À Propos Des Valeurs Modales
À Propos Des Valeurs Modales
À Propos Des Valeurs Modales
Research Article *
À PROPOS DES VALEURS MODALES DU CONDITIONNEL EN FRANÇAIS
Nguyen Thuc Thanh Tin
Université d’Éducation de HoChiMinh-ville, Vietnam
Contact: Nguyen Thuc Thanh Tin – Email: nguyenthuc.thanhtin@hcmue.edu.vn
Reçu le: 07/4/2020; Évalué le: 11/5/2020; Accepté le: 23/7/2020
RÉSUMÉ
À côté de sa valeur temporelle (futur dans le passé), le conditionnel exprime aussi des
valeurs modales. Il s’agit aussi un mode riche en interprétations et qui suscite beaucoup de
discussions quant à sa classification. L’auteur de l’article s’appuie d’abord sur les emplois
prescrits par les linguistes (Guillaume, Martinet, Haillet…) et les grammairiens (Grevisse,
Delatour…) pour en dégager les apports sémantiques communs du conditionnel au sens du verbe
sur le plan modal. Comme résultat, il émet son point de vue sur le conditionnel et en propose trois
principales valeurs modales: l’atténuation - qui est conditionnée par l’usage de quelques verbes
dits modaux, l’imaginativité - qui projette le fait dans la sphère de l’hypothèse et l’éventualité - qui
exprime l’incertitude du locuteur quant à son énoncé. Le résultat de la recherche contribue à la
maîtrise du conditionnel, cruciale pour une meilleure expression du français et pour des fins de
recherches ultérieures en linguistique
Mots-clés: mode; temps; valeur modale; réalité
Cite this article as: Nguyen Thuc Thanh Tin (2020). About modal values of conditional mood in French. Ho
Chi Minh City University of Education Journal of Science, 17(7), 1318-1326.
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Dans ce modeste article, notre tentative sera d’examiner les emplois du conditionnel
(en passant par les auteurs tels que Wagner et Pinchon, Riégel et Haillet) et d’en dégager
les valeurs qui leur sont communes.
Mais tout d’abord…
1. Valeurs d’un mode verbal : problème de définition
Selon la tradition grammaticale, le conditionnel est un mode à part entière, au même
titre que l’indicatif, le subjonctif ou l’impératif. Cependant, bon nombre de linguistes le
rangent parmi les temps de l’indicatif, étant donné notamment sa valeur temporelle de futur
dans le passé. Mais cela n’empêche que le conditionnel dispose également des valeurs
modales indéniables. Alors, temps ou mode ? Par ailleurs, sur le plan théorique, comment
dégager la valeur “pure” d’un mode sans tenir compte des éléments qui y sont affectés?
À titre d’exemple, on nous dit que le subjonctif serait l’expression d’un souhait ou
d’une directive. Ceci est vrai quand le verbe au subjonctif apparaît dans une phrase simple
qui commence par que exprimant un ordre à la 3e personne:
Que Lan vienne me voir tout de suite!
Cependant, cette valeur de souhait ou de directive ne viendrait-elle pas du mode en
question mais du verbe vouloir dans la phrase suivante :
Je veux que Lan vienne me voir tout de suite!
De la même manière, le conditionnel est souvent considéré comme le mode de
l’hypothèse, notamment dans cette phrase hypothétique:
Si j’étais riche, j’achèterais une nouvelle maison.
Dans ce dernier exemple, le conditionnel ne se trouve pas dans la proposition
subordonnée (censée exprimer l’hypothèse) - si j’étais riche - mais dans la proposition
principale - j’achèterais une nouvelle maison - qui dénote de fait le résultat de l’hypothèse.
Par ailleurs, la valeur d’hypothèse proviendrait-elle du mode lui-même ou bien de la
conjonction si ?
Tout cela démontre une réelle difficulté dans la définition des valeurs d’un mode
verbal.
