o m m e r c i a l i s a t i o n d ' u n p r o d u i t . P a r d é f i n i t i o n , le p i o n n i e r b é n é -
ficie d e l ' é v e n t a i l d e c h o i x le p l u s l a r g e l o r s q u ' i l d é f i n i t s a c i b l e e t s o n p o s i t i o n n e -
m e n t . Les s u i v e u r s d o i v e n t e n s u i t e s e d i f f é r e n c i e r p o u r s ' i m p o s e r s u r le m a r c h é .
Ils n ' o n t a l o r s p a s d ' a u t r e c h o i x q u e d ' a d o p t e r u n p o s i t i o n n e m e n t m o i n s favo-
r a b l e , d e c i b l e r u n e c l i e n t è l e m o i n s r e n t a b l e o u m o i n s i n t é r e s s é e p a r le p r o d u i t .
La m a r g e d e m a n œ u v r e d u p i o n n i e r d a n s s a p o l i t i q u e d e p r i x p e u t ê t r e c o n s i -
d é r é e c o m m e u n a v a n t a g e m a j e u r . En effet, d e u x s t r a t é g i e s d e p r i x lui s o n t
ouvertes :
- le p i o n n i e r p e u t o p t e r p o u r u n p r i x é l e v é q u i lui p e r m e t d e r é a l i s e r d e s m a r g e s
i m p o r t a n t e s p e n d a n t la p é r i o d e d u r a n t l a q u e l l e il s e t r o u v e e n m o n o p o l e s u r le
m a r c h é . Cette stratégie, s o u v e n t qualifiée d e prix-ombrelle, p r é s e n t e c e p e n d a n t
l ' i n c o n v é n i e n t d ' a t t i r e r les c o n c u r r e n t s s u r le m a r c h é ;
- à l ' o p p o s é , le p i o n n i e r p e u t c h o i s i r d e fixer u n p r i x b a s afin d e d i s s u a d e r l ' e n t r é e
d e s c o n c u r r e n t s . En effet, si c e u x - c i n e b é n é f i c i e n t p a s d ' u n a v a n t a g e e n t e r m e d e
c o û t , ils n e p o u r r o n t p a s s e p e r m e t t r e d e fixer d e s p r i x p l u s b a s e t d e v r o n t t r o u -
v e r u n a u t r e é l é m e n t d e d i f f é r e n c i a t i o n , c e q u i e s t s o u v e n t difficile à t r o u v e r l o r s
du démarrage d'un nouveau marché.
La p r e m i è r e f i r m e a r r i v é e d i s p o s e d o n c d ' u n a v a n t a g e s t r a t é g i q u e , e n a y a n t
le c h o i x d e la s t r a t é g i e d e p o s i t i o n n e m e n t , t a n d i s q u e les s u i v e u r s d e v r o n t
s'adapter.
Les a v a n t a g e s liés a u c o m p o r t e m e n t d u c o n s o m m a t e u r
Le p i o n n i e r a e n effet u n e i n f l u e n c e s u r la s t r u c t u r a t i o n d e s p r é f é r e n c e s indi-
v i d u e l l e s . D a n s la m e s u r e o ù il p r o p o s e u n p r o d u i t r a d i c a l e m e n t n o u v e a u , les
critères d e choix et d ' a c h a t d e s c o n s o m m a t e u r s ne s o n t p a s e n c o r e définis.
L ' i m p o r t a n c e a c c o r d é e a u x d i f f é r e n t s a t t r i b u t s d u p r o d u i t n ' e s t p a s fixée. C ' e s t
j u s t e m e n t l'apparition d u p r e m i e r p r o d u i t qui p e r m e t a u x p r é f é r e n c e s d e se
s t r u c t u r e r ( C a r p e n t e r e t N a k a m o t o , 1989). Dès lors, les p r o d u i t s s u i v e u r s s e r o n t
j u g é s p a r c o m p a r a i s o n a v e c c e p r e m i e r p r o d u i t d e v e n u la r é f é r e n c e d u m a r c h é .
