LABORIT Henri - La Légende Des Comportements

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L A LÉGENDE
DES
COMPORTEMENTS
Ont collaboré à l'ouvrage
Edition : Catherine Cornu
Fabrication : Murielle Vaux, Michel Moulins
Recherche iconographique : Béatrice Petit
Illustrations : Gilles Alkan

Conception graphique : Rampazzo & associés


Mise en pages : Daniel Leprince
Corrections : Alfred Zameaux

Photogravure : Bussière, Paris

ISBN : 2-08-035250-4

Dépôt légal 1er tirage : octobre 1994


© Flammarion, Paris, 1994
Tous droits réservés
L A L É G E N D E

DES

C O M P O R T E M E N T S

HENRI LABORIT

Flammarion
etiensàremercierFrançoisJoliat,quiasuivi,
durant deux années successives, messémi-
J naires présentés dans le cadre du Campus
européen de La Jolla University à Lugano. Ce jeune
pianiste a réalisé un travail remarquable et original
d'adaptation de notre travail de biopsychosociologie à
l'enseignement de la musique. Il a rédigé un mémoire
particulièrement clair sur la partie bio-comportemen-
tale, auquel j'ai emprunté avec son autorisation cer-
tains passages pour la rédaction de cet ouvrage.

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Sur cette terre chaque homme et chaque femme
se trouvent sur la route qui va de la loi aux légendes...
Les légendes sont du côté de l'humide, du marécageux,
du sauvage, de l'indompté. Les légendes sont faites
d'eau alors que la loi n'est que sécheresse.
Il faut vingt ans pour comprendre les lois,
mais toute une vie pour passer des lois aux légendes.

ROBERT BLY
L'Homme sauvage et l'Enfant
D e t o u t temps, l'angoisse

de la mort a poursuivi l'homme,

de t o u t temps il a t e n t é soit

de l'occulter, soit de la sublimer.

Elle a ainsi fait l'objet

de nombreuses œuvres d'art

dans des domaines aussi divers

que la poésie, la musique

ou, comme ici, la peinture.

Divertissements, vertige

de la consommation à outrance

sont les moyens modernes INTRODUCTION


de nous faire oublier

l'inévitable issue.

Horace Vernet (1789-1863), -1 y a plus de deux millions d'années, un être


La Ballade de Lénore. ressemblant plus ou moins à l'homme tel que
Nantes, musée des Beaux-Arts. 1 nous le connaissons aujourd'hui faisait son
apparition sur notre planète, au cœur d'un monde
E t le Soleil qui faisait naître qui présentait de nombreux aspects effrayants et dan-
t o u t e chose sous sa chaleur gereux pour sa vie même.
devint un être divin auquel Le monde de la matière, celui des pierres, des arbres,
on offrait des présents... de leurs feuilles et de leurs branches, celui des bêtes et
Akhenaton faisant des offrandes des hommes, toutes choses que l'on voit, que l'on
au disque solaire, relief touche, que l'on sent, que l'on entend, quel est-il? Et
provenant de Tell el Amarna. le ciel, que les hommes ont considéré pendant des
Le Caire, Musée égyptien, siècles comme une voûte au-dessus de leurs têtes,
nouvel empire. tournant avec ses étoiles autour de la terre, d'où vient-
il ? Et qui est l'homme, au milieu de tout cela ?
ZJ interprétation du monde dans sa cavité les eaux de la mer.

par les hommes n'a cessé A l'est, « la montagne claire,


de varier au cours des siècles la grande montagne
et des millénaires. du lever du Soleil »,

Ce tableau est une tentative à l'ouest, « la montagne obscure,

de reproduction de la cosmogonie la montagne du coucher

des Mésopotamiens du Soleil ». Sous le sol,

par un artiste du xixe siècle. le séjour des morts, pays, ville

En haut, le ciel forme une voûte ou maison dont l'entrée

au-dessus de laquelle se trouvent est située à l'ouest

le séjour des dieux, éclairé et dont les sept murs

par le Soleil, e t l'Océan céleste, s'entourent réciproquement.


les «eaux d'en haut ». M. Raenicke, d'après l'esquisse

La Terre, creuse, renferme de P. Jensen, XIXe siècle.

Pour assurer leur subsistance, les premiers hommes se temps les choses et les êtres, de fournir un sens à ses
conduisirent comme tous les prédateurs ; pour assurer actions. Les animaux furent d'ailleurs contraints d'en

leur survie, ils se défendirent contre tout ce qui enva- faire autant. Mais à leur différence, l'homme, capable
hissait leur espace. Leur conscience n'était pas encore d'imagination, pouvait en outre trouver une raison
pourvue de toutes les connaissances que les millé- d'être aux événements pour lesquels il ne découvrait
naires suivants reçurent, par transmission et accumu- aucun facteur de causalité évident. Il attribua aux

lation, de génération en génération, grâce aux lan- choses et aux êtres une conscience et un comporte-
gages. L'homme primitif chercha un certain ordre ment analogues à ceux qu'il sentait confusément vivre
dans le désordre apparent du monde. Un principe de en lui. Le monde devint à ses yeux un vaste espace où
causalité simpliste lui permit d ' o r d o n n e r dans le tout était vivant, conscient, hostile ou au contraire

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bienveillant et même favorable si l'on savait en com- fallait trouver une source et une origine à ces objets et
prendre le langage et dialoguer avec lui. Il baignait à ces créatures dont il se nourrissait souvent, mais
dans un univers poétique - si l'on considère que la qu'il respectait, car il avait à les combattre; et ce fut un
poésie a été falsifiée par la connaissance -, dans un autre monde, celui des dieux. Une source spirituelle
univers au sein duquel il se sentait inclus au même s'infiltra dans sa compréhension d'un monde invisible
titre que les sources, les mers, les rochers et les autres et présent avec lequel il était préférable de s'accorder
êtres vivants. Il conversait avec eux et croyait com- parce que plus puissant que celui des hommes.
prendre leur langage. Cependant il ne pouvait conce- Pour agir, l'homme avait besoin de lois efficaces. Déçu
voir comme supérieur au sien le pouvoir qu'il leur bien souvent par l'absence de causalité apparente des
reconnaissait : il le voyait seulement différent. Il lui événements, il imagina donc une autre causalité, celle
D o u é d'imagination,

l'homme en vint à attribuer

au monde qui l'entourait,

à la « nature », une conscience

analogue à celle qu'il percevait

confusément en lui-même.

Il peupla son environnement

de dieux qu'il se mit à honorer.

Le monde devint pour lui tour

à tour hostile ou bienveillant,

tout y était vivant, conscient.

Il s'agissait simplement

d'en comprendre le langage

et de dialoguer avec lui.

Arnold Bëcklin, Le Bois sacré,

1882. Bâle, Kunstmuseum.

des dieux, qui devint, beaucoup plus tard, à l'époque


des grandes religions monothéistes, celle de Dieu.
Pour protéger son existence, son bien-être, sa survie
individuelle et celle du groupe, il dut obéir aux règles
de cette causalité nouvelle. Il établit ses lois et tenta
de s'y conformer, individuellement et en groupe.
L'angoisse résultant de l'impossibilité d'agir efficace-
ment en l'absence de règles fut alors occultée par
l'application de celles qu'il avait lui-même inventées,
celles des dieux. Plongé dans l'absurdité quotidienne
de son existence, il fit confiance à certains êtres, consi-
dérés comme investis d'un pouvoir d'intercession
entre les divinités et lui, pour lui fournir ces règles.
Mais, tout comme on émet l'hypothèse selon laquelle
la connaissance aurait tué la poésie, on pourrait soup-
çonner ces êtres prophétiques de faire partie de ceux,

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de moins en moins nombreux au fur et à mesure de

l'élargissement analytique des connaissances, qui sont


restés en communion avec l'ensemble de la création.

Ces connaissances ont permis à l'homme de se proté-


ger, mais elles ont aussi permis la dominance de cer-
tains groupes sur d'autres dont l'environnement géo-
climatique était plus clément ou au contraire trop
difficile pour leur laisser le temps de penser à autre
chose qu'à leur survie immédiate. Fruit de l'activité de P o u r ceux

plus en plus exclusive de l'hémisphère gauche du cer- dont la représentation du monde

veau humain, la recherche - et, partant, l'accumula- ne va guère plus loin

tion - des connaissances concernant le monde de la que les murs de leur bureau,

matière fut considérée comme sa faculté essentielle, de leur entreprise

voire unique. Les résultats dans les domaines de la ou de leur HLM, l'espace

physique, des mathématiques et de l'ensemble des s'est prodigieusement rétréci.

sciences dites exactes étaient encourageants. Cité HLM à La Courneuve.

Puis apparut une contradiction entre le discours expli-


catif du bon droit des comportements humains col-
lectifs et le contrôle grandissant et destructeur des gauche, dont il conteste l'intérêt vital. Quand on ne
hommes sur la biosphère. Certains remirent en ques- peut plus contrôler quelque chose, c'est la fuite vers
tion la valeur de la connaissance scientifique, dénon- autre chose qui rend l'espoir, par l'acceptation du
cèrent cette science criminelle et favorisèrent le retour non-chosifié, c'est-à-dire de ce que l'on ne peut ni
simplificateur aux mythes anciens. La crainte de ce voir, ni entendre, ni toucher. Par ailleurs, la civili-
que l'homme ne pouvait ni comprendre ni contrôler sation industrielle conduit à l'entassement dans les
avait été à l'origine de ces mythes. Aujourd'hui, c'est gigantesques cités modernes d'hommes soumis à
sans doute encore la crainte de ce qu'il ne peut plus un travail parcellaire, répétitif et sécrétant l'ennui;
contrôler, résultat cette fois de sa propre action sur l'espace d'improvisation se réduit et les dépendances
son environnement, qui l'oriente à n o u v e a u vers augmentent chaque jour. La drogue, tranquillisante
l'interprétation globale et directe, vers l'union avec ce ou psychotogène, la névrose ou la psychose, le suicide
qui le dépasse, vers un tout mystique, un tout auquel - celui des adolescents s'accroît en nombre de façon
il se sent profondément lié, sans langage, sans dissec- inquiétante - constituent autant d'échappatoires. Il en
tion, sans analyse. L'hémisphère droit, hémisphère va de même du retour aux mythes répandus par les
globalisant, regimbe et n'accepte plus de confier sa multiples sectes souvent exploiteuses et cachant leur
destinée aux décisions péremptoires de l'hémisphère intérêt économique sous le masque de la spiritualité.
Quant à l'angoisse de la mort, qui se cramponne
depuis toujours au ventre de l'homme, elle demeure,
et ce malgré les efforts déployés par les sociétés pro-
ductivistes pour la faire disparaître à cause du risque
qu'elle présente de diminuer la productivité. Les
moines médiévaux qui se rencontraient au cours de
leurs promenades dans le cloître échangeaient ces
mots : « Frère, songe que tu dois mourir » ; de nos
jours, les jeux du cirque banalisés, la pseudo-liberté
des vacances, les divertissements innombrables, du
plus banal au plus sophistiqué, tentent de faire oublier
que la mort est au bout de cette vie sans signification
autre que de recevoir un salaire pour subsister et
acquérir non seulement les biens répondant aux
besoins fondamentaux, mais encore ceux satisfai-
sant aux besoins acquis qu'a fait naître la publicité,
aussi indispensables désormais que les premiers. On
attendait de la science qu'elle fît échec à la mort. Cette
attente est déçue. Pour certains, la science a pu
repousser très loin les limites de l'espace et du temps
dans lesquelles l'homme se meut, mais pour la plu-
part - ceux dont la représentation du monde ne va
guère plus loin que les murs de leur bureau, de leur
entreprise ou de leur HLM - l'espace s'est au contraire
prodigieusement rétréci. Ils se sentent cloisonnés,
aliénés, déboussolés, ne sachant plus, devant leurs
manettes ou leur ordinateur, où se trouve le nord
qu'Ulysse, à la recherche de la route de l'étain, savait
repérer grâce à l'étoile Polaire.
Curieusement, des physiciens contemporains, cher-
chant au-delà de leurs particules élémentaires, décou-
vrent ce qu'ils ne sauraient exprimer ni par des mots,
ni par les mathématiques, et qui les transporte avec
les cosmologies modernes à l'origine de l'univers,
jusqu'au temps que l'on ne saurait actuellement
dépasser, le temps de Planck. Mais que fait l'homme,
observateur de l'univers, dans cet univers ?
Avant qu'il ne se préoccupe d'autres galaxies, son
environnement est d'abord constitué par les autres
hommes, avec lesquels son système nerveux lui per-
met de communiquer. Or, jusqu'à une époque très
récente, les connaissances concernant le système ner-
veux sont restées rudimentaires. Ce qu'on appelle la
conscience réfléchie a fait croire aux hommes qu'ils
étaient d'une essence différente de celle des choses
inanimées et des autres espèces animales. Le symbo-
lisme découlant du langage a eu pour conséquence
l'interprétation langagière de tous les problèmes sou-
levés par le fonctionnement du cerveau humain en
situation sociale. Un discours logique a toujours per-
mis d'expliquer et de défendre tous les comporte-
ments, alors que la logique du discours n'est pas celle
de la biochimie et de la neurophysiologie qui sous-
tendent ces comportements et ce discours lui-même.
Selon Malraux, le xxie siècle devrait réintégrer les
dieux ; il est probable qu'il devra avant tout appliquer
la formule de Socrate « Connais-toi toi-même », mais l'invention et l'étude par l'homme de molécules chi-
sans se limiter aux langages. Il faudra pénétrer et faire miques, est en mesure d'agir. L'intérêt que présente la
connaître les mécanismes qui commandent aux prin- pharmacologie pour la connaissance est sans doute
cipales fonctions du cerveau, connues sous les noms plus important sur le plan de la confirmation de la
de pulsions, affectivité, amour, haine, mémoire, ima- réalité des mécanismes découverts que sur le plan
gination, désir, envie, altruisme, convivialité, compéti- strictement thérapeutique. Il faut cependant bien
tivité, etc., avec lesquels on a bâti l'édifice des sciences comprendre que c'est l'ignorance de ces mécanismes
humaines : psychologie, sociologie, économie et poli- qui a longtemps permis de couvrir d ' u n discours
tique, pour ne citer qu'elles. l o g i q u e l ' e n s e m b l e de ce que l ' o n p e u t a p p e l e r
Ces noms ne sont plus simplement des noms, mais l'inconscient, lequel ne p e u t plus être considéré
l'expression de mécanismes de mieux en mieux inter- comme ce qui est refoulé parce que les règlements de
prétés et sur lesquels la pharmacologie, c'est-à-dire la socioculture n'en permettraient pas l'expression
motrice. L'inconscient renferme tous les automatismes

qui ont formé, pendant la période dite de l'empreinte,


la structure relationnelle des neurones ou de certains

Qu'elle s'exprime La société de consommation n e u r o n e s entre eux; c'est le r é s u l t a t de tous les


par le biais de la peinture, s'évertue néanmoins à la faire apprentissages moteurs, conceptuels et langagiers,
de la poésie ou de la musique, disparaître, à cause du risque q u ' u n e culture d ' u n certain lieu et d ' u n e certaine
l'angoisse de la mort de diminution de la productivité époque, après avoir assimilé toute l'histoire des géné-
est sans aucun doute qu'elle représente. rations précédentes, a introduits dans le cerveau d'un
un facteur essentiel Peinture anonyme du XVIIe siècle, enfant. On en arrive alors à la conclusion suivante :
de la créativité et une source Le Rêve macabre. lorsque deux hommes communiquent, ce sont leurs
inépuisable d'inspiration. Château de Blois. apprentissages inconscients, leurs a u t o m a t i s m e s
culturels qu'ils expriment.
P R E M I È R E PARTIE

LE S Y S T È M E N E R V E U X
CYBERNÉTIQUE
I l est bien rare ET BIOLOGIE
qu'un organisme offre

la simplicité élémentaire

de cet être monocellulaire. a cybernétique gouverne l'organisation

L
Régulations, rétroactions dynamique des organismes vivants. Or cette
caractérisent généralement organisation évolue dans le temps, elle est
le système complexe que constitue instable, et cette instabilité constitue sa première
tout être vivant, formé caractéristique. A aucun moment les organismes ne
de multiples structures emboîtées sont identiques à ce qu'ils étaient quelques instants
les unes dans les autres auparavant. Cette instabilité obéit à des lois dont les
et en constante interaction. unes correspondent à l'utilisation de l'énergie, et les
Maria Elena Vieira da Silva autres au maintien temporaire de la forme. L'énergie
(1908-1992), chimique qui provient des aliments est mise en
Le Théâtre de Gérard Philipe, réserve dans les cellules sous la forme de composés
1975. phosphorés riches en énergie utilisée pour assurer des
Colmar, musée Unterlinden. « fonctions » organiques. Mais elle permet avant tout
le maintien de la structure organique de la forme.
LE S Y S T È M E N E R V E U X

STRUCTURE ET ENSEMBLE RÉGULÉ

n ensemble étant constitué d'éléments, ceux-ci


1 1 ayant des relations entre eux, la structure repré-
sente l'ensemble des relations existant entre les élé-
ments d'un ensemble.

Mais l ' h o m m e n ' e s t p a s à m ê m e de c o n n a î t r e


l'ensemble de ces relations : il devra donc se contenter

d'en approcher un sous-ensemble. L'erreur serait de


confondre la Structure d'un ensemble - Structure avec

un grand S - et le sous-ensemble que nous parvenons


à en abstraire - structure avec un petit s. On peut S o u s un discours qui se veut

appeler idéologie le fait de croire que la structure logiquement convaincant,

représente la Structure. On peut aussi appeler cela mais qui dissimule

objectivité. Il s'agit bien d'objectivité, mais à l'égard ses objectifs réels, la plupart

d'un sous-ensemble. des hommes politiques

Tous les discours politiques, tous les médias, toutes ont pour motivation inconsciente

les relations interindividuelles parlent d'objectivité, la recherche de la reconnaissance

celle-ci étant supposée déboucher sur l'expression de et de l'admiration

la vérité ou de la réalité. Mais, il faut le dire, tout est de leurs concitoyens.

objectif. Dix personnes ayant assisté à un accident de Citizen Kane, photo tirée

la circulation donneront dix versions de l'événement du film d'Orson Welles (1941).

qui toutes seront objectives. Un tel exemple ne devrait


pourtant autoriser aucune interprétation. Mais cha-
cune ne voit que ce que son passé, son éducation, ses et que de ce fait il ignore, le pousseront à cadrer.
préjugés, ses jugements de valeur lui laissent voir. Or, c'est ce qu'on appelle l'information objective, à
Le danger est encore plus grand au cours du repor- laquelle nous devrions ajouter foi sous prétexte que
tage télévisé, censé ne fournir que l'aspect objectif l'image se présente comme impersonnelle, dénuée
d'un événement. Cette mission ne saurait être remplie de jugements de valeur, jugements qu'elle suscite
par la caméra, pas plus que par l'opérateur qui en pourtant en nous, en manipulant notre affectivité et
dirige l'objectif. Le cameraman ne filmera en général notre inconscient.
que ce que sa quête du sensationnel, qui le valorise, Quant aux hommes politiques, je ne pense pas que
ou son éducation, sa classe sociale, son appartenance la plupart d'entre eux soient conscients de ce que
politique, son affectivité, tous processus inconscients leurs discours, leurs attitudes, leurs intonations, leurs

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gestes sont animés beaucoup plus par l'envie d'être Les r e l a t i o n s e n t r e les é l é m e n t s d ' u n e n s e m b l e

admirés, aimés, trouvés beaux et généreux et par r é a l i s e n t sa mise en f o r m e , é t y m o l o g i q u e m e n t


la recherche de la dominance que par un souci de son information. D'où l'appellation d'information-
ce qu'il est convenu d'appeler l'objectivité. S'ils le structure, pour la distinguer de l'information cir-
savaient, si surtout ceux qui les écoutent en étaient culante. L'information-structure, grâce à laquelle
persuadés, la vie politique serait sans doute différente. nous savons distinguer un éléphant d ' u n homme,
On pourrait multiplier à l'infini les exemples concer- caractérise généralement les organismes appartenant
nant la subjectivité de l'objectivité. Pourquoi en est-il à une espèce. La structure peut paraître invariante,
ainsi? Parce que l'homme n'appréhende qu'un sous- mais en réalité, au niveau moléculaire, elle varie avec
ensemble de la Structure. le temps et l'expérience. L'information que nous
appelons information circulante, comme son nom
l'indique, circule entre les éléments d'un ensemble
organique et entre les ensembles réalisant un système.
Norbert Wiener, considéré comme le père de la cyber-
nétique, travailla avec des neurophysiologistes
célèbres tels que Lorente de No et Arturo Rosen-
blueth. Il énonça que l'information n'était ni masse ni
énergie, mais qu'elle mettait en relation des éléments
et créait de nouvelles relations entre éléments; ainsi,
un ensemble organisé ne pouvait être réduit à la
U n ensemble organisé somme de ses éléments, mais c'étaient ces relations
ne peut être réduit à la somme qui donnaient une forme à l'ensemble. Pourtant,
de ses éléments. depuis quelques décennies, la physique quantique
En effet, ceux-ci établissent réétudie la question : le vide quantique, les particules
des relations entre eux, virtuelles, satellisent en effet des électrons autour du
et c'est l'ensemble de ces relations noyau d'un atome et participent également à sa
qui définit la structure forme. A l'intérieur du noyau lui-même, les quarks
de l'ensemble de départ. - particules élémentaires hypothétiques - sont main-
On a toujours considéré tenus en relation par les gluons - particules élémen-
que ces relations ne possédaient taires sans masse. Ces particules, sans masse mais
ni masse ni énergie. Cependant, d'énergie non nulle, participent donc à l'information
les physiciens nous ont récemment de l'atome. Ainsi, l'information peut ne pas être
appris qu'elles pouvaient masse, mais elle demeure énergie.
ne pas avoir de masse, Certains biologistes contemporains ont suggéré l'exis-
mais être encore de l'énergie. tence de champs morphogénétiques. Or les orga-
Le vide quantique ne contient nismes vivants sont constitués des mêmes particules
que des masses virtuelles que les objets inanimés. On peut alors prévoir que ce
qui peuvent se concrétiser sont les relations entre ces particules - donc l'informa-
sous certaines conditions, tion-structure des êtres vivants - qui, en partant du
comme dans le cas niveau d'organisation de la molécule, vont leur four-
de la photographie ci-contre. nir leurs caractéristiques fondamentales.
Photo de choc de particules Quoi qu'il en soit, l'information n'est pas matière, on
dans une chambre à bulle.
ne peut la toucher. Elle présente les caractéristiques de
ce que certains appellent l'esprit. Mais comme, depuis
LE S Y S T È M E N E R V E U X

Einstein, nous savons que E = mc2 - en d ' a u t r e s


termes, que l'énergie peut se transformer en matière
et inversement -, il semble difficile de distinguer
« objectivement » esprit et matière. A quel niveau
d'organisation cette distinction se ferait-elle ?

N I V E A U X D'ORGANISATION
ET SERVOMÉCANISMES

A
u cours de la décennie 1950-1960, les articles de
Louis Couffignal et l'excellent ouvrage de De
Latil La Pensée artificielle nous avaient entraînés, mes c est la présence

collaborateurs et moi-même, à assimiler la forme nais- de la protéine enzymatique

sante de la pensée cybernétique. Les rétroactions qui permet la transformation

emplissaient notre champ de conscience, nous les d'une molécule, le substrat,

trouvions à tous les niveaux d'observation, de la en un produit

molécule à l'organisme entier. Il nous apparut rapide- de la réaction enzymatique.

ment que, si ce que nous appelâmes dès lors niveau Pour ce faire, la structure

d'organisation - nommé holon par Arthur Koestler en de cette protéine

1965 et intégron par François Jacob en 1972 - repré- doit être a d a p t é e spécifiquement

sente, lorsqu'il est isolé, un système régulé, sa fonc- à la réaction qu'elle détermine.

tion dépend du niveau d'organisation qui l'englobe.


La commande de cette régulation par une information
venant de l'extérieur du système nous semblait aussi il s'agit d'un déplacement d'électrons du substrat qui j
importante que la structure du niveau lui-même. C'est se trouve oxydé - perte d'un électron - au produit de |
I
pourquoi nous nous attachâmes à comprendre la réaction qui se trouve réduit - gain d'un électron - \
l'ensemble des servomécanismes dans les systèmes dans les processus d'oxydoréduction. Mais le bio- f
vivants, c'est-à-dire comment un niveau d'organisa- chimiste constate qu'après un temps variable suivant |
tion, quel qu'il soit, voit son activité transformée et la réaction en cause, les quantités du substrat et du |
I
régulée par une information extérieure. Au niveau de produit de la réaction ne changent plus. La réaction |
la réaction enzymatique par exemple, on trouve une - dite d'équilibre pour cette raison - se stabilise, du I
molécule, le substrat, qui donne naissance, grâce à la moins au niveau d'organisation du chimiste observa- 1
présence d'une autre molécule, l'enzyme, à une nou- teur, car au niveau des échanges électroniques les I
velle molécule, produit de la réaction. Le plus souvent
déplacements se font dans les deux sens : du substrat |
vers le produit de la réaction, mais aussi de ce dernier laires : mitochondries, noyau, réticulum endoplas-
vers le substrat. Or, dans les systèmes vivants, le mique, ribosomes, membranes, etc., eux-mêmes élé-
substrat d'une réaction enzymatique est le produit ments d ' u n ensemble cellulaire. Les cellules sont

d'une réaction qui la précède et le système régulé pré- réunies dans un organe ou un tissu qui appartiennent
cédent dépend d'un autre système régulé qui le pré- à un système : nerveux, endocrinien, cardiovasculaire,
cède également. On peut remonter ainsi du point digestif, etc. Les systèmes sont rassemblés dans un
de vue uniquement énergétique jusqu'au substrat o r g a n i s m e entier, l u i - m ê m e i n t é g r é d a n s des
d'origine, aliment fourni par la photosynthèse, qui ensembles sociaux de plus en plus complexes. Ces
emprunte son énergie potentielle au photon solaire. niveaux d'organisation se sont constitués historique-
Ces structures enzymatiques se trouvent incluses ment, d e p u i s les premières cellules isolées dans
dans le niveau d'organisation des organites intracellu- l'Océan primitif, il y a plus de trois milliards cinq
L a structure d'un cristal

de chlorure de sodium

est peu complexe.

Même s'il présente,

au niveau des structures

sous-atomique,

atomique et moléculaire,

des structures qui s'emboîtent

les unes dans les autres,

on trouve

au-delà de la molécule

l'arrangement

qui apparaît ici sous forme

de cubes et qui se répète :

le cristal de chlorure de sodium

a une structure redondante...

cents millions d'années, jusqu'à l'homme, par englo- port à l'autre, ils le sont dans une structure précise.
bements successifs, systèmes régulés et servoméca- Il en va tout autrement pour la fourmi, car elle est
nismes. constituée de multiples niveaux d'organisation, non
Ainsi, une des caractéristiques des systèmes vivants redondants : la structure de chacun de ces niveaux
est leur structure par niveaux d'organisation. Un d'organisation ne peut être calquée sur celle du
cristal de chlorure de sodium, même s'il pèse trois niveau qu'il englobe ou qui l'englobe. Elle est fermée
kilos, est moins complexe que le ciron, minuscule sur elle-même, et son ouverture ne peut résulter que
animal cher à Pascal. Certes, il existe déjà dans ce de son englobement.
cristal des niveaux d'organisation sous-atomique, Sur le plan énergétique, l'organisation caractéristique
atomique, moléculaire, s'emboîtant les uns dans les des organismes vivants, leur néguentropie, se fait aux
autres, mais la complexité s'arrête là. L'ensemble dépens de l'entropie solaire; ce sont des systèmes
moléculaire est « redondant » : que l'on prenne un ouverts à travers lesquels coule l'énergie solaire qu'ils
morceau de ce cristal en un point ou un autre mor- dissipent.
ceau en un autre point, on retrouvera la même struc- L'énergie se présente sous deux formes : l'énergie
ture, les mêmes relations entre le chlore et le sodium. cinétique, qui est celle des molécules animées de mou-
Ces derniers ne sont pas situés au hasard l'un par rap- vements désordonnés, proportionnelle à la tempé-
... alors que la fourmi,
qui possède de multiples
niveaux d'organisation,
présente une structure
beaucoup moins simple :
chez elle, les molécules
se trouvent englobées
dans des organites intracellulaires,
eux-mêmes englobés
dans des cellules associées
à leur tour en organes,
organes qui forment des systèmes
et finalement
un organisme complexe.

rature, nulle au zéro absolu, et l'énergie potentielle, Grâce aux travaux de L u d w i g Boltzmann, James
qui peut être utilisée pour produire de l'énergie ciné- Maxwell et Willard Gibbs, on sait que l'énergie poten-
tique et qui se présente sous des formes variées : de tielle accompagne l'ordre et l'énergie cinétique le
position, électrique, calorique, chimique, lumineuse. désordre, ou encore que l'énergie potentielle est plus
Selon le deuxième principe de la thermodynamique, c h a r g é e d ' i n f o r m a t i o n que l ' é n e r g i e cinétique.
le principe de Carnot, le passage d'une forme d'éner- L'entropie correspond donc à une augmentation du
gie à une autre procède de façon telle que l'énergie désordre, ou perte d'information. L'entropie d'un sys-
capable de produire le travail diminue. Ce deuxième tème isolé ne peut aller qu'en augmentant. La néguen-
principe montre qu'il existe une hiérarchisation de tropie, contraire de l'entropie, se caractérise p a r
l'énergie selon sa capacité d'utilisation pour produire l'apparition d'un ordre croissant, ou augmentation de
du travail; en effet, un système caractérisé par un l'information.
haut niveau s'abaisse jusqu'à une valeur inférieure Cependant, du désordre peut aussi naître l'ordre.
par la transformation de son énergie potentielle en En 1960, j'ai émis l'hypothèse que l'augmentation
énergie cinétique, forme dégradée de l'énergie. C'est d ' e n t r o p i e d ' u n système, que l'on a c o u t u m e de
ce mécanisme de dégradation de l'énergie que l'on concevoir comme un accroissement du désordre,
appelle entropie. intensifie l'énergie cinétique des éléments qu'il
renferme, en particulier atomiques et moléculaires, ce
qui multiplie leurs chances de se rencontrer et donc
de former des structures plus «complexes ». Comme
Stanley Miller lors de ses fameuses expériences, on
peut tenter de soumettre une atmosphère analogue à
celle qui a dû régner sur notre planète il y a trois ou
quatre milliards d'années à une énergie électrique
rappelant celle des éclairs auxquels l'atmosphère pri-
mitive fut exposée. Au lieu de favoriser le désordre,
d'augmenter l'entropie du système, cela provoque la
formation d'acides aminés : l'énergie fournie vient
alors de l'accroissement d'entropie d'une source exté-
rieure au système.
Les structures vivantes sont dites dissipatives, mais
elles constituent également, comme l'a souligné Ilya
Prigogine, des états qui se situent loin de l'équilibre
thermodynamique, c'est-à-dire de l'entropie maxima,
L e s éclairs du désordre, qui ne se réalise que dans la mort.
ont fait leur apparition L'étude de la réaction enzymatique isolée réalisée
dans l'atmosphère terrestre in vitro, qui atteint vite sa position d'équilibre, nous
primitive voici trois a permis de schématiser l'un des aspects du non-
ou quatre milliards d'années. équilibre des structures vivantes, lorsque cet ensemble
Leur colossale énergie, enzymatique est introduit dans une chaîne biocata-
au lieu d ' a u g m e n t e r lytique. Cet aspect énergétique est nécessaire au main-
le désordre moléculaire, tien de l'état de non-équilibre, nécessaire en d'autres
a multiplié les chances termes au maintien de l'information-structure d'un
de rencontre des molécules. organisme. Finalement, la seule raison d'être d'un
C'est probablement ainsi être, c'est d'être, et fournir l'énergie indispensable aux
que des molécules plus complexes fonctions de chaque niveau d'organisation est un
comme les acides aminés autre moyen d'y parvenir. Mais ces fonctions ne servi-
o n t pu être synthétisées. ront encore qu'à maintenir l'information-structure en
Une fois n'est pas coutume, maintenant la cohérence fonctionnelle de l'ensemble
du désordre naissait l'ordre. d'une part et celle de l'ensemble organique par rap-
port à son environnement d'autre part : la motricité
d ' u n organisme dans l'espace où il est situé, p a r
exemple, lui p e r m e t de contrôler au mieux de sa
survie les caractéristiques de son milieu.
Chaque niveau d'organisation, ouvert sur le plan ther-
modynamique, c'est-à-dire sur le plan de l'énergie
qu'il dégrade, est fermé sur le plan de sa structure.
Pour s'ouvrir, il doit être englobé par un nouvel
ensemble, lui-même englobé par un ensemble, et ainsi
de suite. Il y a à cela, semble-t-il, plusieurs raisons. La
première résulte du r a p p o r t entre la surface et le
volume d'un niveau : une cellule, notamment, ne peut
s'agrandir qu'en assimilant des matériaux, puisés
dans son milieu, qui traversent sa surface. Mais celle- tent des systèmes d'évacuation des déchets - pou-
ci ne s'accroît qu'à la manière des carrés, alors que les mons et reins -, des systèmes de mise en réserve des
volumes croissent comme des cubes. Dans ces condi- substrats permettant un gain d'autonomie dans le
tions, tôt ou tard la surface deviendra insuffisante temps et dans l'espace - foie et tissu adipeux - et des
pour l'amplification des volumes. La cellule, qui, pas systèmes aboutissant à l'autonomie motrice dans le
plus que la grenouille, ne peut se faire aussi grosse milieu - système neuromoteur et système de capta-
qu'un bœuf, se trouvera alors dans l'obligation de se tion des informations en provenance du milieu exté-
diviser et de s'associer pour se développer : toute rieur par le système sensoriel. Le système immuni-
l'évolution ontogénique - ou évolution de l'individu, taire lui-même peut être considéré comme un système
depuis la fécondation de l'œuf jusqu'à l'état adulte - sensoriel sensible à des informations ne passant pas
est soumise à ce principe. par les organes des sens habituels, mais liées à l'intro-
Mais la division implique la spécialisation fonction- duction dans l'organisme d'éléments microscopiques
nelle : dans une masse de cellules qui ne seraient pas étrangers. Il est véhiculé par le sang, par le système
fonctionnellement spécialisées, les éléments situés au cardiocirculatoire et par l'ensemble aqueux. C'est dire
centre, n'étant plus en contact avec l'environnement l'importance de ce milieu liquide baptisé « milieu inté-
nourricier, ne pourraient plus maintenir leur struc- rieur» par Claude Bernard, dans lequel baignent
ture, faute d'approvisionnement énergétique suffi- toutes les cellules de l'organisme. Il n'est en fait que
sant. Il faut donc leur porter leurs substrats à domi- l'infime partie de l'Océan primitif que les êtres multi-
cile, si l'on peut dire, et évacuer les déchets de leur cellulaires ont gardée en eux en passant de la vie
activité. Un système cardiovasculaire devient indis- aquatique à la vie aérienne.
pensable, dans lequel chaque cellule présente les Toutefois, pour qu'un ensemble puisse fonctionner
caractéristiques correspondant à sa fonction. S'y ajou- de manière à conserver son information-structure
L a surface d'une cellule

s'accroît comme les carrés

et son volume comme les cubes.

Le processus ne pouvant

se poursuivre indéfiniment,

la cellule finit par se diviser.

Pas plus que la grenouille,

elle ne saurait se faire

aussi grosse que le bœuf.

L a division cellulaire

des organismes multicellulaires

a conduit à une spécialisation

fonctionnelle. Les cellules

les plus éloignées peuvent ainsi

recevoir leurs aliments

et évacuer leurs déchets.

Différents organes et systèmes

apparaissent, comme les systèmes

circulatoire et nerveux,

permettant à chaque élément

de fonctionner pour l'ensemble.

Planche d'anatomie

de L'Encyclopédie (1751-1772),

reprenant

la Nevrographia universalis

de R. Vieussens (1684).

Paris, bibliothèque

des Arts décoratifs.


globale, il lui faut préserver l'information-structure de auront été ignorées, et seul le retour à sa situation
chaque niveau d'organisation. Il fait donc appel à une d'origine révélera que les effets vérifiés sur le niveau
information circulante qui réalise une partie du servo- d'organisation isolé ne sont pas les mêmes que ceux
mécanisme, c'est-à-dire de la commande extérieure à observés lorsqu'il est remis en place, ce qui conduira
chaque niveau d'organisation. peu à peu à découvrir les facteurs manquants. Il est
Tout spécialiste en biologie, en isolant le niveau finalement plus important, pour comprendre la dyna-
d'organisation sur lequel il travaille, coupe cette mique des structures vivantes, de se préoccuper des
commande extérieure au système. Le biochimiste étu- relations existant entre chaque niveau d'organisation
die une réaction enzymatique in vitro, ou l'activité que de se limiter à la structure d'un de ces niveaux,
d'un organite intracellulaire isolé, des mitochondries bien qu'il soit indispensable de connaître celle-ci.
par exemple, ou une cellule isolée en culture, ou une On a parfois comparé à des poupées russes les
coupe de tissu. Le physiologiste examine un organe niveaux d'organisation dans les organismes vivants.
isolé, ou un système, voire l'activité globale d ' u n C'est la raison pour laquelle Alain Resnais a montré à
organisme dans le cadre d ' u n laboratoire. L'étholo- plusieurs reprises, dans son film intitulé Mon oncle
giste observe le comportement chez l'animal ou chez d'Amérique, des poupées russes non emboîtées les
l'homme, tandis que le psychologue s'attache à son unes dans les autres. Chacune demeure poupée russe,
expression langagière. Le sociologue s'intéresse aux mais déboîtée. Ce même procédé appliqué à un orga-
groupes sociaux, l'économiste à leur activité produc- nisme vivant, du plus simple au plus complexe, le
trice, et le politique essaie de gérer et de contrôler transforme en cadavre. Cependant, on peut faire sur-
l'activité de masses humaines plus ou moins impor- vivre chacun des niveaux d'organisation - intracellu-
tantes. Chacun d'eux - et ce ne sont encore là que laire, cellulaire, d'organes ou de systèmes, pour ne
quelques types de réduction - ignore à peu près tout
de ce que les autres ont pu retirer de l ' é t u d e d u
niveau d'organisation auquel ils se sont consacrés.
Mais dans ces systèmes hypercomplexes, les facteurs
qui interviennent sont si nombreux qu'on est obligé A v e c ses surfaces et reliés par un réseau

d'isoler un niveau d'organisation pour l'examiner cor- et ses volumes s'imbriquant de relations p e r m e t t a n t

rectement en ne faisant varier qu'un seul facteur à la les uns dans les autres, des échanges permanents

fois et en observant ce que cette variation produit sur ce tableau de Frank Kupka entre tous ces niveaux.

la valeur de l'effet. C'est l'un des intérêts du réduc- symbolise la complexité Frank Kupka (1871-1957),

tionnisme. Mais il ne faut surtout pas croire pour des structures vivantes, Les Superficies diagonales

autant qu'une fois replacé en situation dans le sys- formées de multiples niveaux e t verticales, 1913.

tème, ce niveau d'organisation va continuer à se com- d'organisation emboîtés Prague, Galerie nationale.

porter de la même façon. De nombreuses variables


citer qu'eux - en les plaçant dans des milieux de comme il dépend lui-même de ceux qu'il englobe.
survie appropriés. Ce qu'on supprime ainsi, c'est la Cela est valable p o u r les particules élémentaires
commande extérieure à chaque niveau d'organisation comme pour les individus en situation sociale, sans
qui lui parvient de ceux qui l'englobent - toutes ces oublier les bases biologiques de leur comportement
commandes extérieures qui lui permettent de survivre dans une société planétaire, au sein d'une biosphère
en tant que tout organisé. que peuplent toutes les espèces, depuis les végétaux
La spécialisation au sein des disciplines biologiques jusqu'à l'homme.
et médicales a longtemps retardé et gêne parfois La cohérence fonctionnelle entre les structures - avec

encore l'établissement de modèles d'intégration de un petit s - abstraites des ensembles et successivement


nombreux niveaux d'organisation. L'expert, reconnu englobées paraît néanmoins limiter ce relativisme
tel sur concours par ce qu'il est convenu d'appeler ses apparent. Elle ne fournit pas une étiquette de réalité à
« pairs », satisfait dans son narcissisme, a généralement la structure d u niveau d ' o r g a n i s a t i o n a u q u e l on
tendance à considérer que sa discipline peut répondre s'arrête, mais au moins un caractère d'efficacité tem-
à tous les problèmes posés. Une première difficulté poraire. Chaque niveau englobant asservit les niveaux
dans l'approche systémique du vivant va donc être de englobés et diminue leur degré de liberté. De ce fait, la
pratiquer une transdisciplinarité que l'on a trop sou- cohérence accroît la crédibilité des sous-structures qui
vent tendance à croire réalisée par la réunion autour ont été abstraites, mais exige une approche inter-
de la même table de spécialistes différents : comme ils disciplinaire des événements observés et la mise en
ne parlent pas le même langage, ils se trouvent en fait évidence des relations existant entre les différents

dans l'incapacité de dialoguer. niveaux d'organisation. Ainsi, bien des erreurs psy-
Cette interdisciplinarité ne concerne pourtant pas les chologiques, sociologiques, économiques et politiques
techniques qui, de plus en plus sophistiquées, deman- pourraient être évitées si on traitait les problèmes
d e n t p o u r u n e m ê m e d i s c i p l i n e de n o m b r e u s e s dans leur ensemble.

années d'apprentissage et des recyclages fréquents.


Elle s'applique aux langages et aux concepts, chaque L'INFORMATION CIRCULANTE
individu d'un groupe devant être à même d'échanger

rJJ
des informations avec d'autres. En résumé, nous eux systèmes concourent plus particulièrement
avons davantage besoin de polyconceptualistes que à la circulation de l'information dans un orga-
de polytechniciens. nisme, lui permettant de fonctionner comme un tout
Dans les p r o c e s s u s d u v i v a n t , la q u e s t i o n se au sein de son environnement : ce sont les systèmes
complique du fait que ce qu'il est convenu d'appeler endocrinien et nerveux.

l'objectivité n'est souvent envisagée qu'à un seul Le système endocrinien sécrète des hormones, autre-
niveau d'organisation. Or chacun des niveaux d'orga- fois appelées messagères chimiques, ce qui montre
nisation est dépendant des niveaux qui l'englobent, bien leur rôle de transport d'informations. Avant de
Chaque glande endocrine

est spécialisée dans la sécrétion

d'une hormone, messagère

chimique qui véhicule

l'information entre les organes.

Pour pouvoir transmettre

cette information,

l'hormone doit trouver

sur l'organe cible

une molécule complémentaire,

le récepteur.

Cette photo révèle

une hormone, la progestérone,

en jaune, et son récepteur,

l'utéroglobuline.

circuler, une information doit être émise : ce sont les aussi à influencer le génome. Celui-ci va, à son tour,
glandes endocrines qui se chargent de cette émission, orienter la synthèse de protéines qui transformeront
chacune d'elles étant spécialisée dans la sécrétion la structure même de tout élément cellulaire.
d'une hormone. Un message est caractérisé par un Le système endocrinien se trouve sous le contrôle des
signifiant, la forme concrète de son support, qui est variations physico-chimiques du milieu intérieur,
dans ce cas la structure moléculaire spécifique de mais surtout sous celui du système nerveux, alors que
l'hormone. Pour être compris, le message doit être des rétroactions multiples interviennent pour trans-
décodé par les cellules de l'organe cible auquel il former partiellement l'activité de ce dernier sous
s'adresse pour en transformer l'activité fonctionnelle. l'action des concentrations hormonales. Quant à
Les membranes de ces cellules sont donc équipées de l'action desdites concentrations hormonales, elle est
récepteurs, c'est-à-dire de molécules protéiques dont la fonction des densités variables des récepteurs dans
structure correspond spécifiquement à une hormone certaines aires du système nerveux central.
considérée. La liaison de la molécule hormonale avec Entre systèmes nerveux et endocrinien, les ressem-
son récepteur va mettre en jeu un système complexe blances fonctionnelles sont grandes. Le système ner-
de transduction du signal qu'elle véhicule, qui est non veux, constitué de cellules particulières, les neurones,
seulement à l'origine de modifications multiples dans agit aussi en libérant des substances chimiques, les
l'activité métabolique de la cellule, mais qui parvient médiateurs chimiques de l'influx nerveux. On les
sécrétrices sont dispersées dans l'organisme. Les
sécrétions de l'hypophyse dépendent elles-mêmes
d'une région primitive du système nerveux central,
l'hypothalamus. Ce dernier sécrète des releasing hor-
mones - hormones libératrices - commandant la libé-

ration par l'hypophyse de certaines de ses hormones


spécifiques, et il constitue la commande extérieure
L hypophyse lui-même sous la dépendance - ou servomécanisme - du système endocrinien.
- en blanc sur cette photo -, du fonctionnement Prenons par exemple la sécrétion des glucocorticoïdes
que l'on surnomme de l'ensemble du cerveau. - comme le cortisol - par des glandes périphériques,
le chef d'orchestre du système Quant au cerveau, il répond les surrénales. Cette sécrétion est déclenchée par la
endocrinien, provoque une cascade à des structures externes, liées corticotrophine (ACTH), hormone hypophysaire dont
de sécrétions hormonales. à l'environnement, et internes, l'émission est elle-même provoquée par la libération
Cependant elle se trouve liées à l'équilibre métabolique. de corticotropin releasing hormone (CRH) par l'hypo-
sous la dépendance Nous sommes donc là thalamus. Or, on sait que les glucocorticoïdes inhibent
d'une région du cerveau en présence d'un bel exemple la sécrétion d'ACTH par l'hypophyse et de CRH par
située au-dessus d'elle, de chaîne de régulations l'hypothalamus, et donc leur propre sécrétion. Il s'agit
l'hypothalamus, et de servomécanismes. là d'une superbe régulation en constance par rétro-
action négative. A quoi peut bien servir un système
aussi bien régulé si ce n'est à maintenir constant le
appelle neurohormones. Elles doivent trouver sur le taux de cortisol sanguin ?
« site » cellulaire sur lequel elles agissent des récep- Alors comment se fait-il que chez les déprimés, ou
teurs spécialisés capables de reconnaître leur forme plus généralement chez les individus en «inhibition
moléculaire et de servir d'intermédiaire dans la trans- de l'action », le taux de glucocorticoïdes plasmatiques
duction intraneuronale de l'information, autrement soit très élevé et que l'hypophyse ne réponde plus à la
dit la propagation de l'information à l'intérieur du rétroaction négative qu'ils provoquent? C'est que
neurone. De même qu'il existe une mémoire immuni- l'hypothalamus est lui-même dépendant des diffé-
taire, puisque le système se souvient des agressions rents « étages » du cerveau situés au-dessus de lui :
microbiennes, il existe une mémoire nerveuse. apparaît ainsi un autre servomécanisme, une nouvelle
Beaucoup des activités des glandes endocrines sont commande extérieure au système endocrinien. Finale-
orchestrées par une glande située à la base du cer- ment le cerveau est lui-même englobé par le milieu
veau, l'hypophyse. Celle-ci sécrète différentes hor- extérieur qui constitue à son t o u r la c o m m a n d e
mones, qui déclenchent à leur tour l'activité spéci- extérieure au système, la commande d'un nouveau
fique d ' h o r m o n e s particulières d o n t les glandes servomécanisme.
C e t t e vue postérieure

du cerveau et des segments

cervicaux dorsaux

de la moelle épinière,

gravée au xixe siècle (à gauche),

t o u t comme cette coupe

horizontale du cerveau

obtenue par résonance

magnétique nucléaire (à droite)

montrent l'activité

d'un cerveau humain normal.

Le cerveau intègre l'état

de bien-être ou de mal-être

de l'ensemble cellulaire STRUCTURE GÉNÉRALE


que constitue l'organisme,

tandis que les organes des sens DU SYSTÈME NERVEUX


le renseignent

sur l'environnement.

Il est alors capable, à partir out organisme évolué utilise son cerveau

T pour être en mesure d'agir et de contrôler


de ces deux sources d'information,

l'interne fondamentale son environnement. Cependant le cerveau


et l'externe, d'agir sur ce même ne répond pas pour autant principalement aux stimuli
environnement de façon - c'est-à-dire aux variations d'énergie lumineuse,
à en maintenir les caractéristiques sonore, mécanique, chimique, etc. - de l'environne-
physicochimiques ment : son rôle premier consiste à intégrer l'état de
favorables à son bien-être. plaisir, disons de «bien-être », de la société cellulaire à
Gravure réalisée laquelle il appartient, autrement dit l'organisme. Cer-
. pour l'ouvrage d'anatomie tains groupes de neurones dans le cerveau ancien et
Bourgery-Jacob en 1866. dans l'hypothalamus sont en effet sensibles à toutes
Paris, bibliothèque de l'ancienne les variations de l'équilibre physico-chimique du
faculté de médecine. milieu intérieur, qui représentent la source d'informa-
tion principale du cerveau. Mais pour contrôler l'envi-
ronnement de façon à maintenir l'information-struc- fait alors appel à la mise en jeu de formations ner-
ture de l'organisme à tous ses niveaux d'organisation, veuses nouvelles, réunies sous le terme de système
encore faut-il pouvoir percevoir ce qui s'y passe : c'est limbique. Ce sera ensuite au cortex cérébral associatif
le rôle des différents systèmes sensoriels. Le cerveau, d'entrer en action. En effet, les stimuli survenant dans
qui est ainsi à même d'intégrer les deux sources l'environnement et donnant naissance aux influx ner-
d'information, dont l'interne prédomine, peut aussitôt veux sensoriels vont suivre des canaux différents dans
m o b i l i s e r l'activité m u s c u l a i r e à l ' a i d e d ' i n f l u x le système nerveux central et aboutir à des régions
moteurs afin d'agir sur le milieu en vue du maintien corticales différentes. Ils vont alors être collectionnés
ou du rétablissement de son non-équilibre structural. en pièces détachées, si l'on peut dire, et c'est grâce aux
Suivant le niveau auquel un individu est parvenu systèmes associatifs corticaux réunissant ces aires
dans l'échelle des espèces, son cerveau répond soit de cérébrales que la notion d'objet pourra se constituer :
manière stéréotypée par sa structure primitive - son on comprend dès lors que cette notion n'a rien d'inné,
cerveau ancien -, soit en tenant compte des expé- mais qu'elle est bel et bien acquise.
riences passées grâce aux processus de la mémoire, Pour l'animal comme pour l'homme, le premier objet
comme c'est le cas pour les mammifères. La mémoire à construire est l'individu lui-même. L'élaboration du
il évolue et comment, après les avoir analysées, il agit
sur ce milieu. Ces trois cerveaux sont le résultat de

l'évolution des espèces.


Pour le nouveau-né, Certaines des connaissances actuelles sur le système
le premier objet à construire, nerveux sont très récentes. La biochimie du système
c'est lui-même nerveux central en particulier date des années cin-
en tant qu'individu, quante. C'est dire que l'on commence seulement à
dans l'élaboration de ce que avoir une vision synthétique des différents niveaux
l'on appelle le schéma corporel. d'organisation - moléculaire, métabolique, cellulaire
Au cours de cette période et fonctionnel - des grandes aires ou voies nerveuses ;
dite de l'empreinte, le cerveau, en d'autres termes, à mettre en place les commandes
encore immature, des servomécanismes et à comprendre les systèmes de
crée de nouvelles synapses régulation. Or cet ensemble dynamique débouche sur
et en fait disparaître d'autres, des comportements qui se réalisent dans un milieu
devenues inutiles, en fonction donné. Au niveau d'organisation de l'individu, le sti-
des stimuli qui ont parcouru mulus vient du milieu physique et socioculturel et la
son système nerveux. réponse consiste en une action sur ce milieu quand
elle est possible. Mais la motivation est toujours la
recherche de l'équilibre interne, autrement dit du
schéma corporel demande quelques semaines à maintien de la structure.

quelques mois chez l'animal, deux à trois ans chez Il faut bien comprendre que les comportements, dont
l'homme. Cette élaboration précoce est indélébile, l'approche est le but essentiel de cet ouvrage, n'exis-
d'où l'importance du rôle de l'environnement au tent que par l'activité des niveaux d'organisation
cours des premiers mois pour l'animal, des premières sous-jacents qui, de la molécule aux gènes puis aux
années pour l'homme. A ce stade, le cerveau est processus biochimiques et neurophysiologiques, leur
encore plastique et immature. C'est la période dite de permettent de s'exprimer.
l'empreinte, durant laquelle d'innombrables synapses
font leur apparition, en fonction du nombre et de la LES NEURONES
variété des stimuli, tandis que d'autres, inutilisées,

L
disparaissent. e système nerveux est constitué d ' é l é m e n t s
Les trois niveaux d'organisation du système nerveux cellulaires appelés neurones. Ceux-ci présentent
- le système primitif, le système limbique et le sys- un corps, ou soma, et des prolongements générale-
tème associatif ou néocortex - révèlent comment un ment parcourus par l'influx, soit de la périphérie vers
individu reçoit les informations du milieu dans lequel le soma - et ce sont alors des dendrites -, soit du soma
vers la périphérie - ce sont des axones. Dans le pre-
mier cas, l'influx possède une orientation cellulipète,
dans le second une orientation cellulifuge. Pour pas-
ser d'un neurone à un autre, l'influx doit franchir une
synapse, c'est-à-dire le point de contact entre deux
neurones. La surface postsynaptique met en présence
la terminaison d'un axone renflée en bouton, dite ter-
minaison présynaptique, et la surface de contact du
neurone suivant. Le point de rencontre peut se situer
au niveau d'une dendrite, on parle alors de synapse
axodendritique, ou du corps même du neurone, et il
s'agit dans ce cas d'une synapse axosomatique.
L'influx est à même de franchir la synapse grâce à la
libération p a r la terminaison présynaptique d ' u n
médiateur chimique de l'influx nerveux. Synthétisé C e schéma d'une cellule

par le neurone et libéré par l'arrivée de l'influx dans nerveuse, ou neurone,

l'espace synaptique, ce médiateur agit pour exciter ou fait apparaître, en haut à droite,

inhiber, suivant sa nature chimique, le neurone sui- le soma neuronal,

vant. Il n'est pas sûr que toutes les substances aux- ou corps de la cellule,

quelles on accorde la qualité de médiateurs chimiques d'où s'échappent

de l'influx nerveux agissent comme tels. Il est possible de nombreuses dendrites

que beaucoup d'entre elles ne soient que des modula- et un seul axone,

teurs de l'activité métabolique des neurones, autre- lequel se dirige vers la partie

ment dit des modulateurs de l'intensité avec laquelle gauche du dessin, en bas.

travaillent ces usines microscopiques que sont les On a ouvert la gaine

neurones, réglant ainsi leur excitabilité, et le seuil de de myéline qui l'entourait.

l'amplitude de leur réponse aux stimuli de l'environ- Les filaments colorés en rose

nement. Les nerfs qui libèrent de l'acétylcholine sont des dendrites

constituent le système parasympathique ou choliner- de neurones voisins

gique. Ceux qui libèrent de l'adrénaline, de la nora- qui font synapse

drénaline ou de la dopamine constituent le système - petites taches roses -

adrénosympathique ou catécholaminergique. avec le soma et les dendrites

Nous connaissons aujourd'hui beaucoup d'éléments du neurone.

du processus de synthèse, par les neurones, de ces


neuromédiateurs chimiques de l'influx nerveux : la
façon dont ils sont stockés et libérés, les mécanismes
de leur action biochimique et ceux assurant leur des-
truction ou leur recaptation dans l'extrémité neuro-
nale. Nous pouvons souvent agir sur chacun de ces
processus pour le faciliter ou l'empêcher. En résumé,
nous sommes déjà capables, grâce à la neuropsycho-
O n peut ici observer, pharmacologie, d'influencer de façon assez précise le
grâce au microscope électronique, fonctionnement global du système nerveux ou cer-
des synapses p r e n a n t contact taines de ses fonctions spécifiques, et en conséquence
avec un corps cellulaire. de t r a n s f o r m e r le psychisme h u m a i n normal ou
Au niveau de ces synapses pathologique et les comportements.
est libéré un médiateur chimique Le système nerveux agit sur les organes pour contrô-
qui provoque le fonctionnement ler leur f o n c t i o n n e m e n t et s u r les m u s c l e s des
de l'organe innervé. membres ou sur ceux des vaisseaux et de l'intestin en

libérant certains des neuromédiateurs chimiques de


l'influx nerveux. Il règle également le fonctionnement
de l'ensemble du système endocrinien par la libéra-
tion d'hormones hypothalamiques, influençant de
cette manière le fonctionnement de l'hypophyse, tour
de contrôle des activités endocriniennes. On com-
prend alors combien la connaissance récente de la bio-
chimie du système nerveux a pu revêtir d'importance
en thérapeutique, et peut-être plus encore pour la
compréhension des comportements.
Cependant chacun des neuromédiateurs de l'influx
nerveux semble posséder plusieurs types de récep-
teurs, qui servent d'intermédiaires entre l'action
membranaire et l'action métabolique et fonctionnelle
de ces neuromédiateurs. Le neuromédiateur est le
premier de deux messagers : en agissant sur des
récepteurs, il déclenche l'action dans le neurone d'un
second messager qui est responsable, à la suite de pro-
cessus biochimiques complexes, de variations d'acti-
vités métaboliques ou d'une activité sur le génome.
De plus, tout neurone semble être équipé de récep-
teurs postsynaptiques, les premiers connus, auxquels
se lie le neuromodulateur pour entamer son action sur
le neurone postsynaptique. Tout neurone possède
également des autorécepteurs sensibles au même
neuromédiateur, mais capables d'en contrôler, par
rétroaction négative, la synthèse et la libération synap- Ci-dessus, les synapses

tique. Pour ces deux types de récepteurs, les antago- ont lieu entre un neurone moteur

nistes et les agonistes ne sont pas toujours les mêmes, et les cellules d'un muscle.

et les autorécepteurs paraissent beaucoup plus sen- De tels neurones provoquent

sibles au neuromédiateur que les récepteurs post- la contraction du muscle

synaptiques. Ces notions laissent imaginer la difficulté ou l'inhibition

d'interpréter toute activité pharmacologique. de cette contraction

On a pu constater une certaine plasticité des neuro- selon le neuromédiateur libéré.

transmetteurs au sein des neurones : au cours de son


Vision peu commune

du corps du neurone, ou soma,

et de ses nombreux prolongements,

axone et dendrites,

cette coupe montre notamment

les boutons synaptiques

- en particulier en haut à gauche.

