Dossier Pour La Science N°12 - 1996-07..09 - L'atmosphère
Dossier Pour La Science N°12 - 1996-07..09 - L'atmosphère
Dossier Pour La Science N°12 - 1996-07..09 - L'atmosphère
L’ATMOSPHÈRE
L’HISTOIRE
DE L’ATMOSPHÈRE
La genèse
Les cycles
Les glaciations
Les climats
LES PHÉNOMÈNES
MÉTÉOROLOGIQUES
Les nuages
Les tempêtes
Les orages
Les aurores polaires
L’HISTOIRE DE L’ATMOSPHÈRE
La formation de la Terre, C. Allègre et S. Schneider 8
Genèse et évolution de l’atmosphère, T. Staudacher et P. Sarda 16
Les cycles de l’atmosphère, Andrew Ingersoll 24
L’origine des glaciations, Wallace Broecker 28
El Niño, l’enfant naturel du vent et de la mer, Y. Ménard et T. Delcroix 36
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troposphère, interviennent dans les pro- tique n’est pas linéaire. De manière sur- méthane, des oxydes d’azote, des
cessus chimiques de la basse strato- prenante, la suppression des chlorofluo- hydrocarbures, et modifie ainsi la com-
sphère. La diminution, vers 20 kilomètres rocarbures a été décidée au moment où position chimique de l’atmosphère.
d’altitude, de la couche d’ozone modifie l’incertitude concernant leur effet sur la Aucun problème n’est indépendant
le comportement dynamique de la couche d’ozone était la plus forte. Elle a des autres. Quand un constructeur
région comprise entre 5 et 25 kilomètres cependant été trop tardive, ou inadaptée, d’avion demande si la prochaine généra-
d’altitude. De même, on comprend que car le délai de prise de décisions n’est tion de moteurs devra émettre moins
les modifications de la circulation atmo- pas infini. En 1976, les États-Unis ont d’oxydes d’azote pour éviter la formation
sphérique dans la basse stratosphère ont décidé de supprimer les chlorofluorocar- d’ozone dans la troposphère, la réponse
une action directe sur la genèse des bures des bombes aérosols : cette utilisa- est délicate : de tels moteurs émettraient
fortes dépressions aux latitudes tion représentait 30 à 40 pour cent des plus de vapeur d’eau et de particules
moyennes. Pour reprendre l’image du émissions. Les industriels ont alors vendu imbrûlées. Ils poseraient d’autres pro-
papillon de Lorenz, il suffirait d’une petite leurs chlorofluorocarbures aux pays qui blèmes d’environnement, comme la for-
perturbation dans l’écoulement du jet les autorisaient, et ils ont cherché de mation de nuages qui influeraient sur
polaire (vent fort soufflant à la base de la nouveaux débouchés. Résultat : les émis- l’effet de serre ou comme des réactions
stratosphère) et d’une intrusion d’air sions ont continué. Cette mesure était chimiques qui menaceraient l’équilibre
plus sec dans la troposphère pour inefficace, car on aurait dû réduire de de l’ozone dans la stratosphère.
déclencher une dépression. moitié la production totale. Cinq ans plus Les carburants verts sont-ils une
Ainsi l’étude de l’environnement tard, dans la mesure où la diminution de réelle solution? Non, puisqu’ils produi-
intègre de multiples échelles spatiales l’ozone perdurait, on aurait réduit de sent également des éléments chi-
et temporelles : du millimètre et de la nouveau de moitié la production. Si ces miques, dont on ne connaît pas encore
microseconde, pour les processus tur- mesures avaient été prises, on pourrait, les effets sur l’atmosphère. De surcroît,
bulents, les réactions chimiques, les aujourd’hui encore, produire environ leur culture nécessite l’utilisation de
processus microphysiques de formation 200 000 tonnes de chlorofluorocarbures nitrates dans les sols : on échange une
des nuages, jusqu’à l’échelle du Globe par an, quantité que la stratosphère est pollution de l’air dans les villes par une
et de l’année, du siècle, du millénaire. capable de digérer (en 1976, elle était de pollution des sols dans les campagnes.
Elle intègre aussi diverses disciplines : le 800 000 tonnes par an, et la production Je ne suis pas non plus un tenant
météorologue applique des résultats de maximale a atteint un million). Bien sûr, de ce que les Américains nomment
la mécanique des fluides, de la thermo- on n’aurait pas vu de trou d’ozone, et on l’ingénierie du climat, qui consisterait à
dynamique, de l’électrostatique ; quand aurait ignoré ce qu’on aurait évité : c’est modifier les sources pour contrebalan-
on étudie le bilan énergétique de la le principe de précaution. En revanche, cer les effets : quand on connaît mal les
planète, on fait appel à la thermodyna- comme ces mesures ont été prises dix interactions, c’est jouer à l’apprenti-
mique, à l’optique, à la physique ans trop tard, le système est déstabilisé sorcier! Enfin, l’attitude qui consiste à
nucléaire ; la compréhension des équi- pour 100 ans au moins. rejeter la responsabilité aux pays du
libres chimiques implique le recense- Grâce, notamment, à l’inertie des tiers-monde de forte démographie
ment des processus de transport et des océans, le réchauffement par l’effet de reste inacceptable. D’une part, l’essen-
échanges avec la biosphère. serre additionnel est plus lent que la tiel de la perturbation actuelle est due
diminution de la couche d’ozone ; aussi aux pays industrialisés du Nord. D’autre
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L’ HISTOIRE DE L ’ ATMOSPHÈRE
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mique, mais de poids atomiques diffé- d’années. La Terre, si elle a bien com- Unis, les gneiss d’Acasta ont été datés à
rents ; un isotope se transforme en un mencé à se former à cette époque, a, en 3,96 milliards d’années.
autre isotope en un temps caractéris- revanche, continué à grossir pendant Enfin la datation systématique d’un
tique appelé période de désintégration. environ 120 ou 150 millions d’années. minéral presque indestructible, le zir-
En mesurant les concentrations de ces C’est à la fin de cette époque, donc con, a permis d’identifier des terrains
différents isotopes, on détermine l’âge entre 4,4 et 4,45 milliards d’années, que encore plus anciens. Le zircon se trouve
des roches qui les contiennent. la Terre a atteint sa taille actuelle, a habituellement dans les roches continen-
Parmi les nombreuses horloges géo- formé son atmosphère et a isolé son tales : il n’est pas dissous lors des
logiques, celles utilisant les désintégra- noyau interne. attaques de la roche par l’érosion, mais il
tions de l’uranium 235 en plomb 206, et Les continents apparurent plus tard. est transporté et déposé sous forme de
de l’uranium 235 en plomb 207, sont les Seule partie de la croûte terrestre qui ne particules dans les sédiments. Quelques
plus faciles d’emploi, car elles permet- soit pas détruite au cours du cycle géo- cristaux de zircon, qui ont ainsi survécu
tent de calculer l’âge des échantillons dynamique résultant des mouvements pendant des milliards d’années, consti-
en analysant seulement la concentration de convection dans le manteau, les tuent les témoins de la croûte continentale
en produits fils – dans ce cas, le plomb – continents gardent, enregistrée dans cer- la plus ancienne. L’étude des anciens zir-
issus du parent radioactif, l’uranium. taines roches, la mémoire de l’enfance cons commença à l’Institut de physique
de la Terre. Cette mémoire n’est cepen- du Globe de Paris, par les travaux
L’horloge terrestre dant pas complète : l’activité géolo- d’Annie Vitrac et de Joël Lancelot, de
gique et, en particulier, les effets de la S. Moorbath, d’Oxford, et de nous-
En 1953, Clair Patterson a déter- tectonique des plaques, l’érosion et le mêmes. Pourtant ce sont des chercheurs
miné l’âge de la Terre. Il a montré, à métamorphisme (la transformation des australiens, dirigés par William
l’aide de l’analyse des isotopes du roches par fusion) ont détruit presque Compston, qui touchèrent le gros lot : ils
plomb (produits des désintégrations toutes les roches les plus anciennes. découvrirent des zircons d’âge compris
radioactives de l’uranium 238 et 235), Très peu d’échantillons ont été épargnés entre 4,1 et 4,2 milliards d’années, dans
que la Terre et les météorites avaient le par cette mécanique destructrice impla- l’Ouest de l’Australie.
même âge : 4,55 milliards d’années. Ce cable, mais certains vestiges ont sub- Pour résumer, les plus vieux
résultat, sans doute l’un des plus impor- sisté, et la géochimie isotopique a per- ensembles rocheux de dimensions rai-
tants de la science géochimique, a été mis de les identifier et d’en extraire une sonnables (quelques kilomètres carrés)
précisé et nuancé par des travaux grande quantité d’informations. Ainsi ont 3,8 à 3,9 milliards d’années, mais
récents faits à l’Institut de physique du on a découvert au Groenland un terrain on est certain que des surfaces continen-
Globe de Paris. L’âge des météorites vieux de 3,7 à 3,8 milliards d’années et, tales de tailles respectables existaient
semble bien être de 4,56 milliards plus récemment, dans l’Ouest des États- déjà il y a 4,1 ou peut-être même 4,2
milliards d’années, soit seulement 200
millions d’années après la fin de
2. LES TEMPÉRATURES DU GLOBE SONT CONNUES après les 400 premiers millions
d’années grâce aux fossiles. Le climat et la vie se sont modifiés mutuellement. Une soupe l’accrétion terrestre.
primordiale s’est d’abord formée, puis les organismes primitifs, comme les méduses et les Les plus vieux restes identifiables
algues, sont apparus ; les poissons à épine dorsale ont été suivis par l’icthyodron, peut-être d’êtres vivants, les plus anciens fossiles,
la première créature à sortir de l’océan. Le reste de l’histoire est connu : les dinosaures datent de 3,5 milliards d’années. Ils ont
sont apparus, puis ont été remplacés. été mis au jour aussi bien en Australie
AUJOURD'HUI
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qu’en Afrique du Sud. À l’aide de la sont chimiquement neutres : ils ne réagis- multiplie par 10 000, voire par 100 000,
mesure des compositions isotopiques du sent pas avec les autres éléments. Deux les concentrations des roches en gaz du
carbone, Manfred Schidlowski affirme d’entre eux sont particulièrement impor- manteau. La récolte de ces roches par
que la formation Isua, au Groenland, tants pour les études atmosphériques : dragage du fond de l’océan, puis leur
contient le témoignage de matrice l’argon et le xénon. L’argon a trois iso- analyse sous vide dans un spectromètre
vivante ancienne. À partir de là, on peut topes dont un, l’argon 40, est créé par la de masse très sensible, permet aux géo-
spéculer un peu. décomposition radioactive du potassium chimistes de déterminer les rapports iso-
Certes, avec la destruction de la plu- 40. Il y a neuf isotopes du xénon, dont topiques du manteau. L’interprétation de
part des enregistrements fossiles, il nous l’un, le xénon 129, a deux origines : une ces résultats montre que 80 à 85 pour
est difficile de dire quand la vie est appa- partie du xénon 129 a été fabriquée par la cent de l’atmosphère a été dégazée pen-
rue, mais si la vie existait à l’époque nucléosynthèse antérieure à la formation dant le premier million d’années ; le reste
d’Isua, pourquoi n’aurait-elle pas existé de la Terre et du Système solaire, et a été lentement libéré pendant les 4,4
aux époques antérieures dont les zircons l’autre partie de ce xénon est le produit de milliards d’années restants.
constituent les seuls témoignages, il y 4,1 la désintégration de l’iode 129, une Dans l’atmosphère primitive, le
ou 4,2 milliards d’années? La vie serait espèce isotopique présente lors de la nais- dioxyde de carbone et l’azote prédomi-
apparue dès que les circonstances sance de la Terre, mais qui s’est très vite naient ; il y avait des traces de méthane,
l’auraient permis. désintégrée et n’existe plus aujourd’hui. d’ammoniac, de dioxyde de soufre, de
Connaissant la différence de désin- chlorure d’hydrogène, mais pas d’oxy-
La composition primitive tégration entre le potassium 40 et l’iode gène ; seule l’abondance de l’eau distin-
129, et en utilisant le fait que les gaz guait la Terre de l’atmosphère de Vénus
de l’atmosphère rares lourds (argon, xénon) s’accumu- ou de Mars. L’évolution détaillée de
C’est l’évolution de la composition lent dans l’atmosphère, on peut montrer l’atmosphère terrestre reste l’objet de
chimique de l’atmosphère qui a permis à théoriquement que la connaissance de la controverse à cause, notamment, de
la vie de sortir des océans et de se déve- composition isotopique de l’argon et du notre mauvaise connaissance de l’inten-
lopper sur les continents. L’atmosphère xénon à la fois dans l’atmosphère et sité du rayonnement solaire à cette
terrestre résulte du dégazage de l’inté- dans le manteau peut résoudre la ques- époque. Quelques faits pourtant sont
rieur de la planète ; ce processus se tion de l’âge de l’atmosphère. clairement établis : il est certain que la
poursuit aujourd’hui quand un volcan Fort bien. Mais il y a un hic : com- présence de gaz carbonique a joué un
éjecte des gaz. Les scientifiques s’inter- ment trouver des roches où ces concen- rôle primordial, et il est probable que
rogent : ce dégazage s’est-il produit trations isotopiques soient mesurables? l’atmosphère primitive contenait assez
brusquement il y a environ 4,4 milliards Heureusement, au voisinage des dorsales d’ammoniac et de méthane pour engen-
d’années, quand le noyau s’est différen- médio-océaniques, les laves volcaniques drer la matière organique.
cié, ou a-t-il été progressif? amènent en surface des témoins du man- Le problème de l’intensité du rayon-
Pour répondre à cette question, nous teau. Les infimes quantités de gaz pié- nement solaire reste entier. Selon cer-
avons, à l’Institut de physique du Globe gées dans les roches du manteau sont taines hypothèses, pendant l’Archéen
de Paris, étudié les isotopes des gaz rares entraînées avec le magma et se concen- (– 4,5 à – 2,5 milliards d’années), l’inten-
(voir La genèse de l’atmosphère, par T. trent dans de petites vésicules à la limite sité du Soleil n’était que les trois quarts
Staudacher et P. Sarda, dans ce dossier). des flots de lave brusquement trempés de l’intensité actuelle. Cette valeur sou-
Ces gaz – l’hélium, l’argon, le xénon – lors du refroidissement. Ce processus lève la question dite du Soleil faible :
PERMIEN TRIAS JURASSIQUE CRÉTACÉ PALÉOCÈNE ÉOCÈNE OLIGOCÈNE MIOCÈNE PLIOCÈNE PLÉISTOCÈNE HOLOCÈNE
–245 –208 –144 –65 –58 –37 –24 –5 –1,8 –0,01 0
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comment la vie peut-elle avoir survécu élevée à la fin de l’accrétion terrestre, tives du processus non organique sur la
dans un climat relativement froid? En a rapidement décru pour atteindre son teneur en dioxyde de carbone pourraient
1970, Carl Sagan et George Mullen ont niveau actuel. donc contrebalancer l’augmentation de
proposé qu’un super effet de serre, créé l’intensité du rayonnement solaire.
par les grandes quantités de méthane et L’origine du dioxyde Une autre hypothèse a été proposée
d’ammoniac, avait piégé très efficace- par James Lovelock, l’un des pères de
ment le rayonnement infrarouge émis par
de carbone l’hypothèse Gaia : l’élimination biolo-
la Terre. Cette idée a cependant été criti- La compréhension des mécanismes gique du dioxyde de carbone. Selon
quée, car ces gaz sont trop réactifs pour actuels d’évolution du climat passe par la l’hypothèse Gaia, la vie sur la Terre a la
résider longtemps dans l’atmosphère. connaissance du contenu en dioxyde de capacité de réguler la température et la
À la fin des années 1970, carbone de l’atmosphère ancienne. Deux constitution de la surface terrestre, afin
V. Ramanathan, Robert Cess et Tobias écoles s’affrontent sur cette question. La qu’elle soit propice au développement
Owen ont avancé une autre hypo- première propose que les températures et des organismes vivants. J. Lovelock
thèse : la concentration en dioxyde de la teneur en dioxyde de carbone aient été remarque que les micro-organismes
carbone pourrait avoir été suffisante, régulées par la géochimie non organique ; vivant de la photosynthèse, tels les phy-
dans l’atmosphère primitive, pour la seconde pense qu’elles ont évolué en toplanctons, sont productifs dans un
créer un super effet de serre, même en fonction des besoins liés aux développe- environnement riche en dioxyde de car-
l’absence de méthane et d’ammoniac. ments biologiques. bone : ces créatures auraient progressi-
Comment connaître la teneur en James Walker, James Kasting et Paul vement extrait le dioxyde de carbone de
dioxyde de carbone de l’atmosphère Hays sont les tenants du modèle non l’air et des océans pour le convertir en
primitive? Le dioxyde de carbone est organique : ils supposent que la concen- carbonate de calcium. Les sceptiques
fixé dans les roches carbonatées tration en dioxyde de carbone était élevée rétorquent toutefois que la concentra-
comme le calcaire, mais il est difficile au début de l’Archéen et qu’elle n’a pas tion en phytoplancton a peu évolué
de savoir quand il a été piégé. diminué brusquement ; ils avancent que, alors que la vie existait sur la Terre!
Actuellement le carbonate de cal- lors du réchauffement du climat, l’aug- Plus récemment, Tyler Volk et
cium résulte surtout de l’activité biolo- mentation des quantités d’eau évaporées David Schwartzman ont proposé une
gique, mais, pendant l’Archéen, les a accru l’efficacité du cycle hydrologique variante de l’hypothèse Gaia. Ils ont
carbonates ont pu se former par des par une augmentation des précipitations constaté que les bactéries augmentent le
réactions non organiques. En effet, le et du ruissellement. Le dioxyde de car- contenu en dioxyde de carbone des sols
rapide dégazage de la planète a libéré bone atmosphérique dissous dans l’eau par dégradation des molécules organiques
d’énormes quantités d’eau du man- de pluie aurait acidifié les pluies, qui et production d’acides. Les deux activités
teau, créant les océans et le cycle auraient lessivé et érodé les roches ; les accélèrent l’érosion et l’élimination du
hydrologique ; les acides présents dans minéraux silicatés se seraient combinés dioxyde de carbone atmosphérique. Sur
l’atmosphère ont attaqué les roches avec le carbone de l’atmosphère pour pié- ce dernier point, la controverse fait rage :
pour donner des minéraux riches en ger ce carbone sous forme de carbonates certains géochimistes pensent que si,
carbonates. L’importance relative d’un dans des roches sédimentaires. La dimi- après l’Archéen, la vie a pu fixer une par-
tel mécanisme est au cœur du débat : nution du dioxyde de carbone atmosphé- tie du dioxyde de carbone de l’atmo-
Heinrich Holland pense que la teneur rique résultant aurait réduit l’intensité de sphère, les phénomènes géochimiques
en dioxyde de carbone atmosphérique, l’effet de serre. Les conséquences néga- non organiques expliquent la majeure
partie de cette élimination ; ces scienti-
fiques considèrent que les mécanismes de
100 stabilisation dus à la vie n’ont guère eu
CONCENTRATION DES GAZ (EN POUR CENT)
3. LES CONCENTRATIONS GAZEUSES montrent que la composition atmosphérique a été for- L’apparition de l’oxygène
tement affectée par la vie sur la Terre. L’atmosphère primitive contenait beaucoup d’eau,
de dioxyde de carbone et, selon l’avis de certains experts, d’ammoniac, de méthane et Pendant un ou deux milliards
d’azote. Après l’apparition des organismes vivants, l’oxygène indispensable à notre survie d’années, les algues océaniques ont
est devenu prépondérant. Aujourd’hui le dioxyde de carbone, le méthane et l’eau n’existent produit de l’oxygène, mais comme de
qu’en quantité infinitésimale dans l’atmosphère. nombreux composés oxydables étaient
12 © POUR LA SCIENCE
présents dans les anciens océans – le L’évolution du climat Nous ne connaissons pas les causes
fer par exemple –, l’oxygène produit de ces changements. Les éruptions volca-
par les créatures vivantes a été Si la teneur en oxygène de l’atmo- niques ont pu jouer un rôle important :
consommé avant de gagner l’atmo- sphère a été remarquablement constante nous avons mesuré les effets des érup-
sphère, où il aurait pu réagir. au cours du dernier milliard d’années, le tions d’El Chichon au Mexique et du
Si la vie avait évolué vers des climat a été plus capricieux : les périodes Pinatubo aux Philippines. Des événe-
formes plus compliquées pendant cette chaudes et froides ont alterné. Comment ments tectoniques comme la surrection
période anaérobie, celles-ci n’auraient pouvons-nous reconstituer l’histoire des de l’Himalaya ont pu perturber le climat
pas eu d’oxygène à leur disposition. De climats? En mesurant la composition iso- de la planète ; les impacts de comètes
plus, le rayonnement ultraviolet non topique des coquilles des planctons fos- peuvent aussi provoquer des variations
filtré les aurait probablement tuées dès siles qui vivaient près du fond de climatiques de courte durée, catastro-
leur sortie de l’océan. De nombreux l’océan : ces compositions mesurent la phiques pour la survie des espèces
chercheurs pensent que l’oxygène température des eaux profondes. D’après vivantes. Si la catastrophe planétaire, qui
atmosphérique n’a commencé à ces enregistrements, les eaux profondes a entraîné la disparition des dinosaures il
s’accumuler qu’il y a environ deux se sont refroidies de près de 15 degrés y a 65 millions d’années reste mal identi-
milliards d’années, après l’oxydation Celsius au cours des derniers 100 mil- fiée, le climat sur la Terre a été suffisam-
des minéraux marins. Alors seulement lions d’années. Le niveau de la mer a ment régulier pour permettre à la vie de
les conditions de création d’une nou- baissé de plusieurs centaines de mètres, et se développer au cours des 3,5 derniers
velle niche écologique pour l’évolu- les continents se sont éloignés. Les mers milliards d’années.
tion de la vie furent réunies. intérieures ont, pour la plupart, disparu, et Les données sur l’histoire du climat
En examinant la stabilité de cer- la température a diminué de 10 à 15 terrestre ont été recueillies dans les
tains oxydes (l’oxyde de fer et l’oxyde degrés. La calotte de glace permanente de carottes de glace prélevées au Groenland
d’uranium), Heinrich Holland a l’Antarctique est apparue il y a environ et dans l’Antarctique. Lorsque la neige
confirmé la faiblesse du contenu en 20 millions d’années. tombe sur ces continents gelés, elle piège
oxygène de l’atmosphère de Il y a deux à trois millions d’années des bulles d’air entre ses flocons ; cette
l’Archéen. Il y a consensus pour apparaissent des périodes cycliques, neige se transforme en glace sous l’effet
admettre que la concentration actuelle chaudes et froides, d’environ 40 000 ans ; de la pression, emprisonnant les gaz. Les
en oxygène (21 pour cent) résulte de la cette durée est intéressante, car elle cor- scientifiques analysent le contenu chi-
photosynthèse. Toutefois on s’inter- respond à la période de variation de mique de la glace et des bulles de gaz
roge : cette concentration en oxygène l’orientation de l’axe de rotation de la dans des carottes de 2 000 mètres de hau-
a-t-elle augmenté brusquement ou gra- Terre. Après avoir longtemps soupçonné teur, et reconstituent les contenus de
duellement? Des études récentes sem- que cette coïncidence n’était pas acciden- l’atmosphère d’il y a 200 000 ans à
blent indiquer que l’augmentation a telle, les chercheurs ont confirmé depuis aujourd’hui (voir L’origine des glacia-
commencé brusquement il y a 2,1 à peu leur intuition : ces perturbations de la tions, par W. Broecker, dans ce dossier).
2,03 milliards d’années, et que la géométrie de l’orbite de la Terre atté- Les forages de glace ont permis de
concentration actuelle était déjà nuent de près de dix pour cent la diffé- déterminer que l’air respiré par les
atteinte il y a 1,5 milliard d’années. rence entre la quantité de lumière solaire anciens Égyptiens était très semblable à
La présence d’oxygène dans reçue en hiver et en été : ces variations celui que nous respirons aujourd’hui – à
l’atmosphère entraîne une autre consé- pourraient être responsables du début ou l’exception des polluants atmosphériques
quence bénéfique pour les organismes de la fin des époques glaciaires. (principalement du dioxyde de carbone
qui essaient de vivre sur les terres Au cours de la période comprise supplémentaire et du méthane) résultant
émergées : il filtre les rayons ultravio- entre – 800 000 et – 600 000 ans, la des activités humaines depuis 100 ou 200
lets. Ceux-ci peuvent briser de nom- duré des cycles climatiques augmenta ans. En deux siècles, l’industrialisation et
breuses molécules comme l’ADN, de 40 000 à 100 000 ans, avec de la déforestation ont augmenté de 25 pour
l’oxygène (et, actuellement, les chlo- grandes fluctuations autour de cette cent la concentration atmosphérique en
rofluorocarbures qui détruisent l’ozone évolution moyenne. Cette observation dioxyde de carbone. Le développement
stratosphérique) ; ainsi les ultraviolets est aussi intéressante qu’énigmatique. de l’agriculture, l’augmentation des sur-
cassent la molécule d’oxygène en sa La dernière grande période glaciaire faces habitées et l’augmentation de la
forme atomique très instable O, qui s’est terminée il y a environ 10 000 production d’énergie ont doublé la teneur
peut se recombiner en O2 ou bien en ans ; aux moments les plus froids, il y a en méthane de l’atmosphère. Le débat
O 3, la molécule d’ozone. L’ozone, à 20 000 ans, des couches de glace de actuel sur l’évolution du climat est clair :
son tour, absorbe le rayonnement plus d’un kilomètre d’épaisseur cou- l’augmentation de la concentration de ces
ultraviolet, et la vie n’apparaît que vraient la plus grande partie de l’Europe gaz entraînera-t-elle un réchauffement
quand la concentration en oxygène est du Nord et de l’Amérique du Nord. Les global de la planète?
suffisante pour que l’ozone absorbant glaciers recouvraient les hauts plateaux Les glaces fossiles ont montré que la
se forme. L’évolution rapide de la vie, et les montagnes du monde. Une grande fluctuation naturelle de la température du
des procaryotes (organismes monocel- partie de l’eau était sous forme de glace, Globe vaut environ un degré par millé-
lulaires sans noyau) aux eucaryotes aussi le niveau des océans était-il naire. Cette variation suffit pour modifier
(organismes monocellulaires avec quelque 100 mètres au-dessous du les biotopes des espèces et contribuer aux
noyau) et aux métazoaires, s’est niveau actuel ; cette glace, qui recou- extinctions de certaines d’entre elles,
accomplie pendant le milliard vrait les terres, modifiait du tout au tout comme les mammouths ou les tigres à
d’années où l’oxygène et l’ozone ont l’écologie de la planète, en moyenne dents de sabre. Toutefois le fait le plus
été présents. cinq degrés plus froide qu’actuellement. marquant raconté par les glaces fossiles
© POUR LA SCIENCE 13
n’est pas la relative stabilité du climat selant des continents aurait fertilisé le notre impact collectif sur l’environne-
pendant les 10 000 dernières années, plancton, et cet apport de nourriture ment est peut-être la preuve d’une
mais le fait qu’au paroxysme du der- aurait favorisé le développement des coévolution dont nous devons tenir
nier âge glaciaire, il y a 20 000 ans, la espèces marines. Comme la coquille de compte pour le futur de notre planète.
teneur de l’atmosphère en dioxyde de carbonate de calcium constitue la La tendance actuelle à l’accroissement
carbone était 30 à 40 pour cent plus majeure partie du poids de ces espèces, de la population, l’exigence de niveaux
faible et celle en méthane, 50 pour leur prolifération contribuerait à extra- de vie supérieurs et, dans ce but, l’utili-
cent moindre qu’à notre époque ire du dioxyde de carbone de l’océan et sation de techniques et d’organisations
l’Holocène. finalement de l’atmosphère. Durant ces fondées sur la croissance, contribuent à
mêmes périodes glaciaires, les forêts accroître la pollution. Tant que le prix
La vie et les changements boréales, qui consomment 10 à 20 pour de la pollution sera faible et que l’atmo-
de climat cent du carbone atmosphérique, ont sphère pourra être utilisée comme un
disparu, et le carbone de ces forêts a été égout gratuit, les concentrations en
Ces résultats suggèrent une relation libéré dans l’atmosphère. dioxyde de carbone, méthane, produits
entre le dioxyde de carbone, le méthane Ainsi l’interaction positive entre le chlorofluorocarbonés, oxydes nitreux,
et les changements climatiques, et cette pompage biologique océanique du car- oxydes de soufre et autres poisons pour-
rétroaction négative est aujourd’hui bone et l’évolution du climat aurait com- ront croître.
bien analysée : lorsque le monde est pensé l’effet négatif de la destruction de la La théorie du piégeage de la chaleur
plus froid, la teneur en gaz à effet de forêt. Cependant de grandes quantités de – codifiée selon des modélisations
serre est plus faible et moins de chaleur carbone peuvent avoir été enfouies dans mathématiques du climat – montre que,
est retenue. Inversement, quand la Terre les sols, et le carbone résultant de la dispa- si le taux de dioxyde de carbone double
se réchauffe, les teneurs en dioxyde de rition de forêts n’a pas été nécessairement d’ici 2050, l’atmosphère se réchauffera
carbone et en méthane augmentent, libéré dans l’atmosphère. de un à cinq degrés. L’hypothèse la
accélérant le réchauffement. Si la vie L’étude de l’évolution de l’atmo- plus favorable de cette fourchette cor-
avait joué un rôle dans cette évolution, sphère, riche en dioxyde de carbone mais respond à un réchauffement de un
elle aurait accéléré plutôt que contre- pauvre en oxygène, de l’Archéen, à celle degré par siècle : ce taux est dix fois
carré les changements climatiques ; de l’explosion de la vie, il y a environ un plus rapide que la fluctuation «natu-
cependant, là encore, notre analyse est milliard d’années, montre que celle-ci a relle» moyenne, de un degré par millé-
incomplète. pu stabiliser le climat. À un autre naire. Dans le cas le plus défavorable,
La plupart des scientifiques pensent moment, pendant les âges glaciaires et le taux de variation de la température
que la vie pourrait être la principale les cycles interglaciaires, la vie semble serait 50 fois plus élevé que dans les
rétroaction positive entre les change- avoir eu la fonction opposée, amplifiant conditions naturelles. Un changement à
ments climatiques et les teneurs en gaz les changements plutôt que s’y opposant. ce rythme obligerait certainement de
à effet de serre. Selon une hypothèse, La vie n’est donc pas un régulateur du nombreuses espèces à essayer de sortir
quand les niveaux des mers étaient plus climat : peut-être le climat et la vie évo- de leurs niches écologiques, tout
bas, une plus grande surface des pla- luent-ils ensemble? comme elles l’ont fait lors de la transi-
teaux continentaux était exposée aux Si nous nous considérons comme tion âge glaciaire/âge interglaciaire, il y
précipitations ; aussi une plus impor- une partie du monde vivant – c’est-à- a 10 000 à 15 000 années. Non seule-
tante quantité d’éléments nutritifs ruis- dire une partie du système naturel –, ment les espèces devraient s’adapter à
des changements climatiques 10 à 50
fois plus rapides, mais leurs routes de
migration seraient plus perturbées qu’à
la fin de l’âge glaciaire et au début de
l’ère interglaciaire. C’est pour cette rai-
son qu’il est fondamental de savoir si le
doublement de la teneur en dioxyde de
carbone se traduira par un ou par cinq
degrés de réchauffement.
Pour évaluer les futurs changements
climatiques et leurs conséquences sur
les systèmes écologiques de notre pla-
nète, nous devons interroger les
archives de roches, de sédiments et de
glace, afin de recueillir le maximum
d’enregistrements géologiques, paléo-
climatiques et paléoécologiques. Ces
données nous servent à calibrer les ins-
truments grossiers que nous utilisons
pour prédire, dans un contexte difficile,
un futur de plus en plus perturbé par
notre présence.
4. SPECTROMÈTRE DE MASSE ultrasensible permettant la mesure de la composition isoto-
pique des traces de gaz rare : hélium, argon ou xénon.
14 © POUR LA SCIENCE
Genèse et évolution
de l’atmosphère
Thomas Staudacher et Philippe Sarda
16 © POUR LA SCIENCE
internes, comme la Terre ou Vénus, se Le message des gaz rares : 4,55 MILLIARDS D'ANNÉES
sont probablement formées de façon rela- le dégazage
tivement homogène, par collision d’une
multitude de corps planétaires, corps ana- Les isotopes des gaz hélium, néon,
logues à certaines des météorites qui argon et xénon permettent d’identifier
tombent encore actuellement sur une hétérogénéité majeure dans le
Terre. Sous l’effet de la chaleur manteau terrestre, qui paraît constitué
qu’elles avaient emmagasinée lors de de deux couches. Le manteau supé-
leur formation et du chauffage dû aux rieur, presque entièrement dégazé,
désintégrations radioactives, ces pla- contient très peu de gaz rares. En
nètes se sont différenciées ; cette dif- revanche, une zone plus profonde, le
férenciation correspond à une redistri- manteau inférieur, recèle encore
bution des éléments chimiques à aujourd’hui une partie de ses gaz ori-
l’intérieur de la planète, et les struc- ginels. Les isotopes du xénon et de
tures réservoirs se sont formées. Le l’argon nous apprennent que le déga-
4,5 MILLIARDS D'ANNÉES
noyau s’est constitué par individuali- zage qui a formé une partie de l’atmo-
sation d’une phase de fer et nickel, qui sphère a été précoce et violent.
s’est rassemblée au centre de la pla- Environ 95 pour cent de l’argon atmo-
nète sous l’effet de la gravitation. De sphérique doit avoir été dégazé très
même, les continents se sont indivi- tôt, dans les quelques premières cen-
dualisés à la surface par agrégation des taines de millions d’années de l’his-
éléments chimiques formant les maté- toire de la Terre. La zone du manteau
riaux les plus légers, apparentés aux terrestre qui a été presque entièrement
granites, qui flottent à la surface du dégazée contient aujourd’hui des gaz
manteau. Les gaz se sont échappés et rares reliques, dont la composition iso-
ont constitué l’atmosphère. topique diffère de celle de l’atmo-
Cet article décrit les conclusions sphère, et ces différences isotopiques
tirées d’un ensemble particulier de tra- sont dues précisément à l’effet du
ceurs isotopiques, les gaz rares : dégazage.
hélium, néon, argon, krypton et xénon. Ce dégazage se poursuit 4,4 MILLIARDS D'ANNÉES
Peu réactifs, les gaz rares ne sont pas aujourd’hui encore. On se souvient des
incorporés à l’environnement qu’ils magnifiques images représentant ces
traversent et sont d’excellents traceurs sources chaudes trouvées par 3 000
pour étudier le transfert de gaz de la mètres de fond sur la dorsale des
Terre vers l’atmosphère. Nous montre- Galapagos, puis du Pacifique Est, en
rons quelles informations ils fournis- 1979. Un traceur isotopique, l’hélium,
sent concernant la genèse de l’atmo- prouve sans ambiguïté que ces
sphère et la constitution interne de la panaches hydrothermaux contiennent
Terre, et par quelles méthodes ces des gaz juvéniles, c’est-à-dire prove-
informations ont été obtenues. nant de la profondeur : l’hélium
La composition isotopique d’élé- contenu dans ces eaux est en effet
ments lourds n’est pas changée par la enrichi en isotope hélium 3, lequel est
fusion ou la cristallisation. Par quasi absent de l’atmosphère. Ces
exemple, l’argon a trois isotopes de panaches hydrothermaux résultent du
masses 36, 38 et 40, et le rapport phénomène magmatique principal qui AUJOURD'HUI
argon 40/argon 36 de l’argon contenu affecte le manteau terrestre, le volca-
dans une lave est aussi celui de la zone nisme des dorsales.
profonde qui a fondu pour donner la La quasi-totalité de l’atmosphère
lave. M. D. Kurz et B. Jenkins, de s’est formée par ce mécanisme, à
l’Institut océanographique de Woods l’exception de l’oxygène, aujourd’hui
Hole, ont montré que, dans les basaltes un gaz majeur de l’atmosphère ter-
des dorsales, il en est de même pour restre qui s’y est accumulé, car c’est
l’hélium. Comme ces roches (prove- un produit de l’activité photosynthé-
nant du manteau en fusion qui monte à tique des végétaux verts.
la surface) sont jeunes, les composi- En fait, les compositions des atmo-
tions isotopiques n’ont pas été modi- sphères des trois planètes internes qui
fiées par les désintégrations radioac- en possèdent une, Vénus, la Terre et
tives depuis leur mise en place : pour Mars, sont très similaires. Cette com-
connaître les compositions isotopiques position est simple : de l’eau, H2O, et
des gaz rares contenus aujourd’hui du gaz carbonique, CO2. Cette simili- 2. F ORMATION DE LA T ERRE à partir
dans le manteau terrestre, on analyse tude paraît contestable en ce qui des petits corps planétaires primitifs
les gaz rares piégés dans les basaltes concerne la Terre, mais elle est exacte (planitésimes) et différenciation des
des dorsales. si l’on tient compte du fait que le car- grands réservoirs.
© POUR LA SCIENCE 17
DÉGAZAGE bone est piégé sous forme de carbo-
CONCENTRATION
nates dans les sédiments calcaires
actuels, et que l’oxygène provient des
X É N O N 129
IO N E N végétaux verts. Cette composition est
EN TRAT
C ONC très différente de celle qu’aurait eue
l’atmosphère si elle avait été un simple
résidu de la nébuleuse primitive qui a
donné naissance aux planètes, comme ce
CONCENTRATION EN XÉNON 130 fut le cas de Jupiter ou de Saturne. Ces
planètes géantes sont des masses de gaz
CONCENTRATION EN IODE 129 dont la composition est très proche de
celle du Soleil : de l’hydrogène essentiel-
ta tb tc TEMPS td lement, avec un peu d’hélium. Leurs
atmosphères sont d’origine primaire.
Les atmosphères des planètes
XÉNON 130 internes, en revanche, sont secondaires :
elles proviennent du dégazage de l’inté-
XÉNON 129
rieur de ces planètes. Les gaz qui les
3. L’IODE 129 SE TRANSFORME PAR RADIOACTIVITÉ EN XÉNON 129. Aussi le rapport iso- constituent ont été retenus par les grains
topique xénon 129/xénon 130 augmente avec le temps (de ta à td). Le dégazage de la Terre solides qui ont formé les planètes, les-
au temps tc est représenté presque instantané ; il affecte aussi bien le xénon 129 que le quelles se sont ensuite dégazées.
xénon 130. Les gaz qui s’échappent à ce moment tc ont un rapport isotopique xénon
129/xénon 130 égal au rapport atmosphérique actuel. Le rapport xénon 129/xénon 130 Le xénon 129 et l’argon 40
dans les roches du manteau supérieur augmente après le dégazage, à cause de la désinté-
gration de l’iode 129 y subsistant. Ce rapport isotopique, au temps actuel td , permet de À l’Institut de physique du Globe
déterminer à quelle époque la Terre s’est dégazée pour constituer l’atmosphère, et montre
de Paris, Thomas Staudacher, avec
que le dégazage s’est produit avant la disparition complète de l’iode 129.
l’appui technique d’André Lecomte, a
mis en œuvre deux spectromètres de
masse à paroi de verre, nommés
25 000 Ar 40 / Ar 36 MANTEAU
ARESIBO I et ARESIBO II, qui permet-
TRÈS DÉGAZÉ
tent de mesurer la composition isoto-
20 000
pique de tous les gaz rares inclus dans
15 000 les roches. Ces mesures sont difficiles,
mais, grâce à ces instruments élaborés,
10 000
nous avons pu montrer, depuis 1982,
5 000 MANTEAU que les compositions des isotopes du
MOINS DÉGAZÉ
xénon (xénon 129, xénon 132, xénon
300 ATMOSPHÈRE
134 et xénon 136) des verres basal-
0 1 2 3 TEMPS (EN MILLIARDS D'ANNÉES) tiques des dorsales océaniques diffè-
4. ÉVOLUTION DU RAPPORT ISOTOPIQUE DE L’ARGON au cours du temps pour chaque grand rent de celles de l’air. L’un de ces
réservoir : atmosphère, manteau très dégazé et manteau moins dégazé. Le rapport argon isotopes, le xénon 129, est particulière-
40/argon 36 a évolué jusqu’à atteindre aujourd’hui 296 dans l’atmosphère et 4 000 dans le ment intéressant. Les plus grandes
manteau moins dégazé, mais ce rapport vaut environ 30 000 dans le manteau dégazé. valeurs du rapport xénon 129/xénon 130
observées dans nos échantillons des
dorsales sont de l’ordre de 7,7, alors que
1 PROPORTIONS DANS L'ATMOSPHÈRE la valeur atmosphérique est de 6,5. Ces
rapports élevés n’ont été détectés dans
0,8 aucune autre roche terrestre et n’exis-
ARGON 36 tent que dans des matériaux extrater-
0,6 restres, par exemple les météorites.
