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Ecoles, Langues, Culture Et Développement

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Cahiers d’études africaines 

186 | 2007
Varia

École, langues, cultures et développement


Une analyse des politiques éducatives, linguistiques et culturelles
postcoloniales au Burkina Faso

Géraldine André

Édition électronique
URL : http://journals.openedition.org/etudesafricaines/6960
DOI : 10.4000/etudesafricaines.6960
ISSN : 1777-5353

Éditeur
Éditions de l’EHESS

Édition imprimée
Date de publication : 31 mai 2007
Pagination : 221-247
ISBN : 978-2-7132-2139-2
ISSN : 0008-0055
 

Référence électronique
Géraldine André, « École, langues, cultures et développement », Cahiers d’études africaines [En ligne],
186 | 2007, mis en ligne le 31 mai 2010, consulté le 16 juin 2020. URL : http://journals.openedition.org/
etudesafricaines/6960  ; DOI : https://doi.org/10.4000/etudesafricaines.6960

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© Cahiers d’Études africaines


École, langues, cultures et développement 1

École, langues, cultures et


développement
Une analyse des politiques éducatives, linguistiques et culturelles
postcoloniales au Burkina Faso

Géraldine André

1 L’histoire postcoloniale des politiques éducatives, linguistiques et culturelles du


Burkina Faso montre que, à l’encontre de l’accumulation individuelle du capital scolaire
francophone et pour une dynamique collective de redressement économique, les
gouvernements successifs de l’indépendance ont cherché à établir un rapport
spécifique entre langues et cultures locales, éducation et développement. Cette formule
spécifique apparaît aujourd’hui plus que pertinente dans le nouveau contexte éducatif
qui, dans son inscription dans la conjoncture internationale et les relations avec les
bailleurs de fonds, se caractérise par une orthodoxie économiste et un désengagement
de l’État à l’égard de ses prérogatives éducatives.
École et formation des élites : l’accumulation coloniale du capital francophone
2 L’instauration de l’institution scolaire dans les colonies en Afrique de l’Ouest se fait
sous le signe d’une « mystique française » (Spaëth 1998). Les colons, convaincus de la
supériorité instrumentale et morale, de la portée universelle, civilisatrice et élévatrice
de la langue et de la culture françaises (ibid.), créent leurs premières écoles en français,
évinçant les langues locales. À partir des années 1900, moment de l’instauration de
l’institution scolaire en Haute-Volta1, ils s’éloignent de la visée assimilationniste – ou
du moins, ils n’ont plus à convaincre des avantages et de la supériorité d’un
enseignement du français et en français –, et placent l’École au centre de l’efficacité de
l’entreprise coloniale. L’institution scolaire forme désormais sur place des auxiliaires
indigènes compétents pouvant communiquer avec les cadres supérieurs français. Dès
1900, la dimension assimilationniste de l’enseignement se met donc au service du projet
colonial. Il s’agit de recruter quelques privilégiés, les fils de chefs, et de les assimiler par
l’enseignement de la langue et de la culture françaises afin d’assurer la pérennité et le
rendement de l’œuvre coloniale (Compaoré 1995). La scolarité en français drainant le
capital francophone ouvre ainsi la brèche d’une promotion individuelle fulgurante.

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3 Au contraire, certains missionnaires cherchant à propager la religion catholique de la


manière la plus efficiente, recourent aux langues locales. En outre, l’anticléricalisme
qui se répand en France au début du XXe siècle et qui débouche sur la séparation de
l’Église et de l’État en 1904, ne permet pas aux missionnaires de maintenir un
enseignement classique en français. Faute de moyens, ils dispensent au sein d’écoles de
catéchisme une instruction en langues locales formant des fidèles. Il faut aussi noter
que les Pères Blancs veulent parfois se distinguer de l’administration pour des raisons
idéologiques qui leur sont propres. En effet, l’expansion de l’œuvre nécessite parfois de
se démarquer de la dureté des colons2. Néanmoins, par la suite, les missionnaires
mettent plus l’accent sur l’enseignement du français pour attirer d’avantage d’enfants,
exception faite des écoles de filles.
4 En fait, en Afrique de l’Ouest, il n’y a que très peu de consensus 3 entre l’administration
et les missionnaires. Les colonisés jouent rapidement avec leurs divergences pour
obtenir – ou perpétrer – l’École et la langue de l’École qu’ils veulent (Sanou 2003b).
Ainsi, certains évolués finissent par souhaiter une École dans la forme la plus
occidentalisée qui soit, articulée autour d’une langue étrangère, ici le français, parce
que, ayant pris connaissance des réalités scolaires de la métropole (en allant étudier en
Europe), ils craignent une ghettoïsation culturelle et sociale en s’éloignant des modèles
et des valeurs éducatives françaises (ibid.). Par ailleurs, ils prennent rapidement
conscience de la « convertibilité du capital scolaire » francophone en d’autres types de
capitaux (économique, politique, symbolique) (Bianchini 2004), de la relation étroite
entre la langue française et le pouvoir. On comprend ainsi pourquoi les élites, au
lendemain des indépendances, conservent le système éducatif colonial. Cela explique
également la raison pour laquelle en Haute-Volta, après une réception réticente à
l’égard de l’École, conduisant un grand nombre de chefs à se soustraire à l’obligation
d’envoyer leurs fils en les substituant à des serviteurs (Compaoré 1995), les populations
se prennent d’un véritable engouement pour l’École. Néanmoins, la « promesse
assimilationniste » (Bianchini 2004) ne s’adresse encore qu’aux meilleurs.
5 La Conférence de Brazzaville en 19444, bien qu’elle entende toucher la majorité, ne fait
que renforcer la physionomie assimilationniste et élitiste de l’École. En répondant aux
préoccupations des intellectuels africains soucieux d’une émancipation de leurs
peuples et de la leur, elle renforce l’identification de l’École africaine au modèle
éducatif de la métropole. En outre, elle promulgue l’obligation scolaire uniquement
pour les enfants des fonctionnaires et des militaires au même moment où les fils de
chefs sont de moins en moins visés par l’École. La montée des « évolués » signe « la
mise en place d’un nouveau pouvoir dont les rênes [échappent] au pouvoir
traditionnel » (Compaoré 1995 : 54).
L’ambiguïté de « la critique identitaire » des évolués
6 L’annonce des indépendances se fait certainement sur fond identitaire, et plus
spécifiquement en ce qui concerne l’École. La « critique identitaire » de l’institution
scolaire par les éduqués5 allant de désillusions en désillusions à l’égard de « la promesse
assimilationniste » coloniale, est néanmoins ambiguë pour maints auteurs. Ainsi, pour
Bianchini (2004 : 58-59), elle oscille « entre démocratisme à l’égard de l’arbitraire
colonial et élitisme par rapport aux masses demeurées encore hors d’atteinte des
mécanismes de l’acculturation occidentale ». Et selon Fernand Sanou (2003b), depuis
l’indépendance, les bureaucrates qui sont les produits de l’École occidentale en français
n’ont cessé de vouloir reproduire cette dernière pour eux-mêmes parce que, détenant