On distingue également

des organites intracellulaires

à l'intérieur du corps neuronal :

noyaux, mitochondries

et réticulum endoplasmique,

ainsi que les microfilaments

et microtubules qui permettent

le transport de molécules

le long du neurone :

ils figurent en rouge

à l'intérieur des dendrites,

sur la partie droite du dessin.


L e s neurones, placés

les uns derrière les autres,

entrent en contact

les uns avec les autres

grâce aux synapses

et réalisent des voies nerveuses

fort complexes.

Celles-ci permettent

à l'influx nerveux de se déplacer

de la périphérie sensible

vers les centres nerveux

et inversement, et aux connexions

entre les différentes

aires cérébrales de s'établir.


développement et à maturité, un neurone peut chan- cessus biochimiques fournissent l'énergie chimique
ger de neurotransmetteurs. La transplantation de tissu nécessaire pour faire parcourir aux ions le chemin
cérébral embryonnaire a également mis en évidence la inverse, assurant ainsi la repolarisation. On recher-
plasticité synaptique au cours du développement et chera les conséquences de l'électrogenèse, cette pro-
même à l'âge adulte. L'apport de l'immunologie à duction de courant électrique par les neurones, sur les
l'étude de la biologie nerveuse a été considérable. Il activités exprimées par les comportements, éveil ou
en a été de même des techniques histochimiques et sommeil par exemple.
neuroanatonomiques.
Enfin, il est important de souligner le fait que les cel- IL ÉTAIT UNE FOIS LES REPTILES
lules entourant le neurone et le séparant des vaisseaux
sanguins, appelées cellules gliales ou névroglies, long- hez les êtres les plus simples - à savoir les rep-
temps considérées comme un simple tissu de soutien, c tiles - a p p a r a î t un système nerveux central,
jouent en réalité un rôle fondamental en neurophysio- appelé système nerveux primitif. Réduit au minimum,
logie. Les actions pharmacologiques influant sur leur il p e r m e t à l'organisme de capter au moyen des
métabolisme sont capables d'influencer le fonctionne- organes des sens les modifications survenues entre
ment d'ensemble du système nerveux central. son environnement et lui-même, et de réagir de façon
On sait désormais que l'influx nerveux résulte de la à maintenir sa structure. Il maintient l'équilibre du
propagation d'une dépolarisation de la membrane du milieu intérieur. Il y a donc un lien réciproque entre
neurone. La polarisation de cette membrane résulte, organisme et environnement, même si les sensibilités
elle, des différences de concentration des ions - en sensorielles varient d'une espèce à une autre : ainsi les
particulier sodium, potassium, calcium - de chaque dauphins sont-ils sensibles aux ultrasons, alors que les
côté de celle-ci. D'où une différence de potentiel entre hommes ne les perçoivent pas.
sa face interne, chargée négativement, et sa face Le système nerveux primitif achemine ces informa-
externe, chargée positivement. Un stimulus méca- tions sensorielles vers des centres s u p é r i e u r s où
nique, chimique ou électrique ayant provoqué l'entrée confluent des informations internes. Puis il agit sur
dans la cellule de certains ions externes et la sortie l'environnement lorsque se manifestent des signaux
d'ions internes, les potentiels - négatif à l'intérieur et internes résumant l'état d'équilibre ou de déséquilibre
positif à l'extérieur - s'inversent, ce qui entraîne la dans lequel se trouve l'ensemble de l'organisme.
dépolarisation. On peut globalement enregistrer ces Quand, par exemple, le dernier repas remonte à plu-
variations de potentiels à la surface du crâne par sieurs heures, les déséquilibres biologiques qui en
électroencéphalogramme ou encore par stéréotaxie, découlent constituent les signaux internes - stimulant
c'est-à-dire à l'aide d'électrodes implantées dans cer- certaines régions latérales de l'hypothalamus - qui
taines aires spécifiques du cerveau, ou même à l'aide vont provoquer un comportement de recherche de
de microélectrodes sur un neurone isolé. Les pro- nourriture. Les organes des sens mis en éveil signalent
Chez les animaux les plus simples, alors la présence de toute proie dans les environs, et
comme les reptiles, apparaît déclenchent le comportement de prédation. Si l'action
un système nerveux primitif qui s'ensuit est c o u r o n n é e de succès, l'équilibre
qui sera conservé par la suite interne est rétabli, ce qui entraîne la stimulation d'un
dans l'échelle des espèces, autre groupe de cellules de la même région hypotha-
des plus simples lamique et permet le retour du comportement de
aux plus performantes. satiété.
Que l'on se représente une boucle Ces comportements sont parmi les plus simples. Or,
partant de l'environnement du point de vue biochimique et neurophysiologique,
pour y revenir, en vue ils sont déjà très complexes. On peut les qualifier
d'en contrôler les caractéristiques : d'instinctifs, et leur ajouter la danse nuptiale précé-
c'est en effet le système nerveux dant l'accouplement, la préparation du gîte, l'éduca-
primitif qui permet de ressentir tion de la progéniture. Nécessaires aussi bien à la
les variations survenant survie de l'individu qu'à celle de l'espèce, ils répon-
dans l'environnement dent à des besoins fondamentaux et obéissent à des
et d'y réagir de façon à maintenir programmes qui résultent de la structure même du
la structure de l'organisme. système nerveux, c'est-à-dire des fonctions de l'hypo-
thalamus et du tronc cérébral. Ce sont des compor-
tements stéréotypés qui ne tiennent aucun compte de
l'expérience, car la mémoire de ce système nerveux
simplifié est une mémoire à court terme, ne dépassant
pas quelques heures. Ce n'est que de façon primitive
que l'individu, par une action motrice sur son envi-
ronnement, peut satisfaire à la recherche de son équi-
libre biologique. Pour certains, cet équilibre s'appa-
rente au plaisir, au bien-être. En réalité, il s'agit de
conserver l'information-structure.

PUIS VINRENT LES MAMMIFÈRES

L
'évolution des espèces fera naître un compor-
tement de plus en plus complexe correspondant
à une organisation nerveuse de plus en plus complexe
également. Apparaissent alors chez les mammifères
des fonctions nouvelles, liées cette fois au système lim- un faisceau de la punition, le periventricular system
bique. C'est à ce niveau qu'interviennent la mémoire à (PVS). Ces deux faisceaux, qui réunissent les régions
long terme et l'affectivité. Le système limbique est plus hypothalamique, limbique et, chez l'animal supérieur,
communément appelé «cerveau de l'affectivité ». Or corticale, ont un rôle capital, puisqu'ils donnent à
sans mémoire, pas d'affectivité : telle situation ne sau- l'ensemble cérébral les moyens d'assouvir les pulsions
rait être jugée agréable ou désagréable sans avoir été instinctives et d'éviter les expériences désagréables
éprouvée antérieurement, et mémorisée afin q u ' u n ou dangereuses. L'expérience suivante le montre.
affect - ou résurgence de la sensation d'une expérience On introduit dans le MFB d'un rat une électrode qui
p r é c é d e n t e - puisse émerger. C'est l'expérience peut être activée par un levier. Appuyer sur ce levier
agréable qui aura primitivement permis le retour ou le provoque la fermeture d'un circuit présentant une
maintien de l'équilibre biologique. L'expérience désa- source d'énergie électrique de faible intensité. Une
gréable, elle, compromet cet équilibre, et par consé- première fois, l'animal appuie fortuitement sur le
quent la survie, le maintien de la structure. levier, ce qui a pour effet de déclencher une stimula-
La mémoire à long terme s'avère donc un élément tion du MFB. On remarque alors que, très vite, négli-
déterminant dans la répétition de l'expérience agréable geant toute nourriture, le rat passe son temps à activer
et dans la fuite ou l'évitement de l'expérience désa- inlassablement la manette bienfaisante. En revanche,
gréable. D'où l'apparition des réflexes conditionnés : lorsqu'on active le PVS, l'animal, s'il se trouve dans
l'association entre le signal signifiant d'un événement l'impossibilité de fuir, devient aussitôt agressif, sous
donné, le temps et l'espace est en effet un produit de le coup de la douleur.
la mémoire. Ainsi, un chien à qui l'on présente chaque A un autre niveau d'organisation, on pourrait en
jour à l'heure du repas sa nourriture en accompagnant déduire qu'il n'y a pas de « méchants », mais seulement
ce geste d'un tintement de clochette ne tardera pas à des « souffrants », comme l'a écrit le poète français
saliver au seul son de la clochette, avant même de voir Fernand Gregh. Rien n'empêche en effet de penser qu'il
arriver la nourriture. n'existe pas d'être vivant agressif de façon innée. Un
chien ne se montrera ainsi méchant qu'attaché - donc
RÉCOMPENSE ET PUNITION en inhibition de l'action - ou entraîné à se montrer
agressif par son maître : l'agressivité est bien un com-
o u s s a n t plus avant les recherches, Olds et portement appris, apprentissage de la douleur sous
p Milner, en 1954, ont mis en évidence dans le toutes ses formes. Douleur physique d'abord, douleur
cerveau un «faisceau de la récompense », le medial dite psychique pour l'homme : en réalité, comme pour
forebrain bundle (MFB), qu'on peut également appeler l'animal, douleur par inhibition de l'action.
faisceau de la récompense du renforcement, le renfor- Tous les types de frustrations entrent dans ce cadre et
cement étant la répétition de l'action gratifiante pour les réponses à celles-ci peuvent se faire soit par le biais
en consolider les traces nerveuses. Il existe également d'un acte moteur, soit par le langage.
DE L'ANIMAL À L'HOMME . mouvements, et des aires associatives qui tentent de
réunir les différentes afférences pour obtenir une

A
u système nerveux primitif et à sa mémoire image du monde intérieur et extérieur avec formation
à court terme, au système limbique dont les d'une représentation de l'objet dans les structures
possibilités de mémoire à long terme engendrent mentales : c'est ce que l'on appelle la proprioception,
l'affectivité, est venu s'ajouter le système associatif, ou façon de percevoir son propre corps dans l'espace.
représenté par le cortex ; celui-ci possède des aires L'homme se différencie des autres animaux par son
sensorielles, des aires motrices qui commandent les lobe orbito-frontal, son front droit : derrière celui-ci se
L apprentissage

de la récompense met en jeu

le faisceau de la récompense,

structure du système nerveux

qui amène le sujet à répéter

l'action gratifiante pour

en consolider les traces nerveuses.

Dans ce tableau,

la récompense est attribuée

pour le respect accordé

à l'instance qui la distribue

et l'observance

du conformisme artistique.

N. Truit, Distribution de prix

de l'Académie de dessin

et de peinture.

Dunkerque,

musée des Beaux-Arts.


cachent des milliards de neurones, regroupés en aires cérébrales et constitue ce que l'on appelle le système
associatives grâce auxquelles les différents éléments inhibiteur de l'action (SIA).
mémorisés sont mis en relation et se trouvent ainsi L'organisme détecte tout changement survenu dans
associés dans notre mémoire à long terme. L'action son environnement, qu'il soit provoqué par l'individu
sur l'environnement montre par expérience qu'ils se dans le but d'activer son système de récompense, ou
trouvent associés dans un certain ordre, celui de la subi à cause d'une douleur ayant activé son système
structure sensible d ' u n objet. Or, chez l'homme, ces de punition. A ce premier niveau, deux directions
structures associées sont suffisamment nombreuses et sont possible. Suivant la première, les voies senso-
p u i s s a n t e s p o u r que les é l é m e n t s m é m o r i s é s se rielles, après avoir décelé les changements survenus
retrouvent combinés d'une façon différente de celle dans l ' e n v i r o n n e m e n t , en avertissent les centres
qui avait été imposée par l'expérience du milieu. Le sensori-moteurs, qui réagissent en faisant fonctionner
cerveau peut alors créer des structures imaginaires. l'appareil moteur. Cette première boucle (voies sen-
Un nouveau-né, pourtant, ne peut rien imaginer pour sorielles/centres sensori-moteurs/ action de l'orga-
la simple raison qu'il n'a encore rien mémorisé. Ce qui nisme sur le milieu) est très archaïque ; elle représente
signifie que plus le matériel enregistré est grand, plus les réflexes que l'on possède à la naissance. Suivant la
l'imagination se développe, pour autant que ce maté- seconde direction, ces voies sensorielles passent par
riel ne reste pas prisonnier d'automatismes acquis. On l'hypothalamus, qui renseigne sur l'homéostasie - ou
prend de la distance par rapport aux objets grâce aux stabilisation, chez les organismes vivants, des diffé-
langages, qui permettent de passer de l'expérience rentes constantes physiologiques.
au concept, et on manipule les abstractions à l'infini Claude Bernard, qui connaissait l'importance du milieu
grâce aux systèmes associatifs. intérieur, a signalé que la «constance des conditions
de vie dans le milieu intérieur est la condition néces-
A LA RECHERCHE DE L'ÉQUILIBRE saire à notre vie libre et indépendante ». Constance,
autrement dit, des caractéristiques physico-chimiques

L
es nombreuses expériences effectuées en labora- de ce milieu; constance de ses concentrations en
'toire sur des rats ont mis en évidence le fait que eau, en sels minéraux, en substrats, en hormones,
l'excitation ou au contraire l'inhibition du comporte- etc.

ment de lutte ou de fuite provoquent en eux de nom- C'est cette constance que Walter Bradford Cannon
breuses perturbations pathologiques. Ces actions de a appelée homéostasie. On peut ajouter que l'homéo-
lutte ou de fuite sont guidées par la mémoire des stasie coïncide avec un état de bien-être, avec le prin-
choses gratifiantes - lutte pour les conserver - ou cipe de plaisir, suivant la terminologie freudienne.
nociceptives - fuite pour leur échapper. S'il ne peut ni Toute variation du milieu intérieur, perturbant sa
fuir ni agir, l'animal se retrouve en inhibition de constance, va stimuler certains neurones de la région
l'action, comportement qui dépend de certaines aires hypothalamique et avertir le cerveau de l'existence de
A
É t a n t donné la quantité

phénoménale de possibilités

d'associations entre les éléments

du cortex, les fonctions

du cerveau humain connaissent

une véritable révolution

en comparaison

de ce qu'elles étaient capables

d'effectuer chez l'animal.

On voit en particulier émerger

la possibilité de jongler

véritablement avec l'ensemble

des éléments mémorisés,

de les associer de façon nouvelle

et originale par rapport

à ce qu'autorisent les contraintes

du milieu extérieur.

C'est ainsi que le cerveau

de l'homme peut créer

des structures imaginaires,

tel cet « homme-champignon ».

Pierre Lacombe (né en 1931),

Le Champignon du voyage.

Paris, collection Michèle Boulet.


cette perturbation. Le cerveau va alors engager une reproduit aussi souvent que possible; de la même
action, soit interne, soit externe, pour remédier à la façon, le fait de ne pas parvenir à l'homéostasie pro-
perturbation. voque un état de déplaisir qui, lui, met en jeu le fais-
Parvenir à l'homéostasie provoque un état de plaisir ceau de la p u n i t i o n (PVS) et qui sera également
qui met en jeu le faisceau de la récompense (MFB) et mémorisé grâce au système limbique. Il sera doréna-
qui sera mémorisé grâce au système limbique et vant évité dans la mesure du possible.
C e s femmes au bain éprouvent est parvenu à atteindre : elles dorénavant à reproduire Jean Auguste Ingres (1780-1867),

un bien-être certain, dû à l'état n'ont ni soif, ni faim, ni trop chaud, cet é t a t de plaisir mémorisé Le Bain turc, 1862.

d'homéostasie que leur corps ni trop froid, e t chercheront par leur système limbique. Paris, musée du Louvre.
D'après : Le cerveau - Pour la Science - Belin 1981
Le cortex peut donc agir à la fois sur le faisceau de la
récompense et sur celui de la punition, et provoquer
une réaction en cascade de façon à commander une
action sur le milieu environnant.

Tous ces événements mémorisés à long terme vont


être associés par l'homme, formant ce que Jean Piaget
appelle «l'avènement de la fonction sémiotique ». Le
sujet se distingue du milieu dès qu'il a intégré une
image intérieure d ' u n objet, et le langage découle
n a t u r e l l e m e n t d ' a s s o c i a t i o n s de p l u s en p l u s
complexes : ainsi l'individu parvient-il non seulement
à communiquer d'une manière de plus en plus pré-
cise, mais encore à décrire ce qu'il ressent.
L'homme découvre alors la possibilité d'associer entre
eux des éléments d'objets, ce qui aboutit à une forme
qui n'existait pas dans son environnement. Pour la
désigner, le langage devient métaphorique, il prend
valeur de symbole, reflétant bien son imaginaire, à
la manière d'un Paul Verlaine :

Rien de plus cher que la chanson grise,


Où l'Indécis au Précis se joint.

L A SCIENCE, C'EST L'HOMME


G r â c e à l'acquisition du langage, C'est par le chant

n organisme primitif dépend totalement du l'homme peut traduire en mots que ce vieil homme parvient
r u milieu dans lequel il se trouve. Le moindre ce qu'il ressent; mieux, à exprimer les émotions

écart énergétique est donc susceptible de provoquer il peut, par le jeu des associations, qui l'habitent.

des déséquilibres tels qu'ils peuvent aller jusqu'à créer un langage métaphorique, Karoly Kysfaludy,

entraîner sa mort, faute de réaction immédiate. véritable reflet de son imaginaire. La Douleur d'Ossian,

L'homme, qui présente le cortex associatif le plus Ossian, barde écossais légendaire, début du xixe siècle.

développé de tous les mammifères, possède la faculté pleure la mort de son fils. Budapest, Galerie nationale.

de pouvoir imaginer les choses sans les vivre réelle-


ment, si sa mémoire est suffisamment riche : il a ainsi
la possibilité de prendre de la distance par rapport
aux automatismes acquis.
Les psychologues ont appelé «phase du miroir» la
phase de différenciation d'avec le milieu. Dix-huit
mois environ après sa venue au monde, l'enfant se
sépare de son « moi-tout », il se différencie de sa mère
et se découvre comme personne à part entière dans le
miroir. Jean Piaget, lui, parle du stade de l'« intériori-
sation des actions », autrement dit la mémoire, et de
1'« avènement de la fonction sémiotique», c'est-à-dire
la faculté de désigner un objet par un signe, et donc de
créer une représentation mentale de l'objet grâce aux
différentes associations sensori-motrices.

Capable d'imaginer des scénarios, l'homme va pré-


voir les conséquences de ses actes, émettre des hypo-
thèses de travail à partir d'une mémoire des faits anté-
rieurs et, grâce à son cortex associatif, combiner le tout
dans un ordre différent afin d'aboutir à quelque chose
de nouveau. Le néocortex, qui lui permet d'anticiper L e nouveau-né ne fait

et d'associer différents phénomènes, est également à aucune différence entre

l'origine de la science, qui ne cesse d'expérimenter de son environnement et lui-même.

nouvelles hypothèses de travail. Mais environ deux ans après

Ainsi, un chasseur du néolithique qui, à la suite d'une sa venue au monde,

chute, s'est ouvert le genou sur une pierre pointue en l'enfant connaît le stade

déduit que cette pierre est plus dure que son genou, dit du miroir, qui marque

associant de cette façon l'aspect tranchant de la pierre l'abandon de son « moi-tout» :

et la fragilité de son propre corps. Si l'idée lui vient de il se différencie alors de sa mère

se servir de cette pierre comme d'une arme pour la et du milieu environnant,

chasse, il fait une hypothèse de travail, à la suite de élabore son propre schéma

laquelle il va pouvoir construire un outil qui n'existait corporel, et se découvre

pas dans la nature : un silex prolongé d'un manche. enfin comme personne

Pourvu de cette nouvelle arme, il ira ensuite à la à part entière dans le miroir.

chasse pour vérifier son hypothèse.


La science se caractérise avant tout par sa méthode.
Celle que Claude Bernard, encore lui, a analysée
consiste avant tout à utiliser la fonction imaginaire,
qui fournira des hypothèses. Si l'on en reste là, on
écrit des romans. Il faut en science tenter de confirmer

les hypothèses par des protocoles expérimentés. Ce


sont eux qui, si leurs résultats sont cohérents, permet-
tront de progresser dans la connaissance et donc de
rendre l'action plus efficace.
Mais la manière dont l'homme réunit certains phéno-
mènes pour émettre des hypothèses est directement
liée à la manière dont il les a emmagasinés : tout va
donc dépendre du fonctionnement de son système
nerveux ainsi que de ses mémoires, puisqu'on ne par-
lera pas d'une mémoire, mais de plusieurs - instan-
tanée, à court terme, à moyen terme, à long terme.
En étudiant la morphologie des crânes des hommes
de la préhistoire, on a découvert que plus on remon-
tait dans le temps, plus ils étaient prognathes. Et plus
ce prognathisme - ou saillie en avant de la partie
inférieure de la face - était important, plus le front L e beau profil

était fuyant. L'évolution de l'espèce a doté l'homme de Simonetta Vespucci

d'aujourd'hui d'un front droit, d'une mâchoire moins est révélateur de l'évolution

proéminente, d'un lobe orbito-frontal qui s'est déve- du crâne humain : front droit,

loppé, ce qui permet au cerveau de laisser davantage mâchoire peu proéminente.

de place aux aires associatives, donc une plus grande C'est ainsi que le cerveau

possibilité d'associations et de découvertes instru- a pu trouver la place qui a permis

mentales pour agir sur le milieu, comme le fait la à ses aires associatives

science. de se développer.

Le comportement d'un homme dans l'espace social où Piero di Cosimo (1462-1521),

il vit, ses actes, ses pensées, ses sentiments dépendent Portrait de femme,

donc bien de son cerveau. Mais comment celui-ci dit Simonetta Vespucci.

fonctionne-t-il ? C'est ce qu'il faut comprendre pour Chantilly, musée Condé.

être en mesure d'apprécier ses actes.


JLa lutte et la fuite représentent

deux façons différentes

de se débarrasser d'un ennui.

Au premier plan, la lutte,

à l'arrière-plan, la fuite sur l'âne.

On ne sait laquelle

de ces deux attitudes sera

la plus efficace...

Honoré Daumier (1808-1879),

Les Voleurs e t l'Ane,

d'après la fable de La Fontaine,

RÉFLEXES ET INSTINCTS
1858. Paris, musée d'Orsay.

L e s instincts,

pulsions fondamentales

non contrôlées par n organisme parvient à obtenir son équi-


l'apprentissage ou l'imaginaire, libre interne, son homéostasie, en agis-
sont au nombre de trois : u sant sur son environnement de façon à y
manger, boire, copuler. maintenir ou à y rétablir les caractéristiques qui ne ris-
Deux d'entre eux se trouvent ici q u e n t pas de p e r t u r b e r cette homéostasie. En ce
illustrés, le manger et le boire qui concerne les espèces animales les plus simples,
non contrôlés, pouvant les plus anciennes, cette finalité est obtenue par un
aller jusqu'à l'indigestion, réflexe qui réunit l'organisme à son environnement en
l'ivresse, l'obésité. mettant en jeu des voies nerveuses simplifiées. Les
Jérôme Bosch (vers 1462-1516), variations énergétiques qui apparaissent dans l'envi-
La Table des sept péchés capitaux : ronnement stimulent alors certains nerfs sensoriels
la gourmandise. dont l'influx se propage sur une voie motrice qui com-
Madrid, musée du Prado. mande la contraction de certains muscles. Ceux-ci

mobilisent l'organisme qui, soit provoque la dispa-


rition de ces variations énergétiques, soit se déplace
de façon à se soustraire à leur action.

LES RÉFLEXES :
DU SIMPLE AU COMPLEXE

SI
la périphérie des organismes animaux, cer-
taines cellules sont spécialisées dans l'enregis-
trement des variations énergétiques qui surviennent
dans le milieu extérieur. Cela se traduit par une dépo-
larisation qu'elles ont la propriété de propager dans
un sens déterminé suivant leur localisation et leur
structure. Il s'agit des cellules nerveuses sensorielles,
dont les terminaisons sensibles sont des prolonge-
ments dendritiques. Dans le cas le plus simple, l'influx
propagé, suivant un trajet cellulipète, c'est-à-dire allant
de l'environnement vers le centre de la cellule, rejoint
le corps cellulaire situé dans le ganglion spinal des
racines postérieures de la moelle : le long de la moelle
épinière se trouvent en effet des groupes de neurones
réunis en ganglions placés sur le trajet des nerfs qui
pénètrent la partie postérieure de la moelle. Puis il
parcourt dans un sens cellulifuge l'axone de ces
mêmes cellules, se dirigeant vers la moelle où siège le
premier relais synaptique. La dépolarisation y est pro-
pagée d'un neurone à l'autre par la libération d'une
Dette micrographie optique en dehors du système nerveux substance chimique - un médiateur chimique de
d'un ganglion spinal permet central, apparaissent l'influx nerveux. Cela exige un temps très court, mais
de bien distinguer comme de larges corps circulaires, non négligeable, qui constitue le délai synaptique - de
les groupes de cellules nerveuses chacun d'entre eux étant l'ordre de la milliseconde. Toujours dans le cas le plus
qui le constituent. entouré d'une couche de cellules simple, cette excitation du neurone sensoriel se réflé-
Les cellules nerveuses plus petites, chit immédiatement dans la moelle sur un neurone
ganglionnaires, situées les cellules satellites. moteur qui répond à l'excitation initiale par une
contraction musculaire. C'est là un arc réflexe mono-
synaptique, comme celui déclenché chez la grenouille
démédullarisée par une goutte acide sur une patte
que l'autre patte vient frotter. C'est aussi le cas du
réflexe commandant l'extension de la jambe à la suite
de la percussion du tendon rotulien.
A partir du deuxième neurone, l'influx peut égale-
ment se propager vers les centres supérieurs en sui-
vant une voie « directe », dite lemniscale, dont le der-
nier relais avant d'atteindre le cortex cérébral se fait
dans les noyaux ventro-latéraux et postérieurs du
thalamus.
La voie lemniscale se termine en faisant synapse avec
les corps des grandes cellules pyramidales de la cin-
quième couche du cortex. Celles-ci, excitées, réfléchis-
sent l'influx vers la périphérie par une voie centrifuge,
la voie pyramidale, qui prend fin essentiellement sur
les formations musculaires au niveau d'une «plaque
motrice ». La dépolarisation, propagée depuis la péri-
phérie sensible, aboutit là encore à la libération d'un
médiateur chimique, l'acétylcholine, qui provoque la
dépolarisation et la contraction du muscle strié. Cette
contraction aura pour résultat le mouvement d'un
membre assurant soit la disparition du facteur de
variation situé dans l'environnement qui est à l'ori-
gine de l'excitation sensorielle, soit le déplacement de
En rouge, la voie lemniscale. du thalamus pour rejoindre l'organisme entier, soustrayant celui-ci à l'action de ce
En bleu, la voie extralemniscale, secondairement facteur de variation ou lui permettant de l'utiliser au
qui fait relais dans le centre des régions précises du cortex. mieux de sa survie. Et la boucle est bouclée : partie de
médian du thalamus Laformation réticulaire, l'environnement, elle y revient, et si l'arc réflexe est
- système thalamique diffus. en bleu, est le centre efficace, il maintiendra l'«homéostasie généralisée »,
Les influx, dans ce cas, de distribution de l'ensemble celle de l'organisme entier à l'égard de son milieu, à
s'orientent d'abord du système limbique distinguer de l'«homéostasie restreinte », limitée au
vers des noyaux localisés et du cortex. maintien de la constance des conditions de vie dans le
milieu intérieur, suivant Claude Bernard.
Colère, agressivité, peur,
autant d'émotions qui motivent
une action motrice exceptionnelle,
rendue possible grâce
à l'effort fourni par l'ensemble
de l'organisme : accélération
du rythme cardiaque,
vasoconstriction des vaisseaux
sanguins, augmentation
de la ventilation...
Jacques le Grant,
LeLivre des bonnes moeurs :
deuxjoueurs de dés se disputent,
miniature du xvesiècle.
Chantilly, musée Condé.

L'autonomie motrice n'est possible que si les organes constriction, réduisant le lit circulatoire des organes
qui en permettent la réalisation fournissent un effort inutiles à la fuite et à la lutte, que la nouvelle réparti-
supplémentaire : le système nerveux doit pouvoir tion de cette masse sanguine se fera. Toute l'aire abdo-
commander la coordination des muscles squelet- minale et la peau vont ainsi se trouver en dette d'oxy-
tiques, ceux de la motricité, et ces derniers fournir un gène. Il faut alors que la fuite ou la lutte soient
effort considérable, donc recevoir une masse sanguine r a p i d e m e n t efficaces et capables de restaurer les
plus importante pour leur approvisionnement et pour caractéristiques habituelles de l'environnement. Toute
l'évacuation des déchets de leur métabolisme accru. cette réaction est dominée par le système adréno-
Par conséquent, la pompe cardiaque doit augmenter sympathique.
son débit, la ventilation aussi. La masse sanguine ne L'homéostasie du milieu intérieur va donc se trouver

pouvant se modifier brutalement, c'est par la vaso- bouleversée en quelques instants. La conservation de
notre vie libre et indépendante ne sera plus la consé- aux motivations, et on a alors pu tenter un essai de
quence de la conservation de la constance des condi- compréhension des phénomènes de conscience et
tions de vie dans le milieu intérieur, mais de sa perte. de l'inconscient.
Grâce à cet a b a n d o n m o m e n t a n é , la fuite, en A côté de ces voies pyramidales simples existe un sys-
soustrayant l'organisme au danger survenu dans tème de voies beaucoup plus complexe appelé sys-
l'environnement, ou la lutte, en agissant sur ce danger tème extrapyramidal, par lequel le cortex se projette
et en le faisant disparaître, permettront le retour à des encore sur les neurones de la moelle épinière. Ces
conditions de vie normales dans l'environnement. voies se projettent d'abord sur de nombreuses aires
C'est seulement alors que le retour à l'homéostasie du cérébrales, en particulier sur ce qu'il est convenu
milieu intérieur redeviendra possible. D'où la dis- d'appeler les ganglions de la base et sur le cervelet, et,
tinction entre une homéostasie restreinte au milieu après de nombreuses boucles rétroactives, contrôlant
intérieur et, au niveau d'organisation supérieur, une les influx corticaux, elles commandent au tonus et à la
homéostasie généralisée de l'organisme dans l'envi- dynamique musculaire.
ronnement. Il y a bien là changement de programme La voie extralemniscale, elle-même indirecte, naît de
pour atteindre un but identique : la survie. C'est un la voie directe qui, en passant au niveau du tronc céré-
p h é n o m è n e analogue qui fait passer les sociétés bral, d o n n e naissance à des colatérales qui font
humaines d'une économie de paix à une économie synapses avec les neurones du système en réseau de
de guerre. la formation réticulaire située dans le mésencéphale.
L'entraînement peut dans une certaine mesure éloi- Cette formation réticulaire constitue un remarquable
gner les limites à partir desquelles le changement de centre de distribution, à partir d u q u e l les influx
programme survient. Mais il faut bien comprendre gagnent le cortex en suivant deux contingents de
que cette réaction, si elle défend effectivement la vie, fibres à cheminement différent. Les unes se terminent
ne la défend pas par le truchement de la conservation par des synapses axodendritiques dans les couches
de la constance des conditions de vie dans le milieu superficielles du cortex. Les autres, avant d'y parve-
intérieur - constance qu'au contraire elle détruit rapi- nir, font d'abord relais dans le thalamus et en particu-
dement - mais par la conservation de l'autonomie lier dans le centre médian qu'il est convenu d'appeler
motrice. La réaction organique à l'agression est bien le système thalamique diffus de Jasper. Ce système dit
une réaction « physiologique » dès que l'on ne confond diffus ou aspécifique est cependant aussi un système
pas son mécanisme avec celui assurant l'homéostasie focalisateur. En le quittant, les influx s'orientent vers
restreinte. des noyaux localisés du thalamus avant de rejoindre
A partir du concept d'arcs réflexes multiples d u des régions précises du cortex.
« stimulus-réponse » défini par Charles Scott Sherring- La voie lemniscale est celle dont la mise en jeu aboutit
ton en 1898, on est parvenu aux facultés mentales par voie réflexe à la réponse globale de fuite ou de
associées, aux instincts, aux émotions, à la mémoire, lutte, à l'expression fondamentale de l'agressivité
C e tableau met parfaitement

en scène l'ensemble

des réactions possibles

à une situation d'agression :

lutte, fuite, inhibition de l'action.

C'est la voie lemniscale

qui est mise en jeu dans de telles

situations, c'est elle qui,

dans le processus d'agressivité

défensive, oriente l'ensemble de

l'organisme vers la défense,

l'attaque ou la fuite.

Paul Bril (1554-1626),

Attaque à main armée

dans un bois, détail.

Paris, musée du Louvre.


défensive. Elle submerge le cortex dans son ensemble
d'ondes dites de stress. C'est cette voie qui oriente
toute l'économie d ' u n organisme vers la défense,
l ' a t t a q u e ou la fuite, encore q u e c h a c u n de ces
comportements nécessite aussi pour se réaliser la mise
en jeu de formations secondaires, de circuits nerveux
plus spécialisés. La voie extralemniscale est celle dont
la mise en jeu aboutit à l'attention, à la focalisation sur
un problème particulier posé par l'excitation venue
de l'environnement. Le fonctionnement de ces deux

voies, lemniscale et extralemniscale, est antagoniste.


La peur empêche le processus d'attention qui, dans
une certaine mesure, diminue la réponse d'urgence de
fuite ou de lutte. Ceux qui malheureusement ont fait L a peur panique éprouvée

la guerre le savent bien. en présence d'un é v é n e m e n t

En temps de guerre, le médecin de bord d'un navire, imprévu e t inévitable supprime

lorsqu'il n'a pas de blessés auxquels prodiguer ses t o u t processus d'attention

soins, est dévolu au «chiffre». Il s'agit de traduire des et de contrôle, et aboutit

messages codés suivant un code secret fondamental à la fuite d'urgence

en langage clair capable d'orienter l'activité du bâti- non contrôlée.

ment. Ce travail demande une attention soutenue, Arpad Schmihammer, Panik,

car il n'est pas simple. Si à ce moment une attaque illustration allemande, vers 1900,

aérienne d ' a v i o n s ennemis survient, le bruit des pour la revue J u g e n d de Munich.

bombes tombant autour du bâtiment ajoute à l'igno- Paris, bibliothèque

rance de ce qui se passe la notion qu'un danger de des Arts décoratifs.

mort est imminent. Dans ces conditions, il est très dif-


ficile de soutenir l'attention nécessaire au déchiffrage.
Si on conseille alors au médecin d'aller sur le pont, de La vigilance, l'éveil exigent un état d'excitation de la
s'emparer d'un mousqueton et de tirer sur les avions formation réticulaire. Il s'agit d'un processus de base
agresseurs, sa peur disparaît. Il agit et, la fuite étant sur lequel s'établissent soit un état émotif, la peur ou
difficile en mer, il lutte. C'est avant l'assaut, dans la rage, accompagnant la fuite ou la lutte, soit un
l'« attente en tension» qui précède l'attaque, que se processus d'attention permettant un comportement
d é v e l o p p e l'angoisse. Q u a n d l'assaut est donné, diversifié, plus adapté à la spécificité caractéristique
l'action fait s'estomper la peur. des variations de l'environnement. L'inhibition de la
formation réticulaire activatrice ascendante conduit nisme. La relation entre la formation réticulaire et
inversement au désintérêt, à la suppression des réac- le système limbique - les mémoires - p e r m e t de
tions de défense et d'agressivité, au sommeil. Cer- comprendre pourquoi un nouveau signal est signi-
taines drogues antipsychotiques ou tranquillisantes fiant ou non quand il est comparé à un ancien mémo-
agissent de cette manière, du moins en partie. risé. Un signal est signifiant et provoque de l'intérêt
L'éveil et l'attention ont toujours pour référence l'uti- s'il peut donner lieu à u n renforcement. Sinon, il
lité qu'ils peuvent avoir pour la protection de l'orga- aboutit à une habituation.
LES INSTINCTS

L a satisfaction des besoins organiques requiert


des systèmes de réponses stables d'une part, et
plastiques d'autre part. Les réponses stables s'adres-
sent aux besoins f o n d a m e n t a u x d o n t l'assouvis- M a n g e r , boire, copuler,

sement permet la survie de l'individu et de l'espèce, ces trois comportements

les réponses plastiques aux besoins acquis à la suite fondamentaux o n t chacun

d'expériences, ces dernières réponses facilitant égale- donné naissance

ment, grâce à des stratégies plus complexes, les besoins à des créations raffinées

fondamentaux. Dès l'apparition des mammifères, les destinées à les satisfaire :

deux types de réponse sont d'ailleurs en interrelation mets délicats, boissons capiteuses,

chez les espèces possédant des structures nerveuses positions érotiques.

qui autorisent l'apprentissage à partir du résultat Nos ancêtres les Romains

de l'action. Les structures nerveuses affectées aux semblent avoir excellé

réponses stables stéréotypées à programme fixe peu- dans les trois domaines.

vent ainsi être influencées, et leur réponse transfor- Pompéi, fresque érotique

mée par les structures plastiques permettant mémoire de la maison de Ménandre.

et apprentissage. La mémoire nerveuse se superpose


alors à la mémoire génétique et modifie sa réponse.
Charles Scott Sherrington avait défini l'hypothalamus lorsque les objets auxquels l'action se rapporte sont
comme « le ganglion de tête du système nerveux auto- présents. On pense en général qu'ils mettent en jeu
nome ». A partir de 1939, des études ont montré que certains circuits neuronaux spécifiques stimulés par
les stimulations de cette aire cérébrale provoquaient la faim ou la soif.
des comportements accompagnés de phénomènes En réalité, les neurones de certaines aires hypothala-
endocriniens et neurovégétatifs - autrement dit liés miques sont sensibles aux perturbations de l'homéo-
aux glandes endocrines et à la partie du système ner- stasie. Se déclenche alors un circuit moteur, dont
veux qui innerve les viscères. Ces comportements l'action doit aboutir au maintien ou au rétablissement
sont fondamentalement : manger, boire et copuler. de cette homéostasie. Du fait des nombreuses
Comme les animaux qui ne sont pas en état de priva- connexions de l'hypothalamus avec les autres aires
tion ne les expriment le plus souvent que pendant la cérébrales, il est extrêmement difficile de déterminer,
stimulation, on dit que ces comportements sont « liés après stimulation des aires hypothalamiques, si un
au stimulus» (stimulus bound). Et on ajoute qu'ils comportement est inné ou acquis, puisque les aires
résultent d'une motivation, car ils ne surviennent que qui recouvrent l'hypothalamus - aires sus-jacentes -,
i f S Y S T r M F N F R V F U X

liées à l'apprentissage, viennent moduler l'activité


hypothalamique. En revanche, les lésions des diffé-
rents noyaux hypothalamiques peuvent, par leurs
conséquences comportementales, apporter d'utiles
informations complémentaires aux résultats recueillis
par leurs stimulations.
Les comportements dits innés trouvent sans aucun
doute leur origine dans ce que Paul Donald McLean
nomme le cerveau reptilien, et particulièrement dans
les noyaux hypothalamiques, mais ils sont aussi sous
la dépendance de structures phylogénétiquement plus
récentes, qui rendent l'animal capable d'apprentis-
sage. C'est ainsi que le MFB et le PVS ou le SIA (sys-
tème inhibiteur de l'action), qui relient l'hypothala-
mus au système limbique, permettent par l'expérience
de la récompense ou de la punition d'influencer le
comportement primitif. C est parce que l'organisme

Cependant des régions plus évoluées phylogénétique- renseigne notre système nerveux

ment, comme l'amygdale nerveuse ou l'hippocampe, sur son é t a t interne

sont également sensibles aux influences hormonales et que des sensations comme la soif

capables d'influencer en retour le fonctionnement ou la faim se manifestent

hypothalamique - qui peut aussi être influencé direc- e t nous conduisent à boire

tement par l'imprégnation hormonale. ou à manger, et à rétablir ainsi

Tout l'équilibre du milieu intérieur agit sur le fonc- l'équilibre de notre milieu

tionnement hypothalamique pour le corriger en rétro- intérieur. Les protagonistes

action. Par exemple, l'hyperosmolarité (c'est-à-dire de ce tableau semblent répondre

la diminution de la quantité d'eau dans le milieu avec entrain e t bonne humeur

intérieur par rapport à la quantité d'éléments dissous) aux ordres véhiculés

provoque la sensation de soif, et celle-ci un comporte- par leur système nerveux !

ment aboutissant à l'acte de boire; il en résulte une Jan Steen (1626-1679),

régulation en retour sur l'hyperosmolarité qui aboutit Comme les vieux chantent,

à la s u p p r e s s i o n de la soif et par conséquent d u les petits gazouillent.

comportement qu'elle conditionne. L'hypothalamus Montpellier, musée Fabre.

se trouve ainsi être l'intégrateur des signaux internes,


en d'autres termes des variations significatives de stimulus-réponse qui permet la survie immédiate. Ces
l'homéostasie. Comme l'hypothalamus dépend des comportements s'organisent autour des besoins pri-
aires cérébrales sus-jacentes, qui intègrent les rapports mordiaux : faim, soif et reproduction. Ils sont le résul-
de l'organisme avec son milieu dans le temps et dans tat de pulsions. En 1972, J. A. Gray a en effet proposé
l'espace, cela le place dans une situation privilégiée d'appeler pulsions (drives) les « états internes qui sont
pour contrôler la vie tissulaire en fonction de ses rap- principalement provoqués par des variations surve-
ports avec l'environnement. Inversement, l'hypothala- nant à l'intérieur de l'organisme ». Il faut cependant
mus avertit ces mêmes aires sus-jacentes des nou- préciser que les variations en question sont celles qui
velles exigences tissulaires, qui vont être confrontées à sont liées à des besoins innés, et non celles acquises
la mémoire des expériences passées. Les stimuli peu- par des apprentissages. Or le besoin se définit comme
vent provenir aussi bien du milieu intérieur que de la quantité d'énergie ou d'information nécessaire au
l'environnement, la confrontation de ces deux sources maintien d'une structure nerveuse, qu'elle soit innée
d'information provoquant une action. Action dont ou acquise.
la conséquence est la protection de l'information- Les émotions apparaissent, elles, comme «des états
structure de l'organisme. internes qui sont surtout provoqués par des événe-
Les deux sources distinctes d'information, l'une d'ori- ments extérieurs à l'organisme ». Mais la mémoire, qui
gine interne homéostasique, l'autre d'origine externe commande l'apprentissage et qui dépend en partie de
sensorielle, ont souvent mené à une confusion de l'existence du système limbique, met en réserve les
termes suivant la discipline qui les utilise et qui n'en événements extérieurs à l'organisme. Si bien que,
voit que l'aspect psychologique, comportemental, dans certains cas, leur évocation, sans relation de cau-
neurophysiologique ou biochimique. salité évidente avec les variations du milieu extérieur,
La fonction fondamentale du système nerveux central ne paraît plus liée directement à l'existence de stimuli
est d'assurer l'autonomie motrice de l'organisme dans environnementaux. On continue alors à parler d'émo-
l'environnement grâce aux organes des sens. Et toute tions, et non de pulsions, car leur origine n'est pas
l'activité plus ou moins complexe du système ner- liée à la structure innée, mais à la structure acquise :
veux, suivant le niveau auquel il est parvenu dans elle résulte de l'action antérieure de l'organisme sur
l'échelle des espèces, paraît finalement conduire à son environnement. Et on appelle motivations les
cette action fondamentale. causes pulsionnelles ou émotionnelles à l'origine d'un
Le système nerveux, lorsqu'il ne met en jeu que sa comportement observable par quelqu'un situé dans
partie la plus primitive, à savoir l'hypothalamus et le l'environnement immédiat de l'organisme observé.
tronc cérébral, est organisé de façon telle qu'à un sti- Pulsions et émotions ont toujours pour objectif une
mulus donné, qu'il provienne du milieu intérieur ou action, qu'elle soit ou non possible. Or le passage de
de l'environnement, il fournit une réponse simple, sté- l'état de repos à celui d'activité nécessite un réajuste-
réotypée, incapable d'amélioration : c'est l'ensemble ment de la circulation sanguine et du métabolisme. La
D a n s cette gravure,

où l'artiste s'est représenté

en compagnie de quelques amis,

l'homme à la flûte,

Dürer lui-même,

symboliserait le mélancolique,

celui au grattoir serait colérique,

celui à la fleur sanguin,

la chope de bière caractérisant

le flegmatique.

Pour pouvoir effectuer

ces différentes attributions,

il faut les rapprocher

de l'expérience personnelle,

variable pour chacun

d'entre nous.

Albrecht Dürer, gravure,

Nuremberg, 1496. Philadelphie,

musée des Beaux-Arts.

masse sanguine est orientée préférentiellement vers adversaire, on observe une vasoconstriction mus-
les muscles et vers les organes immédiatement indis- culaire généralisée, alors que, durant la période de
pensables à l'autonomie motrice, aux dépens des combat, la vasodilatation est limitée aux muscles
autres organes : les vaisseaux irriguant les organes de utilisés en défense.

la région abdominale et la peau sont en vasoconstric- Ce qu'il est convenu d'appeler émotion est en rapport
tion, tandis que les vaisseaux musculaires, pulmo- avec une expérience subjective, réduite au sujet qui
naires et cérébraux sont vasodilatés. Ces ajustements l'éprouve. L'observateur ne peut en prendre connais-
vasomoteurs exigent la mise en jeu du système qui sance que par le truchement du comportement qui
préside aux variations du calibre des vaisseaux et aux l'accompagne et qu'il peut rapprocher de son expé-
variations locales du débit circulatoire. La circulation rience personnelle.
musculaire peut être influencée de façon diamétra- Pulsions et émotions sont donc des processus fré-
lement opposée selon les circonstances : pendant la quemment associés, mais dont l'approche expérimen-
phase d'immobilité, en attente de l'attaque contre un tale est forcément différente. La pulsion trouve son
origine dans une sensation interne de besoin qui
pousse à agir et qui provient de la structure même de
l'organisme et du système nerveux qui en assure la
pérennité. L'émotion paraît au contraire liée aux sen- L e s émotions sont liées

sations qui résultent des ajustements vasomoteurs mis aux ajustements vasomoteurs

en jeu en vue de l'action, mais à la suite d'un appren- qui interviennent en vue

tissage, ce dernier permettant de distinguer plus ou de l'action. Certains

moins directement les événements gratifiants ou noci- de ces ajustements aboutissent

ceptifs. Quand un événement ne peut être classé dans à un comportement qui,

l'une de ces deux catégories, il est ou bien neutre et vu par un observateur extérieur,

non signifiant, ou bien générateur d'angoisse, car il ne semble en rapport

permet pas une action adaptée. Si nous sommes avec un événement gratifiant.

conscients d'une émotion, ce n'est pas tant en raison


du comportement qui l'accompagne qu'à cause des
phénomènes qu'elle déclenche au niveau du système
nerveux neurovégétatif.
D'autres paraissent être Ainsi, la motivation naît de la combinaison d'une pul-
en rapport avec des événements sion, conséquence d'un besoin inné ou acquis par
nociceptifs, douloureux. apprentissage - dans ce dernier cas, elle s'accompagne
Alexandre Seon (1855-1917), généralement d'une émotion -, et d'une émotion
Le Retour au foyer, déclenchée par un stimulus externe environnemental.
détail : femme pleurant, Les motivations peuvent être positives ou négatives,
vers 1913.
selon que l'on recherche un objet capable d'assouvir la
Saint-Étienne, pulsion ou que l'on veuille éloigner ou détruire un
musée d'Art et d'Industrie.
objet répulsif. On peut donc dire que ni un certain état
physiologique, comme la faim, ni la présence d'un

Licence eden-338-533463-464VDHx10x01 accordée le 29 mai 2020 à


customer533463 Sergiu
objet qui peut être la source d'un comportement ne L auteur de cette caricature

seront suffisants, pris isolément, pour provoquer ce a-t-il voulu dire

comportement. Celui-ci exige une interaction entre qu'en suivant ses instincts,

l'état interne et l'objet-stimulus pour apparaître. l'homme se rabaisse

Qu'il s'agisse de pulsion ou d'émotion, il semble bien au niveau de l'animal ?

que la finalité soit le maintien de la structure orga- Mais n'est-ce pas là

nique. Dans le premier cas, les mécanismes mis en un jugement de valeur ?

jeu sont la conséquence de l'organisation innée du L'instinct simple et honnête

système nerveux ; dans le second cas, de son expé- vaut peut-être mieux

rience, donc de sa structure acquise au contact de que le respect systématique

l'environnement. La difficulté que l'on a, apparem- des règlements culturels

ment, à les distinguer résulte de plusieurs causes. les plus triviaux.

L'une est la subjectivité du processus émotionnel qui J. J. Grandville, Le Pique-assiette,

cache sa finalité. Une autre vient du fait que, chez caricature parue dans

l'homme, l'expérience mémorisée ne demeure pas Les Métamorphoses du jour,

toujours au niveau des processus conscients. Dans Paris, 1854.

ces conditions, il devient complexe d'établir un Paris, bibliothèque

rapport entre les réactions neurovégétatives et ce qui des Arts décoratifs.

les a provoquées.
En conséquence, on parvient à cette conclusion que les
comportements instinctifs, qui ne font appel ni à un portement qu'entraîne, après apprentissage de l'inef-
apprentissage ni à l'expérience favorable ou défavo- ficacité de l'action, le signal annonçant un tel choc - et
rable de l'action, les comportements que l'on peut qui pousse bien souvent l'animal, dans ce cas, à se
appeler innés en quelque sorte et dépendant de l'orga- tapir en silence.
nisation primitive du système nerveux de l'espèce, On retrouve sur le plan neurophysiologique la dis-
sont peu nombreux; ils orientent le fonctionnement tinction faite au plan comportemental. Désormais, il
des aires sus-jacentes de l'hypothalamus, respon- est très généralement admis que les comportements
sables de l'apprentissage et de l'associativité. affectifs, qui semblent nécessairement mettre en jeu
Lors d'expériences en laboratoire sur les rats, il paraît un processus de mémoire, font appel au système lim-
donc essentiel de ne pas confondre un compor- bique et au cerveau antérieur, alors que les comporte-
tement entraîné par un stimulus non conditionné ments pulsionnels, c'est-à-dire les comportements
aversif - un choc électrique par exemple, qui pro- sexuels, de consommation, de fuite ou de lutte, non
voque la course, des sauts et des cris, ou une attitude conditionnés, sont gouvernés par l'hypothalamus
agressive lorsque la fuite est impossible - et le com- et le mésencéphale.
On p e u t alors d i s t i n g u e r deux g r a n d s types de fait pas appel à une pulsion interne et il met en jeu le
comportements instinctifs, non conditionnés. PVS (ou faisceau de la punition). Ce comportement
Le premier, le c o m p o r t e m e n t d ' a p p r o c h e ou de inné se manifeste dans l'agressivité défensive. C'est
consommation, est déclenché par l'hypothalamus l'hypothalamus antérieur qui mobilise la réaction
lorsqu'il reçoit à la fois un signal interne et un stimu- comportementale et neuro-endocrinienne de défense.
lus externe, l'objet de consommation : il s'agit de Mais si l'action est efficace, si en d'autres termes la
boire, manger et copuler. Si un comportement de réaction de fuite ou de lutte est récompensée,
consommation est récompensé et non puni, il met l'apprentissage de sa stratégie met en jeu le MFB. Si
en jeu le MFB (ou faisceau de la récompense) et la au contraire elle est inefficace, la mémorisation de
mémoire de la stratégie adoptée pour obtenir satis- l'inefficacité de l'action est à l'origine de la mise en jeu
faction. Il devient alors un besoin acquis, et non plus du système inhibiteur de l'action (SIA), système
un comportement instinctif. faisant appel à un conditionnement. Dans les deux
Le second type de comportement instinctif, celui de cas, c'est l'apprentissage qui transforme la réponse
fuite ou de lutte à la suite d'un stimulus aversif, ne hypothalamique innée.
L e système limbique

est indispensable

à la fixation des expériences,

c'est-à-dire à la mémoire.

C'est par lui que passent les influx

pour aller se fixer au niveau

du cortex. Il est donc

essentiel à l'établissement
LE SYSTÈME LIMBIQUE
de l'apprentissage. Le dressage

de ce singe y fait forcément appel.

