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E S T- I L J E ?
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PHILIPPE GASPARINI
E ST-IL J E ?
Roman autobiographique
et autofiction
CE LIVRE
EST PUBLIÉ DANS LA COLLECTION
POÉTIQUE
DIRIGÉE PAR GÉRARD GENETTE
ISBN 978-2-02-129331-9
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Stratégies de l’ambiguïté
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EST- IL JE ?
tion esthétique, car les faits particuliers qu’elle relate ne sont aucu-
nement généralisables1. En vertu de cette hiérarchie, les genres nar-
ratifs en première personne, qui apparurent et se développèrent du
XVIIe au XIXe siècle (Mémoires, lettres, journal intime, autobiogra-
phie), étaient rangés, non seulement par les poéticiens, mais aussi
par les auteurs, dans le domaine prosaïque de la chronique, du par-
ticulier, de la non-littérature.
Seconde tare de ces textes : leur bâtardise. Ils mélangent deux
codes incompatibles, le roman étant fictionnel et l’autobiographie
référentielle. Méconnaissant la plus élémentaire théorie des genres,
ils échappent aux critères de jugement applicables aux genres
établis. C’est pourquoi de nombreux critiques les ont purement et
simplement passés sous silence, tandis que d’autres réduisaient leur
dualité de façon à pouvoir les classer dans une catégorie déterminée.
Enfin, troisième handicap, le roman autobiographique, sans
doute honteux de sa bâtardise, avance masqué, sans s’annoncer.
Son statut générique ne peut être établi qu’a posteriori, à l’issue
d’un processus aléatoire de lecture et d’interprétation.
En dépit de ces obstacles, la perception d’une nouveauté générique
s’est traduite dans plusieurs langues, dès le milieu du XIXe siècle, par
l’apparition de termes tels que « roman autobiographique » ou
« roman personnel ». Dans une période où la théorie littéraire était en
crise, nul ne se souciait de définir précisément ce que recouvraient
ces concepts. Les études publiées par Joachim Merlant en 19052 et
Jean Hytier en 19283 montrent que la critique universitaire circons-
crivait le phénomène de l’ambivalence narrative à une époque révo-
lue, le Romantisme. En France, faute de recherche ultérieure, cette
doctrine sera enseignée à plusieurs générations de lycéens et d’étu-
diants.
Simultanément, des critiques aussi influents que Brunetière4 et
1. Aristote, Poétique, trad. fr. R. Dupont-Roc et J. Lallot, Paris, Éd. du Seuil, coll.
« Poétique », 1980, chap. 9, p. 65.
2. J. Merlant, Le Roman personnel de Rousseau à Fromentin, Paris, Hachette, 1905 ;
rééd., Genève, Slatkine, 1978.
3. J. Hytier, Les Romans de l’individu. Constant, Sainte-Beuve, Stendhal, Mérimée,
Fromentin, Paris, Les Arts et le Livre, 1928.
4. F. Brunetière, « La littérature personnelle », La Revue des Deux Mondes, 15 janvier
1888 ; rééd. dans Questions de critique, Paris, Calmann-Lévy, 1897, p. 211-246.
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STRATÉGIES DE L’ AMBIGUÏTÉ
1. A. Thibaudet, « Les deux écoles », Nouvelle Revue française, 1er novembre 1928 ;
rééd. dans Réflexions sur la littérature, t. II, Paris, Gallimard, 1940, p. 123-128.
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C’est dans ce contexte qu’un nouveau terme est apparu pour dési-
gner la réalité générique instable qui nous intéresse : « autofiction ».
Lancé par l’essayiste et romancier Serge Doubrovsky, le terme s’est
rapidement diffusé dans la critique universitaire puis au-delà, avec des
définitions variables. Celle de Doubrovsky contenait trois paramètres :
une écriture littéraire, une parfaite identité onomastique entre l’auteur,
le narrateur et le héros, et une importance décisive accordée à la psy-
chanalyse. Vincent Colonna et Gérard Genette ont ensuite proposé de
réserver ce terme aux cas de « fictionnalisation de soi », c’est-à-dire
de projection dans l’imaginaire d’un personnage portant le nom de
l’auteur. L’usage n’a pas retenu ces définitions et s’est contenté de
transférer sur ce néologisme le contenu sémantique approximatif du
désuet « roman autobiographique ».
