Afco 261 0139

Télécharger au format pdf ou txt
Télécharger au format pdf ou txt
Vous êtes sur la page 1sur 16

L’ÉLECTRIFICATION COMPLÈTE DE L’AFRIQUE D’ICI 2030 EST-ELLE

POSSIBLE ?

Charles Debeugny, Christian de Gromard, Grégoire Jacquot

De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »

2017/1 N° 261-262 | pages 139 à 153


ISSN 0002-0478
ISBN 9782807390867
DOI 10.3917/afco.261.0139
Article disponible en ligne à l'adresse :
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine1-2017-1-page-139.htm
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.


© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les
limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la
licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,
sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de
l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage
dans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)


L’électrification complète
de l’Afrique d’ici 2030
est-elle possible ?
Charles Debeugny
Christian de Gromard
Grégoire Jacquot

Si l’objectif d’un accès universel à l’énergie en Afrique sub-saharienne


d’ici 2030 est communément admis, les stratégies et moyens à mettre
en œuvre restent encore à définir. De nouveaux modèles de gouver-
nance seront notamment nécessaires pour assurer le montage et la
réalisation de projets d’électrification durables et inclusifs pensés à
l’échelle des États africains.
Mots clés : Accès – Énergie – Électrification – Solaire – Pay-as-you-go

Lorsque la majorité des pays africains ont acquis leur indé-


pendance au début des années 1960, les réseaux électriques
étaient peu développés et se limitaient aux principales agglo-
mérations, ainsi qu’à quelques centres industriels ou miniers1.
Les taux d’accès à l’électricité des ménages n’étaient alors que
de quelques pourcents. Mais, convaincus de l’importance de
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


l’électricité pour leur développement, plusieurs pays comme la
Tunisie, la Côte d’Ivoire ou le Kenya engagèrent des projets d’électrification
par extension avec des réseaux ou avec des groupes électrogènes et des miniré-
seaux locaux. Des villes et quelques villages accédèrent ainsi à l’électricité en
réseau (national ou local). L’électrification rurale restait quant à elle embryon-
naire. L’extension des réseaux se heurtait à la dispersion de l’habitat africain,
aux niveaux limités de demande d’électricité des villages et à la faible capacité
financière des ménages, trois éléments rendant la solution en réseau coûteuse
en investissement et peu rentable financièrement dans les zones rurales.
À la suite des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979, les énergies renou-
velables connaissaient des premiers développements en Afrique. La filière
photovoltaïque (PV) apparaissait comme une technologie de rupture permet-
tant de fournir de l’électricité dans des zones éloignées des réseaux et pour

Charles Debeugny, élève de l’École l’AFD, a été chef de projets Maroc, au Brésil et en Indonésie.
nationale des ponts et chaussées, d’électrification en et hors réseau Grégoire Jacquot, diplômé de
poursuit un master en politiques dans de nombreux pays d’Afrique l’École des Mines de Paris, poursuit
publiques à l’Institut d’études subsaharienne (Burkina Faso, Côte un master en Technology & Policy au
politiques de Paris. Christian d’Ivoire, Mali, Sénégal, Cameroun, Massachusetts Institute of
de Gromard, référent « Énergie » à Congo, Rwanda), ainsi qu’en Inde, au Technology (MIT).

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 139


des applications isolées. Cette nouvelle forme de distribution d’électricité sus-
cita de nombreux espoirs dans les pays africains. Le Commissariat à l’éner-
gie solaire (COMES), créé en 1978, engagea une politique active de projets en
Afrique en mobilisant des financements conjoints des ministères français de la
Coopération et de l’Industrie, politique qui fut reprise et amplifiée par l’Agence
française pour la maîtrise de l’énergie (AFME) 2 .
Les premiers programmes PV en Afrique se sont d’abord déployés par
types d’application tels que les télécommunications, l’hydraulique villageoise
ou la santé rurale. On enregistra quelques réalisations d’envergure, notam-
ment au Mali (projet Mali Aqua Viva), au Niger (télévision villageoise) ou dans
l’ex-Zaïre (équipement de dispensaires de réfrigérateurs solaires). Le photo-
voltaïque donna également lieu à un début de diffusion de kits individuels,
qui rencontrèrent un certain succès auprès des familles aisées. Près de 5 % de
familles rurales au Kenya et au Maroc s’équipèrent ainsi, souvent grâce à l’appui
financier de travailleurs migrants. Ces projets, qui mobilisèrent ONG, commu-
nautés villageoises, mais aussi bureaux d’études et industriels de la filière PV,
entraînèrent un premier apprentissage de l’organisation d’équipement solaire
en zones isolées.
Tirant parti de l’expérience de ces programmes PV, l’AFME lança en
1984 le concept de « pré-électrification », en proposant une approche inté-
grée production décentralisée-distribution-usages efficaces de l’électricité, en
considérant plusieurs modes de production (groupes électrogènes, microcen-
trales hydroélectriques, générateurs solaires ou éoliens) associés à deux vec-
teurs de distribution (le réseau câblé et la batterie) et en distinguant deux types
d’usages (collectifs ou individuels).
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


