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De L'idée au marché

ENTREPRENDRE
Série Vital Roux

De L'idée au m a r c h é

Innovation et Lancement
..de p r o d u i t s

Coordonné par ALain BLoch


Professeur au CNAM

et DeLphine Manceau
Professeur Assistant à l'ESCP-EAP
Série Vital-Roux

Dedans dehors, Les nouvelles frontières de l'organisation, ouvrage collectif


coordonné par Patrick Besson, 1997.
Le savoir-être dans l'entreprise, Sandra Bellier, 1998.
Repenser la stratégie. Fondements et perspectives, ouvrage collectif dirigé
par Hervé Laroche et Jean-Pierre Nioche, 1998.
Citroën. Essai sur 80 ans d'antistratégie, Joël Broustaïl et Rodolphe Greggio,
2000.

Les rémunérations. Politiques et pratiques pour les années 2000, ouvrage


collectif coordonné par Jean-Marie Peretti et Patrice Roussel, 2000.

ISBN 2 71 17 7967 X
La loi du 11 mars 1957 n'autorisant aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou
reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre
part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou
reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est
illicite » (alinéa Ier de l'article 40).
Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
Le « photocopillage », c'est l'usage abusif et collectif de la photocopie sans autorisation des auteurs et des éditeurs.
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danger son équilibre économique. Il prive les auteurs d'une juste rémunération. En dehors de l'usage privé du copiste,
toute reproduction totale ou partielle de cet ouvrage est interdite.
Des photocopies payantes peuvent être réalisées avec l'accord de l'éditeur.
S'adresser au Centre français d'exploitation du droit de copie :
20 rue des Grands-Augustins, F-75006 Paris. Tél. : 01 44 07 47 70

@ Librairie Vrilbert^hyyembre
A \ f 2000 - 20 rue Berbier-du-Mets, F-75647 Paris cedex 13 - Site Internet : www.vuibert.fr
A l'initiative de l'ESCP,
un groupe de chefs
d'entreprises a créé, en
1995, l'Institut Vital Roux,
une association qui s
a pour vocation d'être
un lieu de dialogue entre f o n d a t r i c e s
la communauté
économique et le monde
de la recherche. Arjo Wiggins,
Il constitue un réservoir Banque de Baecque Beau,
d'idées nouvelles
et s'affirme comme Deloitte Touche & Tohmatsu,
un lieu d'expérimentation
qui facilite l'émergence Electricité de France,
des connaissances et
des compétences Ernst & Young,
en gestion.
Gaz de France,
L'Institut est un point de
rencontre d'un type nouveau Gras Savoye,
entre dirigeants, enseignants-
chercheurs, étudiants. A ce Immobilière Phenix,
titre, il mène de nombreuses
actions - colloques, conférences, Point P,
concours, financement de projets
de recherche, création de réseaux Salustro Reydel,
internationaux, publications -
Shell France,
qui s'inscrivent dans une même
perspective : développer des Société Générale
passerelles entre le monde
académique
et le monde professionnel.
Edouard Salustro
Président de l'Institut
La Chambre de Commerce et d'Industrie de Paris

V I T A L
R O U X
79 avenue de la République - 75543 Paris Cedex 11
Tél : (33-1) 49 23 22 88 - Fax : (33-1) 49 23 22 12
La série Vital Roux

Trois intentions animent le projet éditorial de la série Vital Roux.


e Contribuer au développement du sentiment d'entreprise, sans oublier que
l'entreprise vit en société.
La remise en cause de l'administration économique à la française, à travers,
par exemple, la critique des élites et de l'État, révèle la faiblesse, en France, du
sentiment d'entreprise, et met à l'ordre du jour la question du rôle et de la place
de l'entreprise dans la société, et des formes qu'elle doit adopter.
Cette intention se traduira par la focalisation de la collection sur des
questions qui touchent directement l'entreprise, sa raison d'être et son mode
d'organisation.
e Accompagner le management dans sa quête d'identité et de sens, sans se dépar-
tir d'une distance critique à l'égard des modes et des idéologies managériales.
Faite d'un mélange de cultures techniques et administratives, la pratique
managériale en France est fragile et semble inadaptée à l'invention de nouveaux
modes d'organisation. À l'inverse, comment interpréter la boulimie de nouvelles
panacées managériales sinon comme un signe de malaise, comme une quête de
sens ?
Seront donc absents du catalogue de la série les ouvrages de techniques de
gestion et ceux proposant des fiches recettes. Seront privilégiés les ouvrages
qui offrent matière à réflexion et donnent du sens à l'évolution en cours.
e Participer à la globalisation de la connaissance, sans renier la singularité
française.
Cette collection n'a pas vocation à servir de tremplin à une culture mondia-
liste sous domination anglo-saxonne. En revanche, on ne peut raisonnablement
ignorer la dynamique de la connaissance dans les pays anglo-saxons. Seule une
confrontation critique avec ces idées permettra de participer au progrès de la
connaissance et de développer une véritable spécificité française et euro-
péenne.
L'ouverture culturelle des auteurs, l'intérêt pour les points de vue comparatifs
et la possible traduction d'ouvrages d'auteurs étrangers refléteront cette intention.

P a t r i c k BESSON Hervé LAROCHE


P r o f e s s e u r A s s o c i é à l'ESCP-EAP Professeur à l'ESCP-EAP
D i r e c t e u r d e l ' I n s t i t u t Vital R o u x
Sommaire,

INTRODUCTION 1

Première partie - Le temps, facteur-clé dans le lancement de nouveaux


produits
Introduction 9
Chapitre 1 - Faut-il être le premier à lancer une innovation ?
Une analyse de l'avantage du pionnier
(Emmanuelle Le Nagard-Assayag et Delphine Manceau) 11
Chapitre 2 - Le développement des nouveaux produits : / arbitrage entre
rapidité de développement et performances du produit
(Morris Cohen, Jehoshua Eliashberg et Teck Ho) 29
Chapitre 3 - L'annonce préalable de nouveaux produits : préparer le marché
ou gêner les concurrent ?
(Delphine Manceau) 49

Deuxième partie - Émergence et sélection des projets


Introduction 69
Chapitre 4 - Processus et système de créativité pour /'/nnoL'Gnon :
générer les idées en entreprise
(Isaac Getz) 71
Chapitre 5 - La gestion des erreurs dans les choix technologiques
nécessaires au développement des nouveaux produits
(Raghud Garud, Praveen Nayyar et Zur Shapira) 93
Chapitre 6 - L'évaluation financière des projets de nouveaux produits :
la méthode des options réelles
(Christophe Thibierge) 111

Troisième partie - Anticipation des marchés : quelles études


pour les nouveaux produits ?
Introduction 125
Chapitre 7 - Prospective stratégique et management de l'innovation
(Michel Godet et Fabrice Roubelat) 127
Chapitre 8 - Les tests de produits : quelle technique de test
pour quel objectif ?
(Sophie Morin-Delerm) 140
Chapitre 9 - Les méthodes d'évaluation du potentiel des nouveaux produits
(Pascal Bourgeat et Dwight Merunka) .............................................. 156
Quatrième partie - Adoption et diffusion des nouveaux produits
Introduction 181
Chapitre 10 - Degré de novation et utilisateur leader : pour une meilleure
compréhension de l'adoption des nouveaux produits
(Amina Béji-Bécheur et Bernard Pras) 183
Chapitre 11 - La création des nouveaux marchés par les innovations
de rupture
(Anne-Marie Guérin et Dwight Merunka) 212
Chapitre 12 - Le rôle des standards et des normes dans l'adoption
des nouveaux produits
(Emmanuelle Le Nagard-Assayag) 227
Chapitre 13 -Les produits éternellement émergents :
le cas de la voiture électrique
(Frédéric Fréry) 243

Cinquième partie - L'innovation dans l'entreprise :


quelles structures pour quels enjeux ?
Introduction 265
Chapitre 14 - Une innovation chez EDF-GDFServices : Publiprise
(Florence Durieux) 267
Chapitre 15 - Les configurations structurelles propices à la production
interne de l'innovation
(Fabienne Autier) 282
Chapitre 16 - Innovation et entrepreneuriat : de l'idée... au spin-off
(Jean-Marie Choffray) 302

Sixième partie - De l'idée au marché : échapper aux logiques sectorielles


Introduction 323
Chapitre 17 - L'évolution du rôle des acteurs dans la filière : application
à la conception de nouveaux produits d'habillement
(Céline Abecassis-Moedas) 325
Chapitre 18 - Le management de l'innovation dans les entreprises de service :
spécificités des processus et facteurs de performance
(Frédéric Jallat) 339
Chapitre 19 - Comment passer d'une démarche réactive à une démarche
proactive fondée sur des stratégies d'offres innovantes ? Le cas
des grandes entreprises générales de bâtiment françaises
(Sihem Ben Mahmoud-Jouini) 361
Chapitre 20 - Internet et les nouvelles technologies de l'information :
quelles incidences sur les problématiques d'innovation
des entreprises
(Jean-Paul Aimetti et Alain Bloch) 381
Biographie des auteurs ........................................................................................ 395
Index ...................................................................................................................... 401
introduction

Alain BLOCHet Delphine MANCEAU


« J'hésite entre innover et me planter ou ne rien faire et disparaître ». Ce texte qui
a c c o m p a g n e un dessin de Pessin (Bellon, 1994) résume parfaitement la problé-
matique i n h é r e n t e à l'innovation à laquelle sont c o n f r o n t é e s les e n t r e p r i s e s
actuelles. Elles doivent en p e r m a n e n c e lancer des nouveaux produits pour rester
en phase avec les attentes du m a r c h é et les évolutions techniques. Pourtant, les
i n v e s t i s s e m e n t s financiers c o n s e n t i s p o u r concevoir et c o m m e r c i a l i s e r les
nouveaux produits sont extrêmement élevés et s ' a c c o m p a g n e n t de tels risques
d'échec que certaines hésitent parfois à se lancer. En effet, les deux principaux
obstacles à l'innovation résident à la fois d a n s le risque é c o n o m i q u e , p e r ç u
c o m m e excessif, et d a n s les coûts de l'innovation, jugés trop élevés (Loilier et
Tellier, 1999).
Depuis plusieurs années, de n o m b r e u s e s é t u d e s ont tenté d'évaluer le pour-
centage de nouveaux produits c o n s i d é r é s par leur fabricant c o m m e un échec.
Les résultats se situent en général entre 25 % et 50 % avec un maximum de 86 %
calculé d a n s une é t u d e sur l'industrie alimentaire (Crawford, 1994 ; Urban et
Hauser, 1993 ; Novaction, 1983). Selon une étude récente de Ernst and Young et
AC Nielsen, 43 % des « véritables nouveaux produits » lancés en Europe seraient
un échec dans les douze mois qui suivent leur lancement (Marketing Magazine,
2000). On observe que les pourcentages o b t e n u s varient selon le degré d'innova-
tion associé au produit, le secteur d'activité et le m a r c h é visé.
Quels que soient les chiffres, le constat demeure : les entreprises éprouvent de
grandes difficultés à innover, soit parce qu'elles ne parviennent pas à transformer
en produits - biens ou services - les idées qu'elles ont imaginées, soit p a r c e
qu'une fois le produit lancé, ses ventes sont inférieures aux ambitions affichées.
Ce c o n s t a t est à l'origine de cet ouvrage. En d é p i t d e s n o m b r e u s e s
r e c h e r c h e s que l'innovation et le lancement de p r o d u i t s suscitent d a n s t o u t e s
les disciplines qui l'abordent, de l'économie à la sociologie en p a s s a n t par la
p s y c h o l o g i e et t o u s les d o m a i n e s du m a n a g e m e n t , un g r a n d n o m b r e d e
facteurs c o n d i t i o n n a n t le s u c c è s ou l'échec de l'innovation r e s t e n t e n c o r e
o b s c u r s . Certaines e n t r e p r i s e s o p t e n t p o u r d e s p r o c e s s u s p e u r a t i o n a l i s é s
fondés sur l'intuition d ' u n e n t r e p r e n e u r . D'autres multiplient é t u d e s et t e s t s
p o u r vérifier que l'intuition est en c o h é r e n c e avec le marché. Quels que soient
le style et la méthode, t o u t e s les e n t r e p r i s e s ou p r e s q u e ont été confrontées à
l'échec. Le lancement ne se déroule pas c o m m e prévu. Les c o n s o m m a t e u r s ne
réagissent pas c o m m e on l'espérait. Au c œ u r des interrogations des praticiens
et des c h e r c h e u r s sur l'innovation persiste d o n c la question du c o m m e n t réus-
sir ou, du moins, c o m m e n t limiter les risques d'échec.
Les débats autour du lancement de nouveaux produits
Ces interrogations ne sont certes pas nouvelles. L'innovation et la manière de
la réussir ont fait l'objet de nombreux débats depuis près d'un siècle. Dès 1926,
Schumpeter défendait l'idée selon laquelle un entrepreneur aux intuitions
géniales est le seul garant du succès de l'innovation : « Ici pour le succès tout
dépend du coup d'œil, de la capacité de voir les choses d'une manière que l'expé-
rience confirme ensuite [...], de la capacité d'aller seul de l'avant, de ne pas sentir
l'insécurité et la résistance comme des éléments contraires [...], enfin de la
faculté d'agir sur autrui, qu'on peut désigner par les mots d'autorité, de poids. »
François Perroux (1961) défendait, quelque quarante ans plus tard, un processus
plus formalisé : « Nous pouvons concevoir l'innovation réussie comme résultant
d'un processus de coproduction fondamentalement collectif, multisectoriel,
multifonctionnel, multilocal et inscrit dans le temps. Dans de tels processus, les
articulations interorganisationnelles entre partenaires impliqués à un titre ou un
autre jouent un rôle central. » Cet échange résume un premier débat inhérent à la
problématique de l'innovation et, plus particulièrement, à la façon de gérer son
processus. Il est indéniable aujourd'hui que de nombreux produits sont imaginés
et élaborés dans l'organisation, mais comment cette dernière peut-elle être
conçue pour favoriser le processus ? Faut-il formaliser les étapes de transforma-
tion de l'idée en produit ?
Les chercheurs ont tenté d'identifier les grandes étapes constituant des
passages obligés pour limiter les risques d'échec. Certains reconnaissent quatre
étapes : l'identification de l'opportunité (émergence de l'idée), l'élaboration
conceptuelle et technique du produit, le test auprès des clients potentiels, puis
l'introduction sur le marché (Urban et Hauser, 1994). D'autres aboutissent à six
étapes, la première étant plus détaillée que précédemment et contenant une
première phase de génération des idées et de développement de concepts, suivie
d'une phase de filtrage et d'évaluation (Choffray et Dorey, 1983). D'autres encore
distinguent la planification stratégique, la génération du concept, l'évaluation
pré-technique et le développement technique, avant la commercialisation
(Crawford, 1994). Le processus a également été décomposé entre une phase
préalable de réflexion stratégique, une phase de développement et de filtrage des
idées, une phase d'analyse des opportunités commerciales et marketing et une
phase de développement technique, avant les tests et la commercialisation (Song
et Montoya-Weiss, 1998). Les approches les plus détaillées identifient quant à
elles sept étapes (Trott, 1998) :
- la génération des idées,
- le test des idées,
- les tests de concepts,
- l'analyse stratégique et financière,
- la conception du produit,
- le test de pré-lancement,
- la commercialisation.
Au-delà de l'identification des étapes mêmes, de nombreux chercheurs
prônent aujourd'hui une réalisation simultanée et concourante de plusieurs
étapes plutôt qu'une approche séquentielle dans le temps (Neveins et Whitney,
1989).
Il est à noter que toutes les approches présentées identifient une ou plusieurs
phases de tests et d'études. Pourtant, ce point a également fait l'objet de débats
puisque certains responsables d'entreprises s'interrogent sur le rôle du marke-
ting en matière d'innovation. Les techniques d'études de marché visent à antici-
per les attentes des consommateurs et à chiffrer les ventes à venir, mais l'on a
souvent dénoncé leur inadaptation aux innovations radicales. À cet égard, de
nombreux chercheurs ont tenté de distinguer les différents types de nouveaux
produits, depuis la variante de produit existant jusqu'au produit modifiant radi-
calement les habitudes de consommation. On distingue en général la vision que
peut en avoir le fabricant (degré d'évolution technologique) de la perception du
consommateur (Badot et Cova, 1992). Un consensus s'est toutefois établi autour
de la typologie de Robertson (1967), centrée sur le consommateur, et qui
distingue :
- les innovations de continuité qui portent sur la modification d'un produit
existant,
- les innovations de semi-continuité consistant en un nouveau produit qui
s'inscrit dans les normes du secteur,
- les innovations discontinues (dites également « de rupture »ou « radicales ,,) qui
créent un produit préalablement inconnu et établissent de nouveaux modes de
consommation et de comportement.
Cependant, certains responsables d'entreprises éprouvent encore des diffi-
cultés à classer les nouveaux produits sur lesquels ils travaillent dans l'une ou
l'autre de ces catégories.
D'autres débats majeurs ont également eu lieu. Il ne s'agit pas ici d'en faire un
recensement exhaustif mais de montrer qu'ils ont été nombreux et se poursui-
vent. Ils ont indéniablement aidé les responsables d'entreprises à améliorer le
processus d'innovation et à mieux planifier le lancement de leurs nouveaux
produits. Pourtant, les interrogations persistent et les échecs restent nombreux.