L’engouement suscité par ce mot a éveillé l’intérêt de la
recherche pour une catégorie autrefois ignorée ou méprisée. On
s’est mis à étudier les textes contemporains à travers la probléma-
tique de l’autofiction1. Mais, à l’instar de Doubrovsky, les zélateurs
de ce nouveau genre le présentent généralement comme une forme
d’expression inédite, postmoderne, sans antécédent, sans généalo-
gie, sans histoire. Ce faisant, ils coupent les œuvres qu’ils étudient
de leurs racines génériques, ils escamotent leur filiation avec le
roman autobiographique traditionnel auquel elles empruntent pour-
tant la plupart de leurs procédés.
1. Citons :
– les actes du colloque Autofictions et Cie, publiés sous la direction de S. Doubrovsky,
J. Lecarme et P. Lejeune, nº 6 de la revue RITM, université Paris X-Nanterre, 1993 ;
– R. Robin, Le Golem de l’écriture. De l’autofiction au cybersoi, Montréal, XYZ,
1997 ; « Confession à l’ordinateur. La trilogie de Henry Roth », dans J.-F. Chiantaretto
(dir.), Écriture de soi et sincérité, Paris, In Press, 1999, p. 101-112 ;
– L.-N. Aulagne, Et si c’était moi ? Approches de l’autofiction dans la décennie
1980, thèse sous la dir. de R. Robert, université Nancy II, 1998, inédite ;
– M. Darrieussecq, « L’autofiction, un genre pas sérieux », Poétique, nº 107, sep-
tembre 1976, p. 369-380 ; Moments critiques dans l’autobiographie contemporaine : l’iro-
nie tragique et l’autofiction chez Serge Doubrovsky, Hervé Guibert, Michel Leiris et
Georges Perec, thèse sous la dir. de F. Marmande, université Denis Diderot-Paris VII,
1997, inédite ;
– M.-L. Van Toonder, Qui est je ? L’écriture autobiographique des nouveaux roman-
ciers, Berne, Peter Lang, 1999 ;
– A. Molero de la Iglesia, La autoficción en España. Jorge Semprun, Carlos Barral,
Luis Goytisolo, Enriquita Antolin y Antonio Muñoz Molina, Berne, Peter Lang, 2000.
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STRATÉGIES DE L’ AMBIGUÏTÉ
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STRATÉGIES DE L’ AMBIGUÏTÉ
1. Identification
Identification onomastique
Roman
J’utiliserai le plus souvent, pour désigner les textes narratifs qui
s’inscrivent dans le double registre romanesque et autobiogra-
phique, le terme le plus ancien, le plus courant et le plus clair dont
nous disposions, à savoir « roman autobiographique ». Il caracté-
rise, en premier lieu, ces textes comme des « romans ». Que la plu-
part de leurs auteurs revendiquent ou entérinent cet étiquetage
générique ne nous dispense pas d’examiner, pour commencer, sa
validité.
Le roman est un genre non réglé dont la définition a varié selon
les époques et variera encore dans l’avenir. On s’accorde néan-
moins à l’identifier, depuis deux siècles, sur la base de trois
critères : narratif, fictionnel et littéraire. Sans refaire la théorie des
genres et des modes1, on peut considérer que la première condition
est remplie à partir du moment où l’énoncé est perçu comme une
histoire, et non un discours, un poème ou une pièce de théâtre. Les
deux autres critères ont partie liée en ce sens que, comme l’a
1. Cf. Gérard Genette et Tzvetan Todorov (dir.), Théorie des genres, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Points Essais », 1986 ; T. Todorov, Les Genres du discours, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Poétique », 1978 ; Théorie de la littérature, textes des formalistes russes traduits par T.
Todorov, Paris, Éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1965 ; T.Todorov, Introduction à
la littérature fantastique, Éd. du Seuil, coll. « Poétique », 1970, rééd. coll. « Points Essais »,
1967, chap. 1 ; J.-M. Schaeffer, Qu’est-ce qu’un genre littéraire ?, Paris, Éd. du Seuil,
coll. « Poétique », 1989 ; Dominique Combe, Les Genres littéraires, Paris, Hachette, 1992.
