Ensemble. Dans L'Armée Française: Présences Des Afriques, Des Caraïbes Et de L'Océan Indien
Ensemble. Dans L'Armée Française: Présences Des Afriques, Des Caraïbes Et de L'Océan Indien
Ensemble. Dans L'Armée Française: Présences Des Afriques, Des Caraïbes Et de L'Océan Indien
Éric Deroo/DR
Le 12e régiment de tirailleurs sénégalais venu pour les cérémonies du 14 juillet [Paris], photographie, Agence Meurisse, 1939.
1765-2013
A
PRESENCES EN FRANCE DE 1863 À 1963 : 1,5 MILLIONS D'HOMMES EN UN SIÈCLE
1918) et du 70e anniversaire de la Libération (1943-1945), cette exposition
retrace une aventure unique. Il y a près de deux cent cinquante ans, la marine
française recrutait des matelots (les Laptots) sur les côtes du Sénégal.
Au même moment, dans les Caraïbes, on intégrait des « combattants
noirs » dans les unités régulières, une pratique qui se développe avec la Révolution
française. Aux côtés des troupes venues du Maghreb 1 et de celles plus lointaines
de l’ex-Indochine, de Polynésie ou de Nouvelle-Calédonie, ces combattants originaires
des Antilles-Guyane, de l’océan Indien et d’Afrique de l’Ouest écrivent une geste
exceptionnellement riche sur le continent européen.
Ce récit est le fruit d’un long travail de recherche et d’écriture, qui a accompagné l’édition
de l’ouvrage La France noire et fait suite aux expositions L’ Appel à l’Afrique et La Force
noire, mais c’est aussi la mise en lumière d’un patrimoine exceptionnel rassemblé ici pour
la première fois. L’exposition s’attache à la présence de ces combattants dans l’Hexagone,
* Estimations
elle nous parle des tirailleurs africains et malgaches, des combattants des Comores et
de la Côte française des Somalis, des soldats créoles des Antilles-Guyane ou de ceux (1 500 000 combattants, militaires et travailleurs sous statut militaire issus de l’empire colonial)*
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française est le fruit de cette longue tradition de diversité. Retracer cette histoire, faire
PRÉSENCES MAGHRÉBINES ET 1
ressurgir les mémoires, c’est tenter de déconstruire un enchevêtrement de mythes, loin ORIENTALES DANS L’ARMÉE FRANÇAISE
Avec l’expédition d’Égypte et la conquête de
des images fabriquées. C’est aussi s’attacher à ce passé commun qui existe entre la France, l’Algérie (au début du XIXe siècle), la présence
l’Afrique et les outre-mer, et qui participe aujourd’hui d’une mémoire commune au cœur arabo-orientale se fixe dans l’armée française.
L’armée d’Afrique se structure ensuite avec la
de notre société de la diversité. Entre revalorisation des pensions militaires, commémorations constitution d’unités à recrutement « indigène »
régulières et mise en valeur de nombreux mémoriaux (Chasselay, Nogent-sur-Marne ou en Algérie (1830), en Tunisie (1881) et au Maroc
(1912), avec l’incorporation de soldats européens
Fréjus), collections des musées ou des salles d’honneur du ministère de la Défense, (les Français d’Algérie) et de Juifs d’Afrique du
Nord, mais aussi d’Arméniens et de Syro-Libanais
transmission aux jeunes générations de combattants des décorations collectives décernées notamment dans la Légion d'Orient.
aux anciens, les mémoires se trouvent désormais célébrées au-delà des cercles militaires.
Fête du 14 juillet [Vichy], photographie, 1939.
Il est désormais temps de bâtir une histoire partagée, avec distance et critique, et de
croiser les mémoires pour désormais « chanter » en commun nos « frères d’armes ».
© Witt/Sipa
© Seyllou Diallo/AFP
© Coll. Frédéric Pineau/DR
D’anciens combattants devant l’Office national des anciens combattants Troupes françaises de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, photographie, Witt, 2006.
du Sénégal, photographie, Seyllou Diallo, 2002.
Exposition coordonnée par le Groupe de recherche Achac (www.achac.com) ; réalisée avec le soutien du ministère de l’Égalité des territoires et
du Logement, ministère délégué à la Ville, de l’Agence pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé), du ministère de la Défense, Direction de la Mémoire,
du patrimoine et des archives (DMPA), de l’Office national des Anciens combattants et victimes de guerre (ONAC), du ministère de l’Intérieur, Direction de l’accueil,
de l’intégration et de la citoyenneté (DAIC) et du ministère des Outre-mer. Exposition coordonnée par Pascal Blanchard et Éric Deroo, avec les conseils et expertises
d’Antoine Champeaux, Sabine Andrivon-Milton, Frédéric Pineau et Jean-Luc Messager, recherche, documentation et synthèse rédactionnelle Yacine Hamoud et
Tiffany Roux, iconographie Marion Perceval, création graphique Thierry Palau.
ENSEMBLE
PRÉSENCES DES AFRIQUES, DES CARAÏBES ET DE L’OCÉAN INDIEN DANS L’ARMÉE FRANÇAISE 2
© RMN-Grand Palais/Daniel Arnaudet
Portrait du dit général Dumas, huile sur toile, attribuée à Louis Gauffier, c. 1795.
1765-1857
PERSONNAGE
LES ORIGINES
© RMN-Grand Palais (musée des châteaux de Malmaison et de Bois-Préau)/Michel Urtado
E
« diable noir », il participe à la campagne de n 1688, le jeune Louis Aniaba venu de Côte d’Ivoire, arrive à la cour du roi
Belgique, la guerre de Vendée, la campagne
d’Italie, et la campagne d’Égypte. Le chevalier Louis XIV. Admis comme mousquetaire, il devient le « premier officier noir de
de Saint-Georges le fera ensuite venir dans
la Légion des Américains et du Midi, et
l’armée française » et capitaine du régiment de cavalerie en Picardie. L’exemple
l’élèvera au grade de lieutenant-colonel, est exceptionnel, mais dès le XVIe siècle, les premiers navigateurs européens
avant qu’il ne devienne général.
abordant les côtes de l’ouest de l’Afrique, avaient déjà recruté des « auxiliaires indigènes ».
Général Dumas, estampe, Bourgeois, non datée.