Le xénon 129 est un isotope radio-
0,4
ARGON 40 génique produit par la désintégration
de l’iode 129. La demi-vie de cette
0,2 réaction est de 17 millions d’années,
TEMPS (EN MILLIARDS D'ANNÉES) très courte par rapport à l’âge de la
0 Terre, si bien que l’iode 129 n’existe
0 1 2 3 4
plus aujourd’hui (on dit que cet iso-
5. ÉVOLUTION DES QUANTITÉS d’argon 36 et d’argon 40 dans l’atmosphère au cours du tope est éteint). Nous verrons que le
temps. L’argon 36 était présent à la formation de la Terre et s’est dégazé rapidement. En
revanche, l’argon 40 était absent et a été produit tout au long de l’histoire de la Terre par
rapport isotopique xénon 129/xénon
la désintégration du potassium 40. L’arrivée précoce et brusque d’argon 36 dans l’atmo- 130 élevé dans les basaltes des dor-
sphère est représentée ici : le dégazage d’environ 95 pour cent de l’isotope argon 36 sales, donc dans le manteau, signifie
s’effectue dans les premiers 100 millions d’années, alors que l’isotope argon 40 est que l’essentiel du dégazage s’est
dégazé plus progressivement. effectué avant la disparition complète
18 © POUR LA SCIENCE
de l’iode 129 : en effet, après un pre-
mier dégazage brutal, il restait encore
de l’iode 129 dans le manteau, et donc
du xénon 129 a été produit et s’y est
accumulé depuis ; si le dégazage avait
eu lieu après la disparition de l’iode
129, la composition isotopique du
xénon serait aujourd’hui la même dans
le manteau et dans l’atmosphère. On
considère qu’un isotope radioactif est
éteint lorsque plus de dix demi-vies se
sont écoulées, ici 170 millions
d’années. L’essentiel de l’atmosphère
doit donc s’être formé avant que 170
millions d’années environ ne se soient
écoulées après la formation de la Terre.
La période de l’iode 129 est si
courte que ce système d’isotopes ne
peut enregistrer les événements de
dégazage ayant eu lieu plus tard que
les 170 millions d’années en question.
Pour avoir des informations sur la
suite de l’histoire, on a la chance de
disposer d’un autre gaz rare, l’argon.
Ici il s’agit de la désintégration du
potassium 40, qui donne du calcium 6. ROCHE VOLCANIQUE DE DORSALE RECOUVERTE D’UNE ÉPAISSE COUCHE VITREUSE.
40 par réaction ß–, et de l’argon 40 par
capture électronique. La demi-vie du
potassium 40 est de 1,25 milliard
d’années, c’est-à-dire commensurable L ES DÉSINTÉGRATIONS RADIOACTIVES
avec l’âge de la Terre, si bien qu’en La radioactivité naturelle est le phénomène de désintégration spontanée de cer-
utilisant l’argon, on mesure le déga- tains noyaux atomiques (ou nuclides) dits radioactifs. Elle produit d’autres noyaux dits
zage pendant toute l’histoire de la radiogéniques. Cette désintégration est accompagnée par l’émission de particules ou
Terre. Dans notre laboratoire, nous par l’émission de rayons γ. Elle est indépendante de toutes les influences extérieures
avons mesuré des différences extrême- (pression, température, liaison chimique et dépend uniquement du temps).
ment importantes du rapport argon Trois modes de radioactivité sont importants ici.
40/argon 36. Alors que l’argon atmo- Radioactivité ß– : transformation dans le noyau d’un neutron en proton, avec
sphérique présente un rapport argon émission d’un électron e– et d’un antineutrino ν.
40/argon 36 égal à 296, on trouve fré- Radioactivité par capture d’électron (E.C.) : capture d’un électron périphérique
quemment des valeurs de l’ordre de par le noyau et transformation d’un proton en neutron, avec émission d’un neu-
20 000 dans les verres basaltiques des trino ν et d’un photon γ.
dorsales, atteignant parfois 30 000. Radioactivité α : émission unique ou série d’émissions successives d’une particule
α, en particulier par les noyaux lourds.
Les nuclides radioactifs utilisés ici sont :
Les mesures
129I RADIOACTIVITÉ ß– 129Xe T1/2 = 17,2 MILLIONS D'ANNÉES
On mesure ces différences dans les
rapports isotopiques d’argon et de – )
ITÉ ß (~ 90% 40Ca
xénon en effectuant des chauffages 40K RADIOACTIV T1/2 = 1,25 MILLIARDS D'ANNÉES
progressifs ou des broyages des échan- E.C. (~ 10%) 40Ar
tillons, méthodes qui permettent de 238U RADIOACTIVITÉ α 206Pb + 8α T1/2 = 4,6 MILLIARDS D'ANNÉES
s’affranchir au mieux de la contamina-
tion par les gaz rares contenus dans La demi-vie T1/2 représente le temps au bout duquel 50 pour cent des atomes
l’eau de mer. En effet, les basaltes des d’un élément radioactif se sont désintégrés.
dorsales se mettent en place sous la D’après les demi-vies, l’iode 129 se désintègre beaucoup plus vite que les
mer. Or l’eau de mer, en équilibre autres. La loi de désintégration radioactive s’écrit Xt = X0e–λt, où X0 et Xt représen-
avec l’atmosphère, contient en grande tent la quantité d’un isotope au temps initial (ici la formation de la Terre ou l’indivi-
quantité des gaz rares atmosphériques dualisation d’un réservoir) et au temps t ; λ est la constante de désintégration λ est
dissous qui peuvent masquer les gaz proportionnelle à la demi-vie T1/2. Ainsi on peut estimer que l’isotope iode 129,
rares magmatiques que l’on souhaite avec une demi-vie de 17 millions d’années, est complètement désintégré environ
mesurer. C’est aussi la raison pour 170 millions d’années après la formation de la Terre, tandis qu’il existe
laquelle on n’utilise comme échan- aujourd’hui encore environ huit pour cent du potassium 40 et environ 50 pour
tillon que les verres, c’est-à-dire les cent de l’uranium 238.
parties externes des coulées de lave
© POUR LA SCIENCE 19
qui, au contact direct avec l’eau de cules. Ces vésicules s’ouvrent quand on nombre d’îles et de monts sous-marins ;
mer, ont été trempées. Les parties plus chauffe le verre sous ultravide à une si beaucoup d’entre eux sont issus du
internes se sont refroidies lentement et température d’environ 1 100 à 1 200 manteau superficiel, certaines îles
ont ainsi cristallisé ; elles ont perdu degrés Celsius, et libèrent à ce moment comme Hawaï, l’Islande ou la Réunion,
leurs gaz magmatiques, ont été envahies les gaz rares magmatiques qu’elles résultent des points chauds et, sur la
par l’eau de mer, et les gaz rares dissous contiennent. Une autre méthode efficace base de divers arguments, notamment
dans l’eau se sont mélangés avec les gaz pour obtenir les gaz rares magmatiques pétrologiques, on pense que leurs laves
rares magmatiques. En revanche, les non contaminés consiste à broyer les auraient leur source dans une zone très
parties vitrifiées résistent mieux à échantillons vitreux sous ultravide, afin profonde du manteau.
l’action de l’eau de mer, et elles ont d’ouvrir directement les vésicules. Ces Comme, dans notre modèle, le
bien plus de chances d’avoir retenu deux méthodes éliminent au mieux la réservoir profond est moins dégazé,
intacts les gaz rares d’origine profonde. contamination, et, si l’on veut analyser les quantités d’isotopes produites par
Lorsqu’on analyse les gaz rares du gaz profond, il est indispensable la radioactivité, par exemple l’argon
obtenus en chauffant progressivement, d’employer l’une ou l’autre, car l’ana- 40 et le xénon 129, sont faibles par
on constate souvent que l’argon libéré à lyse de la totalité du gaz contenu dans rapport à la quantité de gaz primordial
basse température est isotopiquement chaque échantillon donne des résultats présente : effectivement, le rapport
proche de l’argon atmosphérique ; il certainement erronés (en tout cas forte- argon 40/argon 36 mesuré dans des
s’agit d’argon de contamination, faible- ment modifiés par la contamination). verres du mont sous-marin Loihi, à
ment lié à la surface de l’échantillon. Hawaï, est d’environ 4 000, donc
C’est lorsqu’on chauffe à température Un ou deux réservoirs? supérieur à celui de l’atmosphère
plus élevée, environ 1 100 ou 1 200 (296), mais bien inférieur à celui du
degrés Celsius, qu’apparaît l’argon où Si une partie superficielle du man- manteau superficiel (30 000). En ce
le rapport argon 40/argon 36 est très teau s’est dégazée pour donner nais- qui concerne l’hélium, on doit tenir
élevé, jusqu’à 30 000. Les autres gaz sance à l’atmosphère, il est logique de compte d’un autre phénomène :
rares ont un comportement analogue. penser qu’une partie plus profonde est l’hélium s’échappe continuellement de
En fait, ces laves basaltiques présen- moins dégazée. Cette question est direc- l’atmosphère vers l’espace interplané-
tent des vésicules. Ces vésicules tement liée à l’un des grands problèmes taire car il est trop léger pour être
contiennent essentiellement du gaz car- actuels concernant la structure de l’inté- retenu dans le champ gravitationnel de
bonique comme gaz majeur, ainsi que la rieur de la Terre : certains modèles du la Terre. L’atmosphère est donc
majeure partie des gaz rares, le verre manteau décrivent deux «couches» pauvre en hélium. Ce fait est ici un
lui-même étant appauvri en gaz rares. convectives concentriques, d’autres font avantage, car la contamination par
C’est parce que les gaz rares ont une appel à un seul réservoir. Les gaz rares l’hélium atmosphérique est impos-
grande affinité pour la phase gazeuse apportent-ils des renseignements? sible. Les points chauds d’Hawaï,
qu’ils s’accumulent dans les vésicules Parmi les produits volcaniques qui d’Islande ou de la Réunion sont carac-
dès que celles-ci se forment dans le arrivent à la surface de la Terre, les térisés par les plus importants enri-
magma chaud, au cours de sa remontée. plus abondants, en volume, sont les chissements en hélium 3 mesurés à la
Ainsi les gaz qui nous parviennent des laves des dorsales : elles proviennent surface de la Terre, dans des échan-
profondeurs du manteau (et qui nous directement, par fusion, du manteau tillons provenant des profondeurs. Le
intéressent) sont enfermés dans les superficiel qui se trouve sous les caractère primordial de cet hélium 3
petites «bouteilles» que sont les vési- océans. Il existe aussi, dans les océans, est indiscutable.
a b c
Ne 20 / Ne 22 Xe 129 / Xe 130 Xe 129 / Xe 130
7,8
7,7
13 7,6
7,4
12
7,2
7,2
11 7,0
6,8 6,7
10
AIR 6,6 AIR AIR
Ne 21 / Ne 22 Xe 136 / Xe 130 Ar 40 / Ar 36
9 6,4 6,2
0,02 0,03 0,04 0,05 0,06 0,07 2,1 2,2 2,3 2,4 2,5 2,6 2,7 0 10 000 20 000
7. LES ANALYSES DE NÉON, ARGON ET XÉNON sur les verres basal- comme l’argon et le xénon (c). Ces corrélations résultent surtout d’un
tiques des dorsales effectuées à l’Institut de physique du Globe de mélange des gaz rares du manteau très dégazé et des gaz rares de
Paris, révèlent des excès isotopiques systématiques par rapport aux l’eau de mer. Le manteau supérieur possède les rapports isotopiques
compositions atmosphériques. Ces excès sont caractéristiques du les plus élevés. Néanmoins, sa signature peut varier selon les sites :
réservoir source de ces laves, le manteau supérieur, très dégazé. De les rapports isotopiques argon 40/argon 36 mesurés sont toujours
même que pour les isotopes d’un seul gaz rare (a et b), il existe aussi inférieurs à 15 000 dans les verres de l’océan Indien, tandis qu’ils
des corrélations entre les rapports isotopiques de gaz rares différents dépassent souvent 25 000 dans les verres de l’Atlantique.
20 © POUR LA SCIENCE
Mélanges 40/argon 36, et le rapport isotopique du l’argon chute brutalement avant que le
strontium, strontium 87/strontium 86. rapport isotopique strontium 87/strontium
Les rapports isotopiques mesurés Ces corrélations ne sont pas nécessaire- 86 ne subisse de changement important.
dans ces basaltes vitrifiés diffèrent de ment des droites, la théorie prédit des Ainsi la courbure de la ligne de mélange
place en place, même si l’on effectue les hyperboles : leur courbure renseigne sur obtenue est une conséquence directe de
analyses en chauffage progressif ou par les concentrations des deux éléments chi- l’importance du dégazage.
broyage et qu’on ne garde que les résul- miques dans les deux matériaux qui se Cependant, comme on le voit, les
tats isotopiques maximaux. Nous mélangent. En effet, si l’on mélange deux points expérimentaux sont assez disper-
savons aujourd’hui que ces variations matériaux dont les concentrations en sés : cela pourrait résulter du fait que trois
sont principalement dues à la contami- argon sont très différentes, mais les matériaux, au moins, se mélangent dans
nation des échantillons par des gaz rares concentrations en strontium semblables, le manteau (outre la contamination). Au
atmosphériques apportés par l’eau de la composition isotopique du mélange vu des corrélations évoquées, il est clair
mer, soit dans la chambre magmatique, varie beaucoup plus vite dans le cas de que l’un de ces trois pôles correspond
soit pendant l’éruption. Tout le soin que l’argon que dans le cas du strontium. certainement à la zone dégazée du man-
nous employons en laboratoire ne suffit Dans le cas présent (voir la figure 8), le teau, caractérisée par un rapport isoto-
pas pour éliminer la contamination ; manteau supérieur est très pauvre en pique d’argon élevé et un rapport isoto-
nous ne pouvons que la minimiser. La argon (parce que dégazé), argon dont le pique de strontium bas. L’un des deux
comparaison des concentrations de gaz rapport isotopique argon 40/argon 36 est autres pôles correspond probablement à
rares dans les différents milieux montre très élevé. Si un mélange se produit avec la partie profonde, moins dégazée ; quant
la difficulté de l’entreprise : l’eau de du matériel moins dégazé provenant des au troisième, il s’agit certainement d’une
mer contient environ 1,3 x 10–6 centi- profondeurs, le rapport isotopique de zone du manteau supérieur où seraient
mètres cubes d’argon 36 par gramme et
4,5 x 10–10 centimètres cubes de xénon
130 par gramme ; dans le manteau
supérieur, ces gaz rares sont 2 000 à MANTEAU TRÈS DÉGAZÉ OCÉAN INDIEN
4 000 fois moins abondants, avec 30 000
3 x 10 –10 centimètres cubes d’argon ATLANTIQUE-PACIFIQUE
Ar 40 / Ar 36
© POUR LA SCIENCE 21
stockés la croûte océanique et les sédi- Les compositions isotopiques des gaz tion en imposant comme condition que
ments injectés dans le manteau par sub- rares qui caractérisent le manteau supé- les rapports isotopiques calculés pour
duction (recyclage). Ces deux derniers rieur permettent de conclure que celui-ci le manteau dégazé soient égaux à ceux
types de matériels devraient avoir des est très dégazé. Par exemple, en ce qui que nous avons mesurés dans les
rapports isotopiques d’argon et de stron- concerne l’argon, le rapport isotopique échantillons naturels.
tium semblables, mais des concentrations maximum du réservoir dégazé est Le résultat est qu’il faut au mini-
différentes. En effet, la croûte océanique d’environ 30 000. Le rapport isotopique mum deux phases successives dans
et les sédiments sont riches en argon iso- du réservoir moins dégazé est d’environ cette histoire : une première phase
topiquement atmosphérique (argon 4000. Comme l’argon ne s’échappe pas rapide où le dégazage est très important
40/argon 36 égal à 296) et en strontium de l’atmosphère, on peut en faire un et la vitesse de dégazage décroît très
marin (strontium 87/strontium 86 élevé). bilan pour les trois réservoirs, et calculer vite ; puis une phase de dégazage lent
On obtient alors plusieurs hyperboles de ce que serait le rapport argon 40/argon qui se poursuit jusqu’à nos jours. La
mélange qu’il est difficile de distinguer 36 d’une Terre non dégazée depuis sa première phase dure environ 100 mil-
dans ce diagramme argon-strontium. formation : on trouve environ 400 pour lions d’années. Lors de la deuxième
Une autre corrélation existe entre ce système clos théorique. La concentra- phase, l’intensité du dégazage diminue
les rapports isotopiques de l’argon tion en argon 36 dans le manteau dégazé considérablement, mais elle ne doit pas
(argon 40/argon 36) et du plomb (plomb est plus faible que dans le système clos être nulle aujourd’hui. Le dégazage de
206/plomb 204) mesurés chacun sur des d’un facteur de l’ordre de 100 l’isotope argon 36, présent dès le début,
échantillons de l’océan atlantique (voir le (30 000/400). Cette valeur est minimale, s’effectue quasi totalement lors de la
bas de la figure 8). Ici la corrélation puisque, en réalité l’isotope argon 40 lui première phase, précoce et rapide. En
paraît de meilleure qualité. De plus, sur aussi a été dégazé. À cause de ce déga- revanche, l’isotope argon 40 est absent
ce diagramme, on distingue clairement zage, le contenu en argon 36 du réservoir lors de la formation de la Terre, et il est
deux pôles de mélanges, l’un caractérisé dégazé est donc devenu extrêmement produit au cours du temps par la radio-
par un rapport plomb 206/plomb 204 de faible par rapport à son contenu en potas- activité du potassium 40. Son dégazage
19,4 et un rapport argon 40/argon 36 sium 40. Ensuite, du fait de la production s’effectue donc, pour l’essentiel, non
faible, et l’autre par un rapport plomb radioactive incessante de l’argon 40, cela pas en même temps que celui de l’argon
206/plomb 204 de l’ordre de 18 et un rap- s’est traduit par des rapports isotopiques 36, mais plus tard, lorsqu’il a été suffi-
port argon 40/argon 36 élevé. Le pôle à argon 40/argon 36 bien supérieurs dans samment produit. L’action combinée de
plomb 206/plomb 204 élevé est certaine- le réservoir dégazé que dans le réservoir la radioactivité et du dégazage amène
ment le pôle recyclé, car les sédiments moins dégazé. Ainsi, au cours de l’his- ainsi à séparer le dégazage des deux iso-
subductés sont riches en uranium, lequel toire de la Terre, le rapport isotopique topes, argon 36 et argon 40.
se désintègre en plomb 206. Le pôle argon 40/argon 36 a augmenté beaucoup
moins dégazé, qui présente un rapport plus et bien plus vite dans le manteau Le néon
plomb 206/plomb 204 de 18,3 et un supérieur que dans le manteau inférieur
rapport argon 40/argon 36 faible, (voir les figures 4 et 5). Nous avons en outre mesuré précisé-
constitue certainement un troisième L’autre message des gaz rares est ment les rapports isotopiques du néon,
pôle de mélange, caractéristique de que le dégazage fut précoce. Le prin- néon 20/néon 22 et néon 21/néon 22,
Hawaï (Loihi). cipe du raisonnement en est très dans les basaltes vitreux des dorsales.
Tout cela témoigne de l’existence simple : puisque l’atmosphère se Dans ce cas, aucune radioactivité n’abou-
d’au moins trois composants différents à dégaze du manteau, pour que les rap- tit directement à des isotopes du néon. En
l’intérieur de la Terre : le manteau super- ports isotopiques xénon 129/xénon revanche, des réactions nucléaires ont
ficiel dégazé, le manteau profond moins 130 et argon 40/argon 36 dans l’atmo- lieu dans les roches du manteau, et pro-
dégazé et du matériel recyclé. Cela sphère soient aujourd’hui aussi faibles, duisent des isotopes du néon ; par
montre aussi que la systématique isoto- il faut que l’essentiel du dégazage se exemple, un atome d’oxygène 18 peut
pique des gaz rares est cohérente avec soit produit avant que les rapports iso- absorber une particule α, émettre un neu-
celle qui a été établie d’après les traceurs topiques dans le manteau ne soient tron et se transformer ainsi en néon 21 ;
isotopiques non gazeux (strontium, néo- devenus trop grands. cette réaction est notée 18O(α,n)21Ne.
dyme, plomb) qui sont appauvris dans le Mais le dégazage a dû être un phé- D’autres réactions du même type produi-
manteau supérieur ; eux aussi indiquent nomène continu, et il faut aller plus sent du néon 22 et du néon 20, mais en
l’existence d’un recyclage dans le man- loin que la simple description évoquée quantité infime. Les particules α sont des
teau par subduction. précédemment, à propos du xénon noyaux d’hélium 4, produits en abon-
129, où le dégazage était considéré dance par les chaînes de désintégration
Histoire et importance comme instantané. Pour décrire le des atomes d’uranium et de thorium 232
dégazage de façon continue, nous présents dans les roches. Ces réactions
du dégazage avons élaboré un modèle numérique : nucléaires ont été découvertes par George
Connaissant donc, grâce aux points on s’est donné une fonction paramé- Wetherill, à l’Université de Chicago.
chauds, la composition isotopique des trée décrivant la décroissance au cours Nous avons obtenu des résultats
gaz rares contenus dans le manteau du temps de la vitesse du dégazage, étonnants. Comme pour les autres gaz
superficiel très dégazé, ainsi que celle des puis on a calculé, à l’aide de cette rares, le néon contenu dans les roches
gaz rares contenus dans le réservoir fonction, les valeurs des rapports iso- des dorsales présente lui aussi de très
moins dégazé, nous avons en main tous topiques dans le manteau et dans importantes différences isotopiques par
les éléments pour reconstituer l’histoire et l’atmosphère actuels. Le jeu consiste à rapport au néon atmosphérique : les
l’intensité du dégazage. déterminer les paramètres de la fonc- deux rapports isotopiques du néon, néon
22 © POUR LA SCIENCE
20/néon 22 et néon 21/néon 22, présen-
Ne 20/ Ne 22
tent des valeurs maximales de 13,2 et
14 HAWAÏ
0,07, alors qu’ils valent 9,8 et 0,03 dans NÉON RÉACTIONS NUCLÉAIRES DORSALES
SOLAIRE (LOIHI)
l’air. De plus, ils présentent entre eux
une très belle corrélation linéaire,
E
NAMIQU
valable pour tous les échantillons des 13
dorsales, quelle que soit leur localisa-
tion (voir les figures 7 et 9).
YDRODY
Depuis 1991, une équipe australienne
de l’université de Canberra évoque une 12
EMENT H
corrélation similaire dans des roches du
mont sous-marin Loihi. Cependant, les
rapports néon 20/néon 22 et néon
11
ÉCHAPP
21/néon 22 n’excèdent pas 11,5 et 0,037.
Plus récemment, en 1995, Peter
Valbracht a rapporté de Hawaï des
échantillons exceptionnels et les a analy- 10
sés dans notre laboratoire, par broyage et AIR
par chauffage progressif. Ces verres
basaltiques proviennent d’une fissure
située au Sud du mont sous-marin Loihi, 9
et ont été recueillis entre 3 000 et 5 000 0,02 0,03 0,04 0,05 0,06 0,07 0,08
mètres de profondeur, soit bien plus pro- Ne 21/ Ne 22
fondément que la plupart des échan- 9. LE MANTEAU DE LA TERRE comprend deux réservoirs, caractérisés par des corrélations
tillons d’îles océaniques analysés isotopiques du néon distinctes : le pôle Hawaï (Loihi) et le pôle dorsales. Ces résultats, com-
jusqu’ici. Nous espérions que les gaz patibles avec l’étude des autres gaz rares, confirment l’idée que le manteau terrestre est
rares seraient mieux préservés, car, à séparé en deux couches : le manteau supérieur, fortement dégazé, est caractérisé par des
cette profondeur, la pression limite la rapports isotopiques très élevés, tels qu’on les observe aux dorsales ; le manteau inférieur,
perte de vésicules porteuses des gaz qui moins dégazé, donc plus riche en gaz rares primordiaux, est caractérisé par des rapports iso-
nous intéressent. Les résultats étaient topiques plus faibles, qu’on mesure à Loihi (à Hawaï). La différence entre le néon solaire et
effectivement extraordinaires. Nous le néon atmosphérique résulte de l’échappement hydrodynamique durant lequel les isotopes
légers se sont échappés plus vite de l’atmosphère primitive.
avons observé une parfaite corrélation
entre les rapports isotopiques néon
20/néon 22 et néon 21/néon 22. La 22 vaut au moins 13,1, et le rapport forcément solaires. On sait que l’atmo-
valeur maximale du rapport néon néon 21/néon 22 vaut environ 0,04. sphère était alors riche en hydrogène.
20/néon 22, qui vaut 13,1, est aussi éle- Nous en déduisons que le manteau Trop léger pour être retenu par la gra-
vée que celle relevée dans les roches des terrestre avait partout, à l’origine, la vité terrestre, l’hydrogène s’est
dorsales. En revanche, le rapport même signature de néon, qui était certai- échappé vers l’espace, entraînant avec
néon 21/néon 22 maximal, de 0,038, est nement celle du néon solaire (qui, elle, lui une grande partie des gaz rares pré-
bien plus bas. Ces rapports sont proches n’a pas changé depuis la formation du sents : c’est ce qu’on nomme l’«échap-
de ceux qu’on a déterminés pour le néon système solaire). Puis, durant 50 ou 100 pement hydrodynamique». Ainsi le
solaire (notamment dans les météorites) : millions d’années, le manteau s’est bruta- néon s’est appauvri en isotopes légers
13,8 pour néon 20/néon 22 et 0,0328 lement dégazé. Le manteau supérieur a (les néons 20 et 21 qui s’échappaient
pour néon 21/néon 22. perdu plus de 90 pour cent de son gaz pri- légèrement plus vite que le néon 22) :
Nous avons ainsi décelé deux corré- mordial, le manteau inférieur beaucoup les rapports isotopiques du néon ont
lations différentes pour le néon : une moins. Les réactions nucléaires que nous alors diminué jusqu’aux valeurs atmo-
pour les roches provenant des dorsales, avons décrites précédemment ont produit sphériques actuelles.
donc du manteau très dégazé (ou man- du néon 21 radiogénique (voir la figure Ainsi le néon nous a apporté la der-
teau supérieur), une autre pour les 9). Cet excès de néon 21 est important nière pierre manquante à la géochimie
échantillons provenant d’un point dans le manteau supérieur fortement isotopique des gaz rares terrestres. Les
chaud, donc du manteau profond. Si les dégazé, qui ne contient plus que très peu rapports isotopiques de tous les gaz rares
corrélations observées résultent d’un de néon primordial. Il se fait moins sentir paraissent cohérents entre eux et compa-
mélange de matériel des sources avec dans le manteau inférieur, qui contient tibles avec l’idée que l’atmosphère de la
du néon atmosphérique (dit de conta- encore beaucoup de gaz primordial. Terre s’est formée par dégazage d’une
mination), alors les signatures isoto- Il nous reste toutefois à expliquer partie du manteau. Le dégazage s’est
piques des sources correspondantes pourquoi les rapports isotopiques du effectué très tôt, essentiellement entre 4,4
sont les valeurs les plus élevées des néon atmosphérique diffèrent de ceux et 4,5 milliards d’années, et a été intense.
corrélations. Pour les dorsales ou pour du néon solaire. Le xénon et l’argon Les gaz rares nous indiquent aussi qu’une
le manteau supérieur, le rapport néon nous ont montré que l’atmosphère s’est partie de l’atmosphère a été perdue dans
20/néon 22 vaut au moins 13,2, et le formée dans les premiers 50 à 100 mil- l’espace à cette époque. Ils nous montrent
rapport néon 21/néon 22 vaut environ lions d’années après la formation de la que la Terre continue à se dégazer
0,07. Pour le point chaud ou le man- Terre. Dans cet atmosphère primitive, aujourd’hui, mais beaucoup plus faible-
teau inférieur, le rapport néon 20/néon les rapports isotopiques du néon étaient ment qu’aux premiers jours.
© POUR LA SCIENCE 23
L ES CYCLES DE L’ ATMOSPH È RE
Les gaz les plus abondants après le
dioxyde de carbone sont le néon (18 par-
ties par million) et l’hélium (5 parties par
million). La plus grande partie de l’hélium
Andrew Ingersoll est produite par la désintégration d’élé-
ments radioactifs à l’intérieur de la Terre.
24 © POUR LA SCIENCE
OXYGÈNE GAZ CARBONIQUE
COMBUSTION
PHOTOSYNTHÈSE
PHOTOSYNTHÈSE
RESPIRATION
RESPIRATION
FOSSILISATION
DÉCOMPOSITION (CHARBON, GAZ,
ÉCHANGE PÉTROLE)
ÉCHANGE
AIR-EAU
AIR-EAU
pendiculairement une surface unité) est de de la constante solaire et de l’albédo actuel thermique qui s’y trouve déjà, une autre
1 367 watts par mètre carré. Cette de la Terre, le flux moyen d’énergie partie est réabsorbée dans l’atmosphère et
«constante solaire» est en fait une variable. réémise sur le Globe est d’environ 240 enfin le reste s’échappe dans l’espace.
Des mesures par satellite et navette spa- watts par mètre carré pour que la Terre Si la quantité d’un absorbant dans
tiale ont montré qu’un groupe de taches reste en équilibre thermique. La valeur du l’infrarouge tel que le dioxyde de carbone
solaires de grandes dimensions provoque flux réémis dépend de la température : augmente, la surface de la Terre absorbe
une chute de 0,1 pour cent du rayonne- selon la loi de Stefan-Boltzmann, le flux de davantage de rayonnement et sa tempéra-
ment reçu. Sur de longues périodes, les rayonnement émis par un corps noir, un ture s’élève. En outre, une quantité
variations pourraient être plus importantes. émetteur idéal, est proportionnel à la puis- moindre du rayonnement émis par la sur-
On estime qu’une augmentation de un sance quatrième de sa température expri- face s’échappe dans l’espace et l’énergie
pour cent de la constante solaire, mainte- mée en kelvins. Ce nombre (240 watts par thermique emmagasinée par la Terre
nue pendant au moins dix ans, élèverait la mètre carré) est l’énergie émise par l’unité s’accroît ; ainsi les éléments qui absorbent
température moyenne de la surface ter- de surface d’un corps noir à une tempéra- dans l’infrarouge favorisent le réchauffe-
restre d’environ un ou deux degrés. ture de – 18 degrés Celsius. C’est la tem- ment de la Terre. Le rôle joué par l’atmo-
Le rayonnement atteignant la surface pérature moyenne de l’atmosphère à une sphère dans le réchauffement de la Terre
terrestre n’est pas absorbé dans sa totalité. altitude de cinq kilomètres. est traditionnellement appelé l’effet de
L’atmosphère et la surface de la Terre en Un corps noir à 255 kelvins émet un serre, mais ce terme est trompeur : bien
réfléchissent environ 30 pour cent vers rayonnement dans un grand domaine de que le verre d’une serre laisse passer la
l’espace. Les principaux réflecteurs sont les longueurs d’onde, avec un maximum peu lumière solaire et empêche le rayonne-
nuages, les poussières atmosphériques, les prononcé vers 12 micromètres (dans la ment infrarouge de s’échapper, l’échauffe-
molécules des gaz atmosphériques, la neige région infrarouge du spectre électromagné- ment résulte essentiellement du fait que le
et les sols arides. Le pourcentage du rayon- tique). La surface terrestre et l’atmosphère toit de verre évite la dissipation par
nement incident réfléchi vers l’espace se comportent approximativement comme convection de la chaleur.
(l’albédo de la planète) varierait notablement des corps noirs et émettent leur rayonne- La température moyenne à la surface
si le climat changeait, si davantage de pous- ment dans ce domaine de longueur du Globe (qui vaut aujourd’hui 13 degrés
sières étaient émises dans l’atmosphère par d’onde. La plus grande partie du rayonne- Celsius) est la température pour laquelle la
les éruptions volcaniques, ou si davantage ment émis par la surface est absorbée prin- surface terrestre et l’atmosphère sont en
de terres étaient déboisées. Une diminution cipalement par la vapeur d’eau, les nuages, équilibre thermique. La surface, chauffée
ou une augmentation de l’albédo conduirait le dioxyde de carbone, la poussière et par le rayonnement solaire et le rayonne-
à un réchauffement ou à un refroidissement l’ozone. Les constituants de l’atmosphère ment infrarouge réémis vers le bas par
de la Terre, car le rayonnement solaire qui qui absorbent le rayonnement infrarouge le l’atmosphère, renvoie en moyenne une
n’est pas réfléchi est absorbé. rediffusent dans toutes les directions, quantité équivalente d’énergie dans l’atmo-
La Terre réémet l’énergie solaire notamment vers la Terre. Une partie du sphère par évaporation, conduction, convec-
qu’elle absorbe sous forme de rayonne- rayonnement ainsi diffusé est absorbée à la tion et émission de rayonnement infra-
ment thermique. Étant donné les valeurs surface de la Terre, s’ajoutant à l’énergie rouge. Toutefois des déséquilibres locaux de
© POUR LA SCIENCE 25
EXOSPHÈRE CEINTURES VAN ALLEN TROPOPAUSE
500
CELLULE
CE FE
DE
THERMOSPHÈRE
LL RR
LU E
AURORES POLAIRE
LE L
RÉGIME D'OUEST
MÉSOPAUSE RÉFLEXION DES ONDES RADIO
DE H
CELL LEY
AD
VENTS D'EST
ULE
CALMES ALIZÉS
MÉSOSPHÈRE ÉQUATORIAUX
STRATOPAUSE
STRATOSPHÈRE
COUCHE D'OZONE
TROPOPAUSE
80
ÉLÉMENTS MONT ACTIVITÉ
50 TROPOSPHÈRE MÉTÉORO- EVEREST HUMAINE
LOGIQUES ASCENDANCE
13
– 140 – 60 20
TEMPÉRATURE (EN DEGRÉS CELSIUS)
3. Courbe de température de l’atmosphère en fonction de 4. Circulation générale. L’air chaud équatorial s’élève, se
l’altitude. La troposphère, où nous vivons, contient 80 pour refroidit et redescend vers 30 degrés de latitude, formant la
cent de la masse de l’atmosphère ; la température y dimi- cellule dite de Hadley. Le même mouvement circulaire
nue avec l’altitude. Elle augmente à nouveau dans la stra- engendre deux autres cellules, à plus hautes latitudes. La
tosphère, où se trouve la couche d’ozone qui absorbe les force de Coriolis due à la rotation de la Terre dévie les vents
rayonnements ultraviolets du Soleil. La mésosphère vers l’Ouest, engendrant les alizés tropicaux et les vents
absorbe peu le rayonnement solaire, et la température d’Est polaires. Sur les latitudes moyennes, les masses d’air se
y décroît jusqu’à –140 degrés Celsius. Enfin la thermo- rapprochent de l’axe de rotation de la Terre et se mettent à
sphère est très sensible au chauffage solaire. tourner plus vite qu’elle : un régime d’Ouest s’installe.
la quantité d’énergie absorbée et libérée par échelle sont méridiens (du Nord au Sud). tuations puis se creusent et s’amplifient avec
la surface créent des gradients thermiques Deux gigantesques cellules circulaires le temps, se superposent à l’écoulement
verticaux et horizontaux dans l’atmosphère. relient l’air très chaud et humide s’élevant moyen d’Ouest en Est. Les creux (thalwegs)
au-dessus de l’équateur à l’air chaud et sec de ces ondes sont les régions où le courant-
La dynamique de l’atmosphère descendant des plus hautes latitudes. L’air jet est le plus proche de l’équateur ; les
chaud qui monte vers la région appelée crêtes (dorsales) sont les régions où il est le
La Terre absorbe plus de rayonnement zone de convergence intertropicale, com- plus proche des pôles. Lorsque ces ondes se
solaire aux basses latitudes qu’aux hautes prise entre les latitudes dix degrés Nord et développent, les masses d’air froid se dépla-
latitudes. La surface de la Terre absorbe plus dix degrés Sud, se refroidit à mesure qu’il cent vers l’équateur à l’arrière (c’est-à-dire à
de la moitié de ce rayonnement ; l’atmo- s’élève, ce qui entraîne d’intenses précipita- l’Ouest) des creux des ondes et les masses
sphère emmagasine le reste. Par consé- tions. La zone de convergence intertropi- d’air chaud se déplacent vers les pôles, en
quent, l’atmosphère reçoit plus d’énergie de cale coïncide avec les forêts tropicales et les avant (c’est-à-dire à l’Est) des creux. L’aug-
la surface terrestre et du Soleil aux basses régions de fortes précipitations sur les mentation des ondes contribue ainsi au
latitudes et altitudes qu’aux hautes latitudes océans. L’air sec se dirige vers les pôles et transport de l’air chaud vers les pôles et de
et altitudes. En outre, l’atmosphère libère descend sur l’ensemble des régions subtro- l’air froid vers l’équateur. Les masses d’air
davantage d’énergie dans l’espace à haute picales, régions situées entre 10 et 35 piégées dans les creux et les crêtes sont
altitude qu’à basse altitude. En conséquence, degrés de latitude dans les deux hémi- transportées vers l’Est par le mouvement
la température de l’atmosphère décroît de sphères. Lorsqu’il atteint à nouveau la sur- des ondes de haute altitude. Ainsi, les ondes
l’équateur aux pôles et des basses altitudes face, il est encore sec ; les grands déserts caractérisent le mouvement des zones de
aux hautes altitudes. du Globe se trouvent dans ces zones. hautes et de basses pressions en surface qui
Les gradients de température sont la Aux latitudes supérieures à 35 degrés, régissent le temps sur l’ensemble des
cause de la circulation de l’atmosphère. Les la circulation est à dominance zonale régions de moyennes latitudes.
vents transportent la chaleur en sens (d’Ouest en Est) plutôt que méridienne. Notre compréhension des phéno-
inverse des gradients de température, cir- L’écoulement de l’air est dominé par le cou- mènes atmosphèriques résulte de nos
culant des régions chaudes vers les régions rant-jet de haute altitude qui serpente connaissances des cycles et circulations
froides. Les gradients de température, et autour du Globe et souffle vers l’Est à des atmosphériques, que je viens d’exposer ici.
donc la configuration à grande échelle de vitesses atteignant 45 mètres par seconde
la circulation atmosphérique, varient en (160 kilomètres par heure) dans les deux Andrew INGERSOLL est professeur
fonction de la latitude. À moins de 35 hémisphères. Les longues ondes atmosphé- de science planétaire,
degrés de latitude, les vents à grande riques, qui débutent comme de petites fluc- à l’Institut de technologie de Californie.
26 © POUR LA SCIENCE
L’origine des glaciations
Wallace Broecker
28 © POUR LA SCIENCE
rapidité avec laquelle le courant global aurait un climat équivalent à celui du Selon les simulations de Stefan
évacue les eaux douces excédentaires de Spitzberg, à 1 500 kilomètres du pôle Rahmstorf, de l’Université de Kiel,
la pluie et des rivières. Nord. En outre, une telle variation sur- l’arrêt de la circulation globale serait
De surcroît, tout arrêt de la circulation viendrait en dix ans au plus. suivi de la formation d’un autre courant,
océanique tendrait à se perpétuer : Puis, après des centaines ou des mil- moins profond, dont les eaux froides
les températures hivernales, dans liers d’années, la circulation reprendrait plongeraient au Nord des Bermudes et
l’Atlantique Nord et dans les terres avoi- parce que la diffusion de la chaleur des non près du Groenland : l’Europe du
sinantes, chuteraient brusquement d’au parties les plus chaudes de l’océan et la Nord recevrait moins de chaleur. Cette
moins cinq degrés, selon ce que les glaces diffusion du sel du fond vers la surface, circulation secondaire serait aussi arrê-
polaires ont enregistré lors des anciennes réduiraient la densité de l’eau abyssale tée par un afflux d’eau douce, mais elle
vagues de froid. stagnante jusqu’à ce que les eaux de sur- reprendrait spontanément après
Dublin face de l’une ou de l’autre des régions quelques dizaines d’années seulement.
polaires s’y mélangent à nouveau, réta- S. Rahmstorf n’explique toutefois pas
blissant le brassage de la chaleur et du comment la circulation principale se
sel. Toutefois cette circulation ne rétablirait ensuite.
serait pas nécessairement iden-
tique à celle d’aujourd’hui :
elle dépendrait de l’écoule- 1. LA CIRCULATION OCÉANIQUE GLOBALE
ment d’eau douce dans (flèches bleues) correspond à un mouve-
chaque région polaire. ment de l’eau froide et salée, initialement
formée dans l’Atlantique Nord, vers tous
les océans de la planète (à gauche). Des
eaux plus chaudes s’écoulent en direction
du Nord pour les remplacer : elles échan-
gent de la chaleur avec l’atmosphère
(flèches orange), ce qui
réchauffe le climat de
l’Europe du Nord (à
droite).
COURANT
D’AIR ARCTIQUE
EAU CHAUDE
2. U NE
Le cadmium
CIRCULATION SECONDAIRE , à la latitude de
l’Europe méridionale, ne transférerait pas de chaleur aux
vents de l’Atlantique Nord. Les températures en Europe, lors
des périodes froides où ce courant existait, étaient, en
moyenne, inférieures de dix degrés aux températures
actuelles. Cette circulation secondaire est moins profonde
que la circulation principale (à droite).