Ce p h é n o m è n e p r o c u r e u n a v a n t a g e a u p i o n n i e r . Les s u i v e u r s p e u v e n t s o i t
c o m m e r c i a l i s e r d e s p r o d u i t s « me-too » d o n t le s e u l a r g u m e n t d e v e n t e e s t d ' ê t r e
m o i n s c h e r s q u e l'" o r i g i n a l », s o i t p r o p o s e r d e s p r o d u i t s d i f f é r e n c i é s q u i s o n t
m o i n s a i m é s p a r les c o n s o m m a t e u r s p a r c e q u ' é l o i g n é s d e l e u r « i d é a l » d o n t les
c a r a c t é r i s t i q u e s o n t é t é d é t e r m i n é e s p a r le p r o d u i t p i o n n i e r ( A l p e r t et K a m i n s ,
1995). S e u l e la s e g m e n t a t i o n d u m a r c h é p e r m e t a u x s u i v e u r s d e s o r t i r d e c e t t e
impasse.
La n a t u r e d e l ' i n n o v a t i o n a p p o r t é e p a r le p i o n n i e r d é t e r m i n e l ' é t e n d u e d e c e
p h é n o m è n e . P l u s le p r o d u i t e s t i n n o v a n t , m o i n s les p r é f é r e n c e s d e s c o n s o m m a -
t e u r s s o n t d é t e r m i n é e s a p r i o r i et p l u s les a v a n t a g e s p e r c e p t u e l s s o n t é l e v é s . Les
a v a n t a g e s d u p i o n n i e r s e m b l e n t ainsi p l u s i m p o r t a n t s p o u r les n o u v e l l e s c a t é g o -
r i e s d e p r o d u i t s q u e p o u r les i n n o v a t i o n s l i é e s à la f o r m e d u p r o d u i t ( K e r i n ,
K a l y a n a r a m e t H o w a r d , 1996).
A u - d e l à d e la s t r u c t u r a t i o n d e s p r é f é r e n c e s , le p i o n n i e r p e u t ê t r e a v a n t a g é p a r
u n s i m p l e effet d ' o r d r e d e p r é s e n t a t i o n d e l ' i n f o r m a t i o n . D a n s la m e s u r e o ù les
i n f o r m a t i o n s c o n c e r n a n t le p i o n n i e r s o n t n o u v e l l e s , e l l e s a t t i r e n t d a v a n t a g e
l ' a t t e n t i o n ( K a r d e s e t K a l y a n a r a m , 1992). Le s i m p l e fait d ' ê t r e p i o n n i e r p r é s e n t e
u n a v a n t a g e e n t e r m e d e m é m o r i s a t i o n . La n o t o r i é t é d e s m a r q u e s p i o n n i è r e s
r e s t e en général plus élevée q u e celle d e s a u t r e s m a r q u e s , et bien s o u v e n t m ê m e
s u p é r i e u r e à c e l l e d e s m a r q u e s l e a d e r s ( A l p e r t e t K a m i n s , 1995). L ' e x e m p l e d e s
m a r q u e s p i o n n i è r e s d e v e n u e s d e s n o m s c o m m u n s le p r o u v e , c o m m e e n t é m o i -
g n e n t S c o t c h , S c o t c h Brite, Post-It, C a d d i e o u K a r c h e r . C e p e n d a n t , c e t a v a n t a g e
e n t e r m e d e m é m o r i s a t i o n p e u t p a r f o i s ê t r e c o n t r e b a l a n c é p a r le fait q u e l e s
c o n s o m m a t e u r s n e p e r ç o i v e n t p l u s la d i f f é r e n c e e n t r e c e t t e m a r q u e e t
l ' e n s e m b l e d e la c a t é g o r i e d e p r o d u i t s . T o u s les r u b a n s a d h é s i f s é t a n t d é s i g n é s
p a r le t e r m e S c o t c h , les c o n s o m m a t e u r s n e p e r ç o i v e n t p l u s f o r c é m e n t la spécifi-
c i t é d e la m a r q u e .
