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DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
(1918-1946)
I
II
La discorde (1919-1925).
III
L’essor (1925-1937).
IV
L’expansion (1937-1938).
V
Les épreuves de force (1938-1939).
VI
L’apogée (1939-1942).
VI1
Le tournant (1942-1943).
VI11
Le reflux (1943-1944).
IX
L’agonie (1944-19 4 5 ) .
X
Le jugement ( 1 945-1946).
BENOIST-MÉCHIN
HISTOIRE
DE
L’ARMÉE
ALLEMANDE
Tv
L’EXPANSION
1937-1938
Avec 9 cartes
PARIS
IL A ~ T TIRB
É DE
L’ N HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE B
110 EXEMPLAIRES SUR VÉLIN DU MARAIS,
DONT CENT NUMÉROTÉS D E 1 A 100
ET DIX EXEMPLAIRES HORS COMMERCE,
NUMÉROTÉS H. C. I. A H. X, C.
LE NUMÉRO JUSTIFICATIF DE CHAQUE SÉRIE
SE TROUVANT EN TÊTE DU DERNIER TOME D E L’OUVRAGE.
L E JAPON DEVIENT
UNE PUISSANCE MONDIALE
* +
C’est alors au tour de l’Angleterre de s’alarmer. Si l’accrois-
sement rapide de la puissance russe en Asie se limitait à la
Mandchourie, elle n’en prendrait pas ombrage. Mais elle se
traduit également par des infiltrations en Mongolie et au
Sin-Kiang, et par une pression constante sur 1’Afghanistan
et la Perse 3. Or, cette poussée générale en direction du sud
représente une menace grave pour la sécurité des Indes 4.
1. N En Chine, écrit le prince d e Bülow, il [Waldersee] ne s’est pas borné à
maintenir l’harmonie entre les Puissances. I1 a beaucoup contribué à accroître
les positions politiques e t économiques si prometteuses que nous avons détenues
en ExtrCme-Orient jusqu’en 1914. u (Afémoirea, I, p. 541.)
2. Dont 1.481 kilomètres pour prolonger le Transsibérien, e t 941 kilomètres
représentés par l’embranchement Kharbine-Port-Arthur.
...
3 . a La Russie n’avait point fini encore d’arrondir ses acquisitions en Asie
centrale. Poussant toujours davantage vers ïAfghanistan, les Russes s’annexèrent
Merv, l’oasis d’Akhal e t mcme Saraks. Leurs progrès ne s’arrêtèrent pas là, même
...
après la nomination d’une Commission d e délimitation [des frontières] Ce fut
sous les yeux des envoyés anglais qu’ils battirent les Afghans et s’emparèrent d e
Pendjeh en 1885. Un moment, on p u t croire la guerre imminente, en raison des
armements actifs d e 1’Angieterre e t d e la longueur des négociations. D (N. BnIAN-
CHANINOV, ifistoire de Russie, p. 430-431.)
4. Dans une conférence prononcée le 21 mars 1884 devant la Société d e Géo-
graphie, Gabriel Benoist-Méchin, qui venait d e parcourir le Turkestan à l a tête
LE M O N D E EN 1937 17
Cherchant un allié en Extrême-Orient capable d’endiguer
l’avance du colosse russe, le gouvernement de Londres se
tourne vers le Japon et lui propose son alliance. Flatté d’être
l’objet d’avances de la part d’un grand pays européen, le
Cabinet de Tokyo accepte avec empressement. C’est ainsi
qu’est signé le 30 janvier 1902, un traité défensif entre la
Grande-Bretagne e t le Japon l.
Se sentant protégé) grâce à cette alliance, contre le retour
de circonstances semblables à celles qui l’ont obligé à rétro-
céder le Liao-tung, le Japon n’attend plus qu’une occasion
pour fondre sur la Russie. Nicolas I I ne tardera pas à lui en
fournir le prétexte.
Invité par les Anglais à retirer les troupes qu’il a instal-
lées en Mandchourie)le Tsar commence par acquiescer. Puis,
il se ravise. Non content de maintenir ses divisions à Mouk-
den e t à Kharbine, Nicolas I I renforce son armée e t sa
flotte, à Vladivostok et à Port-Arthur. Pour aggraver encore
les choses, il soutient ouvertement la Compagnie d u Yalou 2,
qui, sous prétexte d’exploitation forestière, s’efforced’étendre
l’influence russe sur la Corée du Nord. Or, selon le dicton, la
Corée (( est une dague pointée sur le cœur du Japon ».
Si jamais les troupes tsaristes arrivaient à y prendre pied,
le peuple nippon aurait vécu en tan t que nation indépendante.
Se sentant directement menacé dans ses intérêts vitaux,
Tokyo entame des négociations avec Saint-Pétersbourg pour
l’amener à reconnaître ses droits spéciaux sur la Corée.
Le gouvernement tsariste fait traîner les choses en longueur,
convaincu que le Japon finira par se lasser. Tragique erreur!
Le 17 janvier 1904, Tokyo rompt les relations diploma-
de sa caravane, avait signalé la grave tension anglo-russe qui régnait dans cette
région. a Les Russes, avait-il déclaré, se trouvent aujourd’hui d’un côté de 1‘Afgha-
nistan e t les Anglais d e l‘autre, c’est-A-dire dans la position que prévoyaient
depuis longtemps ceux qui s’occupent d e la question centrale asiatique, qui devien-
dra la question européenne le jour où l’empereur de Russie croira devoir faire
la guerre A l’impératrice des Indes. u (Bulletin de la Société de Géographie, l e rtri-
mestre 1885, p. 26-27.)
1. Ce traité est conclu pour une durée d e cinq ans, renouvelable. Ses principales
dispositions sont les suivantes :
I. - A u cas où l’une des Parties Contractantes se trouverait engagée dans un
conflit avec une tierce Puissance, l’autre userait de son influence pour empêcher
d’aufres Puissances de se joindre à son adversaire.
II. - E n cas d’intervention d‘une tierce Puissance, l’autre Partie Contracfanfeae
rangerait aux côtés de son alliée et prendrait part aux opérations militaires.
La Russie, de ce fait, s e trouve isolée.
2. Nommée d’après le fleuve Yalou qui sert d e frontibre naturelle entre la
Mandchourie e t la Corée.
IV 2
18 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
NAISSANCE DE L’ANTAGONISME
AMERICANO-NIPPON
+ +
LA CONQUÊTE DE LA MANDCHOURIE
1. u Plus le temps passe, plus l’orgueil national nippon s’irrite du rapport 5-3
fixé pour Ics llottes américaine et japonaise. n (Cf. ESPAGNAC D U RAVAY,Vingt
ans de poliLique nacdc, 1919-1939, p. 1h3.)
2. Cf. iYote de J I . Grew, ambassadeur des ÉiaLs-Unis à Tokyo au Secrétaire d’État
Stiinson, 24 février 1933.
3. Inférieure, en chiffres absolus, B la population des États-Unis, elle n’en est
pas moins dirfois plus /orta au point de vue de la densité (U.S. A. : environ 20 h.
par kni2; Japon 203 h. par km2).
4. Vers 1924, Joiïé en demande 750 millions de dollars.
5. Herbert H. GOWEN, Op. cit., p. 397-398.
6. Signé à Washington en février 1922.
LE MONDE E N 1937 29
guerre hors la loi) l. C’est ce que les dirigeants améri-
cains ne lui pardonneront jamais 2.
Mais les Japonais ne sont pas disposés à se laisser détour-
ner de leurs buts par des appels à la vertu ou des homélies
moralisatrices sur (( le caractère sacré des traités ».L’aven-
ture dans laquelle ils se sont engagés leur paraît une ques-
tion de vie ou de mort pour leur nation S. Ils savent qu’on ne
fonde pas un empire sans en payer le prix, et que ce prix est
(( beaucoup de sang, de sueur et de larmes ».
Déjà solidement implantés en Mandchourie du Sud, les
Japonais vont progresser vers le nord et vers l’ouest, agran-
dissant leur domaine. avec une obstination inlassable, jus-
qu’au jour où il formera un ensemble d’un seul tenant,
d’une superficie de plus d’un million et demi de kilomètres
carrés.
Pendant ce temps, la République chinoise s’enfonce dans
le chaos. Le Kuo-Min-Tang est de moins en moins capable
de faire respecter son autorité. Fomentés par des agents
communistes 6, des troubles éclatent à Canton et à Shanghaï.
Installés respectivement à Nankin et à Pékin, deux gouver-
nements rivaux se disputent le pouvoir, tandis qu’une demi-
douzaine de maréchaux factieux ravagent les campagnes à
la t ê t e de leurs armées.
L’un d’eux, le maréchal Tchang Tso-lin, a voulu profiter
de l’anarchie qui règne dans la Chine du Sud pour se tailler
un domaine personnel dans les trois provinces orientales.
Dès 1922, il a rendu la Mandchourie indépendante du gou-
vernement central. Pendant un temps, les Japonais ont
cru pouvoir s’entendre avec lui 7, mais Tchang Tso-lin a
péri en 1928 dans des conditions mystérieuses. Son fils
2. Les militaires japonais s’insurgérent contre cet achat, négocié par Shiganori
Tojo, tant ils étaient sûrs, t5t ou tard, de s’approprier cette ligne par la force.
(Cf. TOJO,Japan irn zweiterr WeZtlîrieg, p. 30-31.)
32 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
bien administrés e t ils bénéficient d’une monnaie saine. On établit des plans qui
sont en voie d’exécution, pour l’amélioration des transports, des commufiications,
de la navigation intérieure, du contrôle des inondations, des hôpitaux, d e l’en-
seignement médical. De tout ceci, on peut envisager l’importance que le Mand-
choukouo prendra comme marché d e produits industriels. Un g t a t moderne est
en formation. a (Rapport de la mission industrielle britannique de 1935.)
1. u Tous les voyageurs sont impressionnés par l’état d’avancement du chemin
de fer e t des routes. Nulle part ailleurs dans le monde, la construction des cbe-
mins de fer est aussi rapide qu’au Mandchoukouo. I1 eat d’une évidence écrasante
qu’en ce moment, le pays progresse à une allure sans précédent. D (Déclaration du
DI Dorffmann,de la Commission Lytton, envoyée en Extrême-Orient par la S. D . N .
en 1934.)
2. u Ce que j’ai vu cette fois-ci a u Mandchoukouo n’existait pas quand j’y étais
sous le régne de Tchang Hsue-liang. I1 y a beaucoup d’écoles, des routes admi-
rables qui s’étendent rapidement, u n système monétaire, un développement indus-
triel et agricole, des constructions d’édifices, un plan d’urbanisme merveilleux et
une foule d’autres choses q$ n’existaient pas auparavant. L’œuvre du gouver-
nement e t des autorités militaires est stupéfiante et le Mandchoukouo est u n des
grands centres mondiaux qui méritent l’attention. L’expérience réalisée peut être
qualifiée d e chef-d’œuvre de science gouvernementale. B (Déclaration de Francis
W . Clarke, sous-directeur de L‘Atlanta Constitution et correspondant spécial de L‘Al-
liance des journaux amdricains.)
3. Les quelques chiffres suivants donnent une idée de l’expansion rapide du
Mandchoukouo :
~
L’EXPANSION
JAPONAISE EN MAN
DURIE ET EN CHINE (1904-1939).
42 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
au Mandchoukouo.
Cette fois-ci c’est l’Angleterre qui veut recourir aux sanc-
tions. Elle concentre d’importantes forces navales à Singa-
pour et se tourne vers l’Amérique pour lui demander son
appui: Mais, entre-temps, M. Cordell Hull a remplacé
M. Stimson au Département d’État. C’est un homme plus
pondéré que son prédécesseur. Ne voulant pas donner
l’impression d’être à la remorque de Downing Street,
il se borne à répondre que l’Angleterre a beaucoup plus
d’intérêts au Jéhol que les États-Unis et que c’est à elle, en
conséquence, de prendre les mesures nécessaires.
- Quant à nous, ajoute-t-il, nous n’estimons pas opportun
de pratiquer, en la circonstance, une politique conjointe
Trop souvent dans le passé, et notamment en 1931, nous
nous sommes mis en avant sans rencontrer chez nos parte-
naires la compréhension à laquelle nous étions en droit de
nous attendre ... E tan t donné la confusion extrême qui règne
actuellement en Chine, nous n’envisageons même pas de
proposer notre médiation 2...
Du coup, tout espoir d’appliquer des sanctions doit être
abandonné 3. Ce qui fera dire, d’un ton désabusé, à un diplo-
mate chinois (( que la morale internationale varie, selon
la densité des voies ferrées 4 1).
navales interalliées perdirent beaucoup de leur intérêt. u Était-il utile, écrit Espa-
gnac du Ravay aprés la conférence navale de 1935-1936,de continuer à délibérer
sur des limitations de flottes, alors que l’une des plus grandes Puissances navales
du monde, régnant sans conteste sur les eaux d’Extrême-Orient, se refusait B
accepter tout systhme de limitation d’inspiration anglo-saxonne? (Vingt ana de
politique nutale. p. 161.)
I.Le plus grand mystere a toujours entouré ces deux <Y géants des mers *.
Tout ce qu’on sait d’eux est qu’ils mesuraient plus de 300 mètres de long et étaient
armés de 9 piéces de 460 (outre un certain nombre de pièces de 180, de 155 e t
de 120).
2. Totalisant respectivement 151.O00 tonnes, 146.993 tonnes et 95.869 tonnes.
(Cf. Edmond DELAGE, La Puissance navale nippone, Le Temps, 6 mai 1938.)
3. E n 1940, les forces navales japonaises atteindront environ 1.375.900 tonnes.
4. Memorandum de l‘ambasaadeur Grew, 15 novembre 1937.
46 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
LES SAMOURAÏS
A L’ASSAUT
DU DIEU-EMPEREUR
a: Il n’est pas encore trop tard pour rejoindre vos postes. Ceux
qui continueront à résister seront fusillés. Vos familles pleurent
parce que vous voulez devenir des traîtres! 1)
1. (I Adoua, écrit Erwin Faller, demeura comme u n fanal rouge dans l’histoire
des relations italo-éthiopiennes. Durant quarante ans, le nom de cette localité
entretint, chez les Italiens, l’espoir de la revanche. Durant quarante ans, il entre-
tint, chez les Éthiopiens, un sentiment d’invincibilité que rien ne justifiait. I1
f u t le poteau indicateur qui mena I\.Iussolini s u r la route de l’Empire. o a i s il
f u t aussi la cause d u sourire condescendant [ à l’égard de l‘Italie] q u e les Ethio-
piens adoptèrent, pour leur malheur, en 1935-1936. m
2. C’était la conquête d e la Tunisie par la France, en 1881, qui avait poussé
l’Italie a se tourner vers les Empires centraux. Le Traité d’alliance entre l’Italie,
I’hllemagne et l’Autriche-Hongrie avait été signé le 20 mai 1882. (Cf. Les Accords
franco-italiens de 1900-1902. Livre jaune, Paris, 1920, p. 7-9.)
88 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. L’Angleterre craignait que l’Italie ne détournât les eaux du Nil vers les
plaines arides d’une Érythrée (( élargie n, pour la transformer en un pays produc-
teur de coton, ce qui aurait porté un préjudice considérable à l‘économie égyp-
tienne. (CI. Sir John HaRnrs, Italy and Abyssinia, Conternporary Review, août
1935, CXLVIII, p. 151.)
2. Winston CHURCHILL, Th? Gathering Storm, Cambridge, 1948, p. 166. I1 faut
cependant signaler, pour Cire équitable, que l’esclavagisme n’était pas tant le
fait de l‘Abyssinie elle-méme, que de l’Arabie Séoudite qui s’y pourvoyait en
main-d‘œuvre A bon marché. Les trafiquants d’esclaves étaient, pour la plupart,
LE MONDE EN 1937 93
i *
* +
Les frontières de la Somalie italienne et de la province
éthiopienne de l’Ogaden n’avaient jamais été clairement
définies. Dans l’espèce de (( no man’s land qui séparait les
deux pays, se trouvait l’oasis d’Oual-Oual, importante par
ses points d’eau et sa position stratégique. Les Italiens s’y
étaient installés e t l’avaient fortifiée, sans soulever la
moindre protestation de la part des Éthiopiens. Leurs troupes
l’occupaient depuis plus de cinq ans, lorsque soudain 1’Empe-
reur Haïlé Sélassié avait revendiqué cette oasis en affirmant
qu’elle se trouvait à l’intérieur de ses frontières et avait
exigé son évacuation immédiate. Comme le gouvernement
romain s’y était refusé, une partie de la garnison italienne
avait été massacrée. Le reste n’avait eu que le temps de se
replier vers la côte. Mussolini avait riposté en envoyant
quatre bataillons d’infanterie à Massaoua, qui semblaient
être l’avant-garde d’un nouveau corps expéditionnaire.
(( Le déclenchement des hostilités à Oual-Oual, écrit Tan-
IT
VI11
l’Allemagne et l’Italie, qui les prémunissait contre la crainte de voir ces deux
pays constituer un front commun diplomatique ou même militaire. I (Hifiers
güicklichaler Tag, Stuttgart, 1962, p. 82.)
1. On s’étonne que Mussolini n’ait pas vu que l’une menait directement à l’autre.
Mais il était préoccupé, lui aussi, d’accroître son armée.
100 HISTOIRE D E L>ARMÉE ALLEMANDE
1. Quelques jours auparavant, M. von Papen lui avait dépêché un de ses amis,
M. von Lersner, pour le supplier d’exercer une influence modératrice sur Hitler,
(Cf. PAPEN,Mémoires, p. 240.) I1 est probable que M. von Lersner en avait profité
pour mettre le chef du gouvernement italien au courant de la situation très trouble
qui régnait à ce moment en Allemagne. Cela expliquerait l’ironie condescendante
avec laquelle le Duce avait conseillé à Hitler de y commencer par mettre de l’ordre
dans sa propre maison II. (Voir vol. III, p. lu.)
2. Voir vol. III, p. 169 et 8.
3. DiScours prononcé à Bari, le 6 septembre 1934.
102 HISTOIRE DE L’ARWBE ALLEMANDE
*
i l
* *
A Berlin, on ne s’y trompe pas. La signature du Pacte de
Rome y cause un émoi considérable. On considère qu’une
alliance militaire a été conclue entre Rome et Paris, et que
l’Autriche est devenue (( un Protectorat franco-italien 1).
M. von Neurath parle d’un (( fait accompli D, parce que la
pièce maîtresse de l’accord - le Pacte consultatif - est
entré en vigueur le jour de sa signature. Pour aggraver
encore les choses, Mussolini prend la plume à quelques
jours de là pour célébrer (( la vocation latine de l’Autriche ))
dans un article qui paraît dans le Pop010 d’Italia l. Sa lecture
met Hitler au comble de la fureur :
- Étant né en Autriche, s’écrie-t-il, je connais mieux que
quiconque la vocation germanique de mes compatriotes!
Et quand on voit l’État croupion que les signataires du traité
de Saint-Germain ont fait de ce malheureux pays, on se
demande comment ils osent encore parler de son ((intégritér!
Mais c’est de Londres qu’arrivent les nouvelles les plus
alarmantes. M. von Hœsch, ambassadeur du Reich en
Grande-Bretagne, envoie à la Wilhelmstrasse des télégrammes
pessimistes. «Lesbases d’un encerclement de l’Allemagne sont
posées, y déclare-t-il. Cet encerclement est même plus étroit
que jamais. I1 sunirait à présent que l’Angleterre tende la
main à la Russie, pour qu’il devienne total. )) Et l’ambassa-
deur recommande à M. von Neurath (( d’agir avec la plus
grande circonspection, de persuader le Führer de renoncer
aux décisions unilatérales, de freiner le réarmement de la
Wehrmacht, peut-être même de réintégrer la Société des
Nations. N
Mais l’ambassadeur du Reich voit les choses trop en noir.
Sous un calme apparent, Londres n’est pas moins inquiet
que Berlin. Une alliance franco-italienne serait peut-
être plus dangereuse encore pour les Anglais que pour les
Allemands, car elle menacerait l’hégémonie britannique en
la Chambre des Députés les approuve par 555 voix contre 9. Le 27 mars, à l’una-
nimité, le Sénat, sur l’intervention d’Henry de Jouvenel, les approuve à son
tour. La Petite Entente affirme son contentement. Le 11 janvier à Ljubljana,
les ministres des Affaires étrangères d e Roumanie, de Tchécoslovaquie e t de You-
goslavie manifestent leur satisfaction quant aux résultats auxquels ont abouti ka
Jgociations de Rome. (Op. cit., I, p. 76.)
i. 13 février 1935.
108 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ ~ E
ALLEMANDE
à mettre sur pied une Union dotée d’un râtelier artificiel. Nous
voulions montrer les dents, et nous n’en avions pas 2! 1)
1. u La Conférence de Stresa avait été conçue pour établie une alliance selide
contre l’agression. Au lieu de cela, elle ouvrit la porte à des événements qui dis-
IiOlVèrent non seulement cette alliance, mais détruisirent la Société des Nations
et, avec elle, tout le systeme de la securité collective. D (TAYLOR, op. cit., p. 87.)
IX
LA CONQUÊTE DE L’ABYSSINIE
* *
Or, la conquête de l’Abyssinie n’est pas une entreprise
facile. Ce territoire d’une superficie presque double de celle
de la France l, oppose des obstacles formidables à toute péné-
tration militaire. Une fois franchies les plaines côtières, tan-
t ô t sablonneuses, tantôt couvertes de broussailles, où règne
un climat tropical et déprimant 2, on s’élève par ondulations
successives jusqu’au plateau central, que dominent à leur
tour quelques-uns des sommets les plus elevés de l‘Afrique S.
C’est pourquoi on a comparé l’Éthiopie à un chapeau à
larges bords (( dont la calotte aurait été pétrie et bosselée,
en un jour de colère, par un géant nerveux ».