Les objectifs de l'ouvrage


Cet ouvrage c h e r c h e à analyser p o u r q u o i l'innovation et le lancement de
nouveaux produits ne se déroulent pas toujours c o m m e prévu, en étudiant les
choix-clés inhérents à l'innovation et les décisions auxquelles les r e s p o n s a b l e s
d'entreprises sont confrontés. En effet, tout le passage de l'idée au m a r c h é est
une suite d'interrogations sur les m é t h o d e s et la d é m a r c h e à adopter, sans qu'il
existe une r é p o n s e unilatérale et une t e c h n i q u e indiscutable. C'est la première
conviction à l'origine de cet ouvrage et autour de laquelle nous l'avons structuré.
Il ne s'agit donc pas ici de donner des recettes mais bien de s'interroger sur les
pratiques, les méthodes, les choix-clés. Nous avons conçu cet ouvrage collectif
comme une suite de réflexions et d'interrogations, réalisées par des c h e r c h e u r s
spécialistes du sujet, sur les questions-clés inhérentes à l'innovation.
Ces interrogations ne sont pas l'apanage d'un seul domaine au sein du mana-
gement. Trop souvent, nous semble-t-il, les écrits sur l'innovation a d o p t e n t le
regard d ' u n e seule discipline. Le m a r c h é et les clients, la technologie et les
processus de conception, la structure interne, la finance constituent le point de
vue privilégié, sinon unique, de l'auteur. Nous avons essayé ici d'avoir une
a p p r o c h e plus t r a n s v e r s a l e en réunissant une é q u i p e pluridisciplinaire où le
marketing, la stratégie, la gestion des r e s s o u r c e s humaines, la finance peuvent
exprimer des points de vue complémentaires, sinon divergents, sur l'innovation
et le lancement de produits. Les dilemmes auxquels le responsable d'entreprise
fait face, quand il c h e r c h e à concevoir un nouveau produit, sont multiples et
m e t t e n t s o u v e n t en jeu d e s logiques c o n t r a d i c t o i r e s . Nous avons t e n t é d ' e n
r e n d r e c o m p t e à travers une diversité de contributions adoptant des a p p r o c h e s
différentes, par le domaine de spécialité des auteurs mais également par leur acti-
vité (à dominante professionnelle ou académique), leur institution et leur origine
géographique.
Une autre idée directrice repose sur le positionnement de l'ouvrage. De fonde-
m e n t a c a d é m i q u e , a n a l y s a n t d e manière a p p r o f o n d i e et c o n c e p t u e l l e les
p r a t i q u e s d e s e n t r e p r i s e s et les t h é o r i e s de l'innovation, il se devait en m ê m e
t e m p s d'être lisible par des non-spécialistes du sujet et de la r e c h e r c h e et être
utile aux r e s p o n s a b l e s d ' e n t r e p r i s e s s'interrogeant sur ces questions. Le lecteur
jugera du résultat, mais tel est notre objectif.

Le passage d ' u n e i d é e d ' o u v r a g e à u n livre mis s u r le m a r c h é


Nous nous s o m m e s lancés d a n s la c o n c e p t i o n de cet ouvrage il y a près de
deux ans. La d é m a r c h e de l'idée au m a r c h é est révélatrice des p r o c e s s u s décrits
tout au long du livre.
Comme souvent, l'idée est née d ' u n e discussion avec l'un des éditeurs et non
d ' u n e illumination s o u d a i n e v e n u e aux c o o r d i n a t e u r s d e l'ouvrage. Ensuite a
c o m m e n c é le véritable travail : contact avec les auteurs susceptibles d'écrire des
chapitres, allers-retours, a b a n d o n de certains projets (et de certains auteurs) en
cours de route... Les délais initialement prévus ont été dépassés. Ce sont les péri-
péties i n h é r e n t e s à t o u t projet d'innovation. Nous aimerions revenir sur d e u x
choix clés qui illustrent bien la difficulté du p a s s a g e de l'idée au marché. En
étudiant les problématiques de l'innovation, nous y étions confrontés.
La s t r u c t u r e d u livre
Dans u n e p r e m i è r e ébauche, une a p p r o c h e c h r o n o l o g i q u e nous avait p a r u
s ' i m p o s e r n a t u r e l l e m e n t ( p r o c e s s u s de créativité, sélection des projets, é t u d e s
de marché, etc.). Nous avions repris les principales é t a p e s du p r o c e s s u s iden-
tifiées p a r les c h e r c h e u r s . Mais nous étions sans cesse confrontés à l'éventuelle
s i m u l t a n é i t é d e s é t a p e s . Bien vite, n o u s a v o n s pris c o n s c i e n c e q u e c e t t e
a p p r o c h e risquait d ' ê t r e r é d u c t r i c e et de nous éloigner de n o t r e ambition qui
est bien d ' a p p o r t e r d e s r é p o n s e s à la q u e s t i o n f o n d a m e n t a l e : quels s o n t les
choix-clés auxquels est confronté le m a n a g e r de l'innovation ? Cette interroga-
tion f r é q u e n t e sur la s t r u c t u r e du livre nous s e m b l e révélatrice de la complexité
d u sujet.
Des interrogations sur le sous-titre de l'ouvrage ont également émaillé notre
travail. Si le titre De l'idée au marché s'est imposé sans discussion, le sous-titre
nous semblait plus problématique. Un premier sous-titre de travail, considéré
c o m m e provisoire car ne nous satisfaisant pas pleinement, était descriptif :
« Innovation et lancement de produits ». Après réunions de créativité, filtrage et
discussions, nous avons opté pour « Les dilemmes de l'innovation », titre tradui-
sant bien notre d é m a r c h e . Alors que l'un des deux c o o r d i n a t e u r s de l'ouvrage
considérait ce choix comme définitivement adopté, l'autre, fort de ses convictions
sur la d é m a r c h e marketing, le testait auprès de différents interlocuteurs. Le résul-
tat fut déplorable : le mot dilemme était jugé très négativement. À ces réactions, le
premier, e n t r e p r e n e u r sûr de son intuition, répondait qu'il était convaincu que
l'idée était bonne, quoi qu'en pensent les personnes (consommateurs ?) interro-
gées. Le m a r c h é a gagné p o u r cette fois et nous s o m m e s revenus au sous-titre
initial. Notre c o n n a i s s a n c e des théories et notre travail sur les choix clés nous
avaient-ils laissé imaginer que nous échapperions aux écueils classiques du
processus d'innovation ?

Les thèmes abordés


Quelles sont donc les questions-clés de l'innovation auxquelles cet ouvrage
est consacré ? La structure finalement adoptée en est l'écho direct. Nous avons
retenu six problématiques qui nous paraissent décisives et qui sont transver-
sales à la fois par les domaines du management auxquels elles font référence et
par les secteurs d'activité concernés.
•Le temps apparaît comme une préoccupation majeure en matière d'innovation,
tant pour la conception des nouveaux produits que pour la commercialisation.
Est-il véritablement un facteur-clé de succès ? Comment le gérer sans nuire à la
performance technique du produit ?
'Dans la phase d'émergence et de sélection des projets, il faut arbitrer entre
intuition et méthode. Comment les idées sont-elles générées et comment, dans
cette phase cruciale, éviter les erreurs quand les choix technologiques viennent
complexifier le processus de décision et que les enjeux financiers des projets se
dessinent ?
e Quel type d'études pour les nouveaux produits ? C'est une question évidem-
ment centrale pour les spécialistes de marketing mais à laquelle la prospective a
également des réponses à apporter. Alors que les entreprises font de plus en plus
appel aux tests et aux études, quelles méthodes adopter pour tester les produits
et comment évaluer le marché potentiel des nouveaux produits pour tenter de
« calibrer » au mieux l'effort de lancement ?
e Le processus d'adoption des innovations par les consommateurs et leur diffu-
sion sur le marché sont au cœur de la problématique. Il s'agit là de la confronta-
tion directe du nouveau produit avec ses clients potentiels. Quels phénomènes
s'opèrent ici ? Comment les entreprises peuvent-elles les favoriser ? Le choix de
cibles, de méthodes d'études et de standards se révèle souvent délicat dans cette
optique.
e Le passage de l'idée au marché est un processus particulièrement complexe,
notamment lorsqu'il se fait à l'intérieur d'une entreprise. Quelles structures orga-
nisationnelles permettent de gérer au mieux l'innovation dans sa dimension
collective et quels enjeux recouvrent ce débat ?
e Ces problématiques sont transversales et semblent concerner la plupart des
secteurs d'activité. Cependant, il est indéniable que dans certains secteurs, il
existe des logiques propres, spécifiques, et par essence conservatrices. L'inno-
vation remet souvent ces logiques en cause. En identifiant les problématiques
inhérentes à l'innovation qui affectent aujourd'hui certains secteurs, on identifie
des idées et des démarches qui renouvellent la logique des secteurs concernés
mais qui peuvent également constituer des sources d'innovation dans d'autres
domaines d'activités. C'est pourquoi les derniers chapitres sont consacrés à
certains secteurs spécifiques (l'habillement, les services, le bâtiment) pour en
dégager des enseignements susceptibles de s'appliquer par ailleurs. L'ouvrage se
termine par un chapitre consacré aux nouvelles technologies liées à Internet, car
la question se pose naturellement de savoir en quoi les problématiques inhé-
rentes à l'innovation diffèrent pour ces activités et en quoi cette économie de
l'innovation serait « nouvelle ».
Chacun de ces thèmes a donné lieu à des contributions écrites par des spécia-
listes effectuant des recherches sur ces sujets. La plupart sont des enseignants-
chercheurs appartenant à des institutions très diverses, françaises, belges et
américaines ; plusieurs d'entre eux sont des professionnels exerçant leur activité
en entreprise, à titre permanent ou comme consultants. Les approches adoptées
varient selon les chapitres et révèlent la diversité des méthodes d'étude utilisées
en matière d'innovation. Certaines contributions sont fondées sur des analyses
conceptuelles accompagnées d'une observation approfondie de plusieurs
nouveaux produits commercialisés ; d'autres sur des études de cas d'innovations
réussies ou au contraire en situation d'échec commercial. D'autres encore
s'appuient sur l'analyse approfondie d'un secteur d'activité. Le livre est égale-
ment le reflet de recherches empiriques, fondées sur l'expérimentation ou
l'enquête. Quelques chapitres, enfin, résultent d'une approche modélisée. Cette
diversité reflète les différentes tendances de la recherche en gestion aujourd'hui.
En conclusion, nous souhaitons remercier tous les auteurs de cet ouvrage qui,
à plusieurs reprises, ont accepté nos commentaires et nos demandes de modifica-
tions visant à garantir l'homogénéité de ton. Nous aimerions également exprimer
notre reconnaissance aux coordinateurs de la collection Vital-Roux, Hervé Laroche
et Patrick Besson, pour leur aide constante et leurs encouragements.

Bibliographie

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Première partie

LETEMPS,
FACTEURCLÉ
DANS LELANCEMENT
DENOUVEAUXPRODUITS
Si l'on interroge les responsables d'entreprises sur leurs préoccupations en
matière d'innovation, le temps apparaît systématiquement parmi les premières
problématiques citées. Il faut aller vite. Gagner du temps sur la conception du
produit pour le commercialiser le plus tôt possible et réaliser des économies.
Accélérer le lancement qui génère traditionnellement des dépenses très élevées.
Gagner du temps, enfin, sur le processus d'adoption du nouveau produit par les
consommateurs afin de favoriser le décollage des ventes et d'accélérer la rentabi-
lisation du produit. Ainsi, pour aider les entreprises, de nombreux chercheurs et
consultants réfléchissent depuis plusieurs années à la manière de réduire les délais
de conception, de lancement et d'adoption des nouveaux produits.
Le temps apparaît donc comme un enjeu concurrentiel majeur, au point que
l'on parle désormais de « chrono-concurrence ». Pourtant, les choix ne sont pas
toujours évidents et la rapidité exige souvent des arbitrages. Ce sentiment
d'urgence perpétuel des responsables d'entreprises est-il véritablement justifié ? Il
a semblé essentiel, dès la première partie de cet ouvrage, de se demander si le
temps constitue un avantage concurrentiel déterminant. Trois problématiques sont
étudiées.
Les entreprises cherchent souvent à accélérer la conception d'une innovation
afin d'être les premières à l'introduire sur le marché. Emmanuelle Le Nagard-
Assayag et Delphine Manceau dénoncent cette obsession en soulignant que la
portée et l'existence même d'un avantage pour le pionnier varient selon les objec-
tifs visés (part de marché, rentabilité ou survie de 1 entrepnse) et dépendent de
nombreux facteurs inhérents à la catégorie de produits (chapitre 7.
Dans le chapitre 2, une équipe pluri-disciplinaire de chercheurs de la Wharton
School montre que le gain de temps lors de la conception des nouveaux produits
n'est pas sans contrepartie, notamment quant à la performance technique des
produits conçus. Morris Cohen, Jehoshua Eliashberg et Teck Ho remettent en
c.ause l'objectif fréquemment admis de minimiser le délai de retour sur investisse-
ment et montrent que les entreprises devraient plutôt privilégier la performance,
même au prix d'un report du lancement.
Enfin, Delphine Manceau s'interroge sur le secret qui prévaut généralement en
matière d'innovation et établit la liste des avantages d'une annonce préalable au
lancement (chapitre 3). Si les conséquences d'une telle pratique sont ambiva-
lentes, à la fois sur le marché et l'environnement concurrentiel, un bon suivi des
annonces préalables permet de générer une forte notoriété susceptible d'accélérer
les ventes initiales du nouveau produit et de gêner les concurrents dans leurs
propres projets d'innovation.
Chapitre
1

Faut-il être le premier à lancer une innovation ?