Il n’y a pas d’organisation réelle avant 1765, lorsqu’on lève un corps permanent pour
la défense de l’île de Gorée, les Laptots. Ces soldats blancs, noirs et mulâtres sont les
ancêtres des tirailleurs sénégalais, unité militaire que le général Faidherbe décide de
© Musée d’Aquitaine/Coll. Chatillon
créer en 1857 avec de nombreux esclaves rachetés et des « supplétifs ». Cette création
sera entérinée par un décret de Napoléon III. L’appellation tirailleur sénégalais 1 vaut
rapidement pour tous les soldats recrutés en Afrique subsaharienne. En 1884, on Garde du général en chef lors de l’expédition de Saint-Domingue,
dessin aquarellé, H. Boisselier, non daté [1805-1810].
regroupe les deux bataillons au sein d’un régiment, dans lequel la moitié des postes
de sergents et de caporaux est réservée aux « indigènes ». 2 LE BATAILLON
DES PIONNIERS NOIRS (1803)
Dans les « vieilles colonies » (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion), l’habitude est Figure majeure du bataillon des
plus au recours à des esclaves pour assurer la défense du territoire. Plusieurs ordonnances pionniers noirs, Joseph Damingue (dit
« Hercule »), fils d’un Noir de Cuba,
régularisent l’emploi de ces « supplétifs » dans les milices de « gens de couleur », a participé à la campagne d’Égypte
(1798-1801) avant d’être nommé
milices dont on trouve trace dès 1703 pendant la campagne de Guadeloupe contre commandant de ce bataillon. Celui-ci
les Anglais. La valeur militaire des soldats libres de couleur engagés durant la guerre est composé de soldats de l’armée de
Toussaint Louverture, citoyens français
d’indépendance des États-Unis (chasseurs volontaires de Saint-Domingue par exemple) et des Africains ayant participé à la
est saluée par La Fayette. Puis, ce sont les campagnes de la Révolution française et de campagne d’Égypte ; certains de ces
hommes sont issus du bataillon des
l’Empire qui font émerger de véritables unités régulières, à l’image du bataillon de chasseurs africains.
chasseurs africains qui devient une des composantes, en 1803, du bataillon des pionniers
noirs où des personnalités comme Joseph Damingue émergent 2 . Dans le même
temps, s’imposent également les figures du général Dumas ou du célèbre chevalier
© Coll. Éric Deroo/DR
PERSONNAGE
© Coll. Éric Deroo/DR
© Musée Carnavalet/Roger-Viollet
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
A
© Paris-Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais/photographie musée de l’Armée
LOUIS-GASTON DE SONIS (1891-1895), s’appuyant pour cela sur les combattants d’Afrique de l’Ouest et un contingent
Louis-Gaston de Sonis est né en 1825 en
Guadeloupe. Ancien de l’école militaire de réunionnais. La colonisation de l’île est d’ailleurs l’occasion de lever des troupes sakalaves
© Coll. Groupe de recherche Achac
Saint-Cyr, ce Créole de souche européenne et des Comoriens, des populations réputées guerrières de l’ouest de l’île de Madagascar.
participe à l’expédition de Kabylie, puis à la
campagne à la frontière marocaine, avant de Dès 1895, l’unité de tirailleurs sakalaves devient le premier régiment de tirailleurs malgaches.
s’illustrer lors de la guerre franco-prussienne
de 1870, à la tête des zouaves pontificaux.
En 1898, cette expansion française en Afrique, dont le cœur de la troupe était composé de
combattants africains, est freinée par les Anglais à Fachoda 2 . Malgré ce recul, les tirailleurs
sénégalais défilent à Paris derrière le commandant Marchand en 1899 et sont acclamés par les
Parisiens, s’inscrivant désormais comme des éléments familiers de la mythologie républicaine.
PERSONNAGE
© Coll. Éric Deroo/DR
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
Garde d’honneur du 1er régiment de tirailleurs sénégalais lors du défilé du 14 juillet [Paris], photographie, 1913.
1900-1913
LA « FORCE NOIRE »
© Coll. Groupe de recherche Achac/DR
n 1900, les troupes destinées à servir outre-mer, constituées d’Européens et de « combattants indigènes »,
E connues sous le nom de troupes de Marine, passent au ministère de la Guerre sous le nom de troupes coloniales.
À partir de 1908, les tirailleurs sénégalais sont engagés dans la campagne du Maroc, première utilisation hors des
colonies d’Afrique subsahélienne française ou de Madagascar. Des combattants — tel Mamadou Racine en
1884 —, commencent à être intégrés dans l’encadrement, structurant de plus en plus ces troupes africaines. L’espace
colonial s’étend un peu plus avec la création de l’Afrique équatoriale française en 1910, et l’idée s'affirme que ces « troupes Départ des premiers conscrits de Guadeloupe, carte postale, coll. F. Petit, 1913.
noires » pourraient être employées hors du continent africain. C’est dans ce contexte que le général Mangin théorise,
dans son ouvrage La Force noire (1910) l’utilisation de ces unités. Dans un climat de crainte d’une nouvelle guerre contre 1 MOBILISATION ET « VIEILLES COLONIES »
L’une des revendications majeures dans les « vieilles colonies »
l’Allemagne, le Parlement, la presse et une partie de l’opinion publique se passionnent pour le projet. Le gouvernement — relayée par des élus au Parlement tel Candace Gratien —, est
français organise et développe dans le même temps la conscription dans tout l’empire, et notamment en Algérie et dans de bénéficier réellement du statut de citoyen français, statut consacré
par le service militaire. Ceci advient à la Réunion en 1895, mais la loi
les « vieilles colonies » 1 . n’est appliquée aux Antilles qu’en 1913, à la veille du conflit. Les
conscrits rejoignent alors la métropole afin d’être incorporés dans les
À la veille du conflit, cette force va être glorifiée par la République. Le défilé du 14 juillet, qui se déroule traditionnellement régiments d’infanterie coloniale à Rochefort, Marseille et Perpignan.