Ce territoire torturé, raviné, coupé de gorges profondes
est habité par quelque 19 millions d’habitants, réputés pour
leur valeur guerrière. L’Empereur Haïlé Sélassié peut y
puiser plus de 1 million de combattants, commandés par des
chefs qui connaissent admirablement le terrain : le ras
Kassa, le ras Seyoum, le ras Nasibu e t enfin son propre
gendre, le ras Desta.
Les forces du Négus ressemblent, dans leur composition,
à la configuration du pays. I1 y a d’abord la grande masse
de la population, formée de soldats-paysans qui vivent sur
leur terre, le fusil à la main, e t qui sont prêts à répondre au
premier appel aux armes. C’est le bord du chapeau. Puis,
des troupes gouvernementales, levées et entretenues par
les gouverneurs de province, dont le nombre s’élève à
100.000 hommes environ et qui correspondent à la zone des
viendrions très facilement ... Si les Français refusaient d e remplir ce rôle, le mieux
serait d’aller trouver Mussolini à titre privé, pour lui signifier clairement nos inten-
tions. Si la Ligue se montre incapable d’une intervention eflicace pour empêcher
cette guerre, elle deviendra u n mythe dont il sera pratiquement impossible de
justifier l’existence, à quelque titre que ce soit. D
E t il ajoute, le lendemain 6 juillet : a Il paratt plus qu’improbable que Lavai
consente à faire le moindre geste qui puisse le brouiller avec Mussolini. Pourtant,
si ce dernier s’obstine, il torpillera la Ligue, e t les petits États d’Europe accour-
ront tous à Berlin. n (Keith FEILING, The Life of Neville Chamberlain, p. 265.)
1 . 1.060.000 km* (France : 551.208 kml).
2. L a température moyenne annuelle y est d e 300; elle atteint 65O dans le
désert d’Adai, situé à l’est du Soudan.
3. Notamment le Ras Dédjan (4.506 m.), le mont Gouna (4.231 m.), 1’Amba
Alagi (3.411 m.), 1’Amba Uork (3.205 m.) e t le mont Digna (3.120 m.).
118 HISTOIRE DE L’ARMÉB ALLEMANDE
1. Ils ne sont pas battus pour autant, comme l’avenir ne tardera pas à le prou-
ver, mais ont préféré se replier dans le massif montagneux qui s’étend au sud
de Makallé, où ils attendent les Italiens de pied ferme.
2. Cf. Général DE BONO,La Préparation ef les premières opérations de la guerre
d‘Éthiopie. (Rapport au Chel du gouvernement italien.)
LE MONDE EN 1937 121
122 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
* *
Peut-être sera-t-il possible de sortir de cette stagnation
en accélérant les opérations sur le front somalien, où le réseau
routier est meilleur et le tracé des fleuves plus favorable?
Deux voies devraient permettre à Graziani de s’enfoncer
1. Maréchal BADOGLIO,
Commentaires bur la guerre d’Ethiopie, Paris, 1937.
124 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
*
+ i
1. En face du général Pirzio Biroli dont les forces, immobilisées devant Abbi-
Addi, comprennent le corps d’armée érythréen, les Chemises noires de la divi-
sion XXVIII Octobre et une division d’Ascaris.
2. Composé des divisions Sila et XXIII Mars.
3. 1 sergent tué et 12 soldats blessés.
IY 9
130 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
r *
redoutaient de voir une Puissance européenne s’installer dans cette région, car
il suKrait de détourner les eaux du Nil bleu, pour vouer l’ggypte et le Soudan
à la famine.
1. Plutarque nous dit, en effet, qu’au cours de son voyage Bur le Nil avec Cléo-
pâtre, César aurait voulu atteindre les sources du fleuve, dont on croyait à l’époque
*.
qu’il u descendait du ciel I1 en avait été empêché par la révolte de ses légions,
e t avait dû s’arrêter à la première cataracte d’Assouan.
2. Le Goggiam - ou Godjan - est gouverné par le très riche Ras .Haïlou,
qui a voué une haine morteiie à Haïié Sélassié.
LE M O N D E EN 1937 133
divisions de Badoglio l. E n fait, la bataille d’Ascianghi va
être dramatique. C’est là, au pied des contreforts de 1’Amba
Alagi, que le Négus, désespéré, va jouer son va-tout.
Quelques jours auparavant, il a rencontré un de ses géné-
raux, le ras Taffari, qui lui a fait des reproches amers :
- Si t u avais été toi-même à la tête de tes troupes, lui
a-t-il dit, au lieu de rester enfermé dans ton palais d’hddis-
Abéba, les Italiens n’auraient pas passé! Car chacun de tes
hommes se serait fait tuer pour toi ...
Frémissant de colère, Haïlé Sélassié a donné l’ordre qu’on
fouette le ras en public et qu’on le promène à travers les
rues de la capitale, revêtu d’habits féminins. Mais le conseil
a porté 2. L’Empereur a décidé de prendre en personne le
commandement de ses troupes et de faire donner toutes les
réserves dont il dispose encore, y compris la Garde impé-
riale, suprême espoir de la dynastie. Aussi la bataille qui se
déclenche le 31 mars, sur les bords du lac Ascianghi va-t-elle
être la plus violente et la plus meurtrière de toutes. Ce sera
en quelque sorte le Waterloo de l’Abyssinie.
Durant sept jours consécutifs, un des paysages les plus
grandioses du monde va être le théâtre d’une mêlée indes-
criptible où les charges et les contre-charges se succéderont
sans arrêt. Malgré l’abnégation de la Garde impériale, qui
se fera hacher sur place plutôt que de reculer et qui
laissera sur le terrain les huit dixièmes de ses effectifs, les
ethiopiens seront écrasés par l’artillerie et l’aviation ita-
liennes, auxquelles ils n’ont rien à opposer S. Au soir du
6 avril, les Abyssins, qui ont environ 7.000 morts e t
15.000 blessés, sentent fléchir leur courage, car ils s’aperçoi-
vent que rien ne pourra entamer les positions italiennes 4.
1. Cet appel est justifié, mais il est quand même empreint d’une ironie
supérieure, quand on songe A tout ce que l’Angleterrea fait pour entraver l’avance
des colonnes italiennes...
2. Cf. L’Illustration, numéro spécial, juillet 1936.
X
1 . Chauviniaiic tendencies.
2. Documents on British Foreign Policy, 2, VI, p. 459.
3. Rapport de M. t o n Neuraih aux nmbassadeurs du Reich, le 29 mars 1935.
Documents on German Foreign Policy, Washington D. C., 1957-1959, C. III,
p. 1094.
LE MONDE E N 1937 147
ministre anglais le menace de la réprobation universelle,
s’il porte la moindre atteinte au Pacte de Genève. Pour
toute réponse, le Duce grommelle quelques phrases bien
senties sur l’hypocrisie britannique, dont le sens n’échappe
pas au représentant de Sa Majesté.
E n quittant le bureau du Palais de Venise, Eden glisse
malencontreusement sur le dallage de marbre et perd
l’équilibre. Lorsqu’il reprend pied et se retourne vers son
hôte, il aperçoit Mussolini assis à son bureau, qui l’observe
avec un sourire goguenard et lui fait les cornes, en poin-
tant sur lui l’index et l’auriculaire comme pour conjurer
le mauvais sort.
C’est un geste qu’Eden ne lui pardonnera jamais. A dater
de ce jour, il sera.irréductiblement antiitalien et encore plus
farouchement antifasciste. Aussi longtemps que Sir Samuel
Hoare pratiquera la même politique que lui, il le soutiendra.
Mais le jour où il fera mine de se rapprocher de Rome, il ne
fera rien pour empêcher ses amis de lui porter le coup de
grâce. Tant il est vrai, comme le remarque Tocqueville,
(( que les grands événements de ce monde naissent de
causes générales, fécondées, pour ainsi dire, par des acci-
dents personnels ».
i i
1.
2.
__
C‘est le nom que les Américains donnent au Pacte Briand-Kelloan.
I1 s’agit de 1a.guerre de 14-18.
3. Note de M. CordeU Hull à M. Robert Bingham, le 27 septembre 1935.
4. Rapport de M . Long, ambassadeur d m &tats-Unw à Rome, d M. CordeU Hull,
24 septembre 1935.
LE MONDE EN 1937 151
afficher ouvertement son scepticisme envers la Ligue l, e t
qu’il ne veut’ à aucun prix d’une rupture avec l’Angleterre,
il est bien obligé de faire quelques concessions au Cabi-
net britannique z. A Eden, qui l’a pressé de se montrer
ferme à l’égard de l’Italie, il a répondu en demandant des
garanties, au cas où la France serait elle-même victime d’une
agression. Eden lui a répondu (( que dans cette circonstance,
l’Angleterre respecterait les obligations découlant du Pacte
de Genève ».Mais Laval a trouvé cette réponse insuffisante.
A présent, Sir Samuel Hoare retourne habilement la ques-
tion. (( Que fera la France, demande-t-il à Laval, au cas où
l’Angleterre serait attaquée par une tierce Puissance, à
laquelle on aurait envisagé d’appliquer des sanctions?
Laval répond aussitôt qu’elle lui porterait assistance, mais
sous trois conditions :
10 Que la promesse d’assistance soit réciproque. La Grande-
Bretagne doit s’engager à assister la France, au cas où elle
se trouverait dans une situation similaire.
20 Que des consultations soient prévues pour définir les
mesures de pr6caution conjointes qu’il conviendrait de prendre.
30 Que ces obligations s’appliquent à tout agresseur, qu’il
soit membre ou non de la Société des Nations 3,
Si ces conditions sont remplies, la France s’associera aux
sanctions, à condition toutefois que celles-ci n’aillent pas
jusqu’à une déclaration de guerre.
Que reste-t-il dès lors des Accords de Stresa, destinés à
parfaire l’encerclement de l’Allemagne? Un monceau de
décombres. A leur place, l’Angleterre est en ‘train d’écha-
fauder une combinaison nouvelle, qui ne tend à rien de
moins qu’à l’encerclement de 1’Italie. Encore quelques
semaines, et celle-ci devra faire face à l’opposition simul-
tanée de l’Angleterre, des États-Unis et de cinquante-deux
États, cimentée par le principe de la sécurité collective.
1. n L a France restera toujours fid8le au Pacte de Genève ... Le principe d e
la Sécurité collective demeure et demeurera la doctrine de la France ... n ( D i c k -
ration de Lacd à 1’Aissemblée de la Soeiéfé des Nations, le 13 septembre 1935.)
2. a Laval a compris qu’il ne doit rien faire pour refroidir le zèle de l’Angle-
terre envers la Ligue, mais en même temps, il doit prêcher la prudence e t empê-
cher Londres de plonger trop profondément dans les dificiiltés, avant que ces
difficultés se soient révélées inéluctables. B (Nokde M. Hugh Wilson à M . Cor-
dell Hull, Genève, 12 septembre 1935.)
3. C‘est une allusion directe à l’Allemagne, qui a quitté la Socihté des Nations
ie 14 octobre 1933.
152 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
inévitable qu’elle entre en conflit avec le pire concurrent qu’elle ait eu en Médi-
terranée : la France. Celle-ci ne soulïrira jamais que l’Italie domine la Médi-
terranée. Elle cherchera à I’empBcher, soit par ses propres moyens, soit par un
système dalliances ... Quand en 1920, je montrais la possibilité d’une alliance
future avec l’Italie, toutes les conditions semblaient de prime abord faire défaut ...
L’Italie se trouvait dans le clan des vainqueurs ... Pourtant, Bismarck avait mon-
tré que l’Italie devait chercher son dévcloppcmcnt aux Lords d e la Méditerranée.
J e suis sùr que le gouvernement romain en prendra conscience. Ce jour-là, les
obstacles à une alliance germano-italienne seront levés. 11 (Adolf H r r L E R , L‘Expan-
sion di< I l l e Reich, 1961, p. 190-192, 196.)
1. I Er is1 mir in riianclier hinsicht ÜIierbgerr. 1)
2. Celles-ci pourront transiter par l’Autriche, qui a refusé d e voter en faveur
des sanctions. Vicnne cesse, de ce fait, d’Ctre une pomme de discorde entre l’Al-
lemagne e t l’Italie, pour devenir un trait d’union.
3. La seule dificulté réside dans les moyens de paiement, car le D‘ Schacht
ne tient pas à voir l’économie allemande submergée par un trop grand amux
de lires italiennes, dont le cours est en baisse.
4. La presse italienne reconnaît volontiers q u e les dirigeants allemands
n’éprouvent aucun amour pour l’Italie. Mais elle pense qu’Hitler voit dans le
(<
. deux regimes sont liées, car ils ont les mèmes ennemis &rangers, et ils tendent
tous deux à des fins similaires, de qaractère national IL
1. Ce risque n’existe que dans l’esprit de Mussolini car si l’Angleterre SOUS-
estime la valeur du corps expéditionnaire d’Éthiopie, elle surestime, comme nous
l’avons vu, la puissance de la marine de guerre e t de l’aviation italiennes.
160 HISTOIRB DE L’ARMÉE ALLEMANDE
des Nations. Elle doit donc être conforme au Pacte, aux prin-
cipes de la sécurité collective et de la paix indivisible. Elle
doit préserver et non détruire l’effort admirable de coopéra-
tion réalisé, pour la première fois, à Genève, cette annéel.
Une grande espérance est née; aucun Français réfléchi et son-
geant à l’avenir de son pays ne peut laisser détruire cette
espérance. ))
I. Id. Ibid.
XI
1. Paul SCHMIDT,
Statist auf diplornalischer B ü h ~p.
, 361.
LE MONDE EN 1937 181
l’invitation de se rendre en Allemagne que Gœring est venu
lui transmettre de la part d u Führer l.
Pour préparer l’opinion italienne à l’annonce d e ce voyage,
Mussolini prononce, le 20 août, u n discours à Palerme, à
l’occasion des manœuvres de Sicile :
(( I1 y a aujourd’hui, une nouvelle éclaircie à l’horizon,
déclare-t-il devant un auditoire de militaires et de marins,
l’Italie est prête à contribuer à la solution de tous les pro-
blèmes qui engagent la vie politique de l’Europe. I1 faut
cependant tenir compte de certaines réalités. La première de
celles-ci est l’Empire z. On a dit que nous désirions qu’il soit
reconnu par la Ligue des Nations. Absolument pas. Nous
ne demandons pas aux officiers d’état civil de Genève, de
dresser son acte de décès. I1 y a, depuis seize mois, un
cadavre qui empuantit l’air. Si vous vous refusez à l’en-
sevelir au nom d’une politique raisonnable, ensevelissez-le
au nom de l’hygiène publique. Et bien que nous ne puis-
sions être soupçonnés d’un intérêt excessif pour l’aréopage de
Genève, nous disons qu’il est superflu d’ajouter aux divisions
qui torturent cet organisme,, une autre division entre ceux
qui ont reconnu et ceux qui n’ont pas reconnu l’Empire de
Rome 3.
(( Une autre réalité, dont il faut tenir compte, est celle que
preuve au monde l. n
Les dernières phrases de ce discours ont été ponctuées de
longs roulements de tonnerre. A présent, l’orage éclate, qui
menaçait depuis le début de l’après-midi. Des trombes d’eau
se déversent sur l’auditoire, comme pour mettre sa résis-
tance à l’épreuve. Les nuées, le ciel zébré d’éclairs, les rafales
de vent qui sifflent autour de la tribune et font claquer les
étendards mouillés donnent à la scène l’aspect d’une nuit de
Walpurgis. Pourtant, personne ne quitte sa place e t c’est u n
spectacle étonnant que cette foule d’un million d’hommes,
trempée jusqu’aux os, mais comme indifférente au déchaî-
nement des éléments, qui ovationne interminablement les
deux dictateurs.
Les éclairs de cette nuit ont achevé de forger l’Axe Rome-
Berlin. Six semaines plus tard, l’Italie adhère au Pacte anti-
Komintern, le transformant en u n accord italo-germano-nip-
pon dont voici le texte :
Le Gouvernement italien, le Gouvernement d u Reich allemand
et le Gouvernement impérial du Japon,
Considérant que l’Internationale communiste continue à mettre
constamment en danger le monde civilisé en Occident et en Orient
en y troublant et e n y détruisant la p a i x et l’ordre; .
Convaincus que seule une étroite collaboration entre tous les
États intéressés a u maintien de I‘ordre et de paix peut limiter
et éliminer ce danger;
Considérant que l’Italie - qui par l’avènement du régime
fasciste a combattu avec une décision inflexible ce danger et a
éliminé l’lnternationàle communiste de son territoire - a décidé
de se ranger contre l‘ennemi commun aux côtés de I‘dllemagne
et du J a p o n qui, de leur côté, sont animés de la même volonté
de se défendre contre l’Internationale communiste;
Ont, conformément à l‘article 2 de l‘accord conclu à Berlin le
1. 11 suffit de rapprocher ce discours du communiqué publié à la fin de l’en-
trevue de Venise (voir plus haut, p. 100) pour mesurer le chemin p a r c o w depuis
1934.
188 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
1. Boukharine lui-rnhe lui dira quelques années plus tard : n II n’y a pas
de dérnocraiie chez nous, Léon Davidovitch, parce que nous avons tous peur
de vous! a
2. T t i o m w , Nos désacwrda.
LE M O N D E EN 1937 193
pourquoi, il répondrait sans doute que cela n’a aucune impor-
tance, puisqu’ils ne sont tous que les sections régionales
d’une formation unique : l’Internationale ouvrière, et que la
victoire de l’une n’a d’intérêt que dans la mesure où elle
prépare la victoire des autres. Aucun lien personnel ne l’at-
tache à la Russie et lorsqu’on lit ses écrits, on y décèle
plutôt une préférence pour le Parti communiste allemand l.
Comme Lénine, il est resté marqué par le Congrès d’Er-
furt 2, où la social-démocratie allemande, redevenue membre
de l’Internationale, a pris tout naturellement la direction
du mouvement.
Tempérament fiévreux, auquel sa crinière échevelée, sa bar-
biche en pointe et ses yeux étincelants donnent un aspect ta n t
soit peu méphistophélique, la seule patrie qu’il se recon-
naisse est la révolution mondiale, dont il aspire ouvertement
à prendre la tête. Organisateur de premier ordre, orateur
prestigieux, doté d’une culture immense qui lui permet
de considérer les choses dans leur perspective historique, il
s’est taillé une grande popularité parmi les étudiants e t les
ouvriers des usines de Petrograd. E n revanche, il n’a jamais
pu se faire comprendre des fonctionnaires du Parti, ni des
masses paysannes dont il ne cesse de dénoncer ((l’esprit
rétrograde ». Sujet à de brusques explosions de colére,
convaincu d’avoir toujours raison, doué, comme l’avait bien
vu Lénine, d’une assurance excessive, il s’est fait beaucoup
plus d’ennemis qu’il ne le pense, par son ironie mordante
et ses sarcasmes cinglants.
Au début, il s’est refusé à voir en Staline un rival. Com-
ment ce petit provincial du Caucase, patoisant, rude e t
cauteleux, dont la seule instruction est celle, assez fruste,
que la Russie tsariste réservait à ses popes de campagne,
pourrait-il se mesurer avec lui, le héros de la guerre civile,
dont le portrait figure partout, accolé à celui de Lénine?
1. Durant la défense de Tsaritsyne, nous dit Victor Serge, Trotsky s’était rendu
sur place et avait trouvé une situation si lamentable qu’il avait exigé le déplace-
ment immédiat de Staline ( 8 octobre 1918). Vertement admonesté par le Comman-
dant en chef de l’Armée rouge, Staline s’était fait trés humble devant lui. (Vie
et Mort de Trocsky, p. 143.) u I1 est prurient et patient, nous dit de son côté Emma-
nuel d’Astier. Quand on l’attaque, la riposte, fût-elle à long terme, est impla-
cable. I) (Sur Stallne, p. 20.)
2. u Trotsky était public, ondoyant et humain; il avait trop d’idées, trop d’ima-
gination, n’attendait ou ne persévérait pas. Staline... savait attendre, reculer,
persévérer. Ses discours, ses déclarations, ses articles nous apparaissent d’une
étonnante pauvreté. Paralysé par les foules, les auditoires, les lecteurs, par i’at-
tention publique en somme, il ne savait pas formuler sa pensée, il ruminait les
images, les métaphores les plus piètres, les plus usées ... Mais toui les témoins
- de Lénine à Churchill - reconnaissent que sa pens& se formulait aisément
et avec force dans les situations confidentielles, les messages, les conversations,
les ordres,‘ pour se traduire en actes. II (E. D’ASTIKR, op. cit., p. 67.)
3. Bernard FÉRON, Le Géant vaincu, op. cit., p. 11.
4. (( En étudiant les mouvements historiques, Trotsky avait conclu que toute
révolution est menacée par la réaction qu’elle engendre et il pensait que seule
la révolution permanente permettait de conjurer le péril. Appliquée à la situa-
tion des années 20. cette doctrine signifiait que les révolutions victorieuses d u
prolétariat à l’étranger empkheraient 1’U. R. S. S. de sombrer dans le bonapar-
tisme ou plus immédiatement dans la u réaction bureaucratique.Y, qui était P O U ’
lui l’essence du stalinisme. B (Bernard FERON,Le Ghnt cuincic, op. cit., p. 13)
196 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Cette théorie est issue des derniers écrits de Lénine en 1923. Mais Lénine
ne la formule encore que d’une façon marginale. Staline en fait le centre de l’or-
thodoxie marxiste. Elle peut (en gros) se résumer comme suit : la victoire du
socialisme en U. R. S. S. ne sera assurée que lorsque l’Union Soviétique sera
assez forte pour résister à toute agression impérialiste. C’est seulement alors que
pourra reprendre la marche en avant vers la révolution universelle qui reste
l’objectif final. Le slogan a ûutcliers russes, armez-tous/ B prend le pas sur Pro-
Utaires de tous les pays unissUz-vousl n C’est ce que Trotsky appellera a le carac-
tère thermidorien de la réaction stalinienne n.
2. Ces mots équivalent en U. R. S. S. A une excommunication majeure.
3. Cf. STALINE, Trotsh-ysme ou Léninisme. La Rétoolution d’Octobre et Ia tactique
des communistes russes.