Uneanalyse de l'avantage du pionnier
Emmanuelle Le NAGARDA
-SSAYAGet Delphine MANCEAU

Introduction
La préoccupation majeure des responsables d ' e n t r e p r i s e s en matière d'innova-
tion consiste bien souvent à réduire les temps de conception et de lancement des
p r o d u i t s afin d ' ê t r e p r é s e n t sur le m a r c h é le plus tôt possible et, idéalement,
avant les concurrents. On assiste ainsi à une véritable course à l'innovation afin
d'arriver en tête.
Les cabinets de conseil c o m m e les grandes entreprises placent ainsi la réduc-
tion du temps pour parvenir sur le marché (time-to-market) parmi leurs priorités.
Une é t u d e réalisée par Mac Kinsey m e n t i o n n e que six mois de r e t a r d d a n s le
lancement d'un produit ont pour c o n s é q u e n c e une diminution d'un tiers du profit
réalisé (Smith et Reinertsen, 1994). Cette p r é o c c u p a t i o n existe d a n s les indus-
tries de haute technologie, comme l'électronique grand public ou la téléphonie,
mais aussi dans les secteurs de grande consommation tels que l'alimentaire ou
les détergents. Elle repose sur l'idée que le premier arrivé sur le marché, désigné
comme le pionnier, bénéficie d'avantages concurrentiels durables sur les autres
entreprises, qui sont des suiveurs.
La situation concurrentielle de certains s e c t e u r s s e m b l e confirmer c e t t e
croyance en l'avantage du pionnier, alors que d'autres activités l'infirment. Dans
la téléphonie mobile, par exemple, le pionnier France Télécom continue de domi-
ner le marché alors que les suiveurs, Cégétel et Bouygues Télécom, ont une part
de m a r c h é inférieure. Il en est de même dans les b o u q u e t s de télévision numé-
rique, au bénéfice du pionnier CanalSat - même si le suiveur TPS progresse rapi-
dement -, ainsi que dans les boissons gazeuses à base de thé et dans les colas où
les pionniers Liptonic et Coca-Cola r e s t e n t leaders. À l'inverse, d a n s de
n o m b r e u x secteurs, le pionnier a été devancé par une m a r q u e commercialisée
ultérieurement, comme BA le fut par Bio sur le m a r c h é français des yaourts au
bifidus, Granula par Kellogg p o u r les céréales alimentaires aux États-Unis, ou
Netscape par Explorer d a n s les navigateurs sur Internet. Plus encore, qui se
souvient q u e le premier four à micro-ondes fut commercialisé par Armana en
1966, le premier jeu vidéo par Magnovox Odyssey en 1973 ou le premier ordina-
teur personnel par MITS en 1975 (Golder et Tellis, 1993) ?
Face à cette situation hétérogène, les chercheurs ont tenté d'analyser de
manière scientifique dans quelle mesure le fait d'être pionnier se traduit par une
meilleure performance sur le marché, cette performance pouvant se traduire par
une plus forte part de marché ou par une meilleure rentabilité. Là non plus les
résultats ne sont pas unanimes. C'est pourquoi, nous souhaitons, dans ce
chapitre, faire le point sur les connaissances actuelles concernant l'existence
éventuelle d'un avantage pour le pionnier et comprendre les facteurs sous-jacents
à ce phénomène. Plus précisément, nous commençons par confronter les travaux
empiriques réalisés sur le sujet pour déterminer dans quelle mesure arriver le
premier sur le marché se traduit par un avantage concurrentiel durable. Dans un
second temps, nous analysons les facteurs techniques, économiques et compor-
tementaux susceptibles de favoriser le pionnier et les suiveurs. Divers phéno-
mènes, liés aux processus de production et de recherche ainsi qu'aux comporte-
ments de consommation, se traduisent en effet par une asymétrie dans la concur-
rence que se livrent les marques selon leur ordre d'entrée sur le marché.

1 . Les é t u d e s e m p i r i q u e s v i s a n t à d é t e r m i n e r
l ' e x i s t e n c e éventuelle d ' u n a v a n t a g e du pionnier
Les premières études analysant de manière scientifique et systématique dans
quelle mesure le pionnier bénéficie d'un avantage durable sur les suiveurs
datent de la fin des années 1970 (Biggadike, 1976). À cette époque a été rassem-
blée la base de données PIMS (Profit Impact of Marketing Strategies) contenant de
nombreuses informations sur les entreprises de divers secteurs et permettant
d'analyser de manière quantifiée l'impact des stratégies marketing sur les parts
de marché et les niveaux de rentabilité. Les études se multiplient progressive-
ment, concluant à l'existence d'un avantage durable pour le pionnier en terme
de part de marché (Lambkin, 1988 ; Miller, Gartner et Wilson, 1989 ; Parry et
Bass, 1990 ; Moore, Boulding et Goodstein, 1991). Ainsi, dans la grande consom-
mation, les pionniers détiennent une part de marché moyenne de 29 % contre
17 % pour les premiers suiveurs et 12 % pour les suiveurs tardifs ; l'avantage du
pionnier s'applique également aux produits industriels mais dans une moindre
mesure, puisque ces moyennes s'élèvent respectivement à 29 %, 21 % et 15 %
(Robinson et Fornell, 1985 ; Robinson, 1988). L'impact de l'ordre d'entrée sur la
rentabilité est plus ambigu puisque certaines études observent que les suiveurs
rapides réalisent des profits supérieurs aux pionniers grâce à leurs moindres
investissements en recherche et développement et en marketing (Srinivasan,
1988).
On s'intéresse ensuite aux causes précises de l'avantage du pionnier. En effet,
les produits pionniers comportent des spécificités, en particulier une meilleure
qualité vendue à un prix équivalent et des lignes de produits plus larges
(Robinson et Fornell, 1985 ; Robinson, 1988 ; Miller, Gartner et Wilson, 1989). Leur
part de marché supérieure peut donc s'expliquer par ces phénomènes plutôt que
par l'ordre d'entrée sur le marché (Van Honacker et Day, 1987). À partir d'une
base de données fondée sur les marchés-tests simulés et la méthode ASSESSOR,
plusieurs auteurs montrent toutefois que l'ordre d'entrée a un impact direct sur
la part de marché, même si ce facteur a moins d'influence que le niveau d'inves-
tissements publicitaires et la qualité du positionnement (Urban, Carter, Gaskin et
Mucha, 1986). L'avantage du pionnier rassemble en réalité deux composantes :
un effet d'ordre d'entrée du produit positif et constant sur le long terme et un
effet lié à l'ancienneté de la marque, qui diminue au fur et à mesure que le marché
gagne en maturité (Brown et Lattin, 1994).
Pourtant, le consensus autour de l'avantage du pionnier s'effrite largement au
cours des années 1990 lorsqu'on analyse le risque d'échec du premier entrant et
la rapidité de sa diffusion sur le marché. La probabilité de succès des produits
paraît plus élevée pour les suiveurs précoces (entrés troisième et quatrième sur
le marché) que pour le pionnier ou les suiveurs tardifs (Lilien et Yoon, 1990). Les
pionniers conservent une part de marché supérieure aux suiveurs sur le long
terme ; leurs produits sont davantage essayés, mais souffrent d'une diffusion plus
lente (Kalyanaram et Urban, 1992 ; Kerin, Kalyanaram et Howard, 1996).
En 1993, deux auteurs publient un article au titre explicite : « L'avantage du
pionnier : logique marketing ou légende marketing ? » (Golder et Tellis, 1993). À
partir de l'étude longitudinale de 50 catégories de produits sur de nombreuses
années, ils montrent que le pionnier a disparu du marché dans près de la moitié
des catégories, ce taux atteignant 70 X pour les produits durables. Le leader du
marché fut le pionnier dans 11 % des cas seulement. Il s'agit en revanche du
leader historique - c'est-à-dire de la marque qui dominait le marché au début de
sa phase de croissance - dans plus de la moitié des cas.
Les travaux récents affinent l'analyse en étudiant en quoi l'ordre d'entrée sur
le marché modifie l'efficacité des actions marketing mises en œuvre par la suite.
Ainsi apparaît l'idée que l'avantage du pionnier est indirect : c'est parce que
l'ordre d'entrée sur le marché affecte l'élasticité-prix des produits, la sensibilité
du marché à la qualité et aux promotions que les suiveurs doivent investir beau-
coup plus massivement dans des opérations marketing pour obtenir une part de
marché comparable à celle du pionnier (Bowman et Gatignon, 1996).
On distingue également différents types de suiveurs : les suiveurs non inno-
vants qui sont pénalisés par des taux de réachat plus faibles que le pionnier, une
moindre efficacité des dépenses marketing, un marché potentiel plus étroit et
une diffusion ralentie des produits, et les suiveurs innovants qui modifient radi-
calement la catégorie de produits et changent les règles du jeu (Shankar,
Carpenter et Krishnamurthi, 1998). Ces derniers bénéficient d'un avantage sur le
pionnier qui se traduit par une diffusion plus rapide du produit, un marché poten-
tiel plus large et un taux de réachat supérieur. Leur arrivée sur le marché ralentit
la croissance du pionnier et réduit l'efficacité de ses dépenses marketing. L'avan-
tage du pionnier n'existe donc pas de manière uniforme : il dépend des produits,
des conditions du marché et des stratégies mises en œuvre par le pionnier lui-
même et par ses concurrents.

2. P o u r q u o i ces r é s u l t a t s h é t é r o g è n e s ?
Quelques considérations méthodologiques
Les travaux réalisés pendant trois décennies ont donc permis de
comprendre de manière plus fine dans quelle mesure le pionnier bénéficie d'un
avantage sur le marché. Ils ont mis en évidence l'importance des stratégies
marketing mises en œuvre par les différentes marques et leur caractère inno-
vant. Cependant les études aboutissent à des résultats différents, parfois même
directement contradictoires. Cette diversité s'explique par des choix méthodo-
logiques distincts.
Des approches différentes
Ainsi, certaines analyses sont fondées sur une approche transversale (en
coupe) consistant à observer, à un moment donné, les positions concurrentielles
et à expliquer ces positions par différentes variables. Les études fondées sur les
données du PIMS, par exemple, reposent sur cette approche. L'autre manière
d'étudier empiriquement l'avantage du pionnier consiste à réaliser une étude
longitudinale : on suit la part de marché de plusieurs entreprises sur une longue
période et on tente de l'expliquer par différents paramètres dont l'ordre d'entrée
sur le marché.
Le temps écoulé depuis la création de la catégorie de produits (c'est-à-dire
depuis le lancement du produit pionnier) peut également expliquer les diffé-
rences de résultats observées. Tous les chercheurs s'étant intéressés au sujet
s'accordent en effet à considérer que l'existence et la portée de l'avantage du
pionnier varient à court et à long termes.
De plus, le type de variable désignant le pionnier change selon les études. On
utilise parfois une variable dichotomique opposant simplement le pionnier aux
autres firmes, parfois une variable discrète de type ordinal désignant l'ordre
d'entrée sur le marché, parfois une variable continue correspondant au moment
de lancement de chaque produit et prenant la valeur 0 pour le pionnier.
Au-delà de ces approches variées et en réalité complémentaires, certaines
études ne sont pas exemptes de défauts et de biais méthodologiques suscep-
tibles d'expliquer la diversité des résultats obtenus.

La définition du pionnier
Certains travaux considèrent comme pionnier la première marque commer-
cialisée sur le marché, alors que d'autres raisonnent en fonction du premier
produit fabriqué ou de la première entreprise à maîtriser la technologie (Golder
et Tellis, 1993). De même parle-t-on du pionnier dans la catégorie de produits,
c'est-à-dire pour la fonction même du produit, ou dans sa forme (Kerin,
Kalyanaram et Howard, 1996) ? Par exemple, peut-on considérer comme pion-
nière la première marque à introduire la lessive en tablets ou s'agit-il simplement
d'une nouvelle variante en concurrence directe avec les lessives en poudre et
liquides ?
En outre, certaines études distinguent une seule firme pionnière alors que
d'autres assimilent au pionnier les firmes ayant été « parmi les premières à entrer
sur le marché » (Robinson, 1988).

L'identification du pionnier
Les recherches sont en général réalisées a posteriori et n'ont pas toujours à
leur disposition des informations précises sur l'ordre et la date d'entrée sur le
marché. C'est notamment le cas des études transversales réalisées à un moment
souvent éloigné de l'apparition du premier produit de la catégorie. Dans ces cas-
là, l'identification du pionnier repose souvent sur le souvenir des managers inter-
rogés et sur l'auto-évaluation (Robinson, 1988 ; Golder et Tellis, 1993). Or le
leader historique est souvent perçu comme le pionnier, surtout s'il est entré tôt
sur le marché. Ainsi, de nombreux managers désigneront Rank Xerox comme le
pionnier en matière de photocopieurs alors qu'il s'agit en réalité du leader histo-
rique de la catégorie, le pionnier étant 3M Thermofax.
Un biais d'échantillon en f a v e u r d e s s u r v i v a n t s

Un dernier souci méthodologique porte spécifiquement sur les approches


transversales. Lorsque l'on procède par coupe instantanée en étudiant les firmes
présentes à un moment donné, on court le risque de biaiser l'échantillon : on
mesure l'avantage des entreprises pionnières qui ont survécu jusqu'à la date de
l'étude, et non celui de toutes les entreprises pionnières. Or on sait que les
petites entreprises innovantes présentent un taux de mortalité particulièrement
élevé. Certaines études longitudinales indiquent que le pionnier a disparu du
marché dans 28 % à 70 % des cas selon les domaines d'activité (Golder et Tellis,
1993). Pour un nouvel entrant dans le secteur, les risques de faillite sont encore
plus élevés et exigent un arbitrage entre la possibilité de gagner de fortes parts de
marché si l'on survit et la probabilité même de survie (Mitchell, 1991). Les
approches en coupe ont donc tendance à surévaluer l'avantage du pionnier
puisqu'elles sous-estiment considérablement les risques d'échec en excluant de
leur champ d'investigation les marques ayant déjà disparu du marché.
Il nous paraît nécessaire, une fois ce constat empirique fait et ces précautions
méthodologiques prises, de procéder de façon analytique en essayant de
comprendre quelles sont les sources d'avantage pour le pionnier et les suiveurs.