C e t a v a n t a g e s u r la m é m o r i s a t i o n a f f e c t e l ' a t t i t u d e à l ' é g a r d d e s m a r q u e s ,
d ' a u t a n t plus forte et a n c r é e qu'elle s ' a p p u i e s u r d e n o m b r e u x é l é m e n t s d'infor-
m a t i o n . Les m a r q u e s p i o n n i è r e s g é n è r e n t a i n s i u n e a t t i t u d e p l u s f a v o r a b l e e t s o n t
p r é f é r é e s a u x s u i v e u s e s p o u r d e n o m b r e u x a t t r i b u t s . Il e s t d o n c i n t é r e s s a n t d e
r a p p e l e r f r é q u e m m e n t a u x c o n s o m m a t e u r s q u e l ' o n a é t é p i o n n i e r afin d e favori-
s e r u n e p r é f é r e n c e ( A l p e r t e t K a m i n s , 1995).
C e t a v a n t a g e e s t r e n f o r c é p a r le fait q u e le p r o c e s s u s d ' a c h a t s e d é r o u l e
s o u v e n t e n p l u s i e u r s é t a p e s , le c o n s o m m a t e u r c o m m e n ç a n t p a r e n v i s a g e r
l'acquisition de plusieurs m a r q u e s ( c o r r e s p o n d a n t à son « ensemble de considé-
r a t i o n ») a v a n t d e les c o m p a r e r e t d ' e f f e c t u e r u n c h o i x . Du fait d ' u n e m e i l l e u r e
m é m o r i s a t i o n , la m a r q u e p i o n n i è r e a u n e p l u s f o r t e p r o b a b i l i t é d ' ê t r e p r é s e n t e
dans l'ensemble des m a r q u e s mémorisées, mais également dans l'ensemble de
c o n s i d é r a t i o n ( K a r d e s e t alii, 1992). Elle a d o n c p l u s d e c h a n c e s d ' ê t r e effective-
ment retenue.
4. Ce type de choix entre s t a n d a r d s ouvert et fermé pour un nouveau produit est analysé
dans le chapitre 12 : « Le rôle des s t a n d a r d s et des normes dans l'adoption des nouveaux
produits » d'Emmanuelle Le Nagard-Assayag.
m a r c h é . Ainsi, il e x i s t e d e n o m b r e u x e x e m p l e s d e s u i v e u r s a y a n t r e m p o r t é u n
g r a n d s u c c è s e t a y a n t s u r p a s s é le p i o n n i e r . L e s s u i v e u r s b é n é f i c i e n t e u x a u s s i
d ' a t o u t s s u r l e s q u e l s ils p e u v e n t s ' a p p u y e r p o u r g a g n e r u n e p o s i t i o n c o n c u r r e n -
t i e l l e a v a n t a g e u s e . De f a ç o n g é n é r a l e , l e u r a p p r o c h e d u m a r c h é s e m b l e p l u s
f a c i l e p a r c e q u e le l a n c e m e n t d e l e u r p r o d u i t - p a r d é f i n i t i o n m o i n s n o v a t e u r
p u i s q u e s u i v e u r - se h e u r t e m o i n s a u x difficultés et r i s q u e s i n h é r e n t s à t o u t e
stratégie d'innovation radicale. Adopter une nouvelle catégorie de produits
c o m p o r t e e n effet t o u j o u r s u n c e r t a i n r i s q u e . Celui-ci d i m i n u e a u fur e t à m e s u r e
q u e le n o m b r e d ' a d o p t e u r s d e l ' i n n o v a t i o n s ' a c c r o î t e t q u e d e s p h é n o m è n e s d e
b o u c h e - à - o r e i l l e r a s s u r e n t les c o n s o m m a t e u r s q u i n e l ' o n t p a s e n c o r e a d o p t é e .
