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Pourquoi ?
Tout en nous astreignant à lire et analyser un nombre suffisant de CARTLAND, DELLY, etc.,
nous avons recherché les études qui ont été faites sur le sujet... et là, nous avons pu constater
que nous pouvions appliquer au roman sentimental cette phrase de Philippe SOHET :
(Antennes 4ème trimestre 1980, n°20).
"Il faut une sérieuse dose de bonne volonté pour trouver çà et là, quelques bribes de réflexion
ou même des données sur la "littérature de cœur" qui n'est pas sans nous apprendre des
choses étonnantes sur notre culture".
ou celles-ci glanées dans "le roman-photo" Larousse :
"Ce genre tant décrié n'a engendré aucune étude complète. Paradoxalement sa lecture
réputée facile paraît échapper à l'analyse" et "le roman populaire n'intéresse pas les
intellectuels. Pratiquement il a été laissé en friche. Les chercheurs le délaissent. Mêmes les
sociologues ne s'y aventurent pas..." N'oublions pas en effet que le roman sentimental est une
des composantes du roman populaire.
A - Dans les premières années du 19ème siècle, le livre est cher, a un tirage restreint, a donc
peu de lecteurs.
Mais depuis la révolution, une demande se fait sentir parmi les classes moyennes.
Autour de 1830, sont réunies toutes les conditions matérielles et psychologiques permettant
la naissance d'une littérature populaire :
- Cela grâce au développement de la presse à grand tirage et du "roman à suivre".
- Naissance de journaux : "le siècle" et "la presse", donnant une large place au roman
feuilleton.
La diffusion massive est moins onéreuse pour un plus large public (petite bourgeoisie, gens
des campagnes, femmes et jeunes filles).
De nombreux grands écrivains prêtent leur nom au feuilleton (Balzac, Eugène Sue, Georges
Sand).
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ASSOCIATION FRANÇAISE POUR LA LECTURE LES ACTES DE LECTURE n°6 (juin 1984)
Au départ, le roman populaire est un roman social visant à faire, sous forme de fresque, le
portrait complet d'une société jusqu'alors non représentée dans la littérature (ex. Les Mystères
de Paris, d'Eugène Sue - François le Champi, de Georges Sand.)
Après 1850, le roman populaire tend à devenir conformiste. Les auteurs (Paul Féval, Ponson
du Terrail) adoptent un ton conservateur autant du point de vue politique que moral.
L'évolution se caractérise par un certain embourgeoisement des thèmes et des héros.
Il faut noter l'apparition de nombreux auteurs féminins, d'héroïnes féminines, d'aventures
amoureuses (Madame Ancelot précurseur de Delly : Les Deux Sœurs, La Nièce du
banquier).
C - Après 1870, cette tendance au conformisme s'accentuera encore. La production est plus
intense mais d'un niveau plus médiocre. La faculté d'invention se perd. Le drame devient
stéréotypé. Les scènes de violence sont évitées. Le ton est larmoyant. Le roman populaire
cherche à attendrir plutôt qu'à faire trembler.
Ex : Xavier de Montépin : La porteuse de pain, Jules Mary, Pierre Decourcelle.
À partir de 1900 : le héros mythique dont les aventures font appel à l'imagination, l'humour,
la poésie, se réfugie dans les romans de science-fiction, les romans policiers, les bandes
dessinées.
Parallèlement des collections populaires à bon marché publient des romans sentimentaux
(Arthème Fayard, Tallandier Ferenczi) annonçant l'invasion du roman photo.
Le roman photo doit être évoqué ici. S'il n'est pas uniquement l'héritier du roman populaire, il
présente avec le courant sentimental de la fin du 19ème siècle de nombreuses analogies.
Le roman populaire a connu un formidable succès en 1830 grâce au prodigieux essor de la
presse et à la trouvaille du feuilleton.
Le roman photo, lui utilisant les techniques de la photo et du cinéma profite de l'explosion de
la presse à bon marché après les années de guerre (année 1945-47) en Italie et en France.
La présentation en magazine hebdomadaire peu cher, le procédé du "feuilleton à suivre"
assurent d'emblée au roman photo une diffusion massive auprès d'une clientèle qui ne lit pas
les livres de la littérature classique.
Les thèmes utilisés sont étonnamment fidèles à ceux de la littérature sentimentale de la fin du
19ème siècle amorcée par Delly, Max du Veuzit etc. Argent, destin, soumission à la morale
établie.
C'est une littérature marginale, non reconnue par l'histoire littéraire mais ayant tout de suite la
faveur d'un grand public.
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- besoin de savoir que l'on a sa place parmi les autres (reconnaissance sociale).
Le lecteur s'identifie aux héros malmenés par l'existence, il partage leurs rêves et leurs
espoirs, il espère que, comme pour les héros, "tout se terminera bien".
Mais alors que dans la paralittérature, il s'agit d'obtenir ce plaisir, de la façon la plus directe
possible, dans la littérature, ce plaisir est atteint par le détour de la sublimation.