2. Le conditionnel : un temps ou un mode ?
Guillaume – pionnier dans les problèmes de temporalité – ne reconnaît que deux
modes: indicatif et subjonctif. Le premier se justifie par une visée complète à travers
laquelle le verbe se représente dans le temps in esse alors que le second exprime la visée, si
incomplète soit-elle, qui parvient au temps in fieri. Le conditionnel est complètement
absent dans cette conception des modes. Wagner et Pinchon n’évoquent, quant à eux, que
trois modes personnels, à savoir indicatif, subjonctif et impératif. Les linguistes supposent
que le conditionnel est proche du futur et qu’il convient de le considérer dans l’indicatif
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(Wagner et Pinchon, 1991). Tandis que Martinet dans sa Syntaxe générale 1, n’en reconnaît
que quatre - impératif, subjonctif, infinitif et participe; l’absence de l’indicatif étant
expliquée par le fait que celui-ci n’a ni marque formelle, ni valeur distincte de celle du
verbe nu, ce qui ne lui permet pas d’être considéré comme une unité linguistique
particulière. Riégel et al., de leur côté, rangent le conditionnel dans l’indicatif. Ils
considéreraient le conditionnel comme un mode si l’on pouvait en faire de même pour le
futur, qui lui est parallèle : le futur serait alors le mode du probable, de l’éventuel, par
opposition au conditionnel, mode de l’hypothèse ou de l’irréel (Riégel et al., 1994, p.512).
En matière de valeurs, les auteurs admettent qu’il véhicule à la fois le temporel (d’un fait
postérieur à un autre au passé) et le modal (demande atténué, opinion illusoire, éventualité,
imaginaire).
Le conditionnel: un mode ou un temps ? La question sème la pagaille aux
enseignants quand il s’agit de livrer une réponse convaincante aux apprenants. Le fait de
classer le conditionnel en mode ou en temps n’est point une mince affaire car de vastes
débats ont divisé aussi les linguistes. Plusieurs arguments vont dans le sens ou à l’encontre
de l’un ou de l’autre camp. Malgré les points de vue qui réfutent le statut modal du
conditionnel, les linguistes ne sauraient faire abstraction de ses valeurs modales telles que
l’éventualité, l’atténuation, à côté de sa valeur de futur dans le passé.
3. Les emplois du conditionnel
Dans Le bon usage, Grevisse (2000), qui considère le conditionnel comme un temps,
remarque d’abord sa valeur temporelle. Le conditionnel énonce un événement futur vu à
partir d’un moment du passé. C’est le cas du discours indirect, et même du discours
indirect libre. Quant aux emplois modaux, le conditionnel exprime aussi les valeurs
modales différentes dans les cas particuliers, comme le fait d’atténuer une volonté ou un
désir avec les verbes modaux:
Pourriez-vous me prêter un crayon, s'il vous plaît?
Par ailleurs, le conditionnel passé employé avec les verbes modaux tels que devoir,
falloir, pouvoir ou vouloir désigne la non réalisation du procès qu’exprime le verbe à
l’infinitif. Ce sont des événements qui auraient dû ou pu se produire:
J'avais vécu à cette ville, c'est donc là que j'aurais pu retrouver ma femme.
Le conditionnel passé marque donc l’irréel du passé. Il s’agit d’une situation
imaginée, située dans le passé par rapport au moment d’énonciation du locuteur. De plus,
cette expression de l’imaginaire est manifestée par une subordonnée introduite par si ou
par d’autres manières.
Si tu étais déjà allé à Paris, tu aurais compris ce que je voulais dire.
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éd. 1985.
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auteur de l’énoncé. L’énoncé de ce genre n’admet pas les paraphrases comme paraît-
il, dit-on, etc.
J’aurais besoin de votre aide.
Il serait préférable que vous vous déplaciez chez nous.
4. Les valeurs du conditionnel à partir de ses emplois
En ce qui nous concerne, le conditionnel est à la fois un mode verbal et un temps
verbal. En effet, à côté de sa valeur de futur dans le passé, le conditionnel véhicule
indéniablement des valeurs modales.
Après avoir confronté les points de vue des auteurs, nous constatons les points
communs entre les emplois du conditionnel. Il y a par exemple le caractère éventuel
lorsqu’un sujet donne une information non confirmée ou lorsqu’il exprime des nuances de
probabilité dans son propos:
Avec sagesse, le nouveau président mettrait fin à la guerre civile. (Information non
confirmée)
Le peuple cherche un homme qui mettrait fin à la guerre civile. (Nuance de
probabilité)
Nous remarquons aussi le côté irréel dans les propos hypothétiques et dans les faits
imaginaires:
Si j’étais un animal, je serais un joli mouton. (Hypothèse)
Jouons au jeu de la ferme: je serais un joli mouton et toi un gentil lapin. (Fait
imaginaire)
Ou encore, l’atténuation dans les conseils, les regrets et les souhaits:
J’aimerais être un artiste. (Souhait)
J’aurais voulu aller à Londres. (Regret)
Tu devrais aller à Londres. (Conseil)
Bref, à notre avis, certains emplois du conditionnel partagent les mêmes valeurs
modales qui sont l’atténuation, l’imaginativité et l’éventualité. À partir de ces trois valeurs,
les différents emplois tels que regret, conseil, souhait, etc. ne sont que des effets de sens.