EAU FROIDE
ET SALÉE
EAU CHAUDE
et le carbone 13
COURANT D’AIR
ARCTIQUE
5
60 40 20
ÉCHANGE DE CHALEUR
0 20
LATITUDE (EN DEGRÉS)
CARBONE 14
CIRCULATION
40
ACTUEL
60
ATLANTIQUE ATLANTIQUE
GLACIAIRE
30 © POUR LA SCIENCE
l’époque où cette plante vit. Les huitième provient de l’écoulement élément se condensent en premier,
plantes qui auraient poussé pendant un d’un énorme lac. Au début des années avant d’arriver dans ces régions.
arrêt des échanges entre l’atmosphère 1980, Hartmut Heinrich, de l’Université Le huitième afflux d’eau douce est
et les eaux profondes contiendraient de Göttingen, a découvert une série de dû au lac Agassiz, qui était créé par le
plus de carbone 14 et sembleraient couches sédimentaires à structure par- poids de la calotte glaciaire en recul.
plus jeunes qu’elles ne le seraient en ticulière dans l’Atlantique Nord. Ces Jadis, l’eau du lac se déversait, par des-
réalité. Selon la datation au carbone couches, qui s’étendent de la mer du sus un rebord rocheux, dans le bassin
14, les plantes des périodes froides Labrador aux îles britanniques, résul- du Mississippi, jusque dans le golfe du
marquées par un arrêt de la circulation tent probablement de la fonte d’un Mexique, mais le recul du front gla-
globale sembleraient contemporaines nombre considérable d’icebergs venus ciaire, il y a environ 12 000 ans, a
de celles qui ont vécu 1 000 ans plus du Canada. ouvert une seconde voie d’écoulement,
tard, au cours d’une période chaude. Les débris entraînés et déposés par à l’Est : le niveau du lac a considéra-
cette armada s’amincissent vers l’Est, blement diminué. L’eau ainsi libérée
La circulation de 50 centimètres d’épaisseur dans la s’est déversée au Sud du Canada, dans
mer du Labrador à quelques centi- la vallée aujourd’hui occupée par le
du carbone 14 mètres dans l’Atlantique Est. Les plus Saint-Laurent, et a abouti dans la
Bien que la quantité de carbone 14 grosses particules contenues dans les région de l’océan où se forment
dans l’atmosphère ait un peu fluctué sédiments sont surtout issues des aujourd’hui les eaux profondes.
au cours du temps, la datation au car- roches calcaires sédimentaires et du lit
bone 14 des sédiments marins qui se de roches éruptives de la baie Des vagues de froid
sont accumulés de manière uniforme d’Hudson et de la zone avoisinante.
ne montre aucune variation brusque au Les coquilles de foraminifères sont
de plus en plus accentuées
cours des 20 000 dernières années. De rares dans ces couches, ce qui évoque La relation entre ces événements et
surcroît, des datations absolues de un océan encombré de glaces (qui les variations climatiques locales est
coraux par mesure de l’abondance de réduisent la prolifération du plancton), claire. Quatre d’entre eux correspon-
l’uranium et du thorium indiquent et la proportion réduite d’oxygène 18 dent à des changements importants du
même que, à la fin du Dryas récent, à par rapport à l’oxygène 16 dans les climat du bassin Nord-Atlantique.
l’époque où la circulation globale coquilles retrouvées prouve que les L’une des couches de S. Heinrich
aurait repris, la concentration atmo- animaux vivaient dans de l’eau moins marque la fin de l’avant-dernier cycle
sphérique en carbone 14 a augmenté. salée que la normale : la pluie et la glaciaire principal, et une autre
Cette observation semble révéler que neige contiennent peu d’oxygène 18 à indique le plus récent. Une troisième
les arrêts de la circulation globale ces hautes latitudes, parce que les couche correspondrait au début du
n’auraient pas duré plus d’un siècle et molécules d’eau qui contiennent cet Dryas récent. Chacune des quatre
qu’ils auraient été suivis par des autres couches correspond à un
périodes d’intense brassage des sous-cycle climatique. La corré-
RAYONS COSMIQUES
eaux. En particulier, au Dryas lation de ces couches et des rele-
récent, la circulation des océans a vés des carottes glaciaires du
ATMOSPHÈRE
plutôt augmenté que diminué, Groenland a révélé que les
AZOTE 14
comme on aurait pu le prévoir si refroidissements millénaires for-
un arrêt complet de la circulation ment une série caractérisée par
CARBONE 14
était responsable du froid. des vagues de froid de plus en
Toutefois si la circulation s’était plus sévères, dont la plus forte
LE CARBONE 14 EST DISSOUS
arrêtée, nous devrions envisager DANS L'EAU DE MER
correspond à une couche de S.
d’autres modes de transport du car- Heinrich. Le climat se réchauf-
bone 14 vers les eaux profondes. fait ensuite, ce qui signifiait
Si les afflux d’eau douce COUCHES qu’un nouveau cycle démarrait.
expliquent les arrêts de la circu- SUPÉRIEURES Les variations climatiques du
CHAUDES
lation globale et la survenue des Dryas récent ont été ressenties
glaciations, d’où vient cette eau LE CARBONE 14 dans le monde entier. En est-il
douce? Sans doute des calottes ATTEINT COUCHES PROFONDES FROIDES de même pour les 15 événe-
glaciaires polaires : ces brusques LES ABYSSES
LE CARBONE 14
ments similaires, antérieurs,
variations du climat semblent SE DÉSINTÈGRE EN AZOTE 14 indiqués par les carottes gla-
limitées à des périodes où (UN POUR CENT TOUS LES 82 ANS) ciaires? À ce jour, deux élé-
d’épaisses couches de glace ments seulement confirment
recouvraient le Canada et la cette hypothèse, mais ils sont
Scandinavie. convaincants. D’une part,
Nous connaissons les traces Jérôme Chappellaz, du Laboratoire
d’au moins huit afflux d’eau 3. LE CARBONE 14 est formé dans l’atmosphère par les de glaciologie et de géophysique
rayons cosmiques. Il est entraîné au fond de l’océan par les
douce dans l’Atlantique Nord : eaux qui plongent dans les abysses. La datation au carbone de l’environnement du CNRS , a
sept résultent de la libération 14 indique indirectement l’état de la circulation océanique : analysé l’air emprisonné dans
d’une armada d’icebergs par la tout arrêt prolongé de ce courant provoquerait une accu- les carottes glaciaires prélevées
partie orientale de la calotte gla- mulation de carbone 14 dans l’atmosphère, ce qui pertur- au Groenland et observé que les
ciaire de la baie d’Hudson ; la berait les datations. périodes glaciaires sont
© POUR LA SCIENCE 31
accompagnées d’une diminution relati- D’autre part, une carotte sédimentaire Un changement
vement rapide de la concentration prélevée à 500 mètres au-dessous du mondial du climat
atmosphérique en méthane. Le niveau de la mer, dans le bassin de Santa
méthane est produit surtout dans les Barbara, a révélé que des bandes de sédi- Les conséquences sur tout le Globe
marais et dans les marécages. Comme ments intacts, avec des couches annuelles des événements découverts par
ceux des régions tempérées de l’hémi- marquées, alternaient avec des sections S. Heinrich sont encore plus surpre-
sphère Nord étaient gelés ou ensevelis perturbées par des vers fouisseurs. La nantes. Selon les analyses du pollen
sous la glace, le méthane devait prove- présence de vers indique que les eaux extrait des sédiments du lac Tulane, en
nir des tropiques. Les fluctuations profondes de la région contenaient suffi- Floride, le rapport entre les abondances
dans les relevés de méthane indiquent sament d’oxygène pour permettre la vie. de pin et de chêne a brusquement aug-
que les tropiques ont connu une Ces périodes sont étrangement corrélées menté lors de chacun de ces événe-
période de sécheresse pendant chaque avec les refroidissements du Groenland : ments. Les pins prospèrent dans des cli-
période de refroidissement de l’hémi- les variations de la circulation océanique mats relativement humides, tandis que
sphère Nord. ont atteint toute la planète. les chênes préfèrent les climats secs.
Bien que la relation exacte entre l’abon-
dance des pins et les événements de
COMMENCEMENT
S. Heinrich doive être datée plus préci-
DE L'AGRICULTURE sément, ces relevés indiqueraient une
ÉCART MOYEN DE TEMPÉRATURE
PAR RAPPORT À AUJOURD'HUI
0
tions : chacun des quatre événements
climatiques de S. Heinrich qui peut être
daté par la méthode au carbone 14 cor-
respond à une extension maximale des
glaciers montagneux des Andes.
Que la fonte massive des glaciers
canadiens ait eu des conséquences sur
tout le Globe est paradoxal car, selon
–10 les modèles de circulation atmosphé-
rique, les changements dans les
100 80 60 40 20 0 échanges de chaleur entre l’atmosphère
ÂGE (EN MILLIONS D'ANNÉES)
4. LES CAROTTES DE GLACE (à droite) révèlent la variabilité du tope de l’oxygène est présente. Des photographies d’une section
climat de la Terre au cours des 100 000 dernières années (en de carotte, prises au microscope en lumière polarisée, révèlent les
haut, à gauche). Les climatologues qui ont foré jusqu’au socle cristaux de glace (en haut, à droite) et montrent les bulles d’air
rocheux, près du centre de la calotte glaciaire du Groenland (ci- emprisonnées dont l’analyse nous permet de connaître la compo-
dessus), ont mesuré les concentrations relatives en oxygène 18 et sition de l’atmosphère préhistorique (au milieu, à droite). Les
en oxygène 16 dans les échantillons. L’abondance de l’oxygène couches inférieures (en bas, à droite) ont été déformées par le
18 dans la vapeur d’eau atmosphérique dépend de la température glissement de la calotte glaciaire sur le sol rocheux du Groenland,
de l’air : plus le climat est froid, moins l’eau qui contient cet iso- rendant les relevés précis difficiles, voire impossibles.
32 © POUR LA SCIENCE
et l’Atlantique Nord ne modifient les d’autres (voir El Niño, l’enfant naturel d’altitude dans les Andes tropicales,
climats que localement. Quel méca- du vent et de la mer, par Yves Ménard contiennent 200 fois plus de poussière
nisme aurait étendu ces variations aux et Thierry Delcroix, dans ce dossier). fine que les échantillons les plus
tropiques et aux régions méridionales récents : il s’agit probablement de
tempérées, voire à l’Antarctique? «El Niño» poussière transportée par les vents qui
La répartition symétrique de ces soufflaient sur une Amazonie aride. La
variations climatiques autour de
pendant 1 000 ans glace la plus ancienne contient aussi
l’équateur souligne l’importance de ce L’assèchement des tropiques, mis moins d’oxygène 18 que celle qui s’est
qui se passe aux tropiques, et l’on en évidence par J. Chappellaz, n’est formée depuis 10 000 ans ; la tempéra-
comprend que des modifications dans pas le seul argument en faveur de ce ture était inférieure d’environ dix
la dynamique de l’atmosphère tropicale scénario. L’autre preuve spectaculaire degrés à celle d’aujourd’hui. En outre,
auraient facilement des conséquences provient du grand bassin de l’Ouest la limite des glaces éternelles dans les
globales : les cellules de convection en des États-Unis : immédiatement après Andes était 1 000 mètres plus bas
colonnes, qui se forment dans l’atmo- le dernier événement de S. Heinrich, il qu’aujourd’hui : pendant les périodes
sphère tropicale aux points de ren- y a 12 000 ans, le lac Lahontan, dans de refroidissement, les tropiques
contre des alizés, fournissent à l’atmo- le Nevada, a atteint sa taille maximale, étaient à la fois plus froids et plus secs.
sphère le principal gaz responsable de dix fois supérieure à sa taille actuelle. Notre compréhension partielle du
l’effet de serre, la vapeur d’eau. Bien Un tel lac ne subsiste que si les préci- passé ne nous permet guère de tirer
que le lien entre la circulation océa- pitations sont considérables, d’un des conclusions définitives en ce qui
nique et la convection tropicale soit niveau comparable à celui qu’a connu concerne l’avenir du climat. L’accu-
ténu, une modification de la circulation la région lors de la période «El Niño» mulation actuelle de gaz à effet de
semble modifier la quantité d’eau de l’hiver 1982-1983. Les périodes de serre modifiera-t-elle la circulation
froide qui remonte à la surface le long refroidissement passées seraient-elles océanique globale et le climat? Selon
de l’équateur, dans le Pacifique. Cette dues à des changements dans la circu- les relevés paléographiques, les
remontée des eaux modifie notable- lation océanique qui auraient fait durer brusques variations des climats passés
ment les échanges de chaleur de la «El Niño» pendant 1 000 ans? ont été limitées à des périodes où
région, donc son climat. La réduction Des découvertes plus récentes l’Atlantique Nord était entouré
de cette remontée, comme on le contribuent à confirmer que le climat d’immenses couches de glace, pendant
constate lors des épisodes «El Niño», tropical était très différent pendant les la dernière glaciation ou juste à la fin :
provoque des sécheresses dans cer- refroidissements. Des carottes de glace nous sommes loin de cette situation.
taines zones et des inondations dans ancienne, prélevées à 6 000 mètres Toutefois l’ampleur de l’effet de serre
© POUR LA SCIENCE 33
provoqué par les activités humaines
risque d’être bien plus grande qu’aucun
autre événement au cours d’un inter-
valle interglaciaire, et l’on n’a pas de
certitude que le système climatique
global reste figé dans son mode actuel
de fonctionnement.
Un arrêt de la circulation océanique
ou une autre perturbation comparable
sont improbables, mais si cela se pro-
duisait, les conséquences seraient
catastrophiques. La probabilité d’un tel
événement atteindra son maximum
dans 50 ou 150 ans, alors que la popu-
lation mondiale sera trop nombreuse,
menacée par la famine et par les mala-
dies et qu’il faudra lutter pour préser-
ver la vie sauvage de la pression tou-
jours croissante sur l’environnement.
5. LE CLIMAT DE L’EUROPE changerait considérablement si la circulation océanique Nous devons prendre cette éventualité
était perturbée. Dublin (en haut à gauche) aurait, en été, le climat que connaît au sérieux et faire tous les efforts pos-
aujourd’hui le Spitzberg (en haut à droite), et les hivers londoniens (en bas à gauche) sibles pour mieux comprendre le sys-
seraient aussi froids que les hivers actuels à Irkoutsk, en Sibérie (en bas à droite). tème climatique de notre planète.
34 © POUR LA SCIENCE
EL N IÑO, L’ENFANT NATUREL la moitié du périmètre terrestre. Sir Walker
mesure ce transfert à l’aide d’indices carac-
téristiques. L’un d’eux, nommé indice de
ÉQUATEUR ÉQUATEUR
T T
EST ES EST ES
OU OU
LINE THERMOCLINE
RMOC
THE
1. Température des eaux de surface dans le Pacifique tro- sphérique, associée à la couverture nuageuse et aux préci-
pical. En situation dite «normale» (à gauche), l’eau est pitations. Pendant El Niño (à droite), les eaux chaudes se
chaude (28-29°C) à l’Ouest et plus froide (22-23°C) à l’Est. déplacent vers l’Est et envahissent la bande équatoriale.
En profondeur, la thermocline, couche de transition entre En profondeur, la thermocline se redresse, remonte à
les eaux chaudes et froides, est inclinée : elle s’enfonce à l’Ouest et reste sous la surface à l’Est. Corrélée au dépla-
près de 200 mètres à l’Ouest et affleure la surface à l’Est. cement des eaux chaudes, la convection atmosphérique
Au-dessus des eaux chaudes du Pacifique Ouest s’installe est accrue ; la couverture nuageuse et les fortes précipita-
la branche ascendante de la boucle de convection atmo- tions associées se déplacent vers l’Est.
36 © POUR LA SCIENCE
30° N
0°
CYCLONES
CHAUD TROPICAUX
INHABITUELS
SEC
30° S
HUMIDE
30° E 60° E 90° E 120° E 150° E 180° 150° O 120° O 90° O 60° O 30° O
2. Variations climatiques observées pendant un événe- Outre le Pacifique tropical, de nombreuses parties du
ment El Niño. La partie Ouest du Pacifique tropical est Globe sont affectées par le phénomène. (D’après
moins arrosée, tandis que la partie Est l’est beaucoup trop. Ropelewski et Halpert.)
En exerçant une tension à la surface également la formation de cyclones dévas- Les mécanismes possibles
de l’océan, les alizés poussent les eaux de tateurs au-dessus des eaux anormalement
surface de l’Est vers l’Ouest. Il s’ensuit une chaudes des îles du Pacifique central. Six Quelle est l’origine d’El Niño? En 1975,
énorme accumulation des eaux chaudes, cyclones ont touché la Polynésie française s’inspirant des travaux de Jacob Bjerknes
de 28 à 29 degrés Celsius, dans la partie en 1982-1983 (voir la figure 2). dans les années 1960, Klaus Wyrtki montre
Ouest du Pacifique tropical (voir la figure Les événements El Niño affectent la que le vent local ne peut, à lui seul, pro-
1). Cette accumulation induit en outre une pêche, une des principales activités des duire des anomalies de température de sur-
surélévation du niveau marin d’environ 50 pays côtiers d’Amérique du Sud. Le long face au large des côtes d’Amérique du
centimètres à l’Ouest du bassin. À des côtes péruviennes, le contre-courant Sud ; il note que ces anomalies sont précé-
l’inverse, dans la partie Est, la conservation chaud interrompt les remontées normales dées par des irrégularités du vent à l’autre
de la masse fait remonter vers la surface d’eaux profondes et froides, riches en sels bout du Pacifique. Sa théorie, fondée sur
les eaux froides, de 22 à 24 degrés minéraux indispensables au développe- des observations, invoque un relâchement
Celsius. Ainsi les alizés créent un fort gra- ment du phytoplancton. Les poissons, pri- anormal des alizés, qui, certaines années,
dient de température de surface entre vés de leur nourriture essentielle, désertent libère les eaux chaudes accumulées à
l’Ouest et l’Est du Pacifique tropical, gra- ces zones, habituellement si fertiles. Les l’Ouest. Ces eaux chaudes se déplacent
dient qui influe à son tour sur le régime anchois, une des espèces les plus pêchées alors vers l’Est, le long de l’équateur.
des alizés. L’atmosphère et l’océan for- par les pays riverains, disparaissent des Les effets d’El Niño observés dans le
ment un système couplé. secteurs de pêche. Les sardines migrent Pacifique équatorial Est proviennent ainsi
dès l’apparition du courant chaud et se du Pacifique équatorial Ouest, distant de
Les effets d’El Niño réfugient plus au Sud, au large des côtes plus de 10 000 kilomètres. K. Wyrtki sug-
chiliennes. Les oiseaux marins, qui puisent gère que la transmission serait assurée par
La situation «normale» que nous leur nourriture dans la mer, souffrent, eux une onde équatoriale de Kelvin : une telle
venons de décrire, quoique stable, s’écarte aussi, de ce dérèglement. L’écosystème onde se propage à l’interface de deux
parfois de son état d’équilibre durant les marin est profondément perturbé. couches de fluides, ici la thermocline, sépa-
événements El Niño-oscillation australe. Au La circulation atmosphérique et des rant la couche d’eau chaude superficielle
cours de ces événements, l’énorme masse ondes océaniques propagent l’influence de la couche d’eau froide, plus profonde.
d’eau chaude située dans le Pacifique d’El Niño sur une grande partie du Une onde de Kelvin transiterait en deux
Ouest se déplace vers le Pacifique central Globe, au-delà du Pacifique tropical : on ou trois mois entre les bords Ouest et Est
et Est, avec son cortège de perturbations parle de «téléconnexions». Ainsi on a du bassin Pacifique. Ces idées sont confor-
atmosphériques. On a dénombré six évé- observé des corrélations significatives tées par les résultats de simulations numé-
nements El Niño durant les 40 dernières entre El Niño et des événements clima- riques d’un tel système.
années. Leurs implications socio-écono- tiques ressentis en Amérique du Nord, Toutefois, les idées de J. Bjerknes et de
miques sont importantes : ils sont la cause en Inde, au Brésil, en Argentine, voire K. Wyrtki n’expliquent pas la transition, tous
de fortes sécheresses dans la partie Ouest dans le Sud de l’Afrique. Des études les deux à sept ans, entre l’état dit «normal»
du Pacifique (en Indonésie, aux relient même les événements du et l’état El Niño. Des études plus récentes
Philippines, en Australie et en Nouvelle- Pacifique à des anomalies des circula- font intervenir, outre les ondes équatoriales
Calédonie) et des inondations désastreuses tions océanique et atmosphérique, obser- de Kelvin qui se propagent d’Ouest en Est,
au centre et à l’Est du Pacifique (notam- vées dans l’Atlantique, ainsi qu’à l’appari- des ondes équatoriales de Rossby, qui se
ment sur la côte péruvienne). Ils favorisent tion de cyclones tropicaux. propagent plus lentement, d’Est en Ouest.
© POUR LA SCIENCE 37
Selon cette théorie, dite «de l’oscillateur
retardé», la propagation des ondes dans
l’océan Pacifique ainsi que leur réflexion sur
les bords du bassin déterminent le début, la
0°
durée et la fin d’El Niño. Les modèles numé-
riques fondés sur cette théorie reproduisent
bon nombre des observations. Néanmoins,
cette théorie se révèle encore insuffisante au 150° E 135° O 17 SEPT-25 SEPT 1994 70° O
regard des nouvelles observations, toujours 20° N
plus nombreuses et précises.
38 © POUR LA SCIENCE
L ES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES
En combinant les lois de la dynamique des fluides cumulus, qui sont opaques aux rayonne-
ments visibles, réduisent la quantité
et de la microphysique avec les observations, d’énergie solaire atteignant le sol et
refroidissent les basses couches de
on reconstitue l’évolution des nuages, la formation l’atmosphère. Une variation de cinq pour
cent de la couverture des strato-cumulus
des précipitations, la genèse des phénomènes dangereux aurait sur la température moyenne de la
planète un impact équivalent à celui d’un
et l’impact des nuages sur le rayonnement et le climat. doublement du gaz carbonique (voir Les
nuages et l’effet de serre, par Hervé Le
Treut, dans ce dossier).
L
La formation des nuages
variés. Certains sont pacifiques nature des hydrométéores, particules
et annoncent un temps clément. d’eau liquide ou solide (de quelques Quand on contemple une photogra-
D’autres provoquent des phéno- microns à quelques millimètres) pré- phie de la Terre prise par satellite, on est
mènes violents et désastreux tels que la sentes dans les nuages (voir la figure 3). frappé par l’aspect organisé des masses
grêle, la foudre, les coups de vent et les La microphysique s’attache à décrire nuageuses. Les nuages couvrent en per-
tornades. Ces manifestations effraient les l’évolution des hydrométéores. manence la moitié du Globe, et leurs
hommes, tant pour la sauvegarde de leurs La condensation, la glaciation et la sommets atteignent 20 kilomètres d’alti-
biens que pour celle de leurs vies. Ils dif- condensation solide de l’eau dégagent tude dans les régions tropicales et plus de
fèrent aussi par leur taille : les nuages une importante quantité d’énergie, sous 10 kilomètres en Europe. La disposition
convectifs isolés occupent quelques kilo- forme de chaleur. Ainsi, dans un cumu- et la nature des formations nuageuses
mètres carrés ; certains systèmes nuageux lus de beau temps de deux kilomètres dépendent de l’état de l’atmosphère :
s’étendent sur quelques dizaines à cubes, la condensation fournit une éner- variations de la température, de l’humi-
quelques centaines de kilomètres ; des gie d’environ 5 x 10 12 joules, en une dité et du vent en fonction de l’altitude,
systèmes multicellulaires, des amas dizaine de minutes. Cette énergie équi- vitesse verticale moyenne de l’air au-
convectifs et des lignes de grains cou- vaut à la production horaire d’une cen- dessus de la région considérée.
vrent quelques milliers de kilomètres. trale nucléaire. Une partie de cette cha- De manière simplifiée, on décrit
Les scientifiques tentent de comprendre leur se transforme en énergie cinétique, l’évolution des nuages à l’aide de lois
les nuages en étudiant l’électricité atmo- c’est-à-dire en mouvement. Dans un thermodynamiques et du concept de
sphérique, la microphysique et la dyna- nuage, les vitesses verticales peuvent «particule d’air». Considérons une «parti-
mique. Ils évaluent aussi la contribution atteindre 150 kilomètres par heure. Au cule d’air» (une poche d’air), contenant
des nuages à l’équilibre radiatif de la pla- sol, on constate des sautes de vent et de de la vapeur d’eau, qui s’élève dans
nète et à la redistribution des énergies température, rapides et violentes. l’atmosphère. Si elle est assez volumi-
entre l’équateur et les pôles. L’étude des mouvements de l’air et des neuse, les échanges de matière et de cha-
Historiquement, l’éclair est le phé- variations de température, d’humidité et leur avec l’extérieur sont négligeables. En
nomène orageux que l’on a tenté de pression qui leur sont associées est première approximation, on considère
d’expliquer en premier. Benjamin l’objet de la dynamique des nuages. Bien qu’elle est enfermée dans une enveloppe
Franklin a démontré, au XVIIIe siècle, la entendu, l’organisation dynamique agit élastique et imperméable à la chaleur : la
nature électrique de l’éclair. Depuis, nos sur l’évolution microphysique, puisque pression interne s’ajuste instantanément à
connaissances en électricité atmosphé- les vents transportent les particules d’air la pression atmosphérique environnante.
rique ont progressé, mais les difficultés dans des milieux ambiants différents. Au cours du soulèvement de la particule
de mesure in situ entravent encore Les nuages participent à l’équilibre d’air, comme la pression diminue, la tem-
l’avancement de cette sous-discipline de radiatif en réfléchissant, diffusant et pérature de la particule s’abaisse et son
la physique des nuages (voir L’électrisa- absorbant en partie les rayonnements volume augmente.
tion des orages, par Earle Williams, solaires et terrestres. Leur action radia- La masse maximale de vapeur d’eau
dans ce dossier). Heureusement, la com- tive dépend de leurs caractéristiques que peut contenir un mètre cube d’atmo-
préhension des mécanismes d’électrisa- microphysiques. Ainsi les cirrus, qui sont sphère dépend de la pression et de la tem-
tion atmosphérique n’est pas nécessaire semi-transparents aux rayonnements pérature. Pendant le soulèvement, cette
à l’étude des nuages : la microphysique visibles et réfléchissent la plupart des masse maximale autorisée s’abaisse au-
et la dynamique suffisent à leur descrip- rayonnements infrarouges, contribuent à dessous de la quantité de vapeur contenue
tion. À l’inverse, les phénomènes élec- l’effet de serre. Au contraire, les strato- dans la particule ; la vapeur excédentaire
40 © POUR LA SCIENCE
1. FRONT FROID venant de l’Atlantique,
photographié en infrarouge par le satellite
Météosat (a). Les couleurs indiquent les tem-
pératures au sommet des nuages : rouge
pour des températures inférieures ou égales
à – 40 degrés Celsius, violet pour + 20
degrés Celsius. La circulation atmosphérique
impose sa direction Nord-Sud au système. La
carte d’échos du radar Mélodi, de Bordeaux-
Mérignac (b), montre des cellules organisées
en bandes de précipitations orientées Sud-
Sud-Ouest/Nord-Nord-Est. Les zones de forte
réflectivité radar (précipitations abondantes)
apparaissent en orange et les zones de faible
réflectivité en violet. Les bandes étaient
presque immobiles, alors que les cellules se
déplaçaient vers le Nord-Nord-Est, entraî-
nées par les vents d’altitude. Cette structure
est fréquente à l’avant des fronts froids. Les
échos maxima au centre des cellules corres-
pondent à une intensité de précipitations au
sol de dix millimètres par heure.
a b
VITESSE DU VENT VITESSE DU VENT
(EN MÈTRES (EN MÈTRES
PAR SECONDE) PAR SECONDE)
5 N 5
5 5
O E
PLAN PLAN
DE COUPE DE COUPE
VERTICAL VERTICAL
INTENSITÉ DES
PRÉCIPITATIONS
(EN MILLIMÈTRES
PAR HEURE)
10 KILOMÈTRES 10 KILOMÈTRES
0,5 2,5 10
15 c d 15
VITESSE DU VENT VITESSE VERTICALE
(EN KILOMÈTRES)
(EN KILOMÈTRES)
ALTITUDE
15
7,5
2 3 5 6
10 KILOMÈTRES
10 KILOMÈTRES
0 0
2. LIGNE DE GRAINS observée à l’aide de radars Doppler embar- verses à la ligne de grains (les flèches). On a indiqué sur la même
qués sur deux avions (trajectoires bleues). Deux coupes horizon- coupe verticale (d), la répartition des vitesses verticales dans ce
tales (a : 1,5 kilomètre d’altitude et b : 5,6 kilomètres d’altitude) système nuageux. Le système est alimenté en air chaud et humide
et une coupe verticale (c) montrent l’intensité des précipitations par le bas et par son bord Est ; les masses d’air ressortent du sys-
(en couleurs) ainsi que les vents relatifs horizontaux et trans- tème par son bord Ouest.
© POUR LA SCIENCE 41
tion, obtenue en chauffant un fluide par le
bas (voir la figure 5) : la température du
fluide chauffé augmente et sa densité
diminue. Il monte alors, comme un ballon
de baudruche, tandis que le fluide supé-
rieur, plus froid, descend.
La convection atmosphérique est fré-
quente durant les journées ensoleillées,
quand les couches inférieures s’échauf-
fent. Des cheminées ascendantes, ou
«thermiques», apparaissent : les ama-
3. LES HYDROMÉTÉORES constituent la partie visible des nuages. Ce sont des particules teurs de vol à voile s’en servent pour
d’eau liquide ou de glace dont les tailles s’échelonnent entre quelques microns et cinq ou planer pendant de longues heures. Les
six millimètres dans le cas des gouttes de pluie, jusqu’à plusieurs centimètres sous forme de thermiques ont un diamètre de quelques
grêle. La photographie de gauche représente des gouttelettes de brouillard, dont le diamètre centaines de mètres et des vitesses
moyen est ici de 20 microns. La photographie de droite représente des cristaux de glace de ascendantes comprises entre un et trois
forme hexagonale, obtenus en ensemençant un brouillard surfondu avec du propane. mètres par seconde. À mesure que l’air
monte, il subit une détente adiabatique
et se refroidit ; il s’arrête lorsqu’il est
NUAGE CONVECTIF devenu plus froid que l’air ambiant.
Dans la plupart des cas, les thermiques
AIR REFROIDI
s’arrêtent à 2 000 mètres de hauteur.
ET SATURÉ Au-dessus du niveau de condensation,
au sommet des thermiques, des petits
cumulus se forment. La condensation
dégage une importante quantité de
AIR CHAUD
ET HUMIDE chaleur (environ 2 500 joules par
gramme d’eau liquide formée), qui
renforce la convection.
Ainsi, la nature de la couche instable
4. FORMATION D’UN NUAGE lors d’un soulèvement forcé par le relief. L’air chaud et détermine l’allure des nuages. Dans les
humide est soulevé le long de la pente. À une certaine altitude, il devient saturé en vapeur atmosphères stables, des nuages ne se
d’eau ; celle-ci se condense et forme un nuage. Si l’écoulement de l’air devient instable, il forment qu’en présence de soulèvements
se forme alors un nuage convectif. forcés, et deviennent étalés et strati-
formes. En présence d’instabilité abso-
se condense alors autour de certains aéro- diminue de quatre degrés. En revanche, lue, ils se développent verticalement, en
sols, les noyaux de condensation. toujours dans un litre de nuage, 100 000 à cumulus ou cumulonimbus. Le long des
L’atmosphère contient toujours suffisam- 5 000 000 gouttelettes d’eau liquide se côtes, les brises de mer entraînent des
ment de tels noyaux de condensation forment par condensation. Nous envisa- orages. L’échauffement solaire des
pour que le contenu en vapeur d’eau ne gerons plus loin l’impact de ces diffé- terres provoque une diminution de la
dépasse jamais la valeur de saturation de rences sur la formation des précipitations. pression atmosphérique et engendre un
plus de un ou de deux pour cent. Si la Le soulèvement d’une particule est vent, la brise de mer. Au-dessus de la
température est positive, la vapeur se soit forcé, soit spontané. Il est forcé terre, des mouvements ascendants de
condense en une multitude de gouttelettes quand de l’air humide butte sur une l’air créent une zone de convergence
d’eau liquide. Si la température est néga- chaîne de montagnes (voir la figure 4), propice à la formation de bandes nua-
tive (comme dans les cirrus), ce sont des ou bien, en terrain plat et sur la mer, geuses et au déclenchement de l’instabi-
cristaux de glace qui se forment, par quand de l’air chaud et humide rencontre lité convective (voir la figure 6).
condensation solide autour d’un autre de l’air froid : l’air froid s’enfonce en
type d’aérosols, les noyaux glaçogènes. coin sous l’air chaud, moins dense, et le Les précipitations
Lorsque la particule d’air chargée de soulève. Ainsi naissent les fronts. Quand
gouttelettes se soulève encore, elle peut les particules d’air chaud, en remontant la Nous avons vu que les nuages se for-
atteindre le domaine des températures pente froide, franchissent le niveau de ment dès que le seuil de saturation de
négatives. Les gouttelettes ne se congè- condensation, la vapeur se condense ; l’air en vapeur d’eau est dépassé.
lent pas forcément : dans l’atmosphère, dans une atmosphère stable, on observe Cependant, il y a loin entre l’apparition
les noyaux glaçogènes actifs à haute tem- alors des nuages en couches, ou nuages d’un nuage et la création d’une averse. Le
pérature (entre 0 et – 10 degrés Celsius) stratiformes. rayon d’une gouttelette d’eau dans un
sont rares, et la glace ne se forme qu’à Le soulèvement spontané produit des nuage est de dix microns, alors que celui
très basse température. À – 20 degrés nuages de type convectif, tels que les d’une goutte de pluie moyenne est
Celsius, on dénombre en moyenne un cumulus et cumulonimbus. La convection d’environ un millimètre ; or un facteur
noyau glaçogène actif par litre de nuage. apparaît dans des conditions thermodyna- cent sur la taille implique un facteur d’un
À partir de cette température, le nombre miques, que les météorologistes nom- million sur la masse!
moyen de noyaux glaçogènes actifs ment «instabilité absolue». Les cellules Dans les nuages naturels, la conden-
décuple chaque fois que la température de Bénard sont un exemple de convec- sation seule n’explique pas le passage de
42 © POUR LA SCIENCE
la gouttelette de nuage à la goutte de tion par rapport à la glace devient ainsi trices, caractéristiques du processus de
pluie. La vitesse d’accroissement du importante, et les quelques cristaux pré- Bergeron (voir la figure 7). Les som-
rayon d’une gouttelette est proportion- sents grossissent par condensation solide. mets des cellules sont à des températures
nelle au taux de sursaturation du milieu En quelques dizaines de minutes, il se basses, favorables à la croissance rapide
et inversement proportionnelle au rayon forme des cristaux de glace d’environ un des cristaux de glace, dans un milieu où
de cette gouttelette. En conséquence, les millimètre de diamètre. les gouttelettes surfondues contrôlent la
gouttelettes étant nombreuses, le taux de Un cristal de cette taille a une masse pression de vapeur saturante. Les radars
sursaturation reste faible et la croissance équivalente à celle d’une goutte de bruine météorologiques détectent fort bien les
par condensation est limitée. Dans une de 100 microns de rayon. Il a une vitesse cristaux ainsi formés, dès qu’ils ont un
ascendance de cumulus, les calculs mon- de chute suffisante (quelques décimètres diamètre de quelques centaines de
trent qu’il faut environ cinq minutes par seconde) pour collecter des goutte- microns et que leur nombre atteint un
pour atteindre la taille de dix microns et lettes d’eau surfondue (formation d’un cristal par litre. Sur l’écran radar, les tra-
plusieurs heures pour arriver à 20 cristal givré) ou d’autres cristaux (forma- jectoires de ces précipitations en cours
microns. Or une goutte d’eau ne survit tion d’un flocon de neige) ; il atteint alors de formation apparaissent comme des
pas aussi longtemps dans un nuage, et la masse d’une goutte de pluie moyenne. traînées obliques, définies par les varia-
certains cumulus parviennent au stade Si la particule de glace parvient dans une tions du vent en fonction de l’altitude.
précipitant en moins de 15 minutes. Un région où la température est positive, elle Dans les nuages stratiformes, en coupe
autre mécanisme doit intervenir dans la fond et se transforme en goutte de pluie. verticale, les échos radar se renforcent
formation de la pluie. Si elle reste à température négative, elle sur quelques centaines de mètres au-des-
Cet autre mécanisme pourrait être la atteint le sol sous forme de cristal de sous de l’isotherme zéro degré Celsius.
«collection», c’est-à-dire l’agglutination glace, de cristal de glace givré ou de flo- C’est ce qu’on nomme la «bande
d’un million de gouttelettes en une goutte con de neige. Quand le processus de brillante» : les cristaux fondent, et la
de pluie. La collection se fait en deux Bergeron est effectif, un seul cristal par pellicule d’eau liquide qui les recouvre
étapes : la collision et la coalescence. La litre suffit pour produire au sol des préci- augmente leur pouvoir réflecteur.
collision est l’étape la plus délicate. Les pitations substantielles. On a longtemps cru que le processus
grosses gouttes, qui chutent plus vite, ont de Bergeron suffisait à expliquer la for-
tendance à rattraper les plus petites. La glaciation mation des précipitations. Cependant,
Hélas, le fait qu’une petite goutte se situe dans les régions tropicales, on a observé
sur la trajectoire d’une plus grosse En hiver, à l’avant des fronts froids que la pluie apparaît aussi dans des
n’implique pas nécessairement leur colli- qui traversent notre pays, on observe cumulus qui culminent à des tempéra-
sion : la chute de la grosse goutte pro- souvent de telles précipitations, formées tures positives. Dans ces nuages, les
voque un déplacement d’air qui repousse à partir de cristaux de glace. Dès les pre- hydrométéores grossissent nécessaire-
les gouttes de taille inférieure à 20 mières utilisations du radar en météoro- ment par les seuls processus de condensa-
microns. Pour qu’il y ait collision, logie, on a détecté des cellules généra- tion et de collection. On a tenté d’expli-
quelques grosses gouttes initiatrices doi- quer la formation de gouttes initiatrices
vent être présentes dans le nuage (environ de plus de 40 microns par la présence de
une goutte de rayon supérieur à 40 noyaux de condensation géants, de
microns par litre). Toutefois, nous avons champs électriques ou de microturbu-
vu qu’en théorie, la formation de telles lences. Ces tentatives restent vaines. Des
gouttes par condensation exige des temps travaux récents de J.-L. Brenguier, au
supérieurs à la durée de vie des goutte- Centre national de recherches météorolo-
lettes de nuage. giques, montrent que, dans une même
Comment des gouttelettes de nuage particule d’air, les conditions de sursatu-
peuvent-elles produire des particules de ration fluctuent sur de courtes distances.
taille supérieure à 20 microns? Un méca- Chaque gouttelette, au hasard de sa tra-
nisme de formation, nommé processus de jectoire, évolue différemment ; ces diffé-
Bergeron, fut découvert et étudié en rences expliquent pourquoi l’on observe
Suède, à partir de 1930. Il intervient des tailles de gouttes bien plus diverses
lorsque quelques cristaux de glace et un que ne le prévoit la théorie de condensa-
grand nombre de gouttelettes en surfusion tion des gouttelettes, et elles n’excluent
cohabitent dans le nuage. Cette cohabita- plus la présence de gouttes de taille supé-
tion est fréquente aux latitudes rieure à 20 microns.
moyennes, où la température au sommet CHAUFFAGE Des observations intensives des
des nuages est souvent inférieure à – 20 nuages à l’aide des sondes aéroportées,
degrés Celsius. Aux températures néga- 5. L ES CELLULES DE B ÉNARD sont un conjuguées avec des mesures plus clas-
tives, la pression de vapeur saturante au- exemple de mouvement convectif. On les siques (température, humidité, vitesse
reproduit en laboratoire, en chauffant le
dessus de la glace est inférieure à la pres- verticale et horizontale), ont permis de
fond d’un récipient contenant un fluide :
sion de vapeur saturante au-dessus de à partir d’une certaine température, on
progresser. Cependant, certains phéno-
l’eau liquide. Cet écart s’accroît quand la observe une juxtaposition de cellules mènes, comme la formation de la glace,
température diminue. Dans un milieu polygonales (en haut). La périphérie des restent mal compris. Des mesures aéro-
comportant beaucoup d’eau liquide et cellules correspond à une zone d’ascen- portées, effectuées notamment aux États-
peu de glace, la phase liquide impose la dance et le centre (en couleur foncée) à Unis et en Australie, ont indiqué une
pression de vapeur d’eau. La sursatura- une zone de subsidence. concentration en cristaux plus de mille
© POUR LA SCIENCE 43
fois supérieure à la concentration en
RAYONNEMENT SOLAIRE noyaux glaçogènes. On a aussi constaté
une glaciation rapide et massive au som-
met de cumulus développés. Il existe
donc un processus de multiplication
capable de produire, sans noyaux glaço-
gènes, de grandes quantités de cristaux.
Ce phénomène serait rare dans les
nuages continentaux, et efficace dans des
nuages maritimes assez âgés, contenant
ÉCHAUFFEMENT ÉCHAUFFEMENT
de grosses gouttes d’eau. Selon des
RAPIDE LENT
études menées en laboratoire, cette mul-
tiplication rapide des cristaux de glace
résulterait de l’éclatement et du givrage
TERRE MER des gouttelettes entrant en collision avec
des particules de neige ou de grésil.
Une bonne description des méca-
nismes de formation de la glace est capi-
tale pour plusieurs raisons. Nous savons
que la glaciation joue un rôle détermi-
nant dans la formation des précipita-
tions. Elle fournit aussi, dans certains
cas, une énergie supplémentaire aux
nuages, sous forme de chaleur. Enfin, la
ASCENSION glaciation contrôle en grande partie la
DE L’AIR CHAUD répartition des charges électriques au
AU-DESSUS DE LA TERRE CRÉATION DE ZONE sein des nuages.
DE CONVERGENCE
AU-DESSUS DE LA CÔTE
La dynamique des nuages
À la fin des années 1940, en Floride
et en Ohio, l’une des premières études
des mécanismes orageux au moyen de
radars, le Thunderstorm Project, a abouti
BRISE DE MER à une description détaillée des cellules
convectives. On y a décrit notamment les
orages dits de «masses d’air». Ces orages
surviennent en été, dans des masses d’air
SUBSIDENCE
instables, en situation météorologique
non perturbée. Ils comportent plusieurs
cellules élémentaires qui se développent
et disparaissent tour à tour. Une telle cel-
lule évolue en trois étapes : l’étape du
cumulus, l’étape de maturité et l’étape de
la dissipation (voir la figure 8). Le cycle
total dure une trentaine de minutes, pen-
dant lesquelles le diamètre de la cellule
NUAGES ne dépasse pas dix kilomètres.