Hishikawa Moronobu
e système limbique peut être considéré

L
(vers 1618-vers 1694), comme un paléocortex, sorte de cortex pri-
détail d'un paravent : mitif, plus profondément refoulé, chez les
Exhibition équestre à la cour, mammifères, par le développement du cortex. Le sys-
dressage de singes, tème limbique, siège de l'expérience émotive, est
milieu du XVIIe siècle.
avant tout celui de la mémoire à long terme, et il
Paris, collection particulière. paraît essentiel aux processus de mémoire. Or la
mémoire des expériences passées est un élément
U n des médiateurs chimiques important de la survie. Le fait de ne pas avoir plus
de ce système est la dopamine, souvent tenu compte des processus de mémoire et
dont on voit ici d'avoir mélangé les différents niveaux d'organisation
une microphotographie obtenue anatomiques et physiologiques où ils se situent a
sous lumière polarisée. faussé l'interprétation de nombreux comportements.
Il en est résulté de graves erreurs sémantiques.
C e dessin met en évidence

la structure anatomique

du système limbique, qui

comprend l'amygdale nerveuse

(située à la base des deux bulbes

au centre), l'hippocampe

(en bas du dessin,

devant la partie jaune sombre)

et l'hypothalamus (non visible ici).

Le système limbique

est indispensable à l'établissement

de la mémoire à long terme

et, de ce fait, à l'expression

des émotions, de l'affectivité.

C'est en effet l'apprentissage

de l'agréable et du désagréable

qui se trouve à l'origine

des sentiments.

Le système limbique part de la formation réticulée du Pour identifier les structures nerveuses centrales fai-

tronc cérébral pour y revenir après avoir décrit des sant le lien entre la sensation et l'action, on a été
circuits - dont le premier fut repéré par James Papez conduit à stimuler ou à détruire isolément ces struc-

en 1937 - reliant de nombreuses formations encépha- tures. Lorsque l'une d'entre elles a été détruite, le
liques entre elles. L'hippocampe, qui en constitue la changement de comportement qui en ressort ne signi-
formation la plus développée, entre également en fie pas que cette structure soit la source du compor-
relation avec l ' a m y g d a l e n e r v e u s e , celle-ci avec tement devenu déficitaire, mais que la lésion ainsi
l'hypothalamus, et celui-ci enfin avec la formation provoquée a endommagé un circuit dont l'intégrité
réticulée. En outre, l ' h y p o t h a l a m u s se trouve en était nécessaire à la réalisation du comportement.
connexion étroite avec l'hypophyse, centre de com- De même, quand la stimulation d'une aire cérébrale
mande de tout le système endocrinien, en d'autres déclenche un comportement, cela ne veut pas dire
termes de la vie métabolique tissulaire. que cette aire cérébrale soit à l'origine de ce compor-
tement, cela signifie seulement que l'on a stimulé, ronnement. Or, les stimuli essentiels ne sont pas ceux
électriquement le plus souvent, une région apparte- qui prennent naissance dans l'environnement, mais
nant à un circuit qui intervient normalement dans ce ceux qui proviennent des perturbations internes de
type de comportement. l'organisme lorsque celui-ci essaie de maintenir,
Depuis que Charles Scott Sherrington a mis en évi- par l'action sur son environnement, son information-
dence, en 1898, les processus neurophysiologiques structure.
reliant le stimulus et la réponse, on parle d'arc réflexe L'action paraît liée à un stimulus extérieur, mais le
et de stimulus-réponse. On persiste néanmoins parfois stimulus premier, le système de référence, est interne,
à considérer que le système nerveux ne répond soit primitif - il consiste alors en une perturbation
qu'aux stimuli de l'environnement, et à poursuivre de l'homéostasie -, soit acquis par mémorisation des
le raisonnement jusqu'aux activités nerveuses « supé- expériences antérieures. Si l'on ne prend pas ce sys-
rieures », limitant toutes les actions d'un organisme tème de référence interne en considération, la physio-
sur et dans l'environnement à une réponse à cet envi- logie nerveuse est incompréhensible.

Mémoire nerveuse et mémoire immunitaire

E n 1973, une expérimen-


tation s u r le rat avait
téines, dont les anticorps sont
capables n o n seulement de
permis de vérifier que l'influx s'opposer à l'action de l'enva-
nerveux provoquait le h i s s e u r , m a i s encore de
déclenchement dans la mito- renouveler cette opposition
chondrie d'une synthèse de chaque fois qu'il se repré-
glycoprotéines, car la mito- sente : il s'agit bien là d ' u n
chondrie possède son propre processus de mémorisation.
ADN et son propre ARN. On peut donc considérer que
Depuis lors, il a été démontré le système immunitaire est
qu'il existait des altérations un système de réponse à des
mitochondriales dans le stimuli. D a n s le cas de la
vieillissement cérébral, le- mémoire nerveuse, ces stimuli
quel s'accompagne de pertur- passent par les canaux senso-
bations du processus de riels, alors qu'ici les stimuli
mémoire à court et moyen sont des protéines étrangères.
L e s bactéries, représentées les macrophages se trouvent
terme. On s'aperçoit de plus en plus en vert, sont ici phagocytées dans le tissu conjonctif,
La mémoire nerveuse se rap- que le système immunitaire
par un macrophage, autour des membranes basales
proche par bien des points de et le système nerveux sont
la mémoire immunitaire. En biochimiquement et fonction- cellule mobile capable des petits vaisseaux
effet, la pénétration dans n e l l e m e n t liés de façon
d'absorber et de digérer et dans les poumons
l'organisme de bactéries pro- étroite. C ' e s t ce lien q u e
voque également, dans les l'on appelle aujourd'hui des corps étrangers. et le foie où ils jouent
cellules du système immu- la p s y c h o - n e u r o - i m m u n o - un rôle de filtre.
Largement répandus,
nitaire, une synthèse de pro- modulation.
LES MÉMOIRES

ue d e m a n d e n t les p r o c e s s u s de m é m o i r e ?

Q D'abord, l'acquisition d'une information dans


les réseaux nerveux. Ensuite, la rétention et le stoc-
kage de cette information pendant un certain temps.
Enfin, le souvenir, le rappel d'un stimulus dont on a
eu l'expérience antérieurement, en vue de sa réutilisa-
tion. Le mot «instinct» étant réservé aux activités

hypothalamiques, tout le reste résulte d'un apprentis-


sage et met donc en fonction la mémoire.
La mémoire que l'on conserve durant un temps limité,
de l'ordre de la minute, est appelée mémoire immé-
diate. La mémoire des faits récents, de l'ordre de la
demi-heure, est appelée mémoire à court terme. La
mémoire qui d u r e de plusieurs jours à plusieurs
années est appelée mémoire à long terme. On peut y
ajouter une mémoire à moyen terme, sur laquelle je
reviendrai.

La mémoire immédiate ne nécessite pas la mise en jeu


du système limbique, tandis que la mémoire à long
terme passe par celui-ci pour se fixer dans les cortex
gauche ou droit suivant que les informations sont ver- Q u i ne se souvient avoir cherché,

bales, auditives ou visuelles. En 1979, Bock a pesé les sur les bancs de l'école

cortex occipitaux d'animaux évoluant dans un milieu ou plus tard, à se rappeler

normal et ceux d'animaux placés dans un environne- une table de multiplication,

ment enrichi de stimulations. Il a remarqué que le une déclinaison, le nom

poids du cortex occipital de ces derniers était d'envi- d'un personnage célèbre

ron 6 % plus élevé que celui des autres animaux. Cette ou les dates ayant illustré

expérience avait pour but de montrer que l'acquis par une glorieuse carrière?

l'apprentissage est stocké dans les mémoires, et qu'il Quels sont donc les processus

peut être pesé : il s'agirait de traces protéiques, pro- de la mémoire qui, bien souvent,

téines que le système nerveux synthétise dans le cor- se révèle si fuyante ?

tex susjacent, alimenté en informations par le système


limbique. Ce dernier joue donc un rôle essentiel dans
la mémorisation en fixant la mémoire sous forme de
protéines.
La mémoire à court terme est une mémoire qui reste
prisonnière de la formation réticulée. Comme celle-ci
forme de nombreuses boucles à rétroaction, l'informa-
tion reste présente tant que la formation réticulée est
excitée. Dès qu'elle cesse de l'être, la mémorisation
s'arrête si elle n'a pas la possibilité de passer par la
boucle limbique qui consolide la mémoire à court
terme en mémoire à long terme.
A u cours des années q u a t r e - v i n g t , le travail en
laboratoire a révélé que la mémoire d'un événement
gratifiant ou nociceptif et celle d ' u n e inhibition
comportementale, expériences ne passant pas par les
mêmes voies nerveuses, ne mettant pas en jeu les
mêmes n e u r o m é d i a t e u r s ni les mêmes récepteurs
membranaires, ne faisaient pas non plus appel aux
mêmes seconds messagers, responsables d'activités
sur le métabolisme ou sur le génome. En agissant à ce
n i v e a u moléculaire p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d ' a g e n t s convenu d'appeler un stress. Il est utile de préciser dès
pharmacologiques, on parvient à faciliter ou à inter- maintenant qu'il n'est pas de stress sans mémoire.
dire l'établissement d ' u n e mémoire à long terme Le nouveau-né, lui, n'a encore rien mémorisé. Il passe
d'une expérience donnée. d'un environnement intra-utérin pauvre en stimula-
Plus intéressant encore, il a été montré qu'une expé- tions à un monde très riche - encore qu'in utero l'équi-
rience nociceptive, selon la durée pendant laquelle libre biologique de la mère, lié à ses réactions à l'envi-
elle est subie, p e u t transformer de façon plus ou ronnement, puisse influencer le fœtus par la voie de
moins stable le nombre de certains récepteurs mem- la circulation placentaire. Les stimuli qui accueillent
branaires et la réponse neuronale qui s'ensuit. l'enfant à la naissance bombardent son système ner-
Ces résultats permettent de commencer à comprendre veux par le biais des organes des sens. Cela se traduit
pourquoi, lorsqu'il se répète, un stimulus nociceptif par un grand nombre d'influx qui se projettent sur
commande des perturbations des comportements et différentes aires du cortex cérébral en suivant des

l'apparition de lésions somatiques, telles que celles canaux sensoriels distincts : ceux du toucher, de la
constatées après que le sujet a été soumis à ce qu'il est vision, de l'audition, etc. On a même pu observer que,
.Lorsqu'il touche son pied,
le bébé voit ses sensations
se boucler sur lui-même
au niveau des mains et du pied,
alors que lorsqu'il touche
son biberon ou sa mère,
ses sensations s'ouvrent
sur le milieu extérieur.
La distinction entre
ces deux types de sensations
aboutit, après plusieurs mois,
à la formation du schéma corporel
limitant l'individu dans l'espace,
entre son moi et le non-moi
que constitue
le monde extérieur.

dans la zone des aires corticales recueillant les influx C'est par l'action que le nouveau-né construit son
visuels, zone qui se situe au niveau de l'occiput, les schéma corporel. Ainsi, lorsque sa main vient toucher
influx liés à la forme et ceux liés au mouvement d'un son pied, les deux sensations, celle de la main et celle
objet n'influencent pas les mêmes neurones. Par du pied, se referment sur lui, alors que si elle vient
conséquent, le nouveau-né ne saurait avoir la notion toucher son biberon ou le sein de sa mère, la sensation
d'objet, car il est encore incapable d'associer ces diffé- de la main s'ouvre sur le monde extérieur. Il lui faut

rentes perceptions, de les rapporter à un même objet. dix-huit mois à deux ans pour se rendre compte qu'il
Seuls l'apprentissage et l'association à l'aide des neu- est distinct du milieu qui l'entoure, qu'il est seul dans
rones associatifs de différentes aires corticales influen- sa peau, jusqu'à la mort. Jusque-là, il était dans son
cées par les caractéristiques variées d'un même objet « moi-tout ».

- couleur, forme, poids, odeur, saveur, etc. - lui per- Le nouveau-né commence par mémoriser essentielle-
mettront d'acquérir cette notion. ment des sensations agréables et désagréables, en par-
Il en va de même pour la perception de son propre ticulier celles liées à la satiété et à la faim. Or ces sen-
corps, premier objet dont il doit prendre conscience. sations sont, la plupart du temps, liées à la mère qui
même séparé du monde environnant. Elles manquent
d'un principe de causalité. Peut-être est-ce là ce que
certains ont appelé inconscient collectif.
L'apprentissage et la mémoire semblent procéder de
façon indépendante dans les deux hémisphères céré-
braux, chacun de ceux-ci possédant sa propre sphère
de sensation, de perception et de formation des idées.
Ce qui expliquerait que la mémoire, tout en étant un
processus global, présente un polymorphisme dû à
l'utilisation de voies nerveuses différentes au cours de

l'apprentissage.
L e conditionnement opérant,

ou conditionnement skinérien, RÔLE DE LA MÉMOIRE


se caractérise par l'action ET DE L'APPRENTISSAGE
de l'organisme

T,
sur l'environnement. Ici, la prise n 1975, J. V. Brady propose de distinguer les
d'une cigarette déclenche émotions qui surviennent «à l'intérieur de la
l'émotion du plaisir anticipé. peau» et les comportements émotifs qui sont à l'ori-
gine d'une interaction entre l'individu et l'environne-
ment. C'est la distinction généralement faite entre le
assure la satisfaction de ses besoins, à son contact, à conditionnement pavlovien primitif, où le signal
son odeur, au son de sa voix, sans qu'il sache encore conditionné provoque une réponse involontaire telle
qu'elle n'est pas lui. Lorsqu'il comprend que non seu- que la salivation, et le conditionnement skinérien, dit
lement sa mère n'est pas lui - ce que Jacques Lacan a opérant, caractérisé par des actions sur l'environne-
appelé le « stade du miroir » -, mais qu'elle a des rela- ment. Dans le premier cas, le stimulus survient avant
tions privilégiées avec d'autres êtres qu'il ne sait pas la réponse de l'organisme. Dans le second, l'événe-
encore être son père ou ses frères et sœurs, il se met à ment déclenchant l'émotion suit l'action sur l'environ-

craindre qu'on ne lui prenne son objet gratifiant, nement : par exemple l'obtention de nourriture après
source de tous ses plaisirs. Il découvre alors la jalou- appui sur un levier.
sie, la frustration, la douleur, l'angoisse. Cette période En réalité, le problème est plus complexe qu'il n'y
paraît bien être la source de fantasmes et de certaines paraît. L'objectif reste toujours le maintien de la struc-
formes d'angoisse apparemment instinctives, car elles ture de l'organisme, et, pour y parvenir, des méca-
trouvent leur origine à un moment de la vie, celui de nismes différents sont mis en jeu. Mais dans tous les
l'empreinte, où l'on ne peut les rapporter à un soi- cas, les ajustements vasomoteurs, qu'ils autorisent la
LE S Y S T È M E N E R V E U X

réalisation de l'action ou qu'ils se révèlent inefficaces,


sont ressentis comme une activité affective, comme
des sentiments ou des émotions.

Il devient r a p i d e m e n t difficile de différencier les


mécanismes liés à l'apprentissage, à la mémoire
acquise, nerveuse, et ceux liés au système nerveux lui-
même, mécanismes innés, instinctifs. Un enfant qui
vient de naître peut-il éprouver des « émotions » ? Si
on le pince ou si on ne lui fournit pas l'alimentation
nécessaire à sa survie, il montrera des signes de souf-
france - cris, pleurs -, mais qui ne sont sans doute rien
de plus qu'une réaction très primitive à la perte de
son homéostasie. C'est faire de l'« adultomorphisme »
que de lui prêter les sentiments qu'un adulte ressenti- L enfant

rait à la suite d'une atteinte comparable, que l'expé- qui s'est brûlé une fois

rience mémorisée relierait aussitôt à un ensemble connaît la peur du feu,

mais sans forcément relier


conscient de l'image corporelle au sein de son envi-
ronnement, image historique et présente. Le condi- consciemment cette peur

tionnement réflexe n'est pas encore établi entre cette à la douleur ressentie

niche et la sensation de plaisir ou de souffrance. Le antérieurement.

nouveau-né ne paraît pas encore en mesure d'éprou-


ver ni amour ni haine, ni même peur ou angoisse. La
peur et l'angoisse ne peuvent apparemment provenir l'action. D'autre part, il n'y a pas d'action efficace pos-
que de l'apprentissage de l'existence de dangers, c'est- sible lorsque l'expérience mémorisée a montré l'exis-
à-dire d'événements survenant dans le milieu et sus- tence d'événements nociceptifs, mais que l'événement
ceptible d'avoir sur l'organisme une incidence nocive. présent ne peut être classé parmi ceux-ci. L'angoisse
Quand l'expérience a déjà antérieurement fourni la qui fait alors son apparition est celle du déficit infor-
preuve de la nocivité d'un événement, l'émotion qui mationnel.

en résulte est la peur. D'un point de vue évolutif, cette L'émotion dépend toujours d ' u n e expérience anté-
dernière est avantageuse quand elle permet la fuite ou rieure, elle fait appel à un processus de mémoire et
la lutte. Mais si l'expérience qu'on en a montre à la elle est la conséquence ou le facteur d'un comporte-
fois la nocivité et l'impossibilité d'agir efficacement ment qui négocie avec le milieu le rétablissement ou le
contre cet événement, la peur débouche sur l'angoisse, maintien de l'information-structure de l'individu qui
qui semble toujours accompagner l'inhibition de l'éprouve. Les émotions d ' o r i g i n e a p p a r e m m e n t

Licence eden-338-533463-464VDHx10x01 accordée le 29 mai 2020 à


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interne ne semblent finalement être que le résultat de Une situation, un objet ou une personne peuvent être
l'apprentissage du plaisir et de la douleur, et le pro- jugés « bons », « mauvais ou « indifférents » par l'indi-
cessus qui leur donne naissance utilise les traces, vidu qui les expérimente. L'appréciation est relative à
conservées au sein du système nerveux, des rapports cet individu et à lui seul, mais cet individu ne saurait
antérieurs de l'individu avec un environnement noci- être regardé comme tel que compte tenu de son expé-
ceptif ou gratifiant. Chez l'homme, les structures asso- rience antérieure, acquise au contact des autres en
ciatives corticales sont à même d'élaborer, à partir de particulier, donc de son expérience sociale. On peut le
ces traces, des scénarios imaginaires qui ne se réali- considérer comme un organisme ayant accumulé dans
seront peut-être jamais, mais dont l'anticipation peut sa mémoire les souvenirs des relations qu'il a vécues
déclencher des réactions au niveau des vaisseaux et avec les êtres vivants et avec les objets qui forment
des viscères, réactions vasomotrices et végétatives qui son entourage. Il est, lui, présent, avec son passé
seront perçues comme des émotions. mémorisé, conscient et inconscient.
L'expérience antérieure donne la possibilité d'appré-
cier un événement, d'en établir un jugement de valeur
qui débouche sur un comportement favorable ou
défavorable à son égard. Seule la prise en compte de
cette expérience antérieure, variable d ' u n sujet à
l'autre, permet de comprendre pourquoi un objet, un
être ou un événement particulier ne provoquent pas la
même réaction comportementale chez tous les indivi-
dus, ni chez un même individu à différents moments.
Réagir à un stimulus, même du type le plus simple,
nécessite une appréciation de son action. Quand le sti-
mulus se répète à plusieurs reprises sans avoir la
moindre conséquence, favorable ou défavorable, il
perd toute importance et l'individu ne lui accorde
plus d'attention. Cette absence d'attention n'est en rien
un signe de fatigue nerveuse : il suffit d'un stimulus
analogue mais légèrement différent pour provoquer
un regain d'attention, que l'on appelle réflexe d'orien-
Chacun de nous établit Gargantua et cet ascète oriental tation. On peut donc dire que le réflexe d'orientation
ses proppres jugements de valeur nous offrant l'exemple peut prendre place dans deux situations : il corres-
à l'aide de ses expériences d'extrêmes opposés. pond aussi bien à l'appréciation de l'inexpérience que
antérieures, variables A gauche, illustration l'on a d'un stimulus, favorable ou défavorable, qu'à
d'un sujet à un autre. pour Gargantua l'expérience de la possibilité que présente un stimulus
C'est la raison pour laquelle de François Rabelais, d'être favorable ou défavorable, ce second cas impli-
un événement particulier livre 1, chapitre xxi : « ... se gens quant un processus de mémorisation.
ne provoque pas la même lui jettaient en la bouche

réaction comportementale l'un après l'autre continuement AFFECTIVITÉ ET MÉMOIRE AFFECTIVE


chez tous les individus de la moutarde... »

LI
ou chez le même individu Ci-dessus, ascète ors de la première utilisation de neuroleptiques,
à différents moments. pratiquant le yoga, mes collaborateurs et moi-même avions constaté
Ici, on voit combien les attitudes Histoire des Mongols, qu'ils p r o v o q u a i e n t une «indifférence du sujet à
face à la nourriture manuscrit du XVIIe siècle. l'égard de son environnement», état qui fut qualifié
peuvent différer, Venise, bibliothèque Marciana. par la suite d'ataractique. Nous avions d'abord appelé
ces neuroleptiques des « neuroplégiques », car ils inhi-
baient les ajustements vasomoteurs sous dépendance
nerveuse. L'émotion qu'ils paraissaient supprimer L action provoquée

nous semblait donc liée aux sensations résultant de par une émotion

ces ajustements vasomoteurs. Nous retrouvions ainsi dépend directement

la vieille théorie de William James qui, dès 1884, reje- des remaniements vasomoteurs.

tait l'idée que la pensée et la sensation puissent être à Ce sont eux q u e nous ressentons

l'origine des émotions. Il affirmait en effet que l'appré- e t qui nous p e r m e t t e n t

hension d ' u n é v é n e m e n t avait des conséquences d'identifier nos émotions.

somatiques - viscérales, squelettiques et muscu- Le langage est éloquent

laires -, et que c'était la perception de celles-ci que à ce sujet :

nous nommions émotions. Ce fut Karl Georg Lange nous sommes « glacés d'effroi »,

cependant qui, en 1885, attribua le premier la totalité notre cœur bat « à se rompre »,

de notre activité émotionnelle aux remaniements nous avons des « sueurs froides »

vasomoteurs. Plus récemment, en 1962, Schachter et ou le « souffle coupé », etc.

Singer ont démontré que l'expérience émotive et son Rufino Tamayo (1899-1991),

expression sont le produit d'une excitation sympa- Le Cri, 1947.

thique, c'est-à-dire une réaction du système nerveux Rome, galerie d'Art moderne.

p é r i p h é r i q u e qui c o m m a n d e la vie o r g a n i q u e et
végétative.
L'activité sympathique et parasympathique sur le refoule le sang vers les organes indispensables à
cœur, les vaisseaux et les viscères provoque d'ailleurs la fuite ou à la lutte. L'accélération du rythme car-
des sensations qui sont le plus souvent les seules diaque aboutit à une meilleure alimentation sanguine
que nous ayons à notre disposition p o u r décrire de ces organes.
nos émotions : nous sommes «glacés d'effroi», notre Certains biologistes ont tendance à considérer que
cœur « bat à se rompre », nous en avons des « sueurs seules les émotions négatives, c'est-à-dire les états
froides » ou le « souffle coupé » ; parfois nous « hale- produits par anticipation de la douleur, du danger, du
tons d'angoisse », mais nous « rosissons de plaisir » et combat ou du désagrément, appelant la crainte,
la « détente du bonheur » exprime la sensation de la l'angoisse, la colère ou la tristesse, sont de vraies émo-
résolution musculaire alors que l'inhibition de l'acti- tions. L'anticipation d'événements agréables ou du
vité neuromotrice s'accompagne d'une sensation de plaisir sous toutes ses formes n'entrerait pas dans le
« j a m b e s coupées ». Toutefois, n o u s d e m e u r o n s cadre des émotions. Prenant ce principe pour base,
inconscients du rôle de protection que ces réactions des méthodes d'apprentissage réduisent certaines pul-
ont sur la structure biologique. La vasoconstriction sions en offrant une récompense chaque fois que
cutanée d i m i n u e la t e m p é r a t u r e de la p e a u puis celles-ci ne sont pas satisfaites. Ce type d'enseigne-
Nos comportements
sont a u t a n t motivés

par l'anticipation d'un plaisir,

comme dans cet e m b a r q u e m e n t

pour Cythère,

l'île enchanteresse de Vénus,

patrie allégorique des amours,

que par le souci d'éviter

une douleur.

Antoine Watteau (1684-1721),

Pèlerinage à l'île de Cythère.

Paris, musée du Louvre.

m e n t p a r a î t m ê m e ê t r e le p l u s f r é q u e m m e n t u t i l i s é tinctes permettent effectivement la reproduction du


c h e z l ' h o m m e civilisé. comportement gratifiant et l'évitement des stimuli
Pourtant il e s t d i f f i c i l e d ' a d m e t t r e comme seuls douloureux, mais l'apprentissage de la stratégie per-
a g r é a b l e s les états p r o v o q u é s p a r l ' é v i t e m e n t d ' u n mettant d'échapper à la douleur devient l'équivalent
d a n g e r i m m i n e n t o u d ' u n e s i t u a t i o n d é s a g r é a b l e . Il secondaire d'un plaisir.
semble que nos comportements soient tout autant Pour que l'on puisse éprouver un sentiment, l'expé-
m o t i v é s p a r l'anticipation d ' u n plaisir q u e p a r l'évite- rience présente doit être confrontée à la remémoration
m e n t d ' u n e d o u l e u r . D e s aires et voies cérébrales dis- de l'expérience passée. Cette remémoration ne fait le
plus souvent appel à aucune représentation, mais tances environnementales agréables ou désagréables,
uniquement à la sensation globale qui a résulté de sans autre précision. Dans ce cas, tout nouveau stimu-
l'expérience. Il n'est même pas nécessaire de recon- lus, s'il n'est pas relié à une expérience spécifique
naître consciemment l'expérience antérieure : l'enfant antérieure, ne saurait être classé dans l'une ou l'autre
qui s'est brûlé une fois ne relie pas forcément catégorie, par déficit informationnel.
consciemment sa peur du feu à la douleur ressentie En conséquence, il provoque un état conflictuel émotif
antérieurement, et pourtant, la peur demeure. L'affect entre action et inhibition de l'action. Toute émotion
peut ainsi, à l'extrême, n'évoquer que des circons- semble donc obligatoirement liée à un processus
de mémorisation affective d'une expérience passée. BIOCHIMIE DE LA MÉMOIRE
Elle ne présente généralement pas de caractéristiques
particulières, mais n'en réalise pas moins le rappel our m i e u x c o m p r e n d r e la biochimie de la
d'une ambiance antérieure liée à l'expérience. p mémoire, on a longuement observé les réactions
La pulsion, on l'a vu, vient d'un besoin fondamental, d'évitement, passif ou actif, d'animaux en laboratoire.
instinctif, inné. Il arrive que la motivation à agir Réalisée sur le rat ou sur la souris, l'étude de l'évite-
dépende de la pulsion quand l'objet capable d'assou- ment passif prend pour base le fait que ces rongeurs
vir le besoin est présent. Mais la motivation résulte fuient la lumière et se réfugient instinctivement dans
parfois aussi, et plus fréquemment, d'un besoin acquis l'obscurité. On utilise deux cages adjacentes dont
par apprentissage, en d'autres termes de la mémoire l'une - compartiment blanc - est fortement éclairée
affective liée à une expérience passée, qui permet p a r une a m p o u l e de 100 watts, alors que l'autre
d'anticiper la satisfaction à retirer de l'action. Pulsion - compartiment noir - est obscure mais comporte un
et m o t i v a t i o n p e u v e n t donc se succéder dans le plancher électrifié. Une ouverture dans la cloison
temps, mais l'apprentissage du plaisir provient égale- séparant les deux compartiments permet à l'animal
ment d'une découverte fortuite. d'aller de l'un à l'autre.

Placé dans le compartiment blanc, le rongeur pénètre


rapidement dans le compartiment noir où il subit une
Les supports décharge électrique plantaire. Allant à l'encontre de sa
de la mémoire affective
tendance instinctive, il retourne aussitôt dans le com-
partiment blanc pour éviter la « punition » du choc
L
es structures nerveuses teurs du comportement. En
s o u t e n a n t la m é m o i r e effet, l'hypothalamus ventro- électrique. Celle-ci est donc évitée au prix du sacrifice
affective sont essentiellement m é d i a n exerce u n e a c t i o n
le système l i m b i q u e et ses inhibitrice sur la voie qui réa- de sa pulsion à se réfugier dans le compartiment noir :
connexions avec l'hypothala- lise les c o m p o r t e m e n t s de il y a là non seulement inhibition de l'action, mais
mus et le cortex. fuite ou de lutte.
aussi gratification partielle du fait d'éviter la punition.
Les connexions qui se projet- D ' a u t r e s afférences h y p o -
tent sur l'hypothalamus, ou thalamiques proviennent de On applique le même test à plusieurs rongeurs, et
afférences hypothalamiques, l ' h i p p o c a m p e , d u cortex
vingt-quatre heures plus tard chacun d'entre eux est
proviennent du système lim- orbito-frontal et d u n o y a u
bique, d u t h a l a m u s et d u caudé. Elles sont générale- placé à tour de rôle dans le compartiment blanc. Le
tronc cérébral. L'amygdale m e n t inhibitrices. Mais là
temps de latence s'écoulant avant qu'un animal ne
présente des noyaux dorso- encore, on peut faire la dis-
médians et ventro-latéraux. tinction entre l'hippocampe pénètre dans le compartiment noir et le temps passé
Les premiers, en se projetant dorsal, susceptible de favo- dans ce compartiment sont mesurés. Un score de
sur l ' h y p o t h a l a m u s latéral, riser le système i n h i b i t e u r
stimulent l'activité comporte- de l'action, et l'hippocampe durée zéro est attribué au rongeur ne pénétrant pas
mentale; les seconds, en se ventral dont la stimulation dans le compartiment noir.
projetant sur l'hypothalamus favoriserait le système activa-
ventro-médian, sont inhibi- teur de l'action. Ce test offre la possibilité d'étudier l'influence de cer-
tains agents pharmacologiques sur l'apprentissage et
sur la rétention dans la mémoire d ' u n évitement

passif ainsi que l'action antagoniste ou facilitante de


nombreuses molécules agissant sur différents récep-
teurs membranaires ou sur la stimulation des seconds

messagers qui eux-mêmes peuvent avoir une activité L inhibition de l'action résulte

s p é c i f i q u e sur le m é t a b o l i s m e n e u r o n a l ou sur d'un processus de mémoire,

l'expression de certains gènes. la mémoire de l'inefficacité

On met ainsi progressivement en évidence le rôle des de l'action.

seconds messagers dans le processus de mémorisation Elle provoque d'importantes

d ' u n évitement passif et dans les comportements perturbations physiologiques.

qu'ils sous-tendent, en agissant à plusieurs niveaux Au bout d'un certain temps,

d'organisation, et l'on commence dès lors à réunir l'apprentissage du désespoir

les niveaux d'organisation moléculaire, génomique, est si profondément ancré

métabolique, membranaire, neurophysiologique dans dans le cerveau que,

certains processus de mémoire et dans les comporte- même si la possibilité de fuir

ments qui les accompagnent. est finalement retrouvée,

En ce qui concerne le test de l'évitement actif, la cage à le sujet n'en profite pas et reste

conditionnement présénte deux compartiments sépa- prostré dans sa dépression.

rés par une cloison opaque avec porte de communica-


après la dernière séance d'apprentissage. Un animal
est dit « éduqué » s'il accomplit un test ne comportant
A même situation, que trois réponses négatives au plus.
réactions différentes : Plusieurs protocoles sont alors possibles.
ici, l'homme fuit dans la boisson, Si la porte de communication entre les deux comparti-
la femme choisit la bagarre. ments est ouverte, l'animal fuit dans le second com-
Chacun, à sa façon, partiment dès l'apparition du double signal, sonore et
évite l'inhibition de l'action, lumineux, et évite ainsi la punition. Il apprend très
qui serait fatale à son équilibre vite la relation temporelle entre le double signal et la
biologique et provoquerait décharge électrique et n'attend pas celle-ci pour fuir,
rapidement de sérieuses lésions c'est-à-dire pour éviter activement la décharge : il est
qui pourraient être alors conditionné, «éduqué». Dans ce premier cas, au
plus graves encore, bout de sept jours, l'animal est en parfaite santé ; sa
ou tout au moins plus rapides, courbe de poids est normale, il ne présente pas
que celles causées par l'alcool... d'hypertension artérielle ni d'ulcère de l'estomac.
Gustave Brun (1817-1881), Si l'on ferme la porte de communication mais que l'on
L'Ivrogne. place deux animaux dans le même compartiment, à
Dôle, musée des Beaux-Arts. l'apparition du signal, ils se mettent en position de
combat - on les appelle des boxing rats. Au bout d'une
semaine de ce traitement, ils demeurent également en
tion. Le plancher est électrifié alternativement d'un parfait état. Si le traitement dure plus longtemps, ils
compartiment à l'autre suivant un programme défini finissent par comprendre que leur lutte est inefficace
pour le voltage et pour le nombre de stimuli. La et se comportent comme les animaux du protocole
décharge électrique est précédée d'un double signal, suivant, en « inhibition de l'action ».
sonore et lumineux. Le temps qui s'écoule entre les Si cette fois l'animal est seul, porte de communication
signaux - stimulus conditionnant - et la décharge fermée, il essaie bien de fuir, mais sans succès. Il
électrique - stimulus inconditionné - est de trois devient d'abord agressif, puis il se tapit dans un coin,
secondes. Le cycle dure vingt et une secondes. Le poils hérissés, en inhibition de l'action du fait même
temps de réaction de l'animal est automatiquement de son inefficacité. Au cours de l'« attente en tension»
enregistré. du moment où il pourra agir, il subit d'importants
Les rongeurs sont soumis au test une fois par jour à la bouleversements biologiques. Si l'inefficacité de
même heure pendant sept jours. Pour étudier la per- l'action persiste, et c'est le cas dans ce dernier proto-
sistance du conditionnement, on teste à n o u v e a u cole, qui dure sept jours, de graves lésions somatiques
chaque animal une semaine, puis quatre semaines apparaissent : amaigrissement, hypertension artérielle
Études pharmacologiques

n p e u t é t u d i e r , à l ' a i d e de tests, sous-tendent en agissant à plusieurs teurs à l'ACh et du cycle des phosphoino-
0 l'influence de certains agents phar- niveaux d'organisation. sitides. Dans ce cas, on est en mesure de
macologiques sur l'apprentissage et la On admet que l'acétylcholine (ACh) s'opposer complètement à l'action amné-
mémorisation de l'évitement passif comme commande aux comportements d'inhibi- siante de la scopolamine dans le test de
de l'évitement actif. tion de l'action. On comprend pourquoi la l'évitement passif. On peut donc commen-
scopolamine, qui, nous venons de le voir, cer à réunir les niveaux d'organisation
Test de l'évitement passif est un antagoniste de l'action de l'ACh sur moléculaire, génomique, m e m b r a n a i r e
La scopolamine, qui bloque l'action de ses récepteurs, s'oppose à l'acquisition et à et neurophysiologique dans certains pro-
l'acétylcholine sur ses différents récep- la rétention d'un comportement d'évite- cessus de mémoire et dans les comporte-
teurs, a une action amnésiante puissante ment passif, qui est un comportement ments qui les accompagnent.
dans le cas de l'évitement passif. Il est d'inhibition d'une pulsion instinctive.
alors possible d'étudier l'action antago- Mais les récepteurs à l'ACh sont multiples. Test de l'évitement actif
niste ou au contraire facilitante de nom- Les uns, dits récepteurs Ml, lorsqu'ils sont Les médiateurs chimiques mis en jeu sont
breuses molécules agissant sur différents stimulés par l'ACh, mettent en jeu un cette fois les catécholamines (dopamine
récepteurs membranaires, ou la stimula- second messager, le cycle des phosphoino- et norépinéphrine). Les antidépresseurs en
tion des seconds messagers qui eux- sitides. Ce cycle aboutit à la stimulation facilitent l'action. Le second messager nous
mêmes peuvent avoir une activité spéci- d'une enzyme, la protéine kinase C (PKC), a paru être l'adénylate cyclique (cAMP).
fique sur le métabolisme neuronal ou sur capable d'activer d'autres protéines enzy- U n e m o l é c u l e c o m m e le p r o p r a n o l o l ,
l'expression de certains gènes. On peut matiques et même d'agir sur le génome antagoniste des catécholamines sur les
ainsi mettre progressivement en évidence pour y déclencher les mécanismes de la r é c e p t e u r s B et i n h i b a n t l ' a c t i v i t é de
le rôle des seconds messagers dans un pro- synthèse de protéines à partir de certains l'adénylate cyclase, s'oppose à l'appren-
cessus de mémorisation d'un évitement gènes. Or il est possible d'activer la PKC tissage et à la rétention d ' u n comporte-
passif et dans les comportements qu'ils sans passer par l'intermédiaire des récep- ment d'évitement actif.

stable, ulcère de l'estomac, etc., et l'animal devient l'animal ne se souvient pas qu'il est dans une situation
sensible à toute infection ou à tout développement désespérée. Et au bout de sept jours, il se porte parfai-
de tumeur. tement bien, alors que la sévérité des électrochocs
Pour démontrer que ce syndrome pathologique de convulsionnels aurait pu être une raison supplémen-
l'inhibition de l'action résulte bien d'un processus de taire d'aggravation de son état physiopathologique.
mémoire, la mémoire de l'inefficacité de l'action, on a L'apprentissage du désespoir est si profondément
soumis les animaux, au cours du dernier protocole ancré dans le cerveau des animaux que si, après sept
expérimental, à un électrochoc avec convulsions et jours, on ouvre la porte de communication entre les
coma i m m é d i a t e m e n t après la séance journalière deux chambres, ils n'en profitent pas et restent pros-
expérimentale. L'électrochoc, en dépolarisant les neu- trés dans leur dépression comportementale.
rones, en particulier ceux de la formation réticulée, Ici encore, on peut utiliser des agents pharmaco-
empêche le passage de la mémoire à court terme à la logiques pour empêcher ou au contraire faciliter
mémoire à long terme du fait de l'absence de mobili- l'apprentissage et la mémorisation du comportement
sation du système limbique. Ainsi, d'un jour à l'autre, d'évitement actif.
La durée d ' u n stimulus nociceptif aboutissant à un
c o m p o r t e m e n t d'inhibition de l'action p e u t donc
transformer profondément l'activité biophysiologique
et comportementale de l'individu : une situation
d'inhibition de l'action de longue durée est en effet
Image du plus complet désespoir, susceptible d'influencer les processus de mémoire et
cet homme semble avoir de provoquer des troubles mnésiques comparables
renoncé à toute possibilité à ceux qui caractérisent le vieillissement cérébral par
de réagir, d'émerger exemple.
de sa souffrance, de reprendre On en arrive alors à la conclusion suivante : la réponse
contact avec le monde extérieur, comportementale à une situation comportementale
de communiquer est capable d'influencer la réponse à un agent phar-
un tant soit peu avec lui. macologique, alors que jusqu'ici c'était plutôt l'inverse
qui était observé.
.Le rêve, ici magistralement LE CORTEX
représenté par Dali, ou l'écriture,

symbolisée par ce scribe,

sont deux expressions e problème de la conscience et de l'incons-


d'une activité corticale associative, cient a été abordé par toutes les disciplines,
caractéristique de l'homme. L {que ce soit la biochimie, la neuroanatomie,
A gauche, la physiologie, la psychologie, la philosophie, la psy-
Salvador Dali (1904-1989), chiatrie, etc. Nous en tenterons une approche inter-
Rêve causé par le vol d'une abeille disciplinaire, tout en essayant de ne pas nous laisser
autour d'une pomme grenade enfermer dans les cases de la spiritualité ni dans celles
une seconde avant l'éveil, 1944. du matérialisme.
Collection Thyssen-Bornemisza. Nous avons déjà eu l'occasion de dire que l'énergie ne
Ci-dessus, école rhénane, se touche pas. Quant à la pensée et à la conscience,
Homme écrivant, fin du xvie siècle. elles ne se touchent pas non plus, elles ne sont pas
Colmar, faites de matière, mais elles n'en appartiennent pour-
musée Unterlinden. tant pas moins au monde de la physique, c'est-à-dire
au monde, tout simplement.
CONSCIENCE, INCONSCIENT D a n s ce tableau daté de 1929,

ET LANGAGE le patient conserve les yeux

ouverts, comme s'il était opéré

L es méthodes modernes permettent d'obtenir une sous neuroleptanalgésie.

anesthésie sans perte de conscience grâce à la Ce serait donc un précurseur...

combinaison d'un neuroleptique et d'un analgésique En revanche, les chirurgiens

- c'est ce que l'on appelle une anesthésie potentialisée o p é r a n t sans masque

ou neuroleptanalgésie. Des malades subissant une et sans b o n n e t semblent

intervention majeure se trouvent ainsi en mesure de ne pas avoir encore été touchés

répondre pendant l'opération à des ordres simples par la révolution bactérienne.

comme «Ouvrez la bouche» ou «Fermez les yeux». Christian Schad,

Ils semblent donc conscients, mais, interrogés L'Opération, 1929.

quelques heures plus tard, ils n'en ont aucun souve- Munich, Stadtische Galerie

nir. La réponse motrice qu'ils ont donnée aux ordres im Lenbachhaus.

reçus pendant l'action pharmacologique suffit-elle


dans ces conditions à prétendre qu'ils étaient alors en
« état de conscience » ? dant ce temps elle s'asphyxiait. Pierre Huguenard,
Je me souviens d'un jour où, au début de notre utilisa- angoissé - on le comprend, c'était là un exemple
tion de ce type d'« anesthésie sans anesthésique » dans typique d'inhibition de l'action -, hurla plus qu'il ne
le service du professeur Sénèque à l'hôpital de Vaugi- dit : « Mais nom de Dieu, madame, ouvrez la bouche ! »,
rard, entre 1950 et 1954, une malade subissait une ce que la malade s'empressa de faire, sans pour autant
hystérectomie totale. Elle avait été intubée et respirait reprendre sa respiration. Alors que nous étions prêts à
calmement, les yeux grands ouverts. L'abdomen avait la ventiler artificiellement, Pierre Huguenard tonitrua
été largement incisé, des champs - compresses qui de nouveau : « N o m de Dieu, madame, mais respi-
délimitent la zone opératoire - interdisant aux anses rez ! », et elle obéit aussitôt. Je ne saurais dire si les
intestinales d'envahir le petit bassin et des écarteurs deux jurons blasphématoires avaient été indispen-
exposant ce dernier aux mains des opérateurs. L'inter- sables à ce retour à une ventilation normale... Mais,
vention était déjà bien avancée quand la malade, fer- interrogée le lendemain, la jeune femme n'avait aucun
mant soudain la bouche, coinça le tube trachéal entre souvenir de l'incident, ni des ordres qui lui avaient été
ses dents. La circulation de l'air vers les poumons s'en intimés, ni de notre angoisse évidemment. Ce cas me
trouva évidemment interrompue. L'anesthésiste, fit comprendre que l'on peut présenter un compor-
Pierre Huguenard, tenta aussitôt de placer un ouvre- tement apparemment conscient, et même répondre
bouche entre les dents serrées, mais, l'articulé dentaire à des ordres oraux simples, sans être ce qu'il est
de la patiente étant parfait, il n'y parvint pas. Et pen- convenu d'appeler « conscient ».
En effet, l'état de conscience implique la notion de
schéma corporel. Le nouveau-né enfermé dans son
« moi-tout » ne peut vraisemblablement pas être quali-
fié de conscient, même éveillé, car il n'a pas encore,
p a r une expérience motrice sur l ' e n v i r o n n e m e n t
combinée à l'expérience interoceptive, intégré une
image de lui-même séparée du m o n d e extérieur.
L'état de conscience se trouve également rapporté à
une expérience de soi dans le temps, grâce aux pro-
cessus de mémoire, car la conscience, c'est d'abord la
conscience de la pérennité des schémas corporels dans
le temps. Il faut à l'enfant un « état d'éveil » pour être
à même de confronter constamment les stimuli pré-
sents avec l'expérience des stimuli passés. Si l'on place
expérimentalement un enfant en état de privation sen-
sorielle, il se retrouve rapidement en état d'endormis-
sement, de perte de conscience. Or nous avons déjà vu
que processus de mémoire et motivation s'adressent
au système limbique et à l'hypothalamus, et que
l'éveil dépend de la stimulation de la formation réti-
culaire ascendante.

Cependant tout acte réflexe ou automatique est géné-


ralement inconscient. Il semble même que ce soit là sa
principale utilité, car il libère le système focalisateur
de l'attention tout en permettant l'accomplissement
de l'action. C'est l'avantage des habitudes de toute
sorte et du « métier », qui nécessite un apprentissage
- et nous connaissons le rôle du système limbique
dans les processus d'apprentissage et de mémoire. Ce
ne sont donc pas les actes réflexes ou automatiques
qui pourront permettre isolément un phénomène de
conscience. Inversement, un comportement stricte-
ment aléatoire, imprévisible autrement que statisti-
quement, exigerait l'absence de mémoire. La réponse
U n acte automatique

est généralement inconscient.

Il libère le système focalisateur

de l'attention t o u t en rendant

possible l'accomplissement

de l'action. C'est l'avantage

de ce que l'on appelle

« avoir du métier », qui permet

la production d'objets

manufacturés. En revanche,

l'artisan n'a plus sa place

dans les chaînes mécaniques

animées par les machines.

Anthelme Trimolet (1798-1866),

L'Atelier du mécanicien, 1819

(Ennemond Eynard dans

son atelier, avec son élève Brun).

Lyon, musée des Beaux-Arts.

La fabrique Enfield,

à Madras, en Inde, qui produisait

parmi les meilleures

motocyclettes du monde.
du système nerveux aux variations de l'environne- façon réflexe ou a u t o m a t i q u e , que l ' h o m m e est
ment serait chaque fois différente, puisqu'une situa- conscient. Il est donc d'autant plus conscient qu'il
tion ne se reproduit jamais. Ce comportement serait connaît ses automatismes et ses pulsions, et qu'il par-
également inconscient. vient à s'en libérer par sa faculté à imaginer. On peut
La conscience paraît en définitive être un phénomène aussi penser qu'il risque d'être d'autant plus conscient
résultant de l'impossibilité où se trouve un individu que ses pulsions fondamentales sont plus puissam-
« normal » d'être inconscient, c'est-à-dire de répondre ment en opposition avec les interdits sociaux, ces der-
par un comportement soit entièrement automatique, niers créant ses automatismes. Mais le plus souvent ce
soit entièrement aléatoire. Le fait que sa mémoire et conflit sans solution entre pulsions et interdits mettant
son expérience, innée comme acquise, l'entraînent à en jeu le système inhibiteur de l'action est si doulou-
répondre par voie automatique, donc inconsciente, a reux que l'individu préfère l'enfouir dans son inscons-
pour support tout le système sous-cortical et cortical cient, le refouler. Névroses et psychoses trouvent sans
de l'individu, essentiellement la partie de l'encéphale doute là une de leurs sources.

qu'il a en commun avec les autres espèces animales, le La conscience se révèle ainsi comme la conséquence
paléocéphale. Le langage ne change rien à l'affaire : il du fonctionnement le plus complet, le plus intégré
n'est qu'un moyen de stimulation supplémentaire, de toutes les aires et fonctions cérébrales. Elle est

plus complexe, un deuxième système de signalisa- d'autant plus grande que la soumission aux automa-
tion - suivant l'expression d'Ivan Petrovitch Pavlov - tismes inconscients est plus faible, ce qui devrait être
capable d'enrichir le comportement sans pour autant le propre de l'espèce humaine. La vigilance est néces-
le rendre plus conscient. Le principe de stimulus- saire à la conscience, mais il ne s'agit pas pour autant
réponse est donc incapable de fournir une interpréta- de les confondre : on parle par exemple d'animaux à
tion du phénomène de conscience. l'état vigil et non pas d'animaux conscients.
Quant aux systèmes associatifs, ils ne peuvent se Q u a n d un p i a n i s t e de concert passe p l u s i e u r s
concevoir isolés des précédents (système limbique, semaines à répéter un même trait, il le fait pour auto-
hypothalamus et formation réticulaire ascendante) : matiser les multiples mécanismes qui aboutissent aux
ils n'auraient rien à associer s'ils n'avaient rien mémo- mouvements complexes de ses doigts afin que ces
risé. Mais imaginons qu'ils puissent associer au mécanismes deviennent «inconscients». L'automa-
hasard des éléments mémorisés sans relations entre tisme lui permet alors de focaliser son attention sur
eux, en particulier sans les relations temporelles autre chose, par exemple sur des sonorités qui font
nécessaires à la notion de pérennité du sujet qui agit ; la richesse de son interprétation, nous introduisant
ce fonctionnement serait évidemment inconscient. dans son imaginaire et dans le nouveau niveau de
C'est finalement parce qu'il est capable de répondre conscience que celui-ci permet. Dans les deux états, ce
de façon originale à un problème posé par l'environ- pianiste est vigilant, mais son niveau de conscience
nement, problème auquel il aurait pu répondre de n'est pas le même, car ses automatismes inconscients
ne sont pas identiques. Son second état de conscience
s'est enrichi de tous les automatismes inconscients

qu'il a acquis entre-temps. u n pianiste de concert sur son interprétation.

L'ensemble de ces réflexions nous conduit à décrire passe plusieurs semaines à répéter Son niveau de conscience n'est pas

deux types différents de processus conscients : la un même trait afin d'automatiser, le même dans les deux cas :

conscience concrète et la conscience abstraite. de rendre inconscients dans le second, il s'est enrichi

La conscience concrète serait celle que l'enfant pos- les mécanismes complexes de tous les mécanismes

sède avant l'acquisition du langage, mais après celle qui aboutissent aux mouvements inconscients.

du schéma corporel : le monde dans lequel il se meut de ses doigts. Beethoven au piano,

est alors peuplé d'« images » qui en sont le reflet. Ces C'est seulement ensuite pastel du xixe siècle.

images résultent de l'association par le cortex de qu'il peut focaliser son attention Vienne, Musée historique.

l'ensemble des caractéristiques d'un objet perçues par


j L œi! capte

les caractéristiques optiques

de l'environnement

en pièces détachées : couleur,

forme, volume, déplacement, etc.

C'est au niveau du cortex

que les systèmes associatifs

reconstituent, à partir

de ces éléments séparés,

l'objet et l'aspect visuel

de l'environnement.

René Magritte (1898-1967),

La Traversée difficile, 1963.

Italie, collection particulière.

les sens. Ces caractéristiques, à la fois visuelles, tac-


tiles, auditives, olfactives, gustatives, voyagent dans
nos voies sensorielles par des canaux différents et
aboutissent dans des neurones corticaux différents.
Et, comme l'a révélé l'étude de l'activité du système
visuel, chacune de ces caractéristiques est elle-même
décomposée en de multiples éléments séparés.
L'action permet de mettre progressivement en jeu les
neurones associatifs dont les traces mémorisées abou-
tissent à la notion d'objet. Il s'agit là d'un apprentis-
sage, le premier sans doute. L'animal est soumis aux
mêmes exigences. Cependant les systèmes associatifs
de l'enfant, plus développés que ceux de l'animal,
peuvent travailler sur ces images pour créer de nou-
velles structures imaginaires, qu'il confronte avec les
automatismes, les «habitudes» qu'il a aussi acquises
par apprentissage. Ces structures imaginaires expri-
ment déjà des conflits entre pulsions et interdits,
que ceux-ci soient socioculturels ou imposés par la
« réalité » expérimentale - toute action étant une expé-
rimentation -, et se mettent en place dès que les sys-
tèmes associatifs permettent d'imaginer une stratégie
originale de l'action. Un certain niveau de conscience
doit alors en résulter, dont la part sociale se résume, à
ce stade du développement de l'enfant, à l'origine
sociale des automatismes acquis. L'animal, quant à
lui, est incapable d'imaginer de telles stratégies, car
ses systèmes associatifs ne sont pas suffisamment
développés. Pourtant l'animal domestique est égale-
ment soumis par l'homme à ce type d'automatismes,
mais sans pour autant présenter les caractéristiques de
la conscience enfantine.
Le second type de processus conscient, la conscience
abstraite, est lié à l'existence et à l'utilisation du
langage. L'apparition du langage crée une certaine
distance par rapport à l'objet. Cette acquisition est évi-
demment d'origine purement sociale. Son appren-
tissage dépend de l'entourage humain, et le langage
gouverne essentiellement les rapports interhumains.
Les processus associatifs permettent alors de manipu-
JLr acquisition du langage fait ler non seulement des images, mais encore des mots,
émerger la conscience abstraite dont chacun répond à de nombreuses images diffé-
et, avec elle, la possibilité, rentes, le mot n'étant pas en rapport biunivoque avec
à partir de l'observation l'objet - à un mot ne correspond pas un seul objet, et
du monde environnant, réciproquement. Les structures imaginaires, les rela-
de découvrir les lois physiques tions susceptibles d'être établies entre les mots suivant
et d'établir un nouveau
une syntaxe précise atteignent une richesse considé-
mode d'expression, rable, dont la conscience concrète était incapable.
le langage mathématique. Mais cela signifie également que les automatismes,
Carlo Carrà, Solitude. qui peuvent résulter de ces associations langagières,
Italie, collection particulière. demeurent le plus souvent dans le domaine de
l'inconscient. Le langage, structuré d'abord par la
LE S Y S T È M E N E R V E U

relation au milieu, fait lui-même partie de ces auto-


matismes.