Il s’agissait alors de se démarquer de l’électrification conventionnelle
par extension de réseaux en différenciant les niveaux de service électrique.
L’intérêt de la pré-électrification était de pouvoir distribuer de l’électricité « un
peu, partout et tout de suite », alors que, dans de nombreuses zones rurales
africaines, le réseau national restait lointain et inaccessible.
La pré-électrification intégrait plusieurs innovations telles que l’ana-
lyse fine des services qu’apporte l’électrification, avant de choisir une filière ; la
prise en compte simultanée des usages et de la production d’électricité (pratique
inconnue dans l’électrification conventionnelle, qui s’arrête au compteur) ; la
recherche de complémentarités entre les solutions PV individuelles et celles de
mini-réseaux villageois ; la batterie comme vecteur de distribution de l’électri-
cité ; et la diffusion de lampes portables basse consommation, accessibles aux
ménages à faibles revenus.

1.  L’aperçu synthétique qui suit ne réalisations résultant de coopérations 2.  L’AFME, créée en 1982 par fusion
prétend pas être exhaustif. Il porte franco-africaines (notamment du COMES et de l’AEE (Agence des
principalement sur l’accès à jusqu’en 2010, avant que économies d’énergie), est devenue
l’électricité des zones rurales plutôt l’électrification du continent africain l’ADEME (Agence de l’environnement
que dans les zones urbaines. Il fait ne se mondialise et ne devienne une et de la maîtrise de l’énergie) en
aussi surtout référence à des thématique globale). 1986.

140  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
Un premier programme de pré-électrification rurale (PPER) d’échelle
significative fut lancé sur cette base au Maroc dans le cadre d’un protocole
franco-marocain mobilisant plusieurs partenaires 3 . À la fin des années 1980,
la terminologie évolua et le terme d’ERD (électrification rurale décentralisée)
se diffusa. EDF se mobilisa alors sur l’ERD et développa des projets en parte-
nariat avec l’ADEME, notamment au Mali et en Afrique du Sud. Quelques ONG
furent également actives et appuyèrent des réalisations solaires locales 4 .
Les années 1990 marquèrent une nouvelle étape dans la recherche de
solutions à grande échelle et visant une électrification globale, c’est-à-dire
couvrant la totalité du territoire national et l’ensemble de la population. Deux
programmes emblématiques ont ainsi été lancés au Maroc et au Sénégal, en
associant solutions « en et hors réseau » et en s’appuyant sur des délégations de
service public adaptées à l’électrification.
Avec le soutien notamment de l’AFD, le Maroc et la société électrique
nationale (ONE) lancèrent en 1994 le Programme d’électrification rurale glo-
bale (PERG), visant à porter en une douzaine d’années le taux d’électrification
de 15 % à près de 100 % (voir graphique ci-dessous p. 141) 5 . L’électrification par
extension du réseau fut complétée pour les zones ne pouvant en bénéficier par
un équipement de kits solaires organisé dans le cadre d’une gestion déléguée à
des opérateurs privés.
Le Sénégal s’engagea quant à lui, avec l’appui de la Banque mondiale,
dans un programme de concessions subventionnées et territorialisées, en visant
la couverture de l’ensemble du pays et en mobilisant différentes technologies en
et hors réseau.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


Évolution du taux et des modes d'électrification des villages au Maroc
Taux d’électrification rural Nombre de villages électrifiés
100 8000
Taux d’électrification rural
90
Villages électrifiés 7000
80 Énergie solaire
Réseau 6000
70

60 5000

50 4000

40
3000
30
2000
20
1000
10
EdiCarto, 08/2018.

0 0
1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007

Source : Office National de l’Électricité (ONE), Bilan du Programme d'électrification rurale globale (PERG), 1996-2008.

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 141


Cependant, ces projets globaux ne font pas tache d’huile. S’ils ont créé
des compétences en matière d’équipement décentralisé en zones rurales, l’élec-
trification ne parvint pas à décoller en Afrique subsaharienne. Elle restait
majoritairement urbaine et distribuée en réseau conventionnel.
Il fallut attendre les années 2010 pour qu’une conjonction d’avancées
technologiques vint relancer l’électrification rurale. De nouveaux modèles
d’électrification solaire hors réseau firent alors leur apparition, rendus pos-
sibles notamment grâce à : la chute du prix des modules PV et la disponibilité
sur le marché des kits de petite taille (< 10Wc) ; l’adoption massive de la télé-
phonie et du paiement mobiles, qui transforme la relation entreprises/clients
et permet la facturation/recouvrement à distance ; l’introduction de modules
de télégestion des systèmes solaires ; le développement des LED 6 , qui ouvre de
nouvelles possibilités d’éclairage, notamment dans les applications de quelques
watts et des lampes portables.
Une poignée de start-up est-africaines, ayant bénéficié de subventions
pour leur lancement, développa ainsi une nouvelle génération de kits solaires
composés typiquement d’un module de cinq à dix watts, d’une batterie et d’un
régulateur géré à distance, de deux à trois LED basse consommation et de char-
geurs de téléphones.
Les kits sont opérés selon un modèle dit pay-as-you-go 7 : l’usage du
système est prépayé par paiements mobiles récurrents sur une base journalière
ou mensuelle. Les prix sont basés sur le niveau de dépenses traditionnellement
dédiées au pétrole lampant, aux piles et à la recharge de téléphone mobile. Ces
systèmes intègrent un dispositif de coupure, bloquant leur usage dès que la
balance des prépaiements est épuisée. L’accès est prolongé ou rétabli à chaque
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