Les orages les plus dévastateurs nais-
sent dans une structure convective plus
vaste, la «supercellule», qui perdure plu-
sieurs heures, et qui s’étale sur 50 kilo-
ASCENDANCE mètres. La circulation de l’air y est sta-
tionnaire pendant que l’ascendance et la
6. LA BRISE DE MER résulte de l’échauffement de la terre par le Soleil. Le sol se réchauffe subsidence s’entretiennent mutuelle-
plus vite que l’océan. Il transmet une partie de sa chaleur à l’air des basses couches (en haut). ment (voir la figure 9). La description
Le réchauffement de l’air abaisse la pression atmosphérique sur le continent et, par consé- de ce type d’orage s’est affinée au fil
quent, aspire l’air marin (au milieu). Il en résulte une zone de convergence et l’apparition
des ans, en particulier à la suite d’ana-
d’une ascendance, au-dessus de la côte. Ces mouvements sont compensés par la formation
d’une zone de subsidence qui se développe au-dessus de l’eau. Les vitesses d’ascendance,
lyses détaillées des données radar et
même faibles, suffisent souvent pour soulever l’air jusqu’au niveau de condensation et don- grâce aux travaux de K. Browning et de
ner naissance à des nuages le long de la côte (en bas). Si l’air est instable, les nuages sont de G. Foote, aux États-Unis (voir La nais-
type convectif. On observe alors, localement, des vitesses verticales importantes. Après le cou- sance des tornades, par Robert Davies-
cher du Soleil, la situation est inversée ; les nuages se forment au-dessus de la mer. Jones, dans ce dossier).
44 © POUR LA SCIENCE
L’image radar d’une supercellule est cipitations s’évaporent et humidifient un courant d’air ascendant où se forment
caractéristique. L’ascendance est mar- l’air environnant. Cette évaporation les précipitations. La dissipation des cel-
quée par une zone d’échos faibles, entou- consomme de la chaleur, ce qui refroidit lules les plus anciennes est systémati-
rée d’échos très intenses. La vitesse verti- l’air environnant et l’alourdit. Plus cet air quement compensée par la naissance de
cale dans l’ascendance est si grande que est initialement sec, plus il se refroidit et nouvelles cellules ; ainsi le système per-
les gouttelettes n’ont pas le temps s’alourdit. Arrivé près du sol, l’air froid dure plusieurs heures et engendre des
d’atteindre une taille appréciable ; en s’étale et rencontre l’air chaud et humide phénomènes souvent plus violents que
outre, ni la pluie ni la grêle n’y pénètrent : qui alimente le nuage. Dans les cas les orages ordinaires. On a beaucoup
elles sont rejetées vers le haut ou sur les extrêmes, la différence de température étudié ces systèmes. Durant l’expérience
côtés. L’ascendance ne renferme donc atteint 10 degrés. Le pseudo-front froid COPT81, des laboratoires français et ivoi-
aucun objet susceptible d’engendrer des ainsi formé renforce encore l’ascendance. riens ont observé la structure des lignes
échos radar importants. Les gros hydro- Dans ce type d’orage, la grêle se forme de grains qui affectent les régions tropi-
météores confinés autour de l’ascendance en altitude, dans la partie de la voûte qui cales. Ces systèmes s’étalent sur 1 000
provoquent en revanche des échos devance l’ascendance. Les grêlons sont kilomètres de long et 300 à 400 kilo-
intenses qui dessinent une vaste voûte. recyclés avant d’être happés vers mètres de large. À l’avant, ils compor-
Les supercellules naissent dans des l’arrière et projetés au sol. La zone de tent plusieurs dizaines de cellules
conditions météorologiques précises, formation de la grêle est probablement convectives, sans cesse renouvelées,
caractérisées par la présence d’un fort petite. C’est pourquoi les diverses alors qu’ils forment à l’arrière une large
cisaillement vertical de vent horizontal, méthodes utilisées pour combattre ce enclume stratiforme. Ces structures se
d’air chaud et humide près du sol et d’air fléau (ensemencement des nuages, déplacent sur des milliers de kilomètres
sec en altitude. Les vents extérieurs, per- fusées anti-grêle) n’ont guère d’effet sur en plusieurs jours. Dans les régions
turbés par le nuage qui leur barre la route, l’évolution des orages de supercellules. quasi désertiques de l’Afrique sub-sahé-
engendrent des mouvements verticaux à Certains orages constituent de vastes lienne, les lignes de grains fournissent la
sa périphérie et renforcent la convection. ensembles nuageux : systèmes multicel- majeure partie des précipitations.
Lorsqu’ils augmentent avec l’altitude, la lulaires, amas convectifs, lignes de Les systèmes frontaux sont des struc-
zone d’ascendance s’incline et les préci- grains, etc. Ces systèmes comportent des tures encore plus vastes, visibles sur les
pitations s’éloignent. Une partie des pré- cellules convectives, chacune associée à images retransmises par les satellites
VARIATIONS
6 000 DE LA VITESSE
DU VENT CROISSANCE
DES HYDROMÉTÉORES
PAR EFFET BERGERON
–20 °C
5 000
PAR RADAR
4 000
TRAJECTOIRE
DES HYDROMÉTÉORES
3 000
CROISSANCE TRAÎNÉE
DES HYDROMÉTÉORES DE
2 000 PAR COALESCENCE PRÉCIPITATIONS
0 °C
1 000
LIMITE
PLUIE DES PRÉCIPITATIONS
0
© POUR LA SCIENCE 45
météorologiques. Ils ont une forme de orages, jugée responsable de la grêle ; États-Unis, Bernard Vonnegut découvrit
lambda, surmonté d’un enroulement. Les c’était la méthode du «Niagara élec- que la fumée d’iodure d’argent avait un
systèmes frontaux s’organisent autour de trique». Elle n’a pas donné de meilleurs excellent pouvoir glaçogène dans les
vastes circulations ; ils résultent des forts résultats que les cloches au son grêlifuge. nuages où la température est inférieure à
gradients de température qui existent On a aussi utilisé des gouttelettes d’eau – 5 degrés Celsius. Il montra qu’il était
entre l’équateur et les pôles (voir Les pour initier la coalescence, du sel pilé possible de produire, avec cette sub-
dépressions météorologiques, par Alain pour créer des noyaux de condensation stance, une grande quantité de noyaux
Joly, dans ce dossier). Pour comprendre géants, des obus pour secouer les nuages glaçogènes (jusqu’à 10 14 noyaux par
les systèmes frontaux et améliorer la pré- et de nombreux autres moyens. gramme d’iodure d’argent). Presque en
vision des tempêtes qu’ils produisent, on Cette brève énumération montre que même temps, M. Schaeffer larguait, à
prépare une expérience internationale l’homme a dépensé une énergie considé- partir d’un avion, de la neige carbonique
nommée FASTEX (Fronts and Atlantic rable pour se défendre contre la grêle ou dans des strato-cumulus : de façon spec-
Storm Track Experiment) : elle se dérou- augmenter les précipitations. Nombre taculaire, les nuages se dissipaient en
lera en janvier et février 1997, au-dessus d’illuminés et de charlatans ont profité de précipitant de la neige. Deux ans plus
de l’Atlantique Nord. ces tentatives. L’amélioration de notre tard, la General Electric parvenait à un
compréhension des mécanismes de for- résultat similaire en employant de
La modification du temps mation et d’évolution des nuages et des l’iodure d’argent. La possibilité d’agir
précipitations n’a hélas pas modifié cet sur la formation de la glace dans les
La modification du temps est un état de fait. Dans de nombreuses régions nuages était ainsi démontrée.
vieux rêve. Pour se défendre contre les du monde, on continue à ensemencer des Depuis cette époque, les expériences
fléaux atmosphériques, l’homme a com- nuages sans évaluer les résultats éven- de modification du temps se comptent par
mencé par diriger ses armes contre le ciel. tuels, en remplaçant simplement la centaines. On a cherché à éliminer les
Hérodote rapporte que les Thraces lan- poudre des projectiles ou la fumée des brouillards, à diminuer les conséquences
çaient des flèches vers les orages «pour feux de paille par de l’iodure d’argent ou néfastes de la grêle ou à provoquer des
les menacer et faire cesser les bouleverse- des particules hygroscopiques. pluies au-dessus de régions arides ou
ments atmosphériques». Dès son inven- L’agent le plus couramment utilisé désertiques. Sans aucun doute, on sait
tion, l’artillerie a combattu la grêle. En dans les opérations visant à augmenter la aujourd’hui dissiper localement des
France, au début de ce siècle, on a installé pluie ou à réduire la grêle est l’iodure brouillards surfondus ; plusieurs aéro-
des réseaux de paratonnerres gigan- d’argent. En novembre 1946, dans les ports ont recours au procédé. Les expé-
tesques pour extraire l’électricité des laboratoires de la General Electric, aux riences visant à augmenter la pluie ou à
réduire la grêle sont moins convaincantes.
Pour augmenter les quantités de pluie,
VENT
on a envisagé trois opérations. La pre-
LIMITE DE LA TROPOPAUSE
mière consiste à déclencher le processus
ENCLUME de coalescence, en injectant de gros
noyaux de condensation ou des gouttes
d’eau qui capturent des gouttelettes en
suspension dans le nuage. La deuxième
méthode vise à susciter le processus de
Bergeron, en introduisant quelques cris-
taux de glace dans un milieu peuplé de
gouttelettes d’eau surfondues. La troi-
sième méthode tend à provoquer une gla-
ciation massive du sommet du nuage, en
y introduisant de grandes quantités
d’iodure d’argent ou de neige carbo-
nique ; c’est la méthode dite d’«ense-
PRÉCIPITATIONS mencement dynamique», où l’on stimule
ÉTAPE DU CUMULUS ÉTAPE DE LA MATURITÉ ÉTAPE DE LA DISSIPATION le développement vertical du nuage en
8. L’ORAGE DE MASSE D’AIR est composé de cellules convectives, de courte durée de vie
libérant la chaleur latente de glaciation.
(une trentaine de minutes). Il évolue en trois étapes. Pendant la phase de développement, L’évaluation des modifications obte-
l’organisation dynamique évoque une cellule de Bénard, avec une ascendance centrale nues sur l’aire d’ensemencement est diffi-
humide, entourée d’une région de subsidence en air clair ; c’est l’étape du cumulus. Le cile : le comportement des systèmes com-
sommet du nuage s’élève d’une dizaine de mètres par seconde, les vitesses verticales au sein battus est varié, les situations favorables
de l’ascendance atteignent 20 mètres par seconde. Dans l’air clair entourant le nuage, les sont rares et, surtout, les méthodes utili-
vitesses descendantes sont bien plus faibles. La deuxième étape (étape de la maturité) est sées sont peu ou pas efficaces. Rares sont
associée à la pluie, qui crée un fort courant descendant : l’air est entraîné vers le bas à la les faits établis, qui résistent aux critiques
fois par le poids des hydrométéores en suspension et par le refroidissement dû à l’évapora-
des experts. Nous ne mentionnerons ici
tion partielle des gouttes. Le sommet du nuage atteint alors la tropopause, à près de 20 kilo-
mètres d’altitude sous les tropiques et aux environs de 10 kilomètres sous nos latitudes.
que deux expériences passées : le projet
Pendant la troisième étape (étape de dissipation), la subsidence occupe pratiquement tout le Whitetop, réalisé aux États-Unis, dans le
volume de la cellule et coupe son alimentation en vapeur d’eau. Le sommet du nuage Missouri, entre 1960 et 1964, et une des
s’écrase contre la tropopause et s’étend en forme d’enclume sous l’effet des vents forts pré- expériences israéliennes qui s’est dérou-
sents en altitude. Le nuage perd de sa vigueur et se dissipe. lée entre 1961 et 1967.
46 © POUR LA SCIENCE
ALTITUDE (EN MÈTRES)
DÉPLACEMENT DE L’ORAGE
15 000
VOÛTE
10 000
AIR SEC ZONE DE FORMATION
DE LA GRÊLE
TRAJECTOIRE
5 000 DES GRÊLONS
E
E NC FR
ID
BS O
NT
PLUIE SU
ET FR
O AIR CHAUD ET HUMIDE
GRÊLE ID
0
-20 -10 0 10 20 30 40 50 0 10 20 30 40 50
VENT MOYEN MESURÉ PAR RAPPORT À L’ORAGE DISTANCE (EN KILOMÈTRES)
(EN MÈTRES PAR SECONDE)
9. L A SUPERCELLULE produit un orage dévastateur, qui se située à l’avant de la supercellule (zone embryonnaire) que se
déplace sur plusieurs centaines de kilomètres. L’air chaud et forme la grêle. Les mouvements probables des grêlons épousent
humide, provenant des basses couches de l’atmosphère, monte la forme de la voûte. Les hydrométéores qui s’échappent vers
vers le sommet du nuage. Au cours de leur ascension, les hydro- l’arrière de l’ascendance atteignent le sol, sous forme de pluie ou
météores n’ont pas le temps de grossir : les échos radar (en grisé) de grêle. Leur évaporation partielle au contact de l’air sec d’alti-
demeurent faibles. Les particules liquides ou solides sont rejetées tude (flèche bleue) refroidit l’air et renforce la vigueur du cou-
au sommet ou sur les côtés de l’ascendance, qui est entourée rant subsident (en vert). Arrivé au voisinage du sol, ce courant
d’échos intenses : ceux-ci forment une voûte. Au sommet de cette s’étale et engendre un pseudo-front froid ; ce dernier fait obs-
voûte, les hydrométéores liquides gèlent, ceux qui retombent vers tacle à l’air chaud et humide, le repousse dans l’ascendance et
l’avant sont recyclés dans l’ascendance. C’est dans cette région renforce la convection.
Le projet Whitetop devait accroître, précipitations de 10 ou 20 pour cent quantités de grêle. Or, on ne connaît pas
en plaine, les précipitations issues de semble possible. Hélas, les résultats obte- de technique d’ensemencement assez
cumulus d’été. L’ensemencement se fai- nus en Israël n’ont pas été reproduits dans précise pour éviter une dispersion des
sait au moyen d’un avion équipé de brû- d’autres régions du monde. noyaux glaçogènes. Les ensemence-
leurs à iodure d’argent. Parmi les nom- Les tentatives de réduction des préci- ments ont été suspendus dès 1975 car, au
breuses analyses statistiques faites sur pitations de grêle, pour la plupart, exploi- total, l’expérience avait enregistré plus
ces données, certaines indiquent un tent la compétition entre grêlons lors de de grêle et moins de pluie lors des situa-
résultat incertain, mais une majorité leur croissance. On suppose qu’un ajout tions ensemencées. On craignait une
montre une diminution des pluies de 20 de noyaux glaçogènes limite la quantité diminution des précipitations sur ces
à 60 pour cent. Les nuages ensemencés d’eau liquide collectée par chaque grê- régions arides, où celle-ci aurait plus
étaient de type maritime, et la coales- lon. Ceux-ci deviennent plus nombreux, d’impact économique qu’une modifica-
cence y jouait probablement un rôle mais plus petits : ils chutent moins vite et tion des quantités de grêle.
important dans la formation de la pluie ; fondent partiellement avant d’atteindre le Ces mauvais résultats ont été
or la multiplication des noyaux de sol. Dans les années 1970, pour vérifier confirmés par ceux de l’expérience
condensation gêne la coalescence, ce la crédibilité de ces résultats, le National Grossversuch, effectuée en Suisse, de
qui expliquerait ce résultat négatif. Hail Research Experiment a conduit un 1977 à 1981. Après ces vaines tentatives
L’expérience israélienne portait sur programme de recherches sur la grêle, pour modifier le temps, la communauté
des nuages de type continental, donc plus dans le Colorado, aux États-Unis. Après scientifique reste prudente. Une meilleure
riches en noyaux de condensation : la trois ans d’opérations intensives, le résul- compréhension des mécanismes en jeu et
coalescence et la multiplication de la tat des ensemencements restait incertain. un raffinement des méthodes d’ensemen-
glace devaient y jouer un rôle mineur. Un Dans le Colorado, les chutes de grêle cement se révèlent nécessaires. De nou-
avion dispersait de l’iodure d’argent au proviennent essentiellement de supercel- velles techniques d’observation et de
vent de la zone de mesure. Les précipita- lules : la grêle se forme en altitude, en simulation nous aideront à prendre en
tions des nuages ensemencés étaient 15 avant de la zone d’ascendance. Un ense- compte les nuages dans la prévision des
pour cent plus abondantes que celles des mencement dans cette région serait effi- précipitations, dans l’étude du bilan
nuages non ensemencés. Ce résultat est cace, à condition d’être massif ; s’il est radiatif de la planète et dans la compré-
significatif. Ainsi, un accroissement des insuffisant, il risque d’augmenter les hension des évolutions climatiques.
© POUR LA SCIENCE 47
LA DÉPRESSION
exprimé la nécessité d’introduire ces élé-
ments de causalité, isolant ainsi les phéno-
mènes météorologiques dans le zoo des
48 © POUR LA SCIENCE
tropopause est une surface mobile et Comme la coulée d’essence qui ali- Au passage, la dépression et celles qui
flexible, située entre 8 et 10 kilomètres, mente les flammes, le courant-jet constitue à l’accompagnent entraînent le courant-jet
selon la latitude et la saison. la fois le réservoir d’énergie des dépressions vers 60 degrés de latitude, et lui assignent
Les dépressions qu’indique le baro- et leur guide. Réservoir d’énergie : autour et une configuration qui orientera les dépres-
mètre occupent toute l’épaisseur de la tro- sous le courant-jet, un refroidissement doux, sions suivantes pendant une semaine ou
posphère, mais, on l’a vu, cette épaisseur de un degré pour 100 kilomètres, est dirigé deux. En 1988, Robert Vautard et Bernard
est infime comparée à leur extension hori- de l’équateur vers le pôle. Bien que faible, ce Legras ont dénommé régime de temps
zontale. Cette forme aplatie conduit à gradient de température se maintient sur une configuration persistante du courant-jet
considérer que les deux forces verticales toute l’épaisseur de la troposphère, de la et l’ont expliquée. L’évolution de cette
existantes, l’attraction gravitationnelle et la surface à la tropopause, ce qui représente configuration dépend du couplage entre le
poussée d’Archimède, se compensent. On un formidable potentiel énergétique suscep- courant-jet et les dépressions ; ce couplage
nomme équilibre hydrostatique cette com- tible d’engendrer des vents horizontaux. bilatéral illustre l’importance des rétroac-
pensation verticale. Guide des dépressions : en progressant, tions dans la dynamique de l’atmosphère.
Le maintien de ces deux équilibres, les dépressions consomment l’énergie ther-
hydrostatique et géostrophique, régit, en mique disponible. Toutefois, elles perturbent Ondes et ondées
partie, le fonctionnement des dépressions. également le jet : de même qu’un train
Leur évolution dépend aussi de la réparti- lancé trop vite dans une courbe arrache son Pour comprendre comment, dans ce
tion d’énergie dans l’atmosphère. rail au ballast, les dépressions déplacent vers couplage, le courant-jet favorise les dépres-
le pôle le courant-jet qui les guide. Chaque sions, considérons le cas de l’organisation
dépression bouscule plus ou moins le jet la plus simple qui puisse persister dans
Le courant-jet
selon son intensité, sa taille, sa configuration. l’environnement du jet, et qui servira ainsi
La répartition de l’énergie solaire est Ainsi les dépressions évoluent dans le de précurseur à une dépression (voir la
inégale à la surface de la Terre : en raison voisinage du courant-jet. Elles marquent, figure 2a). Dans les couches de transition
de la rondeur de la planète, l’équateur reçoit durant un jour ou deux, le temps qu’il fait. de l’atmosphère (telles que la surface ou la
plus d’énergie que les pôles. L’atmosphère
et les océans se meuvent pour rééquilibrer
ces différences entre les bandes de latitude. a TROPOPAUSE COURANT-JET
George Hadley a imaginé, au XVIIIe siècle, OUEST EST
deux «cellules» de circulation atmosphé-
rique, où l’air équatorial, chaud et humide,
se soulève par convection, se déplace vers
les pôles, se refroidit, redescend et revient VENTS
VERTICAUX
vers l’équateur (voir Les cycles de l’atmo-
sphère, page 26). Toutefois la Terre tourne, ISOTHERMES
entraînant l’atmosphère dans son mouve-
ment. Les masses d’air qui avancent vers un NORD
pôle s’approchent de l’axe de rotation de la
Terre et tournent de plus en plus vite ; le PROPAGATION
SUD
patineur utilise le même phénomène phy- DU TOURBILLON
sique pour tourner plus vite sur lui-même, SURFACE TERRESTRE VENT HORIZONTAL ANOMALIE DE TEMPÉRATURE
en ramenant les bras le long du corps. À la
limite de la cellule de Hadley, soit vers 30 b ANOMALIE DE TEMPÉRATURE
degrés de latitude, les masses d’air tournent
plus vite que la Terre ; cet effet se traduit
par un vent fort, soufflant d’Ouest en Est,
sur plusieurs dizaines de degrés de longi-
8 À 10 KILO-
MÈTRES
© POUR LA SCIENCE 49
COUPLAGE DES ANOMALIES ANOMALIES AMPLIFIÉES Tant que l’onde de surface est en aval
de l’onde d’altitude, la région ascendante
surplombe la région descendante : les
colonnes contenant la base de l’ascendance
perdent beaucoup de masse. La pression
INCLINAISON diminue rapidement. De plus, dans cette
DU VENT
ASCENDANT configuration, la région ascendante relie les
anomalies chaudes des deux ondes, et la
PLUIES
zone descendante joint les anomalies
froides : l’énergie thermique du jet se
transforme en vent, avec un excellent ren-
dement. Les deux ondes, unies en une
dépression active, respectent ainsi le lien
géostrophique entre la pression et le vent :
3. Une dépression apparaît quand deux ondes élémentaires interagissent à travers le vent croît quand la pression baisse. Si,
la troposphère, et tant que l’onde d’altitude se tient en aval de l’onde de surface. d’aventure, l’onde d’altitude passe en aval
de l’onde de surface, la dépression meurt,
parce que la zone descendante surplom-
tropopause), le brusque changement de d’air où ils se meuvent ; il s’ensuit une bant l’ascendance apporte de l’air en alti-
propriétés, combiné au faible gradient variation de la pression. La pression d’une tude : la pression augmente. Les corréla-
horizontal, autorise la propagation d’une colonne d’air diminue quand le mouve- tions entre anomalies thermiques et
anomalie de température. À la surface, ment vertical évacue par les côtés plus mouvements verticaux se dégradent aussi :
une telle anomalie thermique peut résulter d’air qu’il ne lui en faut pour l’alimenter. le système perd de l’énergie.
d’une interaction particulière avec le sol. Une situation propice à la baisse de pres- Nous avons montré qu’une dépression
Elle peut aussi provenir d’une dépression sion se présente avec un courant d’air met en jeu une interaction entre la surface
précédente, notamment en altitude, où ascendant incliné : l’air d’une colonne pla- et la tropopause, d’une part, et le courant-
aucun frottement ne vient l’éroder. La plu- cée dans un tel courant incliné est aspiré à jet d’autre part. L’absence de la compo-
ralité des sources de précurseurs entraîne la base et évacué par un bord. Les météo- sante d’altitude (ou de surface) limite les
une diversité des évolutions possibles des rologues norvégiens Jakob Bjerknes et précurseurs à dix millibars environ. Les
dépressions, que nous ne détaillons pas ici. Jorgen Holmboe ont proposé ce méca- dépressions les plus violentes se forment à
Équilibres géostrophique et hydrosta- nisme de chute de pression dès 1944. partir de deux ondes initialement indépen-
tique imposent une corrélation entre vent Toutefois, dans un précurseur confiné à dantes. Toutefois, il arrive qu’une onde
horizontal et température ; un vent horizon- la surface, les courants verticaux, trop d’altitude, arrivant dans le jet, induise la
tal s’enroule autour de cette anomalie ther- modestes, ne s’inclinent pas. L’onde élémen- création d’une onde de surface bien placée,
mique, formant une sorte de tourbillon. Les taire de surface se propage, mais ne peut se légèrement en aval. C’est en 1947, que
composantes Nord-Sud de ce vent poussent développer. Elle ne donne qu’un petit sys- Reginald Sutcliffe a noté l’importance d’un
les isothermes à l’Est et les remettent en tème nuageux inoffensif. Dans quelles précurseur en altitude. Une onde de sur-
place à l’Ouest. L’ensemble, anomalie de conditions un tel courant d’air ascendant face peut développer aussi sa composante
température et tourbillon, persiste et se pro- s’incline-t-il pour engendrer une dépression? d’altitude qui se formera un peu en amont.
page d’Ouest en Est : c’est ce que C. Rossby Après avoir situé les dépressions dans
a nommé une onde élémentaire. Une rencontre tumultueuse l’économie générale de l’atmosphère, nous
Cependant, la propagation de l’onde avons décrit la phase la plus spectaculaire
élémentaire perturbe les équilibres. À cette Nous avons considéré un tourbillon se de leur existence, celle de la chute de
action (menace des équilibres), l’atmo- propageant à la surface, constituant une pression et de son amplification. L’évolu-
sphère répond par de lents mouvements onde élémentaire. Une onde de même tion ultérieure des dépressions, comme la
verticaux, qui modèrent l’action des vents nature, accompagnée des mêmes mouve- formation des fameux «fronts» atmosphé-
horizontaux. C’est l’hypothèse de l’exis- ments verticaux, peut se propager à la tro- riques, est tout aussi fascinante.
tence d’un quasi-équilibre qui permet de popause, à l’altitude du courant-jet (voir la Cependant, leur origine nous réserve
séparer ainsi les causes (mouvements hori- figure 2b). Poussée par le jet, elle se déplace encore plus de surprises, que l’on com-
zontaux) des effets (mouvements verti- plus vite, mais ne grandit pas davantage. mence seulement de découvrir. En outre,
caux). Nécessairement forcés, les mouve- Cette situation calme bascule lorsque la clé de l’origine des dépressions fournit la
ments verticaux, qui engendrent les deux ondes élémentaires se rencontrent, clé de la prévision. L’hiver prochain, un
nuages, puis la pluie, réclament une source l’une à la surface, l’autre à la tropopause vaste projet européen et américain,
d’énergie. Dans notre exemple, l’élévation (voir la figure 3). Quand elles ont une exten- nommé FASTEX, rassemblera les données
de l’air chaud et la descente de l’air froid sion spatiale suffisante, elles interagissent à nécessaires sur l’Atlantique : combien de
maintiennent les équilibres, ébranlés par la travers la troposphère. Alors, les mouve- jours à l’avance peut-on prévoir la localisa-
propagation de l’onde : un cycle thermody- ments verticaux de chacune se conjuguent tion d’une dépression donnée? Pour le
namique moteur s’auto-alimente. Dans et forment un couple montée/descente plus savoir, on observera la naissance de tem-
d’autres configurations, le courant-jet four- profond et plus intense. Fait important, les pêtes, comme on ne l’a jamais fait.
nit l’énergie nécessaire, ce qui le ralentit. régions des mouvements verticaux combi-
Poursuivons la dissection de l’onde élé- nés s’inclinent facilement : il suffit pour cela Alain JOLY est chercheur
mentaire. Certains mouvements verticaux que les ondes génératrices restent décalées de Météo-France, au Centre National
forcés modifient la masse de la colonne par rapport à la verticale. de Recherches Météorologiques.
50 © POUR LA SCIENCE
Les moussons
Peter Webster
52 © POUR LA SCIENCE
mènes dès la fin du XVIIe siècle et au forme de chaleur. Ainsi, au cours de nuages et en pluies libère l’énergie
début du XVIIIe siècle. Halley attribua la tout changement d’état, de l’énergie est stockée dans la phase vapeur, ou cha-
circulation de la mousson aux diffé- ajoutée ou soustraite à un corps sans leur latente. Ainsi, dans la circulation
rences de réchauffement et de refroidis- modification de sa température. atmosphérique liée à la mousson, une
sement entre la terre et l’océan. Ce Observez des cubes de glace dans un partie de l’énergie solaire collectée par
contraste, expliqua-t-il, devait créer des verre d’eau : s’il fait chaud dans la l’énorme réservoir océanique est libé-
différences de pression dans l’atmo- pièce, ils fondent, mais la température rée sur les terres lors des processus de
sphère, que les vents tendaient à niveler. de l’eau reste constante tant qu’il y a de condensation. C’est cette énergie qui
Hadley, quant à lui, remarqua que la la glace dans le verre. est à l’origine de l’intensité et de la
rotation de la Terre devait modifier la Le sixième de l’énergie solaire inci- durée de la saison des pluies, ainsi que
direction de ces vents ; ceux qui se diri- dente parvenant à la surface du Globe des variations internes à cette saison,
geaient vers l’équateur étaient déviés sert à évaporer une partie de l’eau des avec alternance de phases sèches et de
vers la droite dans l’hémisphère Nord, océans. La condensation de cette eau en phases humides.
vers la gauche dans l’hémisphère Sud.
Ces deux processus sont toujours consi-
dérés comme les causes fondamentales
du phénomène de la mousson.
Un troisième facteur, lié à la physique
de l’eau, détermine la spécificité des
moussons. Sur la majeure partie de la sur-
face de la Terre, les températures et ten-
sions (pressions) de vapeur d’eau sont
proches de celles du point triple de l’eau.
Le point triple d’un corps désigne des
conditions de température et de pression
favorables à la coexistence des phases
solide, liquide et gazeuse de ce corps. Le
point triple de l’eau se situe à une tempé-
rature de 0,01 degré Celsius et à une pres-
sion de 0,006 atmosphère. Les molécules
d’eau, dont les conditions d’environne-
ment se rapprochent du point triple, pas-
sent librement de l’un à l’autre de ces
trois états ; au contraire, les molécules de
gaz carbonique ne peuvent passer à l’état
liquide aux températures et aux pressions
qui règnent habituellement à la surface du
Globe ; la pression doit s’élever considé-
rablement avant que le gaz carbonique
solide (la neige carbonique) ne fonde, au
lieu de passer directement, par sublima-
tion, à la phase gazeuse.
Stockage et transfert
d’énergie
Pour comprendre la formation des
moussons, il importe de connaître les
processus de changement d’état de l’eau
dans l’atmosphère : la condensation,
l’évaporation, la liquéfaction et la cris-
tallisation. Le passage de l’état solide à
l’état liquide dépense une certaine quan-
tité d’énergie ; il faut briser la structure 2. LA CIRCULATION DE LA MOUSSON D’ÉTÉ au-dessus de l’Inde et de l’Asie du Sud-Est
cristalline de la glace pour obtenir le transfère l’air humide de l’océan équatorial vers les terres (en haut). Cette circulation est
désordre dynamique du liquide. De créée par des différences de pression atmosphérique entre l’air chaud des terres et l’air
même, il faut une certaine quantité froid de l’océan. L’intensité de cette circulation augmente lorsque la vapeur d’eau conte-
nue dans l’air et transportée sur le continent se condense en libérant de l’énergie. En hiver,
d’énergie pour évaporer de l’eau
ou saison sèche, la circulation change de sens et la couverture nuageuse au-dessus de la
liquide. Cette énergie est stockée sous la terre diminue fortement (en bas). Les moussons ne sont pas un phénomène spécifique de
forme d’énergie cinétique dans les l’océan Indien ; elles se produisent partout où un renversement saisonnier des vents est dû
molécules de vapeur d’eau ; lorsque ces à un réchauffement différentiel de l’atmosphère. Les deux photographies ci-dessus sont des
molécules se condensent à nouveau, reconstitutions par ordinateur à partir de données collectées par le satellite NOAA-5 le 3
l’énergie cinétique est libérée sous août 1977 et le 1er décembre de la même année.
© POUR LA SCIENCE 53
Pour mieux comprendre la circula- qui transportent l’eau réchauffée vers rature entre l’atmosphère et la surface.
tion de la mousson, revenons sur le les profondeurs ; cette couche de sur- En s’élevant, l’air chaud se mélange
mécanisme de base proposé par Halley face est remplacée par des eaux froides avec l’air plus froid, et le réchauffe.
en 1686. Le fait que les zones terrestres venues des niveaux inférieurs et qui, à Cette forme de réchauffement est nom-
tendent à être plus chaudes que les leur tour, subissent le même processus. mée transfert de chaleur sensible car le
océans en été et plus froides en hiver, En hiver, la chaleur accumulée durant corps chauffé doit obligatoirement se
entraîne un réchauffement différentiel de l’été dans l’épaisseur océanique est libé- trouver au contact de la source de cha-
l’atmosphère. Terres et océans répondent rée par le processus inverse : à mesure leur. C’est la chaleur sensible, qui
différemment au rayonnement solaire, et que la couche de surface se refroidit, engendre le chauffage différentiel initial
ceci pour deux raisons. La première est alors que diminue le rayonnement de l’atmosphère au-dessus de l’océan et
la grande capacité calorifique de l’eau, solaire, elle s’enfonce et est remplacée au-dessus de la terre, et qui produit
nettement supérieure à celle de la plupart par l’eau plus chaude qui s’élève des l’énergie potentielle nécessaire au sys-
des autres corps. La chaleur massique niveaux inférieurs. tème de la mousson.
d’un corps est une mesure de sa capacité Les vents de mousson sont créés par
calorifique : c’est la quantité d’énergie Le chauffage différentiel la conversion d’une partie de cette éner-
nécessaire pour élever la température gie potentielle en énergie cinétique.
d’un gramme de ce corps de un degré. Or En raison de la grande inertie du L’énergie potentielle d’un système sou-
la chaleur massique de l’eau vaut plus du système, les maxima et minima des mis à la gravitation est proportionnelle à
double de celle de la terre. C’est pour- températures de surface sont décalés l’altitude de son centre de gravité par
quoi, en réponse à une même quantité de d’environ deux mois par rapport aux rapport à un niveau de référence, par
rayonnement solaire, la température maxima et minima correspondants du exemple la surface de la Terre. On aug-
d’une masse continentale donnée aug- rayonnement solaire. En outre, du fait mente l’énergie potentielle d’un système
mente deux fois plus que celle d’une de la chaleur massique élevée de l’eau en élevant son centre de gravité, ce qui
masse équivalente d’océan. et de ces processus turbulents, la tempé- peut se faire soit en captant l’énergie
Le second mécanisme, expliquant rature de l’océan en surface varie moins cinétique de ce système – et donc en
les grandes possibilités de stockage que celle de la terre. réduisant son mouvement –, soit en four-
énergétique par les océans, est constitué Au printemps, début du cycle annuel nissant de l’énergie à partir d’une source
par les transferts verticaux d’énergie de la mousson, l’énergie thermique qui extérieure. Inversement, si l’on abaisse le
thermique dans la masse océanique : la atteint la surface de l’océan ou de la centre de gravité, l’énergie potentielle
chaleur est répartie sur une grande terre est réinjectée vers l’atmosphère diminue et une quantité correspondante
épaisseur d’eau, à partir de la surface. sous l’effet de mouvements ascendants. d’énergie cinétique se trouve disponible
En été, la tension du vent à la surface de Le taux d’échange thermique est alors pour le déplacement du fluide de compo-
l’eau induit des mouvements turbulents proportionnel à la différence de tempé- sition, en l’occurrence l’air.
a b
TEMPÉRATURE DE L’AIR
FRAIS FROID
CONDUCTION
ET CONVECTION
CONDUCTION
ET CONVECTION ÉVAPORATION
30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD 30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD
3. LA MOUSSON D’ÉTÉ résulte de l’interaction entre l’humidité et sur l’océan ; cet air moins dense s’élève et est remplacé dans les
le vent. La terre et l’océan, réchauffés par le rayonnement solaire, basses couches par l’air plus dense venant de l’océan et porteur
réchauffent à leur tour, par conduction, l’air sus-jacent qui de l’humidité marine (b). Cette humidité stocke l’énergie solaire
s’élève et se détend (a). L’air se réchauffe plus vite sur terre que sous forme de chaleur latente (points blancs). Lorsque l’air
54 © POUR LA SCIENCE
Durant la mousson d’été, le chauf- Le retournement voisin commence à baisser.
fage différentiel augmente l’énergie hivernal des vents Simultanément, certaines régions de
potentielle du système terre-océan en l’hémisphère Sud, en particulier
établissant une différence de pression La circulation des vents de mousson l’Archipel indonésien, deviennent le
entre les masses d’air des deux régions. est déviée par une force due à la rotation centre d’un réchauffement maximal. À
Comme l’air situé au-dessus de l’océan de la Terre, dite force de Coriolis. Celle- mesure que l’écart de température entre
est initialement froid, il reste plus dense ci n’intervient pas dans le phénomène les terres et les océans environnants se
que l’air situé au-dessus de la terre. La des brises marines diurnes, vents côtiers réduit, l’énergie potentielle du système
force engendrée par le gradient de pres- qui se forment et disparaissent eux aussi chute. On dit alors que la mousson se
sion – qui tend à égaliser les pressions – à la suite d’un réchauffement différentiel, retire et, dans l’hémisphère Nord, c’est le
fait que l’air plus dense et plus froid de mais trop rapidement pour être influen- début de la saison sèche hivernale.
l’océan se déplace vers la terre, pour cés par la rotation terrestre. Hadley Avec l’arrivée de l’hiver, les terres et
entrer en contact avec l’air chaud des observa l’influence de la force de les océans de l’hémisphère Nord perdent
terres. L’air chaud, léger, est alors rejeté Coriolis pour des vents circulant des de la chaleur par rayonnement. Ces pertes
en altitude par l’air froid, plus dense. pôles vers l’équateur ; en fait, on sait que par rayonnement sont atténuées par les
Ce jeu des masses d’air tend à abais- cette déviation s’applique à tous les vents nuages ; cependant la couverture nua-
ser le centre de gravité du système atmo- quelles que soient leurs directions : la geuse est habituellement moins impor-
sphérique, de sorte que les mouvements force de Coriolis dévie les vents vers la tante au-dessus des terres qu’au-dessus de
de l’air libèrent de l’énergie potentielle droite dans l’hémisphère Nord, vers la l’océan. Dès lors, les pertes de chaleur
et la convertissent en énergie cinétique. gauche dans l’hémisphère Sud. L’ampli- importantes sur les terres, associées à la
Dans le même temps, l’apport régulier tude de cette déviation est proportion- plus grande capacité calorifique de
d’énergie solaire tend à élever l’énergie nelle au sinus de la latitude à laquelle cir- l’océan, restaurent les différences de tem-
potentielle en raison du chauffage diffé- cule le vent considéré ; elle est maximale pérature du système et élèvent à nouveau
rentiel continu de la terre et de l’océan. aux pôles et nulle à l’équateur. l’énergie potentielle. L’air froid et dense
Les vents de mousson résultent finale- La mousson d’été se poursuit théori- situé au-dessus de l’Asie du Nord se
ment de la tendance de l’atmosphère à quement jusqu’à ce que l’équilibre entre déplace alors en direction de l’équateur
minimiser le gradient de pression entre l’énergie potentielle engendrée par le de façon à rétablir l’équilibre ; il est natu-
la terre et l’océan. C’est pourquoi, d’un rayonnement solaire et la libération de rellement dévié vers la droite au cours de
point de vue énergétique, on considère cette énergie potentielle par le système son mouvement par la force de Coriolis.
ces vents comme le résultat de conver- atmosphérique soit rompu. En Asie, par Cette masse d’air froid, originaire du
sions successives, de l’énergie solaire en exemple, le réchauffement solaire dimi- Nord-Est et qui «coule» dans la tropo-
énergie potentielle et de l’énergie poten- nue notablement après l’équinoxe sphère inférieure, rencontre l’air chaud
tielle en énergie cinétique. d’automne, et la température de l’océan venant du Sud et se dirigeant lui-même
c d
PRÉCIPITATIONS
PRÉCIPITATIONS
TERRES HUMIDES
REFROIDISSEMENT
PAR
ÉVAPORATION
30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD 30° NORD 15° NORD ÉQUATEUR 15° SUD 30° SUD
humide parvient au-dessus de la terre, il s’élève à son tour ; sa rique ; cette dernière renforce les vents et intensifie le flux de
vapeur d’eau se condense et libère de la chaleur latente (c). Cet mousson. Les pluies refroidissent le sol ; par conséquent, la zone
apport thermique entraîne une détente de l’air, un renforcement de réchauffement maximal pénètre à l’intérieur des terres, suivie
des mouvements ascendants et une baisse de pression atmosphé- par la zone de précipitation maximale (d).