4. Cf. Histoire du Parti communiste de 1‘Union Soui&iqus, Moscou, 1960, p. 443.
5. STALINE, (Euvrcs wmpièta, VI, p. 357, édition w e .
LE BIONDE EN 1937 197
Parti, il s’emploie à augmenter ses effectifs, afin d’y introduire
partout des créatures à sa dévotion. Au XIIe Congrès d’avril
1923, le Parti comptait 400.000 membres. Au XIIIe Congrès
de mai 1925, il en compte 600.000 et 127.000 stagiaires.
Trotsky ne mesure pas tout de suite la portée de cette trans-
formation. I1 ne sait pas que tous ces nouveaux venus ont
été choisis précisément parce qu’ils lui sont hostiles. Lorsqu’il
s’en aperçoit, il est trop tard. Partout où il apparaît, il est
sifflé et hué. Dans toutes les réunions publiques où il veut
prendre la parole, (( la clameur organisée des fonctionnaires
couvre sa voix ». I1 est réduit au silence. Or, un Trotsky
réduit au silence est déjà à moitié perdu.
Sentant qu’il tient l’appareil du Parti bien en main, Sta-
line développe alors la manœuvre qu’il a longtemps méditée
dans le silence du Kremlin l.
Le 2 janvier 1925, c’est-à-dire un peu moins d’un an après
la mort de Lénine, le Bureau politique - agissant sur pro-
position de son Secrétaire général - relève Trotsky de ses
fonctions de Président du Conseil révolutionnaire de la
Guerre et de Commissaire du peuple à l’Armée et à la Marine.
Quelques semaines plus tard, il lui retire la Présidence de la
IIIe Internationale, pour la confier à Zinoviev. Ces mesures
ont pour objet de faire le vide autour de lui. L’opération
est risquée, mais elle réussit parfaitement : aucune opposi-
tion ne se manifeste au sein du Parti.
Fort de ce premier succès, Staline s’emploie à isoler Trotsky
au sein du Bureau politique. Par un dosage savant de menaces
e t de flatteries, il amène Zinoviev, Kamenev, Boukharine,
Rykov, Molotov et Dzerdjinky à faire bloc contre lui.
Trotsky a beau se débattre, le garrot stalinien commence à
l’étouffer.
E n décembre 1925, le XIVe Congrès du Parti se réunit à
Moscou. De tous, c’est celui qui a été le plus (( bureaucrati-
* *
Staline l’a emporté. I1 a déchu Trotsky de toutes ses fonc-
tions. I1 l’a exclu du Parti. I1 l’a expulsé du territoire sovié-
tique. Pourtant, il a eu tort. Car un Trotsky exilé, mais
libre de s’exprimer, est beaucoup plus dangereux qu’un
Trotsky muselé par les agents du G. P. U. A peine arrivé à
l’île de Prinkipo, il a fondé un (( Bulletin de l’Opposition D
dans lequel il lance, semaine après semaine, des diatribes
empoisonnées contre le Secrétaire général. Ces attaques,
devant lesquelles Staline est désarmé, le maintiennent dans
un état d’exaspération permanente. D’autant plus que les
critiques de Trotsky sont souvent fondées, et qu’il se trouve
aux prises avec des dificultés redoutables.
La plus grave de toutes est le problème paysan. Trotsky
et les membres de la tendance de gauche l’ont négligé parce
que, ne voyant dans les populations rurales qu’une catégorie
sociale réactionnaire e t arriérée, ils ne l’ont jamais considé-
rée comme un élément moteur de la révolution.
Mais Boukharine e t les membres de la tendance de droite
n’ont pas fait beaucoup mieux : sous couvert de la N. E. P.
ou (( Nouvelle Économie Politique n édictée par Lénine en
1921 l, ils ont laissé s’instaurer le règne des (( koulaks D.
Ces paysans enrichis par la spéculation et le marché noir ont
fini par accaparer la plus grande partie des terres, ne lais-
sant d’autre ressource aux fils des paysans pauvres que de
déserter les campagnes. S’étant rabattus sur les villes pour
y trouver du travail, ils ont considérablement grossi le
nombre des chômeurs. On a vu apparaître alors d’énormes
masses flottantes, mal intégrées au Parti, qui représentent
un danger réel pour l’avenir de la révolution.
Staline est d’autant plus impatient de mettre un terme
par les gardes du corps américains de Trotsky, Mornard s’écriera : a Ils m’ont
obligé de frapper! ... Ils tiennent ma mère! Ils ont emprisonné ma mère! n ...
Transporté d’urgence dans une clinique de Mexico, le Dr Ruben S. Lefiero
tentera I’impossible pour le sauver. Mais sa blessure crânienne, profonde de sept
centimétres, a entraîné la destruction d’une partie du cerveau. Trotsky ne sur-
vivra pas à l’intervention chirurgicale. I1 mourra le lendemain, 21 août 1940.
...
- L’histoire s’accomplit toujours Allez de ravant..., tels seront ses derniers
mots.
1. Pour calmer le mécontentement des populations rurales, Lénine avait décidé,
en 1921, de jeter du lest en autorisant les paysans a conserver les terres qu’ils
avaient prises a u x a seigneurs D. II avait également introduit un certain libéra-
lisme dans les échanges commerciaux.
LE MONDE EN 1937 205
à cet état de choses, que son opinion est faite : jamais on
n’édifiera le (( Socialisme dans un seul pays )) si on ne réussit
pas à intégrer les masses paysannes à la société marxiste.
Aussi décide-t-il Clre recourir à de grands moyens, et ces
moyens s’appellent la collectivisation des terres.
I1 va sans dire que Tai majorité des paysans - et surtout
les (( koulaks n - se montrent farouchement hostiles à une
réforme qui leur apparaît avant tout comme une mesure
de spoliation, destinée à leur arracher un des seuls avan-
tages tangibles que leur ait valu la révolution. Mais ici
encore, Staline est résolu à passer outre, sans tolérer aucune
plainte, aucune récrimination.
A partir de 1927, SOUS son impulsion personnelle, la collec-
tivisation des terres s’accomplit si vite avec une rigueur
telle que presque personne n’y échappe. De 1928 à 1933, le
nombre des paysans qui cultivent eux-mêmes leurs parcelles
de terre individuelles tombe de 73 % à moins de 10 yo
de la population globale. Staline e t ses collègues du Comité
central n’hésitent pas à lancer des commandos d’ouvriers
contre les paysans réfractaires et à briser les cadres tradi-
tionnels dans lesquels la paysannerie russe a vécu depuis
des siècles. Des millions de fermiers sont mis en demeure
de rejoindre les fermes collectives. Ceux qui s’y refusent
n’ont pas d’autre alternative que de périr sur place ou d’aller
grossir les effectifs des bagnes sibériens. Comme beaucoup
d’entre eux se révoltent, une répression terrible s’abat sur les
campagnes. Des villages entiers sont réduits en cendres et
leur population passée par les armes. Certains auteurs
estiment à trois ou quatre millions le nombre des paysans
exterminés au cours de ces opérations l.
Plus tard 2, Staline avouera à Churchill que la collecti-
visation des terres a été une lutte effroyable, qui lui a
imposé des épreuves et une tension d’esprit plus grandes
que la conduite de la Seconde Guerre mondiale.
- J’ai pensé, lui dira le Premier britannique, que cette
épreuve avait dû être très dure pour vous, parce que vous
n’aviez pas affaire à quelques dizaines de milliers d’aristo-
crates, mais à des millions de petites gens ...
A quoi Staline répondra d’un air sombre :
I . J. M. MACKINTOSH,The Red Army, 1920-1936, e t LIDDELL-HART,
The Soviet
Army, p. 58.
2. Lors de sa visite au Kremlin, le 11 août 1942.
206 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Nicolaïev emportera son secret dans la tombe. Quelques jours plus tard, il
mourra a accidentellement n, dans le camion de la police qui le transporte chez
son juge d’instruction.
2. Certains cadres du Parti se souvenant des mises en garde de Lénine, pensaient
qu’il remplirait mieux que Staline les fonctions de Secrétaire général. (Ct Kirov
rival de Staline? Le Monde, 11 février 1964.)
3. u Plus nous étudions les documents relatifs Q la mort de Kirovo,dira Nikita
Khrouchtchev dans son Rupport secret, lu en 1956 devant le XXe Congrds du
...
Pai ti communiste, a plus de questions surgissent Il y a encore beaucoup de cir-
...
constances non expliquées dans cette affaire s
4. Cf. Emmanuel D’ASTIER,op. cit., p. 92.
LE MONDE EN 1937 209
*
* *
La tragédie est-elle terminée? Loin de là. Elle commence. La
mort de Kirov semble être le signal que Staline attendait pour
liquider, une fois pour toutes, les opposants (( de gauche ».
97 personnes sont arrêtées le jour même, parmi lesquelles
12 chefs de la police secrète. Au cours des semaines sui-
vantes, 117 personnes sont fusillées et quelque 100.000 habi-
tants de Leningrad, déportés en Sibérie.
Rentré à MOSCOU, Staline rédige lui-même la procédure à
appliquer aux procès en perspective :
10 L’enquête doit être terminée en moins de dix jours;
20 L’acte d‘accusation ne sera remis à l’accusé que vingt-
quatre heures avant l’envoi de l’affaire au iribunal;
30 Les affaires seront examinées sans la participation des
intéressés;
40 Le pourvoi en cassation et le recours en grâce ne seront
pas admis;
50 La condamnation au châtiment suprême sera mise à exécu-
tion immédiatement après le verdict.
K Alors, écrit Boris Souvarine, dans tout l’immense pays
soviétique ont lieu des milliers, des dizaines de milliers
d’arrestations, d’emprisonnements et de déportations. Une
grande partie des populations des villes, spécialement les
milieux communistes, vit dans une véritable peur panique ...
Des sanctions pénales, d’une brutalité inouïe, frappent d’an-
ciens dirigeants du Parti, longtemps considérés comme intan-
gibles en raison de leur collaboration intime avec Lénine ...
La preuve est faite que ni l’éminence, ni l’ancienneté des
titres, ni les services rendus ne mettent aucun personnage à
l’abri de la vindicte stalinienne, si haut placé soit-il. Déjà
tous les anciens trotskystes, même repentis, et tous les indi-
vidus plus ou moins arbitrairement soupçonnés de trot-
skysme ont disparu dans les pénitenciers du régime. Aucune
opposition d’aucune sorte n’est possible, ni concevable. Per-
sonne n’ose plus se fier à personne, chacun se sachant épié
par une police omniprésente, chacun craignant soit une traî-
trise, soit la défaillance d’un innocent incapable d’endurer la
cruauté des interrogatoires 2. D
1. Chiffres officiellement donnes par la presse soviétique.
2. Boris SOUVARINE, Le Contrat social, III, no 4, juillet 1959.
IV 14
210 HIÇTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
claire et intuitive qu’il en avait qui faisait sa supériorité sur les militaires pro-
fessionnels et aussi sur quelques bolchéviks, plus turbulents que capables. B (Vic-
tor SERGE, op. cit., p. 141.)
1. u Trotsky, qui avait invité les oficiers à prendre du service, avait à les
défendre contre le soupçon, contre la démagogie, contre la malveillance - et il
les défendait avec S U C C ~ S D. (ID., ibid., p. 139.)
222 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
OFFENSIVESBLANCHES (1918-1920).
224 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Aujourd’hui Dniepropbtrowk.
LE MONDE EN 1937 229
victoires est passée. Ecrasés sous le nombre, les volontaires
de 1’ (( Armée russe )) ne tardent pas à être refoulés sur leurs
positions de départ l. Xalgré leur âpreté, les combats qu’ils
livreront ne seront plus que des combats d’arrière-garde,
qui ne changeront plus rien à la situation.
Luttant à un contre dix, parfois même à un contre vingt,
avec une frénésie qui ne le cède en rien à celle des combat-
tants allemands du Baltikum 2, les volontaires blancs se
cramponnent à la Crimée comme au dernier lambeau de
leur patrie. Mais le monde semble se désintéresser de leur
sort. Aucun secours ne leur vient de l’étranger et le rapport
de forces est par trop inégal. Après des combats d’une rare
violence, où les vivants édifient des parapets avec les
cadavres de leurs camarades, l’isthme de Pérékop est forcé
au début de décembre. Dès lors, l’évacuation de la pres-
qu’île n’est plus qu’une question de jours.
Pourtant, cette fois-ci, il n’y aura pas de débâcle. Malgré
les charges fougueuses de la cavalerie rouge, Wrangel réus-
sit à replier le reste de ses hommes en bon ordre et à les
embarquer jusqu’au dernier. C’est un véritable tour de force,
quand on songe aux conditions dans lesquelles s’effectue
la retraite. On est au cœur de l’hiver. Le vent souffle en
rafales. Les routes sont défoncées. I1 faut évacuer les mil-
liers de blessés qui s’entassent à l’hôpital de Simferopol,
pour empêcher qu’ils soient massacrés. Afin d’alléger les
convois, on se voit dans l’obligation d’achever les grands
blessés et les agonisants. Les autres sont empilés sur des
traîneaux et transportés vers la côte. Finalement, le mince
cordon de troupes qui couvrait l’opération se replie à son
tour.
Aux environs de Noël, l’évacuation est terminée. Ce n’est
pas, comme bien l’on pense, sans une émotion profonde,
que les derniers volontaires blancs s’embarquent à leur tour.
Massés à l’arrière de leurs bateaux, les yeux embués de
larmes, ils voient disparaître à l’horizon la terre de leurs
aïeux, qu’ils ne reverront jamais plus ...
1. Pour en finir avec la résistance de la Crimée, les Rouges ont confié le comman-
dement de ce secteur a hlikhaïl Frounzé, qui s’est distingué par sa lutte contre
l’amiral Koltchak. Sous son impulsion, le front rouge se renforce rapidement.
En octobre, il comprend quatorze divisions de tirailleurs et douze divisions de
cavalerie.
2. Voir vol. II, p. 19 et E.
230 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
*
* *
Les Armées rouges ont reconquis tout l’espace compris
entre la Finlande et l’Oural. Ils ont libéré la Volga, le Donetz
e t la Crimée. La guerre civile va-t-elle enfin se terminer?
Pas encore. Car un nouvel adversaire fait soudain irruption
sur le champ de bataille : c’est Pilsudski, le Commandant
en chef des forces polonaises.
La débâcle des armées de Denikine et le retrait des divi-
sions austro-allemandes prescrit par les Alliés, ont permis à
l’Armée rouge de s’emparer de l’Ukraine e t de rejeter vers
l’ouest les forces de Petlioura Les unités bolchéviques se
trouvent ainsi face à face avec la jeune armée polonaise,
pour qui la conqu&tede Lwow et de Kiev constitue un objec-
tif historique. Événement capital, qui aura une importance
déterminante pour l’avenir de l’Armée rouge : pour la pre-
mière fois, elle va se trouver confrontée avec une armée
étrangère.
Le 23 avril 1920, Pilsudski a signé un accord avec l’het-
man Petlioura qui s’est engagé à soulever l’Ukraine sur les
derrières des troupes russes. Le 25, il déclenche une offensive
sur Kiev avec 8 divisions d’infanterie, 2 divisions ukrai-
niennes et 4 brigades de cavalerie 2. Les 12e, 14e, 150 et
16e Armées rouges se replient précipitamment, harcelées dans
leur retraite par les partisans ukrainiens. Pilsudski lance
alors la cavalerie du général Rydz-Smigly sur Koziatin et
parvient à créer une brèche entre la 12e e t la 14e Armée
rouge S. Quelques jours plus tard, les forces polono-ukrai-
niennes font leur entrée à Kiev et établissent une tête de
pont sur la rive est du Dniepr 4.
+
* *
Le lendemain, à l’aube, les troupes polonaises s’élancent
sur l’ennemi e t surprennent ses avant-gardes au moment où
elles s’apprêtaient à franchir la Vistule. Bousculées et débor-
dées par les charges de la I r e e t de la 4e division de la
3e Armée polonaise, les colonnes russes s’enfuient dans toutes
les directions. Leur retraite se transforme bientôt en déban-
dade. Au soir du 16 août, tous les objectifs polonais sont
atteints et même dépassés.
Le lendemain, les Polonais poursuivent leur avance et
pénètrent profondément dans les positions ennemies. La
4e Armée polonaise atteint la grand-route allant de Var-
sovie à Brest-Litowsk. A. Kolbiel, elle opère sa jonction
avec la 15e division de la i r e Armée, qui s’est élancée hors
de la tête de pont de Varsovie.
C’est alors- et alors seulement- que Toukhatchevsky
comprend toute la portée de la manœuvre stratégique pré-
conisée par Weygand e t exécutée par Pilsudski. I1 apprend
coup sur coup que la 5e Armée polonaise avance vers le
Narew e t que ses communications avec la 4e Armée sont
rompues. Craignant d’être encerclé, il ordonne la retraite
générale vers le nord-est.
Ce recul élargit la brèche qui existe entre le Groupe d’ar-
mées du nord et l’Armée du sud-ouest. Harcelés, fraction-
nés, décimés sur leurs arrières, les Russes voient leur victoire
se transformer en déroute.., Une clameur immense s’élève
de leurs unités disloquées. La marée humaine reflue plus vite
, qu’elle ne s’était avancée, laissant 40.000 cadavres sur le
terrain. Les Polonais capturent 25.000 prisonniers, plusieurs
dizaines de milliers de chevaux, et s’emparent d‘une quan-
tité énorme d’armes et de munitions. Pendant une semaine
entière, la poursuite continue. Le 25 août, le territoire natio-
nal est entièrement libéré. Le miracle de la ((Marne polo-
naise )) s’achève en triomphe.
Cette fois-ci, le Kremlin ne refuse plus de négocier. Le
18 septembre 1920, des pourparlers russo-polonais s’ouvrent
à Riga. Ils seront longs e t laborieux. Le traité d u m&me
LE MONDE EN 1937 237
nom, fixant les frontières orientales de la Pologne l, ne sera
signé que le 18 mars 1921.
t
+ I .
RECONSTITUTION ET ESSOR
DE L’ARMGE ROUGE
* +
Quel est donc ce jeune homme auquel on prédit le plus
bel avenir, dans les milieux dirigeants de l’U. R. S. S.?
Né le 16 février 1893, Mikhaïl Toukhatchevsky appartient
- autant qu’on le sache - à une famille aristocratique de
l’ancien régime dont le nom figure dans le (( Livre de velours n
de la noblesse moscovite 5. Un de ses ancêtres aurait été
1. Serge Kamenev, l’ancien commandant en chef, sera chargé, sur l’initiative
de Frounzé, de procéder à la refonte des règlements et, en premier lieu, de celui
de l‘infanterie. Ouborévitch deviendra commandant des troupes du district mili-
taire de Biélorussie. Qua. t à Chapochnikov, l’ancien chef du Bureau des opéra-
tions, il deviendra chef $>État-Major général, après la disgrâce d’Egorov.
2. Successivement vainqueur de Koltchak en Sibérie, commandant du u front
du Turkestan B, et vainqueur des forces blanches de Wrangel en Crimée, Frounzé
a été nommé, le l e r avril 1924, adjoint de Trotsky au Commissariat des Affaires
militaires. Lorsque ce dernier est tombé malade, au courant de l‘été, il a assuré
la direction du Commissariat, par intérim.
3. La mort de Frounzé fait toucher du doigt le caractère absolu de la dicta-
ture que Staline exerçait sur le Parti. Le successeur de Trotsky à la Présidence du
Conseil supérieur de la Guerre était tombé gravement malade. Les médecins étaient
partagés quant A l’opportunité d’une opération. Sous la pression du Secrétaire
général, le Comité central idlima l’ordre à Frounzé de se faire opérer. I1 devait
y trouver la mort.
4. Par la suite, cette ville devait être baptisée Stalingrad.
5. Dans un article, publié par la Pratda en 1963, le générai Todorsky prend
LE M ONDE EN 1937 241
nommé par Saltykov adjoint au gouverneur militaire de Ber-
lin, lors de l’occupation de cette ville en 1762. Un autre
aurait pris part à la bataille de Borodino. Destiné dès son
enfance à la carrière des armes, il a été admis à dix-sept
ans dans la Garde impériale, avec le grade d’enseigne. Quatre
ans plus tard, lorsque la guerre a éclaté, il était lieute-
nant. Fait prisonnier en 1915 sur le front de Varsovie, les
Allemands l’ont interné tout d’abord sur le petit îlot de
Dânholm dans la Baltique, d’où il s’est évadé à la nage.
Repris, il s’est évadé de nouveau et n’a été arrêté que près
de la frontière hollandaise, après vingt jours d’une marche
épuisante. Enfermé dans le fort de Küstrin, il a participé
avec Garros à une nouvelle tentative de fuite. Le 19 octobre
1916, les Allemands ont envoyé ce récidiviste de l’évasion
au fort no 9, à Ingolstadt, où ils ont rassemblé tous ceux
qu’ils considèrent comme de (( fortes têtes ».Là, il a rencon-
tré - entre autres - un groupe d’officiers français compre-
nant Remy Roure, le commandant de Goys et le capitaine
Charles de Gaulle. Toukhatchevsky a séduit rapidement ses
compagnons de captivité par son énergie, son charme et sa
vivacité d’esprit.
Lorsque la première révolution éclate en Russie, en février
1917, le jeune officier de la Garde est désemparé. I1 suit avec
attention l’offensive de Broussilov. Son échec le désespère.
Bouillonnant, ambitieux, imprégné d’idées panslavistes qu’il
a puisées dans la lecture de Pogodine et de Dostoïevsky, il
se demande quel sera l’avenir de son pays. Le démocratisme
falot de Kérensky ne lui dit rien qui vaille. I1 ne souhaite
même plus sa victoire, t a n t elle laissera la Russie amputée
et humiliée. En revanche, c’est avec enthousiasme qu’il salue
la Révolution d’octobre. Non parce qu’elle instaure la dic-
tature du prolétariat - les théories de Marx lui sont pour
ainsi dire inconnues - mais parce qu’elle fait table rase
du passé, débarrasse la Russie des hypothèques qu’elle a
contractées à l’égard des Alliés et lui rend les mains libres
en Pologne et en Orient. Bref, il y voit la promesse d’une
résurrection nationale.