à Longchamp, regroupe, en 1913, toutes ces troupes issues de l’empire colonial. Quand les unités annamites, malgaches et
algériennes reçoivent leur drapeau en une cérémonie unique qui consacre leur reconnaissance, l’emblème du 1er régiment
de tirailleurs sénégalais reçoit la Légion d’honneur des mains du président de la République, Raymond Poincaré. Il s’agit
PERSONNAGE
de la plus haute distinction que la Nation accorde à une unité. Pour être présents à cette cérémonie, les tirailleurs
sénégalais ont débarqué à Marseille quelques semaines plus tôt, parfois avec « Madame tirailleur » et leurs enfants,
© BNF, département des estampes et de la photographie/Agence Rol
comme en témoigne une série de photographies exceptionnelles. À cette date, les tirailleurs sénégalais comptent au
total trente-cinq bataillons, soit trente mille hommes, dont une partie sera engagée un an plus tard au cœur des combats.
PERSONNAGE
© Shat
© Paris-Musée de l’Armée, Dist. RMN-Grand Palais/photographie musée de l’Armée
Tirailleurs soudanais pour la revue du 14 juillet [Paris], négatif au gélatino-bromure d’argent, Albert Harlingue, 1910.
Byrrh, carte publicitaire imprimée d’après J. Beuzon, 1908. Spahi sénégalais sur son cheval, photographie, 1913.
OBJET
© Roger-Viollet
1914-1916
© BDIC/DR
Tirailleurs sénégalais creusant une tranchée [Orvillers, Somme], photographie, Société générale de presse, 1915.
D rejoignent la France pour participer aux combats sur la Marne et l’Yser. Mais les
pertes sont lourdes du fait de l’inexpérience des jeunes recrues, et des pathologies
infectieuses. En 1915, de nombreux combattants sont aussi envoyés sur le front
d’Orient, dans les Dardanelles 1 ou à Salonique, dans de violentes batailles les opposant
aux Turcs. Sur quatre années de conflit, on comptera en Europe cent trente-quatre mille
combattants venant d’Afrique Occidentale française et d’A-ÉF, deux mille Somalis et Comoriens
(ces derniers servant soit au 12e bataillon malgache, soit au bataillon somali), et vingt-neuf
mille tirailleurs malgaches, auxquels s’ajouteront plus de cinq mille travailleurs 2 . Avec le
conflit, le gouvernement choisit d’appeler au combat les soldats des « vieilles colonies » aux TRAVAILLEURS COLONIAUX ET CHINOIS
côtés des soldats de la métropole, et la majorité des Créoles sert dans les régiments
d’infanterie coloniale (RIC). Des Guadeloupéens sont, par exemple, affectés en Orient dans
(290 000 combattants (France, Belgique,
les 3e et 56e RIC. De 1914 à 1918, sur les cent mille Antillais et Guyanais recensés, près de Allemagne et front d’Orient))
dix-sept mille sont dirigés vers les zones des armées. À la Réunion, six mille combattants
quitteront l’île, à l’image de l’aviateur Roland Garros. Au total, près de deux mille six
cents natifs des « vieilles colonies » ne reviendront pas de la guerre. Quant à la Nouvelle-
© BNF, département des estampes et de la photographie /Agence Meurisse
Calédonie, elle mobilise mille « volontaires » dont un tiers trouve la mort au combat. (326 550 travailleurs (hors « vieilles colonies »
Contrairement à un mythe répandu, ces troupes coloniales ne forment pas la « chair à canon » et A-ÉF/A-OF) de la Grande Guerre)
d’une première ligne sacrifiée, et leurs pertes sont égales à celles des poilus français
(entre 22 et 24 %). En outre, la rigueur du climat en plus des souffrances physiques et
morales, conduit le commandement à relever les Africains pour les faire hiverner dans des
© Coll. Éric Deroo/DR
camps à Fréjus en Provence ou du Courneau en Aquitaine. En Afrique, aux Antilles et en Débarquement des troupes coloniales à Salonique [Grèce],
Guyane, les résistances face à cet « impôt du sang » existent et les refus d’incorporation et négatif au gélatino-bromure d’argent, Agence Meurisse, 1915.
les désertions sont nombreux, comme en Afrique de l’Ouest dans la région de Ségou, mais 1 DANS LES DARDANELLES (1915)
L’entrée en guerre de la Turquie aux côtés des
aussi dans l’Ouest-Volta en 1915. Allemands, en octobre 1914, ouvre un front en
Orient. Un corps militaire allié débarque aux
Dardanelles en avril 1915, avec près de dix mille
tirailleurs sénégalais qui réussiront à tenir leurs
© BDIC /DR
Tirailleurs malgaches déchargeant des graviers sur les quais [Bergues, Nord], photographie, 1916. Le célèbre aviateur Roland Garros, né
à Saint-Denis de la Réunion en 1888, a
participé avec brio aux combats de la
Grande Guerre. Fait prisonnier par les
Allemands en 1915, il parvient à s’évader
© Coll. Groupe de recherche Achac/DR
Entrée et vue générale de l’hôpital Montgelas [Givors, Rhône], carte postale, 1917. Épisode de la bataille de Charleroi, estampe colorisée, 1914.
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
Quatre militaires sénégalais dans le Haut-Rhin [Saint-Ulrich], autochrome, Paul Castelnau, 1917.
1916-1918
© Coll. Éric Deroo/DR
AU CŒUR DU CONFLIT :
DE BLAISE DIAGNE À LA VICTOIRE
PERSONNAGE
u total, on estime entre cinq cent cinquante mille et six cent mille le nombre de
A
© Coll. École Polytechnique/DR
soldats coloniaux qui sont venus des quatre coins du monde combattre en Europe…
Revue de troupes pendant la campagne au Cameroun, photographie, 1915.
sans parler de ceux qui sont restés mobilisés dans les colonies. Ajoutons à cela les
1 LES COMBATS EN AFRIQUE deux cent mille « travailleurs coloniaux », et l’on prend la mesure de cet important
Les troupes allemandes du Togo, retranchées à Atakpamé, flux migratoire. Ces soldats ne combattent pas qu’en Europe. En Afrique, les colonies allemandes
capitulent dès août 1914 face aux troupes franco-anglaises.
Au Cameroun, les troupes alliées, presque deux fois sont attaquées 1 et deviendront par la suite des mandats français, comme au Cameroun ou au
plus nombreuses que les effectifs allemands, encerclent Togo. La visibilité de ces combattants s’accentue sur tout le territoire métropolitain, par le biais,
le pays et en achèvent la conquête en janvier 1916.
notamment, des milliers de blessés africains et antillais soignés dans les hôpitaux. Photographes
et dessinateurs les montrent avec leurs infirmières ou leurs marraines de guerre 2 , contribuant
à bâtir cette image du « sympathique et bon enfant » tirailleur Y’a bon.