nouveau prépaiement. Une garantie technique et un service après-vente sont
assurés sur la durée de paiement (Astone et al., 2015).
Répondant à des usages spécifiques de l’électricité, ces solutions
solaires en pay-as-you-go bouleversent les dynamiques de l’électrification
rurale. Ce modèle réduit sensiblement les coûts de distribution et de recouvre-
ment. L’éclairage électrique devient un service abordable pour les populations
et rentable pour ses opérateurs. La téléphonie mobile devient centrale dans les
processus d’électrification.
Cinq millions de systèmes sont ainsi installés en moins de cinq ans par
des start-up à la croissance exponentielle, principalement en Afrique de l’Est.
Le rythme de kits solaires distribués en pay-as-you-go dans les zones rurales

3.  Institutionnels : AFME, ministères 4.  On peut citer la Fondem, le GRET 6.  LED : Light Emitting Diode
français des Affaires étrangères et ou Électriciens sans frontières. (diode électroluminescente).
des Finances, CCCE (devenue AFD), 5.  Le PERG a mobilisé plus de 7.  Pay-as-you-go se traduit par
Directions marocaines des 2 milliards d’euros d’investissement, « prépayé », l’anglais soulignant la
collectivités locales et de l’énergie. dont 230 millions d’euros de l’AFD à facilité et la mobilité du mode de
Entreprises/industries : Enersystem travers cinq prêts. Le FFEM y a paiement, alors que le français
(filiale de Total et Spie), Sygmatech, contribué pour 1,5 million d’euros en indique que le paiement intervient
SAFT (lampe portable), Photowatt accompagnement de son volet avant de consommer le service.
(PV). Ingénieries : SEED, GERES, solaire décentralisé.
IED…

142  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
kenyanes dépasse les 300 000 systèmes par an, chiffre comparable au nombre
de foyers raccordés chaque année au réseau national (KPLC, 2014). Le succès
de ce modèle solaire décentralisé vient questionner celui conventionnel centra-
lisé par extension de réseau.
La baisse des coûts des modules PV relance aussi, à moindre échelle,
le développement de solutions de mini-réseaux alimentés par des groupes
hybrides (diesel/PV) ou par des centrales PV avec batteries. Beaucoup d’acteurs
s’intéressent à ce mode d’électrification pour les villages où l’habitat est dense
et les bourgs éloignés du réseau national. Plusieurs projets sont à l’étude ou
viennent d’être lancés dans différents pays africains. Cependant, la diffusion
de ces nouveaux mini-réseaux reste encore limitée.
Plus d’un siècle d’électrification sur le continent africain, dont quarante
ans de solutions décentralisées, offrent un réel retour d’expériences et une meil-
leure appréhension de ses processus. La gamme des solutions d’électrification
s’est aujourd’hui considérablement diversifiée, en couvrant une large gamme
de puissance et de coûts pour répondre à différentes situations et niveaux de
demandes en Afrique.

L’électrification : une construction technique et financière élaborée 8


S’il est aujourd’hui probable que l’Afrique verra se développer plusieurs modes
d’électrification, il reste que l’accès universel à l’électricité demeure un défi
technique et financier pour les États africains.

À chaque pays son modèle d’électrification, combinant des modes en et


© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


hors réseau. De même que la téléphonie mobile se diffuse en Afrique selon des
modalités et un rythme propres à chaque pays, l’accès à l’électricité prendra des
chemins différents selon les territoires. Si les pays doivent construire l’histoire
de leur électrification, dans beaucoup d’États d’Afrique subsaharienne, celle-ci
commence à peine : moins de 10 % de la population rurale d’Afrique subsaha-
rienne disposerait aujourd’hui d’une source moderne d’électricité à domicile
(Shanker et al., 2012).
L’application en Afrique de modèles d’électrification calqués sur ceux
qui ont fonctionné au Nord ou dans certains pays émergents montre aujourd’hui
ses limites. De nouveaux modèles, construits à l’échelle des États et prenant en
compte les spécificités des territoires apparaissent indispensables à toute élec-
trification globale du continent africain.
Ces modèles émergeront en associant trois « systèmes » d’électrifica-
tion qui cohabitent actuellement de manière non coordonnée : l’extension du
réseau, opéré en général par l’entreprise d’électricité nationale, en bénéficiant
de financements concessionnels ; des mini-réseaux isolés, qui restent très sub-
ventionnés, notamment par l’intermédiaire des agences d’électrification ou des
sociétés nationales d’électricité ; l’équipement PV individuel en prépaiement,

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 143


actuellement développé par le secteur privé et qui cible les catégories de
ménages ruraux ou périurbains relativement aisés.
L’articulation de ces trois systèmes différera selon les pays et selon les
régions. Cependant, l’objectif d’un accès à l’électricité pour tous en 2030 ne
pourra pas être atteint dans les pays africains sans révision de la gouvernance
et des cadres réglementaires. On peut s’interroger sur les entités en mesure
d’établir ces nouveaux cadres : le ministère de l’Énergie, la Société nationale
d’électricité ou les nombreuses agences de régulation, d’électrification ou de
développement des énergies renouvelables qui ont vu le jour dans le secteur
électrique africain ? Si toutes sont concernées, aucune ne semble outillée ni
habilitée pour organiser et déployer une électrification globale.
La solution ne saurait également résider dans une conception exclusive-
ment « privée » de l’électrification selon laquelle le secteur privé pourrait seul
couvrir l’ensemble des territoires hors réseau et atteindre toutes les catégories
d’usagers.