Conclusion
Il n'existe évidemment pas de réponse unilatérale et définitive à la question :
faut-il imiter ou innover ? Pourtant, les entreprises doivent établir des priorités
dans leurs allocations de ressources entre la recherche de la rapidité afin d'être
présentes en premier sur le marché, et une veille active fondée sur l'observation
des clients et des concurrents en vue de commercialiser des produits suiveurs.
Après avoir analysé les facteurs susceptibles de rendre l'une ou l'autre option
efficace sur le long terme, on peut analyser les dimensions de ce choix straté-
gique pour l'entreprise.
Les aspects environnementaux forment le cadre de telles décisions et consti-
tuent le premier facteur à prendre en compte. Certains environnements permet-
tent en effet une meilleure protection de l'innovation que d'autres. Si le pionnier
parvient à y établir un avantage, celui-ci sera donc plus durable. Parmi les carac-
téristiques des secteurs affectant la protection de l'avantage du pionnier, on peut
notamment citer :
- l'existence de barrières à l'entrée, de nature technologique ou capitalistique,
permettant au pionnier de maintenir un avantage ;
- la présence d'une courbe d'expérience dont l'ampleur permet au pionnier de se
différencier rapidement par des coûts de production réduits ;
- la possibilité éventuelle de déposer des brevets : dans le secteur des services, par
exemple, l'impossibilité de déposer des brevets rend l'imitation plus facile ;
- la rapidité d'innovation technologique dans la catégorie de produits, susceptible
de faire disparaître les avantages de coût et de maîtrise technologique inhérents
à la position de pionnier (Kerin, Varadarajan et Peterson, 1992) ;
- l'existence de coûts de transferts entre marques : plus ceux-ci sont élevés, plus
l'avantage du pionnier pourra perdurer ;
- la fréquence des achats du produit par les consommateurs : des achats fréquents
multiplient les occasions de contact entre le client et son fournisseur et favori-
sent l'établissement d'une relation de qualité difficile à supplanter ensuite pour le
suiveur ; c'est pourquoi l'avantage du pionnier paraît plus fort pour les produits
achetés fréquemment (Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995) ;
- la croissance prévue du marché : elle doit également être prise en compte même
si son influence est ambiguë ; en effet, une croissance élevée permet au pionnier
d'établir rapidement une base installée importante et de bénéficier d'effets posi-
tifs, notamment si les coûts de transfert sont élevés. Cependant, si cette crois-
sance élevée se poursuit après l'entrée des concurrents, elle peut favoriser les
nouveaux entrants. C'est un des facteurs expliquant le succès de la Playstation de
Sony entré tardivement dans le secteur des jeux vidéo. Malgré les positions
acquises par Nintendo et Sega et l'existence de coûts de transfert élevés du fait de
l'incompatibilité entre consoles, l'arrivée massive de nouveaux clients pour la
catégorie de produit a permis à un troisième acteur de se positionner fortement
sur ce marché.
Outre ces éléments de contexte général, les facteurs de succès requis pour
être un pionnier efficace ou un suiveur performant sont différents. La course à
l'innovation qui apparaît dans certains secteurs correspondrait donc à des choix
stratégiques inadéquats parce qu'identiques pour toutes les entreprises quelles
que soient leurs spécificités.
Il faut en effet des compétences distinctes pour imiter ou innover. Imiter effi-
cacement exige de pratiquer une veille technologique et concurrentielle perfor-
mante et implique une grande réactivité. Il faut aussi bénéficier d'un marketing
très efficace, en jouant les synergies entre anciens produits et produit suiveur.
Ces synergies peuvent consister en l'adoption de marques antérieures, des
réseaux de distribution habituels ou en jouant l'effet de halo en termes d'image.