© Coll. Éric Deroo/DR
Dès 1916, les pertes humaines subies et une nouvelle révolte dans le nord du Dahomey
conduisent le gouvernement à réfléchir à sa stratégie de recrutement. Pourtant, seul le
61e bataillon de tirailleurs sénégalais (BTS) se soulève lors des grandes mutineries de 1917.
Sosthène Héliodore Camille Mortenol, photographie, 1878.
À la demande de Clemenceau, le député du Sénégal Blaise Diagne entre au gouvernement
Le GuadeloupéenCamille Mortenol, né en janvier 1918 en tant que haut-commissaire de la République pour le recrutement en A-OF.
à Pointe-à-Pitre en 1859, est le premier
élève noir de l’École polytechnique.
Grâce à son action, l’état-major lève plus de trente BTS qui arrivent en France (quarante mille
Il participe, en qualité d’officier, à soldats), quatorze de réserve en Algérie et en Tunisie, treize au Maroc, vingt en Orient. Les
plusieurs campagnes de conquêtes
coloniales, puis s’illustre lors de la populations lui font confiance, s’engageant sur les promesses de celui qui avait porté la loi du
Première Guerre mondiale ayant la
charge de la défense antiaérienne de
29 septembre 1916 reconnaissant définitivement la citoyenneté française aux originaires des
Paris. Il sera promu, en juin 1920, au « quatre communes » du Sénégal. Sur le front en France, des bataillons s’illustrent particulièrement :
grade de commandeur de la Légion
d’honneur.
les tirailleurs somalis et comoriens lors de la reprise de Douaumont à Verdun en octobre
Somalis jouant avec leurs fétiches, positif sur verre, 1914-1918. 1916, les Sénégalais à Reims au printemps 1918 ou encore le 12e bataillon de tirailleurs
malgaches, qui se couvre de gloire dans les opérations de l’automne 1918. Des combattants
se distinguent aussi individuellement, comme le Guadeloupéen Camille Mortenol ou le
© SPA/ECPAD
Sénégalais Bouna N’Diaye. Mais, si leur bravoure militaire est consacrée et s’ils participent
aux défilés de la victoire, l’égalité de statut promise n’en récompensera qu’un petit nombre
en Afrique subsaharienne ou à Madagascar.
PERSONNAGE
© Coll. Éric Deroo/DR
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L
PERSONNAGE
imaginée par le dessinateur Tishon et la première publicité est éditée en 1914 dans
le journal Excelsior. Puis, c’est un poilu imaginé par Maurice Leloir qui devient la
signature du produit. Enfin, petit à petit, le tirailleur sénégalais s’impose et l’emblème de la
marque est créé en pleine guerre, en 1915 par Giacomo de Andreis. Pierre Lardet inscrit
alors son produit dans le contexte du conflit en proposant « pour nos soldats la nourriture
abondante qui se conserve ». Il envoie même des wagons de Banania aux soldats du front.
À l’image du tirailleur, son créateur lui adjoint « Y’a bon » en 1917, surnom attribué aux
tirailleurs sénégalais lors de la campagne du Maroc en 1908. Le succès de la boisson va
croissant au sortir de la guerre et dans le contexte d’occupation par les « troupes noires »
de la Ruhr allemande. La marque est partenaire des jeux Olympiques parisiens de 1924 et
participe aux expositions coloniales françaises 1 .
Si la Première Guerre mondiale met en contact les populations de la métropole et celles Léopold Sédar Senghor au lycée Louis-le-Grand [Paris],
photographie, 1929.
des outre-mer, seule une poignée de démobilisés s’installe en France 2 où la Revue nègre de
Léopold Sédar Senghor, exprimant
Joséphine Baker (1925) rencontre un succès immense. Des centaines de cartes postales, des la révolte de l’« homme noir » devant Banania y’a bon, carton publicitaire [Paris], 1915.
l’utilisation caricaturale de l’image du
vignettes publicitaires, des affiches, des romans et des films vantent la bravoure du fidèle « Y’a
tirailleur, écrit : « Je ne laisserai pas la
bon » dont l’image change en 1935, étant revisitée par Georges Elisabeth qui ne dessine plus parole aux ministres, et pas aux généraux.
© Société française de photographie
2 PRÉSENCES NOIRES
EN MÉTROPOLE
Au lendemain du conflit, la population
d’origine antillaise, réunionnaise et guya-
naise est plus importante et socialement
plus diverse que les Africains présents dans
l’Hexagone. La population dite « noire »
compte alors environ dix mille personnes
en métropole, quand les Nord-Africains
sont sans doute dix à douze fois plus
nombreux en France.
Le drapeau des tirailleurs sénégalais au défilé de Longchamp du 14 juillet [Paris], photographie, 1913.
1 BANANIA ET LES EXPOSITIONS COLONIALES
Si l’Exposition coloniale de Marseille en 1922 est un succès pour
la marque, dont le stand est illustré par une immense image
© Coll. Éric Deroo/DR
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
Y’a bon, y’a pinard !, carte postale colorisée, 1917. « Y’a bon » in Le Miroir, imprimé, 1913. Rhum Tira, carte publicitaire [Bordeaux], 1918.
Les troupes noires lors des fêtes de la victoire du 14 juillet [Paris], carte postale, 1919.
1919-1939
D’UNE GUERRE À L’AUTRE
© Thierry Caro
L
et déplacé, mais est arraché de son socle par un cyclone
tropical en 1948. Redécouvert en 1968, il est enfin réhabilité
l’Afrique occidentale et équatoriale française ; Madagascar, les Comores, les Somalis et la et devient le lieu du souvenir de la Grande Guerre.