3 . Les a v a n t a g e s d u p i o n n i e r

Les phénomènes générant l'avantage du pionnier sont nombreux et de natures


diverses. Certains relèvent des stratégies adoptées par ces entreprises, notam-
ment en matière de gestion des coûts et d'appropriation des ressources rares.
D'autres sont liés à la nature de la demande et au comportement des consomma-
teurs. Nous distinguons ces deux types d'avantages en nous inspirant de la clas-
sification établie par Lieberman et Montgomery (1988).

Les a v a n t a g e s d e t y p e s t r a t é g i q u e

Le fait d'être pionnier donne à une entreprise une « longueur d'avance » dans
la mesure où elle se trouve en situation de monopole pendant un certain laps de
temps. Elle peut profiter de cette période pour construire un avantage concur-
rentiel durable lui permettant de faire face à l'arrivée ultérieure de concurrents.
Plusieurs moyens sont alors à sa disposition, en particulier l'exploitation des
brevets et licences, la courbe d'expérience et la préemption des actifs rares.
Les rendements des brevets et licences

Une première source d'avantage pour le pionnier réside dans la possibilité de


déposer un brevet sur son innovation. Deux stratégies sont alors à sa disposition.
L'entreprise peut conserver la propriété exclusive de l'exploitation du brevet et
se trouver ainsi en position de monopole temporaire pendant la durée légale de
protection. Sa position concurrentielle et sa rentabilité s'en trouvent renforcées.
Cependant, il peut être encore plus avantageux financièrement de monnayer le
brevet en vendant des licences d'exploitation à d'autres firmes. Ce fut par
exemple la stratégie adoptée par Philips et Sony pour le CD audio ou celle de
Matsushita pour les magnétoscopes VHS. Le pionnier en termes de recherche et
développement n'est plus forcément le pionnier sur le marché.
Cependant, le brevet, même si l'on conserve son exclusivité légale, ne consti-
tue pas une garantie absolue. C'est pourquoi le dépôt de brevet n'est pas systé-
matique. Cette stratégie présente en effet de nombreux inconvénients et limites :
- le dépôt d'un brevet est long et coûteux. Par conséquent, il est davantage utilisé
par les grandes entreprises que par les petites. En outre, garantir son efficacité
exige d'avoir les moyens de faire respecter ses droits en étant en mesure d'inten-
ter une action en justice ;
- le dépôt d'un brevet entraîne la divulgation d'informations puisqu'il est public
et comporte une description succincte du principe du produit. Cela peut poser
un problème dans la mesure où la durée d'application des brevets varie selon les
pays ;
- le brevet ne couvre pas toutes les inventions. Par exemple, il n'est pas possible
de breveter un concept de service, une bactérie ou une recette. Dans un secteur
extrêmement innovant comme la téléphonie mobile' en France, de nouvelles
offres commerciales arrivent sans cesse sur le marché. Le succès de Bouygues
Télécom à ses débuts a résulté de l'introduction des forfaits, dont le concept a été
très vite copié par les concurrents. Un phénomène similaire s'est produit pour
« Mobicarte » : le concept de carte prépayée a été lancé sur le marché français par
France Télécom Mobiles, puis imité très rapidement par SFR avec « Entrée libre »
et par Bouygues avec « Nomad ». Il en a été de même après l'introduction du
premier coffret prêt à l'emploi « Ola » de France Télécom Mobiles.
Dans la mesure où le dépôt et l'entretien de brevets ne constituent pas
toujours la solution idéale, certaines entreprises préfèrent privilégier le « secret
de fabrication » afin de préserver leur produit de la copie. Enfin, notons que
certaines offres exigent plus de temps que d'autres pour être copiées parce
qu'elles impliquent des changements organisationnels ou des évolutions radi-
cales pour l'entreprise. Ainsi, toujours dans la téléphonie mobile, l'offre
« Optima », consistant à faire bénéficier l'abonné du forfait le plus favorable,
proposée par Itinéris (France Télécom Mobiles) n'est pas facile à imiter car elle
nécessite une certaine configuration du système d'information. Les concurrents
ont donc besoin de temps avant de pouvoir proposer une offre similaire. Dans le
secteur de la vente par correspondance, l'avantage acquis par La Redoute avec le
lancement du « 48 h Chrono » n'a pu être copié immédiatement par Les 3 Suisses
car il supposait une organisation spécifique du circuit logistique.
Cependant, l'imitation reste le plus souvent une question de temps. Même le
secret de fabrication ne constitue pas une protection infaillible. La mobilité des
salariés entre entreprises, les milieux scientifiques, l'espionnage industriel et le
reverse ingeneering permettent en général aux concurrents de maîtriser les inno-
vations produit dans un délai de quelques mois (Mansfield, 1985). Ce délai est un
peu plus long (de l'ordre de dix-huit mois) pour les innovations de procédé.
Celles fondées sur des compétences spécifiques à l'entreprise et à son organisa-
tion sont plus difficilement copiables.
Le leadership technologique
Le fait d'avoir inventé la technologie donnant lieu à l'innovation se traduit par
une grande maîtrise de son fonctionnement. Le pionnier peut maintenir son

1. Les différents exemples s u r le m a r c h é français de la téléphonie mobile sont issus d un


entretien avec un chargé de mission à la Direction de la stratégie et de la planification de
France Télécom Mobiles.
avance en innovant régulièrement et en améliorant la technologie sous-jacente au
produit, donnant lieu à l'émergence d'un véritable « cercle vertueux ».
L'étude de 58 innovations dans quarante firmes a permis d'analyser le proces-
sus par lequel une innovation peut se transformer en rente pour l'entreprise
(Me Grath et alii, 1996). Une meilleure compréhension des relations causales
entre la combinaison des facteurs de production et les résultats obtenus permet
à l'équipe de développer au sein de l'entreprise de nouvelles compétences qui
aboutissent à un fonctionnement spécifique et inimitable. Il en résulte un avan-
tage concurrentiel durable, qui se traduit à la fois par une meilleure efficacité (et
donc un avantage de prix) et par une valeur distinctive, source de différenciation.
La courbe d'expérience
Dans de nombreuses activités, un autre grand avantage pour le pionnier est
lié à l'existence d'une courbe d'expérience : sous les effets combinés des effets
d'apprentissage, des économies d'échelle et des progrès technologiques, les
coûts de production décroissent en fonction du volume de production cumulé
depuis les débuts de la fabrication du produit. Par exemple, dans l'aéronautique
militaire américaine, on a observé qu'un doublement de la production cumulée
aboutissait à une baisse de près de 30 % du coût moyen de fabrication (Scherer
et Ross, 1990). Ce concept a été appliqué à de nombreux autres secteurs (Day et
Montgomery, 1983 ; Liebermann, 1987a, 1987b).
Dans la mesure où la notion de courbe d'expérience s'applique à la produc-
tion cumulée depuis la conception de l'innovation, elle met non seulement en jeu
les économies d'échelle, mais fait également intervenir le facteur temps. Le pion-
nier bénéficie d'un avantage dans la mesure où sa production démarre plus tôt
(Lieberman et Montgomery, 1988).
Certains secteurs exigent des investissements de départ tellement importants
que leur amortissement confère au pionnier un avantage majeur, qui empêche
tout suiveur de s'implanter. Ainsi, dans la téléphonie, la construction d'infrastruc-
tures permettant de couvrir le territoire exige une mise de départ colossale. C'est
la raison pour laquelle il est nécessaire d'organiser réglementairement la concur-
rence dans un secteur comme celui des télécommunications filaires afin d'éviter
que ces barrières à l'entrée n'empêchent l'arrivée de suiveurs sur le marché.
L'appropriation d'actifs rares
Lorsque certaines ressources nécessaires à la production et à la commercia-
lisation de l'innovation sont rares et susceptibles d'être appropriées par un
acteur, le pionnier peut les préempter et gêner ainsi l'activité future des suiveurs.
Ces actifs rares peuvent être de différentes natures.
Tout d'abord, ils peuvent relever de ressources naturelles, comme des
matières premières, ou humaines si le développement ou la fabrication du
produit exigent des compétences spécifiques et rares, en matière de R&D par
exemple. De manière générale, les compétences techniques ou créatives du
personnel sont souvent déterminantes pour la compétitivité d'une entreprise. Un
cercle vertueux peut ainsi s'installer, les meilleurs employés allant dans l'entre-
prise la plus performante, qui améliore encore ses performances et peut ainsi
recruter les meilleurs2.
2. Les entreprises peuvent bien sûr développer les c o m p é t e n c e s spécifiques ou la créati-
vité du personnel en place. Les pratiques susceptibles de favoriser la créativité font l'objet
du chapitre 4 : « Processus et système de créativité pour l'innovation : générer les idées en
entreprise » d'Isaac Getz.
Le p i o n n i e r p e u t é g a l e m e n t p r é e m p t e r d e s e m p l a c e m e n t s g é o g r a p h i q u e s d a n s
d e s s e c t e u r s c o m m e le t o u r i s m e o u la d i s t r i b u t i o n . Ainsi, le C l u b M é d i t e r r a n é e
bénéficie, d a n s d e n o m b r e u s e s s t a t i o n s balnéaires o u destinations touristiques,
d ' e m p l a c e m e n t s p r i v i l é g i é s d u fait d e s o n i m p l a n t a t i o n a n c i e n n e .
Les a c t i f s r a r e s p o r t e n t é g a l e m e n t s u r les f o u r n i s s e u r s o u d i s t r i b u t e u r s incon-
tournables : un contrat d'exclusivité avec un fournisseur disposant d'une techno-
logie o u d ' u n s a v o i r - f a i r e p a r t i c u l i e r s o u d ' u n e p o s i t i o n d o m i n a n t e s u r le m a r c h é
p e u t f a i r e p e r d u r e r la p o s i t i o n f a v o r a b l e d u p i o n n i e r . C ' e s t p a r e x e m p l e le c a s s u r
le m a r c h é d e la t é l é p h o n i e m o b i l e . L e s o p é r a t e u r s c h e r c h e n t à é t a b l i r d e s
a c c o r d s a v e c les f o u r n i s s e u r s , q u ' i l s ' a g i s s e d e s f o u r n i s s e u r s d e c o n t e n u o u d e
t e r m i n a u x . Or c e s activités s o n t s o u v e n t en situation d'oligopole, voire d e quasi-
m o n o p o l e . P a r e x e m p l e , si u n o p é r a t e u r s o u h a i t e c o n c l u r e u n p a r t e n a r i a t a v e c
u n e c o m p a g n i e d e t a x i s p a r i s i e n s , le c h o i x n ' e s t p a s t r è s large. Les c o n t r a t s n é g o -
c i é s a v e c les f o u r n i s s e u r s s ' a c c o m p a g n e n t s o u v e n t d ' u n e c e r t a i n e e x c l u s i v i t é .
Ainsi, SFR d é v e l o p p e a v e c A l c a t e l u n b r o w s e r ( l o g i c i e l d e n a v i g a t i o n ) s u r s e s
t e r m i n a u x , q u i s e r o n t s p é c i f i q u e m e n t d e s t i n é s à SFR. C e t o p é r a t e u r v a d o n c
b é n é f i c i e r d ' u n a v a n t a g e c o n c u r r e n t i e l s u s c e p t i b l e d e r e n d r e s o n offre plus
a t t r a c t i v e . C e p e n d a n t , la c o n c u r r e n c e e n t r e les o p é r a t e u r s e s t t e l l e q u e c e t t e
e x c l u s i v i t é n e s e r a q u e t e m p o r a i r e , les f o u r n i s s e u r s n ' a c c e p t a n t p a s d e s e lier
é t e r n e l l e m e n t a v e c le m ê m e o p é r a t e u r .
De m ê m e , le l i n é a i r e d e s d i s t r i b u t e u r s p e u t ê t r e c o n s i d é r é c o m m e u n actif r a r e
p u i s q u e les d é t a i l l a n t s ne p e u v e n t r é f é r e n c e r u n n o m b r e illimité d e p r o d u i t s
( S c h m a l e n s e e , 1978). P o u r les d i s t r i b u t e u r s , il e s t i n t é r e s s a n t d e p r o p o s e r u n
p r o d u i t p i o n n i e r s'il c o u v r e u n b e s o i n n o n s a t i s f a i t s u r le m a r c h é e t i n d u i t u n
p o t e n t i e l d e v e n t e s é l e v é , n o t a m m e n t d u fait d e s d é p e n s e s m a r k e t i n g e n g a g é e s
p o u r p r o m o u v o i r l ' i n n o v a t i o n . Les d i s t r i b u t e u r s s o n t é g a l e m e n t f a v o r a b l e s a u x
p r e m i e r s s u i v e u r s afin d ' ê t r e m o i n s d é p e n d a n t s à l ' é g a r d d u p i o n n i e r e t d e favo-
r i s e r u n e c o n c u r r e n c e p o r t a n t s u r les d é p e n s e s p r o m o t i o n n e l l e s p a r t i c u l i è r e -
m e n t a v a n t a g e u s e p o u r e u x . En r e v a n c h e , ils s o n t m o i n s f a v o r a b l e s a u x m a r q u e s
a p p a r u e s p a r la s u i t e ( l e s s u i v e u r s t a r d i f s ) , q u i n e p e r m e t t e n t p l u s d e d é v e l o p p e r
le m a r c h é e t f o n t n a î t r e u n e c o n c u r r e n c e p a r les p r i x ( A l p e r t , K a m i n s e t G r a h a m ,
1992).
Ainsi, d a n s le s e c t e u r d e s j u s d e f r u i t s r é f r i g é r é s , M i n u t e M a i d P r e m i u m d e
D a n o n e e s t a r r i v é q u a t r i è m e s u r le m a r c h é , a p r è s F r u v i t a , T r o p i c a n a e t A n d r o s 3 .
Les d i s t r i b u t e u r s n ' é t a i e n t a priori p a s t r è s f a v o r a b l e s à l ' i m p l a n t a t i o n d ' u n e
q u a t r i è m e m a r q u e à c a u s e d e la t a i l l e r é d u i t e d e s l i n é a i r e s r é f r i g é r é s . P o u r
s ' i m p o s e r e n d i s t r i b u t i o n , la m a r q u e a d û d é v e l o p p e r d e s a r g u m e n t a t i o n s t r è s
p r é c i s e s f o n d é e s s u r le fait q u ' e l l e allait d é v e l o p p e r les v e n t e s d u r a y o n , et n o n
p a s s i m p l e m e n t p r e n d r e d e s p a r t s d e m a r c h é a u x m a r q u e s e x i s t a n t e s . C es a r g u -
m e n t s o n t é t é s o u t e n u s p a r d e s d é p e n s e s é l e v é e s e n p u b l i c i t é e t p r o m o t i o n . La
c r o i s s a n c e d e la d i s t r i b u t i o n v a l e u r (DV) a c e p e n d a n t é t é p l u s l e n t e q u e p o u r
d ' a u t r e s p r o d u i t s s u r l e s q u e l s le g r o u p e D a n o n e é t a i t p i o n n i e r .
Enfin, d e f a ç o n p l u s g é n é r a l e , le p i o n n i e r p e u t b é n é f i c i e r d ' u n a v a n t a g e p o u r
le c h o i x d e p o s i t i o n n e m e n t s e t d e cibles privilégiés. T o u t c o m m e p o u r les e m p l a -
c e m e n t s p h y s i q u e s , les e m p l a c e m e n t s p e r c e p t u e l s p e u v e n t ê t r e c o n s i d é r é s
c o m m e d e s a c t i f s r a r e s . Le p o s i t i o n n e m e n t s u r u n e c a r a c t é r i s t i q u e d u p r o d u i t o u