Disposer de moyens importants et les investir en marketing constitue aussi un
facteur-clé de succès pour le suiveur.
À l'inverse, être un pionnier performant exige de savoir anticiper les change-
ments de l'environnement et du marché et aussi de financer une R&D importante.
L'avantage du pionnier est plus élevé pour les firmes qui consacrent de fortes
dépenses à la R & D, qui sont intégrées verticalement, qui jouent les synergies
fonctionnelles entre les anciens produits et le nouveau et qui s'adressent aux
mêmes clients dans les deux cas (Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995).
Les entreprises doivent donc analyser leurs spécificités avant de choisir la
position à adopter pour accroître leurs chances de succès sur le marché. Ainsi,
dans l'électronique grand public, certaines firmes ont eu traditionnellement
vocation à être innovantes. C'est par exemple le cas de Philips, à l'origine d'inno-
vations comme la cassette audio, le compact disc interactif (CDI), la digital
compact cassette (DCC) et le CD audio, et de Sony avec le Walkman, la DAT ou le
mini-disc. Un groupe comme Matsushita a plutôt adopté une attitude de suiveur
avec des succès importants. La victoire de son standard VHS de magnétoscopes
sur les deux standards V2000 et Betamax respectivement promus par Philips et
Sony en est une illustration : c'est le produit le moins innovant, arrivé ultérieure-
ment sur le marché, qui s'est imposé.
Pourtant, l'idée que le pionnier bénéficie d'un avantage reste largement
répandue. Elle conduit de nombreuses entreprises à vouloir raccourcir les temps
de lancement des nouveaux produits afin d'être les premières sur le marché.
Cette idée, on l'a vu, peut être largement fondée, mais sa pertinence dépend du
secteur et des caractéristiques de la firme. Elle ne saurait faire oublier que la
conception d'un nouveau produit prend du temps et que le raccourcissement du
cycle de conception peut accroître les risques d'échec si le produit est mal conçu
ou le lancement mal préparé6. Une rapidité excessive peut conduire à des malfa-
çons de produits, coûteuses financièrement et en termes d'image pour l'entre-
prise. Le cas du Newton d'Apple est à cet égard particulièrement significatif :
arrivé largement premier sur le marché, cet agenda électronique associé à un
système de reconnaissance d'écriture a connu un échec commercial (Bayus,
1995). Certains problèmes techniques dans le système de reconnaissance de
l'écriture ainsi que le caractère très révolutionnaire du produit peuvent expliquer
cet échec. Aujourd'hui, plusieurs constructeurs proposent des agendas électro-
niques (Personal Digital Assistant) et cette catégorie de produit connaît désor-
mais une croissance importante sur le marché. Si l'innovation est indispensable
pour relancer les marchés, être pionnier comporte donc des avantages et un
rendement potentiels élevés, mais également des risques plus grands qu'une
stratégie d'imitation.
Introduction
Le délai de développement des nouveaux produits est au cœur de la bataille que
se livrent de nombreuses entreprises centrées sur la technologie. Stalk (1988) a
créé l'expression, devenue classique, de chrono-concurrence (time-based compe-
tition) pour rendre compte de l'importance croissante de la rapidité d'élabora-
tion et de mise sur le marché des nouveaux produits dans un environnement très
concurrentiel. On estime que chaque jour de retard pris dans le lancement d'un
nouveau modèle de voiture vendu 10 000 dollars entraîne pour l'entreprise une
baisse de profit de l'ordre d'un million de dollars (Clark, 1989). Plus récemment,
une étude du cabinet McKinsey indique que les entreprises perdent en moyenne
33 % de leur bénéfice net lorsqu'elles introduisent un nouveau produit sur le
marché avec six mois de retard, contre une baisse de seulement 3,5 % en cas de
dépassement de moitié du budget alloué au développement du produit. En
conséquence, certains spécialistes mettent en avant une approche incrémentale
de l'innovation dans l'objectif de réduire les délais de développement, avec l'idée
qu'une telle approche nécessite un moindre déploiement des ressources de
l'entreprise, en termes d'effort et d'apprentissage, et par conséquent limite le
temps consacré au produit avant son introduction sur le marché (Smith et
Reinertsen, 1991). Ce type d'analyse a conduit de grandes entreprises comme
Hewlett Packard et General Electric à faire du délai de développement la princi-
pale composante de leur stratégie d'innovation produit.