L’électrification : un service intégré de la production aux usages. Si la


gouvernance des programmes d’électrification à grande échelle conditionne
leur réussite, l’analyse technico-économique des usages de l’électricité dans les
zones ciblées est également déterminante pour le succès de ces initiatives.
L’électricité distribuée dans les foyers, chez les artisans ou sur la place du
village se substitue à d’autres énergies : pétrole lampant, piles, recharges de bat-
teries pour le téléphone ou la télévision, force humaine ou animale pour le pom-
page, groupes électrogènes utilisés par quelques artisans ou commerces. Il s’agit
d’apprécier la demande des zones à électrifier et d’anticiper cette substitution.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


En effet, l’électricité répond à plusieurs types de demandes que l’on
peut classer en deux catégories : les services « immatériels », fournis sous
forme d’ondes et de signaux (radio, télévision, éclairage, téléphonie mobile,
applications numériques) ; les services « matériels », principalement électro-
mécaniques dans les villages africains (pompage, ventilation, compresseur fri-
gorifique, mouture des céréales, machine à coudre, etc.).
En zones rurales et périurbaines africaines, la demande de services
immatériels prédomine, du fait de leur forte valeur d’usage et de la possibilité
d’y répondre avec quelques dizaines de watts. Les services matériels nécessitent
des équipements plus puissants, de plusieurs centaines, voire milliers, de watts.
Leur diffusion, de ce fait, reste limitée.
L’équilibre économique et financier des différents modes d’électrifi-
cation nécessite de bien appréhender les usages de l’électricité pour chaque
type d’usagers : ménages, commerçants, artisans, collectivités locales ou
encore unités dépendant d’entités nationales (dispensaires par exemple). Dans
les pays africains, où les données socio-économiques à jour restent rares, les

8.  C’est aussi une construction le sujet, notamment celles de Ces volets sociaux et politiques sont
sociale et politique, comme le M. Colombier (Brésil), P. Ménanteau moins développés dans l’article.
montrent plusieurs thèses écrites sur (Afrique) ou R. Missaoui (Maghreb).

144  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
informations sur ces usages manquent. Éclairage, téléphonie et télévision n’ap-
pellent pas les mêmes solutions que la réfrigération ou le pompage, plus gour-
mands en énergie. L’analyse économique de l’électrification est incomplète si
elle n’intègre pas la valeur des usages et des services qu’elle rend. Il faut aussi
noter que l’extension conventionnelle des réseaux, intensive en capital et faite
pour des applications de fortes puissances, n’a pas réussi en Afrique à répondre
à la diversité de sa demande rurale.
Dans le montage des programmes, il convient de prendre en compte
les usages individuels et collectifs. Les services collectifs sont appréciés mais
posent la délicate question de leur prise en charge : qui paie les factures élec-
triques ? Ce point, rarement soulevé dans les projets d’ERD, ne l’est pas plus
dans l’électrification conventionnelle, les impayés « collectifs », liés à l’éclai-
rage public ou à l’électrification des écoles et des dispensaires, venant souvent
s’ajouter à ceux supportés par la compagnie nationale d’électricité.
Pour une application donnée, la consommation d’électricité dépend du
niveau de service offert par l’appareil, mais aussi de son efficacité énergétique.
À titre d’exemple, pour l’éclairage, la puissance de l’installation peut varier de 1
à 30 (AFME, 1990 ; EERE, 2014).
Dans l’électrification conventionnelle, le choix des appareils est laissé
libre aux usagers. Il n’en va pas de même dans celle hors réseau où le coût du
kilowatt-heure est élevé. Les services rendus ne seront que plus rentables s’ils
intègrent des équipements efficaces, qui réduisent les tailles et les coûts, comme
cela est fait pour les kits PV intégrant les LED. Il existe des perspectives réelles

Coûts d’équipement et consommations moyennes de quelques appareils


© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


électriques

Coût d’acquisition (en €) Motorisation :


Congélateur moulins, pompes,
artisanat
1000
Climatiseur
500
Réfrigérateur

Services immatériels (ondes et signaux)


200 TV
Éclairage
100 Technologies de l’information
et de la communication (TIC)
Téléphone
50 portable Services matériels (motorisés)
Usages Ventilateur
très Froid/fraîcheur
accessibles Motorisation
20
EdiCarto, 08/2018.

LED Fluo Incandescent


Radio
10
1 10 100 1 000 10 000 Consommation
moyenne (en Wh/jour)
Source : D'après Global LEAP (Lighting and energy access partnership), Dalberg, 2016.