C'est donc dès la naissance que des structures incons-


cientes, liées au langage, s'établissent dans le système
nerveux humain. Ces structures abstraites super-
posées, qui dépendent de structures préexistantes,
constituent l'inconscient. La conscience que l'on pour-
rait qualifier d'immédiate ignore évidemment tout de
la dynamique qui a présidé à l'établissement de ces
structures superposées. L'école pavlovienne qualifie
le langage de «deuxième système de signalisation»;
le terme de signalisation exprime ici l'idée que des
relations existent entre l'excitation provoquée par le
langage et l'information qu'elle véhicule, cette infor-
mation concernant un ensemble beaucoup plus vaste
qu'elle-même.
L'inconscient est le réservoir essentiel dans lequel
puise l'action, car il comprend les motivations fonda-
mentales et les apprentissages socioculturels, les auto-
matismes. C'est un élément indispensable pour parve- leur passage au niveau des automatismes inconscients
nir à la conscience, qui n'est alors que le résultat d'un permet à l'activité globale consciente d'acquérir rapi-
conflit à un niveau d'organisation supplémentaire dité et efficacité, à tel point que, si l'attention se fixe
entre le déterminisme des automatismes et l'« aléa- sur l'un des éléments automatisés de l'action globale,
toire» - entre guillemets, car il serait préférable de celle-ci risque de devenir moins adaptée, moins
dire la combinatoire - de l'imaginaire. précise et moins efficace. Le rôle du cervelet dans
L'action orientée vers un but est constituée par une cette mémoire motrice, dans la constitution des auto-
succession d'actes moteurs, éléments de l'ensemble matismes moteurs, paraît fondamental - habileté
moteur global. L'action finalisée représente un conti- conquise dans les jeux, dans les techniques profes-
n u u m d'états moteurs qui n'atteignent pas tous le sionnelles ou autres, performances animales, parole,
même niveau de la conscience : une conduite motrice discours, danse, chant, etc.
dépend le plus souvent d'automatismes inconscients, Par ailleurs, un comportement adapté ne peut se résu-
seule l'action globale est consciente. Chacun des chaî- mer à une simple succession stimulus-réponse, il doit
nons élémentaires de celle-ci exige d'abord un proces- faire appel à une succession de mécanismes internes
sus de conscience lors de l'apprentissage. Plus tard, concourant au résultat final de l'action. Chacun de ces
mécanismes est sans cesse comparé au but à atteindre L e coureur automobile

suivant un programme : à chaque instant le résultat illustre mieux que quiconque

partiel est corrigé en fonction de ce but. Dans les acti- l'importance des réflexes,

vités de ce type, la conscience n'est pas nécessaire. automatismes devenus

Si en revanche l'activité associative utilise, pour inconscients. La vitesse l'oblige

atteindre son objectif, plusieurs schémas d'automa- à agir sans aucun temps

tismes acquis et se représente les avantages et les de réflexion, et seule

inconvénients, pour le plaisir ou pour la survie, de la suprême habileté qu'autorise

l'emploi ou de la combinaison de tel ou tel de ces sa mémoire motrice

automatismes ou de certains fragments d'entre eux, le lui permet de prétendre

comportement devient conscient. Un système associa- à la compétition.

tif développé est pour cela nécessaire. Jean Alesi, durant

La spécialisation de l'hémisphère gauche dans le lan- le Grand Prix d'Europe 1993,

gage semble relever d'une spécialisation antérieure à Donington, Angleterre.

permettant de contrôler la posture. On remarque déjà


pareille spécialisation chez certains primates qui pré-
fèrent utiliser la main gauche pour se nourrir et la
main droite pour réaliser certaines manipulations
d'objets. Chez les hominiens, l'hémisphère gauche,
qui commande le côté droit du corps, commence à se
spécialiser dans le contrôle de la posture. Quand les
primates abandonnèrent la vie arboricole, la main
droite devint la main opérationnelle, alors que l'hémi-
A ucours est devenu celui sphère droit se spécialisait dans les tests visuels. Or
de l'évolution de l'espèce, de la communication, actuellement, chez les primates, l'hémisphère gauche
l'hémisphère gauche donc du langage. est devenu celui de la communication : il permet
du cerveau, qui commande Ce cliché le montre clairement : d'émettre certains appels en fonction de la posture.
la partie droite du corps, à l'écoute d'un bruit, Chez l'homme, les droitiers, dont l'hémisphère
s'est t o u t d'abord spécialisé les aires auditives activées gauche est spécialisé dans le langage, comprennent
dans le contrôle de la posture sont bilatérales, alors que, mieux les mots avec l'oreille droite. Ainsi, l'asymétrie
alors que l'hémisphère droit à l'écoute de syllabes parlées, entre hémisphère droite et gauche semble avoir évo-
se spécialisait dans les tests visuels. seule l'aire frontale gauche lué avec les adaptations posturales et alimentaires des
Plus tard, l'hémisphère gauche est activée. premiers primates. Ces théories sur l'origine du lan-
gage sont dites théories gestuelles.
Le langage est vraisemblablement une acquisition
relativement récente de l'homme. En 1976, J. Jaynes a
audacieusement tenté d'en dater l'évolution. D'un

langage qu'il qualifie d'accidentel, lié au stimulus et à


sa répercussion émotive, limbique, composé d'onoma-
topées, qui accompagne un comportement mais ne
provoque pas toujours de réponse de la part d'autres
animaux, qui peut être émis même lorsque le sujet est
seul, on passe progressivement à un langage «inten-
tionnel», émis dans un contexte social et destiné à
modifier le comportement des autres. Pour J. Jaynes,
le vocabulaire, qui s'est brutalement développé au
début du néolithique, 10000 à 8000 ans avant notre
ère, au moment de la fixation au sol, de la multiplica-
tion des objets et des premières divisions du travail,
dépend du nombre et de la variété des outils.
L'homme du Néandertal présentait un front dont
l'angle était de 65 degrés - le nôtre est de 90 degrés -,
ce qui révèle des lobes frontaux incomplètement
développés. La forme de son crâne indique également
que les zones du cerveau spécialisées dans le langage
- zone de Brocca, aires associatives de Wernicke -
sont tout aussi incomplètement développées.
Le début du néolithique, qui a vu naître l'agriculture
et l'élevage, s'est accompagné de la division progres- L e développement du langage parfaitement taillées,

sive des fonctions dans l'organisme social qui com- pourrait être directement lié sont plus récents : fabriqués

mençait alors à se constituer. La communication entre à la multiplication entre 2 500 et 1 800 ans

les éléments individuels de la collectivité était deve- et à la différenciation des outils avant Jésus-Christ,

nue nécessaire pour permettre à ce nouvel ensemble créés et utilisés par l'homme. ils sont les témoins

d'agir efficacement en vue de l'amélioration de ses Ainsi, le début du néolithique d'un d é b u t de culture d'outils

conditions de survie. Or cela exigeait un enrichisse- serait une période charnière différenciés,

ment progressif des signaux et la création de règles dans ces deux domaines. la culture Remedello.

grammaticales gérant leurs combinaisons. Ce fut le Ces outils, des pointes de silex Milan, Musée archéologique.

rôle du langage. Comme l'écrivit B. W. Robinson, « le


LE S Y S T È M E N E R V E U X

langage humain dépend normalement de deux sys-


tèmes plutôt que d'un. Le premier et phylogénétique-
ment le plus ancien est localisé dans le système lim-
bique ; il est bilatéral sans dominance hémisphérique,
antérieur au développement des primates et en rela-
tion étroite avec des facteurs émotionnels, motivation-
nels et végétatifs. Il n'est capable que de transmettre
des signaux d'un contenu informationnel restreint. »
Certains singes sont cependant capables d'émettre des
appels spécifiques pour prévenir les membres de leur
groupe de la survenue d ' u n prédateur. Les sons ne
seront pas les mêmes pour prévenir de l'apparition
d'un léopard, d'un aigle ou d'un serpent, et vont pro-
v o q u e r chez les autres singes un c o m p o r t e m e n t
adapté à l'agresseur signalé.
Robinson poursuit : «Le second système s'ajoute
au premier, surtout développé chez l'homme ; il est
néocortical, latéralisé, et normalement dominant dans
l'hémisphère gauche. Il ne provient pas du vieux sys-
tème mais d'un tissu nouveau, en particulier les aires
néocorticales associatives [...]. Ce système apparaît en
parallèle avec l'ancien, le domine, et relègue le vieux
système dans un rôle subordonné. »
Un linguiste américain, N o a m Chomsky, a émis présentent elles aussi cette caractéristique. Peut-on
l'hypothèse suivant laquelle l'homme disposerait, de pour autant leur accorder la faculté de conscience?
façon innée, d'une structure cérébrale de circuits neu- Un enfant sauvage qui a grandi en dehors de tout
ronaux qui lui fournirait le cadre grammatical, celui-ci contact humain et a été retrouvé après une période de
variant peu d'une langue à l'autre, et qui lui permet- cinq à dix ans ne deviendra jamais un homme : la
trait l'apprentissage rapide du langage. plasticité que présentait son système nerveux au cours
On conçoit la difficulté qu'il y a à définir le conscient des premiers mois ayant définitivement disparu, un
et à le d i f f é r e n c i e r de l ' i n c o n s c i e n t : en effet, certain nombre de connexions synaptiques ne se réali-
nombreux sont les facteurs qui ont conduit à l'être seront plus. En revanche, un environnement enrichi
humain, et multiples leurs interactions. L'homme est permet par exemple à un animal adulte de résoudre
un animal social, mais de nombreuses autres espèces des problèmes de labyrinthe plus vite et plus effica-
cement qu'à un animal n'ayant pas bénéficié d ' u n
tel environnement. Le contraire se produit dans le
JLr enfant sauvage qui a grandi disparu, si bien que
cas d ' u n environnement banalisé : après quelques
à l'écart de tout contact humain de nombreuses connexions
semaines, un chaton élevé dans une cage à barreaux
n'a aucune chance synaptiques ne se réaliseront plus, verticaux ne distingue plus les barreaux horizontaux,
de devenir un homme. la période dite de l'empreinte et il ne pourra jamais plus les voir. En cela, Sigmund
La plasticité qui caractérisait étant passée.
Freud avait sans doute raison d'insister sur l'impor-
son système nerveux au cours Photo tirée du film
tance des premières années de la vie de l'enfant. Mais
des premiers mois de François Truffaut, chez l ' h o m m e , la conscience est d ' a b o r d u n e
de son existence a définitivement L'Enfant sauvage. conscience abstraite, la conscience liée au langage. Elle
s'est progressivement établie au cours des derniers
Licence eden-338-533463-464VDHx10x01 accordée le 29 mai 2020 à
customer533463 Sergiu
La m é m o i r e , l a r g e m e n t d i s t r i b u é e à t r a v e r s les
espèces, ne pouvait suffire à une telle évolution. Seule
l'apparition des systèmes associatifs, dont le dévelop-
pement semble bien avoir procédé des facteurs précé-
dents, a permis la création d'une information capable
de transformer le monde de la matière. Ce langage
conscient a permis un développement de l'industrie
Le cerveau associatif humaine et la protection de l'espèce par la découverte
et le langage conscient des lois physiques et d'un nouveau mode d'expres-
ont abouti à la découverte sion, la mathématique; mais il n'a malheureusement
des lois physiques rien appris, jusqu'à une date récente, sur la program-
et de leur mode d'expression, mation, innée et acquise, de l'instrument même qui
la mathématique, mais on ignore autorisait son existence : le système nerveux. Le dis-
encore à peu près tout cours logique n'est en effet qu'une hypothèse de tra-
du fonctionnement vail, qui exige le contrôle expérimental pour recon-
de l'instrument qui a permis n a î t r e sa c o h é r e n c e avec ce que n o u s p o u v o n s
leur existence : le cerveau humain. abstraire de la réalité. Les prétendus faits objectifs qui
Louis de Broglie, photographié servent généralement de base aux analyses logiques
par Robert Doisneau. ne peuvent être que des faits abstraits réunis en un
sous-ensemble de l'ensemble qui constitue le réel. La
collecte de ces faits n'est pas la conséquence d u
millénaires, on l'a vu, en relation avec des transfor- hasard, mais celle des pulsions et des automatismes
mations biochimiques, neurophysiologiques et ana- culturels qui nous rendent sourds aux autres faits,
tomiques, elles-mêmes résultant des rapports de pour nous sans signification. Or nous sommes la plu-
l'homme avec son environnement. Cette auto-organi- part du temps persuadés que l'analyse logique que
sation de la conscience dépend du langage, lequel a nous élaborons à partir des faits objectifs doit obliga-
permis la transmission de l'expérience de génération toirement nous faire déboucher sur le réel, alors que
en génération, ce dont les animaux sont incapables. ce prétendu réel ne représente qu'une banale hypo-
Le langage provient sans doute des facteurs environ- thèse de travail qui s'effondre bien souvent à l'expéri-
nementaux qui ont contraint une espèce simienne à mentation. Expérimentation qui n'a pu être réalisée
adopter le bipédisme, à libérer sa main, à transformer dans les sciences dites humaines, étant donné l'igno-
la statique de son crâne, à voir évoluer sa cavité naso- rance où nous étions du fonctionnement de l'instru-
pharyngée, à développer une industrie primitive et à ment qui réalise l'ensemble des rapports humains,
se protéger plus efficacement de son environnement. c'est-à-dire le système nerveux humain.
L a conscience se bâtit

sur l'inconscient,

auquel il est difficile d'attribuer

quelque crédit. La plupart

des discours, aussi logiques

et cohérents qu'ils paraissent,

ne sont le plus souvent

que miroir aux alouettes ;

leur apparence trompeuse

ne sert qu'à légitimer des desseins

de tout autre nature

que ce qu'ils prétendent défendre.

C'est ainsi que la logique

du discours conscient a permis

à l'espèce de dominer le monde

et à certains individus d'imposer

leur domination

à leurs contemporains.

Hitler à Nuremberg, en 1935.

La conscience se bâtit donc sur l'inconscient. Ce der- porains. Or comment se préserver de l'inconscient si
nier étant par définition inconscient, il est difficile de l'on ne connaît pas les mécanismes de sa genèse, non
lui attribuer quelque crédit, et ce d'autant plus que, plus seulement de façon langagière, mais aussi de
par la logique du discours conscient, l'espèce a pu façon expérimentale ?
Tout cela montre combien il est difficile de faire une
dominer le monde. C'est pourtant grâce à l'incons-.
cient que certains individus, à travers les âges, sont distinction précise entre conscient et inconscient. La
parvenus à imposer leur dominance à leurs contem- conscience est faite d'inconscient et le passage de
l'une à l'autre est du domaine de l'abstraction lan- tismes acquis à partir de l'établissement du schéma
gagière. Si l'on fait référence au p h é n o m è n e de corporel, les automatismes moteurs, conceptuels et
l'empreinte, la distinction est plus difficile encore. Qui linguistiques indispensables à l'efficacité de l'action.
dira précisément la part prise par cette période dans Mais si l'on songe qu'avant l'établissement du schéma
les comportements humains sociaux, dans ce qu'il est corporel, avant qu'apparaisse la conscience d'être
convenu d'appeler la culture? L'inconscient précé- d a n s u n e n v i r o n n e m e n t qui n ' e s t pas « m o i » , à
demment décrit ne prend en compte que les automa- l'époque où l'enfant est encore enfermé dans son
« moi-tout », la mémoire est déjà fonctionnelle puisque
c'est elle qui permet de sortir du « moi-tout » et d'éta-
blir le schéma corporel, alors on comprend que peu-
vent surgir dans le champ de la conscience, une fois
celui-ci constitué, des souvenirs que le sujet sera inca- L inconscient peut être

pable de rapporter à son « moi ». Ces souvenirs seront compris dans un sens restreint

comme venus d'ailleurs, d'un fonds commun ances- comme ce qui est « refoulé »,

tral ou d'un monde mythique et transcendantal, sans parce que non autorisé

possibilité de réponse logique dans une action effi- à s'exprimer du fait

cace. Quoi de plus angoissant, puisque l'angoisse naît des interdits de la socioculture.

de l'inhibition de l'action ? Il trouve cependant

L'inconscient compris comme ce qui est refoulé par la un moyen d'expression à travers

conscience trouverait son origine dans le fait que la les processus névrotiques

pulsion hypothalamique - ou l'automatisme acquis de l'imagerie onirique,

qui permettrait son expression -, entrant en conflit masque d ' e m p r u n t non interdit,

avec un autre automatisme plus impératif pour la sur- celui-là, par la socioculture.

vie, ne découvre pas de solution imaginaire permet- Remedios Varo,

tant de passer à un acte non programmé et non puni. Purée d'étoiles, 1958.

Les réseaux neuronaux mis en jeu dans ce processus Mexico, collection particulière.

d'attente en tension attendent la levée de l'inhibition,


qui ne vient pas. C'est en quelque sorte l'aspect néga-
tif du refoulement. Toutefois il semble bien que l'on celui d'un besoin fondamental ou acquis. Le second,
puisse lui ajouter un aspect positif. Dans ce cas, la d'aspect positif, celui d'un désir.
solution i m a g i n a i r e p e r m e t t a n t l'action est bien Mais l'inconscient ne peut se réduire à cela : la somme
découverte, mais elle menace d'être si dangereuse et des automatismes antagonistes et des désirs interdits.
pourrait avoir des conséquences telles que cette solu- Il est d'abord l'ensemble des faits mémorisés et ayant
tion ne saurait être utilisée. Elle va donc rejoindre atteint un automatisme fragmentaire suffisamment
dans les connexions neuronales la réserve de faits efficace pour qu'il soit possible d'utiliser chacun des
mémorisés sans utilisation pratique. Elle peut néan- fragments dans une construction d'ensemble toujours
moins s'exprimer grâce à différents subterfuges, en nouvelle. Chaque fragment demeure un processus
adoptant un masque d'emprunt non interprété par conscient aussi longtemps qu'il n'a pas trouvé de
la socioculture et donc non interdit : le masque des place stable dans le stock des réseaux neuronaux en
processus névrotiques ou de l'imagerie onirique. Le interrelation associative. Lorsqu'il l'a trouvée, il passe
premier type de refoulement, d'aspect négatif, serait dans le domaine inconscient pour être utilisé dans une
L e danger de l'inconscient

réside non pas tant

dans son contenu refoulé

que dans son expression,

conforme au principe

de la réalité socioculturelle.

Cet inconscient autorisé

est récompensé, autovalidé,

jamais remis en question

puisqu'on ignore sa présence.

Tout le monde peut le voir,

mais personne ne le regarde,

car il utilise un discours logique,

et tout le monde l'appelle,

à tort, « conscience ».

Georg Grosz (1893-1959),

Propriétaires crapauds, 1920.

Berlin, galerie Nierendorf.

structure originale consciente à l'organisation de réalité autorisé, souvent même récompensé, a été
laquelle il contribue. C'est pourquoi l'on peut dire que mémorisé et automatisé et ne sera jamais plus remis
la conscience se bâtit de seconde en seconde sur en question parce que l'on ignore jusqu'à sa présence,
l'inconscient qui s'accumule, et « n'est jamais ni tout ce qui est, évidemment, le propre de l'inconscient.
à fait la même ni tout à fait une autre », comme la Ainsi, ce n'est pas l'inconscient refoulé qui empêche
femme dont rêvait Paul Verlaine, cette «femme qui de croire à notre liberté, mais au contraire cet incons-
m'aime et me comprend », expression consciente d'un cient autorisé, d'autant plus riche qu'il est récompensé
désir narcissique inconscient. par le principe culturel de réalité et qu'il se fixe défini-
Et c'est en cela que l'inconscient représente un instru- tivement dans un discours logique capable de lui
ment redoutable. Indispensable à l'être conscient, son fournir l'accoutrement de la Vérité.
danger réside non pas tant dans son contenu refoulé L'individu construit ainsi ce qu'il est convenu d'appe-
que dans ce qui au contraire, conforme au principe de ler sa personnalité, construction qui se fige de plus en
plus avec les années, sur un bric-à-brac de jugements signification profonde est l'isolement que l'on en
de valeur, un amoncellement de préjugés indispen- attend de la personne qui refuse de se conformer à la
sables à sa survie dans le cadre culturel où il est né règle de la masse. Délinquants il n'y a pas si long-
et a grandi, fondations rigides, a u t o m a t i q u e s et temps encore, lépreux et fous étaient d'ailleurs par-
inconscientes de son être conscient. Si une seule qués en un même lieu, éloignés du contact avec la
pierre de cet édifice est endommagée, l'ensemble communauté conforme. De même, quand il fait des
de sa construction consciente risque de s'écrouler. « bêtises », l'enfant est puni. Mais s'il travaille bien en
L'angoisse qui en résulte exige, pour être apaisée, classe, l'école le récompense par des prix destinés à
d'être traitée par l'action, et celle-ci ne reculera ni favoriser le renforcement.
devant le meurtre ou le suicide, ni devant la guerre, Ainsi compris, l'inconscient semble bien avoir deux
ni devant le génocide. faces complémentaires : la face cachée, refoulée parce
Il arrive que l'intérêt pulsionnel suscité par un objet se que non conforme au principe d'une quelconque réa-
détache de celui-ci pour se porter sur d'autres aux- lité, et la face visible, favorisée, encouragée, récom-
quels le premier est relié par une chaîne associative. pensée par tous les principes de réalité. «Tout le
Ce déplacement peut être dangereux, non pas dans la monde » peut voir cette dernière, mais personne ne la
névrose ou dans le rêve, mais dans la vie courante : regarde, car elle utilise un discours logique, si bien
toutes les sociocultures ont en effet utilisé ce proces- que « tout le monde » l'appelle la conscience.
sus inconscient pour obtenir de l'individu, à force de Cet inconscient, que l'on pourrait être tenté de quali-
récompenses et de punitions, une soumission à l'ordre fier d'inconscient collectif, ne possède malheureuse-
hiérarchique. ment de collectif que ses règles d'établissement façon-
C'est sur l'inconscient automatique, autorisé, et non nées par le langage et quelques grands schémas
sur l'inconscient refoulé, ce qu'il est convenu d'appe- associatifs qui remontent sans doute au début du néo-
ler les processus de défense névrotique, que se bâtis- lithique, peut-être plus loin encore, et sont, depuis,
sent les prétendues valeurs d ' u n groupe humain. traditionnellement transmis. Chacun les utilise confor-
Toutes les luttes politiques et internationales, raciales mément aux nécessités de sa survie dans le point
et religieuses, y puisent de quoi se nourrir. L'identifi- unique de l'espace-temps où la combinatoire géné-
cation au leader inspiré, l'isolation, l'annulation, etc., tique l'a placé. Il vaudrait peut-être mieux parler
relèvent également de l'inconscient. d'inconscient spécifique, car il est propre à cette
Aller au combat, par exemple, n'a rien de réjouissant. espèce d'individus conscients que sont les hommes.
Mais l'espoir d'une décoration ou d'un avancement Ou, mieux encore, d'inconscient systémique, puisqu'il
hiérarchique aide à prendre avec plus d'entrain le résulte de la structure d'un système, le système ner-
risque de se faire tuer. Quant à la prison, elle est pré- veux humain, et de son expression fonctionnelle qui,
sentée comme une punition de la délinquance dont on en créant cet inconscient, participent au niveau de
espère qu'elle empêchera la récidive. En réalité, sa conscience globale.
LE S Y S T È M E N E R V E U X

IMAGINATION ET LANGAGE

D
ans « imagination », il y a « image ». Cette image
n'est toutefois pas celle qui accompagne la sen-
sation résultant du contact de notre système nerveux
avec le monde : elle trouve bien son origine dans la
sensation, mais fait appel à la mémoire. Les circuits
nerveux mis en jeu par l'expérience peuvent être à
n o u v e a u stimulés et d o n n e r lieu à un rappel de
l'image à laquelle ils ont été primitivement liés, à une
représentation de cette image. Ce rappel lui-même ne
se fait pas au hasard : il dépend de l'équilibre biolo-
gique interne, des besoins, du potentiel affectif et d'un
stimulus externe qui peut ne pas être directement en
rapport avec la séquence sensorielle primitive mais lui
avoir été associé, plus ou moins consciemment, lors
de cette p r e m i è r e sensation. La r é a p p a r i t i o n de
l'état interne qui accompagnait sa mémorisation peut
secondairement faire resurgir l'image première, et
inversement. Ce processus de mémoire d'images ne
fait appel qu'à l'expérience antérieure, il ne fait que
réactiver des circuits n e u r o n a u x conditionnés de

façon plus ou moins apparente et complexe. C'est un


souvenir qui revient sans changement par rapport à la ensemble immédiatement déformé par notre expé-
façon dont il a été imposé par le milieu et par notre rience antérieure, agréable ou désagréable, expérience
état interne au m o m e n t où nous l'avons éprouvé. qui vient en réponse à nos besoins fondamentaux ou
C e p e n d a n t cette image ne p e u t constituer q u ' u n à nos besoins acquis et à notre affectivité, expérience
modèle très imparfait de la réalité. En ce sens, elle conditionnée par la socioculture. Cette image appau-
constitue déjà une abstraction. vrie, rétrécie et déformée est tout ce que nous connais-
La réalité, on l'a vu, est un ensemble de relations que sons du monde, elle est la seule à être signifiante pour
nous sommes bien incapables d ' a p p r é h e n d e r , ne nous, c'est elle qui constitue la source première de nos
serait-ce que parce qu'il est tamisé par le filtre étroit actions.
de nos sens. Nous ne pouvons guère saisir q u ' u n Tout comme l'homme, l'animal se nourrit de préjugés
sous-ensemble de l'ensemble des relations. Un sous- et de jugements de valeur. Il agit suivant l'expérience
qu'il a acquise de ce qui lui est favorable ou défavo-
rable. Il obéit à ses pulsions et à ses apprentissages de Pour créer par son équilibre biologique,

la récompense et de la punition. Mais à cela l'espèce cette «image », l'artiste son potentiel affectif,

humaine ajoute deux choses : le langage et l'imagi- a puisé dans sa mémoire, ses besoins... Modèle

naire. L'un et l'autre sont rendus possibles par le faisant ainsi appel très imparfait de la réalité,

développement de ses zones corticales associatives. à son expérience antérieure; cette œuvre constitue déjà

L'animal est parfois capable d'imagination, mais il il a recomposé des images une abstraction.

n'associe que des images, jamais des concepts. mémorisées et créé un tableau Franz Marc (1880-1916),

On sait que le langage met en jeu des circuits neuro- conditionné non seulement Le Rêve, 1911.

naux dont le fonctionnement inconscient associe des par sa mémoire, mais aussi Neuilly, collection Kandinsky.

automatismes nerveux, éléments séparés d'un réseau


complexe, pour aboutir à la sentence, dont seule
Au commencement, la globalité signifiante appartient au domaine de la
le mot était en rapport étroit conscience. Ces associations, qui proviennent des
avec l'objet. Unmot était alors zones associatives du cortex de l'hémisphère gauche,
l'image d'un seul objet, permettent la création de structures langagières extrê-
qui n'avait lui-même mement riches et variées. Grâce à la grammaire et à la
qu'une seule image : syntaxe, elles organisent le signifiant pour lui per-
le mot qui le désignait. mettre de véhiculer le signifié.
Les idéogrammes traduisent bien Au commencement, le mot fut en rapport étroit, sou-
cet état du langage où le mot vent biunivoque, avec l'objet : le mot était alors
et l'objet qu'il désigne l'image d'un seul objet, qui n'avait lui-même qu'une
se trouvent ainsi liés seule image, le mot qui servait à le désigner; le mot
par une relation biunivoque. était un signe. Mais, très rapidement sans doute,
Cartouche du roi Horemheb l'expérience journalière du mot s'acquérant dans un
dans son tombeau. cadre complexe, l'objet qu'il servait à désigner entrant
Thèbes, Vallée des Rois. en relations temporelles et spatiales multiples avec
d'autres objets, les états affectifs motivant son utilisa-
tion étant extrêmement riches et variés, un mot provo-
qua à la fois l'évocation d'images innombrables asso-
ciées les unes aux autres et celle des états affectifs qui
avaient accompagné leur mémorisation. Le glissement
sémantique suivit l'élaboration de ces réflexes condi-
tionnés. Un même mot devint évocateur d'images et
d'affects multiples et perdit de sa précision informa-
tive pour gagner en richesse informative. La poésie
n'est-elle pas « la chanson grise, où l'Indécis au Précis
se joint » ? Seuls le langage mathématique et la phy-
sique purent, en perdant cette richesse, retrouver la
précision, définie préalablement par convention. Mais
le glissement sémantique fut sans doute nécessaire à
l'élaboration des concepts, sachant q u ' u n concept
regroupe, parmi les éléments d'un ensemble, le sous-
ensemble des éléments p o s s é d a n t des caractères
communs établis par analogie. Qu'est-ce que l'abstrac-
tion si ce n'est le choix d'un sous-ensemble de rela-

tions communes à un groupe d'éléments, et privi-


légiées aux dépens de l'intérêt porté à ces éléments
eux-mêmes? A partir de là, le signe devint symbole
et il fut possible de construire un monde magique
n'ayant plus que des rapports lointains avec celui
qu'il était censé représenter, dont il était censé fournir
l'image. Mais il fut également possible alors de O n remarque immédiatement en mesure

construire le monde de la science, car qui dit science dans ce tableau de reconnaître un triangle
dit science des relations. plusieurs figures à trois côtés, en chacune d'elles : le concept

C'est cette élaboration d ' u n m o n d e abstrait que qui se distinguent de triangle nous permet

l'homme a pu réaliser par le langage, un monde de les unes des autres par leur taille, de les associer, en dépit

relations et non plus d'images objectives, alors que les leur couleur de leurs différences.

modèles établis par l'animal sont des modèles d'images e t les proportions inégales Auguste Herbin (1882-1960),

et non des modèles conceptuels. L'animal construit en entre leurs différents côtés. Lundi, 1949.

effet des modèles du monde où il vit puisque, comme Pourtant, nous sommes Bruxelles, collection particulière.

tout système vivant, il ne connaît et ne mémorise de


l'ensemble qui constitue sa niche environnementale
qu'un sous-ensemble extrêmement restreint de rela-
L e processus imaginaire peut aujourd'hui être réalisée tions. Ce sous-ensemble de relations lui permet d'agir,
consiste à associer sur ordinateur, témoin ce paysage c'est-à-dire de protéger sa structure. Cependant ces
des expériences mémorisées créé grâce à l'informatique. relations restent adhérentes aux images, aux éléments
d'une façon différente de celle C'est ainsi également de la structure objective qui les accompagnent. Tandis
qui fut imposée par l'expérience que l'homme ajoute au monde que, grâce au langage, l'homme prend de la distance
du milieu. Cette association de l'information. par rapport à l'objet et à son image, et ne traite plus
que les relations que constituent alors les éléments des
L E C O R T E X

plus, depuis quelques années, il utilise progressive-


ment cette méthode expérimentale pour explorer le
monde du vivant, et plus particulièrement le monde
qui vit en lui. Il commence maintenant à compléter la
physique par la biologie. Le processus imaginaire
consiste donc pour l'essentiel à associer fonctionnelle-
ment des circuits neuronaux ayant retenu des expé-
riences mémorisées, et à les associer d'une façon diffé-
rente de celle qui fut imposée par l'expérience du
milieu. On comprend alors que le langage ait pu
transformer profondément l'emploi et l'efficacité de ce
système associatif en utilisant un nombre considérable
d'automatismes, d'attitudes, suivant la terminologie
d'Ouznadzé, qui n'ont plus qu'un lointain rapport
avec l'objet leur ayant donné naissance, mais qui
constituent à la fois des instruments et des éléments
permettant l'élaboration de structures abstraites.
Il n'est sans doute pas orthodoxe de définir l'imagina-
tion comme cette propriété associative propre à
l'homme. L'étymologie du mot voudrait que l'imagi-
nation se limite à toute remémoration d'image. Et en
cela l'animal serait capable d'imagination tout autant
que l'être humain. Mais alors imagination et mémoire
recouvriraient le même processus neurophysio-
logique, car que peut-on se remémorer, sinon des
ensembles imaginaires. Il résulte de cette propriété, images non seulement visuelles, mais encore audi-
qu'il doit à la richesse de ses aires cérébrales associa- tives, olfactives..., sensorielles en résumé? Or, le
tives, la possibilité de créer de nouvelles structures. contenu sémantique du terme «imagination» ajoute
L'homme ajoute au monde qui l'environne de l'infor- bien quelque chose au phénomène de mémorisation :
mation, grâce à laquelle son action peut transformer le il ajoute la notion d'associativité. L'animal aussi est
monde, le mettre en forme. Il fait des hypothèses de capable d'imaginer, et ce d'autant plus qu'il se trouve
travail et passe ensuite à l'expérimentation pour à un niveau plus élevé dans l'échelle évolutive, et
savoir si ces nouvelles structures sont conformes aux donc que ses systèmes associatifs néocorticaux sont
lois de l'organisation du monde qui l'entoure. Bien plus développés. Il est même parfois capable de trou-
ver une solution nouvelle aux problèmes qui lui sont
posés par le milieu et qui concernent sa survie, solu-
tion qui le dégage de ses automatismes. Mais ses
systèmes associatifs insuffisamment efficaces ne lui
offrent pas la possibilité de déboucher sur un langage
abstrait, symbolique. De même que nous avons parlé
de conscience concrète et de conscience abstraite, nous C e s animaux étranges, que l'association

parlerons d'imagination concrète et d'imagination surgis des murs d'on ne sait de multiples images mémorisées

abstraite. Il semble bien que la première soit du trop quelle bâtisse abandonnée, par leur créateur qui,

domaine animal et la seconde du domaine humain. tenant entre leurs « mains » en les recombinant, a su créer

En d'autres termes, de même qu'il existe des niveaux des offrandes odorantes, cette surprenante

de conscience, il paraît exister des niveaux d'imagi- témoignent à leur façon « structure imaginaire ».

nation. de ce que l'imaginaire Claude Verlinde,

Comme nous l'avons déjà vu, le monde extérieur de l'homme peut élaborer. Le Parfum.

pénétrant notre système nerveux par des canaux sen- Ils ne sont finalement guère Collection particulière.

soriels séparés, c'est à un premier travail d'association


de ces sensations que doit se livrer le nouveau-né
pour acquérir la notion d'objet. Il ne peut le faire que ment à cette terminologie de ne pas tenir compte du
par l'action sur l'objet, en associant dans son système fait que chez l'homme, par l'introduction du langage,
nerveux les différentes sensations provenant d'un ces structures imaginaires peuvent être abstraites
même objet. Mais on peut penser que la mémorisation et dépourvues d'images, encore que bien souvent la
de différentes sensations concernant un même objet se mémoire visuelle soit d'autant plus efficace qu'elle
fait selon différentes localisations sur les circuits neu- trouve le moyen, par des graphes par exemple, de
ronaux et sur les aires cérébrales, corticales en particu- visualiser l'abstraction, de la « chosifier », pour mieux
lier. La mémoire d'un objet résulte donc du rassem- la manipuler. Cette « chosification », ce passage de
blement d'éléments sensoriels séparés que seule l'abstraction à l'objet, est d'ailleurs bien souvent un
l'action sur l'objet a pu réunir, dans le temps et dans garde-fou contre les abus de langage. Mais il faut
l'espace nerveux. alors être imprégné de l'idée qu'il ne s'agit encore que
De même, le terme d'imagination implique donc le d'un modèle, c'est-à-dire d'un sous-ensemble de
processus d'associations d'éléments mémorisés à l'ensemble des relations. L'ordinateur qui se substi-
partir d'expériences diverses et généralement non tuera efficacement à l'homme pour le traitement des
contemporaines, de telles associations combinatoires données informationnelles ne pourra jamais fournir
aboutissant à la création de nouvelles structures, les qu'une intégration des éléments du sous-ensemble
structures imaginaires. On peut reprocher évidem- des relations qui lui ont été confiées.
C'est pourquoi Alfred Korzybski a pu écrire que le signifiants, utiles à la survie. Plus gravement encore,
mot n'était pas l'objet, que la carte n'était pas le terri- elle peut stériliser ce travail associatif qui, susceptible
toire, ou que «le mot chien ne mord pas ». Selon que de déboucher sur des structures originales, risque
vous ayez été mordu par un chien dans votre enfance d'être facteur d'angoisse si ces nouvelles structures ne
ou que vous soyez une vieille dame dont le toutou est sont pas conformes au code social du comportement.
le seul ami, lorsque vous entendez le mot «chien», Mais c'est à cette charnière entre l'imagination et
des images très différentes se présentent à vous, liées l'action que se situe la fuite possible, non plus celle
à des états affectifs très différents. Nous avons ten- que nous avons pris l'habitude d'associer dialectique-
dance, en fonction de notre expérience personnelle et ment à la lutte, fuite supportée par une activité motrice
unique du monde, à prendre le mot pour l'objet et à au sein de l'environnement, mais la fuite dans l'inac-
agir en conséquence. tion motrice et dans l'activité imaginaire.
Or mémoire et imagination ne sont pas désintéressées. On voit ainsi qu'il existe dans l'activité nerveuse supé-
Les relations qu'elles établissent sont le produit de rieure deux fonctions distinctes. L'une consiste à trou-

l'attention, de la signifiance. L'imagination choisit des ver dans le monde extérieur une structure, une mise
éléments de sous-ensembles mémorisés suivant les en forme, une information : le monde extérieur péné-
besoins, fondamentaux ou acquis, relatifs à une situa- trant notre système nerveux en «pièces détachées»
tion événementielle particulière, de la même façon par différents canaux sensoriels, l'activité nerveuse
que précédemment la mémoire avait choisi de fixer supérieure a en effet pour rôle de réunir ces pièces
ces sous-ensembles eux-mêmes. Comme les autres suivant la structure de l'objet de façon à aboutir à une
activités nerveuses, l'imagination est motivée, c'est-à- information concernant la forme de cet objet. C'est la
dire que l'activité corticale associative est mise en jeu fonction fondamentale, car elle permet l'action effi-
par une pulsion. Mais celle-ci se dévoile rarement, car cace, et l'animal lui-même est bien obligé de faire
l'apprentissage social l'occulte le plus souvent. La pul- appel à elle pour survivre. Cette fonction se trouve
sion est transformée p a r le code comportemental très améliorée chez l'homme, qui peut associer diffé-
imposé par une société d'une certaine région et d'une remment les éléments de son expérience antérieure
certaine époque, transformation qui prend place dans pour imaginer de nouvelles structures et expérimen-
le système nerveux de façon inconsciente. Elle a toutes ter par l'action leur efficacité. Une telle structure peut
les caractéristiques d ' u n e réalité et paraît corres- n'être valable que pour l'individu qui la conçoit. Elle
pondre à des lois « naturelles ». Reposant entièrement lui donne la possibilité de mieux vivre en agissant
sur des automatismes, elle régente, dans l'incons- plus efficacement. L'autre fonction de l'activité ner-
cience de sa présence, les comportements. Elle gou- veuse supérieure consiste à créer, à partir de ces struc-
verne la sélection des faits mémorisés et le travail tures, un langage qui permette la communication,
associatif entrepris sur ces derniers, tout comme elle c'est-à-dire la confrontation des structures imaginaires
avait p r é c é d e m m e n t orienté la sélection des faits d'un individu à celles des autres. Ainsi peut-il avoir
iVfa gritte
caricature ici le fameux :
« Le mot n'est pas l'objet. »
Chacun peut d'ailleurs,
entre la représentation de l'objet
et le nom qui lui est associé,
imaginer des relations inspirées
par son propre imaginaire,
relations qu'il serait difficile
de communiquer à l'aide
d'un discours logique.
René Magritte (1898-1967),
La Clef des songes, 1930.
Vienne, collection particulière.

avec eux des actions synergiques, passant de l'effica- l'ensemble des relations du monde objectai, il n'aura
cité de l'individu à celle du groupe. Le passage du pas de v a l e u r a b s o l u e et sera donc c o n f r o n t é à
signe au symbole rend ce langage plus imprécis, plus d'autres sous-ensembles déterminés d'autres indivi-

dangereux aussi, car l'image laisse place au concept. dus. Il pourra donc y avoir antagonisme dans la réali-
Ce dernier ne pouvant être qu'un sous-ensemble de sation de l'action.
JLe langage ni avec le monde humain Ce langage est obligatoirement structuré, puisqu'il
est un moyen personnel et le langage devient devient lui-même l'image d'une structure, ce qui
de construire son monde l'instrument du repli créateur, accroît encore le danger. Car on aboutit le plus sou-
et un moyen interpersonnel un moyen d'organiser le monde vent à la confusion entre l'établissement d'une struc-
de le communiquer aux autres. intérieur dans la recherche ture, d'un système de relations internes qui n'est à
Quand on échoue d'un équilibre biologique l'origine valable que pour l'individu qui le construit,
dans la seconde utilisation, qui n'a pu être réalisé par l'action qui lui permet d'agir pour lui-même grâce à l'outil
la première demeure néanmoins. sur l'environnement. complexe du langage interne, et cette même structure
Mais cette construction Tableau exécuté langagière quand elle devient moyen d'échange inter-
n'est alors cohérente par une personne souffrant individuel d'informations, moyen de communication.
ni avec le monde physique de schizophrénie. Le langage est ainsi à la fois un moyen personnel et
perfectionné de construire son monde et un moyen
L E C O R T E X

m o n d e intérieur, en r é p o n s e à u n e recherche de
l'équilibre biologique déçue par l'action de l'orga-
nisme sur son environnement.

Le besoin de communiquer apparaît dans les situa-


tions où plusieurs organismes ont à coopérer pour éli-
miner les troubles et agressions en provenance d u
milieu. C'est en cela que le langage est une production
sociale. Mais dans l'espèce humaine, il a si bien struc-
turé les circuits neuronaux que l'environnement lui-
même s'est introduit en nous en suivant la forme que
lui imposait le langage : on peut presque dire que ce
que l'on ne nomme pas n'existe pas. C'est pourquoi la
création d'outils a sans doute commandé l'enrichisse-

ment progressif du langage symbolique.


Il est possible que l'hémisphère droit appréhende
l'environnement de façon plus globale que l'hémi-
sphère gauche. Mais son fonctionnement se trouve
dominé par celui de l'hémisphère gauche, hémisphère
de l'analyse langagière. Dans le processus imaginaire

Sémantique et syntaxe
interpersonnel de communiquer cette construction. En 1960 déjà, C. F. Hockett idéogrammes. La seconde
Quand on échoue dans la seconde utilisation du lan- c o n s i d é r a i t que le l a n g a g e caractéristique, c'est que
devait posséder deux carac- ces unités signifiantes - mor-
gage, la première demeure néanmoins, et c'est sans téristiques. La première phèmes - peuvent être
concerne la propriété d'utili- combinées conventionnelle-
doute ce que l'on appelle le délire. Mais alors la
ser un code de composition ment suivant une grammaire.
construction n'est pas opérationnelle, autrement dit des signaux assemblés dans D'où une nouvelle significa-
elle n'est cohérente ni avec le monde physique ni avec des unités c o m p r e n a n t des tion. Ainsi, à côté des conven-
éléments récurrents et plus tions qui fixent la signification
le monde humain. En résumé, ces deux mondes ne
petits - phonèmes, cénèmes, des signaux - ou sémantique
sont pas conformes au désir en pareil cas. etc. D'où une énorme écono- du lexique -, un second
mie de moyens d u système groupe de conventions fixe
Il est alors curieux de constater que le langage, qui ne
de codification et une aug- les règles de la combinaison
constitue à l'origine qu'un moyen perfectionné de mentation de la complexité des signes - ou grammaire -,
communications interindividuelles, devient l'instru- opérationnelle que ce code ce qui pennet la création d'une
autorise et qui le distingue des sémantique syntaxique.
ment du repli créateur, le moyen d'organiser le
Q u e l est le rôle joué

par les deux hémisphères

cérébraux dans le processus

imaginaire? Il se pourrait

que l'hémisphère droit réalise

des synthèses créatrices

capables de faire surgir

de nouvelles structures à partir

des éléments analytiques

de l'expérience accumulée

par l'hémisphère gauche.

Pablo Picasso (1881-1973),

Homme à la guitare, 1911-1913.

Paris, musée Picasso.


cependant, il se pourrait que ce soit l'hémisphère droit comme une structure langagière. Le système associatif
qui, utilisant les éléments analytiques langagiers de est à même de travailler sur un acquis mémorisé sous
l'expérience accumulée par l'hémisphère gauche, soit ces deux formes, et les sémantiques portées par l'une
le réalisateur des synthèses créatrices capables de faire et l'autre forme sont probablement en relations mul-
surgir de nouvelles structures. Le langage est en effet tiples et conditionnées, mais inconscientes par défini-
d'abord un système analytique. Les éléments qui le tion. Inconscientes, car n'entrant pas en conflit pour
constituent ne peuvent répondre à une création imagi- l'action avec une structure imaginaire qui les englobe,
naire que s'ils se débarrassent de la coercition exercée conflit d'où surgirait le processus conscient. L'organi-
sur eux par les automatismes. Sinon ils ne feront que sation de ces automatismes inconscients prend sa
reproduire à un niveau d'organisation supérieur, celui source dans la pulsion hypothalamique, autrement dit
des concepts, les formes imposées par la socioculture. dans le besoin fondamental. Mais l'apprentissage
Le rôle de l'hémisphère droit pourrait être d'utiliser ce culturel, celui de la récompense ou de la punition
matériel élémentaire, fourni par l'expérience codée sociales, est le véritable organisateur des éléments
par le langage, pour réaliser des ensembles concep- mémorisés, c'est-à-dire de la structure du signifiant.
tuels nouveaux, des synthèses nouvelles. Cette structure est donc imposée de l'extérieur pour
canaliser, pour transformer la pulsion qui exprime,
D U RÊVE AU DÉSIR dans les chaînes neuronales, les trois grands compor-
tements fondamentaux - manger, boire, copuler. Son

L e p h é n o m è n e de conscience résulte donc de


l'impossibilité pour un individu capable d'ima-
passage à travers le système limbique fournit, grâce à
l'expérience mémorisée du contact avec le milieu, le
gination, c'est-à-dire de création d'information, de milieu social en particulier, une quantité considérable
répondre de façon uniquement automatisée, donc de signifiants, de matériel d'images et de mots, en
inconsciente, aux stimuli externes ou internes. On dis- associations conditionnées extrêmement riches et par-
tingue plusieurs niveaux de conscience ; ils correspon- faitement organisées. C'est en cela que l'on peut dire
dent aux structures imaginaires qui, ayant été mises avec Jacques Lacan que l'inconscient est structuré
en concurrence, en conflit, avec des automatismes, les comme un langage. Il s'agit de chaînes de signifiants,
englobent finalement. Ces différents niveaux de d'éléments mémorisés, avec lesquels les systèmes
conscience sont fonction de la richesse des automa- associatifs peuvent réaliser de nouvelles structures,
tismes englobés. Les automatismes qui président à les structures imaginaires. S'il en est bien ainsi, nous
l'organisation syntaxique du langage permettent de sommes conduits à admettre que le rêve n'est pas un
cette façon la conscience de la sémantique globale du processus imaginaire tel que nous l'avons défini, à
discours. La conscience ainsi e n t e n d u e n'est que savoir un processus associatif créateur, car rien ne
l'enveloppe de l'inconscient. Mais celui-ci peut être prouve que les associations qui le caractérisent ajou-
conçu comme une structure composée d'images, ou tent une information nouvelle à celles imposées par le
T'
L-i envie,

qui ne fait pas appel

à l'imaginaire, caractérise l'animal,

tandis que le désir

est le propre de l'homme.

Si l'on en juge par l'entourage

animalier qui symbolise

ses tentations, saint Antoine serait

donc ici en proie à des envies,

qui n'expriment

qu'un besoin acquis.

Jan Mandyn (1500-1560),

La Tentation de saint Antoine.

Paris, collection Leegenboek.


milieu. Son aspect souvent illogique et incohérent est langages, ne s'exprimant en rêve que lorsqu'il n'est
probablement dû à l'inconscience où nous sommes du pas réalisé dans l'action, est le moteur de la créativité.
signifié antérieur mémorisé par notre système ner- Il faut bien distinguer le désir de l'envie, dont la bana-
veux, auquel est venu s'ajouter le matériel mémorisé lité réside dans l'absence de création imaginaire, dans
qui forme le substrat du rêve. Autrement dit, et aussi le fait qu'elle exprime seulement un besoin acquis. Le
paradoxale que puisse paraître cette hypothèse, le désir est proprement humain. L'animal, qui n'est apte
rêve n'est peut-être pas créatif, il n'apparaîtrait tel que qu'à des représentations résultant de besoins fonda-
parce que sa logique, ses lois d'organisation, bien que mentaux ou acquis, n'a, lui, que des envies - l'homme
strictement imposées par les relations de l'individu cependant se limite lui-même bien fréquemment à
avec son milieu, ne sont pas du domaine de la cette attitude. La conscience ne peut être que dési-
conscience. Il nous fait déboucher sur un monde rante.
inconnu, qui n'est dit irrationnel que parce que nous Lorsque le désir est refoulé, donc devenu inconscient,
ignorons sa rationalité. Venu du monde rationnel qui il reste à même d'exprimer la pulsion fondamentale
nous entoure, il n'est irrationnel que parce qu'il a été cherchant à se libérer des interdits imposés par la
déformé au cours de son passage à travers nos pul- socioculture. Il devient alors une motivation incons-
sions et nos automatismes inconscients. Il n'est par ciente à l'action, et on assiste à la mise en œuvre d'un
conséquent pas utilisable tel quel pour l'action. processus imaginaire qui fait appel à un autre registre
La créativité serait donc le résultat d'un processus mémorisé que celui qui participait au gros œuvre de
dynamique de comparaison entre une structure la construction du désir. Une solution réalisable dans
ancienne et une structure nouvelle, imaginaire ; elle l'action est parfois trouvée de cette manière, sans que
ne pourrait alors être qu'un processus conscient. Il est l'on sache jamais qu'elle a été motivée par le désir
possible que l'impossibilité de sa réalisation se trouve inassouvi. Le désir refoulé peut ainsi être une moti-
à l'origine du refoulement. Dans ce cas, cette nouvelle vation à l'imaginaire créateur, mais, parce qu'il est
structure imaginaire issue de la conscience, ajoutée à refoulé, donc inconscient, il semble ne pas pouvoir
l'inconscient antérieur, serait une structure statique, être créateur à lui seul d'une structure imaginaire
évolutive, non par recomposition créatrice, mais uni- nouvelle.
quement par son addition à l'inconscient antérieur. Cette conception du désir, processus conscient et qui
Elle n'aurait de l'imaginaire que la terminologie, indi- n'est créateur que parce que conscient, s'oppose à
quant qu'elle fait appel à la représentation d'images. celles qui font de lui l'expression de l'inconscient.
Son apparente originalité ne résulterait que de son L'inconscient ne peut être, à notre avis, qu'une moti-
non-conformisme, de sa non-adéquation au discours vation du désir. Mais les automatismes qui consti-
conscient, à la réalité sociale. tuent la trame de l'inconscient ne parviennent à
Ainsi le désir, cette création imaginaire née de l'ins- s'imposer, dans un processus créateur, que parce que
tinct pulsionnel transformé par la culture et par les nous ignorons les lois qui ont présidé à leur struc-
turation. L'inconscient apparaît en fait comme un
ensemble fermé, incapable d'ajouter une virgule au
langage de la nécessité, et seuls les systèmes associa-
tifs sont à même d'ajouter une structure nouvelle. A n d r é Masson, n'exprime peut-être pas

Ainsi, étant donné la définition que nous avons pro- l'un des pionniers et des maîtres autre chose que les automatismes

posée de la conscience, la neurophysiologie quitte le du surréalisme, a-t-il ici mémorisés, à la différence

domaine des automatismes pour entrer dans le voulu corroborer l'hypothèse, que ceux-ci se présentent

domaine du désir. émise par ce mouvement, selon alors dans un désordre a p p a r e n t

Depuis les surréalistes, nombreux sont ceux qui ont laquelle le cerveau réaliserait qui donne une impression

cru que si on libérait le cerveau humain du contrôle obligatoirement des œuvres d'originalité.

du principe de réalité, qui limite le champ de la de génie si on le libérait André Masson (1896-1987),

conscience, ledit cerveau sécréterait obligatoirement des contraintes imposées La Chasse à l'élan, 1942.

du génie. Mais que peut exprimer un cerveau, ainsi par le principe de réalité? Saint-Étienne,

libéré, sinon les automatismes qu'il a antérieurement Pourtant, le cerveau ainsi libéré musée d'Art e t d'Industrie.

mémorisés ? Le génie créateur peut-il résulter d'autre


A v a n t l'établissement par sa propre image,

du schéma corporel, perdu dans son reflet,

le nouveau-né ne peut prendre a donné son nom à cet aspect

comme objet d'intérêt du psychisme humain.

que son propre corps, Dans le cas du nouveau-né,

objet de son plaisir on parle de narcissisme primaire.

qu'il confond encore avec le tout : Nicolas Poussin (1594-1665),

c'est le temps du « moi-tout ». Écho e t Narcisse.

Narcisse, fasciné Paris, musée du Louvre.

chose que du conflit entre ces automatismes et les


structures imaginaires produites par les processus
associatifs? Mais dans ce cas, ce conflit n'est-il pas
le m é c a n i s m e i n d i s p e n s a b l e à l ' a p p a r i t i o n de la
conscience? Si oui, la conscience n'est-elle pas l'équi-
valent langagier du désir ?

L E NARCISSISME

omme nous l'avons déjà souvent dit, la seule


c raison d'être d ' u n être, c'est d'être. Toutes ses
fonctions n'expriment qu'une seule finalité : le main-
tien de l'information-structure. N'est-ce pas là cet
amour de soi-même, ce narcissisme, cette fascination
qu'exerçait sur Narcisse sa propre image ? Pour Freud,
et suivant sa terminologie, l'investissement de l'éner-
gie psychique - ou libido -, qui a pour projet le moi,
varie avec l'analyse qui a été faite de celui-ci.
Que signifie le terme vague d'« énergie psychique»?
Considérons un individu ayant à sa disposition un
système nerveux conforme à celui que nous avons A p r è s l'établissement

schématisé dans les pages précédentes. Nous dirons du schéma corporel, la découverte

que l'énergie psychique représente l'utilisation de cet de la niche environnementale

instrument nerveux de façon telle que le comporte- e t la distinction réalisée

ment de cet individu au sein de la niche environne- entre son corps e t le milieu

mentale assure son équilibre physiobiologique, c'est- dans lequel il baigne, l'individu

à-dire le maintien de sa structure. On parle d'énergie, t e n t e de réintroduire les objets

car cet instrument présente un aspect thermodyna- et les êtres contenus

mique, il absorbe des substrats et accumule de l'éner- dans cette niche à l'intérieur

gie chimique potentielle - sous forme de composés de son moi. On parle alors

phosphorés riches en énergie - lui permettant de de narcissisme secondaire.

maintenir sa structure matérielle. Mais cette structure Francis Bacon (1909-1992),

matérielle est une « information », et de cette mise en Portrait de George Dyer

forme résulte la fonction psychique que nous pouvons dans un miroir, 1968.

résumer en trois termes : pulsions hypothalamiques, Collection Thyssen-Bornemisza.

mémoire limbique, imagination corticale, avec une


interrelation entre ces trois termes et une intégration
hiérarchisée de leurs fonctions. Ils permettent l'action réalité extérieure l'y autorise. La «libido d'objet» ne
réalisant de façon plus ou moins complexe la protec- se trouve pas en balance avec la « libido du moi ».
tion et le maintien de la structure. On se rend compte Autorisé, l'acte devient gratifiant et l'objet aimé. Inter-
alors que l'énergie chimique n'est utilisée qu'à main- dit, il rencontre une résistance. Ainsi il ne paraît exis-
tenir ces fonctions intégrées et que l'énergie psychique ter qu'une «libido du moi », mais celle-ci dépend du
constitue la motivation à l'action engendrée par la stade évolutif où l'on surprend ce « moi ».
mise en jeu de ces fonctions intégrées. Cette motiva- N o u s savons q u ' a v a n t l'établissement du schéma
tion ne commande pas un acte volontaire, mais résulte corporel, la prétendue libido d'objet ne peut exister
d'un besoin à assouvir, qu'il soit fondamental ou puisqu'il n'existe pas pour le nouveau-né d'autre
acquis, à condition que cet assouvissement comporte objet que son propre corps. On imagine difficilement
un intérêt : s'il n'en comportait pas, il ne ferait, bien comment à ce stade le petit de l'homme pourrait
sûr, l'objet d'aucune motivation. prendre autre chose que son propre corps comme
Or, cette action peut se trouver autorisée ou au objet d'amour et comment cet amour pourrait être
contraire interdite par l'environnement social. Autre- autre chose que la recherche dynamique de l'homéo-
ment dit, elle ne s'exprime généralement que si la stasie, du plaisir. Le principe de réalité freudien ne
Q u a n d la niche
environnementale

ne se prête pas aux exigences

du moi dévorant,

la fuite dans la psychose

peut constituer un moyen

d'éviter la confrontation

avec cette niche récalcitrante

et de retrouver le « moi-tout »

consolateur par le retour

au plaisir narcissique primitif.

Théodore Géricault (1791-1824),

La Folle.

