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POSSIBLE ?
Charles Debeugny, élève de l’École l’AFD, a été chef de projets Maroc, au Brésil et en Indonésie.
nationale des ponts et chaussées, d’électrification en et hors réseau Grégoire Jacquot, diplômé de
poursuit un master en politiques dans de nombreux pays d’Afrique l’École des Mines de Paris, poursuit
publiques à l’Institut d’études subsaharienne (Burkina Faso, Côte un master en Technology & Policy au
politiques de Paris. Christian d’Ivoire, Mali, Sénégal, Cameroun, Massachusetts Institute of
de Gromard, référent « Énergie » à Congo, Rwanda), ainsi qu’en Inde, au Technology (MIT).
1. L’aperçu synthétique qui suit ne réalisations résultant de coopérations 2. L’AFME, créée en 1982 par fusion
prétend pas être exhaustif. Il porte franco-africaines (notamment du COMES et de l’AEE (Agence des
principalement sur l’accès à jusqu’en 2010, avant que économies d’énergie), est devenue
l’électricité des zones rurales plutôt l’électrification du continent africain l’ADEME (Agence de l’environnement
que dans les zones urbaines. Il fait ne se mondialise et ne devienne une et de la maîtrise de l’énergie) en
aussi surtout référence à des thématique globale). 1986.
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Un premier programme de pré-électrification rurale (PPER) d’échelle
significative fut lancé sur cette base au Maroc dans le cadre d’un protocole
franco-marocain mobilisant plusieurs partenaires 3 . À la fin des années 1980,
la terminologie évolua et le terme d’ERD (électrification rurale décentralisée)
se diffusa. EDF se mobilisa alors sur l’ERD et développa des projets en parte-
nariat avec l’ADEME, notamment au Mali et en Afrique du Sud. Quelques ONG
furent également actives et appuyèrent des réalisations solaires locales 4 .
Les années 1990 marquèrent une nouvelle étape dans la recherche de
solutions à grande échelle et visant une électrification globale, c’est-à-dire
couvrant la totalité du territoire national et l’ensemble de la population. Deux
programmes emblématiques ont ainsi été lancés au Maroc et au Sénégal, en
associant solutions « en et hors réseau » et en s’appuyant sur des délégations de
service public adaptées à l’électrification.
Avec le soutien notamment de l’AFD, le Maroc et la société électrique
nationale (ONE) lancèrent en 1994 le Programme d’électrification rurale glo-
bale (PERG), visant à porter en une douzaine d’années le taux d’électrification
de 15 % à près de 100 % (voir graphique ci-dessous p. 141) 5 . L’électrification par
extension du réseau fut complétée pour les zones ne pouvant en bénéficier par
un équipement de kits solaires organisé dans le cadre d’une gestion déléguée à
des opérateurs privés.
Le Sénégal s’engagea quant à lui, avec l’appui de la Banque mondiale,
dans un programme de concessions subventionnées et territorialisées, en visant
la couverture de l’ensemble du pays et en mobilisant différentes technologies en
et hors réseau.
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Source : Office National de l’Électricité (ONE), Bilan du Programme d'électrification rurale globale (PERG), 1996-2008.
3. Institutionnels : AFME, ministères 4. On peut citer la Fondem, le GRET 6. LED : Light Emitting Diode
français des Affaires étrangères et ou Électriciens sans frontières. (diode électroluminescente).
des Finances, CCCE (devenue AFD), 5. Le PERG a mobilisé plus de 7. Pay-as-you-go se traduit par
Directions marocaines des 2 milliards d’euros d’investissement, « prépayé », l’anglais soulignant la
collectivités locales et de l’énergie. dont 230 millions d’euros de l’AFD à facilité et la mobilité du mode de
Entreprises/industries : Enersystem travers cinq prêts. Le FFEM y a paiement, alors que le français
(filiale de Total et Spie), Sygmatech, contribué pour 1,5 million d’euros en indique que le paiement intervient
SAFT (lampe portable), Photowatt accompagnement de son volet avant de consommer le service.
(PV). Ingénieries : SEED, GERES, solaire décentralisé.
IED…
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kenyanes dépasse les 300 000 systèmes par an, chiffre comparable au nombre
de foyers raccordés chaque année au réseau national (KPLC, 2014). Le succès
de ce modèle solaire décentralisé vient questionner celui conventionnel centra-
lisé par extension de réseau.
La baisse des coûts des modules PV relance aussi, à moindre échelle,
le développement de solutions de mini-réseaux alimentés par des groupes
hybrides (diesel/PV) ou par des centrales PV avec batteries. Beaucoup d’acteurs
s’intéressent à ce mode d’électrification pour les villages où l’habitat est dense
et les bourgs éloignés du réseau national. Plusieurs projets sont à l’étude ou
viennent d’être lancés dans différents pays africains. Cependant, la diffusion
de ces nouveaux mini-réseaux reste encore limitée.
Plus d’un siècle d’électrification sur le continent africain, dont quarante
ans de solutions décentralisées, offrent un réel retour d’expériences et une meil-
leure appréhension de ses processus. La gamme des solutions d’électrification
s’est aujourd’hui considérablement diversifiée, en couvrant une large gamme
de puissance et de coûts pour répondre à différentes situations et niveaux de
demandes en Afrique.
8. C’est aussi une construction le sujet, notamment celles de Ces volets sociaux et politiques sont
sociale et politique, comme le M. Colombier (Brésil), P. Ménanteau moins développés dans l’article.
montrent plusieurs thèses écrites sur (Afrique) ou R. Missaoui (Maghreb).