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 145


d’amélioration de l’efficacité et de baisse des coûts, notamment sur les télévi-
seurs et les réfrigérateurs.
Les opérations d’électrification gagnent donc à être pensées selon des
approches allant au-delà du compteur et intégrant dans leur conception les types
d’équipement utilisés par les usagers. L’évaluation de la demande devient un
prérequis pour bien déterminer le niveau de service à offrir et la tarification à
adopter.

Deux modes de distribution complémentaires : le réseau câblé et les


batteries. Les coûts fixes sont une forte contrainte pour les usagers en situa-
tion de précarité et pour les opérateurs. Ils sont structurellement élevés pour la
distribution en réseau, notamment pour les usagers qui consomment très peu
d’électricité. La batterie est alors un moyen de distribuer l’électricité quand et
là où le réseau câblé s’arrête.
Pour les faibles niveaux de consommation, la distribution mobilisant
des systèmes sur batterie est plus économique que celle en réseau, mais son
coût croît rapidement dès que les consommations s’élèvent. La batterie, por-
table ou fixe, est particulièrement adaptée pour les services immatériels (télé-
phonie, télévision, numérique, éclairage). Elle devient moins compétitive que le
câble pour distribuer de l’électricité de puissance (notamment liée à la motori-
sation de forte capacité).

Partir de la demande effective, en intégrant les contraintes de capacités


de paiement. Les ménages ont une réelle volonté de payer pour l’électricité
mais leurs capacités sont limitées : en Afrique, une part importante de la popu-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


lation ne peut typiquement pas faire face à des dépenses énergétiques de plus
de cinq à dix euros par mois (IEG, 2008). Au Kenya, une enquête montre que
seulement un quart des ménages ruraux dépensent plus de cinq euros par mois
pour leur électricité (sur la base de données 2005).
En outre, les coûts de raccordement peuvent atteindre plusieurs cen-
taines d’euros. Une majorité de foyers n’a pas l’épargne pour y faire face, sans
un mécanisme adéquat de facturation et sans dispositions de péréquation ou de
subventionnement tarifaire (Shanker et al., 2012).

Un service à facturer au prix le plus juste : une équation difficile entre


accessibilité et rentabilité. Distribuer un service électrique a un coût. De
l’équipement et du personnel sont nécessaires pour maintenir ce service dans
la durée. Sa diffusion en zone rurale et suburbaine résulte de la mise en place
de chaînes de valeurs qui intègre trois types de charges : celles liées à la pro-
duction (qui peut être plus ou moins renouvelable, en réseau ou décentralisée),
celles résultant de la distribution (par réseaux câblés et/ou par batteries) et
celles liées aux équipements d’usage (électroniques et/ou électromécaniques).
Pour rester durable, l’accès universel à l’électricité doit donc être pensé comme
un service marchand prenant en compte ces trois segments.

146  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
Dépenses énergétiques des ménages kenyans
Dépenses mensuelles
hors biomasse (en €)
10

6 Électricité

5 Kérosène

Piles
4

EdiCarto, 08/2018.
0
Q1 Q2 Q3 Q4
Quartiles de revenu

Source : Kenya National Bureau of Statistics, 2005.

Une structuration financière raisonnée dans la durée apparaît comme


un facteur déterminant de réussite des projets d’électrification. Le service
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


répond en définitive à une double injonction d’accessibilité pour l’usager et de
rentabilité pour l’opérateur. La tarification nécessite une réf lexion spécifique
prenant en compte les différents maillons de la chaîne de valeur, de la produc-
tion à l’usage, tout en restant viable pour les opérateurs de distribution.
En effet, un programme d’électrification doit permettre d’assurer la
pérennité financière de l’opérateur. Cette exigence, prise en compte par les
opérateurs privés lorsqu’ils ne disposent pas d’aides publiques, l’est moins
par les compagnies nationales qui bénéficient de concours subventionnés et
subissent des pressions politiques pour étendre les réseaux. Plusieurs niveaux
d’équilibre financier peuvent être visés : petit équilibre (recettes couvrant le
coût marginal de production et de transport d’électricité, ainsi que ses frais
de gestion) ; équilibre d’exploitation (coûts précédents, plus les charges de
maintenance lourde et de renouvellement) ; grand équilibre (totalité des
charges couvertes). En Afrique subsaharienne, seulement 70 % des sociétés
de distribution parvenaient à atteindre un équilibre d’exploitation en 2008
(IEG, 2008).
Un programme comme le PERG marocain intégrait dès sa conception ce
compromis entre accessibilité et rentabilité établi sur la base d’une analyse éco-
nomique et financière de ses deux composantes, en et hors réseau. L’étude de la

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 147


demande dans les villages avait permis de mettre en évidence la structure-type
de la consommation. Une analyse des coûts supportés par les usagers, l’ONE,
l’État et les collectivités locales faisait ressortir que l’extension du réseau natio-
nal n’était plus économique en deçà d’une densité de douze foyers par kilomètre
de ligne (Berdai, Butin, 1991). Cette extension était réservée aux villages où le
coût d’électrification était inférieur à 2 500 euros par foyer. Au-delà, la solution
solaire hors réseau était proposée.