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IDENTIFICATION
Autobiographie
Comme l’a montré Philippe Lejeune, le protocole propre à l’auto-
biographie est fondé sur l’identité onomastique de l’auteur, du
narrateur et du personnage1. ‘Jean-Jacques Rousseau’ est à la fois
l’auteur des Confessions, puisque son nom figure sur la couverture
du livre, celui qui raconte et le personnage principal de l’histoire.
À ce titre, il s’engage à puiser dans ses souvenirs les matériaux
d’un récit relatif à sa propre expérience de la vie. Le lecteur ne croit
pas nécessairement que Rousseau dit toujours la vérité. Mais il le
crédite d’un effort mémoriel pour retracer son passé.
Ce « pacte autobiographique » a pour corollaire le mode d’énon-
ciation qui caractérise le genre : puisque héros et narrateur ne font
qu’un, le récit est, en principe, raconté à la première personne ;
puisque l’auteur se tourne vers son passé, son récit est, en principe,
régi par une structure rétrospective.
Un roman tel que René2 peut être qualifié d’autobiographique à
partir du moment où Chateaubriand suggère délibérément qu’il
raconte, lui aussi, ses propres souvenirs. Non seulement le récit du
héros imite le mode narratif de l’autobiographie, première personne
et rétrospection, mais l’auteur transgresse la norme fictionnelle en
encourageant le lecteur à l’identifier avec ‘René’. Les moyens dont
il dispose pour mettre en œuvre cette stratégie d’identification,
donc accréditer le caractère autobiographique de son roman, sont
nombreux et variés. La présente étude a précisément pour objet de
les recenser. Le premier consiste à rapprocher leur identité onomas-
tique : ‘René’ et son créateur ont un prénom commun. Nous allons
voir que le roman autobiographique se distingue essentiellement
des genres connexes par sa stratégie d’identification du héros-nar-
rateur avec l’auteur.
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Autobiographie fictive
Il est assez simple, pour commencer, de différencier, d’après ce
critère, le roman autobiographique de l’autobiographie fictive. En
effet, cette dernière simule une énonciation autobiographique sans
prétendre qu’il y ait identité entre l’auteur et le héros-narrateur. Bien
connu des Anciens (Apulée, Pétrone, Lucien), le roman rétrospectif
en première personne a été redécouvert par les conteurs picaresques1.
Il a donné naissance, dès la fin du XVIIe siècle, à deux sous-genres nar-
ratifs, le roman-Mémoires et le roman épistolaire.
La fictionnalité de ces romans en première personne se déduisait
d’abord de la disjonction onomastique de l’auteur réel et du narra-
teur allégué. Elle se signalait ensuite, conventionnellement, par une
préface dans laquelle l’auteur réel prétendait reproduire un témoi-
gnage écrit ou oral qu’on lui avait transmis2. La fonction paradoxale
de ce discours était d’assurer à cette mimèsis d’autobiographie une
réception romanesque. Pour plus de sécurité, le texte multipliait les
indices de disjonction auteur-narrateur : ainsi Marivaux ne pouvait
être confondu ni avec ‘Marianne’ ni avec ‘Jacob’ ; Prévost se posait
en juge de ‘Des Grieux’ et, plus encore, Choderlos de Laclos de
‘Valmont’. En outre, les traits de littérarité qui saturaient ces récits
suffisaient à démentir leur statut supposé de document brut.
Les quelques cas où le public, encore peu familier avec ce mode
d’énonciation romanesque, a cru à l’authenticité des documents
relevaient de la mystification. L’erreur n’était pas imputable à une
confusion entre auteur réel et narrateur mais à un mensonge quant à
l’origine du texte. Ainsi Guilleragues allégua-t-il qu’une véritable
« religieuse portugaise » avait écrit ses Lettres pour éviter le statut
infamant de romancier, non parce qu’il craignait qu’on lui imputât
ces aveux amoureux3.
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8. Fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Écriture du roman autobiographique . . . . . . . . . . . . . . . . 333
Lecture du roman autobiographique . . . . . . . . . . . . . . . . 344
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 349
Index des auteurs cités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 377
Index des œuvres citées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 383
Index des notions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 391
RÉALISATION : P.A.O. ÉDITIONS DU SEUIL
IMPRESSION : NORMANDIE ROTO-IMPRESSION S.A.S. À LONRAI
DÉPÔT LÉGAL : MARS 2004. Nº 58933 ( )
IMPRIMÉ EN FRANCE