© POUR LA SCIENCE 55
JANVIER JUILLET
MOUSSON
DE NORD-EST
DES VENTS
CE
ZONE D EN
G
MOUSSON EC ON V E MOUSSON
R
ÉQUATEUR DE NORD-OUEST DE SUD-OUEST
ZO
NE
MOUSSON
E DES VENT
ENC D'AFRIQUE
D
E RG
E
C OCCIDENTALE
O NV
S
MOUSSON
DE SUD-EST
4. LE RENVERSEMENT SAISONNIER des vents caractérise le phéno- direction sous l’action de la rotation de la Terre. La zone où les
mène de mousson dans le monde entier, mais surtout autour de vents de surface convergent se situe dans l’hémisphère Sud en jan-
l’océan Indien. Les vents, en traversant l’équateur, changent de vier, puis elle se déplace vers le Nord, suivant le Soleil, en juillet.
vers le Nord dans la troposphère supé- tion des pressions correspond à une dila- Ces mécanismes nous permettent de
rieure. La force de Coriolis dévie cet air tation de l’air. Pour se dilater, la masse concevoir que les températures dans la
chaud vers l’Est, créant ainsi, au-dessus d’air doit effectuer un certain travail : troposphère supérieure au-dessus de
de l’Asie et du Japon, un puissant cou- cette action se traduit alors par une perte l’Asie du Sud sont beaucoup plus élevées
rant-jet, axe de vents forts dont la vitesse d’énergie cinétique pour la masse d’air dans les zones subtropicales qu’à l’équa-
atteint couramment 100 mètres par élevée adiabatiquement, ce qui entraîne teur. Il en résulte un gradient de pression
seconde (360 kilomètres par heure). Ce une diminution de la température. À dirigé vers l’équateur à haute altitude, de
courant-jet devient souvent instable en l’inverse, lors du réchauffement adiaba- sens opposé au flux qui s’exerce dans les
atteignant le centre du Pacifique Nord et tique, la température d’une masse d’air basses couches de l’atmosphère. La force
favorise les violentes tempêtes hivernales qui s’affaisse vers la surface augmente à de Coriolis dévie vers l’Ouest le flux
se développant au sein des basses pres- mesure que cette masse est comprimée d’air du niveau supérieur, créant ainsi un
sions qui prévalent aux hautes et par son environnement, et ce même si violent courant-jet de direction Est-Ouest,
moyennes latitudes dans cette zone. aucune énergie thermique n’est ajoutée dans lequel les vents atteignent des
La mousson hivernale de Nord-Est (ou soustraite) à cette masse d’air. vitesses de 50 mètres par seconde (180
continue à régner avec une régularité Une masse d’air qui amène avec elle kilomètres à l’heure). Ce courant-jet tra-
comparable à celle de la mousson esti- l’humidité océanique et qui touche les verse l’océan Indien et l’Afrique, passe
vale de Sud-Ouest, jusqu’à ce que le terres est réchauffée au contact de celles- l’équateur et vient se mêler aux vents
réchauffement solaire, au début du prin- ci et soumise à des courants ascendants d’Ouest de l’hémisphère Sud.
temps, dissipe l’énergie potentielle de convection. L’air s’élève alors en Finalement, les vents s’affaissent au-des-
génératrice de cette mousson hivernale. direction de couches atmosphériques de sus de la ceinture subtropicale de haute
Lorsque la température de la terre pression inférieure. Au cours de ce mou- pression formée dans l’hémisphère Sud
dépasse à nouveau la température de vement, la masse d’air se refroidit adiaba- durant l’hiver. Halley, par déduction
surface de l’océan, l’énergie potentielle tiquement et sa vapeur d’eau se condense logique, avait prédit correctement les
s’accumule et le cycle recommence. sous forme de gouttelettes d’eau. Lors de caractéristiques générales de ce flux de
cette condensation, l’énergie solaire qui retour de l’air en altitude.
L’effet de l’humidité maintenait l’eau dans son état gazeux est L’influence de l’humidité atmosphé-
libérée ; cette chaleur latente est récupé- rique est particulièrement sensible dans
Quel rôle l’humidité atmosphérique rée par les molécules d’air, entraînant de la chronologie des événements qui
joue-t-elle dans le cycle annuel de la ce fait une hausse de température non constituent la mousson saisonnière. Les
mousson? Durant la mousson d’été, l’eau adiabatique dans la masse d’air. mécanismes liés à l’humidité permettent
de l’océan s’évapore et l’air progresse La chaleur libérée de cette façon de prévoir virtuellement la date d’arri-
vers la terre. Si une masse d’air s’élève, engendre une forte poussée qui vée de la mousson ; ils en déterminent
de sorte que de l’énergie thermique ne s’ajoute aux autres facteurs d’ascen- l’intensité maximale et ils commandent
puisse ni la quitter ni la pénétrer, la tem- dance. La masse d’air monte, réduisant son retrait. La période des précipitations
pérature et la pression au sein de cet air encore la pression au-dessus des débute assez brutalement quelques
subissent une transformation dite adiaba- terres, et un violent flux d’air compen- semaines avant le solstice d’été, la cir-
tique. En s’élevant, cet air pénètre dans satoire humide arrive alors de l’océan. culation n’atteignant cependant son
une couche de pression plus basse. En conclusion, l’une des conséquences intensité maximale que huit à dix
Un gradient de pression s’établit alors des processus liés à l’humidité atmo- semaines plus tard.
entre cette masse d’air et son nouvel sphérique est d’accroître l’intensité de Ce retard s’explique par le fait que la
environnement et le processus d’égalisa- la circulation de la mousson. quantité de précipitations touchant une
56 © POUR LA SCIENCE
zone terrestre dépend de la température dans l’hémisphère Nord et vers la fin Nous avons ainsi reconstitué le
de la mer. Plus la température de sur- du mois de mars ou le début du mois mécanisme global du cycle des
face de l’océan est élevée, plus l’air d’avril dans l’hémisphère Sud. moussons. Il reste à comprendre les
situé au-dessus peut transporter de Le retrait de la mousson se traduit fluctuations de courte durée ou les
vapeur d’eau. Dans ces conditions, une par la cessation progressive des précipi- variations d’une mousson à la sui-
plus grande quantité d’énergie pourra tations quelque temps après l’équinoxe vante. Ces brefs changements clima-
être libérée lorsque les nuages se for- d’automne. À ce moment-là, non seule- tiques résultent d’interactions avec des
meront au-dessus des terres, et la circu- ment le réchauffement différentiel caractéristiques géophysiques locales,
lation de la mousson se trouvera aug- océan-continent diminue, mais encore telles des hauts reliefs, ou des courants
mentée d’autant. Comme les océans, l’air au contact de l’océan, devenu plus océaniques profonds.
en été, atteignent leur température froid, admet moins de vapeur d’eau, de Nous améliorons notre compréhen-
maximale environ deux mois après le sorte que la chaleur latente libérée au sion des phénomènes de mousson par
solstice d’été, la concentration en moment des formations nuageuses et simulations numériques, en traitant ces
vapeur d’eau des vents de mousson est des précipitations au-dessus des terres interactions comme des perturbations au
maximale vers la fin du mois d’août décroît elle-même graduellement. modèle global que nous avons décrit.
© POUR LA SCIENCE 57
La naissance des tornades
Robert Davies-Jones
On a identifié les caractéristiques des orages Dans les années 1960, en assem-
blant des observations radars, le météo-
qui engendrent des tornades, rologue britannique Keith Browning
reconstitua les étapes de formation
mais les mécanismes de formation de ces violents d’une tornade. La plupart des tornades
naissent dans des orages étendus et vio-
tourbillons restent mystérieux. lents, qu’il nomme supercellules et qui
comportent des éléments caractéris-
tiques : un nuage à haute altitude, ou
«dôme», une colonne d’air ascendante,
e printemps 1995 a été prodigue Les supercellules un cisaillement de vent, un nuage en
60 © POUR LA SCIENCE
© POUR LA SCIENCE
faible du Sud domine dans les basses supercellule, et le fait chuter. C’est le dans un état à la fois intense et quasi
couches, tandis qu’un fort vent d’Ouest courant froid associé. Sous l’effet de la stationnaire, propice à l’apparition de
souffle en altitude. rotation de l’orage, le courant d’air froid tornades. Une colonne ascendante de un
Dans tout phénomène de convec- et la pluie finissent par s’enrouler autour à cinq kilomètres de rayon commence à
tion, un courant froid s’oppose au cou- de la colonne ascendante. L’air froid tourner avec des vents de 70 kilomètres
rant chaud. En effet, l’ascension des étant plus humide que l’air environnant à l’heure ou plus, et constitue un méso-
masses d’air est ralentie par le poids des dans les basses couches, il condense à cyclone. Lorsque le mésocyclone est
gouttelettes d’eau qui coalescent en plus bas niveau et forme un nuage à établi, l’orage peut engendrer un tour-
gouttes de pluie ou en cristaux de glace. plus faible altitude : c’est le «mur». billon à basse altitude, voire une tornade
Cela a deux conséquences : d’une part, À la différence de la plupart des – en général du côté Sud-Ouest de la
l’air ascendant s’arrête dans la strato- orages, où plusieurs courants ascendants colonne montante et à proximité d’un
sphère, puis redescend vers 12 000 et descendants interagissent, les super- courant descendant.
mètres d’altitude où il s’étale en cellules ne contiennent qu’une ou deux Finalement le courant d’air froid
«enclume», nuage caractéristique de cellules de convection, avec chacune sectionne la colonne ascendante au ras
l’orage ; d’autre part, la pluie qui tombe leur propre courant descendant et une du sol, et le mésocyclone meurt, enve-
de la colonne refroidit l’air sec à mi- large colonne ascendante en rotation. loppé dans son linceul de pluie. Dans
hauteur, sur le côté Nord-Est de la Cette structure maintient la supercellule les supercellules les plus faibles, un
VENT À MI-HAUTEUR
COURANT ASCENDANT
MUR
FRONT DE RAFALES
VENT RASANT
nouveau mésocyclone peut se reformer chés dans les champs, sectionnés à Anatomie d’un tourbillon
sur le front de rafales (la frontière entre quelques dizaines de centimètres au-des-
les masses d’air chaud et froid) à sus du sol. Une puissante tornade devait Outre l’armée de véhicules que j’ai
quelques kilomètres au Sud-Est de celui se cacher dans la pluie, au Nord-Est (le décrite, notre laboratoire utilise deux
qui agonise. Ce jeune mésocyclone peut lendemain, nous avons appris que près de avions capables d’approcher les orages,
alors engendrer une nouvelle tornade. 150 pylônes avaient été fauchés). À envi- ainsi que trois autres véhicules équipés
ron 45 kilomètres à l’Est, nous avons d’un radar Doppler, instrument qui four-
La chasse aux tornades repéré le mur nuageux, tel un piédestal nit de précieuses informations sur les
large de quelques kilomètres, tournant et mouvements de l’air au sein des orages.
Afin de préciser ce modèle d’appari- descendant du nuage principal. C’est Les radars à effet Doppler émettent des
tion des tornades, nous avons cherché à alors qu’une mince tornade jaillit, non micro-ondes qui se réfléchissent sur les
en observer quelques unes de près. Nous pas du mur nuageux, comme à l’habitude, gouttes de pluie et sur les cristaux de
avons d’abord analysé des films afin de mais d’une couche nuageuse supérieure. glace ; on compare les ondes émise et
déterminer les vitesses des vents et d’éta- Ce tourbillon est resté le plus clair de son réfléchie pour déterminer la vitesse des
lonner les observations des radars. Ce temps (quelques minutes) sous la forme cibles. Ainsi, lorsque les gouttelettes se
travail a révélé que les tornades se for- d’un entonnoir suspendu dans les airs, et déplacent en direction du radar, la lon-
ment souvent dans les zones orageuses il n’a que brièvement touché le sol, soule- gueur d’onde de l’écho est plus courte
exemptes de pluie et d’éclairs, ce qui vant quelques débris. que celle de l’onde émise, et la différence
réfute les théories qui considèrent la Un nouveau mur, impressionnant par dépend de la vitesse des gouttes (la gen-
pluie et les éclairs comme sources sa taille et par sa faible altitude, grossissait darmerie utilise des appareils semblables
d’instabilités déclenchant les tornades. au Nord-Est, mais il ne produisait aucune pour traquer les chauffards).
Enfin, l’observation d’une tornade anti- tornade. Un jeune orage se développait au En 1971, les premières mesures
cyclonique, en 1975, a démontré que les Sud de celui que nous suivions. Nous Doppler ont confirmé que les vents d’une
rotations observées n’étaient pas déter- avons continué vers le Nord pour nous structure «en crochet» tournent à une
minées par celle de la Terre. assurer que notre vieil orage ne produirait vitesse de 80 kilomètres à l’heure. Cette
Quelle est donc l’origine de la rota- plus de tornades, puis nous avons foncé circulation apparaît à environ 5 000
tion des tornades? Équipés de véhicules- vers le Sud pour rejoindre le nouveau. mètres d’altitude ; puis elle engendre une
laboratoires, guidés par les météoro- rotation à plus basse altitude, qui précède
logues du Centre de Norman, nous avons toute tornade intense. En 1973, dans
VITESSE DU VENT
étudié l’environnement des supercellules. (EN KILOMÈTRES PAR HEURE) l’Oklahoma, on a observé une petite ano-
Cinq véhicules transportaient des ballons malie dans la distribution des vitesses
destinés à sonder l’atmosphère autour de 50 d’un orage au même instant et au même
l’orage, tandis que 12 autres portaient une endroit que l’apparition d’une violente
station météorologique sur le toit. Placés 25 tornade. Le radar n’avait pas la résolution
à trois mètres de hauteur, bien au-dessus suffisante pour déceler la tornade, mais il
des perturbations dues aux véhicules, ces 0 a enregistré de brusques changements de
instruments étaient reliées aux micro- direction des vents. Un tel tourbillon
ordinateurs embarqués. Un des 12 véhi- apparaît à 300 mètres d’altitude environ,
-25
cules disposait d’une caméra vidéo. Deux 10 à 20 minutes avant de rejoindre le sol.
autres possédaient neuf capteurs de tem- Il s’étire alors vers le haut et vers le bas,
pérature et de pression, nommé «tortues» -50 et atteint parfois 10 000 mètres de haut.
à cause de leur armature qui leur permet On peut s’appuyer sur cette signature des
RÉFLECTIVITÉ RADAR (EN DÉCIBELS)
de résister aux tornades ; placés tous les 70,0
tourbillons pour avertir les populations
100 mètres environ, ces capteurs renfor- menacées et leur conseiller de se mettre
cés devaient caractériser la perturbation 60,4
en lieu sûr (cave ou pièce protégée), mais
au sol et à l’avant de la tornade. Les neuf 41,2 on ne la décèle que sur des distances infé-
autres véhicules étaient chargés de rele- 31,6 rieures à 100 kilomètres. Pour des dis-
ver des données météorologiques en des 22,0
tances de l’ordre de 200 kilomètres, on
régions choisies de l’orage. Ainsi notre déclenche l’alerte quand les radars
12,4
véhicule, Probe 1, mesurait les gradients Doppler détectent un mésocyclone.
de température dans l’environnement 2,8 En 1991, à l’aide d’un radar Doppler
Nord du mésocyclone, où les chutes de -6,8 portable, on a décelé des vents de tornade
grêle sont les plus intenses ; à deux -16,4
soufflant à plus de 400 kilomètres à
reprises, cette année, des grêlons de la l’heure à proximité d’une puissante tor-
-26,0
taille de balles de tennis ont fait voler en nade. Bien que très élevées, ces vitesses
éclats notre pare-brise. 2. L A SIGNATURE D ’ UNE TORNADE est sont loin des 750 à 800 kilomètres à
Le mardi 16 mai, dans le Kansas, détectée par des radars à effet Doppler, 20 l’heure qu’on invoquait, il y a 40 ans,
minutes avant qu’elle ne touche le sol. Quand
alors que le tourbillon agonisait à l’arrière pour expliquer, par exemple, que des
les vents changent brusquement et sur de
de l’orage, nous avons filé vers l’Est pour courtes distances, ils annoncent l’existence morceaux de paille puissent se planter
rejoindre un nouveau mésocyclone. Nous d’un tourbillon, voire d’une tornade comme dans des troncs d’arbres (on suppose
zigzaguions sous la pluie, sur la route celle du 16 mai 1995, dans le Kansas (en aujourd’hui que le vent ouvre les fibres
gravillonnée, quand nous avons vu deux haut). Ce mésocyclone, en forme de crochet du bois, qui se referment ensuite en pié-
rangées de pylônes à haute tension cou- (en bas), renferme la même tornade. geant la paille).
© POUR LA SCIENCE 63
Dans les années 1980, nous avons
a b confirmé cette théorie, proposée en 1963
par K. Browning. Elle explique comment
la colonne ascendante tourne à mi-hau-
teur, mais n’explique pas comment elle
se met à tourbillonner près du sol. En
1985, les simulations de J. Klemp et de
Richard Rotunno ont montré, à notre
grande surprise, que la rotation à basse
altitude dépend du courant descendant
de la supercellule, qui contient de l’air
refroidi par la pluie.
c d Au Nord du mésocyclone, à mi-hau-
teur, le courant descendant s’enroule,
dans le sens cyclonique, autour de la
colonne ascendante : une partie de l’air
froid se dirige vers le Sud, avec, à sa
gauche, l’air chaud pénétrant dans la
supercellule et, à sa droite, de l’air plus
froid. L’air chaud soulève le flanc gauche
de ce courant, alors que l’air froid de
droite le bascule vers le sol. Ainsi com-
3. SUPERCELLULE ET TORNADE simulées à partir des équations hydrodynamiques pour l’eau mence le mouvement hélicoïdal de l’air
et l’air en tout point d’un réseau tridimensionnel. Quand l’orage évolue (a : 101 minutes après froid autour de son axe de déplacement.
le début de la simulation), on diminue le pas du réseau jusqu’à 100 mètres dans les zones de
Comme cet air descend, son axe de rota-
rotation intense. On voit en contre-plongée (b : 103 minutes) le cœur tourbillonnant de l’orage.
Par souci de clarté, la pluie tombant des nuages sombres n’est pas représentée. On a aussi
tion est dévié vers le bas, ce qui donne
rendu transparent le mur de nuages qui descend jusqu’au sol. Un tourbillon blanc se forme une rotation anticyclonique. En 1993,
dans les nuages (c : 104 minutes) et s’abat sur la terre (d : 107 minutes). nous avons montré que la rotation de ce
courant descendant s’inverse avant qu’il
n’atteigne la surface : une circulation
Si un seul radar Doppler suffit à la entre la glace, le liquide et la vapeur). d’air cyclonique apparaît près du sol. Cet
prévention, l’étude des phénomènes en Dans ce monde numérique, des supercel- air froid rasant est aspiré dans la partie
nécessite un deuxième, disposé à 50 lules se forment dans un état initial Sud-Ouest de la colonne ascendante. À
kilomètres : on mesure alors la vitesse de homogène, ce qui réfute l’idée selon mesure que l’air converge vers cette
la pluie dans deux directions différentes. laquelle les tornades violentes résulte- colonne, la rotation s’accélère, de même
En utilisant des équations de conserva- raient de collisions entre masses d’air. En qu’une patineuse tourne plus vite quand
tion de la masse de l’air et en évaluant la omettant dans les équations la rotation de elle ramène les bras le long du corps.
vitesse relative de la pluie par rapport à la Terre, les programmateurs ont montré
l’air en mouvement, on reconstruit dans que celle-ci n’avait qu’un faible effet, L’effet des frottements
l’espace le champ de vitesses du vent et limité aux premières heures d’existence
on calcule des paramètres tels que la dis- d’un orage. C’est plutôt la rotation du Nous cernons mieux comment nais-
tribution des tourbillons dans l’orage. vent autour d’un axe vertical qui déter- sent les vents tournants dans le mésocy-
Ces études ont confirmé qu’une tor- mine le sens du tourbillon. clone, mais il nous reste à montrer pour-
nade naît sur le flanc de la colonne Dans l’environnement habituel des quoi les tornades se forment.
ascendante, à côté d’un courant des- supercellules, le vent tourne avec l’alti- L’explication la plus simple est qu’elles
cendant, et que l’air qui circule dans un tude : au ras du sol, il souffle du Sud-Est, résultent des frottements sur le sol.
mésocyclone s’enroule autour de la à 800 mètres d’altitude, il souffle du Sud Cette explication semble paradoxale,
direction de son déplacement. et, à 1 500 mètres d’altitude, il vient du puisque les frottements ralentissent les
Sud-Ouest. De tels vents qui changent de vents. Toutefois, un tel effet est connu
Une spirale infernale direction avec l’altitude engendrent une dans une tasse de thé que l’on remue.
rotation. Imaginons en effet un mât verti- Dans le liquide en rotation, un équilibre
L’année 1978 marque un progrès cal flottant librement dans l’air (sans s’instaure entre la force centrifuge et la
dans la compréhension des rotations dans point d’attache avec le sol). En moyenne, force de pression centripète due à la
les orages : des chercheurs du Centre le mât se déplace vers le Nord, mais son dépression créée au centre. Au fond de
américain de recherches atmosphériques, sommet est poussé vers l’Est, tandis que la tasse, le frottement réduit les vitesses,
ont simulé sur ordinateur des supercel- sa base est poussée vers l’Ouest : il et donc la force centrifuge. Au fond de
lules réalistes, qui présentaient des zones tourne dans un plan vertical autour d’un la tasse, le liquide se déplace alors vers
de précipitations en forme de crochet. À axe Nord-Sud, telle une hélice. Lorsque le centre, comme en attestent les feuilles
des temps successifs, en tout point d’un ce courant hélicoïdal pénètre dans une de thé qui se rassemblent sur le fond et
réseau tridimensionnel représentant colonne ascendante, son axe de rotation au centre de la tasse. Cependant, en rai-
l’espace, leur programme calculait les est dévié vers le haut. Il communique son de cette convergence et de «l’effet
variations de température, de vitesse du ainsi à la colonne ascendante un mouve- patineuse», la rotation du liquide s’accé-
vent et de changement d’état de l’eau ment de rotation cyclonique. lère et un tourbillon apparaît le long de
64 © POUR LA SCIENCE
l’axe de la tasse. Stephen Lewellen, de Le contact avec le sol des champs de maïs, plusieurs sillons
l’Université de Virginie, en déduit que, croisés d’épis décapités. Ces tourbillons
dans une tornade, les vents les plus Le 16 mai, nous avons eu la chance frénétiques suivent un chemin cycloïdal,
rapides soufflent dans les 300 premiers d’observer nombre des comportements identique à celui d’un point de la jante
mètres au-dessus du sol. caractéristiques des tornades. Nous nous d’une roue qui roule.
Les frottements maintiennent en dirigions vers le nouveau foyer orageux, Nous fuyions devant la tornade,
vie les tourbillons. Une tornade crée au Sud, mais la nuit tombait et notre quelque peu inquiets, car nous étions
un vide partiel en son cœur, car les traque allait se terminer. Toutefois, le presque à court de carburant et nous ne
forces centrifuges empêchent l’air d’y centre météorologique nous annonça la connaissions pas l’état de la piste. La
pénétrer. En 1969, l’Australien Bruce présence, dans notre voisinage, d’un mur tornade n’était qu’à un kilomètre et
Morton a indiqué comment le vide se nuageux tournant rapidement. Alors que demi et nous semblait immobile, ce qui
maintient : des forces d’Archimède les sirènes d’alarme hurlaient, une étroite indiquait qu’elle se dirigeait droit vers
intenses empêchent l’air de pénétrer tornade serpenta et s’abattit à cinq kilo- nous, à une vitesse de 50 kilomètres à
par le haut. Près du sol, le frottement mètres au Sud-Est de notre véhicule. l’heure. Un équipier vint à notre secours
réduit la vitesse tangentielle de l’air, Nous sommes repartis vers le Nord en nous indiquant par radio une route au
de même que les forces centrifuges, ce pour lui barrer la route. Dans notre exci- Nord, que nous avons empruntée avec
qui autorise l’arrivée d’un courant tation, nous avons heurté le bas-côté et soulagement. Nous nous sommes arrê-
d’air dans le cœur. Cependant le frot- endommagé notre station météorolo- tés deux kilomètres plus loin pour regar-
tement limite aussi cette alimentation gique. Sans nous en soucier, nous nous der passer la tornade. Elle avait raclé la
et ne laisse pas passer assez d’air pour sommes engagés sur une piste vers l’Est terre sur 20 kilomètres et avait mainte-
remplir le cœur. Lorsqu’elles entrent pour rejoindre le côté Nord de la tor- nant la forme classique d’un tuyau de
en contact franc avec le sol, les tor- nade. Elle s’était gonflée de poussières, poêle. Elle nous a dépassés au Sud et a
nades s’intensifient et se stabilisent, reliant le sol à une masse nuageuse en disparu dans l’obscurité, à l’Est.
car l’alimentation se réduit alors à une forme de bol, émergeant de la base du Nous avons regagné nos pénates, la
mince couche d’air. La théorie des nuage principal. Comme nous nous en voiture endommagée, les mesures incer-
frottements n’explique toutefois pas approchions, elle se divisait en plusieurs taines et le cœur palpitant, pressés de
pourquoi le tourbillon qui constitue la tourbillons qui tournaient furieusement découvrir le merveilleux butin des
signature des tornades apparaît en alti- autour de l’axe de la tornade. En 1967, radars embarqués. À la réflexion, nous
tude, dans les nuages, et précède par- T. Fujita avait deviné l’existence de tels aurions dû suivre la tornade au lieu de la
fois de 10 à 20 minutes le contact tourbillons secondaires en observant dépasser et de nous transformer, nous
d’une tornade avec le sol. que certaines tornades laissaient, dans les chasseurs, en gibier.
© POUR LA SCIENCE 65
L’électrisation des orages
Earle Williams
Si l’on sait, depuis deux siècles, que les éclairs Après les observations de
Benjamin Franklin, il était naturel de
et la foudre sont une forme d’électricité, supposer que la répartition de charges
dans les nuages pluvieux était
les processus microphysiques responsables de la charge conforme au modèle le plus simple
possible : des charges positives
électrique des nuages restent débattus. s’accumuleraient dans une région du
nuage et des charges négatives se
regrouperaient dans une autre région,
formant ce que l’on nomme un dipôle.
au nombre de charges négatives ; ces Pour expliquer cette structure dipolaire
a foudre est l’un des phéno- charges sont réparties uniformément hypothétique des nuages orageux, les
Précipitation
breux sont les chercheurs qui l’ont étu- de charges positives ou négatives qu’une
diée. Pourtant l’origine des éclairs et le autre, l’objet restant globalement neutre :
ou convection
mécanisme d’électrisation des nuages on dit alors que l’objet est chargé, ou L’hypothèse de la précipitation,
pluvieux nous échappent encore. La diffi- électrisé. La séparation des charges est proposée par les physiciens allemands
culté provient de la multiplicité des une tension, mesurée en volts ; plus la Julius Elster et Hans Geitel en 1885,
échelles impliquées : la gamme des séparation est grande, plus la tension, ou repose sur un phénomène que l’on
échelles couvre 15 ordres de grandeur «différence de potentiel», est grande. observe en regardant fonctionner
(1015). D’un côté, les phénomènes ato- Lorsque vous traversez une pièce, celle- n’importe quel arroseur rotatif de jardin :
miques qui amorcent l’électrisation du ci reste globalement neutre, mais les plus grosses gouttes d’eau tombent du
nuage orageux se produisent à une l’action de vos chaussures peut donner jet, tandis qu’un brouillard des particules
échelle de 10–13 kilomètre ; de l’autre, au tapis une charge d’une polarité, et à reste en suspension dans l’air, avant
la circulation atmosphérique dans vos chaussures et à votre corps une d’être balayé par le vent. De même, selon
l’ensemble du nuage orageux, qui charge de polarité opposée. Cette sépa- l’hypothèse de la précipitation, les
achève le processus de charge, concerne ration des charges peut engendrer une gouttes de pluie, les grêlons et les parti-
plusieurs dizaines, voire plusieurs cen- différence de potentiel de 100 000 volts cules de grésil (les petits grains de glace)
taines de kilomètres. sur quelques centimètres ; vous la perce- tombent par gravité vers le bas du nuage,
Benjamin Franklin avait mis le vez parfois, en saisissant la poignée au-dessous des gouttes d’eau et des cris-
doigt sur l’une des difficultés fonda- métallique d’une porte! taux de glace de taille inférieure, qui res-
mentales du problème. En 1752, il La foudre résulte d’une différence tent en suspension. Les collisions entre
observa que «les nuages d’une ondée de potentiel de plusieurs centaines de les grosses particules et le brouillard de
orageuse sont le plus souvent dans un millions de volts, et peut transférer plus corpuscules seraient responsables de
état d’électricité négative, mais parfois de 10 coulombs vers le sol ; c’est la l’électrisation du nuage, les particules qui
dans un état d’électricité positive». charge électrique que transportent 1020 tombent acquérant une charge négative
Cette ambiguïté résultait d’observations électrons (le transport d’une charge (tout comme une charge est transferée du
incorrectes mais, depuis ces mots, on d’un coulomb pendant une seconde est, tapis vers les chaussures) tandis que, du
admet que la foudre est un transfert de par définition, un courant d’intensité un fait de la conservation de la charge, le
charges électriques, soit positives, soit ampère). Une décharge de foudre brouillard serait chargé positivement.
négatives, d’une région d’un nuage à constitue donc un courant bien supé- Par conséquent, une charge négative
une autre, ou entre le nuage et la Terre. rieur à 10 ampères puisqu’il est plus s’accumule dans la partie inférieure du
Pour que ce transfert de charge ait lieu, bref qu’une seconde. Les nuages ora- nuage et une charge positive dans la par-
il faut que le nuage soit électrisé, c’est- geux de taille moyenne produisent tie supérieure formant un dipôle positif
à-dire que les charges positives et néga- quelques éclairs par minute et quelques (voir la figure 2).
tives soient séparées. Comment les centaines de mégawatts, soit la puis- L’hypothèse de la convection, for-
charges se séparent-elles? sance d’une petite centrale nucléaire. mulée par Gaston Grenet, à Paris en
Dans les objets courants, tel un stylo, Quel mécanisme physique produit-il de 1947, puis par Bernard Vonnegut, de
le nombre de charges positives est égal telles tensions et de telles puissances? l’Université d’Albany, en 1953, fait
66 © POUR LA SCIENCE
une analogie avec le générateur de van nuage et se fixent aux gouttes d’eau et dipôle positif. À la même époque,
de Graaf. Dans ce dispositif, une charge aux cristaux de glace, formant ainsi une Simpson, mesurant la charge des précipi-
électrique est déposée sur une courroie en «couche écran» chargée négativement. tations pluvieuses d’un nuage orageux, en
caoutchouc qui transporte les particules Les courants d’air descendants de la déduisit que la région la plus basse d’un
chargées (les ions) vers une borne haute périphérie du nuage entraînent ensuite nuage orageux était positive tandis que la
tension. Selon le modèle de la convec- les charges négatives de la couche écran région supérieure était négative ; il s’agis-
tion, deux sources externes fournissent vers le bas, où ils constituent, là encore, sait donc d’un dipôle négatif.
les charges électriques du nuage. La pre- une structure dipolaire positive. Aujourd’hui, on sait que l’on ne peut
mière est constituée par les rayons cos- déduire la charge à partir d’une mesure
miques, qui frappent les molécules d’air Dipôle positif ou négatif? du champ électrique autour du nuage. Un
situées au-dessus du nuage et les ionisent. champ électrique au voisinage d’un corps
La seconde source est le champ élec- L’hypothèse de la précipitation et le chargé attire ou repousse les objets char-
trique intense au voisinage des objets phénomène de convection sont indépen- gés suivant leur polarité ; mais lorsqu’il y
pointus à la surface de la Terre, qui pro- dants. Néanmoins comme nous l’avons a plus d’un corps chargé, la structure du
duit une «décharge Corona» d’ions posi- vu, une ambiguïté subsiste : la charge en champ électrique est complexe. De plus,
tifs : quand le potentiel de l’objet pointu haut du nuage est-elle positive ou néga- une grande variété de configurations de
est suffisant, un champ électrique intense tive? Cette question suscita une contro- charges peuvent créer un champ sem-
produit l’excitation et l’ionisation des verse entre Charles Wilson et George blable : aussi une seule mesure du champ
molécules d’air avoisinant. Ces ions posi- Simpson sur la structure de charge des électrique ne peut déterminer de façon
tifs sont entraînés par l’air chaud qui, nuages. Le débat est instructif : il illustre unique la répartition des charges. L’un
s’élevant par convection, agit comme la la difficulté de recueillir des informations comme l’autre, Wilson et Simpson
courroie du générateur de van de Graaf. significatives sur les orages. n’avaient fait des mesures que dans une
Lorsqu’ils ont atteint les régions Dans les années 1920, Wilson seule position, ce qui est insuffisant.
supérieures du nuage, ces ions positifs (l’inventeur de la «chambre de Wilson») Depuis la controverse entre Wilson et
attirent les ions négatifs formés par les observa à distance plusieurs d’orages et Simpson, un demi-siècle d’observations a
rayons cosmiques au-dessus du nuage. en conclut que la structure fondamentale établi que la structure fondamentale d’un
Les ions négatifs pénètrent dans le d’un nuage orageux était celle d’un nuage orageux n’était pas dipolaire, mais
1. LA FOUDRE EST TOMBÉE SUR SEATTLE au cours d’un violent courant maximal pouvant atteindre 10 000 ampères. Un orage moyen
orage, le 31 juillet 1984. Un éclair type résulte d’une différence de produit une puissance électrique de plusieurs centaines de mégawatts,
potentiel de plusieurs centaines de millions de volts ; il transfère une celle d’une petite centrale nucléaire. Chaque jour, 44 000 orages écla-
charge d’environ 1020 électrons en une fraction de seconde, pour un tent, en moyenne, libérant huit millions d’éclairs à travers le monde.
© POUR LA SCIENCE 67
tripolaire : une région principale de vapeur – coexistent. Les champs élec- certains nuages, une seconde couche de
charge négative, au centre du nuage, est triques les plus intenses dans le nuage charge négative, d’une centaine de
entourée d’une région de charge positive, règnent aux frontières supérieure et mètres d’épaisseur, surplombe la région
au-dessus d’elle, et d’une seconde région inférieure de cette couche négative supérieure de charge positive. Cette
positive, plus petite, au-dessous d’elle. La principale (voir la figure 3). couche résulte des ions négatifs produits
couche négative principale a la forme La région supérieure positive est au-dessus et à l’extérieur du nuage, puis
d’une galette : épaisse de moins d’un moins chargée que la couche négative : fixés sur les gouttelettes et cristaux du
kilomètre, elle s’étale sur plusieurs elle s’élève sur plusieurs kilomètres, aussi nuage ; c’est la couche écran prévue
kilomètres ; elle est située à une alti- haut que le nuage lui-même. En dans l’hypothèse de la convection.
tude d’environ six kilomètres, où la revanche, la région inférieure positive est Cependant, quelle que soit son origine,
température est voisine de – 15 degrés si petite, que le champ électrique à la sur- la couche écran est une caractéristique
Celsius. Dans cette zone, les trois face de la Terre est fréquemment dominé secondaire qui ne modifie pas la struc-
phases de l’eau – glace, liquide, par la charge négative principale. Dans ture tripolaire, fondamentale, du nuage.
La structure tripolaire des nuages
orageux explique les résultats contradic-
toires de Wilson et Simpson. Wilson a
observé les nuages de loin ; l’effet élec-
trique de la petite région positive située à
la base du nuage était masqué par celui
de la région négative principale. Pour lui,
il s’agissait d’un dipôle positif. En
revanche, Simpson a fait ses observa-
tions juste au-dessous du nuage ; la
charge négative centrale masquant la
région positive supérieure, Simpson a
détecté un dipôle négatif.
L’électrisation
2. LA STRUCTURE ÉLECTRIQUE THÉORIQUE DES NUAGES ORAGEUX est un bipôle positif. La structure tripolaire des nuages ora-
Selon l’hypothèse de la précipitation (à gauche), les gouttes de pluie et les grêlons tombent geux impose une révision du modèle élé-
sous les gouttes d’eau et cristaux de glace plus légers, qui restent en suspension. Les colli- mentaire de la précipitation, qui
sions entre particules transmettraient une charge positive au brouillard et une charge néga- n’explique que la formation d’un dipôle
tive aux particules plus lourdes. Comme les grosses particules chutent, la partie inférieure simple. En revanche, le modèle convectif
du nuage se charge négativement et la partie supérieure, positivement. Selon le modèle conduit plus naturellement à une structure
convectif (à droite), des courants d’air chaud transportent jusqu’au sommet du nuage des
tripolaire puisqu’il suppose qu’une
charges positives libérées à la surface de la Terre. Les charges négatives, produites par les
rayons cosmiques au-dessus du nuage, sont attirées à la surface du nuage par les charges
décharge corona, produite par les objets
positives qu’il contient. Là, elles se fixent au nuage pour former une «couche écran» néga- pointus à la surface de la Terre, engendre
tive. Enfin les courants descendants transportent les charges négatives vers le bas du nuage. un flux de charges positives vers la base
du nuage. Hélas ce flux est dix fois trop
faible pour expliquer le taux de charge du
FORMATION DISSIPATION nuage. On a délaissé, en partie pour cette
14 KILOMÈTRES
TROPOPAUSE
raison, le modèle convectif, et on a tenté
12 T = –65°C d’améliorer le modèle de la précipitation.
Le modèle naïf de la précipitation ne
10 rend pas compte de la présence de la
région positive inférieure ni du fait que la
8
pluie porte en général une charge posi-
6 T = –15°C tive. Simpson proposa le premier une
modification du modèle pour expliquer
4
ces observations. Par l’étude des chutes
2 T = +10°C d’eau, on sait que les plus grosses gouttes
GRÊLE ET PLUIE acquièrent sélectivement une charge posi-
EFFET DE CHARGE CORONA tive lors de leur séparation. Cependant les
mesures montrent que les «particules» de
3. LA STRUCTURE RÉELLE DES NUAGES ORAGEUX n’est pas dipolaire, mais tripolaire, avec précipitation portent des charges nette-
une région principale négative prise en sandwich entre deux régions positives. La région ment supérieures à celles produites au
négative principale (à gauche) est à environ six kilomètres du sol, et sa température avoisine
cours du processus de fragmentation des
– 15 degrés Celsius. Elle n’est épaisse que de quelques centaines de mètres, ce qui lui donne
une forme de galette. La région positive supérieure s’étend jusqu’à la tropopause, à 13 kilo- gouttes dans les chutes d’eau. Du reste, la
mètres d’altitude. Au sommet du nuage, une mince couche négative, la «couche écran», est plupart des «particules» chargées positi-
due aux rayons cosmiques qui ionisent les molécules d’air. Une seconde région positive, plus vement qui chutent sont des particules de
petite que la première, occupe la base du nuage. Lorsque l’orage se dissipe (à droite), la grésil et non des gouttes d’eau.
région positive inférieure précipite avec de violents courants descendants. Les autres tentatives d’explication
68 © POUR LA SCIENCE
de la structure tripolaire des le haut, mais vers le bas. Les
nuages orageux mettent en précipitations sont chargées
jeu la glace. Les particules de positivement, ce qui indique
glace acquièrent, en fondant, que la région inférieure de
une forte charge. Toutefois, charge positive est conduite
si la fonte de la glace justifie vers le sol pendant la phase de
l’existence d’une charge micro-explosion. L’activité
positive à des altitudes infé- électrique (les éclairs) intranua-
rieures à 4 000 mètres (l’alti- geuse, comme l’inversion du
tude à laquelle la glace des champ électrique, devraient
nuages commence à fondre avertir les contrôleurs aériens
aux latitudes moyennes), cet de l’existence de conditions
argument n’est plus valable dangereuses dans la zone ora-
pour des altitudes supé- geuse. Étant donné que ces
rieures. Or on observe égale- puissants courants de convec-
ment des particules chargées tion sont caractéristiques des
positivement à des altitudes 4. LES ÉCLAIRS INTRANUAGEUX sont en réalité bien plus fréquents orages, le modèle convectif
que les coups de foudre partant du nuage vers le sol, mais on les
supérieures à 4 000 mètres. observe moins souvent car les nuages diffusent la lumière visible. devrait expliquer certains
La fonte de la glace Pour les étudier, les chercheurs utilisent des radars, des radiogonio- aspects de l’électrisation des
n’explique pas la structure mètres et des microphones qui «voient» à travers les nuages. nuages.
tripolaire observée, mais les L’hypothèse de la convec-
collisions entre les cristaux tion se heurte toutefois à une
de glace et les particules de grésil jouent nières années dans la compréhension observation : la région négative princi-
manifestement un rôle fondamental. Au des phénomènes électriques orageux. pale se trouve à une altitude et à une tem-
cours de ces 20 dernières années, de pérature à peu près constantes. Selon le
nombreux chercheurs ont montré que modèle convectif, les courants d’air des-
lorsque des particules de grésil entrent
La convection cendants entraînent les particules néga-
en collision avec les cristaux de glace, Même si le modèle convectif rend tives de la couche écran vers le bas sur
la polarité de la charge transférée aux peu compte de l’importance de la région des distances de plusieurs kilomètres.
particules de grésil dépend de la tem- positive inférieure, il est manifeste que Pourquoi, dans ce cas, la charge négative
pérature. Au-dessous d’une tempéra- les orages sont le siège de puissants cou- est-elle concentrée dans une région en
ture critique, dite température d’inver- rants d’air ascendants et descendants ; il forme de galette de quelques centaines de
sion de charge, c’est une charge se produit indiscutablement un phéno- mètres seulement d’épaisseur? Comme
négative qui est transférée ; aux tem- mène de convection. On a observé que nous l’avons vu, cette particularité
pératures supérieures (correspondant à les fréquences maximales d’éclairs s’explique mieux par le phénomène
des altitudes inférieures dans le étaient liées au mouvement ascendant des microphysique de l’inversion de charge.
nuage), la charge transférée est posi- particules de grésil au-dessus de la région Cette observation constitue sans doute la
tive. La valeur de la température négative principale. Par ailleurs, les cou- principale objection au modèle convectif.
d’inversion de charge se situerait entre rants ascendants alimentent la réserve de Pour résumer la situation, le modèle
– 20 et – 10 degrés Celsius. gouttes d’eau surfondue au-dessus de de la précipitation permet d’expliquer un
Diverses observations des nuages l’altitude d’inversion de charge. Ces plus grand nombre de caractéristiques de
ont déterminé que la couche principale gouttes d’eau assurent la croissance des l’électrisation des nuages que le modèle
négative se trouve à une température particules de grésil responsables de convectif, mais il ne tient pas compte
d’environ – 15 degrés Celsius. l’électrisation, et, selon les expériences de d’un facteur essentiel : la convection! On
L’hypothèse de l’inversion de charge laboratoire, leur présence est indispen- devra probablement combiner les
explique la rareté des charges néga- sable au transfert de charge entre parti- meilleurs aspects des deux modèles pour
tives sous cette altitude : les particules cules de grésil et cristaux de glace. construire une théorie globale complète.
de grésil acquièrent une charge posi- Les courants descendants des orages
tive en tombant et en se heurtant aux constituent une préoccupation croissante Les éclairs
cristaux de glace en suspension dans pour la sécurité de la navigation
l’air ; ces charges positives forment la aérienne : des courants descendants vio- Quand la charge du nuage est suffi-
région positive inférieure du tripôle. lents, nommés microbursts (micro-explo- sante pour que le champ électrique
De plus, la quantité de transfert de sions), sont responsables de plusieurs dépasse la rigidité diélectrique locale
charge par collision mesurée au labo- désastres aériens. Ces courants descen- de l’atmosphère (c’est-à-dire la résis-
ratoire est suffisante pour rendre dants suivent de cinq à dix minutes la tance de l’atmosphère à ce champ),
compte de la charge transférée par les période de courant ascendant maximal et l’éclair jaillit. Au moment de la
éclairs dans les nuages d’activité élec- d’activité électrique intranuageuse maxi- décharge, le champ électrique est de
trique moyenne. La détermination male ; ils sont également liés à une forte l’ordre d’un million de volts par mètre
d’une température d’inversion de précipitation, consécutive à la disparition et, en moins d’une seconde, la foudre
charge en accord avec les résultats des du courant ascendant. Les mesures mon- transfère la charge de 1020 électrons et
expériences de laboratoire et avec les trent également qu’à cet instant, la direc- fournit une puissance équivalente à
observations des nuages constitue le tion du champ électrique au sol celle d’environ 100 millions
progrès le plus décisif de ces 20 der- s’inverse ; le champ n’est plus dirigé vers d’ampoules électriques ordinaires.