Les axes de progression d’une électrification globale de l’Afrique


Les retours d’expériences découlant d’un siècle d’électrification centralisée
et décentralisée dans les pays africains conduisent aujourd’hui à une série de
questionnements qui conditionnent le déploiement massif des programmes
d’électrification bancables et durables. Des éléments stratégiques restent en
effet à préciser sur des sujets aussi différents que la répartition des rôles entre
acteurs publics et privés, la mobilisation judicieuse de différents types de finan-
cements ou encore les perspectives d’évolution du modèle d’électrification par
systèmes solaires pay-as-you-go. Les réponses qui seront avancées par chaque
État africain à ces questions structureront les nouvelles approches nécessaires
pour électrifier la totalité de leur territoire.

Articuler les interventions des opérateurs publics et privés. L’émergence


de nouvelles solutions d’électrification décentralisée relance notamment la
question du partage des rôles entre les secteurs public et privé.
Si l’électrification par extension du réseau national s’est longtemps
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


imposée comme modèle de référence pour l’Afrique subsaharienne, les récents
progrès technologiques dans les énergies renouvelables et dans la gestion des
réseaux (grands ou mini) incitent les acteurs privés à développer d’autres
modèles. En l’absence de gouvernance adaptée et de coordination à l’échelle
nationale, il existe cependant un risque réel de voir se développer une mul-
titude d’initiatives sans coordination ni dialogue. Les projets solaires portés
par le privé, principalement dans la diffusion de kits individuels et de mini-
réseaux villageois, ne viendraient alors que ponctuellement s’ajouter à des
extensions des réseaux nationaux, en excluant un grand nombre de régions et
d’usagers.
Des modèles d’électrification durables ne sauraient donc être largement
déployés par les États africains sans une coordination et une répartition des
rôles entre plusieurs acteurs – techniques, financiers et institutionnels. Deux
questions doivent être adressées au niveau de chaque État : comment impli-
quer conjointement les acteurs (publics en général) qui œuvrent pour étendre
le réseau et ceux plus récents (privés majoritairement) qui s’activent sur les
solutions décentralisées ? Comment les États peuvent-ils mobiliser intelligem-
ment financements publics et privés dans la mise en œuvre d’une électrification
rurale et urbaine inclusive, conçue à l’échelle nationale ?

148  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
Mixer prêts et subventions. La charge des programmes d’électrification
revient historiquement aux sociétés nationales d’électricité. Financées par des
prêts souverains concessionnels (souvent rétrocédés en subventions), ces socié-
tés se sont longtemps appuyées sur une péréquation tarifaire pour financer
leurs activités d’électrification déficitaires. La montée en puissance de l’équi-
pement décentralisé remet cependant en question ce modèle économique et
financier.
Durant les années 1990, des agences d’électrification rurale ont été
mises en place dans plusieurs pays africains, pour prendre en charge les projets
d’électrification non ou peu rentables. Les résultats limités de cette approche
conduisent à s’interroger sur la capacité de ces agences à déployer massive-
ment des solutions pérennes à l’échelle nationale. Elles ne sont pas en mesure
de mobiliser des prêts ni de financer des investissements en dette. Les projets
qu’elles mettent en œuvre restent d’extension limitée et de durabilité incertaine.
Un fossé semble aussi se creuser entre les initiatives publiques canton-
nées à l’extension des réseaux et les projets privés limités aux segments ren-
tables du marché. La relance de l’électrification solaire rurale n’est que partielle.
L’équilibre entre mission de service public et exigence de rentabilité pour les
opérateurs reste à trouver dans les pays d’Afrique subsaharienne. La recherche
pourrait tirer parti des modèles de concessions géographisées, mises en place
au Maroc ou au Sénégal. Elle doit aussi remettre en question certains dogmes,
comme celui d’une tarification unique de l’électricité sur l’ensemble du terri-
toire, notamment pour les mini-réseaux dont l’essor est fortement contraint par
les systèmes tarifaires actuels.
La mobilisation efficace de financements en capital et en dette possi-
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


blement complétés par des subventions, des mécanismes de péréquation ou des
garanties reste un enjeu majeur. La variété des outils financiers répond à des
situations et des besoins différents. La subvention trouve son sens dans la boni-
fication de prêts ou le financement d’assistances pour appuyer la structuration
de projets, mais elle peut menacer la durabilité d’un programme si elle aboutit
à subventionner directement les consommations ou à soutenir des projets non
viables à moyen/long terme.
Enfin, pour l’heure, les financements locaux restent rares. Peu de
banques et d’investisseurs africains interviennent en dette ou en capital sur les
investissements d’électrification en Afrique. La quasi-totalité des 400 millions
d’euros investis depuis 2012 dans les sociétés de solaire pay-as-you-go furent
levés auprès d’acteurs internationaux (Jacquot, 2015).
L’électrification globale de l’Afrique ne pourra se faire sans nouvelles
avancées sur les mécanismes de péréquation appliqués aux solutions d’électrifi-
cation en et hors réseau, ou sur les prêts mobilisables grâce à l’APD pour amé-
liorer son effet de levier dans les programmes visant à étendre l’électrification à
l’ensemble des territoires et des catégories d’usagers ; la mobilisation de finan-
cements et d’investisseurs locaux pour électrifier leur pays, leur région ou leur
village est aussi nécessaire.