Lyon, musée des Beaux-Arts.


peut donc, à notre sens, s'établir que par l'apprentis- besoin de porter un message, mais il paraît s'organiser
sage de l'existence d'une forme spatialement limitée dans le système nerveux en fonction du principe de
de l'individu dans sa niche environnementale, cet plaisir, c'est-à-dire du maintien de l'information-
apprentissage se faisant par l'intermédiaire de l'action. structure, du moi organique et de son enrichissement
La découverte de l'existence de cette niche est donc secondaire résultant de ses rapports avec l'environ-
complémentaire de celle de l'existence de la forme nement. La fuite dans la psychose pourrait signifier
individuelle. Alors qu'avant l'établissement du ce retour au plaisir narcissique, séparé du principe
schéma corporel on pouvait parler de narcissime pri- de réalité, résultant de la manipulation imaginaire
maire, on pourra parler de narcissime secondaire du signifiant, des connexions interneuronales codées
lorsqu'une réalité extérieure au corps aura fait son et établies par les premières expériences gratifiantes
apparition. C'est ainsi que l'on peut traduire, sans - en donnant ici au mot «imaginaire» le contenu
trop la trahir, la pensée de Freud dans le langage sémantique que nous avons préalablement défini.
neurobiologique. Elle permet de répondre de façon Les mots ont alors un rapport non plus avec l'objet,
expérimentalement cohérente à la question de savoir mais avec un affect dont la structure complexe s'est
ce qu'est Éros. établie dans l'inconscient suivant le mécanisme anté-
On se trouvera tout aussi proche de Jacques Lacan si rieurement invoqué.
l'on fournit au «stade du miroir» les bases biochi- La parole n'est elle-même qu'une partie de nos
miques et neurophysiologiques. Lacan a insisté sur le comportements, une partie de nos actions. Celles-ci
fait que, dans l'univers fantasmatique de l'enfant, fait s'organisent en fonction de l'environnement social,
de sensations morcelées, séparées au sein de voies primitivement résumé par la mère. C'est le désir de
sensorielles différentes, stimulées par le monde inté- cette dernière qui modèle le comportement de
rieur et extérieur, s'établissent progressivement des l'enfant. Un comportement qui rencontre auprès
liaisons. La mère se situe dans le monde extérieur, et d'elle non seulement satisfaction et résistance, mais
les stimuli dont elle est l'origine accompagnent géné- encore la satisfaction due à la récompense accordée
ralement la satisfaction, le plaisir du retour à l'homéo- pour la soumission à la résistance. C'est ainsi que se
stasie. Ils meublent l'espace du narcissisme primaire, construit le moi : à la structure organique génétique-
car ils construisent peu à peu un ensemble de ment programmée vient s'adjoindre une structure non
connexions neuronales codées, d'apprentissages qui moins organique, mais ajoutée, conséquence de
s'ajoutent à la structure innée, génétiquement pro- l'apprentissage progressif des relations entre la struc-
grammée. Une «mémoire narcissique» prend forme, ture organique première et l'environnement. Qui plus
qui s'enrichit avec la parole. Cette dernière n'existe est, cette mémoire s'enrichit journellement des struc-
pas seulement comme système de communication tures établies par la fonction imaginaire.
avec l'autre, comme support sémantique d'échange. Peut-être n'a-t-on pas toujours suffisamment insisté
En effet, le signifiant lui-même semble n'avoir plus sur le rôle fondamental joué par l'action dans la
construction du schéma corporel. L'action permet aux
sensations tactiles de se refermer sur le sujet quand il
touche son corps et de s'ouvrir sur le monde lorsqu'il
p r e n d contact avec celui-ci. L'action autorise la
confluence des sensations d'origines sensorielles jL amour n'est que la tentative

diverses soit sur la personne soit sur l'objet. L'action de faire pénétrer l'autre

rencontre la résistance du monde extérieur. L'action dans ce m o n d e indivis

enfin se trouve enchaînée par le discours de l'autre que représente le « moi-tout »,

qui ne coïncide pas avec notre p r o p r e discours. le monde privilégié du bien-être

D'où la tendance à retrouver le monde privilégié du primitif. C'est la recherche

bien-être primitif, à oublier la dichotomie qui s'est d'une fusion pour lutter contre

installée par la force des choses entre le monde et la solitude e t l'isolement

nous. Cette tendance constitue le narcissisme, qui dans lesquels nous nous trouvons

n'est finalement que la conséquence de l'apprentis- de la naissance à la mort.

sage du plaisir premier. Marc Chagall (1887-1985),

L'amour n'est plus alors que la tentative de faire Hommage à Apollinaire, 1911.

pénétrer l'autre dans ce monde indivis. Il naît du ren- Eindhoven,

forcement de l'action gratifiante autorisée par la pré- Stedelijk van Abbemuseum.

sence d ' u n autre être que nous, situé dans notre


espace opérationnel. Et si cet autre être ou cet objet
gratifiants se soustraient à notre action, leur refus complexe, notre narcissisme nous conduira toujours à
abîme l'image idéale que l'on se faisait de soi, blessant essayer de réduire cet ensemble à nous-mêmes. C'est
notre narcissisme, puisque l'on n'est pas à même de pourquoi il me semble que l'on pourrait interpréter la
les faire pénétrer en nous. Ce refus peut déclencher, névrose comme une tentative de convaincre l'autre de

par inhibition de l'action gratifiante, la dépression, se laisser réduire à nous, en utilisant le langage du
l'agressivité ou le dénigrement. corps dans sa fonction de communication, mais dans
De la naissance à la mort, la résistance du monde exté- l'ignorance du contenu sémantique qu'il véhicule. La
rieur à pénétrer dans notre m o n d e à nous, notre psychose serait au contraire l'abandon de tout espoir
monde du plaisir, nous fait cruellement sentir notre d'échange et le repli dans ce monde narcissique où
solitude. Les efforts les plus désespérés pour sortir de toute résistance disparaît, car l'imaginaire y retrouve
cette solitude ne sont ainsi que des efforts accomplis l'unité première. La solitude s'y fond dans le «moi-
pour absorber l'autre dans notre monde originel, celui tout » retrouvé. Malheureusement, ce « moi-tout » s'est

de notre désir. Et nous avons beau savoir que nous ne enrichi entre-temps de l'expérience décevante que le
sommes q u ' u n élément d ' u n ensemble infiniment psychotique a acquise du monde.
S E C O N D E PARTIE

LES C O M P O R T E M E N T S
JLa fabrique d'indiennes

des frères Wetter caractérise bien

la division de la société D U BIOLOGIQUE


en classes dirigeantes et dirigées.

Dans la cour (à gauche) AU SOCIOLOGIQUE


comme dans l'atelier d'impression

(à droite), on reconnaît

à leurs airs suffisants n distingue trois niveaux d'organisation de


et bien nourris les « maîtres », et ,l'action. Le premier, le plus primitif, est inca-
à leur soumission les « esclaves ». 0 pable d'adaptation : à la suite d'une stimula-
D'un côté le capital assurant tion interne ou externe, il organise l'action de façon
la possession des machines et automatique. Le deuxième prend en compte l'expé-
la reconnaissance socioculturelle, rience antérieure et la sensation qu'elle a provoquée :
de l'autre le travail mécanique, il fait donc appel à la mémoire. La motivation
thermodynamique, demeure la stimulation primitive interne ou externe, à
non valorisé par la socioculture. laquelle s'adjoint le souvenir de l'action qui a permis
Gabriel M. Rosetti, d'y répondre. L'entrée en jeu de l'expérience mémo-
La Fabrique d'indiennes risée masque le plus souvent la pulsion primitive et
des frères Wetter, 1764. enrichit la motivation de tout l'acquis dû à l'appren-
Orange, Musée municipal. tissage. A ce niveau apparaît l'émotion, c'est-à-dire la
conscience des ajustements cardiovasculaires néces-
L a précipitation donc faire preuve de force

des protagonistes s'explique ici pour les plus vigoureux,

par le plaisir anticipé d'astuce pour les plus faibles,

qu'ils éprouvent à l'idée et de rapidité pour tous.

de pouvoir bientôt déguster Louis Léopold Boilly (1761-1845),


les boissons et denrées Distribution de vin

qui leur sont distribuées. Mais et de comestibles

pour obtenir sa part du gâteau, aux Champs-Élysées en 1820

encore faut-il parvenir jusqu'à lui, (détail). Paris, musée Carnavalet.

saires à la réalisation de l'action. Le troisième niveau-


est celui du désir, il est lié à l'élaboration imaginaire
anticipatrice de la stratégie à mettre en œuvre pour
assurer l'action gratifiante ou celle qui permettra
d'éviter le stimulus nociceptif.
Le premier niveau ne se préoccupe que du processus
présent, le deuxième niveau ajoute à l'action présente
l'expérience du passé, le troisième niveau répond au
présent, grâce à l'expérience passée, par une anticipa-
tion du résultat futur.
L'action est toujours motivée par la nécessité de main-
tenir la structure biologique de l'organisme : elle
répond au principe de plaisir, même quand elle se plie
au principe de réalité, que l'on peut considérer
comme le «principe du moindre mal ». La facilité
d'apprentissage d'une réaction particulière dépend
ainsi, entre autres, de l'intensité de la motivation ainsi
que de l'efficacité de l'action elle-même.
L'INNÉ ET L'ACQUIS tion de la stratégie par laquelle le besoin de consom-
mation a pu être assouvi. Le comportement de fuite
ur le plan neurophysiologique, on distingue ou de lutte, quant à lui, met en jeu l'hypothalamus
s , quatre types de comportements fondamentaux, latéral, la substance grise mésencéphalique et le
dont deux sont innés et deux acquis. faisceau de la punition (PVS). Il donne lieu à la fuite
Les comportements innés sont ceux de consommation ou, lorsque celle-ci n'est pas possible, à la lutte et
- boire, manger, copuler - et de fuite ou de lutte. Les à l'agressivité défensive. Si ce comportement est
p r e m i e r s r é p o n d e n t d i r e c t e m e n t à un s t i m u l u s récompensé, on peut penser qu'il aboutit aussi à un
interne, les seconds à un stimulus externe. apprentissage gratifiant par le MFB.
Le comportement de consommation peut, après une Les comportements acquis sont d'une part ceux de
action récompensée sur l'environnement, déclencher l'action récompensée, ou non punie, et capable de
un apprentissage par le système limbique et le fais- renforcement ; d'autre part les comportements d'inhi-
ceau de la récompense (MFB) : il y a alors mémorisa- bition résultant de l'action punie, ou non récompen-
de fournir le code permettant de réaliser la synthèse
d'une protéine. Un gène commande par exemple une
caractéristique physique, comme la couleur des yeux
ou les traits d'un visage. Mais on imagine difficilement
qu'un gène puisse gouverner un processus qui évolue
dans le temps : la complexité d ' u n comportement
Cette gravure, devrait faire appel à un nombre considérable de gènes
où l'on découvre un homme fonctionnant en synergie. Bien sûr, tous les comporte-
introduit dans ce qui ressemble ments, qui ont pour but d'assurer le maintien de la
à un scanner moderne, montre structure organique, paraissent égoïstes, mais pour-
le nombre de conditionnements quoi seraient-il tous génétiquement p r o g r a m m é s ?
mémorisés, automatisés Tous les individus de toutes les espèces animales
et ignorés de l'individu conscient, tentent de survivre sans pour autant faire appel à des
mais qui déterminent «gènes égoïstes». En revanche, dès la période de
sans aucun doute l'empreinte, la rencontre avec le milieu laisse dans le
ses comportements. système nerveux des traces mémorisées qui semblent
Matthias Corenter, devoir déterminer les comportements ultérieurs. Dans
gravure du XVIesiècle. le cas de l'homme, l'acquis prend une importance
Philadelphie, musée des Arts. prédominante.
Les discussions concernant l'inné et l'acquis font
souvent apparaître que les individus convaincus de
sée. Les premiers sont conditionnés par le renforce- la prépondérance de l'inné sont généralement des
ment. Ils rétablissent l'équilibre interne par la mise en conservateurs votant à droite : quel que soit le niveau
jeu, à partir de la formation réticulaire activatrice qu'ils ont atteint dans l'échelle des hiérarchies, si ce
ascendante, de l'aire septale médiane, de l'hypotha- niveau leur convient et leur fournit une image favo-
lamus latéral et du MFB. Dans le cas des comporte- rable d'eux-mêmes, pourquoi changer des rapports
ments d'inhibition, le système inhibiteur met en jeu sociaux, p o u r q u o i transformer une société qui a
l'aire septale, l'hippocampe, l'amygdale latérale et reconnu leurs mérites? A l'inverse, si un individu
l'hypothalamus ventromédian. Ce sont des comporte- considère que ses mérites n'ont pas été suffisamment
ments d'évitement passif ou d'extinction, au sens de récompensés, que l'image de lui-même qu'il essaie
« disparition d'une action gratifiante ». d'imposer est mal perçue, il vote à gauche et tente de
Dans cet essai de typologie des comportements, il est modifier ses rapports sociaux afin que l'on recon-
en fait bien difficile de distinguer l'inné, qui est géné- naisse à leur juste valeur ses qualités ; et il est alors
tique, de l'acquis, qui a été appris. Le rôle du gène est souvent convaincu de la prépondérance de l'acquis.
N o t r e environnement social

nous conditionne au point

de nous « changer la t ê t e »

dans le but évident d'en modifier

le contenu. Nous faudrait-il

aller jusqu'à la couper

e t la remplacer si nous voulons

éviter de tous avoir

la même « tête-chou » ?

Peinture anonyme flamande,

Les Têtes à changer, vers 1600.

Paris, collection particulière.


PASSAGE DE L'INDIVIDUEL
AU COLLECTIF
L a socioculture,

L ' a c t i o n se réalise d a n s u n ou des espaces par la compétition, aboutit

f comprenant des objets et des êtres par rapport à l'établissement de la hiérarchie.

auxquels s'organise l'apprentissage de la gratification L'illustration ci-contre symbolise

ou de la punition. Pour donner lieu au renforcement, ce mécanisme en représentant

l'objet gratifiant doit être conservé : c'est l'origine du le professeur plus grand

prétendu instinct de propriété. Le premier objet grati- que ses élèves.

fiant est la mère. Son importance est d'autant plus Manuscrit 129 de Nicolas de Lyre,

grande que la mémoire de la gratification s'élabore postilles sur le Pentateuque,

chez l'enfant avant l'établissement du schéma corpo- xve siècle, fol. 32r°,

rel. L'espace contenant l'ensemble des objets grati- Cours de théologie.

fiants constitue ce que l'on peut appeler le territoire. Troyes, Bibliothèque nationale.

Ni la défense du territoire ni l'instinct de propriété ne


semblent être innés. Il n'y a qu'un système nerveux celle de toute autre femme ; même si la période post-
agissant dans un espace gratifiant parce que occupé natale joue un rôle dans cet apprentissage précoce, il
par des objets et des êtres permettant la gratification. est probable que l'expérience auditive est intervenue
Le système nerveux est donc capable de mémoriser dès la vie intra-utérine.
les actions gratifiantes et celles qui ne le sont pas. Si un même espace est occupé par plusieurs individus
Mais cet apprentissage se révèle largement tributaire recherchant la gratification par les mêmes objets et les
de la socioculture. Dans ces conditions, il n'est pas mêmes êtres, il en résulte aussitôt l'établissement, par
certain que les comportements dits altruistes, qu'ils la lutte, d'une hiérarchie. En haut de la hiérarchie, le
soient humains ou animaux, puissent être considérés dominant, non agressif et tolérant, se trouve en équi-
comme innés. libre biologique tant que sa dominance, une fois éta-
L'apprentissage commence durant la période de blie, n'est pas contestée. Les dominés au contraire,
l'empreinte. En effet, il a été démontré que l'auto- mettant en jeu le système inhibiteur de l'action, seul
stimulation par électrodes intracrâniennes dans le moyen d'éviter la punition, découvrent l'angoisse.
faisceau de la récompense peut être réalisée sur un rat Dans ce mécanisme, il n'y a ni réduction du socio-
de trois jours, ce qui révèle un développement suffi- logique au biologique, ni analogie entre le socio-
sant à cet âge pour autoriser pareille expérience. logique et le biologique, mais simplement description
L'apprentissage commence peut-être plus tôt encore : d'un servomécanisme entre deux niveaux d'organi-
le nouveau-né humain préfère la voix de sa mère à sation : le niveau sociologique, englobant, et le niveau
biologique, englobé. Ce mécanisme n'est pas propre
à l'espèce humaine, il est valable pour toutes les
espèces. Mais l'organisation particulière du cerveau L e s comportements agressifs

humain, de complexité plus grande que celle des de compétition aboutissent

autres espèces animales, a permis la création d'infor- à la victoire de l'un

mation et sa communication par le langage, création e t à la défaite de l'autre.

et communication qui elles-mêmes transforment le Mais quelles motivations à

niveau d'organisation sociologique. Avant l'appari- combattre ont les protagonistes?

tion du langage, les comportements de dominance Il semblerait que, chez l'homme,

s'établissent chez le petit homme de façon quasiment la finalité du groupe social

semblable à celle que l'on observe chez les autres soit un élément important.

mammifères, en particulier chez les primates. Paul Sérusier (1863-1927),

Cependant on ne peut ignorer le travail considérable La Lutte bretonne.

réalisé ces dernières décennies par les éthologistes, Paris, musée d'Orsay.

qui étudient le comportement des animaux dans leur


milieu naturel, même si l'on peut déplorer que, dans
les innombrables travaux réalisés sur la notion de l'animal, les raisons en sont souvent physiques : taille
dominance et de statut hiérarchique chez l'homme, des adversaires, force, âge, habileté au combat qui
une véritable interdisciplinarité ne soit pas encore résulte des apprentissages antérieurs. La dominance
pratique courante. Les éthologistes s'efforcent souvent en elle-même, toujours selon I. S. Bernstein, comme le
de définir et de quantifier un comportement sans rang hiérarchique ne sont pas génétiquement trans-
chercher à connaître les mécanismes bioneurophy- missibles puisqu'ils forment un ensemble de relations
siologiques qui l'animent. Ils partent également du avec d'autres individus et non un attribut particulier
schéma le plus simple : la compétitivité entre deux d'un individu. Si la sélection naturelle favorisait les
individus. I. S. Bernstein constate que les comporte- dominants, il serait logique d'assister à une augmen-
ments agressifs qui aboutissent à la dominance de l'un tation constante du nombre de ces derniers. Lorsque
et à la défaite de l'autre ne peuvent être envisagés les éthologistes constatent une évolution dans le
en dehors de leur motivation, laquelle nous éclaire par comportement d'un animal, ils sont amenés à évoquer
ailleurs sur ces comportements. En effet, si aucune la notion d'apprentissage. Mais qu'est-ce qui est
cause ne motivait les deux compétiteurs, il n'y aurait appris? Il y a des perdants habitués à perdre et des
pas de raison pour que la compétition s'engage. Or, gagnants habitués à gagner. C'est l'histoire antérieure
lorsqu'elle a lieu, pourquoi l'un est-il vainqueur et des relations sociales qui commande le plus souvent
l'autre vaincu? Chez l'homme, la finalité du groupe un comportement présent. Les singes anthropoïdes
social paraît un facteur englobant dominant. Chez savent reconnaître le comportement de soumission
Charlemagne a vaincu,
Witikind se soumet.

Le combat s'interrompt, faute

de combattants : le vainqueur

a établi sa dominance,

le vaincu reconnu sa défaite,

ni l'un ni l'autre n'ont de raison

de reprendre la bataille.

L'absence de motif met fin

à toute compétition.

Ary Scheffer (1795-1858),

Charlemagne reçoit à Paderborn

la soumission de Witikind en 785.

Château de Versailles.

d ' u n animal ayant déjà subi une défaite, et ajuster


leur comportement en fonction des indices qu'ils
recueillent. La compétition peut même devenir inutile.
C'est pourquoi on a pu proposer de parler de rela-
tions de soumission plutôt que de relations de domi-
nance. Le prestige plus que le pouvoir joue un rôle
essentiel dans l'établissement de la dominance, mais
s'il n'est pas renforcé, il est menacé de disparition. Ce
renforcement n'est pas nécessairement obtenu à la
suite d'une contestation, mais plutôt par la répétition
d'un schéma de relations préétablies.
D'autre part, la compétition agressive n'est pas sans
risques. La motivation du gagnant et celle du perdant
sont susceptibles d'être transformées par le combat :
le premier comme le second peuvent ne plus être suf-
fisamment motivés pour une nouvelle agression, le
premier parce qu'il a établi sa dominance, le second
parce qu'il reconnaît que son but n'est pas atteint.
Il devient donc important de repérer les signes Chez les espèces hautement socialisées, les combats
avant-coureurs de réussite ou d'échec d'une nouvelle sont rarement diadiques - ils ont rarement lieu entre
compétition, ce qui peut la rendre inutile et ainsi évi- deux individus - car la présence d'un allié aux côtés
ter des lésions. Il semble donc que l'établissement des d'un combattant au cours d'une contestation est sou-
dominances diminue la nécessité des conflits à l'inté- vent plus importante que ses attributs physiques. En
rieur d'un groupe. Mais il faut ajouter qu'un compor- effet, peu de singes, par exemple, peuvent combattre
tement de dominance s'établit sur un même objet, simultanément plusieurs adversaires.
sexuel ou de nourriture par exemple, et peut donc ne De nombreuses et difficiles études ont été réalisées
pas s'exprimer dans tous les cas où les motivations du concernant le rang hiérarchique, non plus entre deux
moment sont différentes. individus, mais au sein d'une société animale. Dès
tion non transitive. Ce type de relations semble cepen-
dant temporaire et reflète l'instabilité du groupe.

✓ D'autre part, dans le cas d'une relation transitive, être


Établir un classement le vingt-neuvième dans la hiérarchie d'un groupe de
dans un groupe d'individus cinquante individus, note I. S. Bernstein, peut signifier
n'est pas toujours de l'ordre quelque chose pour l'observateur, mais non pour
du possible. Pour ce faire, on doit l'individu concerné : celui-ci sait qui il peut vaincre
avoir une relation transitive et contre qui il peut perdre, mais il n'a aucune idée
du type : si l'on peut comparer de sa situation au haut ou au bas de la hiérarchie.
A à B et B à C, alors A et C L'ensemble de ces raisons fait qu'il est impossible
sont comparables. Mais pour être d'étudier la situation hiérarchique d ' u n groupe en
acceptable, cette relation partant de l'étude diadique.
doit s'établir sur un critère unique En sélectionnant de n o m b r e u x critères, les étho-
et non sur un nombre important logistes ont tenté de réaliser des matrices permettant
de facteurs variables. de concevoir des systèmes hiérarchiques. Mais sur
Ainsi, dans le cas présent, quels critères évaluer un niveau hiérarchique? Pour
ce sont des moyennes de notes A. Magur, les individus sont considérés en fonction
qui sont comparées, et non de leur contribution à la survie du groupe. La majorité
des patineurs en tant que tels. des auteurs pense que la dominance est un critère
Podium de la danse sur glace essentiel car elle est nécessaire à la p e r f o r m a n c e
aux jeux Olympiques sexuelle et au succès dans la reproduction : elle per-
de Lillehammer en 1994. met différentes possibilités dans la stratégie copula-
toire. Mais selon nombre d'entre eux, il est préférable
de s'intéresser à la notion de compétition plutôt qu'à
que l'on s'adresse à un ensemble de trois individus, A, celle de dominance. Or la compétition produit inévi-
B, et C, si A domine B et que B domine C, on doit tablement des hiérarchies, et certains sont d'avis que
s'attendre à ce que A domine C. Cette relation, dite la seule motivation à la compétition est de devenir
transitive, n'est toutefois acceptable que si les rela- « alpha ».
tions s'établissent sur un critère unique, la taille par - Des relations complexes et souvent circulatoires au
exemple. Mais l'établissement des dominances ne se sein d'un groupe peuvent être à l'origine de l'émer-
réalise en fait pas sur des quantités mesurables et ins- gence de véritables classes sociales. Les uns seront
tantanées. On peut imaginer que A domine B à un dominés, les autres dominants, mais d'une façon qui
moment, parce qu'aucun allié de B n'est présent sur n'est pas définitivement établie : les pouvoirs varient
les lieux de la compétition : il s'agit alors d'une rela- suivant les associations interindividuelles dans le
L agressivité s'exprime

non seulement au niveau

individuel, mais également

au niveau du groupe.

Lorsqu'un individu se joint

aux autres membres du groupe

auquel il appartient

pour défendre le territoire

commun, il cherche bien

évidemment à se protéger

en t a n t qu'individu, mais aussi

à protéger une structure abstraite,

la structure hiérarchique

de dominance établie

dans le groupe.

G. Pelizza da Volpedo (1868-1907),

Le Quatrième État.

Milan, musée d'Art moderne.

groupe. C'est bien é v i d e m m e n t dans le cadre de il ne serait pas défendu, mais fui. On peut alors
l'agressivité de compétition que se situe l'agressivité admettre que l'agressivité de défense du territoire
exprimée pour la défense d'un territoire. Telles sont n'est pas un comportement inné, mais acquis, résul-
les bases de ce prétendu instinct de propriété qui tant de la compétition avec un intrus pour la conser-
n'est, en fait, que l'acquisition de l'apprentissage de vation des objets et des êtres gratifiants que ce terri-
la gratification et du renforcement qui lui succède. toire contient.
Si le même territoire était vide ou rempli d'objets ou Il faut pourtant veiller à ne pas mélanger les niveaux
d'êtres non gratifiants, voire dangereux pour le main- d'organisation. Il s'agit de ne pas confondre, par
tien de la structure de l'individu, donc nociceptifs, exemple, la défense du territoire du couple, appro-
priation qui permettra à l'époque du rut la reproduc- du groupe, va défendre le territoire de ce groupe aux
tion et l'apprentissage premier de la descendance, côtés de ses pairs, c'est cette structure abstraite qu'est
| avec la défense d'un territoire du groupe, qui contient la structure interindividuelle hiérarchique de domi-
une autre structure que celle de l'individu : celle du nance qu'il va défendre. Mais ce faisant, évidemment,
groupe, c'est-à-dire l'ensemble des relations existant il p r o t è g e aussi sa p r o p r e s t r u c t u r e d ' i n d i v i d u ,
entre les individus de ce groupe. p u i s q u ' i l bénéficie de l ' a p p a r t e n a n c e au groupe.
f Or dans toutes les sociétés animales la structure du Bien que douloureusement dominé, aliéné, lorsqu'il
; groupe est une structure hiérarchique de dominance. fait partie de la base de l'échelle hiérarchique, il
| Lorsqu'un individu, en tant qu'élément de la structure comprend qu'il est encore préférable, pour sa propre
L E S C O M P O R T E M E N T S

survie, de combattre avec l'ensemble du groupe que


de s'en séparer. Il est probable que le dominant a inté-
rêt à ce que le groupe conserve la propriété du terri-
toire où il vit, s'il veut conserver sa dominance. Mais
il est tout aussi probable que le dominé a également
intérêt, s'il veut demeurer sur ce territoire qui lui per- L e soldat alité a été blessé

met de vivre, à ce que le dominant conserve sa domi- en combattant pour la patrie,

nance, si ce dernier veut lui-même participer à la sur- c'est-à-dire en fait

vie du groupe. Pour expliquer le rôle adaptatif des pour une structure abstraite,

comportements de dominance, S. A. Gauthreaux Jr. a établie hiérarchiquement.

proposé en 1978 un modèle de dispersion : au centre Les religieuses qui l'entourent

le plus riche du territoire se trouvent les dominants, et de leurs soins symbolisent

plus on s'éloigne vers la périphérie la plus pauvre, la notion d'entraide, qui semble

plus s'accumulent les dominés. Quand la quantité de aller à l'encontre de la loi

nourriture diminue, ce sont les dominés qui sont les du plus fort et s'oppose

premiers affectés et donc les premiers à émigrer vers à celle du combat.

d'autres territoires. Même si ces nouveaux territoires Lutte compétitive et entraide

sont moins riches en nourriture, ils suffiront aux émi- sont complémentaires.

grants, qui n'auront momentanément plus à subir Elles ont toutes deux permis

l'appropriation des dominants. Le même modèle est l'évolution, mais se situent

applicable à l'habitat. à des niveaux d'organisation

Certains chercheurs soulignent le rôle fondamental de différents. La première risque

l'entraide dans l'évolution. Dès 1883, le zoologiste et d'aboutir à la disparition

anthropologiste Pierre Kropotkine en particulier attire de l'espèce humaine,

l'attention sur ce comportement d'entraide qui lui et la seconde, pourtant

paraît aller à l'encontre de la loi de la jungle, à savoir indispensable, paraît difficile

la survie et la reproduction des plus forts et des mieux à réaliser dans la compétition

adaptés, qui constituait le fondement du darwinisme. économique qui règne

Son livre intitulé L'Entraide, un facteur de l'évolution est à tous les niveaux d'organisation,

à ce sujet remarquablement documenté. Il réfute la de l'individu aux États.

notion darwiniste de la lutte de tout animal contre ses Jean-Joseph Weerts,

congénères et de tout homme contre tous les autres Scène de la guerre de 1870.

hommes pour l'obtention des moyens d'existence, Musée de Roubaix.

et se refuse à croire qu'elle est une « loi de la nature ».


Ses arguments fondés sur des observations étholo- formes primitives, qui vivaient sans oxygène et pour
giques sont nombreux et difficilement contestables. lesquelles l'oxygène était même un poison, ne durent
Il ne se place jamais sur le plan affectif de l'amour ou leur évolution qu'à la symbiose, c'est-à-dire à l'enva-
de la sympathie, qui lui semblent être des mots aptes hissement de leur protoplasme par des formes nou-
uniquement à restreindre le phénomène de l'entraide velles, analogues à des bactéries, qui savaient utiliser
et à l'obscurcir. Pour lui, cette pratique aboutit à l'oxygène.
l'apprentissage qui existe entre l'étroite dépendance Il est certain que Pierre Kropotkine et ses successeurs
de l'équilibre biologique de chacun et l'équilibre de prennent moins en considération la lutte individuelle
tous. L'entraide est en quelque sorte le résultat d'un pour la vie que la lutte contre des conditions clima-
acte intéressé. tiques et environnementales qui furent vraisemblable-
Comment des opinions a p p a r e m m e n t si opposées ment un facteur essentiel de l'évolution des espèces.
peuvent-elles être admises sans s'exclure? Là encore Dans ce dernier cas, on peut penser que la capacité à
c'est la confusion des niveaux d'organisation qui s'associer fut le moteur principal de l'évolution. Mais
aboutit à celle des idées. Personne ne met en doute dès que l'on passe à un nouveau niveau d'organi-
l'existence, dans le règne animal, de la recherche d'un sation, celui de l'individu, qui constitue à lui seul une
allié dès qu'une compétition surgit dans une diade. société d'entraide cellulaire, une nouvelle compétition
Dès l'apparition de la triade, l'entraide apparaît donc, survient entre les individus isolés, aboutissant à la for-
mais au cours d'un processus de recherche de l'appro- mation hiérarchique du groupe, à sa cohésion. Mais
priation et de la dominance. alors que la « sociabilité » réalise un ensemble qui, au
Si l'on remonte à ce que nous connaissons de l'évolu- sein de l'individu, ne fait appel à aucune hiérarchie de
tion du monde vivant dans la biosphère, on constate pouvoir entre les cellules qui le constituent, mais seu-
qu'à partir des formes unicellulaires ayant pris nais- lement à une spécialisation de fonctions, au niveau
sance dans les océans, la formation d'êtres pluri et d'organisation des groupes, la recherche de la domi-
multicellulaires peut être considérée comme l'un des nance survient. Quelle explication donner à l'appari-
premiers exemples d'entraide et de sociabilité. Tout tion de ce facteur ? On peut penser que la mobilité de
porte à penser que cette association de cellules ne fut l'individu dans le milieu, son autonomie motrice dans
pas gratuite et que chacune d'elles a pu bénéficier, au la recherche du maintien de son information-structure
sein de l'ensemble, de tous les moyens de survie dont est ce qui le met en compétition avec les autres indi-
elle était auparavant dépourvue. La spécialisation vidus. Et dans l'espace occupé par le groupe, dans
fonctionnelle rendit chaque élément dépendant de son territoire, une nouvelle structure s'établit qui
l'ensemble comme l'ensemble se mit à dépendre de est alors une structure hiérarchique de dominance.
chaque élément. On peut même penser avec René Girard que c'est
A une époque plus reculée encore, lorsque l'oxygène alors l'inégalité qui supprime la violence, mais que
moléculaire fit son apparition dans l'atmosphère, les cette inégalité s'est établie grâce à la violence engen-
La hiérarchisation de la société,
liée à la compétition,
est ici prise à partie
par une affiche réalisée en 1917
lors de la Révolution russe
et qui caricature armée,
bourgeoisie, clergé
et propriétaires terriens.
On a pu constater depuis combien
il est difficile de sortir
de ce puissant mécanisme
qui réapparaît sans cesse
sous de nouveaux habits.
Paris, musée
des Deux Guerres mondiales.

drée par la compétition. Et le groupe organisé, struc- HISTOIRE DES DOMINANCES


turé, entre lui-même en compétition avec d'autres

L
groupes, en vue de l'obtention de la dominance. Aussi e cerveau humain est à même de créer, grâce à
longtemps que la finalité de l'individu devra passer, des aires associatives particulièrement dévelop-
pour atteindre celle de l'espèce, par l'intermédiaire pées, des informations à partir d'éléments mémorisés
de celle des groupes sociaux, on peut imaginer que à la suite d'expériences vécues dans son milieu envi-
rien ne sera changé. Il ne s'agit pas là d'une « loi de la ronnant. Grâce aux langages, ces expériences ont pu
nature» inéluctable, mais d'une loi de l'ignorance et être transmises de génération en génération. La créa-
de l'incompréhension. tion imaginaire de nouveaux ensembles, de nouvelles
En résumé, lutte compétitive et entraide ont toutes structures, doit s'accompagner du contrôle de leur
deux permis l'évolution. Non pas antagonistes mais cohérence avec le principe de réalité, qui est celui des
complémentaires, elles se situent chacune à un niveau lois qui régissent le monde environnant. C'est l'action
d'organisation différent. Mais au niveau auquel est qui exerce ce contrôle : la logique du discours doit être
parvenue l'espèce humaine, la première risque d'abou- confrontée à la logique des faits. Les hypothèses de
tir à sa disparition, et la seconde, qui paraît pourtant travail, depuis le début de l'histoire humaine, ont tou-
indispensable, semble bien difficile à réaliser. jours dû subir la vérification expérimentale.
Le langage a donné à chaque chose son double vocal, même, naît nu; le langage, qui lui vient des autres, !
ce qui a permis de l'articuler dans la phrase. Il a ainsi l'habille. Nous ne sommes en fait que les autres, aussi i
ouvert aux hommes l'accès à l'imaginaire conceptuel, bien dans le résultat de la combinaison génétique que
créateur de nouvelles structures, et leur a offert la pos- dans notre apprentissage de la vie. Tous les autres, les
sibilité de vérifier une hypothèse non seulement par vivants et les morts.
sa cohérence avec le monde, mais encore en la conju- Grâce à cette possibilité de créer de l'information,
guant avec l'expérience des autres. Ayant découvert l'espèce humaine a pu « informer », « mettre en forme »
cette faculté d'abstraction, les hommes furent à même la matière et l'énergie, créant ainsi des outils qu'elle
d'inventer un monde nouveau, échangeable, libéré de utilise pour assurer de mieux en mieux sa protection,
l'objet, qu'ils pouvaient faire renaître en commun sa durée. Cette matière transformée par son industrie
- communiquer. Le cerveau de l'homme, comme lui- a donné naissance à des objets superflus susceptibles
découverte du feu, de l'agriculture et de l'élevage, de
la roue, de la voile, des structures sociales successives
jusqu'à la révolution industrielle du XIXe siècle ont
illustré l'Histoire de l'Homme... Qu'on veuille bien
considérer nos télécommunications modernes. Elles
G r â c e à son aptitude contractent l'espace en mettant à la portée de nos
à « mettre en forme » la matière oreilles et de nos yeux un correspondant lointain.
et l'énergie, l'homme a pu, Contractant l'espace, elles contractent le temps que
dans un premier temps, notre message aurait mis à parvenir à notre interlocu-
créer des outils. Progressivement, teur. L'apparition du langage ne fit point autre chose,
son pouvoir de transformation mais il le fit au-dessus des générations... A partir du
s'est élargi, il a alors inventé langage (...) le temps et l'expérience des hommes ont
les machines et l'industrie. pu se transmettre et s'accumuler. »
Il produit ainsi plus qu'il ne peut Le temps sociologique a ainsi gagné de vitesse le
consommer, et le superflu temps biologique. Un père et un fils qui parlent la
devient marchandise, même langue utilisent les mêmes mots, mais avec un
donc objet d'échange. contenu sémantique différent, car les informations
Atelier de construction, qu'ils ont stockées grâce à ces mots ne sont pas
de scierie e t de machines-outils, contemporaines; ils se réfèrent à deux mondes diffé-
estampe du xixe siècle. rents. Cela constitue sans doute un facteur important
Paris, musée Carnavalet. des conflits de générations. L'expérience des mots est
unique pour chacun de nous et cet instrument éton-
nant qu'est le langage a certainement été la raison
d'être échangés, autrement dit à des marchandises. fondamentale de l'incompréhension des h o m m e s
Venues s'ajouter à la liste des objets gratifiants du entre eux.

milieu, celles-ci ont été à la base de besoins acquis, par Les variations survenues dans le climat à la fin de la

l'apprentissage de la gratification qui résultait de leur dernière glaciation, celle du Würm, furent probable-
usage. Et au cours des millénaires, leur possession se ment responsables du passage du paléolithique au
trouva à l'origine de la recherche de la dominance. néolithique, qui constitue l'un des grands moments de
Dès 1965, dans un article destiné à la presse médicale l'histoire de l'espèce. S'installa alors dans l'hémisphère
intitulé « A propos de l'automobiliste du Néandertal », Nord un nouveau climat que l'on a coutume de décrire
je notais : « L'enfant qui naît de nos jours parcourt comme beaucoup plus clément que le précédent,
confortablement, en quelques mois, les siècles de dan- favorable aux premières industries, à l'agriculture
ger, de douleurs, de travail et de morts qui, de la et à l'élevage. Ce climat possédait la particularité de
. L e temps sociologique

a gagné de vitesse

le temps biologique.

Ce père et son fils parlent

la même langue, et pourtant

les mots n'ont pas le même sens,

pas le même contenu

sémantique pour tous deux,

car ils ont mémorisé

des informations

qui ne sont pas contemporaines.

Cela constitue sans d o u t e

un facteur important des conflits

de générations.

Jean-Baptiste Greuze (1725-1805),

La Malédiction paternelle,

le fils ingrat.

Paris, musée du Louvre.


E n défendant son territoire, toute sorte, à commencer par les autres hommes
tout individu tente de conserver moins favorisés techniquement. Il n'existe pas d'ins-
pour son usage propre tinct inné de propriété ni de défense du territoire, que
les objets gratifiants que contient ce soit dans les premières sociétés néolithiques ou
cet espace. C'est ainsi que naît chez l'individu, mais seulement un apprentissage de
l'instinct de propriété, la gratification, de la protection de l'équilibre biolo-
qui n'a rien d'inné, mais s'élabore gique, du plaisir.
par l'apprentissage Cette opinion se trouve renforcée par le fait que
de la gratification procurée certaines ethnies ont ignoré, semble-t-il, la notion de
par certains objets ou certains propriété et de défense du territoire jusqu'à ce que
êtres, l'apprentissage du plaisir, l'homme du 45e parallèle de l'hémisphère Nord
de la protection de l'équilibre vienne la leur inculquer à une époque récente : leur
biologique. Si le territoire migration les avait dirigées, toujours à la fin de la gla-
était vide, il perdrait tout intérêt ciation du Würm, vers certaines régions du globe où
et ne serait pas défendu. l'environnement géoclimatique leur épargnait d'avoir
Révolution russe, affiche : Soldat à craindre pour leur survie immédiate, comme ce fut
de l'Armée rouge chassant le cas dans les îles du Pacifique Sud. On remarque la
de Russie les riches profiteurs, même absence d'agressivité et de possessivité chez
1917-1920. Paris, musée des ethnies comme les Esquimaux, dont la survie est
des Deux Guerres mondiales. restée, à l'opposé, aussi précaire que celle de nos
ancêtres du paléolithique. Instinct de propriété et, en
conséquence, recherche de la dominance et agressivité
présenter une alternance saisonnière, l'hiver succé- ne paraissent donc pas dépendre d'une caractéristique
dant à l'été. L'été, le climat devenait clément, mais les innée du système nerveux humain, mais bien au
conditions climatiques difficiles antérieures reve- contraire d'un apprentissage conditionné autour du
naient avec l'hiver. Nos lointains ancêtres, qui avaient 45e parallèle par la niche géoclimatique où certaines
longuement souffert de la rigueur du froid, s'en libé- ethnies se sont développées.
rèrent grâce à leur imagination : l'agriculture et l'éle- Si cette hypothèse est exacte, elle empêche de sous-
vage permirent d'engranger en été et d'avoir des crire entièrement à l'opinion d'ethnologues et de
réserves de graminées et de la viande fraîche en hiver. paléontologues qui tendent à nous montrer l'homme
L'objet gratifiant, nécessaire à la survie, ne se trouvait du paléolithique comme un être heureux, ignorant la
plus dispersé dans la nature, mais rassemblé, collecté famine et l'angoisse, baignant dans une civilisation
en un territoire. La notion de propriété était née, pro- qui serait l'opposé d'une civilisation de pénurie : un
priété qu'il fallut défendre contre les prédateurs de homme un peu paresseux, ne travaillant que trois ou
quatre heures par jour, vivant, au contraire de ce que
l'on a pu penser, dans l'abondance, car sachant limiter
ses besoins, inconscient, nonchalant, nomade, igno-
rant la propriété - comme nous venons de le supposer
en nous appuyant sur des bases neurophysiologiques.
Mais s'il en était vraiment ainsi, quelle motivation
l'aurait poussé à la découverte de l'agriculture et de
l'élevage ? S'il ne connaissait pas l'angoisse du lende-
main, pourquoi aurait-il fait des réserves? Quels fac-
teurs l'auraient conduit à s'en donner les moyens?
Les actions des hommes ne sont jamais gratuites, elles
correspondent toujours à une nécessité, consciente
ou inconsciente. Si l'homme primitif ne « rentabilise »
pas son activité, ce n'est pas parce que, sachant le faire, Agriculture et élevage

il n'en éprouve pas l'envie, mais parce que, sachant sont parmi les premières activités

le faire, il n'en a pas l'idée, car les conditions géo- humaines de transformation

climatiques ne le lui permettent pas. Quand le climat de l'énergie solaire en calories

devient tempéré autour du 45e parallèle, tout primitif assimilables par l'organisme

qu'il est, il préfère l'été à l'hiver et travailler l'été pour et donc permettant à l'homme

survivre plus agréablement l'hiver en utilisant ses d'améliorer les conditions

réserves. Admettre cela, ce n'est pas attribuer au chas- de sa survie. Après la dernière

seur du paléolithique notre esprit bourgeois, c'est dire glaciation, quand le climat devint

qu'il est capable d'imagination « utile » en fonction du plus clément sous nos latitudes,

cadre géoclimatique qui l'environne. l'homme s'évertua à développer

L'agriculture est un moyen de transformation rapide sa production l'été pour vivre

de l'énergie solaire en calories capables d'assurer le plus agréablement l'hiver

maintien de l'information-structure des organismes sur les réserves ainsi accumulées.

humains. De la même façon que l'élevage, elle se Pol de Limbourg,

révèle être une mise en forme, une « information » de Les Très Riches Heures

l'énergie solaire. A côté de la masse - qui offre les du duc de Berry, 1413-1416,

matières premières - et de l'énergie se manifeste, avec fol. 7vo, Juillet, moisson,

les premiers hommes, l'information. La matière et château de Poitiers.

l'énergie ont toujours été à la disposition de l'espèce Chantilly, musée Condé.

humaine. C'est l'information technique permettant de


Licence eden-338-533463-464VDHx10x01 accordée le 29 mai 2020 à
customer533463 Sergiu
employé plus efficacement par l'imagination. Les
sciences exactes commencèrent timidement leur appa-
rition : géométrie utilitaire, mathématiques utilitaires,
E n restant à la caverne physique utilitaire.
pour entretenir le feu Mais surtout la fixation au sol fut à l'origine de la spé-
et s'occuper des enfants, cialisation technique grâce à la sédentarité. Le seul
nombreux vrai polytechnicien fut l'homme du paléolithique :
(le manque d'hygiène infantile pour survivre, l'individu devait savoir tout faire et sa
en tuait beaucoup), seule spécialisation fut sans doute la spécialisation
la femme, par nécessité sexuelle. Il semble en effet difficile d'imaginer une
plus sédentaire que l'homme, femme enceinte de plusieurs mois se rendant à la
a peut-être inventé l'agriculture chasse aux mammouths accompagnée d'une ribam-
et l'élevage. Les divinités belle de bambins : la femme - la vestale - devait
des moissons, dont Cérès, rester au foyer. Dans sa sédentarité « caverneuse », elle
sont généralement des femmes. fut peut-être la première à inventer l'agriculture et
Baltassare Peruzzi (1481-1536), l'élevage - les divinités des moissons sont généra-
Buste de Cérès. lement de sexe féminin. D'où l'initiation du jeune
Rome, galerie nationale mâle intronisé dans le groupe des chasseurs : selon
d'Art antique, palais Barberini. le mot d'André Leroi-Gourhan, « qui va à la chasse
gagne sa classe ».
Avec la spécialisation néolithique commence le «tra-
les mettre en forme qui au début manquait ; et ce sont vail en miettes », suivant l'heureuse expression de
les langages qui ont enfin pu la transmettre et l'accu- Milton Friedman. Le schéma que nous en donnons
muler de génération en génération. Cette information ici a l'intérêt de montrer comment se sont instituées
a d'ailleurs longtemps servi à transformer la matière les dominances pour les hommes établis autour du
bien plus que l'énergie. Ainsi le licol, qui permit d'uti- 45e parallèle de l'hémisphère Nord et comment un tel
liser l'énergie musculaire des animaux pour le trans- conditionnement géoclimatique fut sans doute à l'ori-
port et le travail, est-il d'invention récente. De même, gine de la technologie moderne. Ce qui paraît essen-
l'agriculture et l'élevage, qui auraient dû conduire tiel, c'est le passage de l'individu apprenant à garder à
à une société d'abondance et réduire le travail de sa disposition l'objet gratifiant à l'apparition d'une
l'homme, n'ont fait que transformer son activité : ils mise en réserve possible pour satisfaire à la gratifica-
ont diminué en partie son travail thermodynamique tion du groupe, dans un environnement où les objets
et accru son travail informationnel. Le temps libre gratifiants ne sont pas suffisamment nombreux pour
laissé en hiver par les réserves accumulées en été fut l'ensemble des individus réunis dans un même
espace. Ils empêcheront dès lors toute tentative
d'appropriation par un autre groupe de l'objet grati-
fiant que constituent les réserves. On assiste alors
à l'entrée dans un cercle vicieux : la constitution de
réserves augmente le nombre d'individus fixés au
même endroit qui peuvent en profiter; et l'augmen-
tation du nombre d'individus qui participent à la
constitution des réserves augmente le volume de
celles-ci. Les concentrations humaines qui en résul-
tent, la division du travail qu'elles opèrent, l'impossi-
bilité de s'échapper pour l'individu pris dans le filet
des rapports sociaux qui ne sont plus seulement inter-
individuels, l'ensemble étatique qui se constitue abou-
tissent à l'institutionnalisation des règles de la domi-
nance à l'intérieur même de l'ensemble des règles
hiérarchiques qui en permettent le fonctionnement.
« L'existence des classes sociales n'est liée qu'à des
phases historiques déterminées du développement
de la production », a écrit Karl Marx.
On peut admettre que ces premiers villageois ont
désappris au cours des siècles le maniement des
A partir du moment où la cité armes : à l'abri derrière les murs de leurs cités où
a abrité des biens gratifiants, s'accumulaient les réserves, ils n'en avaient plus
ses dirigeants ont dû prévoir besoin pour survivre ou pour se défendre des carnas-
un système de protection siers prédateurs. Des groupes de chasseurs encore
contre d'éventuels prédateurs. habiles au maniement des armes et restés au stade
La défense du « citoyen » paléolithique, convoitant ces réserves alimentaires
est passée par l'extermination accumulées, ont dû prendre la direction de l'organisa-
des groupes parallèles. tion et de la défense des premières cités contre le pré-
Antoine Rivalz (1667-1735), dateur humain désirant s'en emparer, quand ils n'ont
Expulsion des huguenots pas été eux-mêmes ce prédateur.
de Toulouse en 1562. Les premières civilisations néolithiques de l'Europe
Toulouse, musée des Augustins. ancienne étaient matrilinéaires, égalitaires et sans
armes. Elles furent soumises par des peuplades cau-
casiennes de cavaliers-chasseurs paléolithiques, les
kourganes. Par ailleurs, la sédentarisation, l'hygiène
et l'alimentation améliorées furent à l'origine d'un
bond démographique important. Aussi les territoires
qui avaient permis primitivement la satisfaction
du groupe devinrent-ils insuffisants, et ce dernier alla L a définition du travail

tenter de s'approprier ailleurs les objets gratifiants reste la même suivant

d'autres groupes. Ce fut sans doute le début des le niveau d'organisation observé :

guerres. cellule, organe, système,

Des hiérarchies s'établirent : l'agressivité prédatrice individu ou groupe social.

fournissait les leaders responsables de la sécurité de la A ce dernier

communauté avec ses soldats, les prêtres manipu- niveau d'organisation, la partie

laient les mythes et assuraient à la communauté la mécanique - thermodynamique -

protection des dieux favorables, les scribes tenaient les reste l'apanage de l'ouvrier,

comptes, les forgerons forgeaient les armes et les socs mais elle est de moins en moins

de charrues, les paysans assuraient l'alimentation de utile, car le travail humain

l'ensemble. Il n'en fallait pas davantage pour faire utilise surtout l'information

naître l'agressivité de compétition interindividuelle, aujourd'hui.

intergroupes, interétats. Franz Wilhelm Seiwert

La dominance, qui devint nécessaire à l'obtention (1894-1933), Les Travailleurs.

de la propriété privée des objets gratifiants, s'établit Düsseldorf, Kunstmuseum.

alors moins exclusivement par la force physique, et


de plus en plus par l'acquisition de l'information
technique. mule «métro, boulot, dodo ». Qu'est-ce que le travail?
Mais comment définir le travail humain autour Pour notre système nerveux, il consiste à libérer
duquel la vie de l'homme moderne paraît entièrement de l'énergie sous forme d'influx nerveux. Pour nos
orientée ? muscles, à libérer de l'énergie sous forme mécanique,
contractile. Pour nos glandes, à libérer de l'énergie
L E TRAVAIL sous forme chimique, celle des produits de sécrétion.
Pour tous, à utiliser des substrats, c'est-à-dire des
n commence par buter sur le contenu séman- aliments énergétiques pris dans l'environnement et
0 tique des mots travail, repos, et de ceux qui s'y permettant une action sur cet environnement. L'action
rattachent, loisirs, éveil, sommeil, ces mots qui peu- consiste donc essentiellement à se procurer ces sub-
plent notre vie quotidienne, parfois restreints à la for- strats alimentaires : c'est ce que l'on veut dire en par-
lant de «force de travail». Les substrats du travail structure, il faut trouver une énergie qui permette de
cellulaire ont en réalité une fonction fondamentale, la conserver.
celle de maintenir la structure cellulaire et en consé- L'ensemble des cellules d ' u n organisme libère une
quence la structure organique. En d'autres termes, certaine q u a n t i t é d ' é n e r g i e qui est utilisée p o u r
l'action sur l'environnement n'a qu'une seule finalité : conserver la structure de chaque cellule de l'orga-
maintenir la structure de l'organisme qui n'agit, ou ne nisme; cette énergie libérée est en fait celle qui serait
travaille, que dans ce but. Voilà de quoi est d'abord libérée si cette cellule était isolée en culture, séparée
faite notre vie quotidienne. Le génie de Marx a été de l'organe et de l'organisme auxquels elle appartient.
d'attirer l'attention sur le fait qu'une grande partie du Mais elle libère aussi une énergie supplémentaire, une
travail ne servait pourtant pas à cela, mais à maintenir plus-value en quelque sorte, une énergie utilisée non
une structure sociale de dominance. Puisqu'il y a seulement pour maintenir la structure de chaque
cellule prise isolément, mais également pour mainte- système hiérarchique qui en décide. Le fait d'avoir
nir la structure de l'organisme entier. Elle travaille à supprimé le profit comme moyen d'établir des domi-
synthétiser par exemple des structures moléculaires nances est sans doute un progrès dans l'instauration
membranaires spécifiques, capables d'assurer ses des structures sociales et dans la vie quotidienne des
relations anatomiques et fonctionnelles avec les autres individus qui y participent. Malheureusement, des
cellules de l'organe auquel elle appartient, d'assurer moyens de remplacement ont rapidement été décou-
une communication intercellulaire en vue d'une fonc- verts et d'autres structures de dominance ont fait leur
tion communautaire, celle de l'organe qui, lui-même, apparition.
s'intègre dans l'organisme. De même, dans un état Cet aspect thermodynamique, énergétique, est
socialiste, chaque individu travaille plus qu'il ne fau- applicable à tous les systèmes vivants individuels
drait pour maintenir sa propre structure, et la plus- et sociaux, à toutes les espèces vivantes, l'homme y
value sert à maintenir une structure sociale. La diffé- compris. En quoi l'espèce humaine apporte-t-elle
rence avec une structure capitaliste, c'est l'orientation quelque chose de plus, quelque chose de nouveau, à
de l'utilisation de cette plus-value, et les bases du ce système d'échange énergétique nécessaire au main-
dienne à l'aurore des temps humains en la protégeant
de l'environnement hostile. Grâce à cette création
d'information, il sut bientôt utiliser efficacement
l'énergie solaire par l'intermédiaire de l'agriculture et
de l'élevage. Cette connaissance était à l'époque pure-
L apport réellement nouveau ment empirique d'ailleurs. Il sut ensuite, beaucoup
de l'homme à son environnement plus tardivement, utiliser l'énergie animale pour se
est la création d'information, déplacer plus vite et pour déplacer des masses impor-
qui fut à l'origine de l'agriculture, tantes. Et la découverte des métaux rendit ses bras
de l'élevage, de l'utilisation plus efficaces. En résumé, la création d'information
de l'énergie animale, dont son cerveau s'est montré capable lui a permis
de la découverte des métaux, etc. d'assurer plus efficacement son bilan énergétique :
Avec le temps et l'intervention d'une part son alimentation fut plus régulière et
des langages, l'information, moins soumise aux aléas du climat, d'autre part
devenue de plus en plus son travail diminua, et en particulier la quantité
élaborée e t abstraite, a permis d'énergie nécessaire à se procurer ses aliments. Il put
l'invention de machines
en conséquence mieux protéger sa structure orga-
de plus en plus sophistiquées. nique grâce à un rendement énergétique amélioré.
Le bénéfice résultant de ce travail plus efficace fut uti-
lisé à l'établissement des premières structures sociales
tien des structures? Pour répondre à cette question, complexes. L'information, plus élaborée, se spécia-
essayons de ne pas parler d'amour, de culture, de lisa en métiers divers, concourant à la création d'orga-
dimension spirituelle de l'art, de conscience réfléchie, nismes sociaux pluricellulaires, aux multiples activités
de morale, d'éthique, de transcendance, de dépas- fonctionnelles. Chaque individu devint alors inca-
sement, d'épanouissement, etc. Avec ces mots il est pable, dans ces structures, d'assurer entièrement seul
toujours possible de faire sortir un lapin d'un haut- ses besoins. Il dépendait des autres pour tout ce qu'il
de-forme, mais on ne se trouve pas plus avancé sur ne savait pas faire, comme les autres dépendaient de
la façon de procéder pour y parvenir ! lui pour ce qu'il savait faire. On parvint ainsi à un
Ce que l'homme a apporté de nouveau à l'aspect nouveau niveau d'organisation, celui des cités. Les
p u r e m e n t énergétique de son existence, c'est de siècles ont passé, et l'information accumulée par
l'information. On l'a vu, il s'est mis à émettre des l'intermédiaire des langages est devenue de plus en
hypothèses de travail et à vérifier leur validité par plus élaborée. A l'époque moderne, la découverte de
l'expérimentation. Cette manipulation de l'informa- machines de plus en plus sophistiquées résulte tou-
tion lui a fourni le moyen d'améliorer sa vie quoti- jours de cette possibilité d'utiliser l'information créée
A l'époque préindustrielle,
un objet «manufacturé »
exprime toute l'information
introduite par apprentissage
dans un cerveau humain.
Al'époque industrielle,
un objet «mécanofacturé »
exprime toute l'information
confiée par l'homme
à une machine.
L'information a pour but principal
l'invention, la construction
et l'utilisation de machines
qui parviennent à créer
de nombreux objets
en peu de temps.
Manuscrit français du xvesiècle,
Tractacus de habis :
LesSouffleurs de verre.
Modène, bibliothèque Estense.
Fabrication de bouteilles
à Leeds, en Angleterre.