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les diplômes scolaires, ils bénéficient d’un prestige symbolique, d’avantages sociaux et
ont un impact sur la vie politique du pays face à une majorité confinée dans les travaux
manuels et agricoles et leurs modes d’expression, les langues nationales, qui ne leur
confèrent aucun pouvoir politique.
7 Suite à ces deux auteurs, nous allons interroger le sens des réformes et des mesures
éducatives des gouvernements successifs de l’indépendance de la Haute-Volta visant,
dans le cadre de l’institution scolaire, l’introduction des langues nationales, de
références culturelles présumées spécifiquement africaines et une promotion des
activités de production : sont-elles le produit de revendications identitaires de
l’intelligentsia africaine avec toutes les ambiguïtés qu’elles peuvent comporter en
termes d’émancipation pour les ruraux ? Sans sous-estimer la critique identitaire telle
qu’elle a été portée par les mouvements de la négritude « francophone » dont Léopold
Sédar Senghor est le chef de file, ou « afrancophone » de Cheikh Anta Diop qui a
influencé un grand nombre de réformes scolaires dans les années 1970 en Afrique
francophone, nous allons montrer combien celle-ci prend en Haute-Volta, dans le
contexte postcolonial, une direction et une forme en relation avec la situation socio-
économique du pays. Avant d’entamer une analyse historique des réformes scolaires de
l’indépendance de la Haute-Volta, le détour par l’analyse de la critique burkinabè de
l’institution scolaire introduira déjà à leurs schèmes principaux.
8 Joseph Ki-Zerbo s’est prononcé plus tard sur l’institution scolaire, en particulier dans
son ouvrage Éduquer ou périr (1990). Engagé en faveur de l’indépendance et de l’unité
africaine dès ses études en France où il fréquente les milieux associatifs africains, il est
inspiré par les grands leaders de la négritude. Il est certain que sa critique de
l’institution scolaire présente une composante identitaire, mais celle-ci s’inscrit dans le
complexe plus large de sa pensée articulée autour de son concept de « développement
endogène » (Ki-Zerbo 1992). Sa critique et le concept qui en découle doivent être saisis
selon les évolutions de la conjoncture socio-économique des anciennes colonies, et plus
particulièrement de celle de la Haute-Volta dont la position historique de réserve de
main-d’œuvre pour les colonies côtières, la situation géographique d’enclavement dans
les terres du Sahel et, enfin, son manque de ressources naturelles, sont des facteurs qui
ont eu une influence non négligeable sur les réformes scolaires de la Haute-Volta. De
plus, à un niveau plus général – pour l’ensemble des anciennes colonies françaises –
l’augmentation des effectifs de l’institution scolaire, la progressive saturation de son
classique débouché, le fonctionnariat, le déracinement, l’inadaptation et l’exode rural
comme produits de l’institution scolaire sont autant d’éléments qui permettent de
saisir la pensée de Ki-Zerbo. L’image de l’institution scolaire comme appareil de
déracinement qui condense les aspects identitaires et « anti-développement » de sa
critique en sont une bonne illustration.
9 Pour l’auteur, le problème de l’institution scolaire coloniale est d’avoir introduit une
rupture à l’égard des systèmes éducatifs endogènes. Adoptant de la sorte un point de
vue fonctionnaliste et holiste sur les systèmes éducatifs, Ki-Zerbo souligne les finalités
coloniales de constitution et de reproduction d’une élite administrative par l’institution
scolaire. Selon lui, cette fonction s’est imposée sur celles des systèmes éducatifs
endogènes alors que ceux-ci constituaient des rapports sociaux d’appropriation à la
nature et de production adéquats à leur milieu. Il en résulte ainsi, selon lui, une
« déconnection intérieure » par l’absence d’une reproduction autonome grâce à une
éducation endogène africaine. Cette absence alimente, pour l’auteur, le sous-

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développement des anciennes colonies. Sous-système du système colonial, l’institution


scolaire des pays africains actuels produit des inadaptés. Cette problématique des
déracinés de l’institution scolaire d’influence coloniale aboutit chez Ki-Zerbo au
concept de « développement endogène » reliant l’identité au développement :
« Aucun peuple ne s’est développé uniquement à partir de l’extérieur. Si on se
développe, c’est en tirant de soi-même, les éléments de son propre développement.
En réalité, tout le monde s’est développé de façon endogène […]. Le développement
est un phénomène total qu’il faut embrasser dans sa totalité. Et dans cette totalité,
les facteurs culture et éducation sont primordiaux, [et les facteurs les plus intimes
du développement sont presque indéfinissables et impalpables] […] » (Ki-Zerbo
2004 : 172-173).
« Le problème des langues est fondamental parce qu’il touche à l’identité des
peuples. Et l’identité est nécessaire pour le développement comme pour la
démocratie » (ibid. : 81).
10 De cette position surgit une double accusation à l’égard des gouvernements africains
qui faillissent à « leur mission d’édification d’une société d’initiative, de création et de
développement » (Ki-Zerbo 1990 : 9). Et, dans cette perspective, l’École continue
d’alimenter des rapports de domination entre le Nord et le Sud, ne fût-ce que parce que
ce sont les bureaux d’experts étrangers qui ont la mainmise sur les méthodes
éducatives et pédagogiques africaines (ibid. : 60). Se positionnant contre les injonctions
quantitatives et économistes internationales de la Banque Mondiale, il considère que
l’objectif de l’École africaine n’est pas d’atteindre une éducation pour tous, mais de
s’attaquer à la « mal-scolarisation » (ibid. : 62), c’est-à-dire d’établir une éducation
ancrée dans un développement endogène, de mettre en place une éducation par le
milieu et pour le milieu. C’est dans cette optique qu’intervient le recours aux langues
locales et aux activités de production. « [Il faut introduire] l’éducation dans le système
productif et vice versa » (ibid. : 72). La critique de l’institution scolaire burkinabè
aboutit chez Ki-Zerbo à articuler l’École au développement par un ancrage dans le
milieu par les langues et les cultures locales. De la sorte, elle a partie liée avec la
dimension identitaire, et le développement doit être compris comme un auto-
développement. En effet, pour Ki-Zerbo, l’éducation entraîne des coûts que les
gouvernements africains ne parviennent à pallier seuls, et elle doit donc mobiliser les
populations de base dans une dynamique de responsabilité collective.
11 Développement endogène, langues et cultures locales et École sont les quelques thèmes
structurant la pensée de Ki-Zerbo sur l’institution scolaire. Ce détour par cet auteur
introduit aux grandes orientations des réformes scolaires des gouvernements successifs
de l’indépendance qui prendront, selon les contextes socio-économiques et
sociopolitiques, des connotations particulières.
Influence de « la critique ruralisante » de l’École
12 La Haute-Volta indépendante ne connaît aucune transformation radicale du système
éducatif colonial, si ce n’est une conformité accélérée au modèle éducatif
métropolitain. Maurice Yaméogo, premier président de la Haute-Volta, s’affiche comme
le grand continuateur du système scolaire mis en place par les colons, relativement à sa
visée d’un parachèvement administratif sur le modèle français. C’est, entre autres, par
une École élitiste que la Première République (1960-1966) entend domestiquer les
masses et maintenir les privilèges antérieurement acquis (Somé 2003 ; Compaoré 1997).
L’option anti-fédéraliste du gouvernement de Maurice Yaméogo n’est pas non plus
propice à l’épanouissement de la thématique culturaliste, alors qu’au même moment les
revendications identitaires de l’intelligentsia africaine commencent à être prises en

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École, langues, cultures et développement 5

compte par certaines organisations internationales telles que l’ UNESCO, en accueillant en


son sein quelques grandes personnalités telles que Amadou Mahtar M’Bow, intellectuel
sénégalais, ancien leader nationaliste et indépendiste, acquis aux projets de réformes
scolaires allant dans le sens d’une africanisation (Bianchini 2004). L’ UNESCO appuie
économiquement et symboliquement les réformes des années 1960-1970.
13 En Haute-Volta, c’est surtout la « critique ruralisante » de l’École qui influence les
premières grandes réformes scolaires visant l’introduction des langues nationales et
des cultures locales établissant de manière précoce les bases d’une relation étroite
entre langues, cultures, École et développement. Cette contestation est le fait d’experts
français (Compaoré 1997 ; Bianchini 2004) qui proclament la nécessité de réformer
l’École en vue d’enrayer le sous-développement et d’engendrer la rentabilité d’une
institution scolaire encore trop élitiste et éloignée des communautés rurales. La France
envisage à l’époque coloniale l’établissement d’écoles plus appropriées à la situation
géographique et économique de certaines de ses colonies – par exemple la Haute-
Volta – que l’École classique. Pour Compaoré (1997 : 134-135), cet enseignement rural
trouve ses assises « dans la philosophie de l’éducation agricole contenue dans la lettre
circulaire no 9-254/AEP/PLAN/3 du 11 décembre 1956 de Gaston Defferre, ministre de la
France d’outre-mer » qui vise la mise en place d’une École distincte « des écoles
primaires existantes » et dont le but est de « [former] des paysans ou des animateurs
ruraux et non des fonctionnaires » et adaptée « aux besoins des campagnes ». Jean
Capelle (1990) et Pierre Erny (1977) soulignent d’ailleurs que la volonté de ruraliser
l’École africaine est loin d’être propre à l’époque postcoloniale et que l’idée aurait
émaillé toutes les mesures et les réformes scolaires dès les débuts de la colonisation.
14 Cette critique ruralisante de l’institution scolaire en œuvre à l’époque coloniale donne
lieu, lors de l’indépendance de la Haute-Volta, au décret n o 237/PES/EN du 14 juin 1961.
Les centres d’éducation rurale qui en découlent diffèrent quelque peu du projet
colonial : davantage un substitut de l’enseignement classique qu’une École distincte et
spécifique aux besoins des zones rurales, les centres d’éducation rurale sont adressés
en français à des jeunes de 12 à 14 ans dans un double but de démocratisation et de
rentabilité économique. Ils ont en effet pour objectif « d’assurer à la totalité des enfants
qui n’ont pas pu être scolarisés, une instruction élémentaire et une formation rurale
civique » et « les centres d’éducation rurale chargés de dispenser cette éducation
doivent être implantés dans les villages où il n’existe pas l’École classique et doivent
disparaître lorsqu’il viendrait à s’en créer. Par ailleurs, il est prévu au départ que le
système d’éducation rurale doive évoluer pour rejoindre le système classique » (Sanou,
cité dans Compaoré 1997 : 134-135). Il est intéressant de souligner que, en 1963, la
fondation de l’Institution internationale de planification de l’éducation jettant les bases
d’une « normalisation statistique » (Bianchini 2004) est contemporaine de
l’établissement de ces écoles rurales. On peut ainsi légitimement supposer que, à
travers ces écoles rurales, le gouvernement cherche à répondre à l’objectif
international naissant d’une scolarisation universelle à moindre frais (Compaoré 1997).
Enfin, toujours à un niveau international, l’UNESCO, dès la seconde moitié des années
1960, commence à promouvoir sa théorie de l’alphabétisation fonctionnelle en langues
locales. Ces différents éléments préparent à la conjonction des langues et des cultures
locales, de l’éducation de base et du développement.
La formule « École, langues, cultures et développement » :
premières tentatives