- Comment pouvez-vous concilier ces opinions extré-
soin de souligner que Toukhatchevsky serait le fils d’une paysanne de la région
de Smolensk et I d’un petit propriétaire foncier sans fortune, resté toujours trhs
pres du peuple LI Telle est, aujourd’hui, la thèse officielle.
IV 16
242 HISTOIRE D E L’ARMLIÉE ALLEMANDE
1. En janvier 1936, 77 % de toutes les unités auront été incluses dans l’armée
régulière.
2. Comme le Bureau politique prend trèa au sérieux la menace japonaise en
Mandchourie, les forces armées d’Extrême-Orient sont constituées en entité nuto-
nome, placée sous le commandement du général Blücher (ex Galen).
3. 11 est désigné, en outre, pour assumer les fonctions de Commandant en chef
en temps de guerre.
4. Le budget militaire est porté de 1 milliard H de roubles en 1933, B 14 mil-
liards 800.000 roubles en 1936. L’Armée muge cesse d’étre une armée de classe
pour devenir, au sens propre du terme, une armée nationale.
246 HISTOIRE DE L’ARMBE ALLEMANDE
I.Unc dizaine de brigades sont créées e n 1934. Les divisions blindées feront
leur apparition en 1937.
2. Un nombre impressionnant de nouveaux groupes est créé. L’artillerie d e
réserve générale est portée à 20 régiments d’artillerie légère, 20 régiments d’ar-
tillerie de campagne e t 5 régiments d’artillerie A longue portée (pièces de 200 e t
d e 350. Certains groupes deviennent tractés sur chenilles, des prototypes de
s. u. )aRûts automoteurs) apparaissent. ils seront utilisés par les Soviétiques
comme artillerie d’assaut e t antichars.
3. Les mathiels sortent à u n rythme accéléré; L a formation du personnel
navigant est intensifiée. L’infrastructure se monte rapidement. La doctrine opte
pour u une puissante aviation stratégique D, sans négliger pour autant l‘aviation
tactique. E n 1934, 3 divisions aéroportées sont créées.
4. Le décret du 22 septembre 1935 rétablit les grades de sous-lieutenant, lieu-
tenant, capitaine, major, lieutenant-colonel et colonel. Ce décret ne modifie en
rien la situation des offciers généraux qui restent répartis en Kombriq (général
de brigade), Korndiv (général d e division), Komkor (général de corps d‘armée)
e t Kamandarm (général d’armée).
LE M O N D E E N 1937 247
STALINE DECAPITE
LE HAUT-COMMANDEMENT SOVIÉTIQUE
1. I1 semble avoir été très affecté par l’évocation de son nom au procbs de
Radek et par les rumeurs qui ont circulé sui lui à cette occasion.
2. A la suite du pmcbs de Radek. (Voir plus haut, p. 211.)
LE MONDE E N 1937 267
cideç l. Quant à Iagoda, l’ancien chef du Guépéou, il a déjà
pris le chemin de la prison et du supplice.
Enfin, le scandale éclate, semant la terreur dans les milieux
dirigeants communistes. Le 11 juin 1937, un communiqué
officiel fait savoir que le Tribunal militaire est saisi d’une
N vaste affaire de trahison D.
PmLUDE A L'EXPANSION
DU IIIe REICH
IV 18
XVI
en février 1871, comme le bruit avait couru qu’il allait demander à la France
ses Comptoirs des Indes : n J e ne veux pas de colonies; elles ne sont bonnes qu’à
n créer des sinécures. Cette histoire de colonies serait pour l’Allemagne ce que
n la pelisse d’hermine est pour les nobles de Pologne qui n’ont pas de chemise. n
Aux ofires e t aux démarches de commerçants et d’armateurs, il répondait inlas-
sablement : a Toute tentative allemande dans le domaine colonial éveillerait la
a jalousie de la Grande-Brctagne )I (1876). Aussi longtemps que je serai Chan-
(1 celier, nous ne ferons pas de politique coloniale ... Nous ne devons pas avoir
ii dans les autres continents des points vulnérables qui deviendraient le butin
u des Français, aussitôt que les choses iraient mal avec la France I) (1881). (Cf.
GAXOTTE, Op. rit., II, p,. 289.)
2. Cette politique avait i)té marquée par l’acquisition du Togo, du Cameroun,
du Sud-Ouest africain e t de l’Afrique orientale entre 1884 et 1890; par la
signature d’un traité avec la Chine accordant à l’Allemagne la base de Kiao-
tchéou et une espèce de protectorat sur le Chan-tung en 1897; par l’acquisition
de quelques colonies espagnoles dans le Pacifique - les Carolines, les îles
Mariannes e t Palau - en 1898; par le projet de chemin d e fer Berlin-Bagdad en
1903; par des tentatives d‘infiltration a u hlaroc en 1905. C‘était assez pour se
mettre tout le monde à dos.
3. (1 Ce n’étaient pas des opérations susceptibles d’intéresser le peuple allemand,
estime Hitler, car elles ne pouvaient apporter aucune solution à ses problèmes.
C’étaient des entreprises purement bourgeoises et capitalistes, camouflées derrière
u n patriotisme d e facade. 11
4. Dans un discours prononcé à l’inauguration de la Ligue navale en 1898.
5. L’Allemagne n’a d’accès aux grands océans du globe qu’à travers la mer
du Nord, dont il est relativement facile de faire le blocus.
PRELUDE A L’EXPANSION D U I I I ~R E I C H 283
cer son commerce extérieur et menacer ses lignes de commu-
nication impériales.
Une telle politique ne pouvait s’édifier que sur la défaite
de l’Angleterre. Pour la vaincre, il aurait fallu rechercher
l’alliance russe et renoncer à l’alliance avec l’Autriche, dont
les visées sur les Balkans ne pouvaient qu’indisposer le gou-
vernement de Saint-Pétersbourg. Mais même en supposant
toutes ces conditions réunies, une telle combinaison aurait
conduit à une impasse. D’une part, elle aurait consisté à
sacrifier les millions d’Allemands vivant en Autriche et en
Bohême aux quelques milliers de ceux que l’on aurait pu
installer a ux îles Mariannes ou au Cameroun; de l’autre, elle
aurait fermé à l’Allemagne toute possibilité future d’expan-
sion à l’Est.
I1 sautait aux yeux que l’Allemagne ne pouvait se déve-
lopper ù la fois sur terre et sur mer. I1 fallait choisir. Or Guil-
laume II, en optant pour l’expansion maritime, avait lancé
l’Allemagne dans une fausse direction, et les conséquences de
cette erreur ne pouvaient être que tragiques. (( Si l’Allemagne
d’avant 1914 s’était décidée à poursuivre la politique conti-
nentale de la Prusse, assure Hitler, elle aurait pu-porter sa
puissance terrestre à la position dominante que cet E t a t occu-
pait [au X V I I I ~siècle] e t elle n’aurait pas eu à redouter l’hosti-
lité inconditionnelle de l’Angleterre l. Si l’Allemagne avait
consacré à son armée de terre les énormes moyens qu’elle avait
gaspillés pour sa flotte, ses chances auraient été incompara-
blement meilleures sur les champs de bataille européens, et la
nation n’aurait pas vu s’épancher lentement le sang d’une
armée insuffisamment équipée, face à une coalition mondiale
écrasante, tandis que les unités de sa marine de guerre se
rouillaient dans les ports, en attendant de couronner leur car-
rière par une fin plus ignominieuse encore... L’armée de terre
était vraiment l’Armée allemande, née d’une tradition sécu-
laire. Mais sa flotte n’était finalement qu’un jouet roman-
1. (( Croire que l’Angleterre combatte inévitablement toute Puissance euro-
péenne qui tend & l a prédominance est une conception erronée. L’Angleterre ne
combat que celles qui représentent une menace pour sa domination maritime et
coloniale, comme cela a été le cas pour l’Espagne, la Hollande et la France. Dans
chacun de ces conflits, ce que l’Angleterre a protégé, ce sont ses intfrets corn-
...
merciaux e t ses possessions d’outre-mer La conduite de la Grande-Bretagne
vis-à-vis de la Prusse [au temps de Frédéric II] prouve qu’elle n’est pas opposée
par principe & une grande Puissance européenne, dont l’importance militaire
est dominante, aussi longtemps que les buts extérieurs de cette Puissance sont de
nature purement continentale. u(Adolf HITLER, L’Expunsion d u I I l e Reich,p. 176.)
284 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
1. ID., p. 180-181.
2. I1 n’est pas impossible que ces conceptions aient été renforcées par I’aver-
sion qu’Hitler ressentait pour l’eau. Monter sur u n bateau était pour lui une
épreuve pénible e t lorsqu’il se rendra à Memel, à la fin mars 1939, sur le cui-
rassé Deutschland, il souffrira terriblement du mal de mer. u Sur terre, je suis
un héros, avouera-t-il à l’amiral Raeder, mais sur i’eau, je suis un lâche. N (Lage-
hesprechiingen, p. 910.)
3. En 1898, en 1899,en 1901, l’Angleterre avait constamment offert son amitié
a u IIe Reich. Joseph Chamberlain, ministrc des Colonies avant 1914, n’avait-il
pas été jusqu’a dire, dans un discours retentissant prononcé à Leicester : u J e
pense que l’alliance la plus naturelle serait l’alliance avec l’Empire allemand D?
L a politique coloniale irréfléchie de Guillaume II e t sa volonté de s’adjuger la
première place dans le commerce mondial avaient saboté ces possibilités. Ce
sont ces désirs d’alliance qu’Hitler se propose de faire renaître, en imposant
une conversion complète à la politique étrangère allemande.
4. a Que personne ne s’imagine qu’on puisse jamais former un empire mon-
dial sans avoir la volonté déterminée de le faire. N (Adolf HITLER, L’Erpawion
du I I I e Reich, p. 171.)
5 . Mein Karnpf, p. 705. E n ce qui concerne la France, Hitler considére qu’elle
n’a pas fait la guerre pour récupérer l’Alsace-Lorraine, mais pour s’annexer toute
la rive gauche du Rhin et que, ne l’ayant plus obtenue, elle fera automatique-
ment partie d e toutes les coalitions dirigées contre l’Allemagne. Cette inimitié
traditionnelle est dangereuse, dans la mesure où la France est ia première Puis-
sance militaire du continent. Mais il n’y a pas lieu de s’en pdoccuper outre mesure,
PRELUDE A L’EXPANSION nu I I I ~REICH 285
d’amitié avec l’Angleterre a été fortifié chez lui par I’atti-
tude du gouvernement anglais depuis 1918. Alors que Cle-
menceau aurait voulu imposer à l’Allemagne une paix (( car-
thaginoise », Lloyd George bataillait déjà pour une paix
(( libérale n. I1 n’avait pas accepté que la Sarre fût rattachée
Des qu’un peuple en arrive là u il renonce à la force qui réside dans l’harmonie
de son sang et de la vie culturelle qui en émane. I1 est comme déchiré, incertain
de son jugement sur le monde et de ses expressions; il perd la connaissance e t
le sentiment de son b u t particulier, pour glisser dans l’errance des idées, des
concepts fondés sur les mélanges d‘influences étrangères u. (Op.cit., p. 38.)
PRÉLUDE A L’EXPANSION D U I I I ~R E I C H 287
semble de la nation allemande aux risques d’un conflit glo-
bal. D’autant plus que leur incorporation au Reich ne résou-
dra aucun des problèmes fondamentaux qui se posent à la
collectivité germanique. Assez grand pour contenir ses popu-
lations actuelles, son territoire n’en demeurera pas moins
trop exigu pour satisfaire les besoins des générations à venir.
Toutefois, Hitler estime que la réunion de qyatre-vingt-cinq
millions d’Allemands au sein d’un même E t a t provoquera
chez ses compatriotes un sursaut d’énergie qui les poussera
à vouloir conquérir des espaces plus vastes.
Encore ne suffit-il pas de faire reculer les frontières e t de
remembrer les terres allemandes pour en faire un domaine
d’un seul tenant. I1 faut. forger en même temps une nation
sans classes, où seront abolis tous les cloisonnements inté-
rieurs nés de l’antagonisme des ouvriers et des bourgeois,
des citadins et des paysans, des travailleurs manuels et des
travailleurs intellectuels, bref , une communauté formée de
quatre-vingt-cinq millions d’êtres, mus par les mêmes
réflexes, les mêmes joies, les mêmes haines, les mêmes
appétits e t manœuvrant au cœur de l’Europe comme une
gigantesque phalange macédonienne ...
C’est alors, mais alors seulement, qu’il se trouvera en
mesure d’accomplir la deuxième partie de son programme,
celle qu’il considère comme sa mission essentielle : donner
à la communauté germanique le socle territorial sur lequel
elle pourra croître et se multiplier, et qui lui conférera
une puissance suffisante pour défier les siècles. Ce faisant,
il la mettra à l’abri de tout danger d’encerclement et
N haussera l’histoire allemande au niveau de l’histoire du
monde ».
Car l’avenir n’appartient qu’aux États détenteurs de
grands espaces comme les États-Unis et la Russie. Tous les
autres sont condamnés à décliner et à disparaître, parce
qu’ils ne sont plus à l’échelle des luttes intercontinentales
qui se préparent. Lui, Hitler, le combattant inconnu, rescapé
par miracle des tranchées des Flandres, est apparu à la der-
nière minute pour assurer au peuple allemand cette situa-
tion privilégiée, avant que l’Histoire ne tourne la page e t
qu’il ne soit trop tard.
Sans cesse, il revient sur les vertus des grands espaces et
1. ID., p. 87.
PRÉLUDE A L’EXPANSION DU I I I ~REICH 289
qu’une guerre ne pourrait lui incorporer de nouveaux élé-
ments étrangers, par voie de conquête et de sujétion finalel. ))
A défaut d’espaces vides qui n’existent pas, ce qu’il faut
à l’Allemagne, ce sont des territoires peu peuplés, mais riches
en ressources naturelles, et dont les éléments autochtones
sont encore trop peu nombreux ou trop peu évolués pour
offrir une résistance sérieuse à leur élimination 2. Ces espaces,
où les trouver?
+ +
* +
(( Mille années »! Pourquoi ce chiffre? Nous touchons ici
à la zone la plus profonde et sans doute la plus révélatrice de
la pensée d’Hitler.
- J e ne suis pas un homme politique comme les autres,
a-t-il dit un jour à l’auteur de ces lignes, et ceux qui me
jugent comme tel ne me comprendront jamais ...
A force de répéter que l’avenir de l’Allemagne est (( sur la
terre 1) et de s’exalter à l’idée de l’Empire allemand de l’Est,
il a fini par le parer de tous les prestiges e t l’a identifié à une
sorte de Paradis terrestre, exclusivement réservé aux indivi-
dus de race germanique z. Non point un Paradis intemporel
situé au-delà de la mort, mais un (( Royaume 1) réalisable dans
ce monde-ci, dont il est à la fois le conquérant et l’annoncia-
teur. Car il est convaincu qu’une volonté supérieure à la sienne
l’a désigné pour y conduire ses compatriotes, en brisant tous
1. Ci. Mein Kampf.
2. I1 compte n’y laisser pénétrer que des races qu’il considère comma appa-
rentées aux Allemands par leur type physique - Flamands, Hollandais, Danois
et Scandinaves - B l’exclusion des autres, qui risqueraient d’en compromettre
l’homogénéité. a Nous tirerons de là un nouveau type d‘hommes, écrit-il, une
race de dominateurs, de nouveaux Vice-rois. D (Libres Propos, I, 20.)
P R ~ L U D EA L’EXPANSION D U 1110 REICH 293
les obstacles qu’il rencontrera sur sa route. Tâche vraiment
cyclopéenne l, qui exige d’être menée avec une dureté inexo-
rable, (( car seul un homme qui ne recule devant rien est
capable de mener son peuple jusqu’à la Terre promise ».
Là, dans ce territoire spacieux (( qui sue l’abondance »,
les Allemands régénérés connaîtront mille ans de paix e t
n’auront plus besoin de s’interroger sur leur avenir. Les ver-
tus créatrices de leur sang s’y épanouiront sans entraves.
Leurs dons d’organisation en feront surgir des moissons fabu-
leuses 3, et les assises qu’ils y tiendront auront une ampleur
et une magnificence dont les Jeux Olympiques et les Congrès
de Nuremberg ne sont qu’une pâle préfiguration.
A y regarder de plus près, on s’aperçoit que cette attente
d’un (( millénaire N de bonheur n’est pas une invention hitlé-
rienne. Elle s’apparente au N Millenium N annoncé par cer-
tains illuminés aux foules extasiées du moyen âge et dont la
promesse auréolait certains empereurs du Saint-Empire ?.
La croyance selon laquelle la (( Fin des Temps n serait pré-
cédée d’un (( règne )) de mille années de prospérité et de paix,
était très répandue en Europe centrale entre le XI^ et le
x v e siècle. Elle avait donné naissance à des mouvements
tumultueux comme ceux des Anabaptistes et des Taborites,
aux Croisades des pauvres et des enfants. L’idée d’un Para-
dis suceptible d’être réalisé ici-bas, pour peu que les hommes
aient la force de briser les obstacles qui les empêchaient
d’y pénétrer, s’emparait de loin en loin de l’esprit de pré-
dicateurs exaltés. Ceux-ci déclenchaient alors des courants
passionnés que l’on peut considérer comme les précurseurs
des grands mouvements révolutionnaires modernes l. Ces
visionnaires avaient en général une éloquence brûlante et un
auditoire composé des mêmes couches sociales : une popu-
lation flottante et marginale - paysans sans terre ou que
leur lopin ne pouvait nourrir, journaliers et manœuvres
constamment menacés de chômage, mendiants e t vagabonds
incapables de trouver une piace assurée au sein de la société 2.
Ne possédant aucun moyen légal de faire valoir leurs reven-
dications, ils attendaient qu’un prophète les groupât autour
de lui et leur infusât (( u n enthousiasme délirant né de leur
propre désespoir 1).
Or, nous avons vu que l’inflation, le chômage et la réduc-
tion brutale des effectifs de l’armée consécutifs a u traité de
Versailles, avaient suscité en Allemagne l’apparition de
masses désemparées, reléguées en marge de la nation, e t qui
n’espéraient plus s’y réintégrer que par la violeme; des masses
comparables, en somme, à celles qui avaient été saisies par
le millénarisme médiéval, à cela près qu’elles étaient infini-
ment plus volumineuses et mieux organisées. Nous savons
également que le jour où Hitler s’était aperçu qu’il possé-
dait le don d’éloquence, c’est-à-dire le pouvoir magique
d’imposer ses idées à ses auditeurs au moyen de la parole,
il avait eu l’impression de (( tenir le monde à sa merci 4 1).
Nous savons enfin que beaucoup de ceux qui l’entendaient
parler pour la première fois - nous avons sur ce point le
témoignage de Gœbbels, de Rosenberg e t de Dietrich Eckart
- n’étaient pas tan t frappés par la justesse de ses arguments
que par la force mystérieuse qui émanait de sa personne e t
qui leur causait un véritable choc psychique. A partir de
1. Ce n’est pas une hypothése, Hitler se fonde sur le plan élaboré par I’gtat-
Major tchèquc, dont il semble avoir eu connaissance. (Voir plus haut, p. 251.)
2. Plan élaboré par Pilsudski e t I’fitat-Major polonais en 1933, pour soutenir
une éventuelle action militaire franco-britannique destinée A renverser le régime
hitlérien dès le lendemain de son accession au pouvoir.
312 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Bismarck avait déjà dit que I la politique était l’art du possible n. Cette
formule avait le don d’exaspérer Hitler. N Pour un géant, a v a i t 4 coutume de
répondre, les limites du possible ne sont pas les mêmes que pour un nain. Les
pleutres s’empareront toujours de cette définition pour excuser leur lâcheté. En
réalité, la politique est l’art de rendre possible l‘impossible, et celui qui n’en
est pas capable n’a qu’à laisser la place à d’autres. 3
2. Mémorandum du général Beck a u général von Fritsch, 12 novembre 1937.
3. Von PAPEN,Mémoires, p. 265.
PRÉLUDE A L’EXPANSION DU I I I ~REICH 323
rait régler les problèmes autrichien et tchèque, sans encourir
les risques d’une conflagration générale. (( La seule conclu-
sion solide que l’on puisse en tirer, écrit l’historien anglais
A. J. P. Taylor, est qu’Hitler comptait sur un tour imprévu
des choses [des troubles sociaux en France, une guerre en
Méditerranée] pour assurer le succès de sa politique étran-
gère ... I1 n’avait aucun plan précis, aucune directive concrète
pour 1937-1938.Ou s’il en avait une, elle consistait à attendre
la suite des événements 2. ))
Comme on le voit, les opinions sur ce point diffèrent du
tout au tout. Pourtant les textes disent clairement ce qu’ils
veulent dire, à condition de ne pas y introduire des juge-
ments fondés sur des événements ultérieurs. Mais un fait
saute aux yeux, qui semble n’avoir frappé aucun des com-
mentateurs : Hitler et Beck commettent tous deux la même
erreur en passant sous silence l’énorme puissance indus-
trielle des États-Unis et sa capacité à se transformer rapi-
dement en potentiel militaire.
* +
Beck a beaucoup d’amis parmi les cadres supérieurs de
l’Armée e t de la Wilhelmstrasse. I1 travaille en liai-
son étroite avec l’amiral Canaris, qui dirige tous les
services de contre-espionnage et de renseignements de la
Wehrmacht 3. I1 est également très lié avec M. Gœrdeler, le
bourgmestre de Leipzig, un des chefs de file de l’opposition
antinazie, qui exerce sur lui un grand ascendant intellectuel.