par l'espèce humaine, pour transformer la matière et par l'homme en une seule fois aux machines qui l'ont
l'énergie. Possibilité qui a d'ailleurs abouti à l'exploi- fabriqué. Un objet manufacturé exprime toute l'infor-
tation de l'atome. mation introduite par l'apprentissage dans un cerveau
L'invention et l'utilisation des machines permettent humain, et exige qu'un homme actualise cette infor-
de produire quantité d'objets que l'on peut qualifier mation et libère l'énergie nerveuse et neuromuscu-
de mécanofacturés, pour les distinguer des objets laire, support de l'information, pour chaque étape de
manufacturés de l'époque préindustrielle. Un objet sa manufacture; alors que dans la mécanofacture,
mécanofacturé exprime toute l'information fournie l'homme intervient surtout pour fournir l'informa-
tion aux machines. Cette information, qui aboutit tion de l'objet produit, avec son rôle social. Il est
à l'invention, la construction et l'utilisation des fourni par des hommes n'ayant pas eu accès à l'infor-
machines, est une connaissance abstraite. Elle tire sa mation abstraite, propriété des techniciens. Plus cette
source de connaissances très élaborées de physique et information technique est abstraite, plus elle peut être
de mathématiques - celles-ci formant le langage qui utilisée de façon globale et diversifiée, et plus elle
permet d'exprimer les lois de celle-là. Le travail ther- permet l'invention de machines complexes dont l'effi-
modynamique humain qui reste ensuite à fournir est cacité, en termes de volume et de rapidité de la pro-
très parcellaire, sans rapport évident avec la significa- duction, ira croissant.
Revenons à la notion de plus-value nécessaire au
maintien, non plus de la s t r u c t u r e individuelle, S i l'homme n'est considéré parce qu'il lui sera

mais de la structure sociale. Il paraît évident que si que comme un producteur plus particulièrement utile.

l'homme n'est considéré que comme un producteur de biens, c'est celui possédant Il fournira une quantité

de biens, de matière et d'énergie transformés par son l'information abstraite de travail qui n'interviendra

information, celui qui fournit la plus grande quantité qui non seulement fournira dans le maintien de sa propre

de plus-value est celui qui rend possible la production la meilleure plus-value, structure qu'indirectement,

du plus grand nombre d'objets en un minimum de mais sera également parce qu'elle est avant tout

temps. C'est donc celui qui possède l'information la le mieux récompensé nécessaire au maintien

plus abstraite et la plus utilisable pour la production par une structure sociale de la structure sociale,

d'objets consommables ou de machines capables de f o n d é e sur la production, plus complexe.

les fabriquer. En d'autres termes, si l'homme n'est


une caractéristique propre à l'espèce, qui est de possé-
der deux aspects complémentaires, indissolublement
liés du fait de l'activité fonctionnelle particulière du
cerveau humain : un aspect thermodynamique, pure-
ment énergétique, dont on pourrait calculer le bilan
de façon précise, comme on calcule celui d'un âne
tournant autour d'une noria pour élever en surface
l'eau d'un puits, et un aspect informationnel, qui ne se
calcule pas, lui, en unités de mesure, celui de l'imagi-
nation humaine ayant abouti à l'invention de la noria,
ce dont aucun animal n'est capable. Le travail de l'âne
s'évalue par la quantité d'aliments à lui fournir, d'une
part pour qu'il libère l'énergie nécessaire à faire
remonter une certaine quantité d'eau du fond du
puits, et d'autre part pour qu'il ne maigrisse pas, qu'il
reste en bonne santé, qu'il maintienne sa structure
d'âne, si l'on veut que cette structure fournisse le len-
demain le même travail. En revanche, l'information
fournie par l'homme qui inventa le principe de la
noria subsiste après la mort de celui-ci, et continue à
être utilisée dans le monde entier.
En réalité, on peut encore distinguer deux formes dif-
considéré que comme un producteur de biens, c'est férentes dans l'aspect informationnel du travail
celui possédant l'information abstraite qui non seu- humain. L'une résulte de l'exploitation, propre au
lement fournira la meilleure plus-value, mais sera cerveau humain, de l'information plus ou moins
également le mieux récompensé par une structure abstraite transmise par les langages et acquise par
sociale fondée sur la production, parce qu'il lui sera l'apprentissage. Elle permet, grâce à l'expérience
particulièrement utile. accumulée au cours des âges, de rendre l'action plus
Ainsi, quand on passe d'une structure individuelle à efficace à chaque génération. Mais cette forme
une structure sociale, l'individu doit fournir une cer- n'ajoute rien à l'expérience antérieure, elle se contente
taine quantité de travail qui n'intervient dans le main- de se reproduire et de transmettre l'information.
tien de sa propre structure qu'indirectement, parce Si elle avait existé seule, nous en serions encore à
qu'elle est avant tout nécessaire au maintien de la fabriquer des outils en taillant des silex. Pour que
structure sociale, plus complexe. Ce travail présente l'expérience s'accumule, il faut une autre source infor-
mationnelle, il faut que des connaissances supplémen-
taires viennent s'ajouter à celles qui existent déjà,
qu'une hypothèse de travail, produit de l'imagination,
permette l'élaboration d'une nouvelle structure abs-
traite que l'expérience, par l'action sur l'environne-
ment, viendra ou non concrétiser. La première forme
d'utilisation de l'information par le cerveau humain
ne fait appel qu'à l'abstraction et à la mémoire,
la seconde ajoute à ces deux fonctions celle de l'ima-
ginaire.
Nous avons vu comment, dans l'espèce humaine
comme dans toutes les espèces animales, sont apparus
des systèmes hiérarchiques. Ce furent d'abord les plus
forts et les plus agressifs qui imposèrent leur domi-
nance aux autres. Mais depuis longtemps la force
physique n'est plus indispensable et l'agressivité uti-
lise d'autres moyens que la violence explosive, ges-
tuelle, pour assurer les dominances. Dès que l'infor-
mation technique et l'exploitation des lois de la
physique permirent de produire un nombre plus L e travail thermodynamique

important d'objets qu'il n'était nécesssaire pour sur- humain du manœuvre

vivre, ces objets furent échangés, ce qui autorisa et de l'artisan a été remplacé

l'accumulation d'un capital. Ce capital permit lui- par des machines informatiques

même l'appropriation d'un nombre plus important dont le fonctionnement

d'objets gratifiants par ceux qui le possédaient et, en n'exige qu'un personnel restreint,

particulier, l'appropriation des machines, moyens de mais hautement qualifié.

la production. Les hommes qui se trouvaient, dans Ce ne sont dorénavant plus

leur travail, de plus en plus dépendants de l'informa- les plus forts et les plus agressifs

tion contenue dans les machines devinrent de ce fait qui imposent leur dominance.

de plus en plus dépendants de ceux qui les possé- D'où l'apparition de nouvelles

daient. Ils en devinrent les esclaves. La possession du structures hiérarchiques.

capital fut le nouveau moyen permettant d'établir Paris, gare de Lyon,

les dominances. La plus-value résultant du travail centre de contrôle du TGV.

thermodynamique humain rendit donc possible la


L E S C O M P O R T E M E N T S

stabilité de la structure sociale, du niveau d'organisa-


tion des groupes humains établis sur les dominances.
Avec la révolution industrielle, l'ensemble des struc-
tures sociales repose de plus en plus sur l'innovation
technique, qui autorise une production toujours plus
abondante. La possession de la masse - matières
premières - et de l'énergie n'apporte pas grand-
chose sans l'information capable de les transformer en
objets. La preuve en est que la masse et l'énergie
furent toujours à la disposition des hommes, mais
qu'il a manqué pendant des siècles à ceux-ci l'infor-
mation technique nécessaire à leur utilisation. L'infor-
mation technique est donc devenue la propriété la
plus indispensable pour assurer les dominances inter-
individuelles ou entre groupes sociaux, nations, blocs
de nations. Elle a offert aux nations qui la détenaient
la possibilité de s'emparer des matières premières
et de l'énergie situées dans l'espace écologique des D a n s Les Temps modernes

groupes humains ne la possédant pas. Elle a permis la (1936), Charles Chaplin a su railler

construction d'armes de plus en plus redoutables et la avec humour e t talent

naissance de l'impérialisme. Le progrès technique l'engouement excessif

étant le seul qui puisse trouver une motivation suffi- du xxe siècle pour les machines

sante, puisqu'il détermine l'établissement des domi- et l'industrialisation. Le progrès

nances, il fut considéré comme un bien en soi, et la technique, lié à l'évolution

dominance qui en résultait comme juste et méritée. Il de l'espèce, résultait de la loi

récompensait en effet le fonctionnement de ce qu'il y a du plus fort ou du plus adapté.

en l'homme de spécifiquement humain : l'imagination Il était devenu un bien en soi,

créatrice. Le mot progrès devint synonyme de progrès et la dominance qui en découlait

technique. Sa source primitive, la recherche de la était considérée comme juste.

dominance, qui n'a, elle, rien de spécifiquement La recherche de la dominance,

humain, fut peu à peu occultée et remplacée par un qui n'a rien de spécifiquement

jugement de valeur à son égard, le progrès étant alors humain, fut occultée et remplacée

considéré comme bien absolu. La notion d'évolution par un j u g e m e n t de valeur.

des espèces y contribua, puisque l'espèce humaine


était seule à pouvoir la comprendre. Avec le progrès,
cette espèce croyait assurer sa destinée cosmique. Ce
n'était encore et malheureusement que partiellement
vrai.

La plus-value, énergie nécessaire au maintien de la


structure sociale de dominance, se trouvant de plus en
plus chargée d'information technique, il était normal L individualisme semble et des êtres. Suivant que l'individu

que ceux qui détenaient cette information technique avoir fait son apparition avec réalise plus ou moins

soient favorisés dans l'établissement des échelles la civilisation industrielle, cette dominance, il acquiert

hiérarchiques de dominance et que les individus dont en raison de la compétition une image plus ou moins flatteuse

le travail restait peu chargé de ce type d'information, qui la caractérise de lui-même, qui le distingue

manœuvres et ouvriers spécialisés, demeurent au bas à tous ses niveaux d'organisation. de la foule et lui permet

de l'échelle. Au contraire, les individus auxquels Dans les pays industrialisés, de s'admirer et de s'aimer

l'apprentissage permettait de s ' i n t r o d u i r e effica- acquérir la dominance nécessite en se comparant aux autres.

cement dans le processus de production, même si, ne de se plier au conformisme James Ensor (1860-1949),

faisant que reproduire, ils n'ajoutaient rien au capital de la production pour obtenir Mon portrait entouré de masques,

de connaissances de l'espèce, se trouvaient ainsi favo- la possession des choses 1899. Collection particulière.

risés et ce d'autant plus qu'ils atteignaient un niveau


d ' a b s t r a c t i o n plus i m p o r t a n t dans l ' i n f o r m a t i o n
technique, professionnelle, qu'ils étaient capables lisme à l'entrée dans ce qu'il est convenu d'appeler la
d'utiliser. A l'opposé, toute activité, non plus repro- civilisation industrielle durant laquelle s'est établie
ductrice, mais créatrice d'information nouvelle, qui une « compétition » à tous ces niveaux d'organisation.
ne débouche pas sur un processus de production de Il ne semble pas qu'il soit suffisant de stigmatiser
marchandises a peu de chances d'assurer à celui qui l'individualisme pour le faire disparaître. En effet,
l'exerce une situation hiérarchique de dominance. il s'inscrit dans un système qui possède plusieurs par-
ticularités. La première, c'est d'avoir pour finalité la
L E S PAYS I N D U S T R I A L I S É S possession des choses et des êtres ; la deuxième réside
dans le ou les moyens d'acquérir aujourd'hui la domi-
n dit s o u v e n t que l ' i n d i v i d u a l i s m e serait à nance permettant de réaliser cette finalité; une autre
0 l'origine des manques de cohésion sociale et des encore concerne le fait que, suivant que l'individu
troubles survenant à tous les niveaux des rapports réalise plus ou moins bien cette finalité, il acquiert
sociaux contemporains, qu'il s'agisse de niveaux indi- de lui-même une image plus ou moins flatteuse qui le
viduels, de groupes, d'États, etc. Il semble que l'on distingue plus ou moins de la foule et lui permet de
puisse faire remonter l'apparition de cet individua- s'admirer et de s'aimer en se comparant aux autres.
N o t r e système industriel

se trouve entièrement dominé

par la production et la possession

de marchandises.

Les pays industrialisés ayant

engorgé leurs propres marchés,

ils se tournent vers les pays

sous-développés vers lesquels

il leur faut exporter. Ceux-ci,

appauvris par l'exploitation

à bas prix de leurs ressources,

ne peuvent pas les payer,

si bien qu'ils s'endettent.

On les fait alors travailler

en sous-traitance à bas salaires,

ce qui accroît le chômage

des pays industrialisés,

mais augmente le bénéfice

des entreprises.

Mines d'or dans la sierra Pelada.


Ce système se trouve entièrement dominé par la exporter vers les pays sous-développés. Mais ceux-
production de marchandises, la possession de ces ci, appauvris par l'exploitation à bas prix de leurs
marchandises assurant la place de l'individu dans la ressources par les pays industrialisés, ne peuvent
hiérarchie sociale. Dans un tel système, celui qui pas payer. Ils s'endettent. On les fait alors travailler
assure par son action professionnelle une production en sous-traitance à bas salaires, ce qui évidemment
accrue de marchandises dont l'utilisation répond à accroît le chômage dans les pays industrialisés, mais
des besoins plus sophistiqués et plus exceptionnels, aussi le profit des entreprises. Il faut reconnaître
ou même crée ces besoins, est considéré comme utile à cependant que la sous-traitance en pays sous-déve-
la société, et donc récompensé par elle : il s'agit de loppés est un moyen de diminuer l'immigration dont
celui qui, ayant acquis une information profession- on a eu besoin en période de croissance pour réaliser
nelle abstraite, le plus souvent à base de physique et les travaux les plus rebutants, mais qui n'a plus
de mathématiques, est à même en particulier d'inven- d'utilité maintenant.
ter et de contrôler des robots. Ces derniers fabriquant Il existe une classe privilégiée et réduite appartenant
beaucoup de marchandises en peu de temps, le rôle aux États pétroliers, qui a le pouvoir d'empêcher les
de l'artisan ne tarde pas à perdre tout intérêt. C'est industries d'armement des pays industrialisés de
sans doute là l'une des causes de l'augmentation connaître le chômage. Notons que lesdits pays indus-
galopante du chômage, avec l'industrialisation de trialisés se disent tous en faveur de la paix mondiale.
l'agriculture qui a dépeuplé les campagnes et accru Il est vrai que si l'un d'eux refusait d'alimenter l'arse-
le nombre de chômeurs dans les villes. Même dans les nal des pays incapables de produire eux-mêmes des
pays industrialisés, les possibilités de progrès tech- armes, ce serait un autre qui s'en chargerait. D'ailleurs
niques sont généralement proportionnelles au nombre on sait bien qu'il existe des « guerres justes » comme
d'habitants. La puissance d'un État se jauge surtout la guerre du Golfe, même pour certains prix Nobel
au nombre de ses brevets. D'où l'existence d'États de la Paix...
Soleils qui imposent et d'États satellites qui subissent. De tout ce qui vient d'être énuméré résulte une série
Mais dans un monde entièrement dominé par l'éco- d'autres problèmes, tels que la violence dans les quar-
nomie, la dominance s'établit moins sur la technicité tiers défavorisés, la toxicomanie, le suicide des jeunes,
que sur la gestion. Aujourd'hui le dominant est avant la délinquance. Si l'on n'a pas les moyens de se procu-
tout un gestionnaire. rer les objets que la publicité ne cesse de montrer, par
Cependant produire n'a d'intérêt que si l'on peut médias interposés, affirmant qu'il est nécessaire de les
vendre. Or le système appauvrit de plus en plus la posséder pour vivre heureux, reste le vol, sous toutes
majorité des consommateurs, qui consomme de moins ses formes, simplistes ou camouflées, que ce soit bour-
en moins. On tente donc d'exporter. Les pays indus- geoisement ou politiquement. Rappelons que, s'il n'y
trialisés étant à peu près tous au même niveau avait plus propriété, il n'y aurait pas vol. Mais c'est
d'évolution scientifique et technique, il leur faut donc une autre histoire.
On dit souvent que la motivation de ce type de société
est le profit. Mais le profit n'est qu'un des moyens
d'établir les dominances, il n'en est pas le but premier.
L a société de consommation et du pouvoir est demeurée, Certaines sociétés ont en réalité supprimé le profit
a étiré ses tentacules mais elle s'est alors établie comme moyen d'établir les dominances : elles ont
jusqu'en Chine, comme le montre par d'autres moyens comme pensé que le seul fait de transformer les rapports
cette photo d'un grand magasin la soumission à une idéologie sociaux aboutirait à une société idéale. Au fond, elles
privé situé rue Xidan, à Pékin. de groupe, le conformisme n'ont pas changé le comportement humain fondamen-
Certaines sociétés, espérant idéologique, tout individu tal et la recherche de la dominance : le pouvoir s'est
que le seul fait de transformer non conforme étant considéré établi par d'autres moyens, en particulier par la sou-
les rapports sociaux aboutirait comme malade mental. mission à une idéologie de groupe, un conformisme
à une société nouvelle idéale, Industrialisation et profit idéologique, considérant comme malade mental tout
ont supprimé le profit. peuvent rapidement retrouver individu au comportement non conforme à cette idéo-
Elles n'ont pas pour autant leur place dans de telles sociétés, logie. La gratification individuelle s'est réalisée beau-
changé le comportement car ils ne constituent pas un but, coup moins par la possession des biens de production
humain. La recherche mais les moyens de l'établissement que par l'image idéale qu'un individu avait de lui-
de la dominance des dominances. même. Cette image d é p e n d a i t alors de celle que
l'ensemble social lui accordait et du pouvoir social
JL abondance pour tous

paraît décidément être

une utopie, la réalité vient

sans cesse nous le rappeler.

Ce n'est pourtant pas faute

d'avoir essayé, à l'échelle

des États. La social-démocratie

en particulier a souhaité établir

une plus grande égalité

des chances, une meilleure

redistribution des biens,

mais elle a échoué. Il semble

en fait que la seule façon

de transformer les rapports

sociaux soit de transformer

l'homme, en profondeur.

Files d'attente

au Soudan du Sud, en 1988.

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qui en résultait. L'élévation dans les hiérarchies s'est chez ces derniers existaient toujours, même si elles
réalisée moins par le profit que par les avantages n'étaient plus fondées sur le profit. Or les lois du
narcissiques et par les possibilités, résultant de cette marché institutionnalisent la foire d'empoigne, la
élévation hiérarchique, de desserrer l'étau du confor- compétition sauvage, la guerre économique, et accep-
misme non plus idéologique mais comportemental. tent la suprématie de la marchandise, reconnaissant
En dépit d'un discours logique cohérent, le marxisme- la loi du plus fort dans la production. Au sein de ces
léninisme n'a pas compris q u ' u n cerveau humain peuples ayant abandonné le socialisme, un certain
en situation sociale possède toujours les mêmes pro- nombre de gens commencent à regretter leur statut
cessus primitifs qui motivent l'action, malgré l'établis- social antérieur, constatant les maladies secondaires
sement autoritaire de rapports différents entre les que ces lois sauvages peuvent engendrer: mafias,
individus. L'apprentissage d'une logique comporte- paupérisme, toxicomanie, enrichissement malhon-
mentale différente n'est pas suffisante pour transfor- nête, vols camouflés, amenuisement de la protection
mer à elle seule les comportements de recherche de la sociale dans tous les domaines, etc.
dominance. Cependant la motivation à l'action grati- La social-démocratie propose qu'une intervention de
fiante a continué à s'exercer au niveau de l'ensemble l'État assure une redistribution plus homogène des
social qui pouvait se comparer à d'autres ensembles résultats de la production. Elle souhaite mieux garan-
sociaux. La progression des connaissances fondamen- tir l'« égalité des chances ». Mais il ne s'agit pas là d'un
tales a moins souffert de cet état de choses que celle grand projet d'une idéologie nouvelle : les chances de
de la possession individuelle des marchandises, puis- s'élever dans une hiérarchie de la consommation de

que la compétition entre les individus n'était pas fon- biens marchands restent inégales et on tourne tou-
dée sur cette dernière. jours autour de la marchandise. Il n'y a pas là de quoi
L'absence de libertés, de la liberté de déplacement en mobiliser les foules comme purent le faire aux xixe
particulier, avait pour but d'éviter que les individus et xxe siècles l'idéologie prolétarienne et la lutte des
ne comparent leur niveau de consommation de mar- classes. Il était alors simple de définir le bourgeois
chandises avec celui de pays non soumis à la même comme celui détenant la propriété privée des moyens
idéologie. Mais les moyens de communication pla- de production et d'échange, et le prolétaire comme
nétaires interdisant de plus en plus l'autarcie idéo- celui ne p o s s é d a n t que sa force de travail. Ces
logique, nombre d ' i n d i v i d u s se sentirent frustrés concepts sont aujourd'hui difficiles à cerner.
en découvrant ce qui filtrait du « bien-être » des pays On peut conclure de tout cela que la seule façon de
ayant adopté les lois du marché. On s'est alors mis à transformer les rapports sociaux est de transformer
comparer une petite partie, nantie, des populations profondément les individus entre lesquels ils s'éta-
occidentales à l'ensemble médiocrement satisfait, blissent. Si l'on veut se poser sur la Lune, il est néces-
c'est-à-dire finalement insatisfait, des peuples dits saire de connaître les lois de la gravitation; on est
socialistes, d'autant que les échelles hiérarchiques alors toujours forcé de s'y soumettre, mais il devient
L E S C O M P O R T E M E N T S

possible d'utiliser ces connaissances pour se libérer de


l'attraction terrestre. Il semble bien que la même
m é t h o d e régisse les sciences h u m a i n e s . Au lieu
de couvrir d'un alibi logique tous les errements des
comportements, qu'ils soient individuels ou collectifs,
il serait peut-être préférable de propager les lois de la « P a t r i e , Égalité, Liberté »,

gravitation des comportements humains en situation proclame cet étendard.

sociale. On ne peut faire abstraction des connaissances Il est ainsi des mots qui éveillent

actuelles acquises sur le sujet, qui font appel à des toujours l'enthousiasme ou,

niveaux d'organisation qui sous-tendent nos compor- à t o u t le moins, l'approbation.

t e m e n t s : la génétique, la biochimie du s y s t è m e Mais ils sont aussi parfois utilisés

nerveux, la neurophysiologie, l'éthologie... Il ne pour justifier intégrismes

s'agit pas de connaissances aussi pointues que celles et intolérance. Méfions-nous

acquises par les différents spécialistes de ces disci- des discours logiques qui ne sont

plines, mais d'une vue d'ensemble montrant qu'on ne valables qu'à un seul niveau

peut se focaliser sur un seul niveau d'organisation d'organisation, et ne cherchent

pour interpréter nos comportements. Cela permettrait nullement à être en cohésion

au petit de l'homme de se méfier très tôt des discours avec les niveaux englobés

logiques valables pour un seul niveau d'organisation ou englobants. Exercice du doute,

- psychologique, sociologique, économique ou poli- vision globale et interdisciplinaire

tique -, mais non cohérents avec les niveaux sus- et des connaissances,

sous-jacents. Il découvrirait la relativité des jugements étude du comportement humain

de valeur et ne chercherait plus à imposer les siens, semblent des préalables

de même qu'il refuserait de se laisser imposer ceux nécessaires à une éducation

des autres. On c o m p r e n d que, dans ce cas, c'est qui donnerait des armes efficaces

l'extension de la connaissance au plus grand nombre pour lutter contre la violence,

qu'il faut promouvoir plutôt que la formation focali- les jugements de valeur

sée d'un outil de production de marchandises en vue et les intolérances quelles

de l'acquisition d'un métier. qu'elles soient.

Mais on ne précise jamais en quoi doit consister cette François Gérard (1770-1837),

éducation que tout le monde s'accorde à vouloir déve- Le 10 Août 1792, détail.

lopper pour lutter contre la violence, les intégrismes, Paris, musée du Louvre,

les jugements de valeur, l'intolérance. Actuellement, cabinet des Dessins.

l'éducation consiste de plus en plus en une informa-


tion focalisée et les étudiants n'entrent à l'université aux sciences dites humaines - psychologie, sociologie,
que dans l'espoir d ' y acquérir des connaissances économie et politique - est exploitée dans un but
r é d u i t e s à u n e activité p r o f e s s i o n n e l l e précise. de rentabilité marchande au sein des entreprises, et
Comment ce type d'éducation pourrait-il faire échec toujours dans l'ignorance totale des mécanismes de
à la violence de la guerre économique, qu'elle ne peut fonctionnement de l'outil qui a permis de les établir
en fait que soutenir en renforçant la compétition dans leur statut actuel, à savoir le cerveau humain en
économique à tous les niveaux d'organisation, des situation sociale. De plus, si l'on désire transmettre
individus aux États? Même l'initiation universitaire une information généralisée parallèlement à une
type d'enseignant n'aurait pas à être spécialisé dans
un seul domaine, ce qui lui éviterait d'approfondir
une technique particulière, souvent longue à acquérir ;
mais il lui faudrait faciliter la formation d'une struc-
ture mentale par niveaux d'organisation et servo-
mécanismes. L'exercice du doute devrait être l'une
N o t r e bonheur des activités fondamentales à transmettre pour faci-
dépend-il de la quantité d'objets liter la créativité. L'enseignant devrait également
que nous consommons, être correctement informé de la part biologique des
comme cherche comportements.
à nous le faire croire la publicité, Si le bonheur de l'homme dépend de la croissance
qui nous assaille jusque dans économique, jusqu'où cette croissance peut-elle se
notre intimité? Ne pourrait-on poursuivre? Dépend-elle seulement des objets que la
plutôt imaginer une société publicité prétend indispensables à notre bonheur
fondée sur la croissance et dont la possession nous inscrit dans une échelle
non pas de la consommation, hiérarchique de dominance ? Ou pourrait-on imaginer
mais des idées, de la création, une croissance non d'objets, mais d'idées, de concepts,
de la connaissance gratuite ? liée aux relations, et non aux choses ou du moins
Gérard Fromanger (né en 1939), aux marchandises ? Une croissance de la connaissance
Au Printemps gratuite? Il suffit d'observer, par exemple, comment
ou la Vie à l'endroit, 1972, la perception de royalties pour la commercialisation
dans la série d'un sérum test pour le diagnostic du sida a conduit à
Le Peintre et le Modèle. une lutte franco-américaine allant jusqu'à la fraude
Collection particulière. pour se dire que ce temps n'est pas encore pour
demain. Dans les aides à la recherche et au dévelop-
pement, la recherche n'a d'intérêt qu'en vue d'un
information professionnelle focalisée, il faut d'abord développement, c'est-à-dire seulement si elle a une
former des enseignants « polyconceptualistes » qui, incidence commerciale qui permet de prendre part à
dans chaque classe, du primaire jusqu'à l'université, la guerre économique et de fournir aux États les
seraient capables de réunir en une vue globale inter- moyens de leur dominance à l'échelle planétaire.
disciplinaire les connaissances transmises au cours de Dernière difficulté, et la plus importante sans doute,
l'année et d'établir des relations, linguistiques, ce changement profond dans les mentalités ne peut se
conceptuelles, historiques, que l'étudiant n'a pas le réaliser dans un seul pays : celui-ci serait immédia-
temps d'établir lui-même entre les éléments épars. Ce tement écrasé économiquement dans le contexte
L E S C O M P O R T E M E N T S

actuel de compétition internationale économique


acharnée. Là encore, la notion de niveaux d'organi-
sation nous fait comprendre que la transformation
profonde du comportement social dans un État
est incompatible avec sa survie, dans un contexte
économico-social planétaire non transformé.
L'écologie ne devrait-elle pas avoir pour objectif de
mettre fin à la compétition économique internationale,
cause fondamentale de toutes les pollutions, qui se
moque bien de la protection de l'environnement ? Or
l'écologie se présente encore comme une forme socio-
démocrate d'aménagement du capitalisme sauvage,
comme un contrôle en pièces détachées de la produc-
tion des marchandises. Au sein même du mouvement
écologique, c'est à une recherche de la dominance
que l'on assiste une fois de plus entre les petits chefs
de différentes tendances, au lieu d'une combinatoire L e s signes de la détérioration

conceptuelle. Alors on continue à sacraliser les de notre environnement

entreprises performantes, les leaders, les battants, se multiplient et se généralisent.

jusqu'aux surhommes du Paris-Dakar! On accepte Les sparadraps localisés

la guerre économique, puisque le communisme a proposés pour les camoufler

montré son incapacité à assurer le bonheur des ne résoudront jamais

peuples. Il n'est pas surprenant dans ces conditions les problèmes de fond, qui sont

que le marché le plus florissant actuellement soit celui en fait ceux de la compétition

des médicaments psychotropes ! économique internationale.

Finalement, on peut se demander si ce n'est pas Faudra-t-il aller jusqu'à

l'approche d'une catastrophe écologique et socio- une catastrophe écologique

logique planétaire qui obligera l'humanité à adopter et sociologique planétaire

un nouveau comportement. Si bien qu'on en arrive pour que l'humanité accepte

presque à souhaiter cette catastrophe, plutôt que de remettre en question

d'assister à la mise en place de sparadraps localisés, ses comportements ?

prévus pour camoufler une détérioration de la bio- Silhouettes d'arbres touchés

sphère et de la noosphère, mais qui ne sauraient par les pluies acides.

résoudre les problèmes de fond.


C e t homme, assis dans

le Lower East Side à New York,

semble écrasé par le béton

de la ville tentaculaire.

Toute action paraît inutile

et dérisoire

dans un tel environnement.

La photo d'Henri Cartier-Bresson L'INHIBITION DE L'ACTION


symbolise on ne peut mieux

l'inhibition de l'action.

es processus d'inhibition de l'action ont été

L
L a folie, ultime tentative à l'origine d ' u n nombre considérable de
d'expression, peut être travaux, émanant en particulier de l'école
une échappatoire désespérée pavlovienne. L'ouvrage de P. Anokhin Biologie et
lorsque t o u t e action est devenue Neurophysiologie du réflexe conditionné, paru en 1975,
impossible, que l'individu en donne une connaissance exacte et développée.
se trouve emprisonné, ligoté, Anokhin y étudie longuement l'inhibition résultant de
en inhibition de l'action.
la non-obtention d'une récompense alimentaire atten-
Estampe japonaise, due. Cette non-satisfaction stimule les activités inté-
personnage symbolisant la folie, grales de l'organisme suivant un processus ainsi
anonyme du xixe siècle. établi : en premier lieu se produit une réaction explo-
Paris, Bibliothèque nationale, ratoire; apparaît ensuite, si toutefois les conditions
cabinet des Estampes. de l'expérience l'autorisent, une réaction de recherche
active de la nourriture ; et vient enfin une réaction
biologiquement négative, réaction d'insatisfaction que
Pavlov qualifie d'« état de difficulté ».
Les deux premières réactions entrent dans le schéma P r i s entre sa pulsion de vie

de la mise en jeu du système activateur de l'action et l'impossibilité de satisfaire

(SAA), la troisième dans celui de la mise en jeu du celle-ci dans l'espace socioculturel

système inhibiteur de l'action (SIA). Anokhin où il se trouve, ce clochard

rappelle cette phrase de Pavlov : «La loi physio- demeure prostré,

logique générale du fonctionnement des muscles dans ce que Pavlov appellerait

squelettiques est le mouvement pour saisir tout ce un « état de difficulté ».

qui concerne et assure l'intégrité de l'organisme Les Halles, Paris, 1992.

animal, le met en équilibre avec le milieu environnant,


un mouvement positif, une réaction positive. » Cela lorsque est activement éliminée une réaction positive
correspond exactement à notre description du fonc- de l'animal, en d'autres termes, si la marche optimale
t i o n n e m e n t de la boucle r é t r o a c t i v e de l'action de ses constantes et fonctions physiologiques est per-
sur le milieu permettant de conserver l'information- turbée. » (Nous dirions, pour «réaction positive »,
s t r u c t u r e de l ' o r g a n i s m e p a r l ' i n t e r m é d i a i r e d u réaction d'approche, de fuite ou de lutte.) Le conflit se
maintien ou d u rétablissement de « la constance situe au sein de voies nerveuses : les unes poussent en
des conditions de vie dans le milieu intérieur» selon effet l'organisme à agir dans un sens «positif», tandis
Claude Bernard, de l'« homéostasie » selon Walter que les autres interdisent l'activité motrice des pre-
Bradford Cannon, obéissant ainsi au «principe de mières. On peut dès à présent signaler l'importance
plaisir» selon Sigmund Freud. Pour Pavlov, une de cette notion dans l'établissement des névroses.

réaction ou un mouvement négatifs aboutissent à Depuis 1972, je m'efforce de délimiter les aires céré-
l'éloignement, au rejet de tout ce qui gêne ou menace brales aboutissant au comportement d'inhibition.
un processus vital et risque de déranger l'équilibre L'ensemble de ces aires et des voies nerveuses qui
de l'organisme avec le milieu. Dans le cas de non- les relient forme le système inhibiteur de l'action,
renforcement par la nourriture étudié par Anokhin, représenté par le sigle SIA, devenu pour les auteurs
l'excitant conditionnel non renforcé, c'est-à-dire l'exci- anglo-saxons BIS (behavioral inhibitory system). Ce sys-
tant conduisant à l'action qui avait été jusqu'alors tème est capable de conserver les traces de ses expé-
r é c o m p e n s é e p a r la n o u r r i t u r e mais qui ne l'est riences passées, et de mémoriser en particulier l'ineffi-
maintenant plus, devient le signal d'un état négatif, cacité de l'action.
ou état de difficulté. Mais comment en arrive-t-on à l'inhibition de l'action ?

Différentes situations qui y conduisent ont pu être


LES CAUSES DE L'INHIBITION étudiées.
DE L'ACTION Tout événement survenant dans son milieu pousse un
individu à agir de façon à obtenir une récompense à

J'L
nokhin étudie séparément d'une part la réac- son action. Si l'apprentissage, c'est-à-dire la mémoire
tion défensive et les processus neurovégétatifs d ' u n e expérience a n t é r i e u r e , lui a enseigné que
qui lui sont liés, et d'autre part la réaction d'inhibition lorsqu'il répondait à cette pulsion, il était puni, son
que nous avons désignée sous le terme d'inhibition système inhibiteur de l'action (SIA) entre alors en
en tension et qu'il qualifie d'inhibition contraignante. a n t a g o n i s m e fonctionnel avec son faisceau de la
Il écrit : «1) L'inhibition interne est la conséquence récompense (MFB). De ce conflit naît l'angoisse. C'est
obligatoire de la dissociation et de la rencontre conflic- l'un des mécanismes de l'inhibition de l'action, proba-
tuelle de deux systèmes d'excitation, de deux activités blement celui décrit par Freud lorsqu'il parle d ' u n
intégrales de l'organisme. 2) La rencontre des activités conflit entre le «ça» pulsionnel et le «surmoi» que
nerveuses n'acquiert un caractère conflictuel que l'on peut considérer comme l'apprentissage des règle-
L a jeune femme où nous ignorons

semble hésiter entre l'attirance si la situation à laquelle

et la crainte : nous avons à faire face

cette vague la submergera-t-elle, est dangereuse ou non.

ou se contentera-t-elle Bien souvent, un tel déficit

de l'éclabousser? informationnel conduit

Le manque d'information à l'inhibition de l'action.

ou d'apprentissage antérieur Frank Kupka (1871-1957),

peut nous plonger dans l'angoisse, La Vague, 1902.

dans la mesure Prague, Galerie nationale.

ments de la socioculture d'un lieu et d'une époque.


Mais l'inhibition de l'action s'inscrit dans d'autres
grands cadres. Lorsque l'événement survient, l'indi-
vidu a besoin d'un certain nombre d'informations
pour agir efficacement en vue de se protéger. Si son
apprentissage antérieur ne lui en fournit pas suffisam-
ment, il y a déficit informationnel, et ce déficit conduit
également à l'inhibition de l'action. Inversement, et
c'est le cas dans notre société de médias, un trop
grand nombre d'informations aboutit aussi à l'inhi-
bition ou pour le moins à une action inefficace : l'indi-
vidu est dans l'incapacité de classer toutes ces infor-
mations, car on ne lui a pas appris à les situer à leur
propre niveau d'organisation, ni à considérer les
niveaux qui les englobent et ceux qu'elles englobent.
Enfin, l'imaginaire peut aussi, en associant les expé-
riences passées, inventer un scénario que l'individu
redoute de voir se réaliser, et l'obliger à être inhibé
dans son action, même si ce scénario a toutes les A partir du moment où il établit

chances de ne jamais se produire. Ce dernier méca- son schéma corporel,

nisme est propre à l'homme. l'homme fait l'expérience

L'inhibition est donc la conséquence d'une pulsion à de la solitude. Alors,

agir qui ne parvient pas à s'exprimer. Pulsion fonda- tel Verlaine qui, souvent, rêve

mentale lorsqu'elle tente de satisfaire aux besoins d'« une femme inconnue » qui

indispensables à la survie : manger, boire, copuler. n'est chaque fois « ni tout à fait

Mais il y a également des pulsions qui répondent la même ni tout à fait une autre »,

à des besoins acquis devenus aussi impératifs que il cherche désespérément

les besoins fondamentaux : ceux que la socioculture la compagne parfaitement

nous a appris à considérer comme indispensables au complémentaire, qu'il

bonheur. On peut les réunir sous le terme d'envie. La ne découvrira pourtant jamais.

publicité provoque l'envie ; de même, voir autrui se Ferdinand Hodler (1853-1918),

gratifier par l'assouvissement de ces besoins secon- Le Rêve, 1897-1903.

daires pousse à vouloir se gratifier de la même façon. Zurich, collection particulière.

Ce comportement ne présente aucune créativité, il ne


s'agit que de mimétisme. J'aime à rappeler que si l'on
avait demandé à un homme du paléolithique ce dont Le poète exprime là le narcissisme fondateur, déclen-
il avait envie, il aurait sans doute répondu : « Un ours ché par la prise de conscience du schéma corporel et
avec un peu de feu pour le cuire. » Il n'aurait pas de la solitude à l'intérieur de son enveloppe charnelle,
demandé une Mercedes, dont il ignorait l'existence et qui force à la recherche de l'autre. Et puis il y a le
l'usage ! Restent enfin les pulsions tendant à réaliser désir, ce rêve qui fait appel à la mémoire, mais aussi à
des situations imaginaires qu'il semble important à l'imaginaire, à l'associativité des expériences passées.
l'individu de voir se concrétiser, pour son bien. Un homme a « envie » d'une femme, mais il « désire »
Comme l'imaginaire, et contrairement à l'envie, les la femme complémentaire qu'il ne découvrira jamais.
désirs sont propres à l'homme. Un poème de Verlaine Et bien des désirs aboutissent à l'inhibition quand on
illustre parfaitement cette distinction : ne parvient pas à les satisfaire.
Les situations infiniment variées et complexes aux-
Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant quelles nous sommes quotidiennement confrontés
D'une femme inconnue et que j'aime et qui m'aime nous amènent à faire appel à quelques grands sché-
Et qui n'est chaque fois ni tout à fait la même mas comportementaux. Les différentes manières d'y
Ni tout à fait une autre et m'aime et me comprend. répondre, propres à chaque individu, dépendent de la
D a n s nos sociétés urbaines,

qui constituent un environnement

technologique astreignant,

le système de défense

p e r m e t t a n t l'autonomie motrice

par la fuite ou par la lutte

contre cet environnement

ne peut plus s'exprimer.

C'est ainsi que les citadins

se trouvent f r é q u e m m e n t

en situation d'inhibition

de l'action de façon prolongée,

ce qui a des effets

particulièrement nocifs

sur leur santé.

Image tirée du film

de Fritz Lang Metropolis, 1927.

mémoire des apprentissages et des automatismes C H O C ET STRESS


inconscients qui en résultent. Dès sa naissance, tout
la suite de travaux réalisés au cours des années
A
homme emmagasine dans son système nerveux une
histoire unique à partir de laquelle se forge ce que l'on cinquante, mes collaborateurs et moi-même
appelle sa personnalité. Ce codage des voies ner- avons longtemps considéré que la pathologie pouvait
veuses par la mémoire conditionne également la façon résulter de la mise en jeu d'un système dit de défense,
dont l'individu réagit aux événements : répétition devenu inadapté dans nos sociétés urbaines techno-
de l'action gratifiante, fuite ou lutte si elles ont été logiques. En effet, ce système ne défendait la vie d'un
gratifiantes, ou encore inhibition, et c'est alors que individu qu'en permettant son autonomie motrice;
surgissent tous ses malheurs. or, dans nos sociétés urbaines, l'individu ne peut ni

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fuir, ni lutter contre son environnement socioculturel. commandant l'inhibition de l'action, quand l'action
Ce système de défense demeure pourtant fonctionnel, se révèle impossible ou inefficace. Cette réaction peut
aussi supposions-nous qu'il était susceptible de se être considérée comme « adaptative », puisqu'elle tend
trouver à l'origine de réactions devenues sans objet et à éviter la destruction de l'agressé par l'agresseur en
dont la persistance pouvait être dommageable. offrant au premier la possibilité de se faire oublier,
Or n o u s a v o n s révisé cette o p i n i o n après a v o i r d'éviter la confrontation. Le danger est en réalité lié
constaté expérimentalement que ce n'est pas la réac- à la durée, quand les conditions environnementales
tion, devenue sans objet, commandant la fuite ou la se prolongent.
lutte qui se trouve à l'origine de désordres physio- En effet, si vous étiez un petit rat des champs trotti-
pathologiques chroniques, mais une autre réaction nant par une belle matinée de printemps dans l'herbe
à votre égard. Vous ne pouvez fuir, car vous vous
r e t r o u v e r i e z au c h ô m a g e . V o u s ne p o u v e z le
Q u a n d un ouvrier dépend combattre par la lutte, car vous combattriez du même
d'un chef dont la tête coup la notion de hiérarchie qui fait la force des
ou le comportement sociétés, et vous verriez assez vite survenir la maré-
ne lui conviennent pas, c h a u s s é e - é t y m o l o g i q u e m e n t « s e r v i t e u r des
il ne peut ni fuir, sous peine chevaux ». Alors passent les jours, les semaines, les
de se retrouver au chômage, mois, parfois les années, et vous restez en inhibition
ni combattre, car il serait de l'action. Or c'est quand l'inhibition de l'action per-
remis entre les mains de la police dure qu'elle devient catastrophique pour la santé.
qui défend l'existence Entre 1949 et 1951, l'étude expérimentale et clinique
des hiérarchies, force des sociétés. des syndromes de chocs hémorragiques et trauma-
Il se trouve alors en inhibition tiques nous avait conduits à la constatation suivante :
et y demeurera pendant ce qu'il était c o n v e n u d ' a p p e l e r nos m o y e n s de
des semaines ou des mois, défense ne faisait que faciliter l'activité motrice de
voire des années. Or c'est l'organisme au sein de son environnement. Ils faci-
quand cette inhibition perdure litaient la fuite ou la lutte, comme Walter Bradford
qu'apparaît la pathologie. Cannon l'avait imaginé dès 1932, sous la forme d'une
activité vasomotrice dépendant principalement des
catécholamines circulantes qui p r o v o q u a i e n t u n
fleurie de pâquerettes et qu'un faucon vienne survoler déplacement de la masse sanguine vers les organes
votre territoire, il vaudrait mieux pour votre sauve- indispensables à l'activité motrice : muscles, cœur,
garde que vous utilisiez votre SIA : ne voyant rien poumons, cerveau. Cette réaction ne pouvait assurer
bouger, le faucon ne passera pas le plus clair de sa la survie que si la fuite ou la lutte étaient rapidement
journée au-dessus de vous, il s'en ira. Ayant attendu efficaces, a u t r e m e n t dit si elles p a r v e n a i e n t à
« en tension » son départ, vous pourrez alors regagner soustraire l'organisme à l'agression environnemen-
votre terrier où vous serez à l'abri, et vous aurez tale. En revanche, si elles se révélaient inefficaces, la
sauvé votre peau. Faire le mort présente parfois des persistance de cette réaction conduisait à un manque
avantages en présence d'un prédateur dangereux, d'oxygène dans les tissus des organes non irrigués
quand l'attente de son départ ne dure pas trop long- - viscères -, pouvant aller jusqu'à la mort.
temps. Si l'on admettait cette hypothèse, on était amené à
Tout se gâte en revanche si vous êtes un ouvrier considérer les syndromes de choc non plus comme un
spécialisé et que le rapace est un petit chef dont la tête épuisement des moyens de défense, mais au contraire
ne vous revient pas, pas plus que son comportement comme la conséquence de leur mise en jeu et de la
L E S C O M P O R T E M E N T S

persistance de leur action, en cas d'inefficacité de la


fuite ou de la lutte. La conséquence thérapeutique
impliquait qu'au lieu de tenter de suppléer à la défi-
cience des moyens de défense, il pouvait au contraire
être utile de les tempérer. C'est ce que nous avons fait
grâce à l'emploi de molécules inhibitrices des activités
du système neurovégétatif, combinées dans ce que
nous avons appelé des cocktails lytiques réalisant une
neuroplégie, c'est-à-dire une paralysie de la transmis-
sion de l'influx nerveux.

Ces réactions neuroendocriniennes aux agressions


variées présentant une grande similitude avec celles
résultant d'agressions psychosociales, nous avons
alors suggéré l'emploi de ces molécules, en particulier
de la chlorpromazine, en clinique psychiatrique.
Il n'était pourtant pas évident en 1952 de saisir les
liens existant sur les plans neurophysiologique et bio-
chimique entre l'agression physique et l'agression L e stress résulte de l'inhibition

psychosociale. de l'action, mais exige


De nombreux travaux récents concernent non le choc un processus de mémoire,

mais le stress. Les méthodes expérimentales utilisées celle de l'inefficacité de l'action.

sur des animaux pour provoquer le stress, que ce On peut en faire disparaître

soit les inévitables électrochocs plantaires, les conten- les conséquences psychiques

tions de durée variable, la nage forcée, l'isolement, le et somatiques en interdisant

combat, etc., n'aboutissent jamais à un état de choc. le passage de la mémoire

Les perturbations de l'équilibre homéostasique, de à court terme à la mémoire

l'équilibre acide-base et électrolytique, les pertur- à long terme. Cette inhibition

bations métaboliques, les phénomènes vasomoteurs est particulièrement grande

et artériolo-capillaires par exemple ne sont qu'excep- dans l'affolement chaotique

tionnellement envisagés, alors que les études sur les des cités modernes.

états de choc s'y étaient au contraire principalement Georg Grosz (1893-1959),

intéressées, négligeant en revanche les recherches La Ville, 1916. Lugano,

concernant les activités biochimiques et neurophysio- collection Thyssen-Bornemisza.

logiques centrales.

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Il est probable que le développement de nos connais- résultat de l'expérience - succès ou échec du contrôle.
sances de la biochimie cérébrale, au cours des der- Cet apprentissage a des conséquences importantes sur
nières décennies, a permis de voir en elle le facteur le comportement ultérieur de l'individu, comporte-
essentiel des variations de nos comportements. On a ment qui dépend donc d'un processus de mémoire.
donc cherché à utiliser des tests expérimentaux impli- Nous avons pu montrer que, si le contrôle est efficace,
quant un comportement actif ou passif vis-à-vis de peu de perturbations biologiques ou physiologiques
l'agent agresseur, comportement qui n'existe plus surviennent, ou alors de façon très temporaire. Ce
dans les états de choc même si, à l'origine, il y a eu n'est que lorsque l'action motrice de contrôle de
essai de fuite ou de lutte. Ainsi, le cerveau apporte l'environnement devient impossible que des pertur-
certaines réponses à l'égard de l'agent stressant. bations physiopathologiques stables apparaissent.
Il essaie d'abord de le contrôler ou de le neutraliser, En résumé, en passant du choc au stress, on va d'un
soit par la fuite - évitement actif -, soit par la lutte syndrome où généralement la lésion déclenche une
- combat, agressivité défensive -, et enregistre le réaction favorisant la fuite ou la lutte, vers un syn-

Conséquences somatiques de l'inhibition de Faction

L es répercussions périphériques de
l'inhibition de l'action font principa-
p a r l ' A C T H . Ce s y s t è m e , r é g u l é en
constance, ne servirait à rien d'autre qu'à
pose elle-même des problèmes. Lorsque
c'est le PVS (faisceau de la punition) qui
lement appel à deux systèmes : le système maintenir le taux de glucocorticoïdes à une est stimulé, corticotropin releasing factor
neurovégétatif et le système endocrinien. valeur moyenne, avec de faibles oscillations et corticotrophine sont également libérés.
Le système endocrinien est dans ce cas sur- autour de cette moyenne dues au retard Mais la corticotrophine favorise l'activité
tout représenté - mais pas seulement - par d'efficacité des boucles de rétroaction. des aires cérébrales commandant l'activité
l'axe formé par l'hypothalamus, l'hypo- P o u r i n f l u e r s u r son f o n c t i o n n e m e n t , motrice, donc la fuite ou la lutte. Il faut
physe et les glandes surrénales, qui consti- il faut une commande extérieure au sys- que celles-ci soient rapidement efficaces,
t u e n t des s y s t è m e s r é g u l é s d a n s les tème qui transforme le système régulé sinon la libération secondaire des gluco-
périodes de repos c o m p o r t e m e n t a l . Si en s e r v o m é c a n i s m e . Cette c o m m a n d e corticoïdes par les surrénales stimulera au
l'organisme se retrouve en inhibition de vient du cerveau situé au-dessus, dont le contraire le système inhibiteur de l'action
l'action, l'hypothalamus sécrète une hor- f o n c t i o n n e m e n t d é p e n d l u i - m ê m e de (SIA). Or le SIA, mis en jeu quand ni
mone peptidique, le corticotropin releasing l'environnement dans lequel l'organisme récompense, ni fuite, ni lutte ne sont réali-
factor (CRF), facteur provoquant la libé- qu'il anime est plongé. sables, met à son tour en jeu l'axe hypotha-
ration par l'hypophyse dans la circulation Les c a t é c h o l a m i n e s cérébrales (CA) lamo-hypophyso-surrénalien. On pénètre
s a n g u i n e de c o r t i c o t r o p h i n e (ACTH). permettent le fonctionnement des aires alors, pour peu que la situation environne-
Celle-ci provoque à son tour la libération cérébrales aboutissant aux comportements mentale oblige à persister dans le compor-
de glucocorticoïdes (Gcs) par la cortico- de consommation et de récompense. Elles tement d'inhibition, dans un cercle vicieux
surrénale - corticostérone chez le rat, corti- diminuent la libération de corticotropin de rétroactions positives dont on ne peut
sol chez l'homme. Cette série d'influences releasing factor et en conséquence de corti- se libérer que par l'acte gratifiant.
en cascade se referme sur elle-même, pour c o t r o p h i n e et de cortisol. On p e u t en Parallèlement à cette cascade endocri-
ainsi dire, car les glucocorticoïdes inhibent déduire qu'en situation de bien-être, de nienne, le système nerveux végétatif est
la libération d'ACTH par l'hypophyse et plaisir, l'axe h y p o t h a l a m o - h y p o p h y s o - activé, provoquant la libération des caté-
de CRF par l'hypothalamus, ce dernier corticosurrénalien n'a pas besoin de mon- cholamines circulantes - noradrénaline et
voyant également sa libération bloquée trer son utilité. La question de cette utilité adrénaline.
drome où c'est la réaction, mise en jeu par l'apprentis-
sage de l'inefficacité de l'action, qui provoque la
lésion. Dans le cas d ' u n choc, le syndrome évolue
rapidement sans apprentissage antérieur et la réponse
nerveuse est surtout limitée à l'hypothalamus et au
tronc cérébral. Dans le cas d ' u n stress, la mémoire
a un rôle prédominant et le système limbique et le
cortex associatif sont indispensables à l'établissement
des perturbations physiobiologiques.

SYSTÈME NERVEUX
ET SYSTÈME IMMUNITAIRE

A
près avoir mis en évidence la liaison entre le
système catécholaminergique périphérique et le
système inhibiteur de l'action, avec l'axe formé par
l'hypothalamus, l'hypophyse et les glandes surrénales
(HPA), mes collaborateurs et moi-même avons tra-
vaillé sur les conséquences immunitaires de l'inhi-
bition de l'action. Le rôle du système nerveux central
et périphérique et des glandes endocrines dans le
fonctionnement du système immunitaire est de mieux
en mieux connu. Le rôle néfaste des glucocorticoïdes
sur l'activité du système immunitaire est déjà, lui,
connu depuis de nombreuses années. Un médecin
sérieux ne vous aurait jamais prescrit de cortisone
L e stress et l'inhibition sa libération favorise donc sous quelque forme que ce soit sans l'associer à un
de l'action en général provoquent infections et cancers. antibiotique à large spectre, de peur que la dépression
la libération de cortisone Cela illustre les relations du système immunitaire ne favorise une infection
par les glandes surrénales. complexes entre système nerveux dans votre organisme. Les corticoïdes sont utilisés
Or la cortisone a un rôle néfaste et système immunitaire. p o u r limiter le rejet des greffes tissulaires p a r le
sur le fonctionnement Cristaux de cortisone système immunitaire. Leur intérêt principal est,
du système immunitaire, sous lumière polarisée. d'ailleurs, en réduisant l'activité de ce système, de
protéger des maladies dites auto-immunes dans les-
quelles ce même système immunitaire, ne sachant
plus différencier le moi du non-moi, se mobilise
contre les propres protéines du sujet. Au cours des
années quatre-vingt-dix, les connaissances dans ce o n sait depuis longtemps

domaine se sont considérablement enrichies. Le sys- q u e le système immunitaire

tème immunitaire apparaît aujourd'hui comme un s'oppose à la généralisation

système endocrinien dont les sécrétions influencent en des infections e t à l'extension

retour le système nerveux central : les relations entre des tumeurs, même si

systèmes nerveux, endocrinien et immunitaire ne sont sa complexité n'a été mise

en effet pas à sens unique. en évidence qu'au cours

Nos sens informent le système nerveux de ce qui se des dernières décennies.

passe dans l'environnement de façon à nous per- Sur cette photo, on peut observer

mettre de contrôler les caractéristiques de cet environ- un anticorps, substance

nement en agissant au mieux de l'intérêt de notre concourant à l'immunité

équilibre biologique interne. Un élément étranger ne de l'organisme,

pouvant s'introduire dans l'organisme par le canal ici l'immunoglobuline G,

des sens, il passe par celui du système immunitaire. lié à son antigène, en rouge.