Réunion comptent près de trois mille tués ; les Antilles et la Guyane comptent plus de deux Statue de la Victoire [Hell-Bourg, La Réunion], photographie, Thierry Caro, 2007.
mille disparus. Plusieurs monuments commémoratifs à Nogent-sur-Marne, dont un en hommage
« À la mémoire des soldats noirs morts pour la France », et un autre aux « sacrifices des combattants malgaches » 1
© Coll. Éric Deroo/DR
sont élevés. La cathédrale de Dakar, Notre-Dame des Victoires, est également érigée à partir de PERSONNAGE
1922, en hommage aux Africains « morts pour la France ». Mais, pour beaucoup de combattants, ce
© Coll. Éric Deroo/DR
n’est pas l’égalité attendue. De retour dans les « vieilles colonies », les Créoles sont certes reçus avec
les honneurs, comme le signifient les centaines de monuments commémoratifs qui s’édifient 2 ,
mais une discrimination certaine existe toujours.
La majorité des combattants est rapatriée et seul un petit nombre de démobilisés est restée en France
(trois à quatre mille), avec les troupes stationnant dans les garnisons de la métropole (quatre mille
cinq cents en 1922, sur un total d’un peu moins de cinquante-deux mille tirailleurs que compte l’armée
française). Une école de formation d’officiers indigènes s’ouvre à Fréjus, mais les effectifs restent limités.
Franzosen im Ruhrgebiet [Les Français dans la Ruhr], imprimé
Dans la Ruhr occupée par les troupes françaises, se développe dès 1919 une propagande dirigée contre d’après A. M. Clay, 1923.
les combattants coloniaux 3 et ces unités (malgaches et sénégalaises) sont progressivement retirées. 3 LA HONTE NOIRE (1919-1925) Des inconnus chez moi, couverture du livre
L’Allemagne développe un long cycle de propagande de Lucie Cousturier, 1920.
Ces troupes sont envoyées par la suite au Maroc (guerre du Rif en 1925-1926) et au Levant dans les raciste en dénonçant la « souillure » de son sol
Dans l’ouvrage Des inconnus chez
mandats français de la Syrie-Cilicie et du Liban (grande révolte syrienne en 1926). par des « soldats de couleur » à l’occasion de
moi, publié en 1920, Lucie Cousturier
l’occupation de la Rhénanie en 1919. Cette
Au contact de ces formations coloniales, les mentalités ont évolué, ainsi qu’en témoigne la littérature, « Honte noire » entend souligner leur cruauté, décrit l’arrivée des troupes sénéga-
leur bestialité, en dénonçant notamment de laises près de chez elle : « Qu’allons-
à l’image de Lucie Cousturier (Des inconnus chez moi) ou de René Maran et son roman Batouala, nous devenir ? [...] Nous ne pourrons
prétendus viols. Adolf Hitler réutilisera d’ailleurs
prix Goncourt en 1921. Désormais figure incontournable, le soldat colonial est omniprésent dans ce thème dans son livre-programme pour plus laisser nos petites filles aller sur
dénoncer la « dégermanisation, la négrification les chemins parmi ces sauvages. »
les grandes expositions coloniales de l’entre-deux-guerres, la littérature impériale, le cinéma ou et la judaïsation » du sang allemand. Mais, petit à petit, elle révise son
jugement et enseigne le français
les manifestations officielles, tel le tricentenaire des Antilles en 1935 ou les salons de la France aux tirailleurs dans sa villa bâtie
d’outre-mer de 1935 et 1940. à proximité des camps. Ce livre est
un des premiers à poser la question
de l’altérité entre les Français de
métropole et les soldats coloniaux.
© Xavier de Jauréguiberry
© Roger-Viollet
1 MÉMORIAL MALGACHE
DE NOGENT (1925)
Dans le Jardin colonial de Nogent-
sur-Marne s’élève un monument à
© Coll. Éric Deroo/DR
Artilleur réunionnais des troupes coloniales Tirailleur sénégalais à l’Exposition coloniale [Paris], Agence Roger-Viollet, 1937.
[Saint-Paul de la Réunion], photographie, c.1935.
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
E
n 1939, à la veille de la mobilisation, les tirailleurs sénégalais comptent dix-neuf régiments PERSONNAGE
dont six en métropole. De septembre 1939 à mars 1940, on achemine en métropole plus de © Coll. Groupe de recherche Achac/DR
trente-huit mille de ces combattants, alors qu’en Afrique du Nord, vingt mille autres tirailleurs
attendent d’embarquer. À la veille de l’armistice, soixante-quatre mille Africains et près de
quatorze mille Malgaches sont dans la zone de front. Les « vieilles colonies » ne sont pas en reste,
puisque trois mille trois cents Réunionnais ont quitté l’île entre septembre 1939 et juin 1940, tandis
que près de quatre mille cinq cents Antillais et Guyanais sont en route ou déjà présents au front dans
différentes unités, mais la brièveté des opérations ne permet pas l’envoi de troupes plus conséquentes.
On compte même quelques réservistes antillais qui, avides de combattre pour la France, paient eux-
mêmes le prix de leur traversée. De nombreux tirailleurs, prisonniers des Allemands, sont massacrés 1 ,
conséquence directe de vingt ans de propagande raciste en Allemagne (la Honte noire). Le 7 juin 1940,
à Airaines, la compagnie du capitaine N’Tchoréré du 53e régiment d’infanterie coloniale mixte
sénégalais (RICMS) est anéantie et les survivants exécutés sommairement. À l’heure de la débâcle, on
estime les pertes entre six et sept mille combattants africains, des Antilles, de Guyane et de l’océan Indien. Pour la défense de l’Empire, affiche lithographiée
d’après Maurice Toussaint, 1939.
Probable exécution collective de tirailleurs sénégalais [Somme],
photographie, 1940.
Si le 22 juin 1940, l’armistice met fin à ces massacres et aux combats, elle annonce aussi une période Charles N’Tchoréré, né à Libreville en
de discrimination. On estime à près de trente-deux mille les soldats noirs en captivité dans les 1896, s’engage à 20 ans pour participer aux
1 TÉMOIGNAGE DE MICHEL EL-BAZE combats de la Première Guerre mondiale.
Le 9 juin 1940, le marsouin Michel el-Baze frontstalags, ces camps implantés sur le sol français et non en Allemagne pour éviter le contact avec Il passe ensuite à l’école d’officiers
assiste à une scène de crimes à Mareuil-la-
Motte (Oise) : « Dans un pré, un officier allemand
la population allemande. Nombre de soldats noirs et de prisonniers évadés rejoignent la Résistance. de Fréjus, dont il sort major. En 1940, il
commande une compagnie sur le front
caracole sur un magnifique cheval blanc, un revolver En Afrique, des militaires et des fonctionnaires — à l’image du gouverneur du Tchad Félix Éboué de la Somme, puis à Airaines où il est fait
en main. Un tirailleur sénégalais court, l’officier prisonnier. Il est immédiatement abattu
tire. L’énorme masse noire tombe. On rit. Voilà —, rejoignent les forces gaullistes. Sur ses traces, au Congo, le bataillon de marche n°1 (BM1) est pour avoir revendiqué le droit d’être
un autre Sénégalais, je détourne les yeux, ma le premier d’une série de seize bataillons dans lesquels les tirailleurs africains vont se battre sur traité comme un « officier français ».