I1 a des entretiens fréquents avec M. von Weizsacker, le
Sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères, avec M. von
Bülow, avec M. von Hassel, ambassadeur à Rome, e t
certains autres diplomates de carrière qui se livrent à une
opposition plus ou moins larvée 4. Sans aller jusqu’à leur
divulguer tout ce qu’il vient d’apprendre, il les sonde habi-
1. A twist of fortune.
2. A. J. P. TAYLOR, The origins of f 6 e second World War, p. 182.
3. I1 a truffé ses services d’agents de l’opposition.
4. C’est pour échapper à cette opposition que Ribbentrop a dii constituer un
u Bureau u spécial, en marge du ministère. Lorsque celui-ci a é t é constitué, Erich
Kordt a été nommé agent de liaison entre le Bureau Ribbentrop e t la Wilhelm-
strasse. A cette occasion, Bülow lui a donné les instructions suivantes : Y Ne
rectifiez par les erreurs de Ribbentrop. Laissez-lui suffisamment de corde pour
se pendre lui-meme. )I (ROTHFELÇ, Die Deutsche Opposition gegen Hitler, Krefeld,
1951, p. 69.)
324 HISTOIRE DE L’ARMI~E ALLEMANDE
1. Joseph G ~ B B E L SJournal,
, p. 255.
2. Les brevetés d’État-Major portaient sur leurs pantalons deux bandes verti-
cales de cette couleur.
3. DI Hans FRANCK, Im Angesicht des Galgem, Munich, 1953, p. 243.
4. Devant le tribunal qui l’a jugé, en 1923, au lendemain du putsch manqué
de Munich. (Voir vol. II, p. 316.)
5. Voir vol. III, p. 240.
6. Staline ne laissera pas l’Armée rouge dans l’état de faiblesse où l’ont plongée
les purges. L a France a déjà adopté le service de deux ans et renforce activement
s a ligne Maginot. La Tchécoslovaquie fortifie ses frontières. La Pologne a décidé
d e doubler ses effectifs. Le gouvernement anglais prévoit de consacrer quinze
cents millions de livres sterling à son réarmement, au cours des cinq années A
venir.
PRÉLUDE A L’EXPANSION D U I I I ~REICH 329
min vers l‘est, et l’Allemagne aura manqué sa dernière chance
historique : devenir la clé de voûte d’un Empire européen,
capable d’équilibrer l’Amérique et l’Asie...
Mais les génér: ix sont effrayés par l’ampleur de cette
tâche. Tout ce qu’ils trouvent à lui répondre est qu’il
s’expose (( à des risques énormes )) et que ses hypothèses sont
(( insuffisamment motivées I)...
1. Selon le général Jodl, c’est le maréchal von Blomberg qui lui a suggéré ce
choix.
2. Né en ,1882, le général Wilhelm Keitel a fait la guerre de 1914-1918 comme
capitaine d’artillerie. De 1920 à 1922, il a été professeur à l’École de cavalerie.
Sauf pendant des commandements temporaires exercés a Bréme et à Potsdam,
Keitel a fait toute sa carrière au ministère de la Guerre. En 1935, il a été nommé
chef du Wehrmachtsamt en remplacement du général von Reichenau.
3. A ce titre, l’ûberkommando der Wehrmacht (O. I<. W.) a sous son autorité
le Commandement en chef de l’Armée de terre (Oberkommando des Heeres ou
O. K. H.), le Commandement en chef de la Marine de guerre (Oberkommnndo
der Kriegsnmrine ou O. I<. M.) e t le Commandement en chef de l’Armée de l’air
(Oberkommando der Luftwafe ou O. K. L.).
4. Mais pas de ministre de IQ Guerre. Keitel n’exercera ces fonctions qu’au
nom du Führer. Ses attributions sont donc réduites par rapport B celles de Blom-
berg.
336 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
+ +
réalise les vœux que moi-même e t le Comité Directeur avons formés depuis long-
temps. I Quand il sera arrêté en 1945, son opinion n’aura guère varié, puisqu’il
répondra en ces termes à l’officier américain chargé de l’interroger : u Nous avions
besoin d’être menés par une main forte et dure. Celle d’Hitler l’était. Après des
années passées sous sa conduite, nous nous sentions fous bien plus à l’aise. Nous
voulions un système qui fonctionnât bien et qui nous donnât la possibilité de
travailler tranquillement. I)
3. Leftre de Prenfice Gilbert, charge d’affaires américain à Berlin, d M. Cordell
Hull, 11 février 1938.
4. Jacques P R ~ V O T ~ È Paris-Midi,
RD, 7 février 1938.
TROIS I ÈME PARTIE
L'INCORPORATION
DE L'AUTRICHE AU nEICH
xx
* *
Pourtant, cette unité rêvée par les penseurs et les poètes
n’aurait jamais été (( qu’une patrie dans les nuages )) si-elle
n’avait pas trouvé, dans le baron de Stein, un homme d’Etat
1. Cf. G R ~ N W A L D , ci.!., p. 245-246. u La régénération de la Prusse, écrit
op.
d e son côté Renan, eut une solidité que ne saurait donner la simple vanité
patriotique. Elle eut une base morale; elle fut fondée sur l’idée du devoir, sur la
fierté que donne le malheur noblement supporté. u (La Réloforme intellectuel& et
morale.)
IV 23
354 HISTOIRE DE L ’ A R L I ~ EALLEMANDE
* *
Napoléon s’est écroulé. Stein va-t-il pouvoir enfin réaliser
l’unité allemande? I1 sait que c’est le vœu unanime de la
nation et que celui qui accomplira cette œuvre sera salué
comme un héros. (( J e n’ai qu’une patrie, c’est l’Allemagne »,
ne cesse-t-il de proclamer depuis 1812. Mais l’unification de
l’Allemagne, telle qu’il la conçoit l , est incompatible avec la
souveraineté des princes germaniques. Pour édifier un nou-
veau Reich, il faudrait renverser une trentaine de dynasties.
Or, Stein le peut d’autant moins que, sous couvert de la
Sainte-Alliance, les princes allemands relèvent la tête, - ces
princes pour lesquels il éprouve le plus profond mépris z.
Beaucoup de ses contemporains professent la même opi-
nion. (( Toute l’Allemagne attend un libérateur, un sauveur »,
écrit à cette époque le comte Grœben à Gneisenau. Si ce
héros national pouvait en même temps faire tomber les rois
et les princes, et agir comme un chef unique, le peuple trou-
verait sa régénération et serait absous de toutes ses fautes. ))
Quant à l’archiduc Charles de Habsbourg3, il va jusqu’à
affirmer : ((L’Allemagne ne pourra être unie que par u n
homme qui n’est pas né prince! n
Mais l’époque n’est pas encore mûre pour une solution
aussi radicale4. Entre Stein qui veut aller de l’avant, e t
1. a I1 faut remplacer la souveraineté de 36 despotes par l’ancienne suzeraineté
territoriale de l‘Empereur e t priver les princes du droit de guerre e t de paix pour
le transférer à la Diète e t A l’Empereur. Celui-ci devra être investi du pouvoir
exécutif, de la haute surveillance sur les Tribunaux de justice, sur la perception
des impôts e t sur les institutions militaires. Le pouvoir législatif devra lui appar-
tenir, conjointement avec la Diète. n (Proposilions de Stein au Tsar Alexanàre le’,
en août 1813.)
2. u Nous avons ici, à Francfort, toute une canaille princière, aussi ridicule que
méprisable et méprisée 3, é c r i t 4 à sa femme le 27 novembre 1813. Mais les Prin-
ces auraient-ils toutes les vertus, Stein ne les hairait pas moins, car il voit en
eux les responsables du particularisme e t de la division. a Or, la division de l’Al-
lemagne en de nombreux petits États impuissants, écrit-il, a privé la nation
de tout sentiment de dignité e t d’indépendance; elle a détourné sa pensée des
grands i n t é r b nationaux pour la porter sur de petites préoccupations locales;
elle a favorisé l a passion des titres honorifiques, l a vanité e t l’esprit d’intrigue
qui se donne librement carrike dans les innombrables petites Cours. D
3. L’Archiduc Charles avait été chargé par l a Cour de Vienne de coordon-
ner l’action des mouvements de résistance allemands e t s’était constamment
heurté à l’apathie des princes.
4. Pour la plupart des dirigeants de l’époque, l a victoire de 1815 n’avait pas
L’INCORPORATION DE L’AUTRICEE AU REICH 357
Metternich, qui veut ressusciter le passé, le duel est par
trop inégal. Fidèle à la politique traditionnelle de la Russie,
qui consiste à repousser les pays germaniques vers l’occi-
dent, le Tsar Alexandre Ier enlève le duché de Pologne à la
Prusse et lui fait attribuer, en compensation, la Westphalie
e t les Provinces rhénanes l. Sur le plan de l’agrandisse-
ment de la Prusse, le travail de Stein n’aura pas été vain.
Mais sur le plan de l’unification du Reich ses efforts se
soldent par un échec total. Car Metternich profite des cir-
constances pour barrer à la Prusse toute extension vers le
sud et tenter de rendre à l’Autriche son ancienne influence
sur le Corps germanique.
L’Acte final du Congrès de Vienne, signé le 9 juin 1815,
consacre la création d’une nouvelle Confédération germa-
nique. Elle se compose de trente-six princes souverains et de
quatre villes libres z. Leurs délégués se réuniront périodique-
ment à Francfort. D’un commun accord - quoique avec
plus ou moins d’empressement - les princes décident de
remettre la Présidence de la Confédération à l’Empereur
d’Autriche.
Alors le Corps germanique retourne à son particularisme
et à sa somnolence. Après la grande flambée de 1813, les
esprits s’endorment, l’immobilisme triomphe. Aucune des
promesses faites aux peuples à l’heure du péril, ne sera
tenue. Le grand rêve romantique de l’unité allemande s’éva-
nouira en fumée, au point que Goethe vieillissant pourra
répéter à Eckermann ce qu’il écrivait à Zelter vingt ans
auparavant : (( Quand j’entends parler d’un Tout que l’on
dit perdu, comme personne en Allemagne n’a jamais vu ce
Tout et s’en est encore moins soucié, je me sens pris d’impa-
tience quand on m’en parle et je dois faire un effort pour
dissimuler mon irritation afin de ne pas paraître égoïste et
grossier 3. ))
été celle d’une nation sur une autre, mais le triomphe de la royauté de droit
divin sur le jacobinisme révolutionnaire. I1 devait nécessairement en résulter une
longue période de réaction.
1. Donnant ainsi à l a Prusse, pour la premiere fois, une frontière commune
avec la France.
2. Francfort et les trois villes hanséatiques- Brême, Hambourg, Lübeck. A tra-
vers le flux e t le reflux des événements, une tendance reste constante: la d i m i n u -
tion du n o m b r e des territoires. On comptait 3.000 États e t autant de villes libres,
a u moyen âge; 82 États e t 6 villes libres, en 1803; 36 &tats e t 4 villes libres en
1815, e t ces nombres allaient diminuer encore au cours du X I X ~siècle.
3. Lettre 6 ZeUer, d u 17 juillet 1807. E t ailleurs : n Les Allemands n’ont aucune
ville, ni même aucun pays dont on puisse dire vraiment : ici, c’est l’Allemagne D.
358 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Le baron Henri de G i g m i .
360 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Vicaire du Reich.
2. Moins connu en France que Metternich, le prince Félix von Schwarzenberg
n’en est pas moins un des plus grands hommes d’État autrichiens. Son action
s’inspire de conceptions politiques t i & vastes. Lui aussi veut forger un a Reich D
unique de 70 millions d’habitants. Mais, contrairement à l’Assemblée nationale de
Francfort qui compte y parvenir en soumettant l‘Autriche à la domination de la
Prusse, Schwarzenberg entend y arriver en soumettant la Prusse à l’hégémonie
autrichienne, afin que ce bloc germanique, enfin constitué, permette au Gouverne-
ment de Vienne de poursuivre sa politique d’expansion dans les pays danubiens.
C‘est, à ses yeux, la seule manière d’éviter que les Russes ne se rendent maîtres de
cette région cruciale et -partant de là-ne fassent irruption au cœur de l’Europe.
L‘évolution récente des événements a donné à ses thèses un regain d‘actualité,
3. a -4l’appel de Kossuth, tes patriotes hongrois avaient proclamé I’indépen-
dance de leur pays et la déchéance des Habsbourg. Mais grâce à l’intervention
des armées russes, envoyées par le Tsar Nicolas pour leur prêter main-forte, les
Autrichiens en étaient venus à bout. Prise entre les armées autrichienne et russe,
...
l a Hongrie avait succombé Les chefs de la révolte, Kossuth e t Dembinski, ainsi
qu’un certain nombre de généraux polonais qui s’étaient associés à leur cause,
passèrent le Danube à Widdin et se jetèrent dans les bras des Turcs. D (TOCQIJE-
VXLLE, Souvenirs, p. 259 et 233.) C‘est à la suite de cette intervention que les
libéraux nommèrent Nicolas II a ia gendarme de l’Europe n.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU R E I C H 361
de l’Assemblée le propose. Mais l’autre prend peur, se récrie
que c’est impossible, que le Parlement se couvrirait de
ridicule si la masse ne le suivait pas. Alors, demander la
protection d’un Hohenzollern et se mettre à l’abri des baïon-
nettes prussiennes? Cette solution, plus réaliste, recueille
l’approbation de la majorité l. En conséquence, une déléga-
tion de parlementaires, présidée par M. Simpson, se rend à
Berlin pour offrir la couronne impériale à Frédéric-Guil-
laume IV.
Stein est mort depuis dix-huit ans. Le grand rêve de sa
vie va-t-il enfin se réaliser? Pas encore. Contre toute attente,
le Roi Frédéric-Guillaume décline cet honneur. (( J e ne veux
pas ceindre une couronne fabriquée dans la boue »,répond-il
d’un ton cassant à ses visiteurs abasourdis z .
Quels motifs l’ont amené à formuler ce refus? Le manque
de confiance en lui-même 3? Le pressentiment obscur que le
nœud gordien du dualisme allemand ne pourra plus être
tranché que par l’épée 4 ? La crainte de défier ouvertement
l’Autriche e t d’être entraîné, de ce fait, dans des complica-
tions sans fin avec la France et la Russie 5? Une répulsion
compréhensible à recevoir la couronne d’une Assemblée de
beaux parleurs impuissants et discrédités? Tous ces facteurs
se sont combinés pour lui dicter sa conduite. Mais il en est un
autre, bien plus fort, qui s’est imposé à son esprit : la crainte
de voir la Prusse se dissoudre dans un Reich où ses préroga-
tives ne seraient plus celles d’un monarque de droit divin. (( E n
acceptant la couronne impériale »,déclare-t-il, je risque de ((
* *
L’Allemagne des penseurs et des poètes a échoué en 1815.
L’Allemagne des professeurs et des avocats a fait naufrage
1. Renoncer à un Reich livre à des forces incontrôlables pour préserver la
Prusse, - le Grand État-Major allemand aura le même réflexe a la veille de la
signature du traité de Versailles. (Voir vol. I, p. 345-347.)
2. On peut même dire dans toute l’Europe, avec Wrangel A Berlin, Windisch-
graetz à Vienne et Cavaignac à Paris.
3. L’Empereur Ferdinand Ier ayant abdiqué le 2 décembre 1848, Françoia-
Joseph lui a succédé avec les titres de Roi de Bohême, Roi de Hongrie et Archi-
duc d’Autriche.
6. Ou du moins leun déléguds Clus.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 363
en 1849. Une nouvelle tentative va être faite, à présent, par
l’Allemagne des généraux et des maîtres de forge. Elle sera
conduite par un homme cynique et brutal, mais doué d’un
génie politique exceptionnel : Otto von Bismarck. A l’exté-
rieur, il fera preuve de souplesse et de diplomatie. Mais à
l’intérieur, il résoudra le problème (( par le fer et par le sang »,
comme il le déclarera sans ambages au Landtag de Prusse
E n lui-même, Bismarck n’est pas moins réactionnaire que
ses antagonistes autrichiens. Mais il est servi par une
volonté.de fer, et bénéficie du fait que la Prusse est en
pleine expansion, alors que les forces de l’Autriche com-
mencent à décliner 2.
Pendant un temps, les deux pays s’observent e t évitent
de s’affronter. Mais leur rivalité est trop évidente pour que
la paix soit autre chose qu’une trêve.
Le premier à sortir de sa réserve est Frédéric-Guillaume IV.
Une fois les mouvements révolutionnaires écrasés, celui-ci
a l’idée surprenante de se faire offrir par les princes le
trône qu’il a refusé de recevoir du Parlement de Francfort.
I1 leur propose de former avec lui une Grande Union alle-
mande qui englobera à la fois l’Empire d’Autriche et l’Empire
allemand. Effrayés par tan t d’appétit, la Bavière et le
Wurtemberg s’y refusent. Quant au Hanovre et à la Saxe,
qui ont déjà donné leur consentement, la pression de Vienne
les oblige à le retirer. Force est donc à Frédéric-Guillaume
de se rabattre sur une Union restreinte, groupant un certain
nombre de petits États de l’Allemagne du Nord. Cette Fédé-
ration sera dotée d’un Parlement commun qui siégera à
Erfurt (mars-avril 1850).
plus pour cimenter son unité que toutes les lois sociales
votées par le Reichstag. Bismarck, nommé prince par Guil-
laume Ier et élevé par lui à la dignité de Chancelier d’Em-
pire, assiste avec satisfaction à cet épanouissement de son
œuvre.
Mais pour ce diplomate-né, le maintien de l’équilibre
européen est au moins aussi important que la prospérité
intérieure. Après avoir expulsé l’Autriche de la Confédé-
ration et avoir fondé le I I e Reich, cet homme de guerre
qui, au fond n’a jamais été un soldat s’est transformé
soudain en homme de paix l. Lui qui ne trouvait jadis
pas de mots assez cinglants pour stigmatiser l’Autriche, il
est devenu, à la surprise de tous, un austrophile convaincu.
A ceux qui le pressent de parachever l’unité germanique en
arrachant les provinces allemandes à la monarchie des
Habsbourg, il répond d’un ton rogue : (( I1 n’y a que des
fous pour parler ainsi et je me garderai bien de les écouter.
Si l’Autriche n’existait pas, il faudrait l’inventer z... 1)
Nombreuses sont les raisons qui le poussent à parler ainsi.
D’abord, sa répulsion à incorporer au Reich, à prédo-
minance protestante, des populations qui augmenteraient
le pourcentage des catholiques. Ensuite, sa conviction que
les Allemands disséminés à travers le bassin danubien 3 ont
une tâche plus importante à remplir ((q u e de fournir des
recrues aux armées de Guillaume Ier4. )) Les Allemands
1. a A mon âge, dira-t-il le 18 avril 1 8 ï 2 à M. de Gontaut-Biron, ambassadeur
de France, je ne puis désirer d’autre gloire que celle de procurer à mon pays
quelques années de repos, de calme, de bien-Che, de lui procurer, en un mot,
non pas du bruit, mais du bonheur. u De toute évidence, Bismarck ne se rend pas
compte que pour forger l’unité de I’Allemagne il a déchiré pour longtemps l’unité
d e l’Europe. La guerre de 18ï0 a ancré la notion de revanche dans la grande masse
des Français qui voient désormais, en l’Allemagne, l’ennemie héréditaire.
2. u L’inclusion de l’Autriche allemande, avec ses Tchèques e t ses Slovènes,
dans la confédération septentrionale équivaudrait à la dissolution de celle-ci B,
écrira Bismarck dès le 29 juillet 1850 au général von Çchwcinitz, ambassadeur
à Vienne. K J e ne puis imaginer des rapports organiques avec les lambeaux d’une
...
monarchie autrichienne tombant cn désagrégation 11 sufit d’imaginer Vienne,
devenue une ville provinciale à la frontière d’un Empire allcmand, pour voir
à quel point u n tel projet est irréalisable. D E t il répétera à M. de Saint-Vallier,
l e 1 4 novembre 1879 : Pour notre propre vie, il faut que l’Autriche subsiste. I )
I(
territoire serbe.
2. Le ministre des Affaires étrangères autrichien.
3. Le neveu du Commandant en ehet de la guerre de 1870.
4. Voir plus haut, p. 366.
5. u Par mauvais calcul, par excès de confiance, par griserie, par fatalisme,
par l’usage irréfléchi de la menace (trop souvent couronné de succès), par sou-
mission de la politique à de prétendus avantages militaires, l’Allemagne est deve-
nue esclave de cette guerre de coalition, dont le cauchemar troublait les nuits
de Bismarck. 1i (GAXOTTE, op. ci#., II, p. 341.)
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 381
Les hostilités se déclenchent le 4 août 1914. Ni Guil-
laume II ni François- Joseph ne prévoient où elles les mène-
ront. Car de même que les campagnes napoléoniennes ont
entraîné l’effondrement du Saint-Empire, la guerre de 1914-
1918 provoquera la dislocation de l’Empire austro-hongrois.
XXII
NAISSANCE ET VICISSITUDES
DE LA PREMIÈRE RÉPUBLIQUE
FÉDÉRALE AUTRICHIENNE
(16 octobre 1918-27 juillet 1927)
1. L’ancien Président d u Conseil a été abattu par Frédéric Adler, un des diri-
geants de l’aile gauche d u Parti social-démocrate, II pour démontrer aux masses
ouvrières que son Parti était irrréductiblement hostile à la monarchie n.
2. Le chef traditionnel de l’aristocratie magyare a été exécuté pour accélérer
la rupture entre l’Autriche e t la Hongrie. Son assassinat ouvre l a voie a u sou-
lèvement marxiste de Béla Kun.
L’INCORPORATION DE L’AUTRPCHE A U REICH 383
contre Slovaques, Croates contre Dalmates. Sur ces règle-
ments de comptes entre nationalités se greffent les rivali-
tés idéologiques. Rien qu’à Vienne, quatre partis opposés se
disputent le pouvoir : les Sociaux-démocrates, les Chrétiens-
sociaux, l’Union nationale et l’Union agraire. E n bref, c’est
le chaos, un chaos sanglant sur lequel se profilent les
spectres du chômage et de la misère.