Ce dernier fonctionne alors en quelque sorte comme


un sens supplémentaire, avertissant le cerveau de
toute intrusion étrangère. par « digestion phagocytose » et sécrètent une inter-
Le système immunitaire est un ensemble de cellules leukine 1. D'autres cellules sont transformées en
mobiles prenant le plus souvent naissance dans lymphocytes T auxiliaires après être passées par le
la moelle osseuse et qui, véhiculées dans certains thymus. Stimulés par l'interleukine 1 sécrétée par les
organes comme le thymus, les ganglions lympha- macrophages, ces lymphocytes assurent la mobili-
tiques ou la rate, y subissent des transformations, ce sation, par l'interleukine 2, des cellules tueuses natu-
qui a pour effet de les amener à assurer la fonction relles ou lymphocytes T cytotoxiques, capables de
complexe de défense de l'organisme contre les orga- détruire les cellules cancéreuses reconnues comme
nismes ou les molécules étrangers. Ces transforma- non conformes, les bactéries ou les virus. En outre,
tions se font grâce à des substances, telles les inter- les lymphocytes T auxiliaires sécrètent un facteur de
leukines 1 et 2, qui stimulent les cellules et leur différenciation qui transforme les monocytes en plas-
permettent soit de fabriquer des anticorps, soit d'assu- mocytes. Ces derniers forment des anticorps spéci-
rer leur activité phagocytaire. Les cellules de type fiques qui permettent une destruction plus facile des
macrophages, venues directement de la moelle intrus. Enfin, des cellules lymphoïdes « suppressives »
osseuse, assurent une première ligne de défense mettent fin à tout ce remue-ménage qui, un peu trop
violent ou prolongé, risquerait de se révéler désas- laire augmente donc, alors que, dans le même temps,
treux pour l'organisme. la noradrénaline, dont l'inhibition de l'action favorise
Cette description simplifiée de l'organisation du sys- également l'émission, diminue la capacité du système
tème immunitaire donne une idée de l'importance du circulatoire par la vasoconstriction qu'elle déclenche.
rôle des interleukines dans son fonctionnement. Or les Il résulte de cette situation - trop de contenu pour un
glucocorticoïdes ont la capacité de bloquer la libéra- contenant trop étroit - une hypertension artérielle
tion des interleukines et, en conséquence, toute l'acti- avec toutes les conséquences que cela suppose :
vité du système immunitaire. Dans ces conditions, hémorragies cérébrales, infarctus, etc. Le métabolisme
tout microbe, tout virus, toute cellule cancéreuse des lipides se trouve lui-même perturbé et l'athéro-
pourra se développer sans trouver de résistance. sclérose, avec ses incidences sur la dynamique cardio-
On conçoit désormais que l'inhibition de l'action, en vasculaire, ne tarde pas à faire son apparition.
favorisant l'émission de glucocorticoïdes, réunisse Il n'est donc pas exagéré de dire que les microbes ne
tous les facteurs fragilisant l'organisme. De plus, ces sont pas tout, qu'il n'existe pas non plus de cause
mêmes glucocorticoïdes provoquent une rétention par unique aux cancers, mais de multiples facteurs, inter-
le rein d'eau et de sels; la masse aqueuse extracellu- venant à différents niveaux d'organisation, dont le
S i l'on en croit

l'expression de leurs visages

et leurs comportements,

les participants au bal

du Moulin de la Galette,

qui se trouvait à Montmartre,

sont bien dans leur peau.

Ils possèdent probablement,

de ce fait,

un bon système immunitaire.

Auguste Renoir (1841-1919),

Bal du Moulin de la Galette, 1876.

Paris, musée d'Orsay.


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plus important peut-être, puisqu'il englobe tous les niveau, l'augmentation de la libération de ces gluco-
autres, est celui du rapport de l'individu avec son corticoïdes se limite elle-même par action sur l'hypo-
environnement social, qui lui permet de négocier cet thalamus et sur l'hypophyse. On ne peut qu'admirer
environnement au mieux de son plaisir, de son bien- l'ingéniosité d'un tel système, qui surveille et contrôle
être, de son équilibre biologique. tout emballement de la machine, quand sa fonction
Mais le plus étonnant des découvertes récentes, c'est protectrice est terminée.
qu'elles révèlent que certaines cellules du système Mais si l'on comprend bien le but poursuivi par un
immunitaire, des lymphocytes T, sécrètent plusieurs système aussi bien régulé lorsque l'organisme est
substances hormonales, en particulier la cortico- envahi par une information non sensorielle sous
trophine (ACTH). Cette dernière, on le sait, stimule la la forme de molécules étrangères, on comprend diffi-
sécrétion des glucocorticoïdes qui bloquent, comme cilement son rôle lorsqu'il s'agit d'informations sen-
nous venons de le voir, l'activité du système immu- sorielles. Ces dernières aboutissent, on l'a vu, au
nitaire. Nous sommes donc en présence d'un premier contrôle de l'environnement extérieur par l'action
système régulé en constance, qui élabore lui-même ses motrice et, dans ce cas, la boucle régulatrice se ferme
propres moyens de contrôle, lorsqu'une information sur l'environnement. Dans le premier cas en revanche,
non sensorielle lui parvient et le met en mouvement. tout se passe à l'intérieur de l'organisme, envahi sous
Mais l'interleukine 1 que sécrètent les cellules macro- une forme microscopique par l'environnement.
phages ne se contente pas de stimuler les lymphocytes Si, sur le plan endocrinien, on se limite à l'examen de
T auxiliaires, elle stimule aussi la sécrétion d'ACTH l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, les réac-
par l'hypophyse et exprime un second système de tions de l'organisme à l'environnement extérieur dans
régulation en constance qui limite l'activité du sys- un cas, à l'environnement interne dans l'autre, parais-
tème immunitaire. D'autres substances libérées par ce sent comparables. A la fin de l'action de l'agent agres-
dernier agissent d'ailleurs également dans le même seur, elles permettent le retour au statu quo ante. Ce
sens. Cependant, il n'est pas inutile de rappeler que n'est, dans tous les cas, que lorsque l'agression n'est
les glucocorticoïdes agissent en retour sur l'hypo- pas contrôlée et qu'elle persiste que ce système de
physe pour limiter la sécrétion d'ACTH, et qu'avec régulation se trouve débordé. En effet, le rôle du SIA
cette dernière, ils agissent sur l'hypothalamus pour paraît bien être adaptatif si l'agression est temporaire,
limiter la libération de corticotropin releasing factor. alors que si elle dure, ses conséquences deviennent
Il s'agit là d'une régulation en constance encore, mais catastrophiques. Il pourrait en être de même de la
antagoniste des précédentes. défense immunitaire.
En résumé, le système immunitaire, stimulé, limite En ce qui concerne cette dernière, il semble bien que le
cette stimulation par ses propres sécrétions, en parti- jeu des régulations n'ait pas à faire appel au système
culier par l'intermédiaire d'un accroissement de la que l'on décrit actuellement comme «cognitif», c'est-
sécrétion des glucocorticoïdes. Mais à un second à-dire nécessitant la mémorisation d'informations
L a photo de ces cellules,

des cellules phagocytaires

de l'épiderme, qui font partie

de la réponse organique

immunitaire, a été o b t e n u e

par micrographie électronique.

Leur rôle consiste à reconnaître,

puis à ingérer les protéines

étrangères. Elles les sécrètent

ensuite sous une forme modifiée

et les rejettent dans l'espace

extracellulaire où elles seront

absorbées par d'autres cellules

du système immunitaire

qui sont stimulées

pour produire des cellules tueuses

et des anticorps.

concernant l'environnement. En d'autres termes, il comportement actif et non passif d'inhibition, contrai-
semble devoir fonctionner suivant les processus qui rement au cas du stress. Et cependant plusieurs expé-
apparaissent en cas de choc. Si en cas de stress un pro- rimentations ont montré que des lésions de l'hippo-
cessus de mémoire paraît indispensable, mémoire de campe et de l'amygdale nerveuse, qui font partie des
l'inefficacité de l'action aboutissant à la mise en jeu du aires appartenant au SIA - aires indispensables aux
système inhibiteur de l'action (SIA), pour le système phénomènes de mémorisation et à l'affectivité -, aug-
immunitaire, la mémoire est située à l'intérieur même mentent l'activité du système immunitaire. On voit
du système et c'est elle qui commande la sécrétion donc apparaître là une commande extérieure au sys-
d'anticorps. C'est une mémoire qui s'exprime dans un tème régulé immunitaire, commande où intervient
l'inhibition de l'action et qui implique la mémoire ner-
veuse de l'individu, celle de son histoire personnelle, L e s plongeurs sous-marins vieillissement, etc.), mais l'on peut

de ses interdits sociaux et culturels, de ses désirs inas- utilisant l'oxygène pur s'en protéger en partie

souvis, de ses conflits intracérébraux. sont victimes d'accidents quand à l'aide d'antioxydants.

Ces systèmes si parfaitement régulés ne sont néan- ils descendent au-dessous Or, en inhibition de l'action,

moins valables que p o u r u n i n d i v i d u capable de de dix mètres de profondeur, le métabolisme oxydatif

contrôler par son action les événements qui survien- où la pression est de un bar. est considérablement a u g m e n t é

nent dans son environnement : ils fonctionnent correc- Ces accidents sont dus e t se trouve être la source

tement chez l'individu «bien dans sa peau ». Mais à la toxicité de l'oxygène de nombreux radicaux libres.

si l'individu ne contrôle plus son environnement au sous sa forme radicalaire libre. Ce mécanisme peut donc

mieux de son bien-être, ils sont plus nuisibles qu'utiles. Les radicaux libres sont à l'origine expliquer de nombreuses lésions

de nombreuses lésions observées dans ces conditions.

LES RADICAUX LIBRES (inflammations, infarctus, comas, Maldives, océan Indien.

E
n 1958, la Marine nationale me d e m a n d a de
m'intéresser au mécanisme et si possible à la plus discutées, font l'objet de multiples travaux et ont
prévention des accidents dus à la plongée en oxygène même atteint les médias! Mais en 1959 les radicaux

pur. En effet, au-dessous de dix mètres de profondeur, libres et leur rôle en pathologie n'avaient pas encore
c'est-à-dire à la pression d'un bar, des convulsions éveillé l'intérêt de la communauté médicale inter-

surviennent, ainsi que des accidents pulmonaires. Je nationale et les molécules d'antioxydants que nous
me renseignai alors sur la structure atomique et molé- avions fait synthétiser et que nous avions étudiées
culaire de l'oxygène et de cette époque date le début e x p é r i m e n t a l e m e n t n'intéressèrent aucune firme
d'un travail très général sur les radicaux libres. Mes pharmaceutique.
collaborateurs et moi-même avons pu mettre en Cependant, plusieurs années plus tard, nous nous
évidence l'action protectrice de la sérotonine, du glu- sommes rendus compte que l'inhibition de l'action,
cose hypertonique et de l'insuline contre la toxicité l'attente en tension élevaient considérablement le

de l'oxygène en pression et j'orientai la recherche du métabolisme oxydatif et que celui-ci était un pour-
Groupe d'études et de recherches sous-marines (GERS) voyeur important de radicaux libres. Par conséquent,
de Toulon et du laboratoire de l'hôpital Boucicaut vers si l'inhibition se prolonge, on conçoit qu'elle puisse
l'étude des antioxydants. Nous fûmes ainsi amenés à favoriser les différents processus physiopathologiques
généraliser le rôle dommageable des radicaux libres dont ces derniers sont responsables, parmi lesquels les
à toute la pathologie, et en particulier à la pathologie processus de vieillissement. L'intérêt des antioxydants
inflammatoire, aux infarctus, aux comas et au vieillis- classiques - vitamines E, C et A - commence même à
sement; toutes notions qui, trente ans après, ne sont être reconnu en médecine pratique.
O n sait l'aventure terrifiante

q u e vécurent les quinze rescapés,

sur cent cinquante personnes

qui prirent place sur le radeau

de la Méduse. Ils y connurent

la pire des angoisses,

leur vie é t a n t sans cesse menacée,

et leurs possibilités d'action

plus q u e réduites. Or l'angoisse

apparaît lorsqu'il y a conflit entre

les voies neuronales stimulées

dont les unes poussent à l'action

et les autres se heurtent

à l'impossibilité d'agir,

ce qui provoque l'inhibition

de l'action.

Théodore Géricault (1791-1824),

Le Radeau de la Méduse,

salon de 1819.

Paris, musée du Louvre.

ANXIÉTÉ ET ANGOISSE systèmes n'est pas accompagnée d'une action. Il s'agit


donc de l'expression subjective de l'inhibition de
o m m e n t d é f i n i r l ' i n q u i é t u d e , l ' a n g o i s s e et l'action, autrement dit d'un conflit entre les voies neu-
c l'anxiété ? Ces trois termes expriment sans doute ronales stimulées, dont les unes poussent à l'action et
trois degrés d'un même état, qui paraît être en rapport les autres à l'inhibition de l'action.
avec la mise en jeu des systèmes adréno-sympathique L'angoisse peut se résoudre par la fuite, la lutte,
et hypophvso-surrénal lorsque la mobilisation de ces l'agressivité défensive. C'est alors la peur qui est
considérée comme étant à l'origine de la fuite ou de déclencherait la réaction de défense, fuite ou lutte,
la lutte. Si celles-ci sont efficaces, elles font disparaître donc l'action. Cette définition convient donc bien
la peur et font parfois même appel au système de aux bases bioneurocomportementales de l'anxiété :
récompense, et deviennent alors susceptibles de ren- sans objet apparent légitime, l'action ne peut être
forcement. entreprise et le système inhibiteur de l'action (SIA)
L'anxiété est souvent décrite comme une peur sans est, par conséquent, mis en jeu. On définit aussi
objet apparent légitime. L'existence d ' u n tel objet l'anxiété comme un sentiment pénible d'attente et, là
aussi, dans l'attente d'un événement que l'on ne peut
encore classer comme gratifiant ou aversif, le SIA est
mis en jeu puisque l'action est immédiatement inopé-
rante. Mais l'anxiété peut également être une réponse
apprise apparaissant à un signal, le stimulus condi-
tionnant, qui non seulement annonce une situation
d'agression et de douleur, mais aussi rappelle l'ineffi-
cacité de l'action antérieurement constatée. C'est la

raison pour laquelle certains chiens, replacés dans


une situation où ils n'ont pu éviter un choc électrique,
expérience qu'ils avaient mémorisée, ont été inca-
pables d'agir efficacement pour amortir ce même choc
quand la possibilité leur en a été rendue.
Il arrive cependant que la nature anticipatoire de
l'anxiété ait une utilité biologique, lorsqu'elle pousse
les organismes vivants à découvrir, par leur fonction
imaginaire, une parade efficace au stimulus aversif.
Mais l'expérience animale montre que, le plus sou-
vent, elle inhibe la performance. L'homme, être doué sur la création imaginaire et devient alors désir,
d'imagination, est alors favorisé. Malheureusement, le plaisir de cet assouvissement est spécifiquement
son i m a g i n a t i o n p e u t également être u n facteur humain. Être heureux, c'est être capable à la fois de
d'angoisse supplémentaire, auquel l'animal échappe. désirer et d'éprouver du plaisir lorsque le désir est
L'inhibition de l'action résulte parfois, dans sa forme satisfait, du bien-être lorsqu'il est assouvi, en atten-
la plus primitive, de l'impossibilité d'assouvir un dant la venue d'un nouveau désir pour recommencer.
besoin. Mais alors que chez l'animal ce besoin est le Si l'animal est satisfait, seul l'homme peut être heu-
plus souvent inné, chez l'homme il est presque tou- reux. Tout cela n'est évidemment qu'une question de
jours acquis. L'homme s'est en effet créé des besoins sémantique, encore faut-il s'entendre sur le sens des
que l'on peut qualifier d'artificiels, auxquels il ajoute mots. Ainsi, plus la création imaginaire est grande,
des désirs liés à sa fonction imaginaire. Le plaisir pro- c'est-à-dire moins les automatismes sont contrai-

vient de l'accomplissement de l'action gratifiante. gnants, plus les désirs sont difficiles à assouvir et le
Chez l'animal comme chez l'homme, il accompagne bonheur difficile à atteindre, mais plus grande est la
l'assouvissement du besoin. Mais quand il s'agit de satisfaction de parvenir au but. Et plus les automa-
l'assouvissement d'une pulsion qui, en traversant le tismes sont contraignants, plus ils favorisent la fuite
champ filtrant des automatismes culturels, débouche dans l'imaginaire.
L e bonheur est spécifique

à l'homme. L'animal,

comme l'homme, peut éprouver

du plaisir lorsque ses besoins

sont satisfaits, mais seul l'homme,

puisqu'il est capable de désirer,

peut se sentir heureux lorsque

ses désirs, liés à sa création

imaginaire, sont assouvis.

Le bonheur, chacun le sait,

est fugitif... mais il ne d e m a n d e

qu'à réapparaître dès

la venue d'un nouveau désir

à son tour satisfait.

L'impossibilité d'assouvir un besoin comme celle tition surgit à nouveau à l'intérieur même du groupe,
d'aboutir au bonheur suscitent l'angoisse par l'inter- et l'incertitude qui l'accompagne est à son tour géné-
médiaire, dans l'un et l'autre cas, de l'inhibition de ratrice d'angoisse par inhibition de l'action. Les
l'action. Et la civilisation industrielle, tout particuliè- sociétés qui ont installé la compétition à tous les éche-
rement la vie dans les mégalopoles modernes, a toutes lons d'organisation se nourrissent de l'angoisse indi-
les raisons de provoquer l'angoisse. La comparaison viduelle et de l'angoisse du groupe, qui les animent.
entre les objets gratifiants que l'on possède et ceux La transformation rapide des valeurs est une autre
que possèdent d'autres individus plus favorisés fait source d'angoisse. Sa résorption est facilitée chaque
naître, avec l'envie, l'angoisse de frustration. On fois que sont fournis une « grille », un code à l'action,
cherche alors à posséder davantage, mais on ne peut un règlement de manœuvre. Ainsi toute institution
le faire qu'en s'élevant dans les échelles hiérarchiques, s'accompagne d'un tel code, qu'il s'agisse du règle-
en a c q u é r a n t une d o m i n a n c e , toujours de façon ment de l'armée ou d'une corporation, ou de l'idéolo-
conflictuelle, et taraudé par l'angoisse de l'échec gie nationale, religieuse, politique ou purement
possible et de la concurrence. L'appartenance à un sociale. L'action redevient possible, car l'incertitude
groupe, le militantisme, le conformisme camouflent disparaît. C'est pourquoi toutes les institutions se
parfois l'angoisse de façon temporaire, mais la compé- caractérisent par leurs jugements de valeur, leur grille
L ' I N H I B I T I O N DE L'ACTION

de décodage de la signification des événements et


leurs règlements opératoires. C'est aussi pourquoi
chaque institution s'accroche désespérément à ses
jugements de valeur, qu'elle ne reconnaît jamais pour
tels mais qu'elle élève toujours au rang de «droits
imprescriptibles de la personne humaine », en faisant
souvent appel, et sans humour, à l'existence des
mêmes valeurs chez l'animal, ce qui en démontrerait
la valeur universelle.
Mais lorsque, pour l'observateur le plus ancré dans
son conformisme sécurisant, les faits sociaux ne
s'adaptent absolument plus à l'échelle des valeurs
d'une société en une région de la planète et à une
époque données, quand ces prétendues valeurs
Chaque société établit universelles sont chaque jour bafouées par les domi-
une échelle des valeurs nants qui tentent pourtant de les affermir, de les
sur lesquelles elle se construit. proroger pour maintenir leur dominance, l'individu,
Mais lorsque ces valeurs n'ayant plus de grille opératoire crédible, redécouvre
sont bafouées par les dominants l'angoisse. L'apprentissage qui, depuis l'enfance,
alors même qu'ils s'appuient punit ou récompense ses comportements lui a fait
sur elles pour affermir acquérir ses automatismes sociaux et culturels, et ces
leur dominance, l'individu n'a plus derniers, même s'ils représentent les principaux géné-
de grille opératoire crédible, rateurs d'angoisse parce qu'ils s'opposent aux pul-
et il découvre l'angoisse. sions, fournissent un code opérationnel sécurisant
Bien souvent, c'est par l'agressivité puisqu'ils permettent d'agir de façon conforme à la
qu'il tente d'occulter socioculture, rendant ainsi gratifiantes les actions
cette angoisse, même si elle n'est qu'ils autorisent. Mais quand la simple observation
pas toujours adaptée des faits montre que ce code opérationnel n'est plus
à la complexité de la situation. adapté aux situations, qu'il est devenu inefficace, la
Eugène Delacroix (1798-1863), remise en cause raisonnée de l'action et l'impossibilité
La Liberté guidant le peuple, d'agir débouchent à nouveau sur l'angoisse. L'indi-
le 28 juillet 1830. vidu tente alors bien souvent d'occulter celle-ci par
Paris, musée du Louvre. des bouffées d'agressivité, la plupart du temps
inadaptées à la complexité de la situation, mais consti-
L E S C O M P O R T E M E N T S

tuant une action libératrice. Il répond ainsi, isolément


ou en groupe, par une agressivité immédiate à l'agres-
sivité i n s t i t u t i o n n a l i s é e p a r les d o m i n a n t s . On
comprend le rôle du langage dans l'établissement des
concepts de valeurs, dans leur institutionnalisation,
leur transmission, et surtout dans la déformation des
faits déjà sélectionnés par une affectivité qui ne peut
être qu'intéressée, et l'on sait pourquoi. Les structures
de dominance ont besoin de l'action conforme aux

règles qu'elles ont établies pour se perpétuer. Jamais


elles ne reconnaîtront l'intérêt individuel ou collectif,
ni la recherche de la dominance individuelle ou col-

lective, car ils sont puissamment démobilisateurs par


rapport à l'action conforme. Elles font pourtant appel
à eux, en les camouflant sous le masque mobilisateur
de l'altruisme, des valeurs éternelles ou pour le moins P o u r subsister, les structures

justifiées de la promotion sociale, des dons innés, de de dominance ont besoin

la justice qui favorise les comportements conformes à de promouvoir l'action conforme

l'intérêt dit général ou à l'accession à la propriété, aux valeurs qu'elles ont établies

droit inaliénable puisqu'il fait marcher le commerce et afin d'exister et de se perpétuer.

stimule la production de marchandises. A voir son visage satisfait,

Dans la lutte qui s'engage à tous les niveaux d'organi- sinon suffisant, on reconnaît

sation, l'incertitude de la gratification et la contes- en cet homme un individu

tation du niveau hiérarchique de dominance sont ayant su répondre aux critères

facteurs d'angoisse. Il semble assez clair cependant promus par les structures

que l'angoisse est généralement moins aiguë pour le de dominance et en ayant reçu

d o m i n a n t que pour celui qui se trouve au bas de en retour une position financière

l'échelle sociale et dont les espaces gratifiants ainsi et hiérarchique avantageuse.

que les objets qu'ils contiennent sont réduits au mini- Jean Auguste Ingres (1780-1867),

mum. De nombreuses statistiques montrent que la Portrait de Louis-François Bertin,

morbidité est fonction du statut économique et social l'un des frères propriétaires

des individus. Mais l'accélération de l'évolution des du Journal des débats.

techniques, qui rend rapidement le cadre inefficace, Paris, musée du Louvre.

nécessite son recyclage et lui fait craindre la perte de


coopération est plus efficace, pour répondre à cette
loi, que la compétition, à partir du moment où l'abon-
dance est à portée de main? Il est probable qu'avec
la compétition disparaîtrait un facteur essentiel de
L a compétition l'angoisse.
s'est introduite partout Ce système de compétition a bel et bien été à l'origine
dans la vie quotidienne des concentrations humaines, de la destruction pro-
des individus, des groupes, gressive et désormais accélérée de la biosphère. Avec
des États. Elle domine des activités
cette destruction de l'environnement due à la compé-
qui pourraient en être tition marchande, sont apparues l'angoisse et, depuis
exemptes, comme le sport. peu, l'agressivité, dues à l'impossibilité pour les indi-
Même le navigateur solitaire vidus d'interdire cette marche au suicide collectif.
se trouve aujourd'hui L'homme est la seule espèce à se concevoir en tant
en compétition, et «sponsorisé» qu'espèce, et l'angoisse spécifique - ou l'angoisse à
par une marque d'essence propos de l'espèce - lui est réservée. Non pas que
ou de cigarettes. l'individu craigne pour l'espèce, on s'en doute, mais
Il n'y a plus d'action gratuite, la disparition de l'espèce, dont il envisage la possibi-
toutes doivent s'imposer lité, signifie, de façon concomitante, sa propre dispari-
dans une lutte compétitive. tion. L'angoisse qui résulte du sort commun qui pour-
Jeux Olympiques de Barcelone, rait être réservé à tous les êtres humains est d'ailleurs
1992, athlétisme, final du 100 m. récente, comme est récente la connaissance d'un tel
risque, de ses causes, de ses origines. Mais dans la
recherche de ces causes, il est plus simple, plutôt que
ses avantages pécuniaires, de dominance et de satis- d'accuser un comportement humain fondé sur la
faction narcissique, est pour lui facteur d'angoisse. recherche de la dominance, d'accuser le progrès tech-
Son milieu social ne lui renvoie plus l'image avanta- nique ou la science en général, comme s'il n'y avait de
geuse qu'il s'était faite de lui-même et qui se lisait sur science que physique, comme si elle ne s'intéressait
son visage. La pathologie frappe alors à sa porte, par- qu'au monde inanimé. Pourtant, si la science - celle
fois insidieusement, parfois bruyamment, à la suite de des armes en particulier, et les progrès technologiques
l'inefficacité de son action. qui en découlent - a été jusqu'ici le plus souvent moti-
Puisque la seule raison d'être d'un être c'est d'être, vée par la recherche de la dominance, science et agres-
que l'égoïsme - sans jugement de valeur - est une loi sivité compétitive ne sont pas obligatoirement liées.
fondamentale des systèmes vivants, ne serait-il pas L'angoisse existentielle semble être une motivation
possible d'apprendre très tôt aux hommes que la plus fondamentale encore de la science.
L E S C O M P O R T E M E N T S

L'angoisse résulte également, on le sait, du déficit


informationnel qui interdit de classer un événement,
de déterminer s'il est utile ou nuisible, dangereux ou
agréable ; l'apprentissage de l'existence d'événements
douloureux au cours de la vie laisse craindre que L a Yougoslavie est un exemple

celui-ci n'en soit un. L'impossibilité d'agir effica- douloureux de la façon

cement engendre alors l'angoisse. Paradoxalement, d o n t le malheur du monde

trop d'information est une autre cause d'angoisse, car pénètre dans chaque foyer,

cela interdit également l'action adaptée, en particulier sans q u ' u n e action en retour

de nos jours, avec la masse croissante d'informations efficace soit possible. Les médias

distribuées par les médias, inclassables suivant une favorisent le sensationnel,

échelle de valeurs, toutes les échelles de valeurs le tragique, le violent;

s'effondrant. C'est en cela que les grilles conceptuelles le citoyen contemporain

ou affectives - ce qui revient au même - sont sécuri- porte ainsi le fardeau de toutes

santes et constituent une thérapeutique efficace de les souffrances des hommes,

l'angoisse. Le militant, quelle que soit la bannière sous sachant qu'elles pourraient être

laquelle il s'enrôle, est rarement angoissé : d'une part, un jour son propre lot.

les informations qui n'entrent pas dans sa grille sont Sarajevo,

p o u r lui non signifiantes, non perçues même, et chambre d'hôtel, septembre 1993.

d'autre part la grille fournit toujours une interpréta-


tion simpliste de l'événement, une analyse logique,
rationnelle, satisfaisante, qui p e r m e t d ' é l i m i n e r - maladies, intempéries, mort -, irréductibles, étaient
le d o u t e et fournit les a r g u m e n t s de l'action. En liés à l'ignorance de l'avenir et à l'étroitesse de leur
revanche, l'abondance et la rapidité de diffusion de niche environnementale, alors que le citoyen contem-
l'information, qui se fait toujours dans un seul sens, porain porte sur ses épaules le fardeau de toutes les
depuis l'environnement planétaire vers l'individu, douleurs des hommes vivant sur la planète, sachant
l'orientation de la presse et des ondes vers le sensa- que ces douleurs pourraient un jour être son propre
tionnel, le tragique, le violent, l'affectif, le douloureux, lot. Les religions ne suffisant plus à calmer l'angoisse,
fournissent des informations à l'égard desquelles on a demandé à la science ce que l'on demandait aux
l'action en retour est impossible. dieux : l'immortalité, non pas dans un autre monde,
Il n'y a pas si longtemps encore, certains villageois mais dans celui-ci, la suppression de la douleur, le
contrôlaient leur vie durant, de façon quasi complète, bien-être et la joie. La science s'étant montrée inca-
leur environnement immédiat, c'est-à-dire leur seule pable de réaliser ce p r o g r a m m e , un retour à des
source d ' i n f o r m a t i o n . Leurs facteurs d ' a n g o i s s e mythes plus primitifs encore s'est récemment amorcé.
C'est sans doute la raison pour laquelle la pensée Rappelons que l'espèce humaine se distingue des
magique, dans ce siècle des lumières, n'a fait que autres espèces animales par sa faculté d'imaginer. Or,
s'étendre et se diversifier. si l'imagination, on l'a vu, est parfois capable d'aider
Seules les connaissances techniques professionnelles l'homme à surmonter son angoisse en lui fournissant
rentables, productrices de marchandises, sont ensei- une solution originale aux problèmes posés dans le
gnées. Aucune école ne fournit les connaissances les cadre manichéen où il se laisse bien souvent enfermer,
plus élémentaires de la biologie contemporaine, de elle peut à son tour créer l'angoisse en suggérant à
l'anatomie et de la physiologie, ni les bases scienti- l'homme des scénarios douloureux dont il redoute
fiques - expérimentales - des comportements. Aussi l'avènement.
l'angoisse surgit-elle dans toutes les classes sociales, Finalement, l'homme est sans doute le seul animal à
l'individu étant laissé dans l'ignorance de l'instru- savoir qu'il doit mourir. Et cette connaissance-là est
ment qui utilise et crée ces connaissances : l'homme, la plus importante des sources d'angoisse. Elle ras-
et le cerveau qui l'anime. semble en elle toutes les causes précédentes : déficit
informationnel concernant la date de la mort, sa L individu

forme, l'intensité de la douleur qui l'accompagnera; assiste, impuissant, à son lent

déficit informationnel concernant l'existence d ' u n et inéluctable vieillissement.

« a p r è s » h e u r e u x ou m a l h e u r e u x , ou l ' a b s e n c e Pour une société qui valorise

d'« après », conduisant au néant. Impossibilité d'ima- la productivité avant tout,

giner le néant et impossibilité d'agir pour l'éviter, être âgé n'est plus une valeur

car la mort est inéluctable : l'imaginaire n'est pas en en soi, e t l'angoisse de la mort

mesure de lui opposer de solution expérimentalement est difficilement compatible

contrôlable. Conflit entre le désir de survivre, besoin avec l'efficacité productiviste.

fondamental de tout être vivant, et l'interdiction qui Aussi tous les moyens sont-ils

lui est faite par sa structure d'assouvir cette pulsion, et bons pour occulter cette angoisse :

de le savoir par avance. Il y a bien là, en définitive, consommation à outrance,

interdiction totale de l'action. Et, pour ajouter à son loisirs à gogo,

angoisse, l'individu assiste, conscient, à sa lente élimi- étouffement culturel,

nation du monde des vivants par son vieillissement, illusion de la perpétuation

sa décrépitude dont la socioculture se charge, qui par la reproduction...

plus est, d'accélérer l'évolution. L'angoisse de la mort Francisco de Goya (1746-1828),

paraît ainsi être la chance et le malheur de l'homme. Le Temps, dit Les Vieilles.

La chance, car c'est le seul moteur efficace de la créati- Lille, musée des Beaux-Arts.

vité. Le malheur aussi, car les tentations de son occul-


tation par la pensée magique sont exploitées par les
dominants pour consolider leur dominance et faire reproduction perpétue l'espèce, elle dissout rapide-
que les dominés supportent au mieux des intérêts des ment, avec sa combinatoire génétique, les caractéris-
dominants le passage dans cette vallée de larmes en tiques d'un individu dans un fonds commun. Il n'en
espérant u n m o n d e meilleur après, ce qui n'a pas reste pas moins que l'enfant constitue un objet grati-
toujours servi l'évolution des sociétés humaines. fiant qui semble faire échec à la mort, et que l'amour
Cette angoisse étant en effet difficilement compatible des parents pour leur progéniture est le plus souvent
avec la production de marchandises, les structures l'une des formes les plus triviales du narcissisme
sociales de dominance ont toujours tenté d'en détour- congénital. Il en résulte d'une part la possessivité de
ner l'attention des dominés en multipliant les jeux du l'enfant par ceux qui l'ont procréé, d'autre part le
cirque, les gadgets, les loisirs organisés et l'étouffe- désir qu'il les reproduise et surtout qu'il fournisse
ment culturel par l'usage plus récent des médias. d'eux une image sociale si possible améliorée, en
Une autre façon de conjurer la mort consiste à croire s'élevant à un échelon hiérarchique qu'ils n'ont eux-
que l'on se perpétue en se reproduisant. Or, si la mêmes pas pu atteindre. La structure sociale n'a donc
aucune chance de se transformer, puisque toute l'édu- coup d'entre elles proviennent probablement d'une
cation de l'enfant vise à ce qu'il s'inscrive favorable- altération du génome, altération héréditaire ou altéra-
m e n t dans une hiérarchie au sein de laquelle les tion acquise à la suite du rapport de l'individu avec
parents ont déjà fait tous leurs efforts pour s'élever. son environnement. On attache une importance crois-
Et même dans les cas où ils la discutent ou la rejettent, sante à la production de radicaux libres dans la genèse
ce n'est que pour souhaiter l'établissement d'un autre de nombreuses lésions enzymatiques et génomiques;
type de hiérarchie qui, pensent-ils, leur serait plus or l'inhibition de l'action et l'angoisse sont de puis-
favorable, sous forme de rapports sociaux leur ren- sants facteurs de production de radicaux libres.
voyant une image plus conforme à l'image idéale Sauf dans les cas de lésions d'origine traumatique ou
qu'ils se font d'eux-mêmes. tumorale, l'origine organique des maladies mentales a
On voit combien l'angoisse de la mort, toute camou- toujours échappé aux générations précédentes qui
flée qu'elle est, peut influencer le comportement social l'ont recherchée post mortem à l'aide du microscope
de l'homme par le biais très honorable, très noble du dans le cerveau des malades. Mais cette « organicité »
sentiment familial ; comment l'enfant se trouve pri- prend aujourd'hui un sens différent de celui que l'on
sonnier du narcissisme parental, et combien il aura de a longtemps cru pouvoir lui donner. La mémoire
mal à s'en échapper s'il y parvient jamais. Devant ce immunitaire est bien moléculaire, organique, et nous
désir d'immortalité, on peut se demander si chacun avons vu qu'elle n'était pas sans analogie étroite avec
de nous représente une forme si exceptionnelle, si la mémoire nerveuse. L'organicité des maladies men-
indispensable, que nous souhaitions à ce point en tales ne résiderait alors que dans l'établissement de
infliger la présence, par le truchement de nos descen- voies synaptiques préférentielles, codées métaboli-
dants, aux générations futures... quement et résultant du perpétuel dynamisme qui
Cette approche particulière de l'angoisse humaine s'établit dès la naissance entre les différents niveaux

révèle comment l'imaginaire et le langage, en façon- d'organisation du système nerveux central, la niche
nant le désir et les lois, donnent leurs caractéristiques environnementale et le résultat de l'action opérée sur
à un mécanisme largement réparti dans les espèces celle-ci. Suivant cette hypothèse, la chronicité de la
animales et qui, pour l'homme, réside essentiellement maladie mentale reposerait sur la base matérielle,
dans l'inhibition de l'action gratifiante. moléculaire, de l'apprentissage, du souvenir incons-
cient du conflit persistant au sein des voies nerveuses.
LES MALADIES MENTALES Dans cette même hypothèse, le névrosé, inconscient
des m é c a n i s m e s et des facteurs c o m p l e x e s qui

L
'explosion des découvertes au cours des années l'assaillent dans la négociation qu'il doit mener quo-
quatre-vingt-dix dans le domaine de la géné- tidiennement entre ses expériences passées et son
tique a poussé les chercheurs à rechercher l'existence milieu social, tenterait encore de se faire entendre,
d'une cause génétique aux affections mentales. Beau- d ' a t t i r e r l'attention sur son mal-être qu'il serait
incapable de définir. Son « langage du corps », c'est-à-
dire son comportement, tâcherait d'attirer l'attention
de l'autre sur lui, sans qu'il parvienne à se faire
comprendre.
L'inhibition de l'action débouchant sur l'angoisse
pourrait être à l'origine des maladies mentales. Dans
les névroses, le sujet tenterait encore de s'exprimer
dans l'action, ce qui serait à l'origine des différents
mécanismes étudiés par la psychanalyse sous le terme
de « moyens de défense du moi ». Ces derniers ne sont
en fait pour le névrotique que des moyens de conti-
nuer à agir. Il ne protège pas son moi, mais son auto-
nomie motrice, son action sur le milieu, à commencer
par le milieu social. Si le névrotique pouvait assurer
un fonctionnement efficace de son imaginaire, s'il
pouvait sortir de ses apprentissages culturels et de ses
empreintes, il découvrirait un autre type de solutions
aux problèmes inconscients qui le martyrisent. La
sublimation peut socialement le valoriser. S'il résout
son angoisse dans la créativité, l'action créatrice ou
parfois prétendument altruiste, il peut même être
considéré comme un génie ou comme un héros.
Dans les psychoses au contraire, le patient a perdu
l'espoir de se faire entendre. Il s'enferme progressive-
La camisole de force était, du point de vue thérapeutique. ment dans son imaginaire. Le langage n'est plus pour
jusqu'au milieu de ce siècle, Traitement d'un aliéné, lui un moyen de communication, mais sa seule réalité,
le seul moyen de contrôler gravure par Tardieu pour à laquelle il plie le monde qui l'entoure. Il s'agit d'une
la surexcitation d'un aliéné agité, Jean Étienne Dominique Esquirol, fuite stable, car p r o g r e s s i v e m e n t fixée d a n s la
agressif et dangereux pour « Des maladies mentales mémoire, dans le codage synaptique. Elle résulte de
lui-même comme pour les autres. considérées dans les rapports l'impossibilité de réaliser une autre expérience qui
Mais cette mise en inhibition médicaux », Hygiène permettrait de résoudre l'angoisse dans l'action. Dans
de l'action forcée et Médico-Légal, 1838. Paris, le délire, le langage ne fournit plus au psychotique
était catastrophique musée d'Histoire de la médecine. qu'un matériel de « signifiants » dont la fonction sym-
bolique n'est valable que pour lui, car il n'essaie plus
O n a longtemps cru que la folie

était causée par des lésions

organiques du cerveau.

On les a même recherchées

post mortem au microscope

dans le cerveau des malades.

Mais on sait maintenant

que, si l'organicité des maladies

mentales existe,

ce n'est qu'au niveau moléculaire

qu'elle sera mise en évidence.

Jan Sanders van Hemessen

(vers 1500-vers 1560),

Le Chirurgien.

Madrid, musée du Prado.


de confronter son approche personnelle, qu'il a inté-
riorisée, avec la réalité. Il semble incapable de saisir,
d'organiser, de filtrer les stimuli du monde extérieur.
On peut même penser qu'il fuit l'organisation du lan-
gage, image aliénante de la réalité qui lui a interdit le
comportement gratifiant répondant à son principe
personnel de plaisir.
Les rapports du délire et du rêve sur le plan électro-
physiologique et biochimique demanderaient un long
développement. Disons seulement qu'on peut penser
que le délirant se rapproche de l'animal dont on a
détruit la zone du mésencéphale dénommée locus
coeruleus : l'animal ainsi traité agit conformément à
son imaginaire onirique, il n'est plus sensible aux
stimuli sensoriels du monde extérieur et dort tout en
présentant un comportement d'éveil. Le psychotique
présente une hyperactivité de la formation réticulaire P o u r échapper

activatrice ascendante, état qui ne lui permet plus de à l'inhibition de l'action,

filtrer ni d'organiser les stimuli sensoriels. plusieurs attitudes sont possibles,

dont le suicide, définitif

C O M M E N T ÉVITER et efficace quand il est réussi.

L'INHIBITION DE L'ACTION? La drogue et l'alcool représentent

d'autres formes de fuite,

our éviter l'inhibition de l'action, il n'y a que qui procurent des paradis

p deux comportements possibles : la fuite ou la artificiels... et passagers,

lutte. Pour fuir, il n'est pas toujours utile de courir e t ne sont finalement peut-être

vite. Le suicide est une forme de fuite définitive et q u ' u n e sorte de suicide atténué,

efficace quand il est réussi. La drogue est un départ en plus progressif,

voyage - le trip - fort apprécié aujourd'hui par une mais t o u t aussi efficace.

jeunesse à qui l'on explique que pour être heureux, Atelier de Lucas Cranach

il faut être gagnant dans les compétitions pour la (xve siècle), école du Danube,

productivité et qu'on a plus de chances de réussir Lucrèce romaine se tuant.

- quoi, mon Dieu ? - en sortant de ce qu'il est convenu Sienne, Pinacothèque nationale.

d ' a p p e l e r une grande école. Beaucoup de jeunes,


n'ayant pas saisi la très grande beauté du théorème de avec beaucoup d'attention depuis que les camisoles
Pythagore ou de la fonction de dérivée, préfèrent de force ont disparu de l'arsenal thérapeutique qui
jouer de la guitare et se « shooter ». C'est une forme de s'est enrichi d'autres moyens de fuite comme les
suicide, donc de fuite, plus progressive que la défe- drogues psychotropes, tranquillisants, antidépres-
nestration. Il en est de même pour l'alcool qui, dit-on, seurs ou hypnotiques variés. La créativité dans un
tue lentement, ce à quoi le marin répond qu'il ne monde imaginaire est un autre moyen de fuite qui
craint pas la mort et que d'ailleurs il n'est pas pressé. constitue parfois une étape intermédiaire avant la
Il y a la fuite dans la démence grâce à laquelle des folie ou le suicide. Le choix méthodologique pour
hôpitaux fort bien chauffés prennent soin de vous éviter l'inhibition est donc large. Si vous n'êtes pas
corps », de faire participer les autres à vos ennuis, à
vos désirs inassouvis. Le succès n'est pas assuré et,
dans la majorité des cas, vous ferez appel aux mala-
Outre la fuite, il existe dies dites psychosomatiques pour punir votre corps
une autre façon d'échapper de ce que les autres ne vous auront pas compris. Vous
à l'inhibition de l'action : la lutte. voyez que ces prétendues maladies ne sont en fait que
Laviolence en est le mode la conséquence de l'inhibition de votre action.
d'expression le plus fréquent, Mais il existe des moyens plus efficaces encore. Il
généralement inefficace, y a la plupart des méthodes psychothérapiques
mais qui a le grand avantage modernes, qui vous conseillent de taper dans des
de défouler. La parole coussins devant un public choisi, de pousser le grand
peut également jouer ce rôle, cri primai, de réaliser votre crise pseudo-épileptique
et il est des échanges verbaux en groupe, au cours d'un psychodrame, etc. Vous
qui n'ont rien à envier avez encore la possibilité de défiler de la Bastille à la
à une expression plus physique République en vous heurtant aux agents de la police
de la violence. ou aux CRS, en mettant au besoin le feu à quelques
Achille Beltrame, voitures en stationnement, ou bien de faire du jogging
Au Louvre, un déséquilibré autour de votre pâté de maisons, ou encore de casser
tente de s'attaquer au tableau la figure à l'arbitre à la fin d'un match durant lequel
de Millet «L'Angélus», vous êtes resté assis en inhibition pendant une heure
gravure pour et demie. La violence est un moyen d'action, stricte-
LaDomenica dei corriere, ment inefficace, mais qui défoule. La parole aussi est
1932. France. un moyen d'échanges parfois violents permettant
d'agir sur l'autre sans faire couler le sang. Les colé-
reux ne font guère d'infarctus du myocarde, paraît-il.
convaincu, si vous voulez convaincre les autres que Et quant à l'interlocuteur, l'injure ne fera de mal qu'à
vous n'allez pas bien, que vous avez des problèmes son narcissisme. On s'en relève.
que vous êtes incapable de formuler clairement, car L'homme a surtout la chance de pouvoir fuir dans
vous ne savez pas formuler dans un langage logique l'imaginaire créateur d'un nouveau monde dans
le prétendu illogisme de votre inconscient, adressez- lequel il peut enfin vivre. Malheureusement ce monde
vous à un psychanalyste qui soignera ses propres est rarement accepté par l'environnement social et,
problèmes par la même occasion. Ou bien une bonne dans ce cas, il ne parvient pas à le communiquer.
fois pour toutes, établissez-vous dans la névrose et Aussi bien en art qu'en sciences, ce n'est fréquemment
essayez par votre comportement, votre «langage du qu'après la mort de son auteur que ce monde nou-
veau est reconnu, et cela conduit souvent le créateur
à la folie puisque celle-ci résulte généralement de
l'impossibilité de se faire entendre. Je ne parle pas ici
de ce que j'appellerais les innovateurs, capables de Q u e l q u e s rares privilégiés

découvrir de nouveaux gadgets, de nouveaux moyens peuvent fuir l'inhibition

instrumentaux, d'améliorer la production en mar- dans la créativité

chandises et qui souvent sont tout de suite non seule- sous toutes ses formes, artistiques

ment acceptés, mais récompensés par la société mar- ou scientifiques.

chande. Je parle des créateurs capables d'apporter des Mais les vrais créateurs,

éléments fondamentaux aux connaissances humaines. qui n'arrivent pas à convaincre

Parmi eux, Vincent Van Gogh, Robert Schumann, leurs contemporains

le mathématicien Georg Cantor, le médecin Ignàc de ce q u e leur vision originale

Semmelweis, Wilhelm Reich, Friedrich Nietzsche, du monde est une forme

Gérard de Nerval, etc. non conforme de la réalité,

Il y a quelques années, Claude Maupaumé m'invita terminent souvent leur vie

un dimanche après-midi à parler sur France Musique dans la psychose.

d'un compositeur que j'aimais. Je choisis Schumann et Ils sont nombreux,

m'efforçai de montrer, en l'illustrant par sa musique, dont le peintre Van Gogh.

que l'établissement de sa folie maniaco-dépressive Vincent Van Gogh (1853-1890),

provenait d'une existence ligotée, depuis l'enfance, Autoportrait. Paris,

par l'inhibition de l'action. Il faut savoir par exemple musée d'Orsay.

que, pauvre et avec huit enfants à charge, le couple


qu'il formait avec Clara ne possédait q u ' u n seul
piano. Clara, pianiste de concert connue dans toute si on aurait pu aujourd'hui guérir Schumann de sa
l'Europe, en avait besoin pour préparer ses repré- folie maniaco-dépressive. Je lui répondis qu'un trai-
sentations. Pendant ce temps, Robert ne pouvait pas tement au lithium l'aurait probablement atténuée.
composer. D'autre part, il commença par suivre Clara Schumann aurait sans doute échappé à son délire
dans ses déplacements à l'étranger comme un impré- final et au suicide. Mais il n'est pas sûr qu'il fût
sario. Il n'était alors qu'un compositeur peu connu, demeuré Schumann si sa fuite de l'inhibition avait
accompagnant l'interprète de renommée internatio- été tempérée.
nale. Ainsi, même dans l'amour exceptionnel qui le Que préférer? Schumann, tel qu'en lui-même... ou le
liait à sa femme, il continuait à être en inhibition de petit-bourgeois conforme qu'il serait alors devenu ?
l'action. Sa seule fuite fut sa création littéraire et musi- La seule raison d'être d'un être, c'est d'être. Mais il y a
cale. Claude Maupaumé me demanda pour conclure plusieurs façons d'être...
Il existe différentes sortes

d'agressivité, mais elle ont toutes


une finalité commune :

la destruction plus ou moins

complète du système auquel

elles s'attaquent. Dans ce tableau,

des pierres sont brandies,

mais on a l'impression

que les protagonistes hésitent LES AGRESSIVITÉS


encore sur la cible à atteindre.

A. Minghi (xvie siècle),


La Colère.
' agression peut se définir comme une quan-
Florence, Palazzo Vecchio.

L
tité d'énergie cinétique capable de réduire
plus ou moins complètement la structure
D a n s la compétition
d'un système, autrement dit d'accélérer sa tendance
entre Israéliens e t Palestiniens
à l'entropie. Cette structure est elle-même définie
pour la possession d'un territoire comme l'ensemble des relations existant entre les
permettant à ces derniers de vivre,
éléments d ' u n ensemble. L'agressivité est alors la
donc gratifiant, l'inefficacité
caractéristique d'un agent qui utiliserait cette énergie
de l'action des Palestiniens
contre un ensemble organisé.
sur l'opinion internationale
A partir de ces définitions, on s'aperçoit que l'agres-
a provoqué colère e t agressivité
sion n'a rien d'un concept unitaire, car les mécanismes
e t a conduit
qui se trouvent à l'origine d'une libération d'énergie
à la « bataille des pierres ». déstructurante sont variés. Ils ont d'ailleurs conduit

de nombreux auteurs à établir une liste des types


L agressivité prédatrice

répond au besoin alimentaire

de la survie,

mais ne s'accompagne

d'aucun sentiment de haine,

pas plus chez le guépard

poursuivant l'impala - antilope

africaine - que chez la ménagère

allant acheter un bifteck

chez le boucher.
d'agression les plus courants. Cependant cette liste
a été élaborée en distinguant les situations déclen-
chantes, mais sans préciser, le plus souvent, les méca-
nismes nerveux centraux mis en jeu. Reste donc à
établir les liens entre les situations environnementales
et le mécanisme de la réponse que leur oppose le
système nerveux. C'est à l'intérieur de ce cadre indis-
pensable qu'il sera possible de décrire les compor-
tements agressifs et leurs mécanismes d'apparition.

L'AGRESSIVITÉ PRÉDATRICE
N o u s ne sommes plus

L e comportement de prédation est un compor- dans le cadre de l'agressivité

tement agressif selon la définition qui vient prédatrice lorsqu'un discours

d'être proposée, puisqu'il aboutit à la disparition de la logique soutient l'action

structure de son objet, donc à l'augmentation de son et lui fournit un alibi. C'est le cas

entropie. Mais il a pour spécificité de répondre à un du loup de La Fontaine,

besoin fondamental, la faim, et il ne s'accompagne qui rend l'agneau responsable

généralement pas d'affectivité, car celle-ci est le résul- du comportement des bergers

tat d'un apprentissage de l'agréable et du désagréable, e t des chiens à son égard.

de l'utile et du dangereux. Or la lionne sautant sur Image d'Épinal, xixe siècle,

une gazelle pour la dépecer et s'en nourrir n'éprouve Le Loup e t l'Agneau,

aucun ressentiment, aucune haine et, repue, elle peut fable de La Fontaine.

fort bien, un peu plus tard, laisser les autres gazelles


venir se désaltérer au même point d ' e a u sans les
agresser. Ce comportement de consommation, que humain pour exprimer un apprentissage et couvrir
caractérise une agressivité prédatrice, ne paraît lié d'un discours logique son comportement agressif,
à l'affectivité que dans la m e s u r e où la pulsion, plein de haine pour «l'agneau, ses bergers et ses
qui provient d ' u n déséquilibre biologique interne, chiens ». Il s'agit manifestement cette fois de l'appren-
s ' a c c o m p a g n e d ' u n e sensation désagréable et où tissage d'un comportement agressif.
l'assouvissement met fin à cette sensation désagréable Mais l'homme, au lieu de limiter la prédation à sa
et s'accompagne d'un certain plaisir. Il n'en va sans faim, l'a utilisée pour fabriquer des marchandises et
doute pas de même p o u r le loup de la fable qui, établir sa dominance sur ses semblables, par le biais
poussé par le même besoin, a bénéficié du langage de la production de ces marchandises et de leur vente. 1
Dans nos sociétés contemporaines évoluées, l'agressi- d'objets gratifiants, c'est-à-dire un besoin acquis d'ori-
vité prédatrice motivée par la faim est en effet deve- gine socioculturelle. Enfin, l'agressivité prédatrice
nue exceptionnelle. Même pour les millions d'indi- s'exerce toujours sur un individu d'une autre espèce
vidus qui, chaque année encore, meurent de faim, ce que l'espèce concernée, jamais sur un animal de la
type d'agressivité n'est pas rentable, car il n'est plus même espèce. Si la faim peut encore exceptionnelle-
efficace face aux armes de ceux qui n'ont pas faim. On ment motiver les comportements humains d'agressi-
ne saurait confondre l'agressivité prédatrice avec un vité, le but n'est pas de manger l'autre, mais de lui
comportement de vol ou de délinquance qui a pour prendre son bien. Un discours logique vient alors
origine, dans la plupart des cas, un apprentissage fournir un alibi au comportement agressif offensif
comme au comportement agressif défensif. Cepen-
dant, dans nos sociétés évoluées, ce ne sont en fait pas
ceux, de plus en plus nombreux, qui ont faim qui se
montrent agressifs et entretiennent la délinquance.
L'agressivité prédatrice concerne aussi bien l'individu
que le groupe, et même les espèces : chacune d'elles
a ses prédateurs spécialisés d ' u n e autre espèce. La
compétition entre espèces exprimée dans cette agres-
sivité prédatrice semble sous-tendue par le besoin de
maintenir la structure individuelle grâce à l'alimen-
tation. Ce but étant mieux réalisé en groupe, l'indi-
v i d u accepte, parce qu'il y trouve son avantage,
d'entrer dans un système hiérarchique de dominance
et de se soumettre à une agressivité de compétition
qui maintient la cohésion du groupe.
L'agressivité prédatrice résulte, on s'en doute, de la
Pour parvenir à se nourrir, perturbation que connaît la colonie cellulaire où se
et donc à réaliser trouve situé un système nerveux lorsque, par manque
son activité prédatrice, de nourriture, les substrats assurant l'activité méta-
l'espèce humaine a su élaborer bolique des usines chimiques cellulaires viennent
des scénarios de plus en plus à manquer. Ces perturbations stimulent certaines
complexes et efficaces. régions de l'hypothalamus qui, à leur tour, déclen-
Loin de nous le chasseur chent l'activité motrice de la prédation, laquelle fait
préhistorique qui risquait parfois disparaître les perturbations. Lorsque l'animal appar-
sa vie en luttant tient à une espèce possédant un système limbique qui
contre des bêtes sauvages : lui permet de faire l'apprentissage de la stratégie à
le supermarché a supplanté mettre en jeu pour la satisfaction du besoin, il ajoute
la savane, nous nous alimentons à l'activité stéréotypée déclenchée par l'hypothalamus
facilement et en toute sécurité. l'expérience beaucoup plus complexe des succès et
Gérard Fromanger (né en 1939), des échecs consécutifs à ses essais antérieurs. Enfin,
Chez le boucher, 1974, seule l'espèce humaine est capable d'imaginer des
dans la série Le désir est partout. moyens de plus en plus complexes et efficaces pour
Bruxelles, collection particulière. assurer la réalisation de son activité prédatrice, ce qui
lui p e r m e t de s'alimenter avec une sécurité plus
U n territoire vide

ne présenterait guère d'intérêt.

C'est parce qu'il contient

des objets et des êtres gratifiants

q u e les groupes humains e n t r e n t

en compétition, les uns t e n t a n t

de défendre ce que les autres

essaient de s'approprier.

Ce comportement, source

de toutes les guerres, est donc

bel e t bien acquis et non inné.

Paolo Uccello (1397-1475),

La Bataille de San Romano.