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École, langues, cultures et développement 6

15 La gouvernance assurée par le général Sangoulé Lamizana comme second chef d’État de
la Haute-Volta pendant plus de 14 ans donne lieu à des changements importants et
significatifs au niveau des politiques linguistiques et éducatives. Le décret n o 69-12 PRES
du 17/01/1969 promulgue la création de la Commission nationale des langues
voltaïques dont les objectifs sont la valorisation des langues nationales, la promotion
d’études sur celles-ci et la mise sur pied de systèmes de transcription et de différentes
sous-commissions respectives à chaque langue. Le « Plan d’ajustement structurel avant
la lettre, la garangose6 (1966-1975) » dont l’un des moyens du redressement des
finances publiques est une « politique agricole » et « un encadrement du monde rural »
a des effets non négligeables sur la tournure des politiques éducatives, et se prolongent
jusqu’à la veille de la révolution (Zagre 1994).
16 Ainsi, au début de la Deuxième République (1970-1974), l’échec des centres d’éducation
rurale conduit à une redéfinition de leurs finalités en termes de formation adressée à
des jeunes plus âgés. Cette redéfinition se concrétise en 1974 par la création de centres
de formation de jeunes agriculteurs reposant sur une alphabétisation fonctionnelle et
une formation en lien avec le milieu rural dépendant du ministère du Plan et du
Développement rural. En 1974, le décret 74/267/PRES/ENC du 6 août, crée l’Office
national d’éducation permanente et d’alphabétisation fonctionnelle et sélective,
première structure étatique de soutien à l’alphabétisation des adultes en langues
nationales, relevant théoriquement du ministère de l’Éducation nationale, mais
pratiquement de l’Organisme régional de développement et donc du ministère du
Développement rural. En 1974, est fondé le département de linguistique au sein du
Centre d’enseignement supérieur, dont une partie des études sont orientées vers les
langues nationales. Mais cette éducation rurale, fondée sur une double logique
d’économie, dans ses deux versants de rentabilité et de productivité et
d’alphabétisation universelle, s’avère être un véritable échec. Néanmoins, le
« paradigme ruraliste » (Bianchini 2004) porté par la garangose ne fait qu’entamer le
poids de ses effets sur l’éducation.
17 Une longue réflexion sur la refonte du système éducatif tout entier est d’ailleurs jetée
dans ce sens dès le début des années 1970. En 1974, deux séminaires et un colloque
international s’attellent à détecter les défauts du système actuel (Compaoré 1997) et
épinglent « le caractère essentiellement déracinant du modèle éducationnel actuel,
montrant nettement, […] le détachement de l’école du milieu, son isolement par
rapport aux structures socio-économiques et socioculturelles du milieu » ( MENC/UO/
CDPP/ Réflexions sur la Réforme du système éducatif, cité par Compaoré 1997 : 137). Le
dossier initial de la réforme donnant suite à cette réflexion souligne à quel point la
refonte du système éducatif entretient des rapports étroits avec le développement
socio-économique du pays : « Il faut rétablir entre l’économie et l’éducation un rapport
de développement réciproque et simultané par une éducation dans et par la
production » (D. O. A. 3 1976 : 101). Et ce, d’autant plus que la situation économique
d’alors est catastrophique suite aux effets des sécheresses de 1973 et de 1974. Le général
Sangoulé Lamizana s’exprime à propos de l’inefficacité des plans de restructuration
économique dans son discours sur son programme d’Action du gouvernement du
renouveau national : « Le plan 1972-1976 en cours d’exécution se trouve confronté à de
graves difficultés conjoncturelles liées d’une part à la crise et à l’inflation mondiale et
d’autre part à la sécheresse et à ses conséquences multiples » (Lamizana, cité dans
Compaoré 1997). L’éducation se voit assigner une place de choix dans ce programme :

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« Pour un homme nouveau, une nouvelle forme d’éducation qui tienne compte de nos
besoins et de nos moyens est devenue impérative autant dire que la réforme de
l’enseignement requiert l’attention la plus vigilante avec la ferme détermination
d’atteindre des résultats concrets le plus rapidement possible » (ibid.). Il faut souligner
que l’option du régime pour une société de développement communautaire rural était
propice à une refonte du système éducatif en lien avec le relèvement économique et la
mobilisation des masses rurales.
18 Le projet de réforme découlant de ces réflexions s’ouvre sur un triple diagnostic : l’anti-
démocratisme de l’École, son inefficacité externe (au niveau économique), son pouvoir
d’aliénation et de déracinement culturel et linguistique. Les trois finalités visées par
cette réforme, la démocratisation de l’éducation, une efficacité économique et une
« culturalisation », sont étroitement reliées. En effet, le projet de réforme promeut
« une éducation pour le développement communautaire rural » qui entend, d’une part,
« démocratiser » l’enseignement et les savoirs « en entreprenant l’éducation des
masses » par la scolarisation et l’alphabétisation en langues locales, d’autre part,
« intégrer l’éducation et le développement » par le biais d’activités de production, enfin
« favoriser le développement d’une culture authentique » par le biais des langues et des
cultures locales (D. O. A. 3 1976 : 91-93).
19 Entre les lignes, c’est aussi une décentralisation éducative avant la lettre qui
transparaît : « Notre plus grande richesse nationale demeure l’homme voltaïque et dans
la lutte contre le sous-développement, il s’agit de rendre les communautés
responsables de leur avenir […] en leur transférant toutes les compétences nécessaires
à une telle reconversion […] l’engagement communautaire rural est un mouvement
destiné à favoriser une existence meilleure de la collectivité […] grâce à la participation
de la collectivité sur base de sa propre initiative […] pour transformer les populations
résignées en communautés dynamiques tournées vers le progrès [en vue de
transformer la société] qui par les vertus de la mobilisation, de l’animation et de la
participation assurera une promotion collective toujours plus grande » (ibid. : 88-89). La
réforme établit donc une corrélation forte entre l’éducation, les langues et les cultures
locales et le développement.
20 En 1978, la Troisième Constitution de la Haute-Volta réaffirme « le français comme la
langue nationale », mais se prononce pour la première fois en faveur de l’officialisation
des langues nationales avec le projet d’une loi devant établir « les modalités de
promotion et d’officialisation des langues nationales » (Somé 2003). La réforme de
l’éducation démarre par une phase d’expérimentation dès octobre 1979. Elle touche de
manière plus significative l’école primaire qu’elle investit d’une politique linguistique
en faveur des langues locales en introduisant les trois langues les plus parlées dans le
pays, et d’une politique économique de rentabilité et de productivité à travers des
activités de production en lien étroit avec la rhétorique décentralisatrice. Le pays est
divisé en trois zones linguistiques : julaphone, moorephone, fulaphone. Le jula, le
moore et le fulfuldé sont introduits aux côtés du français au sein d’un bilinguisme
scolaire de transfert avec des manuels pédagogiques propres à l’expérience. La
réalisation de la réforme bénéficie de l’appui financier du PNUD et de l’ UNESCO. Les
principaux objectifs de l’UNESCO en appuyant ce type de réforme est « de rendre effectif
le droit à l’éducation », « de renforcer la paix et la contribution de l’éducation à
l’identité culturelle notamment par la promotion des langues nationales et maternelles
comme langues d’enseignement » (D. O. A. 4 1978). Le thème culturel est une