3. Les exemples s u r le s e c t e u r des jus de fruits réfrigérés sont issus d'un entretien avec un
Area Marketing Manager chez Danone.
u n e m o t i v a t i o n d ' a c h a t p a r t i c u l i è r e m e n t f o r t e p o u r l e s c o n s o m m a t e u r s , le
c i b l a g e s u r u n s e g m e n t d e la p o p u l a t i o n p e u s e n s i b l e a u p r i x o u f a c i l e m e n t a c c e s -
s i b l e p o u r les c i r c u i t s d e d i s t r i b u t i o n d é j à e n p l a c e c o n s t i t u e n t d e s a t o u t s
m a j e u r s p o u r la c o m m e r c i a l i s a t i o n d ' u n p r o d u i t . P a r d é f i n i t i o n , le p i o n n i e r b é n é -
ficie d e l ' é v e n t a i l d e c h o i x le p l u s l a r g e l o r s q u ' i l d é f i n i t s a c i b l e e t s o n p o s i t i o n n e -
m e n t . Les s u i v e u r s d o i v e n t e n s u i t e s e d i f f é r e n c i e r p o u r s ' i m p o s e r s u r le m a r c h é .
Ils n ' o n t a l o r s p a s d ' a u t r e c h o i x q u e d ' a d o p t e r u n p o s i t i o n n e m e n t m o i n s favo-
r a b l e , d e c i b l e r u n e c l i e n t è l e m o i n s r e n t a b l e o u m o i n s i n t é r e s s é e p a r le p r o d u i t .
La m a r g e d e m a n œ u v r e d u p i o n n i e r d a n s s a p o l i t i q u e d e p r i x p e u t ê t r e c o n s i -
d é r é e c o m m e u n a v a n t a g e m a j e u r . En effet, d e u x s t r a t é g i e s d e p r i x lui s o n t
ouvertes :
- le p i o n n i e r p e u t o p t e r p o u r u n p r i x é l e v é q u i lui p e r m e t d e r é a l i s e r d e s m a r g e s
i m p o r t a n t e s p e n d a n t la p é r i o d e d u r a n t l a q u e l l e il s e t r o u v e e n m o n o p o l e s u r le
m a r c h é . Cette stratégie, s o u v e n t qualifiée d e prix-ombrelle, p r é s e n t e c e p e n d a n t
l ' i n c o n v é n i e n t d ' a t t i r e r les c o n c u r r e n t s s u r le m a r c h é ;
- à l ' o p p o s é , le p i o n n i e r p e u t c h o i s i r d e fixer u n p r i x b a s afin d e d i s s u a d e r l ' e n t r é e
d e s c o n c u r r e n t s . En effet, si c e u x - c i n e b é n é f i c i e n t p a s d ' u n a v a n t a g e e n t e r m e d e
c o û t , ils n e p o u r r o n t p a s s e p e r m e t t r e d e fixer d e s p r i x p l u s b a s e t d e v r o n t t r o u -
v e r u n a u t r e é l é m e n t d e d i f f é r e n c i a t i o n , c e q u i e s t s o u v e n t difficile à t r o u v e r l o r s
du démarrage d'un nouveau marché.
La p r e m i è r e f i r m e a r r i v é e d i s p o s e d o n c d ' u n a v a n t a g e s t r a t é g i q u e , e n a y a n t
le c h o i x d e la s t r a t é g i e d e p o s i t i o n n e m e n t , t a n d i s q u e les s u i v e u r s d e v r o n t
s'adapter.

Les a v a n t a g e s liés a u c o m p o r t e m e n t d u c o n s o m m a t e u r

Les a v a n t a g e s é v o q u é s j u s q u ' i c i s o n t liés à la c a p a c i t é d e s e n t r e p r i s e s p i o n -


n i è r e s d e d é v e l o p p e r u n a v a n t a g e c o n c u r r e n t i e l g r â c e à la m o b i l i s a t i o n d e l e u r s
r e s s o u r c e s s t r a t é g i q u e s . Ils r é s u l t e n t d e f a c t e u r s é c o n o m i q u e s f o n d é s s u r le
d é v e l o p p e m e n t d e c o m p é t e n c e s , le c h o i x d e p a r t e n a i r e s , f o u r n i s s e u r s o u distri-
b u t e u r s , ainsi q u e d e s c o n t r a t s c o n c l u s . O r il a p p a r a î t q u e les a v a n t a g e s d u pion-
n i e r r é s u l t e n t é g a l e m e n t d ' a u t r e s t y p e s d e f a c t e u r s liés a u x p e r c e p t i o n s , a u x atti-
t u d e s et a u x p r é f é r e n c e s d e s c o n s o m m a t e u r s .

La structuration des préférences

Le p i o n n i e r a e n effet u n e i n f l u e n c e s u r la s t r u c t u r a t i o n d e s p r é f é r e n c e s indi-
v i d u e l l e s . D a n s la m e s u r e o ù il p r o p o s e u n p r o d u i t r a d i c a l e m e n t n o u v e a u , les
critères d e choix et d ' a c h a t d e s c o n s o m m a t e u r s ne s o n t p a s e n c o r e définis.
L ' i m p o r t a n c e a c c o r d é e a u x d i f f é r e n t s a t t r i b u t s d u p r o d u i t n ' e s t p a s fixée. C ' e s t
j u s t e m e n t l'apparition d u p r e m i e r p r o d u i t qui p e r m e t a u x p r é f é r e n c e s d e se
s t r u c t u r e r ( C a r p e n t e r e t N a k a m o t o , 1989). Dès lors, les p r o d u i t s s u i v e u r s s e r o n t
j u g é s p a r c o m p a r a i s o n a v e c c e p r e m i e r p r o d u i t d e v e n u la r é f é r e n c e d u m a r c h é .
Ce p h é n o m è n e p r o c u r e u n a v a n t a g e a u p i o n n i e r . Les s u i v e u r s p e u v e n t s o i t
c o m m e r c i a l i s e r d e s p r o d u i t s « me-too » d o n t le s e u l a r g u m e n t d e v e n t e e s t d ' ê t r e
m o i n s c h e r s q u e l'" o r i g i n a l », s o i t p r o p o s e r d e s p r o d u i t s d i f f é r e n c i é s q u i s o n t
m o i n s a i m é s p a r les c o n s o m m a t e u r s p a r c e q u ' é l o i g n é s d e l e u r « i d é a l » d o n t les
c a r a c t é r i s t i q u e s o n t é t é d é t e r m i n é e s p a r le p r o d u i t p i o n n i e r ( A l p e r t et K a m i n s ,
1995). S e u l e la s e g m e n t a t i o n d u m a r c h é p e r m e t a u x s u i v e u r s d e s o r t i r d e c e t t e
impasse.
La n a t u r e d e l ' i n n o v a t i o n a p p o r t é e p a r le p i o n n i e r d é t e r m i n e l ' é t e n d u e d e c e
p h é n o m è n e . P l u s le p r o d u i t e s t i n n o v a n t , m o i n s les p r é f é r e n c e s d e s c o n s o m m a -
t e u r s s o n t d é t e r m i n é e s a p r i o r i et p l u s les a v a n t a g e s p e r c e p t u e l s s o n t é l e v é s . Les
a v a n t a g e s d u p i o n n i e r s e m b l e n t ainsi p l u s i m p o r t a n t s p o u r les n o u v e l l e s c a t é g o -
r i e s d e p r o d u i t s q u e p o u r les i n n o v a t i o n s l i é e s à la f o r m e d u p r o d u i t ( K e r i n ,
K a l y a n a r a m e t H o w a r d , 1996).

Mémorisation et attitude à l'égard de la m a r q u e

A u - d e l à d e la s t r u c t u r a t i o n d e s p r é f é r e n c e s , le p i o n n i e r p e u t ê t r e a v a n t a g é p a r
u n s i m p l e effet d ' o r d r e d e p r é s e n t a t i o n d e l ' i n f o r m a t i o n . D a n s la m e s u r e o ù les
i n f o r m a t i o n s c o n c e r n a n t le p i o n n i e r s o n t n o u v e l l e s , e l l e s a t t i r e n t d a v a n t a g e
l ' a t t e n t i o n ( K a r d e s e t K a l y a n a r a m , 1992). Le s i m p l e fait d ' ê t r e p i o n n i e r p r é s e n t e
u n a v a n t a g e e n t e r m e d e m é m o r i s a t i o n . La n o t o r i é t é d e s m a r q u e s p i o n n i è r e s
r e s t e en général plus élevée q u e celle d e s a u t r e s m a r q u e s , et bien s o u v e n t m ê m e
s u p é r i e u r e à c e l l e d e s m a r q u e s l e a d e r s ( A l p e r t e t K a m i n s , 1995). L ' e x e m p l e d e s
m a r q u e s p i o n n i è r e s d e v e n u e s d e s n o m s c o m m u n s le p r o u v e , c o m m e e n t é m o i -
g n e n t S c o t c h , S c o t c h Brite, Post-It, C a d d i e o u K a r c h e r . C e p e n d a n t , c e t a v a n t a g e
e n t e r m e d e m é m o r i s a t i o n p e u t p a r f o i s ê t r e c o n t r e b a l a n c é p a r le fait q u e l e s
c o n s o m m a t e u r s n e p e r ç o i v e n t p l u s la d i f f é r e n c e e n t r e c e t t e m a r q u e e t
l ' e n s e m b l e d e la c a t é g o r i e d e p r o d u i t s . T o u s les r u b a n s a d h é s i f s é t a n t d é s i g n é s
p a r le t e r m e S c o t c h , les c o n s o m m a t e u r s n e p e r ç o i v e n t p l u s f o r c é m e n t la spécifi-
c i t é d e la m a r q u e .
C e t a v a n t a g e s u r la m é m o r i s a t i o n a f f e c t e l ' a t t i t u d e à l ' é g a r d d e s m a r q u e s ,
d ' a u t a n t plus forte et a n c r é e qu'elle s ' a p p u i e s u r d e n o m b r e u x é l é m e n t s d'infor-
m a t i o n . Les m a r q u e s p i o n n i è r e s g é n è r e n t a i n s i u n e a t t i t u d e p l u s f a v o r a b l e e t s o n t
p r é f é r é e s a u x s u i v e u s e s p o u r d e n o m b r e u x a t t r i b u t s . Il e s t d o n c i n t é r e s s a n t d e
r a p p e l e r f r é q u e m m e n t a u x c o n s o m m a t e u r s q u e l ' o n a é t é p i o n n i e r afin d e favori-
s e r u n e p r é f é r e n c e ( A l p e r t e t K a m i n s , 1995).
C e t a v a n t a g e e s t r e n f o r c é p a r le fait q u e le p r o c e s s u s d ' a c h a t s e d é r o u l e
s o u v e n t e n p l u s i e u r s é t a p e s , le c o n s o m m a t e u r c o m m e n ç a n t p a r e n v i s a g e r
l'acquisition de plusieurs m a r q u e s ( c o r r e s p o n d a n t à son « ensemble de considé-
r a t i o n ») a v a n t d e les c o m p a r e r e t d ' e f f e c t u e r u n c h o i x . Du fait d ' u n e m e i l l e u r e
m é m o r i s a t i o n , la m a r q u e p i o n n i è r e a u n e p l u s f o r t e p r o b a b i l i t é d ' ê t r e p r é s e n t e
dans l'ensemble des m a r q u e s mémorisées, mais également dans l'ensemble de
c o n s i d é r a t i o n ( K a r d e s e t alii, 1992). Elle a d o n c p l u s d e c h a n c e s d ' ê t r e effective-
ment retenue.

Les coûts de changement de m a r q u e


Le p i o n n i e r p e u t e n o u t r e p r o f i t e r d e s c o û t s d e c h a n g e m e n t d e m a r q u e (swit-
c h i n g c o s t s ) d a n s la m e s u r e o ù c e u x q u i a d o p t e n t l ' i n n o v a t i o n o n t e s s a y é le
p r o d u i t p i o n n i e r e t o ù le p a s s a g e à u n e m a r q u e s u i v e u s e p e u t e n t r a î n e r d i f f é r e n t s
t y p e s d e c o û t s s e l o n les c a r a c t é r i s t i q u e s d u p r o d u i t :
- d e s c o û t s p s y c h o l o g i q u e s t e n a n t à la n é c e s s i t é d ' u n e n o u v e l l e p r i s e d e r i s q u e
liée à l ' a c h a t d ' u n e m a r q u e n o n u t i l i s é e j u s q u e - l à ;
- d e s c o û t s d e t r a n s a c t i o n , si p a r e x e m p l e u n e n o u v e l l e c o l l e c t e d ' i n f o r m a t i o n s
e s t n é c e s s a i r e o u s'il f a u t e n g a g e r d e s d é m a r c h e s p o u r c h a n g e r d e p r o d u i t o u d e
fournisseur ;
- l ' a p p r e n t i s s a g e d u m o d e d e f o n c t i o n n e m e n t e t d ' u t i l i s a t i o n d u p r o d u i t si celui-
ci e s t d i f f é r e n t d u p i o n n i e r ;
- d e s c o û t s f i n a n c i e r s , enfin, l o r s q u e l ' a d o p t i o n d u p r e m i e r p r o d u i t e m p l o y é a
n é c e s s i t é u n e n g a g e m e n t c o n t r a c t u e l d e l o n g t e r m e q u ' i l faut r é s i l i e r ( s o u s c r i p -
t i o n à u n a b o n n e m e n t p a r e x e m p l e ) . C ' e s t n o t a m m e n t le c a s d a n s le s e c t e u r d e la
t é l é p h o n i e m o b i l e o u d e la t é l é v i s i o n p a r c â b l e .
L e s s u i v e u r s d o i v e n t c o n t r e b a l a n c e r c e s c o û t s e n p r o p o s a n t d e s o f f r e s réelle-
m e n t p l u s a t t r a c t i v e s o u m o i n s c o û t e u s e s afin d ' a t t i r e r d e s c l i e n t s d é j à f i d é l i s é s
p a r le p i o n n i e r . P l u s la b a s e i n s t a l l é e d u p i o n n i e r e s t l a r g e , p l u s c e s a v a n t a g e s
s o n t i m p o r t a n t s . C e p e n d a n t , c e t t e taille d o i t ê t r e c o n s i d é r é e d e f a ç o n r e l a t i v e , e n
t e n a n t c o m p t e d e la c r o i s s a n c e f u t u r e d u m a r c h é ( K l e m p e r e r , 1987). Si la c r o i s -
s a n c e a n t i c i p é e d u m a r c h é e s t f o r t e , le s u i v e u r p o u r r a o r g a n i s e r s a c r o i s s a n c e
a u t o u r d e la c o n q u ê t e d e s n o u v e a u x c o n s o m m a t e u r s d e la c a t é g o r i e d e p r o d u i t ,
s a n s a v o i r à c o m p e n s e r les c o û t s d e c h a n g e m e n t d e m a r q u e .