Florence, musée des Offices.

grande et de se défendre efficacement contre les bêtes La mise en relation du système nerveux avec des
sauvages. La transmission de l'expérience ne se fait objets ou des êtres au sein d'un espace ou d'un terri-
plus uniquement par mimétisme, mais par le langage, toire est à l'origine d'un renforcement lorsqu'elle
d'où son enrichissement de génération en génération, aboutit au maintien ou au rétablissement de l'équi-
par accumulation de l'information. libre biologique, à la gratification. Ce renforcement
peut donc être considéré comme un besoin acquis, à
L'AGRESSIVITÉ DE LA C O M P É T I T I O N même d'engendrer une pulsion et de motiver l'action
capable de le satisfaire. Si, dans le même espace, un
'est d'un tout autre type de compétition qu'il autre organisme acquiert la même pulsion et les
c s'agit là, au sein duquel on distingue la défense mêmes motivations pour les mêmes objets ou les
du territoire et l'agressivité intermâles. Pour com- mêmes êtres, il y a alors compétition entre les deux
prendre ce type d'agressivité, il faut tout d'abord organismes pour l'obtention de ces objets ou de ces
poser les bases du prétendu instinct de propriété. êtres gratifiants.
L'instinct de propriété n'est donc dans ce cas que Que la pulsion soit liée à une activité hormonale
l'acquisition de l'apprentissage de la gratification et paraît certain, car l'agressivité intermâles n'apparaît
du renforcement qui lui succède. On admet donc que chez la souris ou chez le rat qu'au moment de la
l'agressivité de défense du territoire est un compor- maturité sexuelle. La testostérone, hormone mâle,
tement acquis, et non inné, qui résulte de la compé- administrée à des souris castrées provoque en effet
tition avec un intrus pour la conservation d'objets et une augmentation considérable des combats entre
d'êtres gratifiants. mâles. De même, injectée à des souris immatures,
Quant à l'agression intermâles, bien que reposant sur elle augmente l'agressivité des mâles, mais non celle
un instinct sexuel qui dépend de l'état hormonal, elle des femelles. Les hormones mâles ou androgènes
fait également appel à l'agressivité de compétition, - surtout les testostérones - agissent sur les voies
dès lors qu'un autre individu de la même espèce nerveuses qui déclenchent le comportement agressif
intervient dans le même espace pour s'approprier chez le mâle, mais non chez la femelle ; elles favorisent
l'objet de la gratification, sexuelle ou autre. le développement de l'organisation de ces voies et
L a compétition intermâles

pour la possession d'une femelle

est f o r t e m e n t conditionnée

par la testostérone,

hormone mâle.

Mais il a été d é m o n t r é

q u e l'expérience sociale

antérieure et l'apprentissage

de règles hiérarchiques avaient

encore plus d'importance

que les hormones sexuelles

dans l'agressivité

e t l'établissement des dominances.

Combat entre springboks

(antilopes communes

en Afrique du Sud).

leur excitabilité, même en dehors de la compétition


pour les femelles. On a même pu « androgéniser » à
la naissance des souris femelles qui ont ensuite, au
vingt-cinquième jour, été « ovariectomisées », puis
isolées. A l'âge adulte, ces femelles, placées avec des
mâles, sont considérablement plus agressives qu'eux,
et le nombre de blessures qu'elles occasionnent, allant
parfois juqu'à la mort, est proportionnel à la dose de
propionate de testostérone injectée.
Cependant, des expériences sur les singes ont démon-
tré, après ablation des testicules avec ou sans théra-
peutique de remplacement par la testostérone, que
l'expérience sociale antérieure et l'apprentissage des
règles hiérarchiques avaient plus d'importance que les
hormones sexuelles dans l'agressivité et dans l'établis-
sement des dominances.
Ces mécanismes étudiés sur l'animal se retrouvent Ce qu'il est convenu d'appeler enseignement et édu-
intégralement chez l'homme. Cependant, on assiste cation consiste d'ailleurs à apprendre à l'enfant, puis à
chez ce dernier à l'institutionnalisation de la notion l'adolescent, à pénétrer le plus tôt possible dans un
de propriété et des moyens d'obtention de la domi- système de production et à acquérir les informations
nance. Son aptitude à créer une information capable, techniques qui le leur permettront. C'est la recherche
par le biais des machines, de fabriquer un maximum de la dominance par l'intermédiaire de l'acquisition
de marchandises en un minimum de temps est à l'ori- de cette information technique, base de toute promo-
gine de l'apparition d'une échelle hiérarchique établie tion sociale, qui motive l'enseignement.
sur le degré d'abstraction de l'information profession- La compétition intermâles, et maintenant inter-
nelle. La civilisation industrielle a donc permis aux femelles aussi, ne revêt plus l'aspect du comporte-
techniciens et bureaucrates d'acquérir la dominance. ment batailleur rencontré chez l'animal et qui persista
C'est le plus souvent ayant acquis une information technique élaborée ont
sous un discours pu en profiter et, grâce à une plus grande efficacité de
pseudo-humanitaire leurs armes, imposer leur dominance aux autres,
déculpabilisant que se maintiennent moins avancées techniquement. L'agressivité compé-
les structures titive passe aujourd'hui plus encore qu'hier par
de dominance, que ce soit l'intermédiaire de l'efficacité des armes et du nombre
à l'intérieur des groupes des brevets.
et des ethnies, ou entre groupes, Cette agressivité fondamentale, celle qui permet aux
ethnies et nations. dominants de conquérir et de conserver leur domi-
Lesethnies ayant acquis nance, est si bien ritualisée et institutionnalisée qu'elle
une information technique est devenue inapparente et a même pris l'aspect du
élaborée ont pu imposer bon droit, de la justice et de l'absence d'agressivité.
leur dominance aux autres, A tel point qu'elle se trouve à l'origine de professions
moins avancées techniquement. de foi humanistes, de pitié, de charité et de mansué-
Elles ont ainsi été à même tude, tout en stigmatisant les explosions brutales de
d'exploiter à bas prix violence de la part des dominés, contre lesquels on
leurs matières premières, et sont organise des guerres « justes » pour l'établissement
parfois allées jusqu'à d'un nouvel ordre international, celui qu'imposent
leur imposer leur religion. les nations dominantes et les mieux armées. Il faut
Missionnaire à Madagascar pourtant s'en souvenir, les transformations sociales
porté par des indigènes. les plus profondes des sociétés humaines n'ont pu
voir le jour que grâce à des révolutions qui ont ren-
versé les rôles et assuré la dominance aux anciens
longtemps chez l'homme. La bataille existe toujours, dominés. Devenus dominants, ceux-ci se sont empres-
tout aussi ritualisée et institutionnalisée, mais elle est sés d'établir les règles d'obtention de la dominance,
dorénavant abstraite. On peut en conclure que les de les institutionnaliser. Le discours législatif n'est
problèmes de production, de croissance, de pollution jamais que l'alibi logique d'une pulsion dominatrice
sont des problèmes d'agressivité compétitive camou- inconsciente, établissant les règles de la structure hié-
flés sous un discours pseudo-humanitaire déculpabi- rarchique d'une société. L'agressivité de compétition
lisant permettant de maintenir la structure de domi- conditionne dès lors, chez les dominés, l'agressivité
nance à l'intérieur des groupes et des ethnies, et entre d'inhibition comportementale ou d'angoisse, parfois
groupes, ethnies ou nations. La masse - les matières appelée agressivité d'irritation.
premières - et l'énergie ont toujours été à la dispo- Un livre de Jean-Michel Bessette, Sociologie du crime,
sition de l'espèce humaine, mais seules les ethnies montre que le langage intervient d'une façon fonda-
mentale dans l'agressivité individuelle, car il peut
avoir une action sur l'environnement social. Mais
l'auteur démontre surtout, par d'édifiantes études
statistiques officielles, que le crime est essentiellement
le fait des classes sociales les plus défavorisées,
celles dont la niche environnementale ne permet pas
d'apprendre à parler facilement. Pour lui, le geste
criminel est généralement en soi une parole de misère.
Ainsi, affirme-t-il, le « discours exerce non seulement
une fonction cathartique, mais il est aussi pôle d'inté-
gration. Il véhicule et distille les valeurs intégratrices
de la société, car la dramatisation des assises remplit
une fonction bien précise : rendre intelligible un
comportement aberrant, un comportement qui menace
l'ordre social et, par là même, régénérer les valeurs
sur lesquelles se fonde cet ordre social. » Et, plus loin :
«Des mécaniques verbales différentes régissent chez L e discours a une fonction

le personnel justicier et chez le prolétariat criminel des cathartique, et il permet

psychologies différentes. Les hommes ont la psycho- parfois de canaliser la violence.

logie du langage qu'ils apprennent mais cela n'est pas C'est un moyen d'agir,

l'affaire de la justice. » Ou encore : « Le criminel n'est- mais bien souvent insuffisant

et non entendu.
il pas, lui aussi, le spectre de ce jardin où l'homme est
appelé à vivre, jardin envahi par le béton de la raison Les « tags », par exemple,

techno-industrielle ? » Les conclusions des statistiques sont le plus souvent considérés

abondantes émanant d'organismes officiels que four- comme un acte de délinquance

nit Jean-Michel Bessette laissent peu de place à la parce que non conformes

discussion. Ainsi ce Narcisse qui parle plus ou moins à la raison commune de propriété.

bien et qui essaie de découvrir l'autre à travers Jean-Michel Bessette

le demande : « Le criminel
l'image idéale qu'il se fait de lui-même, ce Narcisse
qui trouvera d'autant plus facilement cet autre qu'il n'est-il pas le spectre de ce jardin

pourra traduire avec plus d'efficacité sous une forme où l'homme est appelé à vivre,

langagière son besoin d'être aimé par l'être gratifiant, envahi par le béton et la raison

techno-industrielle ? »
et qui cherchera à se l'approprier, à le conserver pour
lui, à le soustraire aux autres, ce Narcisse, même dans

Licence eden-338-533463-464VDHx10x01 accordée le 29 mai 2020 à


customer533463 Sergiu
D a n s le rapport sexuel,

la recherche de la dominance

fait appel au sexe bien sûr,

mais aussi à un c o m p o r t e m e n t

situé au niveau de l'organisation

de la société : elle pousse

à rechercher un statut social

privilégié pour se valoriser

par rapport à l'autre.

Anonyme du xvie siècle,

La Femme entre les deux âges.

Aix-en-Provence, musée Granet.

le rapport le plus simple, le rapport sexuel, va s'expri-


mer effectivement par la recherche de la dominance,
de façon différente selon qu'il sera homme ou femme.
Et parfois, la quête de cette dominance entre deux
individus - ou dominance diadique - pousse à recher-
cher un statut social hiérarchique privilégié. Dans ce
cas, la volonté d'imposer sa dominance au plus grand
nombre d'individus vient avant tout du besoin de se
rendre intéressant aux yeux de l'autre. La motivation
première se trouve donc au niveau de la diade, mais
elle aboutit à un comportement situé au niveau de
l'organisation de la société. La quête de la dominance
opère, on le voit, à partir de facteurs extrêmement
nombreux, parmi lesquels le sexe et l'âge ont leur
importance. En effet, ces facteurs varient avec la moti- formation de groupes et finalement l'occultation de
vation à l'assouvissement du besoin, et l'on sait l'inté- l'angoisse résultant de la solitude et de l'inhibition de
rêt porté à l'objet sexuel dans toutes les classes de l'action : ambiguïté de ce qui n'est qu'un moyen rela-
notre société industrielle. Parmi ces motivations, il en tionnel pouvant servir aussi bien au meurtre, qu'il
est une autre d'importance : la motivation à l'assou- motive ou qu'il excuse, qu'à la délivrance en apaisant
vissement des envies créées par la publicité et par la notre solitude.
constatation du plaisir que les autres éprouvent à uti-
liser l'objet convoité. On ne peut sous-estimer la part L'AGRESSIVITÉ DÉFENSIVE
prise par la publicité lorsque s'exerce la violence pour

L
se procurer des objets que le statut économique ne 'agressivité défensive est provoquée par un
permet pas d'obtenir en se soumettant aux lois du stimulus nociceptif, douloureux, lorsque la fuite
monde marchand. Monde qui ne maintient d'ailleurs ou l'échappement sont impossibles. Reste alors la
ses échelons hiérarchiques de dominance, à tous les lutte, qui peut encore réaliser la destruction de l'agent
niveaux d'organisation, qu'en créant des besoins qui nociceptif. Ce comportement inné, qui met en jeu le
sont eux-mêmes nécessaires à l'accroissement de la faisceau de la punition (PVS), peut être orienté vers
production marchande. un objet, un individu d'une autre espèce ou un indi-
Enfin, il me semble que si le meurtre n'existe pas chez vidu de la même espèce. Cette agression répond à
l'animal, c'est parce que celui-ci ne parle pas. Cette l'agression du milieu, quel qu'en soit l'agent respon-
opinion, contrairement aux apparences, ne contredit sable. Si elle est récompensée, et uniquement dans ce
pas celle de Jean-Michel Bessette, car en réalité le rôle cas, l'agressivité défensive devient un comportement
du langage change en changeant de niveau d'organi- appris, faisant appel à un processus de mémoire, mais
sation. Chez les humains, les guerres et les génocides elle reste toujours liée à un stimulus du milieu.
sont toujours couverts par un discours logique, un Il est souvent difficile de distinguer clairement ce type
alibi langagier, une idéologie qui motivent et excusent d'agressivité des agressivités compétitives qui, elles,
les pulsions inconscientes de recherche de la domi- rappelons-le, sont acquises. En effet, le stimulus dou-
nance. Je crois biologiquement impossible l'instinct de loureux provoquant l'agressivité défensive peut pro-
mort freudien, qui n'a sans doute été invoqué que venir d ' u n individu entrant en compétition pour
pour faire pendant à l'éros, en un douteux système l'obtention d'un objet ou d ' u n être gratifiant. Chez
d'équilibre. Il me semble que cet instinct de mort n'est l'animal également, il est difficile de discerner si le
en fait pas u n instinct, mais qu'il provient, chez comportement mis en jeu est inné ou acquis. On peut
l'homme, de l'apprentissage de l'emploi du langage toutefois identifier expérimentalement son agressivité
qui façonne l'inconscient et fournit la justification défensive par la stimulation électrique de certaines
au crime « juste », mais qui représente aussi un moyen aires cérébrales. Il s'agit alors d ' u n comportement
de vivre, p u i s q u ' i l p e r m e t la c o m m u n i c a t i o n , la inné mis en jeu par la douleur.
Quand un stimulus douloureux
n'est plus supportable,
si la fuite est impossible,
reste l'agressivité défensive.
La lutte peut alors être libératrice,
puisqu'elle parvient parfois
à faire disparaître
le facteur d'origine de la douleur.
Édouard A. Renard (1802-1857),
La Rébellion d'un esclave
sur un navire négrier.
La Rochelle,
musée du Nouveau Monde.
Pour montrer la difficulté fréquente de distinguer petits de mère non tueuse, regarder leur mère adop-
un comportement inné d ' u n comportement acquis, tive tuer une souris améliora leur performance, mais
y compris en ce qui concerne l'agressivité défensive, ne fut pas nécessaire à leur initiation. Alors que les
V. Flandera et V. Novaka ont isolé, en 1974, deux petits nés de mère tueuse ne montrèrent leur compor-
lignées de rats, les uns tueurs de souris, les autres non tement agressif qu'au quatre-vingt-dixième jour. Cette
tueurs. Les petits de chaque type de mère furent expérience met en évidence l'importance du compor-
échangés à la naissance. Or ils d é v e l o p p è r e n t le tement maternel dans le contrôle et l'apprentissage de
comportement de leur mère adoptive et non celui de celui de sa progéniture.
leur mère biologique, bien qu'ils n'aient pas été mis en En résumé, s'il existe bien chez l'animal un ensemble
présence de souris avant leur trentième jour. Pour les d'aires et de voies nerveuses centrales dont l'existence

est innée et qui fait partie d'un capital génétique, aires


et voies centrales que l'on peut stimuler directement
Biologie de l'agressivité défensive
pour voir apparaître un comportement d'agressivité
défensive, il semble que ce comportement ne puisse
L es expériences menées
en laboratoire pour
stimule alors par contrôle à
distance les points précédem- être mis en jeu que chez l'animal blessé. La douleur
identifier l'agressivité défen- ment isolés, et l'on constate
sive chez un animal se font que les seuls points entraînant est alors le facteur primaire de cette mise en jeu, mais
par stimulation électrique de un comportement agressif cette d e r n i è r e semble é g a l e m e n t d é p e n d r e d ' u n
certaines aires cérébrales. sont ceux où l'autostimula-
Celles qui stimulent les struc- tion provoquait antérieure-
apprentissage et donc nécessiter un processus de
tures du faisceau de la récom- ment une punition. En outre, mémoire : mémoire de la punition et de l'ensemble
pense (MFB) provoquent le ce comportement agressif ne
environnemental qui l'accompagnait. Cette possibilité
renforcement, alors que celles se p r o d u i t qu'à l'égard des
qui stimulent les structures singes sur lesquels les ani- d'utiliser l'apprentissage de l'animal et de faire appel
du faisceau de la punition maux stimulés exercent une
situation de dominance. Ce
à sa m é m o i r e p e r m e t de c o m p r e n d r e c o m m e n t
(PVS) entraînent une agressi-
vité défensive quand la fuite qui semble vouloir dire que l'homme a pu, au début du néolithique, élever de
est impossible. En 1971, R. l'animal dominant n'attaque
jeunes animaux sauvages et en faire des animaux
Plotnik et ses collaborateurs que lorsqu'il est frustré, et
ont implanté des électrodes que l ' a p p r e n t i s s a g e de la domestiques, comment il est parvenu à changer des
sur des singes et leur ont s i t u a t i o n h i é r a r c h i q u e est loups en chiens domestiques.
donné la possibilité de se sti- aussi important que les cir-
muler eux-mêmes. Il a ainsi cuits fondamentaux. En 1962, L'agressivité défensive provoquée par un stimulus
été possible de préciser les Kenneth Evan Moyer avait douloureux est relativement rare chez l'homme. En
régions où la stimulation était déjà qualifié de «comporte-
renforcée parce que perçue ment d'agression instrumen-
revanche, le deuxième «système de signalisation»
comme positive, ou évitée tale» les cas où la réponse suivant l'expression pavlovienne, autrement dit le
parce que constituant une agressive était facilitée dans
langage, est peut-être un stimulus qui met en jeu le
punition. Lorsque ces ani- une situation compétitive et
maux sont placés en situation subissait un renforcement système inné de défense, à condition d'avoir fait
libre et en groupe, ils s'orga- positif d u fait qu'elle était
l'apprentissage de la sémantique qu'il véhicule :
nisent hiérarchiquement. On récompensée.
l'injure. D ' a u t r e part, il i m p l i q u e également u n
apprentissage culturel de valeurs à usage purement
sociologique, telles que celles de la virilité, du cou-
Q u a n d la fuite rage, des différents types d'honneur, comme celui du
ne peut aboutir qu'à la mort, gangster ou celui de l'honnête homme. Il suppose
le combat devient obligatoire, enfin l'apprentissage du mérite et de la discipline : le
malgré l'incertitude premier, respecté, est récompensé par la structure
de son dénouement. Ce soldat sociale de dominance, la seconde, non respectée,
qui débarque en Normandie entraîne la punition.
au petit matin, le 6 juin 1944, L'agressivité déclenchée par la peur - fear aggression -
est bien conscient du danger peut être rapprochée de l'agressivité défensive, mais
de la situation. Mais ici, la fuite elle implique un apprentissage préalable de la puni-
est impossible, et l'inhibition tion. La peur nécessite la connaissance de l'existence
de l'action conduirait, à coup sûr, de stimuli désagréables, et la connaissance du fait
à la mort. Il ne reste donc qu'en présence de l'un d'eux, antérieurement réper-
plus qu'une solution : la lutte. torié comme tel, la fuite ou la lutte permettent l'évi-
Photo de Robert Capa. tement. L'agressivité résulte alors de l'impossibilité
de fuir l'agent agresseur.
Dans certains cas, où l'apprentissage de l'existence se développe lorsque l'animal, après avoir été isolé,
d'événements nociceptifs a également déjà été fait, est replacé en situation sociale. Pendant la période
l'étrangeté d'un événement ne permet pas de déter- d'isolement, il lui était facile de contrôler son terri-
miner s'il sera douloureux, neutre ou gratifiant. Il en toire. On pourrait donc penser qu'une fois l'animal
résulte une inhibition de l'action qui s'accompagne replacé dans un espace socialisé, son agressivité se
d'un sentiment non plus de peur, mais d'angoisse. révèle être une agressivité de compétition. Mais on a
Si l'agressivité a été récompensée dans des cas pu observer qu'une souris vaincue au cours d'une
analogues, il se peut qu'elle soit alors utilisée préven- agressivité de compétition a tendance à retrouver un
tivement. comportement agressif après l'isolement ; or, après
L'agressivité résultant de l'isolement peut également son échec précédent, ce n o u v e a u c o m p o r t e m e n t
être rapprochée de l'agressivité défensive. Elle agressif ne saurait être une agressivité de compétition.
lante et, sur le plan endocrinien, la libération de gluco-
corticoïdes qui eux-mêmes stimulent le système inhi-
biteur de l'action. Or, en situation d'inhibition de
l'action, situation qui ne peut se résoudre que par
l'action gratifiante, on assiste parfois à des explosions
d'agressivité ou à des dépressions. En effet, en pareille
situation, un stimulus surajouté qui normalement
Lorsque l'angoisse monte n'aurait pas entraîné d'agressivité peut transformer
et qu'aucune issue de secours l'ensemble du comportement. On suppose que le PVS
n'est en vue, elle trouve parfois est alors mis en jeu. L'explosion agressive est une
sa résolution dans l'explosion réponse motrice inopinée à l'angoisse ; elle ne répond
agressive. Cette dernière pas aux facteurs qui ont provoqué cette angoisse, mais
permet de mettre fin permet d'abandonner l'inhibition de l'action pour une
à une inhibition de l'action activité motrice, même inefficace. En 1967, J. P. Flynn
devenue insupportable, a proposé u n modèle fort semblable d u compor-
mais elle est totalement inefficace tement d'irritabilité.
et peut même se révéler L'inhibition de l'action est un comportement acquis,
dangereuse. puisqu'elle réclame l'apprentissage de l'inefficacité
A. Bal, Le Fou, vers 1900. de l'action. L'agressivité d'inhibition ou d'irritabilité
Paris, est donc une agressivité d'apprentissage, et non un
bibliothèque des Arts décoratifs. comportement inné.
On a p u o b s e r v e r que les criminels ont u n trait
commun : leur manque d'autonomie, leur dépendance,
L'AGRESSIVITÉ D'ANGOISSE tandis que les délinquants se caractérisent par leur
ET D'IRRITABILITÉ sentiment d'insécurité, leur crainte de la dépendance,
le fait qu'ils sont socialement et psychologiquement
ous avons vu précédemment que lorsque la des dominés.

gratification n'est pas obtenue, lorsque ni la Deux facteurs peuvent favoriser l'explosion d'agres-
fuite ni la lutte ne peuvent s'opposer à l'agression, un sivité. Le premier est la toxicomanie, surtout alcoo-
comportement d'inhibition motrice survient : la pour- lique, qui, dans la majorité des cas, est à l'origine de la
suite de la lutte risquant d'aboutir à la mort, la défaite violence. Mais cet alcoolisme est lui-même la consé-
est encore préférable. Mais elle entraîne la mise en jeu quence d'une tentative d'occultation de l'angoisse.
d'un cercle vicieux avec, sur le plan végétatif, une Comme la violence, et d'ailleurs de façon complémen-
augmentation importante de la noradrénaline circu- taire, la toxicomanie est une fuite de la sensation
pénible résultant de l'inhibition de l'action gratifiante.
Le second facteur provient de l'absence d'interlo-
cuteur auquel parler de son angoisse, car le langage
aurait alors déjà constitué un moyen d'action.
Quant au comportement suicidaire, il s'agit d ' u n
comportement d'angoisse et d'inhibition de l'action
dans lequel l'agressivité se tourne vers le seul objet
e n v e r s l e q u e l la s o c i o c u l t u r e ne p e u t i n t e r d i r e
l'action : le sujet lui-même. Ainsi la toxicomanie pour-
rait être un comportement intermédiaire dans lequel
l'individu fuit l'inhibition due à la socioculture et

dirige l'agressivité contre lui-même.


Enfin, tout ce que nous venons d'observer au niveau
de l'individu peut également être constaté au niveau
de l'organisation des groupes sociaux. La guerre P a r m i les comportements

est-elle autre chose que l'affrontement de deux struc- d'agressivité dus à l'angoisse

tures fermées en vue d'établir leur dominance, cette ou à l'irritabilité, le suicide

dernière étant nécessaire à leur approvisionnement est un acte par lequel l'individu

énergétique et matériel, et en conséquence au main- met fin à l'inhibition de l'action

tien de leur structure? Mais comme la structure de en retournant son agressivité

tous les groupes sociaux a toujours été, jusqu'à pré- contre le seul sujet envers lequel

sent, une structure hiérarchique de dominance, on la socioculture ne peut interdire

peut en déduire que la guerre, quelles qu'en soient l'action : lui-même.

les causes politiques, économiques et énergétiques Le hara-kiri, ou plus exactement,

apparentes, a toujours eu pour but de maintenir cette e t comme les Japonais

structure de dominance spécifique de chaque groupe préfèrent le nommer, le seppuku,

en lutte. Le langage, par le biais de la propagande, est un mode de suicide

fait croire à chaque élément du groupe en guerre qu'il bien particulier, ritualisé,

défend son propre territoire avec les objets et les êtres choisi le plus souvent

qui s'y trouvent alors que, bien souvent, ce n'est pour sauvegarder l'honneur.

que la structure hiérarchique de dominance qui est Hara-Kiri, estampe japonaise

protégée et défendue. du xixe siècle. Paris,

Il semble donc que, l'agressivité prédatrice exceptée, bibliothèque des Arts décoratifs.

dont on se demande même si elle doit être conservée


C o m m e n t é v i t e r la v i o l e n c e ,

q u ' a u c u n discours h u m a n i s t e

n ' a j u s q u ' à p r é s e n t réussi

à éliminer? Peut-être

en cessant de récompenser

systématiquement

les c o m p o r t e m e n t s les p l u s

a g r e s s i f s e t les p l u s i n c o n s c i e n t s .

A force de favoriser toujours

le d r o i t d u p l u s f o r t , n o s s o c i é t é s

finissent par avoir leur poids

d e responsabilité

d a n s les e x p l o s i o n s d e v i o l e n c e

q u i o n t lieu p a r t o u t

d a n s le m o n d e .

S c è n e d e v i o l e n c e a u Chili.

dans le cadre des c o m p o r t e m e n t s agressifs chez les sciences dites humaines ne tiendront pas compte
l'homme, tous les types de comportement agressif de la propriété fondamentale du cerveau humain de
sont soit le résultat d'un apprentissage et par consé- créer de l'information et d'utiliser celle-ci comme

quent susceptibles d'être transformés par la socio- moyen d'établissement de la dominance entre indi-
culture, soit une réponse élémentaire à un stimulus vidus aussi bien qu'entre groupes ou entre nations, il
douloureux. est peu probable qu'une évolution puisse survenir.
L'agressivité de compétition paraît bien être le type le Une société qui se veut d'abondance et qui prétend
plus fréquemment rencontré. Et aussi longtemps que avoir oublié la pénurie devrait être capable d ' u n e
répartition planétaire équitable des biens et des êtres. violence, de l'exploitation de l'homme par l'homme,
Elle devrait être à même de ne plus camoufler sous un des guerres et des génocides, que les meilleurs dis-
discours humaniste le droit du plus fort. Commençant cours humanistes n'ont jamais réussi à éliminer.
à comprendre le mécanisme de ses motivations les Jusqu'ici, l'humanisme a le plus souvent été celui de
plus archaïques, elle devrait enfin pouvoir les dépas- groupes prédateurs, dominants et sûrs de leur bon
ser, sans contribuer à récompenser les plus agressifs droit, et non un humanisme valable pour l'espèce
et les plus inconscients. Ce serait le seul moyen d'évi- humaine tout entière. Tout acte réalisé en faveur d'un

ter, au cours des millénaires, la reproduction de la groupe ne peut être qualifié d'« humain ».
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TJ homme fait partie

intégrante de l'environnement,

il est une partie de la faune,

elle-même intégrée à la flore.

Lorsque revient le printemps,

l'homme se fond dans la nature, D U PHYSIOLOGIQUE


l'un et l'autre renaissent.

Nicolas Poussin (1594-1665), AU PATHOLOGIQUE


Le Printemps, détail.

Paris, musée du Louvre.

orsqu'une source énergétique - énergie

L
Couvrirait-on la planète mécanique, thermique, radiante, chimique,
de gazon, si l'on m'interdit etc. -, située dans l'environnement d'un
de m'y coucher organisme, entre en relation avec cet organisme et, en
par un bel après-midi d'été, agissant directement sur lui, provoque une perte par-
la qualité de ma vie n'en sera pas tielle ou totale de sa structure, cela se traduit par
améliorée pour autant. l'apparition de lésions qui affectent l'organisme de
L'environnement humain façon plus ou moins étendue. Il s'agit d'un état patho-
est d'abord fait logique. Le rôle du thérapeute à l'égard de la lésion
des autres hommes est alors assez simple : il doit en assurer ou en faciliter
et des relations s'établissant la réparation.
entre eux. Mais à côté de la ou des lésions existent aussi des
Bois de Vincennes, août 1974. réactions neuroendocriniennes, réactions aiguës à
une agression elle-même brutale et passagère. Elles
appellent des traitements intensifs, soit généraux, qu'une pathologie fort éloignée de ce qu'il est généra-
comme celui des états de choc, soit locaux, comme lement convenu d'englober sous le terme de psycho-
celui des processus inflammatoires par exemple. somatique risque d'en résulter.
Cependant ces syndromes aigus ne se présentent
pas de la même façon suivant l'histoire antérieure, i l paraît évident qu'il ne suffit pas d'un
nerveuse en particulier, de l'organisme qui les subit : contact avec un microbe, un virus ou un irritant local
la pathologie réactionnelle aiguë à une lésion elle- chroniquement subi pour développer une infection ou
même brutale et soudaine dépend aussi de ce qu'il une tumeur. On a trop focalisé sur ces facteurs exté-
est convenu d'appeler le terrain, c'est-à-dire l'état de rieurs et pas assez sur le sujet, sur son histoire passée
la dynamique métabolique tissulaire du moment. et présente, sur ses rapports avec son environnement.
Cette dynamique elle-même dépend de toute l'his- La toxicité de ces facteurs varie probablement avec
toire antérieure du sujet, c'est-à-dire de l'histoire de le contexte et le statut social de l'individu qu'ils attei-
ses rapports avec ses environnements, de sa mémoire gnent. Ainsi, les schizophrènes parvenus au stade de
inconsciente. Or cette histoire, qui est à la fois ner- la démence, isolés du contexte social par leur folie,
veuse, endocrinienne et métabolique, domine toute sont parmi les populations les moins atteintes par les
la physiopathologie aiguë ou chronique. Autant dire, affections cancéreuses, infectieuses et psychosoma-
de façon peut-être schématique et cependant fon- tiques ; la thérapeutique des tumeurs s'oriente de plus
damentalement exacte, que la physiopathologie se en plus vers la stimulation des défenses immunitaires.
trouve dominée par les processus de mémoire et par C'est toute la pathologie qui dépend sans doute des
leurs conséquences sur le comportement à l'égard comportements individuels en situation sociale, et pas
du milieu. uniquement les maladies psychiques et psychosoma-
tiques. On peut ainsi, sans crainte d'erreur, émettre
C e s processus mettent en jeu à la fois l'opinion selon laquelle les critères d'appréciation du
la mémoire génétique, la mémoire immunitaire et normal et du pathologique se recueilleront à plusieurs
surtout la mémoire nerveuse : c'est en effet cette der- niveaux d'organisation.
nière qui mobilise le système inhibiteur de l'action Sera considéré comme organiquement normal l'indi-
qui, à son tour, mobilise le système neuroendocrinien vidu conforme au «mode» d'une courbe de Gauss
de la réaction d'alarme; et celle-ci s'auto-entretient - courbe en cloche exprimant la densité de probabilité
aussi longtemps que l'action gratifiante ne vient pas d'une variable - sur laquelle s'inscrivent tous les
interrompre le cercle vicieux. Or, nous avons vu le phénomènes et valeurs biologiques. Un individu sera
rôle des glucocorticoïdes sur le système immunitaire ainsi déclaré diabétique, urémique, hyperthermique,
et ses conséquences sur les systèmes de défense de etc., qu'il présente ou non une lésion organique, s'il
l'organisme, qui sont avant tout des systèmes de ne s'inscrit pas dans la moyenne de la courbe. Sera
mémoire immunitaire. Nous pouvons en déduire considéré comme psychiquement normal l'individu
c o n f o r m e au m o d e d ' u n e c o u r b e de G a u s s sur rant son environnement, l'autre à agir sur l'environne-
laquelle s'inscrivent les comportements humains dans ment en imaginant que cela suffira à résoudre tous les
une société donnée, suivant l'époque et l'échelle de problèmes organiques. Il serait ainsi sans doute préfé-
valeurs qu'elle a historiquement établies. rable, pour traiter un ulcère de l'estomac par exemple,
Dans ces deux cas, il est rarement envisagé de préciser d'éloigner la belle-mère plutôt que de pratiquer une
le pourquoi ou le comment de l'anormalité, car à ce gastrectomie qui ne changera rien au facteur environ-
niveau on ne peut considérer l'individu isolé de son nemental ! C'est le reproche que l'on peut faire à toute
contexte socioculturel. La thérapeutique s'est donc thérapeutique qui se contente de soigner la lésion sans
g é n é r a l e m e n t limitée à agir sur l ' i n d i v i d u p o u r jamais s'intéresser au facteur psychosocial qui se
le rendre conforme, pour le contraindre à suivre un trouve à l'origine de l'affection. Mais inversement,
règlement de m a n œ u v r e établi par les dominants, croire qu'il suffit de supprimer le pouvoir médical ou
mais rarement sur l'environnement, pour permettre à de retourner à la socioculture paléolithique pour voir
l'individu d'être lui-même. disparaître les maladies serait un comportement
Il en résulte que, s'il existe bien une thérapeutique enfantin, ignorant les mécanismes de fonctionnement
d'urgence à court terme parant au plus pressé, il des organismes qui en sont atteints, en particulier les
devrait surtout exister une thérapeutique à long terme mécanismes du fonctionnement du système nerveux.
tendant à établir de nouveaux rapports entre indivi- Ceux-là mêmes qui émettent pareille opinion se
dus, de nouvelles structures sociales qui permettent sont-ils posé la question de savoir quelles sont leurs
de limiter les dégâts de l'inhibition de l'action en propres motivations inconscientes ?
agissant sur ses causes plus que sur ses mécanismes
Voi
nerveux centraux, comme le font les drogues psycho- V oilà plus de trente ans que je m'efforce
tropes. Celles-ci ne peuvent offrir qu'une thérapeu- de réagir contre cette dichotomie : l'homme d'une
tique de replâtrage, un pansement psychosomatique. part, l'environnement de l'autre. L'homme fait partie
Leur avenir est d ' a u t a n t plus limité à long terme intégrante de l'environnement. Depuis quelques
qu'elles ne font que réintroduire dans le système un années, la notion d'environnement est à la mode. Des
individu qui, sans drogues, ne serait d'aucune renta- ministères ont été créés, mais toujours dans la même
bilité pour la production, et qui aura généralement vision dichotomique. On parle de qualité de la vie,
perdu ses motivations fondamentales, c'est-à-dire sa celle-ci étant liée essentiellement à l'importance des
joie de vivre. espaces verts et d'une moindre pollution, obtenue
grâce à une autre croissance dont on ne précise jamais
L e manichéisme qui caractérise la majo- les caractéristiques. Mais couvrirait-on la planète de
rité des conduites humaines ne permet d'envisager gazon, si l'on m'interdit de m'y coucher par un bel
jusqu'ici que deux conduites à l'égard de la maladie : après-midi d'été, la qualité de ma vie n'en sera pas
l'une consiste à agir sur l'organisme malade en igno- améliorée pour autant. Ce qui veut dire que l'environ-
nement humain est d'abord représenté par les autres qu'il ne possède rien, et, suivant son comportement,
hommes et que l'écologie humaine est avant tout une il lui sera délivré l'étiquette qui décidera de son
socio-économie politique. Pour un individu, être nor- internement, carcéral ou psychiatrique. Là est consi-
mal, c'est d'abord l'être par rapport à soi-même et non déré comme anormal celui qui ne peut se soumettre
suivant des règles comportementales imposées par au conformisme idéologique qui règle les rapports
une structure hiérarchique de dominance. L'honnête socio-économiques, et son internement, carcéral
citoyen sur la tombe duquel on peut lire «bon fils, ou psychiatrique, sera la conséquence de sa dévia-
bon époux, bon père, bon citoyen, priez pour lui » a tion par rapport à cette autre norme sociocultu-
pu être considéré comme parfaitement normal. Il n'en relle. Mais dans tous les cas, cette norme est impo-
est pas moins mort « anormalement », d'une maladie sée par une structure hiérarchique de dominance
de l'inhibition comportementale le plus souvent. qui décide si un comportement peut être considéré
c o m m e n o r m a l ou p a t h o l o g i q u e s u i v a n t u n e
o u t e d i c h o t o m i e e n t r e l ' h o m m e et échelle de valeurs qu'elle considère comme seule
son environnement, entre le psychique et le soma- valable.

tique, paraît ressortir d'une préhistoire de la biolo-


gie, é p o q u e où la t h e r m o d y n a m i q u e dominait la n résumé, il n'est peut-être pas inexact
recherche scientifique dans l'ignorance de la notion de dire que le malade mental, comme l'ulcéreux ou
d'information. Nous avons vu que l'homme est un l'hypertendu, existe bien si l'on admet la base maté-
élément d ' u n système complexe, constitué d'indivi- rielle, protéique, moléculaire de la mémoire, mais c'est
dus et organisé en structures sociales. Il serait pré- le mécanisme d'établissement de la lésion, qui n'est
somptueux de penser que l'on peut agir sur ces indi- lésion que parce qu'elle réalise une structure non
v i d u s en a g i s s a n t s i m p l e m e n t sur le s y s t è m e conforme à la structure courante, qui présente le plus
complexe qui les réunit, alors que l'organisation de ce grand intérêt.
dernier dépend de la structure fonctionnelle, en parti- La lésion ulcéreuse gastrique rend un estomac ineffi-
culier nerveuse centrale, des individus qui le consti- cace dans la réalisation de sa fonction. La lésion psy-
tuent ; mais il serait tout aussi inefficace d'agir sur ces chotique rend-elle un comportement inefficace dans
individus en ignorant l'organisation du système qui la réalisation de la fonction comportementale? Oui,
les englobe. Le « dedans » d'un individu ne devient si cette fonction est considérée comme assurant la

ainsi qu'un lieu de passage de l'environnement, lieu relation avec l'environnement social et ses règlements
de passage spécifiquement structuré, au sein duquel institutionalisés. Non, si cette fonction a pour finalité
cet environnement parfois se fixe et sommeille, pour première le maintien de la structure d'ensemble de
en ressortir transformé dans l'action. l'organisme et non pas sa conformité à l'ensemble
Ici est considéré c o m m e a n o r m a l l ' i n d i v i d u qui socioculturel environnant et au maintien de la struc-

ne peut se soumettre à la notion de propriété parce ture de dominance de celui-ci.


CONCLUSION

epuis Paul Dirac, on admet que le vide est rempli de particules et d'antipar-

1) ticules, d'électrons et de positons par exemple, qui s'annihileront en libé-


rant, avec la disparition de la matière, l'énergie de masse ; on sait en effet
depuis Einstein que E = MC2. Le vide est donc plein de particules dites « virtuelles », de
photons - sans masse -, de neutrinos, etc. De même, dans les noyaux atomiques,
constitués de protons et de neutrons, les quarks sont mis en relation par des particules
vectrices sans masse, les gluons.
Ainsi, un organisme que l'on peut voir et toucher n'est en réalité qu'un grand vide au
sein duquel sont réparties quelques particules ayant une masse, celles que nous tou-
chons. Il semble que la biologie ne se soit intéressée jusqu'ici qu'à une infime partie du
monde du vivant, celle qui est décrite dans la physique et dans la chimie atomique et
moléculaire. Et si l'important ne se trouvait pas dans ces grains de matière, mais dans
le vide énergétique qui les entoure ? Dans ce cas, comment le biologiste peut-il appré-
hender ce vide, découvrir son rôle dans l'ensemble? On commence à deviner, à la
lumière de la physique contemporaine, comment le niveau d'organisation matériel que
l'on observe se relie à ce niveau fondamental par l'intermédiaire de toutes les particules
vectrices, sans masse ; comment l'électron, qui ordonne toute la chimie organique et
l'association des atomes en molécules, est en rapport avec les nucléons par un espace
qui n'est pas vide, mais rempli de photons et de particules virtuelles en perpétuel mou-
vement. Si l'on essaie de raisonner par niveaux d'organisation, quel niveau englobe
l'autre? Le niveau des particules de matière, les fermions, n'englobe sans doute pas
celui du vide quantique, mais paraît résulter de l'organisation de ce dernier. Devons-
nous considérer de la même façon l'inobservable et l'observé? A priori, j'aurais ten-
dance à croire que ces grains de matière constituent un nouveau niveau d'organisation,
qui pourrait ne pas se révéler, mais nous rendrait alors le monde inobservable puisque
nous ne serions pas là pour le voir...
Quelle part le vide quantique qui constitue la majeure partie de nous-mêmes peut-il
prendre dans les comportements ? Le siècle à venir l'apprendra peut-être à nos descen-
dants, lorsque les automatismes conceptuels de la biologie contemporaine auront été
dépassés.
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tique. Masson, 1965.
*Biologie et Structure, coll. «Idées », Gallimard, 1968, et coll. « Folio/Essais », Galli-
mard, 1987.
*L'Homme imaginant. Essai de biologie politique, coll. « 10-18 », Union générale d'éditions,
1970.
Neurophysiologie. Aspects métaboliques et pharmacologiques, Masson, 1969.
Les Comportements. Biologie, physiologie, pharmacologie, Masson, 1973.
*Société informationnelle. Idées pour l'autogestion, coll. « Objectifs », Éditions du Cerf, 1973.
*L'Agressivité détournée. Introduction à une biologie du comportement social, coll. « 10-18 »,
Union générale d'éditions, 1971
*Éloge de la fuite, R. Laffont, 1976, et coll. « Folio/Essais », Gallimard, 1985.
L'Homme et la Ville, Flammarion, 1971, et coll. « Champs », Flammarion 1977.
* La Nouvelle Grille, coll. «Libertés», R. Laffont, 1974, coll. «Idées», Gallimard, 1982,
et coll. « Folio/Essais », Gallimard, 1985.
* Discours sans méthode, en collaboration avec F. Jeanson, Stock, 1978.
L'Inhibition de l'action. Biologie, physiologie, psychologie, sociologie, Masson et Presses
universitaires de Montréal, 1979.
* Copernic n'y a pas changé grand-chose, R. Laffont, 1980.
* L'Alchimie de la découverte, en collaboration avec Fabrice Rouleau, Grasset, 1982.
*La Colombe assassinée, Grasset, 1983.
L'Inhibition de l'action. Biologie comportementale et Psysiopathologie, 2e éd., Masson
et Presses universitaires de Montréal, 1986.
* Dieu ne joue pas aux dés, Grasset, 1987, et « Le Livre de Poche », LGF, 1994.
* La Vie antérieure, Grasset, 1989, et « Le Livre de Poche », LGF, 1991.
Les récepteurs centraux et la transduction des signaux, Masson, 1990.
* L'Esprit du grenier, Grasset et Editions de l'Homme (Montréal), 1992.
* Étoiles et Molécules, en collaboration avec Elisabeth Teissier, Grasset, 1992.

Les titres précédés d'un * sont des ouvrages destinés à un large public.
TABLE DES MATIÈRES

Introduction 7

Première partie - LE SYSTÈME NERVEUX 17


Cybernétique et biologie 19
Structure et ensemble régulé 20
Niveaux d'organisation et servomécanismes 24
L'information circulante 34

Structure générale du système nerveux 39


Les neurones 41
Il était une fois les reptiles 49
Puis vinrent les mammifères 51
Récompense et punition 52
De l'animal à l'homme 53
A la recherche de l'équilibre 56
La science, c'est l'homme 61

Réflexes et instincts 67
Les réflexes : du simple au complexe 68
Les instincts 76

Le système limbique 87
Les mémoires 90
Rôle de la mémoire et de l'apprentissage 95
Affectivité et mémoire affective 99
Biochimie de la mémoire 104
Le cortex 111
Conscience, inconscient et langage 112
Imagination et langage 136
Du rêve au désir 149
Le narcissisme 155

S e c o n d e p a r t i e - LES C O M P O R T E M E N T S 163
D u biologique au sociologique 165
L'inné et l'acquis 168
Passage de l'individuel au collectif 172
Histoire des dominances 185
Le travail 198
Les pays industrialisés 210

L ' i n h i b i t i o n de l'action 225


Les causes de l'inhibition de l'action 227
Choc et stress 232
Système nerveux et système immunitaire 239
Les radicaux libres 246
Anxiété et angoisse 248
Les maladies mentales 262
Comment éviter l'inhibition de l'action 266

Les agressivités 273


L'agressivité prédatrice 276
L'agressivité de la compétition 280
L'agressivité défensive 290
L'agressivité d'angoisse et d'irritabilité 295

D u p h y s i o l o g i q u e au p a t h o l o g i q u e 301

Conclusion 305
113 (Munich, Stadtische Galerie im Lenbachhaus), 114 (Lyon,
CRÉDITS PHOTOGRAPHIQUES musée des Beaux Arts), 117 (Vienne, Musée historique), 118-119
(Italie, collection particulière), 120 (Italie, collection particulière),
125 (Milan, Musée archéologique), 133 (Mexico, collection particu-
lière), 134 (Berlin, galerie Nierendorf), 136-137 (Neuilly, collection
Kandinsky), 138 (Thèbes, Egypte), 143 (collection particulière), 150-
151 (Paris, collection Leegenhoek), 153 (Saint-Etienne, musée des
Arts et de l'Industrie), 154-155 (Paris, musée d u Louvre), 157
(Madrid, collection Thyssen-Bornemisza), 158 (Lyon, musée des
ADAGP, Paris 1994/Dagli Orti : 18 (Colmar, musée Unterlinden, Beaux-Arts, 161 (Eindhoven, Stedelijk van Abbemuseum), 163
33 (Prague, Galerie nationale), 110 (collection Thyssen Borne- (Madrid, musée du Prado), 164 (Orange, musée municipal), 165
misza), 118-119 (Italie, collection particulière), 120 (Italie, collection (Orange, musée municipal), 172-173 (Troyes, biblothèque natio-
particulière), 133 (Mexico, collection particulière), 134 (Berlin, gale- nale), 176-177 (Versailles, château), 180-181 (Milan, musée d'Art
rie Nierendorf), 143 (collection particulière), 153 (Saint-Etienne, moderne), 185 (Paris, musée des deux Guerres mondiales), 186-187
musée des Arts et de l'Industrie), 161 (Eindhoven, Stedelijk van (Paris, musée Carnavalet), 190 (Paris, musée des deux Guerres
Abbemuseum), 211 (collection particulière), 228-229 (Prague, Gale- mondiales), 194 (Rome, galerie nationale d'Art antique, palais Bar-
rie nationale), 237 (Lugano, collection Thyssen-Bornemisza) nerini), 202 (Modène, bibliothèque Estense), 211 (collection particu-
lière), 228-229 (Prague, Galerie nationale), 231 (Zurich, collection
ADAGP, Paris 1994/Giraudon : 139 (Bruxelles, collection M. Stal) particulière), 237 (Lugano, collection Thyssen-Bornemisza), 252
(Paris, musée du Louvre), 255 (Paris, musée du Louvre), 261 (Lille,
ADAGP, Paris 1994/Magnum : 145 (ph. Erich Lessing, Vienne, musée des Beaux-Arts), 264-265 (Madrid, musée d u Prado), 267
collection particulière) (Sienne, Pinacothèque nationale), 268, 272 (Florence, Palazzio Vec-
chio), 280-281 (Florence, musée des Offices), 288-289 (Aix-en-Pro-
CIRAD, 140-141 vence, musée Granet), 291 (La Rochelle, musée d u N o u v e a u -
Monde
CNRI, 35 (ph. J.-C. Révy), 36 (GJLP), 48 (ph. J.-C. Révy), 87 (ph. Dr
D. Kunkel/Phototake/CNRI), 121 (Dr. Zatorre/CNRI), 146-147, DEMART PRO ARTE B.V./ADAGP 1994/Dagli Orti : 110 (collec-
239,241 (ph. J.-C. Révy) tion Thyssen-Bornemisza)

Collection Christophe L., 20-21, 208-209 Explorer, 168 (ph. Jean-Louis Charmet, Philadelphie, musée des
Arts), 215 (ph. Y. Layma), 222-223
Cosmos, 19 (Eric Gravé/Science Photo Library/Cosmos), 22 (Lau-
rence Berkeley/Science Photo Library/Cosmos), 24-25 (Clive Free- G. F.-Giraudon, 220-221 (collection particulière), 278 (Bruxelles,
man, The Royal Institution/Science Photo Library/Cosmos), 26 collection particulière)
(Dr. Jeremy Burgess/Science Photo Library/Cosmos), 27 (Dr. Mor-
ley R e a d / S c i e n c e P h o t o L i b r a r y / C o s m o s ) , 28-29 (Peter Giraudon, 54-55 (Dunkerque, musée des Beaux-Arts), 65 (Chan-
Jarver/Wild Light/Cosmos), 30 (Dr. Gopal Murti/Science Photo tilly, musée Condé), 139 (Bruxelles, collection M. Stal), 148 (Paris,
Library/Cosmos), 39 (Science Photo Library/Cosmos), 43 (John musée Picasso), 183 (musée de Roubaix), 193 (Chantilly, musée
B a v o s i / S c i e n c e P h o t o L i b r a r y / C o s m o s ) , 44 ( M a n f r e d Condé), 196-197 (Toulouse, musée des Augustins)
Kage/Science Photo Library/Cosmos), 45 (Eric Grave/Science
Photo L i b r a r y / C o s m o s ) , 46-47 (Francis Leroy/Science Photo Jean-Loup Charmet, 8-9 (Paris, bibliothèque des Arts décoratifs), 17
L i b r a r y / B i o c o s m o s ) , 68 ( M a n f r e d K a g e / S c i e n c e P h o t o (bibliothèque de l'ancienne Faculté de médecine de Paris), 31
Library/Cosmos), 88 (John Bavosi/Science Photo Library/Cos- (Paris, bibliothèque des Arts décoratifs), 38 (bibliothèque de l'an-
mos), 89 (Francis Leroy/Biocosmos/Science Photo Library/Cos- cienne Faculté de médecine de Paris), 74-75 (Paris, bibliothèque des
mos), 245 (Dr. Brian Eyden/Science Photo Library/Cosmos) Arts décoratifs), 81 (Philadelphie, musée des Beaux-Arts), 84-85
(Paris, bibliothèque des Arts décoratifs), 170-171 (Paris, collection
Dagli Orti, 6 (Nantes, musée des Beaux-Arts), 7 (Le Caire, Musée particulière), 225 (Paris, Bibliothèque nationale, cabinet des
égyptien), 14-15 (Château de Blois), 18 (Colmar, Musée Unterlin- Estampes), 263 (Paris, musée d'Histoire de la médecine), 277, 294
den), 33 (Prague, Galerie nationale), 57 (Paris, collection Michèle (Paris, bibliothèque des Arts décoratifs), 297 (Paris, bibliothèque
Boulet), 61 (Budapest, Galerie nationale), 67 (Madrid, musée du des Arts décoratifs)
Prado), 70 (Chantilly, musée Condé), 72-73 (Paris, musée du
Louvre), 77 (Italie, Pompéi), 78-79 (Montpellier, musée Fabre), 83 Keystone, 130-131, 284
(Saint-Etienne, musée Art et Industrie), 86 (Paris, collection parti-
culière), 98, 99 (Venise, bibliothèque Marciana), 101 (Rome, galerie L'Illustration/Sygma, 232-233
d'Art moderne), 106 (Dôle, musée des Beaux Arts), 110 (Lugano,
collection Thyssen-Bornemisza), 111 (Colmar, musée Unterlinden), Lauros-Giraudon, 166-167 (Paris, musée Carnavalet)
Magnum, 10-11 (ph.E. Lessing, Bâle, Kunstmuseum), 13 (ph. Sebas- SPADEM 1994/Giraudon, 148 (Paris, musée Picasso)
tiao Salgado), 40 (ph. Wayne Miller), 60 (ph. Eric Lessing), 62-63
(ph. Inge Morath), 82-83 (ph. Ian Berry), 92 (ph. Wayne Miller), 93 Vandystadt, 123 (ph. Bernard Asset), 178 (ph. Gérard Vandystadt),
(ph. W. E. Smith), 96-97 (ph. Wayne Miller), 105 (ph. Patrick Zach- 247, 256 (ph. Yann Guichaoua)
mann), 109 (ph. Raymond Depardon), 115 (ph. Sebastiao Salgado),
145 (ph. Eric Lessing, Vienne, collection particulière), 199 (ph. Erich Zucca-Kipa, 126-127
Lessing, Dusseldorf, Kunstmuseum), 200-201 (ph. René Borri), 203
(ph. Richard Kalvar), 204-205 (ph. Leonard Freed), 207 (ph. Sal- @ SPADEM pour les œuvres de : Pablo Picasso
gado), 212-213 (ph. Sebastiao Salgado), 216 (ph. John Vink), 224 @ AD AGP pour les œuvres de Carlo Carra, Marc Chagall, Salvador
(ph. Henri Cartier-Bresson), 234 (ph. Sebastiao Salgado), 259 (ph. Dali, James Ensor, George Grosz, A u g u s t e Herbin, Frantisek
Gilles Peress), 273 (ph. Larry Towell); 286-287 (ph. P. Zachmann), Kupka, René Magritte, André Masson, Remedios Varo, Claude
293 (ph. Robert Capa), 298-299 (ph. Sergio Larrain) Verlinde, Marie-Hélène Vieira da Silva
@ D.R. pour les œuvres de : A. Bal, Pierre Lacombe, Franz Wil-
Pix, 50 (ph. P l a n e t E a r t h / K e n Lucas), 274-275 (ph. P l a n e t helm Seiwert, Christian Schad, Rufino Tamayo
Earth/Steve Bloom), 282-283 (ph. Planet Earth/Ronald S. Rogoff)

Rapho, 90-91 (ph. Robert Doisneau), 94 (ph. Elise Philippotin), 128


(ph. Robert Doisneau), 226 (ph. Jean-Christian Bourcart), 250-251 Légendes des illustrations d'ouverture des parties
(ph. Lily Francy), 301 (ph. Bajande)
Ouverture de la première partie : Vicq d'Azyr, Anatomie, Le Cer-
RMN, 66 (ph. G. Blot, Paris, musée d'Orsay), 102-103 (Paris, musée veau, 1786. Paris, bibliothèque de l'ancienne Faculté de Médecine.
du Louvre), 175 (Paris, musée d'Orsay), 188-189 (Paris, musée du
Louvre), 219 (Paris, musée du Louvre, cabinet des dessins), 242-243 Ouverture de la seconde partie : Francisco de Goya (1746-1828),
(Paris, musée d'Orsay), 248-249 (Paris, musée du Louvre), 271 peinture murale de la maison du sourd, 1815 à 1823, Le Colosse ou la
(Paris, musée d'Orsay), 300 (Paris, musée du Louvre) panique. Madrid, musée du Prado.
Achevé d'imprimer en septembre 1994
sur les presses de l'imprimerie CLERC S.A.
à Saint-Amand-Montrond.
Relié par Brun, à Malesherbes.
N° d'édition : 0852
N° d'impression : 5671
Imprimé en France
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