- Où est notre Empereur? Où est notre patrie? se
demandent avec angoisse les soldats autrichiens qui n’ont
assisté que de loin à la dislocation intérieure.
Non seulement François-Joseph est mort, mais son suc-
cesseur l’Empereur Charles a pris le chemin de l’exil. Quant
à leur patrie, pour laquelle ils n’ont cessé de combattre dans
les Dolomites, dans les Balkans, en Galicie e t en Bukovine,
elle est devenue méconnaissable. Des drapeaux rouge-blanc-
rouge flottent sur les édifices publics, où ils ont pris la place
de l’ancien étendard impérial jaune et noir. Au lieu des
régiments pimpants qui défilaient aux sons de la marche
de Radetsky, on ne voit que des colonnes de manifestants
qui avancent le poing tendu, en hurlant l’Internationale. Tous
les cadres sont brisés, toutes les institutions dissoutes. A la
place de l’ancien Empire a surgi une nouvelle République.
Ses dirigeants poussent si loin le désir de se désolidariser du
passé qu’ils ne se reconnaissent plus aucun lien avec les ves-
tiges de l’Armée impériale, qui refluent en désordre vers le
cœur du pays. A sa place, ils ont constitué hâtivement une
sorte de milice populaire, la Volkswehr, où sont entrés pêle-
mêle des bourgeois, des ouvriers, des agitateurs syndicalistes
e t beaucoup d’éléments douteux. Ceux-ci font rapidement
comprendre aux combattants du front qu’on n’a plus besoin
d’eux, qu’ils n’ont qu’à disparaître au plus vite, ainsi que
toutes les traditions pour lesquelles ils se sont battus.
Les officiers soiit houspillés, malmenés, dégradés; on leur
arrache les épaulettes; on leur crache à la figure. Contrai-
rement à ce qui se passe à la même époque en Allemagne,
aucun cheî d’État ne vient leur dire qu’ils sont des (( héros
invaincus D.
Les anciens combattants écarquillent les yeux. Hâves e t
amaigris par quatre années de lutte 2, ils sentent grandir,
au fond de leur poitrine, un vide désespéré. S’ils ne retrou-
1. Voir vol. I, p. 74.
2. Dont la dernière a été particulièrement pénible.
384 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
symbolique. I1 s’appelait Viribm Unitis (Avec des forces unies). Or c’était jus-
tement l’union des forces austro-hongroises qui était en train de se dissoudre.
1. II a tout d‘abord demandé A l’Empereur Charles la permission de réprimer
l’insurrection naissante à l’aide de troupes bosniaques et de certains régiments
sûrs. La réponse de Vienne avait été si évasive qu’il y avait renoncé.
390 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
+ *
Le départ de l’Empereur va-t-il entraîner la dislocation de
l’Autriche proprement dite? On peut le croire un moment,
car le Tyrol déclare que, n’étant lié aux pays autrichiens que
par la Pragmatique Sanction 3 - c’est-à-dire par un lien
personnel avec le chef de la Maison de Habsbourg - aucun
lien ne le rattache plus aux autres Liinder. Mais après vingt-
quatre heures de flottement, ce Pays se ressaisit. I1 se
rallie finalement à la République autrichienne, dont l’As-
semblée nationale est en train d’établir la Constitution.
Mais que peut la malheureuse petite République fédé-
rale, avec ses 6.710.000 habitants, dont près d’un tiers
sont concentrés dans la seule ville de Vienne 4 ? Faite
pour être la capitale d’un Empire de 57 millions d’âmes,
cette ville est disproportionnée au territoire qui lui reste.
Amputée de la Bohême industrielle et de la Hongrie agri-
cole, privée de tout débouché sur la mer, coupée de ses
prolongements danubiens et balkaniques, l’Autriche réduite
à elle-même, ne peut que végéter misérablement. Toute
extension lui étant interdite du côté du sud-est, force lui est
de chercher son salut dans une autre direction.
Durant tout le x ~ x esiècle, les rivalités dynastiques entre
Habsbourg et Hohenzollern l’ont empêchée de fusionner avec
l’Allemagne. A présent, cet obstacle n’existe plus. Habsbourg
et Hohenzollern ont été détrônés. La République a été pro-
clamée à Berlin comme à Vienne. Des gouvernements socia-
listes y exercent le pouvoir et, sur l’ensemble du Reich ne
1. Sur les instances de l’Impératrice Zita e t de Mgr Seipel.
2. II le quittera, dans l’après-midi d u 24 mars 1919, pour se réfugier en Suisse,
au château de Prangins. De là, il se rendra à Madère oii il mourra danî le dénue-
ment IC plus tota1,le l e 1 avril 1922. ( P o u r tout ce qui & trait A la fin de l’Empire
austro-hongrois, voir comte A. POLZEn-HoDiTZ, L’Empereur Charles et la mission
hisloripe de l‘Autriche, Paris, 1934.)
3. Acte promulgué en 1719 par l’Empereur Charles VI, en vue d‘harmoniser
les régles successorales en Autriche avec celles de la Hongrie.
4. On compte, en 1918, 1.865.000 Viennois, contre 2.031.000 e n 1910.
392 HISTOIRE DE L ’ A R M ~ E ALLEMANDE
1. Sa venue au pouvoir est saluée avec enthousiasme par les milieux catho-
liques. u Un seul homme était capable de ressusciter l’Autriche, écrit Schuschnigg,
un seul homme devait et pouvait le faire en dépit des trihulations de l’époque,
de la structure politique de l’État, des querelles des partis, de la menace du bol-
chévisme, du désespoir qui r é p a i t dans tous les milieux de la population e t des
doutes que l’on avait sur la vie ou la mort d u Pays : ce sauveur était Seipel. D
(Autriche, ma Patrie..., p. 54.)
2. a Nous autres Autrichiens, écrit à cette époque Mgr Seipel à Mgr Frind,
étions investis d’une mission spéciale dans l’Est européen, à l’égard des Slaves,
des Magyars, etc. L’avons-nous perdue ou non? Si nous l’avons perdue, il ne
nous reste plus qu’à retourner a u Reich, pour former une pmvince à cûté des
autres, sous la domination de la Prusse, parce que Dieu n’a plus rien d’autre
à faire avec nous. Ce qui nous adviendra finalement, je l’ignore. Mais toutes les
fibres de mon cœur souhaitent que mon peuple n’ait pas perdu sa vocation, OU
que le Tout-puissant la lui rende. n
3. C’est le nom que portaient, en Autriche, les syndicats marxistes.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 401
time défense. Cette décision a provoqué une vive colère dans
les milieux ouvriers.
Le 15 juillet, au matin, l’drbeiter Zeitung, organe du Parti
socialiste, publie un appel très violent, invitant tous les tra-
vailleurs à organiser une manifestation de masse devant le
Palais de Justice.
Quelques mois plus t ô t , cet appel n’aurait été suivi que
par quelques centaines de personnes. A la surprise de tous,
les usines de la banlieue viennoise se vident et des mil-
liers de manifestants marchent vers le centre de la ville.
Croyant avoir encore ses troupes en main, le Dr Seitz, Bourg-
mestre socialiste de Vienne, demande à M. Schober, le Préfet
de police, de lui laisser carte blanche. I1 se fait fort, par sa seule
éloquence, de calmer les manifestants, à condition toutefois
que la police n’intervienne pas. M. Schober commet l’erreur
de le croire. I1 ignore que les manifestants sont au
comble de l’exaspération et que M. Seitz a perdu toute
autorité sur eux. Dès que M. Seitz commence à les haran-
guer, sa voix est recouverte par des huées. L’atmosphère
devient de plus en plus orageuse. Surpris par cette réaction,
M. Seitz perd pied e t renonce à se faire entendre. A ce
moment, des éléments incontrôlés font irruption dans le
Palais de Justice, le saccagent de fond en comble et y mettent
le feu. Bientôt le bâtiment n’est plus qu’un énorme brasier.
Lorsque la police intervient, il est trop tard. La foule
déchaînée se retourne contre elle. Craignant d’être débordé, le
service d’ordre fait usage de ses armes : une vingtaine de
victimes s’écroulent sur la chaussée.
Convaincus que M. Seitz leur a tendu un piège, les ouvriers
reviennent le lendemain, pour mettre à sac le siège du Parti
socialiste. Otto Bauer ne parvient à les en empêcher qu’en
détournant leur colère sur le Préfet de police. Les manifes-
tants se ruent alors sur la Préfecture, qui a été rapidement
entourée de fils de fer barbelés. Ils l’assiègent pendant des
heures en tendant le poing et en traitant M. Schober de
(( bourreau de la classe ouvrière n.
1. Ceux-ci exigent, outre les postes qu’ils détiennent déjà dans le Cabinet, que
le major Fey soit nommé Sous-secrétaire d‘État à l a Sécurité, avec des pouvoirs
discrétionnaires sur la police.
2. Chrétiens-sociaux : 66 + Heimwehr : 8 := 74 députés. Les Sociaux-démo-
crates en comptent 72. La seule garantie de durbe que possède le Cabinet Dollfuss
est l’impossibilité pour l’Union nationale e t la L:gue agraire d e former une coalition
avec les Marxistes.
3. Notamment 1’ K Union nationale n, de tendance pangermaniste.
4. Des élections aux Diètes provinciales (Candtage) de Vienne, de Basse-
Autriche e t de l a province de Salzbourg ont lieu le 24 avril 1932. Pour la pre-
mière fois, les Nationaux-socialistes y rempcztent des succès marqués, aux
dépens des partis bourgeois.
5. Les voix se répartissent d e la façon suivante : pour Dollfuss, 66 Chrétiens-
aociaux, 9 Ligue agraire e t 8 Heimwehr = 83. Contre DoUfuss, 72 Sociaux-démo-
crates et 10 Union nationale = 82.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE A U REICH 411
Le 30 août, le Conseil fédéral s’oppose à son tour à la
ratification de l’emprunt. L’Assemblée nationale doit confir-
mer sa décision 2. Cette fois-ci, Dollfuss l’emporte par deux
voix, mais seulement parce que l’ex-Chancelier Schober est
mort onze jours plus t ô t . En tant que membre de l’Union
nationale, Schober aurait voté contre. Son successeur vote
pour.
Le 21 octobre, les Sociaux-démocrates déposent une motion
dans laquelle ils demandent que de nouvelles élections aient
lieu à la fin du mois de novembre 3. Dollfuss fait l’impossible
pour s’y opposer. I1 commence par obtenir que la consulta-
tion populaire soit repoussée au printemps de 1933. Mais sur
le fond du débat, il essuie une défaite : malgré ses objurga-
tions, le principe des élections est adopté par 83 voix contre
73.
Sur ces entrefaites, Hitler accède au pouvoir le 30 jan-
vier 1933. De 19 heures à 1 heure du matin, une gigantesque
retraite aux flambeaux déroule son serpent de feu à travers
les rues de Berlin 4. A Vienne, Dollfuss voit approcher la
date des élections avec une anxiété accrue. Que donne-
ront-elles dans de pareilles circonstances? Ne vaudrait-il
pas mieux les annuler? Mais comment les annuler sans
dissoudre le Parlement?
A ces questions, apparemment sans réponse, le Parle-
ment viennois va répondre lui-même - en se suicidant.
Le l e r mars, les cheminots autrichiens déclenchent une
grève générale. Le 4 mars - veille du jour où ont lieu, en
Allemagne, de nouvelles élections qui vaudront aux Nazis
un succès triomphal 5 , - on se dispute, à l’Assemblée
viennoise, sur (( la légalité du référendum par lequel le
Gouvernement désire soumettre à l’approbation du peuple,
la nouvelle réglementation à appliquer aux cheminots ».
Citoyens!
L’Assemblée législative de la République autrichienne s’est
mise d’elle-même hors d’état d‘exercer ses fonctions. Cette situa-
tion provient du fait que les trois Présidents ont remis leur
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 413
démission à la suite de divergences d‘opinion graves sur la
légitimité d’un référendum, examiné au cours de la siance d u
4 mars.
C e cas n’est prévu ni dans la Constitution, ni dans le Règle-
ment. Il existe donc actuellement une crise aiguë d u Parlement.
L e Gouvernement n’entend pas que le P a y s soit privé, d‘une
façon durable, d’une représentation nationale effective, capable
de servir le B i e n commun.
Toutefois, la direction de l’État ne réside pas exclusivement
dans le Législatif. Elle réside également dans la personne d u
chef de 1’Etat et dans le Gouvernement.
En conséquence, le Gouvernement légalement nommé par le
Président de la Confédération demeure e n fonctions. Il n’est
touché e n rien par la crise parlementaire qui a été provoquée
e n dehors de lui. Il n’y a aucune crise de l’État.
LA DICTATURE DE DOLLFUSS
+ +
Dès le lendemain de la mise en vacances du Parlement, le
conflit entre Sociaux-démocrates et Chrétiens-sociaux se
transforme en une lutte à mort entre le Schutzbund républi-
cain e t la Heimwehr nationaliste l. Le 16 mars, M. Stumpf,
Landeshauptmann du Tyrol, interdit le Schutzbund dans sa
province. M. Seitz, Bourgmestre de Vienne, riposte en décré-
tan t la dissolution de la Heimwehr dans la capitale. Le soir
même, le Gouvernement annule son décret. La Heimwehr
reste intacte. En revanche, le Gouvernement interdit le
Schutzbund sur tout l’ensemble du territoire (31 mars) 2.
Mais ce ne sont encore que des escarmouches prélimi-
naires.. .
Le 11mai, Dollfuss interdit les élections qui devaient avoir
lieu avant la fin du mois 3. Le 20 mai, il fonde le (( Front
patriotique N destiné à devenir le Parti unique du nouveau
régime. Cette organisation prend pour emblème la croix
potencée. Les anciennes formations politiques n’ont plus
qu’à s’y incorporer ou à disparaître.
Comme elles se refusent à le faire de plein gré, Dollfuss
les dissout les unes après les autres. Le 26 mai, il interdit le
Parti communiste 4. Le 19 juin, c’est au tour du Parti natio-
nal-socialiste autrichien. Le même jour, 1.142 militants nazis
sont arrêtés, dont 387 fonctionnaires de 1’Etat et 81 bourg-
1. Fey passe ainsi par-dessus la tète de Starhemberg, qui n’est quo Ministre
de l’Intérieur et se voit enlever les Services de sécurité. Cela ne contribue pas
à aniéliorer leurs rapports. D’autant plus que Fey joue, auprès de Starhemberg,
le rôle de démon tentateur. Il l’incite ti déc!enchrr u n putsch et à s’engager dans
la voie de l’illégalité. Mais Starhemberg, qui llaire la provocation, s’y refuse.
s U n putsch est irréalisable dans ce pays! Y lui répond-il avec hauteur.
2. Notamment à Wœllensdorf et à Messendorf, près de Graz.
3. E n guise de compensation, le Gouvernement offre aux dirigeants des Syn-
dicats libres u n tiers des sièges dans les nouveaux Syndicats unitaires en voie
de constitution, et la Présidence des Chambres provinciales de Linz e t de Vienne.
Mais les Syndicats libres refusent. Otto Rauer declare : R Les Syndicats unitaires
sont des outils d’oppression de la classe ouvrière. Les Syndicats libres les répu-
dient formellement,.. D
420 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
+ +
1. Der nu/ der Freiheif, numéro du 19 janvier 1934. Cité par Wolf BERTRAM,
dans Lo Guerre ciri& en Autriche, Paris, 1934.
2. Elles ont été alertées à Paris par fa S. F. 1. O. et la C. G. T.; à Londres par
le Labour Party e t les Traùe Unions.
3. Nom du bâtiment qui abrite le ministère des Affaires étrangères autrichien.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU R E I C H 421
par ce succès, la Heimwehr organise le 6 février une marche
sur Graz, la capitale de la Styrie et, le 7, une marche sur
Linz, la capitale de la Haute-Autriche. Est-ce la répétition
générale d’une offensive sur Vienne?
La nervosité grandit dans les milieux ouvriers. D’autant
plus que Fey, sentant approcher l’heure du choc décisif,
ordonne à ses policiers de redoubler d’activité e t de mettre
rapidement la main sur tous les dépôts d’armes. I1 ne se
passe pas de jour sans que des stocks clandestins apparte-
nant au Schutzbund soient découverts et saisis. Ces raids,
qui coïncident avec la mobilisation de la Heimwehr, exas-
pèrent les travailleurs et leur font craindre le pire,
- D’une part, se disent-ils, le Gouvernement encourage
les provocations de la Heimwehr; de l’autre, il perqui-
sitionne chez nous et nous retire nos armes. N’est-ce pas
la preuve qu’il s’apprête à nous attaquer et veut nous
mettre dans l’incapacité de nous défendre? Devons-nous
rester les bras croisés devant cette menace et nous laisser
mener à l’abattoir comme des moutons?
M. Seitz prévient Dollfuss qu’il a tort de jouer avec le feu,
que la classe ouvrière ne retiendra bientôt plus sa colère, que
les troupes commencent à échapper au contrôle de leurs
chefs.. .
Pour prouver que les admonestations du Maire de Vienne
ne l’impressionnent pas plus que les démarches des diplo-
mates alliés n’ont intimidé Dollfuss, Fey retire à M. Seitz
ses pouvoirs en matière de sécurité, pour les transférer au
Préfet de police ( I O février). Cette fois-ci, la coupe est
pleine. Cette décision correspond à un des quatre u casus
belli 1) énumérés par l’Appel de la Liberté. Désormais, une
explosion ne pourra plus être évitée.
Le 11 février, la police viennoise intercepte un télégramme
adressé au commandant du Schutzbund de Linz :
(( Ernst et Anna malades. Remettre entreprise. D
Fey y voit la preuve que les Sociaux-démocrates s’apprê-
tent à déclencher l’insurrection. Le même jour, il déclare
aux unités de la Heimwehr rassemblées à Lang-Entzers-
dorf, aux environs de Vienne :
((Demain, nous nous mettrons au travail et ce travail nous
l’accomplirons à fond, pour le salut de la Patrie! D
422 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
1. Bien que le gros des combats ait été livré par l’armée, la Heimwehr a des
pertes beaucoup plus fortes que les siennes. Elle en profitera plus tard pour pré-
tendre que l‘armée a fait preuve de mollesse. E n réalité les pertes de l a Heimweiu
proviennent de ce qu’elle est moins bien armée que les unités régulières.
2. Chiflres cités par SCHUSCHNIGG ...
dans Autriche, mu Patrie Le correspondant
du Temps ic Vienne cite le chiffre de 417 morts (pour toute l’Autriche) e t 1.000
B 2.000 blessés. 11 est possible que beaucoup d’ouvriers blessks n’aient pas figuré
sur les statistiques gouvernementales, e t qu’ils aient préféré se faire soigner p a r
des moyens de fortune, plutôt que de se faire connaître e t être livrés aux autorités.
3. Procès-verbal de I’aumônicr catholique de la prison de Vienne. (Dus Schwurze
Korps, 14 avril 1938.)
4. Les camps d‘internement, créés par le décret-loi d u 23 septembre 1933 pour
la durée d’un an, seront rendus permanents par la loi du 29 septembre 1934.
Le régime y est si dur que Mme Vandervelde, épouse du chef socialiste beige,
qui visite les prisons autrichiennes en qualité de déléguée de 1û Ligue interna-
tionale des Droits de l’Homme, s’en verra refuser l’accès e n juin 1935.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 427
ment le Chancelier a-t-il pu se livrer à une répression
aussi sauvage?
Sans doute la vérité est-elle plus nuancée. Mais l’homme
de la rue ne peut la deviner. Comment connaîtrait-il les
forces invisibles qui ont mis Dollfuss au pied du mur e t
l’ont acculé à ces actes irréparables? I1 ne voit plus en lui
qu’un (( bourreau fasciste »,un (( suppôt de la réaction ».
On se souvient tout à coup qu’il a chanté le Deutschland
über alles au Congrès de Ratisbonne e t qu’il a voulu exclure
les Juifs des corporations d’étudiants. Du coup, les milieux
de gauche se désintéressent de l’Autriche. Ce n’est plus à
leurs yeux qu’un pays dominé par les Jésuites et les policiers,
qui ne parviendra jamais à trouver son équilibre intérieur.
Sa survie mérite-t-elle tan t de dépenses et d’efforts?
Si Hitler l’annexe, il ne détruira certes plus un bastion de
la démocratie. E t si deux fascismes rivaux veulent s’entre-
dévorer autour de cette proie, le plus sage, à tout prendre,
n’est-il pas de les laisser faire?
xxv
LA DICTATURE DE DOLLFUSS
plient ont pour lui un sens très clair : ils ne sont que le
prélude d’une action beaucoup plus vaste. Cette perspective
l’inquiète d’autant plus qu’il est convaincu, comme le chef
du Gouvernement viennois, que (( le jour où les Allemands
déjeuneront à Innsbruck, ils dîneront à Milan ».Aussi croit-il
de son devoir d’attirer son attention sur la gravité du péril.
- Prenez garde! lui dit-il. Ne vous laissez pas déborder!
Prenez dès à présent toutes les mesures qui s’imposent pour
juguler cette agitation ...
Dollfuss ne demande pas mieux. Mais comment faire? I1 a
essayé à plusieurs reprises de nouer des contacts avec les
dirigeants du Reich, pour définir avec eux les bases d’un
m o d u s vivendi. I1 l’a tenté par l’entremise de Schuschnigg l,
de Souvitch 2, de Buresch, d’autres encore S. I1 s’est heurté
chaque fois à une fin de non-recevoir.
Alors la répression? Ce n’est guère plus aisé, car l‘inter-
diction du Parti national-socialiste autrichien a amené ses
membres à se réfugier dans la clandestinité. Depuis lors,
les activistes nazis demeurent insaisissables. Chaque fois
que la police veut s’emparer d’un dépôt d’armes, grenades
et mitrailleuses disparaissent comme par enchantement.