Les externalités d e réseau

Lorsqu'il existe des r e n d e m e n t s croissants d'échelle, une base installée de


d é p a r t c o n s t i t u e u n a v a n t a g e d é c i s i f d a n s le j e u c o n c u r r e n t i e l u l t é r i e u r . O n p e u t
a i n s i a s s i s t e r à d e s e f f e t s d e f e r m e t u r e d u m a r c h é (lock-in). D a n s u n c e r t a i n
n o m b r e d e s e c t e u r s , le c h o i x d e s c o n s o m m a t e u r s e s t c a r a c t é r i s é p a r la p r é s e n c e
d ' e x t e r n a l i t é s d e r é s e a u , d i r e c t e s o u i n d i r e c t e s : c e l a s i g n i f i e q u e la v a l e u r d u
p r o d u i t a u x y e u x d e s c o n s o m m a t e u r s e s t d ' a u t a n t p l u s i m p o r t a n t e q u e le
n o m b r e d e p e r s o n n e s p o s s é d a n t le m ê m e p r o d u i t e s t grancl. C e l a p e u t s ' e x p l i -
quer de deux manières :
- s o i t p a r u n effet d i r e c t l o r s q u ' i l s ' a g i t d ' u n p r o d u i t d e t é l é c o m m u n i c a t i o n s : la
v a l e u r d u c o u r r i e r é l e c t r o n i q u e a u g m e n t e a u fur et à m e s u r e q u e le n o m b r e d e
d é t e n t e u r s d ' a d r e s s e s e-mail s ' a c c r o î t ;
- s o i t p a r u n e f f e t i n d i r e c t l o r s q u e le p r o d u i t f o n c t i o n n e a v e c d e s p r o d u i t s
c o m p l é m e n t a i r e s . C e u x - c i s e r o n t a l o r s d ' a u t a n t p l u s n o m b r e u x et m o i n s c h e r s
q u e le p r o d u i t p r i n c i p a l s e r a l a r g e m e n t diffusé. Ceci c o n f è r e e n r e t o u r u n e v a l e u r
p l u s g r a n d e a u p r o d u i t p r i n c i p a l . Ce p h é n o m è n e e x i s t e , p a r e x e m p l e , e n m a t i è r e
d e logiciels o u d a n s l ' é l e c t r o n i q u e g r a n d p u b l i c ( m a g n é t o s c o p e s , CD, DVD).
En p r é s e n c e d ' e x t e r n a l i t é s d e r é s e a u i n d i r e c t e s , la p r e m i è r e e n t r e p r i s e à
d é v e l o p p e r un s t a n d a r d de f o n c t i o n n e m e n t p o u r l'innovation bénéficie d'un
a v a n t a g e s u r s e s c o n c u r r e n t s p u i s q u e les c o n s o m m a t e u r s p o s s è d e n t d é j à d e s
p r o d u i t s c o m p l é m e n t a i r e s a u s i e n et o n t t e n d a n c e à r a c h e t e r les p r o d u i t s d e la
m ê m e m a r q u e p o u r c o n t i n u e r d ' u t i l i s e r c e s p r o d u i t s . Les s u i v e u r s p e u v e n t a l o r s
s o i t a d o p t e r c e m ê m e s t a n d a r d d e f o n c t i o n n e m e n t - si le p i o n n i e r le l e u r p e r m e t
- afin d ' a v o i r a c c è s à c e t t e b a s e i n s t a l l é e , s o i t c r é e r l e u r p r o p r e s t a n d a r d e n
e s s a y a n t d ' i n c i t e r les c o n s o m m a t e u r s à s u p p o r t e r les c o û t s d e c h a n g e m e n t d e
m a r q u e qui s'ensuivent4.
T o u s les p h é n o m è n e s é v o q u é s j u s q u ' à p r é s e n t s e c o m b i n e n t p o u r c o n f é r e r
a u p i o n n i e r la p o s s i b i l i t é d e b é n é f i c i e r d ' u n a v a n t a g e d u r a b l e s u r le m a r c h é .
P o u r t a n t , ils n ' a p p a r a i s s e n t p a s t o u j o u r s , s o i t p a r c e q u e les c h o i x s t r a t é g i q u e s d u
pionnier n'ont pas p e r m i s de p r o v o q u e r leur d é v e l o p p e m e n t , soit p a r c e q u e
d ' a u t r e s f a c t e u r s liés a u x c a r a c t é r i s t i q u e s d u m a r c h é o u à la s t r a t é g i e d e s
s u i v e u r s o n t l i m i t é l e u r i m p a c t . De m ê m e , les f a c t e u r s d ' o r d r e p s y c h o l o g i q u e
v a r i e n t s e l o n les c a t é g o r i e s d e p r o d u i t s , les t y p e s d ' a c h a t e t l e s s e g m e n t s d e

4. Ce type de choix entre s t a n d a r d s ouvert et fermé pour un nouveau produit est analysé
dans le chapitre 12 : « Le rôle des s t a n d a r d s et des normes dans l'adoption des nouveaux
produits » d'Emmanuelle Le Nagard-Assayag.
m a r c h é . Ainsi, il e x i s t e d e n o m b r e u x e x e m p l e s d e s u i v e u r s a y a n t r e m p o r t é u n
g r a n d s u c c è s e t a y a n t s u r p a s s é le p i o n n i e r . L e s s u i v e u r s b é n é f i c i e n t e u x a u s s i
d ' a t o u t s s u r l e s q u e l s ils p e u v e n t s ' a p p u y e r p o u r g a g n e r u n e p o s i t i o n c o n c u r r e n -
t i e l l e a v a n t a g e u s e . De f a ç o n g é n é r a l e , l e u r a p p r o c h e d u m a r c h é s e m b l e p l u s
f a c i l e p a r c e q u e le l a n c e m e n t d e l e u r p r o d u i t - p a r d é f i n i t i o n m o i n s n o v a t e u r
p u i s q u e s u i v e u r - se h e u r t e m o i n s a u x difficultés et r i s q u e s i n h é r e n t s à t o u t e
stratégie d'innovation radicale. Adopter une nouvelle catégorie de produits
c o m p o r t e e n effet t o u j o u r s u n c e r t a i n r i s q u e . Celui-ci d i m i n u e a u fur e t à m e s u r e
q u e le n o m b r e d ' a d o p t e u r s d e l ' i n n o v a t i o n s ' a c c r o î t e t q u e d e s p h é n o m è n e s d e
b o u c h e - à - o r e i l l e r a s s u r e n t les c o n s o m m a t e u r s q u i n e l ' o n t p a s e n c o r e a d o p t é e .

4. Les avantages du suiveur


Les l e ç o n s d e l ' e x p é r i e n c e

Arriver plus tard sur un m a r c h é permet de bénéficier de l'expérience acquise


par le pionnier. Les suiveurs p e u v e n t plus facilement c o n n a î t r e la taille et le
c o n t o u r du m a r c h é , les c a r a c t é r i s t i q u e s de la cible et ses critères de choix.
Lorsqu'une firme p r é p a r e un nouveau produit sans équivalent sur le m a r c h é - un
produit pionnier -, elle est souvent confrontée à une grande incertitude sur son
m a r c h é et sur les attentes des clients potentiels. Elle contribue en fait à créer un
nouveau marché, ce qui implique un grand n o m b r e de spécificités et de difficul-
tés dans la manière d ' a p p r é h e n d e r les consommateurss.
La m a u v a i s e c o n n a i s s a n c e du m a r c h é d ' u n e innovation radicale peut
conduire le pionnier à faire des choix erronés, p r o v o q u a n t par exemple des surin-
vestissements et une s u r p r o d u c t i o n importante à l'origine de problèmes finan-
ciers. À l'inverse, une sous-estimation des v e n t e s potentielles du produit peut
c a u s e r des r u p t u r e s de stock et un m a n q u e à gagner. Ainsi, Dior a sous-estimé le
m a r c h é potentiel de son innovation Mascara Flash à son lancement et s'est ainsi
trouvé en rupture de stock, ce qui a bénéficié aux concurrents qui ont su réagir
très vite au succès de ce nouveau produit.
Ce cas de figure est très fréquent pour le pionnier puisqu'il est extrêmement
délicat d'évaluer le marché potentiel d'une innovation. Dans le secteur informa-
tique par exemple, le président d'IBM déclarait en 1943 qu'il y avait peut-être un
marché pour cinq ordinateurs dans le monde et le président de Digital Equipment
indiquait trente ans plus tard qu'il n'y avait aucune raison pour que chacun
souhaite avoir un ordinateur chez soi. Plus récemment, Bandaï s'est trouvé très
rapidement en rupture de stock pour son produit Tamagoshi sur le marché français,
tandis que Bic a mis des mois à écouler les invendus pour son nouveau parfum.
Le suiveur dispose d'informations b e a u c o u p plus fiables lorsqu'il prépare son
produit puisqu'il connaît les ventes du pionnier. Il peut également s'appuyer sur
des études de m a r c h é et analyser les facteurs de satisfaction et d'insatisfaction à
l'égard d u p r o d u i t pionnier. Ces informations l'aident à mieux s ' a d a p t e r aux

5. Le c h a p i t r e 11 « La c r é a t i o n de n o u v e a u x m a r c h é s par les innovations de r u p t u r e »


d'Anne-Marie Guérin et Dwight Merunka analyse en détail ces spécificités. Le p r o c e s s u s
d'adoption des innovations, évoqué dans le p a r a g r a p h e précédent, fait quant à lui l'objet
d ' u n e é t u d e approfondie dans le chapitre 10 : « Degré de novation et utilisateur leader :
pour une meilleure c o m p r é h e n s i o n de l'adoption des nouveaux produits » d'Amina Béji-
Bécheur et Bernard Pras.
goûts des consommateurs. Lors du lancement de Minute Maid Premium de
Danone en France, par exemple, la firme a pu utiliser les données de panels dispo-
nibles sur ses concurrents. Ces informations l'ont conduite à lancer une gamme
plus étroite et mieux positionnée que celle de ses concurrents, qui ont ensuite
réajusté leur propre stratégie-marketing pour adopter une politique similaire.

La limitation d e s risques et d e s coûts


Les risques mêmes d'échec commercial sont limités pour le suiveur puisqu'il
n'envisage d'imiter que les produits innovants ayant connu un succès sur le
marché. Lorsqu'on prend en compte la grande fréquence des échecs et des
faillites chez les pionniers, cet avantage paraît déterminant.
Le suiveur peut également bénéficier d'une limitation de ses coûts. On a vu
que le dépôt de brevet ou le fait de posséder un secret de fabrication ne suffisent
pas toujours à protéger le pionnier de l'imitation. Or, les coûts d'imitation sont
souvent inférieurs aux coûts d'innovation, et ce pour plusieurs raisons :
- il est moins cher d'imiter une technologie que de la créer, à cause des tentatives
infructueuses que cela implique ;
- le pionnier doit bien souvent « éduquer » le marché en lui expliquant en quoi
consiste la catégorie de produits avant de communiquer sur sa propre marque.
Cet effort entraîne souvent des coûts de communication extrêmement élevés.
La résistance des individus à l'innovation s'explique par deux facteurs
psychologiques : les habitudes liées aux produits existants et les risques associés
à l'innovation (Sheth, 1981). Le pionnier doit lever ces deux freins par sa commu-
nication. L'éducation du marché coûte très cher et prend parfois beaucoup de
temps. Les pionniers qui anticipent mal l'arrivée de suiveurs ont d'ailleurs
souvent tendance à surinvestir en communication publicitaire, ce qui bénéficie
ensuite à leurs concurrents (Fershtman, Mahajan et Muller, 1990).
Le rôle du suiveur est beaucoup plus aisé. Une fois le premier produit lancé,
les clients connaissent son existence et son utilité. Le suiveur s'adresse donc à un
marché existant et doit simplement communiquer sur sa marque et les spécifici-
tés de son produit. Dans le cas des jus de fruits réfrigérés, le pionnier Tropicana
a dû communiquer sur la différence de qualité entre les jus « ambiants » (conser-
vés à température ambiante) et les jus réfrigérés, conservés au rayon frais et
accompagnés d'une date de péremption beaucoup plus proche. Ces efforts de
communication ont ensuite profité à l'ensemble des concurrents.
Il peut même arriver que le marché ne commence à décoller qu'au moment de
l'arrivée des suiveurs. Le pionnier se trouve alors dans l'incapacité de profiter de
plusieurs avantages évoqués précédemment, tels les économies d'échelle ou les
facteurs psychologiques, puisque très peu de consommateurs l'ont acheté avant
l'arrivée des concurrents. Ainsi, le marché du téléphone mobile a réellement
progressé en France au moment où Bouygues y est entré. SFR et France Télécom
Mobiles avaient en effet éduqué le marché, notamment par des dépenses impor-
tantes de communication. De même, l'exemple du suiveur Minute Maid Premium
en France montre que la pénétration du marché a connu une progression impor-
tante (9 %) depuis l'arrivée de cette quatrième marque dans la catégorie de
produits.
Enfin, il convient de souligner que le suiveur, en bénéficiant de coûts et de
risques limités, peut parfois investir beaucoup plus massivement en communica-
tion que le pionnier. Ainsi, si Danone n'est pas l'inventeur du yaourt au Bifidus, il
est perçu comme tel par les consommateurs du fait des budgets de communica-
tion mis en jeu pour le lancement de Bio. On a alors une différence entre le pion-
nier réel et le pionnier perçu par le marché.
L'imitation e n a m é l i o r a n t