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 149


Étendre la couverture géographique et sociale du solaire PV
en pay-as-you-go
Le solaire individuel à prépaiements mobiles est ainsi passé rapidement de
l’échelle pilote au stade d’une activité en forte croissance. À l’heure actuelle,
près d’un demi-million de systèmes ont été installés par des entreprises pré-
sentes dans une dizaine de pays d’Afrique subsaharienne (Alstone et al., 2015)
qui ont su concevoir un mode d’électrification adapté au cadre local et rentable.
Quelles leçons tirer de ce succès ?
Flexibles, les services de pay-as-you-go semblent correspondre aux
contraintes économiques des populations rurales. En préfinançant l’acquisi-
tion des systèmes dont elles assurent la vente, l’installation et l’entretien, les
entreprises peuvent se concentrer sur le développement de modèles opération-
nels innovants et rechercher des financements adaptés. Leur réussite réside
également dans l’attractivité financière de leur modèle (Jacquot, 2015). Les
bons niveaux de rentabilité affichés par les entreprises ont permis dès 2012
de mobiliser un écosystème d’investisseurs privés et institutionnels en mesure
d’alimenter des besoins en fonds de roulement croissants. Plus de 360 millions
de dollars furent ainsi levés entre 2012 et le début de 2016 dans ce seul secteur
(Orlandi et al., 2016).
L’émergence de ce nouveau modèle d’électrification n’est cependant pas
sans soulever des questions. Cinq ans après l’apparition des premières start-up,
les retours d’expérience de ces entreprises anticipent d’importants défis à venir.
Actuellement porté exclusivement par le secteur privé, ce modèle d’électrifica-
tion cible les populations aisées des zones rurales. En outre, à de rares excep-
tions près, les entreprises concentrent leurs activités dans les zones accessibles
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


et densément peuplées des marchés dérégulés d’Afrique de l’Est (Jacquot, 2015).
L’enjeu des prochaines années sera donc de parvenir à étendre un
modèle de diffusion du solaire pay-as-you-go dans des régions de moindre
rentabilité et à l’ouvrir à des populations plus défavorisées. Dans les États qui
s’engagent concrètement dans l’électrification complète de leurs territoires, la
conception de nouveaux modèles financiers sera alors nécessaire pour inciter
les entreprises privées ou publiques à proposer de nouveaux services plus lar-
gement accessibles. Les modalités de diffusion du solaire pay-as-you-go dans
les marchés encore quasi-vierges d’Afrique francophone restent notamment à
établir.

Élargir la gamme des applications du solaire PV prépayé. Modèle de rup-


ture ayant redynamisé l’électrification rurale, érigé en cas d’école par les inves-
tisseurs et les banques de développement, le solaire pay-as-you-go repousse les
frontières de l’électrification mais n’est pas, tel quel, une solution universelle.
Ce nouveau modèle se limite aujourd’hui aux usages les plus basiques de l’élec-
tricité que sont l’éclairage et la recharge de téléphone.
Il reste que les solutions développées par les acteurs du solaire pay-as-
you-go et les concepts qui le sous-tendent peuvent être transposés aux solutions

150  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
de mini-réseaux ou d’extension du réseau. Moyennant des adaptations, ils
apparaissent aussi transposables à d’autres usages que ceux couverts par le seul
solaire domestique.
Un des prochains défis est celui des usages commerciaux et artisa-
naux de l’électricité – tels que le pompage de l’eau, la petite motorisation arti-
sanale ou la réfrigération commerciale – qui crée de la valeur ajoutée locale.
Actuellement, ces usages ne sont pas pris en compte et les solutions solaires qui
sont mises en place ne permettent pas de répondre à ce type d’applications. La
satisfaction de ces demandes n’est assurée que par l’extension du réseau ou la
mise en place de mini-réseaux isolés.
Il y aurait lieu de développer des programmes d’électrification dans
lesquels l’équipement solaire ou hybride serait attractif pour ces usages dits
« productifs » de l’électricité et de préciser les modalités d’organisation et de
financement de ces programmes.

Faire émerger de nouveaux modèles d’électrification globale. Une


coopération accrue entre les secteurs public et privé est à mettre sur pied à
l’échelle de chaque pays africain. L’intégration des deux ne devrait pas seule-
ment être financière, mais aussi opérationnelle selon des modalités encore à
définir. Principalement privés, les projets hors réseau sont conçus sans réelle
supervision ni implication des structures publiques. Des synergies pourraient
être développées en tirant parti des ressources opérationnelles à disposition
des sociétés publiques. Au Kenya, par exemple, le programme « Green Mini-
Grids » soutient le développement de mini-réseaux privés et vise à pallier l’ab-
sence de projets faisant le lien entre l’extension du réseau en zones urbaines
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


et la diffusion du PV individuel en zones rurales (ECA, 2014). Parallèlement à
l’identification de financements locaux, des discussions sont menées avec les
autorités pour faire évoluer la réglementation, établir de nouvelles formes de
péréquation tarifaire et renforcer la coopération entre les opérateurs privés de
mini-réseaux et la société nationale de distribution d’électricité.