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préoccupation centrale de l’institution internationale et ses recommandations en


matière identitaire et culturelle exercent une influence non négligeable à ce moment-
là. Comme on le verra, cette perspective culturelle de la politique onusienne se voit
contrebalancée, par la suite, par le poids de l’orthodoxie économiste des institutions de
Bretton Woods (Lange 2003b).
Réitération révolutionnaire du paradigme École, langues
(et cultures) locales et développement par Thomas Sankara
21 L’instabilité politique du début des années 1980 est l’un des facteurs expliquant
l’abandon progressif de la réforme. La succession des régimes, le Comité militaire de
redressement pour le progrès national du colonel Saye Zerbo (1980-1982), le Conseil du
salut du peuple (1982-1983), enfin le Conseil national de la révolution (1983-1987),
aboutit à l’arrêt de la réforme en septembre 1984, malgré les rapports d’évaluation
interne de l’Institut national de l’éducation qui, soulignant les points positifs du projet
tels que le réveil de la culture nationale fondamentale, l’apprentissage rapide et
économique des autres disciplines, en recommande sa généralisation. Les raisons de
l’échec de la réforme sont en fait diverses : découpage linguistique arbitraire et
diversité linguistique, facteurs sociologiques tels que l’opposition de groupes sociaux,
une promotion communautaire véhiculée par les écoles réformées allant à l’encontre
de la construction historique d’un imaginaire collectif autour d’une promotion
individuelle par l’École (Sanou 2003b), problèmes de ressources humaines et
matérielles. Néanmoins l’instabilité politique est décisive, d’autant plus que le contre-
positionnement des régimes successifs à l’égard de l’École apparaît comme un trait
constant dans l’histoire des politiques éducatives du Burkina Faso.
22 L’idéologie révolutionnaire de Thomas Sankara, président du CNR (Conseil national de la
Révolution) et troisième chef de l’État, « de tendance nationaliste à base populiste »
(Lejeal 2002) contre le clientélisme et l’aliénation, conduit à la mise en œuvre de
mesures politiques en faveur des langues et des cultures locales : la Haute-Volta reçoit
ainsi le nom de « Burkina Faso » conjuguant le moore (« Burkina » signifiant « homme
intègre ») et le jula (« Faso » signifiant « patrie »), et le fulfuldé dans la terminaison
pour désigner les habitants du pays (les « Burkinabè »). L’hymne national est traduit
dans quelques langues nationales. Dans son discours d’orientation politique du
2 octobre 1983, Thomas Sankara s’exprime sur la culture qui « dans la société
démocratique et populaire, [doit] revêtir un triple caractère : national, révolutionnaire
et populaire. Tout ce qui est anti-national, anti-révolutionnaire et anti-populaire doit
être banni. Au contraire, notre culture qui a célébré la dignité, le courage, le
nationalisme et les grandes vertus humaines sera magnifiée » ( D. E. 1 1983). Dans cette
perspective, les langues nationales sont valorisées et le discours d’orientation politique
traduit dans plusieurs langues nationales. Les fonctionnaires se voient initiés à
l’alphabétisation en langues nationales et les membres du gouvernement obligés de
s’adresser en langues nationales aux populations. Le mot d’ordre « fabriquons et
consommons burkinabè » explicite bien la tendance de promotion des réalités
culturelles nationales, c’est-à-dire, des réalités culturelles populaires. Ainsi, le CNR
encourage les artistes à traiter « de thèmes proches des préoccupations populaires »
(Sanou 2003b : 1). Enfin, d’énormes progrès sont réalisés en matière de promotion de la
danse et de la musique, mais aussi du cinéma.
23 La méfiance de Thomas Sankara à l’égard des institutions de Bretton Woods et
l’idéologie autonomiste du CNR conduisent à un second plan d’ajustement structurel, à

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École, langues, cultures et développement 9

un « auto-ajustement » visant à composer avec ses propres forces, à établir des


dépenses conformes aux ressources du pays (Zagre 1994). Ce « PAS maison » a de
sérieuses implications sur l’éducation, notamment le renforcement de ses liens avec le
développement et les langues nationales : des campagnes d’alphabétisation se
déroulent en langues nationales dans le cadre de l’éducation informelle. En décembre
1983, suite au travail de l’INAFA7, un programme d’alphabétisation devant alphabétiser
plus de 5,5 millions d’habitants en 10 ans est adopté. Cette alphabétisation est de type
fonctionnel, c’est-à-dire qu’elle entend rendre les agriculteurs aptes à gérer par écrit
leurs activités et leurs récoltes et se déroule dans une petite dizaine de langues
nationales. Puis, en février 1986, l’opération « alpha commando » est lancée et doit se
dérouler lors de la saison sèche. Elle vise l’alphabétisation en langues nationales de
quelque 30 000 agriculteurs. En février 1987, se met en place la postalphabétisation
dont l’objectif est d’approfondir les connaissances de ceux qui ont été alphabétisés pour
devenir alphabétiseurs (Jaffré 1989).
24 Les mesures et les politiques éducatives du CNR, essentiellement de masse, se traduisent
par un accroissement significatif des infrastructures scolaires. Ainsi « le programme
populaire de développement prévoit d’octobre 1984 à décembre 1985 la construction de
plus de 1 250 classes dans l’enseignement primaire, soit une augmentation de près de
25 % » (Jaffré 1989 : 93). En outre, différentes mesures sont prises dans une volonté de
démocratiser l’École, de la déposséder des élites en faveur des masses rurales, et de
mettre les diplômés « non au service de leurs propres intérêts et [de celui] des classes
exploiteuses, mais au service des masses populaires » ( D. E. 1 1983). Ainsi, dès la rentrée
1984, les frais d’inscription passent de 20 000 à 10 000 FCFA pour l’enseignement
primaire, de 65 000 à 40 000 FCFA pour le premier cycle du secondaire, et de 75 000 à
45 000 FCFA pour le second cycle. Ces mesures font que le taux de scolarisation passe de
16,5 % en 1983 à 20,9 % en 1985 (Jaffré 1989). Enfin, le CNR redynamise l’enseignement
technique dans les centres de formation des jeunes agriculteurs. Néanmoins,
l’enseignement public ne peut supporter seul toutes les demandes, d’où le maintien de
l’importance de l’enseignement privé, exception faite de l’enseignement catholique
primaire qui cède toutes ses écoles à l’État en 1969. En outre, la politique du CNR se
confronte aux conséquences de sa politique éducative de masse, la baisse du niveau de
la qualité (Jaffré 1989). En effet, par souci d’économie, environ 1 500 enseignants du
primaire sont renvoyés – soit un tiers des enseignants du primaire en mars 1984 – et le
CNR recrute sur le tas des enseignants révolutionnaires, notamment dans le cadre du
Service national populaire (Zagre 1994).
25 Il faut attendre réellement 1986 pour que le CNR compose un nouveau projet de réforme
de l’ensemble du système éducatif, l’École révolutionnaire burkinabè. Ce projet s’appuit
sur l’échec du précédent qui a négligé le fait que l’École est « un instrument aux mains
des classes dominantes, […] qu’elle est pro-impérialiste, acculturante, aliénante et
oppressive pour les classes opprimées et dominées. Mais depuis le 4 août 1983, [s’est
opérée] une transformation radicale et totale de l’École en un instrument au service des
aspirations profondes des masses populaires d’où la suppression de cette réforme
réformiste en septembre 1984 » (D. O. A. 10 1986 : 4). Cette nouvelle réforme entend
transformer l’institution scolaire en « une École nationale » (par le biais d’une
nationalisation des contenus éducatifs, une valorisation des langues nationales, une
adaptation au milieu des populations, etc.), « réaliste » (articulée aux besoins du peuple
et du développement économique du pays), « révolutionnaire » (reposant sur la

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École, langues, cultures et développement 10

« tradition de lutte patriotique et anti-impérialiste »), « démocratique et populaire »