Un autre courant d'analyse met en avant le niveau des performances.
Plusieurs études empiriques ont en effet montré que le succès d'un nouveau
C l a i r e m e n t , les e n t r e p r i s e s s o n t c o n f r o n t é e s à u n a r b i t r a g e e n t r e les d e u x o b j e c -
tifs q u i c o n s i s t e n t à r é d u i r e le d é l a i d e d é v e l o p p e m e n t d u n o u v e a u p r o d u i t (time-
to-market) et à m a x i m i s e r s e s p e r f o r m a n c e s . Une a m é l i o r a t i o n significative des
p e r f o r m a n c e s p e r m e t d e c o n q u é r i r u n e part d e m a r c h é s u p é r i e u r e à celle d e s
produits c o n c u r r e n t s (ou d e substitution) mais peut être longue à obtenir,
c o n d u i s a n t l ' e n t r e p r i s e à r i s q u e r d e m a n q u e r la f e n ê t r e d ' o p p o r t u n i t é o f f e r t e p a r
le m a r c h é . Le c a s d u M a c i n t o s h Lisa, d é v e l o p p é p a r A p p l e a u d é b u t d e s a n n é e s
1980, e n c o n s t i t u e u n b o n e x e m p l e . Le p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t é t a i t e x t r ê m e -
m e n t ambitieux et intégrait plusieurs r u p t u r e s technologiques, au niveau des
p e r f o r m a n c e s d u p r o d u i t ( h a r d w a r e et software) et d u p r o c e s s u s d e fabrication.
M a i s le p r o d u i t n e p u t ê t r e m i s s u r le m a r c h é q u ' a v e c d e n o m b r e u x m o i s d e
retard, ce qui e n t r a î n a u n e c h u t e i m p o r t a n t e d e s r e v e n u s d'Apple ; l'action perdit
p l u s d e la m o i t i é d e s a v a l e u r ( H a y e s e t alii, 1988).
A contrario , e n s e fixant d e s o b j e c t i f s d ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s m o i n s
é l e v é s , l ' e n t r e p r i s e p e u t e s p é r e r les a t t e i n d r e p l u s r a p i d e m e n t , m a i s c o u r t le
r i s q u e d e n e s é d u i r e q u ' u n n o m b r e l i m i t é d e c l i e n t s . De fait, s e p r é c i p i t e r s u r le
m a r c h é p e u t s e r é v é l e r c a t a s t r o p h i q u e . Ainsi, l ' é c h e c c o m m e r c i a l d u r é f r i g é r a -
t e u r G e n e r a l E l e c t r i c à c o m p r e s s e u r r o t a t i f a p u ê t r e a t t r i b u é à u n e m i s e s u r le
m a r c h é p r é m a t u r é e . Plus d ' u n million d ' a p p a r e i l s d u t ê t r e r e t o u r n é au fabricant
p o u r r é p a r a t i o n ( T h e Wall S t r e e t J o u r n a l , 1990).
Ces e x e m p l e s m o n t r e n t q u e c h a c u n e d e s s t r a t é g i e s c o m p o r t e d e s a v a n t a g e s
e t d e s i n c o n v é n i e n t s . Ils p l a i d e n t e n f a v e u r d e l ' i n t é g r a t i o n d e s v a r i a b l e s c l é s q u e
c o n s t i t u e n t le d é l a i d e d é v e l o p p e m e n t e t l ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s
produit dans l'analyse des stratégies d'innovation.