tête éclate, je pleure. » (2005) En hommage, la promotion 1957-1959
tous les théâtres d’opérations de la France libre. Dans les Caraïbes, quelques deux mille cinq cents de l’école d’officiers de Fréjus prendra
Antillais, les « dissidents », rallient la France libre, suivis par près de cinq cents Guyanais 2 . son nom.
© SPA/ECPAD
OBJET
© Coll. Groupe de recherche Achac/DR
E
COMBATTANTS CARIBÉENS, AFRICAINS ET DE L’OCÉAN INDIEN
scellé le célèbre serment engageant ces hommes à libérer la France et la cathédrale de Strasbourg. Ce fait MOBILISÉS (MARS 1941-MAI 1945)
d’armes annonce une suite d’engagements majeurs, en Abyssinie (avec le BM4 du Cameroun), au Levant et
à Bir-Hakeim (avec le BM2 de l’Oubangui-Chari). Après la campagne de Tunisie (novembre 1942-avril 1943),
ces combattants africains sont rejoints par les « dissidents » antillais et guyanais regroupés dans le bataillon de
marche des Antilles n°1 (BMA1). En métropole, beaucoup de prisonniers des frontstalags ou des GMICR 1
sont employés par les Allemands, alors qu’outre-mer la guerre s’accélère. Deux cents Réunionnais s’engagent et les
combattants du 21e groupe antillais de défense contre avion (GADCA), intégrés à la 1re division française libre (DFL),
rejoignent le Corps expéditionnaire français en Italie en avril 1944, avant de participer au débarquement de Provence
au cours de l’été, aux côtés des forces alliées. La 9e division d’infanterie coloniale, à forte dominante africaine, et le
18e RTS, mènent des combats décisifs sur Toulon et Marseille. La 9e DIC et la 1ère DFL remontent vers le Nord-Est
tandis que la 2e DB du général Leclerc libère Strasbourg le 23 novembre 1944. En mars et avril 1945, des tirailleurs
du régiment d’A-ÉF-Somali et le bataillon de marche des Antilles n°5 se battent pour libérer la poche de Royan.
Pendant la campagne de France, les unités sont progressivement « blanchies », et des problèmes de régularisation
des soldes, dus aux démobilisations rapides des anciens prisonniers de 1940 libérés des Frontstalags, créent des
rancœurs et des révoltes. Les autorités françaises répriment immédiatement ces mouvements revendicatifs, comme
* Estimations
à Thiaroye, au Sénégal 2 . Dans le même temps, on récompense et distingue, lors des défilés et cérémonies, (265 000 combattants mobilisés dont 45 000 à 50 000 étaient déjà stationnés
des unités ainsi que des individualités comme le Guyanais Félix Éboué ou le Martiniquais William Palcy. Plus de dix en France (combats mai-juin 1940))*
gradés et tirailleurs coloniaux seront d’ailleurs faits Compagnons de la Libération, et une cinquantaine de médailles
de la Résistance seront décernées à des Africains, même si de grands résistants sont oubliés à l’image du Guinéen
PERSONNAGE
Addi Bâ. Plusieurs monuments inscrivent dans le paysage ces engagements et sacrifices, comme à Chasselay 3 .
© Coll. Joyeux/Maurice Rives
Avec les combats de 1940, ce sont près de cent quatre-vingt mille soldats afro-antillais qui auront combattu en Surnommé le « terroriste noir » par les Alle-
mands, cette figure de la résistance française
France pendant la Seconde Guerre mondiale. s’engage dès le début de la guerre. Prisonnier,
Addi Bâ est interné à Neufchâteau. Il s’évade
et participe à l’établissement du premier
maquis des Vosges, le camp de la Délivrance.
© Association des Anciens du maquis de l’Oisans/DR
© Philippe Guionie/MYOP
1 LES COLONIAUX RAPATRIABLES (GMICR) Traqué, arrêté, il est torturé avant d’être
Créés pour administrer les tirailleurs coloniaux non- fusillé le 18 décembre 1943. Soixante ans plus
rapatriés, ils comptent soixante-douze compagnies en tard, la Médaille de la Résistance lui sera
1943, qui regroupent un peu plus de dix mille Africains décernée à titre posthume.
et Malgaches. Les occupants les considèrent le plus
Addi Bâ entouré par des habitants de Rocourt [Aisne], photographie, 1942.
souvent comme des prisonniers de guerre, et les uti-
lisent comme travailleurs, notamment sur les chantiers
de l’Organisation Todt. Beaucoup rejoignent les maquis
comme ceux de Loisans dans les Alpes.
© Coll. Éric Deroo/DR
GRAND ANGLE
© NARA
Entertaining the boys dancing on roller skates [Bordeaux], photographie, Mc Laughin, 1918.
L
a présence de combattants noirs dans l’armée américaine commence en 1863, en pleine
© Coll. part./DR
guerre de Sécession, lorsque le président Abraham Lincoln fait appel aux U.S. Colored
© US Air Force Museum/DR
Troops. Durant la Grande Guerre, sur les quatre cent mille mobilisés afro-américains, un
quart est envoyé en France (à partir de 1917), et 20 % seulement de ces effectifs sera
envoyé au combat. La plus célèbre des unités demeure le 369e régiment d’infanterie de couleur
de l’armée américaine qui sera sous commandement « temporaire » de l’armée française, les
officiers américains blancs refusant de les conduire au combat. S’ils seront distingués et honorés
par l’état-major français 1 , ces soldats ne participeront pas au défilé parisien de la victoire du
14 juillet 1919. L’état-major américain décide en effet de les rapatrier rapidement, redoutant de
voir se reproduire les mutineries d’août 1917 (au Texas), par peur surtout des habitudes qu’ils
pourraient prendre d’une armée française qui ne pratique pas la ségrégation. De retour aux
États-Unis, ils seront reçus en héros par la communauté afro-américaine. Ce conflit révèle des
personnalités de premier plan, comme Eugene Jacques (James) Bullard, le premier aviateur
noir de l’histoire, ou l’ambassadeur du jazz le lieutenant noir James Reese Europe.