(par une logique quantitative d’École pour tous et toutes supprimant les signes élitistes
et sexistes), « productive » (s’appuyant sur ses propres forces, par une adaptation
éducative au marché du travail essentiellement rural en intégrant la production et le
travail productif) et de « promotion collective » (ibid.). La critique identitaire de l’École
(ou nationaliste et populiste) s’identifie à une critique ruralisante visant « l’élaboration
d’un type nouveau d’enseignement » contre les élites, basé « sur des critères
démocratiques et populaires au seul profit du peuple militant du Faso », reposant « sur
le vécu [du peuple burkinabè] et sur les besoins réels [du développement économique
du pays] » (ibid. : 8-9). L’École y est qualifiée de « sélective et impérialiste », « au
détriment de la collectivité nationale », « elle forme une élite » et « n’assure pas
l’autosuffisance ». « Elle est un frein au développement économique » (ibid. : 5-9).
26 Ainsi, c’est d’une certaine manière le capital scolaire francophone dans son versant de
promotion d’une minorité d’individus au détriment du développement du pays qui est
fortement critiqué. Lors de la Deuxième conférence nationale des scolaires du Burkina
(24-26 mars 1986, Bobo-Dioulasso), son président souligne combien la réforme doit
aboutir à une École qui conduit la jeunesse « à mieux saisir la chance qu’est la sienne de
recevoir une formation à ce niveau, à se convaincre de l’approfondir au mieux et afin
de la mettre bientôt au service du Faso, car aucun système économique ne peut
survivre lorsque toutes les compétences sont concentrées à la fenêtre de la Fonction
publique »8. Thomas Sankara, au moment de la conception de la réforme, tient des
propos similaires :
« Nous comptons nous attaquer au contenu et au contenant de l’éducation. Quand
le colonisateur a ouvert des écoles, il n’avait pas des intentions de mécène ou de
philanthrope, il avait plutôt le souci de fabriquer des commis aptes à occuper les
postes utiles à son système d’exploitation. Pour nous, il s’agit, aujourd’hui, de
donner à l’école une nouvelle valeur afin qu’elle forme l’homme nouveau, qui
connaît des concepts, qui les assimile, qui s’insère harmonieusement et totalement
dans la mouvance et la dynamique de son peuple. […] Nous sommes un pays pauvre,
c’est vrai. Mais considérons le budget national. Il consacre plus de 60 % de ses
ressources à payer les fonctionnaires : 0,035 % de la population. Un fonctionnaire,
chez nous, c’est quelqu’un qui a eu la chance de n’être pas parmi les deux cents
enfants sur mille de sa génération morts de maladies diverses avant un an […]. Et à
lui, à tous ceux qui de sa caste, on consacre plus de 60 % du budget national ! S’il est
difficile de maintenir le train de vie des villes qui nous permet de tendre toujours
plus vers les métropoles européennes ou autres que nous avons connues, il est
possible, par contre, de construire des postes de santé primaires pour n’importe
quel paysan, de construire, même sous forme de paillotes, des écoles pour
n’importe quel enfant de paysan, de tracer des routes sommaires au moins, qui
permettront d’évacuer les produits, etc. Avec cette démarche, nous pourrons
construire une société nouvelle » (D. E. 4 1986).
27 Ce projet de réforme qui s’attaque fonctionnellement à l’institution scolaire d’essence
coloniale articule sa critique et sa refonte du système éducatif autour d’une dimension
identitaire, mise en interrelation avec le développement. Ainsi, l’institution scolaire
d’inspiration coloniale est remise en question pour « son caractère aliénant et
acculturant » :
« Les contenus d’enseignement ne renvoient à aucune réalité burkinabè. Ils restent
théoriques, abstraits, étrangers aux réalités nationales et cultivent chez l’élève le
goût pour le travail bureaucratique et le mépris pour le travail manuel, productif.
[Elle véhicule] une distorsion permanente entre école et société. […] Par l’utilisation
exclusive du français à tous les niveaux, l’école néocoloniale véhicule une culture

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École, langues, cultures et développement 11

étrangère […] qui est un stupéfiant spirituel, une sorte d’opium qui endort les
consciences. Cette culture étrangère constitue un poison pour les cultures
nationales en ce sens qu’elle inculque aux enfants le mépris des valeurs
traditionnelles burkinabè. […] Elle s’avère culturellement aliénante » ( D. O. A.
10 1986 : 6-7).
28 Néanmoins, le recours aux langues locales est plus limité que dans la réforme sous la
gouvernance de Sangoulé Lamizana. Il est restreint au niveau préscolaire que Thomas
Sankara s’attelle à développer pour la promotion du travail des femmes. Il faut dire que
ce dernier est quelque peu mitigé par une utilisation exclusive des langues locales dans
le cadre scolaire. En 1986, répondant à Mongo Béti à propos de la francophonie comme
stratégie de contrôle, Sankara évoque la réforme scolaire en cours :
« Le fait historique est là et la stratégie néocoloniale aussi est là. La francophonie
n’est rien d’autre. Malheureusement ce sont plutôt des Africains qui la défendent
plus que les Français eux-mêmes. C’est le paradoxe, mais un paradoxe qui
s’explique parfaitement par l’acculturation et l’aliénation culturelle parfaite de ces
Africains-là. Au niveau du Burkina, nous sommes en train de procéder à une
réforme totale de l’éducation où le problème des langues nationales et de la langue
française est au centre des débats. La question n’est pas encore tranchée, mais les
choses semblent évoluer vers l’utilisation de la langue française comme langue
d’unification de nos multiples nationalités ; et cela du point de vue de l’efficacité et
de la meilleure solution du problème qui se pose à nous. Cela ne voudra pas dire que
nos langues nationales seront rejetées, loin de là. La langue en général, étant au-
dessus des classes, il nous appartiendra, en tant que révolutionnaires, de savoir
mettre la langue française au service de la défense de nos intérêts de classe. C’est
dans ce cadre que nous sommes appelés à créer nos propres institutions, pour un
appareil culturel au service de notre peuple, sinon notre lutte ne pourra aboutir,
compte tenu de l’influence nocive qu’entraîne l’invasion culturelle dont nous
sommes l’objet du côté français essentiellement » (D. E. 5 1986).
29 Cet essai de refonte du système scolaire repose sur l’articulation entre langues et
cultures locales et développement, en vue d’un auto-développement du pays. L’objectif
du CNR, consistant à enclencher une dynamique d’auto-développement à travers
l’éducation, est particulièrement apparent dans la rhétorique moralisatrice et
décentralisatrice de Thomas Sankara dans son Appel de Gaoua en octobre 1986 :
« […] parce que les moyens dépendent des hommes et la réforme si nécessaire ne
sera que l’œuvre des hommes […] mais le chemin de l’école nouvelle passe par la
transformation de nos mentalités et de nos comportements […]. Ce qui exige de
nous une véritable croisade contre la démission collective qu’a été notre
poncepilatisme lorsqu’il s’est agi de réfléchir et de proposer une réforme de notre
école après avoir décrié la présente. […] [L’école incombe à chacun : aux
enseignants, aux parents et aux enfants]. […] Vous avez tous des responsabilités et
des devoirs » (D. E. 4 1986 : 12, 37-39).
« Nouvelle » orthodoxie éducative et recours économiste au paradigme ruraliste
30 L’instabilité politique et le renversement de Thomas Sankara sont les principaux freins
au devenir de l’École nouvelle, d’autant plus que le Front populaire engage en janvier
1989 des négociations avec les institutions financières de Bretton Woods enrôlant dès
1990 l’économie burkinabè au sein du Plan d’ajustement structurel et celles-ci ont
d’importantes répercussions sur l’éducation.
31 Le programme d’action politique du Front populaire qui se traduit au niveau éducatif
par le « paradigme ruraliste » réitère formellement les relations entre la promotion des
langues (et des cultures9) locales, de l’éducation et du développement économique du
pays, mais en se limitant aux zones rurales sans toucher à l’ensemble du système

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École, langues, cultures et développement 12