Ce constat encouragea la démarche2 « BET/2 » adoptée au début des années
1990 par Hewlett Packard et qui consistait à réduire de moitié le délai de retour
sur investissement de ses nouveaux produits (House et Price, 1991 ; Young,
1991). La figure 1 présente la démarche adoptée pour gérer le processus de déve-
loppement d'une nouvelle calculatrice de poche (House et Price, 1991). Le délai
de retour sur investissement (32 mois) correspond au moment où les investisse-
ments cumulés dans le projet de développement sont égaux aux revenus nets
cumulés. L'objectif de réduire le délai de retour sur investissement conduit
l'équipe de développement du produit à s'interroger sur le difficile équilibre
entre performances élevées et rapidité de développement. Une hausse sensible
des objectifs de performance technologique pour le produit se traduira vraisem-
blablement par une pente plus forte de la courbe des ventes, au prix d'un report
du lancement. À l'inverse, une amélioration plus incrémentale des performances
donnera lieu à une courbe des ventes plus plate mais générera plus rapidement
des revenus pour l'entreprise.
Figure 1.
le délai de retour sur investissement de la calculatrice de poche Hewlett Packard
Le m o d è l e p r o p o s é
Le modèle d'analyse présenté ici permet d'étudier les situations d'arbitrage
entre délai de développement et niveau de performances pour un nouveau
produit. Il s'applique aux marchés caractérisés par : (1) une fenêtre d'opportu-
nité courte et fixe pour le lancement du nouveau produit, (2) une obsolescence
rapide des produits et (3) des clients informés et sensibles aux améliorations des
performances produit. Ces caractéristiques correspondent à divers secteurs
d'activités, notamment l'informatique (logiciels, matériels et périphériques) et
2. BET : Break-Even Time, soit le délai pour atteindre le point mort. Dans la suite de ce chapitre,
nous utiliserons le terme de délai de retour sur investissement pour désigner ce concept.
l ' é l e c t r o n i q u e g r a n d p u b l i c . S e l o n la t e r m i n o l o g i e é l a b o r é e p a r D o l a n (1993), les
nouveaux produits développés d a n s ces secteurs se caractérisent par un degré
d ' i n n o v a t i o n « m o y e n b a s », u n c o û t d ' o p p o r t u n i t é « m o y e n é l e v é » e t d e s c o û t s d e
d é v e l o p p e m e n t « m o y e n s ».
L ' i n t é r ê t d e n o t r e m o d è l e d ' a n a l y s e e s t t r i p l e . T o u t d ' a b o r d , il i n t è g r e le fait
que l'amélioration des performances produit est un p r o c e s s u s en plusieurs
é t a p e s . N o u s p o u v o n s a i n s i é t u d i e r c o m m e n t les r e s s o u r c e s e t le t e m p s d e d é v e -
l o p p e m e n t doivent ê t r e répartis a u c o u r s d e ces étapes. Ensuite, n o u s p r e n o n s en
c o m p t e la p r o d u c t i v i t é e t la r e n t a b i l i t é d u p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t d a n s
l ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s p r o d u i t , a l o r s q u e les t r a v a u x a n t é r i e u r s s e foca-
l i s a i e n t s u r l ' u n e o u l ' a u t r e d e c e s v a r i a b l e s . Il s ' a g i t p o u r n o u s d ' a s s o c i e r u n e
v i s i o n m a r k e t i n g à la g e s t i o n o p é r a t i o n n e l l e . Enfin, n o t r e a p p r o c h e i n t è g r e t o u t
l'horizon temporel du n o u v e a u produit, c'est-à-dire son d é v e l o p p e m e n t mais
a u s s i les c y c l e s d e p r o d u c t i o n e t d e c o m m e r c i a l i s a t i o n . Il s ' a g i t a i n s i d ' a n a l y s e r
les c o û t s e t les r e v e n u s g é n é r é s p a r le n o u v e a u p r o d u i t t o u t a u l o n g d e s o n c y c l e
d e vie. L e s p r i n c i p a l e s c o n c l u s i o n s a u x q u e l l e s n o u s p a r v e n o n s s o n t les
suivantes :
a Si les a m é l i o r a t i o n s d u p r o d u i t p r o c è d e n t d e m a n i è r e a d d i t i v e l o r s d e s é t a p e s
s u c c e s s i v e s d u p r o c e s s u s d e d é v e l o p p e m e n t , la s o l u t i o n o p t i m a l e p o u r l ' e n t r e -
p r i s e c o n s i s t e à a l l o u e r le t e m p s le p l u s l o n g à la p h a s e d e d é v e l o p p e m e n t la p l u s
productive.