Eugene Bullard près de son avion, photographie
de l’armée américaine, 1917.
La ségrégation au sein de l’armée américaine se prolonge et reste forte à la veille de la Seconde
Premier pilote noir de l’histoire de l’avia-
Guerre mondiale. Celle-ci freine le recrutement des Afro-Américains, les Américains ne souhaitent
tion militaire, l’Afro-Américain Eugene pas les envoyer au front. Finalement, les soldats noirs vont essentiellement servir dans des unités
Jacques (James) Bullard s’engage dès 1914 Le bataillon des « Panthères noires », régiment de tankistes [première unité de GI’s noirs combattante,
dans la Légion étrangère. En août 1917, les de soutien, et l’on compte jusqu’à 75 % d’Afro-Américains dans les services logistiques. À Cherbourg, Lorraine], photographie, 1944.
Américains recrutent pour le Lafayette que l’on désigne au cours de l’été 1944 comme le « Chicago en Normandie », dix bataillons ont la
Flying Corps, mais Jacques Bullard est
charge de la logistique des Alliés. Seule une partie de ces combattants est présente au feu à la fin
© John Van Hasselt/Corbis
PERSONNAGE
© NARA
Les premières troupes de GI’s de couleur arrivent à Cherbourg, photographie de l’armée américaine, 1944.
Soldats américains au café le Montmartre Harlem [Paris], photographie, Roger Schall, 1945.
OBJET
© Coll. Groupe de recherche Achac/DR
Départ des troupes d’outre-mer stationnées en Algérie à destination du Sénégal [Alger], photographie, Grimaud, 1962.
1946-1977
DÉCOLONISATIONS ET INDÉPENDANCES
u lendemain de la Seconde Guerre mondiale, la France fait de nouveau
A
© Joël Saget/AFP
PERSONNAGE
soixante mille Africains et pas moins de quatre mille ultramarins, à l’image de Marius Jeune femme bénéficiaire du Service militaire adapté (SMA),
photographie, Joël Saget, 2009.
et des services, soit plus de quinze mille hommes au total. Adjudant Dieme, photographie, non datée.
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
Les enfants de troupes noires à l’Arc de Triomphe [Paris], photographie, Le Parisien Libéré, 1955.
I les bénéficiaires ne sont pas forcément d’anciens combattants), la retraite du combattant (attribuée
à ceux qui ont combattu dans l’Armée française) et la pension militaire d’invalidité. Depuis une
loi du 26 décembre 1959, les soldats des colonies, devenus « étrangers » suite aux décolonisations,
ne bénéficient pas des mêmes droits que leurs frères d’armes français et leurs pensions ont été
progressivement « cristallisées », c’est-à-dire gelées, alors que certains ont reçu une somme unique
Suite à la plainte déposée en 1996 par un
ancien sergent-chef sénégalais, Amadou
Diop, le Conseil d’État sanctionne cinq ans
plus tard le gouvernement pour son refus de
revaloriser la pension militaire de sa retraite
(trois fois moindre que s’il était français). Le
Conseil d’État, par l’arrêt Diop, estime que la
cristallisation constitue une discrimination.
© Philippe Guionie/MYOP
et forfaitaire. Jusqu’en 1975, la situation ne déclenche aucun mouvement de protestation, mais l’inflation Le gouvernement décide alors d’indexer
« partiellement » les pensions sur le pouvoir
vient bouleverser cet équilibre précaire. L’écart entre l’Afrique et la France devient alors très important. d’achat des pays d’origine.
Rapidement, la « décristallisation des pensions » est revendiquée par les anciens militaires, tel Amadou
Maison du combattant de Ziguinchor [Sénégal] in série Le tirailleur
Diop, assistés en cela par le Conseil national pour les droits des anciens combattants d’outre-mer et les trois fleuves, photographie, Philippe Guionie, 2006.
(créé en 1994). Ces actions vont permettre d’obtenir, suite à l’arrêt du 30 novembre 2001 du Conseil
d’État, une première revalorisation des pensions versées aux anciens militaires, en tenant compte du
© Coll. Éric Deroo/DR
© Chris Uebe
niveau de vie de chaque pays. En 2003, une revalorisation de la retraite du combattant est également
décidée. En 2007, juste après le succès du film Indigènes qui stigmatise sur cette inégalité de traitement,
la France procède à une revalorisation bénéficiant à cinquante-sept mille titulaires de la retraite du
combattant et à dix-huit mille titulaires de pensions militaires d’invalidité.
En 2010, l’« égalité imparfaite » de 2007 est remise en débat, notamment par l’association Les Oubliés
de la République, car les mesures n’ont porté que sur la retraite du combattant. La France s’engage,
à l’heure des défilés commémoratifs sur les Champs-Élysées 1 , à faire en sorte que tous les anciens
militaires des colonies (sans référence au niveau de vie de ces anciennes colonies) puissent désormais
bénéficier des mêmes prestations que leurs frères d’armes français. Ces débats ont aussi permis de
rendre visible ces anciens combattants, dont l’histoire s’estompe à mesure que leurs rangs s’éclaircissent. Dupont et Demba [monument situé devant la gare
de Dakar], photographie, Chris Uebe, 2010.