Conclusion
Si les tendances observées jusqu’au début des années 2000 laissaient augu-
rer des perspectives relativement modestes pour l’électrification de l’Afrique,
l’émergence depuis 2010 de nouveaux modèles laisse envisager un développe-
ment rapide de l’accès à l’électricité sur le continent.
Une conjonction d’innovations technologiques dans des domaines aussi diffé-
rents que la téléphonie, le paiement mobile, le solaire individuel ou les mini-
réseaux intelligents bouscule le statu quo et crée de nouvelles opportunités
d’électrification à grande échelle du continent africain selon des modalités
encore inédites. Plus d’un siècle après les débuts de l’électrification de l’Afrique,
l’extension du réseau apparaît désormais comme une composante parmi d’autres
de solutions visant son électrification globale. La faisabilité et la mise en œuvre

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 151


de solutions multimodales d’électrification devraient être pensées à l’échelle
des différents États africains et selon des modèles propres à chaque territoire,
en remettant en cause quelques dogmes encore bien ancrés en Afrique, comme
celui de l’égalité pour tous des tarifs ou des niveaux de services de l’électricité,
quels que soient son mode de production, d’usages ou de lieu de desserte.
Le déploiement à grande échelle de l’électrification rurale en Afrique
subsaharienne ne s’opérera sans changements structurels importants mais
réalisables. Si des outils techniques et des moyens financiers sont mainte-
nant disponibles, d’importants progrès sont à réaliser au plan de l’allocation
des ressources, du montage des programmes et de leur gouvernance à l’échelle
des pays. Douze années ne seront pas de trop pour accélérer et parachever la
construction d’une électrification complète dans chaque pays africain.
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

152  L’énergie en Afrique : les faits et les chiffres Afrique contemporaine 261-262
Bibliographie ESMAP (2015), “Beyond Jacquot, G. (2015), « L’émergence
Connections. Energy Access du pico-solaire dans les initiatives
Alstone, P., Gershenson, D., Redefined”, Washington DC, Banque d’électrification rurale », rapport
Turman-Bryant, N., Kammen, mondiale. interne, Paris, Agence française de
D., Jacobson, A. (2015), “Off-Grid développement.
Power and Connectivity, Pay- Global LEAP, (2015), “Off-Grid
As-You-Go Financing and Digital Appliance Market Survey”, New York, KPLC (2016), “Annual Report and
Supply Chains for Pico-Solar”, Dahlberg. Financial Statements”, Nairobi.
Lighting Global, Société financière
internationale, Washington DC. Global LEAP (2016), “The State Laya, J., Ondraczekc, J., Stoever,
of Off-Grid Appliance Market, New J. (2012), “Renewables in the Energy
Banque africaine de York, Dahlberg. Transition. Evidence on Solar Home
développement (2013), Systems and Lighting-Fuel Choice in
« Comparaison des dépenses réelles KNBS (2014), Kenya Demographic Kenya”, Energy Economics, vol. XL,
de consommation des ménages et and Health Survey, Kenya National Hambourg, German Institute of
des niveaux de prix en Afrique », Bureau of Statistics, p. 603 Global and Area Studies, p. 350-359.
Abidjan.
Lighting Global et Bloomberg Navigant Consulting (2014),
Banque mondiale (2005), New Energy Finance (2016), “Off- “Energy Savings Forecast of Solid-
“Power Sector Reform in Africa. Grid Solar Market Trends Report”, State Lighting in General Illumination
Assessing Impact on Poor People”, Lighting Global, Washington DC, Applications”, Washington DC, US
Washington DC. Société financière internationale. Department of Energy,

Banque mondiale (2015), De Gromard, C. (1987), Njonjo, K. (2013), “Exploring Kenya’s


“Energy Sector Management « L’électrification hors réseau en Inequality”, Nairobi, Society for
Assistance Program Annual Report milieu rural marocain », Paris, International Development, Kenya
2015”, Washington DC. Agence française pour la maîtrise National Bureau of Statistics.
de l’énergie.
Berdai, M., Butin, V. (1991), Orlandi, I., McCrone, A., Battley,
« Le programme pilote de pré- De Gromard, C (1990), D., Tyabji, N., Falzon, J., Lerner, A.
electrification rurale (PPER) « L’électricité en brousse », (2016), “How Can Pay-As-You-Go
du Maroc », Liaison Energie Systèmes solaires, n° 63, novembre, Solar Be Financed?”, New York,
Francophonie, n° 14, p. 15. Paris, p. 9-13. Bloomberg New Energy Finance.

Economic Consulting Associates Independent Evaluation Group Shanker, A, Clément, P,


(2014), “Kenya Minigrids Report”, (2008), “The Welfare Impact of Rural Tapin, D, Buchsenschutz, M (2012),
Londres, ECA. Electrification. A Reassessment of « Accès à l’électricité en Afrique
the Costs and Benefits”, Banque subsaharienne : retours d’expérience
© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)

© De Boeck Supérieur | Téléchargé le 01/08/2022 sur www.cairn.info (IP: 197.0.175.136)


mondiale, Washington DC. et approches innovantes »,
Paris, AFD.

L’électrification complète de l’Afrique d’ici 2030 est-elle possible ? 153

Vous aimerez peut-être aussi