Lancer un produit suiveur permet parfois de lancer un produit meilleur que le


pionnier grâce à une connaissance plus approfondie du marché ou à l'utilisation
d'une technologie plus récente. Le pionnier dispose parfois d'une marge de
manœuvre étroite dans la mesure où il a pu investir massivement dans une tech-
nologie devenue obsolète et où ses actifs ne sont pas nécessairement mobiles.
De manière générale, les suiveurs peuvent bénéficier de l'inertie et du manque
de réactivité des pionniers résultant de plusieurs phénomènes :
- la volonté de rentabiliser sa technologie et son produit qui peut conduire à un
moindre degré d'innovation par la suite. Le pionnier qui réussit à devenir leader
sur le marché qu'il a initié hésite à lancer une nouvelle génération de produits.
Ainsi, Nintendo, pionnier et très largement leader pour les jeux vidéo 8 bits, n'a
pas encouragé le passage à la génération technologique suivante (le 16 bits).
C'est le challenger Sega qui en a pris l'initiative ;
- la présence d'actifs non mobiles : des entreprises ayant investi massivement
dans des outils de production ou dans un réseau ne peuvent pas toujours les
reconvertir dans une autre technologie, plus récente, et sont donc contraintes
d'exploiter l'ancienne technologie ;
- des rigidités organisationnelles : un produit historique ayant fait le succès d'une
entreprise est difficile à remplacer dans la gamme par un autre produit plus
moderne, pour des raisons d'image mais aussi pour des motifs culturels internes.
C'est ainsi que l'on peut interpréter le retard au démarrage de France Télécom,
opérateur historique du Minitel, dans le domaine d'Internet.
Le suiveur, bénéficiant d'une meilleure connaissance du marché, peut égale-
ment communiquer plus efficacement sur le produit en tirant parti des erreurs
éventuelles du pionnier. On a vu que le pionnier devient souvent une référence
pour les consommateurs. Les produits suiveurs lui sont donc comparés. Cette
position est inconfortable et désavantageuse si le pionnier fait des choix qui se
révèlent pertinents compte tenu de l'évolution du marché. Mais ce n'est pas
toujours le cas. Le suiveur peut alors se différencier efficacement. On peut distin-
guer trois types de caractéristiques d'un produit suiveur : les caractéristiques
communes avec le pionnier, les différences alignables, c'est-à-dire portant sur
des dimensions ou attributs communs avec le pionnier, et les différences non
alignables, c'est-à-dire portant sur des dimensions distinctes et donc non direc-
tement comparables (Zhang et Markman, 1998). Les différences alignables sont
mieux mémorisées que les différences non alignables ; il est donc préférable,
lorsque l'on est suiveur, de mettre en avant ses avantages sur des différences
alignables, en démontrant sa supériorité. Cette stratégie permet au suiveur de
surpasser le pionnier dans l'évaluation des consommateurs.

Conclusion
Il n'existe évidemment pas de réponse unilatérale et définitive à la question :
faut-il imiter ou innover ? Pourtant, les entreprises doivent établir des priorités
dans leurs allocations de ressources entre la recherche de la rapidité afin d'être
présentes en premier sur le marché, et une veille active fondée sur l'observation
des clients et des concurrents en vue de commercialiser des produits suiveurs.
Après avoir analysé les facteurs susceptibles de rendre l'une ou l'autre option
efficace sur le long terme, on peut analyser les dimensions de ce choix straté-
gique pour l'entreprise.
Les aspects environnementaux forment le cadre de telles décisions et consti-
tuent le premier facteur à prendre en compte. Certains environnements permet-
tent en effet une meilleure protection de l'innovation que d'autres. Si le pionnier
parvient à y établir un avantage, celui-ci sera donc plus durable. Parmi les carac-
téristiques des secteurs affectant la protection de l'avantage du pionnier, on peut
notamment citer :
- l'existence de barrières à l'entrée, de nature technologique ou capitalistique,
permettant au pionnier de maintenir un avantage ;
- la présence d'une courbe d'expérience dont l'ampleur permet au pionnier de se
différencier rapidement par des coûts de production réduits ;
- la possibilité éventuelle de déposer des brevets : dans le secteur des services, par
exemple, l'impossibilité de déposer des brevets rend l'imitation plus facile ;
- la rapidité d'innovation technologique dans la catégorie de produits, susceptible
de faire disparaître les avantages de coût et de maîtrise technologique inhérents
à la position de pionnier (Kerin, Varadarajan et Peterson, 1992) ;
- l'existence de coûts de transferts entre marques : plus ceux-ci sont élevés, plus
l'avantage du pionnier pourra perdurer ;
- la fréquence des achats du produit par les consommateurs : des achats fréquents
multiplient les occasions de contact entre le client et son fournisseur et favori-
sent l'établissement d'une relation de qualité difficile à supplanter ensuite pour le
suiveur ; c'est pourquoi l'avantage du pionnier paraît plus fort pour les produits
achetés fréquemment (Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995) ;
- la croissance prévue du marché : elle doit également être prise en compte même
si son influence est ambiguë ; en effet, une croissance élevée permet au pionnier
d'établir rapidement une base installée importante et de bénéficier d'effets posi-
tifs, notamment si les coûts de transfert sont élevés. Cependant, si cette crois-
sance élevée se poursuit après l'entrée des concurrents, elle peut favoriser les
nouveaux entrants. C'est un des facteurs expliquant le succès de la Playstation de
Sony entré tardivement dans le secteur des jeux vidéo. Malgré les positions
acquises par Nintendo et Sega et l'existence de coûts de transfert élevés du fait de
l'incompatibilité entre consoles, l'arrivée massive de nouveaux clients pour la
catégorie de produit a permis à un troisième acteur de se positionner fortement
sur ce marché.
Outre ces éléments de contexte général, les facteurs de succès requis pour
être un pionnier efficace ou un suiveur performant sont différents. La course à
l'innovation qui apparaît dans certains secteurs correspondrait donc à des choix
stratégiques inadéquats parce qu'identiques pour toutes les entreprises quelles
que soient leurs spécificités.
Il faut en effet des compétences distinctes pour imiter ou innover. Imiter effi-
cacement exige de pratiquer une veille technologique et concurrentielle perfor-
mante et implique une grande réactivité. Il faut aussi bénéficier d'un marketing
très efficace, en jouant les synergies entre anciens produits et produit suiveur.
Ces synergies peuvent consister en l'adoption de marques antérieures, des
réseaux de distribution habituels ou en jouant l'effet de halo en termes d'image.
Disposer de moyens importants et les investir en marketing constitue aussi un
facteur-clé de succès pour le suiveur.
À l'inverse, être un pionnier performant exige de savoir anticiper les change-
ments de l'environnement et du marché et aussi de financer une R&D importante.
L'avantage du pionnier est plus élevé pour les firmes qui consacrent de fortes
dépenses à la R & D, qui sont intégrées verticalement, qui jouent les synergies
fonctionnelles entre les anciens produits et le nouveau et qui s'adressent aux
mêmes clients dans les deux cas (Szymanski, Troy et Bharadwaj, 1995).
Les entreprises doivent donc analyser leurs spécificités avant de choisir la
position à adopter pour accroître leurs chances de succès sur le marché. Ainsi,
dans l'électronique grand public, certaines firmes ont eu traditionnellement
vocation à être innovantes. C'est par exemple le cas de Philips, à l'origine d'inno-
vations comme la cassette audio, le compact disc interactif (CDI), la digital
compact cassette (DCC) et le CD audio, et de Sony avec le Walkman, la DAT ou le
mini-disc. Un groupe comme Matsushita a plutôt adopté une attitude de suiveur
avec des succès importants. La victoire de son standard VHS de magnétoscopes
sur les deux standards V2000 et Betamax respectivement promus par Philips et
Sony en est une illustration : c'est le produit le moins innovant, arrivé ultérieure-
ment sur le marché, qui s'est imposé.
Pourtant, l'idée que le pionnier bénéficie d'un avantage reste largement
répandue. Elle conduit de nombreuses entreprises à vouloir raccourcir les temps
de lancement des nouveaux produits afin d'être les premières sur le marché.
Cette idée, on l'a vu, peut être largement fondée, mais sa pertinence dépend du
secteur et des caractéristiques de la firme. Elle ne saurait faire oublier que la
conception d'un nouveau produit prend du temps et que le raccourcissement du
cycle de conception peut accroître les risques d'échec si le produit est mal conçu
ou le lancement mal préparé6. Une rapidité excessive peut conduire à des malfa-
çons de produits, coûteuses financièrement et en termes d'image pour l'entre-
prise. Le cas du Newton d'Apple est à cet égard particulièrement significatif :
arrivé largement premier sur le marché, cet agenda électronique associé à un
système de reconnaissance d'écriture a connu un échec commercial (Bayus,
1995). Certains problèmes techniques dans le système de reconnaissance de
l'écriture ainsi que le caractère très révolutionnaire du produit peuvent expliquer
cet échec. Aujourd'hui, plusieurs constructeurs proposent des agendas électro-
niques (Personal Digital Assistant) et cette catégorie de produit connaît désor-
mais une croissance importante sur le marché. Si l'innovation est indispensable
pour relancer les marchés, être pionnier comporte donc des avantages et un
rendement potentiels élevés, mais également des risques plus grands qu'une
stratégie d'imitation.

6. Le chapitre 2 de Morris Cohen, J e h o s h u a Eliashberg et Teck Ho étudie justement l'arbi-


trage entre rapidité de d é v e l o p p e m e n t et performance des produits.
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Chapitre,

Ledéveloppement des nouveaux produits :


l'arbitrage entre rapidité de développement
et performances du produit
Morris COHEN,Jehoshua ELIASHBERGet Teck H0

Introduction
Le délai de développement des nouveaux produits est au cœur de la bataille que
se livrent de nombreuses entreprises centrées sur la technologie. Stalk (1988) a
créé l'expression, devenue classique, de chrono-concurrence (time-based compe-
tition) pour rendre compte de l'importance croissante de la rapidité d'élabora-
tion et de mise sur le marché des nouveaux produits dans un environnement très
concurrentiel. On estime que chaque jour de retard pris dans le lancement d'un
nouveau modèle de voiture vendu 10 000 dollars entraîne pour l'entreprise une
baisse de profit de l'ordre d'un million de dollars (Clark, 1989). Plus récemment,
une étude du cabinet McKinsey indique que les entreprises perdent en moyenne
33 % de leur bénéfice net lorsqu'elles introduisent un nouveau produit sur le
marché avec six mois de retard, contre une baisse de seulement 3,5 % en cas de
dépassement de moitié du budget alloué au développement du produit. En
conséquence, certains spécialistes mettent en avant une approche incrémentale
de l'innovation dans l'objectif de réduire les délais de développement, avec l'idée
qu'une telle approche nécessite un moindre déploiement des ressources de
l'entreprise, en termes d'effort et d'apprentissage, et par conséquent limite le
temps consacré au produit avant son introduction sur le marché (Smith et
Reinertsen, 1991). Ce type d'analyse a conduit de grandes entreprises comme
Hewlett Packard et General Electric à faire du délai de développement la princi-
pale composante de leur stratégie d'innovation produit.
Un autre courant d'analyse met en avant le niveau des performances.
Plusieurs études empiriques ont en effet montré que le succès d'un nouveau

1. Ce c h a p i t r e est a d a p t é d'un article publié d a n s la revue M a n a g e m e n t Science.


Reproduction autorisée, Morris Cohen, J e h o s h u a Eliashberg et Teck Ho, "New P r o d u c t
Development: The P e r f o r m a n c e and Time-to-Market Tradeoff ", M a n a g e m e n t Science,
volume 42, n 2, fevrier 1996. Copyright 1996, the Institute for Operations Research and the
Management Sciences (INFORMS), 901 Elkridge Landing Road, Suite 400, Linthieum,
Maryland 21090-2909, USA.
produit d é p e n d largement de ses p e r f o r m a n c e s et de sa valeur aux yeux des
c o n s o m m a t e u r s . Z i r g e r e t M a i d i q u e (1990) o n t , p a r e x e m p l e , é t u d i é 330
n o u v e a u x p r o d u i t s d a n s le s e c t e u r é l e c t r o n i q u e e t m i s e n é v i d e n c e l ' i n f l u e n c e
significative d e ces d e u x f a c t e u r s s u r leur rentabilité. C o o p e r et K l e i n s c h m i d t
( 1 9 8 7 ) o n t p o u r l e u r p a r t d é m o n t r é q u e la s u p é r i o r i t é f o n c t i o n n e l l e d e s
n o u v e a u x produits, leur d e g r é d'innovativité et leur niveau de p e r f o r m a n c e s
c o n s t i t u e n t d e s f a c t e u r s c l é s d i f f é r e n c i a n t les s u c c è s c o m m e r c i a u x d e s é c h e c s .
Ce t y p e d e c o n s i d é r a t i o n s a c o n d u i t B o e i n g à f a i r e d e l ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r -
m a n c e s la c o m p o s a n t e c e n t r a l e d u p r o c e s s u s d e d é v e l o p p e m e n t d e l ' a p p a r e i l
777. Le l o g i c i e l E x c e l 3.0, q u i a c o n n u le s u c c è s c o m m e r c i a l q u e l ' o n s a i t , e n
c o n s t i t u e u n a u t r e e x e m p l e : il i n t é g r a i t 100 n o u v e l l e s f o n c t i o n n a l i t é s p a r
r a p p o r t à la v e r s i o n p r é c é d e n t e e t é t a i t c o n s i d é r é c o m m e p l u s c o n v i v i a l e t p l u s
« i n t e l l i g e n t » ( D y s o n , 1991).
Du p o i n t d e v u e d e s c o n s o m m a t e u r s , les p e r f o r m a n c e s d ' u n n o u v e a u p r o d u i t
r e p r é s e n t e n t b i e n s o u v e n t le p r e m i e r m o t e u r d ' a c h a t d e s p r o d u i t s à f o r t c o n t e n u
t e c h n o l o g i q u e . Ainsi, les p e r f o r m a n c e s e t les f o n c t i o n n a l i t é s o c c u p e n t u n e p l a c e
p r é p o n d é r a n t e d a n s les m a n u e l s d ' u t i l i s a t i o n d e s l o g i c i e l s ( F o s t e r , 1990). Ce
constat plaide donc en faveur de stratégies d'innovation consistant à accroître
l a r g e m e n t les p e r f o r m a n c e s d e s n o u v e a u x p r o d u i t s e n c o m p a r a i s o n d e s p r o d u i t s
existants. P o u r t a n t , d e telles a m é l i o r a t i o n s s ' a c c o m p a g n e n t en général d ' u n délai
d e d é v e l o p p e m e n t plus long et p e u v e n t r e t a r d e r s e n s i b l e m e n t l'introduction des
p r o d u i t s s u r le m a r c h é (Griffin, 1992).