Chaque fois qu’elle veut arrêter un militant notoire, il se
réfugie de l’autre côté de la frontière. De plus, les nerfs du
Chancelier sont mis à rude épreuve par la campagne de déni-
grement dont il est quotidiennement l’objet. Non content
de lui avoir épinglé le surnom de Millimetternich »,Gœb-
((
*
+ +
sont secrétement inscrits au Parti nazi. Des ofliciers, de plus en plus nombreux,
dont le général Glaise-Horstenau, sont favorables i1’Anschluss. Enfin, le prince
Starhemberg lui-même, cherche à renouer des liens personnels avec le Reich, qu’il
regrette soudain d’avoir négligé au bénéfice de l’Italie.
436 HISTOIRE DE L’ARMEE ALLEMANDE
certain scepticisme. I1 faudra, pour le convaincre, que ce dernier lui montre les
ordres écrits, prescrivant à la S. S. Standarte 89, d e se rassembler le jour méme, à
12 h. 15, à la Siebensterngasse.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 437
se réunir à 11 heures. Cependant, Fey se garde d’alerter
l’Armée ou la Police. I1 emploie les soixante-dix minutes qui
suivent à mobiliser les unités de son Heimatschutzl. C’est
seulement après qu’il se rend à la Chancellerie. Pendant ce
temps, les conjurés, rassemblés dans un gymnase de la Sie-
bensterngasse situé à cinq cents mètres du Palais gouverne-
mental, sont en train de revêtir leurs uniformes d’emprunt
et de monter dans leurs camions ...
* +
A 11 heures, le Conseil des Ministres se réunit au Palais
de Ballhausplatz, sous la présidence de Dollfuss. Lorsque
Fey y arrive, les délibérations sont commencées. Interrom-
pant les débats, Fey prend Dollfuss à part et lui annonce, en
mots brefs, qu’un coup de force nazi va se déclencher d’un
moment à l’autre. Dollfuss secoue la tête, d’un air incrédule.
Mais son instinct paysan l’incite à la prudence. Revenant
dans la salle du Conseil, il fait part à ses collaborateursde
la nouvelle qu’il vient d’apprendre.
- J e ne sais pas jusqu’à quel point ces rumeurs sont
fondées, leur dit-il, mais je trouve plus sage de lever la séance.
Que chacun de vous regagne son ministère e t y attende mes
instructions. J e vous ferai savoir quand nous pourrons
reprendre nos délibérations...
Visiblement impressionnés, les ministres se retirent en
toute hâte. 11 ne reste plus au Ballhausplatz, en dehors du
Chancelier, que Fey, M. von Karwinsky, nouveau Secr-étaire
d’État à la Sécurité, le général Zehner, Secrétaire d’Etat à
la Défense nationale, et le major-général Wrabel.
11 est 12 h. 30. Le téléphone sonne sur le bureau duChance-
lier. C’est Anton Marek, un des deux policiers que Fey a
postés il y a une heure dans la Siebensterngasse, pour obser-
ver ce qui s’y passe.
- Les camions viennent de quitter le Gymnase! I1 n’y a
plus une minute à perdre, s’écrie-t-il d’une voix haletante 2.
Au même moment, il est arrêté par un groupe d’acti-
vistes nazis.
1. Gordon SHEPHERD, Engelbert Dollfuss, p. 297. Dans ses propres déclarations,
Fey s’est montré extraordinairement discret sur son emploi du temps, entre
10 heures et midi, le 25 juillet 1934.
2. C’est le troisiéme message que Marek transmet à la Chancellerie depuis i l h. 45,
sans que personne y ait prêté la moindre attention.
438 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
t
+ +
*
+ +
Entre-temps, Schuschnigg et les autres membres du Gou-
vernement qui ont quitté la Chancellerie à la demande de
Dollfuss, se sont installés au ministère de la ‘Défense natio-
nale. I1 y a là MM. Stockinger, Neustadter-Stürmer, Berger-
Waldenegg e t Buresch. Le général Zehner, ministre de la
Défense, est venu les rejoindre. Un de leurs premiers soucis
a été de se mettre en rapport avec le Président Miklas. Celui-
ci est toujours libre de ses mouvements, car le troisième
commando chargé de s’assurer de sa personne, a été arrêté
dès son arrivée à Velden. Le Président charge Schuschnigg
de prendre la direction de l’Exécutif, jusqu’à ce que le Chan-
celier Dollfuss ait pu être délivré.
Schuschnigg estime que le plus urgent est de se saisir
du Dr Rintelen. Le K Chevalier noir de Styrie n, comme on
l’appelle, est à l’Hôte1 Impérial où il attend avec impa-
tience des nouvelles du putsch, en compagnie de MM. von
Wiichter e t Weydenhammer. Soudain, on lui annonce la
visite du Dr Funder, le rédacteur en chef de la Reichs-
post, accompagné du capitaine Radosch. Rintelen n’a que
le temps de pousser Wachter et Weydenhammer dans une
chambre contiguë, lorsque Funder et Radosch entrent, avant
même d’être annoncés. Les deux hommes viennent de la
part de Schuschnigg. Ils lui apprennent que le putsch a
échoué, que le Président Miklas est libre et qu’il a chargé
Schuschnigg de prendre en main la direction des affaires.
Celui-ci lui demande instamment de venir au ministère de
la Défense, pour négocier avec lui la reddition des rebelles.
Rintelen hésite. Funder insiste, alléguant que son refus
risque d’entraîner une effusion de sang. Finalement, Rintelen
accepte de se rendre au ministère. I1 y est accueilli par
M. Stockinger, ministre du Commerce, qui le traite de misé-
rable et lui exprime tout son mépris.
- Comment avez-vous pu trahir Dollfuss d’une manière
aussi infâme, s’écrie-t-il, lui qui vous avait donné ta n t de
preuves de sa confiance?
Comprenant qu’il est tombé dans un piège, Rintelen
veut faire demi-tour, mais il est trop tard. I1 est poussé manu
militari dans le bureau de Schuschnigg où celui-ci lui
enjoint de ne pas quitter la pièce e t d’y attendre la déci-
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU R E I C H 443
sion du Conseil des Ministres qui doit statuer sur son sort.
Le Conseil décide de le faire arrêter et de le déférer aux tri-
bunaux. Mais lorsque Schuschnigg revient dans son bureau
pour lui notifier cette décision, il trouve Rintelen gisant
à terre dans une flaque de sang. Se sentant perdu, l’ancien
ministre plénipotentiaire à Rome s’est tiré une balle dans la
tête durant les délibérations. Mais l’arme a dévié. Comme
il respire encore, on le fait transporter d’urgence à l’hôpital
le plus prochel.
Avec la disparition de Rintelen, c’est la pièce maîtresse
de la conspiration qui s’écroule. I1 n’y a plus désormais qu’à
obtenir la reddition des cent cinquante conjurés encerclés
dans la Chancellerie.
+ +
IV 29
XXVI
LE DUEL SCHUSCHNIGG-HITLER
1. C’est-&-dire le 26 juillet.
2. Franz von PAPEN,Mémoires, p. 246-247.
3. Remarquons-le bien : von Papen n’est nullement oppos6 à l’Anschluss qu’il
considère comme l’aboutissement de l’histoire germanique. 11 entend seulement
qu’il s’effectue, non par un affrontement violent au niveau des Partis, mais par
u n consentement mutuel, au niveau des &tats. I1 s’est exprimé très clairement à ce
sujet : u On n’a deja versé que trop de sang dans les luttes fratricides entre
Autrichiens et Allemands. I1 faut abandonner l’idée d‘obtenir cette union par
la force. J e m’efforcerai de faire sortir la question germano-autrichienne du
domaine gouverné par les Puissances étrangbres e t les Organismes internationaux.
Le facteur décisif de l’évolution devrait être le désir librement exprimé des deux
454 HISTOIRE D E L ’ A R M ~ E ALLEMANDE
* l
1. On retrouve ici les termes mêmes d’une des conditions posées par von Papen
à Hitler, lors de l’entrevue de Bayreuth. (Voir plus haut, p. 454.)
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 465
gouvernements des deux pays, le Gouvernement d u Reich et le
Gouvernement fédéral autrichien vont répondre à ces nécessités
p a r une série de mesures particulières.
VON PAPEN,SCHUSCHNIGG.
30
XXVII
LE DUEL SCHUSCHNIGG-HITLER
+ *
1. Elle est entretenue, d’une part, par les militants nazis lihérés par l’amnistie,
de l’autre par un afflux de a touristes a allemands, choisis pour leur talent de
propagandistes.
2. Leur nombre s’&lèveh 40.000 environ et comme ils parlent la même langue,
il est difficile de les distinguer de la population autochtone.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE A U REICH 475
hommes, il leur donne l’ordre d’arracher immédiatement
cet emblème, ce qu’ils font en fracturant la porte de l’im-
meuble l.
Quelques heures plus tard, la colonie allemande de Vienne
remet à von Papen une protestation indignée contre (( cet
outrage a u drapeau national )) z. Le lendemain, I’ambassa-
deur est convoqué de toute urgence à Berlin. I1 s’y rend
séance tenante 3. Mais comme on lui fait faire antichambre
pendant deux jours sans le recevoir, il finit par perdre
patience e t envoie une lettre de démission à Hitler 4. Vingt
minutes plus tard, il est convoqué à la Chancellerie. I1 y
trouve le Führer dans un état d’agitation extrême, le visage
écarlate, en train d’arpenter le grand salon de l’ancien
palais de Bismarck.
- C’est scandaleux! s’écrie-t-il. Ces gens-là croient-ils
donc qu’ils pourront continuer à insulter impunément un
grand pays comme l’Allemagne? Ils ont traîné notre drapeau
dans la boue! Cette fois-ci, la mesure est comble!
Papen comprend qu’Hitler a dû recevoir du Gauleiter
Bohle un rapport dans lequel l’affaire lui a été présentée
sous un jour tendancieux. I1 le laisse vitupérer un moment.
Puis, lorsqu’il commence à retrouver son calme, il lui dit
d’un ton ferme :
-L’incident du drapeau, p.rovoqué par le manque de
jugement d’un petit lieutenant inconnu, n’est pas imputable
au Gouvernement de Vienne. I1 sera donc très facile de le
régler. Mais en l’exploitant comme un mauvais prétexte pour
prendre des mesures de rétorsion envers l’Autriche, vous
commettriez une violation de notre accord personnel. Si vous
cherchez un représentant qui soit prêt à fomenter des inci-
dents de ce genre et à les grossir au. poirit de vous (( obliger 1)
tbre des Affaires étrangeres pour faire part de son rappel au Secrétaire d’État,
le DI Schmidt. Schmidt me raconta, le même jour, que von Papen lui avait pro-
duit l’effet d’un vieillard. I1 s’était exprimé, a u sujet de son rappel, en termes
peu courtois, ce qui était compréhensible quand on songe à la façon dont il
lui avait été signifié. u (Candide, 12 octobre 1938.)
3. u Von Papen ... se rendit à Berchtesgaden, écrit Zernatto. Des cercles bien infor-
més avaient supposé qu’il ne lui serait pas possible d’arriver jusqu’à Hitler. On
sc trompait. Hitler le reçut e t le chargea d’une nouvelle e t sensationnelle mission.
Deux jours après son départ, von Papen reparut à Vienne, complètement trans-
formé e t ayant retrouve toute sa bonne humeur. I (ID., ibid.)
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU R E I C H 481
austro-allemands. Que Schuschnigg n’hésite pas à saisir la
perche qu’on lui tend! Qu’il ne repousse pas ce qui est peut-
être l’entrevué de la dernière chance ...
Schuschnigg accepte. I1 n’y met qu’une condition : que
l’entrevue soit tenue rigoureusement secrète. Pour préparer
la conférence, il charge Guido Zernatto d’élaborer, en
accord avec Seyss-Inquart, une liste de (( propositions )) et
de (( concessions )) possibles. Comme il ne s’agit que de ques-
tions intérieures, Guido Schmidt n’est pas convié à parti-
ciper à sa rédaction. I1 ressort de ces Punktationen, comme
on les a appelées par la suite 2, que Schuschnigg est disposé
à faire de Seyss-Inquart l’arbitre de toutes les questions
relatives à l’opposition, e t son intermédiaire pour ces affaires
avec les autorités du Reich. La liste des propositions pré-
voit entre autres l’abolition de la censure, une coordination
plus étroite entre les deux armées, la libération des Nazis
encore emprisonnés. Elle mentionne les noms de plusieurs
personnalités de l’opposition, susceptibles d’être appelées à
siéger dans la haute administration fédérale, provinciale et
communale 3.
L’entrevue a été fixée au 12 février. Mussolini, informé du
projet, a exprimé son approbation. Schmidt en a avisé le
Nonce apostolique, ainsi que les ministres de France et de
Grande-Bretagne 4. I1 leur a présenté l’événement sous son
jour le plus favorable, en leur assurant que les conversa-
tions se dérouleraient dans le cadre de l’Accord du I ljuillet
et que l’indépendance autrichienne en sortirait fortifiée.
Mais Schuschnigg ne peut se défendre d’une secrète appréhen-
sion. Le 11 février, au soir, il fait venir dans son bureau
M. Richard Schmitz, le Bourgmestre de Vienne. I1 lui annonce
qu’il l’a désigné comme son successeur au cas ou il ne revien-
drait pas de Berchtesgaden, et lui dicte ses dernières volontés.
Puis il appelle son premier secrétaire, le baron Frœlichsthal,
et lui demande d’alerter la garnison de Salzbourg, s’il n’était
pas redescendu du Berghof à 18 heures.
1. Le Secrétaire général du Front patriotique.
2. Elles ne seront produites qu’apr8s la guerre, lors du procés intenté à Guido
Schmidt en 1945.
3. a Ces Punkfafionen, écrit von Papen, montrent jusqu’à quel point Zernatto,
le chien de garde de Schuschnigg, et le Chancelier lui-même étaient prêts a faire
des concessions substantielles, sans avoir l’impression pour autant de s’éloigner
de la Convention de Juillet. u (Mdmoires, p. 276.)
4. M. Puaux et Sir Arthur Palairet. u Curieuse façon, remarque en passant
von Papen, d‘assurer le secret rigoureux de l’entrevue. D
IV 31
482 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
i +
Nous refusâmes. ))
XXVIII
LE DUEL SCHUSCHNIGG-SEYSS-INQUART
1. Y compris Seyss-Inquart.
2. On se rappelle que Schuschnigg avait demandé que cette formule figurât
dans le communiqué final. Hitler n’y était opposé, craignant sans doute qu’une
référence à l’Accord du 11 juillet 1936 ne fournisse au Président Miklas un pré-
texte pour ne pas entériner les accords nouveaux. Maintenant que toutes ,es
conditions ont été acceptées, Hitler ne craint plus de faire cette concession au
Chancelier fédéral.
3. Schuschnigg sait bien que c’est impossible, car les principes du National-
socialisme et ceux du Front patriotique sont absolument incompatibles.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU R E I C H 503
suit-il. Assurément. Grâce à u n immense effort de réorgani-
sation, la structure économique d u pays a été modifiée de
fond en comble. Après deux dévaluations successives 1, la
monnaie a été stabilisée. La misère recule, le chômage dimi-
nue. I1 n’est pas exagéré de dire qu’une nouvelle Autriche
pointe à l’horizon z. ))
A partir d e ce moment, le to n s’élève, et c’est d’une voix
pathétique que le chef d u gouvernement autrichien s’écrie :
Nous savons très bien que nous sommes allés jusqu’à
((
r i
Le même jour, des soulèvements similaires sont signalés
en Haute-Autriche e t en Styrie. A Graz, les Nationaux-socia-
listes sont pratiquement maîtres de la rue. Ils y défilent en
chantant le Horst Wessel Lied et la villé est submergée de
drapeaux hitlériens l. De toute évidence, Schuschnigg finira
par être balayé par cette lame de fond, parce que sa base
populaire est trop étroite et sa légitimité contestable 2.
Ses références constantes à la Constitution de 1934 et l’évo-
cation du (( sacrifice héroïque du Chancelier Dollfuss )) ne
suffisent pas à galvaniser le patriotisme autrichien. Si
Schuschnigg veut donner au pays le choc psychologique qui
le rendra à lui-même, il n’a qu’un seul moyen : rappeler les
Habsbourg.
Tel est du moins le raisonnement des milieux légitimistes.
Ceux-ci ont incité, le 17 février, l’archiduc Otto à écrire au
Chancelier. Depuis la mort de son père 3, celui-ci se considère
comme le souverain légitime de l’Autriche * et c’est à ce
titre qu’il s’adresse à Schuschnigg, pour lui donner les
conseils suivants 5 :
10 Pour résister aux menaces d’un voisin beaucoup plus puis-
sant, nous ne pouvons trouver de secours qu’auprès des Puis-
sances occidentales.
1. Graz, dic Sladt der Volkserhebung, Éditions Ley Kam, Graz, septembre 1938.
2. Ni Schuschnigg, ni le Front patriotique n’ont jamais a conquis D le peuple
autrichien. Le Chancelier n’a pas été porté au pouvoir par les suffrages popu-
laires. I1 a été Inommé D par le Président Miklas. Quant à la Constitution, elle
n’a jamais été ratifiée a u sens propre du terme.
3. Survenue à Madère le ler avril 1922.
4. Rappelons que l’Empereur Charles n’avait jamais abdiqué. (Voir plus haut
p. 390.) I1 s’était borné à déclarer, le II novembre 1918, u qu’il renonçait à toute
participation à la direction des affaires autrichiennes 1). E n revanche par la
déclaration d e Tihany des 29-30 octobre 1921, il avait affirmé a qu’il ne renon-
cerait jamais a u trbne de Hongrie, auquel le liait son serment à la Couronne P.
5 . Né le 20 novembre 1912, l’archiduc Otto a vingt-cinq ans. Sa jeunesse e t
son inexpérience expliquent le ton protecteur d e cette lettre. Mais elles n’excusent
pan i‘irdalisme de se8 conseillers.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE AU REICH 505
20 Ces efforts de rapprochement, pour lesquels je suis disposé
à vous prêter m o n concours, doivent nécessairement rester secrets.
30 Faites personnellement toutes vos démarches et ne confiez
p a s cette tûche à votre ministre des Affaires étrangères, Guido
Schmidt, e n qui je n’ai aucune confiance, car ses sentiments
proallemands sont de notoriété publique I.
40 Consacrez toutes vos forces au réarmement et faites passer
cet objectif avant toutes les autres dépenses, s i urgentes soient-
elles z.
50 Votre politique intérieure doit tendre à apaiser la gauche,
à condition que, de leur côté, les travailleurs se montrent patriotes.
60 T a n t que vous serez e n fonctions, ne faites aucune nouvelle
concession à l’Allemagne.
70 Avertissez-moi immédiatement si l’Allemagne profère de
nouvelles menaces ou formule d‘autres exigences.
80 Si vous vous sentez incapable de résister à la pression exer-
cée soit par les Allemands soit par nos propres nationalistes par-
tisans de l’Anschluss, je vous prie instamment de me trans-
mettre les fonctions de Chancelier.
90 J e ne demande p a s le rétablissement immédiat d u trône et
préfère exercer les simples fonctions de Chancelier qui ont, a u
point de vue constitutionnel, la même portGe que la restauration
e n fait de la Monarchie3.
*
* *
Le 3 mars, Schuschnigg réunit les délégués ouvriers des
Comités d’entreprise de la région viennoise pour leur faire
part de ses intentions. I1 leur expose les raisons qui l’ont
incité à recourir à un plébiscite et leur demande de faire voter
leurs troupes dans le sens désiré par le Çouvernement.
C’est le moment que les Sociaux-démocrates attendent
depuis quatre ans, - depuis les journées sanglantes de
février 1934 où Dollfuss a fait bombarder leurs maisons à
coups de canon. Schuschnigg a besoin de leur concours?
Fort bien! Mais qu’il le paie. A leurs yeux, le plébiscite n’a
d’intérêt que s’il marque le retour à la démocratie. Finis le
régime autoritaire, la Constitution corporative, les Syndi-
cats uniques et le Front patriotique! Tout l’héritage de Doll-
fuss doit être liquidé. Les ouvriers réclament le rétablisse-
ment des Syndicats libres, le droit d’avoir leurs propres
journaux, la liberté de réunion, des élections générales l.
- Vous nous demandez d’oublier le passé et de combattre
avec vous pour l’indépendance, lui disent-ils. Nous ne deman-
dons pas mieux. Mais commencez par nous enlever nos
chaînes. On ne peut pas se battre quand on est enchaîné!
Très vite, les tendances d’extrême gauche prennent le
dessus dans la discussion. Alors que les Socialistes luttent
pied à pied pour obtenir des contreparties, les Communistes
trouvent ce débat inutile. Ils sont prêts à apporter à Schusch-
nigg un soutien inconditionnel, car ils savent qu’au lendemain
du plébiscite, toutes les structures existantes seront balayées.
Alors, à quoi bon s’attarder sur des détails 2 1
Schuschnigg est effrayé par l’ampleur de leurs revendica-
tions. Hitler l‘a saisi à la gorge sur le plan extérieur. Voici que
les militants syndicaux en font autant sur le plan intérieur.
Accepter l’Anschluss aurait été trahir son idéal patriotique.
Mais pactiser avec le Marxisme serait renier ses convictions
dc la popiilaiioii. 11
1 . I I espé.ie ri.g:igiicr ics sulfrügcs dus ouvrievs vi. conipti: îcrmeincrit sur un
vote massif des p y s m s , dont le sort s’est grandcrncnt anitiliori? Ü I I cours des
deriiii,i.os ariiitks. .?I.Rciilicr, ICc1ii.î i l r s p:imûns chri,iirns-soçi;iuu c t (;ou\ crnour
LI,,la Ilasse-.lui riche, (.I tri-s optiinistc.. (t 1,e I)16liwitc, ,l&cl:ire-i-il, sera u n
t,riomphe pour IC Gou\-i:rricmciit. 1,n ninjoriit‘; 6cr;is;intc dcs paysans est p o u r
I‘iiidi,pcridancr. Si je demandais i mes coiiiptriritci di: Basse-Autriche dc mar-
cher s i i r Vieiiiir. 100.000 gaillards résolus, vcnus 411, i i i i i sculc province, apparai-
traient en quclrprs heurcs sur la Fiiiig. n (Eugihr: I , L N N I I « ~ F , The last five hours
of Auskia, p. (i!t.)