éducatif : ainsi, une alphabétisation en langues locales et une scolarisation en français


de masse dans les campagnes sont promues comme la solution au démarrage « des
forces productives au sein des campagnes » (D. O. A. 12 1989). Mais ces intentions
formelles interviennent un peu avant l’entrée de l’économie burkinabè au sein du Plan
d’ajustement structurel imposé par la Banque Mondiale.
32 Selon Marie-France Lange, « l’évolution de l’offre et de la demande est déterminée par
l’influence respective des différents acteurs de l’éducation. Jusqu’à la fin des années
1970, dans la plupart des pays africains, on observait un face à face État-Société où
l’État jouait un rôle déterminant : l’École était souvent pensée comme la chose de l’État ».
La remise en question de cette situation intervient au Burkina Faso avec l’avènement
du Front populaire qui engage l’économie du pays dans le PAS, consacrant le « triomphe
de l’idéologie libérale », « le retrait de l’État » et « la généralisation de l’économie
marchande » (Lange 2003b : 147). L’ajustement en éducation se manifeste dès les années
1990. Le poids de la théorie du capital humain (« l’ensemble des capacités productives
d’un individu ou d’un groupe ») se fait sentir, apparentant l’éducation à un
investissement « dont on peut mesurer la rentabilité sur un marché concurrentiel du
travail » (Bianchini 2004). L’économie appliquée à l’éducation articulée autour de la
rentabilité des choix en politique éducative s’affiche comme « la nouvelle orthodoxie »
(ibid.). Selon nous, celle-ci a été préparée par la critique des premiers développeurs et
les politiques d’auto-ajustement conduites durant les gouvernances de Sangoulé
Lamizana et de Thomas Sankara pour endiguer le sous-développement du Burkina Faso.
L’éducation a été pensée dans sa participation au relèvement socio-économique du
pays. Néanmoins, ici, ce « nouveau paradigme » est issu du contexte particulier de la
globalisation où les États africains « ont été dépossédés de leur souveraineté au profit
d’autres acteurs nationaux et internationaux » (Tidjani Alou 2001 : 11). Au niveau
macro-structurel, l’éducation en Afrique se traduit par un « ordre scolaire mondial et
décentralisé » (Lange 2003b ; Charlier & Pierrard 2000) où s’accroît, depuis les années
1990, contre « la crise de la scolarisation » en Afrique et pour une éducation rentable,
productive et universelle, le rôle des partenaires techniques et financiers qui prennent
le pas, dans le « partenariat État-Société civile-bailleurs de fonds », non seulement sur
l’État, mais aussi sur les enseignants, les parents, les élèves, etc. (Lange 2003b). Et, alors
que les projets de réforme qui recourent aux langues et aux cultures locales jusqu’au
début des années 1990 sont imprégnés du socialisme africain (Compaoré 1997), nous
allons voir ici que l’intérêt du gouvernement actuel pour les formules éducatives de
type ruralisant a partie liée avec ce nouveau contexte éducatif.
33 Au niveau éducatif, le Plan d’ajustement structurel se traduit par une série de mesures
sous-tendues par la rentabilité des investissements en éducation 10 et les exigences
internationales de scolarisation universelle : au niveau de l’enseignement primaire,
l’introduction des classes à double flux et des classes multigrades, des restrictions
budgétaires, la réduction de la formation des enseignants à un an, le recours à des
enseignants sous-qualifiés, notamment ceux du service national, l’impulsion au secteur
privé11, enfin les écoles « à idéologie communautaire » telles que les écoles bilingues et
les écoles satellites. Le nouveau contexte éducatif de « circoncision du politique »
(Hibou 1998) par les bailleurs de fonds, où prime l’orthodoxie de rentabilité des
investissements en éducation, de quantité et de décentralisation, transparaît dans le
Plan décennal de développement de l’éducation de base 2000-2009 adopté par le décret
le 20 juillet 1999 :

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École, langues, cultures et développement 13

« Il s’agit d’accélérer le développement quantitatif de l’éducation de base et de


réduire les inégalités […], d’améliorer la pertinence et l’efficacité de l’éducation de
base et de développer la cohérence et l’intégration entre les différents niveaux et
formules de l’éducation de base, […] de promouvoir l’alphabétisation ainsi que de
nouvelles formules d’éducation de base, […] de porter le taux de scolarisation à 70 %
en l’an 2009 […] de développer et de diversifier les actions et les formules
d’alphabétisation pour amener le taux d’alphabétisation à 40 % en 2009 […]. Il s’agit
d’introduire des changements significatifs au niveau de l’école afin de mettre en
place de vraies possibilités d’auto-éducation. Elles vont concerner : l’organisation
de l’année scolaire pour que les enfants participent aux activités de production, une
introduction des langues nationales dans l’éducation de base pour favoriser une
amélioration de la perception de l’école et réduire le fossé entre savoirs familiaux et
savoirs scolaires, entre école et milieu […], une autonomisation d’un cycle
d’enseignement de base, une diversification des formules d’éducation de base telles
que les écoles franco-arabes, les écoles satellites, les centres d’éducation de base
non formelle […] de manière à ce que cette pluralité puisse représenter à la fois une
chance pour l’expansion de l’éducation de base et un facteur d’amélioration de sa
qualité, la maîtrise des opportunités de prise en charge de l’éducation de base par
les collectivités locales créées par le développement de la société civile et les
actions de décentralisation en cours » (D. O. A. 17 1999).
34 À ce jour, il n’y a pas eu de réforme globale de l’école primaire actualisant le paradigme
ruraliste en dépit des intentions formulées dans le Plan décennal de développement de
l’éducation de base. Néanmoins, depuis quelques années, le gouvernement s’intéresse
aux écoles dites « communautaires » qui renvoient aux écoles bilingues et aux écoles
satellites, mais plus particulièrement aux écoles bilingues. Ces écoles dites
communautaires sont toutes les deux issues d’initiatives d’ ONG, respectivement de l’OSEO
(l’Œuvre suisse d’entraide ouvrière) pour les écoles bilingues, et de l’ UNICEF pour
les écoles satellites. Elles partagent en commun une option pédagogique bilingue
employant les langues locales pour l’apprentissage du français, elles recourent aux
activités de production et véhiculent une idéologie communautaire. Néanmoins, elles
se distinguent en ce que les écoles satellites ne concernent que les trois premières
années de l’enseignement primaire et par conséquent, ne conduisent pas au certificat
d’études primaires. Cette différence est essentielle pour saisir l’attention particulière
que le gouvernement burkinabè a accordée aux écoles bilingues. Tout en décrivant
celles-ci, nous allons tenter de saisir le sens de cet intérêt récent.
35 L’éducation bilingue est une innovation pédagogique expérimentée depuis 1994 par une
ONG, l’OSEO, qui a signé un accord de coopération depuis 1983 avec le MEBA (Ministère de
l’Éducation de base et de l’Alphabétisation). En 1994, la première école bilingue a été
créée à Nomgana et à Goué (province de l’Oubritenga) et à Tanyoko (province de
Sanmatenga). Les écoles bilingues sont des écoles rurales qui renouent avec le
paradigme d’encadrement des ruraux pour le développement local. Elles fonctionnent
sur la base d’une promotion des langues et des cultures locales au sein d’un bilinguisme
additif de transfert langue locale-français. Cette introduction des langues et des
cultures locales dont le but est de rapprocher les familles afin de les responsabiliser au
sein du développement de leur éducation et du développement de la collectivité, réitère
la rhétorique décentralisatrice en véhiculant une idéologie communautaire 12. Enfin,
elles intègrent la production par le biais de différentes activités d’élevage, de
maraîchage, de tissage. Par les activités de production, elle vise, d’une part, à diminuer
les coûts de scolarité pour les parents et, d’autre part, à établir « une école productive »
favorable au développement local et à celui du pays et implicitement à élargir la