Appuyée sur les travaux d’historiens, chercheurs ou réalisateurs, une mémoire émerge désormais,
relayée par les manuels scolaires, les médias et les déclarations officielles. Depuis une décennie, on 2 LA STATUE DEMBA ET
rend hommage par la construction (ou reconstruction) de monuments commémoratifs en Afrique 2 DUPONT À DAKAR (2004)
La statue À la gloire des troupes Aux héros de l’Armée noire [Reims], carte postale, non datée [1930].
ou en Europe 3 à ces soldats d’outre-mer qui ont combattu sous le drapeau français. noires et aux créateurs disparus de
l’Afrique occidentale française a été 3 LES MONUMENTS AUX HÉROS
inaugurée en 1923 à Dakar (Sénégal). DE L’ARMÉE NOIRE (1924-2014)
Elle associait Demba et Dupont, Quelques mois après l’édification du monument À la
© Issouf Sanogo/AFP
© Jérôme Salles/ECPAD
évoquant leur fraternité d’armes. Le mémoire des soldats noirs morts pour la France de Nogent-
monument, transféré dans le cime- sur-Marne, un monument Aux héros de l’armée noire est
tière militaire de Bel-Air dans les inauguré à Bamako le 3 janvier 1924. Six mois plus tard,
années 90, est remonté lors de la une réplique du monument est également érigée à Reims,
première célébration de la Journée au plus près de l’ancien front. Ce dernier est détruit par
du tirailleur, le 23 août 2004, place les troupes allemandes en 1940, en même temps que les
de la Gare Dakar-Niger rebaptisée monuments érigés à Paris et Metz, en l’honneur du général
à cette occasion place du Tirailleur. Mangin, le père de la « Force noire ».
© Philippe Guionie/MYOP
Troupes maliennes lors du défilé du 14 juillet [Paris], photographie, Jérôme Salles, 2010.
OBJET
© Coll. Éric Deroo/DR
Alioune Saw et son portrait en uniforme de tirailleur [Saint-Louis-du-Sénégal], in série Le tirailleur et les trois fleuves, photographie, Philippe Guionie, 2008.
AUJOURD’HUI
MÉMOIRE ET COMMÉMORATIONS
© ECPAD
PERSONNAGE
otre époque voit la multiplication des publications et des commémorations sur le
1 MÉMORIAL DE L’ARMÉE NOIRE À FRÉJUS (1994) visibles, telle celle de Valentin Lindor, le dernier poilu martiniquais, celles des anciens
Ce monument a été érigé dans la ville de Fréjus en 1994
à la mémoire des combattants noirs, et à l’occasion du combattants en portraits dans l’exposition Le tirailleur et les trois fleuves (1998), ou encore dans
cinquantenaire du débarquement de Provence. Il s’inspire le documentaire-hommage aux dissidents d’Euzhan Palcy 3 .
du premier mémorial rendant hommage à l’armée noire,
édifié à Bamako et à Reims en 1924. L’épitaphe est signé Au-delà de ce récit mis en histoire, il s’agit aussi de laisser parler les lieux. C’est, par exemple,
Léopold Sédar Senghor : « À l’armée noire. Passant, ils sont
tombés fraternellement unis pour que tu restes Français. »
l’inscription de la mosquée de Caïs (construite en 1928-1930) à la liste des monuments historiques
en 1987, mais c’est aussi l’hommage aux morts : en 1966, une opération de regroupement des Monument aux morts sur la Savane [Fort-de-France],
photographie, non datée.
corps a lieu, ce qui permet de transférer près de cinq mille huit cents corps dans la nécropole
Le Martiniquais Valentin Lindor,
nationale de Luynes, près d’Aix-en-Provence. Depuis, ces lieux s’inscrivent au cœur de notre
© Seyllou Diallo/AFP
La piste des tirailleurs, monument érigé en hommage aux morts de la Première Guerre mondiale,
photographie, Seydou Diallo, 2004.
© JMJ Productions/DR
© ECPAD
2 150e ANNIVERSAIRE
DE LA « FORCE NOIRE » (2007)
À l’occasion de la commémoration des combats
de Bazeilles (1870), fête traditionnelle des
troupes de marine, et du 150e anniversaire
de la création des tirailleurs sénégalais (1857),
la France rend un hommage solennel à la
« Force noire ». Une cérémonie officielle,
présidée par le secrétaire d’État à la Défense,
chargé des Anciens combattants, est organisée,
les 31 août et 1er septembre 2007, en présence
de trente-quatre anciens tirailleurs.
OBJET
retrace le long périple de l’épopée dissidente,
de ces jeunes Antillais qui, après avoir fui leurs
îles, rejoignent le camp d’entraînement de Fort
Dix aux États-Unis, avant de s’embarquer pour
© Jérôme Salles/ECPAD
Dans la guerre des toubabs. Les tirailleurs sénégalais La Force Noire, Gloires et infortunes d’une légende
en 14-18, affiche de l’exposition du musée coloniale, imprimé, 2007.
du Chemin des Dames, 2007.
territoire national. En outre, ces soldats, en particulier ceux d’origine ou de confession 2 LE JARDIN DE NOGENT
Dans le bois de Vincennes, le Jardin d’agronomie tropicale de Nogent-sur-
musulmane 1 , peinent parfois à faire reconnaître qu’ils sont pleinement français, du fait Marne abrite plusieurs monuments liés à la Grande Guerre. Une plaque
conserve la mémoire de la première mosquée de France liée à l’hôpital
du soupçon de « double allégeance » et de l’émergence du radicalisme islamique ; il musulman de la Grande guerre, et un obélisque a été dressé en mémoire
reste donc de nombreux efforts à entreprendre quant à la promotion de ces soldats. des soldats coloniaux.Tout autour, mémoriaux indochinois, malgache et aux
« combattants noirs » font de ce jardin oublié un des grands lieux de mémoire
Depuis des décennies, dans le Jardin d'agronomie tropicale de Nogent-sur-Marne 2 , un de la République.
hommage est rendu tous les ans à cette armée historiquement composée de populations Jardin d’agronomie tropicale. Monument aux soldats noirs morts pour la France
[Nogent-sur-Marne], photographie, Jean Mounicq, 2009.
très diverses.
© Jérôme Salles/ECPAD
© Lahcène Abib/Signatures
© adjudant Desbourdes/ECPAD
1 LA NOMINATION D’AUMÔNIERS
GÉNÉRAUX MUSULMANS (2006)
La présence d’aumôniers dans les armées
est prévue depuis la loi du 8 juillet 1880, et Inauguration de l’exposition Combattants des Outre-mer dans la cour des Invalides [Paris],
photographie, adjudant Desbourdes, 2011.
toute personne qui sert dans les forces
armées françaises doit pouvoir pratiquer
sa religion. L’accroissement du nombre de
© Nicolas Jose/Sipa
Le 35e RAP (régiment d'artillerie des parachutistes) au défilé du 14 juillet [Paris], photographie, Jérôme Salles, 2013.
© Ali Guessoum/Sansblanc