4.1. L’atténuation
Le conditionnel sert à atténuer les propos. Ceci correspond au conditionnel d’altérité
énonciative selon la théorie de Haillet. À noter que, pour donner lieu à cette valeur, le
conditionnel s’associe souvent à un certain nombre de verbes modaux particuliers. Il a pour
l’effet d’atténuer la subjectivité de l’énonciateur qui veut se montrer moins direct dans ses
propos
4.1.1. Avec les verbes du type “souhait”: aimer, souhaiter, vouloir, désirer, préférer, etc.
L’emploi du conditionnel présent atténue la subjectivité du souhait exprimé par ces
verbes:
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distance par rapport à son propos, comme s’il ne voulait pas en être responsable. Par
conséquent, l’information est émise avec réserve.
Nous soulignons le contraste dans l’effet produit entre l’indicatif et le conditionnel.
Si le premier énonce les faits d’une manière “neutre” (modalité zéro), le second marque
une nuance de probabilité quant à l’événement:
Mon frère fait toujours tout ce que je lui demande.
Mon frère ferait ce que je lui demande.
L’éventualité réside aussi dans la subordonnée relative dont l’idée est contrainte par
le fait dans la principale:
Ma mère connaît un professeur qui saurait parler espagnol.
L’événement mis en doute peut être situé au futur, au présent aussi bien qu’au passé:
D’après les témoins, le meurtrier serait un jeune homme chinois.
Selon les historiens, la statue antique aurait été réalisée dans les années 400-500.
5. En guise de conclusion
Rappelons notre point de vue sur le conditionnel. Il s’agit d’un temps et un mode en
fonction de son usage dans l’énoncé. Quand le mode conditionnel est utilisé, sa propriété
temporelle s’estompe. En revanche, lorsque le conditionnel exprime le futur dans le passé,
sa valeur modale est neutre.
Dans l’usage du français, la maîtrise des valeurs du conditionnel est
indispensable car elle permet de rendre compte des nuances et des effets de sens divers. Par
ailleurs, dans une perspective contrastive, on peut se demander comment ses valeurs
modales sont rendues dans d’autres langues, en vietnamien par exemple. Une fois
déterminées, ces valeurs devraient faciliter des recherches dans ce sens.
Déclaration sur les droits: Les auteurs attestent qu’il n’y a pas de conflit sur les droits.
BIBLIOGRAPHIE
Delatour, Y., et al. (2004). Nouvelle Grammaire du français. Cours de Civilisation française de la
Sorbonne. Paris: Hachette.
Guillaume G. (1965). Temps et verbe. Théorie des aspects, des modes et des temps &
L'architectonique du temps dans les langues classiques. Paris: Honoré Champion.
Grevisse, M. (2000). Le bon usage. 13e éd. Paris: Duculot.
Haillet, P. P. (2002). Le conditionnel en français: une approche polyphonique, coll. L’essentiel.
Paris: Ophrys.
Martinet A. (dir.) (1985). Syntaxe générale. Paris: Armand Colin.
Riégel, M., et al. (1994). Grammaire méthodique du français. Paris: Presses universitaires de France.
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Wagner, R. L., et Pinchon, J. (1969). éd. 1991. Grammaire du français classique et moderne. coll.
HU Langue française. France: Hachette.
ABSTRACT
Besides the time value (future in the past), the conditional also expresses many modal
values. It is rich in interpretation and raises a lot of discussions about its classification. First, the
author of the article relied on the functions prescribed by the linguists (Guillaume, Martinet, and
Haillet, just to name a few) and the grammarians (such as Grevisse and Delatour), to identify the
common semantic contributions of the conditional to the meaning of the verb on the modal level.
As a result, he expresses his own perspective on the modal values of the conditional and suggests
three main modal values: attenuation – which is conditioned by the use of a few so-called modal
verbs, imagination – which projects the fact into the sphere of hypothesis, and eventuality – which
expresses the speaker's uncertainty about his statement. The result of the research contributes to
the mastery of the conditional, crucial for the better expression of French and for future research
in language.
Keywords: mood; tense; modal value; actuality
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