Dans la paralittérature, le désir inconscient est magiquement réalisé, dans la littérature entre le
désir inconscient et l'oeuvre s'interposent la culture, la tradition, l'histoire.
"La paralittérature témoigne de la tendance invincible en l'individu à nier la réalité et à
affirmer la toute-puissance du désir" G. MENDEL.
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Dans l'étude consacrée au roman photo (très proche du type d'ouvrages que nous étudions)
c'est le besoin de sécurité qui est surtout mis en avant :
"Les libertés prises avec le réel permettent aux lecteurs de retrouver le monde de l'enfance, la
structure sécurisante des premiers âges".
Les fins de récits sont toujours heureuses : il s'agit là d'une "euphorie indispensable pour des
récits qui cherchent à sécuriser le lecteur".
Les titres de revues où ces récits paraissent en feuilleton sont évocateurs :
"Nous deux, L'hebdomadaire qui porte bonheur".
"Intimité, Le magazine pour une vie meilleure"
Rassurer, désamorcer ou aplanir angoisses et inquiétudes semblent être le mot d'ordre général.
Evelyne SULLEROT a réalisé une véritable recherche sur les lecteurs de romans-photos ; son
étude fait ressortir une constatation intéressante :
"La littérature sentimentale, parallèlement à son public de ménagères, se serait développée
notamment dans les casernes, hôpitaux, sanatorium, c'est-à-dire dans les situations
d'impuissance sociale, de non-autonomie."
Gérard MENDEL va dans le même sens. Le consommateur de paralittérature sentimentale,
comme le dormeur et ses rêves, comme l'enfant et ses jeux, comme le "primitif" et ses
incantations magiques, sont soumis à une dépendance étroite envers leur environnement, et ils
échappent à leur façon au sentiment d'impuissance, en se créant un univers bienveillant,
attentif aux prières des faibles.
Ainsi, ces récits offrent des "revanches imaginatives", aux lecteurs malmenés par la vie, ils
jouent le rôle de compensation (ou de somnifère ?).
Serait-ce leur façon de dire non à cette société et aux hommes ? Serait-ce pour mieux rêver ?
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Au cœur de structures sociales éclatées, les grands thèmes et les grandes valeurs soulignés
dans les romans sentimentaux (amour, destin...) sont sécurisants, ils restent comme points de
repère, comme références.
Mais ces romans peu chers sont avant tout de la littérature commerciale, répétitive, emplie de
clichés.., une littérature vite rédigée (où est la création littéraire) vite consommée.
Un certain nombre de questions et de constatations sont à souligner :
Tout d'abord une injonction formulée par une lectrice de la collection Harlequin : "Que ceux
dont la lecture est un moyen de culture ne dédaignent pas ceux pour qui elle est synonyme de
détente !"
Parallèlement à cette remarque, une question reste posée : cette "sous-littérature" renforce-t
elle l'aliénation en détournant du réel ou est-elle ballon d'oxygène pour mieux affronter le
réel ?
Une double dénonciation nous semble devoir être faite :
- dénonciation de la distinction si marquée entre littérature élitiste et savante
survalorisée et para-littérature méprisée, celle consommée par le grand public;
- dénonciation d'un commerce qui enferme une masse de lecteurs dans des récits
paralysant tout esprit critique.
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qui façonnent une partie importante de notre environnement culturel... ces récits n'exposent
rien d'autre que le cœur de nos réflexes culturels, mis à nu, en toute crudité" (Philippe
SOHET - (Revue Antenne)
Dans ce numéro (18 mai 1978) il y a quelque deux cents annonces. Seuls deux hommes
affirment qu'ils ne sont pas riches. Tous les autres sont des "princes" : sociologue, médecin,
avocat, officier de marine, dentiste, architecte, antiquaire... On y ajoute le salaire (princier)
et, souvent, Le signe astrologique ! Quelquefois, le "prince" devient simplement héros : "20
ans, beau romantique." ou encore : "Ingénieur cultivé, sensible et tendre". Plus loin :
"Bernard, analyste financier (très séduisant) recherche femme-fleur". Les Lecteurs du Nouvel
Observateur liraient-ils des romans photos ? Voyons les annonces féminines "yeux verts
merveilleux, enseignante belle, gracieuse a besoin d'être protégée". C'est la Femme-enfant
dont nous avons parlé. Citons encore : "Jeune fille, 29 ans, romantique, superbe, raffinée,
etc." Une seule annonce précise : "pas belle". "Beauté, amour, dynamisme et argent (surtout
chez les hommes) reviennent régulièrement dans une quête d'un bonheur éphémère ou
durable. Nous avons déjà vu cela...".
La littérature sentimentale séduit de nombreux lecteurs, ses thèmes font écho à de puissants
ressorts psychologiques, les rêves d'évasion qu'elle engendre semblent être ceux (avoués ou
non) de tout être humain...
Lire des histoires d'amour.., OUI, mais avec des romanciers qui aident, à s'évader sans obliger
le lecteur à porter un bandeau sur les yeux pour le suivre.
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