© POUR LA SCIENCE 69
5. L’ESSAI D’UNE BOMBE À HYDROGÈNE DE 10 MÉGATONNES, l’Institut de Technologie du Massachusetts (en bas) dans un bloc de
réalisé en 1952, a produit des éclairs moins de 10 millisecondes plastique isolant. On crée un champ électrique similaire au voisi-
après l’explosion. Le rayonnement intense émis par l’explosion nage du sol, mais avec trois répartitions de charge différentes. Seul
dépouille les molécules d’air de leurs électrons par diffusion le troisième modèle reproduit la configuration d’éclairs de la
Compton ; les électrons, plus légers, sont emportés loin des molé- bombe; c’est donc bien la distribution de charge et non le champ
cules d’air, devenues positives. Il en résulte une séparation de qui détermine la trajectoire d’un éclair. L’éclair est déclenché au
charges. La symétrie hémisphérique de l’explosion permet de simu- point du sol où le champ électrique est le plus fort, puis il se pro-
ler la distribution de charge au laboratoire, comme cela a été fait à page vers le haut à travers la région de plus grande charge négative.
70 © POUR LA SCIENCE
charge négative, se concentrent alors dans de plastique isolant qui «piège» la charge une répartition de charge tout à fait diffé-
une couche hémisphérique autour du «point dans une configuration conforme au rente : les figures obtenues pour les
zéro», laissant derrière eux une région de modèle théorique envisagé. Le champ élec- éclairs ne ressemblent pas à celles obser-
charge positive dans la boule de feu. trique résultant est suffisant pour déclen- vées lors des essais nucléaires ; cela
Grâce à la symétrie hémisphérique de cher des décharges de type «éclair». montre bien que c’est surtout la réparti-
l’explosion, on peut construire des modèles L’éclair naît près du point zéro tion de charge qui détermine la trajectoire
théoriques et expérimentaux simples de la simulé, là où le champ électrique est des éclairs.
répartition de charge, et étudier les consé- le plus intense ; puis il se propage vers le En dépit de nombreuses questions
quences de cette répartition sur la trajec- haut à travers la région de plus grande non résolues, un tableau d’ensemble de
toire des éclairs. Nous avons réalisé de charge négative. La figure obtenue res- l’électrisation des nuages commence à
telles simulations au Laboratoire d’étude semble à celles que l’on observe sur les se dessiner ; ce tableau relie la sépara-
des hautes tensions de l’Institut de photographies d’essais nucléaires. tion de charge à l’échelle atomique aux
Technologie du Massachusetts ; on trans- D’autres modèles donnent la même confi- éclairs, qui se propagent sur plusieurs
met une charge à un anneau dans un bloc guration de champ électrique au sol, avec kilomètres.
© POUR LA SCIENCE 71
La dynamique
des aurores polaires
Syun-Ichi Akasofu
72 © POUR LA SCIENCE
laire à la direction du déplacement des pause, à l’Est de la zone éclairée par le Les courants alignés joignent la
particules et à la direction du champ Soleil, et atteignent un pôle positif ; les magnétopause à l’ionosphère au voisi-
magnétique : il en résulte des courants électrons sont repoussés vers le «cou- nage de la Terre : les charges qui des-
électriques qui parcourent la magnéto- chant», au pôle négatif. Dans les plas- cendent vers le levant de la magnéto-
sphère (voir la figure 3). La magnéto- mas diffus traversés par un champ pause gagnent le levant de l’ovale
pause constitue ainsi un générateur magnétique analogue à celui de la auroral, et les charges du couchant de
géant, le «générateur auroral», qui magnétosphère, les électrons se dépla- la magnétopause s’écoulent vers le
transforme l’énergie cinétique des par- cent selon des trajectoires hélicoïdales couchant de l’ovale. Le premier bord
ticules solaires en énergie électrique ; autour des lignes de champ magnétique. se charge positivement, et le second,
sa puissance est supérieure à un mil- Akira Hasegawa, des Laboratoires négativement. La différence de poten-
lion de mégawatts! AT&T Bell, a étudié la formation de ces tiel est égale à 100 000 volts environ.
courants alignés le long des lignes de Les courants alignés sont plutôt
Les courants champ magnétique ou «courants ali- des courants d’électrons que des cou-
gnés». Thomas Potemra, de l’Université rants de protons, car ces derniers, plus
de la magnétosphère Johns Hopkins, et Takesi Iijima, de lourds, sont moins mobiles. Autrement
Les ions positifs du vent solaire l’Université de Tokyo, ont directement dit, les électrons descendent en direc-
s’écoulent vers le côté «levant» (côté où observé ces courants grâce à des tion de la Terre vers le couchant de
débute l’éclairement) de la magnéto- magnétomètres placés sur orbite. l’ovale et remontent vers la magnéto-
© POUR LA SCIENCE 73
pause à partir du levant. Comme les inférieurs et que les ions se recombi- Les draperies de l’espace
aurores apparaissent lors de la chute nent avec des électrons libres, des
des électrons sur les couches de rayonnements sont émis sur une large De la Terre, les aurores apparais-
l’ionosphère, on peut se demander bande spectrale (de l’ultraviolet sent comme des draperies lumineuses,
pourquoi les aurores brillent égale- lointain à l’infrarouge). aux couleurs chatoyantes. Elles des-
ment au levant. La grande conductivité La longueur d’onde la plus com- cendent d’environ 100 kilomètres à
électrique de l’ionosphère est à l’ori- mune du rayonnement auroral est quelques centaines de mètres d’alti-
gine du phénomène : les charges élec- égale à 557,7 nanomètres : elle corres- tude, là où l’atmosphère devient si
triques s’écoulent dans l’épaisseur du pond à une lumière verte émise par les dense qu’elle arrête la plupart des élec-
cylindre que forment les aurores ; au atomes d’oxygène. Parfois on observe trons. Leur épaisseur est inférieure à un
levant, les électrons remontent vers une belle lueur rose due à l’excitation kilomètre, mais elles s’étendent sur des
l’espace en formant un courant secon- des molécules d’azote. Les autres milliers de kilomètres de longueur.
daire en sens inverse du courant pri- atomes et molécules émettent Pourquoi cette forme de draperie?
maire. Ce sont ces électrons du cou- des rayonnements ultraviolets et Il est déjà surprenant que les courants
rant secondaire qui provoquent des infrarouges, invisibles et absorbés alignés atteignent la basse ionosphère ;
émissions aurorales au levant. par l’atmosphère. Avec les photogra- comme d’autres particules chargées élec-
Quand les faisceaux d’électrons phies prises par le satellite suédois triquement et piégées autour de la Terre
heurtent l’ionosphère, ils excitent ou Viking dans l’ultraviolet lointain, dans les ceintures de Van Allen, les élec-
ionisent les atomes et dissocient des on a découvert avec surprise que les trons descendent vers la Terre en hélices
molécules en atomes excités. Lorsque aurores sont considérablement plus dont le pas diminue progressivement,
les électrons des atomes excités actives du côté ensoleillé que du côté parce que l’intensité du champ magné-
retombent à des niveaux énergétiques obscur de la Terre. tique augmente. Bien au-dessus de
MAGNÉTOPAUSE
ANNEAU
DE COURANT
CEINTURE
DE VAN ALLEN
PLASMASPHÈRE
COUCHE DE PLASMA
RECONNEXION
CÔTÉ «JOUR»
2. LE VENT SOLAIRE, un plasma diffus de protons et d’électrons pro- terrestres (plus de six millions de kilomètres). La magnétopause est la
venant du Soleil, confine le champ magnétique terrestre en une forme limite de la queue magnétique. Lorsque le champ magnétique qui
de comète appelée magnétosphère. Du côté éclairé de la Terre, la accompagne le vent solaire (en rouge) est orienté vers le Sud, il se
magnétosphère ne s’étend que jusqu’à dix rayons terrestres de dis- reconnecte aisément avec le champ magnétique terrestre (en bleu).
tance ; du côté opposé, le vent solaire étire le champ magnétique ter- Les particules du vent solaire entrent dans la magnétosphère en spira-
restre en une queue magnétique, qui s’étend sur plus de 1 000 rayons lant autour des lignes de champ. Les lignes de champ magnétique du
74 © POUR LA SCIENCE
l’ionosphère, le pas de l’hélice devient est le premier à avoir soupçonné la de tourbillons, en raison des champs
nul : les électrons ne décrivent plus que présence d’une telle double couche au- électriques antiparallèles de la struc-
des cercles, puis sont réfléchis vers dessus des aurores. ture de potentiel auroral : selon les
l’espace. L’existence des aurores prouve On sait qu’une structure analogue à régions de cette structure, les électrons
cependant que les électrons pénètrent cette double couche apparaît à la sur- sont accélérés vers le haut ou vers le
profondément dans l’ionosphère. face de l’électrode négative des tubes bas (de même, des tourbillons appa-
Ce phénomène résulte du regrou- à néon, mais la nature de celle de la raissent lorsque deux liquides s’écou-
pement des courants alignés en de haute atmosphère terrestre est contro- lent en sens inverse). Des caméras
minces feuillets. Par un mécanisme versée. Le champ électrique de la vidéo très sensibles, pointées vers le
encore mal compris, quand l’énergie double couche semble accélérer les zénith, sous les draperies, ont capté
pompée dans la magnétosphère et électrons vers le sol : leur énergie aug- des images de ces tourbillons ; on a
l’intensité électrique des faisceaux mente de plusieurs milliers d’électron- retrouvé des structures très semblables
d’électrons sont suffisantes, un champ volts pendant la traversée de la struc- à celles observées lors de modélisa-
électrique, appelé structure de poten- ture de potentiel auroral, de sorte tions par ordinateur des mécanismes
tiel auroral, s’établit autour des fais- qu’ils pénètrent les couches denses de de formation de tourbillons.
ceaux, entre 10 000 et 20 000 kilo- l’atmosphère, où ils provoquent des Avec des instruments embarqués
mètres d’altitude. Cette structure émissions lumineuses visibles à l’œil sur des fusées et des satellites, on a
semble se constituer de couches char- nu. C’est la forme aplatie des struc- beaucoup étudié les relations entre
gées positivement et négativement qui tures de potentiel qui confère aux l’énergie des électrons auroraux et la
engendrent un champ électrique aurores leur allure de draperie. répartition spatiale des structures de
intense (voir la figure 4) ; Hannes Les faisceaux électroniques des- potentiel. Les chercheurs de la Société
Alfvén, de l’Université de San Diego, cendent dans l’ionosphère sous forme Lockheed ont montré que la structure
LIGNE DE CHAMP
MAGNÉTIQUE
OVALE AURORAL
QUEUE MAGNÉTIQUE
LEVANT
VENT
SOLAIRE
IONS
PLASMOÎDE POSITIFS
COUCHANT
PÔLE POSITIF
COURANT
ALIGNÉ
ÉLECTRONS
PÔLE NÉGATIF
lobe Nord de la queue magnétique sont 3. LORSQUE LE VENT SOLAIRE traverse le champ magnétique de la magnétopause, les pro-
orientées vers la Terre ; celles du lobe Sud, tons sont déviés vers le «levant» de la magnétosphère et les électrons vers le côté «cou-
vers l’espace. La reconnexion des lignes de chant». Un courant électrique circule entre ces deux régions ; un autre, moins intense, suit
champ magnétique, dans la queue magné- les lignes du champ magnétique en direction d’une large zone ovale de l’ionosphère. Les
tique, détache parfois des parties de plasma, électrons excitent les atomes et leur font émettre les rayonnements qui constituent les
appelés plasmoïdes, et les éjecte. aurores. Des courants secondaires suivent des trajets parallèles aux courants primaires.
© POUR LA SCIENCE 75
de potentiel auroral accélère aussi les
LIGNE ions positifs vers le haut ; ces ions
DE CHAMP
MAGNÉTIQUE
constituent parfois une grande partie
du plasma magnétosphérique.
Dans la structure de potentiel auro-
ral, les particules interagissent avec les
ÉLECTRON
ondes électromagnétiques qui se pro-
POINT DE pagent dans les plasmas : elles engen-
RÉFLEXION STRUCTURE
(MIROIR) DE POTENTIEL
drent des ondes radioélectriques
intenses qu’étudie Donald Gurnett, de
l’Université d’Iowa. Ces émissions
M
0K sont si intenses que des extraterrestres
100
les détecteraient bien avant de perce-
voir la Terre. Elles ne brouillent
cependant pas nos émissions radio, car
l’ionosphère les réfléchit vers
l’espace, alors qu’elle réfléchit les
émissions radio terrestres vers le sol.
AURORE
Électrojets
100 et orages magnétiques
KM
L’existence de la structure de
potentiel auroral intéresse vivement les
4. LES ÉLECTRONS des courants alignés de la magnétosphère ont des trajectoires hélicoï- astrophysiciens et les spécialistes du
dales autour des lignes de champ magnétique. À mesure qu’ils descendent vers l’ionosphère, Soleil, car on pense que, dans les plas-
le pas de l’hélice diminue, s’annule, puis s’inverse : les électrons sont réfléchis vers l’espace mas raréfiés, les champs électriques
(à gauche). Dans certaines situations, un champ électrique particulier, appelé structure de
intenses ne seraient pas stables le long
potentiel auroral, s’établit autour des lignes des courants électroniques (à droite). Les élec-
trons sont accélérés par la structure potentielle et pénètrent plus profondément dans l’iono- des lignes de champ magnétique, et
sphère : leur interaction avec les basses couches de l’ionosphère crée les aurores. La struc- qu’ils ne pourraient donc pas accélérer
ture de potentiel est très mince dans la direction Nord-Sud, mais s’étend sur des milliers de des particules chargées. Cependant
kilomètres, d’Est en Ouest, conférant aux aurores leurs formes de draperie. l’observation d’un tel champ, associé
aux aurores, indique qu’il pourrait en
ION OXYGÈNE ATOME exister d’analogues dans divers objets
ÉLECTRON D’OXYGÈNE astronomiques comme la nébuleuse du
Crabe, par exemple, dont la densité de
COLLISION
plasma et l’énergie sont proches de
IONISATION
RAYONS X celles de la magnétosphère.
FREINAGE L’ionosphère dissipe l’énergie
qu’elle reçoit du générateur auroral
OXYGÈNE sous forme de deux courants élec-
EXCITÉ triques, l’un s’écoulant vers l’Ouest,
l’autre vers l’Est. Ces courants suivent
MOLÉCULE l’ovale auroral dans la basse iono-
D’AZOTE
sphère ; ils échauffent l’atmosphère et
DISSOCIATION favorisent la formation de vents à
AZOTE EXCITÉ grande échelle dans la haute atmo-
sphère polaire.
Quelle est l’origine de ces électro-
MOLÉCULE jets? Des courants alignés circulent
EXCITÉE AURORE
entre les bords internes et externes de
l’ovale auroral ; ces courants sont dus
à un champ électrique parallèle à la
surface de la Terre et, par conséquent,
perpendiculaire au champ magnétique
terrestre, au niveau des pôles (voir la
figure 6). Les particules chargées sont
5. LES ATOMES ET LES MOLÉCULES de la basse ionosphère émettent des rayonnements
lorsqu’ils sont heurtés par les électrons accélérés par la structure de potentiel auroral ; les
entraînées de la face nocturne vers la
électrons, ralentis par les collisions, émettent des rayons X. Les collisions dissocient les face diurne par une force appelée E-
molécules en atomes excités qui émettent des rayonnements, pour retrouver un état d’éner- croix-B ou E x B, quelle que soit leur
gie inférieur; les électrons arrachés par les électrons de l’espace ionisent à leur tour charge électrique.
d’autres atomes, qui émettent également des rayonnements. L’oxygène et l’azote émettent Dans la haute ionosphère, les parti-
respectivement dans le vert et le rose. cules se déplacent toutes à la même
76 © POUR LA SCIENCE
vitesse, de sorte que le courant élec- LIGNE DE CHAMP MAGNÉTIQUE
trique résultant est nul ; elles heurtent
les particules neutres, les mettent en CHAMP ÉLECTRIQUE
mouvement et participent ainsi à la for-
mation des vents. Dans la basse iono-
sphère, cependant, les protons ne circu-
lent pas selon la force E x B, car ils
heurtent très fréquemment les particules
neutres ; seuls les électrons ont une cir-
culation régulière – et forment un cou-
rant électrique – le long de l’ovale auro-
ral : ils s’écoulent vers l’Ouest, au ÉLECTRON
levant et vers l’Est, au couchant. ÉLECTROJET
Avec les photographies prises pen- VERS L’EST PROTON
dant l’année internationale de la géo- ÉLECTROJET
physique, en 1957-1958, on découvrit 300 KM VERS L’OUEST
un phénomène jusqu’alors inconnu dans
l’activité aurorale : les sous-orages
magnétiques. Le premier signe de ces
phénomènes est un brusque éclat de la
draperie de l’aurore, qui débute en fin
de soirée et se prolonge jusqu’à minuit.
Cet éclat s’étend rapidement à toute la
draperie ; en quelques minutes, toute la
partie de l’aurore située dans l’hémi-
sphère obscur s’illumine. 100 KM
Dans le secteur de minuit, la draperie
lumineuse commence à se déplacer vers JOUR
le pôle, à une vitesse de quelques cen-
taines de mètres par seconde : souvent NUIT
une partie de la draperie se bombe ; ce
bourrelet ondule d’abord à son extré-
mité Ouest, puis les frémissements se 6. LES COURANTS «ALIGNÉS» induisent des champs électriques en travers des ovales auro-
propagent vers l’Ouest, à une vitesse raux, perpendiculaires au champ magnétique terrestre. Le champ électrique et le champ
d’un kilomètre par seconde (voir la magnétique dévient les électrons et les protons dans la même direction : c’est la dérive
figure 1). À mi-distance du pôle, au E-croix-B. Au-dessus de la calotte polaire, cette dérive s’effectue en sens inverse de celle qui
levant, la draperie tombe en lambeaux. s’exerce dans l’épaisseur du cylindre auroral, parce que les champs électriques sont opposés.
Le déplacement vers le pôle dure Dans la haute ionosphère, les électrons se déplacent à la même vitesse que les protons : le
courant électrique résultant est nul. Dans la basse ionosphère, les protons subissent de nom-
généralement entre 30 minutes et une
breuses collisions et se déplacent dans la direction du champ électrique plutôt que selon la
heure ; dès qu’elle atteint sa plus haute dérive E-croix-B ; la circulation des électrons forme d’intenses courants : les «électrojets».
latitude, l’aurore s’éteint progressive-
ment. Ces sous-orages durent en géné- MIDI MIDI
ral entre une et trois heures.
Les sous-orages magnétiques sont la
manifestation des sous-orages magnéto-
sphériques qui se produisent quatre
10 HEURES T.U.
© POUR LA SCIENCE 77
La dynamique
des sous-orages
De nombreux chercheurs pensent
que ces orages ont leur origine dans la
«queue magnétique». Le générateur
électrique de la magnétopause engen-
drerait deux courants circulaires,
s’écoulant en sens inverses autour des
lobes Nord et Sud de la queue magné-
tique ; ces courants induiraient des
champs magnétiques antiparallèles, le
long de la queue magnétique. Ces
champs se reconnecteraient spontané-
ment et de façon explosive : l’énergie
80° libérée engendrerait les sous-orages.
On découvre aujourd’hui que la
70° croissance et le déclin des orages
magnétosphériques dépendent de
60° l’accroissement ou de la diminution de
l’énergie produite par le générateur.
Vers 1970, avec Paul Perreault, nous
avons étudié les relations entre la puis-
sance du générateur et les caractéris-
tiques du vent solaire ; nous avons sup-
posé que l’énergie totale dissipée dans
la magnétosphère était égale à l’éner-
gie injectée dans la magnétosphère par
le vent solaire, et nous avons cherché
8. LES DÉTAILS DE L’OVALE AURORAL sont visibles sur cette image de la Terre vue d’au-des- si les fluctuations de l’énergie dissipée
sus du pôle Nord géographique. Une aurore diffuse et mince entoure le pôle, de l’après-midi dépendaient des caractéristiques du
au secteur de minuit (à gauche) ; pour les observateurs au sol, la luminosité est constante au
vent solaire, mesurées par les satellites.
couchant et souvent assez large pour occuper tout le ciel. Des draperies se séparent de la face
interne diffuse de l’aurore. Lors des sous-orages magnétiques, des formes brillantes s’avancent Nous avons découvert que la puis-
vers le pôle aux environs de minuit. Dans le secteur du matin (en haut à droite), la partie dif- sance du générateur est proportionnelle
fuse semble se désintégrer en plis et festons, à l’extérieur de l’ovale. au produit de trois facteurs : la vitesse
du vent solaire, le carré de l’intensité
20 du champ magnétique du vent solaire
COMPOSANTE NORD-SUD DU CHAMP MAGNÉTIQUE
10 PASSAGE
le champ magnétique solaire et le
DU TEMPS MAGNÉTIQUE
5 champ magnétique terrestre, au pôle
0 Nord). Par conséquent, quand le champ
–5
magnétique du vent solaire est dirigé
vers le Nord, la puissance du généra-
–10
1 2 3 4 5 6
teur est nulle, parce que l’angle polaire
10
est nul (le sinus d’un angle nul est nul).
TEMPS (EN HEURES)
Inversement, quand le champ magné-
a b c d e tique est orienté vers le Sud, la puis-
sance est maximale, parce que l’angle
polaire est égal à 180 degrés et que le
sinus de la moitié de cet angle est
maximal (il est égal à un).
Mikhail Pudovkin, ses collègues de
9. LORSQUE LE CHAMP MAGNÉTIQUE du vent solaire est orienté vers le Nord, le diamètre l’Université de Leningrad et d’autres
de l’ovale auroral est petit et contient une lueur à peine visible (a). Lorsque le champ bas- physiciens ont déduit la même formule
cule en sens inverse, il s’oriente dans le même sens que celui de la Terre ; l’ovale brille et de considérations théoriques, en sup-
se dilate rapidement ; une lueur quasi imperceptible ne subsiste que dans une zone étroite, posant que la magnétosphère se com-
à l’intérieur de l’ovale (b). Environ une heure plus tard, un sous-orage magnétique portait comme un générateur magnéto-
débute ; des draperies brillantes s’avancent vers le pôle. Le sous-orage culmine une ou
hydrodynamique. P. Reif et ses
deux heures après son déclenchement (il dure en général entre une et trois heures) (c).
Lorsque le champ magnétique s’oriente à nouveau vers le Nord, l’aurore pâlit et des drape- collègues ont montré que les variations
ries s’allongent selon le méridien midi-minuit, au-dessus de la calotte polaire (d). Lorsque de la différence de potentiel de part et
le champ magnétique est intense et orienté vers le Nord pendant plusieurs heures, l’ovale d’autre de la calotte polaire sont liées
peut disparaître et se réduire à une lueur couvrant toute la région polaire (e). à la puissance calculée par notre équa-
78 © POUR LA SCIENCE
tion ; en outre, chaque crête de puis- dans la queue magnétique, et divers lièrement vastes pendant la phase de
sance supérieure à 10 000 mégawatts phénomènes accompagnent les sous- déclin d’un cycle de taches solaires ;
était non seulement associée à un orages magnétiques. On espère mieux souvent deux grands trous apparaissent
accroissement de la différence de connaître ces phénomènes grâce au simultanément, l’un à partir du pôle
potentiel, mais aussi à une intensifica- projet international de physiques Nord du Soleil, l’autre à partir du pôle
tion des sous-orages magnétiques. solaire et terrestre, qui associera de Sud. Chaque trou produit un vent
Nous avons également observé que nombreux satellites. solaire important sous forme de jet.
le diamètre des aurores varie en fonc- Comme le Soleil tourne sur lui-
tion de la puissance fournie par le géné- Les ondes de choc même en 27 jours, il agit comme un
rateur auroral, qui dépend lui-même de système d’«arrosage circulaire» : une
la composante Nord-Sud du champ La puissance du générateur auroral bouffée de vent solaire arrive sur la
magnétique interplanétaire. De telles dépend de l’activité du Soleil et, Terre ; puis une autre bouffée nous par-
observations indiquent que les sous- notamment, d’événements transitoires vient deux semaines plus tard. La Terre
orages se produisent plus souvent quand telles que les éruptions solaires et les reçoit chaque faisceau pendant une
le champ magnétique du vent solaire est éjections massives de gaz coronaux, semaine environ : le générateur est
orienté vers le Sud : ils seraient dus au dont les ondes de choc se propagent alors puissant et variable. Comme les
vent solaire plutôt qu’à des événements avec le vent solaire. Juste derrière le trous de la couronne solaire subsistent
spontanés dans la magnétosphère. front d’onde, le vent solaire s’écoule à souvent de nombreux mois, il y a deux
On ignore encore le mécanisme une vitesse comprise entre 500 et périodes d’activité aurorale, d’une
exact des sous-orages magnétiques. 1 000 kilomètres par seconde ; le semaine chacune tous les 27 jours, pen-
Notamment on ne comprend pas pour- champ magnétique est comprimé, et dant la phase de déclin d’un cycle de
quoi les augmentations de puissance du son intensité augmente. taches solaires. Le vent solaire semble
générateur font briller soudainement les Lorsque l’onde de choc heurte la être plus rapide lorsqu’il provient des
aurores. Joseph Kan, de l’Université de magnétosphère, l’énergie du généra- hautes latitudes de la couronne solaire ;
Fairbanks, suppose que ces éclats résul- teur atteint jusqu’à dix millions de voilà peut-être pourquoi l’activité auro-
tent d’une amplification des courants ali- mégawatts. rale augmente au printemps et à
gnés dans l’ionosphère, lorsque la force Cette rencontre peut engendrer une l’automne, lorsque la Terre est aux plus
E x B est renforcée par les accroisse- tempête géomagnétique : l’ovale auro- hautes latitudes héliographiques.
ments de puissance du générateur. ral se dilate anormalement et l’émis- L’étude des aurores révélera peut-
Qu’arrive-t-il quand, au lieu d’être sion rouge de l’oxygène atomique (à être certains mystères à propos du
orienté vers le Sud, le champ magné- une longueur d’onde de 630 nano- Soleil. Comme les aurores, les érup-
tique est dirigé vers le Nord et qu’il est mètres) s’intensifie considérablement tions solaires sont des draperies
intense pendant une longue période? dans de telles aurores, peut-être parce brillantes dues à la désexcitation lumi-
La puissance du générateur auroral que l’énergie thermique libérée excite neuse d’atomes excités ; elles se for-
décroît, l’aurore pâlit et les électrojets les atomes d’oxygène. Simultanément, ment sans doute de façon analogue. On
s’affaiblissent. De surcroît, plusieurs dans la ceinture de Van Allen, les cou- a longtemps supposé que l’énergie des
draperies lumineuses se déploient au- rants renforcés créent des champs éruptions solaires provenait de la
dessus de la calotte polaire, parallèle- magnétiques intenses même aux basses reconnexion du champ magnétique
ment au méridien midi-minuit, et des latitudes et jusqu’au sol. solaire ; cette hypothèse était fondée
festons d’aurore à peine visibles déri- Nous avons récemment essayé de sur l’existence de «champs magné-
vent au-dessus du pôle, dans la même comprendre l’effet des ondes de choc tiques libres de force», identiques aux
direction. Ces aurores très particulières solaires sur la magnétosphère. Une champs des courants alignés de la
ne résultent pas seulement d’un affai- éruption au centre du disque solaire magnétosphère terrestre. Il est essentiel
blissement du générateur ; nous ne engendre une onde de choc qui se pro- de découvrir le mécanisme du généra-
considérerons pas ici leur mécanisme. page selon l’axe Soleil-Terre ; le front teur qui fournit la puissance électrique
Jusqu’ici nous n’avons tenu compte d’onde heurte de plein fouet le «nez» de ces champs libres de force et des
que de la reconnexion magnétique sur de la magnétosphère, le champ magné- éruptions solaires ; ce sont peut-être,
la face ensoleillée de la magnéto- tique interplanétaire est fortement com- comme dans l’ionosphère terrestre, des
sphère ; or le générateur magnétosphé- primé et son intensité s’accroît. La mouvements de gaz qui libèrent l’éner-
rique devrait également commander puissance du générateur augmente alors gie nécessaire, à la surface du Soleil.
une reconnexion dans la queue magné- beaucoup. Quand une éruption survient J’espère que l’étude des aurores
tique. Au Laboratoire américain de pro- près du bord du disque solaire, l’onde aidera à comprendre divers phéno-
pulsion aéronautique, James Slavin et de choc se propage perpendiculaire- mènes astrophysiques. On trouve des
Bruce Tsurutani ont découvert une cor- ment à l’axe Soleil-Terre, son flanc plasmas diffus traversés par des
respondance entre l’intensité des élec- frôle le nez de la magnétosphère et le champs magnétiques dans beaucoup
trojets et la vitesse du plasma qui comprime peu. Dans ce cas, même si d’objets astronomiques ; il est probable
s’éloigne de la Terre jusqu’à environ l’éruption solaire est intense, les modi- qu’ils interagissent fréquemment avec
200 rayons terrestres de celle-ci ; on fications aurorales sont minimes. l’atmosphère de corps qui possèdent un
pense que l’écoulement du plasma est Les «trous» de la couronne solaire, champ magnétique comme les étoiles,
dû à l’énergie libérée par la recon- dans les régions dépourvues de taches les planètes ou les comètes… Les
nexion dans la queue magnétique. solaires, agissent également sur les aurores constituent le moyen de tester,
Lorsqu’une aurore se met à briller, aurores : ils engendrent des «torrents» par des observations directes, les théo-
les feuillets de plasma s’amincissent de vent solaire. Ces trous sont particu- ries décrivant ces interactions.
© POUR LA SCIENCE 79
A RCS ET HALOS CÉLESTES
altitudes comprises entre 9 000 et 15 000
mètres, dans des régions où les tempéra-
tures sont inférieures au point de congéla-
tion de l’eau. L’air est alors sursaturé en
David Lynch vapeur d’eau qui se condense pour former
des nuages, les «cirrus». C’est pourquoi les
1. Le halo est dû aux cristaux de glace présents dans les cir- tographié un système de halos, comprenant le petit et le
rus et orientés dans toutes les directions. Le halo ordinaire grand halo, le cercle parhélique et ses parhélies, l’arc supé-
autour du Soleil, ou petit halo, a une ouverture angulaire de rieur de Parry et l’arc circumzénithal. Cette diversité révèle
22 degrés (à gauche). Près du Pôle Sud (à droite), on a pho- les nombreuses formes et orientations des cristaux des cirrus.
80 © POUR LA SCIENCE
La grande diversité des halos résulte des déviation est important en optique géomé- tion de la couleur de la lumière, c’est-à-dire
différentes orientations des cristaux de glace. trique et s’applique à de nombreux phéno- avec sa longueur d’onde. Cette propriété
Les tout petits cristaux (de diamètre inférieur mènes météorologiques, dont celui de l’arc- s’appelle la dispersion : la lumière blanche
à 20 micromètres) sont soumis au mouve- en-ciel. Comme deux faces non adjacentes est décomposée et chaque composante tra-
ment brownien sous l’action des collisions d’un cristal forment entre elles un angle de verse le cristal dans une direction légère-
aléatoires avec les molécules d’air, les cris- 60 degrés, il suffit de comprendre comment ment différente de celle des autres compo-
taux s’agitent continuellement, si bien que la lumière traverse un prisme dans un plan santes (ce phénomène est à l’origine de
toutes les orientations existent. Lorsque la perpendiculaire à l’axe c pour comprendre l’arc-en-ciel). C’est pourquoi l’angle du mini-
taille des cristaux atteint 50 à 500 micro- comment se crée le petit halo. mum de déviation est légèrement différent
mètres, la poussée aérodynamique L’angle entre le rayon incident et le pour chaque couleur, la déviation la plus
l’emporte sur le mouvement brownien et rayon émergent, nommé angle de dévia- faible correspondant à la lumière rouge. Le
maintient les cristaux dans certaines posi- tion, mesure le changement de direction de halo est donc composé d’un ensemble
tions privilégiées par rapport à la direction la lumière dans le cristal. Lorsque l’angle continu de halos superposés, chaque halo
de leur chute. Si toutes les particules de d’incidence augmente de 0 (rayon perpen- ayant une couleur et une taille spécifiques.
glace sont du même type, elles s’alignent. diculaire à la face d’entrée) à 90 degrés, Le grand halo (ou halo de 46 degrés)
Imaginez des milliards de prismes alignés et l’angle de déviation décroît d’abord de façon est dû au même phénomène ; dans ce cas
étincelants dans le Soleil, chaque prisme continue, atteint une valeur minimale, puis cependant, le prisme de réfraction est formé
produisant sa propre famille de minuscules augmente. Au voisinage du minimum de par une base du prisme et une face latérale.
halos ; c’est ainsi que se forment la plupart déviation, toute variation de l’angle d’inci- Ces deux surfaces se coupent sous un angle
des halos. Quand les cristaux de glace attei- dence ne produit plus qu’une faible variation de 90 degrés (angle au sommet du prisme)
gnent une taille de 0,5 à 3 millimètres, ils de la déviation. La lumière est ainsi concen- au lieu de 60 degrés. D’autres halos, plus
tendent à tourner sur eux-mêmes lors de trée au voisinage de l’angle de déviation rares, sont également dus à la déviation
leur chute. Ces cristaux tourbillonnants pro- minimal et forme un cercle (le petit halo), car minimale des rayons issus du Soleil dans
duisent un autre type de halo. les cristaux ont toutes les orientations pos- des cristaux orientés, dans toutes les direc-
sibles. Comme l’angle de déviation de la tions possibles. Les cristaux de glace res-
La déviation de la lumière lumière peut être supérieur à 22 degrés, ponsables de ces halos sont les prismes
mais jamais inférieur, le halo a en fait la surmontés de pyramides. Les halos ainsi
Le passage de la lumière du Soleil à tra- forme d’une couronne : le bord intérieur du formés sont au nombre de six et leurs
vers les cristaux dont les faces forment un halo, net et brillant, correspond à la dévia- ouvertures varient de 8 à 32 degrés.
angle de 60 degrés crée le petit halo. tion minimale et la zone extérieure, diffuse,
Comment un nuage composé d’innom- correspond aux rayons qui traversent le cris- Les cristaux orientés
brables cristaux d’orientations indépen- tal sous d’autres angles ; s’il n’y avait que ce
dantes peut-il réfracter la lumière sous un phénomène optique, l’intérieur serait noir. Quand les cristaux sont orientés, on
angle de 22 degrés? Cet effet s’explique par Deux facteurs déterminent l’angle de observe d’autres phénomènes ; les plus fré-
une accumulation de lumière au voisinage déviation minimale : l’angle entre les faces et quents sont les parhélies. Les cristaux res-
du minimum de déviation du prisme consti- l’indice de réfraction. L’indice moyen de ponsables de ces «faux soleils» sont les
tué par deux faces du cristal. Le phénomène réfraction de la glace vaut 1,31. Comme colonnes avec capuchon, les balles de revol-
d’accumulation de lumière au minimum de dans tout solide, il varie légèrement en fonc- ver et les plaquettes. Tous ces cristaux sont
N
ZO
RI
HO LA MODÉLISATION DES HALOS
LIQUE
ARHÉ
ERCL
EP
ANTHÉLIE
L’ intérêt de l’étude des halos n’est pas seulement esthétique.
Les cirrus, nuages de cristaux de glace, ont un rôle climatolo-
C
CIRCONSCRIT
lois de Descartes, et l’énergie et l’état de polarisation, à l’aide
des lois de Fresnel ; un calcul de diffraction de Fraunhofer
SOLEIL
PARHÉLIES donne l’allure du halo résultant.
ARC Les modélisations sont certes moins poétiques que la réalité,
DE LOWITZ
PE mais elles conviennent aux impatients…
TIT H ALO
ARC INFÉRIEUR ARC TANGENT
DE PARRY INFÉRIEUR Gérard BROGNIEZ, Laboratoire d’Optique atmosphérique de Lille.
2. Les halos les plus fréquents sont situés près du Soleil.
Ce schéma est centré sur le zénith de l’observateur.
© POUR LA SCIENCE 81
130 V III IV II I II VI vateur, la lumière semble donc provenir
c c de tous les points de l’espace de même
%
0 altitude. Le cercle parhélique apparaît
10
À
125 E comme un anneau horizontal passant par
AL
ÉG le Soleil et parallèle à l’horizon. On le voit
SATURATION EN EAU (EN POUR CENT)
c
U
EA rarement en entier, car les nuages ne
D'
I ON recouvrent pas uniformément tout le ciel.
120 AT
c R La colonne solaire est un phénomène
c
E NT
NC plus courant. C’est une sorte de pilier
CO lumineux vertical qui se dresse au-dessus
115 du Soleil. On l’observe le plus souvent au-
dessus du Soleil levant ou du Soleil cou-
chant. Elle est due à la réflexion de la
110 II lumière sur les bases des plaquettes et des
colonnes à capuchon. Lorsque les cristaux
c
c VII descendent dans l’air comme des feuilles
105 VII c qui tombent (avec leurs axes a verticaux),
a a ils oscillent autour de leur position
a moyenne. L’image réfléchie est alors
brouillée verticalement. Ces halos en
100
0 –5 – 10 – 15 – 20 – 25 – 30 colonnes prouvent que les cristaux de
TEMPÉRATURE (EN DEGRÉS CELSIUS) glace sont orientés et qu’ils oscillent. Bien
3. La forme du cristal dépend de la température de l’air et de son degré de que ces colonnes ne produisent pas de
saturation en eau. Les chiffres romains indiquent les régions où se forme couleurs elles-mêmes, elles prennent la
chaque type de cristal (les formes irrégulières ne sont pas indiquées). couleur du Soleil et apparaissent souvent
orangées ou rouges. Quand la colonne, le
cercle parhélique et le petit halo apparais-
orientés de façon que leur axe c soit vertical. se déploie pour former un arc de cercle sent en même temps, leurs intersections
Comme précédemment, la lumière traverse coloré, centré au zénith et faisant face au forment des croix dans le ciel. Ce phéno-
les faces latérales verticales non adjacentes Soleil. Bien que l’arc circumzénithal ne soit mène a conduit certaines personnes à voir
qui forment entre elles un angle dièdre de pas un phénomène lié au minimum de dans les halos des signes du Ciel.