e La r a p i d i t é d e d é v e l o p p e m e n t m a x i m a l e n ' e s t p a s f o r c é m e n t s o u h a i t a b l e si le
n o u v e a u p r o d u i t s ' a d r e s s e à u n l a r g e m a r c h é e t si les p r o d u i t s e x i s t a n t s g é n è r e n t
d e s m a r g e s i m p o r t a n t e s . En c a s d e c o n c u r r e n c e m o y e n n e m e n t i n t e n s e , l ' e n t r e -
p r i s e a m ê m e i n t é r ê t à p r e n d r e s o n t e m p s afin d e d é v e l o p p e r u n p r o d u i t e n c o r e
plus performant.
e La v o l o n t é d e m i n i m i s e r le d é l a i d e r e t o u r s u r i n v e s t i s s e m e n t p e u t g é n é r e r d e s
lancements prématurés.
• Il e s t d ' a u t a n t p l u s difficile d e r e n t a b i l i s e r u n p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t d e
n o u v e a u p r o d u i t q u e les p r o d u i t s e x i s t a n t s (qu'ils s o i e n t c o m m e r c i a l i s é s p a r
l'entreprise elle-même ou par ses c o n c u r r e n t s ) sont performants. C'est en
r e v a n c h e d ' a u t a n t p l u s a i s é q u e la d e m a n d e p o u r la c a t é g o r i e d e p r o d u i t s
a u g m e n t e f o r t e m e n t , q u e la m a r g e d u n o u v e a u p r o d u i t e s t é l e v é e , q u e les c o n c u r -
r e n t s d i s p o s e n t d ' u n e l a r g e p a r t d e m a r c h é e t q u e la f e n ê t r e d ' o p p o r t u n i t é e s t
longue.
• Des c a p a c i t é s a c c r u e s d e d é v e l o p p e m e n t d ' u n n o u v e a u p r o d u i t ne s e tradui-
sent pas forcément p a r un r a c c o u r c i s s e m e n t des délais de d é v e l o p p e m e n t mais
elles c o n d u i s e n t t o u j o u r s , e n r e v a n c h e , à d e s p r o d u i t s p l u s p e r f o r m a n t s .
C e s r é s u l t a t s s o n t i n t é r e s s a n t s c a r ils n e s o n t p a s t o u s i n t u i t i f s . P o u r l e s
p r é s e n t e r en détail, n o u s c o m m e n ç o n s p a r s y n t h é t i s e r les t r a v a u x a n t é r i e u r s
c o n s a c r é s a u sujet. Nous p r é s e n t o n s ensuite n o t r e c a d r e d e modélisation, m ê m e
si les é l é m e n t s d e d é m o n s t r a t i o n m a t h é m a t i q u e o n t é t é m i s e n a n n e x e afin d e
f a c i l i t e r la lisibilité d u c h a p i t r e . N o u s i d e n t i f i o n s e n s u i t e les s t r a t é g i e s o p t i m a l e s
en matière de développement de produits.
1. L ' a n a l y s e d e s t r a v a u x a n t é r i e u r s
2 . Le c a d r e d e m o d é l i s a t i o n