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École, langues, cultures et développement 14

relation entre institution scolaire et fonction publique qui, aujourd’hui, est saturée. Ces
écoles conjuguent donc les langues (et cultures locales), le développement et
l’éducation et cette relation prend tout son sens dans le nouveau contexte éducatif.
36 Au début, l’éducation bilingue est une expérimentation sous la coupe de partenaires
financiers. Mais le succès de l’expérimentation qui se déroule sur quatre années,
jusqu’en 1998, avec des enfants de 9 à 15 ans est tel que l’État s’y intéresse et prend en
charge une part des financements13. En effet, les résultats au CEP de juin 2002 des trois
premières écoles bilingues qui clôturent un cycle de cinq ans de scolarité sont très
satisfaisants : la moyenne générale est de 85 % contre 61 % dans le système traditionnel
et le pourcentage de réussite est de 75 % à Goué, 80 % à Nomgana et de 84 % à Tanyoko.
L’expérimentation s’élargit doublement des points de vue géographique et linguistique
en collaboration avec le MEBA. Au niveau linguistique, sept langues nationales sont
introduites comme médiums d’enseignement aux côtés du français : le moore, le dioula,
le fulfuldé, le dagara, le lyeele, le gulmancema, le bisa. À la session de juin 2004, les
écoles bilingues présentent un taux de réussite de 94 % aux examens du CEP contre une
moyenne nationale de 73 %.
37 Le 8 juin 2002, le ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation, Mathieu
R. Ouédraogo, adresse une lettre circulaire sur la transformation des écoles classiques
en écoles bilingues aux directions régionales de l’enseignement de base et de
l’alphabétisation afin d’accorder à toute communauté qui le souhaite la transformation
de son école en une école bilingue avec l’autorisation du ministère. Cette semi-
reconnaissance n’est pas anodine : l’État renoue avec une formule éducative dont les
fondements se situent dans les premières années de l’indépendance. Mais d’autres
raisons, davantage liées au nouveau contexte éducatif, semblent sous-tendre l’intérêt
du gouvernement pour les écoles bilingues. En effet, en 2003, au Conseil des ministres,
il est décidé qu’une rencontre nationale doit être tenue sur les écoles bilingues en vue
de « toucher le maximum de sensibilités sur la question de l’école bilingue en vue de sa
promotion. Compte tenu des gains financiers, économiques et des avantages
pédagogiques que le système éducatif peut tirer de l’expérience de l’éducation bilingue,
le Gouvernement souhaite renforcer les capacités de prise en charge des écoles
bilingues en vue d’une généralisation progressive de l’enseignement bilingue. Cette
rencontre constitue le point de départ d’un processus de concertation avec l’ensemble
des partenaires autour de la question centrale de l’utilisation des langues nationales, de
l’arabe et du français dans notre système éducatif » (D. E. 7 2003).
38 En 2004, Mathieu R. Ouédraogo tient des propos significatifs des intentions relatives à
l’intérêt du gouvernement à l’égard des écoles bilingues :
« L’éducation bilingue est une alternative prometteuse de perspectives positives
pour notre pays et le système éducatif. Nous avons une approche qui est très
flexible, très prudente, puisque nous avons vu par le passé la réaction négative des
acteurs du système éducatif et des parents par rapport à l’introduction des langues
nationales à l’école. En prenant en compte les expériences tentées dans ce pays
dans le domaine de l’utilisation des langues dans le système éducatif depuis les
années 60 jusqu’à aujourd’hui, nous avons opté pour une approche très
démocratique. C’est dire que nous travaillons à montrer les résultats. Et les parents,
au vu des résultats, vont opérer eux-mêmes des choix. Aujourd’hui, jusqu’ici,
l’expérience que nous menons dans les écoles bilingues, c’est-à-dire là où l’enfant
commence sa scolarisation dans une langue qu’il maîtrise (qui peut ne pas être sa
langue maternelle), nous avons constaté qu’il finit son cycle primaire en cinq ans au
lieu de six. […] Nous disons même que si nous voulons faire des économies d’échelle, il faut

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École, langues, cultures et développement 15

opter pour les écoles bilingues14. Si au lieu de faire six ans, on n’en fait que cinq, on
économise alors une année, une classe. Si par école on fait l’économie d’une classe à
construire, vous imaginez ce qu’on gagne sur mille écoles. L’économie se fait aussi
sentir au niveau de la masse salariale des enseignants. […] Ces écoles bilingues sont
dynamiques parce que justement, là, la communauté éducative existe et elle est
fonctionnelle. Cette communauté est toujours là, elle est informée dès qu’un
enseignant est absent et elle s’en préoccupe tout de suite […] » ( D. E. 8 2004).
39 Ces propos illustrent les principes qui structurent la semi-reconnaissance de ces
écoles : la rentabilité de leur option pédagogique et la prise en main par les
communautés de base de leur développement. Plus récemment, Odile Boukoungou,
actuelle ministre de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation répond aux
questions sur les écoles bilingues :
« Pour ce qui est de l’alphabétisation et de l’éducation non-formelle en général,
nous avons encore d’énormes efforts à faire. Nous avons eu l’impression qu’au
cours de la première phase du PDDEB, ce volet n’a vraiment pas pu obtenir les
ressources nécessaires pour une bonne réalisation des activités. Mais, avec la mise
en place du FONAEF, il y a des progrès qui ont été réalisés compte tenu de la vision
actuelle qui repose sur la stratégie “faire faire”. C’est-à-dire que ce n’est pas l’État
qui mène des activités d’alphabétisation mais l’État accompagne des opérateurs
privés pour les activités. Nous pensons que dans le cadre de la 2 e phase du PDDEB,
aussi bien l’alphabétisation, l’éducation non-formelle que les écoles bilingues
occupent une place de choix. Il y a des progrès notables, mais nous pouvons encore
mieux faire si nous nous organisons mieux […] » (D. E. 10 2005).
40 La rhétorique décentralisatrice présente dans ces propos, sous-tendue par une attitude
de désengagement de l’État burkinabè à l’égard de ses prérogatives éducatives, est l’une
des dimensions structurant l’attitude favorable du gouvernement à l’égard des écoles
bilingues.
41 Néanmoins, à ses aspects de rentabilité des investissements en éducation, de
satisfaction de l’exigence de la scolarisation universelle et de déplacement des
responsabilités éducatives à la base, il semble que cette attitude favorable du
gouvernement à l’égard des écoles bilingues puisse aussi recevoir un éclairage
complémentaire : le recours stratégique à la culture qu’effectue le gouvernement de
Blaise Compaoré dans la constitution d’une façade démocratique en direction de
l’extérieur. Récemment, Hilgers et Mazzocchetti (2006 : 12) soulignent qu'« après 18 ans
au pouvoir, Blaise Compaoré s’impose comme un maître de la mise en scène politique :
il donne du Burkina Faso l’image d’une démocratie en chemin […] pour construire cette
image, le pouvoir se spécialise dans l’organisation d’événements politiques ou
diplomatiques d’envergure internationale. Le sport et la culture, le Tour cycliste du
Faso, la cérémonie des Kundé, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de
Ouagadougou (Fespaco) sont autant d’occasions supplémentaires de valorisation ».
Dans cette perspective d’élaboration d’une démocratie de façade, les deux auteurs font
également référence à l’accueil, en 2004, à Ouagadougou du 10 e sommet de la
Francophonie, événement à travers lequel Blaise Compaoré se présente comme engagé
en faveur « de la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles »
(D. E. 9 2004). Il est plausible que le regain d’intérêt étatique pour les écoles bilingues,
lesquelles développent une rhétorique culturaliste, puisse trouver une partie de son
explication dans l’ensemble des stratégies culturelles.
42 La chaîne spécifique éducation, langues, cultures locales et développement au cours de
l’histoire des gouvernements successifs du Burkina Faso, s’articule non seulement

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École, langues, cultures et développement 16

contre la promotion individuelle par la scolarité francophone, mais surtout pour le


relèvement socio-économique du pays. Au cours de la longue gouvernance de Sangoulé
Lamizana, la promotion des langues et des cultures locales au sein de l’éducation est
moins liée à une perspective culturaliste et identitaire qu’à la critique ruraliste de
l’École. C’est au cours de cette période que, en réponse au plan d’ajustement de la
garangose, se constitue progressivement le paradigme ruraliste en éducation en faveur
du développement socio-économique du pays. La politique autonomiste de Thomas
Sankara conduit à une réitération de ce modèle ruraliste dans le cadre de l’auto-
ajustement à l’encontre de la promotion élitiste par le capital francophone. Quoique
s’appuyant sur un nationalisme de type populiste et donc une dimension identitaire
plus forte que la réforme précédente, la réactualisation du paradigme ruraliste conduit
à un recours restreint des langues locales. Les négociations avec les institutions de
Bretton Woods et le nouvel ordre éducatif qui s’en suit consacrent une orthodoxie
économiste où l’efficacité et la rentabilité deviennent les principaux critères
d’évaluation des mesures prises en éducation. Dans ce contexte, les écoles bilingues
d’inspiration ruraliste apparaissent comme une formule éducative exemplaire aux yeux
du gouvernement depuis sa position de subordination aux exigences des institutions
internationales et son attitude de désengagement à l’égard de ses prérogatives
éducatives.
43 La mise en relation de l’École au Burkina Faso à l’économie n’est néanmoins pas neuve.
Elle est déjà bel et bien présente dès son instauration : l’École franco-française reposant
sur une promotion individuelle, principal facteur d’attraction, est placée au centre de la
rentabilité de l’entreprise coloniale. Les bénéficiaires de ce capital scolaire, confrontés
au sous-développement, en particulier en Haute-Volta, cherchent à élaborer, dans une
conjoncture sociopolitique particulière, une alternative éducative où la dimension
identitaire prend la forme d’un développement endogène. Ce paradigme éducatif
conjuguant langues et cultures locales, éducation et développement est réitéré
aujourd’hui, mais dans une conjoncture toute différente. Le fait que le gouvernement
burkinabè y ait recours apparaît aujourd’hui davantage comme une réponse immédiate
aux exigences économistes et à une incapacité d’assumer l’ensemble des prérogatives
éducatives, que comme un dessein de changement social et d’amélioration de la
situation socio-économique globale du pays par le biais de l’institution scolaire.