60 degrés. Quand le Soleil est au-dessus de déviation, son éclat est maximal lorsque la Enfin, quelques halos apparaissent sous
l’horizon, la lumière du Soleil pénètre dans lumière du Soleil traverse le cristal au mini- l’horizon. Pour les voir, on doit regarder les
le cristal obliquement et le plan de traversée mum de déviation. C’est ce qui se passe cristaux de glace d’au-dessus, du sommet
de la lumière n’est plus perpendiculaire à lorsque la hauteur du Soleil est de 22,1 des hautes montagnes, des falaises élevées
l’axe c. Il n’existe alors plus de vrai mini- degrés. Dans ce cas-là, le grand halo et ou d’un avion. En avion, quand on voit un
mum de déviation, mais un «quasi-mini- l’arc circumzénithal sont tangents. soleil inférieur (ou subsoleil), c’est le signe
mum», car quelques rayons obliques ont Les arcs supérieur et inférieur de certain qu’il existe des sub-halos à proximité.
une déviation encore plus faible ; toutefois, Parry, ainsi nommés en hommage à Au-dessus du Canada, je vis une fois (et ne
la lumière se concentre encore autour de ce l’explorateur britannique Sir William Parry pris hélas aucune photographie) un soleil
quasi-minimum. En outre, l’angle de dévia- qui les décrivit en 1821, sont formés, inférieur entouré de deux sub-parhélies.
tion est toujours supérieur à 22 degrés, de comme les arcs circumzénithaux, à partir Il n’y a que peu de domaines de la phy-
sorte que les parhélies apparaissent à l’exté- des dièdres de 60 degrés. Ces arcs appa- sique où un coup d’œil rapide sur une
rieur du petit halo. Les conditions du véri- raissent juste au-dessus et au-dessous du expérience révèle autant de détails phy-
table minimum de déviation n’existent que petit halo. Les cristaux responsables de ces siques. Lorsque l’on voit un halo, dans le
quand le Soleil est sur l’horizon : les parhé- phénomènes sont des colonnes orientées laboratoire glacé que constituent les
lies sont alors sur le petit halo. dont l’axe c est horizontal et dont deux nuages, on connaît immédiatement la tem-
L’un des plus jolis membres de la faces latérales sont aussi horizontales, l’une pérature du nuage, l’état physique de l’eau,
famille des halos est l’arc circumzénithal. Il étant sur le dessus et l’autre en dessous. la taille, la forme et l’orientation des cristaux
est moins fréquent, car il n’apparaît que si Le cercle parhélique et la colonne de glace. Si l’on observe plusieurs arcs, on
la hauteur du Soleil au-dessus de l’horizon solaire résulte d’une réflexion externe de en sait encore plus. L’observation des halos
est inférieure à 32,2 degrés. Cet arc se la lumière sur des cristaux orientés : ce stimule l’esprit et la sensibilité, car elle nous
forme lorsque la lumière pénètre dans le sont donc des phénomènes non colorés. renseigne à la fois sur l’environnement
cristal par la face horizontale supérieure et Le cercle parhélique est dû à la réflexion physique du nuage et sur notre acuité
en ressort par une face latérale verticale. de la lumière sur les faces latérales verti- d’observation de la Nature. Du chaos des
Pour des hauteurs de Soleil supérieures à cales des colonnes à capuchon et des pla- milliards de cristaux microscopiques, inco-
32,2 degrés, la lumière est totalement quettes (axes c verticaux) et sur les bases lores et anguleux, la Nature tisse de
réfléchie à l’intérieur du cristal. À 32,2 des colonnes horizontales. Comme il n’y a grandes courbes gracieuses et colorées,
degrés, la lumière émerge et ressort du aucune orientation azimutale privilégiée, offertes à tout observateur qui prend le
cristal verticalement vers le bas ; l’arc cir- les faces latérales réfléchissent la lumière temps de lever les yeux…
cumzénithal apparaît alors comme un dans toutes les directions horizontales, tan-
point brillant au zénith. Lorsque le Soleil dis que la composante verticale de la David LYNCH travaille
descend davantage vers l’horizon, le point lumière n’est pas modifiée. Pour un obser- à l’Institut de Technologie de Californie.
82 © POUR LA SCIENCE
L’ INFLUENCE DES ACTIVITÉS HUMAINES
84 © POUR LA SCIENCE
© POUR LA SCIENCE 85
biologistes et écologistes progressent. fumée (des particules de carbone). acide nitrique (HNO3) et en acide sulfu-
Une collaboration pluridisciplinaire est D’autres activités industrielles, comme rique (H 2 SO 4 ) ; la précipitation des
indispensable, car le comportement des la métallurgie, libèrent également du gouttelettes où ces acides sont dissous
gaz atmosphériques, leur réactivité et dioxyde de soufre, des chlorofluorocar- endommage les forêts et les lacs.
leurs interactions avec la biosphère sont bures ou des métaux toxiques. L’agricul- Comme les gouttelettes d’eau quittent
complexes. Les réactions auxquelles les ture pollue aussi l’atmosphère. Dans les rapidement l’atmosphère par précipita-
composés participent dans l’atmosphère régions tropicales et subtropicales, le tion, les pluies acides sont des phéno-
dépendent de la composition locale, de la brûlage des forêts et des savanes crée mènes régionaux ou continentaux. En
présence de particules, de la température, des pâturages et des terres cultivables, revanche, plusieurs autres gaz, comme
de l’intensité lumineuse, de la nature des mais libère dans l’atmosphère du le méthane, le dioxyde de carbone, les
nuages, des précipitations et des vents, monoxyde de carbone, du méthane et chlorofluorocarbures ou le protoxyde
qui entraînent les composés chimiques desoxydes d’azote. Les sols dénudés et d’azote persistent plus longtemps dans
horizontalement ou verticalement. les champs fertilisés par des engrais azo- l’atmosphère : leurs effets sont globaux.
Inversement, les vitesses de réactions tés dégagent du protoxyde d’azote. Depuis le début de la Révolution
déterminent la durée de séjour des gaz L’élevage est une source importante de industrielle, au milieu du XVIIIe siècle,
dans l’atmosphère et des conséquences méthane (produit par les bactéries anaé- l’acidité des précipitations a augmenté
qu’eux-mêmes ou les produits formés robies de l’appareil digestif des rumi- dans de nombreuses régions. Dans le
lors des réactions exercent sur l’environ- nants), de même que la culture du riz, Nord-Est des États-Unis, elle a quadruplé
nement, localement ou globalement. aliment de base de nombreuses popula- depuis le début du siècle, parallèlement
Les recherches ont notamment tions tropicales et subtropicales. aux émissions de dioxyde de soufre et
révélé quels sont les produits libèrés par Les recherches récentes permettent d’oxydes d’azote. Elle a également aug-
les activités humaines. La production également de mieux comprendre les menté dans les autres zones industriali-
d’énergie, à partir de combustibles fos- conséquences d’un accroissement des sées, voire dans des régions tropicales
siles, dégage des quantités considérables émissions dues aux activités humaines. non industrialisées, où elle résulte essen-
de dioxyde de soufre (surtout dans le cas On sait aujourd’hui que les «pluies tiellement des oxydes d’azote et des
du charbon), d’oxydes d’azote (par réac- acides» (terme qui désigne l’ensemble hydrocarbures dégagés par la combustion
tion de l’azote et de l’oxygène, à haute des précipitations acides) résultent de la biomasse.
température) et de dioxyde de carbone. d’interactions atmosphériques aux- Les acides nitrique et sulfurique de la
Quand la combustion est incomplète, quelles participent les oxydes d’azote et troposphère ne retombent pas uniquement
elle produit également du monoxyde de le dioxyde de soufre. Diverses réactions, avec les précipitations. Ils se déposent
carbone (CO), divers hydrocarbures notamment la combinaison avec le radi- également par voie «sèche», c’est-à-dire
(notamment du méthane) et du noir de cal hydroxyle, transforment ces gaz en par simple contact entre les gaz et le sol
STRATOSPHÈRE
d TROPOSPHÈRE
a c j
b h e f l
ÉMISSIONS
3. L ES COMPOSÉS CHIMIQUES ÉMIS DANS L ’ ATMOSPH È RE sphère (g), activés notamment par le radical hydroxyle (OH). Les pro-
réagissent de façons variées. Les gaz inertes et insolubles dans l’eau duits gazeux formés (flèches violettes) retombent parfois directe-
(flèches oranges) se répandent dans la troposphère, les 10 à 15 kilo- ment vers le sol (h), mais comme ils sont généralement plus
mètres inférieurs de l’atmosphère, et parfois dans la stratosphère, solubles que leurs précurseurs, ils se déposent sur des particules
jusqu’à 50 kilomètres d’altitude (a) ; les végétaux, les sols et les plans humides (i), et tombent sous la forme de pluies acides, en se dis-
d’eau en captent une partie (b). Les gaz solubles dans l’eau sont éga- solvant directement (g) ou indirectement (k) dans la vapeur d’eau.
lement piégés à la surface des particules atmosphériques (c) ou dans Ces produits sont donc éliminés rapidement de l’atmosphère (e, f) et
la vapeur d’eau des nuages (d) ; les particules et les gouttelettes diffusent peu dans la stratosphère. Les particules injectées dans
entraînent alors ces gaz vers le sol (flèches vertes), soit directement (e), l’atmosphère (flèches noires) suivent des parcours analogues à ceux
soit par l’intermédiaire de la pluie, de la neige, du brouillard ou de la des gaz. Elles se redéposent directement (l) ou sont piégées par les
rosée (f). La plupart des gaz réagissent chimiquement dans l’atmo- vapeurs d’eau (m), puis entraînées par les précipitations (f).
86 © POUR LA SCIENCE
ou par l’intermédiaire de particules concentrations sont deux à quatre fois tion du rayonnement ultraviolet qui
solides. Or la voie sèche semble aussi supérieures ; elles sont dix fois supé- baigne la Terre augmenterait les risques
dévastatrice que la voie humide. rieures en Californie, dans l’Est des de cataracte et de cancer de la peau chez
Les dépôts acides endommagent de États-Unis et en Australie. l’homme, endommagerait les cultures et
nombreux écosystèmes. On comprend Les régions tropicales et subtropi- détruirait le phytoplancton, c’est-à-dire
encore mal leurs interactions avec la cales ne sont pas épargnées par le smog, les algues microscopiques à la base de la
faune lacustre, les sols et divers types de surtout en raison des brûlages pério- chaîne alimentaire, dans les océans.
végétation, mais on sait qu’ils sont res- diques de la savane ; en effet, on brûle L’amincissement de la couche d’ozone
ponsables de l’acidification des lacs de parfois les mêmes zones chaque année! stratosphérique est inquiétant au-dessus
Scandinavie, du Nord-Est des États-Unis Comme cette pratique libère beaucoup de l’Antarctique : depuis 1975, à chaque
et du Sud-Est du Canada : ils y ont réduit de gaz précurseurs du smog et que printemps austral, l’ozone se raréfie dans
les populations de poissons ainsi que leur l’ensoleillement de ces régions favorise une grande zone ; depuis une dizaine
diversité spécifique. Les dépôts acides les réactions photochimiques, la concen- d’années, la concentration en ozone,
participent aussi au dépérissement des tration d’ozone atteint cinq fois la mesurée pendant cette période au-dessus
forêts d’Europe et du Nord-Est des États- concentration normale. Avec l’accroisse- de l’Antarctique, a diminué d’environ
Unis. Ils attaquent également les équipe- ment des populations, les zones d’air 50 pour cent (voir La diminution de
ments extérieurs, les bâtiments et les pollué risquent de s’étendre ; la menace l’ozone stratosphérique, par O. Toon et
ouvrages d’art, notamment dans les zones est grande, car les écosystèmes de ces R. Turco, dans ce dossier). On a exper-
urbaines ; rien qu’aux États-Unis, la régions sont plus vulnérables au smog tisé la couche d’ozone stratosphérique et
réfection et le remplacement des équipe- qu’ils ne le sont sous nos latitudes. constaté que, depuis une vingtaine
ments coûtent plusieurs centaines de mil- On limiterait les dégâts écologiques d’années, pendant l’hiver et au début du
liards de francs chaque année. Les parti- si l’on réduisait la concentration en printemps, la couche d’ozone s’amincit
cules contenant des ions sulfate (SO42–) ozone, au niveau du sol, mais une dimi- de deux à dix pour cent, aux moyennes et
ont d’autres effets : elles diffusent forte- nution de la quantité d’ozone stratosphé- aux hautes latitudes ; l’amincissement est
ment la lumière et réduisent la visibilité. rique serait dangereuse : une intensifica- maximal aux hautes latitudes.
Modifiant ainsi la réflexion de la lumière
solaire par les nuages (leur «albédo»),
elles modifient sans doute les climats.
LES RÉACTIONS CHIMIQUES DANS L’ ATMOSPH ÈRE
L’ozone et le smog • L’action détergente des composés oxydants. Les molécules qui déclenchent la
plupart des réactions chimiques dans l’atmosphère sont oxydantes : elles agissent
Le smog (une contraction des mots
comme des détergents en transformant les gaz en molécules solubles dans l’eau, faci-
anglais smoke et fog, qui signifient litant ainsi leur élimination par les précipitations. L’ozone (O3) est un oxydant qui par-
«fumée» et «brouillard»), le brouillard ticipe à la formation du radical hydroxyle (OH). Ce dernier interagit avec presque
photochimique qui baigne les villes, est toutes les molécules de l’atmosphère. Nombre de gaz émis seraient encore dans
un autre inconvénient de la vie l’atmosphère si ces radicaux n’existaient pas. La dissociation de l’ozone par le rayon-
moderne. Ce mélange de gaz, nocif, se nement ultraviolet (hν) libère un atome d’oxygène (O), très réactif, qui se combine
forme dans la basse troposphère lorsque ensuite avec une molécule d’eau et produit les radicaux hydroxyle :
le rayonnement solaire agit sur les
hν
oxydes d’azote et les hydrocarbures des a) O3 O. + O2 b) O. + H2O 2 OH
gaz d’échappement des automobiles.
L’ozone (O3) est l’un des principaux
• Création et destruction de l’ozone stratosphérique. Le rayonnement ultra-
produits de ces réactions photochi- violet produit l’ozone en dissociant une molécule d’oxygène (O2) ; les atomes
miques ; il irrite les yeux, engendre des d’oxygène résultants se combinent ensuite avec des molécules d’oxygène :
maladies respiratoires et endommage hν
les arbres et les cultures. La gravité du a) O2 O+O b) O + O2 O3
smog dépend de la concentration en
ozone au niveau du sol. Le même com- Les atomes de chlore provenant des chlorofluorocarbures émis dans l’atmosphère
posé est ainsi vital dans la stratosphère jouent un rôle majeur dans le cycle catalytique de destruction de l’ozone dans la stra-
(qui contient 90 pour cent de l’ozone tosphère. Ce cycle commence quand un atome de chlore dissocie une molécule
atmosphérique), car il absorbe des d’ozone en formant du monoxyde de chlore (ClO) et une molécule d’oxygène :
rayonnements ultraviolets, et dangereux
a) CI + O3 CIO + O2
près de la surface du sol.
Depuis la fin du XIX e siècle, on Quand le monoxyde de chlore réagit avec un atome d’oxygène (produit par la
mesure la concentration atmosphérique photodissociation d’une autre molécule d’ozone), il libère du chlore, qui peut cata-
en ozone au niveau du sol et dans lyser un nouveau cycle :
l’atmosphère à l’aide d’instruments aéro-
portés. Il y a un siècle environ, la station a) CIO + O CI + O2
de mesure du parc de Montsouris, à
Paris, enregistrait une concentration Les oxydes d’azote détruisent l’ozone, mais ils bloquent également le cycle
précédent, catalysé par le chlore. Le dioxyde d’azote, notamment, élimine le
«naturelle» en ozone égale à dix parties
monoxyde de chlore en formant du nitrate de chlore (ClNO3).
par milliard à proximité du sol ;
aujourd’hui, en Europe de l’Ouest, les
© POUR LA SCIENCE 87
MONOXYDE DIOXYDE MÉTHANE OXYDES PROTOXYDE DIOXYDE CHLORO- OZONE
GAZ DE CARBONE DE CARBONE (CH4) D'AZOTE D'AZOTE DE SOUFRE FLUORO- (O3)
(CO) (CO2) (NO ET NO2) (N2O) (SO2) CARBURES
EFFET + + + – + +
DE SERRE
DÉSTRUCTION
DE L'OZONE +/– +/– +/– +/– +
STRATOSPH.
DÉPÔTS
ACIDES + +
+
SMOG +
CORROSION +
RÉDUCTION +
DE LA VISIBILITÉ +
RÉDUCTION
DU POUVOIR – –
AUTONETTOYANT + +/–
DE L'ATMOSPH.
SOURCES Combustibles Combustibles Combustibles Combustibles Engrais azotés, Combustibles Aérosols, gaz Moteurs
ANTHROPIQUES fossiles fossiles et fossiles, fossiles déforestation fossiles et réfrigérants, d'automobiles
PRINCIPALES et biomasse déforestation rizières, marais, et biomasse et biomasse métallurgie mousses
élevages
ÉMISSIONS
ANTHROPIQUES 700 5 500 300 à 400 20 à 30 6 100 à 130 ~1
(EN MILLIONS
DE TONNES)
ÉMISSIONS
TOTALES 2 000 ~ 5 500 550 30 à 50 25 150 à 200 1
(EN MILLIONS
DE TONNES)
quelques
TEMPS MOYEN jours à
DE SÉJOUR quelques 100 ans 10 ans quelques 170 ans quelques 60 à 100 ans
DANS L'ATMOSPH. mois jours semaines
CONCENTRATION
MOYENNE Hémisph. S.
IL Y A 100 ANS 40 à 80 (sites 290 000 900 0,001 (air pur) 285 0,03 (air pur) 0
(EN PARTIES non pollués)
PAR MILLIARD)
CONCENTRATION Hémisph. N.
MOYENNE 100 à 200 0,001 (air pur) 0,03 (air pur) Environ
ACTUELLE Hémisph. S. 350 000 1 700 à 50 (sites 310 à 50 (sites 3 atomes
(EN PARTIES 40 à 80 (sites industriels) industriels) de chore
PAR MILLIARD) non pollués)
CONCENTRATION 0,001 (air pur) 0,03 (air pur)
ESTIMÉE EN 2030 Augmentation 400 000 2 200 3 à 6 atomes
probable à 550 000 à 2 500 à 50 (sites 330 à 350 à 50 (sites de chore
(EN PARTIES industriels) industriels)
PAR MILLIARD)
4. CERTAINS GAZ EN FAIBLES CONCENTRATIONS dans l’atmo- Nord. La concentration de beaucoup de ces gaz devrait augmenter
sphère ont des effets considérables et variés (en haut). Le signe + considérablement dans les 50 prochaines années (en bas). On a
indique une aggravation de l’effet considéré ; le signe – désigne estimé les concentrations moyennes des gaz qui séjournent plu-
une amélioration ; le symbole +/– indique que l’effet dépend des sieurs années dans l’atmosphère. Les concentrations des oxydes
conditions locales. Le dioxyde de carbone et les oxydes d’azote ont d’azote et du dioxyde de soufre devraient peu augmenter au-
des effets différents sur la couche d’ozone, selon l’altitude. dessus des régions fortement industrialisées ; en revanche, le
Généralement le méthane modère la destruction de l’ozone, sauf nombre de sites pollués risque d’augmenter, surtout dans les pays
dans le «trou» d’ozone ; en modifiant l’abondance du radical en développement. Enfin on a pondéré les concentrations en chlo-
hydroxyle, il réduit les capacités «autonettoyantes» de l’atmo- rofluorocarbures par le nombre de leurs atomes de chlore (qui
sphère dans l’hémisphère Sud et l’augmente dans l’hémisphère catalysent la destruction de l’ozone).
88 © POUR LA SCIENCE
Les chlorofluorocarbures sphériques polaires. Ces particules favori- outre, les conséquences de ce réchauffe-
sent la libération du chlore de l’acide ment rendront difficile, voire impos-
Les chlorofluorocarbures comme le chlorhydrique (HCl) ou du nitrate de sible, l’adaptation des écosystèmes et
CFC-11 (CFCl3) et le CFC-12 (CF2Cl2) chlore (ClNO3), qui ne réagissent habi- des sociétés humaines.
sont les principaux responsables de la dis- tuellement pas directement avec l’ozone. L’accumulation des gaz à effet de
parition de l’ozone. On fabrique ces com- Même si l’on arrête dès aujourd’hui les serre apparaît quand on compare les
posés depuis quelques décennies, et leurs émissions de chlorofluorocarbures, les concentrations actuelles de ces gaz à
concentrations dans l’atmosphère ont réactions chimiques détruisant l’ozone se celles du passé. On a comparé notam-
rapidement augmenté. Ils servent de réfri- poursuivront pendant au moins un siècle : ment le dioxyde de carbone – respon-
gérants, de gaz propulseurs d’aérosols, de les composés destructeurs subsistent sable de la moitié de l’effet de serre pro-
solvants et d’agents soufflants dans la longtemps dans l’atmosphère et ils conti- duit par les gaz en faibles concentrations
fabrication des mousses. Leur réactivité nueront de diffuser, de la troposphère dans l’atmosphère – et le méthane, qui
est très faible dans la basse atmosphère : vers la stratosphère, longtemps après absorbe davantage le rayonnement infra-
ils n’ont aucune toxicité directe. l’arrêt de leur production. rouge, mais qui est présent en quantité
Cependant cette caractéristique des bien inférieure. On étudie les variations
chlorofluorocarbures leur permet L’effet de serre passées du dioxyde de carbone et du
d’atteindre la stratosphère, où le rayonne- méthane en déterminant les concentra-
ment ultraviolet les dissocie. Les atomes Les chlorofluorocarbures semblent tions de ces composés dans les bulles
de chlore qui sont alors libérés détruisent être les seuls produits industriels respon- d’air piégées à l’intérieur des glaces de
l’ozone en catalysant sa transformation sables de la diminution progressive de la l’Antarctique et du Groenland. Ces gaz
en oxygène moléculaire (O2). Or un cata- couche d’ozone ; en revanche, plusieurs étant stables dans l’atmosphère, leur
lyseur accélère une réaction chimique gaz nous menacent d’un réchauffement répartition est assez uniforme autour du
sans être consommé : chaque atome de rapide de la Terre par effet de serre. On Globe, et les échantillons polaires indi-
chlore permet la destruction de plusieurs ignore quelle sera l’amplitude du quent les concentrations moyennes glo-
milliers de molécules d’ozone. Du fait de réchauffement, mais on sait que le phé- bales au cours du passé.
l’émission des chlorofluorocarbures, les nomène est inévitable : depuis quelques On constate ainsi que les concentra-
composés chlorés sont aujourd’hui quatre décennies, on libère des quantités consi- tions atmosphériques en dioxyde de car-
à cinq fois plus abondants que jadis dans dérables de dioxyde de carbone, de bone et en méthane sont restées quasi-
la stratosphère, et leur concentration aug- méthane, de chlorofluorocarbures et de ment constantes, respectivement égales
mente d’environ cinq pour cent par an : protoxyde d’azote, qui absorbent le à 260 parties par million et à 700 parties
les activités humaines bouleversent la rayonnement infrarouge. par milliard, de la fin de la dernière gla-
chimie de la stratosphère. L’effet de serre est un phénomène ciation, il y a 10 000 ans, jusqu’au
L’ozone stratosphérique se forme vital : sans lui, la Terre serait trop froide XVIIIe siècle. Il y a environ 300 ans, la
lorsque les molécules d’oxygène absor- pour être habitable. Pourtant un concentration en méthane a commencé
bent des rayonnements de courte lon- réchauffement rapide de quelques à augmenter, puis l’augmentation a été
gueur d’onde et se dissocient en deux degrés serait inquiétant, car personne ne très rapide pour les deux gaz il y a une
atomes d’oxygène ; en se combinant peut en prévoir les conséquences sur centaine d’années : l’atmosphère
ensuite à une autre molécule d’oxygène, l’environnement. Comment la pluvio- contient aujourd’hui 350 parties par
chaque atome forme une molécule métrie sera-t-elle modifiée? De combien million de dioxyde de carbone et 1 700
d’ozone. Normalement les réactions pho- le niveau des océans montera-t-il? En parties par milliard de méthane. Des
tochimiques catalysées par les mesures effectuées depuis
oxydes d’azote détruisent CONCENTRATION EN MÉTHANE (EN PARTIES PAR MILLIARD) une dizaine d’années mon-
l’ozone au même rythme que trent que la concentration en
les réactions de photodissocia- 1 750 méthane de l’atmosphère
tion le forment, mais la catalyse augmente plus vite (d’environ
par le chlore est de plus en plus 1 500 un pour cent par an) que celle
importante ; elle détruit cet du dioxyde de carbone.
équilibre naturel et diminue la 1 250 L’accumulation de ces
quantité totale d’ozone. deux gaz au XX e siècle est
Au-dessus de l’Antarctique surtout due aux activités
et, dans une moindre mesure, 1 000 humaines : les émissions de
au-dessus de l’Arctique, les dioxyde de carbone provien-
basses températures empêchent 750 nent de l’utilisation des com-
les oxydes d’azote de limiter bustibles fossiles et du déboi-
l’action catalytique du chlore sement des régions tropicales ;
500
(les oxydes d’azote détruisent les émissions de méthane pro-
10000 5000 2000 1000 500 200 100 50 20 10
l’ozone, mais leur présence ÂGE (EN ANNÉES) viennent de la culture du riz,
dans la stratosphère réduit de l’élevage du bétail, de la
5. L ES BULLES D ’ AIR contenues dans la glace prélevée au
moins la quantité d’ozone que Groenland renseignent sur les concentrations en gaz dans le passé. combustion de la biomasse
le chlore). Liés aux molécules La concentration moyenne en méthane dans l’atmosphère du Globe dans les forêts tropicales et les
d’eau, les oxydes d’azote for- est restée proche, de 700 parties par milliard, de la dernière glaciation savanes, de l’activité micro-
ment les particules de glace (il y a 10 000 ans) jusqu’au XVIIIe siècle ; elle a beaucoup augmenté bienne dans les décharges et
constituant les nuages strato- depuis une centaine d’années. des fuites de gaz lors de
© POUR LA SCIENCE 89
l’exploitation des gisements 500 mats. Les changements cli-
DIOXYDE DE SOUFRE
de charbon, de pétrole et de (EN PARTIES PAR MILLIARD) matiques et l’accumulation
gaz naturel. La concentration de gaz polluants dans l’atmo-
atmosphérique en méthane 100 NORD-EST sphère constituent une expé-
pourrait doubler au siècle 50 DES ÉTATS-UNIS rience hasardeuse dont cha-
prochain, en raison de cun de nous est responsable.
l’accroissement de la popula- 20 En chargeant l’atmosphère
tion mondiale, qui s’accom- 10 EUROPE de produits dont on connaît
pagnera de l’augmentation de 5
mal les interactions avec les
la demande énergétique, des matériaux et avec les orga-
besoins en riz et en viande. PLAINE DU GANGE nismes vivants, nous risquons
Le méthane et les autres gaz 1 des surprises désagréables. Le
en faibles concentrations 1890 1920 1950 1980 2030 trou d’ozone de l’Antarctique
pourraient participer autant 6. CONCENTRATION EN DIOXYDE DE SOUFRE mesurée depuis 1890 est un exemple particulière-
que le dioxyde de carbone au dans le Nord-Est des États-Unis, en Europe et dans la plaine du ment sinistre : sa gravité inat-
réchauffement climatique. Gange, dont l’industrialisation est récente. Les pointillés indiquent tendue nous démontre que
Comment les concentra- les prévisions les plus pessimistes, dans l’éventualité d’une régle- l’atmosphère est sensible à des
tions atmosphériques des mentation laxiste concernant les émissions. Bien qu’inévitable, perturbations chimiques
autres gaz varieront-elles? l’accumulation de dioxyde de soufre peut être ralentie par une mineures, et que les consé-
réglementation stricte et par une coopération internationale.
Nous avons étudié cette ques- quences de ces perturbations
tion en extrapolant, à partir de se manifestent beaucoup plus
données climatologiques passées et de soufre devrait augmenter encore, car rapidement que prévu.
actuelles, et en tenant compte des prévi- les combustibles pauvres en soufre se Néanmoins on peut encore prendre
sions démographiques et énergétiques : raréfient. Les contrôles stricts des rejets des dispositions : une réduction notable
les concentrations atmosphériques de industriels pourraient stabiliser la pollu- de l’utilisation de combustibles fossiles
tous les gaz en faibles concentrations tion par le soufre, aux États-Unis et en ralentirait le réchauffement par effet de
augmenteront au cours des 100 pro- Europe, mais elle devrait s’accroître en serre, réduirait le smog et les dépôts
chaines années, si l’on ne met pas au Inde et dans les pays en développement, acides et améliorerait la visibilité. On
point de nouvelles techniques et si l’on où les charbons riches en soufre sont pourrait également réduire les émissions
continue de brûler des charbons riches abondants et bon marché. La production de méthane, en limitant sa libération
en soufre, afin de produire de l’énergie. d’énergie devra être réglementée si l’on dans les décharges, en améliorant
veut éviter que le dioxyde de soufre l’exploitation des combustibles fossiles
Dioxyde de soufre n’atteigne des concentrations excessives ou en adoptant des techniques de gestion
au cours du siècle prochain. des déchets qui ne libèrent pas de
et monoxyde de carbone Le monoxyde de carbone est un autre méthane dans l’atmosphère. La prise de
La concentration atmosphérique en gaz dont l’abondance pourrait également conscience actuelle est encourageante :
dioxyde de soufre a augmenté en augmenter dans l’atmosphère ; or il réduit en 1987, des dizaines de nations ont rati-
Europe entre 1890 et le milieu des les capacités «autonettoyantes» de celle- fié le Protocole de Montréal, qui vise à
années 1900, puis n’a pas ou peu dimi- ci. Les émissions de monoxyde de car- réduire de moitié les émissions de chlo-
nué, car le contrôle des rejets indus- bone devraient augmenter parallèlement à rofluorocarbures d’ici la fin du siècle.
triels est resté longtemps moins strict l’utilisation des combustibles fossiles, à Certaines nations signataires du
qu’aux États-Unis. Entre 1890 et 1940, la combustion de la biomasse et aux réac- Protocole de Montréal envisagent une
la concentration atmosphérique en tions atmosphériques où le méthane inter- «loi internationale de l’atmosphère», qui
dioxyde de soufre a beaucoup aug- vient. Le monoxyde de carbone réduit les limiterait les rejets de plusieurs gaz à
menté aux États-Unis, parallèlement au capacités autonettoyantes de l’atmo- effet de serre ou chimiquement actifs
développement d’industries polluantes sphère parce qu’il diminue la concentra- (dioxyde de carbone, méthane, dioxyde
et de nombreuses centrales thermiques. tion en radical hydroxyle : ce dernier de soufre et oxydes d’azote).
Elle s’est ensuite stabilisée et a même réagit avec presque tous les gaz en faibles Nous pensons qu’une collaboration
diminué dans les années 1960 et au concentrations et même avec des compo- plus étroite entre scientifiques, citoyens et
début des années 1970, lorsque ce pays sés généralement inertes. Sans radicaux gouvernements du monde entier pour-
a produit plus d’énergie à partir du hydroxyle, la plupart de ces gaz seraient raient résoudre les problèmes d’environ-
pétrole (pauvre en soufre) et a appliqué en concentrations bien supérieures à leur nement. Les pays industrialisés devront
des législations limitant la pollution valeur actuelle, et les propriétés chi- réduire leur consommation de ressources
atmosphérique par le soufre. Enfin, au- miques, physiques et climatiques de naturelles, aujourd’hui excessive ; avec
dessus de la plaine du Gange, dont l’atmosphère seraient très différentes. leur aide, les pays en développement
l’industrialisation est récente, la Si l’homme continue à rejeter des devront adopter des techniques et des
concentration en dioxyde de soufre, quantités importantes de gaz polluants stratégies économiques saines, adaptées
quasi nulle en 1890, a atteint en cer- dans l’atmosphère, l’avenir risque de à leur croissance démographique et à
tains endroits des valeurs proches de devenir bien sombre. La croissance de leurs besoins énergétiques. Si nous pre-
celles que l’on observe aujourd’hui au la population humaine et le développe- nons soin de notre atmosphère, nous
Nord-Est des États-Unis. ment économique modifieront la chimie pourrons peut-être stabiliser sa composi-
Au-dessus de ces trois régions, la de l’atmosphère et provoqueront un tion et préserver l’équilibre écologique
concentration atmosphérique en dioxyde réchauffement sans précédent des cli- de notre planète.
90 © POUR LA SCIENCE
L’OZONE EN BASSE ATMOSPHÈRE relles aujourd’hui), les régions de l’atmo-
sphère où la formation d’ozone est favori-
sée se sont considérablement étendues, et
sa concentration a atteint le niveau actuel.
Gérard Toupance
La variabilité
© POUR LA SCIENCE 91
La diminution de l’ozone
stratosphérique des pôles
Owen Toon et Richard Turco
Les rares nuages qui se forment dans la stratosphère En 1985, Joseph Farman et ses col-
lègues de la Mission antarctique britan-
antarctique, très sèche, favorisent la destruction nique observèrent pour la première fois
que la quantité d’ozone surplombant
de I’ozone par Ies chIorofluorocarbures. l’Antarctique avait notablement diminué
depuis la fin des années 1970. Grâce à
des mesures du satellite Nimbus 7, Arlin
Kmeger, de la NASA, montra ensuite que
n septembre 1987, à Punta niers et ne sont pas irisés. Ces trois le trou d’ozone se creusait d’un prin-
La beauté du diable
temps austral à l’autre. Environ 70 pour
cent de la quantité d’ozone surplombant
l’Antarctique (soit près de trois pour cent
de la quantité totale d’ozone entourant la
Terre) disparaissent entre les mois de
s’éleva bien au-dessus de la péninsule septembre et d’octobre, la dégradation de
antarctique jusqu’à la stratosphère, la La beauté féérique et la nature ces molécules ayant surtout lieu entre 12
couche atmosphérique située entre 10 et étrange de ces nuages font oublier leur et 30 kilomètres d’altitude, c’est-à-dire
50 kilomètres d’altitude. En pénétrant danger : les nuages stratosphériques dans la basse stratosphère.
dans la région appauvrie en ozone, déjà polaires sont à l’origine de la diminution On a avancé de nombreuses théories
bien connue à l’époque, le DC-8 ren- de l’ozone de la stratosphère arctique et pour expliquer la formation du trou
contra un nuage de taille imposante, contribuent aussi à la formation du trou d’ozone, mais les mesures effectuées lors
semblable à un œil à l’iris rouge vif d’ozone dans la stratosphère antarctique. des expéditions ont permis d’en éliminer
entouré d’une pupille verte. Avec un En réalité, ce «trou» dans la couche beaucoup. Ainsi certains météorologues
autre avion spécialement conçu pour d’ozone n’est pas un véritable trou, mais pensaient-ils que le trou d’ozone résultait
les vols en haute altitude, l’ER-2, le seulement une région où la concentration uniquement d’un changement progressif
DC-8 transportait des appareils mesu- en ozone est anormalement basse. Près des grands mouvements atmosphériques
rant la dynamique des aérosols, des gaz du sol, l’ozone (une molécule formée de au-dessus des pôles : aujourd’hui des
et de l’atmosphère de ces nuages et de trois atomes d’oxygène, de formule chi- vents ascendants souffleraient sur les
la stratosphère environnante. Ces expé- mique O3) est dangereux à respirer, mais pôles au printemps, remplaçant l’air
riences devaient expliquer la relation, sa présence dans la stratosphère protège riche en ozone de la stratosphère par l’air
observée deux ans auparavant, entre le les organismes terrestres : en concentra- pauvre en ozone de la troposphère sous-
trou de la couche d’ozone et la tion égale à une partie par million, il jacente (qui comprend les couches atmo-
présence de ces curieux nuages. absorbe la plupart des rayonnements sphériques situées au-dessous de dix
Depuis une centaine d’années, on a ultraviolets du Soleil. kilomètres d’altitude).
périodiquement observé la formation de Ceux-ci sont dangereux parce qu’ils Cette hypothèse s’est révélée
nuages stratosphériques au-dessus de perturbent la croissance et la reproduc- fausse, car selon les modèles de circu-
chacun des deux pôles, à une vingtaine tion du phytoplancton, le premier lation atmosphérique avancés dans
de kilomètres d’altitude. Ces nuages maillon de la chaîne alimentaire dans cette théorie, les gaz rares de la surface
mesurent 10 à 100 kilomètres de long et les océans. De plus, une exposition de la Terre devraient être également
plusieurs kilomètres d’épaisseur. excessive aux ultraviolets déclenche transportés vers la basse stratosphère :
Comme leurs irisations évoquent celles chez l’homme des cancers de la peau, la comme on n’en décèle que d’infimes
de certains coquillages, on les nomme cataracte et des déficiences immuni- quantités, cela signifie que l’air situé
parfois «nuages de nacre». taires. Même s’il ne semble pas nous au niveau du trou d’ozone provient de
Deux autres types de nuages évo- menacer directement, en raison de sa la haute stratosphère, où la quantité
luent dans la stratosphère antarctique : localisation polaire, le trou d’ozone de d’ozone est normale.
les uns sont constitués d’acide nitrique l’Antarctique est préoccupant : certains D’autres météorologues avançaient
et non pas d’eau, et les autres sont for- modèles mathématiques du climat indi- que des réactions chimiques décompo-
més d’eau, comme les nuages de nacre, quent que les masses d’air appauvries saient l’ozone stratosphérique. Dans une
mais ils sont plus grands que ces der- en ozone se déplacent vers le Nord. de ces hypothèses chimiques, on propo-
92 © POUR LA SCIENCE
sait qu’une intensification de l’activité vient essentiellement des chlorofluorocar- forme du nitrate de chlore (de formule
solaire et de la circulation atmosphé- bures (CFC), des composés chimique- chimique ClONO2).
rique avait notamment accru la concen- ment inertes (ils subsistent entre 50 et 100 Les réservoirs de chlore ne sont pas
tration en composés azotés à proximité ans dans l’atmosphère), qui servent à la directement responsables de la destruc-
du trou d’ozone, et que ces composés fois de fluides réfrigérants dans les sys- tion de l’ozone, car le chlore y est chimi-
avaient détruit l’ozone comme ils le tèmes de climatisation et les réfrigéra- quement inerte ; de fait, les premiers
font dans la basse stratosphère. teurs, de gaz propulseurs dans les bombes modèles de simulation numérique de ces
Plus précisément, l’accroissement de aérosols, de solvants pour le nettoyage réactions chimiques concluaient que les
l’activité solaire aurait formé les com- des cartes électroniques et d’agents CFC interagissaient peu avec la couche
posés azotés dans la haute stratosphère, moussants dans les mousses isolantes. En d’ozone, puisque le chlore libre issu des
au-dessus du pôle Sud ; puis les vents quelques années seulement, les CFC émis CFC ne pouvait détruire que de faibles
descendants auraient transporté ces en un point du Globe sont dispersés par quantités d’ozone.
composés dans la basse stratosphère, les vents dans toute la stratosphère et, Quel phénomène libérait de grandes
où ils auraient engendré le trou après quelques dizaines d’années, ils quantités de chlore à partir de ces réser-
d’ozone. Cette théorie a cependant été montent dans la moyenne stratosphère, à voirs inertes? En 1986, Susan Solomon
réfutée lorsque l’on a découvert que les une altitude d’environ 30 kilomètres ou et ses collègues du Centre américain de
molécules azotées étaient rares à proxi- plus, où ils sont détruits par les rayonne- recherches sur les océans et l’atmo-
mité du trou d’ozone. ments ultraviolets du Soleil. sphère (NCAR), et Michael McElroy, de
La destruction des molécules de l’Université Harvard, émirent l’hypo-
Les réactifs chlorés CFC libère du chlore, dont une partie thèse suivante : puisque la disparition de
réagit avec l’oxygène pour former du l’ozone a lieu quand les nuages strato-
J. Farman et ses collègues ont alors monoxyde de chlore (ClO). Le chlore et sphériques polaires sont présents, c’est
proposé une seconde hypothèse chi- le monoxyde de chlore, très réactifs, se probablement que des réactions chi-
mique, fondée sur les travaux de Mario combinent à d’autres molécules pour miques, à la surface des particules de
Molina et de Sherwood Rowland, de donner des composés stables nommés glace de ces nuages, libèrent une partie
l’Université d’Irvine : la formation du «réservoirs de chlore» : en réagissant du chlore piégé dans les réservoirs.
trou d’ozone serait due non pas à des avec des gaz atmosphériques abondants Initialement cette théorie des nuages
molécules azotées, mais à des molécules comme le méthane, le chlore libre semblait improbable parce que l’on
chlorées. Cette théorie rallie la majorité forme du chlorure d’hydrogène (HCl) et croyait les nuages de la stratosphère très
des spécialistes de l’atmosphère. Elle sti- en se combinant avec le dioxyde rares : à ces altitudes, l’humidité rela-
pule que le chlore de l’atmosphère pro- d’azote (NO2), le monoxyde de chlore tive moyenne ne dépasse guère un pour
1. LES NUAGES STRATOSPHÉRIQUES se forment au-dessus des d’acide nitrique sont les minces bandes orange foncé, et les nuages
régions polaires lorsque l’air est suffisamment froid durant l’hiver. de glace sont blanchâtres. De tels nuages amorcent les réactions
Sur cette photographie prise à Stavanger, en Norvège, les nuages chimiques détruisant l’ozone.
© POUR LA SCIENCE 93
cent, et la concentration en vapeur des montagnes créent dans la troposphère créées par les montagnes montent dans la
d’eau, inférieure à quelques parties par des ondes stationnaires dites «sous le stratosphère : les nuages de nacre se for-
million, est 1 000 fois moins abondante vent». Dans les parties ascendantes de ces ment par condensation de la vapeur d’eau
que dans la troposphère, où se forment ondes, l’air subit une détente rapide et se sur les aérosols au sommet des ondes.
la plupart des nuages. refroidit ; quand son humidité est suffi- Parce qu’ils sont produits par un
Récemment encore, on pensait que sante, la vapeur d’eau se condense sur les réseau d’ondes stationnaires, lui-même
les seuls nuages de la stratosphère étaient particules en suspension dans l’air (les créé par les montagnes, les nuages de
des nuages de nacre, qui se forment entre aérosols), formant les nuages. nacre sont immobiles malgré les vents
15 et 30 kilomètres d’altitude et consti- permanents qui les traversent. Ces vents
tuent l’équivalent stratosphérique des Les nuages de nacre alimentent constamment les nuages en
nuages lenticulaires (en forme de lentille) vapeur d’eau, qui se condense sur les
de la troposphère, fréquents dans les Quand les couches d’air sont stables cristaux de glace jusqu’à ce que le dia-
régions montagneuses ventées. En effet, et que la vitesse du vent stratosphérique mètre de ces derniers atteigne environ
les vents rapides qui soufflent au-dessus ne change pas, les ondes stationnaires deux micromètres (10 – 6 mètre). Quand
TROPOSPHÈRE STRATOSPHÈRE
REFROIDISSEMENT LENT REFROIDISSEMENT RAPIDE
10 KILOMÈTRES
MASSES D’AIR
-78
PARTICULES DE TRIHYDRATE < 1 MICROMÈTRE
D’ACIDE NITRIQUE
1 MICROMÈTRE
-83
PARTICULES DE GLACE
10 MICROMÈTRES
2 MICROMÈTRES
2. LES NUAGES STRATOSPHÉRIQUES POLAIRES se forment lorsque degrés Celsius, des particules de trihydrate d’acide nitrique se conden-
l’air est assez froid pour que la vapeur se condense. L’air refroidit len- sent sur les aérosols d’acide sulfurique, formant des nuages d’acide
tement lorsque la stratosphère rayonne sa chaleur dans l’espace ou nitrique. Quand la température est inférieure à – 83 degrés Celsius, la
qu’elle est soulevée par des masses d’air sous-jacentes (en haut à vapeur d’eau se condense sur les particules de trihydrate d’acide
gauche). Il refroidit vite quand des vents soufflent au-dessus des mon- nitrique et sur toutes les particules d’acide sulfurique restantes,
tagnes, créant un réseau d’ondes stationnaires qui monte dans la stra- engendrant des nuages de glace. Quand le refroidissement est rapide,
tosphère (en haut à droite). Quand la température descend sous – 78 davantage de particules servent de germes de condensation.