Pour une a p p r o c h e intégrant délai de d é v e l o p p e m e n t


et niveau des performances

C l a i r e m e n t , les e n t r e p r i s e s s o n t c o n f r o n t é e s à u n a r b i t r a g e e n t r e les d e u x o b j e c -
tifs q u i c o n s i s t e n t à r é d u i r e le d é l a i d e d é v e l o p p e m e n t d u n o u v e a u p r o d u i t (time-
to-market) et à m a x i m i s e r s e s p e r f o r m a n c e s . Une a m é l i o r a t i o n significative des
p e r f o r m a n c e s p e r m e t d e c o n q u é r i r u n e part d e m a r c h é s u p é r i e u r e à celle d e s
produits c o n c u r r e n t s (ou d e substitution) mais peut être longue à obtenir,
c o n d u i s a n t l ' e n t r e p r i s e à r i s q u e r d e m a n q u e r la f e n ê t r e d ' o p p o r t u n i t é o f f e r t e p a r
le m a r c h é . Le c a s d u M a c i n t o s h Lisa, d é v e l o p p é p a r A p p l e a u d é b u t d e s a n n é e s
1980, e n c o n s t i t u e u n b o n e x e m p l e . Le p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t é t a i t e x t r ê m e -
m e n t ambitieux et intégrait plusieurs r u p t u r e s technologiques, au niveau des
p e r f o r m a n c e s d u p r o d u i t ( h a r d w a r e et software) et d u p r o c e s s u s d e fabrication.
M a i s le p r o d u i t n e p u t ê t r e m i s s u r le m a r c h é q u ' a v e c d e n o m b r e u x m o i s d e
retard, ce qui e n t r a î n a u n e c h u t e i m p o r t a n t e d e s r e v e n u s d'Apple ; l'action perdit
p l u s d e la m o i t i é d e s a v a l e u r ( H a y e s e t alii, 1988).
A contrario , e n s e fixant d e s o b j e c t i f s d ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s m o i n s
é l e v é s , l ' e n t r e p r i s e p e u t e s p é r e r les a t t e i n d r e p l u s r a p i d e m e n t , m a i s c o u r t le
r i s q u e d e n e s é d u i r e q u ' u n n o m b r e l i m i t é d e c l i e n t s . De fait, s e p r é c i p i t e r s u r le
m a r c h é p e u t s e r é v é l e r c a t a s t r o p h i q u e . Ainsi, l ' é c h e c c o m m e r c i a l d u r é f r i g é r a -
t e u r G e n e r a l E l e c t r i c à c o m p r e s s e u r r o t a t i f a p u ê t r e a t t r i b u é à u n e m i s e s u r le
m a r c h é p r é m a t u r é e . Plus d ' u n million d ' a p p a r e i l s d u t ê t r e r e t o u r n é au fabricant
p o u r r é p a r a t i o n ( T h e Wall S t r e e t J o u r n a l , 1990).
Ces e x e m p l e s m o n t r e n t q u e c h a c u n e d e s s t r a t é g i e s c o m p o r t e d e s a v a n t a g e s
e t d e s i n c o n v é n i e n t s . Ils p l a i d e n t e n f a v e u r d e l ' i n t é g r a t i o n d e s v a r i a b l e s c l é s q u e
c o n s t i t u e n t le d é l a i d e d é v e l o p p e m e n t e t l ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s
produit dans l'analyse des stratégies d'innovation.
Ce constat encouragea la démarche2 « BET/2 » adoptée au début des années
1990 par Hewlett Packard et qui consistait à réduire de moitié le délai de retour
sur investissement de ses nouveaux produits (House et Price, 1991 ; Young,
1991). La figure 1 présente la démarche adoptée pour gérer le processus de déve-
loppement d'une nouvelle calculatrice de poche (House et Price, 1991). Le délai
de retour sur investissement (32 mois) correspond au moment où les investisse-
ments cumulés dans le projet de développement sont égaux aux revenus nets
cumulés. L'objectif de réduire le délai de retour sur investissement conduit
l'équipe de développement du produit à s'interroger sur le difficile équilibre
entre performances élevées et rapidité de développement. Une hausse sensible
des objectifs de performance technologique pour le produit se traduira vraisem-
blablement par une pente plus forte de la courbe des ventes, au prix d'un report
du lancement. À l'inverse, une amélioration plus incrémentale des performances
donnera lieu à une courbe des ventes plus plate mais générera plus rapidement
des revenus pour l'entreprise.

Figure 1.
le délai de retour sur investissement de la calculatrice de poche Hewlett Packard

Source : d'après House et Priée. 1991.

Le m o d è l e p r o p o s é
Le modèle d'analyse présenté ici permet d'étudier les situations d'arbitrage
entre délai de développement et niveau de performances pour un nouveau
produit. Il s'applique aux marchés caractérisés par : (1) une fenêtre d'opportu-
nité courte et fixe pour le lancement du nouveau produit, (2) une obsolescence
rapide des produits et (3) des clients informés et sensibles aux améliorations des
performances produit. Ces caractéristiques correspondent à divers secteurs
d'activités, notamment l'informatique (logiciels, matériels et périphériques) et

2. BET : Break-Even Time, soit le délai pour atteindre le point mort. Dans la suite de ce chapitre,
nous utiliserons le terme de délai de retour sur investissement pour désigner ce concept.
l ' é l e c t r o n i q u e g r a n d p u b l i c . S e l o n la t e r m i n o l o g i e é l a b o r é e p a r D o l a n (1993), les
nouveaux produits développés d a n s ces secteurs se caractérisent par un degré
d ' i n n o v a t i o n « m o y e n b a s », u n c o û t d ' o p p o r t u n i t é « m o y e n é l e v é » e t d e s c o û t s d e
d é v e l o p p e m e n t « m o y e n s ».
L ' i n t é r ê t d e n o t r e m o d è l e d ' a n a l y s e e s t t r i p l e . T o u t d ' a b o r d , il i n t è g r e le fait
que l'amélioration des performances produit est un p r o c e s s u s en plusieurs
é t a p e s . N o u s p o u v o n s a i n s i é t u d i e r c o m m e n t les r e s s o u r c e s e t le t e m p s d e d é v e -
l o p p e m e n t doivent ê t r e répartis a u c o u r s d e ces étapes. Ensuite, n o u s p r e n o n s en
c o m p t e la p r o d u c t i v i t é e t la r e n t a b i l i t é d u p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t d a n s
l ' a m é l i o r a t i o n d e s p e r f o r m a n c e s p r o d u i t , a l o r s q u e les t r a v a u x a n t é r i e u r s s e foca-
l i s a i e n t s u r l ' u n e o u l ' a u t r e d e c e s v a r i a b l e s . Il s ' a g i t p o u r n o u s d ' a s s o c i e r u n e
v i s i o n m a r k e t i n g à la g e s t i o n o p é r a t i o n n e l l e . Enfin, n o t r e a p p r o c h e i n t è g r e t o u t
l'horizon temporel du n o u v e a u produit, c'est-à-dire son d é v e l o p p e m e n t mais
a u s s i les c y c l e s d e p r o d u c t i o n e t d e c o m m e r c i a l i s a t i o n . Il s ' a g i t a i n s i d ' a n a l y s e r
les c o û t s e t les r e v e n u s g é n é r é s p a r le n o u v e a u p r o d u i t t o u t a u l o n g d e s o n c y c l e
d e vie. L e s p r i n c i p a l e s c o n c l u s i o n s a u x q u e l l e s n o u s p a r v e n o n s s o n t les
suivantes :
a Si les a m é l i o r a t i o n s d u p r o d u i t p r o c è d e n t d e m a n i è r e a d d i t i v e l o r s d e s é t a p e s
s u c c e s s i v e s d u p r o c e s s u s d e d é v e l o p p e m e n t , la s o l u t i o n o p t i m a l e p o u r l ' e n t r e -
p r i s e c o n s i s t e à a l l o u e r le t e m p s le p l u s l o n g à la p h a s e d e d é v e l o p p e m e n t la p l u s
productive.
e La r a p i d i t é d e d é v e l o p p e m e n t m a x i m a l e n ' e s t p a s f o r c é m e n t s o u h a i t a b l e si le
n o u v e a u p r o d u i t s ' a d r e s s e à u n l a r g e m a r c h é e t si les p r o d u i t s e x i s t a n t s g é n è r e n t
d e s m a r g e s i m p o r t a n t e s . En c a s d e c o n c u r r e n c e m o y e n n e m e n t i n t e n s e , l ' e n t r e -
p r i s e a m ê m e i n t é r ê t à p r e n d r e s o n t e m p s afin d e d é v e l o p p e r u n p r o d u i t e n c o r e
plus performant.
e La v o l o n t é d e m i n i m i s e r le d é l a i d e r e t o u r s u r i n v e s t i s s e m e n t p e u t g é n é r e r d e s
lancements prématurés.
• Il e s t d ' a u t a n t p l u s difficile d e r e n t a b i l i s e r u n p r o j e t d e d é v e l o p p e m e n t d e
n o u v e a u p r o d u i t q u e les p r o d u i t s e x i s t a n t s (qu'ils s o i e n t c o m m e r c i a l i s é s p a r
l'entreprise elle-même ou par ses c o n c u r r e n t s ) sont performants. C'est en
r e v a n c h e d ' a u t a n t p l u s a i s é q u e la d e m a n d e p o u r la c a t é g o r i e d e p r o d u i t s
a u g m e n t e f o r t e m e n t , q u e la m a r g e d u n o u v e a u p r o d u i t e s t é l e v é e , q u e les c o n c u r -
r e n t s d i s p o s e n t d ' u n e l a r g e p a r t d e m a r c h é e t q u e la f e n ê t r e d ' o p p o r t u n i t é e s t
longue.
• Des c a p a c i t é s a c c r u e s d e d é v e l o p p e m e n t d ' u n n o u v e a u p r o d u i t ne s e tradui-
sent pas forcément p a r un r a c c o u r c i s s e m e n t des délais de d é v e l o p p e m e n t mais
elles c o n d u i s e n t t o u j o u r s , e n r e v a n c h e , à d e s p r o d u i t s p l u s p e r f o r m a n t s .
C e s r é s u l t a t s s o n t i n t é r e s s a n t s c a r ils n e s o n t p a s t o u s i n t u i t i f s . P o u r l e s
p r é s e n t e r en détail, n o u s c o m m e n ç o n s p a r s y n t h é t i s e r les t r a v a u x a n t é r i e u r s
c o n s a c r é s a u sujet. Nous p r é s e n t o n s ensuite n o t r e c a d r e d e modélisation, m ê m e
si les é l é m e n t s d e d é m o n s t r a t i o n m a t h é m a t i q u e o n t é t é m i s e n a n n e x e afin d e
f a c i l i t e r la lisibilité d u c h a p i t r e . N o u s i d e n t i f i o n s e n s u i t e les s t r a t é g i e s o p t i m a l e s
en matière de développement de produits.

1. L ' a n a l y s e d e s t r a v a u x a n t é r i e u r s

Nous a v o n s é v o q u é en i n t r o d u c t i o n l'arbitrage e n t r e délai d e d é v e l o p p e m e n t


et p e r f o r m a n c e s d u n o u v e a u produit. Ces d e u x variables p e u v e n t également être
a f f e c t é e s p a r le n i v e a u g l o b a l d e s r e s s o u r c e s a l l o u é e s a u p r o j e t . En fait, les
travaux de recherche antérieurs ont souvent porté sur l'arbitrage entre temps et
budget de développement en supposant fixé le niveau de performances souhaité
pour le produit. Certains ont étudié cette problématique à partir de la théorie de
la décision, d'autres en ayant recours à la théorie des jeux (Kamien et Schwartz.
1982 : Reiganum. 1989). Tous ces travaux reposent sur deux présupposés :
- une réduction drastique du délai de développement d'un nouveau produit ne
peut être obtenue qu'au prix d'une augmentation de plus en plus forte du coût
total de développement : autrement dit, le lien entre délai de développement et
niveau d'investissement est une fonction convexe (Scherer. 1984 ; Mansfield et
alii. 1977) ;
- le premier produit arrivé sur le marché remporte l'ensemble du marché.
Ces présupposés paraissent raisonnables dans les secteurs où la concurrence
est fondée sur une technologie brevetable. Cependant, dans de nombreuses acti-
vités. les projets de développement visent à concurrencer les firmes en présence
sur le terrain de la performance produits (Dolan, 1993).
Plusieurs raisons nous ont conduit à privilégier la problématique de l'arbi-
trage entre rapidité de développement et performances du produit. Il a été peu
étudié jusqu'à présent, en particulier à travers une approche modélisée. De plus.
l'étude du cabinet Mac Kinsey. évoquée en introduction, laisse penser que l'arbi-
trage entre rapidité et performance constitue une décision plus critique que
l'arbitrage entre rapidité et niveau d'investissement dans les domaines d'activité
qui nous intéressent ici. Les entreprises phares d'un certain nombre de secteurs
commencent à prendre conscience de l'importance d'avoir des équipes de déve-
loppement petites, stables et gérables. De grandes équipes impliquent des efforts
de coordination administrative et de communication susceptibles d'augmenter
le coût et le temps de la prise de décision. Ainsi, l'équipe de développement à
l'origine du lancement réussi des ordinateurs portables d'IBM, en 1991, rassem-
blait 19 personnes, soit dix fois moins que la taille habituelle dans cette entre-
prise (The Wall Street Journal, 1991). On peut penser que les firmes fixeront de
plus en plus souvent la taille de leurs équipes de développement de manière à ce
qu'il n'y ait plus d'intérêt à minimiser les programmes de développement. Par
conséquent, une innovation incrémentale s'accompagne nécessairement d'un
court délai de développement alors qu'une augmentation sensible des perfor-
mances exige un long délai de développement.

2 . Le c a d r e d e m o d é l i s a t i o n

La figure 2 présente la situation étudiée et. en particulier, l'évolution des


performances du produit considéré. Dans notre modèle, il existe une fenêtre
d'opportunité T au-delà de laquelle le nouveau produit n'a plus de valeur. Cette
fenêtre d'opportunité peut être définie comme la fenêtre de demande pour le
nouveau produit (Clark et Fujimoto. 1990 : Dolan, 1993). Elle existe fréquemment
dans les activités de haute technologie, pour un grand nombre de produits
Hewlett Packard (les calculatrices par exemple), tout comme pour les logiciels,
les ordinateurs, les périphériques informatiques ou encore les produits d'élec-
tronique grand public (House et Price, 1991). L'un des risques majeurs sur ce
type de marchés consiste à manquer cette courte fenêtre de demande (Krubasik,
1988).

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