2. IIitler en a été iiiîornié a c w J le discours d’Innsbruck. Deux fuites se sont
produites : l’une, émanant d u Front patriotique dans l a soirtie d u 8 mars; la
seconde, d o Ici srcrÿtairc de Zcrnaito iians lii inntinkc du 3. Ides Nacis üutriciiieiie
se >.ont rniprcssés d’en informer I;i ~~l~ancclleric da Uerlin. Iiillcr v Eq:i.~. allusioii
<I:iiis son discours au Itciclistag di^ IS m u s .
3 . ./ouivia1 (le ./ocil.
IV 33
514 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
Vive Moscou! ))
Est-il vrai, comme ils l’ont entendu dire, que le Chancelier
ait passé un accord avec les Communistes et qu’il soit prêt %
constituer avec eux un gouvernement de Front populaire 2 ?
Est-il exact qu’il ait autorisé les Marxistes i imprimer leurs
propres tracts et que le Bourgmestre de Vienne, M. Schmitz,
soit en train de leur distribuer des armes?
Le Secrétaire général s’emploie à les rassurer. I1 leur afirme
que ces rumeurs sont dénuées de tout fondement e t que la
scène dont ils ont été témoins en venant au ministère, ne peut
trtre que le fait d’agents provocateurs.
- Croyez-moi, leur dit-il d’un ton conciliant, la consulta-
tion prévue n’est nullement dirigée contre les Nationaux-
socialistes. Elle constitue simplement un nouvel acte de foi
dans le programme du Front patriotique.. . Faites-moi
confiance : je trouverai bien une formule grâce à laquelle les
Nationaux-socialistes pourront prendre part, e u s aussi, au
référendum 3.
Mais ni Seyss-Inquart ni le Dr Ju ry ne sont convaincus
par les arguments de M. Zernatto. Ils quittent son bureau,
plus méfiants que jamais ...
Vers midi, un motocycliste apporte % M. Zernatto un
message de Seyss-Inquart. Après sa visite au ministère,
celui-ci a pris contact avec les milieux de l’opposition et a
été effrayé de voir l’exaspération qui y règne. I1 a tenu i
en faire part au Secrétaire général. Le contenu de sa lettre
paraît si grave à Zernatto,. qu’il se rend immédiatement
chez le Chancelier pour le lui communiquer.
Schuschnigg a reçu la même lettre quelques instants aupa-
1. Lielier Tot nls Rot-Wriss-Hot/ II Allusioii A 1:i rlernii.ir ili ira se du discours
I(
étroite entre 1’Allomagne e t l’Autriche fût inévitable, e t nous avions été ample-
ment avertis, récemment, que cette échéance était proche ... E n bref, nous nous
en lavions les mains, sauf à (lhirer qu’une solution raisonnable soit atteinte par des
moyens raisonnablrs. n (The Life of Neville Chamberlain, p. 3’tl.)
1. C’est une illustration frappante de la pensée de Tocqueville : Les démocra-
tics n’ayant, le plua souvent, que des idéeatrès confuses et très errodea sur les affaires
edérieures, ignorant toujours le véritable des forces des adversaires et &me des
leurs, ne résolvent guère lea questions d u dehors que par des raisons d u dedans. n
(Souvenirs, p. 225.)
3. En Autriche (comme cn Allemagne), les classes sont désignées par In date
de naissance des recrues. E n France, nous dirions la classe 1935.
L’INCORPORATION D R L ’ A U T R I C H E AU R E I C H 523
message, certains membres de la Heimwehr et du Ileiinnt-
schutz revêtent leurs anciens uniformes. Starhemberg est à
Hollywood avec Norah Gregor. Mais le major Fey se présente
au Ballhausplatz et vient se mettre à la disposition du Chan-
celier. Quels ont été les sentiments de Schuschnigg en le
voyant reparaître dans son bureau? S’est-il dit que la situa-
t i o n devait être vraiment gravc, pour qu’il fasse taire son
ressentiment l? Ou bien a-t-il pensé : (( Voila un revenant
qu’attire moins le plébiscite que l’odeur de la guerre civile?
Hélas! IJn nouveau coup l’attend avant que la journée
s’achève. Vers 23 h. 20, le colonel Adam, chef des Services
(le presse, l’informe que le Dr Jury, l’adjoint de Seyss-
Inqiiart, vient de publier dans les W i e n e r N e u e s t e n Nachrich-
t e n un appel à la population, l’invitant en termes très violents
k boycotter le plébiscite. Cette nouvelle porte à son comble la
nervosité des milieux officiels. Schuschnigg donne l’ordre de
saisir immédiatement le journal. Mais il est trop tard : les
éditions de province sont dkjà parties et la distribution aux
abonnés a commencé en ville. Est-ce le signe avant-cou-
reur d’une insurrection?
Ce soir-là, Vienne s’endort dans une atmosphère angois-
sée. Tout le monde pressent que la journée du lendemain
verra se dérouler des événements dramatiques.
LE DUEL SCHUSCHNIGG-SEYSS-INQUART
1. De toute évidence, hl. Jury croit q u e cette omission cache un piège, quo
Schuschnigg a passé un accord secrct avec los syndicats e t leur a proinis da réla-
blir les libertés diniocratiques, s’ils votent selon ses désirs.
L’IN COR PORAT ION D E L’AUT RICHE AU REICH 527
drome d’Aspern pour y accueillir le général Glaise-Horste-
nau l.
Le directeur des Archives de l’État-Major revient d’Alle-
magne, oii il a été faire une tournée de conférences. I1 a été
épouvanté de constater l’état de tension et de surexcitation
qui y règne.
- J e ne sais pas ce qui se passe ici, mais là-bas, tout le
monde est déchaîné! déclare-t-il à sa descente d’avion.
- Venez le dire vous-même a u Chancelier, répond Seyss-
Inquart en l’entraînant vers sa voiture.
Vers 10 heures, Seyss- Inquart et Glaise-Horstenau arrivenl
au Ballhausplatz. Le général décrit à Schuschnigg l’atmos-
phère dans laquelle il a laissé le Reich. A en juger par l’indi-
gnation de tous ceux qu’il a rencontrés, Hitler doit être dans
un ét a t de fureur indescriptible.
- J e n’y comprends rien! dit Schuschnigg. J’ai pourtant
bien le droit d’organiser u n plébiscite 2! Ce faisant, je ne
m’écarte en rien des points stipulés - expressis verbrs -
dans l’accord de Berchtesgaden...
- Écoutez-moi, monsieur le Chancelier! supplie Glaise-
Horstenau. Ces arguties ne sont plus de mise. Songez a u x
forces que vous allez déchaîner. Vous ne pouvez pas laisser le
* +
+ +
du Pays 1! ))
t
* *
La foule continue à obstruer to u t le centre d e la capitale.
Elle a entendu les déclarations faites successivement à la
radio par Schuschnigg e t Seyss-Inquart, e t attend d’un
moment à l’autre, l’arrivée des troupes allemandes. Mais
alors que les partisans de Schuschnigg prennent peur e t se
terrent, les éléments favorables à l’Anschluss donnent libre
cours à leur satisfaction 2. Des drapeaux à croix gammée
flottent sur l’Hôte1 d e Ville, sur la Préfecture d e Police,
ainsi que sur les principaux édifices de la ville, sans qu’au-
1. Certains auteurs ont prétendu qu’cri agissant ainsi, Seyss-Inquarl s’était rendu
coupable d’une usurpation de pouvoir, car il n’était plus qu’un individu privt,
depuis la signature, par le Président hlikias, du décret relevant tous les ministres
de leurs fonctions. C’est une erreur. Au point de vue juridique, Seyss-Inquart
était dans l a position d’un ministre appartenant à un Cabinet ilémissioiinaire C L
chargé, en tant que tel, d’assurer le maintien de l’ordre jusqu’à la nomiiiatioii
de son successeur. En enjoignant aux ageiits du Pouvoir exécutif dc ne pas oppo-
ser de résistance aux troupes allemandes, il ne faisait que répéter les consignca
déjà données par Schuschnigg.
2. R Jeudi soir n, Bcrit le correspondant du Temps à Vienne, K la capitale autri-
chienne était encore caractérisée par la propagande du Front patriotique en vuo
du plébiscite du 13 mars. Ce soir, c‘est une ville nouvelle e t transformée qui 6e
présente A I’observaieur. C’est le trioniphe du Mouvement natioiial-socinliste qui
se manifeste partout. Les partisans du Front patriotique, atterrés par I’évolutioii
brutale des événeinents, ont abandonilé la rue, où les Nazis rkgneiit en maîtres. 11
(Le Temps, .13 mars 1935.)
544 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
Heil Hitler! 1)
((
* *
A Berlin, en revanche, l’agitation n’a cessé de croître.
Depuis le début de l’après-midi, la Chancellerie est plongée
dans l’atmosphère des grands jours. C’est un mélange de
gravité e t d’activité intense. Au cours de la matinée, Hitler
a adressé à la Wehrmacht sa Directive n o 1 :
dernière phrase qui a déclenché l’invasion: elle était dbcidée dans l’esprit d’Hitler
depuis l’annonce du pibbiecite.
552 HISTOIRE DE L’ARMÉE ALLEMANDE
Duce,
1. Ce en quoi il n’a peut-être pas tout à fait tort. II semble, en effet, que Mus-
iolini ait été sollicité dans ce sens. E Lorsque le drame autrichien arriva au oin-
quième acte D, dira le Duce, le 17 mare, dans un dirrcouru à la Chambre ita-
lienne, # les adversaires mondiaux du fascisme crurent que l’occasion était enfin
venue de dresser l’un contre l’autre les deux régimes totalitaires pour briser
leur solidarité par un choc qui aurait été - nous le disons aux pacifistes de pro-
fession - ie prélude d’une nouvelle guerre mondiale. Ce calcul des démocraties,
des Loges et de la IIIe Internationale était faux. Un tel espoir était non seule-
ment puéril mais injurieux, parce qu’il jetait une ombre sur notre caractère et
sur notre intelligence politique. P (Cf. Le Temps, 18 mars 1938, p. 2.)
2. Époux de la princesse Mafalda d’Italie, le prince de Hesse est le gendre du
Roi Victor-Emmanuel III.
3. Les sanctions.
4. Allusion à la renonciation solennelle du Reich à toute revendication sur
l’Alsace-Lorraine. (Voir vol. III, p. 258.)
5. Cette phrase signifie que le Reich renonce à revendiquer le Trentin (et le
Tyrol du Sud), remis à l’Italie par le traité de Versailles. Ces engagements résultent
de la volonte d’Hitler de a tirer un trait sur la politique d’inoursion vers le sud
et vers l’ouest de l’Europe, pratiquée par les Habsbourg e t lei empereurs du
I“Reich D.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE A U R E I C H 555
l’ai p a s prise e n 1938, niais tout de suite après la fin de la
guerre mondiale et je n’en a i jamais fait mystère...
Des évènements sont survenus auxquels nous ne nous atten-
dions pas. Personne n’a e u vent de la dernière démarche de
M . Schuschnigg, p a s même ses collègues d u gouvernement, et
j’avais toujours espéré, jusqu’aujourd’hui, que peut-être, a u
dernier moment, une autre solution serait possible.
Toujours amicalement 9 vous.
ADOLFHITLER 1.
J’espère que ce sera bientôt. Vous aurez alors à faire une pro-
fession de foi et je crois que, devant tout le peuple a!lemand,
je pourrai montrer ma Patrie avec fierté. Ce résultat devra
prouver au monde que, désormais, toutes les tentatives pour
diviser ce peuple sont vaines.
Toute I’bliemagrie est prête, comme VOUS, h apporter sa
((
1. Heinz GUDERIAN, op. cit., p. 52. M. von Papen écrit de son caté : u Les
iiistoriens qui parlent encore du viol Y de l’Autriche feraient bien d’étudier les
(I
dépêches de presse de cette Lpoque, non seulement celles publiées dans IC Reich,
mais surtout celles des correspondants étrangers. Méme les journalistes les plus
pessimistes e t les plus hostiles ne pouvaient nier l’enthousiasme que déchaîna
la marche des troupes allemandes vcrs Vienne. Enthousiasme qui animait éga-
lement des milliers de gens fidèles à leur gouvernement. Les liens du sang e t dix
siècles d’histoire commune se révélaient plus puissants que les manœuvres poli-
tiques. Ces faits n’excusent certainement pas les méthodes hitlériennes, mais ils
prouvent le manque de perspicacité de tous ceux qui, dcpuis 1918, avaient tout
lait pour emprcher l’union des deux pays. )) (Mémoires, p. 284.)
2 . Docunieiifs de Siirernherg, P.S.-2949, X S S I , p. 338-384.
L’INCORPORATION D E L’AUTRICIIE AU R E I C H 563
des dix-sept militants tués au cours du putsch manqué de
Munich, en 1923.
Puis il se retire à l’ancien palais de l’archiduc Charles,
transformé en hôtel l, pour prendre un peu de repos. Mais
jusqu’à l’aube, la foule continuera à défiler dans les rues,
où la neige commence à tomber lentement.
t
* *
A 21 heures, Guderian e t la 2e division blindée ont quitté
Linz pour Sankt-Polten, où ils sont arrivés à 23 h. 45. Ils
y ont rejoint la colonne avancée qui les attend depuis
13 heures. Laissant a u général Veiel le soin de le suivre avec
le gros de la division, Guderian prend la tête de l’avant-
garde. Progressant à travers les bourrasques de neige, il
fonce sur Vienne où il arrive à minuit 54.
A l’heure où il fait son entrée dans la capitale autrichienne,
la neige a cessé de tomber. Malgré le mauvais temps, une
grande retraite a ux flambeaux vient de prendre fin 2. Les
rues sont encore pleines de promeneurs. L’apparition des
premiers soldats allemands y fait sensation. Précédée par une
musique militaire autrichienne, l’avant-garde de la Wehr-
macht défile devant l’Opéra au milieu des acclamations. Les
barrages hâtivement établis par le service d’ordre craquent
sous la poussée des spectateurs. Certains soldats allemands
sont enlevés par la foule et portés en triomphe; les boutons
de la capote de Guderian sont arrachés par des manifestants
enthousiastes, qui les emportent comme souvenirs.
C’est seulement à 2 h. 30, que les trois bataillons d’avant-
garde arrivent enfin à la caserne du Rennweg, où ils sont
accueillis par une compagnie d’honneur du 3e régiment
d’infanterie de Vienne, drapeau et musique en tête.
Les équipages sont fourbus, mais Guderian est enchanté.
C’est la première fois qu’une division blindée a été mise à
l’épreuve dans sa totalité, et il trouve les résultats tout à
fait satisfaisants. Le nombre des chars demeurés en panne
n’a pas atteint 30 yo3, chiffre qui lui paraît faible si l’on
tient compte des facteurs suivants :
1. L’hLtel Weinziger, oil des appartements lui ont été pr6parés.
2. Elle avait pour olijet, dans l’esprit des Viennois, d’accueillir les lrouprs
allemandes, dont on attendait I’arrivke dans le courant de I’aprAs-midi.
3. I1 s’agit de pannes sans gravité, qui seront réparées en moins de quaranla-
huit heures. u Toutefois, ajoute Guderian, ce chiffre parut élevé i ceux qui ne
connaissaient ricn aux chars, e t notamment au général von Bock. Une fois la
564 HISTOIRE D E L’ARMÉE ALLEMANDE
L’ANSCHLUSS
( 1 3 mars-10 avril 1938)
+ ‘ I
Hitler remercie ensuite tous ceux qui l’ont aidé dans l’ac-
complissement de sa tâche, notamment Seyss- Inquart, qu’il
ne désigne plus sous le nom de (( Chancelier D, mais sous
celui de (( Statthalter du Reich en Autriche n. Peu à peu il
s’échauffe, sa voix s’enfle, et c’est d‘un ton vibrant qu’il
déclare :
En tant que Führer-Chancelier du Reich et de la Nation
((
I
Aniiné d u dèsir de donner au peuple allemand l’occasion de
faire profession de foi e n son ensemble ù l‘égard d u Reich natio-
nal grand-allemand créé p a r la réunion de l’Autriche et d u
Reich, j’ordonne qu’en p l u s d u plébiscite dans le p a y s d’Au-
triche, u n autre plébiscite ait lieu dans le reste d u Reich a u sujet
de la réunion de l’Autriche a u Reich allemand, accomplie le
13 mars 1938.
En même temps, je dissous le Reichstag ci dater d u 9 avril
1939, afin de permettre ù nos compatriotes allemands d‘Autriche
d’être représentés au sein d u Reichstag grand-allemand.
II
Le plébiscite et les élections a u Reichstag national graiid-
allemand auront lieu le dimariche 10 avril 1938.
Signé : ADOLF HITLER,
Führer et Chancelier du Reich.
FRICK,
Ministre de l’Intérieur du Reich.
L’INCORPORATION DE L’AUTRICHE
AU REICH.
(18 mars-IO avril 1938)
Monsieur le Gaitleiter,
Veitillrz troiicw ci-joint une dicIaration de I’&pisropat autri-
chien. 1 7 0 1 1 F poiirrrz constater qne Noics, Eviques, avons rempli
librement r t scrns artccine contrainte notre desoir national. J e
s u i s certain que cette déclaraiion sera le point de depart d’une
collaboration fructueuse.
Actec l’assurance de ma trés hante considération.
Heil Uitler!
Th. Cardinal I N R I ~ Z E R .
D k Ci. A R A T I 0 N S O T. I:N V C L L C
il Asout toutes les questions que l’affaire d‘Éthiopie et, dans une certaine mesure
celle d‘Espagne, ont soulevées entre Londres et Rome. I1 comporte, de ce fait,
une zone de rayonnement plus étendue que le gentlemen’s agresment de janvier
1Y3T. I1 va den Canaries à Bab el-Mandeb et de Palestine au Kenya. e’est-à-dire
d e l’océan Atlantique i l’océan Indien et de l’.hie Mineure à l’Afrique-Êqua-
toiiale ... Si le genfZer?teri‘srLgreertrent iiitttessait l’Italie >nCdilerrnraépriire, l’Accord
qui vient d’btre sigiié coiicernc l’Italie h p i r i u k . I) ( L c ï’o/i[~, 19 avril 1938.)
IV 38
594 H f S T O I R E D E L’ARMÉE ALLEMANDE
+ +
1. l’nul S C H ~ U DStatist
T, auf diploriialiachcr Bührie, p. 386.
2. (I Non contente de se forger une flotte relativement énorme, l’Italie ii’a pas
in6iiagB BeB efforts au point de vue terrestre. Son armée do terre, qui comptait
X35.000 hommes en 1930, en reunit 550.000 en 1938, auxquels peuvent #’ajouter
:Lutant de Chemises iioires, formant la hiitice fasciste. 11 ( i b i i é ~ f a i N e ,ii qui in
i l l e r laiine?)
3. On estime, à cette époqiir, que la force aérieuiie de l’Italie s’&vc i 2.3JCi appa-
reils, contre 2.000 à l’Angleterre c t 1.500 eiiviron i la Fraiicc. ( l b i i l . )
L’INCORPORATION D E L’AUTRICHE AU REICH 597
d’apparat que le Duce offre a u Führer, dans le grand salon
des Batailles d u Palais d e Venise. C’est avec une curiosité
impatiente que les journalistes attendent les deux discours
que doivent y prononcer les chefs de l’Italie fasciste e t d e
l’Allemagne nazie.
Entouré de flambeaux e t la façade décorée de guirlandes
de lauriers, le Palais de Venise offre u n aspect superbe. Mais
les toasts échangés n’apportent guère de révélations. A la
place de la proclamation d’alliance, à laquelle on s’attendait,
le Duce s’en tient a u x généralités. 11 souligne le parallélisnie
qui existe entre l’histoire d e l’Allemagne e t celle de l’Italie.
Toutes deux ont réalisé leur unité au cours du x~xesiècle.
Toutes deux demandent à présent un équilibre européen qui
tienne compte des facteurs de force qu’elles représentent.
I1 vante la parenté idéologique qui unit les deux régimes e t
réaffirme la solidité de l’Axe Rome-Berlin :
((L’Italie fasciste, déclare-t-il, iie connaît qu’une seule loi
morale dans l’amitié : celle que je me suis plu h rappeler
devant le peuple allemand au Champ de Mai. C’est à cette
loi qu’a obéi, qu’obéit et qu’obéira encore la collaboration
entre l’Allemagne nationale-socialiste et l’Italie fasciste. Les
prémices et les objectifs de cette collaboration, coiisacrée par
l’Axe Berlin-Rome, nous les avons constamment et ouverte-
ment réaffirmés...
((Führer! J’ai encore présent il’esprit le spectacle admi-
rable de travail, de paix et de force qu’à l’automne dernier
votre pays m’a offert, votre pays renouvelé par vous dans ses
vertus fondamentales de discipline, de courage e t de tériacitl
qui font la grandeur des peuples... ))
* .
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- Silence de Mussolini (180). Discours de Mussolini B
Palerme (181). - Voyage de Mussolini en Allemagne (182).
Réception & Munich (182). - Arrivée à Berlin (184). - Les
deux trains roulent côte & côte (184). - Réunion monstre
au Maifeld (185).- Discours d’Hitler (185). - Discours de
Mussolini (186).-Une nuit de Walpurgis (187). -Les éclairs
forgent l’Axe (187). - L’Italie adhère au Pacte anti-Komin-
tern (187). - Le triangle Berlin-Rome-Tokyo se prépare
(188).
DEUXIÈME PARTIE
TROISIÈME PARTIE
L’lNCORPORATION DE L’hUTRICIiE
AU REICH
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I V U M É R O D’ÉDITION : X 6 ( i
D E P Û T LÉGAL : 2e T R I M E S T R E 1964