94 © POUR LA SCIENCE
ces cristaux descendent dans les creux sition devait différer de celle des nuages glisse sous la stratosphère polaire, sou-
des ondes sous le vent, l’air est com- de nacre, exclusivement constitués d’eau levant et refroidissant ainsi davantage
primé et s’échappe : la glace s’évapore. condensée sur des aérosols. Or l’ozone ne l’air de cette région. Quand ces deux
Les nuages de nacre mesurent entre 10 peut être détruit que si les composés azo- phénomènes abaissent la température
et 100 kilomètres de long, et l’énergie tés sont éliminés de l’atmosphère : s’ils vers – 78 degrés Celsius, les nuages de
des ondes stationnaires peut en former étaient présents, ils piégeraient le chlore trihydrate d’acide nitrique se forment
plusieurs en série. sous forme inerte de nitrate de chlore, autour des aérosols d’acide sulfurique,
Pourquoi les nuages de nacre sont-ils l’un des principaux réservoirs de chlore. qui jouent le rôle de «germes» de
irisés? Parce que les particules de glace y C’est pourquoi nous avons supposé que condensation. Ces derniers proviennent
sont distribuées de façon hétérogène : les les nuages nouvellement découverts pié- des gaz sulfurés, d’origine biologique
particules les plus petites sont situées au geaient l’azote sous forme de trihydrate ou humaine, qui sont transportés de la
front et aux bords de fuite des nuages, où, d’acide nitrique (HNO 3 , 3H 2 O), où troposphère vers la stratosphère sous
respectivement, les cristaux commencent chaque molécule d’acide nitrique HNO3 l’effet de la circulation atmosphérique
à se former et finissent de s’évaporer ; les est entourée de trois molécules d’eau globale. De plus, les éruptions volca-
particules les plus grosses se trouvent au H2O. Cette hypothèse avait également niques explosives rejettent parfois des
centre. Comme les particules de glace l’avantage d’expliquer pourquoi ces gaz sulfurés directement dans la strato-
diffractent la lumière solaire selon leur nuages se forment à des températures sphère, où les particules d’acide sulfu-
taille et selon la longueur d’onde lumi- supérieures : le point de congélation du rique, d’environ 0,1 micromètre de dia-
neuse, les nuages de nacre se parent de trihydrate d’acide nitrique est supérieur mètre, sont alors abondantes durant
couleurs vives lorsqu’on les observe sous à celui de l’eau pure. plusieurs années. Ainsi, en 1982,
un angle faible par rapport à la direction l’éruption du volcan El Chichón, au
du Soleil. Ces couleurs suivent les Les nuages Mexique, a expulsé cinq millions de
contours des nuages, selon la distribution tonnes de soufre dans la stratosphère.
des tailles des particules.
d’acide nitrique Le lent refroidissement de l’air
La présence des nuages de nacre Notre théorie fut ensuite confirmée engendre parfois de très gros nuages
indique que la stratosphère est suffisam- par plusieurs équipes, qui montrèrent stratosphériques. P. McCormick,
ment froide, du moins dans les régions que ces nouveaux nuages se forment Edward Browell et leurs collabora-
polaires, pour que la vapeur d’eau se par un lent refroidissement de l’air. En teurs de la NASA ont cartographié cer-
condense en cristaux de glace. En raison hiver, au cours de l’interminable nuit tains nuages stratosphériques à l’aide
de l’extrême sécheresse de la strato- polaire, la stratosphère rayonne son de radars laser aéroportés («lidars»), et
sphère, la température doit être infé- énergie dans l’espace, refroidissant ils ont ainsi découvert que les nuages
rieure à – 83 degrés Celsius pour que ainsi de vastes régions ; en outre, sous d’acide nitrique comportaient souvent
cette condensation ait lieu : de tels l’effet des régimes de pression atmo- plusieurs couches de un kilomètre
froids ne règnent longtemps que durant sphérique, l’air de la troposphère se d’épaisseur sur parfois plusieurs cen-
l’hiver antarctique. Dans la stratosphère
arctique, les nuages de nacre sont plus
rares, car les températures moyennes 80
hivernales sont supérieures à celles de
la stratosphère antarctique.
Les instruments embarqués dans des
satellites ont révélé aux chercheurs des
VITESSE DU VENT (EN MÈTRES PAR SECONDE)
© POUR LA SCIENCE 95
NUAGES STRATOSPHÉRIQUES POLAIRES
HCI + CIONO2 CI2 + HNO3
•L’hiver antarctique commence. •Les nuages stratosphériques polaires dénitrifient et déshydratent la stratosphère.
•Le tourbillon d’air se développe •L’acide chlorhydrique et le nitrate de chlore interagissent à la surface
et l’air se refroidit suffisamment des nuages pour libérer du chlore.
pour que les nuages
stratosphériques se forment. •La température hivernale est minimale.
taines de kilomètres de longueur. plus gros, parfois supérieurs à dix ces derniers entrent à nouveau dans le
Cependant ces nuages sont moins massifs micromètres. C’est parce que leur den- «cycle catalytique ClO-ClO» pour
et moins denses que les nuages de nacre : sité de particules est moindre que ces détruire de nouvelles molécules
on les détecte difficilement à l’œil nu. nuages réfléchissent moins bien la d’ozone (voir la figure 4).
lumière et sont moins visibles que Si du dioxyde d’azote (NO2) était
Le troisième leurs cousins nacrés. présent, il se combinerait rapidement
Les trois types de nuages stratosphé- au monoxyde de chlore pour piéger le
type de nuages riques polaires jouent un rôle déterminant chlore sous forme de nitrate de chlore
Le troisième type de nuages strato- dans la disparition de l’ozone antarctique, (CIONO 2), ce qui stopperait alors le
sphériques polaires, constitués de glace, parce que leur surface active le chlore et cycle catalytique. Malheureusement
se forment à des températures infé- qu’ils piègent les molécules azotées, inhi- les nuages stratosphériques polaires
rieures à – 83 degrés Celsius, durant bant la formation des réservoirs inertes de empêchent cette réaction en transfor-
l’hiver antarctique : lorsque l’air refroi- chlore. Le chlore actif réagit alors avec mant le dioxyde d’azote en acide
dit, la vapeur d’eau se condense sur cer- l’ozone qu’il détruit. Par ailleurs, les nitrique (HNO3).
tains aérosols. Les germes de ces nuages nuages de glace du troisième type et les James Anderson et ses collègues
sont les particules d’acide nitrique du nuages d’acide nitrique risquent d’élimi- de l’Université Harvard, et Robert
deuxième type de nuages, qui se sont ner totalement l’azote de la stratosphère. deZafra et Philip Solomon, de
elles-mêmes formées sur des particules En laboratoire, M. Molina et Ming- l’Université d’État de New York, ont
d’acide sulfurique. Taun Leu, de la NASA , et Margaret découvert des quantités importantes de
Consitués de glace, comme les Tolbert, de l’Institut de recherches inter- monoxyde de chlore dans le trou
nuages de nacre, ce troisième type de nationales de Stanford, ont montré que d’ozone de l’Antarctique : ce composé
nuages stratosphériques polaires ne se l’acide chlorhydrique et le nitrate de y est 500 fois plus abondant qu’au-des-
distingue des nuages de nacre que par chlore (les deux composés qui constituent sus des latitudes moyennes, à la même
leur vitesse de formation, beaucoup le réservoir inerte de chlore) réagissent à altitude. Le cycle catalytique ClO-ClO
plus lente que celle de ces derniers. En la surface des cristaux de glace ou de tri- joue donc probablement un rôle prépon-
raison des très basses températures hydrate d’acide nitrique pour former du dérant dans la destruction de l’ozone.
auxquelles ils se forment, ces deux chlore moléculaire (Cl2) et de l’acide De fait, un seul atome de chlore est
types de nuages de glace sont moins nitrique. En revanche, en l’absence des capable de détruire des milliers de
fréquents que les nuages d’acide particules solides de ces nuages, la vitesse molécules d’ozone avant de rencontrer
nitrique, surtout au pôle Nord. de cette réaction est négligeable. un composé azoté ou hydrogéné qui
Contrairement aux nuages de nacre, l’inactivera. Les chimistes étudient
les nuages de glace du troisième type Le cycle de destruction aujourd’hui l’ensemble de ces réactions
sont à peine visibles du sol : ils contien- en laboratoire, afin de déterminer les
nent autant d’eau, mais leurs particules
de l’ozone étapes et les vitesses réactionnelles.
de glace sont moins nombreuses et plus Au cours du printemps antarctique, Le chlore actif libéré par les
volumineuses que celles des nuages de les rayonnements solaires dissocient le nuages stratosphériques polaires parti-
nacre. En effet, lors du refroidissement chlore moléculaire en atomes de cipe également à une autre réaction
rapide de l’air, tous les aérosols servent chlore, très réactifs, qui catalysent la catalytique qui fait intervenir des
de germes de condensation, tandis que destruction de l’ozone. En effet, à atomes de brome. Diverses activités
lors du lent refroidissement de l’air, peine formés, les atomes de chlore humaines rejettent du brome dans
seule une faible proportion des aérosols réagissent avec les molécules d’ozone l’atmosphère ; notamment, le brome
est utilisée comme germes de condensa- pour produire de l’oxygène molécu- est un des principaux constituants des
tion. Par conséquent, les nuages de nacre laire (O 2) et du monoxyde de chlore mélanges pour extincteurs. Après
renferment un très grand nombre de (ClO). Ces molécules de monoxyde de avoir découvert d’importantes quanti-
petits cristaux de glace (d’environ deux chlore, à l’état gazeux, forment des tés de monoxyde de brome (BrO) dans
micromètres de diamètre), alors que les dimères (Cl2O2), qui sont décomposés le trou d’ozone de l’Antarctique, on a
nuages du troisième type contiennent, en par le rayonnement solaire en oxygène calculé que les réactions auxquelles le
quantités moindres, des cristaux de glace moléculaire et en atomes de chlore ; brome participe contribuent à environ
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CIO + CIO 2CI + O2
CIO + BrO CI + Br + O2
O3
TEMPS
SEPTEMBRE OCTOBRE NOVEMBRE
•Au début du printemps austral, •La quantité d’ozone chute •Le tourbillon polaire disparaît.
le retour des rayons solaires réchauffe l’air à son niveau le plus bas.
et les nuages stratosphériques •L’air riche en ozone des latitudes
polaires disparaissent. moyennes s’infiltre dans la stratosphère
antarctique.
•Les cycles catalytiques
CIO-CIO et CIO-BrO détruisent l’ozone. •L’air pauvre en ozone s’étend
sur tout l’hémisphère Sud.
20 pour cent de la destruction de dans l’Arctique, où la stratosphère est paru depuis longtemps au retour du
l’ozone polaire. dénitrifiée, mais pas déshydratée. En printemps (en mars et en avril).
Le cycle catalytique où le brome outre, grâce à des mesures effectuées à Un mécanisme de rétroaction
intervient (le cycle ClO-BrO) commence l’aide de lidars, E. Browell a montré semble prolonger le tourbillon de
quand le brome capte un atome d’oxy- que certaines particules des nuages l’Antarctique. En effet, l’ozone absorbe
gène de l’ozone pour former du d’acide nitrique ont un diamètre effec- les rayonnements solaires et réchauffe
monoxyde de brome, qui réagit ensuite tivement supérieur à un micromètre. l’atmosphère ; aussi, quand l’ozone est
avec le monoxyde de chlore pour pro- La théorie actuelle des nuages stra- détruit, l’air est refroidi, favorisant
duire une molécule d’oxygène, un atome tosphériques polaires et des chlorofluo- ainsi la formation des nuages strato-
de brome et un atome de chlore. Ces rocarbures explique la formation du sphériques polaires qui stabilisent à
deux atomes sont alors recyclés pour trou d’ozone et de nombreuses autres leur tour le tourbillon. On a découvert
détruire de nouvelles molécules d’ozone. observations. Par exemple, les chloro- qu’au cours de la dernière décennie, le
fluorocarbures sont essentiellement tourbillon s’est refroidi et sa durée de
La dénitrification libérés dans l’hémisphère Nord, mais ils vie a augmenté. Par ailleurs, Lamont
détruisent aussi l’ozone de l’hémisphère Poole et ses collègues de la NASA ont
de la stratosphère Sud parce qu’ils séjournent longtemps montré que les nuages stratosphériques
Non seulement les nuages strato- dans l’atmosphère, où ils se répartissent polaires se forment plus rapidement
sphériques polaires activent le chlore uniformément. Le trou d’ozone de lorsque l’air se refroidit.
et inactivent l’azote, accélérant ainsi la l’Antarctique apparaît au printemps, La disparition précoce du tour-
destruction de l’ozone, mais ils élimi- parce que le chlore actif n’est libéré billon arctique complique l’évaluation
nent aussi l’azote de la stratosphère. qu’au contact des nuages stratosphé- de la destruction de l’ozone dans
Cette dénitrification est essentielle- riques, qui se forment uniquement en l’hémisphère Nord, mais à 18 kilo-
ment due aux nuages de glace du troi- hiver ; ensuite les rayonnements mètres d’altitude, les quantités de
sième type (à refroidissement lent) : solaires du printemps déclenchent les chlore actif sont à peu près les mêmes
les particules de glace de ces nuages, réactions qui détruisent l’ozone. dans les tourbillons des deux pôles :
qui se forment sur des germes d’acide La destruction de l’ozone est plus apparemment les conditions qui
nitrique, absorbent aussi parfois de rapide dans l’Antarctique que dans règnent dans la stratosphère arctique
l’acide nitrique gazeux. Lorsqu’elles l’Arctique, car il y fait plus froid : favorisent la destruction de l’ozone.
atteignent dix micromètres de dia- davantage de nuages se forment, sur- De fait, on a observé, en 1989,
mètre et qu’elles tombent sous forme tout aux altitudes inférieures à 20 kilo- qu’au-dessus de 18 kilomètres d’alti-
de neige, elles dénitrifient et déshydra- mètres ; davantage de chlore actif est tude, de vastes régions de la strato-
tent la stratosphère antarctique. Les libéré et davantage de dioxyde d’azote sphère arctique ont perdu environ six
nuages de nacre ne semblent pas parti- est capté. pour cent de la quantité totale d’ozone
ciper à ce processus : les vents rapides surplombant l’Arctique. Cette destruc-
qui les traversent évaporent la glace Le tourbillon antarctique tion d’ozone, environ dix fois inférieure
avant que celle-ci ne précipite. à celle de la stratosphère antarctique, est
En revanche, les nuages d’acide La différence la plus importante limitée par les températures trop élevées
nitrique semblent aussi dénitrifier la entre les deux pôles est peut-être la lon- aux altitudes inférieures à 18 kilo-
stratosphère. Leurs particules mesu- gévité supérieure, dans l’Antarctique, mètres, qui empêchent la formation des
rent généralement moins de un micro- d’un tourbillon stable qui confine le nuages stratosphériques polaires. À
mètre de diamètre (ce qui leur permet trou d’ozone. Ce tourbillon subsiste l’avenir, cependant, l’accumulation de
de rester en suspension dans l’air), car tout au long de l’hiver polaire chlore dans l’atmosphère devrait aggra-
la stratosphère contient peu d’acide jusqu’au milieu du printemps, et la ver la destruction de l’ozone arctique.
nitrique. Cependant certains de ces destruction de l’ozone commence en À moins que l’Arctique ne se refroi-
nuages croissent si lentement que leurs septembre, quand l’intensité solaire disse notablement, la diminution de
particules d’acide nitrique dépassent augmente, pour culminer en octobre. l’ozone n’y sera jamais aussi importante
un micromètre de diamètre et précipi- En Arctique, la circulation de l’air est que dans l’Antarctique, où la tempéra-
tent. Le phénomène a été découvert très différente, et le tourbillon a dis- ture hivernale moyenne est inférieure et
© POUR LA SCIENCE 97
EN L’ABSENCE DE NUAGES a EN PRÉSENCE DE NUAGES b
4. DESTRUCTION DE L’OZONE. Les rayonnements ultraviolets du chlore moléculaire (Cl2) à l’origine du cycle catalylitique ClO-
Soleil détruisent les chlorofluorocarbures (a). Le chlore ainsi ClO. Les atomes de chlore réagissent avec l’ozone pour former
produit (Cl) reste libre ou s’associe avec l’ozone (O3) pour for- du ClO et de l’oxygène moléculaire (O 2 ). Le ClO forme des
mer du monoxyde de chlore (ClO). Les gaz de l’atmosphère, tels dimères (Cl 2O 2), qui sont rapidement dissociés par les rayons
le dioxyde d’azote (NO2) et le méthane (CH4), réagissent avec solaires en Cl et en O2. Les atomes de chlore attaquent à nou-
ClO et Cl pour piéger le chlore sous forme inerte de nitrate de veau l’ozone. En outre, les nuages stratosphériques polaires
chlore (ClONO2) et d’acide chlorhydrique (HCl), qui constituent empêchent la formation des réservoirs de chlore en enlevant
les réservoirs de chlore. La destruction d’ozone est minimale. Les l’azote de l’atmosphère, lorsque l’acide nitrique tombe sous
nuages stratosphériques polaires (b) favorisent les réactions chi- forme de précipitations. Le brome détruit aussi l’ozone au cours
miques qui libèrent le chlore des réservoirs pour former du du cycle catalytique ClO-BrO (non représenté).
favorise la formation de nuages stables atmosphérique. La masse des aérosols aurait cependant doublé d’ici à la fin
à haute altitude. Malgré tout, les cher- de soufre éjectés dans l’atmosphère du XXIe siècle.
cheurs de tous les pays s’associent lors de cette éruption était à peu près Depuis que les chercheurs ont mon-
pour collecter les données qui leur per- égale à celle des particules de trihy- tré le rôle déterminant des réactions chi-
mettront de développer des modèles de drate d’acide nitrique des nuages stra- miques et, notamment, du chlore dans la
la destruction de l’ozone arctique. tosphériques polaires. Si une violente formation des trous d’ozone, les pays
Comme le trou d’ozone ne se forme éruption volcanique se produisait au industrialisés ont reconnu l’urgence des
qu’en présence de nuages stratosphé- début du siècle prochain, lorsque la mesures à prendre. En 1990, ils ont
riques polaires et d’un tourbillon stable, quantité de chlore atmosphérique aura décidé un arrêt total de la production
il est nécessairement confiné au-dessus beaucoup augmenté, elle entraînerait des chlorofluorocarbures en l’an 2000.
des deux pôles, où la population est sans doute une diminution globale Les concentrations en chlore dans
heureusement faible. Toutefois la dimi- importante de l’ozone atmosphérique. l’atmosphère n’en continueront pas
nution de l’ozone n’est pas seulement moins d’augmenter au cours des pro-
limitée à ces régions. Comment stopper chaines décennies : en effet, les réfrigéra-
Lorsque le tourbillon de l’Antarctique teurs, les systèmes de climatisation et les
s’affaiblit, l’air appauvri en ozone
la destruction de l’ozone? mousses utilisés aujourd’hui contiennent
s’étend sur tout l’hémisphère Sud, Les spécialistes de l’atmosphère ont encore de grandes quantités de chloro-
diminuant la concentration moyenne aujourd’hui compris pourquoi les aéro- fluorocarbures, dont la majeure partie
en ozone de toute cette moitié du sols de la stratosphère détruisent sera rejetée dans l’atmosphère. La mise
Globe. De plus, le tourbillon polaire l’ozone. En revanche, on ne disposera au point de substituts inoffensifs des
joue le rôle d’un réacteur chimique, en probablement pas, dans un proche ave- chlorofluorocarbures prendra probable-
aspirant l’air riche en ozone et en nir, des moyens techniques pour arrêter ment encore au moins dix ans.
expulsant l’air appauvri en ozone dans la destruction de l’ozone. La quantité de chlore atmosphé-
tout l’hémisphère Sud. Pour remplacer l’ozone perdu rique devrait être maximale au cours de
Les réactions chimiques qui détrui- chaque année (dont la masse équivaut à la première décennie du XXIe siècle. En
sent l’ozone atmosphérique ne sont pas celle de la population mondiale), on raison de la longue durée de vie des
confinées aux régions polaires. Dans devrait dépenser une énergie au moins chlorofluorocarbures dans l’atmo-
toute la stratosphère, des particules égale à cinq pour cent de la production sphère, cette quantité ne reviendra pro-
d’acide sulfurique catalysent la destruc- énergétique de la France, sans compter bablement pas avant le milieu du XXIe
tion de l’ozone en libérant du chlore que cet ozone devrait être transporté siècle à son niveau initial, avant la for-
actif à partir des réservoirs inertes et, dans le tourbillon antarctique. mation des trous d’ozone.
surtout, en transformant les composés Il semble plus raisonnable de Par conséquent, la destruction de
azotés en composés inertes, ce qui réduire la production des chlorofluoro- l’ozone s’aggravera encore au cours
inhibe la formation des réservoirs de carbures. En 1987, divers pays indus- des prochaines décennies, et la taille du
chlore. Cependant les particules d’acide trialisés signaient l’Accord de trou d’ozone de l’Antarctique pourrait
sulfurique détruisent moins d’ozone que Montréal sur les substances détruisant même doubler. La société a parié que la
les nuages stratosphériques polaires, car la couche d’ozone, qui prévoyait de destruction accrue de l’ozone
leur masse et leur taille sont inférieures réduire la production de chlorofluoro- atmosphérique perturbera moins les
à celles des particules nuageuses. carbures, avant l’an 2000, à la moitié écosystèmes et les activités humaines
Par ailleurs, le nuage volcanique de la production totale en 1986. Dans que la réduction rapide de la produc-
produit par l’éruption d’El Chichón a les conditions définies par cet accord, tion de chlorofluorocarbures. Seul
notablement réduit la quantité d’ozone la quantité de chlore atmosphérique l’avenir dira si ce choix est fondé.
98 © POUR LA SCIENCE
Le réchauffement de la Terre
Richard Houghton et George Woodwell
Le gaz carbonique et le méthane que nous relâchons actuel ; les organismes vivants font
notablement varier leur concentration,
dans l’atmosphère modifient les climats. et l’on n’arrêtera le réchauffement
atmosphérique que si l’on réduit les
On n’arrêtera ce phénomène que si l’on prend émissions de dioxyde de carbone.
Au début du siècle, le Suédois Svante
des mesures radicales. Arrhenius et l’Américain Thomas
Chamberlin prévirent que l’accumulation
des gaz opaques aux infrarouges, dans
l’atmosphère, entraînerait l’effet de serre
atmosphère se réchauffe : a augmenté d’environ 25 pour cent parce et réchaufferait l’atmosphère ; cependant
2. LE GLACIER DU RHÔNE, en Suisse, est bordé par quatre dépôts de 1818, le troisième de 1826 et le quatrième de 1848 ; cette succes-
morainiques successifs, visibles sur la lithographie exécutée sion indique que le glacier se retire de la vallée depuis au moins
d’après une aquarelle de Henri Hogard datée de 1848 (à gauche). 250 ans. La photographie (à droite) représente le glacier en 1970 :
Le dépôt le plus à gauche (le plus ancien) date de 1602, le second son recul est l’indice d’un réchauffement global récent.
5 50 2 50 100
COMBUSTIBLES RESPIRATION DÉFORESTATION RESPIRATION DIFFUSION
FOSSILES VÉGÉTALE DES SOLS PHYSICO-
CHIMIQUE
PHOTOSYNTHÈSE
100
DIFFUSION
RÉSERVES DE CARBONE PHYSICO-
(EN MILLIARDS DE TONNES)
CHIMIQUE
VÉGÉTATION 560 104
ATMOSPHÈRE 735
SOLS 1 500
OCÉANS 36 000
COMBUSTIBLES FOSSILES 5 000 À 10 000
3. LES ÉCHANGES ANNUELS DE CARBONE sont indiqués en mil- tion libèrent respectivement cinq et deux milliards de carbone. Les
liards (109) de tonnes. Chaque année, la photosynthèse capte dans réactions physico-chimiques à la surface des océans libèrent 100
l’atmosphère environ 100 milliards de tonnes de carbone sous milliards de tonnes de carbone et en absorbent environ 104. Au
forme de gaz carbonique ; la respiration des plantes et la décompo- total, l’atmosphère reçoit un excédent d’environ trois milliards de
sition des substances organiques, dans les sols, en relâchent envi- tonnes par an. Le tableau, en bas à gauche, indique le volume des
ron autant. L’utilisation des combustibles fossiles et la déforesta- principaux réservoirs mondiaux de carbone.
L’article de G. Woodwell et R. Houghton date de plus de six de modèles ont réalisé le même exercice de simulation détaillée
ans, mais la substance principale de leur message reste d’actualité. de la décennie 1979-1988.
Le problème de l’augmentation des gaz à effet de serre dans Ce travail considérable a confirmé les résultats antérieurs : la
l’atmosphère apparaît aujourd’hui bien plus complexe que certains multiplication des gaz à effet de serre risque de réchauffer la pla-
n’avaient pu le penser, tant est longue la liste des processus qui nète. Le montant de la hausse de température se situe dans une
interviennent dans la réponse du système climatique : on doit large fourchette que nous ne savons pas préciser. Après un refroi-
considérer le rôle des nuages, l’albedo de la surface couverte de dissement consécutif à l’éruption du Pinatubo, l’année 1995 a
végétation ou de neige, l’hydrologie des sols, les processus océa- renoué avec les records de températures, en dépassant les valeurs
niques, etc. L’étude du cycle du carbone se révèle également diffi- atteintes durant les années 1980. De même, s’il apparaît difficile
cile : on a bien du mal à équilibrer les sources et puits du bilan de préciser le taux d’une éventuelle élévation du niveau des mers,
atmophérique de gaz carbonique. Or cette étude est nécessaire à le risque associé reste d’actualité.
l’évaluation de la future hausse du gaz carbonique dans l’atmo- Quelques éléments nouveaux illustrent davantage la fragilité
sphère et au contrôle des mesures de limitation des émissions. et l’instabilité des systèmes naturels. On a complété les enregistre-
Enfin l’intérêt porté aux interactions entre chimie et climat a ments paléoclimatiques dans les glaces de Vostok par deux
grandi, en même temps que la contribution à l’effet de serre de forages, l’un européen et l’autre américain, dans des glaciers du
certains gaz réactifs, tels que l’ozone troposphérique. Groenland. Ces deux nouveaux forages confirment les résultats de
Pour prendre en compte cette complexité, des modèles cou- Vostok, mais y ajoutent la démonstration de fluctuations très
plent l’océan et l’atmosphère, la biosphère et le climat, ou la chi- rapides du climat passé. En outre, des modélisations montrent que
mie et le climat. Dans le même temps, la communauté scientifique la circulation atlantique peut être très instable.
s’est organisée plus efficacement, et réévalue régulièrement Ces divers résultats réfutent l’hypothèse systématique de bien
l’ampleur de l’effet de serre. Ainsi l’IPCC (International Panel on des modélisations effectuées jusqu’ici : ces derniers supposaient
Climate Change, en français : GIEC), groupe formé par le pro- que la réponse du climat était linéaire (à petite perturbation, petite
gramme Environnement des Nations unies et l’Organisation réponse). Cela est sûrement faux, et il importe de perturber le
Météorologique Mondiale (OMM), a rédigé quatre rapports suc- moins possible un système aussi complexe, interactif, et difficile à
cessifs en 1990, 1929, 1994 et 1995. L’OMM, au travers de son maîtriser qu’est notre environnement global.
programme climatique, a aussi favorisé des exercices de validation
et de comparaison des modèles : pour l’expérience AMIP Hervé LE TREUT, Laboratoire de météorologie dynamique
(Atmospheric Models Intercomparison Pogramme), une trentaine du CNRS , École normale supérieure et École polytechnique.
Le soufre rejeté par les industries forme de serre en diffusant la lumière solaire :
pour définir des politiques industrielles
des particules qui réfléchissent le rayonnement cohérentes, on doit utiliser des modèles
climatiques qui tiennent compte à la
solaire vers l’espace et masquent l’effet de serre fois des gaz à effet de serre, qui
réchauffent l’atmosphère, et des aéro-
dans certaines régions du monde. sols, qui la refroidissent.
Les aérosols industriels ne sont pas
les seules particules qui contribuent au
refroidissement. Les poussières conti-
es géophysiciens ne doutent la surface de la planète. Ces aérosols, nentales, le sel ou les sulfates marin,
RAYONNEMENT
ULTRAVIOLET
AUGMENTATION
DU POUVOIR
DE RÉFLEXION
DES NUAGES
4
BRUME D’AÉROSOLS
ÉVAPORATION DE L’EAU
3 DES GOUTTELETTES
DIOXYDE REJETS
DE SOUFRE INDUSTRIELS
Malgré les incertitudes, nous pou- ment dû au dioxyde de carbone conti- climat sont si mal connues que toute
vons faire quelques prévisions géné- nuerait encore pendant plusieurs politique de limitation des rejets atmo-
rales. Comme les aérosols de sulfates dizaines d’années. Au contraire, la sphériques est illusoire. Nous pensons
d’origine humaine sont essentiellement diminution des émissions de dioxyde toutefois que cette attitude est mau-
libérés dans l’hémisphère Nord, le de soufre provoquerait un arrêt rapide vaise. Certes aucune solution miracle
réchauffement dû à l’effet de serre du refroidissement, car les aérosols de ne résoudra la question des variations
devrait surtout se poursuivre dans sulfates ont une durée de vie brève du climat terrestre : la seule réduction
l’hémisphère Sud et dans les zones dans l’atmosphère. Ainsi, une moindre des émissions de soufre, en diminuant
rurales de l’hémisphère Nord. Le niveau utilisation des combustibles fossiles les pluies acides, accélérerait le
des océans pourrait augmenter, comme réchaufferait d’abord le climat, surtout réchauffement de l’atmosphère ter-
prévu, de quelques dizaines de centi- dans les zones industrialisées. restre. Pour agir efficacement, nous
mètres au cours des 50 prochaines Les effets climatiques des émis- devrons d’abord mieux connaître et
années, en raison notamment de sions de soufre restent très mal mieux comprendre les phénomènes cli-
l’expansion thermique de l’eau réchauf- connus. D’autres sources d’aérosols, matiques, et agir prudemment.
fée. Les autres conséquences sont moins telle la combustion d’une abondante Nous avons de nombreuses raisons
claires, car elles dépendent des bilans biomasse, dans les régions tropicales, de réduire la consommation des com-
locaux des effets antagonistes des aéro- n’ont-elles pas été sous-estimées? bustibles fossiles et de réduire les émis-
sols et des gaz à effet de serre. Comment l’atmosphère réagit-elle au sions de dioxyde de soufre et de
Quelles seraient les conséquences forçage par les sulfates (ou par les gaz dioxyde de carbone. Il faut agir vite, car
de la réduction simultanée des émis- à effet de serre) qui ne sont pas uni- les gaz industriels émis aujourd’hui
sions de dioxyde de soufre et de formes sur toute la Terre? auront encore un effet dans plusieurs
dioxyde de carbone? Comme le cycle On serait tenté de conclure qu’en dizaines d’années : plus on tardera à
du carbone et le système climatique raison de telles incertitudes les consé- limiter efficacement les rejets, plus les
ont une grande inertie, le réchauffe- quences de l’activité humaine sur le conséquences seront graves.
nies. On s’est d’abord occupé des particules les effets climatiques d’un accident nucléaire Les feux de végétaux
soufrées, responsables du phénomène des majeur seraient plus importants que l’aug-
pluies acides, si bien que les études concer- mentation de la radioactivité : l’émission de Durant les années 1980, on a compris
nant les particules carbonées sont encore plus particules et de fumées consécutives à que les pollueurs ne sont pas toujours les
récentes. Ces dernières ont pourtant un effet l’explosion occulterait la lumière du Soleil et payeurs ; la pollution voyage hors des
notable sur le climat, et méritent notre atten- refroidirait l’atmosphère. Un effet semblable régions de production. Elle peut même se
tion. Elles résultent principalement de la com- serait responsable de l’extinction des grands transformer. Ainsi, après quelques minutes
bustion des fiouls fossiles et de la biomasse animaux, à la fin du Crétacé : un embrase- ou quelques jours, les gaz soufrés (principa-
des régions tropicales, et leurs effets se font ment généralisé de la couverture végétale, lement du dioxyde de soufre) ou azotés (les
surtout sentir dans l’hémisphère Nord. très dense à cette époque, aurait produit oxydes d’azote), émis lors des combustions
Avant les années 1980, on s’intéressait une épaisse fumée, suivie d’un brutal chan- de fiouls fossiles (charbon, diesel), se trans-
peu aux aérosols. On connaissait surtout les gement climatique. À l’appui de cette théo- forment en espèces acides, les sulfates et les
particules d’origine naturelle : les particules rie, l’Américain Edward Anders a montré nitrates, qui se fixent sur les aérosols. Ils aci-
crustales provenant des déserts et donnant, que certains sédiments datant de la limite difient alors l’atmosphère et les gouttelettes
loin de leurs sources, des pluies colorées du Crétacé et de l’ère tertiaire contiennent nuageuses, loin des régions émettrices.
telles les «pluies de sang», et les particules des suies carbonées en quantité. Parmi les «bénéficiaires» des activités anthro-
marines, éjectées dans l'atmosphère par des À une échelle bien moindre, la com- piques en Europe figurent les pays scandi-
réactions chimiques à la surface de la mer. bustion des puits de pétrole au Koweït, naves, dont les lacs se sont considérable-
Les particules émises par les volcans ont durant la crise du Golfe, en 1990, illustre ment acidifiés, et le bassin méditerranéen
aussi suscité nombre de recherches, car le l’effet climatique des aérosols : les feux ont oriental, où l’on mesure des concentrations
caractère cataclysmique de certaines érup- émis de nombreux polluants, dont les plus record de sulfates en atmosphère de bruit
tions ne laisse pas indifférent. Les plus vio- visibles étaient les aérosols. Ces particules de fond, c’est-à-dire loin des sources.
lentes éruptions ont des effets planétaires :
lorsque les particules soufrées atteignent la
stratosphère, à dix kilomètres d’altitude, elles – 120° – 60° 0° 60° 120°
réchauffent cette région haute de l’atmo-
sphère et refroidissent la partie basse où
nous vivons, la troposphère. Dans certaines 60° 60°
régions, le climat peut se refroidir de plu-
sieurs degrés durant quelques mois, voire
quelques années. Ainsi l’éruption d’un vol- 30° 30°
can islandais, dans les années 1780, a créé
un refroidissement qui s’est ajouté au Petit
Âge Glaciaire. Une année particulièrement
0° 0°
froide aurait favorisé la Révolution française
en affamant la population des campagnes.
En outre, les particules soufrées injectées
dans la stratosphère catalysent la destruction – 30° – 30°
de l’ozone au-dessus des pôles ; les études
consécutives à la dernière éruption volca-
nique importante, celle du Pinatubo, aux – 60° – 60°
Philippines, en 1991, ont confirmé cet effet.
Les aérosols d’origine humaine résultent
de combustions industrielles ou domes- – 120° – 60° 0° 60° 120°
tiques, et restent confinés dans la tropo- 0 0,5 1 5 10 100 250 500 1 000 2 500 5 000
sphère. Pour des raisons de santé publique,
on s’est longtemps préoccupé de leurs effets
polluants locaux, notamment en ville et dans
les zones industrialisées : on connaît le phé- 1. Courbes d’isoconcentrations de carbone-suie atmosphérique à la surface de la
Terre. En juillet, les régions les plus polluées par les particules de combustions
nomène de «smog» urbain, un brouillard
sont les pays tropicaux de l’hémisphère Sud, où c’est la saison des feux, et les
qui se forme le jour, quand la lumière pays tempérés de l’hémisphère Nord, à cause des transports et industries. La pol-
solaire transforme les polluants gazeux en lution diminuera probablement en Europe et aux États-Unis, tandis qu’elle aug-
particules. Les scientifiques… et les profanes mentera dans les pays asiatiques, en plein développement et peu contrôlés.
se sont intéressés aux effets globaux des (D’après Liousse, Penner et collaborateurs, Lawrence Laboratory de Livermore.)
60°N
40°N
20°N
0°
20°S
40°S
60°S
180° 160° 140° 120° 100° 80° 60° 40° 20° 0° 20° 40° 60° 80° 100° 120° 140° 160° 180°
1. L’AIR EST ENRICHI DE MONOXYDE DE CARBONE (CO) au-dessus des régions tropicales, où l’on
25 35 45 55 65 75 brûle les forêts et les savanes. Il y a 15 ans, on croyait que le monoxyde de carbone n’était produit
que par les transports et l’industrie ; les mesures effectuées en octobre 1984, à bord de Challenger,
75 85 95 105 115 125 ont montré que cette idée était fausse. Cette carte indique les concentrations moyennes en
monoxyde de carbone, dans la partie de l’atmosphère située entre 3 à 18 kilomètres d’altitude. Les
ABONDANCE DU MONOXYDE vents décalent les panaches de monoxyde de carbone par rapport à leur source. Chaque carré de
DE CARBONE DANS L’AIR couleur correspond à cinq degrés de latitude sur cinq de longitude ; la couleur représente la valeur
(EN PARTIES PAR MILLIARD) moyenne de plusieurs mesures effectuées dans le carré.
MIROIR
DÉTECTEUR C
SIGNAUX ÉLECTRIQUES (SANS FILTRE)
SIGNAUX INFRAROUGES
3. LE RADIOMÈTRE embarqué sur la navette spatiale Challenger. Les lames semi-réfléchissantes dévient le faisceau vers trois détecteurs.
rayonnements provenant de l’atmosphère y sont «hachés» par un L’un d’eux, situé derrière une cellule vide (en bas), mesure l’intensité
disque rotatif, percé de fentes ; quand le rayonnement atmosphérique totale du rayonnement ; les deux autres sont placés derrière des cel-
est arrêté par le disque, le rayonnement d’un corps noir de référence lules contenant du monoxyde de carbone à des pressions différentes.
est réfléchi vers le système de mesure. Un filtre optique ne laisse pas- Grâce aux signaux de ces trois détecteurs, on peut calculer la concen-
ser que les longueurs d’onde avoisinant 4,67 micromètres : ce sont tration en monoxyde de carbone sans connaître sa pression ni sa tem-
ces rayonnements que le monoxyde de carbone absorbe le plus. Des pérature (voir la figure 4).
INTENSITÉ
DÉTECTEUR
SANS FILTRE
DÉTECTEUR
DÉTECTEUR DÉTECTEUR À FILTRE
SANS FILTRE À FILTRE
B
FRÉQUENCE FRÉQUENCE
4. L’ABONDANCE du monoxyde de carbone dans l’atmosphère est l’atmosphère, ou aucune absorption quand le rayonnement provient
calculée par comparaison du spectre de l’atmosphère et du spectre du corps noir. La différence A entre les deux courbes, lorsque les
de référence. Un détecteur placé derrière une cellule remplie de deux détecteurs observent l’atmosphère (à gauche), est proportion-
monoxyde de carbone fournit un signal faible et quasi constant, le nelle à la différence de concentration en monoxyde de carbone dans
gaz absorbant la majeure partie du rayonnement à 4,67 micro- l’atmosphère et dans la cellule. La différence B (à droite) vient de la
mètres. À cette longueur d’onde, le détecteur placé derrière une cel- comparaison de l’émission du corps noir et de l’absorption dans la
lule vide mesure une absorption partielle du rayonnement par cellule à gaz : elle permet de calibrer le radiomètre.
MOYEN 43 23
ÉLEVÉ 78 77
TRÈS
122 107
ÉLEVÉ
EFFETS
Maux de tête, affections des voies respiratoires Affections respiratoires, maux de tête, asthme,
inférieures, asthme accidents cardio-vasculaires
ÉLEVÉ 74 81
TRÈS
111 103
ÉLEVÉ
EFFETS Asthme, maux de tête, accidents cardio-vasculaires Maladies respiratoires, pathologies de l'œil
1. Concentrations de polluants (en microgrammes par On indique également les effets sur la santé, par ordre
mètre cube) mesurées en Île-de-France lors de situations d’importance décroissante (d’après l’Observatoire régional
normales ou de pollution moyenne, élevée et très élevée. de santé d’Île-de-France).
Imprimé en France – Berger-Levrault Graphique Toul – Dépôt légal – Juin1996 : N° d’édition : 7612 – 01 – Commission paritaire n° 59713 du 17-10-77 – Distribution NMPP
ISSN 0 153-4092 – Directeur de la Publication et Gérant : Olivier Brossollet.