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informations sur ces usages manquent. Éclairage, téléphonie et télévision n’ap-
pellent pas les mêmes solutions que la réfrigération ou le pompage, plus gour-
mands en énergie. L’analyse économique de l’électrification est incomplète si
elle n’intègre pas la valeur des usages et des services qu’elle rend. Il faut aussi
noter que l’extension conventionnelle des réseaux, intensive en capital et faite
pour des applications de fortes puissances, n’a pas réussi en Afrique à répondre
à la diversité de sa demande rurale.
Dans le montage des programmes, il convient de prendre en compte
les usages individuels et collectifs. Les services collectifs sont appréciés mais
posent la délicate question de leur prise en charge : qui paie les factures élec-
triques ? Ce point, rarement soulevé dans les projets d’ERD, ne l’est pas plus
dans l’électrification conventionnelle, les impayés « collectifs », liés à l’éclai-
rage public ou à l’électrification des écoles et des dispensaires, venant souvent
s’ajouter à ceux supportés par la compagnie nationale d’électricité.
Pour une application donnée, la consommation d’électricité dépend du
niveau de service offert par l’appareil, mais aussi de son efficacité énergétique.
À titre d’exemple, pour l’éclairage, la puissance de l’installation peut varier de 1
à 30 (AFME, 1990 ; EERE, 2014).
Dans l’électrification conventionnelle, le choix des appareils est laissé
libre aux usagers. Il n’en va pas de même dans celle hors réseau où le coût du
kilowatt-heure est élevé. Les services rendus ne seront que plus rentables s’ils
intègrent des équipements efficaces, qui réduisent les tailles et les coûts, comme
cela est fait pour les kits PV intégrant les LED. Il existe des perspectives réelles
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Dépenses énergétiques des ménages kenyans
Dépenses mensuelles
hors biomasse (en €)
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Quartiles de revenu
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Mixer prêts et subventions. La charge des programmes d’électrification
revient historiquement aux sociétés nationales d’électricité. Financées par des
prêts souverains concessionnels (souvent rétrocédés en subventions), ces socié-
tés se sont longtemps appuyées sur une péréquation tarifaire pour financer
leurs activités d’électrification déficitaires. La montée en puissance de l’équi-
pement décentralisé remet cependant en question ce modèle économique et
financier.
Durant les années 1990, des agences d’électrification rurale ont été
mises en place dans plusieurs pays africains, pour prendre en charge les projets
d’électrification non ou peu rentables. Les résultats limités de cette approche
conduisent à s’interroger sur la capacité de ces agences à déployer massive-
ment des solutions pérennes à l’échelle nationale. Elles ne sont pas en mesure
de mobiliser des prêts ni de financer des investissements en dette. Les projets
qu’elles mettent en œuvre restent d’extension limitée et de durabilité incertaine.
Un fossé semble aussi se creuser entre les initiatives publiques canton-
nées à l’extension des réseaux et les projets privés limités aux segments ren-
tables du marché. La relance de l’électrification solaire rurale n’est que partielle.
L’équilibre entre mission de service public et exigence de rentabilité pour les
opérateurs reste à trouver dans les pays d’Afrique subsaharienne. La recherche
pourrait tirer parti des modèles de concessions géographisées, mises en place
au Maroc ou au Sénégal. Elle doit aussi remettre en question certains dogmes,
comme celui d’une tarification unique de l’électricité sur l’ensemble du terri-
toire, notamment pour les mini-réseaux dont l’essor est fortement contraint par
les systèmes tarifaires actuels.
La mobilisation efficace de financements en capital et en dette possi-
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de mini-réseaux ou d’extension du réseau. Moyennant des adaptations, ils
apparaissent aussi transposables à d’autres usages que ceux couverts par le seul
solaire domestique.
Un des prochains défis est celui des usages commerciaux et artisa-
naux de l’électricité – tels que le pompage de l’eau, la petite motorisation arti-
sanale ou la réfrigération commerciale – qui crée de la valeur ajoutée locale.
Actuellement, ces usages ne sont pas pris en compte et les solutions solaires qui
sont mises en place ne permettent pas de répondre à ce type d’applications. La
satisfaction de ces demandes n’est assurée que par l’extension du réseau ou la
mise en place de mini-réseaux isolés.
Il y aurait lieu de développer des programmes d’électrification dans
lesquels l’équipement solaire ou hybride serait attractif pour ces usages dits
« productifs » de l’électricité et de préciser les modalités d’organisation et de
financement de ces programmes.
Conclusion
Si les tendances observées jusqu’au début des années 2000 laissaient augu-
rer des perspectives relativement modestes pour l’électrification de l’Afrique,
l’émergence depuis 2010 de nouveaux modèles laisse envisager un développe-
ment rapide de l’accès à l’électricité sur le continent.
Une conjonction d’innovations technologiques dans des domaines aussi diffé-
rents que la téléphonie, le paiement mobile, le solaire individuel ou les mini-
réseaux intelligents bouscule le statu quo et crée de nouvelles opportunités
d’électrification à grande échelle du continent africain selon des modalités
encore inédites. Plus d’un siècle après les débuts de l’électrification de l’Afrique,
l’extension du réseau apparaît désormais comme une composante parmi d’autres
de solutions visant son électrification globale. La faisabilité et la mise en œuvre
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