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École, langues, cultures et développement 21

NOTES
1. La naissance de l’institution scolaire en Haute-Volta est contemporaine de
l’envahissement en 1898 de Bobo Dioulasso, où a été créée par la suite la première
école. À partir de l’instauration des écoles de Bobo et de Boromo (1898), les autres se
succèdent : celles de Ouagadougou (1899), de Léo et de Koury (1900), de Dori (1901), de
Gaoua (1902), et de Tenkoodogo (1903) (COMPAORÉ 1995).
2. C’est d’ailleurs ce que recommande le père supérieur de la mission de Réo (troisième
du pays) suite à la violente répression des révoltes de 1916 dans la région ( D. O. A. 1
1911-1925 [Tous les documents officiels et archives (D. O. A.) et les discours et entretiens
(D. E.) sont réunis en Annexes]).
3. La collaboration entre l’enseignement catholique privé et les autorités de
l’enseignement officiel se rétablit à partir de 1943 par une assistance sous la forme de
subventions (COMPAORÉ 1995). SKINNER (1974 : 221) note ainsi, que malgré des positions
anticléricales intermittentes, l’administration, faute de moyens, avait besoin de
recourir aux écoles mises en place par les missionnaires.
4. La Conférence africaine française de Brazzaville s’est déroulée du 30 janvier au
8 février 1944 à Brazzaville à l’initiative du général de Gaulle, sous la présidence de
René Pleven, commissaire aux colonies. Elle rassemblait autour du général de Gaulle 70
participants, parmi lesquels les gouverneurs des colonies, mais aucun Africain. Tenue
un an avant la défaite de l’Allemagne, en réponse entre autres à la « contribution
spéciale de l’Afrique à l’effort de guerre » et à la montée « des aspirations » à
l’autonomie « dans les couches les plus éclairées des populations coloniales », elle visait
à jeter les bases et les principes d’une organisation nouvelle des colonies d’Afrique
noire, l’Union française (1946-1958), qui devait alors remplacer l’administration directe
des colonies par la France, sans pour autant permettre une autonomie en dehors du
bloc français, lançant ainsi (ou renforçant) une politique d’assimilation à la faveur des
élites. (KI-ZERBO 1978 : 499-503).
5. Pascal BIANCHINI (2004) situe la naissance de la « contestation éduquée » à l’égard de
l’École au sein des premières organisations d’étudiants africains ayant réalisé ou
réalisant leurs études en Europe telles que la USAD, la WASU, la FEANF.
6. La garangose renvoie à la politique d’austérité conduite par le ministre de
l’Économie, Garango, durant les neuf premières années de la gouvernance de Lamizana
(1966-1975).
7. L’Institut national d’alphabétisation et de formation des adultes deviendra, en 1988,
l’Institut national de l’alphabétisation. L’INA est alors doté d’une direction générale et
de trois sous-directions afin d’assumer l’héritage révolutionnaire des centres dits
« alpha commando » et « Bantaré », et aussi de répondre aux exigences internationales
des institutions de Bretton Woods, auxquelles le gouvernement suivant la révolution
est davantage ouvert. L’INA est aujourd’hui devenu DRINA, la Direction de la recherche
des innovations en éducation non formelle et en alphabétisation.
8. CNR/SGN/CDR : Deuxième conférence nationale des scolaires du Burkina, cité par
COMPAORÉ (1997).
9. Ainsi, les manuels (en français) introduits au sein de l’enseignement primaire par le
CNR sont toujours aujourd’hui les manuels de référence.
10. On rencontre ces réformes dans un grand nombre de pays africains.
11. Ainsi, l’État a rétrocédé en 1998 à l’enseignement catholique les écoles primaires
qu’il avait cédées en 1969.

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École, langues, cultures et développement 22

12. Les écoles bilingues véhiculent en fait une idéologie communautaire par exemple
dans les manuels édités par l’OSEO, c’est-à-dire qu’elles entendent œuvrer pour le
développement local en reposant sur des valeurs positives de la tradition qui sont en
fait des clichés d’une tradition figée, sur une appropriation sélective de certaines
valeurs traditionnelles jugées positives telles que le respect des aînés, la solidarité,
l’amour du travail communautaire pour la communauté, qui cohabitent avec d’autres
valeurs « plus modernes » auxquelles doivent être initiés les ruraux telles que la
citoyenneté. On a recours également à des méthodes pédagogiques dites
traditionnelles : les séances de causerie précédant les séances de lecture. Ces valeurs
« traditionnelles » résultent d’un tri et d’une atomisation d’un ensemble qui n’est plus
aussi figé que cela.
13. Sur les 6 266 écoles primaires existant actuellement au Burkina Faso, on compte 88
écoles bilingues. 55 sont publiques, 33 sont privées dont 30 catholiques et 3 non
confessionnelles. Les enseignants travaillant dans ces écoles proviennent
essentiellement des écoles normales de l’État et ont reçu une formation bilingue
complémentaire, assurée financièrement et organisée par l’OSEO, et qui cherche à
devenir un module obligatoire dans la formation des instituteurs.
14. Nos italiques.

RÉSUMÉS
Cet article tente de saisir le sens du recours aux langues et aux cultures locales dans le cadre de
réformes et de mesures scolaires prises par les gouvernements bukinabè de l’indépendance
jusqu’à aujourd’hui. À travers une analyse des politiques linguistiques, culturelles et éducatives
postcoloniales du Burkina Faso, il établit que, à l’encontre d’une promotion individuelle par le
capital scolaire francophone et pour le relèvement socio-économique du pays, les gouvernements
postcoloniaux ont cherché à réformer l’institution scolaire. Ce faisant, ils ont mis en place une
formule articulant l’éducation, les langues et les cultures locales, et le développement où la
dimension identitaire prenait une forme et une direction en relation avec la situation socio-
économique de la Haute-Volta, c’est-à-dire celles d’un auto-développement. Cette formule
éducative, réitérée aujourd’hui par les « développeurs », prend toute sa pertinence dans un
contexte éducatif dominé par les injonctions de la Banque Mondiale et caractérisé par un
désengagement de l’État à l’égard de ses prérogatives éducatives.

Education, Languages and Development. An Analysis of Post-Colonial Educational, Linguistic and Cultural
Policies in Burkina Faso. – This text aims at seizing the direction of the recourse to the local
languages and the cultures within the framework of reforms and school measurements taken by
the governments burkinabè since independence until today. Through an analysis of the
linguistic, cultural and educational postcoloniales policies of Burkina Faso, this text argues that,
against an individual promotion by the french-speaking school capital and for the socio-
economic raising of the country, the postcolonial governments attempted to reform the school
institution. In this prospect, they set up a formula articulating education, the local languages and
cultures, and the development where identity dimension took a form and a direction in relation
to the socio-economic situation of Upper Volta, i. e. a form of a self-development. This

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École, langues, cultures et développement 23

educational formula, reiterated today by the “developers”, takes all its relevance in an
educational contexte dominated by the injunctions of the World Bank and characterized by a
disengagement of The State with regard to its educational prerogatives.

INDEX
Keywords : identity, development, school, educational, linguistic and cultural policies
Mots-clés : identité, développement, École, Burkina Faso, politiques éducatives, linguistiques et
culturelles

AUTEUR
GÉRALDINE ANDRÉ
Groupe de recherche Sociologie Action Sens,
Facultés universitaires catholiques de Mons.

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